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1 MANILIUS ASTRONOMIQUES/ ASTRONOMICON http://remacle.org/bloodwolf/erudits/manilius/table.htm

Manilius Les Astronomiques

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MANILIUS ASTRONOMIQUES/ ASTRONOMICON

http://remacle.org/bloodwolf/erudits/manilius/table.htm

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EXTRAIT DE LINTRODUCTION DE PINGR SUR MANILIUS. Manilius est ordinairement nomm Marcus Manilius, dautres lui donnent le prnom de Caius, et le nom de Mallius ou de Manlius. On a mme dout sil portait aucun de ces noms : le plus ancien manuscrit quon connaisse de son ouvrage est anonyme de la premire main. On nest pas plus instruit sur la patrie de cet auteur : un vers du quatrime livre a fait penser quelques critiques quil tait Romain; mais nous croyons ainsi que Bentlei, qu ce vers nest pas de Manilius : dailleurs il prouverait tout au plus que lauteur crivait Rome, niais non pas quil fut Romain dorigine. Dautres ont conjectur quil tait tranger; ils ont cru pouvoir le conclure de son style. En effet, ce pome est rempli dexpressions, de tournures nergiques et potiques, il est vrai mais singulires, et quon ne trouverait pas facilement dans un pote du mme sicle. Manilius le sentait sans doute lui-mme : il sen excuse sur la nouveaut et sur la difficult du sujet quil stait impos de traiter. Manilius crivait sous Auguste; cest une vrit qui nest plus rvoque en doute. Il parle de la dfaite de Varus, arrive cinq ans avant la mort dAuguste; la composition de son pome doit donc tre rapporte aux dernires annes du rgne de ce prince. Mais, a-t-on dit, si Manilius a crit avant la mort dAuguste, pourquoi Ovide, pourquoi Quintilien, pourquoi aucun ancien auteur na-t-il parl ni de lui, ni de ses Astronomiques? Le silence dOvide nest pas surprenant. Ce pote, Trist. l. iv, El. 10, ne nomme que ceux avec lesquels il avait t en relation lorsquil tait encore jeune; et de Pont. l. iv, El. 16, il ne fait mention que de ceux qui florissaient Rome avant son exil. Or Manilius ne florissait pas Rome, il ny tait peut-tre pas mme avant lexil dOvide: ou sil y tait, il tait du nombre de ceux quOvide navait pas droit de nommer, disait-il, parce quils navaient rien publi. Essent et juvenes, quorum quod inedita causa est, Appellandorum nil mihi juris adest Quant aux autres anciens, on a rpondu que pareillement aucun deux navait parl de Phdre, de Quinte-Curce, de Vellius Paterculus. On pourrait imaginer une cause assez naturelle de ce silence, par rapport Manilius. Ce pote, l. 1, v. 112 et suiv., souhaite une longue et paisible vieillesse, pour avoir le temps de mettre la dernire main son pome: nous souponnons que ses voeux nont pas t exaucs. son ouvrage est en effet incomplet : il promet de parler du cours et des proprits des plantes, des effets de leurs aspects, de leur combinaison avec les dcanies et les dodcatmories des signes; avec les douze maisons clestes, avec les douze sorts, de lnergie des constellations leur coucher, de plusieurs autres objets, dont on ne trouve rien dans son ouvrage. Nous croyons quon peut supposer que ce pome na pas t achev : il na pas t publi; il est rest inconnu jusquau rgne de Constantin; il sest trouv alors en la possession de Julius Firmicus Maternus, qui nous en a laiss un commentaire, ou plutt une simple traduction en prose, sans nous instruire de la source o il avait puis, tant ce quil nous dit daprs Manilius que ce quil ajoute la doctrine de ce pote, sans doute daprs des auteurs galement anciens. Depuis Firmicus, lexemplaire autographe de Manilius sera encore rest enseveli sous la poussire, jusqu ce quenfin, vers le dixime sicle, il a t retrouv en fort mauvais tat, et presque consum de vtust. On a commenc alors par en tirer des copies, dont quelques-unes sont parvenues jusqu nous. Tout cela sans doute nest quune supposition, mais tout cela est possible, tout cela nous parat mme extrmement

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probable; on peut conclure quil ne doit point paratre surprenant quOvide, Quintilien, etc., naient fait aucune mention dun ouvrage qui navait pas t publi. Le titre du pome est Astronomicon: lexemple de plusieurs savants critiques, et nommment de Bentlei, nous croyons que ce mot est un gnitif pluriel, et nous le traduisons par les Astronomiques de Manilius, comme on dit les Gorgiques de Virgile. Il serait plus juste titre intitul les Astrologiques: mais la distinction entre lastronomie et lastrologie tait inconnue du temps de Manilius. Cet auteur tait pote, son ouvrage le prouve: nous doutons quil ft astronome; il rassemblait et parait des fleurs de la posie ce quil trouvait en diffrents auteurs grecs et latins; il ne faut donc pas stonner sil se contredit quelquefois. Son pome est divis en cinq livres. Le premier livre traite de la sphre cleste. Il souvre par un bel exorde sur les premiers auteurs de lastronomie et sur les progrs des sciences humaines. Le pote traite ensuite de lorigine du monde, des diverses opinions des philosophes sur ce sujet, des lments, et de la rondeur ou sphricit de la terre, du ciel et des astres. Il fait le dnombrement, des signes du zodiaque et des constellations extra-zodiacales. Il dmontre lexistence de Dieu par lordre constant des mouvements clestes: ce Dieu est, selon lui, lme du monde; en consquence il attribue la divinit lunivers. Il dveloppe tout ce qui concerne les cercles de la sphre, au nombre desquels il met la voie lacte : il expose les diffrentes opinions des philosophes sur la nature de cette voie, ce qui donne lieu quelques pisodes. Il rapporte enfin les diverses ides des anciens sur la nature et la gnration des comtes : il noublie pas les dsastres dont on prtendait alors que ces astres taient les avant-coureurs; ce qui amne de nouvelles descriptions dignes dun pote du sicle dAuguste. Ce premier livre est intressant dans sa totalit. Le second et le troisime livre sont appels par Scaliger Isagogiques, cest--dire introducteurs ou prparatoires, parce quils ne contiennent que des dfinitions, sans aucune application lart de pronostiquer les vnements futurs. Dans le second, Manilius donne dabord un prcis des diffrents sujets traits par Homre, Hsiode et dautres potes. Il sapplaudit dtre le premier qui ait entrepris de chanter les proprits et lnergie des astres leur activit sur les corps terrestres est dmontre, selon lui, et tout ce qui la concerne nest pas au-dessus de la porte de lintelligence humaine. Ce long exorde est encore intressant : nous voudrions pouvoir en dire autant du reste du livre; mais ce ne sont plus que dinsipides rves astrologiques sur les diffrentes divisions des signes du zodiaque. Il est cependant curieux de voir avec quelle varit, avec quelle force de gnie Manilius traite des matires aussi ingrates. Signes masculins, signes fminins; signes diurnes, signes nocturnes; signes terrestres, signes aqueux, signes amphibies; signes fertiles, signes striles, etc. Aspects des signes, trine, quadrat, sextil, oppos; qualits bonnes ou mauvaises de ces aspects. Signes qui sont sous la protection de chaque dieu; signes qui dominent chaque partie du corps humain; signes qui se voient, qui sentendent rciproquement, qui saiment, qui se hassent : au sujet de ces derniers, le pote fait une vive et belle sortie contre la dpravation des moeurs de son sicle. Division de chaque signe en douze dodcatmories; dodcatmories des plantes. Division du ciel en douze maisons; proprits et nergie de ces douze maisons. Tels sont les objets, extrmement importants suivant Manilius, qui forment la matire de son second livre. Lexorde du troisime livre roule sur ce dont Manilius ne traite pas : il se fait lire avec plaisir. Le pote fait sentir la difficult de la tche quil sest impose. On trouve ensuite la division du zodiaque en douze athles ou sorts, dont le premier est celui de la fortune. Moyen de trouver le lieu de ce premier sort, et de dterminer celui de lhoroscope, cest--dire le point de lcliptique qui est lhorizon dans la partie orientale du ciel, tous les instants du jour et de la nuit. Il nest pas vrai que les signes emploient tous galement deux heures monter audessus de lhorizon lingalit des heures quon employait alors, et lobliquit variable de lcliptique sur lhorizon, doivent produire de lingalit dans la dure du lever des signes. Il

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faut dabord employer des heures gales, telles quelles sont au temps des quinoxes. On peut aussi mesurer la dure du lever des signes par stades; et stade, dans la doctrine de Manilius, est un arc de lcliptique qui emploie deux minutes de temps se lever ou se coucher. Stades contenus dans chaque signe, et temps que choque signe emploie monter au-dessus de lhorizon, ou descendre au-dessous. Diffrence entre la dure des jours depuis lquateur, sous lequel les jours et les nuits sont galement, durant tout le cours de lanne, de douze heures, jusquau ple, sous lequel il ny a dans lanne quun seul jour et une seule nuit, lun et lautre de six mois continus. Rgle assez ingnieuse pour trouver, mais peu prs seulement, le temps que chaque signe met se lever ou sa coucher, sous quelque latitude que ce soit. Autre rgle de mme espce, pour dterminer laccroissement ou le dcroissement des jours sous chaque signe. Manilius revient son astrologie; il prtend nous apprendre quelles annes, quels mois, quels jours et quelles heures de notre vie appartiennent chaque signe, et le nombre dannes de vie qui nous est promis, tant par chacun des douze signes que par; chacune des douze maisons clestes. Le livre est termin par la dfinition des signes tropiques, ou qui prsident aux saisons, ce qui donne lieu une belle description des quatre saisons de lanne. Scaliger nomme le quatrime et le cinquime livre, Apotlesmatiques, ou dcisifs, parce que le pote y traite des dcrets des astres, cest--dire de leur action, de leur influence sur les destines des hommes. Il ouvre le quatrime par un exorde magnifique, dans lequel il prtend prouver que tout est soumis aux lois irrfragables du destin. Nous sommes fort loigns de souscrire sors opinion sur le fatalisme; mais nous ne pouvons disconvenir quil ne lait revtue des plus brillantes couleurs de la posie. Il nous donne des descriptions intressantes des arts, des professions, des inclinations, des caractres qui doivent distinguer les hommes ns sous chacun des douze signes du zodiaque. Il divise chaque signe en trois dcanies; il distribue ces dcanies diffrents signes; il dtermine les effets de ces distributions. Il fait lnumration des degrs pernicieux de chaque signe : ce dtail nest pas fort amusant, mais heureusement il est court: un y s admir la fcondit de Manilius, qui a su exprimer une mme ide par des tournures perptuellement varies. Lefficace prtendue de chaque signe, au moment de son lever, fournit au pote loccasion de nous donner de nouvelles descriptions darts et de caractres. Situation dtaille des ctes de la mer Mditerrane et de ses principales les, du Pont-Euxin, du Palus-Motide, de la mer Caspienne, des golfes Arabique et Persique. Description gographique du monde alors connu des Romains; moeurs de chaque peuple, dpendantes des signes qui dominent chaque rgion. Signes cliptiques, auxquels les clipses de lune font perdre toute activit. Bel pilogue sur la noblesse de lhomme et sur la porte de son intelligence. On voit, par cet expos, que, sauf ce qui est dit des dcanies, des degrs pernicieux et des signes cliptiques. Ce quatrime livre est un des plus intressants de tout louvrage. Le cinquime livre est, notre avis, suprieur tous les prcdents. Il contient une numration des constellations extra-zodiacales, et des degrs des douze signes avec lesquels elles se lvent. Leur lever inspire des inclinations, des moeurs, des caractres; porte sadonner des arts, des professions, des mtiers, dont les descriptions, vraiment potiques, occupent presque tout le livre. Ces descriptions sont entremles dpisodes on y remarque surtout le bel pisode dAndromde, que plusieurs savants critiques ont jug digne de Virgile. Le livre est termin par la distinction connue des toiles en six diffrentes grandeurs. Tels sont donc les objets traits par Manilius dans les cinq livres de ses Astronomiques. Il stait propos den traiter beaucoup dautres; mais, comme nous lavons dit, la mort ne lui en a pas probablement laiss le temps. Quant son style, il est potique, nergique, digne du sicle dAuguste. Si lon considre le sujet que Manilius avait traiter, et quon fasse attention quil tait le premier des Latins qui entreprt de soumettre cette matire aux lois de la posie, on ne pourra se dispenser dadmirer la varit, la profondeur de gnie, la clart mme

