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Centre d'action laïque laïcité magie, sorcellerie, parapsychologie Direction scientifique Herv é HASQUIN oii é de Brux

magie, sorcellerie, parapsychologie

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Page 1: magie, sorcellerie, parapsychologie

Centre d'action laïque

laïcité

magie, sorcellerie, parapsychologie

Direction scientifique

Hervé HASQUIN

o i i é de Brux

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Typologie des scènes de sorcellerie au Moyen Age et à la Renaissance. Esquisse d'une

évolution par Jacqueline K A D A N E R - L E C L E R C Q

Dans son intéressant ouvrage, La sorcière et son monde, J .C. Baroja déplorait l'inexistence d'une é tude de la sorcellerie envisagée sous l'angle de l'histoire de l 'art. Ce type d'investigation pourrait cependant éclairer, pen­sait-il, «certains aspects de l 'anthropologie et de l'histoire des religions qu 'on a préféré considérer jusqu'ici du seul point de vue de la morale et des sciences humaines » ' .

Stimulants et neufs, ces propos étaient encourageants notamment parce qu'ils donnaient à l'histoire de l'art une fin qui lui est habituellement contestée: celle d'éclairer scientifiquement certains phénomènes histori­ques. En outre, ils posaient en termes concrets la subtile problématique des rapports entre l'artiste et la société dans laquelle il vit. Une telle approche était toutefois compromise par la notion ambiguë de thème en art. En espérant que l'histoire de l'art serve l'histoire de la sorcellerie, notre ethno­logue se berçait en effet d'illusions: l 'œuvre sollicitée ne peut que révéler l 'imaginaire de son auteur et , le cas échéant, la sensibilité ou le goût du public auquel elle est destinée. Jamais elle ne peut être considérée comme un «document» objectif. Et pour tant quelques affirmations de J .C. Baroja , comme de Grillot de Givry par ailleurs, le laissaient entendre de manière non équivoque : l 'un et l 'autre avaient parlé ici et là de représentations «object ives» ou «( in)authent iques» du sabbat^.

1. J .C . B A R O J A . Les sorcières et leur monde, ( t rad. M . A . S E R R A I L H ) , Paris, Ga l l imard , 1972 (Bib l io thèque des histoires) , p. 241 (orig. e sp . 1961).

2. ibid., p. 109 et G R I L L O T de G I V R Y , Le Musée des sorciers, mages et alchimistes, Paris, Librair ie de F rance , 1929. p. 79. C 'es t aussi avec q u e l q u e é t o n n e m e n t q u e l 'on lit. dans l 'excellent cata logue de l 'exposi t ion Les sorcières (notices M. P R E A U D et E. D E N N E R ) . Paris, Bibliothèque Nat iona le , 1973, p. 49, n° 70 (cité Les Sorcières), que telle g ravure (id est Lo Stregozzo dont il sera question plus loin) est « t r è s in téressante p o u r l ' iconographie et l'histoire de la sorcel ler ie».

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Basée sur de tels principes, l 'enquête suggérée devenait hasardeuse. Elle cessait heureusement de l 'être à partir du moment où l 'étude compara­tive des scènes de sorcellerie s'insérait dans le cadre plus souple d 'une histoire des mentalités. Rapprochés les uns des autres, tableaux, dessins, gravures d 'une même époque permettraient peut-être d 'approcher une réa­lité, un vécu de la sorcellerie différent de celui qu'exprimaient les traités d'Inquisition ou les relations de procès. On pouvait espérer en effet que l 'Image — moyen privilégié d'expression — livrerait des fantasmes dépouil­lés de l 'enveloppe pesante des mots. Le matériel était abondant^. Restait à fixer des limites chronologiques précises. Le Moyen Age finissant, témoin des premières miniatures «à sorciers» s'imposait à nous pour cette raison même. La Renaissance qui le prolonge tout en différant si profondément de lui, permettait en outre de suivre le thème à travers l 'une des époques les plus fascinées par la magie, la sorcellerie et l 'alchimie". Les traités de sorcellerie illustrés, largement diffusés dès 1490 apparaissaient par ailleurs comme une source peu exploitée d 'enseignements à ne pas négliger. Autant d 'é léments qui, par leur intérêt, nous ont incité à tenter une première approche de la sorcellerie dans l'art des XVème et XVIème siècles, avec l'espoir d ' en donner , un jour, une vision plus complète.

De même que l 'Antiquité, le Haut Moyen Age ne se préoccupa guère de représenter ses sorciers^. Non que l 'époque n'en ait pas connu: elle était plus superstitieuse que jamais et maints textes y font allusion^. Toutefois nul

3. Plus ieurs catalogues d 'exposi t ions impor t an te s fournissent une bonne documenta t ion de base, sur tout Les sorcières, cité plus haut et éga lement : Diables el diableries. La représentation du diable dans la gravure des XVème et XVIème siècles ( intr . et notices, J . W I R T H et col lab.) , G e n è v e , Cabinet des Es tampes , D é c e m b r e 1976-Février 1977 (cité Diables et diableries) ; Mostra del demoniaco nell'arte, R o m e . Palazzo Barber in i . 1952 ; Le Fantastique dans l'art flamand du XVIème siècle, Anvers . Académie des Beaux-Ar ts , 1962. Q u e l q u e s ouvrages généraux sur la sorcellerie aussi , su r tou t ; G R I L L O T de G I V R Y , op. cit. ; A . S O L D A N , H . H E P P E et M. B A U E R , Geschichte der Hexenprozesse. Munich , Georg Mul ler , 1911. 2 vo l . ; R . H . R O B B I N S , The Encyclopedia of Witchcrafl and Demonology. New York , Crown , 1959. Parmi les articles, voir aussi M. P R E A U D , «Noi r et Blanc. Notes sur les images de d é m o n o l â t r i e » . Nouvelles de l'Estampe. 8 , 1973, pp . 6-8 et éven tue l l ement J. P A L O U , « L ' a n a t o m i e de la sorcière dans la pe in ture occ iden ta l e» , Aîsculape, 36 , , , 1954, pp. 206-215.

4. Nous avons dû écar ter ici, faute de t e m p s et de place, l ' é tude des œuvres dont le su je t relève de l 'alchimie. Su r cette ques t ion , voir J . V A N L E N N E P , Art et Alchimie. Etude de l'iconographie hermétique et de ses influences. Bruxel les , M e d d e n s , 1966 ( A r t et Savoir) et G . F . H A R T L A U B , « A r c a n a Art is . Spuren a lchemis t ischer Symbolik in der Kunst des 16. J a h r h u n d c r t s » , Zeilschrif fûr Kunstgeschichte. 1, 1937, pp . 289-324.

5. Les seu les sorcières qui aient é té représen tées avec que lque f r équence dans l 'Ant iqui té sont M é d é e et Circé. E t e n c o r e le furent-e l les t o u j o u r s en relat ion é t ro i te avec leur contexte littéraire d 'or igine . A noter q u ' u n e va leur eschatologiquc fut a t t r ibuée à cer ta ines représen ta t ions de Circé dans l 'art é t rusque et romain . Pour une é t u d e d ' ensemble sur la sorcellerie dans l 'An t iqu i t é et ses représenta t ions , voir C H . D A R E M -B E R G , E D . S A G L I O et E D . P O T T I E R . Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines. Paris. Hache t t e . 1904. 9 vol . , t . III — 2èmc par t ie , pp. 1494-1521. Sur l ' iconographie de Circé, voir G . T O U C H E F E U -M E Y N I E R , Thèmes odysséens dans l'art antique. Paris , Boccard , 1968, §2 (pp. 81-131) et W . H . R O S -C H E R , Lexicon der Griechischen und Rômischen Mythologie. Leipzig, T e u b n e r , 1890-1897, 9 vol . , t. I I . 1, col. 1193-1204; sur l ' iconographie de Médée , ibid.. t. II , 2, col. 2500-2515.

6. Pour les sources, voir sur tout J. H A N S E N , Quellen und Untersuchungen zur Geschichte der Hexen-wahns und der Hexenverfolgung im Mitlelalter, B o n n . Car i G e o r g , 1901 et D . H A R M E N I N G , Superstitio.

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ne songea à en fixer les traits ou la silhouette, à de rares exceptions près. Parmi celles-ci, un chapiteau roman de l'église Saint-Pierre de Montmartre figurant un homme à tête de pourceau, assis à l 'envers sur un bouc, suggére­rait éventuellement un participant au sabbat^. Dans l'art gothique, quelques «Luxures» nues, chevauchant un bouc pourraient aussi évoquer des sor­cières^. Mais le caractère symbolique des figures s 'oppose à ce rapproche­ment . Tout au plus peut-on voir dans le type iconographique de la Luxure, une des origines possibles de celui de la sorcière. Une sculpture du début du X lVème siècle, au portail Ouest de la cathédrale de Lyon, tendrait à confirmer cette hypothèse : c'est sans doute une sorcière que représente la jeune femme nue, assise en amazone sur un bouc et qiîi brandit un chat par les pattes de derr ière^! Quant aux magiciens ou magiciennes de type savant, fruit d 'une culture littéraire, l 'artiste médiéval en a retenus deux: Circé que Ch. Picart reconnaît au portail de la Madeleine de Vézelay^^ et Simon le Mage, dont la célèbre «chute» apparaît assez souvent dans l'art reUgieux" . Mais leur individuation porte en elle ses limites.

