3
L'univers Bang au « ·',:':1. '1, :, ,. » du Big régage fin époque et cet état de l'univers vont prendre le nom de Big Bang, une expression proposée par le Britannique Fred Hoyle, qui se voulait péjorative car il ne croyait pas à ce modèle. Hoyle est également le premier à parler en 1953 de « réglage» ou « ajus- tement fin » des conditions initiales et des constantes physiques de l'uni- La cosmologie moderne fait le constat du « réglage fin» des constantes physiques de l'univers, qui ont permis l'existence de l'être humain. Certains scientifiques, tels Trinh Xuan Thuan, défendent l'idée qu'une intention serait à l'origine de la vie sur Terre, car ses conditions d'apparition sont si précises qu'elles ne sauraient être le fruit du seul hasard. Trinh Xuan Thuan Astrophysicien, professeur d'astronomie à l'université de Virginie. ;tj Dernier ouvrage publié: ~ Dictionnaire amoureux ~ du ciel et des étoiles ~ (Plon/Fayard,2009). L a cosmologie moderne naît suite à la découverte de la relativité générale par Albert Einstein en 1915. Mais celui-ci croit à un univers statique et introduit dans ses équations une « constante cosmologique » pour justifier cet état. Lorsqu'en 1929, Edwin Hubble démontre que l'univers est en expansion, Einstein revient sur sa proposition qu'il qualifie de «plus grande bêtise de sa vie ». Les modèles expansionnistes développés au début des années 1920 sont alors adoptés. On les doit au Russe Alexandre Friedmann et au prêtre catholique belge Georges Lemaître. Mais si l'uni- vers est en expansion, l'inversion du processus conduit naturellement à un état initial extrêmement dense et chaud de l'univers, qui remonte à environ 13,7 milliards d'années. Cette 26 parition sont réglées si finement qu'el- les ne sauraient être le fruit du seul hasard. Astrophysicien d'origine vietna- mienne, Trinh Xuan Thuan est aujourd'hui l'un des plus fervents avocats du principe anthropique. Il vient de se voir décerner par l'Unesco le prix Kalinga, qui récompense des cc Dire que l'univers tend vers la conscience dès l'origine relève d'une position métaphysique forte. C'est un pari» vers. En 1961, Robert Dicke souligne que l'apparition de la vie nécessite la présence de carbone, laquelle semble le fruit d'une heureuse coïncidence, puisqu'il ne peut être synthétisé qu'au cœur des étoiles, et dans des conditions très spécifiques. Ce constat du « réglage fin» va conduire le Britannique Brandon Carter à formuler en 1974 le « principe anthropique» (du grec anthropos, «homme »), qui fait l'ob- jet de plusieurs interprétations. Dans sa version « forte », il prend la forme d'un pari métaphysique voulant qu'une intention soit à l'origine de l'univers et de la vie, car leurs conditions d'ap- scientifiques ayant contribué à l'infor- mation scientifique du grand public. Le principe anthropique repose sur la notion de réglage fin de l'univers. Qu'est-ce que cela signifie? Je préfère l'appeler principe de complexité, pour ne pas être anthro- pomorphique. La version forte de ce principe dit que l'évolution de l'uni- vers mène inévitablement à une forme de vie et de conscience. Pas nécessai- rement à l'homme, car si ce principe est correct, il y a inévitablement d'autres formes de conscience dans l'univers. On peut dire que l'univers janvier-février 2010 - Le Monde des Religions

L'univers du Big Bang au régage fin - Théorie de la ... des Religions.pdf · La cosmologie moderne fait le constat du « réglage fin» des constantes physiques de l'univers,

Embed Size (px)

Citation preview

L'universBang au «

·',:':1. •'1,:, ,.

