[MARIEL, P.] Les authentiques Fils de la Lumière

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Premi` re partie e

Rep` res historiques e

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C HAPITRE I

LES LIGNES DE FORCE DE LHISTOIRE MAC ONNIQUE

La franc-maconnerie est un organisme vivant vigoureux et vivant. Or, la vie est caract ris e par une adaptation an milieu ambiant. Chaque e e adaptation, chaque crise de croissance marque un organisme, permet, en quelque sorte, de comprendre son pr sent et de pr voir son avenir. e e Pour comprendre la franc-maconnerie, il est donc indispensable de connatre, sinon son histoire, au moins les lignes de force , les cou rants de cette histoire. Nous allons tenter de les d couvrir, de lintrieur. e e En pr cisant tout de suite que rien nest plus difcile, conjectural, que de e d chiffrer lhistoire dune soci t secr` te ou tr` s discr` te. e ee e e e Car, par d nition, les personnes qui naiment pas que les autres soccupent e de leurs affaires gardent le moins darchives possible et nh sitent pas, e ` chaque fois quelles le peuvent, a brouiller les pistes. Dans le cas pr sent, la situation se complique encore les historiens e maconniques sont, bien souvent, des pol mistes. Les historiens anti e maconniques, des pamphl taires. Lobjectivit , la s r nit ne sont le fait ni e e ee e des uns ni des autres. Un des plus illustres penseurs de tous les temps, M. de La Palice, va nous guider pour nos premiers pas dans ce d dale. Les francs-macons sont e dabord des macons, cest-` -dire des constructeurs. a Pourquoi sont-ils d clar s francs ? Que construisent-ils ? Cest ce que nous e e allons savoir. En nous reportant au moyen age. ` Par une r action dialectique normale, a lanarchie des invasions barbares e a succ d une soci t humaine fortement hi rarchis e. En particulier, les e e ee e e ` corps de m tiers sont soumis a des juridictions pr cises : corporations, e e confr ries, jurandes, ghildes, etc. e ` Ces associations ob issaient a des directives pr cises. Dabord, elles e e prot geaient mat riellement les travailleurs : elles etaient les pr curseurs e e e 3

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de nos actuels syndicats. Elles surveillaient la qualit du travail ex cut . e e e ` Mais, surtout, elles correspondaient a une conception du travail diff rente e de la notre. Actuellement, pourquoi travaillons-nous ? Pour gagner notre vie et celle de notre famille, parfois m me pour nous enrichir. e Tout autre etait au moyen age la conception du travail. Elle etait non pas sociale, mais ontologique, tout comme dans lInde des castes. ` Lapprenti, le compagnon ou le matre dune corporation m di vale donnait a e e son labeur un caract` re sacr . e e La cit humaine etant une ebauche (ou un reet) de la Cit Divine, le travail, e e fait avec amour, devenait une pri` re active qui divinisait la soci t terrestre. e ee On navait pas encore dit (mais on savait d j` ) que lHomme est la pri` re ea e de la Terre et que cette pri` re sexprime par une liturgie, le Travail. e Autrement dit, au moyen age, le travail a un caract` re sacr , du moment e e ` quil est soumis a une certaine tradition et quil est ex cut selon un certain e e etat desprit. Tout le contraire donc du struggle for life dont nous sommes actuellement les esclaves. ` Revenons maintenant aux macons. Le terme navait pas tout a fait lac ception contemporaine. Il d signait non seulement les ouvriers mais les e conducteurs de travaux et les architectes. Ils se divisaient dailleurs en macons ordinaires et en macons instruits. En anglais : rough-masons et free masons. . . dont nous avons fait francs-macons. Lesquels free-masons etaient etroitement group s en corporations puise ` santes, r pandues dans toute la Chr tient (et au-del` sans doute) a qui e e e a nous devons les chefs-duvre du roman et de logival. Selon les n cessit s des chantiers, ces constructeurs circulaient librement e e ` dun royaume a lautre ; monarques et pontifes leur avaient accord de e nombreux privil` ges. Ils jouissaient dune grande ind pendance mat rielle e e e et dune certaine libert intellectuelle. e ` e Justement ers dappartenir a l lite sociale, ils constituaient un corps d tat e bien prot g par des barri` res de secrets traditionnels. e e e Les matres etaient peu nombreux et de haute science. Ils se recrutaient par cooptation et nadmettaient quun petit nombre dapprentis, tri s sur le e volet , dans leurs lieux de r union ou loges. Ils soumettaient leurs futurs e ` successeurs a une s v` re discipline, veillaient sur leur instruction technique e e et sur leur valeur morale, car ils savaient quon ne r ussit une grande uvre e que si lon garde un cur pur. Les apprentis ne devenaient compagnons quapr` s une s rie dexamens e e (techniques et moraux).

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Il fallait donc beaucoup de temps et de travail pour poss der la pl nitude e e de lenseignement franc-maconnique. Pour se reconnatre des rough-masons et autres profanes , les fr` res echangeaient entre eux des signes, des e mots, des gestes qui leur servaient, en quelque sorte, de passeport au cours de leurs nombreux voyages. Mais il y avait dautres secrets franc-maconniques, autrement plus impor tants. Alors, lenseignement technique etait oral : point de livres, enorm ment e danalphab` tes. Seuls, les francs-macons savaient se servir de certains oue tils, eux seuls apprenaient des formules de m canique, de projection, de e trigonom trie, indispensables dans lart de b tir. e a Eux seuls savaient tracer un plan et d grossir une pierre brute jusqu` ce e a quelle devienne une clef de voute. Cet enseignement, ils se le transmettaient dun facon symbolique, an que les rough-masons ne sen emparent jamais. Mais il est une troisi` me cat gorie des secrets maconniques connus seulee e ment des maitres duvre et qui se rapportaient au caract` re sacr , liture e gique, du Travail. Ce qui demande quelques pr cisions. e Que construisaient les francs-macons ? Non point des demeures civiles ou des b timents militaires, mais des temples d di s a la Divinit , des eglises, a e e ` e donc des edices sacrs. e Une constante de lesprit humain exige qu` toute epoque et sous toutes a les civilisations, les edices sacr s, les temples, ob issent a certains canons e e architecturaux. Ils sont soigneusement orient s ; de justes proportions se e e retrouvent entre leurs divers el ments ; tout y est symbole. ` Les francs-macons connaissaient (et etaient seuls a connaitre) ces canons. Ils e les tenaient de la tradition de Pythagore, dont un el ment visible sexprime par le Nombre dOr ou la Section Dor e. Ils savaient que ces secrets etaient e bien ant rieurs au christianisme. e Parmi les francs-macons, un certain nombre etaient moines b n dictins. e e Pour eux, toute v rit etant contenue dans la Bible, le Temple par excellence e e e etait celui qui, sur la montagne de Sion, avait et edi par le roi Salomon, e puis reconstruit par Zorobabel et par H rode. e Et lApocalypse de Jean leur donnait la nostalgie dune Ville Sacr e, spirie tuelle et non mat rielle, la J rusalem C leste. Ils m ditaient : Que chacun e e e e prenne garde comment il b tit : pour ce qui est de la fondation, personne a e ne peut en poser une autre que celle qui a et pos e : J sus-Christ. e e * *

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Un nouveau cycle historique samorce : la Renaissance. Les principes ` a francs-maconniques subissent une eclipse. On sattache moins a b tir les temples de Dieu que les palais des rois. Linspiration individuelle sup plante les donn es traditionnelles. Les eglises sont belles mais non plus e hi ratiques. e Linvention de limprimerie permet la divulgation des secrets techniques. ` Comment les francs-macons vont-ils survivre a une telle r volution intel e lectuelle ? Remarquons dailleurs que ceux de Grande-Bretagne sont moins touch s e que ceux du continent europ en : la Renaissance y p n` tre lentement, lart e e e ogival reste en honneur jusquau XVIe si` cle. e Lesprit des vieux matres dut traverser une crise douloureuse. Puis ayant, comme on dit, fait sa croissance, la franc-maconnerie non seulement sadapta aux temps nouveaux, mais y trouva une nouvelle jeunesse. Il faut savoir que, d` s le moyen age, de hauts personnages (des intellece e tuels comme nous disons maintenant) avaient et admis dans les loges, soit comme protecteurs, soit comme chapelains. Comme les loges etaient bien gard es, que les fr` res avaient conance les uns envers les autres, on e e ` y pouvait echanger des id es qui navaient pas a venir aux oreilles du for e eccl siastique. e Ayant beaucoup voyag , les fr` res navaient pas lesprit etroit. G n reux, ils e e e e accueillaient volontiers parmi eux les rescap s de pers cutions, comme e e les Cathares, les Vaudois, les Rose-Croix et, surtout, les Templiers. Ceuxci, au temps de leur splendeur, les avaient prot g s. Les francs-macons les e e secoururent quand ils furent dans linfortune. Cest ainsi que le r seau des loges fut utilis par des chercheurs e e ind pendants qui se donnaient pour mission de sublimer lHomme et la e ` Soci t , de substituer lesprit chr tien a la lettre eccl siastique. ee e e Ces chercheurs cachaient leur enseignement sous le couvert de lalchimie. Ils afrmaient connatre une technique pour transmuer le Plomb en Or. En r alit , ils savaient que le Plomb, cest lhomme inculte, profane, esclave de e e ` ses instincts, tandis que lOr, cest lHomme v ritable, a limage de Dieu. e Ils parlaient aussi de la Rose et de la Croix et dun certain Christian Rosenkreutz. Travaillant en commun au Grand Ouvre, francs-macons, templiers, al chimistes, rose-croix sapercurent que les principes traditionnels de la ` construction sacr e sappliquaient parfaitement a lhomme, temple vivant, e ` et a la soci t future, nouvelle J rusalem. ee e Ils comprirent quon peut, quon doit, b tir sur trois plans : mat riel, hua e main, social. 6

