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Le fait du jour L es quatre tueurs de la N’Dran- gheta ont quitté la province de Reggio di Calabria, le bout du bout de la botte italienne, au premier jour de décembre 2010. Leur cible, Donatella Albano, l’a échappé belle. Conseillère munici- pale de Bordighera, ses révéla- tions quelques semaines plus tôt ont conduit à la mise sous tutelle de la ville pour cause « d’infiltration mafieuse ». Un séisme judiciaire dont l’onde de choc pourrait bien secouer la Riviera française. Le procureur de San Remo, Ro- berto Cavallone, parle d’un vérita- ble « cancer mafieux » dont les métastases s’étendraient de Gênes jusque sur la Côte d’Azur. Le ma- gistrat en veut pour preuve les aveux de cet entrepreneur de BTP italien ayant pignon sur rue à Men- ton, qui reconnaît avoir versé un conséquent pot-de-vin pour « vé- roler » un marché… de ce côté-ci de la frontière! Une confession couchée sur procès-verbal dans le cadre de l’enquête sur le pacte de corruption qui unissait la mu- nicipalité de Bordighera et la N’Drangheta. Après Bordighera, Vintimille et San Remo ? En décembre, cette branche cala- braise de la mafia n’aurait donc pas hésité à envoyer quatre de ses tueurs sur la Riviera dei Fiori pour supprimer Donatella Albano. Ils ont été interceptés dans une gare de la banlieue florentine. Avec pour seuls bagages, un pistolet au numéro de série limé… et la photo de Donatella ! L’exécution de cette mère de deux enfants, devait servir d’exemple : ici on ne brise pas la loi du si- lence. Ici, ce n’est pas l’Italie du Sud… Et pourtant, le 10 mars, à Bordighera, l’ensemble du conseil municipal de cette station balnéaire d’à peine 11 000 âmes a été « limogé » par l’État italien. Une reprise en main, décidée en conseil des mi- nistres, « pour cause d’infiltration du crime organisé ». La procédure de destitution frap- pant Bordighera menacerait au- jourd’hui d’autres communes fron- talières. Vintimille, mais aussi San Remo, sont dans le collimateur de la juge antimafia Anna Canepa tout spécialement nommée pour en- quêter sur les pratiques criminel- les en Ligurie. À l’image de ce qui se passait à Bordighera où la « cosca » Pelle- grino tirait manifestement toutes les ficelles. Pour ouvrir un cercle de jeu, installer une terrasse ou construire un immeuble, il fallait passer par eux. La « famille », dont trois des quatre frères sont pour- suivis, se chargeait ensuite de « convaincre » la municipalité. En logeant gratuitement les élus les plus dociles. En terrorisant les au- tres. Depuis que la conseillère munici- pale d’opposition, Donatella Al- bano, a osé révéler au péril de sa vie ces pratiques occultes, d’au- tres voix se sont élevées. Marco Sferrazza, l’adjoint au tou- risme, a ainsi confié aux enquê- teurs qu’il « ne dormait plus sans un pistolet sous l’oreiller », dès lors qu’il a osé refuser une licence de jeux à la « cosca ». Les Pellegrino lui avaient rendu une visite qui n’aurait rien d’ai- mable. Pourtant à Menton, les « frères » étaient jusque-là considé- rés comme de simples entrepre- neurs du BTP (lire par ailleurs). Ma petite entreprise de blanchi- ment ne connaîtrait pas de fron- tière ? Une commission occulte de e Le procureur en chef du tribunal de San Remo n’est pas loin de le croire : « J’ai transmis aux autorités françaises un certain nombre de documents qui le laissent suppo- ser », confie Roberto Cavallone. « Notamment les aveux d’un des frères Pellegrino qui reconnaît avoir versé 700 000 euros à un intermé- diaire pour s’assurer l’obtention d’un marché sur la Côte d’Azur ». Selon ce magistrat italien, « le pot- de-vin a été remis à un certain Gianni Tagliamento ». C’est déjà en s’intéressant à ce Napolitain installé à Menton (voir par ailleurs), surnommé « la petite araignée », que la PJ de Nice avait mis au jour l’an passé un vaste système présumé de corruption et de blanchiment à l’Est des Alpes- Maritimes. La mise sous tutelle de la ville de Bordighera par l’État italien a révélé les dessous d’un système contrôlé par la N’Drangheta calabraise. L’onde de choc judiciaire pourrait se propager sur la Côte d’Azur Enquête réalisée par Éric GALLIANO [email protected] et Guillaume Bertolino [email protected] Mafia : main basse L’adjoint au tourisme de Bordighera (mairie ci-dessus), Marco Sferrazza, a confié qu’il « ne dormait plus sans un pistolet sous l’oreiller », depuis qu’il a osé refuser une licence de jeux à la « cosca ». (Photo F. Chavaroche) Le procureur de San Remo, Roberto Cavallone, parle d’un véritable « cancer mafieux » dont les métastases s’étendraient de Gênes jusque sur la Côte d’Azur. (Photo Franz Chavaroche) Les quatre hommes envoyés sur la Riviera dei Fiori par la N’Dran- gheta calabraise pour tuer Dona- tella Albano. Ils ont été intercep- tés avant de commettre leur forfait. (Photo DR) Ce sont les révélations de Donatella Albano, conseillère municipale de Bordighera, qui ont conduit à la mise sous tutelle de la ville pour cause « d’infiltration mafieuse ». Sa vie est aujourd’hui menacée. (Photo DR)

Mafia en France

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Page 1: Mafia en France

Le fait du jour

Les quatre tueurs de la N’Dran-gheta ont quitté la province de

Reggio di Calabria, le bout du boutde la botte italienne, au premierjour de décembre 2010.

