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Paru dans « L’algérien en Europe » - n°257 – par Chérif Harbi Avec les petits algériens de Roscoff La Bretagne c'est à la fois « le pays des bois », l'Argoat en langue bretonne, et le « pays de la mer », l’Armor. Avec ses 600 km de côtes à vol d'oiseau, 1.100 km de routes épousant les découpages du rivage, la Bretagne s'avance au milieu de la mer comme la proue d'un navire. Région de caps vertigineux, d'innombrables plages de sable fin enserrées entre les rochers où s'étendant à perte de vue, des entassements de rocs tantôt roses (comme sur la côte de granit rose) tantôt gris ou mauves. La suite de ports abrités, donnent au littoral breton une variété infinie de paysages à la fois calmes et sauvages. Les éléments en ont fait aussi la côte la plus découpée de France, à la suite des assauts inlassablement répétés de l'Océan dont les vagues ont déchiqueté les rochers les plus durs. Les ancêtres des bretons utilisaient des matériaux trouvés sur place (notamment le granit et l’ardoise) pour en faire des maisons résistantes aux intempéries, ce qui subsiste dans les habitations rurales d'aujourd'hui, basses, hermétiques, solidement implantées dans le sol, paraissant défier l'usure des temps et des climats. Pays de cathédrales, de chapelles, de calvaires, de pardons (fétes religieuses qui à dates fixes groupent autour de chapelles, souvent des centaines, parfois des milliers de pélerins en costumes de fête et qui se célèbrent dans chaque bourg, chaque hameau), la péninsule bretonne est aussi et surtout le pays des monuments mégalithiques. Vestiges des temps préhistoriques : menhirs, pierres levées vers le ciel, immuables et mystérieux symboles de l'éternité, dolmens et allées couvertes qui semblent avoir été des autels ou des tombeaux. La Bretagne, c'est encore l'omniprésence de l'eau, mer ou rivières et canaux, vents d'ouest dominants, marées, caractérisant cette région qui par sa situation géographique, son climat est particulièrement favorable aux cures marines (celles-ci consistant en hydrothérapie marine, massage et rééducation) et à la thalassothérapie exploitation à des fins thérapeutiques des vertus curatives combinées de l'eau de mer, de l'air riche en iode et du climat marin. Les établissements les pratiques, à Roscoff notamment, où actuellement 70 enfants algériens sont en traitement.

Malades algériens au CHM de Perharidy

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Paru dans « L’algérien en Europe » - n°257 – par Chérif Harbi

Avec les petits algériens de RoscoffLa Bretagne c'est à la fois « le pays des bois », l'Argoat en langue bretonne, et le « pays de la mer », l’Armor.Avec ses 600 km de côtes à vol d'oiseau, 1.100 km de routes épousant les découpages du rivage, laBretagne s'avance au milieu de la mer comme la proue d'un navire.

Région de caps vertigineux, d'innombrables plages de sable fin enserrées entre les rochers où s'étendant àperte de vue, des entassements de rocs tantôt roses (comme sur la côte de granit rose) tantôt gris ou mauves.La suite de ports abrités, donnent au littoral breton une variété infinie de paysages à la fois calmes etsauvages. Les éléments en ont fait aussi la côte la plus découpée de France, à la suite des assautsinlassablement répétés de l'Océan dont les vagues ont déchiqueté les rochers les plus durs.

Les ancêtres des bretons utilisaient des matériaux trouvés sur place (notamment le granit et l’ardoise) pouren faire des maisons résistantes aux intempéries, ce qui subsiste dans les habitations rurales d'aujourd'hui,basses, hermétiques, solidement implantées dans le sol, paraissant défier l'usure des temps et des climats.Pays de cathédrales, de chapelles, de calvaires, de pardons (fétes religieuses qui à dates fixes groupentautour de chapelles, souvent des centaines, parfois des milliers de pélerins en costumes de fête et qui secélèbrent dans chaque bourg, chaque hameau), la péninsule bretonne est aussi et surtout le pays desmonuments mégalithiques. Vestiges des temps préhistoriques : menhirs, pierres levées vers le ciel, immuableset mystérieux symboles de l'éternité, dolmens et allées couvertes qui semblent avoir été des autels ou destombeaux.

