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Table ronde © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2013;20:111-112 111 Vaccinations des immunodéprimés Correspondance. e-mails : [email protected] ; [email protected] 1. Contexte Les maladies auto-immunes sont des maladies rares chez l’en- fant alors que chez l’adulte leur prévalence estimée est entre 5 et 10 % de la population. A l’âge pédiatrique, les plus fréquentes sont le diabète insulinodépendant, la maladie cœliaque, le PTI, les pathologies thyroïdiennes, le lupus érythémateux disséminé. Beaucoup plus rares sont la sclérodermie, la myasthénie, le syn- drome de Goujerot-Sjögren, la dermato-polymyosite, la sclérose en plaques, les hépatites auto-immunes, la maladie d’Addison. Les maladies inflammatoires chroniques, intestinales et rhuma- tologiques (arthrites juvéniles) ou auto-inflammatoires sont ici rattachées à ce contexte. Les biothérapies sont de plus en plus utilisées en première ou seconde ligne, et ont révolutionné le pronostic des maladies inflammatoires : anti-CD20 (rituximab), anti- TNFalpha (étanercept, adalimumab, infliximab), anti-IL1 (anakinra, canakinumab, rilonacept), anti-récepteur de l’IL6 (tocilizumab), abatacept. Les maladies auto-immunes ou inflammatoires elles-mêmes et leurs traitements s’accompagnent d’un excès de risque infectieux, parfois très spécifique (anti- TNF et mycobactéries ou varicelle-zona, rituximab et entérovirus, hépatite B ou JC virus). La prévention de ces infections passe par la diffusion d’une conduite à tenir claire en cas de contage (varicelle, tuberculose), en cas de voyage en zone d’endémie, par le dépistage et le traitement précoce d’une infection avant début du traitement (anti- TNF), par une prophylaxie par les immunoglobulines poly- valentes ou les anti-infectieux et par la vaccination de l’enfant et de son entourage. Alors que ce risque d’infections graves est bien documenté, paradoxalement, ces enfants sont souvent moins bien vaccinés que les enfants indemnes de maladies chro- niques. Les principales réserves tiennent aux craintes de maladie vaccinale ou de poussée de la maladie après vaccination, et aux incertitudes sur l’immunogénicité et l’efficacité clinique. Les recommandations de vaccinations disponibles pour ces patients sont essentiellement basées sur un accord professionnel – avis d’expert [1-3]. L’analyse bénéfice-risque s’appuie sur une littérature parcellaire, souvent de faible niveau de preuve scien- tifique, assez ciblée sur certains vaccins (hépatite B, grippe, ROR, pneumocoque), ou certaines maladies parmi les plus fréquentes (lupus, arthrites juvéniles, polyarthrite rhumatoïde, maladie inflammatoire intestinale). Les études d’immunogénicité ou d’efficacité clinique sont difficiles à construire compte tenu de la multiplicité des contextes différents, dans des maladies elles- mêmes rares. L’élaboration de ces recommandations se construit autour des questions suivantes. 2. Les vaccins induisent-ils un risque de poussée de la maladie sous jacente ? Si l’association entre le ROR et le PTI a été montrée dans plusieurs études cas – témoins avec un risque de 1-4/100 000 doses, en revanche, le lien entre le vaccin anti-hépatite B et la survenue de maladies démyélinisantes n’a pas été confirmé. De même, l’absence d’effet des vaccins sur l’évolution d’une maladie auto- immune a été démontrée dans des contextes variés de maladies ou de traitements, le plus souvent chez des adultes : lupus et vaccin anti-pneumocoque, grippe ou hépatite B, hépatite auto- immune et vaccin combiné hépatite A et B, maladie inflamma- toire intestinale et vaccin hépatite B, arthrite chronique juvénile et ROR, rituximab et vaccin anti-grippal, maladie inflammatoire traitée par infliximab, étanercept ou tocilizumab et vaccin anti- grippal. L’infection contre laquelle on veut protéger l’enfant peut elle- même déclencher une poussée de la maladie auto-immune ou inflammatoire (pneumocoque, rougeole, grippe). L’information suivante peut ainsi être donnée : d’après les données publiées, le risque de poussée de la maladie auto-immune n’a pas été confirmé. Ce risque reste théorique, alors que le risque infectieux est réel, supérieur ou au moins égal à celui de la population générale. 3. Existe-t-il un risque de maladie vaccinale après la vaccination ? Les vaccins vivants (BCG, fièvre jaune, ROR, varicelle) sont contre- indiqués chez les sujets recevant une biothérapie. Le délai à respecter pour la reprise des vaccins vivants, après l’arrêt de ces traitements est au minimum de 3 mois (6 mois après un traitement par rituximab). La mise à jour des vaccins vivants (ROR, vaccination contre la fièvre jaune en cas de voyage prévu en zone d’endémie) est recommandée si elle est possible ou nécessaire, au moins 2 semaines avant d’instaurer le traitement. Maladies auto-immunes et biothérapies N. Aladjidi a , M.-A. Dommergues b a Centre de référence des cytopénies auto-immunes de l’enfant (CEREVANCE), Hôpital Pellegrin, 33000 Bordeaux, France b Expert INFOVAC, centre hospitalier André Mignot, 78150 Le Chesnay, France

