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CœUR OUVERT Maria Teresa de Luxembourg Quel printemps ! Cet hiver, cette exilée cubaine s’est retrou- vée sous le feu d’accusations incendiaires dans son pays d’adop- tion. Puis il a fallu affronter la tempête du Covid… même si le Luxembourg l’a fait mieux que bien d’autres pays. Alors ce petit prince arrive à point. Futur souverain, il incarne l’avenir de la famille régnante et, comme tout bébé, redonne le sourire à sa grand-mère. La grande-duchesse (à g.) et le grand-duc Henri, avec le grand-duc héritier Guillaume, son épouse, Stéphanie, et leur petit Charles, au château de Fischbach, dimanche 31 mai. Photos Manuel Lagos Cid Entretien Caroline Mangez POUR LA NAISSANCE DE SON PETIT-FILS CHARLES, LA GRANDE-DUCHESSE NOUS PARLE. ET ÉVOQUE SON RÔLE

Maria Teresa de Luxembourg cœur ouvert - Maria Teresa, Grande … · 2020. 6. 16. · Maria Teresa de Luxembourg Quel printemps ! Cet hiver, cette exilée cubaine s’est retrou

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cœur ouvert

Maria Teresa de Luxembourg

Quel printemps ! Cet hiver, cette exilée cubaine s’est retrou-vée sous le feu d’accusations incendiaires dans son pays d’adop-tion. Puis il a fallu affronter la tempête du Covid… même si le Luxembourg l’a fait mieux que bien d’autres pays. Alors ce petit prince arrive à point. Futur souverain, il incarne l’avenir de la famille régnante et, comme tout bébé, redonne le sourire à sa grand-mère.

La grande-duchesse (à g.) et le grand-duc Henri, avec le grand-duc

héritier Guillaume, son épouse, Stéphanie, et leur petit Charles, au château

de Fischbach, dimanche 31 mai.

Photos Manuel Lagos CidEntretien Caroline Mangez

Pour la naissance de son Petit-fils charles, la Grande-duchesse nous Parle.

et évoque son rôle

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« La jeune génération nous attend sur Le terrain de L’écoLogie »Côté cour, Maria Teresa n’a pas de rôle défini par la Constitution. Côté jardin, elle aime chouchouter les fleurs. Celle qui a quitté Cuba à 3 ans et fréquenté le lycée français de New York a passé son diplôme de sciences politiques en Suisse. Aujourd’hui, elle se bat sur plusieurs fronts. Présidente de la Croix-Rouge luxembourgeoise, elle joue un rôle majeur dans la lutte contre le viol comme arme de guerre. Sur le plan de l’environnement, le grand duché a placé un quart de son territoire sous le label Natura 2000. Mais, il y a deux ans, le pays a connu un incendie de forêt apocalyptique. Une première. Et un signal d’alarme.

Entre jardinage et télétravail, elle reconnaît

qu’être confinée dans « ce merveilleux château »

est un privilège.

Avec les quatre aînés de ses petits-enfants (de g. à dr.), Noah, 12 ans, Liam, 3 ans,

Amalia, 5 ans, et Gabriel, 14 ans, au château de Colmar-Berg, résidence officielle

du grand-duc, le 30 mai.

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Paris Match. La naissance du prince Charles a-t-elle été une joie bienvenue après cette année éprouvante ?

SAR Maria Teresa de Luxembourg. C’est naturellement une joie immense pour notre famille, largement partagée avec les Luxembourgeois dont les témoignages d’affection à cette occasion nous ont infiniment touchés. Cette nais-sance, c’est la vie qui reprend le dessus

dans le contexte angoissant de crise sanitaire qui frappe le monde.Charles est né presque un an jour pour jour après la disparition du grand-duc Jean. Y voyez-vous un signe ?

Cela rend sa naissance d’autant plus émouvante. Je me dis que c’est un mer-veilleux cadeau qu’il nous a envoyé de là-haut. Le ciel pleurait il y a un an quand nous avons enterré mon beau-

père, et un grand soleil a salué la nais-sance de notre petit Charles.Votre oncle Victor Battista Falla, illustre mécène des écrivains cubains en exil, est mort récemment du Covid à Cuba, où il n’était que de passage. Etrange hasard du destin qui vous ramène à vos racines ?