Les scènes d'exorcisme ne sont pas plus intéressantes : elles n 'évoquent pas, en effet , l 'un ou l 'autre acte de sorcellerie, mais témoignent, au contraire, de l ' intervention directe du démon. Le diable hirsute qui sort en gesticulant de la bouche du possédé '^ était censé agir sans intermédiaire dans le Haut Moyen A g e ' ^ ! Et c'est sans doute cette conviction, peu importante à première vue, mais riche d'implications qui explique la rareté des scènes de sorcellerie avant le XVème siècle. Pour quelles raisons, en effet , aurait-on figuré de simples mortels — capables, il est vrai de lancer et de guérir des maléfices — dans des programmes iconographiques d'inspira­tion théologique opposant les forces de Dieu à celles de Satan? En fait , les

Ueberlieferungs und theoriegeschiliche Untersuchungen zur kircMich — iheologischen Aberglaubenslileralur des Mittelaliers, Ber l in , Schmidt . 1979. L 'ouvrage de R .L . W A G N E R , "Sorcier» et «Magicien». Contribu­tion à l'histoire du vocabulaire de la magie. Paris, D r o z , 1939, re t race l 'évolut ion de ces deux concepts à t ravers la l i t térature médiévale et la situe, de manière per t inen te , dans son contexte socio-culturel.

7. Ci té pa r V . H . D E B I D O U R , Le Bestiaire sculpté du Moyen Age en France, Paris, A r t h a u d , 1961 ( G r a n d e s é tudes d ' a r t et d ' a rchéologie , 2) , p . 324.

8. Ibid., p . 323 et fig. 447. 9. G R I L L O T de G I V R Y , op. cit.. p. 36, fig. 22. 10. C H . P I C A R D , « U n e scène d ' inspirat ion an t ique m é c o n n u e : le my the de Circé au tympan du grand

portai l de Véze lay» , Bulletin monumental. 103, 1945, pp. 212-229. 11. E . K I R S C H B A U M , Lexicon der Christlichen Ikonographie. Fr ibourg-en-Brisgau, H e r d e r , 1972, 8

vol . , t . I V , pp . 158-159. 12. Voi r n o t a m m e n t un des panneaux de la por te de bronze de San Z e n o à V é r o n e . 13. D e p u i s Saint Augus t in , don t elle adop ta les vues, l 'Eglise p rôna m ê m e le caractère illusoire de la

sorcel ler ie . Le texte dudi t Canon Episcopi (c. 900) est significatif à cet é g a r d : Illud etiam non omittendum. quod quaedam sceleratae mulieres rétro posi Satanam conversae daemonum illusionibus et phantasmatibus seductae. credunt se et profitentur nocturnis horis cum Diana paganorum dae et innumera multitudine mulierum equitare super quasdam bestias, et multa terrarum spatia intempestae noctis siîentio pertransire... cité par J . H A N S E N , op. cit., p . 38. No tons que la p lupar t des é léments qui sç re t rouveront t radi t ionnel le­men t réunis dans les descr ipt ions pos té r ieures du sabbat f igurent dé jà ici : chevauchées nocturnes de f e m m e s sur des an imaux , pa rcours de g randes dis tances . . .

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sorciers — aussi respectés que craints pour leurs pouvoirs — n'avaient pas leur place dans l ' iconographie dualiste des cloîtres et des églises. Ils n'é­taient ni bons ni mauvais ou plutôt ils étaient bons et mauvais à la fois mais leur pouvoir n'apparaissait ni en concurrence avec celui de Dieu ni comme une émanation de celui de Satan. Ils provoquaient seuls leurs sortilèges et leur art ne s'appuyait pas nécessairement sur l'aide d 'un «autre monde» '^ .

Paradoxalement, la sorcière ne prendrait véritablement place dans l 'art occidental que le jour où, considérée désormais comme suppôt de Satan '*, elle serait poursuivie à la fois comme une ennemie de Dieu et du Prince'^. Cette évolution décisive allait s 'amorcer dès la deuxième moitié du XVème siècle pour culminer au XVIème siècle avec l 'expansion de l'Eglise de la Contre-Réforme et du pouvoir absolutiste.

Cette mutation psychologique fut toutefois progressive. Ainsi pouvait-on encore peindre vers 1480, dans nos régions, une scène d 'envoûtement amoureux, absolument dépourvue de références à Satan, et de ce fait tout à fait étrangère à l ' imagerie nouvelle de la sorcellerie telle qu'elle commençait à s ' imposer depuis 1450 environ. Le charmant tableau nommé habituelle­ment Sortilège d'Amour en témoigne La jeune femme à peu près nue qui y oint un cœur — de cire, suppose-t-on —, déposé dans un coffret , sous le regard d 'un curieux arrêté sur le seuil, n 'évoque aucune scène de sortilège

14. Sur le rôle des sorciers dans le m o n d e rural t radi t ionnel et le caractère factice de la distinction en t re magie blanche et magie noire , voir FL. E. L O R I N T & J. B E R N A B E , La sorcellerie paysanne. Approche anthropologique de l'Homo Magus. avec une élude sur la Roumanie (préf . A. D O U T R E L O U X ) , Bruxel les , D e Boeck, 1977 (Univers des sciences humaines , 8), p . 17 sq.

15. R .L . W A G N E R , op. cit.. p. 86. 16. L ' idée du pacte sa tanique qui remonta i t à T h o m a s d ' A q u i n fut r épandue pa r les Dominica ins

n o t a m m e n t . Pour H. I N S T I T O R I S et J . S P R E N G E R , Le marteau des sorcières (prés, et t rad . A . D A N E T ) , Paris , P ion, 1972 (Civilisations et menta l i tés ) , p. 147 (ed . orig. lat. 1486-1487) les sorcières appara issent c o m m e les auxiliaires obligées de Satan ; Notre opinion toutefois reste que le diable ne peut rien faire ici-bas sans sorciers. Ce t te c royance mit é v i d e m m e n t fin à celle qui réduisait la sorcellerie à un ensemble de fan tasmes . Ibid.. p. 328.

17. Ce nouvel é tat d 'espr i t fu t la conséquence de la conquê te des mondes ruraux pa r les clergés urba ins d ' une part et les Etats royaux d ' a u t r e par t . Sur ces faits et sur l 'acculturat ion du m o n d e rural qui s 'ensuivit , voir n o t a m m e n t les cont r ibu t ions de M.S. D U P O N T - B O U C H A T et R. M U C H E M B L E D dans M.S . D U P O N T - B O U C H A T , W. F R I J H O F F et R . M U C H E M B L E D . Prophètes et sorciers dans les Pays-Bas. XVIème - XVlIème siècles, Paris , H a c h e t t e , 1978 (Le T e m p s et les Hommes ) . Sur la g rande répression de la sorcellerie d a n s l 'opt ique d ' une histoire de la sensibil i té, voir aussi J. D E L U M E A U , La Peur en Occident. Une cité assiégée, Paris , Fayard , 1978, pp . 346-388 et N. C O H N , Démonolâtrie et sorcellerie au Moyen Age. Fantasmes et réalités ( t rad . S. L A R O C H E et M . A N G E N O ) , Paris , Payot , 1982 (Bib l io thèque his tor ique) (ed . orig. angl. 1975).

18. A n o n y m e , a t t r ibué parfois a u pe in t re d u d ip tyque de B o n n , ce petit tab leau est c o n s e i ^ é ac tue l lement au Muséum d e r b i ldenden Kûns te à Leipzig. P a r sa d o u c e u r et pa r sa grâce, cet te œuvre appar t i en t encore au style go th ique internat ional ; le r endu réaliste de son mobil ier et le t ra i tement de la perspec t ive rappel lent plutôt la man iè re des V a n Eyck. P o u r une descr ipt ion plus complè te et une é tude es thé t ique de la scène, voir le cata logue de l 'exposit ion Herbst des Mittelalters. Spâlgotik in Kôln und am Niederrhein. Kunsthal le Kôln , 1970, pp. 41-42 n° 17 et pl. II.

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Le sortilège d'amour. Ecole du Bas-Rhin . (Copyr igh t Muséum de r b i ldenden Kiinste zu Leipzig).

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connu . Plusieurs détails la rapprochent plutôt, selon nous, de certaines Allégories et Vanités contemporaines : le miroir — tenu parfois par le démon ou reflétant son image — ; les plumes de paon, symbole de l'orgueil et attribut des courtisanes; les fleurs qui jonchent le sol comme rappel des Jardins d 'Amour^" . Ainsi, le sujet du tableau de Leipzig nous apparaît donc moins comme une scène de magie blanche que comme une allégorie de l 'Amour-Passion et de ses ruses — philtres et envoûtements — dont les connotat ions négatives sont exprimées symboUquement par les plumes de paon et le miroir. Le fait que l 'action soit 'située en pleine lumière, durant la journée et non dans l 'obscurité, ne peut que confirmer notre sentiment. Magicienne de rêve évoluant parmi les apparences les plus concrètes du monde extérieur, la gracieuse blonde donne peu l'impression d'être une sorcière imaginée comme telle par un artiste aussi soucieux de vérité que celui qui l'a peinte. Les modèles existaient pour tant! Toutes proportions gardées, elle évoque davantage les nourrices — à la fois sorcières et entre­metteuses — des héroïnes de Chrétien de Troyes ou de Benoît de Saint More que les vieilles paysannes que l 'on accusait, à ce moment même, de maléfices et de pacte avec Satan

Paradoxalement, c'est à un peintre de l 'imaginaire, Jérôme Bosch, que l 'on doit les premières représentations «réalistes» de sorcières. Dans ses dessins du moins elles apparaissent parfois comme de simples femmes vêtues pauvrement . N'était le contexte dans lequel elles se trouvent, rien ne les désignerait comme sorcières, pas même certains de leurs attributs: soufflet , tisonnier, court balai et quenouille. Et pourtant, chacun de ces

19. Sur le seul que nous ayons t rouvé qui fasse é ta t d ' un c œ u t de cire à déposer dans une petite boete de sapin blanc (sic), voir R .L . W A G N E R , op. cit., pp . 266-267, n° 5 (Pour se faire aimer et revenir une personne).

