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pour une révolution sociale, éducative et pédagogique Revue de la fédération des travailleurs de l’éducation 4 Euros - N°27 - AUTOMNE 2010 • Marc Cantin et Isabel • François Bégaudeau • Gérard Mordillat • Fabien Clavel • Ayerdhal 5 NOUVELLES D’ANTICIPATION l’école en 2020 c’est quand qu’on va où ? Revue de a l la n u un r u ur o ou p po Revue de édératio des trava f de l’éduc c u uc d du é éd , e l le a al i ia c ci o oc s n o on i io t ti u ut l lu o ol v vo é év r e n ne a l la on eurs aill le cation e u ue q qu i iq g gi o og g go a ag d da é éd p t e et e v ve i iv t ti a at c ca u uc AU 4 Euros - N°27 - UTOM MN 2010 NE

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Ouf, j'espère que c'est bon

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pour une révolution sociale, éducative et pédagogique

Revue de la fédération des travailleurs

de l’éducation4 Euros - N°27 - AUTOMNE 2010

• Marc Cantin et Isabel

• François Bégaudeau

• Gérard Mordillat• Fabien Clavel

• Ayerdhal

5 NOUVELLES D’ANTICIPATION

l’école en 2020c’est quand qu’on va où ?

Revue de

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Revue de édératio f fé

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N’AUTRE école

3N’AUTRE école, n° 27, automne 2010

sommaireautomne 2010

2 Site de la revue et abonnement

3 Sommaire

4 Édito

5 dossierL’école dans dix ans

5 |FICTIoN| G. MordillatEn sortant de l’école...

8 École : les pièges de la concurrence

9 Belote, rebelote et carte scolaire

9 Dix ans de réforme dans les dents

12 Et si on rêvait un peu

14 |FICTIoN| M. Cantin & IsabelÉcole pilote

17 |ENTRETIEN| People and baby

20 Le projet de décret sur les EPEP 

21 Il y a vingt ans, la lutte contre le statut des maîtres-directeurs

22 |FICTIoN| F. BégaudeauLa préhistoire

24 Tableau des contre-réformes

26 L'ambition des uns fait-elle la réussite des autres ?

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Revue de la fédération des travailleurs

de l’éducation4 Euros - N°27 - AUTOMNE 2010

• Marc Cantin et Isabel

• François Bégaudeau

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AUTOM4 Euros - N°27 -

NE 2010AUTOMAUTOMNE 2010NE

www.cnt-f.org/nautreecoleRetrouvez sur le site de larevue des compléments auxdossiers, des articles inéditsou en version intégrale.

28 |FICTIoN| F. ClavelRetour sur investissement

31 |ENTRETIEN|L’ennemi intérieur

32 Dérives sécuritaires : les équipes mobiles de sécurité

33 Résister au fichage | Bd

34 «Chat» potache,jargon et dérision

36 Face au décrochage, penser et agir : le Clept

38 |FICTIoN| Alternatives

41 École émancipée : le centenaire

43 Notes de lecture

46 Littérature jeunesse

47 BD

Ce numéro de N’Autre écoleconstitue la première partied’un dossier sur«L’école dans dix ans»mêlant textes d’analyseet textes de fiction.Ce dossier se prolongeradans le prochain numéro.

ArtiCLe en version intégrALe {sur Le site}

dossier ePeP {sur Le site}

dossier CLAir {sur Le site}

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Dossier | L’école dans dix ans...

ÉditoEn l’an 2000 on parlait d’un autre futur: cinq ans avant, une grève des cheminots ici, une révolte

indienne au Chiapas, tout là-bas, avaient donné à penser que les années Thatcher et Mitterrand

n’étaient qu’une parenthèse. Erreur, ce n’était qu’un avant-goût.

on se trompe si souvent dans les prévisions. on espère donc que les invités de ce numéro, si talen-

tueux soient-ils, se trompent allègrement et que leurs noires fictions ne sont qu’une erreur de

perspective.

Mais c’est vrai que les coups redoublent ces temps-ci. Et là on est hélas

bien dans le réel, d’où ces articles d’analyse et de récapitulation pour

y voir clair. Tant pis si cette sombre clarté du réel rejoint l’inquiétude de

l’imaginaire.

Pas de « happy end » dans cet édito, mais l’annonce que les contributions

ont été cette fois si nombreuses que nous prolongerons, et cette fois-ci à nouveau en mêlant fictions

et vécu, la réflexion dans un second numéro ; sous d’autres angles – et avec optimisme ?

N’AUTRE école, n° 27, automne 20104

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•••NeigeCe jour-là il neigeait comme il ne neige plus à Paris depuis longtemps. Une neige dense, drue, qui cou-vrait tout et empêchait de voir le bout de la rue. Aller à l’école, c’était affronter le vent, la tempête, lefroid. C’était bien, c’était l’aventure rue des Pyrénées, rue Orfila, rue de la Cloche…

L’école Sorbier, dans le xxe arrondissement est un immense vaisseau de brique rouge. Sous les flocons,c’était un vaisseau fantôme dont l’horloge géante se dressait comme un mât au milieu des bourrasques.En cours préparatoire, notre instituteur s’appelait M. Vigneau. Un grand brun mince, au sourire ave-nant, qui devait avoir la trentaine, pas plus. À cause des intempéries nous n’avions pas le droit d’allerjouer dans la cour avant de regagner nos classes. Nous étions tous réunis dans le préau, attendant la son-nerie. Au signal, en rang par deux, nous y allâmes d’un bon pas sous la direction de notre maître qui fitremarquer en jetant un coup d’œil à l’extérieur:

– Pour neiger, on peut dire qu’il neige…Ce qui était bien observé.Il y avait une rangée de portemanteaux à l’extérieur de la classe pour accrocher nos vêtements. Comme

nous en étions encore au b. a ba de la lecture, chacun de nous s’était vu attribuer une image qui marquaitson crochet. J’avais touché un chou! Je ne voyais pas pourquoi je n’avais pas eu droit à un requin, un lionou un aigle. Un chou, c’était ridicule. J’ai compris plus tard. J’étais, en secret, le chouchou de M. Vigneauqui, n’ayant pas de « chouchou » en vignette, m’en avait offert une moitié.

Il aurait pu s’en passer…La leçon de grammaire commença.– Ouvrez vos cahiers.Nous regardions la neige qui tombait, qui tombait, qui tombait et qui, s’arrêtant de tomber, laissa la

cour d’un blanc immaculé. À la récré, les grands allaient s’en donner à cœur joie. Nous, les petits, nousaurions au mieux un coin pour faire un bonhomme, au pire nous servirions de cibles aux lanceurs deboules de neige…

Je suis, tu es, il est…M. Vigneau s’aperçut qu’un voile de tristesse qui n’avait rien à voir avec la grammaire couvrait nos

regards. Personne n’avait la tête à la conjugaison du présent de l’indicatif…Il prit alors une décision énergique:– Fermez vos cahiers, prenez vos manteaux, on sort faire une bataille !Sitôt dit, sitôt fait.Bonaparte, dans sa jeunesse, n’a pas combattu avec plus de fougue. La cour était à nous! À nous seuls.

5

Felix Leclerc chantait:« En sortant de l’école, nous avons rencontré,un grand chemin de ferqui nous a emmenétout autour de la terre… ».Il avait raison.L’école, on y entre et on en sort. Moi, j’en suis sorti assez rapidement, mais pas sans biscuits…

ÉditoEn l’an 2000 on parlait d’un autre futur: cinq ans avant, une grève des cheminots ici, une révolte

indienne au Chiapas, tout là-bas, avaient donné à penser que les années Thatcher et Mitterrand

n’étaient qu’une parenthèse. Erreur, ce n’était qu’un avant-goût.

on se trompe si souvent dans les prévisions. on espère donc que les invités de ce numéro, si talen-

tueux soient-ils, se trompent allègrement et que leurs noires fictions ne sont qu’une erreur de

perspective.

Mais c’est vrai que les coups redoublent ces temps-ci. Et là on est hélas

bien dans le réel, d’où ces articles d’analyse et de récapitulation pour

y voir clair. Tant pis si cette sombre clarté du réel rejoint l’inquiétude de

l’imaginaire.

Pas de « happy end » dans cet édito, mais l’annonce que les contributions

ont été cette fois si nombreuses que nous prolongerons, et cette fois-ci à nouveau en mêlant fictions

et vécu, la réflexion dans un second numéro ; sous d’autres angles – et avec optimisme ?

N’AUTRE école, n° 27, automne 2010

En préparant ce numéro un peuparticulier, nous avons eu l’idée de demander à différents auteursde fiction de nous proposer une nouvelle sur le thème « l’école dans dix ans ». Noustenons ici à les remercier (ils onttous dit oui immédiatement).

Ce numéro propose donc cinqtextes signés G.Mordillat,F. Bégaudeau, M. Cantin & Isabel,F. Clavel.

La prochaine livraison publiera lescontributions d’Y. Grevet, J. Heliott,B. Guillemard, J.-P.Levaray, Y. Pinguily, S. Quadruppani et T. Maricourt.

En sortant de l’écoleGérard Mordillat

Fiction | L’école dans dix ans

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C’était la revanche des petits sur les grands. Nous étionsvingt de chaque côté et Monsieur Vigneau qui encou-rageait un camp puis l’autre jusqu’à ce qu’il reçoive uneboule perdue en pleine tête et siffle la fin des hostilités.

Quand les grands sont sortis en récréation nous som-mes rentrés en classe, rouges de froids, trempés deneige, essoufflés d’avoir tant crié mais heureux commeles vengeurs de Flourens.

Le meilleur restait à venir.La leçon suivante devait porter sur le calcul. Mon-

sieur Vigneau ouvrit son armoire et en sortit deux car-tons à gâteaux qu’il posa sur son bureau. Puis il écrivitau tableau: 1 + 1 =…

Le chœur des bons élèves clama:– Deux!Il sortit ensuite cinq babas au rhum du premier car-

ton et autant du second. Il inscrivit : 5 + 5 =...– Dix! entonna le chœur.Maintenant, réfléchissez bien, dit M. Vigneau. Il y a

dix babas au rhum et vous êtes quarante. En combiende parts devrais-je couper chaque baba pour que vouspuissiez tous en manger?

C’était difficile.Je n’étais pas le chouchou pour rien. Après quelques

propositions malheureuses de mes petits camarades, jelevais la main:

– En quatre, m’sieur!– Pourquoi en quatre?– Parce que quatre par dix, ça fait quarante…Le bon génie de la gourmandise avait dû me visiter

car je n’entends rien aux chiffres. Peu importe, c’estgrâce à ce résultat que nous écrivîmes la belle conclu-sion du conte des dix babas (au rhum!) et des quarantemangeurs…

LunettesL’année suivante, Madame Vincent était notre institu-trice. Une petite dame très douce qui nous considéraitd’abord comme ses enfants avant d’être ses élèves. Avecelle, l’école c’était la vie de famille ; mieux même que lavie de famille, car elle ne criait jamais et trouvait tou-jours une manière d’excuser nos fautes…

Tout était donc pour le mieux dans la meilleure desécoles possibles jusqu’au jour où, après une visite deroutine de la médecine scolaire, la doctoresse diagnos-tiqua que je devrais porter des lunettes.

Personne d’autre que moi ne devait en porter, maismoi, si !

Je découvris d’un coup le mot et la nature du mal ter-rible qui me frappait : j’étais myope. Après avoir été« chouchou », j’étais « myope ».

La chute d’Icare n’est rien à côté de ce que je res-sentis.

Un copain d’école de mon père tenait une boutiqued’oculiste, M.Verrier, au nom prédestiné. Pour me faireplaisir, il refit l’examen et confirma ce que je savais déjà:au-delà d’un certain point, le monde devenait pourmoi une toile impressionniste. Par ailleurs, il m’affirmaque le port de ces prothèses visuelles n’aurait qu’untemps et que, dès la puberté, ce ne serait plus qu’unmauvais souvenir.

Me voilà donc avec des lunettes, entouré par mescopains, observé par eux comme une des curiosités dela Foire du Trône. Seul Valentin boudait dans son coin.Je lui volais la vedette. Porteur d’un appareil dentaire, ilétait jus qu’alors l’unique objet des curiosités de labande. L’apparition de mes carreaux offerts par la sécu-rité sociale ruinait sa singularité. Il m’apostropha:

— Quand on est bigleux, on fait pas le crâneur!– Répète, si t’es un homme!– Ouais, t’es bigleux, bigloucheux!Il scanda en se forçant à rire :– Ah le bigloucheux! Ah le bigloucheux!Les autres crièrent:– Du sang! Du sang!Certains que la bagarre était inévitable.– Quand on a les dents qui courent après le bifteck,

on la ferme.– Tu veux te battre? demanda Valentin.– Tu cognerais un type qu’a des lunettes?– Enlève-les si t’as des couilles, me défia Valentin.Je les enlevais et les lui tendis en plissant les yeux.– Tu veux bien me les tenir?Valentin, qui avait un bon fond et n’était pas méchant,

prit délicatement mes lunettes à deux mains. Il n’auraitjamais dû faire ça. Je le voyais flou mais pas plus queMonet voyait ses cathédrales. Mon poing se détenditd’un coup, le touchant en pleine face. J’eus le temps delui reprendre mes lunettes juste avant qu’il tombe surle derrière le nez en sang. Il n’aurait pas fallu qu’elles secassent – en tout cas, qu’elles se cassent comme ça.Mon père m’avait appris, qu’avant de se battre, il nefaut jamais serrer la main droite d’un gaucher; Valen-tin découvrit grâce à moi qu’il ne faut jamais tenir leslunettes d’un myope doté d’un bon direct du droit…

RésistanceJ’avais un an de plus et toujours des lunettes.

Après deux années de délices et de douceurs, l’entréedans la classe de Madame Bourdon s’annonçait commeun passage au Purgatoire avant de rejoindre la classede Monsieur Ely dont je parlerai plus tard.

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N’AUTRE école, n° 27, automne 20106

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7N’AUTRE école, n° 27, automne 2010

Madame Bourdon n’appartenait pas à la brigade durire. Forte poitrine, visage sévère, doigts courts et gras ;chez elle, le moindre écart était sanctionné d’une puni-tion. Il y avait de grands classiques: les lignes à copier,les verbes à aligner à tous les temps et tous les modes,les robinets qui coulent de problème en problème, etc.,et d’ordinaires vexations : au coin, mains sur la tête,dehors dans le couloir, privé de récréation,etc. La dameavait aussi la main leste. Il n’était pas rare de prendreune taloche, voire un coup de règle sur les doigts, sansparler de la fessée dont elle nous menaçait volontiers.

Personne n’imaginait qu’elle puisse en venir à cettedernière extrémité.

Pourtant, elle le fit.Elle ne le fit qu’une seule fois mais quelle fois ! Sa

victime était de ma bande, Tanési, un gentil garçon à lapeau brune, au regard doux, l’ultime rejeton d’unefamille venue d’Italie. Une victime désignée.

Qu’avait-il fait pour mériter un tel châtiment?Je ne m’en souviens plus. Mais le crime devait être

exemplaire pour que la punition le soit. Elle le fut.Mme Bourdon coucha Tanési sur ses genoux et, devantnous tous, lui administra une fessée. Tanési ne poussapas un cri, ne laissa pas échapper une larme quand ilfut renvoyé à sa place dans un silence de mort. Rien.Mme Bourdon était une véritable pédagogue car je veuxcroire que personne n’a jamais oublié cette leçon qui fitde Tanési un exemple admirable de résistance face àl’ennemi, de stoïcisme sous la torture, de dignité dansl’humiliation. S’il y avait une stèle à la gloire des hérosde la scolarité gratuite et obligatoire, son nom y brille-rait en lettres d’or.

RévolutionM. Ely occupe une place privilégiée dans mon his-

toire.L’homme portait beau: petite moustache à la Clark

Gable, cheveux plaqués, front haut, cravate élégante etdiscrète. Le samedi après-midi il jouait au billard avecmon père au café de la Poste et les jours de manifesta-tions contre la guerre d’Algérie ou contre l’argent queDe Gaulle distribuait sans compter à l’école dite« libre », nous marchions à ses côtés avec les autresinstituteurs de l’école et Loup Gris, notre légendaireprof de gym.

Chaque matin, avant de faire cours, M. Ely ouvrait« l’Histoire de la Révolution Française » de Micheletet nous faisait la lecture. Rien que la lecture. Il n’ajou-tait aucun commentaire et ne posait aucune question,ne donnait aucun devoir. Nous devions écouter, c’étaittout, comprendre, nous forger notre propre opinion,développer nos critiques dans nos têtes avant d’endébattre à la récréation. Aucun feuilleton télévisé, aucun

film, aucune lecture ne m’a autant passionné que celle-là. Robespierre nous parlait par la voix de notre maî-tre: « La vertu ne fut-elle pas toujours en minorité surla terre? Et n’est-ce pas pour cela que la terre est peu-plée d’esclaves et de tyrans ? », et Danton : « Il s’agitbien de comédie! Il s’agit de la tragédie que vous devezaux nations; il s’agit d’un tyran dont nous allons fairetomber la tête sous la hache des lois », et Saint Just « lebonheur est une idée neuve en Europe », et Marat, etVergnaud, et Madame Rolland, et Hebert et LouisxVI dont l’exécution nous effraya et Charlotte Cordayavec son air « d’enfant boudeur » et tous les autres…

Les révolutionnaires étaient là, devant nous, assis ànos côtés sur nos bancs, penchés sur nos pupitres, trans-formant le monde au mépris de leurs vies. Ils sont tou-jours dans ma tête, devant mes yeux avec mes lunettesou sans elles…

???Qu’est-ce que j’ai appris à l’école?

Qu’il faut se battre pour qu’il n’y ait pas une courréservée aux grands à laquelle les petits n’auraientpas droit ; que le partage du Baba au rhum vaut mieuxque la multiplication des pains de Jésus pour com-prendre ce qu’est la solidarité ; que c’est frappant deconstater à quel point un myope ne voit pas le mondecomme les autres le voient ; qu’il faut mieux avoir lerouge aux fesses que le rouge au front pour hisser ledrapeau de la révolte ; que la révolution commence àl’instant où l’on prononce le mot.

Le reste ne compte pas, ou si peu.

Gérard Mordillat

Gérard Mordillat

Romancier et cinéaste de la révolte sociale ouvrière (Les Vivants et lesmorts, Notre part des ténèbres…) et du Paris insoumis (Vive laSociale ! Rue des Rigoles), Gérard Mordillat est du camp des exploitéset des insurgés, de ceux qui diront toujours non (quand on luidemande d’imaginer l’école dans dix ans, il propose un retour surl’école d’il y a cinquante ans!).Il touche à tout : romans, essais, fictions, clips (Mistral Gagnant, c’estlui !). Collaborateur de talent à l’émission Les Papous dans la tête (surFrance-Culture), on lui doit aussi cette stupéfiante enquête historique dedécryptage des Évangiles avec son complice Jérôme Prieur (CorpusChristi, L’Origine du Christianisme, L’Apocalypse – Arte Vidéo).« À neuf ans, j’étais stalinien: le petit père des peuples, c’était le mien. À onze ans, j’étais castriste puis, dans le désordre: provietnamien,prochilien, anticapitaliste, anti-impérialiste, anarchosyndicaliste… Aujourd’hui, je suis sceptique, ça suffit. » (Vive la Sociale!)

Fiction | L’école dans dix ans

Page 8: Maquette finie ?

Dossier | L’école dans dix ans...

Par un éclairage historique, une ana-lyse détaillée des résultats aux évalua-tions nationales et internationales et des

enquêtes sur le terrain, les auteurs (cinq socio-logues, une politologue et une statisticienne)mettent en lumière le fait que le développementde la concurrence entre les élèves, les classes etles établissements, produit de l’échec, non seu-lement pour les élèves issus des milieux popu-laires coincés dans les collèges ghettoïsés, maiségalement pour ceux qui parviennent à accéderà d’autres établissements. Quand la sélection,la compétition, la chasse aux « bons élèves »,tiennent lieu de pédagogie, des élèves sont misen échec alors qu’ils pourraient réussir dans unsystème différent.

Ce travail n’apprendra pas beaucoup de cho-ses à ceux qui sont sur le terrain, et qui sontconvaincus que la réflexion pédagogique etsociale et le travail en équipe valent mieux queles évaluations, la compétition et la sélectionpour améliorer la qualité de l’enseignement etles résultats des élèves. Mais la précision decertaines informations et enquêtes est intéres-sante. Ainsi, par exemple l’enquête sur un col-lège du 78 qui est passé en quelques années dustatut de collège pilote, exemplaire à tousniveaux, à celui d’établissement parmi les plusfuis et dont les résultats au brevet sont les plusfaibles du département. On comprend bien éga-lement, comment, dans la Loire, c’est un ensem-ble de facteurs historiques, sociologiques etinstitutionnels, qui permettent d’expliquer la «sur-réussite» dans ce département plutôt popu-laire. L’analyse précise des mécanismes et des

politiques en œuvre donne des arguments enfaveur d’une école affranchie de la logique deconcurrence vantée par les décideurs. Mais àtravers l’ensemble des exemples étudiés, l’ou-vrage montre à quel point l’engagement socialet pédagogique des personnels peut s’avérerdéterminant mais fragile, voire voué à l’échecsans une politique d’ensemble et un réel sou-tien institutionnel.

On a d’ailleurs parfois le sentiment que celivre, qui démontre ce que nous savons, pour yêtre confrontés chaque jour, s’adresse davan-tage au ministère qu’aux professionnels et auxparents d’élèves, puisque toutes les stratégiesindividuelles, ou collectives mais locales, seheurtent tôt ou tard à un système qui sembleaveugle aux situations décrites et réfractaire àtoute initiative.

La démonstration que le système scolaireactuel ne se donne pas les moyens de remplir samission est utile, mais elle laisse en suspensplusieurs questions : Quelle est cette mission?Qu’entend-on exactement par « réussite » ou« échec » de l’élève ou du système ? Par rap-port à quelles ambitions, selon quelles normes?L’école peut-elle être égalitaire et juste dansune société qui l’est de moins en moins ? Lacécité des pouvoirs publics est-elle autre choseque la volonté de favoriser la fuite vers les éta-blissements privés, donc le désengagement del’État, tout en favorisant la création d’une élite?Et pour les populations pauvres, issues souventde l’immigration, le choix de la répression estmoins coûteux, et tient souvent lieu d’uniquepolitique publique.■

École :les pièges de la concurrence

École : les pièges de la concurrence.Comprendre le déclin de l’école française.Sous la direction de SylvainBroccolichi, Choukri Ben Ayed et Danièle Trancart, éditions La découverte, septembre 2010.

Et tout ça n’a pas commencé aujourd’huiLa nouvelle de Mordillat évoque une école dont certains cultivent la nostalgie sans en considérer les tares, école déjà minée par les disparités géographiques et la reproduction des inégalités. Aujourd'hui, un rapport de l'inspection générale dénonce les méfaits des mesures ministérielles, venant alourdirencore le tableau brossé par l'ouvrage présenté ci-dessous. Constats catastrophiques formulés par les plus hautsplacés, de l'intérieur même de l'institution, démonstrations accablantes des études historiques ou des enquêtesde longue durée, analyses alarmantes des tendances dominantes, tout nous incite à continuer les actions qui construisent un véritable service public d'éducation selon nos aspirations.

n NADIA MoNIER,Professeur des écoles, CNT STE 75.

N’AUTRE école, n° 27, automne 20108

Page 9: Maquette finie ?

J’ai débuté ma carrière de professeur des écoles il y a dix ans. Cette courte période a été bien remplie de mauvais coups de la part du pouvoir.

Une succession de mauvais coupsÀ peine arrivé dans l’Éducation nationale, j’assistaisà l’éviction d’une partie importante de ses travailleursavec la suppression des aides éducateurs (emploisjeunes) et des surveillants d’externat/maîtres d’inter-nat. Si les aides éducateurs étaient employés encontrat précaire ils avaient su dans leur majorité sefaire une place dans les écoles malgré un manque dedéfinition de leur rôle à l’origine. Leur disparition aentraîné des vides dans la vie des écoles (BCD, salleinformatique, arts plastiques, activités physiques ori-ginales, journal scolaire, etc.). De plus ils ont été rem-

placés en nombre moindre par des personnes avecdes contrats de plus en plus précaires (assistants d’é-ducation, employés de vie scolaire, AVS, assistantspédagogiques, etc.). D’autre part, le statut de MI/SEpermettait aux étudiants non fortunés de poursuivreleur scolarité en leur proposant un emploi compa -tible avec la poursuite de leurs études. Il permettaitdans le même temps de réduire le fossé génération-nel entre adolescents et adultes en offrant une média-tion par l’intermédiaire de jeunes adultes, eux-mêmesen situation d’apprentissage.

Dans le même temps on assistait à une remise encause de l’école maternelle avec la diminution

9N’AUTRE école, n° 27, automne 2010

Dossier | L’école dans dix ans...

n FRANCk ANToINE,Professeur des écoles, CNT Éducation 34.

Bures sur Yvette

Collège A. Césaire

Les ulis

Dix ans de réforme dans les dentsS

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IL Y A FouLE D’ÉLèVES À L’ARRêT DE BuS qui se trouve à 500 m à peine du collègeet je n’en reconnais aucun. Et ce n’est pas une fiction. Ils sont inscrits aucollège de la Guyonnerie à Bures-sur-Yvette à 3 ou 4 km de chez eux… etpas au collège Aimé-Césaire des ulis qui se trouve à côté! Cela s’appelle lacarte scolaire. Pour mieux comprendre, il faut regarder le paysage. Aupremier plan, à l’ouest, depuis la salle des profs: la cour. Au deuxième plan,il y a une aire de jeux et un petit terrain de sport. Au troisième plan, à200 m, on distingue difficilement des pavillons résidentiels derrière lavégétation et un mur de ciment. En hiver, on voit mieux que c’est un quar-tier qui appartient à une autre commune.

Aux ulis, 50 % de logements sociaux. Des cités dont celle des Amonts avecle collège. De petits immeubles HLM (les tours ont été démolies) et toute lapalette de l’habitat urbain avec ses immeubles de différents standing. Lacarte scolaire date des années soixante-dix. Quand la ville nouvelle des ulis

est sortie ex-nihilo de ce plateau de l’Essonne quidomine la vallée de Chevreuse, elle a été décou-pée au scalpel en suivant les frontières commu-

nales. A Bures et à orsay, les communes quijouxtent les ulis, les logements sociaux ne dépas-

sent pas 10 % du parc résidentiel. Les deux popu-lations ne se croisent qu’au centre commercial… et

des familles des ulis cherche chaque année plusnombreuses à partir dans les collèges alentours.

À de rares exceptions près, c’est la même histoire (et lamême géographie) qui se répète dans les établissements

scolaires qui relèvent de l’éducation prioritaire. Pour les ulis, il ya peu de chance que le jeu soit rebattu différemment.

François Spinner, collège Aimé-Césaire, CNT éducation 91.

Belote, rebelote... et carte scolaire

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Dossier | L’école dans dix ans...

de la scolarisation des tout-petits. Attaques avanttout idéologiques que l’on a vues se poursuivre tout aulong de la décennie, en particulier avec les déclara-tions tonitruantes de Xavier Darcos.

Un peu plus tard ce fut au tour de l’éducation prio-ritaire de subir une refondation. Contrairement à cequi a pu être dit par ses promoteurs il ne s’agissait pasde redéployer les moyens au plus près des besoinsmais d’organiser la sortie la plus rapide possible dudispositif d’un tiers des établissements classés. Dansle même temps on diminuait le nombre d’enseignantsRased (Réseau d’aide spécialisé aux enfants en diffi-culté) tout en inventant la farce des PPRE (programmepersonnalisé de réussite éducative). Tout en alourdis-sant la tâche des enseignants, le gou ver nement vou-lait faire croire qu’il s’attaquait à l’échec scolaire sansfournir aucun moyen.