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avec laquelle il a mani ce sujet aussi nouveau que difficile. On dira peut-tre que, pour matire de ses chants, il pouvait choisir un objet plus facile et plus intressant. Nous rpondrons dabord, daprs lui, que les autres sujets avaient dj t traits nous ajouterons que lastrologie tait alors autant estime, quelle est mprise de nos jours.

LIVRE ILIVRE PREMIER

Jentreprends, dans mes chants, de faire descendre du ciel des connaissances vritablement divines, et les astres mmes, confidents du destin, et dont le pouvoir, dirig par une sagesse suprme, produit tant de vicissitudes dans le cours de la vie humaine. Je serai le premier des Romains qui ferai entendre sur lHlicon ces nouveaux concerts, et qui dposerai au pied de ses arbres, dont la cime toujours verte est sans cesse agite, des dons quon ne leur a pas encore offerts. Cest vous, Csar,[1] vous prince et pre de la patrie, vous qui, par des lois respectables, rgissez lunivers soumis, vous vrai dieu, qui mritez une place dans le ciel o votre illustre pre[2] a t admis; cest vous qui minspirez, vous qui me donnez la force ncessaire pour chanter daussi sublimes objets. La nature, devenue plus favorable aux vux de ceux qui cherchent lapprofondir, semble dsirer quon rvle, dans des chants mlodieux, les richesses quelle renferme. La paix seule peut donner ces loisirs. Il est doux de slever au plus haut de lespace, de passer ses jours en parcourir les routes immenses, de connatre les signes clestes et les mouvements des toiles errantes,[3] opposs celui de lunivers. Mais cest peu de sen tenir ces premires connaissances il faut sefforcer de pntrer ce que le ciel a de plus secret; il faut montrer le pouvoir que ses signes exercent sur la production et la conservation de tout ce qui respire; il faut dcrire ces choses dans des vers dicts par Apollon. Le feu sacr sallume pour moi sur deux autels je dois mon encens deux temples diffrents, parce que deux difficults meffraient, celle du vers, et celle du sujet. Je mastreins une mesure soumise des lois svres; et lunivers, faisant retentir autour de moi le bruit imposant des parties qui le composent, moffre des objets quon pourrait peine dcrire dans un langage affranchi des entraves de la posie. Quel est lhomme qui pntra le premier les mystres du ciel, par la faveur des dieux? Sils sy fussent opposs, qui aurait os drober les secrets de cette puissance souveraine qui rgle lunivers? Par quels efforts un audacieux mortel serait-il parvenu paratre galer les dieux, malgr les dieux eux-mmes; [ souvrir les routes sublimes du ciel; suivre jusque sous lhorizon, et dans tous les retours de lespace, les astres toujours fidles produire les effets qui leur sont commands connatre les noms, le cours, laction des constellations clestes?} Cest vous, Mercure, que nous sommes redevables de cette science divine; [cest vous qui avez dcouvert lhomme les mystres du ciel et des astres, pour agrandir ses ides sur lunivers; pour quil respectt non seulement les apparences extrieures du monde, mais surtout le pouvoir nergique des objets quil renferme ; pour quil pt enfin connatre Dieu dans toute ltendue de son immensit.] Et la nature elle-mme a encourag les hommes lever le voile qui la couvrait. Elle daigna dabord se faire connatre aux rois, ces mes dont la puissance approche de la majest divine; qui, dans les contres de lorient, out polic les 5

nations sauvages, [dont les terres sont partages par lEuphrate, ou inondes par le Nil:] cest l que le monde renat, et voit la lumire slever au-dessus des villes enveloppes de tnbres. Aprs les rois, les prtres, choisis pour offrir en tout temps des sacrifices dans les temples et pour prsenter aux dieux les hommages du peuple, se concilirent leur faveur par ce saint office: la divinit, prsente en eux, embrasa leur me gnreuse; elle se communiqua ses ministres et leur manifesta son essence. Ils furent les premiers qui pntrrent dans cet auguste sanctuaire; qui, daprs des principes certains, reconnurent que les destines des hommes dpendent du mouvement des astres. Renfermant dans leurs vastes combinaisons une longue suite de sicles, ils assignrent chaque instant lvnement qui sy rapportait : ils remarqurent le jour de la naissance de chaque homme, les vicissitudes de sa vie, le rapport de chaque circonstance avec lheure laquelle elle avait eu lieu, les diffrences surprenantes quun moment de plus ou de moins produisait dans les destines humaines. Lorsque, aprs quelques rvolutions clestes, ils eurent dtermin les parties du ciel o chaque astre doit tre observ, et lespce de pouvoir que chacun deux exerait sur le cours de notre vie, ils tablirent des rgles fondes sur une longue exprience: lobservation du pass traa la route pour lavenir ; et, daprs des spculations profondes, ils reconnurent que les astres ont sur lhomme un empire assujetti des lois caches; que les mouvements de lunivers sont rgls par des causes priodiques; que les vicissitudes de la vie dpendent des diffrentes configurations des corps clestes. En effet, avant ces sages observateurs, les hommes, sans principes, sans discernement, ne sattachant qu ce qui tombait sous leurs sens, ignoraient les causes de tout ce quils voyaient. Le lever du soleil leur paraissait un phnomne surprenant: la disparition des astres tait pour eux une perte affligeante, leur rapparition un motif de joie: ils ne souponnaient point la cause de lingalit des jours et des nuits, ni mme pourquoi la longueur des ombres varie selon le plus grand loignement ou la plus grande proximit du soleil. La sagacit de lesprit humain navait pas encore enfant les arts; la terre ne fournissait point aux besoins dhabitants qui ne la cultivaient pas; lor tait enseveli dans le sein des montagnes dsertes; des mondes nouveaux taient spars de nous par un ocan quon ne frquentait point; on nosait confier sa vie la mer, ni au vent ses esprances; et chacun tait content du peu de connaissances quil avait. Mais quand la succession des sicles eut exerc lesprit des mortels, que la peine eut donn lessor aux rflexions, que la Fortune, en contrariant les dsirs de lhomme, leut convaincu de la ncessit de veiller son bien-tre; les intelligences sappliqurent lenvi diffrents genres dtudes, et tout ce quune exprience raisonne fit dcouvrir devint une source dutilit publique, par le plaisir que chacun se fit de communiquer le fruit de ses recherches. Alors le langage barbare se polit et sassujettit des lois; la terre cultive produisit toute espce de fruits; le navigateur inquiet affronta des flots inconnus, et facilita le commerce entre des nations qui ne se connaissaient pas. De l, bientt, on vit natre lart de la guerre et les occupations de la paix; une connaissance acquise par lexprience tant ncessairement le germe dune dcouverte nouvelle. Et, pour ne point marrter sur des objets gnralement connus, on parvint entendre le langage des oiseaux, lire lavenir dans les entrailles des victimes, faire prir les serpents par des enchantements, voquer les ombres, branler lAchron jusque dans ses plus profonds abmes, changer le jour en nuit et la nuit en jour: lindustrie de lhomme, toujours susceptible de nouveaux progrs, tenta tout, vint bout de tout, et ne mit un terme ses recherches quaprs avoir pntr jusquau ciel, quaprs avoir surpris la nature dans ses plus profondes retraites, quaprs avoir compris tout ce qui est. On sut alors pourquoi les nuages, en se heurtant, produisent un si terrible bruit; pourquoi la neige de lhiver a moins de consistance que la grle de lt : on connut la cause des volcans, des tremblements de terre, de la formation de la pluie, de limptuosit des vents; et lesprit clair cessa dadmirer ces effets naturels comme des prodiges. Arrachant Jupiter sa foudre et le droit de tonner, il attribua le bruit du tonnerre aux vents, et le feu de lclair aux nuages. Aprs avoir ainsi

