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DU SAMEDI 2 AU LUNDI 4 OCTOBRE 2010 L’Echo 39 CULTURE & LOISIRS WEEKEND Par Géraldine Vessière S i les arts Russe et Chinois ont percé, ces dix dernières an- nées, et s’ils ont suscité un en- gouement — parfois déme- suré — de la part de certains collectionneurs, voire inves- tisseurs, l’art du Moyen- Orient a aussi recueilli sa part de succès. L’intérêt pour celui-ci, amorcé dès les an- nées 90, s’est encore accru à partir de 2005, lorsque Christie’s a installé un bu- reau à Dubaï. La brèche était ouverte. So- theby’s et Bonham’s s’y sont rapidement engouffrés. Plusieurs foires de portée in- ternationale, telles Art Dubaï et Abu Dhabi Art ou encore la petite dernière Menasart, ont également vu le jour. Résul- tat: aujourd’hui, la région accueille plus de 9 rendez-vous par an, avec le marché in- ternational pour promouvoir ses artistes contemporains. Parmi ceux-ci, six ventes aux enchères. À cela s’ajoutent les ventes orchestrées en Occident. Depuis 2006, Christie’s aurait ainsi réalisé un chiffre d’affaires de 66 millions de dollars avec ses ventes d’art moderne et contemporain du monde arabe et iranien. Sotheby’s et Bon- ham’s arriveraient loin derrière. Selon certaines estimations, elles auraient, en- semble, atteint moins de la moitié de cette somme. Une bonne partie de ce marché reste cependant entre les mains des gale- ristes, un milieu où on ne dévoile que rare- ment des chiffres ou des noms. «Les ac- teurs internationaux, vendeurs, maisons de ventes, galeristes, sont à la recherche du prochain marché, commente Iain Robert- son, Head of Art Business Studies de l’Ins- titut Sotheby’s of Art, à Londres. Le Moyen-Orient présente un potentiel de croissance important. Énormément d’ar- gent est brassé dans la région et les prix en- core abordables de l’art islamo-arabe, com- paré à ceux de l’art occidental, attirent les collectionneurs et les musées.» La force marketing des maisons de vente a ainsi contribué à donner une visibilité internationale à des artistes qui, jusque- là, étaient connus essentiellement dans leur région. GRANDE DIVERSITÉ Création et promotion ne semblent ce- pendant pas occuper le même espace géo- graphique. Si le marché et le mécénat se trouvent principalement dans la région du Golfe, la force créative vient plutôt d’Egypte, d’Iran, du Liban ou encore de Syrie. Parmi les figures reconnues au- jourd’hui sur la scène internationale, on retrouve par exemple les Iraniens Farhad Moshiri, Parviz Tanavoli, Hossein Zende- roudi, Mohammad Eshai, L’Egyptien Mahmoud Said, le Syrien Fateh Moudar- ris ainsi que l’Irakien Ismail Fattah, entre autres. Impossible cependant de parler d’un art arabe tellement le secteur est vaste. En termes de territoire d’abord. L’hétérogé- néité des pays se reflète dans les dénomi- nations données à ce marché par les mai- sons de vente: art arabe et iranien chez Sotheby’s, art arabe, iranien et turc chez Christie’s ou encore art arabe, iranien, in- dien et pakistanais chez Bonham’s. En termes d’influences ensuite. Si certains artistes restent ancrés dans leurs tradi- tions, d’autres semblent plutôt trouver leur inspiration dans l’art contemporain occidental. Beaucoup de ceux qui sont au- jourd’hui reconnus au niveau internatio- nal ont d’ailleurs émigré vers l’Occident. FORTE RÉSILIENCE Comme tous les autres secteurs, le mar- ché de l’art moderne et contemporain arabe et iranien n’a pas été épargné par la crise. Il a cependant très vite relevé la tête. Les résultats des ventes d’avril 2010 et particulièrement celle de la collection du docteur Mohammed Said Farsi en témoi- gnent. Organisée par Christie’s Dubaï, cette dernière a totalisé 15,2 millions de dollars soit 3 fois plus que les estimations. Et la pièce maîtresse, le tableau «Les Cha- doufs» de L’Egyptien Mahmouf Said, a été