Le temps vint alors d’un grand plan de réajustementstructurel avec des suppressions de postes à répétition.Afin de s’attirer des sympathies dans la profession ceplan s’accompagna de carottes qu’un certain nombrede collègues s’empressèrent de récolter (heures sup-plémentaires dans le secondaire, stage de remise àniveau dans le primaire, prime pour les évaluationsnationales, etc.). L’actuel ministre n’a d’ailleurs pasmanqué de préciser que s’il pouvait augmenter lesalaire des professeurs débutants, c’était grâce aux éco-nomies réalisées par la diminution du nombre de sala-riés de l’Éducation nationale. Parmi ces travailleursdont on se passe, il y a les maîtres CRI (cours de rattra-page intégré) qui s’occupaient des ENAF (élèves nou-vellement arrivés en France). Ceci en parfaite logiqueavec le reste de la politique du gouvernement puisqu’ilaugmentait le contrôle aux frontières et organisaitconjointement la chasse aux étrangers non désirables.

Une mutation du métier?Si le métier d’enseignant a effectivement changé aucours de ces dix années, c’est d’abord par la grandeconfusion entraînée par la multiplication des priorités(aux sports, aux arts plastiques, aux sciences, aux lan-gues vivantes, aux apprentissages fondamentaux).Celle-ci a achevé de complexifier et d’opacifier les

objectifs de l’école. On a ensuite assisté à une remiseen cause des programmes de 1989 qui s’ils n’étaientpas révolutionnaires avaient au moins l’intérêt d’affi-cher la volonté de centrer l’école autour des enfants.Ces orientations faisaient suite aux luttes menées dansles années 1960 - 1970 par l’ensemble des mouvementspédagogiques. Les différents ministres de l’éducationont depuis entamé une propagande incessante contre« les pédagos », de dénigrement des enseignants et dedélires sur la baisse de niveau des écoliers (voir lesdéclarations de M.Allègre, Ferry, Darcos), propagandereprise en chœur par l’ensemble des médias de masse.Celle-ci a été suivi par une remise en cause de l’auto-nomie des enseignants couronnée par les « nouveaux »programmes de 2008, rapidement suivie par uneréforme de la formation des enseignants qui accordeune très grande place au devoir d’obéissance des fonc-tionnaires. Celle-ci achevait de fermer la professionaux classes populaires en supprimant l’année de stagepayée pour les futurs professeurs tout en mettant enavant le mensonge d’une meilleure qualification desenseignants (bac +5 ce qui était déjà le cas avant puisqueles étudiants préparaient le concours pendant une annéeavant celle de stage: licence + une année de prépara-tion + une année de stage = bac +5). Finalement lemétier se transforme pour devenir de plus en plus tech-nique et de moins en moins humain avec l’impositionimplicite et explicite de choix pédagogiques réaction-naires (méthode de lecture syllabique, retour en forcede la grammaire et de l’orthographe, fixation sur la dis-cipline et le mérite, etc.).

Des élèves suspects à surveillerSi le rôle de l’enseignant a partiellement été redéfini,les décideurs sont aussi revenus sur celui d’élève. Ungrand bond a été franchi parallèlement à la mise enplace du plan de prévention de la délinquance. L’écoles’est alors vue dotée d’une nouvelle fonction: le repé-rage précoce des futurs déviants à travers des ques-tionnaires de comportement pour les enfants dematernelle, la mise en place des contrats locaux desécurité. Mais comme d’habitude lorsqu’on installedes outils de contrôle sur une partie de la population,

Quel est le but exactpoursuivi par ces« réformateurs » del'école ? Quel rôleveulent-ils faire jouerà l'école dans lasociété de demain ?ou au contraire quellefonction désirent-ilsl'empêcher deremplir? Recherched'économie ?Revancheidéologique?

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c’est bientôt la totalité de celle-ci qui se retrouve fichée.La surveillance de l’ensemble des écoliers a été instau-rée par la mise en place des fichiers Sconet et Base-élève. L’État s’intéresse aussi au repérage des différentsniveaux scolaires et a instauré les évaluations nationalesen CE1 et en CM2 qui doivent lui permettre d’identifierles compétences de chaque élève en attendant le clas -sement des écoles et des enseignants renforçant par làmême le règne de la compétition. La recherche d’effi-cience dans la sélection ne s’arrête pas à l’école pri-maire et les renseignements sur les élèves du secondaireet du supérieur circulent abondamment sur internet. Lavidéo-surveillance et les bornes biométriques viennentsurenchérir sur le traitement sécuritaire des enfants etdes adolescents, et lorsque le besoin s’en fait sentir l’ins-titution a recours aux brigades d’intervention muscléesqu’elle vient de créer. La note de vie scolaire sert à lafois de carotte et de bâton en attendant la distribution demédailles ou l’octroi de primes au mérite. Les plus méri-tants se voyant même attribuer une place dans un inter-nat d’excellence. Il est d’ailleurs surprenant de voircomment les ministres excellent dans l’art de refour-guer des vielles recettes à toutes les sauces (internat dececi ou de cela, retour des bons et des mauvais points etdu vouvoiement en classe. À quand la blouse grise etles châtiments corporels?).

Un projet de société?Quel est le but exact poursuivi par ces « réformateurs »de l’école? Quel rôle veulent-ils faire jouer à l’écoledans la société de demain? Ou au contraire quelle fonc-tion désirent-ils l’empêcher de remplir? Recherche d’é-conomie? Revanche idéologique? Volonté de détruiredes résistances moribondes mais persistantes? Créationde nouveaux débouchés pour l’économie du savoir?Désir absurde de retrouver un âge d’or ancien et illu-soire? Impossible pour nous qui ne sommes pas dans lesecret de trancher entre ces options, même si nous pou-vons nous douter que plusieurs de ces projets rentrenten résonance. Peu importe d’ailleurs ce qui compte ànos yeux, c’est qu’une vaste entreprise de déstabilisa-tion et de dégradation de l’école publique soit en cours.Ce n’est pas que nous idéalisions celle-ci avec son cor-

tège d’iniquités: entreprise de sélection, de reproduc-tion sociale, d’imposition de la norme et de dressage àla soumission. Pour autant nous ne devons pas perdrede vue tout ce que la société a à perdre avec cette refon-dation: le peu de traitement commun et égalitaire de laquestion de l’éducation. En effet il est encore possible(pour combien de temps?) en France pour tous d’en-voyer ses enfants à l’école qui seront accueillis par desprofessionnels identiquement formés quel que soit sonlieu de résidence ou son statut social (je ne parle ici quede l’enseignement primaire et secondaire public).

Et pour la suite?Dans dix ans combien d’autres coups aurons-nous eu àsupporter? S’il est impossible de décrire l’avenir nimême d’envisager toutes les possibilités que nous offri-rons la prochaine décennie, nous pouvons d’ores et déjàdécrypter les changements les plus prévisibles. Le mou-vement actuel de hiérarchisation des rapports humainsdans la communauté scolaire se poursuivra cer tai nementavec la mise en place des Epep dans l’école primaire etla programme Clair dans le secondaire. Ces deux réfor-mes visent à renforcer les pouvoirs attribués aux chefsd’établissement à travers l’évaluation et la sélection dessalariés. Elles renforcent leur pouvoir et leur autono-mie dans la gestion de l’établissement et la définitiondes priorités comme l’a fait avant elles la LRU.Même si certaines orientations actuelles peuventêtre remises en question par des alternances poli-tiques, il y a tout lieu de craindre que la dérive ges-tionnaire, technicienne et managériale de l’éducationse poursuive quelle que soit la couleur politique desprochains gouvernants. Si nous (travailleuses et tra-vailleurs de l’éducation) voulons peser sur notre aveniret sur le devenir de notre métier nous ne pouvons comp-ter que sur nous-mêmes. En effet nous avons la possibi-lité de rallier à nous une partie des parents d’élèves ettous ceux qui prennent la question de l’éducation ausérieux dans le camp de l’émancipation, mais ces alliésne sauraient se déclarer à nous si nous ne sommes pascapables d’initier un vaste mouvement de défense et deremise en question de l’école publique.■

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Dossier | L’école dans dix ans...

Brigade dodo…Grève d’indignation dans mon collège au printemps 2010 suite à trois incidentssuccessifs où des enseignants ont été bousculés; le mouvement se prolonge la jour-née suivante, consacrée à la rédaction d’une lettre au chef d’établissement et à lademande au rectorat de personnel « Vie scolaire » supplémentaire.Rien que de très ordinaire dans un collège où le mal-être d’une partie des élèves semue en aggressivité – notons entre parenthèses que cet aspect ne fait pas l’objet del’attention des enseignants.Le surlendemain, la matinée est banalisée: l’équipe mobile de sécurité vient répondreaux inquiétudes des enseignants; nous avons droit à un exposé d’un commissaire surla nécessité de porter plainte et la protection juridique que l’État accorde à ses fonc-tionnaires, et, après quelques mots des autres protagonistes, un Conseiller principald’éducation et un enseignant, à l’ouverture d’un débat; tout le monde y participe, nefût-ce que pour dire qu’il faut d’abord examiner la demande revendicative des person-nels. on nous promet un suivi, dont tout le monde sait qu’il n’aura pas lieu. La matinéeest terminée, on va reprendre les élèves. Rideau. Même pas le sécuritaire hystérico-sarkosien auquel on pouvait s’attendre, la même courtoisie lasse des fonctionnairesqui reçoivent au rectorat, l’équipe mobile de sécurité* a fait son travail: pacifier… lesprofs. ■ (JPF)* Anecdote : on fait remarquer au commissaire qu’une équipe automobile d’insécurité a fait brûler une voituredevant le collège, et qu’une semaine plus tard cet exemple des passions tristes trône toujours sans que « les

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Dossier | L’école dans dix ans...

un Matin, coMMe tous les autres, monréveil sonne à sept heures précises; je melève et me prépare pour aller au collège.

Puis j’attends une camarade pour aller ensemblejusqu’à l’arrêt de bus. Les minutes passent et je nela vois toujours pas arriver. De peur de rater le busje m’élance à travers la ville. Une fois arrivée, jeremarque qu’il n’y a personne. C’est étrange. Peut-être aurais-je loupé le car? Je rentre chez moi etprends mon vélo. Le trajet n’est quand même pas silong. J’arrive devant le collège à l’heure où, norma-lement, les grilles sont ouvertes. Mais une fois encoreil n’y a personne, les portes sont fermées et il n’y apas le moindre mouvement à l’intérieur de l’établis-sement. Alors, je m’assois et attends que les élèves

arrivent. Quinze minutes passent puis trente. Je com-mence à m’impatienter et à trouver le temps long.Une heure plus tard, les premiers collégiens com-mencent à arriver. Au bout de quelques minutes lesportes s’ouvrent. C’est plutôt bizarre, d’habitude lecollège ouvre à huit heures mais aujourd’hui il ouvreà neuf heures trente. Les horaires ont peut-êtrechangé pendant la nuit? Mais tout le monde auraitétait prévenu sauf moi? Je chercherai la réponse àmes questions après, pour l’instant je ne veux pasarriver en retard en cours. J’entre dans le collège ettout est FABULEUX! Tout a tellement changé je nereconnais plus rien. Puis l’émerveillement fait placeà l’inquiétude. De nouvelles questions apparaissentdans ma tête. Tout cela aurait changé en une nuit

Et maintenant,si on rêvait un peu ?L'école dans dix ans ? L'époque actuelle ne nous offre pas des perspectives réjouissantes. Nous avons pourtantdécidé de prendre à contre-pied ces mauvais jours et de se lancer dans un exercice d'écriture : « et si dans dix ans l'école de nos rêves était enfin réalisée ». Cet exercice d'écriture, s'il est complètementimaginaire et ne se veut absolument pas prospectif, nous permet au moins de rêver un peu et de définir plusprécisément ce que nous voulons. Afin de faire circuler la parole et que celle-ci ne soit pas monopolisée par les enseignants, j'ai demandé à mes deux filles, élèves en primaire et au collège, de se lancer dans l'exercice.

s i l’école était Parfaite dans dix ans elleserait comme ça:

En classe on parlerait du futur au lieu du passé.Dans les toilettes un lecteur CD et un diffuseur deparfum seraient attachés. Il y aurait des distribu-teurs de bonbons dans tou-tes les classes. Dans la sallede gym il y aurait des lia-nes pour jouer à Tarzan. Onchoisirait notre professeurpar vote. Les professeursdonneraient un cadeau àchaque bonne réponse. Lesprofesseurs seraient desanciens clowns. La/Le directeur/directrice donne-rait des bonbons à tous les élèves. On pourrait allerà la B.C.D quand on en aurait envie. Il y aurait desordinateurs, la climatisation et le chauffage dans

toutes les classes. Il y aurait une salle de relaxationavec massages et détente. On ferait plus de sortieset de classes découvertes. La cour de récréationserait un immense jardin avec des fontaines et desbassins à canard. Les récréations seraient allon-

gées de 30 minutes. Dansla cantine il y aurait un self-service avec plein de choix.À la rentrée on choisiraitavec qui on veut être.Chaque semaine on ren-contrerait des chanteurs.L’école commencerait à10 heures le matin et fini-

rait à 16 heures l’après-midi. Une semaine dechaque mois un grand cuisinier viendrait à la can-tine pour faire à manger. À la cantine on ferait desjournées barbecue. ■

► Maëlle, 12 ans collégienne

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► soraya, 10 ans, élève en cM2

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seulement? Comment les travaux avaient pu avoirlieu sans que je m’en aperçoive? Je regarde autourde moi et les gens ne paraissent pas surpris. Je com-mence à avoir peur. Suis-je dans un rêve? Et tout cechangement ne faisait que commencer! Je pénètredans la cour et au lieu du petit carré de béton qu’il yavait hier il n’y a dehors que de l’herbe verdoyante,de magnifiques fleurs et d’immenses arbres. Lescollégiens sont allongés dans l’herbe et ont l’air heu-reux. La sonnerie retentit. Je m’en vais rejoindremon rang. Je ne connais plus personne, tout le mondea changé. Je me demande si je suis dans la bonneclasse. Je regarde par terre et aperçois le code D5.C’est pourtant bien ma classe, pourquoi ne recon-nais-je personne? Un professeur s’approche et nousdit de monter. Je le suis. Je rentre dans la classe etl’appel commence. La classe aussi a beaucoupchangé. Elle est très décorée et pleine de couleurselle est devenue chaleureuse et accueillante. Çachange des classes sombres et grises. Je me rendscompte que tous les regards se sont posés sur moi.Ils ne me connaissent pas, je leur suis inconnue.J’entends des chuchotements, des murmures quipassent de bouches à oreilles. Ils parlent de moi. Ilsse demandent qui je suis. Soudain, le professeur selève et me pose plusieurs questions. Puis il medemande de le suivre. Il m’accompagne jusqu’ausecrétariat et me laisse. Les personnes s’occupentde moi et m’amènent à une classe. Ils me présententaux autres élèves et m’installent à une table. Le courest passionnant mais j’ai l’impression d’avoir déjàfait ce travail. Le professeur est plein de vie et pourapprendre, il organise des jeux qui consistent à trou-ver la réponse des questions posées en utilisant lesdocuments donnés. Les cours suivants sont aussibien que le premier. D’habitude le professeur arriveen classe, lit sont cours puis repart. Mais là il s’inté-resse aux élèves, il s’occupe d’eux. Midi retentit. Jeme dirige au self pour aller manger. Je m’attendais àce qu’il y ait un monde fou qui se bouscule pourmanger. Mais non, ce n’est pas le cas. La cantineétait deux fois plus grande donc pouvait accueillirbeaucoup plus de monde. On ne devait plus atten-dre des heures pour pouvoir manger. Je rentre auself pour manger je passe ma carte, prends un pla-teau et le pose sur la glissière. Elle me paraît plusgrande que d’habitude et je ne rêve pas. Il y a beau-coup plus de choix et les plats sentent tous bon. Jem’assois pour manger et goûte le plat que j’ai choisi.Il est délicieux. Ce n’est pas comme les haricots enboîte ou le poisson congelé. La fin de la pause repasest annoncée. On rentre en cours mais une demi-heure plus tard qu’en temps normal. Et j’ai, pendantla pause, remarqué qu’il n’y avait pas de cours detreize à quatorze heures. La classe est aussi belleque la précédente, toujours pleine de couleurs et trèsbien décorée. Le professeur annonce une interroga-tion. Il écrit la date au tableau: 26 avril 2020. Je lis:26avril tout me paraît normal. Mais quand je regardel’année je pousse un énorme cri strident. 2020! Maishier j’étais en 2010. Comment est-ce possible?Aurais-je dormi pendant dix ans? ■

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Dossier | L’école dans dix ans...

QuELS SoNT MES ESPoIRS pour l'école? Tout d’abord la libérerdes contraintes de la société afin

de réaliser son projet: l’émancipation etle développement des possibilités dechaque enfant. Ce premier point relèvebien plus d’un changement de sociétéque de la seule réforme de l’institutionscolaire. En effet, aujourd’hui nombreuxsont les parents et donc les enfants àpenser que le principal intérêt de l’écoleréside dans le fait de pouvoir participeret donc d’avoir une chance de gagnerdans la compétition scolaire. Ceci dansun unique but: s’assurer une placeconfortable dans la répartition des rôlesde la société adulte. Si nous réussissonsà nous affranchir du chômage par lepartage du travail et des différenteshiérarchies professionnelles par l’égalitédes salaires et des revenus, l’écolepourra enfin reprendre son véritablerôle: être un lieu d’apprentissage pourlui-même et pour le développement dechacun-e. Nous en profiterions pourrendre pleinement à chaque enfant laconfiance en lui et en ses capacités qu’iln’aurait jamais dû perdre. Pour celanous cesserions de croire que l’égalitésignifie l’uniformité et nous permettrionsaux élèves d’apprendre à leur rythme,tout aussi bien en terme d’année que dejournée. Il faudrait bien sûr supprimerles classes de niveau pour créer quelquechose qui ressemblera plus aux classesde cycle ou aux classes uniques. Nousbannirons les examens, les notes et lesredoublements, ceux-ci ne faisant querenvoyer les enfants à leurs échecs. À laplace nous aurions constamment en vuede mettre en avant leurs réussites. Nousprendrions de grandes libertés avec les

programmes (pour peu qu’ils existentencore, en tout cas sans leur caractèrecontraignant et normatif) ce qui permet-trait de travailler au plus près des envieset désirs des individus de la commu-nauté scolaire, le cursus et la journéescolaires se dérouleraient au gré descuriosités éveillées plutôt qu’aux ordresdes décideurs. L’école cesserait d’être unlieu séparé du reste de la société pouren être partie intégrante. Ce qui signifieque l’apprentissage ne serait qu’unmoment de celle-ci et surtout n’y seraitpas circonscrit en se poursuivant endehors et en particulier en lien avec lesautres métiers. Nous pourrions parexemple imaginer des vi sites fréquentessur l’ensemble des lieux de travail desparents. Ces visites permettraient defaire le lien avec le monde des adultes,de susciter des questions et de donnerun but pratique aux apprentissages.Évidemment sur ce plan-là aussi leschangements ne peuvent se faireuniquement dans le domaine scolaire,c’est la société qui doit jouer le jeu etaccepter de consacrer une partie de sontemps à l’éveil et à l’instruction de sespetits, sans quoi ces visites seraientcreuses et ressembleraient aux stagesde découvertes professionnelles ducollège d’aujourd’hui qui ne représententbien souvent qu’un ennui supplémen-taire infligé aux adolescents.Finalement au-delà des différents dispo-sitifs et organisations pédagogiques quirestent largement à inventer ce qu’ilimporte de redécouvrir à l’école et dansla société c’est la joie et la puissanced’apprendre et de se construire. ■

Franck Antoine, professeur des écoles,CNT 34 éducation.

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Dix ans.Voilà plus de dix ans que je n’ai pas mis les pieds

dans une école.Pour un auteur jeunesse, ça peut paraître étrange.

Surtout que les enfants sont en général heureux derencontrer un écrivain. En dehors du fait qu’ils sontdispensés de calcul ou de dictée pendant ce temps,ils aiment approcher un auteur, en vrai, un qui leurdonne à lire, à rêver, à imaginer.

De mon côté, c’est plus compliqué.Je me suis lassé de répondre aux éternelles mêmes

questions. J’ai essayé de me prêter à l’exercice enpensant à autre chose, ou en ne pensant à rien,comme un sympathique automate… mais j’ai cra-qué.

Il y a plus de dix ans, j’ai arrêté. Plus de rencont-res. Aussi bien avec les élèves qu’avec le public, lesjournalistes, les attachées de presse, les libraires, lesresponsables commerciaux, et même les éditeurs.Plus de salons, de foires, de festivals, plus d’écoles,plus de bibliothèques.

Terminé.Je suis resté chez moi, une belle maison à la cam-

pagne, avec, par ordre d’importance, ma femme,mes chevaux, mon jardin et mon ordinateur.

Hélas, l’isolement est un luxe qui coûte cher.Même pour un écrivain. J’ai continué à publier,mais si mon absence m’a d’abord hissé au rangdes denrées rares et précieuses, elle a fini par êtreinterprétée comme une suffisance déplacée. Lemonde du livre m’a jugé bien prétentieux de l’i-gnorer ainsi, et les chiffres de mes ventes ont affi-ché une courbe descendante, entraînantrapidement mon compte en banque dans l’ava-lanche.

Au terme de cette glissade, je me retrouve doncaujourd’hui devant l’école Jacques-Prévert dont ledirecteur, homme tenace, répète ses invitationsdepuis des années. Par respect pour sa persévérance,je ne lui révélerai pas que c’est l’appât du gain quim’a fait sortir de ma tanière, car cette intervention,dont le prix est fixé par un groupement d’écrivainsqui semble faire autorité dans le milieu de la litté-rature jeunesse, est encore plus juteux qu’il y a dixans! Le tarif que m’a annoncé le directeur pour ren-contrer ses élèves m’a regonflé d’espoir pour monprochain rendez-vous avec mon banquier.

Faire la promotion de mes livres à ce prix frisel’escroquerie.

Mais bon, je n’en suis pas responsable et ma cons-cience s’en accommode d’autant mieux. Et puis, jedois l’avouer, je suis curieux de voir à quoi ressem-ble une école après tant d’années.

De l’extérieur, rien de bien différent. En dehorsde l’entrée. La porte devant laquelle je me trouveest réservée aux enseignants. Les enfants entrent àl’opposé. Cela évite certainement d’être bousculépar les gosses, de recevoir un ballon sur le crâne oude se faire alpaguer par des parents mécontents.

Je sonne. Une voix résonne aussitôt dans une sorted’interphone.

– Vous désirez?Je décline mon identité pendant qu’une caméra

située au-dessus de ma tête, sur un bras articulé, serapproche de moi. Dans l’interphone, la voix medemande de sortir ma carte d’identité et de l’appli-quer contre le lecteur.

Le directeur m’avait effectivement bien stipuléd’emporter ma pièce d’identité. Je m’exécute et laplaque contre un écran noir placé sous l’interphone.Il me renvoie un bip amical. Et la porte s’ouvre.

– Le directeur arrive, me dit un molosse aux che-veux courts qui ne doit pas être habitué à êtrecontrarié.

En effet, quelques secondes plus tard, le directeurapparaît au bout d’un couloir. Il marche d’un pasrapide, me serre la main énergiquement, me remer-cie d’être venu, remercie le gardien, et m’entraîneavec lui vers son bureau.

Peut-on encore parler de bureau? En entrantdans cette pièce qui ressemble à une salle de télé-surveillance, je ne cache pas ma surprise.

– Vous êtes dans un quartier sensible?– Pas du tout, me répond le directeur. Nous

sommes une école pilote à la pointe de la cyberscolarité.

Constatant mon ignorance, il allume six écrans.Six classes, où les enfants terminent de s’installer,

apparaissent devant mes yeux écarquillés. J’ima-gine alors que le directeur entend garder un œil surson équipe enseignante grâce à ce procédé. Unequestion s’impose donc.

– Mais où sont les enseignants?

N’AUTRE école, n° 27, automne 201014

L’école pilote

Fiction | L’école dans dix ans

Marc Cantin & Isabel

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Le directeur s’amuse de mon étonnement. Quand ilévoque les réductions de postes et les restrictions de bud-get, j’acquiesce. Oui, j’en ai entendu parler. J’en entendsmême parler tous les ans.

– Je n’ai plus d’enseignants, m’explique-t-il. Je m’occupeseul des six classes. Grâce aux tableaux numériques et auxmatériels informatiques dont disposent les élèves, je m’ensors assez bien.

Il prononce ces derniers mots avec une pointe de fierté.Ça me semble assez logique. Piloter une bonne centainede gamins, ça reste une performance.

– Ici, il n’y a que des CM1 et des CM2. C’est plussimple, précise-t-il, sans doute pour ne pas paraître pré-tentieux. Et les classes ne dépassent pas vingt élèves. Lesenfants viennent de toute la périphérie nord de la ville.Ils ont un peu plus de transport, mais personne ne s’enplaint.

Je pose alors une question qui le fait exploser de rire etqui me plonge dans la peau d’un gosse qui vientde sortir une énormité.

– Mais vous passez d’une classe à l’autre?Il m’excuse volontiers, je suis un artiste, je n’ai pas l’esprit

pratique, c’est bien connu.– Je reste ici. Cette caméra nous filme et diffuse l’image

et le son sur le tableau numérique de la classe de monchoix. J’explique la leçon en l’illustrant de documentsinteractifs que les élèves peuvent télécharger sur leur cahiernumérique. Je lance les exercices et, pendant qu’une classetravaille, je passe à la suivante, en gardant un œil sur lesautres grâce à mon écran principal.

Il allume un nouvel écran séparé en six et s’installe devantson clavier après avoir ajusté son casque muni d’un micro.Il m’invite à m’asseoir, vérifie que nous sommes bien dansle champ de la caméra et me tend un second casque.

– Nous débuterons avec la classe 1 dans trois minutes,annonce-t-il.

Je passe mes mains sur mon visage, déréglant au pas-sage mon micro. Je ne rêve pas. C’est certain. Ceci est bienréel. Je suis assis dans ce qui pourrait être une salle decommande destinée au lancement d’une fusée en com-pagnie d’un enseignant, et je m’apprête à commencer uneintervention scolaire qui consiste à faire se rencontrer unécrivain et des lecteurs.

– Nous n’allons donc pas nous rendre dans la classe?dis-je d’une voix mal assurée.

– Je n’ai jamais aucun contact avec les enfants. SeulDenis s’y rend.

– Denis?– C’est lui qui vous a ouvert la porte. En cas de

problème, j’enclenche une procédure blanche, bleue ourouge, et il pénètre en zone d’enseignement .

– Et?

– Il extrait l’élément perturbateur et le place en zone demédiation. Je m’entretiens avec lui, nous évoquons l’inci-dent et je lui propose de reprendre le travail. S’il refuse,ses parents sont prévenus et doivent venir le chercherdans les plus brefs délais. Tout retard entraîne des péna-lités financières, directes ou indirectes. Mais nous avonsrarement besoin d’aller jusque-là. Et si l’élève récidive, il

est déplacé dans une structure éduca-tive, en internat.

Avant qu’il me vante les résultats positifs de la méthodeen matière de discipline, ce dont je ne doute pas, j’enreviens à ce qui me préoccupe. Je ne suis pas ici pourrefaire le monde. Et l’intervention censée m’apporter unerétribution salvatrice commence dans une minute.

– Mais l’intérêt d’une rencontre entre un écrivain et seslecteurs, c’est justement la rencontre.

– Elle va se produire, me rassure le directeur en poin-tant son index vers un écran.

– C’est une rencontre virtuelle! je m’offusque.– Pas du tout. Les enfants savent que vous êtes là, avec

moi. Et puis, vous ne risquez pas de vous faire agresser oud’être accusé de pédophilie. Croyez-moi, beaucoup deprofesseurs de collège bénissent la virtualité.

Ce n’est pas le terme peu laïque qui me surprend le plus.– V… vous voulez dire que vous ne croisez jamais les

élèves? Même pendant la récréation?– Denis dispose de ses propres écrans pour surveiller les

zones récréatives. Et les entretiens avec les parents sedéroulent de la même façon que les cours, dans les sallesde médiation. Attention, c’est à vous!

