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EHESS Pour une analyse économique de l'urbanisation des campagnes Author(s): Michel Gervais Source: Études rurales, No. 49/50, L'urbanisation des Campagnes (Jan. - Jun., 1973), pp. 33-41 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/20120402 . Accessed: 28/06/2014 14:58 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Études rurales. http://www.jstor.org This content downloaded from 92.63.97.126 on Sat, 28 Jun 2014 14:58:46 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

L'urbanisation des Campagnes || Pour une analyse économique de l'urbanisation des campagnes

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Pour une analyse économique de l'urbanisation des campagnesAuthor(s): Michel GervaisSource: Études rurales, No. 49/50, L'urbanisation des Campagnes (Jan. - Jun., 1973), pp. 33-41Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/20120402 .

Accessed: 28/06/2014 14:58

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MICHEL GERVAIS

Pour une analyse ?conomique

de l'urbanisation des campagnes

ce La ville foyer d'impulsion, centre organisateur impose sa marque ? la soci?t? comme au paysage : le paysannat traditionnel dispara?t, l'urbanisation des campagnes est en cours. ?x Ainsi comprise,

ce l'urbani

sation des campagnes ? a-t-elle un sens pour l'?conomiste? Sans doute

cette notion implique-t-elle des transformations ?conomiques que nous ne

saurions n?gliger mais elle semble d?passer de beaucoup le cadre de notre

r?flexion. C'est d'ailleurs ce qui appara?t d?s que l'auteur pr?cise ce qu'il entend par urbanisation des campagnes,

ce Victoire mortelle pour l'agri culture ? Risque de g?n?ralisation d'une immense banlieue, avec tout ce

que cela implique de m?diocrit?, d'anonymat et, en d?finitive, d'isolement ?

Ou, accession de tous, agriculteurs compris, aux formes les

plus perfec tionn?es de la production et de l'existence, adaptation rationnelle de l'es

pace aux besoins du travail et des loisirs ? ?2

Le probl?me est pos? en termes si g?n?raux et si charg?s de contenu

affectif qu'il nous faut effectuer un tri prudent parmi les pistes ainsi ouvertes

? l'imagination. Dans la mesure o? une r?flexion sur l'urbanisation des

campagnes entra?ne la prise en compte de l'anonymat des banlieues, il nous

faut entreprendre l'?tude d'un processus complexe de transformations

sociales qui s'?carte largement du champ de l'?conomie. En tant qu'analyse

des variations des ce formes de la production et de l'existence ?, cette m?me

r?flexion a en revanche un contenu ?conomique indiscutable. Il appara?t donc n?cessaire de pr?ciser

ce que l'on entend lorsqu'on ?voque la transfor

mation de la campagne selon des normes qui d?finissent la ville et cela du

point de vue de l'?conomie. Encore faut-il au pr?alable savoir quel sens

?conomique on peut donner aux termes vagues de ville et de campagne.

1. E. JuiLLARD, ? L'urbanisation des campagnes en Europe occidentale ?, ?tudes rurales, 1961, 1, pp. 18-33.

2. Ibid.

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34 M. GERVAIS

Quelle ?conomie urbaine ?

Selon F. Guyot, la ville est ce un groupement permanent de population et d'activit?s sur un

espace restreint formant une unit? ?conomique

complexe ?*. Ce qui constitue l'originalit? de la ville, c'est donc d'une part la densit? de la population et, d'autre part, le type et la vari?t? des activit?s

qui y sont men?es.

Ces caract?ristiques particuli?res peuvent ?tre saisies par de pures et

simples descriptions qui visent en somme ? ?tablir une sorte d'histoire naturelle de l'agglom?ration urbaine. Le degr? d'?laboration du langage utilis? dans ces descriptions varie consid?rablement. Les g?ographes ont

commenc? par distinguer des villes portuaires ou c?ti?res, des villes mini?res ou des villes carrefour2. Ils se sont ensuite attach?s ? analyser des r?seaux urbains et ? faire des ce th?ories ? de la hi?rarchisation des centres urbains dont l'ambition ultime est de pouvoir d?voiler les lois math?matiques auxquelles leur semblent ob?ir les ph?nom?nes observ?s. Prenant le relais, les ?conomistes perfectionnent le langage math?matique utilis? et le condensent en formules harmonieuses3.