Leur cible, Donatella Albano, l’aéchappé belle. Conseillère munici-pale de Bordighera, ses révéla-tions quelques semaines plus tôtont conduit à la mise sous tutellede la ville pour cause « d’infiltrationmafieuse ». Un séisme judiciairedont l’onde de choc pourrait biensecouer la Riviera française.Le procureur de San Remo, Ro-berto Cavallone, parle d’un vérita-ble « cancer mafieux » dont lesmétastases s’étendraient de Gênes

jusque sur la Côte d’Azur. Le ma-gistrat en veut pour preuve lesaveux de cet entrepreneur de BTPitalien ayant pignon sur rue à Men-ton, qui reconnaît avoir versé unconséquent pot-de-vin pour « vé-roler » un marché… de ce côté-cide la frontière ! Une confessioncouchée sur procès-verbal dansle cadre de l’enquête sur le pactede corruption qui unissait la mu-nicipalité de Bordighera et laN’Drangheta.

Après Bordighera,Vintimille et San Remo?

En décembre, cette branche cala-braise de la mafia n’aurait doncpas hésité à envoyer quatre deses tueurs sur la Riviera dei Fioripour supprimer Donatella Albano.Ils ont été interceptés dans unegare de la banlieue florentine. Avecpour seuls bagages, un pistoletau numéro de série limé… et laphoto de Donatella !L’exécution de cette mère de deuxenfants, devait servir d’exemple :ici on ne brise pas la loi du si-lence.Ici, ce n’est pas l’Italie du Sud… Etpourtant, le 10 mars, à Bordighera,l’ensemble du conseil municipalde cette station balnéaire d’àpeine 11000 âmes a été « limogé »par l’État italien. Une reprise en

main, décidée en conseil des mi-nistres, « pour cause d’infiltrationdu crime organisé ».La procédure de destitution frap-pant Bordighera menacerait au-jourd’hui d’autres communes fron-talières. Vintimille, mais aussi SanRemo, sont dans le collimateur dela juge antimafia Anna Canepa toutspécialement nommée pour en-quêter sur les pratiques criminel-les en Ligurie.À l’image de ce qui se passait àBordighera où la « cosca » Pelle-grino tirait manifestement toutesles ficelles. Pour ouvrir un cerclede jeu, installer une terrasse ouconstruire un immeuble, il fallaitpasser par eux. La « famille », donttrois des quatre frères sont pour-

suivis, se chargeait ensuite de« convaincre » la municipalité. Enlogeant gratuitement les élus lesplus dociles. En terrorisant les au-tres.Depuis que la conseillère munici-pale d’opposition, Donatella Al-bano, a osé révéler au péril de savie ces pratiques occultes, d’au-tres voix se sont élevées.Marco Sferrazza, l’adjoint au tou-risme, a ainsi confié aux enquê-teurs qu’il « ne dormait plus sansun pistolet sous l’oreiller », dès lorsqu’il a osé refuser une licence dejeux à la « cosca ».Les Pellegrino lui avaient renduune visite qui n’aurait rien d’ai-mable. Pourtant à Menton, les« frères » étaient jusque-là considé-

rés comme de simples entrepre-neurs du BTP (lire par ailleurs).Ma petite entreprise de blanchi-ment ne connaîtrait pas de fron-tière?

Une commissionocculte de

Le procureur en chef du tribunalde San Remo n’est pas loin de lecroire : « J’ai transmis aux autoritésfrançaises un certain nombre dedocuments qui le laissent suppo-ser », confie Roberto Cavallone.« Notamment les aveux d’un desfrères Pellegrino qui reconnaît avoirversé 700000 euros à un intermé-diaire pour s’assurer l’obtentiond’un marché sur la Côte d’Azur ».Selon ce magistrat italien, « le pot-de-vin a été remis à un certainGianni Tagliamento ».C’est déjà en s’intéressant à ceNapolitain installé à Menton (voirpar ailleurs), surnommé « la petitearaignée », que la PJ de Nice avaitmis au jour l’an passé un vastesystème présumé de corruption etde blanchiment à l’Est des Alpes-Maritimes.

La mise sous tutelle de la ville de Bordighera par l’État italien a révélé les dessous d’un systèmecontrôlé par la N’Drangheta calabraise. L’onde de choc judiciaire pourrait se propager sur la Côte d’Azur

Enquête réaliséepar Éric [email protected]

et Guillaume [email protected]

Mafia : main basse

L’adjoint au tourisme de Bordighera (mairie ci-dessus), Marco Sferrazza, a confié qu’il « ne dormait plus sansun pistolet sous l’oreiller », depuis qu’il a osé refuser une licence de jeux à la « cosca ». (Photo F. Chavaroche)

Le procureur de San Remo, Roberto Cavallone, parle d’un véritable« cancer mafieux » dont les métastases s’étendraient de Gênes jusquesur la Côte d’Azur. (Photo Franz Chavaroche)

Les quatre hommes envoyés surla Riviera dei Fiori par la N’Dran-gheta calabraise pour tuer Dona-tella Albano. Ils ont été intercep-tés avant de commettre leurforfait. (Photo DR)

Ce sont les révélationsde Donatella Albano,conseillère municipalede Bordighera,qui ont conduità la mise sous tutellede la ville pour cause« d’infiltration mafieuse ».Sa vie est aujourd’huimenacée.

(Photo DR)