Il appuie sur ses boutons et j’entre en liaison avec laclasse 1…

* * *J’ai rencontré les élèves des classes 1 et 2 le matin. L’a-près-midi, j’ai échangé avec les classes 3 et 4 en simulta-née, puis les classes 5 et 6.

Six classes.Il y a dix ans, nous ne rencontrions que quatre classes

par journée d’intervention. Je me surprends soudain àressentir une pointe de fierté au regard de ma perfor-mance. Six classes, quand même. Et un contenu des plusintéressants. Les enfants ont posé de bonnes questions,jamais deux fois la même. Et ils notaient mes réponses.J’ai vérifié en zoomant avec la caméra.

15N’AUTRE école, n° 27, automne 2010

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En plus, le directeur m’a expliqué comment me servirde sa tablette graphique. Je m’en suis bien tiré. Les enfantsont eu droit à une dédicace, de ma main, qu’ils se sontempressés de copier et de coller dans leur cahier numé-rique. Certains, plus malins, l’ont insérée dans leur e-book!

Ah! le progrès. Depuis des années, je cède mes droitsnumériques à mes éditeurs sans trop savoir de quoi ils’agit. Ils me reviennent juste sous la forme de droitsd’auteurs, une ligne de compte qui ne cesse de gonflerau détriment de celle des droits des livres « papier ».

Maintenant, je sais de quoi il est question.Aujourd’hui, je suis entré dans un nouveau monde. Le

cyber monde.– Alors, conquis ? me demande le directeur avec un

large sourire. Nous sommes actuellement plus de 200écoles pilotes mais l’an prochain, nous serons le double.Tout va très vite de nos jours.

– Je vous avoue que je n’étais pas très à l’aise ce matin.Mais on s’habitue…

Je n’achève pas vraiment ma phrase, peut-être pourconserver une incertitude, peut-être pour parler de cesentiment étrange qui s’accroche à moi, malgré l’in-discutable travail accompli. Un petit vide qui ne secomble pas.

Je m’apprête à prendre poliment congé du directeurquand ce dernier retient ma main qu’il vient de serrer.

– J’aurais une faveur à vous demander, me dit-il enbaissant la voix.

– A… avec plaisir, je bafouille, troublé par cette pro-miscuité qui a été absente toute la journée.

Il me fixe dans les yeux, comme s’il se préparait à pren-dre sa respiration avant de se jeter à l’eau. Puis il lâchesoudain ma main et se retourne pour ouvrir un tiroir.Quand il me fait face à nouveau, ses yeux brillent. Ils merappellent les yeux d’un enfant que j’ai croisé un jour, audétour d’une signature, et qui m’a raconté mon roman.

Il l’avait tellement aimé, il y avait pris tant de plaisir,qu’il avait oublié que j’en étais l’auteur et que je connais-sais assez bien cette histoire.

Je me souviens de ses yeux brillants d’émotion aumoment où il m’a demandé de lui dédicacer son livre.Aujourd’hui, le directeur m’adresse ce même regard enme présentant un exemplaire « papier » d’un de mes pre-miers romans.

– Je serais vraiment heureux que vous me le dédica-ciez, en souvenir de cette journée.

Je sens le vide grandir en moi. Je sens mes mains trem-bler. Pourquoi lui accorderais-je ce qui a été refuséaujourd’hui aux enfants ? Pourquoi le laisserais-je tireravantage de sa situation? S’il a besoin d’authenticité, sielle lui procure ce qu’affichent ses yeux, pourquoi laconserve-t-il jalousement?

N’y a-t-il plus assez de bonheur pour tous?Le partage du savoir, entre un maître et ses élèves, s’ac-

commode-t-il mieux de l’absence de rapports humainsque la rencontre d’un écrivain et d’un lecteur?

Je revois également le visage de mon maître de CM2,Monsieur Poulin. Il ébouriffait mes cheveux en me ren-dant chacune de ma rédaction. « Quelle imagination !répétait-il. Ce n’est plus une rédaction. C’est un roman! »

Je sens encore sa main sur ma tête. Je ne me recoiffaispas, persuadé que plus mes cheveux étaient ébouriffés,plus il avait aimé mon histoire.

– Juste une petite signature, lâche le directeur d’un tonsuppliant.

Comme je n’ai pas l’âme d’un bourreau, ni d’un cheva-lier, je prends le livre, je trouve un crayon dans la pochede ma veste et je recopie la phrase qu’il m’a soufflée,pleine d’originalité :

« En souvenir de cette journée. »Et je signe.C’est certainement la dédicace la plus minable du

monde. Elle contente pourtant pleinement mon direc-teur. Je m’empresse de le saluer à nouveau et je rejoinsDenis qui m’ouvre la porte du coffre-fort. Je remontedans ma voiture. Le portail électronique me libère et jequitte le parking hautement grillagé.

Dans deux heures, je serai chez moi. Je me fais la pro-messe d’y rester. Même si mes chiffres de ventes pour-suivent leur dégringolade, jamais plus je ne quitterai mademeure. Si les lecteurs veulent me rencontrer, ils vien-dront m’y trouver. Je les accueillerai dans ma belle mai-son à la campagne, en compagnie de, par ordred’importance, ma femme, mes chevaux, mon jardin etmon ordinateur.

Ma porte restera ouverte, ma main tendue et moncrayon toujours prêt à laisser un souvenir de notre ren-contre, à remplir d’humanité le vide entre l’histoire etcelui qui la lit, comme un professeur comble ce qui lesépare de son élève.

N’AUTRE école, n° 27, automne 201016

Fiction | L’école dans dix ans

Marc Cantin & Isabel

Marc Cantin est écrivain pour la jeunesse et scénariste BD. Il a publié plusde 150 titres (albums, livres illustrés, romans, BD) pour toutes les tranchesd’âge. Depuis trois ans, il coécrit ses livres et ses scénarii avec Isabel (uneancienne enseignante !). Ensemble, ils cherchent les idées, puis c’est Isabelqui rédige les premiers synopsis (l’histoire en quelques lignes) et le plandétaillé du récit qui sera « l’outil » de base dont Marc se servira pour écrirel’histoire. Puis ils corrigent le texte à tour de rôle.Leur site : http://cantin.apinc.orgLeur blog : http://cantin.over-blog.com/Marc et Isabel ont également créé une association qui aide à la mise enplace de bibliothèques à l’étranger : http://coyote.apinc.org

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P &BENTRETiEN

travailliez-vous déjà chez P&B lors de la reprise en 2006?

Marion – Non, je suis arrivée en 2007.soPhie – Oui, je travaillais déjà pour l’association La Passerelle, j’ai doncvécu la reprise. […] Quand je suis arrivée, j’ai postulé pour P&B, mais j’aisurtout adhéré au projet. Et la directrice m’a expliqué qu’elle allait partir etque j’arrivais dans un contexte compliqué, mais que si j’adhérais autant auprojet ce serait possible de travailler avec le reste de l’équipe.

Peux-tu nous expliquer en quoi consistait ce projet? qu’avait-il despécifique par rapport à d’autres structures?

Le projet pédagogique était vraiment centré sur l’enfant, ses besoins et sesintérêts. Pour la mise en place des activités, on attendait vraiment que çaparte d’eux, de leurs besoins, de ce qu’on pouvait ressentir du groupe, del’ambiance qui régnait dans la garderie pour s’adapter au mieux. C’étaitaussi axé sur l’autonomie de l’enfant. Au niveau moteur, on attendait quechaque enfant soit capable de faire les choses pour lui proposer de les faire.C’était aussi le principe d’une ouverture entre les différentes classes d’âges,il n’y avait pas de section, il n’y avait qu’au moment des siestes et des repasque les bébés et les grands étaient séparés. Le reste du temps, petits et grandsse côtoyaient toute la journée, et l’intérêt était d’apprendre à vivre

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Bébés rentables, éducs jetables

est-ce un avant-goût de ce qui attend l’école primaire et le collège? L’accueil de la petite-enfance à Parisest déjà en partie géré par une entreprise privée: la logique de profit remplace les projets pédagogiquesdes crèches municipales ou associatives. N’Autre école a rencontré sophie, déléguée syndicale CNT etMarion, éducatrice de jeunes enfants, employées de People and Baby et actives dans le conflit présentéen encadré. L’entretien intégral est sur le site.

EN 2006, LA HALTE-GARDERIE GIoNo, dans le xIII e arrondisse-ment de Paris a été reprise par la société People and Baby(P&B), qui gère de nombreuses crèches dans toute laFrance. L’association « La Passerelle » qui était à l’originedu projet et qui gérait le lieu n’a pas eu son mot à dire, etles employées ont vu leurs conditions de travail et leurprojet mis à mal. Elles ont donc créé une section syndicaleCNT, et, après, une journée de grève, en mars 2009, ellesont toutes été mises à pied, trois d’entre elles ont ensuiteété licenciées sous prétexte de manquements à l’hygièneet d’insubordination. Depuis, elles ont multiplié les actionsauprès de la mairie et de la direction de P&B, avec lesoutien des parents et du syndicat, ainsi qu'avec l’appui del’Inspection du travail et d’autres syndicats (Sud et la CGTse sont portés partie civile aux Prud’hommes). Le référédes Prud’hommes du 29 juin 2010 n’a pas ordonné leurréintégration. Le jugement sur le fond aura lieu en décem-bre. En attendant, elles tentent de faire connaître et recon-naître l’injustice dont elles ont été victimes, et de faire valoirleur droit à avoir leur mot à dire sur leur propre travail.

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Dossier | L’école dans dix ans...

ensemble et à se respecter même si tout le monden’était pas au même stade de développement.M. – Ce qui m’a également frappé dans ce projet, c’é-tait un grand respect des familles, […] une très grandeimportance accordée aux mots utilisés au-dessus de latête des enfants […]. On respectait chaque famille, sansculpabiliser untel parce qu’il arrivait tard le soir. L’im-portance du langage dans cette structure m’a vraimentséduite, ainsi qu’un grand respect que je n’ai pas trouvéailleurs. […] Il y avait une remise en question constantede notre travail, beaucoup de réunions d’équipe, de com-munication et de dialogue.s. – Le projet pédagogique était à l’initiative d’une édu-catrice de jeunes enfants et d’une psychologue, c’étaitquand même un peu hiérarchisé par les diplômes, maisil y avait une implication de toute l’équipe par l’impor-tance des réunions, des décisions collectives. Donc per-sonne ne pouvait être indifférent à la reprise de gestion.

comment avez-vous appris le projet de reprise?

M. – Avec l’association, on avait l’habitude de faire desréunions d’équipe au moins deux fois par semaine, etlors d’une de ces réunions, la psychologue […] a tenuau courant toute l’équipe de l’appel d’offres, et ce jour-là, on est toutes tombées des nues, on n’a pas compris

pourquoi tout ça… La décision qui a été prise a été dene pas informer les parents pour ne pas les inquiéter etde postuler nous aussi à l’appel d’offres. On pensaitqu’on pourrait continuer à travailler dans les lieux. Maison avait la même impression, à petite échelle, que quandon voit à la télé des entreprises qui apprennent du jourau lendemain qu’elles vont être délocalisées. On vit dansl’incertitude d’être « repris » par des gens qui ne parta-gent pas nos idées et notre manière de penser le travail.

comment s’est passé concrètement ce chan gement,quelles ont été les réactions quand vous avez su quePeople and Baby était le repreneur?

s. – On avait des inquiétudes sur nos conditions de tra-vail et surtout sur le projet pédagogique. On pensait bienqu’il ne serait pas compatible avec le système de l’en-treprise, avec ce système clé en main de crèche asepti-sée […]. Au moment de la reprise, les parents sont toutde suite montés au créneau, auprès de la mairie et despouvoirs publics, P&B nous a donc garanti que rien nechangerait et que tout irait pour le mieux, et on s’est viterendu compte du contraire.

est-ce que vous avez constaté des différences dansvos conditions de travail suite à la reprise par P&B?

M. – Les conditions de travail se sont détériorées. Laparticularité de ce lieu faisait qu’on recevait beaucoupde stagiaires en formation. […] Le fait qu’il y ait plusde personnel permettait à la fois d’avoir plus de mondeauprès des enfants, mais également qu’on puisse avoirdavantage de congés payés. À partir du moment où P&Ba repris la structure, il y avait beaucoup moins de sta-

giaires, donc beaucoup moins de discussions, nousétions moins nombreuses auprès des enfants, et nousn’avions plus que cinq semaines de vacances.M. – De plus certaines professionnelles sont parties aumoment de la reprise, et leurs postes n’ont pas tous étéremplacés. […]

qu’est-ce qui a changé par rapport à votre projet?

M. – Dans le projet, tout était basé sur le dialogue:lorsde l’accueil, on prenait vraiment le temps de discuteravec les parents, mais pas forcément du nombre de carot-tes mangées ou des centilitres de pipi qu’ils avaient faitdans leur couche. Et on nous a demandé de remplir descahiers, avec les températures des biberons, beaucoupde détails. Au départ, on a un peu résisté, mais on n’apas pu faire autrement que de les mettre en place, et çanous prenait beaucoup de temps, qu’on n’avait plusauprès des enfants.

qu’est-ce qui vous a amené à envisager la créationd’une section syndicale?

À partir de 2006, la directrice est partie, et quatre direc-trices se sont succédé. […] Les premières étaient deséducatrices de jeunes enfants, il y avait encore un dialo-gue possible. Mais les trois dernières étaient des infir-mières, qui n’avaient jamais entendu parler depédagogie. […] Elles n’avaient aucune compétence etc’était encore une présence de moins auprès des enfants.Dans le projet initial, la directrice était impliquée avecles enfants, elle ne faisait pas que de l’administratif...M. – ... et elles étaient là pour nous « mater », puisquec’est ce qui avait été annoncé par la direction...s. – ... et les directrices ne comprenaient pas non plusque nous prenions les décisions de manière collective,en réunion avec toute l’équipe […].M. – Le principe dans notre projet était de faire les réunions toutes ensemble, pour avoir toutes les mêmesinformations au même moment, prendre les décisionsde manière collégiale; pour cela, on était obligées de lesfaire auprès des enfants, au moment de la sieste […].Ce fonctionnement-là n’était plus possible, et un prin-cipe de roulement était mis en place.s. – Ça scindait l’équipe en deux, et l’information necirculait pas correctement. […] Ensuite une de nos col-lègues a eu un avertissement, et suite à cet a ver tis sement,on a décidé de se réunir en dehors du travail […]. LaCNT nous a semblé le meilleur outil pour défendre à lafois nos conditions de travail et notre projet pédagogique,car pour nous, les deux sont liés. De plus, on a été sédui-tes par la CNT du fait de son fonc tion nement en auto-gestion, et que toutes les décisions soient prisescollectivement, car déjà dans nos pratiques profession-nelles, on avait ces habitudes-là. C’est ce qui nous cor-respondait le plus humainement et idéologiquement.M. – C’était aussi pour ne pas rester isolées et pour ren-contrer éventuellement d’autres professionnelles quisubissaient les mêmes problèmes, et se regrouper.

quelles étaient vos revendications?

– L’amélioration des conditions de travail, la signatured’une convention collective, l’augmentation des congéspayés, l’augmentation de la formation, l’arrêt des heu-res supplémentaires imposées. Bref, le minimum qu’onpuisse demander. Dans un de nos premiers tracts, plusspécifique à Giono, on évoquait également nos horaires

N’AUTRE école, n° 27, automne 201018

« on a été séduites par la CNT du fait de son fonc tionnement en autogestion, et que toutes les décisions soient prises collectivement, car déjà dansnos pratiques professionnelles, on avait ces habitudes-là.»

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de travail, qui avaient été modifiés juste après la créationde la section. […]Il fallait également fermer la halte-gar-derie à 19h au lieu de 19h30, ce qui réduisait le tempsd’accueil et de communication avec les parents […].s. – Il y a eu un rendez-vous assez tardif avec le patron etlors de ce rendez-vous, il n’a pas du tout parlé de toutcela. Il m’a proposé de signer une rupture convention-nelle de contrat (RCC), sinon, je risquais des sanctionsdisciplinaires. Il m’a dit qu’il allait convoquer toutes mescollègues. Sur six professionnelles travaillant auprès desenfants, six étaient syndiquées, et les six ont été ensuiteconvoquées par Durieux (le directeur).M. – […] On m’a dit qu’il n’était plus possible de tra-vailler comme ça, que l’équipe allait être explosée.s. – Face à ces intimidations de la part de la direction, ettoujours pour demander de meilleures conditions de tra-vail, on a décidé de faire une journée de grève.M. – C’était le lundi 1er mars. Au cours de la journée, ona continué à recevoir des appels de la direction tentant denous faire accepter les mutations ou les rup tures decontrat. La journée s’est bien passée, les parents étaientau courant. Le mardi matin, on est arrivées, sur les nou-veaux horaires qui nous étaient imposés, et on s’est retrou -vées face à une équipe de la direction qui était auprès desenfants qu’on accueillait d’habitude. Un quart d’heureaprès, j’ai été convoquée dans le bureau, on m’a remisune lettre de mise à pied conservatoire et on m’a demandéde quitter les lieux dans les cinq minutes qui suivaient,sans parler aux enfants ni à qui que ce soit, avec quel-qu’un qui me suivait pendant que je préparais mes affai-res pour me surveiller. C’était très violent, on entendaitles enfants qui pleuraient parce qu’ils étaient confiés àdes inconnus, les parents ne comprenaient pas du tout cequi se passait, ils étaient dehors et ont vu les profession-nelles sortir une à une, en larmes ou sous le choc. […]

Il y a eu ensuite les entretiens préalables aux licencie-ments, trois d’entre nous ont été licenciées, alors que lalutte était déjà engagée, et malgré une lettre de l’inspec-tion du travail qui s’interrogeait sur la corrélation entre lajournée de grève et les mises à pied. […]s. – Parallèlement à ce que nous vivions à Giono, il y aeu la mobilisation contre le décret Morano, « pas de bébéà la consigne ».

[…] Notre lutte s’est donc inscrite dans un contexteparticulier: enfin, la petite enfance se bougeait. Une brè-che s’est ouverte à ce moment-là pour parler des condi-tions de travail des professionnel(le)s de la petite enfance.

quel rôle garde la mairie de Paris dans les crèchesgérées par le privé. garde-t-elle un droit de regard?

s. – Il y a très peu de crèches privées sur Paris, environ3 %. Et il y a très peu de liens entre la mairie et les crèches privées, à part un cahier des charges qui ne se souciaitpas des employé(e)s. Mais grâce à notre lutte, nous avonsobtenu qu’il y ait une clause sociale dans ce cahier pourprotéger les salarié(e)s lors des prochaines reprises engestion. C’est une première victoire du syndicat, mêmesi nous sommes contre la privatisation des crèches.M. – Le directeur de cabinet chargé de la petite enfanceà l’hôtel de ville a reconnu lui-même qu’il n’avait pasvraiment lu le cahier de charges auparavant, qu’ils ontété impressionnés par le dossier mirobolant de P&B,mais qu’il n’y a pas eu de suivi après la reprise.

lorsque la mairie répartit les enfants dans lescrèches, elle informe les parents s’il s’agit d’unecrèche privée?

s. – Non, la directrice de P&B fait partie de la commis -sion d’attribution des places, et les parents ne savent pasque leur enfant est dans une crèche gérée par une entre-prise privée.

et quelle est sa position par rapport au conflitactuel?

s. – La réponse de la mairie de Paris et de la mairie duXIIIe est de dire qu’il s’agit d’un conflit de droit privé, etqu’ils ne peuvent rien faire. […]M. – Ils ont assuré qu’ils ne se positionneraient ni ducôté du patron ni du nôtre, mais il y a eu un témoignagecontre nous au procès, de Monsieur Bailly, de la DFPE(direction de la famille et de la petite enfance). Ils se sontdonc positionnés, mais pas de notre côté.

comment envisagez-vous l’avenir?

s. – […] On a décidé, pour l’instant, de mener la luttejusqu’au bout, aussi bien au niveau de l’action directequ’au niveau juridique, pour obtenir gain de cause.

Àu-delà […], on a des pistes de réflexion, on aimeraitmonter une scoop. Mais il est clair que par rapport à P&B,si on veut garder une légitimité pour mener à bien cettelutte, il faut qu’on reste dans l’entreprise pour continuerà dénoncer leurs exactions et à demander de meilleuresconditions de travail pour l’ensemble des salarié(e)s. Pourle moment, on est dans l’attente des résultats aux Prud-hommes. ■

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Dossier | L’école dans dix ans...

►L’intégralité de l’entretien est disponible sur le sitewww.cnt-f.org/nautreecolerubrique «L’école dans dix ans ?»

► Pour suivre l’actualité de la lutte des «P&B», il existe un blog : petiteenfanceenlutte.over-blog.com/

Mai 2010 : occupation du siège de P&B par les salariées

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les étudiants se MoBilisèrent mas si vementcontre la réforme jusqu’à ce qu’elle soit retirée,

après l’assassinat du jeune Malik Oussekine par lesvoltigeurs de Pasqua et la démission du ministre Deva-quet. À cette époque-là, un Collectif de refus d’inspec-tion et de la notation (il ne s’appellera anti-hiérarchieque quelques mois plus tard) existait déjà. Lors desvacances de la Toussaint 1986, une rencontre natio-nale des collectifs anti-inspection se tint à Marseilleet les participants discutèrent beaucoup de la néces-sité de se mobiliser contre le projet de statut de direc-teur d’école qui était encore dans les cartons duministère. Il en sortit rapidement puisque, le17 novembre, figurait à l’ordre du jour du CTP minis-tériel l’examen d’un projet de décret instituant des«maîtres-directeurs» dans les écoles maternelles etélémentaires. […] Le mouvement étudiant contre laloi Devaquet et une grande grève des cheminots ayantoccupé les mois de novembre et décembre 1986, cefut le 12 janvier 1987 qu’une poignée d’instits pari-siens se mit spontanément en grève reconductible.Dès le premier jour, les grévistes firent le tour desécoles pour appeler les collègues à les rejoindre.

Le mouvement prit très rapidement et les gré vistes,de plus en plus nombreux, s’organisèrent: AG d’ar-rondissement le matin, tour des écoles et contacts avecl’extérieur (presse notamment) l’après-midi, AG pari-sienne le soir à la Bourse du travail. En quelques jours,la grève s’était étendue à l’Île-de-France, puis au pays.Le 19 janvier, une délégation des grévistes obtenaitd’être reçue par le directeur de cabinet du ministre del’Éducation nationale (Monory) qui, sans retirer leprojet, annonça qu’il serait « gelé » (de toute façon,dans cet hiver glacial de 86-87, tout était gelé!) pourrediscussion. Devant cette invitation à poursuivre lamobilisation, les grévistes de plus en plus déterminés

décidèrent de s’organiser en «coordinations» pari-sienne, puis régionale et enfin nationale, et de multi-plier les apparitions et les actions (y compris desoccupations de locaux symboliques comme des grou-pes financiers ou des institutions comme le Sénat).C’était une pratique nouvelle dans un milieu profes-sionnel qui, à quelques exceptions près, n’avait guèreconnu que le rituel des grèves de 24 heures lancéesune ou deux fois par an par le syndicat historique-ment ultra-majoritaire chez les instituteurs (le SNI).

Les manifestations de rue appelées par la coordina-tion étaient de plus en plus massives. Le 11 février,elles prirent un caractère national et les différents syn-dicats s’y joignirent officiellement: ce furent 80000enseignants des écoles qui manifestèrent à Paris, prèsd’un sur trois en exercice, du jamais vu! Il faut direque Chirac et Monory, après avoir beaucoup tergi-versé et promis des renégociations, avaient décidé depasser en force et de publier malgré tout le décret insti-tuant les maîtres-directeurs. Mais le texte publié nefut jamais véritablement mis en application et finit, deplus en plus ignoré, par être abrogé moins de deuxans plus tard.

À cette époque-là, la volonté gouvernementale decasser l’unité du corps des enseignants et de créer unéchelon de fait hiérarchique dans les écoles avaitheurté de plein fouet la sensibilité des personnels etsuscité une résistance farouche. « Nous n’avons pasbesoin et nous ne voulons pas d’un petit chef! » étaitun cri quasiment unanime. Il reste à espérer qu’il soitrepris avec la même vigueur à l’heure où le gouver-nement actuel revient à la charge avec un nouveauprojet, celui du « statut d’emploi de directeur ». ■

Jean-François Fontana, gréviste anti-maître-directeurs, millésime 87, Sud

Dossier | L’école dans dix ans...

Futur d’en-haut...il y a vingt ans, la révolte et la victoiredes instits contre le statut des maîtres-directeurs 

N’AUTRE école, n° 27, automne 201020

À cette époque-là Chirac était Premier Ministre de François Mitterand, il voulait faire plein de réformes,en particulier pour l’Éducation nationale: une réforme des universités et la création d’un statut pourles directeurs d’école, qui n’étaient jusque-là «que» enseignants parmi les autres, éventuellementdéchargés de classe, totalement ou partiellement.

►Le collectif anti-hiérarchie (CAH)L'urgence d’une action collective a incité un certain nombred’enseignants syndiqués ou non à se regrouper. Le collectif axeson intervention sur toutes les hiérarchies: réelles commel’inspection, avec le refus de ce procédé invalide et infantili-sant, ou imaginaires d’un directeur-collègue, d’un conseiller seprenant pour des chefs. Il s’agit d’élargir le débat, de porter lalutte sur le terrain de la multiplicité des rapports de pouvoir quiforment, in-forment, définissent le sens, les modalités d’exer-cice et les fins de nos pratiques d’éducation et d’instruction.Éducation (nationale) rime souvent avec notation et soumis-sion (générale). La hiérarchisation non seulement des person-La pyramide du capitalisme, d’après une affiche originale La pyramide du capitalisme, d’après une affiche originale

des IWW, syndicalistes révolutionnaires américains.des IWW, syndicalistes révolutionnaires américains.

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21N’AUTRE école, n° 27, automne 2010

Dossier | L’école dans dix ans...

le Projet de loi ePeP veut transformer lesécoles en établissements soumis à un conseil

d’administration où représentants de la communeet parents seront majoritaires, les enseignants nereprésentant plus que le tiers des votants. Le projet,s’il est appliqué, provoquera le regroupement d’é-coles au sein des EPEP. Ces structures pourrontembaucher, dans un premier temps des vacataires(pour un remplacement…) ou des AVS à 500 eurospar mois, puis directement les enseignants. Ellespermettront la mise en concurrence des écoles oùnous travaillerons quotidiennement sous l’autoritéhiérarchique d’un « super directeur » (rappelonsqu’actuellement, les directeurs d’école ne sont pasdes supérieurs hiérarchiques mais des collègueschargés des fonctions de direction, malgré les ambi-guïtés de certains qui abusent déjà de leur situationd’autorité de fait). Les projets pédagogiques, lamanière de prendre en charge la difficulté scolaire,pourront être déterminés en fonction de la couleurpolitique de la municipalité, des budgets allouéspar la commune à l’éducation. Les résultats auxévaluations nationales pourront être utilisés pourimposer des choix pédagogiques aux enseignants,pour décider des moyens attribués à chaque école,voire pour choisir les enseignants lorsque ceux-ciseront embauchés par le conseil d’administrationdes EPEP. Exit le conseil des maîtres et, avec lui,l’idée d’une école gérée collectivement par l’équipepédagogique; le conseil d’administration de l’éta-blissement dominerait tout ça et se prononcerait sur«les résultats des élèves et l’efficience des disposi-tifs d’accompagnement».

Sous couvert d’une refonte de la direction d’é-cole, c’est une véritable réforme de l’enseignementprimaire que le ministère entend imposer.

Ce bouleversement est en fait préparé de longuedate. Depuis des années, une crise du recrutementdes directeurs perdure. Les conflits sont récurrentsavec l’administration de l’Éducation nationale. Lestâches et les responsabilités liées à la fonction dedirection s’alourdissent. Par ailleurs, l’administra-tion de l’Éducation nationale voit, là, l’occasion derécupérer les milliers d’heures de décharge desdirecteurs actuels et de gagner des postes sansembaucher: les directeurs déchargés qui ne seraientpas retenus comme « super directeurs » seront réaf-fectés dans les classes.