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On nommait macons opratifs les gens de m tier ; spculatifs, les intellec e e e tuels . Bientot ceux-ci furent plus nombreux que ceux-l` . Plus nombreux a et plus agissants. Alors la technique fut supplant e par la spiritualit . Oue e tils, c r monies, enseignement secret prirent un caract` re purement symee e bolique. Lart de construire, lArt Royal, devint initiatique. La R forme entrana un s isme politique. A la notion de chr tient se sube e e e stitua celle de lEurope aux nationalit s diverses. La crise atteignit doue loureusement lAngleterre, et la franc-maconnerie anglaise. Celle-ci se divisa en une branche catholique, aristocratique, stuartiste, et en une autre branche, protestante, bourgeoise, orangiste. Scission dautant plus grave que chaque loge etait ind pendante, quaucun e organe directeur ne les coiffait . Les querelles politiques allaient-elles ` e r duire a n ant le corps maconnique ? e Non ! Car, en 1717, des macons londoniens, dinspiration protestante, f d r` rent quatre loges sous une autorit unique. Ainsi fut cr ee la Grande e ee e e Loge de Londres (puis dAngleterre). Cr ation plus opportune que l gale. Un e e certain James Anderson, pasteur, r digea une Constitution. . ., apr` s avoir e e d truit les archives de lOrdre. Ses successeurs manuvr` rent si bien que e e toutes les loges anglaises sont maintenant (et depuis 1813) sous lautorit e exclusive de la Grande Loge dAngleterre. Celle-ci sest arrog la puissance supr me sur toutes les loges de lunie e ` ` vers. Elle pr tend a la rgularit, donc a linfaillibilit . Pr tention qui nest e e e e e dailleurs pas reconnue par de nombreuses loges secr` tes, dites sauvages, et e par plusieurs pays latins, dont la France 1 . A la construction universelle, les Britanniques opposeraient volontiers la construction imp riale. Passons. . . e II D sormais, nous resterons en France. e Il y a des obdiences sur toute la surface de la terre. La franc-maconnerie e francaise a gard un caract` re profond ment original et dynamique. Elle a e e e jou (et jouera encore) un grand role politique et philosophique. Elle nest e pas g e. Ses adversaires le lui reprochent assez e Nous voici sous la R gence. Depuis la mort de Louis XIV tout ce qui e vient dAngleterre est accueilli chez nous avec faveur. . ., dont la francmaconnerie. Ainsi, en mars 1737, le duc de Luynes note dans ses Mmoires : e Il est souvent question, parmi la jeunesse, de lordre des` 1. Sauf par la Grande Loge Nationale Francaise, a Neuilly.

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frimacons. Plusieurs jeunes gens de ce pays-ci, et de nom, se sont fait recevoir depuis peu dans cet Ordre. On pr tend quil e est etabli depuis six cents ans par des titres bien authentiques, que plusieurs personnages sy sont fait recevoir. . . Il est probable, sinon certain, que lintroduction de la Maconnerie en France remontait beaucoup plus avant : je crois que lentourage ecossais et irlan` dais du roi Jacques II cr a une loge a Saint-Germain-en-Laye d` s 1688, e e loge bien entendu catholique, stuartiste, qui initia quelques gentilshommes francais. Dailleurs, de Luynes retardait surement. On a la preuve mat rielle que e ` vers 1730, une loge souvrit a Paris, rue de Buci, sous le titre de Saint Thomas au louis dargent. Le d but de la Maconnerie en France marque et explique toute lhistoire de e lOrdre dans notre pays. Aussi faut-il, pour comprendre la suite, y insister. Dabord, citons deux journaux anglais de 1734 : Nous apprenons quune loge de ma ons libres sest derni`rement tec e nue a Paris, chez Sa Gr ce la duchesse de Portsmouth. Sa Gr ce le duc ` a a de Richmond, assist dun noble Anglais de distinction, du prsident e e Montesquieu, du brigadier Churchill, de Ed. Yonge, Esquire, grefer du tr`s honorable Ordre du Bain, a re u plusieurs personnes de dise c tinction dans cette tr`s ancienne et honorable socit. e ee (SAINT-JAMES EVENING POST, 7 septembre 1734.) On ecrit de Paris que Sa Gr ce le duc de Richmond et le Dr Desa a guliers, ex-grand matre de lancienne et honorable socit des ma ons ee c libres et accepts, munis a,cet effet dune autorisation signe du Grand e ` e Martre et scelle de son sceau ainsi que de celui de lOrdre, ont e convoqu une loge a lh tel de Bussg, dans la rue de Bussy. Etaient e ` o prsents : e Son excellence le comte de Waldegrave, ambassadeur de Sa Majest e aupr`s du Roi de France, e Le Tr`s Honorable prsident Montesquieu, e e Le comte de Derwenwater, Le marquis de Lomuren, Lord Dursley, ls du comte de Berkeley, Lhonorable Mr. William Fitz-James, Mrs Knigt, p`re et ls, e Le docteur Wickmann et plusieurs personnages fran ais et anglais. c Les nobles et les gentlemen ci-apr`s dsigns ont et re us dans e e e e c lOrdre, savoir : 8

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Sa Gr ce le duc de Kingston, a Lhonorable comte de Saint-Florentin, secrtaire dEtat de S.M.T.C., e Le Tr`s Honorable lord Clieivton, ls de lord Waldegrave, e Mr. Pelman, 31r. Arminger, Mr. Colton, et Mr. Clment. e A la suite de cette crmonie, les nouveaux fr`res ont offert un splenee e dide banquet a toute la compagnie. ` (SAINT-JAMES EVENING POST, 20 septembre 1735.) Pour comprendre lint r t de ces deux coupures de presse, il est n cessaire ee e de se rappeler quelques traits de lhistoire de France. ` Le 1er septembre 1715, Louis XIV meurt. La couronne revient a son arri` ree petit-ls, un enfant de cinq ans, Louis XV. Apr` s un v ritable coup dEtat, e e ayant fait casser par le Parlement le testament du feu roi, le duc dOrl ans sadjuge la r gence quil gardera jusquen 1723. e e En 1715, la situation de la France nest gu` re brillante. Les derni` res ann es e e e e du Roi-Soleil ont et catastrophiques. Non seulement la France ne fait plus e trembler lEurope, mais elle est menac e de tous cot s. D` s 1713, Louis XIV e e a tent (trop tard) un renversement de sa politique. Il a voulu d montrer e e aux divers royaumes de lEurope occidentale que leur hostilit contre la e ` France les mettait, en fait, a la merci des Anglais. Il a essay de pr senter le e e Royaume des Lys comme un m diateur et non comme un conqu rant. e e Cette politique n tait qu` peine amorc e en 1715. e a e ` Le R gent se heurte, d` s sa prise de pouvoir, a de tr` s graves difcult s e e e e int rieures : crise nanci` re allant jusqu` la banqueroute, ebranlement du e e a pouvoir absolu, essai dun gouvernement polysynodal. La France doit sallier avec une autre grande puissance pour consolider sa situation internationale. Stipendi par la Cour de Saint-James, le cardinal Dubois 2 , ministre des e Affaires etrang` res, impose lalliance anglaise. Dans le m me temps, la e e Grande-Bretagne polarise les id es de libert , dabondances, de lutte contre e e un catholicisme d suet. e Cette alliance fait merveilleusement le jeu du roi dAngleterre, George II, et de son ministre, Walpole. Elle affermit les droits contest s de la dynastie e` 2. Portrait de Dubois par Saint-Simon : Tous les vices combattaient en lui a qui en demeurerait le matre. Ils y faisaient un bruit et un combat continuel entre eux. Lavarice, la d bauche, lambition etaient ses dieux ; la perdie, la atterie, le servage, ses moyens ; e limpi t parfaite, son repos et lopinion que la probit et lhonn tet sont des chim` res ee e e e e dont on se pare et qui nont de r alit dans personne, son principe. e e

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hanovrienne. George obtient de Dubois que les Stuarts soient chass s de e ` France, alors que Louis XIV les avait, a Saint-Germain-en-Laye, trait s en e souverains. D` s que Louis XV assume le pouvoir, il remplace Dubois (qui vient de moue rir) par lhonn te Fleury qui restera ministre jusquen 1743. e Mais les probl` mes coloniaux nous brouillent bientot avec ces pseudo-alli s e e qui ne concoivent d j` quune France affaiblie, r duite au role de brillant ea e second . Lin vitable rupture a lieu. Fleury se tourne alors vers les Stuarts, e an de faire pi` ce aux orangistes : ainsi il joue une subtile politique de e bascule entre les deux dynasties britanniques. Il fallait que ces donn es g n rales fussent rappel es an quon comprt ce e e e e qui va suivre. Reprenons la liste des fr` res et brethren donn e par les deux journaux e e pr c demment cit s et tentons den d duire lesprit de la Maconnerie e e e e commencante, en France. Passons donc en revue quelques-uns de ces pr curseurs. e Et dabord Montesquieu. Charles de Secondat, baron de la Br` de et de Montesquieu, est n en 1689. e e Il a donc quarante-six ans en 1734. Issu dune grande famille de robe, il ` est pr sident a mortier au parlement de Bordeaux. Il est connu et admir e e e de toute lEurope intellectuelle et ses Lettres Persanes ont et le best-seller de 1721. Sa grande richesse lui permet de voyager par toute lEurope. Il sattarde en ` Angleterre ou il noue de pr cieuses amiti s. Il y compare labsolutisme de e e la monarchie francaise au lib ralisme constitutionnel des Anglais. Il est en e relation avec les esprits eclair s dEurope et ses Considrations sur les causes e e de la grandeur et de la dcadence des Romains, paraissant en 1734, deviennent e en quelque sorte le manifeste de tous ceux, en France, qui sentent bien que la monarchie de droit divin craque de toutes parts. Il lance quelques id es e essentielles sur lesquelles nous vivons encore : la s paration des pouvoirs, e la n cessit dune constitution civile refr nant larbitraire dun seul homme, e e e la tol rance religieuse, le respect de la dignit humaine. e e e Montesquieu a et le pr curseur des Encyclop distes, des grands Anc tres e e e de la R volution. . ., de la Charte des Nations Unies. e Et il est un des premiers, en date, des francs-macons francais En m me temps que Montesquieu, le comte de Saint-Florentin e colonnes . ornait les

Louis Ph lypeaux, duc de la Vrilli` re, comte de Saint-Florentin, est un pere e sonnage assez oubli de la n du XVIIe si` cle. Il m rite dautant moins cet e e e oubli quil offre un exemple bien rare dans notre histoire : il fut ministre 10