»du Big

régage fin

époque et cet état de l'univers vontprendre le nom de Big Bang, uneexpression proposée par le BritanniqueFred Hoyle, qui se voulait péjorativecar il ne croyait pas à ce modèle.Hoyle est également le premier àparler en 1953 de « réglage» ou « ajus-tement fin » des conditions initialeset des constantes physiques de l'uni-

La cosmologie moderne fait le constat du « réglage fin» desconstantes physiques de l'univers, qui ont permis l'existence

de l'être humain. Certains scientifiques, tels Trinh Xuan Thuan,défendent l'idée qu'une intention serait à l'origine de la vie

sur Terre, car ses conditions d'apparition sont si précisesqu'elles ne sauraient être le fruit du seul hasard.

Trinh Xuan ThuanAstrophysicien,professeur d'astronomieà l'universitéde Virginie.

;tj Dernier ouvrage publié:~ Dictionnaire amoureux~ du ciel et des étoiles~ (Plon/Fayard,2009).

La cosmologie moderne naîtsuite à la découverte de larelativité générale par AlbertEinstein en 1915. Maiscelui-ci croit à un univers

statique et introduit dans ses équationsune « constante cosmologique » pourjustifier cet état. Lorsqu'en 1929,Edwin Hubble démontre que l'universest en expansion, Einstein revient sursa proposition qu'il qualifie de «plusgrande bêtise de sa vie ». Les modèlesexpansionnistes développés au débutdes années 1920 sont alors adoptés.On les doit au Russe AlexandreFriedmann et au prêtre catholiquebelge Georges Lemaître. Mais si l'uni-vers est en expansion, l'inversion duprocessus conduit naturellement àun état initial extrêmement dense etchaud de l'univers, qui remonte àenviron 13,7 milliards d'années. Cette

26

••

parition sont réglées si finement qu'el-les ne sauraient être le fruit du seulhasard.

Astrophysicien d'origine vietna-mienne, Trinh Xuan Thuan estaujourd'hui l'un des plus ferventsavocats du principe anthropique. Ilvient de se voir décerner par l'Unescole prix Kalinga, qui récompense des

cc Dire que l'univers tend vers la consciencedès l'origine relève d'une position métaphysiqueforte. C'est un pari»

vers. En 1961, Robert Dicke souligneque l'apparition de la vie nécessite laprésence de carbone, laquelle semblele fruit d'une heureuse coïncidence,puisqu'il ne peut être synthétisé qu'aucœur des étoiles, et dans des conditionstrès spécifiques. Ce constat du « réglagefin» va conduire le BritanniqueBrandon Carter à formuler en 1974le « principe anthropique» (du grecanthropos, «homme »), qui fait l'ob-jet de plusieurs interprétations. Danssa version « forte », il prend la formed'un pari métaphysique voulant qu'uneintention soit à l'origine de l'universet de la vie, car leurs conditions d'ap-

scientifiques ayant contribué à l'infor-mation scientifique du grand public.

Le principe anthropique repose surla notion de réglage fin de l'univers.Qu'est-ce que cela signifie?

Je préfère l'appeler principe decomplexité, pour ne pas être anthro-pomorphique. La version forte de ceprincipe dit que l'évolution de l'uni-vers mène inévitablement à une formede vie et de conscience. Pas nécessai-rement à l'homme, car si ce principeest correct, il y a inévitablementd'autres formes de conscience dansl'univers. On peut dire que l'univers

janvier-février 2010 - Le Monde des Religions

était en quelque sorte gros de la vieet de la conscience, car il a été régléde façon extrêmement fine, dès ledébut, pour permettre la formationdes étoiles et la fabrication des élémentslourds qui conduisent à la vie.

Mais le réglage ne semble finque par rapport à nos capacitésde calcul et d'observation. N'y a-t-ilpas un risque de s'illusionnersur la finesse de ce réglage?

Le réglage fin est un fait reconnupar la communauté scientifique: onne peut faire varier la valeur des

constantes physiques ou des conditionsinitiales de création de l'univers,même de façon infime, sans compro-mettre l'existence des étoiles, deséléments lourds et donc de la vie. Leprincipe anthropique n'est pas undogme religieux, car la science est enperpétuelle évolution, mais la physi-que telle que nous la connaissonsdépend d'une quinzaine de constan-tes, et aucune théorie n'explique pourl'instant pourquoi elles ont ces valeurs-là. Le principe anthropique faibledit: « Les constantes physiques doiventavoir la valeur qui nous permet d'exis-

IC 2118,dite la nébuleusedela Têtedesorcière,éclairéeparl'étoileRigel,estsituéedansla constellationdel'Éridan,trèsprochede la limite avecla constellationd'Orion.

janvier-février 2010 - Le Monde des Religions

ter », ce qui est une tautologie. Maisdire que l'univers tend vers laconscience dès l'origine relève d'uneposition métaphysique beaucoup plusforte. C'est un pari.

