Macron, Macky et la mission civilisatriceKris Russo

Février 2017

Vendredi après-midi, je suis arrivé à Toubab Dialaw avec beaucoup d'allégresse en sachant que j'allais assister à un workshop de yoga au bon moment-- pendant la visite de Macron au Sénégal. Cette nuit-là, après une soirée fraternelle, je me suis réveillé dans une situation très différente. J'ai vomi encore et encore et je me suis essoufflé. Hier, après avoir eu des frissons et des douleurs musculaires, j'ai décidé de raccourcir le workshop en faveur du retour à Dakar pour voir un médecin et rétablir ma santé. Et c'est ainsi que la nuit dernière, après 10 $ de frais hospitaliers et 3 injections dont une dans mon cul, je suis rentré chez moi, j'ai ouvert mon navigateur et commencé à lire les nouvelles. À la lumière de ma maladie physique, je suis maintenant submergé par une maladie mentale intense et également nauséabonde alors que je suis témoigne du spectacle de cirque qui est la visite d'Emmanuel Macron au Sénégal. Je t'écris maintenant de mon lit de malade chez ma famille sénégalaise, assez bien pour écrire ce monologue.

"L'homme noir asservi par son infériorité, l'homme blanc asservi par sa supériorité se comporte selon une orientation névrotique." Citation de Black Skin, White Masks de Frantz Fanon

 

L'Inde est à l'Empire britannique comme le Sénégal est à l'Empire français. Ce n'était pas seulement la colonie la plus importante de France en Afrique de l'Ouest, c'était aussi son incubateur pour la mise en œuvre de leur vision tordue de la colonisation. Une vision qui disait, non, simplement déclarer qu'ils étaient venus pour des raisons économiques et des ressources ne suffiraient pas. Au contraire, leur présence était plus significative parce qu'en fait c'était leur devoir en tant que porteurs de la civilisation, d'éduquer les masses arriérées, pauvres, illettrées qui, en raison de leur ignorance pathétique, ne savent pas comment vivre. Qu'on sache que la mission civilisatrice que la France a mise en place il y a plus d'un siècle, est bien vivante et que tout ce dont vous avez besoin se trouve sur le fil Twitter du fils d’or de Macky Sall, Macron. Macron a, dans environ 14 messages, chacun 140 mots ou moins, montré que la France a et continuera à perpétuer le récit de la mission civilisatrice.

Des dirigeants comme Macron cherchent à sécuriser les relations avec les pays africains face aux influences croissantes des sociétés chinoises, des mouvements islamistes et / ou djihadistes. Ces influences sont ce que la presse aime appeller «l'instabilité dans la région», l'instabilité traduite signifie une menace pour l'intérêt (national ou transnational), la menace d'intérêt signifie que les entreprises étrangères de la région ne gagnent pas, en théorie, l’argent qu’ils devraient gagner.

Il semble donc que, selon la rhétorique de Macron, il n'est pas là pour faire avancer la France et les intérêts des alliés, ils sont là pour éduquer les masses ignorantes et mettre en œuvre de nouvelles stratégies pour combattre les effets du changement climatique. Après tout, ils doivent adhérer au mythe fondateur de la colonisation qui dit que la présence de la France est bienveillante. Mettez en attente le spectacle du cirque, un tour de trois jours au Sénégal, où Macky et son gang escortent personnellement Macron et sa cohorte lors d'une excursion somptueuse dans le pays pour affronter les problèmes les plus pressants du Sénégal. Le coup d'envoi avec un bang, une conférence d'éducation, avec sa redevance Rhianna en présence^, où l'Occident bienveillant promet 2 milliards de dollars à l'éducation pour lutter contre la radicalisation. Le message de Macron est clair:

Tweet vidéo de Macron. Écoliers sénégalais portant des chemises avec Macky et Macron. Mes amis, tu ne peux meme pas inventer cette merde.

Le «devoir» que nous avons dans la «bataille» pour l'éducation. Les mots de Macron font écho à ses ancêtres coloniaux, si effroyablement!