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restitu les effets leurs vritables causes, lhomme sappliqua tudier lunivers au centre duquel il est plac; il voulut connatre tout ce que renferme ltendue du ciel : il dcrivit la forme des signes clestes; il les dsigna par des noms convenables; il dtermina les lois qui rglent leurs divers mouvements : il dcouvrit que tous les vnements de la vie sont subordonns u la puissance et ltat actuel de lunivers; que nos destines sont sujettes des variations qui dpendent des diverses dispositions des corps clestes. Tel est le sujet que je me propose de dvelopper, et que personne avant moi na consacr par ses chants. Puisse la Fortune favoriser cette grande entreprise! puissent mes jours ntre termins que par une longue et heureuse vieillesse, qui me laisse le temps de traiter fond ce sujet immense, et dentrer dans un dtail galement intressant des parties grandes et petites qui en dpendent! Puisque mes chants embrassent toute la profondeur du ciel, et que je me propose damener sur la terre la connaissance des secrets du destin, mon premier soin doit tre de tracer le tableau de la nature, et de faire connatre la disposition gnrale de tout ce qui compose lunivers. Que le monde ne reconnaisse aucun principe de son existence, quil ne la doive qu soimme; quil ait toujours exist, quil doive exister toujours; quil nait jamais eu de commencement, quil ne puisse jamais avoir de fin;[4] que le chaos lait engendr par la sparation des lments primitivement entremls sans aucun ordre; que les tnbres, aprs avoir produit un monde clatant de lumire, aient t contraintes de se retirer au plus profond de labme;[5] que le monde ait t produit par le feu; que les astres, ces yeux de la nature, doivent leur existence une vive flamme rpandue dans tous les corps, et formant dans le ciel le terrible tonnerre;[6] que leau soit le principe universel, sans lequel la matire, toujours engourdie, reste sans action; et quelle ait engendr le feu, par lequel elle est elle-mme anantie;[7] ou quenfin la terre, le feu, lair et leau existent par eux-mmes; que ces quatre lments soient les membres de la divinit, quils aient form lunivers, et que, crateurs de tout ce qui est, ils ne permettent de reconnatre aucun tre qui leur soit antrieur; quils aient tout dispos de manire que le froid se combine avec le chaud, le sec avec lhumide, les solides avec les fluides; que, toujours en guerre et toujours agissant de concert, ils se soient trouvs par cela mme intimement runis, capables dengendrer, assez puissants pour produire tout ce qui subsiste;[8] ces diverses opinions seront toujours dbattues; lorigine du monde sera toujours un secret au-dessus de lintelligence des hommes et de celle des dieux. Mais, quelle que soit cette origine, on saccorde au moins sur la disposition de ses parties, toutes places dans un ordre invariable. Le feu, plus subtil, monta vers la rgion la plus leve, et, se fixant dans le ciel toil, il y forma comme une barrire de flamme, qui sert de rempart la nature. Lair lger occupa la rgion qui suivait immdiatement; il stendit dans le vide de lespace, et, plac au-dessous des astres, il fournit au feu laliment ncessaire. La troisime place fut occupe par leau, dont les flots, toujours agits, ont form les immenses plaines des mers : ce fluide, en sexhalant en vapeurs, devient le germe de lair quelle alimente. La terre, par son poids, sarrondit et se trouva fixe au-dessous des autres lments: elle ntait dabord quune masse de vase, mle de sable mouvant, que le fluide abandonnait pour se porter vers une rgion plus leve. Plus ce fluide se rarfiait et se dissipait dans les airs, plus la terre dessche resserrait les eaux et les forait de couler dans des valles. Les montagnes sortirent du fond de la mer, la terre naquit du sein des flots, environne cependant de tous cts par le vaste ocan. Elle est immobile, parce que lunivers scarte delle en tout sens avec une gale force; elle est tellement tombe de toutes parts, quelle ne peut plus tomber daucune: elle est le centre et en mme temps le lieu le plus bas de tout lunivers, [Les corps qui la composent, galement presss partout, se soutiennent rciproquement, et ne lui permettent pas de se dplacer.] Si un juste quilibre ne retenait pas la terre au centre du monde, le soleil, suivi de tous les astres du ciel, ne dirigerait plus sa course loccident, pour reparatre ensuite lorient; la lune ne routerait pas son char dans lespace qui est notre horizon ; ltoile du jour

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ne brillerait pas le matin, aprs avoir rpandu son clat du ct de loccident, sous le nom dtoile de soir. Or, si la terre nest pas relgue au plus bas de lespace, mais quelle en occupe exactement le milieu, tous les chemins sont libres autour delle; toutes les parties du ciel peuvent descendre sous lhorizon loccident, et se relever lorient. Car enfin lon ne me persuadera jamais ou que le lever des astres soit leffet dun pur hasard, ou que le ciel se reproduise si souvent de nouveau, et que le soleil prisse et renaisse tous les jours, surtout lorsque je considre que la disposition des signes clestes est la mme depuis tant de sicles; que le mme soleil parcourt les mmes parties du ciel; que la lune varie ses phases et ses retours dans un ordre invariable; que la nature ne sen tient point des essais incertains, mais quelle suit inviolablement les lois quelle sest imposes elle-mme; que le jour, accompagn dune clart toujours constante, et parcourant la circonfrence de la terre, fait compter successivement toutes les nations les mmes heures; quun nouvel orient soffrant sans cesse la vue de ceux qui savancent vers lorient, et un occident nouveau se prsentant toujours ceux qui voyagent vers loccident, semblent embrasser, ainsi que le soleil, la circonfrence entire du ciel. Au reste, il ne faut pas stonner que la terre demeure ainsi suspendue : le ciel ne lest-il pas aussi lui-mme? Il na autour de lui aucun appui, [son mouvement et la rapidit de sa course en sont une preuve convaincante. Le soleil, suspendu pareillement, promne et l son char agile, en se tenant dans les bornes de la route qui lui est prescrite. La lune et les toiles volent dans lespace : la terre, se modelant sur les lois clestes, y reste galement suspendue. La terre se trouve donc place au centre de la rgion thre, une distance gale des parties extrmes qui la terminent. Sa surface ne stend point en une plaine immense; elle est sphrique, elle slve et sabaisse galement de toutes parts. Telle est aussi la figure de lunivers. Le ciel, par son mouvement de rotation, imprime cette mme forme tous les astres. Nous voyons que le corps du soleil est rond: il en est de mme de celui de la lune; elle reoit sur une surface convexe les rayons du soleil; et ces rayons, devenant de plus en plus obliques, ne peuvent clairer toute sa circonfrence. Telle est donc la figure invariable des astres; elle est une vive image de la divinit; on ne peut y distinguer ni commencement ni fin; elle se ressemble dans toute son tendue, clic est partout la mme. Cest par une consquence de la sphricit de la terre, quon ne voit pas partout les mmes constellations. Vous chercheriez en vain Canope dans le ciel, jusqu ce quaprs avoir travers la mer, vous soyez parvenu sur les rives du Nil. Mais les peuples qui voient cette toile au-dessus de leur tte ne peuvent dcouvrir la grande ourse; la convexit de la terre y met obstacle, et leur drobe la vue de cette partie du ciel. Je vous appelle vous-mme tmoin, astre des nuits, de la sphricit de notre globe. Lorsquau milieu de la nuit vous vous trouvez plong dans dpaisses tnbres, lombre qui vous couvre npouvante pas toutes les nations la mme heure : les peuples orientaux sont les premiers qui manque votre lumire; cette perte devient ensuite sensible ceux qui vous cherchent dans lombre; lobscurit de votre char stend enfin sur les nations qui peuplent loccident; ce sont les dernires qui croient vous rendre votre clat par le son bruyant des instruments. Si la surface de la terre tait plane, il suffirait que vous fussiez sur lhorizon, pour que votre clipse inquitt la mme heure toutes les nations. Mais la terre tant de figure sphrique, la desse de Dlos claire dabord un peuple, et puis un autre; elle se lve et se couche au mme instant, en tournant autour de hi surface convexe de la terre : si elle monte relativement un point de cette surface, elle descend relativement un autre; et quand elle commence dominer sur une partie, elle cesse de dominer sur la partie voisine. La surface de la terre est habite par diverses nations, par diffrentes espces danimaux, par des oiseaux. Une partie slve vers les deux ourses; une autre, galement habitable, stend vers les climats mridionaux; celle-ci est sous nos pieds, elle nous croit sous les siens : cest un effet de la pente insensible du globe, dont chaque point est dans un sens plus lev, dans un autre plus abaiss que celui qui le prcde. Lorsque le soleil, parvenu notre occident, commence clairer lhorizon de ces

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peuples, le jour, renaissant pour eux, les arrache au sommeil, et les rappelle la ncessit du travail : la nuit commence pour nous, et nous invite aux douceurs du repos. Le vaste ocan spare ces deux parties de la terre, et leur sert de commune enceinte. Ce bel ouvrage, embrassant le corps entier de lunivers et tous les membres de la nature, produits par les diverses combinaisons de lair et du feu, de la terre et de leau, est dirig par une cleste : la divinit lentretient par une influence secrte, en gouverne les ressorts cachs, en runit toutes les parties par plusieurs sortes de rapports, de manire quelles se soutiennent rciproquement, quelles se communiquent mutuellement leur nergie, et que le tout reste fermement uni, malgr la varit des parties qui le composent. Je vais vous nommer maintenant, dans un ordre mthodique, les constellations qui dardent leurs feux tincelants de tous les points du ciel; et je commencerai par celles qui, de leur cercle oblique, ceignent le milieu de lunivers; elles jouissent tour a tour de la prsence du soleil et de celle des autres toiles errantes, qui, par leur mouvement propre, semblent lutter contre celui du monde entier. Par un ciel serein, il est facile de les distinguer; cest par elles quon peut pntrer les dcrets du destin : il est naturel de commencer par la partie de lunivers qui a sur nous le plus dinfluence. Le blier, premier des signes clestes, remarquable par lor de sa toison, regarde avec admiration le taureau qui vient dun point oppos, et qui, le front baiss, semble appeler les gmeaux, que suit lcrevisse, aprs laquelle se prsentent le lion, puis la vierge. La balance, aprs avoir gal la dure du jour et de la nuit, se fait suivre du scorpion, quon distingue son feu tincelant ! Le sagittaire, compos dhomme et de cheval, tend son arc, et est prt dcocher sa flche sur la queue du scorpion. On voit ensuite le capricorne, rduit un assez petit espace. Aprs lui, le verseau vide son urne incline, et les poissons reoivent avec avidit leau qui en tombe, et o ils vivent; suivis eux-mmes du blier, ils sont les derniers des signes clestes. Tels sont les signes qui divisent le ciel en autant de parties gales; autant de tableaux tincelants qui en forment comme la vote. Rien nest au-dessus deux; ils occupent le fate de lunivers, ils servent denceinte ce palais commun de la nature, dont le centre contient la terre et locan. Tous prouvent, avec le plus admirable concert, les vicissitudes constantes du lever et du coucher, passant successivement des lieux o le ciel se plonge sous lhorizon ceux o il semble renatre. Vers le lieu o le ciel slve jusquaux ourses, jusqu ces deux brillantes constellations qui, du sommet de lunivers, voient en bas tous les astres, [qui ne se couchent jamais, qui, du plus haut du ciel ou elles sont diffremment places, font circuler autour delles le monde et ses constellations,] un axe sans paisseur prend naissance au centre des frimas, et coupe galement lunivers, dont il peut tre regard comme le pivot. Tout le globe cleste roule autour de lui, tout y est dans un mouvement perptuel; lui seul, immobile, traverse diamtralement lespace et la terre mme, et va se terminer prs des ourses australes. Cet axe na aucune consistance; ce nest pas son poids qui lui permet de porter la charge de toute la machine cleste. Mais la substance thre tant toujours agite dun mouvement circulaire, et toutes ses parties conservant ncessairement ce mouvement primitif, la ligne qui est au centre de cette espce de tourbillon, et autour de laquelle tout prouve une rotation continuelle, cette ligne si dpourvue de toute paisseur quon ne peut la regarder comme tournant autour dellemme, cette ligne [incapable de sincliner, dprouver aucun mouvement de rotation,] a t nomme axe, parce que, immobile elle-mme, elle voit tout lunivers se mouvoir autour delle.