La Bretagne, c'est encore l'omniprésence de l'eau, mer ou rivières et canaux, vents d'ouest dominants, marées,caractérisant cette région qui par sa situation géographique, son climat est particulièrement favorable auxcures marines (celles-ci consistant en hydrothérapie marine, massage et rééducation) et à la thalassothérapieexploitation à des fins thérapeutiques des vertus curatives combinées de l'eau de mer, de l'air riche eniode et du climat marin. Les établissements les pratiques, à Roscoff notamment, où actuellement 70 enfantsalgériens sont en traitement.

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Des enfants algériens en nombre croissant

Roscoff : un ancien repère de corsaires, remparts regardant le large, maisons anciennes des 1 6 è m e e t1 7 è m e s i è c l e , belles plages, calmes, embaumées de senteurs iodées, respirant lentement aurythme des marées. Aquarium. centre de biologie marine (du CNRS), grands viviers à langoustes. Portde pêche et station balnéaire, premier centre de thalassothérapie de France, avec sur la pointe de Perharidy,le Centre hélio-marin où 70 enfants algériens séjournent de trois mois à deux ans.

« La plupart viennent d’Alger (45 enfants), les autres sont f i ls et f i l les de travail leurs algériensémigrés en France, dans le cadre des accords de sécurité sociale entre la France et l’Algérie pourles premiers, les seconds pris en charge par la Sécurité Sociale ».

« Leur probléme essentiel, ajoute Monsieur Rousseau, est le manque d’enseignants en arabe ici. Lesenfants algériens nous arrivent scolarisés en arabe pour la majorité qui viennent d’Algérie. Or nous n'avonspas de professeur d'arabe au Centre, après 1 an, 2 a n s , iIs perdent tout contact avec leur culture etont des diff icultés énormes dans leur scolarité. Nous sommes contraints de les diriger vers leprimaire alors qu'i ls étaient dans le secondaire en Algérie. Lorsqu'ils sont en CES, ils ne suiventpas et le problème est grave. Il nous manque un professeur d'arabe qui puisse les « raccrocher » à leurlangue maternelle ».

Devant la gravité du problème.(« de plus en plus d'enfants algériens étant envoyés chez nous du fait quenotre établissement est de plus en plus connu »), le directeur a pris contact avec le Consul d'Algérie à Nantes,lui exposant le cas. Dans sa lettre, Monsieur Rousseau citait notamment l’exemple du jeune Azzedine.Ce dernier, venu d’A!gérie où il était en classe de 5e 2A3 au lycée de Kouba (et où il recevait; par conséquent unenseignement en langue nationale pour les mathématiques, les sciences, etc.) n'a pu poursuivre ses études,aucun enseignant en arabe ne se trouvant au Groupe Scolaire du Centre (qui comprend une école primaire et unC.E.S. dépendant du Ministère de l'Education Nationale).

Le jeune Azzedine a bien essayé de continuer ses études, en recevant ses cours par correspondance d'Alger,en les faisant corriger par son professeur du Lycée de Kouba mais celà n'a pas été possible. Le Consul de Nantesa répondu, en juin dernier, au directeur du Centre hélio-marin qu'il tenterait d'obtenir la venue d'un enseignant.Or, toujours rien.

Il faut saluer l’initiative d’un jeune médecin algérien, le Dr Djemaï, se spécialisant en France, qui travaillait au Centre, depuis 2 ansdonnait des cours d’arabe aux plus jeunes malades algériens, mais a aussi « tiré la sonnette d’alarme enquelque sorte, en alertant le Consulat de Nantes. Mais à présent, le travail du Dr Djemaï nécessite saprésence à Rennes et il ne peut plus venir à Roscoff.

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A part cette louable initiative personnelle, rien n’a été fait. La situation est d’autant plus grave que les séjoursde ces jeunes algériens s’échelonnent de 3 mois à 2 ans, selon les cas, un double problème se pose.

La réinsertion des jeunes malades est rendue difficile en Algérie, d'autre part la rupture avec la culture de leurpays est pratiquement générale, sauf pour quelques uns parmi les plus âgés. La question est d'autant pluscomplexe que ces malades ne peuvent avoir une profession manuelle, après leur guérison.

Il leur faudrait mettre à profit leur séjour à Roscoff pour préparer leur réinsertion dans une professionconvenant à leur état. Et le temps consacré à leur guérison au centre est quasiment perdu, grévant cruellementleur avenir.

Scolioses, poliomyélites...

Les problèmes de ces jeunes algériens sont donc spécifiques. Au déracinement inéluctable des enfantsalgériens en France, coupés de leur culture nationale s'ajoute une très mauvaise préparation à leur viefuture, puisque même guéris, ils resteront jusqu'à un certain point des handicapés. Car le centre hélio marinde Roscoff s'occupe de maladies graves, osseuses notamment.