C’est une histoire extraordinaire. Mon oncle, qui vivait à Madrid et n’était pas retourné à Cuba depuis soixante ans,

a soudain décidé, à la veille du confine-ment, de partir revoir son île. Arrivé à La Havane, il n’a eu que quelques jours pour marcher sur les traces de son enfance avant d’être hospitalisé dans un état grave. Les médecins cubains, répu-tés pour leur savoir-faire, l’ont traité de manière extraordinaire et nous leur en sommes très reconnaissants. Il est mort le dimanche de Pâques, dans cette ville où il était né et avait vécu jusqu’à l’âge de 30 ans. J’espère avoir bientôt l’occa-sion d’y retourner en famille pour nous recueillir devant notre caveau familial, au cimetière de La Havane, l’un des plus beaux du monde.Comment avez-vous rencontré pour la première fois ce cinquième petit-enfant, né en plein confinement ?

Comme tous les grands-parents qui ont accueilli des petits enfants à ce moment-là : par Skype... Vive les nou-veaux moyens de communication ! Mais Guillaume et Stéphanie ayant très bien fait les choses, Charles est né la veille du jour où les grands-parents ont été à nou-veau autorisés à visiter les maternités. Nous avons donc pu vivre une rencontre inoubliable avec notre adorable petit-fils dès le lendemain.Comment votre famille a-t-elle vécu le confinement ?

Chacun de nos enfants menant sa vie, chacun a vécu le confinement chez lui, dans des pays différents, là où ils tra-vaillent. Nous nous sommes retrouvés, mon mari et moi, en tête-à-tête la plu-part du temps dans le merveilleux châ-teau de Colmar-Berg, puisque l’essentiel du personnel était rentré chez lui se mettre à l’abri. Nous préparions nos repas seuls et avons mis à profit cette période pour « télétravailler », en quelque sorte. Nous passions nos jour-nées au téléphone : le Grand-Duc affairé à joindre des institutionnels – direction des hôpitaux, pompiers, armées, police, représentants de chefs d’entreprise, syn-dicats… – et moi, m’efforçant de pour-suivre autrement les œuvres sociales ou culturelles auxquelles je me dédie. J’étais quotidiennement en contact avec de nombreuses associations : la Croix-Rouge, celle des infirmiers et infirmières dont j’ai le haut patronage, et d’autres encore s’occupant de malades en fin de vie, de femmes battues. Je me suis aussi impliquée auprès des artistes. J’ai aimé ces échanges téléphoniques directs, plus intimes, moins protocolaires parfois. Et j’espère avoir su apporter distraction et

réconfort. De beaux projets sont nés de là : je viens d’enregistrer un conte tradi-tionnel sous la direction du réalisateur luxembourgeois Serge Tonnar, très actif durant cette période sur les réseaux sociaux. Ce sera une jolie histoire à raconter à mes petits-enfants. Vous chantez ?

Souvent, j’adore ! J’ai toujours chanté accompagnée de la guitare et j’ai même un petit projet de disque dans l’air au profit de ma fondation. Il faut savoir se réinventer (rires) !Face à ses voisins belges et français, le Luxembourg sort grandi de sa gestion de la crise sanitaire [environ 4 000 cas, 110 décès pour 825 000 habitants, trans-frontaliers compris]. Comment l’expli-quez-vous ?

La faible densité de population et le fait que le Luxembourg accueille de nombreux laboratoires de recherches en biomé-decine ont sûrement contribué à ce succès. Mais surtout, le gouver-nement s’est organisé de façon exemplaire. La ministre de la Santé, Paulette Lenert, a su créer une cellule de crise particulièrement efficace, couvrant très tôt les besoins dans tous les domaines et prenant les bonnes directives en matière de tests et de port

du masque obligatoire. Rapidement, cin-quante masques ont été envoyés par nos services postaux à chacun de nos rési-dents ainsi qu’aux transfrontaliers. Je voudrais remercier ces derniers, Français, Belges et Allemands. Ils constituent une partie importante du personnel soignant dans nos hôpitaux et maisons de retraite et, sans eux, nous n’aurions pas été capables de faire face à la situation de la même manière.Le petit prince héritier a vu le jour dans un monde bouleversé par une crise sans précédent. Naître dans ce « monde d’après » doit-il faire de lui, selon vous, un être différent ?