Les prérogatives du conseil des maîtres ne doi-vent pas être remises en question car le fonctionne-ment autogestionnaire des écoles primaires n’estpas une erreur ou une anomalie qui aurait échappéaux dirigeants! Cela a une explication historique:après la guerre de 39-45, l’école de Jules Ferry, véri-table entreprise d’obéissance, a été sérieusementmise en cause dans l’application aveugle de mesu-res administratives meurtrières. La formation del’esprit critique, qui s’est traduit dans les écoles parla liberté pédagogique, le libre arbitre des ensei-gnants et l’absence de hiérarchie directe, sont leshéritages de cette société d’après-guerre, qui vou-lait en finir durablement avec la barbarie.

Aujourd’hui, le projet des EPEP n’est pas une fan-faronnade, parce qu’il renoue avec une vision auto-ritaire de l’éducation et un projet de société tournétout entier vers l’obéissance et l’économie.■

CNT STE 75 pour le CAH

depuis plus de deux ans des bruits circulent sur une réorganisation des écoles primaires, quiremplacerait le système actuel par les ePeP (établissements publics d'enseignement primaire).Parfois imminente, parfois remisée pour laisser la priorité aux autres attaques que subit l’Éducationnationale en particulier et les travailleurs en général, en quoi consistera cette réforme annoncée ?

Le projet de décret sur les EPEP: fin des conseils des maîtres, écoles sous contrôle

...futur d’en-bas

nes mais aussi des savoirs, des compétences, des valeurs, desgenres, ne relève que d’une logique de domination qui cons-truit des chaînes de dépendance, de capture, de disqualifica-tion qu’il faut combattre jusque dans nos têtes. Notre combatne se limite pas à nos fonctions ni à nos petites oppressionsquotidiennes d’enseignants. Nous n’oublions pas que les motsd’ordre généraux de « défense du service public » ne peuventse limiter à la sauvegarde d’un passé dont on ne veut plus. unebrochure est disponible. Elle est un outil de défense, deréflexion, d’incitation à penser des alternatives aux politiquesde « gestion des ressources humaines » imposées à l’ensem-ble des «usagers » de l’institution scolaire. Le collectif s’adresse

à tous non seulement pour se battre contre les abus,dérives, pathologies liés aux fonctions d’autoritémais, plus globalement, pour résister à la dépolitisa-tion des enjeux autour de la formation, de l’évalua-tion, de l’organisation de formes coopératives deproduction et de diffusion de savoirs, ainsi que pourcréer d’autres valeurs, d’autres relations.Il se refuseà tout recours à la hiérarchie pour lutter contre lahiérarchie car, comme le disait notre sœur féministenoire américaine Bell Hooks : « on ne détruit pas lamaison du maître avec les outils du maître. »

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La préhistoire

MAMÈREFRAPPE. J’hésite entre me lever toutde suite pour prendre un chocolat ou gagnerun quart d’heure de sommeil et ne pas man-

ger. Je me rendors. Ma mère frappe plus fort. Je me tiredu lit. Dans la cuisine elle me demande d’arrêter de gro-gner. Je grogne parce que je n’aime pas quand on meforce. Au fond, à ce jour dans ma vie il n’y a pas grand-chose que j’aie fait mon plein gré.

Si je pouvais je me lèverais à midi.Dans le métro je relis le cours de maths sur mon por-

table. J’aurais dû le faire hier soir mais je n’aurais sansdoute pas mieux compris. Gayllord dit qu’il n’y aura pasque de la géométrie. J’espère qu’il est prophète, c’est maseule chance.

J’arrive en retard au cours d’anglais parce que l’identi-fication optique a mis du temps à me reconnaître à l’en-trée. Sans doute parce que j’ai les yeux encore voilés defatigue. La prof me dit de me dépêcher de m’asseoir etde prendre l’écoute en cours. Elle ajoute une questionque je ne comprends pas. Elle répète : have you sleptwell? Je réponds yes madam. Alors que non pas du tout,j’ai mis deux heures à m’endormir, j’avais encore les vira-ges d’Action Paytheprice en tête.

Dans le casque une voix masculine lit un texte très vite,j’ai à peine le temps de noter les bribes que je comprends.Je n’aime pas les claviers du collège, je préfère écriredirectement sur l’écran en digital. Tout est vieux ici.

À la fin du cours on doit rusher vers la salle d’histoire-géo, Monsieur Benhammed ne supporte pas le moin-dre retard. Il ne veut pas non plus que je l’appelle Hatemou que je le tutoie alors qu’il était encore à la maisonhier soir pour regarder les élections avec mon père. Jepensais qu’il allait nous en parler en début de cours.Sans forcément nous dire qu’il n’a pas voté pour Copé,et qu’il va s’exiler jusqu’en 2027 au Maroc comme il lepromettait hier soir. Juste comme ça pour nous expli-quer. J’aime bien quand les profs parlent d’autre chose.Ça grignote sur les quarante-cinq minutes de cours.Hatem met en réseau un film qui explique les châteauxforts du Moyen-Âge. Le Moyen-Âge est un temps trèsreculé. Pour dire que quelque chose est dépassé et pascivilisé, on dit que c’est moyenâgeux. En même temps, afait remarquer Monsieur Benhammed en début deséance, à l’échelle de l’histoire de l’histoire de l’humanitéle Moyen-Âge est beaucoup plus proche de nous. Danstrois millions d’années, notre époque sera mise dans lemême sac que le Moyen-Âge et même que la Préhis-

toire. C’est pour ça qu’aujourd’hui il y a encore des guer-res et l’école. Sur l’écran est lancée une simulation d’at-taque de château en 3D. Ce sont des Normands qui enveulent à je n’ai pas compris quel peuple. Ils grimpent àdes échelles que les assiégés poussent pour les faire bas-culer Du coup les assiégeants meurent écrasés. Un peucasse-cou, quand même, les types. Devaient bien se dou-ter que ça se passerait les doigts dans le nez. MaylisGuillon regarde ses messages en se planquant. Elle s’estcoupé les cheveux, ça lui va bien. Tout lui va bien. Jelaisse les châteaux forts et je regarde encore la leçon demaths sans la comprendre. À côté de moi Antoine s’estendormi, j’espère qu’il ne va pas ronfler comme hier,c’est rigolo deux minutes et embarrassant le reste dutemps. Je laisse les maths et je réfléchis à un prétextepour aborder Maylis à la récré.

Le mieux c’est de passer par Sarah sa meilleure copine.Après la sonnerie j’attends cinq minutes pour ne paslaisser croire que je me précipite, puis je m’approched’elle par-derrière pour lui arracher son sac. Elle mecourt après, et finalement je refile le sac à Maylis enespérant qu’elle entre dans le jeu. Au lieu de quoi elle lerend directement à sa copine. Les filles ne savent pass’amuser.

Je n’insiste pas. Je pense qu’on peut dire que j’ai l’airbête. Est-ce qu’avant un garçon de quatorze ans sevoyait offrir plus de moments de grâce? Ma mère dittoujours qu’à son époque dans les années 2000 onsavait s’amuser.

Comme espéré, il n’y a pas que de la géométrie quis’affiche sur l’écran, aussi de l’arithmétique qu’on a vuela semaine dernière. Je commence par ces exercices-là.Je ne les comprends pas non plus. Tout le monde ditque les maths se compliquent en quatrième, pour moiça s’est compliqué dans l’utérus. Depuis toujours on memotive en me disant que ça sert plus tard, pour les cal-culs et aussi pour comprendre l’économie. En tout casça ne m’aide pas à comprendre comment les pays peu-vent se mettre en faillite un par un, alors que ce sont euxqui fabriquent la monnaie. Si j’avais ce pouvoir, je m’enmettrais plein de côté et j’arrêterais de travailler. À vie.Maylis est à fond dans le contrôle, ce n’est pas mainte-nant que j’attirerai son attention. Rabier rêvasse à tra-vers la fenêtre. Quelle idée de devenir prof de maths.Celui-là est gentil. Pour un peu j’oserais lui demanderl’autorisation de surfer sur les sites autorisés en atten-dant qu’il ramasse les copies.

François Bégaudeau

Fiction | L’école dans dix ans

N’AUTRE école, n° 27, automne 201022

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23N’AUTRE école, n° 27, automne 2010

Au début du cours d’informatique, la prof rappelle laliste des élèves qui n’ont toujours pas payé ce mois-ci.Elle signale à Bakara qu’il est systématiquement enretard, cette année. Elle ajoute: si ça t’embête de payeril faut retourner dans le public. Tout le monde rigole, etmoi aussi, pour faire comme Maylis.

Au réfectoire, Antoine dit que ses parents ont desamis qui connaissent la fille de Benoît Hamon. Char-les demande qui c’est. Je lui explique que c’est celui quia perdu hier soir, je le sais : mon père et Hatem Ben-hammed étaient pour lui. Maylis épluche une orange àla table d’à côté. Elle parle du contrôle de maths je crois.Les filles ne pensent qu’à l’école.

Il fait chaud. Je n’ai pas très envie de courir. Je me pro-pose comme arbitre pour l’heure de basket. Le prof estravi, d’habitude il est obligé de désigner. Au bout dedeux matchs je commence à regretter, je n’arrête pas deme faire insulter à cause de mes décisions. MêmeAntoine a gueulé parce que je lui avais compté unereprise de dribble. Je n’ai même pas le temps d’observerdu coin de l’œil les fesses de Malys moulées dans unlegging rose.

J’ai bien fait de m’inscrire en atelier percussions endeuxième heure. Ça casse les oreilles mais au moins onest assis. Je ne comprends pas pourquoi je suis fatiguécomme ça. Ma mère dit que ne rien faire ça fatigue.Elle a peut-être raison pour une fois.

À 16 heures je frappe au bureau de Madame Fritzpour mon heure individuelle. Je lui dis que j’ai encorecomplètement foiré le contrôle de maths. Je ne dis pasfoiré, je dis raté. Elle dit qu’il vaut mieux oublier cettematière et essayer d’optimiser les performances danstout le reste, surtout le français. Je lui dis que j’aimeraisautant mettre le paquet sur les matières que j’aime. Elleme demande ce que j’aime. J’ai envie de répondre May-lis, je suis complètement débile parfois. Comme je neréponds rien elle demande ce qu’on fait en ce momenten français. Je cherche le document sur mon disque etje la laisse regarder. C’est un groupement de textes surl’éducation. Elle dit ça tombe bien. Je ne comprendspas pourquoi elle dit ça.

Elle parcourt vite le premier texte, et me demande ceque j’en ai saisi. Je n’en ai pas saisi grand-chose.

Elle reprend à zéro.Déjà il date de quand ce texte? Je regarde en bas et je

vois 1922.Pourquoi cette date est singulière?Je ne comprends pas singulière.Pourquoi elle sonne marrante cette date pour nous?J’ai compris: parce que ça fait cent ans pile.Et alors il dit quoi ce texte?Il dit que l’école doit changer.Et jusqu’à quel point il pense que c’est possible de

changer l’école en 1922?

Je relis le début pour répondre. Je ne vois pas. Jepanique. Ma vue se brouille. Quand on cherche viteon ne trouve rien. C’est pour ça que je perds 80 % demes moyens à l’école. Je réponds au hasard que oui etje lis immédiatement une déception dans son regardbienveillant.

Tu as raison il dit oui, mais il y a un mais. C’est quoile mais?

Je ne sais pas. Plus ça va aller moins je vais savoir.Le mais c’est que ça prendra du temps. Pourquoi ça

prendra du temps?Cette fois je ne cherche plus dans le texte mais dans

mon cerveau ou ce qu’il en reste.Mon cerveau au secours duquel accourt celui de la

prof. Parce ce que c’est comme ça dit-elle. C’est long.En 1922 on en est qu’au début de l’école. Et aujourd’-hui encore, à l’échelle de l’humanité, on en est qu’audébut de l’école. Au tout tout début.

Au tout tout début de l’école. Je ne sais pas si je doisme réjouir.

Illustration de Riss J’aime pas l’école, voir chronique et entretien N’Autre école, n°17.

François Bégaudeau

Écrivain, chanteur, acteur, journaliste, réalisateur... et prof de lettres, FrançoisBégaudeau a connu le succès avec Entre les murs, d’abord un livre (2006) puis un film (2008) sur le quotidien d’une classe de collège dans un quartier populairede Paris (voir N’Autre école n° 22).Actuellement en «disponibilité», il en profite pour continuer son travail de roman-cier, s’offrir un détours par le théâtre, multiplier les chroniques dans la presse ou les médias... et trouve quand même le temps de nous proposer ce petit texte.

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Les mots-clé des contre-réformes

Dossier | L’école dans dix ans...

C'est nous qui travaillons, c'est nous qui décidons : reprenons en main l'avenir de l'école !

Contre-réformes de l’éducation

contre-offensive syndicale

Socle commun

Concept issu du monde de l'entreprise, débat pédagogique faussé mais vraidébat idéologique, des élèves moins protégés sur le marché du travail.

Contractualisation Logique d'entreprise (attributions de moyens en fonction d'objectifs chiffrés) et mise en concurrence des établissements.

Conseil pédagogique diviser pour mieux régner, faire passer la contractualisation et le soclecommun.

Les RAR remplacent les REP raréfaction des moyens,rien à faire des élèves en difficultés.

Compétences

smic scolaire, école à deux vitesses, programmes rétrogrades, méli-mélodisciplinaire, bivalence imposée.

Label « Lycée des métiers » (pour lesLP), Bac Pro en trois ans

Financement soumis aux industriels locaux, inégalité territoriale de l'offre deformation, sous-traitance de la formation professionnelle des élèves en diffi-culté au Medef.

Certifications individualisation à outrance des parcours, casse des conventions collectives (plusde diplômes garantissant un certain niveau de rémunération).

Réforme des lycées réduction drastique des heures d'enseignement, attribution arbitraire desTd dédoublés. Les établissements doivent gérer la pénurie !

Note de vie scolaire retour au zéro de conduite, double peine pour les élèves.

Heures supplémentaires suppressions de postes, travail bâclé, allongement de la durée de travail pour tous à court terme.

Accompagnement éducatif,aide personnalisée

Favorise la suppression de la remédiation et remplace des heures postespar des heures supplémentaires.

Masterisation des concours,Casse des IuFM

Catastrophe humaine et pédagogique : arrivée de nouveaux enseignantsnon formés en milieu sensible, renforcement et assise du pouvoir hiérar-chique des chefs d'établissement (pouvoir sur le recrutement).

Les effets

N’AUTRE école, n° 27, automne 201024

Le dÉNoMiNATeur CoMMuN À TouTes Les rÉForMes qui se sont succédé dansl’Éducation ces dernières années est la volonté de rogner toujours plus sur lebudget d’un ministère jugé trop coûteux. si ces réformes avaient été décidéesdans le but de permettre à tous les élèves de réussir le mieux possible, ellesn’auraient certainement pas été prises dans l’urgence, sans aucuneconcertation avec les personnels sur le terrain et ne s’accompagneraientassurément pas de la réduction toujours plus grande de postes d’enseignants,de personnels de vie scolaire et d’entretien.

Pour mémoire, 8 700 postes

supprimés en 2007, 11 200 en 2008,

13 500 en 2009. 16 000 postes seront

supprimés en 2010. en 4 ans :

– 49400 postes...

►Synthèse réalisée par le syndicat CNT Éducation69. une version imprimable est téléchargeable sur le sitede la revue pour affichage en salle des profs.

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Les mots-clé des contre-réformes Des propositions pour (ré)agir

25N’AUTRE école, n° 27, automne 2010

Dossier | L’école dans dix ans...

Que faire au quotidien?

organiser des heures d’informationssyndicales pour échanger sur notre lieuet notre temps de travail et se donner les moyens de l’action;

Mettre en place la solidarité avec les collègues précaires, les élèves sans-papiers;

Refuser les heures supplémentaires:chaque heure acceptée en plus de celle qui est obligatoire permet les suppressions de postes;

S’opposer collectivement aux remplacements à l’interne;

Boycotter ou neutraliser les Conseils pédagogiques pour qu’ils ne deviennent pas un outil de flicage et de division des enseignants;

Dénoncer l’aide individualisée ou personnalisée, l’accompagnementéducatif ; revendiquer de vrais temps de remédiation, compris dans le temps de travail des enseignants et des élèves (par exemple 3enseignants pour 2 classes) avec les postes nécessaires;

Développer les dispositifs relaisinternes aux établissements pour les élèves en voie de déscolarisation;

Refuser de mettre la note de vie scolaire;

Se souvenir que le Conseild’administration n’a pas de réelpouvoir (lorsqu’il s’exprime sur les moyens alloués à l’établissement, il ne se prononce que sur leurrépartition), c’est la mobilisation des tous qui fait bouger les choses;

Se syndiquer pour se former,s’informer, agir pour décider nous-mêmes des réformes dont l’éducation a besoin.

C'est nous qui travaillons, c'est nous qui décidons : reprenons en main l'avenir de l'école !

Contre-réformes de l’éducation

contre-offensive syndicale

revendiquer à long terme un collège et un lycée polytechniques où les savoirs intel-lectuels et manuels seraient équilibrés.

revoir nos formes d'évaluation pour vraiment aider les élèves à apprendre,se débarrasser de la note chiffrée.

refuser collectivement de signer ces contrats.

Les décisions concernant les orientations pédagogiques doivent être prises par lespersonnels, en assemblée générale.

exiger de la concertation entre Pe et professeurs des collèges et lycées,évaluer nos propres besoins et se battre pour les obtenir.

Péréquation des moyens sur le territoire, maîtrise de la carte de formation parl'école, revenir à une offre de formation diversifiée et contrôlée par l'école.

réaffirmation de diplômes nationaux qualifiants.

de vrais temps de remédiation,moins d'élèves par classe.

refuser les heures sup. au-delà de l'heure imposable, exiger des création de postes,une vraie augmentation des salaires et un temps de concertation inclus et payé.

de vrais temps de remédiation,moins d'élèves par classe.

Pas d'heures supplémentaires pour les profs ni pour les élèves ! Travaillons autre-ment, avec des effectifs réduits !

repenser à la base la formation professionnelle des enseignants, repenser lesaffectations des néo-titulaires, maintien du stage d'un an.

derrière les économies, ces contre-réformes sont d’une grande cohérence idéologique,et dessinent, de la maternelle à l’université, un modèle d’éducation néo-libéral,conservateur et autoritaireavec son déterminisme social généralisé. Voici quelques cléspour comprendre les réformes du secondaire, quelques idées pour construire ce quipourrait être «n’autre école», et quelques pistes pour lutter au quotidien.

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Dossier | L’école dans dix ans...

Cette circulaire s’approprie un vocabulaire etdes mesures élaborées depuis des décenniesau fil des initiatives prises pour faire face à la

massification de l’enseignement, pour « mener à laréussite un ensemble d’élèves qui ne sont pas socia-lement dotés des propriétés qui laissent attendre uneréussite à l’école » pour reprendre une formulationde Françoise Lorcerie1. Beaucoup des dispositionspréconisées aujourd’hui dans le projet de Chatelexistent dans les ZEP qui sont en cours de suppres-sion, mais à la logique de l’éducation prioritaire estsubstituée une logique répressive. Les termes« ambition, réussite, et innovation », hérités desréflexions menées sous Allègre et Lang ne sont quedes leurres. Dans le programme Clair, qui n’estqu’un dispositif contre le conflit et l’absentéisme,nulle ambition au sens de « désir ardent », pas plusdésir des adultes que désir des élèves.

Seule transparaît l’ambition des enseignants quiveulent devenir calife à la place du calife.

Clair et ZepLe programme Clair préconise des « innovations »dans les champs de la pédagogie, de la vie scolaireet des ressources humaines.

Pour la pédagogie, il n’y a… rien en dehors durappel de la loi d’orientation et de programme pourl’avenir de l’école de 2005. Notons que les innova-tions jusqu’à présent émanaient des praticiens quiles proposaient au ministère ; aujourd’hui c’est leministère qui sollicite les innovations… pour lesréduire (au sens culinaire) dans son moule. Rienqu’un quotidien de base dont la teinte est obscurciepar le volet « action en faveur de la sécurité des éta-blissements ».

En effet le principal partenaire extérieur mentionnédans la circulaire est la police.

Le recours aux forces de l’ordre qui a longtempsété vécu comme impensable par les enseignants etest encore pour beaucoup considéré comme un ter-rible échec, est maintenant banalisé, encouragé.

L’enseignement « prioritaire » est désormais « prio-ritaire pour l’intervention des Équipes Mobiles deSécurité ».

Pour la vie scolaire, entre autres points, les innova-tions « s’inspirent d’expériences relatives à des tempsd’accueil collectifs ou individualisés des élèves, lagestion et l’aménagement des espaces scolai -res, etc. ». Cette prescription faite aux équipes seréfère indéniablement aux pratiques des Zep et plusanciennement à celles des établissements expérimen-taux soigneusement marginalisés pour les rares quiexistent, consciencieusement démontés pour le grandnombre qui a fonctionné dans les années 1980.

L’innovation la plus remarquable date des collè-ges de Jésuites: c’est la réanimation du « préfet desétudes ». Inutile de s’étendre sur la connotationarchaïque et répressive du terme. Quant à la fonc-tion, les CPE, les professeurs principaux, les adjointsde direction seront ravis de voir leur rôle supervisépar ce nouveau personnel (un préfet par niveau) ettous les enseignants se réjouiront de savoir ce qu’ilsdoivent faire grâce aux directives de ces nouveauxmembres de l’équipe de direction qui « pourrontbénéficier de la nouvelle indemnité pour fonctiond’intérêt collectif… »; la division et la confusiondes tâches entre différentes personnes est, dans lesstratégies d’entreprise une manière de renforcer lescontrôles, de stimuler la productivité, d’épuiser lessalariés mis en concurrence. Par ailleurs, une tellefonction ne semble possible que dans des établisse-ments à effectif réduit (que fera un préfet pour 12sixièmes?)

L'ambition des uns fait-ellela réussite des autres ?« Annoncé par le ministre à l'issue des États généraux de la sécurité à l'École, le programme Clair(collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite) est expérimenté dès la rentrée 2010. il concerne les établissements concentrant le plus de difficultés en matière de climat scolaire et de violence. Le programme Clair sera étendu à la rentrée 2011, dans le cadre d'un examen de la cohérence des géographies prioritaires existantes, en liaison avec la politique de la ville. »Ainsi commence la circulaire n° 2010-096 du 7-7-2010 paru au BO, n° 29 du 22 juillet 2010*.

n NICoLE CHoSSoN

ET MARYVoNNE MÉNEZ,

N’AUTRE école, n° 27, automne 201026

1. Françoise Lorcerie, in Actes de lajournée OZP 2010 éducationprioritaire : des réussites confrontées,association-oZP.net/spip.php?article8852)

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Clair et RESUne autre innovation de la vie scolaire s’intéresse àla relation avec les familles et témoigne d’une évo-lution du partage des tâches éducatives et pédago-giques, des rôles de la famille et de l’État, de lafrontière public/privé. Ni l’école républicaine ni lelycée expérimental de St-Nazaire n’impliquent lesparents dans l’organisation des études, dans les acti-vités de l’établissement. En revanche, tous les pro-jets pédagogiques et surtout ceux concernant lesélèves « en difficulté » préconisent un dialogue entrel’école et les familles voire sollicitent une participa-tion de leur part (par exemple création d’ateliersconduits par les parents) ; la relation parents/écoleest alors respectueuse des prérogatives des parents.

Dans le programme Clair, un « référent parentsd’élèves » est installé dans chaque académie, lié àl’utilisation de la « mallette des parents ». Cette mal-lette a été expérimentée à Créteil dans les années2008-2009 par le signataire de la circulaire sur leprogramme Clair, alors recteur de Créteil.

On retrouve cette même mallette dans la circulairen° 2010-090 du 29 juin 2010 parue au BO du15 juillet concernant les Établissements de réinser-tion scolaire où l’on voit bien que les parents sontplutôt considérés comme défaillants et ayant besoind’aide. On se passera au besoin de leur avis pourplacer leurs enfants perturbateurs dans un ERS…

Pour les ressources humaines « La réussite de ceprojet repose pour l’essentiel sur l’investissement etla stabilité des équipes éducatives ».

Il y aurait beaucoup à dire sur le travail en équipe,parfois conseillé par l’inspection mais très rarementfacilité par l’administration. C’est en effet l’impos-sibilité de constituer et de conserver des équipes quia entravé la réussite de certains des établissementsdont il est question ci-dessus.

L’investissement demandé aux enseignants res-semble furieusement à celui que réalisent nombrede nos camarades dans les tâches maintenant impar-ties au « préfet des études » mais ceux-ci le font sansen retirer de bénéfice de carrière et sans exercer depouvoir sur les collègues.

L’investissement des équipes est maintenant expli-citement stimulé par de misérables récompensesfinancières (en effet « ils bénéficieront de disposi-tifs de rémunération complémentaires ») et des pro-messes de promotion. Engagez-vous, c’est pour cinqans, renouvelables.

Un des éléments du programme qui fait le plusréagir les syndicats est le profilage des postes, pointsur lequel il y a eu des dissensions avec les partisansd’établissements expérimentaux.

Le recrutement dans le programme Clair est faitpar le chef d’établissement sur des postes à profil,ceci n’a rien à voir avec ce que voulaient et veulentencore les militants d’éducation populaire qui envi-sagent la direction comme collégiale et posent leprincipe de cooptation comme adhésion à certainespostures philosophiques et au projet de l’établisse-ment – projet qui a d’autres ambitions, que le sim-ple respect du socle commun, en matière de cultureet de vie scolaire notamment. Les instances et l’or-

ganisation des établissements expérimentaux ne sontpas des instruments de contrôle, au contraire ducadre répressif du programme Clair.

Ce dernier institue ce profilage « pour l’ensembledes disciplines et des fonctions » mais le personneld’entretien ne semble pas concerné par ce profilage:pourtant, qui niera l’importance d’une gardienneattentive, avisée, bienveillante, tolérante, intégréeau quartier, le rôle d’un Atoss capable d’encadrer unélève par la discussion et par l’exemple pratiquedans les mesures de réparation imposées aux auteursde graffitis et autres dégradations? Dans les projetsexpérimentaux, le personnel d’entretien est concernépar le profilage.

ConclusionNous pourrions ainsi commenter le programmeClair point par point pour démontrer que le pro-gramme Clair est un ignoble sabordage par le minis-tère de nombreuses innovations et investissementsde militants et d’enseignants convaincus que la réus-site des élèves tient à la confiance qu’ils leur font,laquelle entraîne la confiance en soi, que les straté-gies généreuses sont plus fécondes que l’intéresse-ment, que l’exigence n’a rien à voir avec la« tolérance zéro » dont l’inefficacité à été mise enlumière par Russell J. Skiba, dans le cadre mêmedes états généraux de la sécurité à l’école les 7 et 8avril en Sorbonne à Paris. Comprend qui peut.

Ce qui est clair, c’est que ce programme fait partied’une politique générale qui ne veut pas du bien aupeuple et en premier lieu menace les ZEP. ■

27N’AUTRE école, n° 27, automne 2010

Dossier | L’école dans dix ans...

BO du 15 juillet 2010Établissement de réinsertionscolaire – circulaire n° 2010-090du 29/06 2010Les élèves particulièrementperturbateurs pourront être sortisde leur établissement et placésdans des structures adaptéesaussi longtemps que nécessaire.Si besoin les parents des élèvesscolarisés dans les ERS peuventêtre pris en charge par des dispo-sitifs de soutien à la parentalité,comme la mallette des parents.Il est nécessaire que l'accord dujeune et de sa famille soitmentionné dans le dossier. Sicet accord ne peut être obtenu,une saisine du procureur peutêtre engagée par l'inspecteurd'académie.

►Ce programme Clair a déjà faitl'objet de réactions diverses,notamment celle de la FTEhttp://www.association-ozp.net/spip.php?article8758.