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A lune de ses extrmits sont deux constellations bien connues des infortuns navigateurs: elles sont leurs guides, lorsque lappt du gain leur fait affronter les prils de la mer. Hlice[9] est la plus grande, et dcrit un plus grand cercle; elle est remarquable par sept toiles, qui disputent entre elles dclat et de beaut: cest sur elle que les Grecs se rglent dans leurs navigations. Cynosure,[10] plus petite, roule dans un espace plus resserr; elle a moins dtendue, moins dclat, mais plus dutilit, au jugement des Tyriens les Carthaginois ne croient pouvoir choisir un meilleur guide, lorsque, sur mer, ils veulent aborder une cte qui ne parat pas encore. Ces deux ourses ne sont point places de front; chacune tourne sa queue vers le museau de lautre, de sorte quelles paraissent rciproquement se suivre. Entre elles est un dragon qui les environne, les spare lune de lautre, et les renferme dans lenceinte de ses brillantes toiles, de manire quelles ne peuvent se joindre, ni quitter la place qui leur est assigne. Entre le dragon et le milieu du ciel, o sept astres, prcipitant leur course, parcourent les douze signes qui semblent sopposer leur marche, on remarque plusieurs constellations, dont les forces, dues des causes opposes, sont ncessairement mlanges : voisines du ple dune part, de lautre des feux du ciel, cites en reoivent des influences qui, se combattant, modrent rciproquement leur activit : il arrive de l que ces constellations rendent fertiles les terres au-dessus desquelles elles dominent. On voit dabord, prs des ourses brillantes et de laquilon glac, la constellation toujours agenouille;[11] elle sait sans doute pourquoi elle garde cette posture. Derrire elle est Arctophylax,[12] nomm aussi le bouvier, parce quil est dans lattitude dun homme qui pique des bufs attels : il transporte avec lui ltoile Arcturus,[13] place sur sa poitrine. Dun autre ct parat le cercle lumineux form par la couronne : lclat nen est point partout le mme; ltoile quon voit dans sa partie la plus leve surpasse les autres en grandeur, et les feux dont elle brille clipsent leur tendre blancheur cest un monument consacr Ariadne abandonne. La lyre, les bras tendus, se distingue aussi parmi les constellations clestes : cest linstrument avec lequel Orphe charmait autrefois tout ce que ses chants allaient frapper; Orphe, qui souvrit une route jusquaux enfers mmes, et dont la voix mlodieuse en fit rvoquer les immuables dcrets: de l les honneurs du ciel accords sa lyre, qui y exerce le mme pouvoir ; elle attirait les forts et les rochers ; elle entrane maintenant les astres, et se fait suivre par le globe immense de lunivers. La constellation nomme par les Grecs Ophiuchos[14] serre le serpent par le milieu, et semble sappliquer le retenir, dvelopper les nuds de son vaste corps, en tendre les replis: le serpent tourne cependant vers cet ennemi son cou flexible, se drobe cette treinte, et rend ses efforts inutiles. Prs de l est le cygne, que Jupiter mme a plac au ciel pour prix de sa beaut, qui lui servit sduire une amante : ce dieu, descendu du ciel, prit la forme dun cygne plus blanc que la neige, et prta son dos couvert de plumes limprudente Lda. Le cygne tend encore, comme pour voler, ses ailes parsemes dtoiles. On voit briller ensuite cette constellation qui a laspect et la rapidit de la flche. Aprs elle loiseau du grand Jupiter[15] cherche slever au plus bout du ciel, et semble porter le foudre en des lieux o il fait son sjour : oiseau digne de Jupiter et des cieux, auxquels il fournit des armes redoutables. Il est suivi du dauphin, sorti du sein des mers pour prendre place entre les astres: ornement de locan et du ciel, ou il sest galement immortalis. Le cheval,[16] remarquable par la belle toile de sa poitrine, prcipite sa course pour atteindre le dauphin : son train de derrire se perd dans Andromde. Aune distance assez considrable de cette constellation, on en voit une que sa figure a fait nommer Deltoton:[17] deux de ses cts sont gaux, le troisime a moins dtendue. Prs de l sont Cphe, puis Cassiope dans une attitude convenable la punition quelle sest attire; enfin Andromde abandonne spouvante laspect du leffroyable gueule du monstre[18] qui sapprte la dvorer. Cassiope pleure sur la triste destine de sa fille expose et garrotte sur le rocher o elle devrait prir, si Perse, conservant dans le ciel son ancien amour, ne venait pas son aide, arm de la tte formidable de la Gorgone, dpouille glorieuse pour lui, mortelle pour

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quiconque a le malheur de la voir. Non loin de l parat le cocher,[19] dont les pieds touchent presque le taureau : son art lui mrita le ciel, et le nom sous lequel il est connu. Jupiter layant vu voler le premier sur un char quatre chevaux, le transporta parmi les astres. Avec lui paraissent les chevreaux, dont les feux rendent la navigation dangereuse; et la chvre, dont les illustres mamelles ont nourri le roi du monde : cest en les quittant que ce dieu devint matre de lOlympe ; il dut ce lait tranger la force de lancer la foudre et de faire gronder le tonnerre. Jupiter, reconnaissant, donna rang la chvre entre les astres ternels; une place dans le ciel devint le juste prix de lempire du ciel. Les pliades et les hyades font partie du fier taureau; elles dclinent vers le ple boral. Telles sont les constellations septentrionales. Passons celles que lon observe au del du cours du soleil, qui roulent au-dessus des parties de la terre brles par ses feux, ou qui sont comprises entre le signe glac du capricorne et le ple infrieur du monde. Sous ces constellations est une autre partie de la terre, o nous ne pouvons pntrer : les peuples qui lhabitent nous sont inconnus, nous navons aucun commerce avec eux. Ils jouissent du mme soleil qui nous claire, leurs ombres sont opposes aux ntres, la disposition du ciel parat renverse leur gard; les astres se couchent leur gauche, se lvent leur droite. Ils voient un ciel aussi tendu et non moins clair que le ntre; il ne se lve pas pour eux moins dtoiles que pour nous. Tout, en un mot, est gal de part et dautre : nous ne lemportons sur eux que par le bonheur de possder un astre tel quAuguste; Csar sur la terre, il sera un jour un des principaux dieux du ciel. On voit dans le voisinage des gmeaux Orion,[20] tendant ses bras dans une grande partie des cieux : sa marche hardie franchit pareillement un vaste espace. Ses brillantes paules sont marques de deux belles toiles; trois autres, obliquement ranges, soutiennent son pe. Sa tte se perd dans le plus haut du ciel: trois toiles la caractrisent; on les voit peine, non quelles aient moins dclat que les autres, mais elles sont une plus grande distance. Dans leur course rapide, les astres du ciel regardent Orion comme leur chef. La canicule[21] le suit, fournissant sa carrire avec une promptitude extrme: il nest point de constellation dont la terre doive plus redouter la premire apparition. Ceux qui observent son lever de la cime leve du mont Taurus, en augurent labondance ou la disette des fruits de la terre, la temprature des saisons, les maladies qui rgneront, les alliances qui devront se conclure. Elle est larbitre de la guerre et de la paix: variant les circonstances de sa premire apparition, elle produit des effets relatifs aux aspects quelle prend alors, et nous gouverne par son seul regard. Quelle ait ce pouvoir, nous en avons pour garant sa couleur, sa vivacit, lclat de ses feux : presque gale au soleil, elle nen diffre quen ce qutant beaucoup plus loigne, elle ne nous lance que des rayons azurs, dont la chaleur est fort affaiblie. Tous les autres astres plissent devant elle; de tous ceux qui se plongent dans locan et qui en ressortent pour clairer le monde, il nen est aucun dont lclat soit comparable au sien. A la canicule succdent Procyon,[22] et le livre rapide, et le clbre navire Argo, qui, des mers o il sest hasard le premier, a t transport au ciel, dont il stait rendu digne par laudace de ses courses prilleuses : aprs avoir sauv des dieux, il est devenu dieu lui-mme. Lhydre est prs de lui; ses toiles brillantes semblent autant dcailles qui la couvrent. L aussi on voit loiseau consacr Phbus,[23] la coupe chre Bacchus, et ensuite le centaure la double forme; homme en partie, il a, depuis la poitrine jusquen bas, les membres dun cheval. Aprs le centaure est le temple de monde : on y voit briller un autel consacr par les dieux, quand ils eurent repousser ces normes gants [arms contre eux, engendrs des crevasses de leur mre, et aussi remarquables par la diversit des traits de leur visage que par limmensit de leurs corps]. La terre en fureur les souleva contre le ciel; les dieux alors se crurent abandonns par les dieux suprieurs : Jupiter hsita lui-mme, dans la crainte de ne pouvoir pas ce quil pouvait rellement. Il voyait la terre rvolte, la nature bouleverse de fond en comble, les montagnes entasses sur les montagnes, les astres reculant deffroi lapproche de ces masses

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normes. Il navait point encore prouv de pareils assauts; il ignorait quil pt y avoir des puissances capables de contrebalancer la sienne. Il leva cet autel, et le dcora des feux que nous y voyons briller encore aujourdhui. Prs de lautel est la baleine, roulant son dos couvert dcailles, se pliant et repliant sur elle-mme, et fendant les eaux de sa vaste poitrine : [avide de dvorer sa proie, elle semble prte la saisir.] Telle autrefois, en sapprochant avec fureur de la fille de Cphe, expose sur le rocher, elle fit jaillir leau de la mer fort au del de ses limites. Elle est voisine du poisson austral, ainsi appel du nom de la partie du ciel quil occupe. Vers cette mme partie coulent, par mille sinuosits, les ondes toiles que rpand le verseau; et ce fleuve, continuant de diriger son cours vers les rgions australes, runit ses eaux la tte du poisson, et parat ne faire avec lui quun mme astrisme. Telles sont les constellations qui sous le nom daustrales, que leur ont donn les anciens astronomes, embellissent la partie du ciel la plus loigne de nous; elle est comprise entre la route du soleil et les ourses qui nous sont invisibles, et qui, vers lautre ple, font plier sous leur poids lessieu de lunivers. Les astres qui font leur rvolution dans la partie la plus basse du ciel, qui servent comme de fondement au brillant palais de lunivers, qui ne se montrent jamais au-dessus de notre horizon, ressemblent sans doute ceux qui dcorent le fate du monde: ce sont, de part et dautre, les mmes astrismes, et lon voit prs de chaque ple deux ourses en des attitudes opposes. Telles sont donc les constellations disperses dans les diffrentes rgions du ciel, et qui en occupent la vaste tendue. Mais ne vous figurez pas que vous reconnatrez dans le ciel des figures analogues leurs noms, et quun clat gal vous en fera distinguer tous les membres de manire quil ne vous reste rien dsirer, et que tous les linaments soient marqus par des traits de lumire. Si des feux gaux embrasaient tous leurs membres, lunivers ne pourrait supporter un si grand incendie. En mnageant ces feux, la nature sest mnage elle-mme; elle a craint de succomber sous le poids : elle sest donc contente de distinguer les formes des constellations, et de nous les faire reconnatre des signes certains. Les toiles rpondent tellement les unes aux autres, celles qui sont au milieu celles qui occupent les extrmits, les plus basses aux plus hautes, quil ne faut quun simple trait pour les dterminer; il doit nous suffire que toutes leurs pailles ne soient pas invisibles. Lorsque la lune surtout, au milieu de sa rvolution, montre tout son disque clair, les plus belles toiles brillent en mme temps dans le ciel; les plus petites, peuple vil et sans nom, paraissent fuir devant elle; on peut alors dcouvrir et compter les astres les plus lumineux, ils ne sont plus confondus avec les plus petits. Voulez-vous reconnatre avec plus de facilit ces brillants astrismes? Remarquez quils ne varient jamais sur le lieu de leur lever et de leur coucher; lheure de leur lever est pareillement dtermine pour chaque jour de lanne; le temps de leur apparition et de leur disparition est rgl sur des lois invariables. Dans ce vaste univers, rien nest si tonnant que son uniformit, que lordre constant qui en rgle tous les ressorts: le nombre des parties ne cause aucune confusion, rien ne se dplace; les mouvements ne se prcipitent jamais, jamais ils ne se ralentissent, ils ne changent jamais de direction. Peut-on concevoir une machine plus compose dans ses ressorts, plus uniforme dans ses effets? Quant moi, je ne pense pas quil soit possible de dmontrer avec plus dvidence que le monde est gouvern par une puissance divine, quil est dieu lui-mme; que ce nest point un hasard crateur qui la produit, comme a prtendu nous le persuader ce philosophe[24] qui simagina le premier que ce bel univers ntait d quau concours fortuit datomes imperceptibles, dans lesquels il devait un jour se rsoudre; qui enseigna que ces atomes taient les vrais principes de la terre, de leau, des feux clestes, de lair mme, dou par cela seul de la puissance de former une mutit de mondes, et den dtruire autant dautres; qui