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` pendant un demi-si` cle, sans interruption. De 1725 a 1775 ! e Et quelle etait sa fonction aupr` s du roi Louis XV ? Ministres des Affaires e g n rales de la Religion Pr tendue R form e, comme on disait alors. e e e e e ` e Cest-` -dire quil eut a r soudre les d licats probl` mes pos s par la a e e e R volution de lEdit de Nantes. e Apr` s les atrocit s des dragonnades, succ da une p riode de calme relatif e e e e ` les protestants furent dabord ignor s puis tol r s. ou e ee ` Peu a peu, les huguenots se rent une place importante dans la soci t ee nouvelle qui se cr ait rapidement. Les loges, asiles de tol rance, ace e cueillirent sur leurs colonnes de nombreux protestants. ` Passons maintenant a quelques Britanniques de qualit . Et dabord Charles e Radcliffe, comte de Derwenwater. Il etait le second ls dEdouard Radcliffe et de Mary Tudor, lle de Charles II. Ayant, ainsi que son fr` re an , pris la t te dun soul` vement jacobite (stuare e e e tiste) contre la reine Ann, il fut, et son fr` re egalement, arr t et e ee ` e condamn a mort. Son fr` re fut d capit , mais lui parvint a s vader. Il e ` e e e ` se r fugia aupr` s de son cousin, le roi Jacques Stuart, a Saint-Germain-ene e Laye. En 1746, Charles Radcliffe commit limprudence de retourner en Ecosse. Reconnu, incarc r , il. fut aussitot ex cut . Il avait alors cinquante-trois ans. ee e e ` Apr` s ce martyr de la cause des Stuarts, passons a la parent de Jacques e e Fitz-James, duc de Berwick (1670 - 1734), stuartiste devenu mar chal de e France et qui avait trouv une mort glorieuse sous les lys, au si` ge de Phie e e lipsbourg. Son ls cadet, Francois, fut ev que de Soissons et aumonier de Louis XV (1709-1764). Son ls an est lhonorable Mr. William Fitz-James que signale le Saint e James Evening Post. Jacques Fritz-James, duc de Berwick, avait une sur, Henriette Fitz-James. Tous deux etaient les enfants naturels du roi Jacques III Stuart et dArabella Churchill. Henriette avait epous lord Henri Waldegrave, dont elle eut le e comte de Valdegrave qui lui donna comme petit-ls lord Chewton, tous deux de la loge sus-indiqu e. e Et le brigadier Churchill etait le cousin du comte. Autrement dit, sur la matricule de cette premi` re loge, guraient quatre e proches parents du sang des Stuarts : lhonorable Fitz-James, le comte de Waldegrave, le brigadier Churchill et lord Chewton. Ambassadeur du roi dAngleterre aupr` s du Roi Tr` s Chr tien, le comte de e e e Waldegrave, tout en etant de lign e jacobite, servait d` lement George II. e e 11

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Il amorcait ainsi cette r conciliation entre stuartistes et hanovriens qui se e pr cisa au XIXe si` cle et qui assura la grandeur de la Grande-Bretagne. e e Le personnage le plus curieux de cette loge est le duc de Richmond. Faisons (comme on dit au cin ma) un ash-back qui nous conduit sous le e r` gne de Louis XIV. e Louise-Ren e de Pen-an-Kou t de K roualle nat en Bretagne, pr` s dEre e e e ` la cour quy, en 1649. Elle accompagne Madame, Henriette dAngleterre, a de Charles II en 1669. Elle a vingt ans, est merveilleusement belle. Elle est charg e dune mission secr` te : devenir la matresse de Charles II an de e e lespionner. Le volage souverain tombe dans ses lacs. Comme dit Saint-Evremond : Le ruban de soie qui serre la taille de Mlle ` de K roualle unit la France a lAngleterre . e Elle partage la couche royale. . . et renseigne Louis XIV qui lui accorde une ` pension consid rable, mais discr` te. Elle incite Charles II a faire une polie e tique pro-francaise qui la fait har par les Anglais. On la hue dans les rues de Londres, en lappelant the french whore ! (la putain francaise). A la mort de Charles II, elle devient la favorite de son successeur, Jacques II. Puis, quelques ann es plus tard, elle quitte Londres au bon moment, les e poches pleines. Faite duchesse de Portsmouth par la gr ce de son premier amant, elle dea vient, du bon plaisir de Louis XIV, duchesse dAubigny. De Charles II, elle a eu un ls, Charles Lenox, duc de Richmond, qui fut grand-matre de la Grande Loge dAngleterre en 1698. Lequel grand-matre eut un petit-ls, notre duc de Richmond. Sa Gr ce, the French whore, mourut dans la richesse et la d votion en a e e d cembre 1733, ag e de quatre-vingt-quatre ans. Richmond fut poignard e e sur le Pont-Neuf, en 1738, par un mari jaloux. Quelques semaines auparavant, le 24 juin, il avait initi , pass , elev puis e e e proclam grand-matre pour la France le duc de Pardaillan dAntin, qui e etait le seul descendant l gitime du marquis de Montespan et de son e epouse ; les autres enfants de la marquise etant des b tards de Louis XIV. a Tirons quelques conclusions de ces pages de notre histoire. La franc-maconnerie fut la premi` re association, non religieuse ou corpo e rative, la premi` re soci t de pens e , autoris e en France. Les devoirs e ee e e e compagnonniques avaient et dissous par arr t du Parlement et le Club de ee lEntresol interdit. Pourquoi cette autorisation ? Pour construire un pont discret entre Francais et Anglais, pour etablir une liaison diplomatique ofcieuse entre Francais 12

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et stuartistes. Quand la rupture fut d cid e entre Saint-James et Versailles, la france e ` maconnerie fut interdite et pers cut e. Quand la situation eut tendance a e e se r tablir, la Maconnerie fut tol r e. e ee Elle a donc, d` s son introduction en France, jou un r le diplomatique subtil e e o mais fort important. Elle a rempli aussi un r le politique capital, en recevant sur ses colonnes un o penseur audacieux , Montesquieu, pr curseur des Encyclop distes. e e Elle a contribu a r pandre les principes de la libert de conscience, en servant e` e e de table ronde pour protestants et catholiques. ` Elle a aid a la fusion des classes sociales, en int ressant des nobles a un e ` e ` ` symbolisme artisanal, ce qui etait extraordinaire a une epoque ou on livrait au m pris tout ce qui touchait au travail manuel, aux professions e m caniques . e III Malgr de si hauts parrainages, la franc-maconnerie aurait peut- tre v g t e e e ee en France si n tait intervenu un curieux personnage, dont la biographie e ` vraie pr sente encore bien des lacunes mais qui donna a lOrdre un e elan qui nest pas pr` s de s teindre : le promoteur de lEcossisme. e e Andr -Michel de Ramsay, est n a Ayr, en Ecosse, en 1686. Il est dorigine e e` noble et dune noblesse tr` s ancienne, apparent e au duc dAtholl. Une e e branche des Ramsay se retrouve en Beauce 3 Le p` re de Michel etait calviniste ; sa m` re etait anglicane. A la n du XVIIe e e si` cle, en Ecosse, les querelles religieuses avaient plus dacuit (on serait e e tent de dire de f rocit ) que jamais. Les diverses confessions chr tiennes e e e e senvoyaient mutuellement au bourreau en lhonneur du Dieu de bont . e On imagine les crises de conscience de cet enfant grave, studieux, ren ` ferm , ecartel par des parents qui, chacun, voulaient le conduire a ce e e ` ` quil estimait la V rit et larracher a lErreur, donc a la damnation. e e Lenfant, puis ladolescent, se replia sur lui-m me. Comme il arrive souvent e ` en des cas analogues, il trouva une diversion a ses conits int rieurs en e ` ` se lancant a corps perdu dans l tude. Il fut brillant etudiant a Glasgow e ` comme a Edimbourg. Ses etudes nies, il voyage dans toute lEurope. Nous le retrouvons bientot aux Pays-Bas. A cette epoque, la r publique batave etait un havre de libert e e religieuse. Hant par les probl` mes spirituels qui avaient marqu ses jeunes e e e3. Ceux que le probl` me de la liation de Ramsay int resse consulteront avec fruit un e e ` livre a lui consacr par H. Compigny des Bordes qui apporte les preuves de ce que javance. e

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ans, Ramsay devint le disciple de Pierre Poiret et dArndt. Ces deux mystiques sont bien oubli s maintenant. En leur temps, ils avaient une audience e consid rable. Autant quon en peut juger, ils appartenaient tous deux au e courant rosicrucien . Ils enseignaient un christianisme transcendant, tr` s e voisin de la Theologia Germanica et tenaient Jacob Bhme en haute estime. On lira avec fruit, sur ces probl` mes, la Philosophie Eternelle dAldous Huxe ley. Cest en 1709 que Ramsay (qui, d j` , ecrit et parle parfaitement notre ea langue) arrive en France pour la premi` re fois. e Et de qui devient-il lhote, puis le disciple pr f r ? De F nelon ! eee e A Cambrai, le Cygne le convertit au catholicisme. . . Le nouveau converti est lami intime du marquis de Sali,gnac, neveu de lauteur de Tlmaque. Celui-ci lui conera la mission de publier les ecrits posthumes ee de F nelon et de pr parer une edition d nitive de son uvre. e e e ` ` A la mort de F nelon, en 1715, Ramsay rejoint Mme Guyon a Blois ou la fone datrice du qui tisme francais ( chappant enn aux odieuses pers cutions e e e des continuateurs de Bossuet) groupe autour delle un petit nombre de disciples fervents, venus de tous les pays dEurope. Y eut-il l` quelque chose comme une loge ? Peut- tre. . . Car ce ne doit pas a e ` etre par hasard que Ramsay commence ainsi de nombreuses lettres a Salignac : Mon Tr`s Cher Fr`re. . . e e Une tradition, jusqu` maintenant incontrolable afrme m me que a e F nelon etait templier. e Mme Guyon meurt en 1717. Ses disciples se dispersent. Ramsay devient pr cepteur du jeune ls du comte de Sassenage, sin cure quil conservera e e ` de 1717 a 1724. Il ecrit pendant ce temps une Vie de Fnelon. Il joue aussi un role myst rieux e e aupr` s du cardinal Dubois qui le charge de missions occultes. Il devient e agent diplomatique des Stuarts chass s de Grande-Bretagne. e ` ` En 1724, nous le retrouvons a Rome, ou il r side pendant dix mois aupr` s e e de Jacques III. Celui-ci le nomme pr cepteur de son ls Charles-Edouard, e puis se ravise. . . ` En 1724, Ramsay est a Paris. Ami du marquis dArgenson, il anime le Club de lEntresol. Quest-ce donc que ce club ? Une soci t de pens e dans laquelle des gens ee e de qualit se r unissent pour examiner les grands probl` mes de lheure. e e e Le R gent en prend ombrage et le Club de lEntresol est dissous. e En 1727, Ramsay publie son Voyage de Cyrus, ou Cyropdie, ouvrage qui e nous parat maintenant mortellement ennuyeux mais qui fut un des best 14