Maladies auto-immunes et biothérapies

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© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.Archives de Pédiatrie 2013;20:111-112

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Vaccinations des immunodéprimés

Correspondance. e- mails : nathalie.aladjidi@chu- bordeaux.fr ; madommergues@ch- versailles.fr

1. ContexteLes maladies auto- immunes sont des maladies rares chez l’en-fant alors que chez l’adulte leur prévalence estimée est entre 5 et 10 % de la population. A l’âge pédiatrique, les plus fréquentes sont le diabète insulinodépendant, la maladie cœliaque, le PTI, les pathologies thyroïdiennes, le lupus érythémateux disséminé. Beaucoup plus rares sont la sclérodermie, la myasthénie, le syn-drome de Goujerot- Sjögren, la dermato- polymyosite, la sclérose en plaques, les hépatites auto- immunes, la maladie d’Addison. Les maladies inflammatoires chroniques, intestinales et rhuma-tologiques (arthrites juvéniles) ou auto- inflammatoires sont ici rattachées à ce contexte. Les biothérapies sont de plus en plus utilisées en première ou seconde ligne, et ont révolutionné le pronostic des maladies inflammatoires : anti- CD20 (rituximab), anti- TNFalpha (étanercept, adalimumab, infliximab), anti- IL1 (anakinra, canakinumab, rilonacept), anti- récepteur de l’IL6 (tocilizumab), abatacept.Les maladies auto- immunes ou inflammatoires elles- mêmes et leurs traitements s’accompagnent d’un excès de risque infectieux, parfois très spécifique (anti- TNF et mycobactéries ou varicelle- zona, rituximab et entérovirus, hépatite B ou JC virus). La prévention de ces infections passe par la diffusion d’une conduite à tenir claire en cas de contage (varicelle, tuberculose), en cas de voyage en zone d’endémie, par le dépistage et le traitement précoce d’une infection avant début du traitement (anti- TNF), par une prophylaxie par les immunoglobulines poly-valentes ou les anti- infectieux et par la vaccination de l’enfant et de son entourage. Alors que ce risque d’infections graves est bien documenté, paradoxalement, ces enfants sont souvent moins bien vaccinés que les enfants indemnes de maladies chro-niques. Les principales réserves tiennent aux craintes de maladie vaccinale ou de poussée de la maladie après vaccination, et aux incertitudes sur l’immunogénicité et l’efficacité clinique.Les recommandations de vaccinations disponibles pour ces patients sont essentiellement basées sur un accord professionnel – avis d’expert [1-3]. L’analyse bénéfice- risque s’appuie sur une littérature parcellaire, souvent de faible niveau de preuve scien-tifique, assez ciblée sur certains vaccins (hépatite B, grippe, ROR, pneumocoque), ou certaines maladies parmi les plus fréquentes (lupus, arthrites juvéniles, polyarthrite rhumatoïde, maladie

inflammatoire intestinale). Les études d’immunogénicité ou d’efficacité clinique sont difficiles à construire compte tenu de la multiplicité des contextes différents, dans des maladies elles- mêmes rares. L’élaboration de ces recommandations se construit autour des questions suivantes.