Ce type d'anatomie urbaine para?t admettre que la distribution spatiale de l'activit? humaine est un ph?nom?ne al?atoire qui ne peut donner prise ? autre chose qu'? un rep?rage des permanences statistiques observables.

L'urbanisation n'est pourtant pas un ph?nom?ne naturel mais un

ph?no m?ne social. La fa?on dont elle se d?veloppe, son rythme, le visage des

agglom?rations urbaines traduisent les exigences de la division sociale du travail. Si nous voulons comprendre les faits observ?s, il nous faut donc demander ? l'?conomie urbaine autre chose que des classements descriptifs.

Les sp?cialistes de l'?conomie urbaine en sont conscients. Nombreux

sont par exemple ceux

qui tentent de fonder l'?conomie urbaine sur une

analyse fonctionnaliste. Ainsi, pour P. Derycke, ce la ville appara?t aux yeux de l'?conomiste comme un lieu ?conomique privil?gi?, capable d'am?na

gement ? certains co?ts ?conomiques et sociaux, ?tant donn? les objectifs

multiples que s'efforcent d'y atteindre les agents ?conomiques qui y vivent et

s'y rencontrent ?4. L'?conomie urbaine est ainsi ramen?e ? une somme

de techniques de gestion des ensembles urbains dont les principales caract?

ristiques seront traduites en valeurs marchandes r?elles ou virtuelles. Dans

ce cadre, on va pouvoir poser et r?soudre des probl?mes de localisation de r?seaux commerciaux5 ou des zones r?sidentielles, des probl?mes de mise

1. F. Guyot, Essai d'?conomie urbaine, Paris, Librairie g?n?rale de Droit et de Jurisprudence, 1968, p. 46.

2. P. Pinchemel et M. Carri?re, Le fait urbain en France, Paris, A. Colin, 1963. 3. Ainsi, la loi rang-dimension qui exprime la relation entre la population d'une ville de rang n

et la population de la ville la plus peupl?e d'un pays ou ville primatiale est Pr =

Px X r11-* (n est le rang de la ville et q une constante). Cf. P. H. Derycke, L'?conomie urbaine, Paris, PUF, 1970,

p. 69 ; F. Guyot, op. cit., p. 106. 4. P. H. Derycke, op. cit., p. 41. 5. Cf. par exemple les travaux de Brian Berry, cit?s par P. H. Derycke, ibid., p. 98.

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?CONOMIE DE L'URBANISATION 35

en place des ?quipements collectifs1 et m?me des probl?mes de pr?visions de la croissance urbaine2

? et ce avec d'autant plus d'?l?gance que, l?

encore, le passage ? la symbolique math?matique est ais?.

Ce r?sultat n'a pas ?t? obtenu sans peine puisqu'il a fallu, chemin faisant,

supposer que la ville ?tait une entit? autonome, acteur ? part enti?re d'un

jeu ?conomique bien pr?cis : celui auquel excelle l'entrepreneur individuel

dont la rationalit? s'exprime tout enti?re dans la minimisation des co?ts

mon?taires et la maximisation des gains3. On a ainsi atteint ? l'universel et ? l'?ternel, mais on a dans le m?me temps abandonn? l'ambition de

comprendre ce

qui rend n?cessaire, dans un cadre social donn?, l'apparition

de cette unit? ?conomique complexe particuli?re qu'est telle ou telle ville.

De m?me, on s'est priv? des moyens qui permettraient d'expliquer les

diff?rences observables dans le d?veloppement et la structure des centres

urbains. Si l'on se limite aux r?sultats obtenus par l'emploi de ces techniques

d'optimisation sous contrainte, comment en effet produire

un raisonnement

qui rende compte de l'existence et du devenir de Tombouctou, comme

de Reno ou de Dortmund ?

Or si l'?conomie de la ville doit permettre de comprendre le ph?nom?ne d'urbanisation, c'est ? la validit? des raisonnements

qu'elle produit pour

rendre compte de ces r?alit?s diverses qu'il faut la juger. Il nous faut donc un

appareil th?orique qui consid?re la ville, non comme un acteur autonome

intervenant dans une s?rie d'?changes marchands ou pseudo-marchands

plus ou moins mal coordonn?s, mais comme une manifestation

sp?cifique de la mise en uvre de la force de travail social dans un syst?me social

historiquement d?fini.