Ce serait triste et désespérant si le monde n’apprenait pas de cette crise. Elle nous oblige à réaliser combien nous sommes tous inexorablement interdé-pendants. Nous ne pouvons plus vivre

sans nous soucier du malheur des autres, et en même temps nous devons apprendre à redevenir régionale-ment autosuffisants, au

moins en matière de produits de pre-mière nécessité. Le confinement nous a offert une étrange parenthèse enchantée en permettant à la nature de reprendre un peu ses droits : le ciel est redevenu bleu au-dessus de Delhi,

Un entretien avec Caroline Mangez

ELLE A TOUJOURS CHANTé ET A UN PROJET DE DISQUE

DANS L’AIR

« J’ai toujours pensé qu’il y a quelque chose d’injuste à faire peser

sur un enfant une destinée sans possibilité d’y échapper »

Leurs Altesses dans le parc du château de Colmar-Berg, édifié

au début du XXe siècle.

(Suite page 66)

Maria Teresa tout en tendresse avec le nouveau bébé-bonheur du Luxembourg.

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les oiseaux se sont remis à chanter en ville… J’espère que cela nous amènera à renoncer à tous nos excès et à respecter un peu plus la planète, pour que tous les petits Charles puissent grandir et vivre dans un monde ayant un avenir. Cet enfant naît avec une charge particu-lière sur ses épaules. Comment vous, ses grands-parents, avec votre expérience, allez-vous le préparer à l’accepter ?

J’ai toujours pensé qu’il y a quelque chose d’injuste à faire peser sur un enfant une destinée sans possibilité d’y échapper. Mon mari et m o i av o n s é l e v é Guillaume, son père, en lui faisant com-prendre qu’il n’était pas condamné à embrasser ce destin. Lorsqu’il en a éprouvé le besoin, nous lui avons laissé le temps d’y réfléchir, dans la discrétion. Puis il est revenu nous dire qu’il accep-tait avec joie de succéder à son père le moment venu. Quant à Charles, c’est à ses parents de le préparer et je suis per-suadée qu’ils seront d’excellents parents.Allez-vous expliquer à Charles, comme à cette petite fille libanaise qui s’étonnait lors d’un de vos voyages caritatifs de ne pas vous voir porter de couronne, qu’« être prince n’est pas ce que l’on prétend » ?

Absolument. Notre grande préoccu- pation ayant toujours été d’éviter toute jalousie, très jeunes, nous avons expliqué à nos enfants que, certes, l’aîné d’entre eux était amené à un destin particulier, assorti de privilèges, mais aussi de devoirs et de sacrifices, puisqu’il ne pourrait ni pratiquer le métier de son choix, ni vivre où bon lui semblait. Si, aujourd’hui, vous demandiez à nos quatre autres enfants Félix, Louis, Alexandra et Sébastien s’ils envient la place de Guillaume, ils vous répondraient en chœur qu’ils sont très heureux avec leurs vies. Nous leur avons aussi appris à se soutenir mutuellement, en leur disant que Guillaume serait tou-jours là pour eux, mais qu’il aurait aussi besoin de leur aide dans la difficile tâche qui allait lui incomber. Et c’est une réus-site : je vois Guillaume épanoui et heu-reux à la place qu’il occupe, toujours soucieux du bien-être de ses frères et de sa sœur, et eux si protecteurs envers lui et son épouse. J’espère qu’un tel esprit se perpétuera entre Charles et ses cousins.A la suite de la divulgation d’un rapport sur le fonctionnement de la maison grand-ducale, fait rarissime, le Grand-Duc est sorti de sa réserve pour vous défendre,

mettant en avant que vous étiez la mère de vos cinq enfants et une grand-mère aimante. Ses mots vous ont-ils touchée ?

J’ai beaucoup apprécié le caractère exceptionnel du geste de mon mari. Nous sommes un couple extrêmement uni, et pudique. Lorsque l’un de nous est visé, l’autre souffre presque davantage. Certaines attaques émises à mon encontre nous ont surpris et blessés. Ma

particularité d’exilée cubaine fait que lorsque je me suis mariée, j’ai non seulement épousé un homme mais aussi le Luxembourg, avec lequel je vis une his-

toire d’amour depuis près de quarante ans. Je n’ai pas envie de la voir abîmée. S’interrogeant sur les raisons de ce déchaînement à votre encontre, votre époux évoquait dans sa lettre aux Luxembourgeois vos combats légitimes, notamment contre les violences sexuelles, la dyslexie, la maltraitance des enfants emprisonnés, qui nécessaire-ment vous exposent…