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sellers de son temps. Cest une imitation de Tlmaque. Au cours de ses ee voyages, le jeune Cyrus est instruit par des Sages de lAntiquit , et plue sieurs chapitres contiennent de claires allusions maconniques. On y lit, en particulier, une transposition du rituel de Matre. En 1728, nous retrouvons Michel de Ramsay en Angleterre et ce nest pas la moindre enigme de cette existence mouvement e : comment lui, stuare tiste, catholique, a-t-il pu r sider en Angleterre sans y rencontrer les pires e difcult s ? e Il est recu dans deux compagnies scientiques de la plus haute renomm e : e e The Gentlemens Society et la Royal Society. Cette derni` re ayant et fond e, e e au pr c dent si` cle, par Elias Ashmole et quelques autres rose-croix. e e e ` Pendant ce s jour a Londres, Ramsay fut aussi lami dAnderson, fondateur e de la Mother Lodge de 1717. Ensuite, il retourne sur le continent et joue un role pr pond rant dans les e e loges francaises. ` Est-ce pour mener a bien la mission dont il est charg par les Stuarts que e Ramsay, en 1730, accepte de devenir pr cepteur dans lillustre famille de e Bouillon ? Ce qui demande quelques explications. La d faite des nobles, apr` s la e e e Fronde, avait et sanctionn e par le pouvoir absolu du roi. Mais les grandes e familles du Royaume avaient support impatiemment le joug pesant de e Versailles. Cette sourde opposition navait attendu quune occasion de se e manifester et la R gence avait et cette occasion. e Lesprit de la Fronde avait comme principal repr sentant la famille de e Bouillon qui r gnait sur une principaut ind pendante, dans les Ardennes. e e e Justement er de son sang, alli des Sobieski et des Stuarts, le duc r gnant e e comptait parmi ses anc tres Godefroy de Bouillon et Turenne. Son arbre e g n alogique etait aussi ancien que celui des Bourbons. Sa richesse etait e e e consid rable et, surtout, il etait d tenteur dune tradition esot rique, datant e e des temps pr -chr tiens. . . de m me, dailleurs, que les Stuarts. e e e ` Le duc r gnant etait grand-matre de lOrient de Bouillon, maconnerie a tene dances spiritualistes et m me magiques, qui groupait des personnalit s de e e premier rang et f d rait un grand nombre de loges militaires. Ainsi larm e e e e du roi de France etait-elle maconniquement noyaut e par une maconnerie e non francaise en ses origines et en son esprit. Ramsay fut pr cepteur dun enfant de cinq ans, le prince de Turenne, ce qui e lui . valut une belle pension, et de larges loisirs. ` ` Il les mit a prot pour ecrire une Vie de Turenne et pour fonder une loge a Ch teau-Thierry, ef de la maison de Bouillon. a

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1735 marque une date faste dans la vie de notre personnage : il se marie ! Comme dit un texte contemporain : Michel de Ramsay, baronnet ` ecossais sunit par le lien conjugal a une lle de condition quil regarda autant comme sa lle que comme son epouse. . . Il avait quarante-six ans e quand il epousa cette lle de condition ag e de vingt-quatre ans. Elle se nommait Marie de Nairne, etait lle dun Ecossais de haut lignage, le baron David de Nairne, h raut darmes de lOrdre du Chardon, ordre e chevaleresque des Stuarts. e e Cet ordre avait et cr e en 1314 par le roi dEcosse Robert Bruce, apr` s sa e victoire de Bannockburn, an de r compenser les Templiers qui, r fugi s e e e dans ses Etats apr` s linique proc` s, avaient largement contribu a la e e e ` d faite des Anglais. e Ce mariage prouve la noblesse de Ramsay. Comment, en effet, imaginer ` que le dHozier dEcosse eut accord sa lle a un roturier ? e Noublions pas que, plus que tous autres souverains, les Stuarts etaient f rus de noblesse. e Signalons aussi quune parfaite entente r gna toujours entre gendre et e beau-p` re. e Pendant les ann es qui suivirent son mariage, Ramsay fut souvent lhote e de la duchesse de Portsmouth et du duc de Richmond dont nous venons de parler. D` s 1735 commence de circuler, sous le manteau, le Discours de Ramsay qui e est la charte de la Maconnerie moderne et dont on ne saurait trop estimer limportance. Analysons-le ; si on le compare aux documents maconniques qui lont pr c d , on y d couvre des id es qui, maintenant, ne nous surprennent e e e e e ` gu` re, mais qui, a cette epoque, semblaient dune extraordinaire noue veaut .., qui etaient, au sens le plus exact de ce mot, r volutionnaires. e e Dabord, Ramsay signale luniversalisme de lOrdre. Le franc-macon y ap parat - pour la premi` re fois - comme un citoyen du monde. e Quelle audace fallait-il, en cette premi` re moiti du XVIIIe si` cle, pour e e e ecrire : Le inonde entier nest quune grande r publique dont chaque nae tion est une famille et chaque particulier un enfant. . . , pour bl mer lesa prit de conqu te, le patriotisme guerrier et pour recommander lamour e de lhumanit en g n ral ? e e e ` En 1728, venait de paratre a Londres, sous la direction dEphram Cham bers The Cyclopedia or Universal Dictionary of Arts and Sciences, ouvrage en ` deux volumes. Est-ce lui qui inspira a Ramsay ce grand dessein ? ` LOrdre exige de chacun de nous de contribuer a un vaste ouvrage auquel

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nulle acad mie ne peut sufre, parce que, toutes ces soci t s etant come ee pos es dun tr` s petit nombre dhommes,leur travail ne peut embrasser un e e objet tr` s vaste. . . e ` ` Ainsi Ramsay lance un appel a tous les francs-macons Il les exhorte a sunir pour fournir tes mat riaux dun dictionnaire universel des arts e lib raux et des arts utiles, la th ologie et la politique except es. . . ce qui e e e est le plan m me de lEncyclopdie. e e Comme ecrit Roger Priouret : En rapprochant son discours du projet que ` r alisa Diderot, on conclura que lEncyclop die des philosophes r pond a e e e un projet concu dans les loges . Diderot reconnat : Le caract` re que doit avoir un bon dictionnaire, cest e de changer la facon commune de penser. Ce quon a recherch (dans e lEncyclopdie) et ce quon y recherchera, cest la philosophie ferme et hardie e de ses travailleurs. ` Sur un troisi` me point de son Discours, Ramsay insiste a plusieurs reprises, e ce qui prouve bien toute limportance que lui-m me et ses auditeurs y ate tachaient. Il est bon de reprendre son texte et de le m diter. e Nos anctres, les Croiss. . . e e Voil` les grands mots l ch s. Les anc tres de la franc-Maconnerie ne sea a e e raient pas des constructeurs , des architectes ou artisans, mais des chevaliers, des guerriers LOrdre serait, par ses origines, noble Mais continuons : Les Crois s, rassembl s de toutes les parties de la chr tient , dans la Terre e e e e Sainte, voulurent r unir dans une seule confraternit les sujets de toutes les e e nations. ` Quelle obligation na-t-on pas a ces hommes sup rieurs qui, sans int r t e ee grossier, sans ecouter lenvie mat rielle de dominer, ont imagin un e e etablissement dont le but unique est la r union des esprits et des curs e pour les rendre meilleurs et former, dans la suite des temps, une nation spirituelle. . . On croyait que les secrets et signes des origines avaient des origines artisanales. Ramsay afrme le contraire : C taient, selon les apparences, des mots de guerre que les Crois s se done e naient les uns aux autres pour se garantir des surprises des Sarrazins qui se glissaient souvent d guis s parmi eux pour les trahir et les assassiner. e e Le nom de free-macons ne doit donc pas etre pris dans un sens litt ral, e e grossier et mat riel, comme si nos instituteurs avaient et de simples oue vriers en pierre ou en marbre, ou des g nies purement curieux qui voue laient perfectionner les arts. Ils etaient, non seulement des architectes

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` qui voulaient consacrer leurs talents et leurs biens a la construction des temples ext rieurs, niais aussi des princes religieux et guerriers qui voue laient eclairer, edier et prot ger les temples du Tr` s-Haut. e e Lauteur pr cise : e Les fatals d sordres de la religion qui embras` rent lEurope et la e e d cim` rent au XVI` me si` cle, rent d g n rer lOrdre de sa noblesse et de e e e e e e e ses origines. ` . . . Des successeurs de Ramsay attribueront a lOrdre des origines non seulement chevaleresques mais templi` res. . . e Ainsi Ramsay donne des origines de la franc-maconnerie une explication oppos e a celle des Constitutions dAnderson qui sont, pourtant, la charte e ` de la Maconnerie anglaise. Or, Ramsay ne fut jamais d savou par les diri e e geants de la Mother Lodge. Comment expliquer pareil myst` re ? e Le Discours porte, en germe, tout lEcossisme, cest-` -dire la Maconnerie a chevaleresque et des hauts grades. Ramsay avait-il recu de son beau-p` re, donc de lOrdre templier du Chardon, e mission de propager cette l gende ? e Fut-il d bord rapidement par des innovateurs trop imaginatifs qui multie e pli` rent ensuite grades et r gimes ? e e ` Michel de Ramsay mourut a Saint-Germain-en-Laye, le 7 mai 1743. Son acte de d c` s est sign du comte de Derwenwater et du comte dEngletown, e e e tous deux fr` res de la premi` re loge, en France. e e IV Les hauts grades ? Quest-ce que cela signie ? Quand elle n tait quop rative, la Maconnerie, semble-t-il, ne comportait e e que deux degr s : apprenti et compagnon. Le plus instruit des compagnons e etait choisi comme Matre, cest-` -dire comme pr sident. a e Puis les rose-croix institu` rent une troisi` me initiation, celle de Matre. e e Cette trinit de grades (ou de degr s) constituant la ma onnerie bleue. e e c Sous linuence du discours de Ramsay et pour signie ses origines cheva leresques, la Maconnerie etablit (ou retrouva) des grades sup rieurs, allant e du quatri` me au vingt-cinqui` me puis au trente-troisi` me. e e e Grades mettant en acte soit des episodes bibliques, soit les Templiers, soit les rose-croix, et qui constituent les ma onneries rouge, noire et blanche. c Pendant les derni` res ann es du XVIIIe si` cle, les hauts grades se multie e e pli` rent anarchiquement. Si la plupart ont une origine traditionnelle incone e testable, dautres semblent bien avoir et des forgeries invent es par e 18