Comme le rappelle excellemment F. Asher : ce La ville n'est pas une

somme de ph?nom?nes ; sa reconnaissance ne peut ?tre une

juxtaposition de

pseudo-analyses de localisations r?sidentielles, industrielles, d'?tablissements

publics, d'?quipements, de lignes d'autobus et de voies autorouti?res. ?4

Dans notre syst?me ?conomique aujourd'hui, il nous faut la consid?rer ce comme concr?tisation ? la fois de la socialisation des forces productives et de la nature priv?e des moyens de production ?5. Ou si l'on pr?f?re, la

ville dont nous parlons, la ville ee moderne ?, celle dont le

d?veloppement conduit ? ?voquer ce l'irr?sistible ? urbanisation de l'humanit? enti?re n'est

rien autre que le lieu o? l'on peut le plus clairement observer une r?alit?

sociale totalement d?termin?e par les lois du mode de production capita liste6. C'est le lieu o? la densit? de population, comme la vari?t? des activi

1. Cf. par exemple les mod?les de transports cit?s par P. H. Derycke, ibid., p. 196. 2. Cf. par exemple les applications de la th?orie de la base cit?es par P. H. Derycke, ibid.,

p. 162.

3. Cf. ibid., pp. 139-146. 4. F. Asher, ? Quelques critiques de l'?conomie urbaine ?, Espaces et Soci?t?s, 1971, 4, d?c,

p. 36. 5. Ibid., p. 39. 6. Suivant Ch. Bettelheim, nous entendons par mode de production une structure complexe

dans laquelle les rapports sociaux de production, les rapports id?ologiques et les rapports politiques ? sont r?ciproquement

' causes et effets '

les uns des autres ou plus rigoureusement ' se supportent

les uns les autres '

[si bien que] l'existence de certains de ces ?l?ments enracin?s dans des pratiques

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36 M. GERVAIS

t?s ?conomiques pratiqu?es, ?volue en fonction des besoins de la reproduc tion ?largie de ce syst?me social particulier. C'est en somme le lieu o? non

seulement les rapports sociaux de production capitaliste mais aussi les

rapports id?ologiques qui les rendent naturels aux yeux de chacun, comme

les rapports politiques qui les rendent obligatoires, marquent le plus

profond?ment les pratiques sociales individuelles et collectives.

Dans ce cas, l'?tude de l'urbanisation des campagnes serait l'?tude de la transformation des pratiques sociales ce rurales ?

par soumission toujours

plus compl?te des ee campagnards ? aux rapports id?ologiques, politiques et productifs qui d?finissent le mode de production capitaliste. Mais cela

suppose qu'il existe des rapports sociaux propres ? la campagne, diff?rents

des rapports sociaux capitalistes. Pour d?terminer dans quelle mesure il

convient d'accepter cette hypoth?se, il nous para?t utile de soumettre la

notion de campagne et les travaux ?conomiques qui la prennent pour

objet ? une analyse du m?me type que celle que nous venons de mener

sur les travaux d'?conomie urbaine.

La campagne et l'?conomie rurale

Le mot ee campagne ? ne renvoie ? aucun contenu ?conomique explicite et l'on ne peut gu?re le d?finir que par diff?rence. La campagne, c'est tout

ce qui n'est pas la ville. C'est donc une zone dans laquelle la densit? de

population est plus faible que celle des noyaux urbains qu'elle contient et

o? les activit?s productives sont moins vari?es que dans la ville. En fait, la campagne est le lieu sp?cifique de la production agricole, et c'est des

particularit?s ?conomiques et sociales de cette activit? eru'elle tire son origi nalit?. Une r?flexion sur le contenu

?conomique du terme ce campagne

?

d?bouche donc sur la d?finition du champ propre ? l'?conomie rurale.