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ajouta que tout retournait ces premiers principes, et changeait sans cesse de forme. [A qui persuadera-t-on que ces masses immenses sont louvrage de lgers corpuscules sans que la divinit sen soit mle, et que le monde est louvrage dun aveugle hasard?] Si cest le hasard qui la form, quon dise donc que cest le hasard qui le gouverne. Mais pourquoi le lever successif des astres est-il si rgulier? comment leur marche est-elle assujettie des lois si constantes? pourquoi aucun deux ne hte-t-il sa course, et ne laisse-t-il derrire lui lastrisme dont il fait partie? pourquoi les nuits dt sont-elles constamment claires des mmes toiles; et pourquoi en est-il de mme des nuits dhiver? Pourquoi les mmes jours de lanne nous ramnent-ils les mmes figures clestes? pourquoi en font-ils invariablement disparatre dautres? Ds le temps o les peuples de la Grce dtruisirent Ilion, lourse et Orion taient dj dans les attitudes opposes o on les voit aujourdhui: lourse se bornait a une rvolution circonscrite autour du rle; Orion semblait slever vers elle comme pour venir sa rencontre, et ne quittait jamais le milieu du ciel.[25] Ds lors on distinguait les temps de la nuit par la position des toiles, et les heures en taient graves au firmament. Depuis la ruine de Troie, combien de trnes renverss! combien de peuples rduits en captivit! que de fois la fortune inconstante a fait succder la puissance lesclavage, la servitude lautorit! quel vaste empire elle a fait natre des cendres oublies de Troie! la Grce, enfin, a t soumise au sort quelle avait fait subir lAsie. Je ne finirais pas, si je voulais compulser les fastes de tous les sicles, et compter les vicissitudes que les feux du soleil ont claires. Tout ce qui est cr pour finir est sujet au changement; aprs quelques annes, les nations ne se reconnaissent plus elles-mmes; chaque sicle en change ltat et les murs. Mais le ciel est exempt de ces rvolutions; ses parties nprouvent aucune altration, la succession des ges nen augmente pas le nombre, et la vieillesse ne le diminue pas : il sera toujours le mme, parce quil a toujours t le mme. Tel que lont observ nos pres, tel le verront nos neveux: il est dieu, puisquil est immuable. Que le soleil ne sgare jamais vers les ourses voisines du ple, quil ne varie point dans sa marche, que sa route ne le porte jamais vers lorient; que laurore naisse constamment dans les mmes parties de lhorizon; que la lumire de la lune soit assujettie des progrs certains et limits, quelle croisse et dcroisse conformment des lois invariables; que les astres, suspendus dans lespace, ne tombent pas sur la terre, mais quils circulent dans des temps dtermins, conjointement avec les constellations dont ils font partie; ce nest point un effet du hasard, cest un ordre tabli par la sagesse divine. Mais quelle est ltendue de lespace quoccupe la vote du monde? quelle est celle des douze signes clestes? La raison seule suffit pour nous en instruire. La raison ne connat point dobstacles; limmensit des objets, leur obscurit, rien ne larrte; tout cde sa force; son activit stend jusquau ciel mme. Elle enseigne que la distance des signes clestes la terre et la mer est gale . ltendue de deux de ces signes. Toute ligne qui traverse une sphre, en passant par son centre, a de longueur le tiers de la circonfrence de la sphre; cest, bien peu de chose prs, sa juste mesure: donc, puisque quatre signes forment le tiers de ltendue des douze signes clestes, il sensuit que la distance de la partie la plus haute la partie la plus basse du ciel est de quatre signes, et que la terre, suspendue au milieu de cet espace, est distante de lintervalle de deux signes de chacune de ces deux extrmits. Donc toute ltendue que vous voyez au-dessus de vous, cet espace que votre vue embrasse et celui quelle ne peut plus atteindre, doit tre gale deux signes : prise six fois, elle vous donnera la circonfrence de cette zone cleste, parcourue par les douze signes qui tapissent le ciel en compartiments gaux. Ne vous tonnez donc pas si, sous les mmes signes, on voit natre des hommes dun caractre diffrent, et dont les destines sont entirement opposes : considrez ltendue de chaque signe, et le temps quil met la parcourir; un jour entier suffit reine leur lever successif.

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Il me reste vous exposer quels sont les limites clestes, les bornes tablies au ciel dans un ordre rgulier, les termes qui rglent la course des astres tincelants. Un cercle du ct de laquilon soutient lourse brillante; six parties entires le sparent du sommet du ciel. Un second cercle passe par lextrmit la plus borale de lcrevisse: cest l que Phbus semble sarrter, lancer ses plus chauds rayons, et, dans des rvolutions plus visibles, nous prodiguer le plus longtemps ses feux : ce cercle, dterminant la saison des plus grandes chaleurs, en a pris le nom de cercle dt: il borne, dans cette partie, la course brlante du soleil; il est un des termes de sa carrire : sa distance au cercle boral est de cinq parties. Le troisime cercle, plac prcisment au milieu du monde, voit de part et dautre les deux ples des distances gales : cest l que Phbus, ouvrant, dans sa marche rapide, les saisons tempres du printemps et de lautomne, rgle sur des mesures gales la dure du jour et de la nuit. Ce cercle divise le ciel en deux hmisphres semblables: quatre parties sparent sa trace de celle du cercle dt. Le cercle qui suit immdiatement porte le nom de cercle dhiver;[26] il rgle les derniers pas que fait le soleil pour sloigner de nous; il ne laisse arriver nous que par des rayons obliques les feux affaiblis de cet astre, quil retient le moins longtemps possible sur notre horizon. Mais les rgions au-dessus desquelles il domine jouissent de leurs plus longs jours; une chaleur brlante en prolonge la dure: peine ces jours font-ils place de courtes nuits. Deux fois deux parties cartent ce cercle de celui du milieu du ciel. Il reste encore un cercle[27] voisin de lextrmit de laxe, et qui, pressant les ourses australes, les entoure comme dune ligne de circonvallation : sa distance au cercle dhiver est de cinq parties; et il est aussi loign du ple dont il est voisin, que le cercle qui lui correspond de notre ct est distant de notre ple. Ainsi lespace compris entre les deux ples, divis par le cercle du milieu en deux parties gales, forme par la runion de ces deux parties la circonfrence de lunivers, et cinq cercles, divisant cette tendue, dterminent les limites des astres, et le temps de leur sjour au-dessus de lhorizon. La rotation de ces cercles est la mme que celle du monde; ils nont aucune inclinaison lun vers lautre; le lever, le coucher de tous leurs points sont rgls sur des lois uniformes. En effet, la trace de ces cercles tant parallle a la rotation universelle de la sphre cleste, ils suivent constamment la direction du mouvement du ciel, toujours des distances gales les uns des autres, ne scartant jamais des bornes qui leur sont assignes, des termes qui leur sont prescrits. Du sommet suprieur du ciel au sommet infrieur, stendent deux autres cercles oppos lun lautre, et qui, coupant tous les cercles dont nous venons de parler, se coupent eux-mmes en se rencontrant aux deux ples du monde; laxe de la sphre est leur point de runion chacune de ses deux extrmits. Ils distinguent les saisons de lanne, et divisent le ciel et les signes clestes en quatre parties gales, dont chacune correspond un nombre gal de mois. Le premier, descendant de la cime la plus leve du ciel, traverse la queue du dragon, passe entre les deux ourses, qui ne se plongent jamais dans locan, et entre les bassins de la balance, qui sagitent au milieu du ciel : passant ensuite, dans la partie mridionale, sur la queue de lhydre et par le milieu du centaure, il gagne le ple infrieur, dou il se relve pour venir la baleine; il traverse le dos cailleux de cette constellation, prolonge les premires toiles du blier et celles qui brillent dans le triangle, passe le long des plis de la robe dAndromde, et prs des pieds de sa mre, et se termine enfin au ple do il est primitivement parti. Lautre cercle sappuie sur ce premier, et sur lextrmit suprieure de laxe. De l il traverse les pattes antrieures et la tte de lourse, qui, grce lclat de ses sept belles toiles, se montre la premire de toutes les constellations, aprs la retraite du soleil, et claire les tnbres de la nuit. Il spare ensuite lcrevisse des gmeaux, il ctoie le chien la gueule tincelante, et le gouvernail du navire victorieux des ondes; il court de l au ple invisible, en passant par des astrismes placs en travers de ceux sur lesquels le premier cercle a pass, et, partant de cette limite, il se dirige vers vous, signe du capricorne, et, parvenu vos