20. Voi r n o t a m m e n t la Vanité, l 'un des Péchés Cap i taux peint par Bosch sur un dessus de table conservé au Musée d u Prado , à Madr id : le miroir ( tenu par un diable) , les f leurs (dans un vase), le cof f re t (à b i joux) , les aiguil lères, le chien, la cheminée m ê m e s'y r e t rouven t c o m m e dans not re tableau. Bonne reproduct ion dans J . C O M B E , J. Bosch, Paris , Tisné, 1957, pl. III. Les p lumes de paon associées au miroir sont f r é q u e n t e s c o m m e symboles de l 'Orguei l . Voi r n o t a m m e n t l'Allégorie de l'Orgueil par L. Daven t (1547), ci tée par J . D E L U M E A U , op. cil., p. 341 et celle de H . Burgkmai r le Vieux dont la reproduc t ion se t rouve n o t a m m e n t dans M. G E I S B E R G , The German single-leaf woodcui. I50O-I550 (revu et t rad . par W . L . S T R A U S S ) , New York , Hacker , 1974, 4 vol . , t. I l , fig. 454 (éd . orig. ail. 1923-1930). Le paon est éga lement associé à l ' idée de Luxure si l 'on en croit J . D E L U M E A U , op. cit., p . 341, qui se réfère à une e s t ampe qui f igure ce vice sous les traits d ' une cour t isane assise sur un paon . Sur les « F e m m e s au mi ro i r» , voir Diables et diableries, p p . 31-37 (notices R . B R U S E G A N ) .

21. C e t t e compara ison a é té fo rmulée p o u r la p r e m i è r e fois pa r R .L . W A G N E R , op. cil., p. 97. Nous pensons n o t a m m e n t à Thessala , la nourr ice de Fénice dans le r o m a n de Cligès de Ch. de T R O Y E S .

22. Dess ins conserves , l 'un à Paris , Musée du Louv re , inv. 19721 (at t r ibué autrefois à Bruegel qui l 'utilisa, en tout cas , pour la scène principale de LM Bataille entre le Carnaval et le Printemps), l 'autre à l 'Alber t ina de V ienne . V o i r respect ivement Ch . de T O L N A Y , H. Bosch, New York , Reynal & M o r r o w , 1966, p . 391 n° 14 et p . 391 n° 15. Reproduc t ion dans Ch . V A N B E U N I N G E N , The complète drawings of H. Bosch. Londres . A c a d e m y , 1973, pp. 51 et 53. O n peut sans dou te a j o u t e r à ceux-ci un au t re dessin (Musée Boymans , R o t t e r d a m ) représentant deux vieilles f e m m e s dont l 'une tient une quenoui l le , la p e r m a n e n c e du type i conograph ique de la sorcière fileuse au tor i san t vra i semblablement cette in te rpré ta t ion . Voir Ch . de T O L N A Y . op. cit., p . 387 n° 2 et C h . V A N B E U N I N G E N , op. cit.. p. 15.

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accessoires est significatif. Les deux premiers évoquent la cheminée où bout le chaudron magique et par laquelle elles passent pour aller au dehors ; le troisième rappelle leurs chevauchées nocturnes. Même la quenouille, d 'ap­parence si i n o f f e n s i v e f a i t référence à la sorcellerie, l 'iconographie des Parques ayant contaminé celle des sorcières à la suite d'une confusion des deux notions^"*. Ce n'est pas sans raisons, en effet, qu'Albert Durer ou Le Parmesan en ont doté leurs sorcières La présence d 'une femme au fuseau parmi les apparitions démoniaques de deux Tentation de saint Antoine, l 'une de P. Huys^"', l 'autre de l 'atelier de B o s c h n ' e s t pas fortuite non plus. Par ailleurs, il est f réquent que l ' identification des sorcières soit encore plus aisée. Quand Bosch représente une matrone à califourchon sur une palet te aux côtés d 'un hibou, aucun doute n'est possible: il s'agit d 'une sorcière représentée conformément au réfèrent imaginaire traditionnel^*. Apparem­ment moins conventionnelle est celle qui, assise sur une meule, tient sous le bras une quenouille à laquelle pend un sexe de cheval^'. Mais pour originale que soit la composition, son sens n 'é tonne guère: il est question ici d 'une croyance particulièrement généralisée^' ' . Dans les campagnes, nul sortilège n'était aussi redouté que celui qui entraînait la perte de la virilité pour l 'homme, de la fécondité pour les bêtes. A cet égard, on supposait parfois que la sorcière procédait à une réelle ablation des organes génitaux dont elle faisait collection^'. Le dessin de Bosch est une illustration étonnante de cette véritable psychose.

23. Le fuseau est f r é q u e m m e n t représen té c o m m e at t r ibut des f emmes et plus spécialement des paysannes d a n s l 'art ge rmanique du X V I è m e siècle. Vo i r n o t a m m e n t les si lhouettes de Dure r et d 'A l tdo r f e r d a n s les marges du Livre d ' H e u r e s de l ' E m p e r e u r Maximi l ien (1514-1525), conservé à la Bayerische Staa tsbib l io thek de Munich .

24. Un péni tent iel du X è m e siècle r e n d d é j à les deux te rmes synonymes:/7/ae (mulieres a diabolo deceplae) quae a vulgo Parcae vocantur... c i té par J . H A N S E N , op. cil., p . 40. Réc ip roquemen t . Les trois Parques, gravées par H . Ba ldung Gr ien en 1513, évoquen t fo r t emen t des sorcières. Reproduc t ion d a n s M. G E I S B E R G The German single-leaf woodcul, t. I, p . 102. Notons , par ailleurs, que le mot Fée dé r ive du substantif féminin Fala, f o r m é lu i -même sur le neu t r e pluriel de Fatum, le Destin. Sur les rappor t s en t re Parcae et Fata de m ê m e que sur les divinités ba rba re s qui é taient honorées sous ce n o m , voir H. P A U L Y et G . W I S S O W A . Real-Encyclopaedie der klassische Alteriumwissenschafl (nouvelle édit ion G. W I S S O W A , W. K R O L L & K. M I T T E L H A U S ) , S tu t tga r t , Metz ler , s. v" Fatum, t. V I I j , col. 2050-2051.

25. Les deux gravures dont quest ion sont é tud iées plus loin. 26. Bruxelles, Musée des Beaux-Ar t s , n° inv. 1021. 27. Bruxelles, Musée des Beaux-Ar ts , n° inv. 1013. Sur le modèle de cette sorcière au fuseau , voir infra

note 29. 28. Sur les chevauchées des sorcières et leurs m o n t u r e s tradit ionnelles, voir infra note 35. Q u a n t aux

hiboux et autres oiseaux de nuit , ils é t a i en t associés aux scènes de sorcellerie depuis l 'Ant iqu i té . Voir n o t a m m e n t la m é t a m o r p h o s e de Pamphile e n hibou dans Apu l . , Met. 3, 21. Ces oiseaux sont f r é q u e m m e n t r ep résen tés dans les scènes de sorcellerie.

29. Dessin de Bosch d é j à cité (Paris — L o u v r e ) . 30. Ce t t e croyance é ta i t , par ailleurs, jus t i f iée théo log iquement . Lire H . I N S T I T O R I S et J. S P R E N G E R ,

op. cit., p. 459: Plus que sur les autres actes humains. Dieu permet le maléfice sur l'acte vénérien à travers lequel s'est fait la propagation du premier péché.

31. Sur les «col lect ions» de m e m b r e s virils q u e les sorcières étaient censées déposer dans des nids d 'o i seaux ou en fe rmer dans des boîtes, ibid., p. 383. Da ns un chapitre antér ieur , il est toutefois a f f i rmé que l'ablation du membre viril est ivraie" pour l'imagination, bien qu'elle ne le soit pas en réalité. O n pour ra i t

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D'au t res croyances tout aussi répandues, comme celle du sabbat, al­laient également inspirer quelques artistes de talent^^.