Comment passe-t-on du réglagefin à l'alternative voulantqu'il y ait soit des univers multiples,soit un principe créateur?

On peut choisir le hasard ou lanécessité. Le hasard est parfaitementcompatible avec les théories scienti-fiques: en jouant à la loterie uneinfinité de fois, on achète un jour unbillet gagnant. De même, parmi uneinfinité d'univers parallèles avec routesles combinaisons possibles de constan-tes physiques et de conditions initia-les, un univers a exactement la combi-naison « gagnante », et nous serionsen quelque sorte le gros lot de cetunivers-là, une forme de consciencecapable de comprendre et d'appré-hender la beauté et l'harmonie del'univers. La science permet l'hypo-thèse d'un « multivers ». Par exemple,Andrei Linde a proposé la théorie dela mousse quantique: chaque fluc-tuation quantique donne naissanceà un univers-bulle indépendant, d'oùune infinité d'univers-bulles dans unméta-univers. Notre univers aurait lacombinaison gagnante et les autresseraient vides et stériles. Beaucoupde physiciens adoptent l'hypothèsedu « multivers » car elle évacue laquestion d'un principe créateur etelle sauve en quelque sorte le hasard.Tout cela est plausible, mais monproblème est que l'on ne pourra jamaisvérifier expérimentalement l'existenced'autres univers. Quand on appliquele Rasoir d'Ockham 0), on se demandepourquoi créer une infinité d'universtous vides et stériles juste pour enavoir un qui soit conscient de lui-même.

Vous avez d'autres argumentsd'ordre plus émotionnel

§ et esthétique.el

En effet. Quand je contemple l'or-ganisation de l'univers, c'est difficile

~=en

27

DIEU ET LA SCIENCE

pour moi de penser que tout est hasardet que rien n'a de sens. Linvariancedes lois physiques participe de l'har-monie et de la beauté de l'univers,car on aurait pu avoir un universchaotique où chaque endroit auraitdes lois différentes. Il nous serait alorsimpossible de comprendre quoi quece soit. De plus, à mesure que laconnaissance progresse, une extraor-dinaire unité se manifeste. Ainsi,Aristote pensait que le ciel et la Terreétaient régis par des lois complètementdifférentes. Isaac Newton a fait tablerase de cette vision en montrant quela même force de gravité dicte la chuted'une pomme aussi bien que le mouve-ment des planètes autour du soleil.Au XIX' siècle, on pensait que l'élec-tricité et le magnétisme étaient deuxphénomènes totalement distincts.James Clerk Maxwell et MichaelFaraday ont montré que les deuxphénomènes sont reliés, unifiantl'électricité, le magnétisme et l'opti-que. Au XX· siècle, Albert Einsteinunifie le temps et l'espace, et auXXI' siècle, les physiciens travaillentdur pour unifier les quatre forcesfondamentales de la nature.

Finalement, votre adhésionà un principe créateur est encontradiction avec le bouddhisme.

C'est vrai, et dans mon dialogueavec Matthieu Ricard (2), c'est le pointoù nous achoppons. Je suis un boudd-histe non-orthodoxe de ce point devue. Pour le bouddhisme, tout estinterdépendant. La vie est interdé-pendante avec la matière, qui est unsupport. Il n'y a donc pas besoin d'unprincipe créateur qui règle l'universpour l'émergence de la vie et de laconscience. Mais cela ne résout pasla question de Gottfried Leibniz:pourquoi y a-t-il quelque chose plutôtque rien? Et pourquoi avons-nousun univers régi par la mécaniquequantique et la relativité générale,alors que nous pourrions très bienvivre dans un univers régi par laphysique de Newton? Cela m'amèneà invoquer une sorte de principe

28

originel, qui décide de l'existence del'univers, avec ses lois physiques. Lebouddhisme répond aux questionsd'harmonie et d'unité, parce que toutest interdépendant, mais il n'expliquepas l'existence même de l'univers.