Peut-être mon point de vue marxiste est-il insuffisant, peut-être que le gouvernement français croit sincèrement qu'il fait ce qu'il faut pour ses anciennes colonies, qu'il est impératif d'investir dans l'éducation. En tant qu'éducateur et une personne qui parle constamment du changement climatique, de notre responsabilité de protéger la planète, mon problème n'est pas l'idée que l'éducation soit une force libératrice ni le désir de lutter contre le changement climatique. Le problème est, à mon avis, le mythe de la mission civilisatrice qui se perpétue non seulement par la France, mais par mon propre pays, les États-Unis. C'est le mythe que la main qui étouffe est bienveillante parce que c'est la même main qui vous amènera en l'air. Après avoir systématiquement libéré des souffrances insondables sur le monde, les puissances occidentales ont encore l'audace de croire qu'elles tiennent la haute morale et ceci est un déni total d'empathie pour l'autre, c'est une psychopathie volontaire.

«Assurer que les enfants puissent aller à l'école, disait Macron, combattrait les mouvements fondamentalistes, y compris ceux qui cherchent à réprimer les femmes et les filles et à les retirer de la vie publique.» Ce récit de la mission civilisatrice adaptée à l'époque n’inclue pas la longue et riche histoire de cette région parce que cela irait à l'encontre de la base même de la présence continue du pouvoir occidental, celle qui dit que, par-dessus tout, ils sont là pour civiliser. L'histoire de cette région est remplie de chefs religieux, qui étaient aussi lettrés, comme Ahamadou Bamba qui, bien avant Ghandi, a pacifiquement résisté aux autorités coloniales. Ce récit ne peut pas inclure Aline Sitoé Diatta, une jeune femme qui a dirigé un mouvement de résistance en Casamance qui dénonçait le pillage des fermes et du bétail locaux par les autorités coloniales françaises. Ses efforts pour dénoncer les autorités coloniales et inspirer son peuple à cesser de payer les impôts et à ne pas rejoindre l'armée française qui envoyait des soldats sénégalais mourir dans les batailles de la Seconde Guerre mondiale ont ébranlé la base du contrôle coloniale française dans la région. Elle est morte, exilée loin de son peuple, après avoir été torturée et emprisonnée à Tombouctou au Mali à l'âge de 24 ans. Quand nous continuons ce récit des masses incultes, nous risquons de négliger les nombreuses formes d'éducation qui existaient avant la colonisation française. Grand-mères qui enseignaient aux enfants les morales et les valeurs sous forme de conte, les écoles coraniques, les écoles des griots qui enseignaient l'histoire de leur peuple en chantant et racontent les arbres généalogiques en rythmes de tambour, les écoles de métallurgistes. Nous oublions le fait que l'éducation pour tous les sexes était une pratique islamique bien avant qu'elle soit occidentale. Nous négligeons aussi les nouvelles formes d'éducation qui se créent, créées pour et par le peuple sénégalais, comme les écoles islamiques bilingues pour lesquelles j'ai eu le privilège de travailler, où les enfants apprennent l'arabe, le coran, le dua et les hadiths à coté de leurs curriculum vitae français et anglais.

Au-delà des écoles qui s'apparentent aux écoles occidentales, il existe une école encore plus grande, celle qui enseigne à tous, l'école de la culture. Bamba et Diatta ont mené une résistance pacifique parce que c'est ce qu'ils savaient, c'était la culture dans laquelle ils étaient éduqués. Aujourd'hui, je peux appeller le Sénégal «chez moi» non pas à cause d'une colonisation réussie mais à cause d'une culture qui a été créée, génération après génération, qui enseigne que le respect est et doit être la base de l'interaction humaine. Comme chante Youssou Ndour«Si un

arbre pousse ici aujourd’hui, on doit remercier nos ancêtres». Ces histoires sont souvent négligées parce qu'elles ne servent pas les intérêts des puissances occidentales. Et quand nous faisons cela, quand nous oublions la réalité qui est pour la réalité qui ne l'est pas, nous perpétuons la souffrance.

�"Si nous n'agissons pas, Saint-Louis va disparaître." Tweet de Macron avec Macky, Macron et M. Kim,

directeur de la banque mondiale.