La première description du sabbat en français est celle de J. du Clerc et date du début du XVème s ièc le" . Celle que donna Martin du Franc dans le Champion des Dames, vers MSO '̂*, s 'accompagne d 'un commentaire criti­que dans lequel l 'auteur s'élève contre la réalité du transport dans les airs^^. Curieusement son allégation est illustrée dans la marge par deux sorcières, d 'allure rustique, chevauchant, l 'une un balai, l 'autre un bâton. Il s'agit là de la plus ancienne représentation connue de ce type de monture, fruit sans doute d 'une tradition orale de type populaire, aucun texte contemporain ou antérieur n'y faisant allusion^^. Ce même balai, placé en évidence, se trouve à l 'avant-plan du frontispice d'un des manuscrits de la traduction française du Tractatus contra sectam Valdensium de J. Tinctor^^. Il a manifestement servi à t ransporter les personnages qui rendent hommage à Satan sous la fo rme d 'un bouc. Chaque assistant principal — trois femmes et un homme d'allure noble — tient une bougie allumée, l'aspect nocturne de la sorcière impUquant une iconographie du flambeau Deux d 'entre eux sont age­nouillés en face du postérieur de l 'animal, selon le rituel f réquemment décrit dans les manuels de sorcellerie. Tout en concrétisant donc des notions familières, cette image ne fixe pourtant pas un type: si l 'on excepte deux scènes à peu près analogues, servant aussi de frontispice à l 'œuvre de J.

peu t -ê t r e r econna î t r e d ' au t res sexes noués et pendus sur une fourche dans une gravure de H. Ba ldung Gr i en , voir infra n o t e 66. Notons que dans Apu l . , Mei. 1, 13, la compagne de Méroé proposai t d é j à de met t re A r i s t o m è n e en pièces ou encore de lui lier les membres et de lui couper sa virilité ( t rad. D . R . R O B E R -T S O N ) .

32. La r ep résen ta t ion du sabbat a également sa place dans l 'art popula i re . Voir n o t a m m e n t deux taques de c h e m i n é e de 1589 conservées , l 'une au Musée G a u m a i s à Vir ton , l ' aut re au Musée archéologique l uxembourgeo i s d 'Ar lon (Clichés conservés à l ' Insti tut Royal du Pat r imoine Ar t i s t ique) .

33. R . L . W A G N E R , op. cit., p . 124. 34. Par is , B . N . , Cab ine t des Manuscr i ts , F o n d s f rançais 12476. 35. R . L . W A G N E R , op. cit., p . 131. 36. Les p lus anciennes ment ions l i t téraires fon t é ta t de sorcières chevauchant des an imaux , en part iculier

des boucs. L e s art istes des X V è m e et X V I è m e siècles ne semblen t pas avoir eu de p ré fé rence p o u r l 'un ou l ' au t re type de mon tu re . Notons q u e plusieurs d ' en t r e eux — H . Baldung Gr i en sur tout — ont subst i tué la fou rche au s imple bâ ton . Parfois aussi ce sont des h o m m e s qui servent de m o n t u r e (not . P. Huys . Tentation de Saint Antoine, voir supra no te 26) ou bien des mons t re s (voir infra note 39).

37. O x f o r d , Bodie ian Lib . , Ms Rawlinson D . 410, fol. 105 v°. Descr ipt ion et commenta i re de la minia ture d a n s Les sorcières, p. 60 n° 89. Reproduc t ion dans O . P A E C H T et J . J . A L E X A N D E R , Illuminated manuscripts in the Bodieian Library Oxford, O x f o r d , C l a r endon Press, 1966, 3 vol. t. I, pl. X X X (et notice p . 29 n° 379) . Sur l ' ensemble de l 'œuvre de J . T I N C T O R et sur la place qu 'e l le occupe dans la t radi t ion manuscr i te et impr imée , voir E . V A N B A L B E R G H E et J . -F . G I L M O N T , « L e s théologiens et la « Vaude-rie» au X V è m e siècle. A p ropos des œuvres de J . T inc to r à la Bibl io thèque de l 'Abbaye de P a r c » dans Miscellanae codicologica F. Masai dicata, G a n d , 1979, pp. 393-411, not . pp. 402-405. Ces au teurs on t insisté avec raison sur l 'origine f l amande et non française ( c o m m e il est a f f i rmé dans Les sorcières, pp. 59-60) des min ia tu res rehaussan t les exempla i res de « luxe» don t ques t ion ici.

38. Les c ierges en généra l , la « m a i n de gloire» en par t icul ier , appara issent f r é q u e m m e n t dans les scènes de sorcel ler ie . Ainsi , les sorcières se rendant au sabba t en brandissent souvent . Voir n o t a m m e n t la Tentation de Saint Antoine de P. Claeissens, conservée au M u s é e C o m m u n a l de Bruges , n° inv.0.1654 et celle de P. H u y s , voir supra, note 26.

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Tinctor dans des manuscrits contemporains du p r é c é d e n t i l n'existe pas, semble-t-il, d 'autres représentations d ' h o m m a g e au Bouc dans le siècle qui suit'**'. Et pourtant le sujet pouvait être traité de manière décorative, comme en témoignent ces dernières miniatures. Dans le manuscrit de Bruxelles, le paysage surtout est délicat: la campagne vallonnée et baignée par la rivière, le château à l 'arrière-plan, forment un cadre charmant à un événement qui n 'a de démoniaque que le n o m : ce ne sont pas les deux quadrupèdes monstrueux, chargés d 'autres «sorciers» qui donnent à l 'ensemble un carac­tère effrayant. Le raffinement du décor, la fière allure des personnages, l 'ambiance presque solennelle de la scène dénotent un parti pris résolument esthétique. Ce que le sujet pouvait avoir de vulgaire et de monstrueux a été effacé au profit d 'éléments plus agréables à l'œil et surtout plus conformes à l'idéal de noblesse et d 'harmonie de l 'enlumineur. Cette transformation d 'un sujet scabreux et scandaleux en scène mondaine assez innocente exi­geait, à l 'évidence, un certain détachement , pour ne pas dire une indiffé­rence réelle vis-à-vis de l 'objet de la représentation, en l 'occurence le sabbat. . .

Cet état d'esprit n'était assurément pas partagé par tous les illustrateurs de traités de sorcellerie. Par ailleurs, les contraintes inhérentes à la gravure sur bois, utilisée de plus en plus f réquemment , n'incitaient guère au choix de sujets prétextes à rêverie bucolique. Si des impératifs techniques vouaient donc l'artiste à une certaine stylisation des lignes et à une simplification du décor, ils le poussaient aussi à rendre de manière plus expressive les atti­tudes les plus caractéristiques de ses personnages. Toutes les déformations devenaient possibles: elles allaient servir à donner aux sorciers des traits particulièrement peu flatteurs. Les xylographies les plus connues dans ce domaine sont celles qui illustrent le traité d 'U . Molitor, De Laniis (sic) et phitonicis mulieribus, paru pour la première fois à Constance en 1489'*'. Chacune des six gravures illustre un thème bien particulier : le transport vers le sabbat , par terre et par air, le repas des sorcières, le sortilège de la grêle, le sortilège de l'arc et l 'étreinte de Satan et de la sorcière. Parmi elles, les deux premières retiennent particuUèrement l 'attention. Celle qui figure le sorcier transporté par le loup atteste l'utilisation, par l'artiste, de la notion

39. Paris , B . N . Cabine t des Manuscr i ts , F o n d s Nat ional f rançais 961 et Bruxelles, B . R . 11209, fol. 32 r°. Voi r respect ivement L. D E L A I S S E , La miniature flamande. Le mécénat de Philippe le Bon. Bruxel les , Bib l io thèque Royale , 1959, p. 112, n° 118 et p . 110, n° 113. Reproduc t ion des miniatures dans F . N O R D S -T R O E M , Goya. Saium and Melancholy. S tockh lom, Almqvist & Wiksell , 1962 (Figura. Uppsala s tudies in the history of ar t . New séries, 3), p . 163 et p . 162. Descr ip t ion des miniatures dans jorciérM, pp. 59-60, n°s 87 et 88.

40. Le t h è m e sera repris dans un esprit t rès d i f fé ren t au X V l I è m e siècle. Voir no tamment Le culte du Démon, eau for te de J . Callot. Descr ipt ion et commen ta i r e des miniatures dans Les sorcières, p. 60 n° 90 et fig. 90.

41. Sur ce trai té et son au teur , voir R . H . R O B B I N S , op. cit., p. 347. Reproduct ion des illustrations d a n s G R I L L O T D E G I V R Y , op. cit., fig. 31, 35, 48 , 57, 151 et 156.

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du « m o n d e à l 'envers» comme symbole de l 'empire du Mal: le loup marche à reculons, comme l'indique le sens de ses empreintes' '^. Quant au transport par air, il combine le thème du vol sur un bâton à celui de la métamorphose : les deux sorcières possèdent, l 'une une tête d 'âne, l 'autre un groin; le sorcier, lui, est affligé d 'une tête de coq"^. Notons qu'à l'instar de Martin du Franc, U . Molitor dénie toute réalité au transport par air et même au sabba t : d 'après lui, les sorcières sont uniquement victimes d'illusions et de rêves suscités par le d é m o n L e repas champêtre qu'elles prennent à trois, sur l 'une des gravures de l ' incunable, est donc en flagrante contradiction avec le texte ! L'image illustrant le sortilège de la grêle l'est tout autant : on y voit deux sorcières plongeant dans un chaudron bouillant un coq et un serpent , alors que traditionnellement un poulet jeté en l'air suffit pour l'attirer'*^. Le serpent «plus docile aux charmes maléfiques que les autres animaux»*^ est à l 'évidence un animal f réquemment mentionné dans les recettes de maléfices mais jamais dans celles destinées à faire pleuvoir. L 'art is te a donc créé à partir d 'é léments hétérogènes mais appartenant tous à l ' imagerie de la sorcellerie, une composition originale pour illustrer une croyance à peu près générale.