Que représente alors le Big Bangpour vous?

C'est la manifestation du début del'univers. Selon moi, les constantesphysiques et les conditions initialessont réglées à l'origine, ensuite l'universévolue de lui-même sans interventiondivine. Je ne conçois donc pas un Dieucréateur qui intervient constammentdans le fonctionnement de l'univers.J'adhère plutôt à un principe panthéisteà la Spinoza et Einstein. Pour moi, leprincipe créateur se manifeste dans leslois de la nature et fait que le mondeest rationnel et intelligible. Ceci dit,j'adhère pleinement aux autres conceptsfondamentaux du bouddhisme, telsl'impermanence, l'interdépendance etla vacuité.

La non-séparabilité (ou non-localité) en mécanique quantique(lire en p. 22) vous évoque-t-ellel'interdépendance des phénomèneset la non-dualité?

Oui, on l'observe au niveau suba-tomique. Deux photons qui ontinteragi (ils sont « intriqués ») main-tiennent le contact, même s'ils sontséparés par de très grandes distances.La mesure de l'un modifie instanta-nément l'état de l'autre, sans aucunetransmission d'information. La seuleexplication est de concevoir l'espacenon pas comme morcelé et local,mais comme global et interdépendant.Ce concept de non-séparabilité del'espace ressemble de façon frappanteau concept d'interdépendance dubouddhisme. Le bouddhisme ditque rien ne peut exister de façonautonome et être sa propre cause.Un objet ne peut être défini qu'entermes d'autres objets et n'existerqu'en relation avec d'autres entités.Autrement dit, ceci surgit parce quecela est. Linterdépendance est essen-

tielle à la manifestation de toutphénomène.

Vous avez écrit que laparticule-onde n'a finalementpas d'existence intrinsèque.

Oui, la lumière ou la matière peutêtre, soit particule soit onde, selon lescirconstances. Si l'observateur n'activepas son appareil de mesure, la lumièrene peut être décrite que par une ondede probabilité. S'il l'active, elle devientparticule. Parce que sa nature dépendde l'observateur, elle n'a pas d'existenceintrinsèque. Ce qui rejoint la notionde vacuité du bouddhisme, ainsi quecelle de l'interdépendance, en mettanten valeur le lien fondamental entre leréel observé et l'observateur.

Parlez-nous de l'expériencedu pendule de Foucault.

Elle manifeste aussi l'interdépen-dance, mais cette fois sur le plancosmique. Pour démontrer la rotationde la Terre, Léon Foucault suspendun poids au bout d'une corde ausommet de la voûte du Panthéon en1851. Au fil du temps, le plan d'os-cillation du pendule pivote. Foucaultexplique qu'en fait, le plan reste fixeet que c'est la Terre « au-dessous »

qui tourne. Mais fixe par rapport àquoi? La Lune, le soleil, Proxima duCentaure, l'étoile la plus proche?Non, c'est par rapport aux amas degalaxies les plus lointains que le pland'oscillation du pendule reste fixe,comme s'il ajustait son comportementnon pas en fonction de son environ-nement local, mais en fonction del'univers dans son ensemble. ErnstMach pensait que cela résultait del'influence d'une force mystérieusequi imprègne tout l'univers, mais onn'a jamais pu l'expliciter .•

Propos recueillispar Jocelin Morisson

1') Un principe de raisonnement attribué au frèrefranciscain et philosophe Guillaume d'Ockham(XI\/" siècle) : " Pluralitas non est ponenda sinenecessitate ", soit « Les multiples ne doiventpas être utilisés sans nécessité".(2) L'Infini dans la paume de la main (Poeket, 2002).

janvier-février 2010 - Le Monde des Religions