adjugée à 2,4 millions de dollars, soit dix fois son estimation. «La vente de la collection du docteur Mo- hammed Said Farsi a amené d’autres col- lectionneurs à nous proposer leurs biens. D’habitude, ils mettent plutôt une ou deux œuvres en vente à la fois, mais ici on voit ar- river des collections entières», commente William Lawrie, directeur de Christie’s Dubaï. «Le renouvellement du stock d’œu- vres est toujours un de nos défis, mais pour le moment, cela va.» Quel est l’avenir du marché de l’art contemporain arabe? Selon Iain Robert- son, il est plus résilient que le marché de l’art chinois, la région, à l’exception de l’Iran, étant moins refermée sur elle- même. À cela s’ajoute un pouvoir d’achat relativement élevé ainsi qu’une demande qui risque d’être soutenue dans les pro- chaines années. Et pour cause: les buil- dings poussent comme des champignons dans les pays du Golfe et les musées s’y multiplient. Le vaste projet Saadiyat Is- land sur la côte d’Abu Dhabi prévoit d’en créer pas moins de quatre et le Sheikh Ha- mad Ibn Khalifa Al Thani, 10 e plus grand collectionneur au monde selon le maga- zine «Artnews», a participé à la mise sur pied de deux musées à Doha, au Qatar. Ces nouveaux espaces devront être aménagés et décorés, ce qui entraînera probable- ment de nombreux débouchés pour les ar- tistes contemporains. «C’est peut-être ce qui explique cet engouement pour des ta- bleaux de grande taille que l’on observe ac- tuellement, commente Anis Hani, expert, à la Chambre Européenne (Cecoa). Ce marché ne sera cependant porteur que pen- dant une courte période, 15 ou 20 ans, pas beaucoup plus.» Les 5, 6 et 7 octobre, Christie’s, Sotheby’s et Bonham’s organisent à Londres leurs ventes semestrielles d’art islamique. Suivent, les 11, 20 et 26 du même mois, les ventes d’art moderne et contemporain arabe et iranien. État des lieux d’un art qui trouve sa place sur le marché international. C hristie’s, Sotheby’s et Bon- ham’s organisent en ce début octobre leurs ventes semestrielles d’art islamique, un marché qui re- présente un chiffre d’affaires su- périeur à celui de l’art arabe mo- derne et contemporain et présente encore un potentiel im- portant. Rencontre avec Anis Hani, expert à la Chambre euro- péenne (Cecoa). Que recouvre exactement l’art islamique? Anis Hani Les définitions va- rient. Certains lui donnent une in- terprétation restrictive, limitant ce terme à l’art religieux, d’autres, dont je fais partie, optent pour une vision plus extensive, à savoir les travaux créés sur un territoire ou à une période sous régime isla- mique, mais non restreints aux œuvres religieuses. C’est un art de plus de 15 siècles qui couvre des domaines aussi variés que la calli- graphie, les manuscrits, les minia- tures, la céramique, le textile ou encore des travaux en métaux pré- cieux et l’architecture. La peinture et les tableaux de style plus occi- dental, forts présents dans l’art moderne et contemporain, ne sont par contre apparus que vers le XIX e siècle. L’art islamique se caractérise aussi par sa multicul- turalité, tant en termes de reli- gion, que de période, d’espace géo- graphique ou d’influences. La céramique Iznik, par exemple, est une adaptation de la céramique chinoise. Quant à la calligraphie arabe, elle a été en grande partie influencée par la tradition d’écri- ture judéo-chrétienne. Sur le marché international, il commence à s’affirmer... Si l’on pense en termes de placement, l’art islamique, mal- gré les records enregistrés lors de certaines ventes, reste encore largement en dessous de la valeur qu’il devrait atteindre. Aujourd’hui il est toujours possi- ble d’acquérir des objets et de constituer des collections à des prix «raisonnables». Je suis cependant persuadé que les prix vont bientôt flamber. La demande ne cesse de croître et une nouvelle génération de col- lectionneurs