Dans le Tugendspiegel de Hans Vintler, édité à Augsbourg en 1486, les gravures qui accompagnent deux courts poèmes consacrés aux sortilèges du vin et du lait"*^ sont également révélatrices d 'un certain état d'esprit'"*. Ainsi, dans la seconde, la sorcière est-elle agenouillée sur une étoile de David. Doi t -on en déduire que l'artiste réunit ici, dans une même réprobation, le Juif et la sorcière"*^? En tout état de cause, il y a transfert d 'attribut de l'un à l 'autre sans qu'aucun vers le suggère.

42. La gravure reprodui te dans l 'ouvrage de R . H . R O B B I N S , op. cil., p. 347 ne laisse nul doute à ce s u j e t ; celle qui f igure dans G R I L L O T D E G I V R Y , op. cil., fig. 57 est plus ambiguë . La not ion de « m o n d e à l ' enve r s» a é té souvent utilisée par les ar t is tes . Sur la systémat isat ion de ce p rocédé , voir La sorcière d ' A . Di i re r , infra note 58.

43. La facul té de se m é t a morphose r en an imaux étai t r e c o n n u e aux sorciers depuis l 'An t iqu i t é . C 'é ta i t en généra l la s i lhouet te d ' an imaux « in fé r i eu r s» ou d é m o n i a q u e s (ânes , pourceaux . . . ) que l 'on donnai t aux sorciers. La téte de coq dont le graveur a a f fub lé ici le sorcier rappel le l 'utilisation f r é q u e n t e de cet an imal dans la confect ion des charmes .

44. R . H . R O B B I N S , op. cil., p. 348. 45. Se lon J . N I D E R (c. 1475) du moins , e t après lui H . I N S T I T O R I S et J. S P R E N G E R , op. cil.. p . 419. 46. Ibid., p. 225 et p . 459 : Le maléfice se fait davanlage par les serpenis qui obéissent plus facilemeni aux

charmes, pour avoir élé le premier insirumeni du diable. 47. Sur le sortilège du lait, ibid.. p. 413. Var ian te i conograph ique de ce sortilège dans une des gravures

i l lustrant J . G E I L E R V O N K A I S E R S P E R G , Die Emeis. S t rasbourg , 1517. Bonne reproduct ion dans G R I L L O T D E G I V R Y . op. cil., p. 189, fig. 155.

48. Rep roduc t ion des deux gravures d a n s A . S O L D A N . H. H E P P E et M. B A U E R , op. cit., t. 1, p. 228 et 230.

49. La confus ion en tout cas, étai t f r é q u e n t e , m ê m e sur le plan lexical : au Moyen Age et à la Renaissance , le t e rme Sorcellerie était utilisé pour désigner les activités religieuses d e i Juifs alors que les assemblées des hé ré t iques étaient souvent appelées Synagogues. A ce su j e t , F L . E . L O R I N T et J . B E R N A B E , op. cit., p. 30 et J . D E L U M E A U . op. cit.. §9 (pp . 273-304). H . Ba ldung Gricn figura des pseudo-carac tè res hébreux sur le chaudron d 'un de ses s abba t s ; réf. voir infra n° 66.

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Les ouvrages de sorcellerie illustrés ont connu une grande fortune : on ne connaît pas moins d 'une quinzaine d'éditions différentes de l 'ouvrage d 'U . Molitor, publiées entre 1487 et 1590^". Celui d 'U. Tengler, Der neue Laienspiegel dans lequel figure une sorte de «pot-pourri» de scènes de sorcellerie sur une même page^ ' , fut édité plus de 11 foix entre 1509 et 1527. Le Liber Chronicarum de Schedel, ayant connu deux éditions chez Kober-ger en 1493, fut également largement diffusé. Nul doute que le couple démon-sorcière, chevauchant un cheval fou, dut beaucoup retenir l 'atten­tion^^. Quant à l'Historia de gentibus septentrionalibus d 'O. Magnus, elle n 'a pas connu moins de neuf éditions entre 1555 et 1570. Plus ou moins illus­trées, elles ont toujours compris au moins deux vignettes représentant des scènes de sorcellerie. Quand on sait qu 'un tirage comprenait dès 1480-1490, une moyenne de 400-500 exemplaires^^ et que ce chiffre se porta à 1000-1500, au début du XVIème siècle^"*, on réalise l'influence que ces ouvrages illustrés purent exercer sur l 'esprit des lecteurs.

Celui-ci allait être aussi stimulé par les créations de quelques artistes de génie. Ainsi Bosch aliait-il contr ibuer, sinon à fixer le type du sorcier, du moins à diffuser la peur que lui inspirait ce suppôt du Malin. Ce ne furent pas, certes, les sobres dessins dé j à évoqués, qui exercèrent cette influence mais bien son œuvre peinte, riche d'apparitions monstrueuses plus ou moins liées.à des effets de sorcellerie^^. Les parodies de sabbat, les chevauchées fantastiques y sont si nombreuses qu'elles apparaissent chez lui comme une sorte d'exorcisme. En les fixant sur le tableau, Bosch tentait sans doute de se délivrer de ses fantasmes. Il y réussit peut-être, mais les communiqua à la génération suivante! Ceux que l 'on retrouve chez Bruegel, un demi-siècle plus tard, revêtent encore des formes à peu près similaires. La visite de Saint

50. Ces chiffres , de m ê m e que ceux qui su ivent ont é té dédui ts de l 'utilisation con jo in te des ouvrages suivants : The National Union catalog pre 1956 imprints, Chicago, American Library Associat ion, 684 vo l . ; The gênerai catalogue of printed books to 1955 — British Muséum, Londres , British Muséum, 263 vol. et le Catalogue général des livres imprimés de la Bibliothèque Nationale, Paris, Ministère de l 'Educa t ion Nat io­nale , 231 vol. . Pour l 'analyse plus poussée d u succès d ' u n e product ion imprimée, voir E. V A N B A L B E R -G H E et J . -F . G I L M O N T , op. cit., p. 410, n° 85.

51. Pour la reproduct ion de la gravure d ' H . Schâufele in , Zauhereien Hexenwesen, f igurant dans U. T E N G L E R , Der neue Laienspiegel. A u g s b o u r g , 1511, t . IV, fol. 190. voir M. G E I S B E R G , Die Deutsche Buchillustration in der ersien Hàifte des 16. Jahrhunderts. Munich, H . Schmidt, 1929. t. I, 1, pl. 24.

52. Gravu re reprodui te dans A . S C H R A M M , Der Bilderschmuck der trùhdrucke, Leipzig. K . W . Hierse-m a n n , 1934, 22 vol . , t. X V I I , fig. 532. On conse rve 73 exemplaires de la première édit ion (début 1493) et 62 exempla i res de la deux ième édit ion (fin 1493).

53. L. F E B V R E et H . J . M A R T I N , L'apparition du Livre. Paris, Albin Michel , 1958 (L 'évolut ion de l ' humani t é ) , p. 329.

54. /bld.. p. 330. 55. Voir no t ammen t la Tentation de Saint Antoine, conservée au Musée Nat ional des Beaux-Ar t s de

Lisbonne . J . C O M B E , op. cit., p . 28, y voit « u n e sor te de sabbat» suscité par un «magic ien» que l 'on aperçoi t , à demi caché par un mure t devant le saint. Re tenons en tout cas une chevauchée aé r ienne sur un poisson, avec un chaudron bouil lant (volet d ro i t , pl. 67) des hommes à tê te-porc ine , por tan t un h ibou ou lisant des textes sacrés (panneau cent ra l , pl. 59 et 61).

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Jacques au magicien Hermogène , gravée en 1565, est particulièrement significative à cet égard. Comme chez Bosch, les incarnations diaboliques fusent de toutes parts sous les apparences les plus grotesques. Cette fois, en outre , les sorcières apparaissent dans un décor conforme à l'idéologie cou­ran te : elles s 'affairent autour d 'une cheminée monumentale sur laquelle sont posés une main de gloire et un cierge allumé. Le chaudron qui y bout dégage des nuages de fumée qui portent deux d 'entre elles, à califourchon sur un balai, vers l 'extérieur. Elles y rejoignent deux compagnes assises, l 'une sur un bouc, l 'autre sur un dragon ailé. La sorcière de Malleghem apparaît dans un tout autre contexte. Noyée dans la foule qui vient la consulter , cette sorcière imaginaire tente de guérir les hommes en leur extrayant de la tête les «pierres de folie». Si par leur empressement les gens témoignent de la confiance qu'ils ont en elle, Bruegel ironise sur un ton doux-amer : comment une folle pourrait-elle guérir d 'autres fous? Vains apparaissent ses effort et onéreux puisqu'ils coûtent leur bourse aux dis­traits. . . La crédulité des hommes est donc tournée en dérision, comme l'action de la sorcière. Impensable chez Bosch, un tel humour ne peut se concevoir que chez un peintre moins tourmenté et pour qui cet humour même , au service de l 'art, reste la meilleure défense contre le danger que représente, la Folie des hommes et de ceux qui prétendent les en guérir.