Le tract diffusé en juin est lisible sur le site de la CNT éducationcntf.org/fte/article.php3?id_article=2913

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« Alors mettons les pieds dans le plat. Nos résultats aux testsnationaux et internationaux sont médiocres, pour ne pas dire faibles au regard de nos investissements dans l’éducation. Relever ce double défi – démocratisation, élévation du niveaugénéral – exige que l’Éducation nationale entre résolument dans la culture de l’évaluation et du résultat. C’est absolument capital. »

Discours de M. le Président de la Républiqueà l’occasion du bicentenaire des Recteurs,

palais de l’Élysée, lundi 2 juin 2008

– 05h45 - Manu se lève au hurlement du radio-réveil. Ilfourrage sa barbe de trois jours avant d’aller s’habiller. Pasle temps pour la douche.

Des copies et des fiches d’évaluation traînent sur lecanapé: elles attendront encore un peu.– 06h05 - Manu monte dans le RER bondé qui traverseParis. Son avant-dernier remplacement le conduisait àGoussainville et Argenteuil. À présent, il doit descendrejusqu’à Courcouronnes, seul endroit où il a trouvé un éta-blissement à peu près décent.

Une fois arrivé à la gare de Bois de l’Épine, il lui fautencore prendre le bus 404 qui l’emmène au lycée Michel-Houellebecq.– 07h25 - Il est le premier arrivé et présente sa carte bio-métrique à la machine. La porte s’ouvre. Manu passeencore le détecteur de métaux et subit la fouille rapide del’Auxiliaire de Vie et de Sécurité qui semble à peineréveillé.

Le petit-déjeuner se compose des gâteaux secs fournispar l’amicale du lycée et du café préparé par la gardienne.Manu renforce le sien d’un peu de rhum, histoire de s’é-claircir les idées.– 08h05 - La première sonnerie. On entend les élèves seprécipiter dans les couloirs. Cela fait comme un gronde-ment sourd. On dirait qu’un fleuve a été détourné dans lescorridors.

Les collègues, comme à chaque fois, tendent l’oreille,inquiets. On ne s’habitue pas à cette rumeur. Il va bienfalloir sortir de son abri.

De nouveau, Manu est parmi les premiers à quitter leslieux. Il salue les rares lycéens qu’il connaît. Peu lui retour-nent le bonjour. Ils en sont encore à la phase d’apprivoi-sement.

Sa classe, une cinquantaine d’élèves, tous des garçons,pénètre dans la grande salle de conférence. Manu a dû laréserver des semaines à l’avance afin d’en bénéficier. Toutle monde se l’arrache parce qu’il n’y a pas besoin d’ajouterdes chaises et qu’on peut y placer les gamins comme onl’entend.

Manu ne quitte pas les Secondes du regard. Il sait quec’est le moment où tout se met en place. Au début, il avait

peur d’eux. Maintenant, il se sent mieux mais il les sur-veille comme le lait sur le feu.

Manu allume le tableau interactif derrière lui et com-mence son cours.– 09h15 - Premier incident. Au moment de travailler surles cahiers électroniques, Modibo a oublié le sien. Il fautaller chercher les exemplaires de prêt.

Manu envoie l’Aux. Pendant ce temps, il faut occuperles autres. L’homme revient avec trois volumes sous lebras. Pas un seul n’est en état de fonctionner. Les collèguesne l’ont pas signalé.

– Portez ça au technicien.Modibo va devoir se débrouiller avec une feuille de papier

et un crayon, à l’ancienne. Bien sûr, il n’aura aucun desliens hypertextes. Manu lui confie son manuel papier enespérant que ça suffira.– 10h35 - On en est déjà à la troisième matière de la mati-née et les élèves ont du mal à suivre. Manu lui-même semélange un peu entre les équations, la voie passive et leprétérit.– 11h25 - Modibo s’est endormi. Il reste encore une demi-heure de cours avec cette classe mais un autre Aux arriveet vient parler à l’oreille de l’enseignant .

– Le proviseur vous demande.Manu lève la tête, incrédule. Si le chef ne s’est pas donné

la peine de lui envoyer un message électronique, c’est quel’affaire est grave et qu’il ne veut pas garder de trace deleur conversation à venir.

Les élèves commencent à s’agiter. Heu reu sement, Manuavait prévu un exercice rapide à la fin de la matinée. Ilbalance sur l’écran le QCM, ainsi que la vidéo officielle.

– Suivez le film et répondez aux questions! Je reviensrapidement.

Manu part en laissant l’Aux face à l’amphi, la main surson Taser. On ne sait jamais.– 11h35 - Manu est introduit dans le bureau du proviseur.Celui-ci est encore au téléphone mais il lui fait signe des’asseoir.

– Oui, au revoir, Monsieur le Recteur.Le chef a le don de faire ressortir les majuscules, même

à l’oral. Sans dire bonjour, il pianote sur son clavier ettourne l’écran vers le professeur.

– Regardez ça.Manu lit les listes de noms qui s’alignent sous ses yeux.

Il reconnaît le classement régional des établissements sco -laires.

– C’est pas encore définitif. Ça sera publié en fin desemaine.

Manu se passe la main dans ses cheveux en brosse.

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Retour sur investissementFabien Clavel

Fiction | L’école dans dix ans

N’AUTRE école, n° 27, automne 2010

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– On est à la onzième place?Le proviseur renifle de mécontentement et lisse la

manche de son costume trois-pièces.– Vous comprenez notre problème? Si on sort du palma-

rès des dix premiers, on va perdre nos financements spé-ciaux. Ça signifie : adieu le matériel de pointe, adieu lesheures sup. à gogo, adieu les Aux dans les couloirs…

Manu ne dit rien. Il sait que, sans cet argent, l’é ta blis -sement risque de sombrer dans le chaos et de perdre sesderniers élèves encore acceptables.

– Il y a pas moyen de grappiller quelques points?– Non. J’ai déjà pas mal tiré sur la corde. Si je rajoute

encore des projets spéciaux, ça va finir par se voir. Et je veuxpas que l’inspection académique nous tombe sur le poil.

– Comment on fait alors?En posant la question, Manu éprouve déjà un mauvais

pressentiment.– Je ne vois pas d’autre solution que de faire baisser les

points de nos concurrents directs.– Mais c’est illégal!– Ce genre de détail ne vous a pas toujours gêné, Mon-

sieur Alamy. Pourquoi croyez-vous que je vous ai engagéalors que personne ne voulait de vous? D’accord, les élèvesvous apprécient, et vous savez tenir vos classes ; mais j’aibesoin de vos talents particuliers…

Manu avale péniblement sa salive. Ce qu’il craignait esten train de se produire. Voyant qu’il hésite, le proviseur sepenche vers lui, paternel.

– Allons, Monsieur Alamy, ce n’est pas grand-chose ceque je vous demande. Et puis, vous serez bien content detoucher vos heures supplémentaires. Je crois savoir que vousavez un petit crédit sur votre appartement. Votre salaire debase n’y suffirait sûrement pas…

S’il pouvait, Manu se vomirait lui-même. Il méprise sapropre lâcheté mais il accepte.

– Qu’est-ce que vous attendez de moi?– À la bonne heure, Monsieur Alamy! J’ai bien fait d’in-

vestir sur vous. Il faut que le problème soit réglé d’ici ce soir.– Et comment je m’y prends?– Je vous laisse libre accès aux données. Faites-moi

quelque chose dans le goût de votre petite opération deGoussainville…

Le proviseur a un sourire de requin. Il recoiffe ses cheveuxgominés et part surveiller la cantine tout en démarchantdéjà quelque bailleur de fond au téléphone.– 11h55 - Manu achève de décrypter le système de notationdes établissements.

Cela repose sur les taux de réussite aux examens, les pro-grès enregistrés par les élèves, le degré d’accompagnementdes élèves, mais aussi sur le nombre de projets spécifiquesmenés par le lycée, l’assainissement et la rationalisation desa gestion et les sommes reçues par des investisseurs privésvia des partenariats privilégiés.

Manu a examiné les plus proches concurrents du lycéeHouellebecq. La différence de points repose prin ci pa lementsur des contrats passés avec des entreprises. C’est là qu’ildoit y avoir une faille.– 12h45 - Grâce aux informations détaillées que possède leproviseur, Manu a repéré une cible potentielle. Le lycéeCharpak de Rambouillet est en lien avec une filiale de lacompagnie McNess & Visanto qui sous-traite chez eux lafabrication de didacticiels parascolaires.

En réalité, l’immense majorité des établissements avecdes options informatiques fait partie de ce programme. Celarappelle le travail en prison qui permettait une sorte dedélocalisation sur place. Car les élèves ne sont pas rémuné-rés pour le travail fourni qui rentre dans le cadre des nou-veaux contrats d’apprentissage.

Manu connaît ce type d’arrangements puisque le lycéeHouellebecq a participé à cette plate-forme l’an dernier.Ses collègues lui en ont parlé: sous prétexte d’un retard dansla livraison du logiciel, McNess & Visanto a rompu tout lienavec eux.

Il suffirait donc de créer le même problème au lycéeCharpak.– 13h55 - Manu a fini de relire tous les dossiers de ses élè-ves sur ScoNet. Il a ainsi une idée précise de leur niveau sco-laire, de leur absentéisme, de leur situation familiale et deleur casier judiciaire.

Il a une seconde d’hésitation en songeant que le proviseura procédé exactement de la même manière avec lui.

Manu a repéré trois profils. Il a vérifié qu’ils étaient tousprésents en cours aujourd’hui. Sur tous, il a un moyen depression.

D’abord, il y a Magyd qui est un excellent programmeuret qui s’est fait prendre à hacker le site du lycée. Ses parentsse sont saignés aux quatre veines pour que leur fils entre ici.On devine aisément qu’ils ont graissé la patte d’un grandnombre de personnes car, hormis l’informatique, Magydest un cancre.

Il y a ensuite Kylian qui a été arrêté plusieurs fois pour volavec effraction. Mais il n’a jamais été pris sur le fait. Il doitsavoir forcer une serrure. Il est en liberté conditionnelle.Mais il a piqué le cahier électronique d’un camarade. On aécrasé l’affaire mais les preuves sont là.

Enfin, Modibo l’endormi pourrait s’avérer utile. Il a déjàété impliqué dans une course-poursuite avec la police et aréussi à semer trois voitures de flics. Un test de dépistage decannabis inopiné s’est révélé positif. Pour l’instant, le dossiermédical n’a pas été transmis.

Manu soupire. Il les tient. Tous les trois.– 14h05 - Manu croise le proviseur dans le couloir.

– Vous avez fini, Alamy?– Oui, Monsieur. Voici la liste du matériel nécessaire: des

cagoules de combinaisons de plongée, des lampes torches…– C’est bon, l’interrompt le chef d’établissement. Je vais

voir ça avec l’EPS et la techno. Ne foirez pas ce coup-là,Alamy, et on en sortira tous gagnants.– 14h45 - Les trois élèves sont réunis dans la petite salle.Manu s’assoit sur le bureau et les observe un moment. Est-ce qu’ils vont coopérer?

– Qu’est-ce qu’on fout en aide individualisée avec vous,Monsieur? demande Kylian.

– J’ai un projet spécial à vous soumettre, les garçons.Quelque chose de pas complètement scolaire…– 18h15 - Ils ont accepté. De toute façon, ils n’avaient pasvraiment le choix.

Ils se retrouvent tous après les cours sur le parking du cen-tre commercial, mais loin des caméras. Manu a emprunté lafourgonnette du concierge. Il prend garde à ne laisser aucuneempreinte digitale, ni aucun cheveu. Il a pris un gros sacd’affaires avec lui. Modibo s’occupe de maquiller la plaqued’immatriculation: les 8 deviennent des 9 ou des 6; un 9 setransforme en 3.

N’AUTRE école, n° 27, automne 2010

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Pendant ce temps, Kylian vérifie le matériel à l’intérieur. Lespinces, les lampes, les masques: tout est là. Quant à Magyd, ilrêvasse en regardant les enseignes des magasins qui clignotentà l’horizon.

Manu les observe en silence. Ils ont des airs de durs, mais onsent qu’ils ont la trouille. Pourtant, les trois savent ce qu’ils font.Ils semblent beaucoup plus assurés qu’en classe. Là, on est dansleur domaine.– 19h55 - On est en mars. Le soleil se couche encore assez tôt.

Le temps est gris et couvert, ce qui fait que l’on n’y voitpresque plus rien quand la fourgonnette s’arrête à l’arrière dulycée Charpak.

– Faites attention, les garçons. Si jamais on déclenche unealarme, la FoMo débarquera en un quart d’heure.

Les gamins acquiescent, mâchoires serrées. Ils sont prêts.Patient, Manu attend dans la voiture que l’Aux ait terminé sa

dernière tournée d’inspection. Puis toutes les lumières s’étei-gnent dans le bâtiment.

Une silhouette s’éloigne de l’établissement. La voie est libre.Manu et les autres enfilent les cagoules de plongée qui dissi-

mulent leurs traits. Relief d’un projet spécial qui a simplementservi à acheter du matériel. Elles sentent encore le chlore de lapiscine municipale, seul endroit où on a pu utiliser les combi-naisons à ce jour. Seul Modibo reste dans l’engin avec le moteurqui tourne.

Ils pénètrent dans l’enceinte. Kylian a repéré l’alarme et l’acoupée. Puis, il a forcé la serrure de la porte arrière. Tout paraîtfacile.

D’un regard au plafond, Magyd a repéré les fils qui mènent àla salle info. Ils suivent la piste jusqu’à une salle verrouillée. Unefois de plus Kylian crochète la serrure.

– C’est là, dit Magyd. Ils ont dû tout stocker dans les ordina-teurs et dans les disques externes. Je peux tout effacer.

– Pas le temps, dit Manu. On va foutre le feu.Les deux élèves le fixent, ahuris.– C’était pas le plan! proteste Kylian.– Trop tard pour reculer ! Aidez-moi à répandre l’essence !Manu distribue les petits jerricans qu’il a pris dans son sac à

dos. Les quatre coins de la pièce sont éclaboussés de liquideinflammable.

Alors Manu prend la bouteille remplie d’éthanol qu’il a pré-parée à l’avance. Un chiffon dépasse, coincé dans le goulot par

un bouchon de liège. Une fois le tissu imbibé, l’enseignant ymet le feu avec son briquet.

– Reculez! ordonne-t-il aux deux gamins.Quand ils ont tous quitté la pièce, Manu balance son cocktail

Molotov et referme la porte derrière lui. Il entend le verre sebriser et l’alcool s’enflammer. Un souffle chaud embrase le murtrop fin.

Presque aussitôt l’alerte anti-incendie se met en marche ,assourdissante.

– Allez, on se barre!Ils courent tous les trois dans le couloir. Kylian et Magyd, qui

ont plusieurs mètres d’avance, se retrouvent presque nez à nezavec des policiers casqués qui les mettent en joue.

– Les mains sur la tête!Manu se mord les lèvres jusqu’au sang. Si la Force Mobile

d’Intervention est déjà là, c’est qu’ils avaient déclenché unealarme silencieuse.

– Putain, la FoMo! balbutie Kylian.Il a l’air terrifié. Ses mains fouillent maladroitement à l’inté-

rieur de son blouson pour en sortir une arme. La police menaced’ouvrir le feu.

Manu a repéré une sortie juste sur la droite. Les flics ne l’ontpas encore vu. Ils sont en train d’ajuster Kylian qui paniquecomplètement. Magyd s’est mis à crier lui aussi qu’il n’a rien faitet qu’il ne veut pas mourir.

À cet instant, Manu sort son calibre, vise posément et lâchedeux coups de feu. Les policiers reculent et tirent à leur tour.Un des élèves s’écroule. Manu appuie une nouvelle fois sur lagâchette.

Puis, il saute à travers la fenêtre. C’est encore du simple vitrage.Le verre ne résiste pas.

Manu profite de l’hésitation prudente de la FoMo pour cou-rir jusqu’à la camionnette qui démarre en trombe.– 01h55 - Manu rentre chez lui et dépose ses clés sur la table deson studio.

Il allume la radio tout en se servant un verre de whisky. Sesmains tremblent un peu.

–… Flash spécial, lundi 15mars 2021. Il y a quelques heures, descoups de feu ont éclaté à Rambouillet dans le lycée Charpak. Deuxvoleurs présumés ont été tués. Selon la police, un troisième se seraitsuicidé après avoir tiré sur ses propres complices. On a retrouvé soncadavre dans la camionnette volée qui devait servir au transport dematériel dérobé. Un incendie s’est déclaré dans l’établissement qui apresque entièrement été consumé par les flammes…

Manu éteint le poste.Pas de témoin. Pas de trace. Retour en transports en com-

mun. Avec des tickets. Cacher son visage. Changer de vête-ment à chaque correspondance. Descendre plusieurs stationsavant sa destination et terminer à pied.

Mission accomplie. Comme à Goussainville. Comme àArgenteuil. Passé le premier, tout devient facile. Trop.

Il avale son verre cul sec et, après avoir repoussé les fiches d’é-valuation qui l’encombrent, s’allonge sur le divan pour y dormirquelques heures.

Les copies pourront attendre.Fabien Clavel

N’AUTRE école, n° 27, automne 201030

Fabien Clavel

Auteur de près d’une quinzaine de romans, Fabien Clavel explore sansrelâche toutes les dimensions des littératures de « mauvais genre » – ou del’imaginaire, pour rester poli (SF, fantasy, uchronie, parodie, historique, fan-tastique, space opéra). Formé dans l’univers du jeu de rôle, il publie aujour-d’hui aussi bien dans les collections de SF pour adultes (Mnémos,Pygmalion) que dans celles pour enfants (Mango), travaillant en particulierla réécriture des grands mythes classiques (la Guerre de Troie, Don Juan, lalégende arthurienne).

Professeur de lettres classiques à Budapest depuis trois ans, il nous atrès gentiment proposé cette nouvelle, une des plus glaciales de la sélec-tion.

Pour découvrir cet auteur, il faut absolument visiter son site perso Clave-lus : le bloc-notes de Fabien Clavel (http://fabien.clavel.free.fr/)

Fiction | L’école dans dix ans

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L’ennemi intérieurMathieu rigouste, chercheur en sciences sociales à l’université Pari-Viii-saint-denis et auteur de plusieursarticles sur la construction médiatique de l’« immigré » et des quartiers populaires, répond à nos questions*.

chat du 93 – «classes laborieuses, classesdangereuses», le livre classique de louis cheva-lier, s’intéressait au Paris du début du xixe siècle.rien n’a beaucoup changé, semble-t-il.comment une société maintient-elle l’ordre?

Matthieu rigouste– En étudiant le crime et sagestion dans le Paris de Louis-Philippe, Louis Che-valier décrivait un antagonisme de classes si fortqu’il semblait prendre la forme symbolique d’une« lutte des races ». Les classes laborieuses étanttraitées sur le mode de l’infection et le maintien del’ordre comme médecine du corps national gan -grené. De ce point de vue, la structure du maintiende l’ordre n’a guère évolué. La division raciste etsexiste des dominés permet d’éparpiller leurs for-ces. La ville capitaliste continue de s’organiserautour d’une forme d’apartheid social. Jean-PierreGarnier parle de « contre-révolution urbaine ».Mais avant de s’exercer par la violence physique,le maintien de l’ordre et la domination en généralsont portés par des imaginaires et des manières defabriquer l’espace et le temps, il s’agit de produirel’autosujétion des dominés par la culpabilité et lapeur. La différence essentielle s’opère au XXe siè-cle, avec les deux guerres mondiales et l’émer-gence des complexes militaro-industriels etmédiatico-sécuritaires, qui ont transformé lecontrôle social en marché, en secteur d’accumula-tion du capital.

c. d. 93 – Peut-on qualifier de coloniale oupostcoloniale la gestion des populations desquartiers populaires?

M. r. – La colonie comme le quartier populairesont des territoires où le pouvoir expérimente sesarmes et les modalités de la guerre sociale. Ils sontdes laboratoires, des vitrines et des rouages de latransformation des modèles de domination. Ce sontpourtant bien deux réalités différentes, dans letemps, l’espace et les modes de gestion. C’est ceque signifie l’acception anglosaxonne « postcolo-nial » que je retiens. Les quartiers populaires sonteffectivement gérés de manière postcoloniale, celaveut dire que le contrôle, la surveillance et la coer-cition s’y exercent en héritant, en revisitant, enreformulant, en redéployant des dispositifs issus

du répertoire proprement colonial sur les classespopulaires. Les quartiers ne sont pas des colonies,peut-être pourrait-on parler de postcolonies inté-rieures ou d’endocolonies. Mais, bien que distincts,les territoires populaires et coloniaux s’influencenten permanence, ils s’inscrivent dans un continuumde gestion impériale-raciste et militaro-policière.

c. d. 93 – À cet égard, que penses-tu des briga-des de sécurité, récemment instaurées dans lesbahuts de l’académie de créteil?

M. r. – Cela fait partie d’un arsenal sécuritaire quicroît et évolue sans cesse depuis que le contrôle estdevenu marché, secteur d’accumulation de profitéconomique et symbolique. Ces techniques relè-vent parfois de l’effet d’annonce, elles sont sou-vent mal coordonnées, rarement légitimes etdysfonctionnent chaque fois qu’elles subissent uneopposition collective résolue et déterminée. Enl’occurrence, il s’agit de faire pénétrer encore plusla logique punitive dans l’univers de la domina-tion scolaire. Mais ne nous trompons pas, la disci-pline, la répression, la hiérarchisation, laculpabilisation, l’exclusion et la discriminationsont bien des dispositifs fondateurs et structurelsdans le système d’éducation nationale. Rappelons-nous des débats au Parlement à la fin du XIX e, laIIIe République, celle qui a massacré la Communede Paris, voulait fonder une instruction nationalepour contrer celle des communistes, il s’agissaitde fonder l’école républicaine pour éviter la révo-lution. Alors, lorsque le pouvoir hybride le contrôlepolicier et l’institution scolaire, il ne fait, une foisde plus, que mettre le roi tout nu et révéler la rai-son d’être de l’État : l’écrasement de tout ce quis’oppose à la marche radieuse du capital. Si unmouvement d’insoumission collective des person-nels, des élèves et des parents ne s’oppose pas àtoutes ces attaques, on aura sans doute bientôt dumal à différencier une école d’une prison pourmineurs. Dans tous les cas, l’école n’est pas auto-nome, on ne la changera pas fondamentalementsans transformer l’ensemble de la société. Pas d’é-ducation populaire émancipatrice sans autogestiondes écoles. Instruire pour émanciper, c’est paressence un projet révolutionnaire. ■

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Dossier | L’école dans dix ans...

L'ennemi intérieur, Des guerres coloniales au nouvel ordre sécuritaireMathieu Rigouste, éditions Ladécouverte, février 2009, 22 €.

* Cet entretien a été réalisé et publiédans le bulletin de la CNT éducation 93,Le Chat du 9-3.

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Dossier | L’école dans dix ans...

les Mentalités semblent être assez prépa-rées maintenant par toutes les peurs ali-mentées au quotidien pour faire de la

sécurité une des priorités absolues des établisse-ments scolaires, bien avant l’épanouissement desélèves ou bien leur réussite. Le but avoué par leurcréateur est de rétablir « la paix scolaire », notiondes plus douteuses.

Une équipe mobile de sécurité (EMS) est consti-tuée de deux modules à vocation complémentaire.Mais il apparaît que chacun peut intervenir indé-pendamment. Le module « éducatif » est constituéde cinq personnes (professeurs, CPE, IPR et d’unepsycho-clinicienne), et le module « sécurité » estconstitué de professionnels de la sécurité (ancienspoliciers, vigiles, instructeurs de self-défense) prati-quant les arts martiaux et la self-défense, eux aussiau nombre de cinq. Les équipes sont prévues pourintervenir de façon ponctuelle en cas de crises vio-lentes dans les établissements. Commencée dansl’académie de Créteil (8 équipes représentant 50personnes), cette expérimentation est étendue auniveau national. Les membres des EMS, titulairesou contractuels, sont tous personnel de l’Éducationnationale (cf. le logo sur les blousons verts).

Le côté éducatif a été créé il y a quelques annéesafin de dénouer des situations de violence ponctuelledans certains établissements dits sensibles. Les cré-dits de l’époque permettaient de prendre en entre-tiens individuels puis en classes-relais les élèves lesplus problématiques. Les crédits des structures relaisn’existant plus, on trouve en revanche des finance-ments pour les équipes de sécurisation. La décisiond’ajouter un complément sécuritaire a été prise parle recteur de Créteil en bon petit soldat d’un gouver-

nement de plus en plus inégalitaire et qui met lemanque de sécurité individuelle au centre de toutesa politique afin d’accroître le contrôle social.D’ailleurs, pour l’anecdote, le choix du terme d’équi -pe mobile de sécurité a été fait par le ministère del’Éducation nationale lui-même alors que d’autresappellations beaucoup moins chargées symbolique-ment avaient été proposées. Nous sommes bien làface à un travail de fond sur les mentalités pour met-tre la sécurité au centre de tout, et convaincre lesgens que le danger est partout autour d’eux (voir leschiffres et les « promesses » sur http://www.educa-tion.gouv.fr/cid51058/etats-generaux-de-la-secu-rite-a-l-ecole-sorbonne-paris-5e.html).

Les créateurs de ces équipes ont aussi pensé à lesutiliser lors de blocage d’établissement sur un mou-vement lycéen (bris de piquet de grève), ou bienpour remplacer des surveillants au portail si cer-tains d’entre eux se trouvaient dans l’incapacité dele faire (remplacement ponctuel de certains person-nels avec des équipes de mercenaires). Heureuse-ment pour l’instant ces équipes ne sont encore niassermentées ni armées. Mais qu’en sera-t-il si degraves incidents se produisent par rapport à leurprésence provocante?

Sans dramatiser, force est de constater que nousavons quelques pistes qui ne sont pas des plusréjouissantes pour l’éducation de demain, disonsplutôt le dressage des populations déjà stigmatisées.Les EMS sont vouées à intervenir sur des établisse-ments où la violence de l’État entraîne une ripostecontre ses représentants, dont l’école. Le risque estfort de perdre la confiance de toute une partie d’élè-ves et de parents qui vivent déjà au quotidien leshumiliations répétées des forces de l’ordre. ■

n GREG,CNT éducation 94

la dérive sécuritaire de l’enseignementLe 5 octobre 2009 la première équipe mobile de sécurité a été mise en place au Lycée Jean-Zay d’Aulnay-sous-Bois à grand renfort de couverture médiatique. C’est une conséquence directe du partenariat entre le ministère de l’intérieur et celui de l’Éducation nationale en termes de sécurisation des établissements scolaires.

Équipes mobiles de sécurité : 

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Dossier | L’école dans dix ans...

Fichage partout: résisterPouR CoNTRôLER uNE PoPuLATIoN, le plus simpleest de l’habituer très tôt au fichage. C’estchose faite, et ce n’est pas de la sciencefiction, avec BE1D (base-élèves premierdegré). un fichier contenant des informationssur tous les enfants scolarisés, et ce dès l’âgede trois ans! Les données sont conservéespour 15 ans, et le numéro attribué à chaqueindividu est valable 35 ans. La multiplicationde ces fichiers (police, municipalités,employeurs, …) et leurs possibles intercon-

nexions représentent un véritable danger pourles libertés.

Évidemment, la mise en place ne s’est pasfaite sans résistance. De nombreux parents etdirecteurs d’école ont refusé de s’associer àce flicage. La résistance a permis quelquesaménagements du fichier: disparition duchamp « langue maternelle » et autres détails.Mais le principal est resté (pays de naissance,maîtrise de la langue française, acquisitiondes compétences sociales et civiques, « parti-cularités » comprenant les interventions des

réseaux d’aide, des psychologues, des méde-cins,…). C’est pourquoi la lutte s’est portée surle terrain judiciaire et qu’il y a été obtenu ledroit de s’opposer au fichage de son enfant.Continuons donc à dénoncer BE1D, et oppo-sons-nous localement à sa mise en place.Tous les documents utiles (tracts, courrier dedemande de désinscription, …) se trouvent surle site du CNRBE (collectif national de résis-tance à Base-élèves) dans la rubrique « kitanti-BE »(http://retraitbaseeleves.wordpress.com/kit-anti-be/).