s’intéresse à ce domaine. Qui sont les principaux ac- teurs? Le marché est à 70, voire à 80%, entre les mains des maisons de vente aux enchères et la place forte reste Londres. Il y a bien des ventes dans d’autres pays, en France et en Allemagne notam- ment, mais Londres est incon- tournable. Quant aux acheteurs, les musées jouent un rôle relativement im- portant – le Louvre, par exemple, compte bientôt ouvrir une section dédiée à l’art islamique. Les col- lectionneurs privés sont égale- ment influents. Ces derniers vien- nent pour la plupart du Moyen Orient, qu’ils y vivent ou qu’ils en soient originaires. En général, ils se spécialisent dans une sous-ca- tégorie, comme les miniatures, la céramique ou la calligraphie. Parmi les collectionneurs les plus influents, on retrouve l’Aga Khan, le prince de Brunei, Nasser David Khalili, un juif iranien qui est le plus grand collectionneur privé d’art islamique, ou encore les principaux membres de la famille royale du Koweït, Cheikh Nasser Sabah al-Ahmad al-Sabah et son épouse Cheikha Hassah Sabah al- Salem al-Sabah. À côté de cela, il y a les collectionneurs moyens. Ces amateurs achètent des œuvres que j’appelle «économiques», belles mais sans fioritures. C’est un marché à ne pas négliger. Il ex- plose avec les ventes sur Internet, notamment sur eBay. Quelles sont les pièces clefs des ventes d’octobre de Sotheby’s Christie’s et Bonham’s? Tout dépend des critères. Si nous nous concentrons sur des considérations esthétiques et historiques, je dirai qu’il existe deux sortes d’œuvres en art isla- mique: celles que je regarde et vers lesquelles je vais par curio- sité ou par intérêt esthétique et académique – bien que rares, elles sont la majorité de ce qui se présente à nous –, et celles qui viennent vers moi, me regardent et me troublent, comme si elles occupaient, depuis toujours, les couloirs secrets de mon musée imaginaire. Dans les prochaines ventes de Londres, cinq œuvres font partie de cette collection imaginaire. Il s’agit de trois manuscrits coraniques de la période des Safavides présentés dans la collection Princière de Sotheby’s (les lots 26, 27 et 28 de la vente du 5 octobre 2010), d’une stèle royale en stuc de la période des Seldjoukides (lot 99 de Christie’s) et d’un bassin en bronze également de la période des Seldjoukides (lot 107 chez Bonham’s). On retrouve dans ces lots cette pluridisciplinarité qui caractérise l’art islamique. Pour chacun, des maîtres, en calligra- phie, enluminure, miniature, fabrication de papiers ou encore reliure se sont côtoyés. Ces cinq œuvres, que j’espère retrouver dans un musée prestigieux, témoignent, de manière limpide, à quel point l’art islamique est à la fois un art multiculturel et plu- ridisciplinaire. Ce marché présente des diffi- cultés spécifiques, non? Une des difficultés majeures dans ce domaine est l’authenti- cité des pièces. Beaucoup de faux sont en circulation et les faus- saires sont souvent plus forts que les experts. D’autant plus qu’il n’est pas possible de faire des tests chimiques sur certains matériaux, comme les plats en métaux précieux. La valeur d’une œuvre est la valeur de sa prove- nance. Il y a certainement des travaux à ne pas laisser passer! Il y en a beaucoup. Je pense notamment à un grand maître de calligraphie du début du XX e siè- cle, Yahya Hilmi Efendi (1833- 1907), un des derniers calli- graphes de la période ottomane. Certaines céramiques d’Afrique du Nord, plutôt considérée comme de l’art ethnique, sont très réputées, de même que des œuvres provenant d’ateliers comme Al-Qallâlîn. Un artiste comme Chemla est également très intéressant. Ce juif tunisien a réalisé des chefs-d’œuvre de la poterie arabo-musulmane. Propos recueillis par G.V. Multiculturel et pluridisciplinaire, sur plus de 15 siècles L’art islamique Des prix (encore) abordables © Doc © Doc