On peut imaginer que la célèbre Sorcière de Durer fut dessinée dans le m ê m e état d 'esprit . «Elle chevauche (un capricorne) à l 'envers et cepen­dant ses cheveux volent dans le même sens que le monstre ( . . . ) : c'est que le diable, principe de désordre opposé à l 'ordre divin, fait tout à l'inverse de Dieu. D e même les putti ailés restent-ils à terre. On peut aller jusqu'à se demander si Durer n 'a pas cette fois volontairement gravé son mono­gramme à l 'envers»^^. Si cette supposition est exacte, elle implique, à notre avis, un cHn d'œil amusé au spectateur, le procédé — trop systématique — ne pouvant que révéler l 'intention ironique du Maître de Nuremberg.

La satire pointe également dans un dessin de 1514 dû à H. Baldung G r i e n ^ . Trois sorcières nues, dans des poses particulièrement suggestives.

56. R e p r o d u i t e n o t a m m e n t dans J. L A V A L L E Y E . Lucas van Leyden, Peter Bruegel l'ancien. Gravures, oeuvre complet. Paris , Ar t s et mét iers graphiques , 1966 ( A r t s e t mé t i e r s g raph iques ) , pl. 50.

57. Jbid., pl. 54. 58. B u r i n da té d e 1500-1501. Reprodu i t n o t a m m e n t dans K . A . K N A P P E , Durer; Gravures. Œuvre

complet ( t r a d . J . C H A V Y ) , Paris , Ar ts et métiers g raph iques , 1964. fig. 35 (éd . orig. ail. 1960). 59. C a t a l o g u e de l 'exposit ion A . Diirer , Paris, Bib l io thèque Nat iona le , 1971, p. 76, n ° 6 1 . Nous ne

pa r le rons p a s ici de la gravure de Dure r intitulée tantô t Les quatre femmes, tan tô t Les quatre sorcières ce t te de rn iè re appe l la t ion ne reposant sur aucun détai l v ra iment p r o b a n t . Reproduc t ion dans K . A . K N A P P E , op. cit., fig. 21. Bref c o m m e n t a i r e dans le Cata logue préci té , p. 77, n° 162.

60. C e dess in , t enu longtemps pour original, semble ê t re plutôt une copie pos té r ieure , é m a n a n t de l 'a tel ier de l 'art iste. B o n n e reproduct ion et notice ca ta lograph ique dans C. K O C H , Die Zeichnungen von H. Baldung Grien, Ber l in , Deu t sche r Verein fiir Kunstwissenschaf t , 1941 ( D e n k m â e r Deutscher Kuns t ) , fig. 62

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Croupe de trois sorcières. Cop ie d 'a te l ier d ' u n dessin de H. Baldung Grien. (Copyr ight Graph i sche S a m m l u n g Albe r t i na Wien) .

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accompagnent des vœux de bonne année à un ami religieux, comme l'indi­que l'inscription en capitales en bas de page^M Nous sommes loin — par l'esprit du moins — des tableaux-exorcismes de Bosch.. . Ici, le thème des sorcières n'est plus qu 'un prétexte légitime à montrer des femmes nues. Le tableau de Francfort , du même artiste*^, ainsi que la suite de scènes de sorcellerie^^ dont le dessin précédent provient, révèlent encore une liberté pleine de sensuahté que nul autre sujet n'aurait permise : ni le Jugement de Pâris, ni les Nymphes à la fontaine, ni le Bain des femmes, autres sujets prétextes à dévoiler les nudités en toute bonne conscience. Ce n'est pas l 'arsenal grand-guignolesque — m e m b r e s ' d e squelettes épars, chaudrons fumants , chapelets d'osselets et de crânes, fourches, monstres d ive r s^ — qui arrivent à faire croire aux préparatifs d 'une épiphanie démoniaque. Même le Sabbat d 'Altdorfer^*, dessiné en 1506 et prototype de ceux de H. Baldung Grien, fait également appel à maints éléments de l 'imagerie de la sorcellerie sans nous convaincre pourtant de son caractère infernal. Seule peut-être la célèbre gravure sur bois de ce dernier peut faire i l lus ion^: l 'accent est moins mis sur les nus et le mouvement y est vraiment «infernal». Sans doute est-ce pour cette raison que «du plus érudit au plus mal informé, (chaque livre sur la sorcellerie l'utilise) pour montrer à quel point la crainte et la haine des sorcières étaient vives à cette da te» (. . .) mais « ce jugement simpliste ne résiste ni à l 'examen de ce qui, dans la gravure en fait une œuvre d ' a r t , ni à la connaissance des faits»^^. En effet , ce bois souvent tiré

et p . 100; b ibl iographie dans H. Baldung Grien — Aussiellung, Kar l s ruhe , Staat l ichc Kunsthal le , 1959, p . 92 n° 199. C o m m e n t a i r e s dans G . F . H A R T L A U B , H. Baldung Grien Hexenbilder, S tu t tgar t , 1961 ( W e r k m o n o g r a p h i e n z. b i ldenden Kunst in Rec lams Universa l -Bibl io thek, 61) , p. 16.

61. « D E R . C O R C A P E N . E I N G U T . J A R . » . 62. Die beiden Welterhexen. F ranc fo r t , Stâdelsches Kunst ins t i tu t , 1523. A u su je t de ce t ab leau , voir L .C .

H U L T S , « H . Ba ldung Gr i en ' s wea the r witches in F r a n k f u r t » , Panthéon, 4O2, 1982, pp . 124-130. 63. C h a q u e dessin, accompagné d ' une bonne notice b ib l iographique , est reprodui t dans C . K O C H , op.

cit., fig. 63, 64. 65, A17 et A19 . C o m m e n t a i r e global aux pages 30-32. Bibl iographie des figs 64 et 65 dans H. Baldung Grien — Aussiellung Karlsruhe. respect ivement n°s 142 et 144, p . 74. C o m m e n t a i r e s part iculiers p o u r p lus ieurs dessins dans G . F . H A R T L A U B , op. cir , p . 15, n° 6, p . 16, n° 8, p . 17, n° 9, p . 18, n ° l l . A no te r q u ' U r s Graf exécu ta une copie fidèle de la fig. 63: voir H. Baldung Grien — Aussiellung Karlsruhe. p. 121, n° 288. Sur le M o n o g r a m m i s t e H . F . don t deux gravures sont mani fes tement inspirées de H . Ba ldung G r i e n , voir G . F . H A R T L A U B , op. cit., p . 19, n° 12 et fig. 12 ainsi que H. Baldung Grien — Aussiellung Karlsruhe. p . 129. Sur l ' ensemble des scènes de sorcellerie dans l 'œuvre de H . Baldung G r i e n , voir éga lement G . R A D B R U C H , « H a n s Baldungs Hexenb i lde r» dans Eleganliae juris criminalis. 14 Sludien zur Geschichte des Strafrechts. deux ième édit ion revue et a u g m e n t é e , Bâle , Ver lag fu r Rech t und Gesel l schaf t , 1950, pp . 30-48.

64. Boucs et chats f igurent aussi f r é q u e m m e n t , ces deux an imaux ayant souvent é té cons idérés c o m m e des incarna t ions de Satan . Alain de Lille, Contra haereticos. 4, 1, 63 (Migne , P.L. 210, 1855, col. 366) a f f i rme m ê m e que les Ca tha re s t i ennent leur nom du démon-cha t qu' i ls h o n o r e n t : Vel Cathari dicuntur a cato. quia, ut dicitur, osculantur posteriora catti, in cujus specie, ut dicunl. apparet eis Lucifer.

65. Par is , Louvre , n° inv. 18867. B o n n e reproduct ion dans F. W I N Z I N G E R , Alhrechi AUdorfer. Zeich-nungen, M u n i c h , R. Piper & C o , 1952, fig. 2.

66. B o n n e reproduc t ion dans M . G E I S B E R G , The german single-leaf woodcut. p . 105. Bibl iographie dans H. Baldung Grien — Aussiellung Karlsruhe. p. 276, n° 76. C o m m e n t a i r e dans G . F . H A R T L A U B , op. cit., p . 15, n° 6.

67. Diables et diableries, p. 9 ( in t roduct ion de J . W I R T H ) .

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en deux teintes — ce qui permet ta i t de subtils clairs-obscurs — n'avait d 'autre fonction que celle de combler l 'amateur d 'ambiances nocturnes, macabres et érotiques, comme les gravures précédentes d'ailleurs. Le Pale­frenier ensorcelé^^, gravé par le même Baldung Grien, nous impressionne plus: le contraste entre la raideur de la victime gisant à l 'avant-plan et l'allure frémissante du cheval est saisissant. La scène qui se déroule sous les yeux de la sorcière armée d 'un brandon faisait sans doute écho à quelque récit de s o r t i l è g e M a i s à part cette gravure, peu d'évocations de ce genre recèlent un véritable contenu émotif .