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Dossier | L’école dans dix ans...

«Chat-potache»absurdité technocratique, jargon... dérision !

La culture managériale investit l’Éducation nationale avec force sigles, outils, chiffres, bref tout un galimatias moderniste dont la pierre angulaire sont les technologies de la communication et del’information. d’ailleurs, on pourrait parler de technologies de la communication « tout court », vu la pauvreté,voire la vacuité effarante de certains des messages dont l’administration nous gratifie maintenant.

n «T»,CNT Éducation 21.

PrinCiPal a écrit :

Collègue # 1 a écrit :

Afin de préparer la réunion du 22 mars prochain, je vous invite à réfléchir à des idées qui permet-traient d’alléger le poids du cartable. Je vous demande aussi de mettre à jour la liste des fournituresci-jointe. Je vous remercie de votre collaboration.

Le Principal XXXXX

Moi, je réfléchis à la possibilité d’aller sur la lune où la gravité est 6 fois moindre. On garde la mêmemasse de connerie dans le cartable mais le poids et beaucoup plus faible. Je vais proposer des proto-types de cartables autoportés avec des ballons d’hélium. Un cartable drone piloté par le téléphoneportable. Opération PROXIcartable :  un cartable pour deux ou trois élèves. On ne remplace pas uncrayon sur deux partant à la poubelle – blague ! Cours de muscu pour tout ce tas de moules et pisc’est tout ! Voilà j’ai fait mon travail.

Collègue # 2 a écrit :

Et bien moi, je trouve que tu prends cette histoire de poids un peu trop à la légère. À la limite, t’eslourd. Et je suis fier d’être adhérent de la FCPE, où on sait cibler les vrais problèmes. Peu importe queles gamins soient à 29 par classe, l’important, c’est bien les cartables et les garages à vélos.

Peut-être en a-t-il toujours été ainsi, après tout ? Maisle tournant numérique a changé les choses, ou au moinsles formes.

La vitesse des échanges, certes, mais aussi l’ampleur du dangerrépressif qui nous guette, un panopticon plus puissant (en route versBrazil), d’une part; et les modalités de riposte d’autre part, (à l’imaged’un Enric Duran escroquant près de 500000 euros à 39 banques pourfinancer 200000 exemplaires du numéro unique d’un journal danslequel il dénonçait… le système bancaire).

Les actes de sabotage sont nécessaires et libérateurs. Dans monbahut, il y a eu tout d’abord le bonheur de dire: « désolé, je ne peuxpas ouvrir vos pièces jointes .doc car je ne possède pas la suite Micro-soft » et d’attendre qu’ils comprennent. Ou faire « répondre à tous »et écrire « Non, et toi? » en réponse à « vous êtes invités à un tempsd’échange pédagogique, blablabla… », ou « je ne comprends pas ceque vous voulez dire par “personne ressource”» et plein d’autresencore… Voici quelques extraits des mails idiots qui circulent entrecollègues et administration là où je travaille. Petites victoires, petitsplaisirs, mais c’est toujours ça de pris. ■

N’AUTRE école, n° 27, automne 201034

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35N’AUTRE école, n° 27, automne 2010

Dossier | L’école dans dix ans...

« PrinCiPal adjoint » a écrit :

Collègue # 1 a écrit :

In-Reply-To: Subject: =?iso-8859-1?Q? Liste_des_ dispositifs_=E9ducatifs?=Content-Language: frComme convenu dans mon mail du 20/11, veuillez trouver la listedes Ce r=E9capitulatif tient compte des actions engag=E9es en2009 et celle = pr=E9vues en 2010.Toutefois, il nous reste =E0 construire les actions de pr=E9parationau = brevet des 3=E8me qui se d=E9rouleront apr=E8s le 15 mars.Cordialement « Principal Adjoint »

JVBERi0xLjQKJcfsj6IKNSAwIG9iago8PC9MZW5ndGggNiAwI-FIvRmlsdGVyIC9GbGF0ZURlY29kZT4+CnN0cmVhbQp4nNVcW3PbSHYuAyAIiigYECmKsiWZ9kgWZYkY9B0Yz85kb5lkKy+TuCoPZp42

Collègue # 2 a écrit :

Colllège #2 écrit en UTF-8 ! Trop cool !

Collègue # W a écrit :

Ci-dessous, mon commentaire composé du chef-d’œuvre BILANEXERCICE ÉVACUATION.

BILAN EXERCICE ÉVACUATION LUNDI 4 MAI 2009 est probable-ment le plus beau texte de poésie administrative depuis l'« Ordon-nance sur le Port du Chewing-Gum en milieu périscolaire » de 1971.Au niveau liminaire, avant tout, tout d’abord et premièrement, c’estpar sa syntaxe surprenante voire audacieuse voire décalée voirebizarre voire folle, que le texte nous époustoufle.Dès l’introduction, intitulée « Alerte déclenchée à 09 h 25 », l’auteurs’affranchit brillamment des carcans que la société tente de lui impo-ser : (concordance des temps, intelligence, sens commun.) Ainsi, l’é-tablissement « a été totalement évacué », alors que les élèves « sontaccompagnés » ; on ne sait pas pourquoi, c’est sûrement de l’art.Dans le paragraphe 3 (non-intitulé), l’auteur écrit que « certains élè-ves n’ont pas évacué par le bon cheminement. » Soit c’est une épidé-mie de gastro dont il est question, soit c’est de l’art.Le paragraphe 4, intitulé « des informations sont encore à rappeler »aurait pu s’intituler « des informations sont à nouveau encore à rap-peler une nouvelle fois », mais l’auteur n’est pas homme à verserdans l’outre-redondance. Dans ce même paragraphe, on passe de latroisième personne du singulier à la deuxième personne du plurielsans pourquoi ni comment, mais bon, on ne va pas se faire chier nonplus, c’est de l’art.Ensuite l’auteur révèle un don singulier pour la réalisation de sigles etd’acronymes : « salle des professeurs » devient SDP, par exemple.L’auteur s’inscrit ainsi dans la grande vague guignoloburlesque (diteBorlooïde) du début du XXIe siècle, puisque le sigle SDP lui permettrade nous faire comprendre qu’il n’est pas homme à gâter encre oupapier (tout en libérant de la place au verso de son œuvre pour unecollection de chiens écrasés).C’est également dans l’économie, la métonymie, la synecdoque, lamétaphore-il-fait-froid, la tout-ce-genre-de-connerie que le lecteur sevoit plongé, que dis-je, enfoui, que dis-je enterré vivant.Les hordes de sauvageons qui salissent l’école, la Nation, Jules Ferry,et le tableau de la SDP ; deviennent « son auteur ». Ceusses qui n’ai-ment pas rire deviennent « un personnel de direction. »On sent également que le rebelle ne demande qu’à éclore chez l’au-teur (malgré qu’il nous bassine avec des choses dont au sujet des-quelles il n’était pas nécessaire). En effet, si l' « attitude désinvolte decertains groupes d’élèves » n’est pas « adaptée dans ce cas », c’estprobablement parce qu’elle l’est dans d’autres. Bakounine, sors dece corps !Parfois l’auteur, véritable Julien Coupat de l’administration, sait sefaire menaçant : Les prochains exercices pour cette année scolaireinterviendront sans préavis. C’est quasiment « L’insurrection quivient ». [Notez qu’on ne parle pas d’année civile mais scolaire, et quevu qu’on est presque au mois de juin, l’auteur n’est pas près de récu-pérer ses fiches d’orientation…).Parfois, il accepte son identité de garde-chiourme au service de laRectrice et son énorme culture : « L’accès en SDP étant possible à tout adulte chargé du contrôledes établissements scolaires ». Bref, ça oscille grave, c’est commepour la concordance des temps. Le verso de l'œuvre, comme déjàdit, est un mix de google-actualités et de vis-ma-vie-comme-une-nou-velle-star-car-nous-sommes-tous-des-américains. Il y a très peu àcommenter.

Courage, camarades !

Collègue # W : (après avoir reçu du chef d'établissement un compterendu d'un exercice d'évacuation accompagné de remontrances àpeine polies en raison des bites et des p'tits mickeys qu'on dessine autableau de la salle des profs.)

« assistante Pédagogique » a écrit :

« Mesdames, Messieurs les professeurs,Je suis en charge de la coordination des PPRE, avec Principal AdjointAfin de renforcer le soutien et inciter quelques élèves en difficultés àtravailler davantage et mieux, je mets en place des études dirigées.L’ensemble de ces actions sera mené parXXX et moi-même. Aussi,j’aimerais définir avec chacun d’entre vous, la liste des élèves concer-nés et le soutien spécifique à apporter à chacun d’eux (aide métho-dologique, aide aux devoirs, exercices d’application, etc.).Je suis disponible les lundis (Bureau de l’assistance sociale) et lesvendredis (Bureau de la conseillère d’orientation). Merci de me com-muniquer vos disponibilités afin que nous puissions nous y rencont-rer, le lundi ou le vendredi des semaines à venir.Je compte sur votre participation pour mener à bien ce projet.D’avance merci. Cordialement.»

Collègue # Z a écrit :

Bonjour Mlle Assistante Pédagogique, Je suis en charge d’un groupede PPRE. Jeudi dernier à 13h00 j’ai fait passer une feuille d’émarge-ment dans le groupe d’élèves que j’avais en PPRE pour vérifier leurprésence. En recomptant les élèves présents je me suis aperçu quej’en avais 13! Afin de gagner en efficacité dans ce dispositif, pourriez-vous m’en affecter un de plus au moins? En effet je suis très super-stitieux, et ces conditions de travail en groupe de 13 nuit à maconcentration et ne me permet pas de faire un travail réellement Per-sonnalisé. Par chance, un chariot de TP était resté en plan dans masalle en raison de l’absence d’un personnel de laboratoire. Il y restaitdu Chlorure de Sodium que j’ai pu, à loisir, jeter par-dessus monépaule pour éloigner les mauvais esprits. NB: Cette situation devrait,aux dernières nouvelles, durer encore quelque temps. Et comme ondit au Bénin: "Un grain de maïs a toujours tort devant une poule."(J’enai d’autres impliquant des noix de coco et la mai greur d’un éléphantmais je les garde pour la suite.) On ne sera pas d’accord sur la termi-nologie mais un PPRE à 13 c’est pas brillant c’est rubbish!Une foisn’est pas coutume, la bise à tous, tous, tous, tousse depuis ce matinje n’arrête pas. Mouhahaha! RVFPS: Je propose alors de débaptiserles PéPèREs pour les rebaptiser MéMèRE. (Machins Mous de Ruinede l’Enseignement)

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Dossier | L’école dans dix ans...

Le choix d’éduquer

Le Collège Lycée élitaire pour tous est un é ta blis -sement secondaire public accueillant à Grenoble unecentaine de jeunes décrocheurs par an, ayant lavolonté de raccrocher. C’est un établissementexpérimental et alternatif de l’Éducation nationale,qui ne compte pour membres que des enseignants.

La position alternative du Clept est avant tout poli-tique: il s’agit de partir des « paroles de décrocheurs »pour en faire des analyseurs des insuffisances del’offre scolaire. Ainsi, le décrochage scolaire est envi-sagé comme un processus produit par l’éducationnationale, notamment au sein de la classe, et c’est pour-quoi il est demandé à l’institution d’être à elle-mêmeson propre recours. Les décrocheurs sont en quelquesorte les laissés pour compte majeurs de la démocrati-sation de l’école qui se réduit à une massification dusavoir. Si le Clept est « élitaire pour tous », c’est qu’àl’instar du « théâtre élitaire pour tous » qui prétendaitoffrir le meilleur du théâtre en guise de théâtre popu-laire (et non un théâtre au rabais, un théâtre « adapté »à un « sous public»), la démocratisation passe par don-ner accès aux savoirs les plus émancipateurs, les plusexigeants, y compris aux laissés pour compte de l’é-cole, à ceux qui n’y avaient plus leur place, mais quirestaient avec un désir d’école inassouvi.

Pour réaliser son ambition, et du coup interroger enretour le fonctionnement normal de l’institution,notamment dans les malentendus récurrents qu’elleentretient avec les jeunes qui en sont les bénéficiaires,le Clept pratique une forme de « recherche-action »au sein de son équipe éducative. Cette recherche-action consiste à chercher à problématiser les difficul-tés scolaires que nous rencontrons dans notreprofessionnalité, ou que les raccrocheurs découvrent,affrontent ou fuient, dans leur tentative de recons-truire une place à l’école, de renouer avec les savoirs,en se réconciliant le plus souvent avec le monde adulte,avec les profs, avec eux-mêmes. Démocratiser lesavoir passe nécessairement pour l’équipe du Cleptpar un questionnement des pratiques enseignantes etdu rôle de l’institution vis-à-vis de ceux qui en sontles bénéficiaires. Ce questionnement ne passe pas par

l’extériorité du savoir universitaire dégagé des pra-tiques et de ses tensions, voire de ses contradictions,mais au contraire par une implication accrue qui passepar une expérienciation de l’expérimental, par desprocessus de subjectivation qui font pendant à l’exi-gence d’objectivation et de problématisation des situa-tions, des dispositifs et des pratiques.

Concrètement, cela suppose que chaque enseignantrenonce à la posture très formaliste de se contenterd’« instruire », pour accepter d’éduquer, dans lamesure où il ne s’agit pas uniquement de transmettredes savoirs déjà formalisés, mais de permettre àchaque jeune volontaire pour raccrocher de réfléchirson rapport aux savoirs et à l’école, pour devenir dé -sor mais le sujet de son éducation et de sa formation(car il s’agit bien de s’élever, de se transformer par etavec les savoirs), et non seulement un objet de blâmeou d’éloge, voire de son orientation. Pas d’école deraccrocheurs sans que ceux-ci deviennent les vé ri -tables sujets de ce qui s’y joue: ils en sont bien évi-demment le centre.

Collégialité ou autogestion?La divergence entre la «collégialité» que propose le

Clept et l’autogestion du Lap (Lycée autogéré de Paris)peut sans doute éclairer les différences d’approche dela démocratie à l’école. Les enseignants du Lycée auto-géré de Paris font le pari qu’en jetant les jeunes dans laresponsabilité le seul postulat de l’émancipation vaproduire des effets émancipateurs. À la différence duLap, nous ne postulons pas, nous travaillons la réflexi-vité des élèves afin de rendre possible une autorisationà prendre le risque de penser, et à s’émanciper de l’opi-nion… tout en ayant constamment conscience que c’estun travail « impossible », au sens de nécessaire etinachevable…

La question de « l’éducation à » ou de la « pratiquede » la démocratie, est souvent réduite à la prise dedécision dans et sur la structure. C’est le pari qu’onttenté les établissements autogérés nés sous Savary,qui ont choisi de tabler sur l’éducabilité par la respon-sabilisation maximale, en partageant le pouvoir avecles élèves. Le risque pris est peut-être celui de trans-former l’école davantage en lieu politique qu’un lieu

Face au décrochage,penser et agir : les choix du Clept

il est rare que des praticiens questionnent aussi loin leur pratique. et il n'arrive jamais, actuellement du moins, que les théoriciens « mettent la main à la pâte ». rémy david a bien voulu nous parler de cette expérience, de ses choix, dans le dissensus cher à rancière.

n RÉMY DAVID,enseignant de philosophie au Clept.

N’AUTRE école, n° 27, automne 201036

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de construction de soi par le savoir et les rapports auxsavoirs. Peut-on expérimenter immédiatement despratiques démocratiques, et considérer en ce sensqu’elles sont automatiquement formatrices, ou bienfaut-il les précéder d’un discours, les préparer par dusavoir? C’est, me semble-t-il, davantage dans cetteperspective que s’engage le Clept. C’est pourquoi ilpréfère le terme de collégialité, qui maintient la possi-bilité d’une codécision, sans postuler d’égalité, maisune trajectoire à initier, et dans laquelle les adultesvisent l’émancipation intellectuelle de ces jeunesqu’ils accompagnent et forment, mais sans la postu-ler. L’émancipation est une conquête sur soi, pas unfait de la nature.

Questionner les pratiquesLa question de la démocratie introduit aussi la ques-tion de la politique dans l’école : l’école, et no tam-ment le lycée, mais aussi le collège, doit-elle êtrepolitique, ou bien est-elle neutre vis-à-vis de la poli-tique, pour former également tous ceux qui la fré-quentent (son public ou ses bénéficiaires)?

Autogestion et collégialité reviennent à deux straté-gies de formation, qui impliquent deux conceptionsde la liberté: la liberté comme capacité d’autodéter-mination, comme libre arbitre, qui va s’éprouver dansla discussion et la décision collective, mais qui ren-voie à l’affirmation de soi. Elle est, au même titre quele « libre arbitre », tout entière en un chacun. Sonrisque c’est de confondre liberté et « faire ce qui meplaît », comme si « ce qui plaît » était toujours ce qu’ilfallait faire, ce qui avait de la valeur. La collégialitésuppose une conception de la liberté comme « maî-trise de soi-même », devenir son propre maître, ce quisuppose un tout autre rapport à l’autorité: non pas sonrefus, mais sa rencontre et le fait d’en accepter la néces-sité, pour devenir à soi-même sa propre autorité, s’au-toriser à être responsable

Ces deux conceptions ont en commun de chercher àtravailler réellement et concrètement le devenirresponsable des jeunes/élèves qui leur sont confiés,ou plutôt qui viennent volontairement fréquenter cesinstitutions scolaires. L’enjeu est bien celui d’uneémancipation à construire, et non uniquement çàdécréter. Elle se rencontre, se construit, mais à condi-

tion de se pratiquer dans la durée, et de pouvoir se ris-quer en toute sécurité, tout en tenant également fer-mement le fait de s’accomplir scolairement, enconstruisant un rapport aux savoirs et au savoir quifasse du savoir une dimension de construction de soi,d’accomplissement ou d’élévation (c’est pour celaqu’on les nomme élève). C’est pourquoi le rapport àla démocratie, et à l’émancipation qu’il enveloppe nenous semble pas se jouer uniquement dans des prisesde parole et de décision responsabilisantes, mais pas-ser par une approche épistémologique des savoirs sco-laires, enrichie par une initiation au questionnementphilosophique dès l’entrée dans l’établissement, quiconstruisent une réflexivité dans la durée, qui permetaux élèves d’appréhender les savoirs sur un autre modequ’instrumental. Ainsi, démocratiser l’école, c’est toutd’abord en rendre accessible les enjeux et les codes,qui permettent à chacun d’y réussir, au lieu de n’auto-riser que l’échec. La balle n’est pas dans le camp deces collégiens, puis de ces lycéens, qui font l’expé-rience que l’école ne s’adresse pas à eux, mais dans lecamp des enseignants, qui doivent la leur rendre acces-sible, même s’ils résistent, parce qu’ils savent bienqu’en un sens, ils n’y ont pas leur place dans la réus-site et l’accomplissement de soi. La question poli-tique de l’école passe donc, à notre sens, par unepolitique pédagogique de l’école.

L’élève effectivement au centreLes collégiens et les lycéens peuvent-ils, doivent-ilsdécider de ce qu’ils apprennent, doivent apprendre?La démocratisation du savoir renvoie-t-elle à la libertéde choisir ce que l’on apprend? Les élèves sont-ilsconsommateurs de savoirs, de disciplines, de rapportsaux savoirs, ou en construction avec eux, sans réel -lement savoir où cela va les mener? La soumission àl’institution (accepter ses programmes, ses évalua-tions, examens et concours; entrer dans la normati-vité des savoirs scolaires, si différents des savoirsautodidactes, pas tant dans leur contenu que dans leurexigence infinie, dans leur acquisition jamais défini-tive, toujours à poursuivre) est-elle soumission anti-démocratique au monde des adultes, ou une nécessitéà s’approprier? Nous faisons (aussi) le pari du secondterme de l’alternative. Pour l’émancipation. ■

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Dossier | L’école dans dix ans...

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Pour tous ceux qui croientencore au Père Noël.

S’il existe, vous l’avez forcémentdéjà vu, dans le miroir.

Ils forment un couple comme j’aime en recevoir,peut-être parce qu’ils sont encore suffisamment raresà franchir la porte de l’association pour que je n’aiepas la tentation de verser dans la routine. La routineet la distanciation sont ce dont je me méfie le plusdepuis que j’ai accepté la présidence de la délégationrégionale. C’est pour ça que je continue à prendre montour à l’accueil.

Ils ont trente-trois et trente-quatre ans. Lui estphotographe, elle cadre dans un groupe de communi-cation. Ils possèdent leur maison qu’ils retapent dou-cement, une berline plutôt sportive mais âgée et unpetit monospace. Il ne leur manque aucun appareilélectroménager, mais la plupart ont une vétusté queles assureurs couvrent mal. Ils lisent, ils vont au cinéma,ils pratiquent le ski et un peu la voile, ils voyagent detemps en temps. Ils ont beaucoup d’amis, une cavequi se vide toujours plus vite qu’ils ne le prévoient etun séjour suffisamment grand pour y danser avec leursamis, pour la nouvelle année ou, plus rarement, à l’im-proviste.

C’est un couple que la vie s’est chargée d’assortir. Lavie, pas le milieu social ni l’éducation.

Elle a grandi dans une banlieue cossue, pas très loind’un club d’équitation plutôt campagnard et de ther-mes qui n’étaient que prétexte à un casino. Ses parentsont créé leur entreprise avant sa naissance. Sa sœur etson frère ont un diplôme de niveau un. Elle a préféréun cursus plus court dans une école d’application.

Lui a grandi dans une ZUS, de l’autre côté de laville, des usines et de l’autoroute. Son père a fui lesmines et la Roumanie de Ceaucescu, sa mère a fui sesparents, le voile et une autre ZUS quand elle l’a ren-contré. Ils ont travaillé chaque fois qu’ils ont pu auxconditions qu’on leur offrait. Son frère se désigne lui-même comme un intermittent du chômage.

C’est lui qui a pris rendez-vous. Il a contacté sonparrain, qui m’a parlé d’eux et m’a demandé d’assurer le premier contact, mais je ne m’arrêterai pas là. Peut-être parce qu’il m’a serré la main avec une chaleur inat-tendue, faite de confiance et de soulagement. Peut-êtreparce qu’elle m’a regardé avec autant de méfiance quede fatalisme et que celui-ci tient du désespoir. D’une

certaine façon, à eux deux, ils attendent à la fois toutet rien de moi.

– Parlez-moi de votre fille, dis-je après les présenta-tions d’usage. Je veux dire: de ce qui vous a amenés àenvisager un parrainage.

À une crispation de ses sourcils, je sais qu’elle détestele mot. Elle le ressent comme une usurpation.

C’est elle qui répond.

– Alia a douze ans, elle en aura treize dans le cou-rant de l’année scolaire; pour sa deuxième cinquième,si nous suivons les recommandations du conseil declasse; pour une quatrième assistée, si nous nous oppo-sons au redoublement. Elle est née en janvier, ellesavait lire et écrire en fin de maternelle. À l’époque, lepsychologue scolaire ne voyait pas d’inconvénient àce qu’elle intègre le primaire avec un peu d’avance.Aujourd’hui, le professeur principal prétexte sonmanque de maturité, entre autres. Loin de nous l’idéequ’elle soit précoce, mais c’est une fille – elle est beau-coup plus mûre que les garçons de sa classe – et elle abaigné dans un univers d’adultes (les enfants de nosamis ont entre deux et cinq ans). Bref, on peut sû -rement lui reprocher ses résul tats, son manque de tra-vail, sa propension à l’indiscipline et à l’incartade, maiselle aurait davantage tendance à vieillir trop vite quel’inverse. Tout le primaire, elle était en tête de classe.Elle s’est un peu dissipée en début de sixième, puis sesrésultats ont décliné. Cette année, elle finit un peu endessous de la moyenne, malgré d’assez bons résultatsdans deux ou trois matières. Elle finit surtout avec uncarnet de correspondance truffé de retards et d’absen-ces que nous avons parfois accepté de justifier, aprèsrecadrage, pour lui éviter une mise à pied ou le renvoipur et simple.

Nous avons souvent été convoqués par les profes-seurs et le proviseur. Ce que nous avons entendu nenous a pas rassurés. Je n’entrerai pas dans le détail, ilfaudrait raconter des dizaines d’anecdotes et toutesne sont pas né ga tives, mais j’ai eu l’impression de meretrouver devant mes propres profs, de me heurter à lamême machine bornée, tatillonne et dégagée de touteespèce de responsabilité. Il s’est écoulé vingt ans, on aremplacé la moitié des bouquins par des CD, la moi-tié du contenu des cartables par des ordinateurs, on arévisé trois fois les programmes en surface, redessinécinq fois le calendrier des vacances, mais c’est le mêmesystème confié aux mêmes gens qui pratiquent lamême pédagogie de formatage avec la même effica-

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Alternatives (1ère partie)

Ayerdhal

Fiction | L’école dans dix ans

La nouvelle Alternatives a étéinitialement publiée dans le recueil 5 scénarios pour le futur, CREPACd'Aquitaine, 2002) aujourd’huitotalement introuvable. Ayerdhalnous a proposé ce texte et autorisé àle publier. La seconde partie de lanouvelle paraîtra dans notre prochainnuméro.

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cité sélective. Et ce n’est pas une consolation de savoir quemes grands-parents se sont heurtés à des murs identiques.

Jusqu’au bout, elle s’est exprimée sur un ton très calme, àdéfaut d’être réellement neutre. En tout cas, il y a moins d’i-ronie dans sa voix que de dépit, peut-être justement parcequ’elle a conscience de dire ce qu’une proportion non négli-geable de trois générations de parents a pensé. Une mino-rité d’enseignants aussi, mais cela représente du monde et jesuis certain qu’elle le sait.

Je me tourne vers lui. J’ai une assez bonne idée de ce qu’ilva dire et qui ne m’est pas forcément adressé, en tout cas passeulement. Oh! je n’ai aucun doute sur le fait qu’ils en aientbeaucoup parlé – ces deux-là commu niquent énormément.En revanche, il y a des points sur lesquels il n’a pas pu insis-ter, des opinions qu’il n’a pas pu détailler, des convictionstout droit jaillies de son vécu. Un vécu qui vient à peine dele rattraper et qu’on ne peut pas connaître autrement que del’intérieur.

– Alia se marginalise. L’an dernier, elle faisait les conneriesque font les enfants de son âge. Elle testait les prémisses del’ado, la cohésion du système et notre intelligence parentale.Cela lui a permis de s’apercevoir que l’adolescence estinconfortable, que le système est incohérent et que notreintelligence est bornée par un affectif qu’il lui est facile derejeter.

Cette année, elle s’est trouvé des suiveurs, des suiveusessurtout, et, à plusieurs, elles ont pu pousser les conneriesplus loin. Rien de bien méchant. Premières clopes, premierscours craqués, premières imitations de signature des parents,premiers détournements de petite monnaie dans leurs por-tefeuilles. Premiers petits copains aussi. Des quatrièmes,bien sûr, puisque les cinquièmes sont encore des bébés. Ettout ça forme une bande qui se façonne ses moments d’in-dépendance autour d’un collège de banlieue tranquille etmélangé, accueillant les enfants d’une dizaine de commu-nes. Les profs et les pions ne se préoccupent que de ce quise passe dans le collège, les parents sont loin et le centrecommercial beaucoup plus près. Premières fauches dans lesmagasins, premiers tarpés qu’on touche du bout des lèvres.Quelques échanges d’injures avec des ados d’ailleurs,quelques insultes à l’adresse des flics, un vocabulaire qui s’a-trophie et qui s’aboie sur des intonations de zone, et la rébel-lion contre tout.