Marché de l'art islamique - L'Echo - 2 oct. 2010

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DU SAMEDI 2AU LUNDI 4 OCTOBRE 2010 L’Echo 39

CULTURE & LOISIRS WEEKEND

Par Géraldine Vessière

Si les arts Russe et Chinois ontpercé, ces dix dernières an-nées, et s’ils ont suscité un en-gouement — parfois déme-suré — de la part de certainscollectionneurs, voire inves-tisseurs, l’art du Moyen-

Orient a aussi recueilli sa part de succès.L’intérêt pour celui-ci, amorcé dès les an-nées 90, s’est encore accru à partir de2005, lorsque Christie’s a installé un bu-reau à Dubaï. La brèche était ouverte. So-theby’s et Bonham’s s’y sont rapidement

engouffrés. Plusieurs foires de portée in-ternationale, telles Art Dubaï et AbuDhabi Art ou encore la petite dernièreMenasart, ont également vu le jour. Résul-tat: aujourd’hui, la région accueille plus de9 rendez-vous par an, avec le marché in-ternational pour promouvoir ses artistescontemporains. Parmi ceux-ci, six ventesaux enchères. À cela s’ajoutent les ventesorchestrées en Occident. Depuis 2006,Christie’s aurait ainsi réalisé un chiffred’affaires de 66 millions de dollars avec sesventes d’art moderne et contemporain dumonde arabe et iranien. Sotheby’s et Bon-ham’s arriveraient loin derrière. Seloncertaines estimations, elles auraient, en-semble, atteint moins de la moitié de cettesomme. Une bonne partie de ce marchéreste cependant entre les mains des gale-ristes, un milieu où on ne dévoile que rare-ment des chiffres ou des noms. «Les ac-teurs internationaux, vendeurs, maisons deventes, galeristes, sont à la recherche duprochain marché, commente Iain Robert-son, Head of Art Business Studies de l’Ins-titut Sotheby’s of Art, à Londres. LeMoyen-Orient présente un potentiel decroissance important. Énormément d’ar-gent est brassé dans la région et les prix en-core abordables de l’art islamo-arabe, com-paré à ceux de l’art occidental, attirent les

collectionneurs et les musées.»La force marketing des maisons de vente

a ainsi contribué à donner une visibilitéinternationale à des artistes qui, jusque-là, étaient connus essentiellement dansleur région.

GRANDE DIVERSITÉCréation et promotion ne semblent ce-pendant pas occuper le même espace géo-graphique. Si le marché et le mécénat setrouvent principalement dans la régiondu Golfe, la force créative vient plutôtd’Egypte, d’Iran, du Liban ou encore deSyrie. Parmi les figures reconnues au-jourd’hui sur la scène internationale, onretrouve par exemple les Iraniens FarhadMoshiri, Parviz Tanavoli, Hossein Zende-roudi, Mohammad Eshai, L’EgyptienMahmoud Said, le Syrien Fateh Moudar-ris ainsi que l’Irakien Ismail Fattah, entreautres.

Impossible cependant de parler d’un artarabe tellement le secteur est vaste. Entermes de territoire d’abord. L’hétérogé-néité des pays se reflète dans les dénomi-nations données à ce marché par les mai-sons de vente: art arabe et iranien chezSotheby’s, art arabe, iranien et turc chezChristie’s ou encore art arabe, iranien, in-dien et pakistanais chez Bonham’s. En

termes d’influences ensuite. Si certainsartistes restent ancrés dans leurs tradi-tions, d’autres semblent plutôt trouverleur inspiration dans l’art contemporainoccidental. Beaucoup de ceux qui sont au-jourd’hui reconnus au niveau internatio-nal ont d’ailleurs émigré vers l’Occident.

FORTE RÉSILIENCEComme tous les autres secteurs, le mar-ché de l’art moderne et contemporainarabe et iranien n’a pas été épargné par lacrise. Il a cependant très vite relevé la tête.Les résultats des ventes d’avril 2010 etparticulièrement celle de la collection dudocteur Mohammed Said Farsi en témoi-gnent. Organisée par Christie’s Dubaï,cette dernière a totalisé 15,2 millions dedollars soit 3 fois plus que les estimations.Et la pièce maîtresse, le tableau «Les Cha-doufs» de L’Egyptien Mahmouf Said, a étéadjugée à 2,4 millions de dollars, soit dixfois son estimation.