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toiles, il fixe celles de laigle: traversant ensuite la lyre recourbe et les nuds du dragon, il sapproche des pattes postrieures de la petite ourse, et traverse sa queue prs du ple, o il se rejoint lui-mme, ne pouvant oublier les lieux do il a pris son essor. Les anciens astronomes ont assign aux cercles prcdents des places fixes, des positions invariables entre les constellations clestes; ils en ont reconnu deux autres susceptibles de dplacement. Lun, prenant son origine la grande ourse, coupe la route du soleil en deux parties gales; il partage le jour et dtermine la sixime heure. Il est une distance gale du lever et du coucher de tous les astres. Sa trace dans le ciel nest pas toujours la mme : allez lorient, allez vers loccident, vous dterminez au-dessus de vous un cercle, passant par le point qui rpond directement votre tte et par le ple du monde, et partageant en deux la route visible de soleil: or, en changeant ainsi de lieu, vous changez dheure; le ciel que vous voyez nest plus le mme; chaque point que vous parcourez a son mridien propre; lheure vole sur toute la surface de la terre. Lorsque nous voyons lastre du jour sortir du sein des eaux, les peuples quil presse alors de son char tincelant comptent la sixime heure. Il est pareillement six heures pour les peuples occidentaux, lorsque lu jour pour nous fait place aux ombres de la nuit: ces deux siximes heures nous les comptons lune pour la premire, lautre pour la dernire heure du jour, et les rayons extrmes du soleil ne nous procurent quune lumire dpourvue de chaleur. Dsirez-vous connatre la trace du second cercle mobile?[28] Portez votre vue de toutes parts jusquo elle peut stendre : ce cercle, qui vous parat tre la partie la plus basse du ciel et la plus leve de la terre, qui joint immdiatement la partie visible du ciel avec celle que nous ne voyons pas, qui reoit comme au sein des flots et nous renvoie les astres tincelants; ce cercle ou plutt cette ligne indivisible environne tout le ciel quelle divise, et cette mme ligne parcourt tous les points de lunivers. De quelque ct que vous portiez vos pas inconstants, soit que vous avanciez vers un point de la terre, soit que vous marchiez vers un autre, le cercle qui termine votre vue nest plus le mme, il change chaque pas; il vous dcouvre une nouvelle partie du ciel, il en drobe une autre votre vue; toujours il vous cache et vous montre la moiti du ciel; mais le terme qui spare ces deux moitis varie, et sa trace change toutes les fois que vous changez de place. Ce cercle est terrestre, parce quil embrasse la circonfrence de la terre, et que son plan lenvironne de toutes parts; et comme il sert de borne et de limite, on lui a donn le nom dhorizon. ces cercles ajoutez deux cercles obliques, dont les directions sont trs diffrentes. Lun[29] porte ces signes clatants, sur lesquels Phbus laisse flotter ses rnes: la desse de Dlos le suit, monte sur son char agile, et les cinq toiles errantes, emportes dans une course oppose celle de lunivers, semblent y former des pas varis que rglent les lois de la nature. Lcrevisse en occupe le point le plus lev, et le capricorne le point le plus bas: rencontr deux fois par le cercle qui gale le jour la nuit, il le coupe au signe du blier et celui de la balance. Ainsi ce cercle, sappuyant sur trois autres,[30] scarte, par une marche oblique, du mouvement direct commun tous les astres. Dailleurs on ne peut dire de ce cercle ce quon pourrait dire de tous les prcdents, quil est imperceptible aux yeux, et que lesprit seul peut se le figurer : il forme une ceinture qui resplendit de tout lclat des belles toiles qui la dcorent; le ciel est comme cisel par la brillante lumire quil y rpand. Sa longueur est de trois cent soixante parties, il en a douze de large; cest dans cette zone que les toiles errantes excutent leurs divers mouvements. Lautre cercle[31] est plac en travers du prcdent; il nat dans le voisinage des ourses; sa trace est voisine du cercle polaire boral. Il passe dans les toiles de Cassiope, renverse sur

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sa chaise; descendant obliquement, il touche le cygne, il coupe le cercle dt, laigle renverse en arrire, le cercle qui gale le jour a la nuit, et celui que parcourent les coursiers du soleil; et il laisse dun ct la queue ardente du scorpion, de lautre la main gauche et la flche du sagittaire. Il dirige ensuite sa marche sinueuse travers les cuisses et les pieds du centaure, et, commenant remonter vers nous, il parvient au sommet des mts du navire, traverse le cercle qui occupe le milieu du ciel, couvre les toiles les plus basses des gmeaux, entre dans le cocher, et aspirant vous rejoindre, vous qui laviez vu partir, Cassiope, il passe au-dessus de Perse, et termine son circuit dans la constellation o il lavait commenc. Ce cercle coupe donc en deux points les trois cercles du milieu de la sphre et celui qui porte les signes, et il en est rciproquement coup en autant de parties. Il ne faut pas se donner beaucoup de peine pour le chercher; il se prsente de lui-mme, on le voit sans aucun effort, il nest pas possible de sy tromper. Dans lazur du ciel soffre une bande remarquable par sa blancheur; on la prendrait pour une aurore do va poindre le jour, et qui doit ouvrir les portes du ciel. Telle une route, battue par le passage assidu des voitures qui la parcourent, se distingue au milieu des vertes prairies quelle partage; ou comme les flots de la mer blanchissent dcume sous le sillage, et, sortis en bouillonnant du gouffre qui les vomit, dterminent le chemin que suit le navire: telle cette route cleste brille par sa blancheur au milieu des tnbres qui couvrent lOlympe, et projette sa vive lumire sur le fond azur du ciel. Semblable Iris qui tend son arc dans les nues, elle imprime au-dessus de nos ttes sa trace lumineuse, et force les mortels la regarder avec tonnement : ils ne peuvent pas ne pas admirer cette lumire insolite qui perce les ombres de la nuit; et ils cherchent, malgr les bornes de leur intelligence, pntrer la cause de ces divines merveilles. Est-ce que les deux parties du ciel tendent se dsunir? leur liaison trop faible menace-t-elle de se dissoudre, et la vote cleste, commenant se sparer, ouvre-t-elle un passage cette lumire nouvelle? Comment ne pas frmir laspect du ciel ainsi dchir, lorsque ces plaies de la nature frappent nos yeux pouvants! Penserons-nous plutt quune double vote, ayant form le ciel, trouve ici sa ligne de runion, que les deux moitis y sont fortement cimentes, que cest une cicatrice apparente qui runit pour toujours ces deux parties; que la matire cleste y tant amasse en plus grande quantit, sy condense, forme un nuage arien, et entasse une plus grande masse de la matire qui constitue le plus haut des cieux? En croirons nous une vieille tradition, suivant laquelle, dans des sicles reculs, les coursiers du soleil, tenant une autre route que celle quils suivent aujourdhui, avaient longtemps parcouru ce cercle? Il sembrasa enfin, les astres quil portait furent la proie des flammes; leur azur succda cette couleur blanchtre, qui nest que celle de leur cendre : on peut regarder ce lieu comme le tombeau du monde. Lantiquit nous a transmis un autre fait: Phaton conduisit autrefois le char de son pre le long des signes clestes. Mais tandis que ce jeune tmraire samuse contempler de prs les merveilles du ciel, quil sourit ces nouveaux objets, quil se livre tout entier au plaisir dtre port sur le char du soleil, quil pense mme oser plus que lui, il abandonne la route qui lui est prescrite, et sen ouvre une toute nouvelle. Les astres quil traverse ne peuvent supporter la proximit de ces feux errants auxquels ils ne sont point accoutums; le char vole en clats. Pourquoi nous plaindrions-nous des ravages causs par cet incendie dans toute ltendue de la terre, devenue son propre bcher, et qui vit toutes ses villes consumes par les flammes? Les clats disperss du char du soleil portrent le feu partout; le ciel mme fut embras; le feu gagna le monde entier; les astres voisins de la route de Phaton en devinrent la proie, et portent encore lempreinte de cette catastrophe. Les annales anciennes font mention dun fait moins tragique, que je ne dois pas passer sous silence: quelques gouttes de lait, chappes de sein de la reine des dieux, donnrent cette couleur la partie du ciel qui les reut; et cest de l que vient le nom de voie lacte, nom qui rappelle la cause de cette blancheur. Ne faudrait-il pas plutt penser quune grande quantit dtoiles sur ce mme point y forme comme un tissu de flammes, nous renvoie une lumire plus dense, et rend cette partie

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du ciel plus brillante par la runion dun plus grand nombre dobjets lumineux? Dira-t-on enfin que les mes des hros qui ont mrit le ciel, dgages des liens de leurs corps aprs leur sjour sur la terre, sont transportes dans cette demeure; que ce ciel leur est appropri; quelles y mnent une vie cleste, quelles y jouissent du monde entier? L sont honors les Eacides, les Atrides, lintrpide fils de Tyde, le souverain dIthaque, vainqueur de la nature et sur terre et sur mer, le roi de Pylos, clbre par trois sicles de vie; tous les autres chefs des Grecs qui combattirent sous les murs dIlion, Assaracus; Ilius, tous les hros troyens qui suivaient les tendards dHector; le noir fils de lAurore, et le roi de Lycie, digne sang de Jupiter. Je ne dois pas vous oublier, belliqueuse Amazone, non plus que la ville de Pella, que la naissance dun grand conqurant[32] a rendue si clbre. On y voit aussi ces hommes qui se sont illustrs par ltendue de leur gnie et par lautorit de leurs conseils, dont toutes les ressources taient en eux-mmes: le juste Solon, le svre Lycurgue, le divin Platon, et celui[33] qui avait t son matre, et dont linjuste condamnation fit retomber sur Athnes, sa patrie, larrt odieux prononc contre lui; celui qui vainquit la Perse,[34] malgr les innombrables vaisseaux dont elle avait comme pav la mer; les hros romains, dont les rangs sont aujourdhui si serrs; les rois de Rome, except Tarquin; les Horaces, illustres jumeaux, qui tinrent lieu leur patrie dune arme entire; Scvola, que sa mutilation a combl de gloire; la jeune Cllie, suprieure aux hommes en courage; Cls a ceint de la couronne murale pour avoir protg Rome; Corvinus, fier de ses riches dpouilles, et de ce nom glorieux conquis dans un combat o Apollon se fit son compagnon darmes, sous lextrieur dun corbeau ; Camille, qui, en sauvant le Capitole, mrita dtre plac au ciel, et dtre regard comme le second fondateur de Rome; Brutus, qui fonda la rpublique, aprs avoir expuls Tarquin; Papyrius, qui ne voulut se venger que par les armes des cruauts de Pyrrhus ; Fabricius, les deux Curius; Marcellus, qui, le troisime des Romains, remporta des dpouilles opimes et tua un roi de sa main; Cossus, qui eut le mme honneur; les Dcius, gaux par leurs victoires et par leur dvouement la patrie; Fabius, qui devint invincible en temporisant; Livius, qui, second de Nron, vainquit le perfide Asdrubal; les deux Scipions, ns pour la ruine de Carthage; Pompe, vainqueur de lunivers, et qui se vit dcor de trois triomphes et le chef de la rpublique avant le temps prescrit par les lois; Cicron, que son loquence seule leva au consulat; la race illustre des Claudes, les chefs de la famille Emilienne, les clbres Mtellus; Caton, suprieur la fortune; Agrippa, qui passa du sein maternel aux fatigues de la guerre. La famille des Jules, dont lorigine remonte Vnus, et qui tait descendue du ciel, a peupl le ciel, maintenant gouvern par Auguste, que Jupiter sest associ dans cet empire. Elle voit au milieu delle le grand et divin Romulus, au-dessus de cette trace lumineuse qui tapisse la vote thre. Ce ciel suprieur est rserv aux dieux; la voie lacte est la demeure des hros qui, semblables aux dieux par la vertu, ont approch deux de plus prs. [Il est dautres astres dont la marche est contraire au mouvement de lunivers, et qui, dans leur vol rapide, sont suspendus entre le ciel et la terre ce sont Saturne, Jupiter, Mars et le Soleil. Sous eux, Mercure fait sa rvolution entre Vnus et la lune.] Maintenant, avant de faire connatre lnergie des astres et le pouvoir que les signes exercent sur nos destines, achevons de dcrire ce quon observe dans le ciel, et ce qui fait sa richesse. [Tout objet clatant mrite notre attention, ainsi que le temps o il brille.] Il est des feux rpandus dans lair, qui naissent dune matire sans consistance. En effet, aux poques de grandes rvolutions, on a vu quelquefois des comtes se dissiper en un instant, et dautres senflammer subitement. La cause en est peut-tre que la terre exhalant les vapeurs quelle renferme dans son sein, lhumidit de ces vapeurs est dtruite par la scheresse de lair. Toute la matire des nuages stant dissipe dans un ciel longtemps serein, et les rayons