L'air vif de Roscoff, extrêmement pur et saturé d'iode est renommé pour ses vertus fortifiantes. Le voisinage dugulf-stream lui confère un temps généralement doux et tempéré, une flore et une faune de région tempérée. Al'origine sanatorium marin, le centre hélio-marin de Roscoff, reconnu d'utilité publique en 1902, une capacitéde 500 lits. A la disparition de la tuberculose après la seconde guerre mondiale, il s'est orienté vers unedouble voie :

1) L'orthopédie infantile qui reçoit des enfants atteints d’affections osseuses ( non tuberculeuses), de lahanche, scolioses graves, maladie de la colonne vertébrale, poliomyélites. “C’est ce derniertype d’affection qui touche beaucoup d’enfants algériens envoyés ici », nous a expliqué lemédecin-chef, le Dr Guivarch, membre de la société française de pédiatrie. A celà, il faut ajouterun département de chirurgie et un service de rééducation fonctionnelle.

2) Le département médecine (par opposition à celui de chirurgie) qui traite les maladiesmétaboliques. Maladies des glandes endocrines, troubles de l’absorption abdominale quitouchent également la plupart des petits algériens, ici).

Ensuite. le traitement de mucovicidoses à manifestations respiratoires précoces. Enfin un secteurd’hémodialyse périodique (reins artificiels) qui permet le traitement des insuffisances rénales graves del’enfance.

« Nous possédons actuellement, précise le Dr Guivarch, un équipement important en hémodialyse: 9machines qui permettent au malade d’attendre que l’on trouve un rein à lui greffer ». En 1975, nousavons pratiqué 1.000 hémodialyses et 1 500 en 1976 ».

« Chacune des sections indique encore le rnédecin-chef du centre hélio•marin, est coiffée par uneautorité en matière médicale qui vient chaque semaine de l'hôpital des Enfants malades de Paris et del'hôpital Raymond Poincaré de Garches ( comme bon nombre de nos petits malades) . Nous avons, nous-même, sollicité le contrôle de médecins qui font autorité en la matière à Paris, afin que nos traitementsconservent une qualité de haut niveau ». A présent, nous envisageons la création d'une équipepluridisciplinaire ».

Pour avoir une idée de ce que représente la souffrance des jeunes malades, prenons un cas descotiose. Si la scoliose n’est pas trop grave, on la traite uniquement par orthopédie (corsets, p!âtres,etc.)) Sinon par opération chirurgicale.

Dans ce cas Ià, il faut d'abord préparer le malade par l'extension de la colonne vertébrale (étirement desvertèbres) afin de le redresser. Puis, opération chirurgicale sous traction ( à la fin de I ado!escence).et mises detiges. On adjoint des greffons. Les tissus osseux empêchent, les vertèbres de se rétracter. Enfin, on retire lestiges. Tout ceci nécessite des mois de position allongée pour le ma!ade. La plupart des traitementsréussissent. Un seul danger que la moelle épinière ne résiste pas ce qui arrive, pour les enfants

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Coupés de leur culture

Que ce soit le psychologue du centre hélio-marin, le Dr Tanguy, ou la directrice du groupescolaire, le souci essentiel des que l’on parle des enfants algériens, est le même que celui Directeur,M. Rousseau : l'absence d'enseignant d'arabe.

Le problème le plus grave est scolaire. Dans ce groupe scolaire comprenant 3 écoles :

• la maternelle, • le primaire de 6 à 11ans • le C.E.S. jusqu’à 16 ans).

On compte 57 enfants algériens sur les 70 que compte le Centre hélio-marin. Ils sont répartis ainsi :

• 15 dans le primaire, • 17 en Classe d'adapation, • 3 en classe de perfectionnement, • 6 en CP d'attente • 16 en maternelle.

Dans l’une de ces classes. Fatima qui était lycéenne en Algérie âgée de 19 ans , depuis bientôt 2 ans aucentre, soignée pour scoliose. De petite taille, très timide, en col roulé, la tête prise dans une sorte dediadème de métal, la poitrine légèrement par l’appareil qui lui tient le dos droit. Elle sourit en baissantles yeux. Sa scolarité est gravement perturbée.

Tout au long des discussions avec la douzaine d'Algériens et d’Algériennes que nous avonsrencontrés dans le Centre, il ressort que s'ils sont très bien traités et soignés, ils se sentent isolés, leproblème s’aggravant au fur et à mesure que l’on descend dans la pyramide des âges.