«La vente de la collection du docteur Mo-hammed Said Farsi a amené d’autres col-lectionneurs à nous proposer leurs biens.D’habitude, ils mettent plutôt une ou deuxœuvres en vente à la fois, mais ici on voit ar-river des collections entières», commenteWilliam Lawrie, directeur de Christie’sDubaï. «Le renouvellement du stock d’œu-

vres est toujours un de nos défis, mais pourle moment, cela va.»

Quel est l’avenir du marché de l’artcontemporain arabe? Selon Iain Robert-son, il est plus résilient que le marché del’art chinois, la région, à l’exception del’Iran, étant moins refermée sur elle-même. À cela s’ajoute un pouvoir d’achatrelativement élevé ainsi qu’une demandequi risque d’être soutenue dans les pro-chaines années. Et pour cause: les buil-dings poussent comme des champignonsdans les pays du Golfe et les musées s’ymultiplient. Le vaste projet Saadiyat Is-land sur la côte d’Abu Dhabi prévoit d’encréer pas moins de quatre et le Sheikh Ha-mad Ibn Khalifa Al Thani, 10e plus grandcollectionneur au monde selon le maga-zine «Artnews», a participé à la mise surpied de deux musées à Doha, au Qatar. Cesnouveaux espaces devront être aménagéset décorés, ce qui entraînera probable-ment de nombreux débouchés pour les ar-tistes contemporains. «C’est peut-être cequi explique cet engouement pour des ta-bleaux de grande taille que l’on observe ac-tuellement, commente Anis Hani, expert,à la Chambre Européenne (Cecoa). Cemarché ne sera cependant porteur que pen-dant une courte période, 15 ou 20 ans, pasbeaucoup plus.» e

Les 5, 6 et 7 octobre, Christie’s, Sotheby’set Bonham’s organisent à Londres leurs

ventes semestrielles d’art islamique.Suivent, les 11, 20 et 26 du même mois, les

ventes d’art moderne et contemporainarabe et iranien. État des lieux d’un art quitrouve sa place sur le marché international.

Christie’s, Sotheby’s et Bon-ham’s organisent en ce début

octobre leurs ventes semestriellesd’art islamique, un marché qui re-présente un chiffre d’affaires su-périeur à celui de l’art arabe mo-derne et contemporain etprésente encore un potentiel im-portant. Rencontre avec AnisHani, expert à la Chambre euro-péenne (Cecoa).

Que recouvre exactement l’artislamique?

/ Anis Hani Les définitions va-rient. Certains lui donnent une in-terprétation restrictive, limitantce terme à l’art religieux, d’autres,dont je fais partie, optent pour unevision plus extensive, à savoir lestravaux créés sur un territoire ouà une période sous régime isla-mique, mais non restreints auxœuvres religieuses. C’est un art deplus de 15 siècles qui couvre desdomaines aussi variés que la calli-graphie, les manuscrits, les minia-tures, la céramique, le textile ouencore des travaux en métaux pré-

cieux et l’architecture. La peintureet les tableaux de style plus occi-dental, forts présents dans l’artmoderne et contemporain, nesont par contre apparus que versle XIXe siècle. L’art islamique secaractérise aussi par sa multicul-turalité, tant en termes de reli-gion, que de période, d’espace géo-graphique ou d’influences. Lacéramique Iznik, par exemple, estune adaptation de la céramiquechinoise. Quant à la calligraphiearabe, elle a été en grande partieinfluencée par la tradition d’écri-ture judéo-chrétienne.

Sur le marché international, ilcommence à s’affirmer...

/ Si l’on pense en termes deplacement, l’art islamique, mal-gré les records enregistrés lors decertaines ventes, reste encorelargement en dessous de lavaleur qu’il devrait atteindre.Aujourd’hui il est toujours possi-ble d’acquérir des objets et deconstituer des collections à desprix «raisonnables». Je suis

cependant persuadé que les prixvont bientôt flamber. Lademande ne cesse de croître etune nouvelle génération de col-lectionneurs s’intéresse à cedomaine.

Qui sont les principaux ac-teurs?