2. Les vaccins induisent- ils un risque de poussée de la maladie sous jacente ?Si l’association entre le ROR et le PTI a été montrée dans plusieurs études cas – témoins avec un risque de 1-4/100 000 doses, en revanche, le lien entre le vaccin anti- hépatite  B et la survenue de maladies démyélinisantes n’a pas été confirmé. De même, l’absence d’effet des vaccins sur l’évolution d’une maladie auto- immune a été démontrée dans des contextes variés de maladies ou de traitements, le plus souvent chez des adultes  : lupus et vaccin anti- pneumocoque, grippe ou hépatite B, hépatite auto- immune et vaccin combiné hépatite A et B, maladie inflamma-toire intestinale et vaccin hépatite B, arthrite chronique juvénile et ROR, rituximab et vaccin anti- grippal, maladie inflammatoire traitée par infliximab, étanercept ou tocilizumab et vaccin anti- grippal.L’infection contre laquelle on veut protéger l’enfant peut elle- même déclencher une poussée de la maladie auto- immune ou inflammatoire (pneumocoque, rougeole, grippe). L’information suivante peut ainsi être donnée : d’après les données publiées, le risque de poussée de la maladie auto- immune n’a pas été confirmé. Ce risque reste théorique, alors que le risque infectieux est réel, supérieur ou au moins égal à celui de la population générale.

3. Existe- t-il un risque de maladie vaccinale après la vaccination ?Les vaccins vivants (BCG, fièvre jaune, ROR, varicelle) sont contre- indiqués chez les sujets recevant une biothérapie. Le délai à respecter pour la reprise des vaccins vivants, après l’arrêt de ces traitements est au minimum de 3  mois (6  mois après un traitement par rituximab). La mise à jour des vaccins vivants (ROR, vaccination contre la fièvre jaune en cas de voyage prévu en zone d’endémie) est recommandée si elle est possible ou nécessaire, au moins 2 semaines avant d’instaurer le traitement.

Maladies auto- immunes et biothérapiesN. Aladjidia, M.- A. Dommerguesb

aCentre de référence des cytopénies auto- immunes de l’enfant (CEREVANCE), Hôpital Pellegrin, 33000 Bordeaux, France bExpert INFOVAC, centre hospitalier André Mignot, 78150 Le Chesnay, France

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N. Aladjidi, et al. Archives de Pédiatrie 2013;20:111-112

(GEVAC- CIM) a publié en  2009 des recommandations de vaccinations des adultes atteints de maladie auto- immune ou d’immunodéficience médicamenteuse, basées sur 3  cycles de questionnaires remis à 30  experts entre  2005 et  2007  [1]. Le groupe d’experts européen de l’European League Against Rheu-matism (EULAR) a publié en 2011 des recommandations pour la vaccination des enfants ayant une maladie rhumatismale, basées sur la revue de la littérature jusqu’à fin 2010, soit 107 publica-tions dont 26 concernent spécifiquement l’enfant [2]. Enfin, le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) a émis en Février 2012 des recommandations pour la vaccination des personnes immu-nodéprimées ou aspléniques, incluant les patients atteints d’une maladie auto- immune et traités par biothérapie [3].Chaque situation justifie une concertation singulière entre le médecin de ville (pédiatre ou médecin généraliste, médecin sco-laire, médecin de PMI) en première ligne, et le médecin spécia-liste. Ensemble, et dans le cadre des recommandations, il s’agit d’ajuster les informations données à l’enfant et à ses parents, et d’obtenir leur confiance et leur consentement. Dès le début de la prise en charge de ces maladies, le pédiatre vérifie le carnet de santé de l’enfant afin d’effectuer les mises à jour nécessaires. L’attitude souvent préconisée, qui est d’attendre d’être à distance d’une poussée de la maladie pour vacciner, peut être délétère. Il est recommandé de poursuivre le calendrier vaccinal normal avec les vaccins inactivés, et de réaliser la vaccination annuelle contre la grippe saisonnière. La prévention des infections invasives à pneumocoques doit être poursuivie au- delà de l’âge de 2  ans, l’administration du vaccin polysaccharidique 23- valent devant toujours être précédée d’au moins une dose de vaccin conjugué 13- valent. Même si les vaccins vivants sont généralement contre- indiqués, une revaccination par le vaccin combiné ROR ou fièvre jaune est discutable en fonction du contexte et du traitement. Pour finir, il est important de penser à déclarer aux services de pharmacovigilance toute suspicion d’effet indésirable grave ou inattendu du vaccin.