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des promoteurs plus ou moins d sint ress s. e e e ` La plupart des c r monies dinitiation a ces hauts grades etaient maee gniques. . . et couteuses. Elles frappaient vivement limagination des r cipiendaires. . . et grevaient lourdement leurs bourses. e Maintenant, les c r monies sont plus simples, mais encore emouvantes. Au ee reste, quelques hauts grades subsistent seulement. Le plus grand nombre dentre eux sont conf r s par communication , cest-` -dire, pratiqueee a ment, nexistent plus. e Sans les hauts grades, il est probable que la Maconnerie naurait pas et ` aussi vite et aussi largement r pandue en France, a la n de lAncien e R gime. e ` En quelques ann es, le royaume se couvrit de loges ou se r unissaient frae e ternellement nobles, grands bourgeois, pr tres et religieux. e Les nobles, et m me de tr` s grands seigneurs, etaient heureux de e e retrouver traces de leurs anc tres, les Crois s. e e Les bourgeois et les clercs roturiers etaient att s de pouvoir appeler un e duc et pair mon fr` re et de porter l p e, m me si elle n tait que de fer e e e e e blanc. La Maconnerie coutait cher. Elle etait loccasion dagapes pantagru liques. e Mais on commencait dy gouter, entre fr` res, les charmes de l galit . e e e Egalit ? Fraternit ? Mots nouveaux qui portaient en eux-m mes des forces e e e explosives. A ces facteurs psychologiques sen ajoutaient dautres, plus profonds. Par une loi psychologique bien connue maintenant, il fallait que quelque chose compens t le rationalisme de l poque. Ce fut l sot risme ou, a e e e ` comme nous disons maintenant, a tort, loccultisme. ` La franc-maconnerie, sous le couvert des hauts grades, donna libre cours a ` des tendances spirituelles cel es depuis le Moyen Age, a des h r sies . e ee Alchimistes, herm tistes, cathares, vaudois, rose-croix, qui tistes, pi tistes, e e e ` etc., trouv` rent dans la Maconnerie ecossaise un bouillon de culture ou e ils prolif r` rent. ee Des initi s, comme le comte de Saint-Germain, Martinez de Pasqually, dom e Pernety sortirent de la clandestinit et recrut` rent des disciples parmi les e e fr` res eclair s. e e Ainsi s baucha un e christianisme transcendantal dont Joseph de Maistre et Claude de Saint-Martin furent les brillants th oriciens et dont e linuence fut consid rable au temps du romantisme. e Jusque-l` , l sot risme etait le privil` ge (souvent redoutable) dune inme a e e e minorit . Il se r pandit largement gr ce aux hauts grades. Des graines ene e a 19

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fouies dans le subconscient depuis la protohistoire germ` rent et donn` rent e e eurs et fruits. A la notion religieuse du salut se superposa celle de la libration par linitiae tion. On en revenait aux myst` res de lAntiquit . e e On comprend ais ment la r action violente de lEglise catholique qui e e ne pouvait admettre quelle n tait pas la gardienne de tout le message e chr tien et quil existait dautres voies spirituelles, que la sienne. e ` Dou une premi` re excommunication. . . qui neut aucun effet. Pas un seul e clerc, malgr les ordres du pape, ne couvrit le temple . e Tout ce que le royaume comptait de personnes de qualit , dintellectuels, e ` de nanciers, continua de se retrouver coude a coude Sur les colonnes . ` Pourtant, la Maconnerie subissait une s rie de temp tes ou toute institution e e puirement humaine aurait disparu corps et biens. Au duc dAntin succ da le comte de Clermont. Celui-ci nomma des sube stituts incapables. Des loges se r volt` rent ; dautres se s par` rent. La e e e e plus belle pagaille quon puisse imaginer ! La Maconnerie (poursuivant la politique dAnderson) subissait ainsi la pu nition dune erreur fondamentale : la d pendances des loges vis-` -vis dun e a pouvoir administratif central. Il est dans la destin e maconnique dappliquer laxiome : Le macon libre e lans la loge libre . Les grandes loges peuvent avoir (discr` tement) un role e administratif. Elles sont redoutables d` s quelles sarrogent un droit de die rection. ` F d ration a liens tr` s, l ches ? Oui, sans doute. . . e e e a Pouvoir central autoritaire ? Catastrophe ` Par vents et mar es, on arrive a la R volution. LOrdre fut interdit de 1792 e e ` a 1795. Il renat p niblement vers 1795 mais ne reprend force et vigueur e que sous le Consulat. Alors il devient linstrument du pouvoir, groupant dignitaires et hauts fonctionnaires de lEmpire. L` se pose un probl` me quil est bien difcile daborder avec s r nit : le a e ee e role de la franc-maconnerie dans la pr paration de la R volution. e e Un complot maconnique international entrana-t-il la destruction de la Royaut ? e Sinc` rement, je ne le crois pas. Et je suis dautant plus sinc` re que je le e e regrette. e Il eut et beau que la Maconnerie jet t bas, dun coup d paule, une soci t a e ee vermoulue, quelle pos t les bases de l galit entre les hommes, quelle a e e d barrass t la religion de ses superstitions et de ses combines . e a

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Cest lintelligenzia europ enne, sous limpulsion des Britanniques, e qui repensa les grands probl` mes politiques et sociaux. Tout allait mal. On e navait, en principe, aucun moyen dexprimer son inqui tude et de propoe e ser des solutions. Le Club de lEntresol avait et ferm , les livres de F nelon e e e et de Vauban avaient et condamn s. Il est logique que, dans un endroit e ` ` ou lon pouvait se retrouver a couvert , entre responsables, on se pos t a cette question : Puisque tout va mal, comment y rem dier ? e Les protestants etaient nombreux et puissants dans les loges. Pers cut s e e odieusement, ils d testaient la soci t absolutiste. Le libre examen e ee th ologique les pr parait au libre examen politique. e e Dautre part, des visiteurs etrangers, comme linsurgen Benjamin Franklin, ` ` exprimaient des id es nouvelles. L poque etait a loptimisme, a la sensibie e lit . Comment ne pas r ver dun avenir meilleur ? e e Tout ceci rel` ve de la psychologie collective et non dun complot organis 4 . e e On r plique que la plupart des conventionnels etaient macons. . . Mais tous e les intellectuels l taient ! e Dailleurs des ob diences enti` res pass` rent sous le couperet de la guilloe e e tine. Dans plusieurs d partements, les jacobins rent la chasse aux macons. e En v rit , il nexiste pas, il nexistera jamais, une doctrine maconnique. e e Chaque macon est ind pendant. Chaque loge reste ind pendante, malgr e e e la pression administrative des grandes loges. La Maconnerie est une m thode de travail ou un canal initiatique. Ce nest pas une Eglise. Lamiti e e y joue un grand role ; le dogmatisme aucun. Ofciellement, sous lEmpire comme sous la Restauration, la francmaconnerie est domestiqu e par le pouvoir. Les macons, bien nantis, sont e respectueux des Abeilles, des Lys, de lAutel. En fait, une sourde opposition se manifeste d j` . Il existe des loges sauea vages . Surtout, les hauts grades, et surtout ceux de dix-huiti` me (rosee croix) trenti` me (kadosh) continuent de transmettre l sot risme traditione e e nel. Le martinisme transparat dans les uvres de Balzac, de Victor Hugo, dAlexandre Dumas. . . Les demi-soldes, les d` les de lAigle, sunissent dans des associations e para-maconniques, comme le Carbonarisme 5 . ` Les Rites de Memphis et de Misram passent a lopposition. Mais noyaut s e ` ` dindicateurs, ils en sont vite r duit a la dissolution ou a labsolue clane 4. Comme ecrit pertinemment Emile Dermenghem dans son introduction aux Sommeils, de Jean-Baptiste Willermoz : Si les francs-macons du XVIIIe si` cle ont pr par la e e e R volution, ce nest sans doute pas en qualit de macons, mais en tant quhommes du XVIIIe e e ` si` cle soumis plus ou moins, comme tous leurs contemporains, a linuence de Voltaire et e de Rousseau. . . 5. Cf. : mon livre Les Carbonari (C.A.L. 1971).

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destinit . Il nen reste pas moins que la Maconnerie senfonce de plus en e plus dans la politique : royaliste et d iste chez les ofciels , bonapare tiste, r publicaine ath e chez les dissidents. e e ` Le carbonaro Napol onIII voit la Maconnerie dun bon il. . . a condition e quelle le serve. Il essaie de fusionner les principales ob diences sous laue torit martiale dune culotte de peau ! Viennet, souverain grand commane deur de lEcossisme, sy oppose et gagne la partie. V ` Nous arrivons a la Troisi` me R publique. e e Oui, la R publique fut une cr ation des loges. Oui, il r gnait dans cellese e e ` ci un d isme vague ou un esprit voltairien jusquau moment ou lEglise, e d fendant lordre moral, se livra, par personnes interpos es, aux attaques e e les plus perdes et les plus ridicules. Quun L o Taxil, un docteur Bataille, un Rosen aient trouv des suppore e ters parmi les pr lats comme NN. SS. Deschamps ou Jouin est scandae e leux, parce quun ev que nest jamais un naf ou un sot. Au lieu de traiter ces attaques par le m pris, la Maconnerie ofcielle livra e e une contre-offensive p nible. On bouffa du cur . Des deux cot s, on e e remua de la boue. Dans la bataille politique, la franc-maconnerie serait morte, sans doute, sans les efforts pers v rants, efcaces, de quelques initi s v ritables (dont e e e e le plus connu est Oswald Wirth) qui, envers et contre tous, maintinrent la Tradition et rendirent son sens v ritable au mot initiation. e D j` une heureuse r action samorcait en profondeur, quand les nazis et Viea e chy pers cut` rent les fr` res. On sait ce quil en advint. : un vaste courant de e e e sympathie se cr a dans le public profane envers les Fr` res Trois Points . e e On sut, par des articles, des expositions, des livres, que leurs c r monies ee n taient pas de vaines simagr es. On les plaignit. e e Apr` s la Lib ration, la franc-maconnerie francaise retrouve un dynamisme e e ` analogue a celui de ses d buts. Les nouveaux initi s sont jeunes et ardents. e e Les v rit s initiatiques sont admises par tous, les arrivistes sont vite d cus, e e e les rituels sont respect s, linitiation nest plus un mot vide de sens, les e travaux gagnent en s r nit . ee e Bien sur, se prolongent de vaines querelles autour de la Rgularit. Bien sur, e e les Anglo-Saxons continuent leur politique imp rialiste. . . Il nemp che que e e la franc-maconnerie francaise peut envisager lavenir avec conance. Ceux qui croient que la Maconnerie doit consacrer toute son activit a e ` faire de la politique parce quil faut dabord sauver les meubles, ne voient 22

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` pas que le retour a la saine tradition peut seul permettre une action poli` tique qui, a coup sur, soit f conde. Mais, comme le dit Ren Gu non, pour e e e exercer une inuence sur le milieu ext rieur sans cesser d tre ce quelle e e doit etre v ritablement, une organisation initiatique doit mettre en uvre e des moyens tout autres que ceux que lon croit dordinaire etre les seuls possibles, et dun ordre beaucoup plus subtil. Pr tendre le contraire, cest e m connatre la valeur de laction de prsence de linit . Cette m connaissance e e e e ` e est, dans lordre initiatique, comparable a ce quest, dans lordre esot rique ` et religieux, celle, si r pandue a notre epoque, du role des ordres conteme platifs . Ainsi sexprime Georges Allary dans son Histoire de la Franc-Ma onnerie, c ins r e dans le num ro sp cial du Crapouillot consacr aux Soci t s ee e e e ee secr` tes. e

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Tous les noms de lieux et de personnes quon lira dans la seconde partie de cet essai sont, lauteur y engage sa parole dhonneur, purement imaginaires. Aussi toute homonymie ou ressemblance ne pourrait etre que pure concidence, rencontre fortuite, dpourvues de e signication relle ou cache. e e

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Deuxi` me partie e

Essai

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C HAPITRE II

POST TENEBRAS LUX` ` ` A PR E S LES T E N E BRES , LA L UMI E RE .