/ Le marché est à 70, voire à80%, entre les mains des maisonsde vente aux enchères et la placeforte reste Londres. Il y a biendes ventes dans d’autres pays, enFrance et en Allemagne notam-ment, mais Londres est incon-tournable.

Quant aux acheteurs, les muséesjouent un rôle relativement im-portant – le Louvre, par exemple,compte bientôt ouvrir une sectiondédiée à l’art islamique. Les col-lectionneurs privés sont égale-ment influents. Ces derniers vien-nent pour la plupart du MoyenOrient, qu’ils y vivent ou qu’ils ensoient originaires. En général, ilsse spécialisent dans une sous-ca-tégorie, comme les miniatures, la

céramique ou la calligraphie.Parmi les collectionneurs les plusinfluents, on retrouve l’Aga Khan,le prince de Brunei, Nasser DavidKhalili, un juif iranien qui est leplus grand collectionneur privéd’art islamique, ou encore lesprincipaux membres de la familleroyale du Koweït, Cheikh NasserSabah al-Ahmad al-Sabah et sonépouse Cheikha Hassah Sabah al-Salem al-Sabah. À côté de cela, il ya les collectionneurs moyens. Ces

amateurs achètent des œuvresque j’appelle «économiques»,belles mais sans fioritures. C’estun marché à ne pas négliger. Il ex-plose avec les ventes sur Internet,notamment sur eBay.

Quelles sont les pièces clefs desventes d’octobre de Sotheby’sChristie’s et Bonham’s?

/ Tout dépend des critères. Sinous nous concentrons sur desconsidérations esthétiques ethistoriques, je dirai qu’il existedeux sortes d’œuvres en art isla-mique: celles que je regarde etvers lesquelles je vais par curio-sité ou par intérêt esthétique etacadémique – bien que rares,elles sont la majorité de ce qui seprésente à nous –, et celles quiviennent vers moi, me regardentet me troublent, comme si ellesoccupaient, depuis toujours, lescouloirs secrets de mon muséeimaginaire. Dans les prochainesventes de Londres, cinq œuvresfont partie de cette collectionimaginaire. Il s’agit de trois

manuscrits coraniques de lapériode des Safavides présentésdans la collection Princière deSotheby’s (les lots 26, 27 et 28 dela vente du 5 octobre 2010), d’unestèle royale en stuc de la périodedes Seldjoukides (lot 99 deChristie’s) et d’un bassin enbronze également de la périodedes Seldjoukides (lot 107 chezBonham’s). On retrouve dans ceslots cette pluridisciplinarité quicaractérise l’art islamique. Pourchacun, des maîtres, en calligra-phie, enluminure, miniature,fabrication de papiers ou encorereliure se sont côtoyés. Ces cinqœuvres, que j’espère retrouverdans un musée prestigieux,témoignent, de manière limpide,à quel point l’art islamique est àla fois un art multiculturel et plu-ridisciplinaire.

Ce marché présente des diffi-cultés spécifiques, non?

/ Une des difficultés majeuresdans ce domaine est l’authenti-cité des pièces. Beaucoup de faux

sont en circulation et les faus-saires sont souvent plus forts queles experts. D’autant plus qu’iln’est pas possible de faire destests chimiques sur certainsmatériaux, comme les plats enmétaux précieux. La valeur d’uneœuvre est la valeur de sa prove-nance.

Il y a certainement des travauxà ne pas laisser passer!

/ Il y en a beaucoup. Je pensenotamment à un grand maître decalligraphie du début du XXe siè-cle, Yahya Hilmi Efendi (1833-1907), un des derniers calli-graphes de la période ottomane.Certaines céramiques d’Afriquedu Nord, plutôt considéréecomme de l’art ethnique, sonttrès réputées, de même que desœuvres provenant d’atelierscomme Al-Qallâlîn. Un artistecomme Chemla est égalementtrès intéressant. Ce juif tunisiena réalisé des chefs-d’œuvre de lapoterie arabo-musulmane. e

Propos recueillis par G.V.

Multiculturel et pluridisciplinaire, sur plus de 15 siècles

L’art islamiqueDes prix (encore) abordables

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