Un courant de pens?e ancien et important n'h?site pas ? poser la

sp?cificit? de l'?conomie rurale en termes quasi mystiques. Ainsi d?s les

premi?res lignes de leur avant-propos, J. Milhau et R. Montagne d?clarent : ee Le fil conducteur de ce livre est la volont? syst?matique des auteurs

d'expliquer aux lecteurs, et en

premier lieu aux ?tudiants, crue l'activit?

agricole ne peut ?tre abord?e comme un simple chapitre de l'?conomie

g?n?rale. Les diff?rences entre le secteur agricole et le secteur industriel ne sont pas de pure forme, ni m?me des diff?rences d'?chelle : ce sont des

diff?rences essentielles. Il en sera ainsi tant crue les ph?nom?nes biologiques seront diff?rents des ph?nom?nes m?caniques : tant que la vie sera diff?rente

de la mort. ?* Dans cette optique, la campagne est d'abord le lieu o? se

d?ploient les myst?res de la nature. Les formes d'organisation ?conomique et sociale qu'elle rec?le tirent de l? leur originalit? et leur caract?re n?ces

saire et ?ternel. La ville peut se d?velopper, elle ne les fera pas dispara?tre.

et des rapports concrets [...] tend ? reproduire l'ensemble de la structure ? (Calcul ?conomique et

formes de la propri?t?, Paris, Maspero, 1970, p. 61). 1. J. Milhau et R. Montagne, ?conomie rurale, Paris, PUF, 1968, p. 1.

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?CONOMIE DE L'URBANISATION 37

ce Apr?s un si?cle de civilisation machiniste, l'homme des pays indus trialis?s recherche le contact de la nature pour y retrouver le sens de la

libert?, le sens de l'?quilibre et des activit?s ? l'?chelle humaine. Comme

dans le vieux mythe d'Ant?e, l'homme reprend des forces par le contact

avec la terre. Ce contact, loin d'appara?tre comme

r?trograde, correspond

? un retour ? des valeurs ?ternelles enrichissantes pour l'homme. Il ne s'agit ni de romantisme ni de mysticisme de la terre ; il s'agit de r?concilier la

civilisation urbaine et la civilisation rurale, w1 Recourant ? un vocabulaire

mal d?fini, m?langeant des aspirations philosophiques confuses ? l'obser

vation na?ve des faits sociaux, ce discours ce ruraliste ? suscite en nous les

m?mes r?serves que celles que nous formulions ? propos des th?ses d?crivant ce l'urbanisation des campagnes ?. Il ne nous para?t pas d?finir ce qui fonde

l'originalit? des campagnes aux yeux de l'?conomiste.

M?me si les conclusions en sont oppos?es, ces deux types de raisonnement nous entra?nent sans raison hors du champ de la r?flexion ?conomique. D'ailleurs, les tenants m?mes de ces th?ses vitalistes ne font qu'un usage fort limit? de leurs pr?suppos?s. Cherchant dans leurs deux premiers

chapitres ? ce marquer l'originalit? de la production agricole ?, J. Milhau et R. Montagne concluent que

ce l'?conomie agricole reste encore pour partie

une ?conomie naturelle o? domine l'exploitation individuelle de type familial, alors que l'?conomie industrielle, domin?e par la tr?s grande entre

prise ? forme soci?taire, travaille exclusivement pour le march? ?2.

Rien dans cette conclusion ne rappelle l'opposition vivant/inanim? qui ?tait ?voqu?e avec tant d'insistance au d?but de l'examen. Quand on

compare les activit?s agricoles et les activit?s non agricoles, les diff?rences

existant dans l'organisation sociale de la production sont

cependant suffi

samment importantes pour constituer l'?conomie rurale en champ d'?tude

particulier. Il est donc possible de faire de l'?tude ?conomique des cam

pagnes un th?me de r?flexion sp?cifique sans avoir ? s'embarrasser des

consid?rations extra-?conomiques. Reste ? pr?ciser par quels moyens th?o

riques nous entendons rendre compte de cette r?alit? sociale particuli?re.