` Mon initiation maconnique remonte a une trentaine dann es. e ` Elle eut lieu a C. . ., gros bourg de Normandie, ef des die . Bleus de Norman-

Je commencais alors ma carri` re denseignant et pr parais une th` se (que e e e je nai jamais achev e) de sociologie religieuse. e C libataire, sans relations, sans famille, sans vices, je mennuyais fermee ` ment a C. . . Un de mes coll` gues, au cours de conversations dos es, myst rieuses, e e e genre manteau couleur de muraille me proposa de me faire admettre dans la loge (il disait latelier) maconnique de C. . . Lid e me s duisit. Jy vis une belle occasion de sortir de mon isolement, e e ` de connatre une forme curieuse de sociologie, de participer a des travaux int ressants, et, pourquoi ne le reconnatrais-je pas ? davancer dans e ` une profession ou les francs-macons etaient nombreux et inuents. ` Jappartiens a une famille catholique, dune d votion un peu etroite mais e e dune grande el vation morale. Mes parents etant au Paradis depuis de nombreuses ann es, je ne risquais pas de les chagriner en entrant dans e la secte , cette secte satanique, anarchiste, immorale, dont mon excellent homme de p` re aurait joyeusement envoy les membres au bucher, sil en e e avait eu le pouvoir. Dans mon acceptation, il y avait sans doute une r action de la e gie des profondeurs . Plus encore, il y avait de la curiosit . e psycholo-

Javais lu quelques ouvrages maconniques. Jen trouvais le style ampoul , e ` les id es sommaires. Je men ouvris a mon confr` re trois points . e e Il ne faut pas nous juger de lext rieur, r pondit-il gravement. Linitiation e e vous ouvrira des horizons nouveaux quun profane ne peut imaginer. Sans doute naurais-je pas donn mon accord de principe si, incidemment, e je navais appris que le V n rable de la Loge de C. . . etait notre proviseur. e e

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POST TENEBRAS LUX Apr` s les t n` bres, la Lumi` re. e e e e

M. Cotteau etait un des derniers survivants de ces hussards noirs de la R publique qui avaient combattu avec courage pour la victoire de lEcole e ` laque contre lEcole libre. Il ressemblait physiquement et moralement a Brisson, mais un Brisson unijambiste : M. Cotteau avait perdu sa jambe gauche au Chemin-des-Dames, en 1917. Nul ne lavait jamais vu sourire. Il portait sur son visage et ses habits un deuil perp tuel. Chagrin damour, afrmaient les ames sensibles. A moins e quil fut vrai que sa lle unique eut pris le voile au Carmel de Lisieux. Au commencement de sa carri` re, alors instituteur stagiaire, en pleine bae e taille des lois de S paration, M. Cotteau avait et ignoblement attaqu e e par un cur Bournisien de choc . Il avait pu, non sans peine, prouver e son innocence, mais gardait de ce coup de Jarnac une terreur glac e qui, e dailleurs, avait fait beaucoup pour son avancement. A cette epoque, il etait tr` s difcile de passer du primaire au secondaire. e e M. Cotteau non seulement avait franchi lobstacle, mais, apr` s avoir et e ` censeur a Paris, il attendait la retraite dans une ville agr able. e ` Protant dune question de service, je s ma condence a M. Cotteau en lui demandant, respectueusement, son appui dans la loge. Qui vous fait croire que je suis franc-macon ? me r pondit-il de sa voix la e plus cassante. Le serais-je et le seriez-vous que je nen exigerais que plus de vous. Tenez-vous-le pour dit. . . Cette r ponse entrana mon adh sion. Jadmirais M. Cotteau. e e * *

Mon initiation au grade dapprenti, mon initiation aux secrets et myst` res e de la franc-maconnerie , me laissa une impression profonde, ineffacable, mais ambivalente. Auparavant, les yeux band s, assis dans une salle peupl e, javais r pondu e e e ` sous le bandeau a des questions qui fusaient de droite, de gauche et devant moi. On minterrogea sur mes croyances, mes opinions ; je reconnus les voix de plusieurs de mes coll` gues et celle, rocailleuse, du patron de lH tel e o des Voyageurs. On me posa des questions saugrenues. Je me tirai dautant mieux de ce premier contact quil me rappelait certains canulars de lEcole. Le grand jour (ou plutot le grand soir) commenca par une interminable claustration dans une cave humide, sombre, orn e dimages bizarres et e dinscriptions grandiloquentes. Je commencai par men amuser, puis par my ennuyer, et enn par ressentir une insupportable angoisse. Jaurais surement cri et tambourin sur la porte si, fort opportun ment, on e e e 28

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n tait venu me chercher. On me banda les yeux, on me d barrassa dune e e ` partie de mes v tements, on me glissa a loreille quelques recommandae tions. e e La suite de la c r monie a et d crite trop souvent pour que jy insiste. ee Je najouterai quune pr cision : innombrables sont les rites maconniques e et les profanes , ne voyant les choses que de lext rieur, sy trompent e souvent et trompent leurs lecteurs. Pourquoi le cacherais-je ? Javais peur. . . Le mot dpreuves me glacait. e Javais lu L o Taxil. En sortirais-je vivant ? Lattente mavait bris les nerfs, e e le bandeau occulaire me causait une v ritable claustrophobie. Je me sentais e conduit, pouss , tir . On me soufait des r ponses que je bredouillais sans e e e ` les comprendre. J tais honteux d tre a moiti nu. Quand on me donna la e e e lumi` re, cest-` -dire quand on menleva mon bandeau, je faillis m vanouir. e a e ` La salle ou je me retrouvais assis au bout dun banc me parut banale. Je reconnus des visages qui me d curent, dautres qui menchant` rent. C tait e e e bien M. Cotteau qui pr sidait. Quand mon regard croisa le sien, il eut un e sourire (mais oui !) un bon sourire. . . Il adressa au jeune apprenti de trois ans un discours que j tais trop e nerveux pour suivre, mais que je peux citer, car il men communiqua, par la suite, un texte dont voici lessentiel : Le Symbole est lessence m me, la raison d tre de la franc-maconnerie. e e Quest-ce quun symbole ? Je crois que cest un texte juif qui nous en donne. la meilleure d nition : Ce qui est visible est le reet de ce qui est invie sible. Or si, nous autres macons, nous exprimons par symboles, ce nest pas pour nous distinguer des autres humains, cest tout simplement par suite ` dune n cessit inh rente a toute connaissance v ritable. e e e e En effet, le langage normal, rationnel, est imparfait. Les mots ne peuvent exprimer, en les limitant, que certaines v rit s, alors que la v rit e e e e maconnique, de par son caract` re cosmique, se place au-del` des mots, de e a pauvres mots dont nous nous servons si souvent quils sont us s comme e de vieux sous. Le but des symboles nest donc pas de cacher. Leur but est de s lectionner e ceux qui, les int grant, se montrent dignes de la V rit . Il ny a jamais eu, e e e dans aucune tradition, volont de cacher quoi que ce soit. L nigme nest e e pas en la chose, mais elle est fonction de notre clart morale et spirituelle. e On peut dire que le Symbole est inni. Mais nous nen prenons que ce qui ` est a notre port e. A mesure que croissent nos capacit s, le Symbole nous e e enrichit de plus en plus. Aussi un symbole sint`gre et ne se comprend pas rationnellement. Il ne e 29

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doit pas seulement donner mati` re a r exion mais faire partie de nouse ` e m mes. Il doit rester dans notre cur, plus encore que dans notre cerveau. e On peut lire toute une biblioth` que, colliger dinnombrables ches, rase sembler une documentation exhaustive sur les symboles et ne pas pour autant en etre impr gn . De m me quon peut etre cal en solf` ge sans e e e e e pour cela devenir un vrai musicien. Cette int gration sur-rationnelle du Symbole, cest cela, lInitiation. e Mais cette int gration, comment lacqu rir ? e e Grave probl` me ! Sa solution d pend sans doute dune gr ce particuli` re. e e a e Qui sait, peut- tre de nos existences ant rieures ? Mais je risquerais de e e m garer en insistant. e Sachez seulement, mon cher fr` re apprenti, que les vrais initi s sont rares. e e Mais consolez-vous : m me si lon ne fait que de minces progr` s dans e e lArt Royal, ces progr` s ne sont jamais inutiles ; ils ont des cons quences e e heureuses pour toute lexistence. ` Un ou deux pas dans la Voie sufsent a modier profond ment une vie e humaine. Dans le domaine du Sacr , aucun effort, jamais, nest inutile. e Je vais dailleurs vous donner une m thode tr` s simple, un e e ` ainsi dire, pour avancer presque a coup sur. truc pour