L'unique artiste qui sut, à notre avis, traduire tqute l 'horreur que la figure de sorcière pouvait susciter, fut N. Manuel Deutsch. Dépouillé de tout élément anecdotique, son dessin^" livre une femme au rictus chargé de défi et dont la nudité dégradée par l'âge est encore provocante. L'acuité de la vision jointe à des qualités expressives exceptionnelles en font une œuvre hors du commun. On y sent, comme nulle part ailleurs, une peur égale de la Femme et de la Vieillesse, ces deux composantes majeures du fantasme de la sorcière^' . Pour la première fois, sans doute, une œuvre graphique donne la mesure de l'angoisse collective née de la croyance aux sorcières. Les pulsions sadiques qui l 'accompagnent se devinent par ailleurs chez les gra­veurs qui ont représenté, avec une certaine complaisance, le supplice des condamnées. Ainsi a-t-on parfois l'impression que ce sont leurs mains qui guident celles du bourreau attisant le feu du bûcher '^ . Il arrive pourtant — un bois polychrome d ' E . Schoen (c. 1491-1542) l 'atteste notamment ' '^ — que le bourreau ait un air plus démoniaque que sa victime. Le regard qu'ils échangent traduit, en tout é tat de cause, l ' incommunicabilité: la sorcière implore, le bourreau nargue, tandis qu'à l'arrière-plan un violent incendie embrase une ville fortifiée.

68. Bonne reproduct ion dans M . G E I S B E R G , The german single-leaf woodcui, p. 106. C H . A . M E S E N -Z E V A , « D e r behexte Sta l lknecht des H. B a l d u n g G r i e n » , Zeitschrifi fur Kunsigeschichie, 44,, 1981, pp. 57-61 y voit l ' i l lustration d ' un ép isode de la l é g e n d e du Chevalier Rechenberger (Le cheval du d iab le) . Voi r aussi G . F . H A R T L A U B , op. cil., p. 22, n° 16.

69. Sur les maléfices de l ' é t ab le , voir H . I N S T I T O R I S et J. S P R E N G E R , op. cit.. p . 399 et sur tou t pp . 420-422.

70. Ber l in , Cabine t des Es t ampes . B o n n e reproduct ion dans J. B O U S Q U E T , La peinture maniériste, Neuchâ te l , Ides et Ca lendes , 1964 (Ar s E u r o p a e , 1) p. 199.

71. Pour saisir l 'aspect an t i féminis te des f a n t a s m e s des persécuteurs , lire H . I N S T I T O R I S et J . S P R E N ­G E R , op. cit^ pp . 89, 97, 98, 198 et sq. Sur le processus de «diabol isat ion» de la f e m m e au Moyen Age et à la Renaissance , voir aussi J . D E L U M E A U , op. cil.. §10 (pp. 304-344).

72. Voir no t ammen t une gravure sur bo is de 1555 reprodui te dans A . S O L D A N , H . H E P P E et M . B A U E R , op. cit.. t. II , p. 57 (Exécu t ion d e t rois sorcières à Dernebe rg dans le C o m t é de Reins te in d a n s le Harz) .

73. Reprodu i t dans M. G E I S B E R G , The german single-leaf woodcut. t. IV, p. 1206 (Exécu t ion d ' une sorcière de Schilta en 1533).

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En contrepoint de ces scènes cruelles, les sorcières figurées par les artistes italiens apparaissent comme le fruit d'imaginations plus sereines^'*. Celles de L. de Vinci ont la fraîcheur et la grâce de l 'éternelle jeunesse et leur miroir magique semble peu redoutable : il ne réfléchit que des animaux et un faune Les Deux sorcières de Filippino Lippi sont à peine plus inquiétantes^^. Si leurs action — la confection de drogues dans une coupe —-les rapproche des sorcières nordiques, leur allure les en sépare totalement : drapées dans des voiles légers, elles évoqueraient plutôt quelque ménade grecque ou peut-être Médée. Le brasero, orné de protômes de boucs et de sphinges, rappelle aussi les bronzes hellénistiques. Tant donc L. de Vinci — par l 'adjonct ion d 'un faune — que Filippino Lippi, ont donné une allure «an t ique» à leurs scènes de sorcellerie. Cette volonté affirmée de les situer à une époque révolue, outre qu'elle caractérise bien l'idéal esthétique des artistes de la Renaissance italienne, suggère aussi un réel détachement vis-à-vis du suje t . Chez eux, la sorcellerie a pris place dans l 'Histoire et la Mythologie: elle n 'a plus rien de v i v a n t C ' e s t à cette même époque d'ailleurs que Dosso Dossi a peint une Circé^^ et que les représentations de Médée deviennent l é g i o n L e Parmesan^° et surtout le créateur de la célèbre «Carcasse» (Lo Stregozzo) gravée par M. A . Raimondi et A . Vénit ien^î , ont utilisé une autre forme de transposition: leurs scènes de sorcellerie ne sont plus rejetées dans un passé mythique, mais situées déhbérément dans l ' intemporalité de l 'espace fantastique. Subordonnés à la présence obsédante du squelette, la sorcière, les enfants, les jeunes gens et les boucs, forment un cortège plus étrange que vraiment diabolique. L'idée d 'une bacchanale a été a v a n c é e c e l l e d 'un culte de fécondité aussi*''. Pour nous, Lo Stregozzo est avant tout une œuvre irréelle ou plutôt «surréelle». Avec elle, la sorcellerie entrait dans la Fiction.

74. G . F . H A R T L A U B , op. cit., p . 17 men t ionne des pet i ts b ronzes de l 'école de Dona te l lo représen tan t des sorc ières chevauchan t un bouc .

75. Sorcières se servant d'un miroir magique. Dessin original conservé à la Bib l io thèque du Christ Church Collège à O x f o r d . Rep rodu i t dans G R I L L O T D E G I V R Y , op. cit., fig. 289. Sur les miroirs magiques , voir E S. R O C H E S , Miroirs, Galeries et Cabinets de glaces, Paris , H a r t m a n n , 1956, p . 17.

76. G . F . H A R T L A U B , op. cit., p. 17 et fig. 77. C u r i e u s e m e n t , les sorcières qui f igurent dans l ' i l lustration des contes d ' A p u l é e ou de Lucien, dans les

nouvel les éd i t ions de A . Weissenhorn et de H . Stein appara issent sous les trai ts de mat rones a l l emandes chevauchan t un balai ou sor tant d ' u n e cheminée . Voir à ce su je t M . G E I S B E R G , Die Deutsche Buchillustra-tion, r e spec t ivemen t , 1929, pl .45, fig.110; 1930, pl. 91, fig. 233 ( L ' A n e d 'o r ) e t 1931, pl. 383, fig. 857.

78. Na t iona l Galery of A r t s de Washington . Reproduc t ion dans J . B O U S Q U E T , op. cit., p . 244. Dosso Dossi est aussi l ' au teur d ' u n e Magicienne; son tableau est conservé au Musée des Off ices à Florence .

79. Voi r n o t a m m e n t Les sorcières, p . 80 n° 121 et 122 et p . 84 n° 133. 80. Sorcières allant au sabbat sur un monstre. G ravu re de B. Picart (1732) d ' ap rè s le dessin original du

Pa rmesan . R e p r o d u i t d a n s A . E . P O P H A M , Catalogue of the drawings of Parmigiano, New H a v e n , Yale University Press , 1971 ( T h e Frankl in Jasper Walls Lectures 1969 at the Pierpont Morgan Library) , 3 vol . , t. III , pl. 464.

81. L ' a u t e u r du dessin d ' ap rè s lequel la g ravure a é té fai te est inconnu. O n l 'a t t r ibue le plus généra lemen t à R a p h a ë l o u à Miche l -Ange . E ta t de la quest ion dans A . de W I T T , Marcantonio Raimondi. Incisioni scelte e annotate, F lo rence , La Nuova Italia, 1968.

82. Les sorcières, p. 49, n° 70.

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T Y P O L O G I E D E S S C È N E S D E S O R C E L L E R I E

Lo Stregozzo. G ravu re de M . - A . R a i m o n d i d ' a p r è s un dessin at t r ibué à Raphaë l ou à Miche l -Ange . (Copyr ight Graphische S a m m i u n g der E i d g . Tech . Hochshu le Zur ich) .

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Q u e conclure de ce survol rapide ? Pour nous en tenir tout d 'abord aux données objectives, nous dirons que c'est en pays germanique que le thème des sorcières fut le plus souvent traité par les artistes : les œuvres de Durer , Al tdor fe r , Baldung Grien, N. Manuel Deutsch, Burgkmair^'*, L. Cranach aussi, don t nous reparlerons, l 'attestent à suffisance; les livres illustrés également . Cette constatation n'a rien de surprenant . C'est dans ces ré­gions que la chasse aux sorcières s'est poursuivie avec le plus d'acharne­ment . O n sait en outre que la plupart de ces artistes avaient pris part aux luttes religieuses, sociales et politiques de leur t e m p s M ê m e Durer semble n 'ê t re pas resté insensible au sort des paysans révoltés^^, ces pauvres hères parmi lesquels se recrutaient la plupart des sorcières. En déduire que leurs œuvres sont «engagées» serait évidemment excessif: peu d'entre elles se signalent, en effet , comme plaidoyer ou comme réquisitoire, sauf peut-être l ' inquiétant dessin de N. Manuel Deutsch. Et même dans ce cas, c'est la peur de la Femme et de la Vieillesse, plus que de la sorcellerie, qui y est exprimée**'. Seules les gravures des traités de sorcellerie apparaissent par­fois pénét rées du ton polémique des écrits qu'elles illustrent. Mais la liberté qu 'ont prise souvent les graveurs vis-à-vis du texte éclaire bien la nature de leur product ion: il s'agit de transpositions et non de traductions. Les textes ont été doublés par des équivalents graphiques dont le choix et l ' interpréta­tion dépendent de la seule imagination picturale.