Naturellement, les ?conomistes ruraux apportent ? cette

question des

r?ponses tr?s vari?es. Pour le plus grand nombre, l'?conomie rurale se

ram?ne ? la recherche du meilleur emploi possible des moyens limit?s

susceptibles d'usages alternatifs dans la production de produits agricoles. Les sp?cificit?s de l'organisation de la production (d?pendance ? l'?gard des facteurs naturels) que J. Milhau et R. Montagne rel?vent, vont poser des probl?mes particuliers (par exemple, la grande variabilit? des rende

ments) puisqu'elles se traduisent par une plus grande difficult? de saisir

les co?ts ou les avantages mon?taires impliqu?s par tel ou tel processus

productif. Mais au total, les difficult?s rencontr?es ne seront pas plus grandes que celles que r?solvent les ?conomistes urbains qui ne voient dans leur

discipline qu'un vaste ensemble de probl?mes d'optimisation plus ou moins

1. L. Leroy, Le ruralisme, Paris, Les ?ditions ouvri?res, 1960, p. 129. 2. J. Milhau et R. Montagne, op. cit., p. 45.

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38 M. GERVAIS

bien coordonn?s. Unis par une m?me d?finition du champ de l'?conomie1, ces ?conomistes ruraux et urbains le sont aussi ? nos yeux par une m?me

impuissance. Prisonniers de mod?les qui supposent la g?n?ralisation de

l'?change marchand et la recherche du profit maximum, ils sont incapables de saisir les variations possibles dans la fa?on d'organiser la d?pense sociale

de la force de travail ni de mettre en ?vidence les correspondances qui s'?tablissent dans une soci?t? donn?e (en ville comme ? la campagne) entre

les techniques disponibles, l'organisation sociale de la production, les id?olo

gies politiques et les syst?mes de valeurs.

Il nous para?t beaucoup plus op?ratoire de partir,

comme le propose

J. Tepicht, du fait que l'?conomie rurale traite d'un secteur d'activit? fort

particulier puisqu' ce il ne

s'agit pas d'un secteur purement '

technique '

au

m?me titre que les autres mais qu'il pr?sente une combinaison particuli?re des facteurs de production (forces productives) unis ? un type particulier de relations entre les hommes (rapports de production). Il poss?de donc

tous les traits de ce que Marx a appel? mode de production, sauf un : il n'est

jamais repr?sent?, dans aucune formation historique o? il appara?t, par une classe dirigeante ?2.

Quant ? nous, nous serions tent?s de pousser jusqu'? leurs derni?res

cons?quences, les observations de J. Tepicht. M?me si le mode de production

qui sert d'organisateur ? la production agricole et qui, comme tel, contribue

? modeler le visage de la r?alit? sociale ? la campagne n'est jamais apparu au cours de l'histoire que comme un mode subordonn?, cela ne nous

para?t

pas diminuer la validit? du recours ? ce concept pour produire la th?orie

de la partie agraire de la formation sociale. Il nous semble au contraire

qu'il est possible de rendre compte de la persistance de formes sociales

originales ? la campagne en y voyant la traduction concr?te du fait que dans la plupart des pays, m?me d?velopp?s, l'organisation de la production

agricole ne rel?ve pas directement de rapports de production capitaliste, mais se fait par l'articulation du mode de production capitaliste dominant

? des modes de production pr?capitaliste soumis dans leur reproduction ? un processus complexe de conservation-dissolution.

Ainsi, en Europe continentale, comme l'a parfaitement not? C. Servolin,

l'activit? agricole rel?ve largement d'un mode de production petit marchand

classiquement d?fini par ses deux pr?suppos?s principaux : ce Le travailleur

direct est propri?taire de tous les moyens de production. Le proc?s de pro duction est organis? par lui en fonction de lui-m?me et de son m?tier. ?

Le produit de son travail lui appartient en totalit?. Le but de la production n'est pas la mise en valeur d'un capital et l'obtention d'un profit, mais la

subsistance du travailleur et de sa famille, et la reproduction des moyens

1. Celle qui selon L. Robbins fait de l'?conomie ? la science qui ?tudie le comportement humain

comme une relation entre des fins et des moyens rares qui ont des usages alternatifs ?, in M. Gode

lier, Rationalit? et irrationalit? en ?conomie, Paris, Maspero, 1968, 293 p. 2. J. Tepicht, ? Les complexit?s de l'?conomie paysanne ?, Paris, INRA, 1971, p. 10, ron?o ;

on lira ?galement du m?me auteur, ? Probl?mes de la transformation socialiste de l'agriculture en Pologne ? et ? Agricultural Circles in the Light of General Problems of Agriculture ?, Eastern

European Economies, 1966, IV (4), pp. 29-49.