Mes engagements en tant que Grande-Duchesse m’ont sensibilisée aux problématiques des femmes. Je veux continuer dans cette voie. Des situations les plus graves que sont les violences sous toutes leurs formes à ce qu’il y a de plus insidieux, et peut-être de plus répandu : la misogynie à laquelle j’ai été confrontée récemment. Le Grand-Duc a évoqué aussi votre volonté commune de moderniser la monarchie…

Nous essayons depuis le début du règne de faire avancer les choses mais, comme dans beaucoup d’anciennes ins-titutions, nous nous sommes heurtés à une très grande résistance interne. Mon mari voulait depuis longtemps mettre en place certaines des réformes préconi-sées dans ce rapport. Mais, trop souvent, des personnes en situation de responsa-bilité à l’intérieur de notre propre mai-son ont résisté à ses demandes. Ce rapport rappelait de manière cin-glante qu’en tant que Grande-Duchesse, vous n’avez pas de rôle constitutionnel. Vivez-vous comme une souffrance l’effa-cement que cela sous-entend ?

Je ne le vis pas comme une souf-france, car je n’ai jamais prétendu au moindre rôle constitutionnel. J’assume une tâche difficile qui m’oblige à donner la priorité à ma vie officielle sur ma vie privée et familiale et cela mérite d’être

reconnu. Tout est contradictoire : d’un côté, on attend de moi d’être là, aux côtés de mon époux, en représentation, et de l’autre, on me rappelle insidieusement que je ne représente rien. En psychologie, cela s’appelle des injonctions para-doxales. On me reproche d’avoir trop d’influence sur mon mari ? Nous sommes un couple, nous échangeons, dialoguons, partageons nos préoccupations. Rien de plus normal, il me semble. N’attend-on pas de toute épouse qu’elle épaule son mari, a fortiori s’ils sont royaux ou hommes d’Etat ? Je me souviens des très jolis mots du roi Albert II des Belges ren-dant hommage à son épouse, la reine Paola. Il disait en substance qu’il n’aurait pas pu vivre sa vie de souverain sans son soutien constant. Malgré les privilèges, être deux pour faire face à ces vies « hors norme » me paraît important. Ce n’est pas un plaisir d’évoquer ces choses et, croyez-moi, si je le fais, c’est uniquement avec le souci de préparer une voie meilleure aux générations futures. Qui sait, un jour peut-être, l’épouse du prince Charles m’en remerciera. Etes-vous une rebelle ?

Je ne me sens pas rebelle, plutôt novatrice. La monarchie contemporaine est une institution importante et com-plexe. Nous avons un pied dans la tradi-tion, un autre dans le XXIe siècle, et il faut trouver son équilibre entre les deux. Il faut savoir innover dans le respect de la constitution par des actions ayant un sens. C’est ce que je m’efforce de faire à travers mes engagements humanitaires et sociaux, et c’est ce que mon mari fait en participant, par exemple, aux réu-nions de la COP avec la ministre de l’Environnement. Je crois que c’est sur ce terrain que nous attend la jeune géné-ration luxembourgeoise.Votre belle-fille, la grande-duchesse héri-tière Stéphanie, a perdu ses parents. Cela vous donne-t-il une double responsabi-lité envers cette jeune maman ?

Nous sommes p le inement conscients de la responsabilité que nous avons comme seuls grands-parents de Charles. Au moment de sa naissance, mon cœur s’est serré à l’idée que Stéphanie ne partagerait pas ce moment essentiel avec sa mère et son père. Mon mari et moi lui montrons que nous sommes là pour elle et qu’elle peut tou-jours compter sur nous. Je sais aussi, et c’est heureux, qu’elle est très entourée par ses nombreux frères et sœurs, aux-quels des liens très forts l’unissent. n

Le grand-duc héritier Guillaume, son épouse la grande-duchesse héritière Stéphanie et leur fils Charles, né le 10 mai dernier à Luxembourg, devant le château de Fischbach où ils habitent depuis février. Le regretté grand-duc Jean y séjournait jusqu’à son décès le 23 avril 2019.

LE SOUVENIR DES TRèS JOLIS MOTS DU ROI ALBERT

à LA REINE PAOLA