Ce n’est pas l’exubérance adolescente dont mes beaux-parents ont l’habitude, et on est assez loin du « ça passe ouça casse » qu’ont connu mes parents, mais elle risque de sefermer pas mal de portes et ce n’est pas l’Éducation natio-nale qui va lever le petit doigt. Nous ne sommes pas desamateurs de droit chemin et, de toute façon, nous ne croyonspas que les parents soient les mieux placés pour maintenirun ado sur les rails quand il a décidé de prendre la tangente.Seulement, nous ne voulons pas la regarder se noyer ni

attendre qu’elle s’aperçoive, dans dix ou vingt ans, qu’elle afait un peu jeune des choix qui ont limité tous ceux qu’elleaurait pu faire par la suite.

C’est mon tour d’expliquer qui nous sommes et ce quenous sommes devenus, nous: parrains et marraines de l’as-sociation que nous avons appelée Alternatives, parce que lesnéologismes nous ont toujours paru plus lé gi times que lesacadémismes. Les néologismes ont un sens qui franchit lesfrontières. Les académismes n’ont qu’une raison qui s’appa-rente à celle d’État.

Alternatives est née au tout début du siècle du rapproche-ment de plusieurs associations d’internautes dont la voca-tion était d’offrir un soutien scolaire aux enfants en difficulté.Pour la plupart, ces premiers parrains étaient des retraités –pas nécessairement de l’enseignement ou des professionséduca tives et sociales – qu’ont rejoints des personnes encoreen activité et quelques étudiants. Il a suffi d’une poignée derencontres, de quelques chats et de la création d’un forumsur le Net pour que, au constat hélas flagrant de discrimina-tion scolaire par le clivage socioculturel, s’ajoute celui de l’i-nadéquation de l’outil et de la réalité économique. Le Netétait le support idéal, mais les familles dont les enfantsavaient le plus besoin de notre sou tien n’étaient pas équi-pées et n’avaient aucun moyen de le faire.

Pour placer un ordinateur dans chaque famille s’adressantà nous, nous avons organisé Alternatives comme une asso-ciation caritative. Il règne une certaine solidarité sur le Net– pas seulement entre utilisateurs – et, malgré les tentativesde la déstabiliser par de fausses alertes et de fausses péti-tions humanitaires orchestrées par les ser vices spéciaux dedifférentes nations et les gros bras du Nasdac, les internau-tes réagissent vite et plutôt po si ti vement à tout ce qui leursemble devoir faire avancer l’humanité. Le projet a plu, nousavons recueilli pas mal de dons, en euros et en matériel, demises à disposition de compétences et de solutions tech-niques. Un an après le dépôt des statuts, nous parrainionsun millier d’enfants.

Je le désigne d’un mouvement de tête.– Vous étiez de ceux-ci.Il se souvient – je le lis sur son sourire – et il le fait sans

nostalgie.Nos premières difficultés sont venues du travail que nous

souhaitions réaliser avec les enfants que nous accompa-gnions. Elles tiennent d’ailleurs tout entières dans ce der-nier mot. Pour nous, il était clair que le soutien scolaire –quelle que soit son efficacité auprès de ceux dont les diffi-cultés étaient uniquement scolaires (donc ceux que nousavions connus avant de créer Alternatives) – n’avait d’unepart qu’une efficacité scolaire et, d’autre part, était totale-ment inadapté ou, en tout cas, très insuffisant auprès d’en-fants confrontés à l’exclusion sociétale. C’est pour cela quenous avons décidé de dépasser largement le cadre périsco-laire de notre action.

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Ni précepteurs, ni mentors, ni pédagogues et encore moinséducateurs, puisqu’il était hors de question d’usurper lesfonctions des parents, des enseignants et de la communauté,nous sommes devenus des marraines et des parrains vir-tuels et épistolaires.

Je m’efforce de m’adresser aux deux, mais mon regardrevient souvent sur elle. S’il s’agissait d’une audition, on nepourrait pas s’y tromper: c’est elle examinatrice.

Je lui dédie une moue que j’espère illisible.

Soutenir est une chose, accompagner à distance en estune autre, qui inclut les notions de durée, de confiance, derelation privilégiée et de liberté de parole, et qui nécessitedes compétences, du recul, de la diversité dans la pratique etbien d’autres qualités humaines que nous appelons parfoispsychologie en parlant d’intuition, née justement de l’expé-rience. Plutôt que nous doter d’un outil de formation, nousavons choisi de miser sur ces fameuses et indéfinissablesqualités humaines, sur la variété et sur la discussion entrenous. Ce qui n’a pas vraiment plu aux institutions quandl’association a commen cé à prendre de l’ampleur, puis àdéborder de sa vocation initiale. Curieusement, ce refus deformaliser le parrainage nous a aussi valu de conser ver unetotale indépendance vis-à-vis des institutions et des collec-tivités publiques, malgré une pression politique de plus enplus forte pour légiférer autour de notre activité.

Elle ne m’interrompt pas uniquement par curiosité. Il y aun peu de suspicion dans sa voix:

– En quoi est-ce si important de tenir les institutions,donc l’État, à distance?

Je jette un œil sur lui. Il est serein. Il attend ma réponse,convaincu qu’elle satisfera aux véritables questions qu’elle sepose, qui ont probablement longtemps retardé leur prise decontact et qui ne ressortissent que très par tiel lement à notreindépendance. Les rumeurs.

Alternatives a été reconnue d’utilité publique à son cin-quième exercice. Je vous passe l’effet, non négligeable, d’in-citation fiscale sur les dons et celui, plus relatif, sur nosrapports avec les collectivités locales et régionales. Cettereconnaissance nous a surtout contraints à réfléchir sur laportée de notre action à l’échelle de la commu nau té. Jusque-là, s’il était évident pour tous qu’il s’agissait d’une démarcheuniquement civique, nous n’en avions pas moins consciencede l’effectuer pour pallier les déficiences institutionnelles.

La réflexion a l’air anodine, mais quand on la pousse unpeu, on en vient à se demander comment se définit l’État, àquel niveau se situe le citoyen et ce que sont les droits et lesdevoirs de chacun. Il ne nous appartient pas de réécrire laConstitution, ni d’amender les accords internationaux,comme par exemple la Déclaration universelle des droits del’homme, dont les articles25 et26 ne sont pas pris en comptepar l’État lui-même. Il ne nous appar tient pas non plus denous substituer à l’État ni de lui permettre de se défausserde ses responsabilités sur tout ou partie de ses citoyens.

Les Restos du cœur vont fêter leur quarantième anniver-saire. Il faut, bien sûr, se féliciter ou, en tout cas, féliciter lesdonateurs et les bénévoles d’une telle persistance dans lecivisme et la solidarité. Mais comment juger l’État qui, noncontent de rendre cette solidarité quasi obligatoire, par l’a-bandon à la misère de centaines de milliers de ses citoyens,se repose sur elle pour n’avoir pas à prendre les mesuresnécessaires à l’éradication de cette misère? Nous avons faitle choix de rester des parrains bénévoles et indépendants,libres de toute institutionnalisation, pour laisser à l’État ledevoir de réformer les systèmes qui fonctionnent mal. Vousparliez du conservatisme de l’Éducation nationale, il estmalheureusement évident qu’il s’agit de l’institu tion la plusinertielle. Résistances syndicales, lobbying des confédéra-tions de parents, pressions des acteurs économiques et indus-triels, blocages idéo logiques, mysonéisme, beaucoupd’intérêts de natures très différentes se télescopent et para-lysent les volontés de réforme. Toutefois, même si de nom-breux ministres se sont cassé les dents à essayer, aucunerévision fon damentale du système éducatif n’a jamais étésérieusement envisagée. À l’instar de ce qui se produit enEurope depuis un quart de siècle, la mondia lisation pousseau contraire à l’élaboration de gabarits conçus autour demodèles déjà éprouvés. Les limites de cette uniformisationtiennent de ce qui la motive: amener les étudiants des dis-ciplines économiquement performantes à pouvoir suivrel’enseignement des universités du, entre guillemets, mondeentier. Il s’agit d’abord de former une élite et de l’opti miser.Mais il s’agit aussi de former les exécutants, la main-d’œu-vre et toutes les strates qui vont constituer la société. Celarevient à dire que la vocation de l’école n’est pas de servir lecitoyen, mais la société en tant que système. Ce qui, à notresens, nuit considérablement à l’épanouissement de l’indi-vidu par l’encadrement sinon la limitation de ses choix surdes critères arbitraires indépendants de sa personnalité.

Je sais qu’ils comprennent. Je sais aussi que j’en fais trop,que je me défoule de tout ce que je garde généralementpour moi, faute d’autres interlocuteurs que ceux qui parta-gent mon engagement.

Lui n’en sera pas gêné. C’est un peu comme si je prêchaisun convaincu qui rentrait d’un long voyage. Il puisera desforces nouvelles dans mon discours. Il pense devoir ce qu’ilest devenu à son parrain. C’est sûrement vrai, en tout caspartiellement, mais n’aurait-il pas été aussi satisfait de savie sans Alternatives?

Je retiens un sourire. La réponse est contenue dans laquestion. Les réponses. C’est pour ça que nous avonschoisi le mot et le pluriel.

À suivre dans notre prochain numéro...

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Fiction | L’école dans dix ans

Ayerdhal

on le présente comme «L’homme en colère de la SF française», mais c’estoublié qu’il écrit aussi des thrillers et de la fantasy ! on le décrit peut-être plusjustement comme un auteur de «Social fiction (SF !) ». Pourquoi de la SF ?«parce que la SF est un puissant outil pédagogique, un véhicule idéologiquenon négligeable et la plus riche expression de l'imagination créatrice...»En tout cas, il travaille sur des thèmes forts, l’injustice sociale, le rôle de l’État(Demain, une oasis – 1992 – ou Parleur, Chroniques d’un rêve enclavé –2009), qui transforment ses lecteurs et ne les laissent jamais déçus.

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1910 L'École émancipée2010 Cent ans de syndicalisme révolutionnaire dans l'éducation

un syndicalisme qui articule consciemment ses actions quotidiennes en faveur du mieux être des travailleurs et ses visées révolutionnaires, qui élabore en son sein un modèle de contre-société coopérative porteuse du monde de demain, qui refuse d’être inféodé à un parti politique extérieur à son auto-organisation, tel est le syndicalisme révolutionnaire. il a été décrit par la Charte d’Amiens en 1906, à l’époque où la CGT faisaittrembler la bourgeoisie et était le pôle d’attraction pour tous ceux qui souhaitaient un changement radical de société.

les PreMiers-ières institutrices et insti-tuteurs syndicalistes étaient de ceux-celles-là. Après quelques tentatives avortées, ils-elles

vont s’organiser au début du XXe siècle en s’occupantdes questions revendicatives et sociales (ou, comme ilest dit aujourd’hui, « sociétales »), mais aussi et sur-tout de pédagogie. Ils-elles ont en effet considéré queleur rôle est avant tout de se lier à la classe ouvrièrepour créer une école qui soit à la mesure de son éman-cipation. C’est pourquoi ils-elles vont fonder en 1910une revue pédagogique: L’École émancipée. Elle serapendant un quart de siècle l’organe d’une fédérationsyndicale révolutionnaire de l’en sei gnement. Desrecherches en sciences de l’éducation y sont dévelop-pées. Des cours mutualisés sont proposés sous formede cahiers détachables aux adhérents. Elle forme lesenseignants pour les luttes en les informant des ques-tions sociales, politiques, corporatives et même en lesdistrayant par une rubrique littéraire engagée. Les fou-dres de la répression et de la censure lui sont tombéesdessus parce qu’elle a continué d’exister malgré l’in-terdiction du syndicalisme dans la fonction publique(il n’est autorisé qu’au début des années 1920), qu’elleest restée internationaliste et pacifiste pendant la Pre-mière Guerre mondiale, qu’elle s’est s’investie dans labataille sociale à côté des ouvriers et des paysans etqu’elle a maintenu envers et contre tout son cap laïque.

L’École émancipée revuede la Fédération unitaire de l’enseignement

Elle propage d’abord des idées syndicalistes révolu-tionnaires puis est enthousiasmée par la révolutionrusse. C’est alors qu’elle se tourne quelque temps versle communisme. Elle rompt avec lui, en tout cas avecsa forme stalinienne, à la fin des années 1920 quand lePCF prend un tournant ultra sectaire dit « classe contreclasse », ou de la troisième voie (avec ses brutales cam-pagnes de diffamation contre les « sociaux traîtres »,les « anarchos-réformistes » etc.).

De 1922 à 1935, elle est l’organe de la Fédération del’enseignement de la CGT-U (scission de la CGT).Elle anime une opposition antistalinienne dans cetteconfédération à partir de 1929. Les débats internes

n’empêchent pas le dé ve lop pement d’œuvres positi-ves notamment en matière de pédagogie – comme lamise en place d’une revue pour les enfants en 1923:Les Éditions de la Jeunesse qui deviennent en 1933Les Lectures de la Jeunesse. Le mouvement Freineten est issu, même s’il finira par prendre ses distances.

Naissance et enfance d'une tendance syndicaleL’unification syndicale de 1935 entre la GGT réfor-miste et la CGT-U révolutionnaire la transforme enorgane d’une tendance syndicale qui prend le nom dela revue. La présence d’idées révolutionnaires non sta-liniennes dans cette organisation est ainsi main tenue.Elle est interdite pendant la Seconde Guerre mondialeet compte en son sein des résistants, même si elle n’apas en tant que groupe intégré la résistance. C’est aprèsle conflit qu’elle se reconstitue en refusant le statutquo et l’abandon des bagarres revendicatives, poli-tique prôné par un PCF qui participe au gouvernement.

Contribution à la naissance et à la vie de la FENEn 1948, elle est à l’origine, avec des militants réfor-mistes, de la motion Bonnissel-Valière (ce dernier estun militant historique de la tendance) qui acte la créa-tion de la Fédération de l’Éducation nationale (FEN).Cette organisation aura pendant presque cinquante ansun quasi-monopole de syndicalisation dans l’Éduca-tion nationale. L’idée est de refuser de choisir entre laCGT et FO quand elles se séparent. C’est de maintenirl’unité dans le champ de l’enseignement et de combat-tre la division syndicale. Le droit de tendance y estreconnu. La FEN constitue un syndicalisme de masseà base multiple. Elle s’attache divers organismes:mutuelle, assurances, éditions, mouvements pédago-giques, etc. Elle est majoritairement d’orientationsocial-démocrate mais comprend aussi une minorité« communiste » et L’École émancipée qui inclut tou-tes les composantes de l’extrême gauche: syndicalis-tes révolutionnaires, mais aussi anarchistes,trotskistes etc. Les sensibilités y sont diverses etvariées. L’École émancipée défend des motions

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N’Autre histoire | L’École émancipée

n gaëtan le Porho,Sud Éducation.

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N’Autre histoire l L’École émancipée

d’opposition aux congrès, anime des grèvesdures et défend un syndicalisme combatif. La ten-dance continue à considérer qu’il est essentiel dedévelopper la pédagogie active, voire autogestion-naire ou libertaire, et continue ses travaux derecherche et de propagande en cette direction. Ellemet l’accent sur le féminisme, l’antimilitarisme,l’anticolonialisme, l’anticléricalisme, l’écologie.

Elle prend parti contre la guerre d’Algérie, enmai 1968 aux côtés des étudiants, au Larzac contrele camp militaire, etc. Elle contribue au combat dela FEN pour la laïcité, notamment contre la loiDebré qui a organisé le financement public desécoles privées. Elle tend à augmenter sa popula-rité à l’occasion des mouvements sociaux d’im-portance.

Elle développe ses propres outils: outre la revuedu même nom, une semaine de débats, formationsyndicale, animation culturelle engagée dite « laSemaine de L’École émancipée » qui a lieu pen-dant les grandes vacances mais aussi ses stages deformation, tracts, bulletins départementaux ou spé-cifiques sur un thème (comme Le ChronoEnchaîné qui critique le sport), etc.

Scissions syndicalesElle n’est pas exempte de confrontations voire descissions. Les trotskistes dits « lambertistes » (dunom de leur dirigeant Lambert) font sécession pourfonder « L’École émancipée pour le Front UniqueOuvrier (EE/FUO) » en 1969. Ils et elles contri-buent pour beaucoup à monter une petite fédéra-tion FO dans l’éducation en 1984.

Le schisme a lieu en 1992 entre ce qui deviendrale SE/UNSA et ce qui va devenir la FSU. La grandemajorité de la tendance choisit la FSU. Mais quanddes syndicats SUD-Éducation se forment à partir1996 certain-e-s y voient l’occasion de pratiquerenfin la forme de syndicalisme défendue en tantqu’opposition syndicale: syndicalisme d’industrie– où le noyau de l’organisation est le syndicat dépar-temental intercatégoriel de tous les personnels del’éducation –, combativité, démocratie tant eninterne que dans les luttes.

En 1997, naît la Fédération des travailleurs-eusesde l’Éducation CNT qui se réclame du syndica-lisme révolutionnaire et de l’anarcho-syndica-lisme. En automne 2002, paraît pour la premièrefois sa revue N’Autre école, que vous avez entre

les mains. Elle est, comme L’École émancipée,pendant le premier quart de son histoire, la revued’une fédération de l’enseignement clairementrévolutionnaire et, comme elle, mêle pédagogiealternative et visée de rupture sociale.

Les naissances de ces nouveaux syndicats quiprennent beaucoup des idées traditionnelles et desmilitants de l’École émancipée rend la tendancede fait intersyndicale. Le choix de certain-e-s adhé-rent-e-s de la LCR d’intégrer en tant qu’Écoleémancipée l’exécutif de la FSU va produire uneimportante division. Elle se produit en 2002 entre,d’un côté, les tenant-e-s d’une tendance exclusi-vement FSU qui veulent à ce titre participer à sadirection et, de l’autre, L’École émancipée quiassume son caractère intersyndical et qui veut res-ter dissidente en refusant de participer aux instan-ces décisionnaires de la FSU (tant évidemmentque la majorité n’est pas acquise à ses idées). Lapremière est influencée par certain-e-s dirigeant-e-s enseignant-e-s de la Ligue communiste révo-lutionnaire, alors que l’autre se réfère plus ausyndicalisme révolutionnaire, avec ce que celapeut impliquer d’écoute, d’ouverture et de tolé-rance vis-à-vis des choix syndicaux et/ou poli-tiques de chacun-e. Dans la FSU, cette dernièresouhaite rester une opposition construite et refuseque L’École émancipée intègre la direction de cequi est devenue la principale fédération syndicaleenseignante.

Un procès, jugé devant les tribunaux bourgeoisen 2003, a donné l’appellation l’École émancipéeà la tendance qui se dénomme aujourd’hui « Écoleémancipée/Fédération Syndicale Unitaire »(« EE/FSU ») », et qui garde une revue intituléeL’École émancipée. Les syndicalistes révolution-naires sont contraints de changer de nom. Ils s’ap-pellent « L’Émancipation intersyndicale ». Leurrevue se nomme L’Émancipation syndicale etpédagogique. Leur choix s’est fait en fonction dunom des premiers regroupements revendicatifs etantihiérarchiques des institutrices et instituteurs,d’où ont émergés les syndicats de cette brancheau début du siècle . C’était aussi le titre du bulletinde l’organisation syndicale révolutionnaire jus-qu’en 1935.

Joyeux anniversaireLes arrières petits-enfants de L’École émancipéesont nombreux, divers et variés – la CNT, avec sarevue N’Autre école, L’École émancipée et sonorgane du même nom, les Comités SyndicalistesRévolutionnaires (CSR) Éducation, des syndicatset syndiqués de Sud Éducation, etc. – c’est bienL’Émancipation qui s’en revendique le plus et quia organisé cette année son anniversaire sur le thèmede « 100 ans de syndicalisme révolutionnaire dansl’éducation, histoires, actualités, et perspectives »(voir encadré). En se remémorant les idées et pra-tiques syn di ca listes révolutionnaires, parionsqu’elles en soient revigorées, revivifiées et don-nent lieu à de nouvelles analyses et militances. Sesouvenir pour créer… ■

Pour marquer ce centenaire deL’École émancipée, L’Émancipationa organisé un stage syndical levendredi 28 mai et le samedi29 mai à l’EDMP, 8, impasse Croza-tier à Paris (local de la tendance).Différents articles historiques ontégalement été publiés tout au longde l’année dans leur revue.

►Abonnements à L’Émancipationun an (10 n°) : 40 € normal, 65 €soutien, 21 € réduit (moins de1300 € mensuels)Chèques à l’ordre de ColetteMallet, Banque postale Rennes0641438 M, à adresser à Colette Mallet, le Stang, 29710 Plogastel-St-Germain. [email protected]►Vous pouvez consulter le site deL’Émancipation intersyndicale :http://www.emancipation.fr/ou écrire à :[email protected] Adresse postale : ÉmancipationIntersyndicale, 8, impasse Croza-tier, 75012 Paris.

Le premier Congrès de l'Imprimerie à l'Écolequi eut lieu à l'occasiond'un Congrès de la FuE, àTours en 1927.

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Les inégalités d’apprentissageÉlisabeth Bautier, Patrick Rayou,PuF, juin 2009, 19 €.

Le mot « malentendu  », qui figuredans le sous-titre, résume l’ouvrage:malentendu entre des élèves desclasses populaires qui n’ont pascompris ce qu’est apprendre et desenseignants qui présentent descontenus plus problématisés qu’au-trefois mais auxquels les élèves sontd’autant moins préparés qu’ils ontl’impression qu’on « n’annonce pasla couleur  ». Selon les auteurs, lespédagogies de l’implication (mettreles élèves en situation de recherche,chercher des ponts entre leurs inté-rêts et les procédures intellectuellesqu’on aimerait les voir emprunter)participent d’un cadrage trop faible.Les auteurs ne préconisent pas pourautant le retour au cours magistral,et s’excusent de ne pas proposer desolutions. On pourra ne pas partagerleurs analyses (tant globales qu’auniveau des études de cas), sévèresvis-à-vis des enseignants quiessayent de rapprocher les savoirs etles élèves; l’ouvrage a cependantl’intérêt de poser la question:comment changer ce rapport vicié ausavoir qu’ont les élèves des classespopulaires (la forme plus que le fond,le par cœur plus que l’adaptation)?Comment faire prendre consciencedu problème aux en sei gnants,notamment aux débutants tellementpréoccupés de «  tenir la classe  »qu’ils ne per çoivent pas ce malen-tendu? Comment briser le « plafondde verre  » social cognitif? Sansdoute faut-il aborder d’autres dimen-sions, ignorées des chercheurs maisbien présentes dans le métier (legroupe, par exemple, ou le position-nement de l’enseignant) mais — onnous pardonnera d’être aussi dursvis-à-vis des chercheurs qu’eux sontimpitoyables face aux failles des plusengagés d’entre nous- il faudrait pourcela envisager conjointement lesdifférents aspects du « faire classe »,et ne pas se focaliser sur une piècedu puzzle, si centrale soit-elle.

L’image géographiqueMappemonde est une revue géogra-phique trimestrielle qui publie decourts articles de recherche consa-crés à l’image géographique soustoutes ses formes: cartes, croquis etcartogrammes, modèles, donnéessatellitaires, photographies, etc. Elleest devenue une revue électroniquegratuite en janvier 2004 sous le nomde M@ppemonde. Les derniersnuméros proposent des articles trèsdivers et démontrent que la géogra-phie ne sert pas seulement à faire laguerre… Le vote Front national dansles régions françaises: le retour versun vote d’adhésion ressort dudomaine classique de l’analyse élec-torale et montre qu’en mars 2010,une grande partie des électeursdéçus par le sarkozysme s’est abs -tenue sans que cela profite au FN.Cartographier l’Indice mondial de lacompétitivité du forum de Davosprésente une vision hiérarchique etmarchande du monde et met enavant un quatuor de zones et nonplus la traditionnelle Triade (n° 98,2010). La géographie de JulesVerne et ses cartes dans L’île mysté-rieuse narre la colonisation d’un terri-toire fictif par des Robinsons etprend le contre-pied de la géographieéducative et encyclopédique desVoyages extraordinaires (n° 97,2010). Palmarès des universitésmondiales, « Shanghai » et lesautres analyse le classement dit « deShanghai » et fait apparaître lagéographie de ce que ses auteursconsidèrent être « les grandesuniversités mondiales », avec sespoints de concentration (les troisgrandes mégalopoles) et ses pointsfaibles (n° 96, 2009). Ségrégationet transformation urbaine: quelleévolution de l’espace havrais?confronte les projets politiques derénovation des quartiers à la réalitéde la ségrégation. Les choix de lamunicipalité havraise en termes dedéveloppement territorial (gentryfi-cation de quartiers portuaires, réno-vation de grands ensemblesd’habitat social) sont montrés avecdes cartes, des photos et des sché-mas (n° 95, 2009).

Consultation en ligne, abonnementgratuit et syndication sur le site :http://mappemonde.mgm.fr

La geste formation, gestes professionnels et analyse des pratiquesChristian Alin, L’Harmattan, 2010, 24 €.

Basé sur l’hypothèse de l’autopoïèse dessystèmes vivants de Varela reprise parGuattari, et l’hypothèse de l’inconscient,ce livre tire les fruits des recherchesuniversitaires linguistiques, anthropolo-giques, des apports de la psychanalyse etde la philosophie. Paul Ricoeur, Pierce,Foucault, Wittgenstein, Lacan sont invo-qués de manière sensible. À l’heure où lapsychanalyse est décriée (Onfray, Lecrépuscule d’une idole en 2010, Le livrenoir de la psychanalyse en 2005), où lanécessité de la philosophie à peine entre-vue s’est vue réduite à une histoire des philosophies pour surtoutne pas ouvrir le champ de la pensée, a toute sa place ce livre quiclame haut son ambition de « créer des dispositifs, des program-mes, des modules de formation, d’inventer tout un arsenal destratégies ayant pour objectif de créer des continuités et/ou desruptures visant à sentir, penser et agir autrement ».La double occurrence du mot « geste » dans le titre doit nousinterroger. Si l’auteur, Alin, en éclaire un sens en le distinguant dugeste chirurgical et du geste militaire et en insistant sur lapropriété particulière du geste d’être action non du corps entiermais d’une partie du corps, la liste de ses « gestes profession-nels »: « intervenir, apprendre, organiser, transmettre, (se) pren-dre en main, s’observer… » laisse perplexe quant à la pertinencede cet emploi pour des postures qui, d’une part, engagent tout lecorps ce qui contredit sa définition et, d’autre part, me sembleune récupération didactique qui peut conduire aux mêmes dérivesde non-sens et de confusion intellectuelle que l’emploi institution-nel du mot « compétence ». Le mot « geste » est devenu à lamode et n’échappe pas à la banalisation de son usage tousazimuts; il fait même la « une » du Figaro magazine du 21 août2010 ! Dans les enjeux du mobile1, le mot était employé danstoute sa violence révolutionnaire pour l’enseignement des scien-ces, dans Inévitablement après l’école 2 dans son potentiel derefonte de l’école. À suivre.1. N’Autre école, n° 19. 2. N’Autre école, n° 22.

Lectu

res

Les humains, mode d’emploiJean-François Dortier, éditions Sciences Humaines, 2009, 15 €.

Dix-huit articles qui font le point surl’état des lieux en sciences humaines: lebonheur, l’amour, la religion, les rêves…sont quelques-uns des thèmes traités.L’avantage est d’avoir accès à ce qui sedit et qu’on n’a pas le temps de lire dansdifférents domaines de la psycho et dela socio, dans une langue très claire.Une écriture de bon magazine (l’auteurest le directeur de Sciences humaines,dont les numéros mensuels comme leshors-série sont à connaître), une lectureagréable et instructive. Bien prudenttoutefois: il n’est fait allusion ni à l’iné-galité, ni à l’injustice, qui font hélaspartie du monde des humains.

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Éducation

Page 44: Maquette finie ?