Entouré d'un groupe de jeunes filles, nous parlons de leur vie au Centre.. de leurs petits problèmes (parexernp!e, l'argent de poche qui manque du fait qu'on ne peut leur en envoyer du pays, alors qu'il en faudrait sipeu, 50 à 100 francs pour les plus grands). Nous parlons du pays en Arabe ( ce qui leur manque et qu'on leurreproche, parfois, de pratiquer entre elles ... ).

Les filles,

• Nacira, 13 ans, ici depuis 6 mois. Hourya, 16 ans, au centre depuis 9 mois, • Soraya, 14 ans, soignée depuis 9 mois. • Fatima 23 ans, depuis 2 ans à Roscoff, les yeux pétillants de malice, forte personnalité, pratiquement

guérie. Malika, 22 ans, arrivée de l'hôpital Raymond Poincaré de Garches, qui suivait des cours decouture à Alger où habitent ses parents. Allongée sur une table roulante, le haut du corps pris dansun plàtre.

• Anissa d'Alger. 20 ans. • Djamila d'Oran, 16 ans etc....

Et les garçons,

• Salah Eddine de Kouba, 12 ans, répondant nerveusement lorsqu'on lui demande la nature del'affection pour laquelle il est soigné depuis 7 mois :« un pied-bot, c'est pour un pied-bot ».

• Fethi, de Mostaganem, 12 ans, au centre depuis un an et demi, fils d'émigré. Le père est conducteurd'engin sur l'aire d'atterrissage à Orly, seul en France alors que toute la famille se trouve au pays.

• Ahmed, même chose, son père est dans le bâtiment à Paris. Ahmed 12 ans, soigné depuis 2 ans etdemi pour une poliomyélite.

• Hafafsi, 13 ans, tunisien dont les parents sont émigrés en France. • Zouheir, 11 ans, marocain. • Omar, de Tiaret, 14 ans, ici depuis 2 ans, reparti, revenu voici 3 mois (une hanche bloquée). Polo à

manches courtes par dessus sa chemise, pantalons à rayures, de grands yeux vifs. Omar a parlé deson père, son grand-père, de sa famille en l'Algérie, longuement,

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Avant la rentrée scolaire

Ainsi, la difficulté essentielle à laquelle sont confrontés ces 70 enfants algériens, très bien traités et,soignés, il faut le dire dans ce centre hélio-marin de Roscoff, est le manque de professeur,d'enseignant en arabe.

Celà, leur cause de graves perturbations dans leur scolarité, les isole de leur propre culture, au pointque certains ne parle même plus leur langue.

Celà concerne aussi bien ceux qui viennent du pays et qui y retournerons, après leur traitement queceux dont les parents sont émigrés en France.

Le directeur du Centre, ainsi que les responsables divers, sont confrontés chacun à son niveau, àcette grave situation. Le consulat en a été a avisé.

Toujours pas d'enseignant. Nul doute que le Consulat a transmis à qui de droit.

Alors ? Il faut prendre des disposition avant la rentrée scolaire. Un enseignant peut être détaché, leDirecteur du centre hélio-marin de Roscoff, pour sa part, est prêt à faciliter les choses, l’hébergementdu professeur compris.

De plus, il est nécessaire que l’on aille de temps en temps leur rendre visite. On ne peut laisser nosenfants abandonnés ainsi. D’autant qu’il va en arriver de plus en plus..La direction des Affaires Culturelles ou le service social de l’Amicale des Algériens en Europe nepeuvent-ils trouver une solution ? Il faut aussi envoyer régulièrement une assistante sociale à Roscoffpour règler divers petits problèmes. A l'approche du. Rhamadan, et donc de l'Aïd el-Kebir, pour neparler que de cette fête, il faut se préoccuper des petits algériens de Roscoff lors de diverses datesmarquantes.

Les séjours de ces enfants s’échelonnant de 3 mois à 2 ans. Et parfois plus, la « coupure » est gravepour eux et lourde de conséquence, à leur guérison, à leur retour.

Etre marqué dans son corps à un âge ou l'on a tout à espérer de la vie, ne doit pas s'aggraver dutraumatisme de l’isolement culturel. Préserver la culture nationale de ces enfants est un devoir.

« Nous plaçons en vous tous nos espoirs » disait le directeur du centre hélio-marin de Roscof f .

Chérif Harbi