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du soleil ayant embras lair, le feu, qui a franchi ses limites, sempare de ces vapeurs comme den aliment qui lui est propre, et la flamme y trouve une matire prte lu recevoir. Comme cette matire na aucune solidit, que ce nest quune exhalaison extrmement rarfie et semblable une fume lgre, lembrasement dure peu, et cesse presque en mme temps quil commence, on voit ainsi la comte briller dun vif clat, et steindre presque au mme instant. Si lextinction de ces feux nen suivait pas de prs la formation, et que cet incendie se prolonget, la nuit serait change en jour, le jour peine fini renatrait, et surprendrait la terre, ensevelie dans un profond sommeil. De plus, comme ces vapeurs sches de la terre ne se rpandent pas toujours uniformment dans lair, et que le feu les trouve diversement ressembles, il sensuit que ces flammes, que nous voyons subitement paratre dans lobscurit de la nuit, doivent se montrer sous diffrentes formes. En effet, elles prennent quelquefois celle dune chevelure parse, et le feu lance en tous sens des rayons qui ressemblent de longs cheveux flottants autour de la tte. Quelquefois ces mmes rayons stendent dun seul ct, sous la forme dune barbe enflamme. On voit aussi ce feu, tantt termin partout galement, reprsenter on une poutre carre, ou une colonne cylindrique; tantt, enfl par le milieu, offrir limage dun tonneau embras; ou se rassembler en petits pelotons, dont la flamme tremblante reprsente comme autant de mentons barbus, et a fait imaginer pour eux le nom de petites chvres : dautres fois, divis en branches lumineuses, il ressemble ces lampes do sortent plusieurs mches. Par un ciel serein, quand les toiles scintillent de toutes parts, on en voit qui semblent se prcipiter sur la terre, ou errer et l dans lespace, laissant aprs elles une longue trace de feu; ou bien, se transportant de grandes distances avec la rapidit de la flche, elles marquent pareillement dun trait de lumire lintervalle que leur course a embras. Le feu pntre toutes les parties de lunivers. Il est dans ces nuages pais o slabore la foudre; il traverse les entrailles de la terre; il menace dincendier le ciel par les bouches de lEtna; il fait bouillonner les eaux jusque dans leurs sources; le caillou le plus dur et la verte corce des arbres le reclent; le bois, dans les forts, sembrase par le frottement : tant la nature est partout imprgne de feu. Ne soyez donc pas tonns de voir tant de flambeaux sallumer subitement dans le ciel, et lair enflamm reluire de leur clat, quand il a reu les exhalaisons dessches qui schappent de la terre, exhalaisons dont le feu sempare, et dont il suit et abandonne successivement la trace. Ne voyez-vous pas les feux du tonnerre slancer en serpentant du sein mme de la pluie, et le ciel forc de souvrir devant lui? Soit donc que la terre, fournissant quelquefois au feu arien un aliment qui lui est propre, puisse par l contribuer la gnration des comtes; soit que la nature, en crant les astres, ait en mme temps produit ces feux dont la flamme est ternelle, mais que le soleil attire lui par sa chaleur, et quil enveloppe dans la sphre de ses rayons, dont ensuite ils se dgagent; (tel Mercure, telle Vnus, qui aprs avoir clair le commencement de la nuit, disparaissent souvent, que lon cherche en vain dans le ciel, et qui bientt redeviennent visibles:) soit enfin que Dieu, sensible nos malheurs prochains, nous donne par ces rvolutions, par ces incendies du ciel, des avertissements salutaires jamais les feux clestes ne furent des menaces frivoles. Les laboureurs, frustrs de leur esprance, pleurent la perte de leurs moissons; accabls de fatigue au milieu de leurs sillons striles, ils font plier sous un joug inutile des bufs qui semblent partager leur tristesse. Ou bien une flamme mortelle sempare des entrailles des hommes, et les consume par des maladies cruelles ou par une langueur contagieuse des peuples entiers prissent; les villes deviennent le tombeau, le bcher commun de tous leurs habitants. Telle fut cette peste affreuse qui, dpeuplant le royaume dErechthe, ne fit de lancienne Athnes quun monceau de cadavres; ses malheureux habitants prissaient sur les corps mmes de leurs concitoyens; la science du mdecin ntait daucun secours; on offrait en vain des vux la divinit; les malades taient abandonns, les funrailles ngliges; on ne versait point de larmes sur les tombeaux; le feu, fatigu davoir allum tant de bchers, avait enfin manqu. On brlait les corps entasss les

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uns sur les autres et ce peuple, autrefois si nombreux, eut peine un hritier qui lui survct. Tels sont les malheurs que les brillantes comtes nous annoncent souvent : des pidmies les accompagnent; elles menacent de couvrir la terre de bchers ; le monde et la nature entire languissent, et semblent avoir trouv comme un tombeau dans ces feux. Ces phnomnes prsagent aussi des rvolutions subites, des invasions clandestines, appuyes sur la fraude, et apportes par des nations trangres, comme lorsque le froce Germain, violant la foi des traits, fit prir le gnral Varus, et teignit le champ de bataille du sang de trois lgions romaines. On vit alors des flambeaux menaants errer et l dans toute ltendue du ciel: la nature mme semblait par ces feux nous dclarer la guerre, rassembler ses forces contre nous, et nous menacer dune destruction prochaine. Au reste, ne soyez pas surpris de ces rvolutions et de ces dsastres : la cause en est souvent en nous-mmes: mais nous sommes sourds la voix du ciel. Quelquefois aussi ces incendies clestes annoncent des divisions intestines, des guerres civiles. Jamais ils ne furent si multiplis que quand des armes, ranges sous les drapeaux de chefs redoutables, couvrirent de leurs bataillons les campagnes de Philippes. Ces plaines taient encore imbibes de sang romain, et le soldat, pour marcher au combat, foulait aux pieds les membres mutils de ses concitoyens, lempire puisait ses forces contre luimme. Auguste, pre de la patrie, fut vainqueur aux mmes lieux que Jules son pre. Mais nous ntions pas la fin de nos malheurs: il fallait combattre de nouveau prs dActium; et la mer fut le thtre o les armes devaient dcider si Rome serait la dot dune reine, et qui appartiendrait lempire de lunivers. Rome incertaine craignait de tomber sous le joug dune femme : ctait la foudre mme avec laquelle les sistres dIsis osaient se mesurer. On fut bientt forc de soutenir une autre guerre contre des esclaves, contre des bandits attroups par le jeune Pompe, qui, lexemple des ennemis de son pre, infestait les mers que le grand Pompe avait nettoyes de pirates. Mais que les destins ennemis soient enfin satisfaits! jouissons des douceurs de la paix; que la discorde, charge de chanes indestructibles, soit relgue dans des cachots ternels. Que le pre de la patrie soit invincible; que Rome soit heureuse sous son gouvernement; et que, lorsquelle aura fait prsent au ciel de cette divinit bienfaitrice, elle ne saperoive pas de son absence sur la terre.[1] [2]

Csar Auguste. Jules Csar. [3] Les plantes. [4] Tel tait le sentiment dAristote. [5] Tel tait le sentiment dHsiode, dEuripide, etc. [6] Id. dHraclite. [7] Id. de Thals. [8] Id. dEmpdocle. [9] La grande ourse. [10] La petite ourse. [11] On la nomme aujourdhui Hercule; les anciens lappelaient Engonasis, terme grec qui signifie agenouill. [12] En grec, gardien de lourse. [13] Belle toile, place au bas de la robe du bouvier. [14] Le serpentaire. [15] Laigle. [16] Pgase. [17] Le triangle. [18] La baleine. [19] Hniochus, en grec, teneur de bride. [20] Une des plus grandes et la plus brillante des constellations qui paraissent sur notre horizon.

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Le grand chien ou plutt ltoile de sa gueule, dite Sirius. Ou le petit chien. [23] Le corbeau. [24] picure, en cela prcd par Dmocrite. [25] Lquateur. [26] Le tropique du capricorne. [27] Le cercle polaire antarctique. [28] Lhorizon. [29] Le zodiaque. [30] Lquateur et les deux tropiques. [31] La voie lacte. [32] Alexandre le Grand. [33] Socrate. [34] Thmistocle. NOTES SUR MANILIUS. LIVRE I. v. 38. Et natura. Il nest pas inutile de remarquer que, dans le systme de Manilius, la nature, le monde, le ciel, Dieu, ne sont quune seule et mme chose, doue cependant dune intelligence infinie. Outre ce Dieu universel, il admettait les dieux du paganisme; mais il parat quil les regardait comme subordonns ce Dieu-Nature, aux lois primitives duquel ni Jupiter, ni les autres dieux, ni les hommes, ne pouvaient se soustraire. v. 140. Supra est hominemque deumque. Nous ne voyons pas quon puisse donner raisonnablement un autre sens ce que dit ici Manilius. Au reste, par ce dieu ou ces dieux, dont la cause de lexistence du monde surpasse lintelligence, il faut sans doute entendre les dieux particuliers, Jupiter, Apollon, etc., et non la souveraine intelligence, qui, suivant notre pote, anime toutes les parties de lunivers. Cette intelligence tait ncessairement aussi ancienne que le monde, dont elle gouverne les ressorts; on ne peut dire la mme chose de Jupiter et des autres dieux, dont on connaissait la naissance, lducation, lenfance et les progrs. v. 163. Medium totius et imum est. Manilius suit ici les opinions reues de son temps sur le systme physique de lunivers. Si, comme nous nen doutons pas, ces opinions sont errones, au moins il faut convenir que le pote les prsente sous le jour le plus favorable. On aurait pu cependant lui demander pourquoi la lune, pourquoi les plantes, corps opaques, selon lui, ainsi que la terre, ne sont pas aussi tombes par leur poids au centre de lunivers, v. 205. Canopum. Canope est une belle toile dans le gouvernail du vaisseau, invisible en France. On a fait un crime Manilius davoir dit quil fallait aller jusquen Egypte pour voir cette toile, quon dcouvre cependant facilement sans traverser la Mditerrane. Il est vrai que lon dcouvre Canope Cadix et dans la partie mridionale de la Grce; mais ceux qui ont fait cette objection nont pas fait attention que la dclinaison de cette toile est maintenant moins australe que du temps de Manilius et dEudoxe. Canope pouvait alors slever audessus de lhorizon de Cadix, mais si peu, que les vapeurs de lhorizon ne permettaient pas de la distinguer. v. 218. Ultima ad Hesperios. Ce que dit ici Manilius nest pas tout fait exact. Partout o lon voit une clipse de lune, on la voit au mme instant physique. Mais les peuples occidentaux, qui sont la lune clipse leur orient, comptent une heure beaucoup moins avance que les peuples orientaux, qui observent lclipse leur occident. v. 237. Alligat undis. Plusieurs interprtes ont pens que, par le verbe alligat, Manilius avait voulu dsigner lOcan comme un moyen de communication entre les deux hmisphres opposs. Nous ne pouvons tre de ce sentiment : il est facile de voir que Manilius ne regardait