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?CONOMIE DE L'URBANISATION 39

de production n?cessaires pour l'assurer1, ce C'est l'exercice m?me de ses

propres pr?suppos?s au sein d'une formation sociale totalement organis?e

par le capitalisme industriel qui a contraint la petite production marchande

agricole ? une ?volution rapide et profonde. ?2

Cette ?volution n'affecte pas seulement les proc?s de travail dans la

production agricole ou les modalit?s et le contenu des ?changes de marchan dises entre la sph?re de la production agricole et le reste de la sph?re de la

production. Les pr?suppos?s de la petite production marchande impliquent non seulement des rapports sociaux de production, mais ?galement des

rapports id?ologiques et politiques particuliers. Ces rapports, dans leur

triple correspondance, organisaient les soci?t?s rurales et se traduisaient

concr?tement par ces visages vari?s des campagnes europ?ennes ch?res aux

sociologues, aux g?ographes et aux historiens. La domination toujours

plus compl?te du mode de production capitaliste entra?ne l'alt?ration et le remodelage continus de ces

rapports anciens. C'est en ce sens sans doute

qu'on peut parler d'urbanisation de la campagne, et c'est par l'analyse des

rapports de production et des modes de production qu'ils fondent que nous

pourrons fournir une explication des ?volutions qu'observe le g?ographe. Par r?f?rence ? ce cadre th?orique, il est maintenant possible de ramener

l'?tude de l'urbanisation des campagnes ? une s?rie de questions qui rel?vent, sans ambigu?t? possible, du domaine de l'?conomie politique.

Probl?mes ?conomiques de l'urbanisation des campagnes

Si nous proposons de substituer au terme vague de d?veloppement urbain, celui mieux d?fini de d?veloppement du mode de production capi taliste, et ? la notion d'urbanisation des campagnes europ?ennes, celle de

reproduction de l'articulation d'un mode de production petit marchand domin? au mode de production capitaliste dominant, ce n'est pas par sectarisme doctrinal ou pour le plaisir de remplacer un langage simple par

un jargon qui tirerait de son herm?tisme m?me l'essentiel de son apparence

scientifique. Cette substitution nous semble justifi?e par son efficacit? dans l'explication des ph?nom?nes observ?s.

En 1961, partant de la d?finition de l'urbanisation des campagnes, E. Juillard recensait un certain nombre de types de liaison entre la ville et la campagne. Il ?tait ainsi amen? ? distinguer la ville renti?re du sol

(comme B?ziers) qui vit dans une symbiose ce qui touche au parasitisme ?3 avec les campagnes avoisinantes, la ville ce insulaire ? dont ce l'?volution r?cente a accentu? le divorce ?4 avec son environnement rural, comme par

exemple en Lorraine du Nord ou sur la C?te-d'Azur, et la ville ce urbani

1. C. Servolin, ? L'absorption de l'agriculture dans le mode de production capitaliste ?, in Y. Tavernier, M. Gervais, C. Servolin, eds., L'univers politique des paysans, Paris, A. Colin, 1972, p. 51.

2. Ibid., p. 55. 3. E. Juillard, art. cit., p. 22. 4. Ibid.

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40 M. GERVAIS

sant? ? qui, telle Zurich, a psychologiquement, de fa?on fonctionnelle, ?troitement int?gr? ? la vie g?n?rale dont le centre d'impulsion est en ville, les villages

de la zone rurale proche1. Cherchant ? expliquer ces diff?rences, il semblait en localiser l'origine

principale dans la psychologie collective des populations concern?es et

indiquait que ce l'entrave la plus puissante ? l'urbanisation des campagnes, c'est leur immobilisme, leur force d'inertie ?2.