Si ce n'était donc pas pour les défendre ou les incriminer, pourquoi tant d 'art istes de la fin du Moyen Age et de la Renaissance ont-ils choisi de représenter des sorcières ? La réponse est sans doute contenue à la fois dans l 'histoire des mentalités et dans celle des styles. Nous avons vu en effet que la ma jo r i t é des scènes de sorcellerie ont été gravées sur bois ou sur métal. Or pour nous l'utilisation fréquente de ce procédé de reproduction rapide serait l ' indice d 'une forte demande résultant d 'un succès évident. Le carac­tère relat ivement conventionnel de l ' imagerie utilisée nous renforce dans cette impression. Rares sont en fait les œuvres qui se ressentent d 'une

83. C. G I N Z B U R G , Les batailles nocturnes. Sorcellerie et rituels agraires en Frioul (XVIème-XVllème siècles) ( t r a d . G . C H A R U T Y ) , Lagrasse. Verd ie r , 1980, p . 76 no te 1 (éd . orig. ital. 1966).

84. G r a v u r e sur bois illustrant le Weisskunig. O n y voit le j e u n e h o m m e et son maître lisant en t re une vieille f e m m e s u r m o n t é e d ' un diable (La SorceHerie) e t un mo ine su rmon té d ' un ange (L'Eglise) . L é g e n d e : Weisskunig wird.mit den Kiimten der Zauberei und ihrem gôttlichen Gegenmiltel bekanni gemachl. Voir F. L I P P M A N N , Kupfersiiche und Holzschnitte aller Meister in Nachbildungen. Berl in, Amsicr & R u t h a r d t . 10 vol . . t. IV , pl . 36.

85. L ' o u v r a g e de M . P I A N Z O L A , Peintres et Vilains, Les artistes de la Renaissance et la grande guerre des paysans de 1525. Paris, Cercle d ' A r t , 1962 en témoigne à su f f i sance ; main tes monograph ies éga lement .

86. Sur sa Mélancolie paysanne, selon l 'heureuse express ion de J. B I A L O T O C K I , ihid., p. 25 et J . -C. M A R G O L I N , «La réali té sociale dans l 'univers d ' A l b e r t D u r e r » dans Individu et Société à la Renaissance, Bruxel les , Ed i t ions de l ' U . L . B . , 1967 (Universi té Libre de Bruxel les . Travaux de l ' Insti tut pour l ' é tude de la Rena i s sance et de l ' H u m a n i s m e , 3) p. 246.

87. J . B O U S Q U E T , op. cit., p. 195 y voit aussi un mélange de «pervers i té es thé t ique» , d '«express ion­n i sme» et d e «cur ios i té é ro t i que» .

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La sorcière. Dessin de Nicolas Manue l D e u t s c h . (Copyr ight Staaliche M u s e e n Preussischer Kul turbes i tz Kupfers t ichkabinet t , Berl in , K d Z 8480).

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expérience émotive réellement créatrice sur le plan esthétique et iconogra­phique. Il semblerait plutôt que les artistes se soient contentés de puiser dans un réfèrent imaginaire collectif constitué de poncifs immémoriaux. Les boucs, hiboux, chaudrons fumants, ossements figurés par eux trouvent en effet leur origine dans les superstitions populaires et dans la littérature savante qui les a codifiées. Seule sans doute, la généralisation du type de la sorcière jeune et jolie, nue, aux formes voluptueuses peut leur être imputée. Cette métamorphose était évidemment nécessaire pour pouvoir donner Ubre cours à un certain voyeurisme. Et là ne résidait pas le moindre attrait du thème de la sorcellerie ! Ses connotations érotiques et macabres permet­taient ainsi aux artistes d'exprimer leurs fantasmes les plus osés en pleine période de redressement moral, leur art devenant plus que jamais un moyen d 'exprimer les pulsions sexuelles et de les subUmer. A vrai dire, cette recherche d 'effets étranges, cette attirance pour les décors fantastiques, le macabre , l 'érotisme, voire le sadisme, caractérisait aussi l 'esthétique manié-riste^^ non que toutes les œuvres dont nous avons parlé y participent, mais plus d ' une l 'annonce ou évoque l 'une de ses tendances. D'ailleurs, l 'esthéti­que gothique tardive, avec son goût pour le monstrueux et le macabre, n 'en contenait-elle pas les prémices?

Les artistes de la Renaissance avaient donc de bonnes raisons de représenter des sorcières. Doit-on leur en savoir g ré? Oui certes, et à plus d 'un ti tre. Outre le plaisir esthétique qu'elles procurent , leurs œuvres n'ont pas été inutiles. Il ne nous semble pas exagéré de prétendre qu'elles ont participé de manière sensible à l 'affaiblissement de la croyance aux sor­cières. E n les t ransformant en personnages mythiques ou en personnifica­tions de la Nature , les artistes opéraient — volontairement ou non — une distanciation favorable à l 'apaisement des passions. Devenues sans âge, les sorcières quittaient la scène contemporaine pour l 'Histoire ou la Légende. Rédui tes , de même, à l 'assemblage de beaux corps nus dans des poses suggestives, les scènes de sorcellerie suscitaient d 'autres sentiments que la crainte ! Même l 'ironie de certains peintres dut jouer un rôle favorable en ce sens: elle minimisa le phénomène de sorcellerie en le ridicuhsant. «C'est précisément ce passage ( . . . ) de la peur au rire qui a enlevé (à celui-ci) son caractère collectif »^^.

Q u e pensaient enfin les artistes de ces femmes misérables qu'ils trans­formaient délibérément en déesses dans leurs œuvres? Cinq curieux ta­bleaux de L. Cranach peuvent lever un coin de voile sur ce mystère. En

88. Ibid., p . 27. 89. J . C . B A R O J A , op. cit., p . 242.

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présentant chaque fois ses figures de Mélancolie rêvant, entourées d 'en­fants, à quelque sabbat, l 'artiste voulait-il uniquement nous rappeler leur ascendance saturnienne"" ou évoquer l 'Art hermétique"^^7 II nous semble­rait plutôt , qu 'à l'instar de quelques esprits éclairés de son temps, L. Cranach exprimait aussi de cette façon, le caractère illusoire de la sorcelle­rie, fruit des songes ténébreux des âmes mélancoliques. . . '^.

90. D e u x de ces tab leaux, da tan t de 1528 et de 1532, se t rouvent dans des collections privées en Suisse. Voi r D . K O E P P L I N et T. F A L K , L. Cranach. Gemâlde — Zeichnungen — Druckgraphik. Baie, Birkhai i ser , 1974, 2 vol . , t. I, p . 292 n° 171 et pp. 292-293 n° 172 où ils sont reproduits . Deux autres t ab leaux a p p a r t i e n n e n t , l 'un au Musée des Beaux-Ar t s de C o p e n h a g u e et l ' aut re , à la collection Volz à La H a y e . Rep roduc t ion dans G . F . H A R T L A U B , Arcana Artis, p . 296 fig. 2 et p. 297 fig. 3. Le tableau du C o m t e de Crawfo rd et Balcarres (1533) est reprodui t d a n s R . K L I B A N S K Y . E . P A N O F S K Y et F. SAXL, Saturn and Melancholy ; Sludies in ihe Hisiory of naiural Philosophy. Religion and Art, London , Nelson, 1964, fig. 128. L. Cranach a par ailleurs dessiné une sorcière chevauchant un bouc , au-dessus d 'une famille de cerfs , dans la marge du Livre d ' H e u r e s de l ' E m p e r e u r Maximil ien 1er, fol. 591 r°. Reprodui t et commenté dans Lucas Cranach d. à. . Dm gesamte graphische Werk ( in t roduc . J . J A H N ) , Munich, Rogner & Be rnha rd , 1972, pp . 90-91. D ' a p r è s J . W I R T H , «Cranach r e c o n s i d é r é » . Revue de l'An. 37, 1977, p. 95, les cerfs symbolise­raient la Luxure .

91. R . K L I B A N S K Y . E. P A N O F S K Y et F . S A X L , op. cil., p. 383. 92. G . F . H A R T L A U B . Arcana Arlis, p p . 296-306. 93. J. W I R T H . op. cil., p. 96 par le aussi d e s « f a n t a s m e s » des Mélancolies de L. Cranach. Le ca rac tè re

illusoire de la sorcellerie, admis dans le H a u t Moyen Age puis dénié généra lement à la Renaissance , fu t tou te fo is d é f e n d u par que lques humanis tes sous l ' inf luence des progrès de la médecine. Voir S . R . B U R -S T E I N , « D e m o n o l o g y and Medicine in the 16th and 17th. cent . », Folk-Lore, 67, 1956, pp. 16-37 cité pa r C . G I N Z B U R G , op. cil., p. 156. J . W I E R , médec in lu i -même soutint cette thèse dans son ouvrage Des illusions el imposlures des diables... paru en latin pour la p remiè re fois en 1579. Même H. I N S T I T O R I S et J . S P R E N G E R , op. cil., p. 457, répétant G u i l l a u m e d ' A u v e r g n e , ont admis que la maladie mélancol ique pouvai t expl iquer le délire de la f e m m e qui se juge i l lusoirement poursuivie par un démon incube.