Références[1] Duchet- Niedziolka P, Launay O, Coutsinos Z, et al. Vaccination in

adults with auto- immune disease and/or drug related immune deficiency: results of the GEVACCIM Delphi survey. Vaccine 2009;27:1523-9.

[2] Heijstek MW, Ott de Bruin LM, Borrow R, et al. Vaccination in pae-diatric patients with auto- immune rheumatic diseases: a systemic literature review for the European League against Rheumatism evidence- based recommendations. Autoimmun Re 2011;11:112-22.

[3] Haut Conseil de la Santé Publique. Avis relatif aux recomman-dations vaccinales spécifiques des personnes immunodéprimées ou aspléniques. 16 Février 2012. Disponible sur  : www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapports.

Les références complètes peuvent être obtenues sur demande auprès des auteurs.

Les nourrissons exposés in utero aux anti- TNF ne doivent pas recevoir de vaccin vivant pendant les 6 premiers mois de vie, un décès ayant été rapporté après vaccination par le BCG.Il n’existe pas de contre- indication pour l’utilisation de vaccins vivants pour les enfants avec une maladie auto- immune ou auto- inflammatoire ne recevant pas de traitement immunosup-presseur, ou lorsque ceux- ci ont été arrêtés dans les 3 à 6 mois précédents. Il n’a pas été montré de maladie vaccinale ou de manifestation d’intolérance après vaccin inactivé, sous unitaire ou polysaccharidique.

4. L’immunogénicité et l’efficacité clinique de la vaccination sont- elles modifiées par la maladie auto- immune/inflammatoire ou son traitement ?Les données disponibles concernant l’effet des différentes biothérapies sur l’immunogénicité des vaccins inactivés (essen-tiellement grippe et pneumocoque) méritent d’être confirmées. Devant la diminution de la réponse immune à un vaccin inactivé pratiqué 1 à 6 mois après rituximab, il est préconisé de vacciner avant traitement. L’immunogénicité des vaccins inactivés semble plutôt conservée sous anti- TNF, anti- IL1 ou anti- IL6, mais les résultats des études sont parfois contradictoires. On ne dispose d’aucune estimation satisfaisante de l’efficacité clinique des vaccins du fait de la relative rareté des maladies prévenues par les vaccins et des effectifs à inclure dans ces études.Le dosage des anticorps résiduels post- vaccinaux peut aider à reporter la décision de vaccination, si le titre est toujours pro-tecteur, en cas de réticences des médecins ou des parents ou de voyage en zone endémie pour la fièvre jaune. A titre individuel, et au mieux dans le cadre d’études collaboratives prospectives de groupes de patients homogènes, la vérification de la sérologie 1 à 3 mois après la vaccination peut être utile.

5. L’entourage familial d’un enfant malade doit- il recevoir des vaccinations spécifiques ?Les vaccins contre la rougeole, les oreillons, la rubéole et la vari-celle sont recommandés pour les contacts réceptifs des sujets immunodéprimés, ainsi que la vaccination annuelle contre la grippe.

6. RecommandationsDes recommandations spécifiques émanent des autorités de santé ou des sociétés savantes, elles doivent être régulièrement révisées en fonction de l’évolution des connaissances. Le Groupe français d’Etude sur la VACCination des Immunodéprimés