A supposer m?me qu'au milieu du XXe si?cle, les ruraux aient ?t? plus

dynamiques et les urbains moins pr?dateurs ou plus sages ? Zurich qu'? B?ziers ou ? Nice, il conviendrait de se demander quels rapports sociaux

leur ont permis d'atteindre ? des niveaux de conscience et de manifester

des pratiques sociales aussi diff?rentes. Et l'on serait ainsi ramen? ? la prise en compte de la logique d'ensemble du syst?me social, c'est-?-dire ? l'appa reil th?orique que nous proposons.

L'expansion de Zurich, de B?ziers ou de Nice n'est pas le fruit de trois cas isol?s d'urbanisation qui ?pousent les diff?rences psychologiques des

habitants des zones concern?es. Produits locaux d'une ?volution d'ensemble

de la zone europ?enne, chacun d?pend des autres autant qu'il est prisonnier des imp?ratifs sociaux issus de sa propre histoire.

Il nous para?t plus int?ressant de tenter de saisir ce qui se manifeste

des d?terminismes sociaux d'ensemble dans chacun de ces cas particuliers,

plut?t que d'attendre l'explication d'une analyse de psychologie collective.

C'est d'ailleurs bien ? ce besoin que doit, tous comptes faits, r?pondre E. Juillard lorsqu'il aboutit ? cette conclusion : ee Avoir ? franchir le cap de la conversion agricole, passer du paysan au farmer, voil? l'imp?ratif fondamental. ?3 Cette transformation implique peut-?tre le d?passement d'habitudes de vie et de travail si anciennes qu'on peut les qualifier de

routine, mais elle indique surtout que le trait dominant de l'urbanisation

des campagnes, c'est la transformation du paysan travaillant pour assurer

sa subsistance en farmer travaillant pour assurer la rentabilit? du capital

qui est entre ses mains. C'est ? ce niveau, au moment o? l'on d?bouche sur

l'analyse de la transformation des rapports de production ? la campagne

que la notion d'urbanisation devient intelligible pour l'?conomiste.

C'est ainsi ? partir de cette constatation que nous pouvons ?voquer les

travaux qu'il conviendrait d'entreprendre pour contribuer ? l'?tude

?conomique de l'urbanisation des campagnes. Une premi?re s?rie d'?tudes pourrait viser ? mieux d?finir les cons?

quences du d?veloppement du capitalisme sur l'organisation sociale de la

production agricole. Ces ?tudes pourraient prendre pour champ d'observa tion soit l'?poque actuelle4 soit des ?poques ant?rieures5.

Un autre type d'?tude pourrait chercher ? am?liorer la connaissance

1. Ibid., p. 29.

2. Ibid., p. 32.

3. Ibid., p. 33.

4. On pourra consulter ? ce propos C. Servolin, op. cit. 5. Cf. par exemple l'article de C. Larr?re, infra, pp. 42-68.

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?CONOMIE DE L'URBANISATION 41

de la place des ruraux et des citadins par rapport ? leurs moyens de produc tion. Dans ce cadre, le plus pressant est sans doute am?liorer les connais

sances empiriques

et th?oriques relatives ? la place des producteurs par

rapport ? la terre1. On devrait ?galement ?tudier l'?volution des proc?s de

travail et de la division technique et sociale du travail dans l'agriculture pour ?valuer dans quelle mesure cette ?volution a rapproch? le travail

agricole du travail non agricole.

Comme les ruraux ont constamment accru la part de leurs moyens de

subsistance qu'ils ach?tent au village ou ? la ville, des ?tudes montrant

comment ?voluent les niveaux de consommation, comment ils se rap

prochent des niveaux de consommation des habitants des villes, et qui tenteraient de les relier au statut ?conomique des paysans, seraient ?ga lement du plus grand int?r?t.

Il serait non moins indispensable de mieux conna?tre les changements de la structure sociale des villages, induits par l'?volution des rapports de production dans l'agriculture et hors de l'agriculture.

Cette liste n'est ?videmment pas limitative, elle ne pr?tend pas ?tre une

s?lection des probl?mes les plus br?lants. Il nous semble cependant que c'est en ce qui concerne le probl?me foncier que nous avons le besoin le

plus urgent d'?tudes renouvel?es.

1. Cf. par exemple l'article de P. Coulomb, ? Propri?t? fonci?re et mode de production capi taliste ? (? para?tre dans ?tudes rurales, 1973, 51).

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