Tout en basEn 1985, Günter Wallraff, journaliste d’investigation enRFA, bête noire du patronat et de la presse de caniveau,se grime et se crée une identité de travailleur turc prêt àfaire n’importe quel travail… Tête de turc racontait del’intérieur l’exploitation effroyable, proche de l’escla-

vage des immigrés en Allemagne. Le livre venduà plus de 2 millions d’exemplaires fit l’effetd’une bombe. En 2010, Parmi les perdants dumeilleur des mondes rassemble plusieursenquêtes récentes: Wallraff se glisse dans lapeau d’un Noir (comme Griffin à la fin desannées cinquante dans le sud des États-Unis),d’un ouvrier d’une boulangerie industrielle oud’un SDF. Il mène également d’autres en quê-tes fouillées sur les cafés Starbucks et sesméthodes redoutables de management et d’ex-ploitation, décrit la corruption au sommet à la

Deutsche Bahn, la SNCF allemande, en marche vers la privati-sation ou le système souvent illégal et sordide des centresd’appel. À chaque fois, c’est un coup de massue qui dévoile laviolence du système et de ses marges!Avec Le quai de Ouistreham, Florence Aubenas, dans la filia-tion de Wallraff, s’est immergée six mois durant dans le mondede la précarité et des petits boulots. Elle nous donne un récittrès fort du quotidien et de la galère d’une chômeuse sans qua-lification, d’une intérimaire qui navigue entre Pôle Emploi etpetits chefs et tente d’enchaîner les heures de ménage pourbouffer… Loin du journalisme bobo dont elle a été parfois injus-tement affublée, ce reportage nous fait partager la vie des pro-létaires humiliées et exploitées, travailleuses précaires qui nesont même plus vraiment des ouvrières tant la déshumanisa-tion et la dévalorisation les éloignent de la vie sociale.

– Parmi les perdants du meilleur des mondes, Günter Wallraff,La Découverte (Cahiers libres), 2010, 323 p., 19 €.– Le quai de Ouistreham, Florence Aubenas, L’Olivier, 2010,276 p., 19 €.

En revue…Échanges, n° 133, été 2010, 3 €.Dans ce numéro, d’abondantes informations sur la crise aux États-Unis ettoujours d’abondantes pages « dans les publications » qui donnent des résumésdes thèmes traités dans la presse militante. Comme « Dans le monde une classeen lutte », le point de vue des présentateurs des informations et des textesn’étouffe pas une information riche et inédite.

Z, revue itinérante de critique sociale, printemps 2010, 10 €.Grand format, belle et abondante iconographie, textes de qualité pour un projetoriginal dont c’est ici le troisième essai: quitter Montreuil pour un autre lieu, ici laPicardie des luttes ouvrières. Enquête de fond, et quelques articles sur d’autressujets (dans ce numéro, on remarquera notamment un article sur le Kurdistan).L’équipe tient beaucoup au thème des nanotechnologies sans que cela envahissele numéro. À lire, à laisser traîner, Z mérite d’être plus connu(e?).

Diversité, n° 161, juin 2010, 10,90 €.« Question de climat… scolaire »: où il est question de la difficulté d’enseigner(et d’être élève). De nombreux articles, dont la plupart sonnent juste car ils sontrédigés par des acteurs ou des observateurs pas trop éloignés, évitant la plupartdu temps cette distance pseudo-scientifique assez irritante (pas très agréabled’être juste un objet permettant la promotion universitaire d’un chercheursouvent redondant). La diversité qui est le titre de la revue se retrouve dans lamultiplicité des contributions (210 pages). À signaler tout spécialement l’articlesur un dispositif d’accueil des élèves exclus temporairement à Stains (Seine-Saint-Denis) et une enquête sur les institutrices de maternelle en fin de carrière.

Manière de voir, n° 112, 7,50 €.La revue qui réunit et reproblématise des articles publiés dans Le Monde Diplo-matique propose un très stimulant dossier autour de la question des utopies.C’est riche, varié (du logiciel libre à la relecture de Marx), cultivé (les articles sontillustrés de citations de philosophes et penseurs). On n’évite pas le grand écartentre la conclusion de Bourdieu qui appelle à la construction d’un super-Étatsupranational et les thèses libertaires du réseau Znet. Remotivant, en tout cas !

Nous avons aussi reçu…– L’Émancipation syndicale et pédagogique, chez Colette Mallet, Le Stang, 29710Plogastel-St-Germain, 10 numéros par an/48 €.– Les Actes de lecture, n° 110, revue de l’AFL, 65 rue des Cités 93308 Auber-villiers cedex, 4 numéros/32 €. Avec un très bel article «L’École sous la Commune»et un dossier «Regard sur l’École brésilienne».– Dialogue, revue du GFEN, 7 €. «Transmettre. Enjeux sociaux et pratiques éducativesengagées» (n° 136), «Éducation nouvelle en marche. Chantiers d’avenir» (n° 137).– Le Nouvel Éducateur, revue de l’Icem- Pédagogie Freinet, n° 198, juin 2010. «Laviolence, une fatalité ?».– L’Éducateur, magazine du syndicat des enseignants romands (SER). «Enseigner :un métier sous contrôle ?» (mai 2010), «Du bilinguisme au plurilinguisme, des voixd’avenir» (juillet 2010), «La justice face aux jeunes» (septembre 2010).– Traces de changement, journal de la CGé, n° 197, septembre-octobre 2010, 3 €.Dossier «Limites et butées».

N’AUTRE école, n° 27, automne 201044

La vie sera mille fois plus belle

La brève existence (1936-1939) dugroupe de femmes Mujeres Libres a-t-elle tracé une voie pour une formenouvelle et alternative de féminisme(expression dont elles ne se récla-maient pas)? Martha A. Ackelsbergrépond oui, en en marquant la spéci-ficité à l’égard des tendances tropexclusivement « individualistes»d’hier et d’aujourd’hui. MujeresLibres plongeait ses racines dansl’anarcho-syndicalisme espagnolmais était une organisation indépen-dante que Ackelsberg essaye d’étu-dier dans sa complexité.L’auteure mêle, à partir des témoi-gnages qu’elle a recueillis, restitu-tion historique et réflexionthéorique, très liée à l’état du débat féministe américain. Ces derniè-res considérations prennent parfois trop le pas sur la description descombats de ces femmes, en laissant de temps à autre une impressionde survol. Néanmoins, ce livre contient des informations utiles, parexemple sur la participation des femmes au mouvement ainsi que surles raisons de ses limitations et l’investissement de Mujeres Libresdurant la guerre civile et les événements révolutionnaires.

Le réseau d’évasion du groupe Ponzan

Francisco Ponzan Vidal, militant anarcho-syn-dicaliste espagnol, rejoint en 1937 la« Colonne Rouge et Noire » où il organise ungroupe, « Los Libertadores », qui traverse leslignes de front pour des missions d’espion-nage et d’exfiltration. Interné au camp duVernet en 1939, il s’évade, organise des grou-pes anti-franquistes et monte le plus impor-tant réseau d’évasion de la Seconde Guerremondiale. En liaison avec le groupe PatO’Leary, les services secrets alliés et desréseaux liés aux services secrets français quin’acceptent pas la défaite, son organisationse chargera de faire évader des centaines

d’antifascistes, militaires, aviateurs, résistants et persécutés. L’ouvragede l’historien du mouvement libertaire espagnol Antonio Téllez Solà,publié à titre posthume, est le premier à offrir un portrait complet de cemilitant et de son groupe, depuis la guerre d’Espagne jusqu’à sa morten France, le 17 août 1944, exécuté par les nazis à la veille de leurdépart de Toulouse.

Lectu

res

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45N’AUTRE école, n° 27, automne 2010

Missak Manouchian (1)Auteur controversé pour ses positions sur des écrivains in jus -tement accusés de négationnisme, Daeninckx est cependant unauteur d’une très grande force militante, littéraire et émotion-nelle. Après la guerre d’Algérie (Meurtres pour mémoire), l’Expo-sition coloniale (Cannibale) ou l’Occupation (Carton jaune!),Daenincks poursuit son travail sur l’histoire des immi-grés: il nous donne une magnifique biographie décli-née en trois livres – un roman ainsi qu’un album et unroman jeunesse – de Missak Manouchian, poètearménien et résistant communiste qui commanda lesecteur des FTP-MOI parisien et fut fusillé avec sescamarades de « l’Affiche rouge » le 21 février 1944.Missak est à la fois un roman grand public et un travaild’historien pointu et documenté écrit à partir desarchives inédites de la famille Manouchian, de docu-ments encore non classés émanant des archi-ves du PCF et des archives de la police.En 1955, quelques jours avant l’inaugurationd’une rue au nom du Groupe Manouchian,Louis Dragère, journaliste à L’Humanité, doitabandonner sur ordre de la direction du PCFson reportage sur les bandes de jeunes pourenquêter sur le groupe Manouchian. Au coursde cette enquête, vont se croiser JacquesDuclos, Louis Aragon, l’ancien chef desFrancs-tireurs et partisans Charles Tillon,Henri Krasucki ou Misha et Knar Aznavourian,les parents du jeune Aznavour… Dans cecontexte fortement stalinien, le journaliste vase trouver confronté à la censure du Parti et

va explorer des strates historiques, politiques et policières qui leferont remonter à la trahison qui permit aux Brigades spécialesdes Renseignements généraux, d’arrêter 23 membres du groupeManouchian composé principalement de combattants armé-niens, italiens, juifs hongrois et polonais… Daeninckx nousplonge dans le Paris et la banlieue des années cinquante et dansl’histoire intérieure du PCF et peint par petites touches peu à peurévélées par son enquêteur, la personnalité multiple de Manou-

chian, poète, amoureux fou de sa femme Méli-née, résistant et militant communiste qui bravales consignes politiques de son parti en intégrantdans son groupe un ancien dirigeant trotskisted’Arménie soviétique… Ce roman-enquête-biographie relie trois époques: la Résistancecombattante immigrée, la France communistedes années cinquante et la nécessaire remise aujour de la mémoire de l’immigration… Le lecteurpourra confronter cette œuvre avec L’Armée ducrime, le film de Guédiguian sorti la mêmeannée. Celui-ci a choisi de réaliser une fresquehistorique et lyrique qui met en valeur le versanthéroïque des « Vingt et trois qui donnaient leur

cœur avant le temps Vingt et trois étrangers et nos frèrespourtant ».

Lire également en pages 46, les notes sur l’album Missak, l’en-fant de l’Affiche rouge et le roman jeunesse Avec le GroupeManouchian: Les immigrés dans la Résistance.– Missak, Didier Daeninckx, disponible en poche chez Pocketsous deux références: n° 14299 et n° 2273 dans la collectionJeunes Adultes, 6,50 €.– L’Armée du crime, un film de Robert Guédiguian, Studio canal,2009, 2h13, à partir de 10 €.

Lectu

res

Gaza 56 : en marge de l’histoire

Quinze ans après lapublication de Palestine(chroniquée dans N’Au-tre école, n° 22), JoeSacco, auteur de bande dessinée et journaliste,fait œuvre d'historien et retourne à Gaza pourenquêter sur le massacre de centaines de Pales-tiniens par l’armée israélienne en 1956. CetteBD remarquable se lit à plusieurs niveaux. L'en-quête historique sur les massacres de KhanYounis et de Rafah, menée auprès des témoinset sa retranscription en chapitres chronologiquesforme la matière principale du livre écrit au passé(deux chercheurs israéliens ont égalementconsulté pour l'auteur les rares archives disponi-bles). Les conditions de vie mortifères dans labande de Gaza de 2002-2003 à l'époque de laseconde Intifada et des destructions massivesde maisons palestiniennes, le contexte concretet pesant de ce reportage ainsi que les rencont-res avec les survivants, les habitants et les mili-tants sont un contrepoint qui rythme et structurela bédé entre semi-clandestinité et journalismede terrain. Enfin, comme à son habitude, JoeSacco se met en scène dans les vignettes ou lesbulles, nous permettant de mieux comprendreles situations et de nous monter la dureté de lavie quotidienne en Palestine depuis plus desoixante ans...

■Rubrique coordonnée par Jean-Pierre Fournier et François Spinner.

Les GuidesPhilo

Trente-deux phi lo so -phes, deux philosophies(stoïcisme et utilitaris-me) et huit notions (lebonheur, autrui, le lan -gage, le travail, la science, la mo rale, la tech-nique, le pouvoir) sont présentés en chapitres detrois pages! Il est facile de critiquer un choix; icila psychanalyse est écartée; on trouvera dansce guide une seule mention de Freud par la cita-tion «  les souvenirs oubliés ne sont pas per -dus », aucun autre psychanalyste n’est évoqué.Si ce parti pris est dérangeant dans la conjonc-ture actuelle, la philosophie n’y est pas réduite àun exposé de l’histoire de la philosophie.Chaque chapitre est d’une lecture abordable aupoint de vue de la forme et du style sans rédui-re la pensée, chacun du point de vue particulierd’un enseignant de philosophie des universités.Par exemple Platon est l’inventeur du conceptde lien, position philosophique qui a l’intérêtd’induire une relecture de la philosophie platoni-cienne et de mettre en action sa propre pensée.Par contre si les problématiques s’ancrent dansl’actualité, par exemple pour le travail, elles don -nent peu de pistes pour une recherche critiqueou politique. Il y a quand même un souci cons-tant que ce soit à propos de Deleuze, deFoucault, de Derrida, d’Arendt d’aiguiser lapratique réflexive du lecteur. Ce guide de 160pages est un bon partenaire pour stimuler desdiscussions entre élèves et professeurs, pourservir de base à des débats philo.

Nous avons aussi reçu…D’autres titres nous ont été envoyés ouont retenu notre attention. En attendantleur présentation dans le prochain numéro,les recensions sont disponibles sur le sitede revue, rubrique «Carnet de lecture».

– Même pas drôle, Philippe Val, de CharlieHebdo à Sarkozy, Sébastien Fontenelle,éditions Libertalia, sept. 2010, 176 p., 8 €.– Les Forçats de la mer. Marins, marchandset pirates dans le monde anglo-américain,1700-1750, Marcus Rediker, éditionsLibertalia, sept. 2010, 464 p., 20 €.– L'Affaire Quinot. Un forfait judiciaire,Emile Danoen, éditions CNT-RP, sept.2010, 304 p., 20 € + 4,05 € de port.– Révolution dans l'Université : quelquesleçons théoriques et lignes tactiques tiréesde l'échec du printemps 2009, EmmanuelBarot, La Ville brûle, 2010, 173 p., 13 €.La grève universitaire lancée début février2009 s'est soldée en juin 2009 par unedéfaite politique à peu près totale. Pour queles tendances de résistance puissent deve-nir de véritables forces opérationnellesconscientes de leurs possibilités, des lignesstratégiques et des options tactiques clai-res s'imposent.[...] La révolution dont il estquestion ici s'entend donc à trois niveaux :la «révolution» réactionnaire en cours, lagrève de 2009, et finalement l'appel à unedouble posture de résistance et de cons-truction d'une université «oppositionnelle»en rupture avec les violences directes et lesaliénations sournoises du capitalisme.(Extrait de la quatrième de couverture).

ÉducationTémoignagesLittérature jeunesse

Histoire

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Missak Manouchian (2)En ses temps de stigmatisations desimmigrés et des enfants d’immigrés,en ses temps d’expulsion de sans-papiers et de diabolisation des Roms,Didier Daenincks propose plusieursbiographies de Missak Manouchian,poète arménien et résistant antinaziqui commanda les combattantsétrangers des FTP-MOI parisiens etfut fusillé avec ses camarades le 21février 1944. Après Missak, un romanbiographique grand public qui peutêtre lu au lycée (voir la note delecture page 45), il adapte, comme ill’avait fait pour Cannibale et saversion jeunesse L’enfant du zoo, unalbum qui témoigne d’une vie horsdu commun.

Missak, l’enfant de l’Affiche rougeraconte l’histoire de Manouchian:l’enfance, le génocide arménien, laFrance, l’amour, la Résistance et lacondamnation à mort: « Nous avonspris les armes pour libérer la France,ce pays meurtri, un monde qui allaitêtre réduit en esclavage. Sans hainepour le peuple allemand mais sanshésitation, parfois nous tirions. »

L’album, conçu autour d’un jeu devolets dépliants, met en oppositionles pages à l’encre de Chine quiévoquent la guerre, la lutte, l’empri-sonnement et les peintures decouleurs chaudes qui racontent lebonheur, l’amour, l’espoir. La partiedocumentaire remet en perspectivela vie de Manouchian et présente latrop fameuse affiche rouge avec sesphotos de résistants présentéscomme de dangereux terroristesjuifs et étrangers. La dernière lettrede Missak Manouchian à sa femmeMélinée, qui inspira Aragon et queFerré mit en musique sous le titreL’Affiche rouge, est reproduite enfac-similé.

Daenincks, après avoir travailléprès de deux ans sur le roman, puisl’album Missak, a également donnéun roman jeunesse paru chez Oskar(collection « Histoire et société »évoquée plus loin). Aliona a 12 ans.Sa mère a été arrêtée lors d’une rafleantijuive, son père est un combat-tant hongrois des FTP-MOI. Un jour,la jeune adolescente doit cacher surelle le pistolet de son père pour l’ai-der à passer un contrôle policier…Dans ce livre, accessible dès lasixième, la jeune fille côtoie lesmembres du groupe de MissakManouchian. Nous vivons avec elleleurs derniers jours dans le Parispopulaire de l’Occupation…

Un entretien de 20 pages avec l’au-teur analyse la part romanesque ethistorique, explicite le contexte et lesévénements précis évoqués et pré -sente plusieurs membres du groupe.

Au collège, ces deux titres peuventêtre mis en réseau avec deux autres

livres jeunesse de Daeninckx: l’al-bum Viva la liberté!, dernier tomede l’indispensable trilogie Les Troissecrets d’Alexandra raconte l’his-toire de Rino Della Negra, footbal-leur professionnel et membre duGroupe Manouchian, un des hérosque rencontre Aliona.

Carton jaune !, inspiré de l’histoired’un boxeur, est une BD à lire àpartir de 14-15 ans qui met en scèneun footballeur juif tunisien recrutépar le prestigieux club de footballdu Red Star. Sportif devenu unevedette mondaine, il sera interné aucours de la rafle du Vel d’Hiv…

– Missak, l’enfant de l’Affiche rouge,D. Daeninckx (texte), L. Corvaisier (illus-tration), Rue du monde, 2009, 60 p.,17 € (à partir de 8 ans).

– Avec le Groupe Manouchian: Les

immigrés dans la Résistance, D. Daeninckx,Oskar jeunesse (Histoire & société), 2010,120 p., 9,95 € (à partir du collège).

– Viva la liberté, 1939 à 1945, la Résis-

tance (tome III), Didier Daeninkx (texte),Pef (illustrateur), Rue du monde (Histoired’histoires), 2004, 32 p., 13,80 €.

– Carton jaune!, D. Daeninckx (scéna-rio), Asaf Hanuka (dessin), EP éd.(Atmosphères), 2004, 56 p., 13 €.

Histoire & sociétéLa collection « Histoire & société »(Oskar jeunesse) propose desromans et des biographies inspirésde faits historiques ou de problèmesde société. Nous avons chroniqué icià plusieurs reprises des titres souventinscrits dans une lignée sociale ou derésistance à l’oppression (la fraterni-sation entre soldats ennemis en 14-18, la guerre civile espagnole, larésistance allemande antinazie ou labiographie de Césaire). Les titres decette collection destinée aux collé-giens peuvent être lus au lycée. Ilssont complétés par un cahier docu-mentaire d’une douzaine de pagesqui mériterait d’être développé pluslargement. Voici trois titres récents.

Germaine Tillion de Janine Teissonraconte l’histoire de l’ethnologue,figure de la Résistance et combat-tante pour la paix en Algérie avecune belle écriture qui va à l’essentiel,en particulier dans les chapitresconsacrés à la déportation à Ravens-brück. Elle y fait preuve d’uncourage exemplaire et écrit sur uncahier soigneusement caché, uneopérette Le Verfügbar aux Enfers,qui relate avec humour les condi-tions effroyables du camp. Pendantla guerre d’Algérie, elle crée descentres sociaux, médicaux et éduca-tifs, se bat pour l’émancipation desfemmes, dénonce la torture et s’ef-force d’empêcher les exécutions etles attentats aveugles: en 1957, enpleine bataille d’Alger, elle rencon-tre clandestinement Yacef Saadi, chefde la Zone autonome d’Alger, pourtenter de mettre fin à la spirale desexécutions capitales et des attentats

aveugles. Cette biographie est uneexcellente introduction à la littéra-ture concentrationnaire et donne unpoint de vue pacifiste et anticolonia-liste original sur la guerre d’Algérie.

Une biographie de Mandela estforcément consensuelle car le« sujet » est devenu une icône: pein-dre sa vie sans intentions hagiogra-phiques est une gageure. C’estcependant le pari réussi par PhilippeBarbeau: il s’en tient aux faits sanséluder ni la lutte armée prônée parMandela en 1961, ni les difficultés dunouveau régime…

Ibrahim, clandestin de 15 ans deAhmed Kalouaz raconte la fuite duSoudan d’un très jeune homme etde son oncle et leur long et périlleuxvoyage pour arriver en France, ducôté de Calais… Un récit linéaire etdramatique qui ne cherche pas lehappy end. Ibrahim, le narrateur,fera partager avec les jeunes lecteursla souffrance d’un sans-papiers dansune langue simple et descriptive.

– Germaine Tillion, un long combat

pour la paix, J. Teisson, Oskar jeunesse

(Histoire & société), 2010, 168 p., 9,95 €.

– Nelson Mandela, humble serviteur de

son peuple, Ph. Barbeau, Oskar jeunesse

(Histoire & société), 2010, 112 p., 8,95 €.

– Ibrahim, clandestin de 15 ans, AhmedKalouaz, Oskar jeunesse (Histoire &

société), 2009, 152 p., 9,95 €.

L’IVG en France et dans le mondeEn France, la contraception estautorisée depuis 1967 et l’avorte-ment depuis 1975. Le droit de choi-sir explique comment les femmesont conquis ces droits majeurs,comment elles vivent avec ou sansle droit à l’avortement, quelle est lasituation aujourd’hui en France etdans le reste du monde, ce qu’endisent les religions et fait le pointsur les menaces et les régressionscontre le droit à l’avortement enEurope. En introduction, unedizaine de témoignages souventdouloureux montrent la révolutionqu’a représentée la loi Veil. Le livretrès documenté est écrit en parte-nariat avec le Planning Familial. Ilpeut être proposé en fin de collègeet au lycée. Le chapitre sur lesressources présente des films, deslivres et des sites.

– Site du Planning familialhttp://www.planning-familial.org

– Le droit de choisir, l’IVG en France et

dans le monde, Catherine Gentile, Syros(Femmes!), 2008, 157 p., 7,70 €.

►Retrouvez plus d’une centaine denotes de lecture jeunesse, regroupéesautour de mots clés (racisme, histoire,luttes sociales...) ou dans des dossiersthématiques (sans-papiers, féminisme,précarité, Palestine, philo). www.cnt-f.org/nautreecole rubrique«N’autre bibliothèque»

(Rubrique coordonnée par François Spinner).

HistoireTémoignagesÉducationLittératurejeunesse

46 N’AUTRE école, n° 27, automne 2010

Lectu

res

Nous avons aussi reçu...– Tout au bout de monjardin, Thierry Maricourt(texte), Anaïs Ruch (illustration),Chant d’orties (Les coquelicotssauvages), 2010, 24 p., 10 €(à partir de 3 ans).

Quoi de plus commun entre une

petite fille, des hérissons et une

autoroute? Thierry Maricourt et

Anaïs Ruch nous donnent avec

cet album jeunesse une vision

écologique, poétique et drama-

tique du tout voiture qui envahit

l’espace et le paysage: «L’au-toroute sera là. Derrière cestouffes de boutons d’or, decoquelicots et de pissenlits oùles hérissons se cachent, et àla place des framboisiers etdes groseilliers.»

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47N’AUTRE école, n° 27, automne 2010

Avec, par ordre d’apparition dans ce numéroGérard Mordillat – Nadia Monier – François Spinner– Franck Antoine – Jean-Pierre Fournier – SorayaAntoine – Maëlle Antoine – Marc Cantin et Isabel –Collectif anti hiérarchie – CNT STE 75 – FrançoisBégaudeau – CNT éducation 69 – Nicole Chosson etMaryvonne Ménez – Fabien Clavel – Greg – PascalMoncey – Éric Zafon – «T» – Rémi David – Ayerdhal– Gaëtan Le Porho.Correction: Solange Bidault (un grand mercipour tes corrections «éclair» !).Conception de la une : Sylvain Peirani.Maquette et mise en page: Grégory Chambat.

N’AUTRE école (n°27 – octobre 2010)Périodicité: trimestriel / Prix du n° : 4 € – ISSN 1638-329X

Revue de la Fédération des travailleurs/euses de l’éducation qui regroupe au sein de la Confédération nationale du travail (CNT)l’ensemble des travailleuses/eurs de l’éducation.

Contact rédaction et abonnementsN’AUTRE école - CNT-FTE, 33 rue des Vignoles75020 Paris ou par mail : [email protected]

impressionImprimerie Bambel, 91480 Quincy-Sous-Sénart.

Directeur de publicationMaylis Le Deun.

Comité de rédactionÉric Zafon – François Spinner – Gérard Rigaldo – Katia Odiot – PascalMoncey – Mary vonne Menez – Marie Magniat – Julien Ollivier – Jean-Pierre Fournier – Fabien Delmotte – Nicole Chosson – Jean-LouisCordonnier – Grégory Chambat – Jérôme Ceccaldi – GrégoryBenzekry – Franck Antoine.

Dossier | L’école dans dix ans...

Anti-sèche

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FichagesRéformesInspection

Base élève

Dispositifs à la conCompétences

Fichages

Les évaluations des élèves et le contrôle des personnels sont au cœur des réformes de l’éducation. ils accompagnent les réductionsmassives de postes. Les réponses à cette politiquede destruction sont dispersées et trop souventtimorées. elles nous condamnent à subir chaqueannée de nouveaux reculs et touchent plusviolemment à chaque fois les élèves et familles des quartiers populaires. Mais il n’y a pas de fatalité! Comprendre les enjeux des évaluations,de l’individualisation de la formation, etc. permet de construire des ripostes.

?quels enjeux?

2 & 3 déc. 2010, à Paris

2 journées de formation syndicale

de droit sur votre temps de travail

Demande à faire avant le 1er novembre.

Ces deux journées de partage et de débat sont ouvertes à tous les personnels de l’Éducation nationale. La participation à la formation syndicale reste de droit sur votre temps de travail.il suffit d’en faire la demande au moins un mois à l’avance,donc avant les vacances d’automne, à l’inspectionacadémique (primaire) ou au chef d’établissement(secondaire) selon le modèle ci-dessous (voir aussi notre site).Le stage se tiendra les 2 et 3 décembre à la Bourse du travail de Paris, rue du Château-d’eau, près de la placede la république (à partir de 9 heures). si vous venez d’uneautre région, l’hébergement chez des collègues est possible.

Où ? Bourse du travail de Paris.

Quand ? Les 2 & 3 décembre.

Comment ?

Infos : [email protected]

Demande administrativeavant le 1er novembre.

Inscription par mail.

http://stageantihierarchie.revolublog.com

?

Modèle de demande administrative

Évaluations,

Nom : ................... À…........., le…......Fonction : .............Affectation : ..............M. l’inspecteur d’Académie du 1er degrés/c M. l’inspecteur de l’Éducation nationale

demande de congé pour formation syndicaleJe soussigné …........... demande à bénéficier d’uncongé pour formation syndicale de deux jours, en appli-cation de la loi n° 84-16 du 11/1/1984 (article 34,alinéa 7), en vue de participer à la session de forma-tion syndicale qui se déroulera les 2 & 3 décembre2010 à Paris, organisée par Émancipation tendanceintersyndicale, sous l’égide du Centre national deformation syndicale de la Fsu (104, rue romainrolland, Les Lilas, 93), organisme agréé selon le Jo du10/2/1995 et l’arrêté du 13/1/2009.

Je vous prie de croire, Monsieur l’inspecteur d’Acadé-mie, à mon dévouement au service public d’éducation. signature

émancipation !tendance intersyndicale

FéDéRatioN CNt éDUCatioNFéDéRatioN SUD éDUCatioN