` Il faut etre assidu a nos travaux. Quand un atelier travaille s rieusement e (comme celui-ci), il en emane une ambiance qui nit par impr gner tous e ` les fr` res, a condition que les rites soient ex cut s comme il se doit. A la e e e longue, cela vous rend accessible aux supr mes v rit s de lArt. e e e Je vous demanderai donc, mon tr` s cher fr` re, de m diter ce verset de la e e e Premi` re Eptre aux Corinthiens : Car, de m me que le corps est un, tout e e en ayant plusieurs membres, et que tous les membres du corps, en d pit de e leur multiplicit , ne forment quun seul corps, ainsi en est-il de la Loge . e Dans cette citation, je nai modi quun mot, le dernier. Revenu chez e vous, reprenez, mon Bien-Aim Fr` re, votre Livre de la Loi Sacr e (et M. e e e Cotteau frappa de son maillet la Bible ouverte devant lui) et retrouvez ce mot. Cest la premi` re clef que je vous offre. e Je ne puis vous en dire plus aujourdhui, car le m me apotre Paul, dans e la m me eptre, nous pr vient : Je vous ai donn du lait et non de la e e e nourriture solide, car vous ne pouviez pas la supporter et m me encore e vous ne le pouvez pas parce que vous etes charnels. . . * *

La premi` re partie de cette hom lie mavait int ress . Sa p roraison me e e e e e 30

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choqua. Je n tais pas venu dans les loges pour entendre des boniments de e cur . e ` Impression fugitive. A la tenue succ d` rent des agapes qui se tinrent a e e ` lH tel des Voyageurs ou lon mangea beaucoup et lon but ferme. La fao tigue et l motion aidant, je fus vite un peu saoul. A la n du gueuleton, M. e Cotteau poussa la chansonnette : quelques couplets maconniques du XVIIIe si` cle, assez lestes, ma foi. e Cela me rappela un banquet danciens combattants. Il y r gnait une core diale vulgarit . e Nous nous quitt mes pass minuit. En me reconduisant dans les rues a e sombres et d sertes de C. . . mon Fr` re Lagoutte, larchiviste municipal, e e me dit : A titre de Second Surveillant de Sagesse et Progr`s 1 , jai la responsabilit e e ` des apprentis. Je suis a votre enti` re disposition pour vous guider. Venez e ` ` me voir a la mairie. Inutile de me pr venir. Je nai rigoureusement rien a e faire, et mon bureau est tr` s tranquille, clos et couvert . e ` Il me quitta sur une poign e de mains rituelle. Javais mal a la t te et le e e cur barbouill . e

1. Tel etait le titre de ma Loge

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C HAPITRE III

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Deux semaines plus tard, je revins dans la loge. Jornais de ma pr sence et e de mon petit tablier de peau blanche la colonne du Nord. Je me conformai sans peine au rituel douverture puis subis un intermi nable laus du percepteur, sur limpot sur le revenu. On lui posa ensuite des questions ; je mennuyais dautant plus que je navais pas encore le droit de prendre la parole et que j tais et suis toujours bavard. e Lordre du jour, le plan parfait , annoncait linitiation dun nouvel ap prenti. Cette fois, je suivis attentivement la c r monie que M. Cotteau ee conduisait avec une sereine autorit . Elle me frappa plus que lorsque jen e e avais et le protagoniste. Oui, surement, il y avait quelque chose , l` a dedans. Il sen d gageait une emotion durable et communicative. Pourquoi e fallut-il que le charme fut rompu par de d plorables agapes ? e ` Je lavouai a mon fr` re Lagoutte qui me r pondit, selon son habitude, par e e une formule sibylline : LOrdre, sous des apparences d mocratiques, egalitaires, bon enfant, est e au plus haut point hi rarchique. Comme il est aussi vieux que la raison e humaine, rien ny est inutile ou indiff rent. e ` Je croyais, r pondis-je aigrement, que la franc-maconnerie remontait a e 1717 ou tout au plus aux matres duvre des cath drales. Vous la faites e ` remonter a Adam et Eve ? ` Non, seulement a Adam. Il se moquait de moi ! Nous vivons non pas dans le temps historique, profane, mais dans le Temps Sacr , insista-t-il. e Fort heureusement, nous etions parvenus devant la porte de ma logeuse. Je le quittai sans chaleur. ` Cinq mois plus tard, je fus admis a subir les epreuves du compagnonnage. ` Tout sy passa a visage nu et le rituel etait dune m diocrit qui mafigea : e e M. Cotteau etant gripp , ce fut le Premier Surveillant, lhotelier Camboue

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lives, qui dirigea la c r monie. Il anonna quelques pages tir es dun manuel ee e ` a lusage des ecoles primaires ; je me trouvais ridicule, embarrass de sie ` a mulacres doutils a b tir. Aux agapes, on ne parla que des futures elections municipales. Ce fut par crainte de mali ner mon proviseur que jassistai encore aux e mornes tenues qui suivirent. Enn, vint mon tour de Matre. ressusciter au sein m me de la mort , d tre recu e e

` Avant que de participer a la mort et la r surrection dHiram, je me confore mai aux usages de la Respectable Loge Sagesse et Progr` s . e Je tracai une planche, cest-` -dire que je s une causerie sur mes impres a sions maconniques. Ce mince travail me causa bien du souci. Avouer ma e d ception ? Mon d sir de tout quitter ? Ceut et surement peiner de braves e e gens et, qui sait ? me faire des ennemis, dont mon proviseur et quelques coll` gues. e Je me contentai donc d mettre des banalit s plus ou moins recopi es sur e e e des planches pr c dentes, conserv es aux archives de la loge. e e e On m couta poliment. On me posa des questions banales. Apr` s un e e ` vote de pure forme, je fus admis a recevoir la pl nitude de linitiation e ` maconnique , a avoir sept ans, ce qui, comme chacun sait, est l ge de a raison. Malgr mes pr ventions, la c r monie m mut. Se coucher dans un cere e ee e cueil, etre entour de tout lappareil de la mort et de la corruption. . . Puis, e aussitot, recommencer une autre existence. . . Je sentais bien que ce rite venait du fond des ages. QuHiram etait de la m me famille spirituelle quAtys, Dionysos, Mithra, J sus. Une expression e e me frappa particuli` rement : Les ls de la Veuve . . . La D esse eternelle, e e ressuscitant sous des noms et des hypostases divers, la Magna Mater, se r v lant aux hommes, ses enfants, d` s les premiers ages du monde. e e e Matre, je passai maintenant sous la direction du V n rable, de M. Cotteau. e e ` Il ny eut pas dagapes le soir de ma r ception. Le proviseur me garda a e dner, chez lui. Honneur qui me coupa lapp tit. Je le d couvris sous un e e troisi` me aspect myst rieux. e e Il savait merveilleusement ecouter, tout en tirant sur sa longue pipe en terre. Ses silences mencourageaient, je ne sais pas encore pourquoi. Josai lui parler des dieux sacri s et ressuscit s, des d esses-m` res. Un e e e e peu gris de mes propres paroles, je me tus soudain, etonn de ma propre e e audace. Alors. . ., pourquoi nous avez-vous donn une aussi mauvaise planche ? e 34

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conclut-il s v` rement. e e Je neus pas le courage de mentir : ma d ception. . . la vulgarit de mes e e fr` res . . . la politicaillerie des agapes. . . la m diocrit de la plupart des e e e planches. . . mon d sir dabandonner. e ` Au point ou jen etais, pourquoi ne pas tout confesser en une fois ? Vous nous reprochez. . . des choses parfaitement exactes. . . et cependant vous appartenez au meilleur atelier du d partement. Cest vous dire ce que e sont les autres on y bouffe du cur et lon se partage les pr bendes. e e Il versa deux rasades de calva ; dune lamp e, t cul-sec, et me demanda : e Vous etes-vous demand comment fut construite la Grande Pyramide ? e Il ne me laissa pas le temps de d biter des lieux communs et reprit : e ` Des milliers de t cherons s chin` rent a porter des pierres. Beaucoup a e e ` p rirent a la t che. Dautres d sert` rent et moururent de faim et de soif e a e e dans le d sert. e ` Des contrematres leur inculqu` rent le sens du devoir a coups de trique. e Les meilleurs manuvres mont` rent au rang de techniciens. Ils ne e ` touch` rent gu` re plus que les non-sp cialis s , mais eurent droit a des e e e e hochets dont ils etaient tr` s ers. e Des entrepreneurs habiles pass` rent des march s avec le Pharaon. Ils foure e nirent la pierre, le ciment et senrichirent. Des tenanciers mont` rent des guinguettes et des bordels pour cette foule e d sorient e, toujours assoiff e et priv e damour. Ils senrichirent plus ene e e e core que les entrepreneurs. Des dessinateurs, des g om` tres elaboraient les plans et ordonnaient les e e travaux. Ils gagnaient beaucoup et etaient bien consid r s. ee Des ing nieurs dressaient les plannings et etudiaient les divers probl` mes e e techniques. Chacun les saluait bien bas. Or, tous les rites de la Maconnerie tournent autour de lid e de construc e tion. Voil` . Si vous avez compris cela, vous avez tout compris. a Et, avec une ironie que je ne lui avais jamais entendue jusquici, il me demanda : Dans quelle cat gorie de constructeurs vous classerai-je ? Manuvre, e contrematre, tenancier, proteur, ing nieur ou dessinateur ? e La r ponse jaillit instantan ment, comme un eclair, malgr moi : e e e Dans aucune de ces cat gories, criai-je ! Mais dans la seule qui compte ! e La barbiche fr mit de joie ; il me dit pourtant, de son ton le plus professoral : e Je ne comprends pas. . . 35

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Mais l l` ve ne se laissa pas coller. ee Je veux etre lun de ceux qui concoivent la Pyramide, qui limaginent avant tous autres ; non pour que soit edi un edice colossal et inutile, e mais pour que soit adress un message aux g n rations futures, un mese e e sage eternel. Jai lu que chaque d tail de la Grande Pyramide avait une e signication occulte, signiait . . . Je veux etre un de ceux qui enclosent une signication dans. . . Je bredouillais et membrouillais. M. Cotteau ne me laissa pas continuer. Il me donna laccolade. Vous avez prononc les matres mots que jattendais de vous. Vous etes e ` vraiment pass de la mort profane a la r surrection initiatique. Je pourrai e e dire d sormais, comme le vieillard Sim on, nunc dimittis. . . e e Il voulut bien massurer que, depuis des ann es, il attendait un disciple, e un vrai, que j tais celui-l` . . . et que je venais en quelques mois de e a comprendre le v ritable secret de la Maconnerie, secret qui ne consiste pas e en des mots, signes, rites ou attouchements, mais en un certain sens de la hi rarchie humaine, en vue dune construction harmonieuse du Grand e uvre. Nous ne nous quitt mes qu` laube. J tais harass mais heureux, heureux a a e e dune joie que je navais jamais connue depuis mon enfance. Des longs monologues de M. Cotteau, de mon bon matre Cotteau, je nai rien oubli . Jesp` re bien que jen garderai le souvenir jusqu` ma mort et e e a peut- tre au-del` . e a Certains enseignements que je recus durant ces heures b nies sont trop e pr cieux pour etre r p t s. Jaurais limpression de commettre un sacril` ge. e e ee e ` Mais il ny a que des avantages a ce que jen transmette une parcelle. Mon v n rable matre commenca par paraphraser quatre citations gnoe e miques : Un proverbe japonais : Si graves que soient les fautes dun homme intelligent, il est assur daller au paradis. Si grandes que soient les bonnes e actions dun imb cile, il croupira en enfer. e Un verset evang lique : A tout homme qui a, lon donnera et il sera dans e ` labondance ; mais a celui qui na pas, on enl` vera m me ce quil a 1 e e ... Un conseil herm tique formul par le pr sident dEspagnet : Que le chere e e ` cheur tienne pour suspect ce qui lui parat facile a comprendre. La V rit est cach e par un voile tr` s obscur. Les Sages ne disent jae e e e mais plus vrai que lorsquils parlent obscur ment. Il y a toujours e1. Matthieu, XXIV, 29