Ahmadou Bamba a été emprisonné non loin de l'endroit où Macky et Emmanuel se tenaient au-dessus de l'océan Atlantique, la plage fraîchement peignée de toutes les ordures qui la bordent habituellement. Au début du XXe siècle, les colons français à la recherche d' une occupation effective ont appelé les nombreux chefs religieux musulmans de la région sénégambienne à expliquer que, conformément aux nouveaux chefs de la ville, ils devraient renoncer à l'islam. Bamba a refusé et au lieu de mettre sa signature sur le traité il a écrit la phrase la plus puissante dans l'Islam «La Ilaha Il'Allah- il n'y a aucun Dieu que Dieu». À ce jour, cette histoire propulse non seulement les disciples de Bamba, mais tout le Sénégal, non parce qu'elle représente le début de quelque chose de nouveau, mais parce qu'elle montre la culture durable d'un peuple et le pouvoir de l'amour face à l'adversité. Bamba nous a appris par-dessus tout à être fidèle et à aimer l’autre.

Alors que je suis assis sur mon lit, toujours à l’horizontal, pianotant sur mon clavier, je réfléchis à ma situation et pourquoi, même si j'essaie de ne pas me laisser entraîner par la politique, je suis tellement offensé par ce cirque politique. Moi, comme tant d'étrangers, j'ai choisi de vivre au Sénégal, pas pour d'autres raisons que de vivre ici nous enseigne quelque chose de précieux: le

pouvoir de l'amour. L'idée que le «devoir» de la France de participer à la «bataille pour l'éducation» n'est pas seulement directionnelle, venant de l'Europe vers l'Afrique, c'est aussi absurde.

Dans mes rêves lointains, nous vivrions dans une réalité où les gens ne sont pas systématiquement opprimés, où nous pouvons parler des manières dont nous avons été éduqués et des manières dont cette éducation et cette socialisation peuvent nous aider ou nous empêcher de vivre l'amour sous toutes ses formes, les âmes sont capables de se reconnaître et de se respecter mutuellement et de respecter l'environnement sur la base de l'amour et du respect mutuels, où les rois et les reines philosophes règnent en maîtres, où l'égalité des chances est accordée à tous. Mais hélas, c'est la réalité que nous avons et je continue de prier, comme Frantz Fanon; «Ô mon corps, fait toujours de moi un homme qui s'interroge!» Parce qu'après tout il est dit et fait: «Aujourd'hui je crois à la possibilité de l'amour; c'est pourquoi je m'efforce de retracer ses imperfections, ses perversions.»

 

* Il y a deux côtés à cette histoire, celle du colonisateur et celle du colonisé. Et alors que j'ai été éduqué dans les modes de pensée occidentales et donc que ma critique des opinions occidentales est plus précieuse pour mon public, le rôle que Macky Sall, le président du Sénégal, et son gouvernement délaissé joue dans tout cela est tout aussi pathétique. Sans doute les dépenses qui ont été consacrées au nettoyage de Dakar et de Saint-Louis, les cortèges, les hôtels et les soirées extravagantes auraient pu payer les salaires de plus d'un million de travailleurs pendant une décennie. En effet, tous les lieux prévus pour les visiteurs sont si impeccablement propres que même les Sénégalais ne peuvent s'empêcher de rire de l'impudicité de Macky et de son gang. Ils sont en effet, comme l'a dit Frantz Fanon, des gens à la peau noire et aux masques blancs. Ils choisissent de grossir l'argent du colonisateur alors que leur peuple meurt de faim. Néanmoins, dans ce cas, je crois que ma capacité à appeler le colonisateur et sa réalité déformée est plus appropriée pour mon public.

^ Au risque d'offenser ses fidèles fans, je tiens simplement à souligner le fait que sa présence, bien que justifiée par ses efforts pour l'éducation universelle, doit être considérée à la lumière de la symbolique tokenisme, ça veut dire poudre aux yeux. Et bien sûr, c'est ironique - elle-même n'a pas de diplôme d'études secondaires, ce qui n'est pas négatif, juste ironique si la «bataille» est pour l'éducation, et pour l'éducation des filles en particulier.