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pas cette communication comme possible. Il est du moins certain quelle nexistait pas de son temps. v. 248. Qu medium obliquo prcingunt... Les douze signes du zodiaque : ctait aux toiles parses dans ces douze signes que les astrologues attribuaient la plus grande influence sur les destines des hommes; la position favorable ou dfavorable des plantes dans ces constellations dcidait de tous les vnements. v. 250. Adverso luctantia..., Suivant lancien systme, tout le ciel tourne autour de la terre dorient en occident : outre ce mouvement commun, les plantes en ont un particulier doccident en orient. v. 281. Austrinas arctos. On voit plus bas que Manilius imaginait une ressemblance parfaite entre les deux ples que, suivant lui, il y avait prs du ple austral deux ourses semblables celles qui sont dans le voisinage de notre ple, que ces ourses taient spares par un dragon, etc. Je ne sais o Manilius avait puis cette ide la partie du ciel que nous voyons au del de lquateur ne ressemble en aucune manire celle que nous observons en de. v. 367 Pleiadesque hyadesque. Les Pliades sont un amas dtoiles au-dessus des paules du Taureau, connu du peuple sous le nom de la poussire. Elles taient, suivant les anciens, au nombre de sept, quoiqu la vue on nen pt dcouvrir que six. Vues maintenant avec le tlescope, elles sont sans nombre. Les hyades sont un autre groupe dtoiles dans la tte du taureau, ayant la figure dun L couch : on y dcouvre pareillement avec le tlescope un grand nombre dtoiles. v. 394. Hunc qui surgentem... Le lever hliaque des toiles, dont il sagit ici, est leur premire apparition, lorsque, aprs avoir t longtemps caches dans les rayons du soleil, elles en sortent, et redeviennent visibles du ct de lorient. v. 414. Ara nitet. Cette constellation, connue gnralement nous le nom dautel, est appele turibulum, ou lencensoir, par Germanicus, Claudien et quelques autres, v. 431. Tum notius piscis. Il ne faut pas confondre ce poisson avec les poissons, douzime signe du zodiaque: celui-ci, plac lextrmit de leffusion du verseau, forme lui seul une constellation. v. 444. Et versas frontibus arctos. Si quelquun regrettait les quatre vers que nous avons supprims dans le texte, il pourrait ajouter ici : Nous croyons par analogie quelles sont spares et environnes par un seul dragon; mais nous ne pouvons nous en assurer par le tmoignage de nos yeux. Cest pour cela que, sur les cartes clestes, la partie du ciel qui nous est invisible est reprsente parfaitement semblable celle que nous voyons toujours. v. 495. Temporaque. Cest, dit-on, Palamde qui, durant le sige de Troie, apprit distinguer les veilles de la nuit par la position des toiles dans le ciel. Cela peut tre; mais nous ne doutons pas que, longtemps avant Palamde, les Egyptiens et les Chaldens ne sussent dterminer par les astres les heures de la nuit. v. 537. quali spatio texentia clum. Toute cette doctrine de Manilius se rduit ceci : Dans une sphre quelconque, le diamtre est peu de chose prs gal au tiers de la circonfrence dun grand cercle de cette sphre; cest une vrit connue de tout apprenti gomtre. Or lunivers est sphrique; la terre est au centre de cette sphre. Elle spare donc en deux parties gales tous les diamtres : sa distance la surface de la sphre est donc peu prs la sixime partie de la circonfrence dun grand cercle, Or, douze signes sont ltendue de la circonfrence dun grand cercle, tel que le zodiaque. Donc la distance de la terre la partie la plus loigne de la sphre, ou la surface de lunivers, est gale la sixime partie de douze signes, ou ltendue de deux signes. Mais cela nous conduit-il la connaissance de la distance absolue de la terre aux signes clestes, celle de ltendue absolue de ces signes. Jose ajouter : cela mritait-il lloge pompeux de la raison, qui sert de prambule au raisonnement de notre pote?

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v. 545. Circulus ad Boream. Cercle polaire arctique, ou plutt cercle qui renferme les toiles qui ne se couchent jamais, dont par consquent la distance du ple est toujours gale la hauteur de ple. v. 546. Sexque. Les anciens ne divisaient la circonfrence du cercle quen soixante parties; donc une de ces parties valait six de nos degrs; donc six parties valaient trente six degrs. Telle tait en effet le hauteur du ple Cnide, o Eudoxe crivait : et Manilius, tant ici que presque partout ailleurs, ne fait que copier Eudoxe, v. 547. Alter. Le tropique de lcrevisse, dont la distance au cercle polaire tait Cnide de cinq parties ou de trente degrs en nombres ronds. v. 554. Tertius. Lquateur. Sa distance chacun des deux tropiques est, en nombres ronds, de quatre parties ou de vingt-quatre degrs. v. 582. Sunt duo. Les deux colures: le premier est celui des quinoxes, le second celui des solstices. Colure est un mot grec qui signifie mutil de la queue . On a donn ce nom ces deux cercles, non quils soient rellement mutils; mais parce quune partie de leur circonfrence ne slve jamais au-dessus de lhorizon, moins quon habite sous lquateur mme. On ne les voit donc point entiers, mme successivement. v. 589. Siccas et dividit arctos. Scaliger prtend quil nest pas possible quun colure traverse en mme temps la queue du dragon et les deux ourses ; et il ajoute que le reste de la description est assez exact : reliqua satis bene habent. Deux pages aprs, presque tout ce que dit Manilius des colures est faux, suivant Scaliger, falsa sunt maximam partem : nais, ajoute-til, cela ne vaut pas la peine quon sy arrte. Il faut rapporter le ciel de Manilius au temps dEudoxe de Cnide; et alors on trouvera que la description que notre pote nous donne des colures est non pas absolument prcise, mais approchante au moins de la vrit. Huet remarque que Manilius ne dit pas que le colure traverse les deux ourses, mais quil les spare, quil passe entre elles. Je vais plus loin, et jose assurer que Scaliger tait distrait en avanant quil nest pas possible quun colure traverse la queue du dragon et les ourses. Quelques sicles avant celui dEudoxe, le colure des solstices rasait de tout prs ltoile b de la petite ourse, traversait la queue du dragon entre k et l, et passait un peu loccident de ltoile Dubh ou a, et entre les pattes antrieures et postrieures de la grande ourse. v. 613. Consurgens helice. Plus exactement : prenant naissance au ple du monde. Il sagit ici du mridien qui passe par les ples et le znith, et qui coupe angles droits lquateur et tous les arcs diurnes des astres, v. 614. Sextamque examinat horam. Les anciens divisaient le jour, soit dhiver, soit dt, en douze heures ainsi la sixime heure chez eux tait toujours celle de midi.

LIVRE IILes combats livrs sous les murs dIlion ; Priam, pre et roi de cinquante souverains ; la flotte des Grecs incendie par Hector; Troie invincible sous ce hros; les erreurs dUlysse, qui durrent autant que ses exploits, et lexposrent sur mer autant de prils que devant Troie; les derniers combats quil eut soutenir dans sa patrie pour recouvrer son royaume usurp : tels sont les vnements chants par ce pote immortel dont la Grce nous a laiss ignorer la vraie patrie, en lui en assignant sept diffrentes; par cet homme divin, dont les crits sont une source fconde o ont puis tous les potes, un fleuve que la postrit, enrichie des trsors dun seul bomme, a partag en une infinit de rameaux. Hsiode le suivit de prs ; il a clbr les dieux et ceux dont ils tirent leur origine; il a montr le chaos engendrant la terre, lenfance 22

du monde sous lempire du chaos; les astres, premires productions de la nature, et encore incertains dans leur marche; les vieux Titans; le berceau du grand Jupiter; son titre dpoux joint celui de frre; le nom de mre acquis Junon sans lentremise de ce frre ; la seconde naissance de Bacchus sortant de la cuisse paternelle; enfin toutes les divinits disperses dans la vaste tendue de lunivers. Il a fait plus voulant nous faire profiter des dons de la nature, il a dict les lois de la culture des terres; il a enseign lart de les rendre fertiles il nous a appris que Bacchus se plat sur les coteaux, Crs dans les plaines, Pallas dans ce double sjour, et que par la greffe on peut faire produire aux arbres diverses espces de fruits; occupations dignes dexercer lhomme pendant la paix. Quelques-uns ont dcrit les figures des constellations, les signes que nous voyons rpandus dans toute ltendue des cieux; il les ont rangs en diffrentes classes, et nous ont dit les causes qui leur ont mrit les honneurs clestes. Lappareil dun supplice y a conduit Perse et Andromde, la plaintive Cassiope, et Cphe qui sefforce de la consoler. La fille de Lycaon[1] y fut enleve par Jupiter; Cynosure[2] y est parvenue, pour le soin quelle prit du matre des d:eux; la chvre, pour lavoir nourri de son lait; le cygne, pour lui avoir prt son plumage; Erigone,[3] pour prix de sa pit; le scorpion, pour avoir lanc son dard propos; le lion, pour sa dpouille enleve par Hercule; lcrevisse, pour avoir mordu ce hros; les poissons, pour avoir vu Vnus emprunter leur forme; le blier, chef des signes clestes, pour avoir triomph des flots. Il en est de mme des autres constellations que nous voyons rouler au haut de lespace; les potes ont puis dans lhistoire les causes qui les ont leves au ciel, et le ciel, dans leurs vers, nest quun tableau historique; ils nous montrent la terre peuplant le ciel, au lieu de nous la reprsenter comme en tant dpendante. Le pote que la Sicile a vu natre[4] a dcrit les murs des bergers; il a chant Pan enflant ses chalumeaux : ses vers, consacrs aux forts, nont rien dagreste; la douceur de ses modulations donne de lagrment aux lieux les plus champtres, et les autres, grce lui, deviennent le sjour des Muses. Celui-l chante le plumage vari des oiseaux, et les antipathies des animaux; celui-ci traite des serpents venimeux; cet autre, des herbes et des plantes dont lusage peut nous donner la mort, ou rappeler la vie.[5] Il en est mme qui voquent le noir Tartare des tnbres o il est plong, le produisent la lumire, et qui, rampant les lieus de lunivers, le droulent en quelque sorte, pour en bouleverser lintrieur. Rien nest rest tranger aux doctes Surs; il nest point de chemin, conduisant lHlicon, qui nait t fray; les sources qui en dcoulent ont donn naissance des fleuves, dont les eaux runies ne sont pas encore assez abondantes pour la foule qui sy prcipite. Cherchons quelque prairie dont lherbe, humecte de rose, nait pas encore t foule; une fontaine qui murmure paisiblement au fond de quelque autre solitaire, que le bec des oiseaux nait point effleure, et ou le feu cleste de Phbus nait jamais pntr. Tout ce que je dirai mappartient ; je nemprunterai rien daucun pote; mes vers ne seront point un larcin, mais une uvre; le char qui mlvera au ciel est moi; cest sur ma propre nacelle que je fendrai les flots. Je chanterai la nature doue dune secrte intelligence, et la divinit, qui, vivifiant le ciel, la terre et les eaux, tient toutes les parties de cette immense machine unies par des liens communs. Je dcrirai ce tout, qui subsiste par le concert mutuel de ses parties, et le mouvement qui lui est imprim par la raison souveraine. Cest, en effet, le mme esprit qui, franchissant les espaces, anime tout, pntre toutes les parties du ciel, et donne aux corps des animaux la forme qui leur convient. Si cette vaste machine ntait pas un assemblage de parties convenablement assorties, si elle ntait pas soumise aux lois dun matre, si une sagesse universelle nen dirigeait pas tous le