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` de lartice dans les endroits ou ils semblent enseigner avec le plus ding nuit 2 . e e Un verset du Talmud : Ce nest pas l tude qui est essentielle mais la prae 3. tique * *

Si nos rituels ne sexpriment pas en langage direct, insista mon Matre, mais par le truchement de symboles, ce nest pas pour dissimuler au profane les Grands Secrets. Le but de lexpression symbolique est, bien au ` contraire, de rendre clair a lintuition ce que lentendement ne saurait saisir ` avec ses seuls moyens. Le raisonnement sur des abstractions ne suft pas a d voiler les ultimes v rit s. e e e Il ne faisait que r p ter, en quelque sorte, et en lapprofondissant ce quil e e mavait d j` enseign quand javais trois ans. ea e Mais le lait de lApotre devint, sinon chair nourrissante, au moins nourriture solide quand il pr cisa : e Lexpression symbolique correspond au recours au mythe de Platon. La r alit plus abstraite que celle de nos mots abstraits ne peut etre assentie e e que par anagogie, que par paraboles . . . Pour le v ritable macon, linf rieur et le sup rieur, le mat riel et le spie e e e rituel, non seulement se correspondent mais vivent ensemble comme un seul organisme, en etroite interd pendance. Notre symbolisme nest pas e un code dont il sufrait de poss der la clef pour que tout s claire, mais e e une perp tuelle d couverte de la marche g n ratrice de la pens e. Obscur e e e e e aux yeux du profane, il d couvre son efcacit d` s quon le consid` re selon e e e e ` loptique Construction , ce terme sappliquant aussi bien a la Soci t ee qu` lHumain. a ` Le sentier qui conduit par mille d tours a la Chambre du Milieu est mae lais a parcourir. Cest une queste, tout comme celle du Graal par Parsie ` fal. Celle-ci est sans doute la meilleure clef de la vie, de la mort, de la r surrection de ce chaste fol quest le profane initiable. e L tude est la base de la recherche maconnique. Mais ne la confondez e pas avec l tude documentaire, livresque. Cest l tude de soi-m me ; elle e e e ` e ` conduit non pas a l rudition mais a la Connaissance. ` Car (comme je vous le disais tout a lheure) ce nest pas l rudition qui e est lessentiel mais la pratique. . . Sil suft d tudier la chimie pour devee nir chimiste, il faut vivre la Maconnerie pour etre vraiment macon. Il faut d passer le niveau de lexplication de nos myst` res pour vivre ces myst` res. e e e2. Arcanum HermaticPhilosophiOpus 3. Yoma, 72 b

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Liniti exp rimente les instants eternels. Il revit le martyre et la gloire dHie e ram, il visite lint rieur de la terre avec V.I.T.R.I.O.L 4 . comme S same. Plus e e tard, il voyage avec Christian Rosenkreuz. Et maintenant, je vous livre le supr me arcane : Connatre et aimer sont e deux faces de la m me m daille, car connatre suppose lexistence dune e e relation pour ainsi dire charnelle entre le connaissant et le connu. Vouloir b tir un monde nouveau, cest aimer les hommes. a Plus tard, alors que laube blanchissait d j` nos vitres et que jallais regaea gner ma chambre, mon Matre insista, parlant dune voix sourde comme si ` c tait a lui plutot qu` moi quil sadressait : e a La franc-maconnerie nest pas un edice de pierre qui s die couche par e couche, avec le syllogisme nomm ciment. Nos rituels ne d veloppent pas e e un raisonnement ou une doctrine, niais, au travers des lignes, ils font allu` sion a quelque chose, et cest ce quelque chose qui doit devenir os de vos os et chair de votre chair 5 . Lintuition et lanalogie sont alors instruments dapproche bien plus que la raison et la logique. Nos textes, nos c r monies ee sont Voie et Vie pour conduire dune facon asymptote vers la V rit . e e * *

e Ces paroles, et bien dautres, ont et prononc es il y a dix lustres. Je e nen ai rien oubli . Et, pendant la guerre, alors que, gisant ensanglant dans e e le no mans land, je sentais la vie qui me quittait dans un grand froid, ce sont elles qui scintillaient autour de moi. Aussi quel fut mon emoi quand, tout r cemment, le hasard (comme sil y e avait un hasard !) me mit entre les mains un opuscule dun Occidental qui v cut le Zen : LArt chevaleresque du tir a larc de Eugen Herrigel ; jy ai trouv e ` e l cho de la r v lation de M. Cotteau : e e e Le Matre ne cherche plus mais trouve. Comme artiste, il est homme de caract` re sacerdotal, comme homme, il est lartiste dont le cur est p n tr e e e e par le regard de Bouddha, quoi quil fasse ou ne fasse pas, quil cr e ou se e taise, quil soit ou ne soit pas. Lhomme, lartiste, luvre, forment un tout. Lart du travail int rieur, de luvre qui ne s pare pas de lartiste comme e e une production ext rieure, de cet ouvrage quil ne peut ex cuter mais au e e contraire quil est toujours, surgit des profondeurs qui ne connaissent pas le jour. . .

4. Visita Interiora TerrRectiquandoque Invenies Occultum Lapidem (Visite lintrieur de la e Terre et en rectiant, tu trouveras la Pierre Occulte, formule inscrite sur le mur du Cabinet de Rexion e 5. Gen. II, 23

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C HAPITRE IV

ORDO AB CHAO

` Dois-je pr ciser quapr` s cette nuit m morable, je ne songeai plus a e e e d missionner ? Je devins assidu aux tenues de ma loge, mais regardai e toutes choses, d sormais, selon une nouvelle optique ; la bonne. e ` M. Cotteau ne t jamais dallusion a lenseignement quil mavait transmis. ` Et les rares fois ou je my risquai, il feignit de ne pas comprendre. Mais je sentais bien quil suivait mes progr` s dans lArt Royal. Ce fut lui qui e me t nommer secr taire de la loge, ofce peu envi car il exige du travail e e administratif, mais qui est un excellent poste dobservation. Mon premier soin fut de classer, in petto, mes fr` res selon les cat gories e e enseign es par mon V n rable. Je ne m tonnai point de reconnatre un e e e e grand nombre de manuvres . Seul laubergiste aurait pu gurer parmi les proteurs, car il faisait bien ses affaires lors des agapes. La franc-maconnerie multiplie les grades, les fonctions, institue une hi rarchie complexe. Ces honneurs se marquent par des chamarrures et e des cordons brod s. e La plupart des membres de Sagesse et Progr` s faisaient une chasse effr n e e e e aux-dits cordons ; ils etaient atteints, comme le disait le fr` re docteur e Lalonde, de cordonite aigu , maladie contagieuse comme la rage. e ` Cette cordonite faisait parfois subir des outrages a lesprit de fraternit . e Jobservais que le V n rable Cotteau, loin de freiner cette course aux e e honneurs, lencourageait secr` tement. Il y trouvait sans doute un test. e De la grisaille des bons bourgeois provinciaux qui ornaient lOrient et les deux Colonnes , deux individualit s se d tachaient nettement. e e Dabord celle de Poitou, le professeur dallemand. C tait un conspirateure n . Socialiste proudhonien, il etudiait constamment, et admirait, les e e Illumins de Bavi`re dAdam Weishaupt, prouvait que Mirabeau avait et e e leur disciple et leur pr tait le dessein davoir foul aux pieds les couronnes e e et la tiare. Il mettait dans ses interventions, toujours pertinentes, une amme glac e qui nous impressionnait, car nous le sentions impatient de passer de e 39

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` la th orie a la pratique. Les nantis avaient peur de lui. Les fonctionnaires e le trouvaient compromettant. Je crois que j tais son seul ami. Il nattendait e e quune occasion pour donner sa mesure, qui eut et celle de Saint-Just. . . Il est mort, dune balle allemande dans la t te, chef de maquis, en 1943. e ` Le docteur Lalonde, dont jai parl tout a lheure, etait un homopathe. Il e avait pass (au grand scandale du jury) sa th` se de doctorat sur Paracelse. e e Il vivotait, m decin des chemins de fer, et lon disait quil avait install dans e e ` sa cave un laboratoire-oratoire dalchimie. Il parlait a mots couverts de son ` uvre. Sagissait-il du Grand uvre ou dun ouvrage ou il condensait ses exp riences ? e Lalonde poss dait une belle biblioth` que. En dehors des ouvrages e e ` herm tiques quil gardait sous clef, il en laissait la disposition a nos fr` res, e e pourvu quon consult t sur place. Je crois bien que j tais le seul, avec M. a e ` Cotteau, a proter de cette faveur, ce qui le chagrinait. Aussi mhonorait-il parfois de br` ves condences, dont celle-ci, qui ma e beaucoup frapp et qui na pas ni d veiller en moi de singuliers echos. e e Les gens en place, les sorbonnards, les esprits forts, disait-il, moquent agr ablement ce quils nomment loccultisme quils confondent, volone tairement, avec les tables qui tournent dans les loges. . ., de concierge. Sils daignaient se d barrasser de leur sufsance, qui colle comme de e la poix, ils reconnatraient que la facon de penser actuelle est dori gine herm tique. Descartes, sil n tait pas rose-croix, etait au moins roe e sicrucien. Comenius a cr e la p dagogie contemporaine, Bacon la science e e exp rimentale. . . e Mais surtout, Karl Marx joue un role essentiel dans l volution du monde, e moins par son Kapital, qui est d pass , que par sa m thode dialectique : e e e th` se, antith` se, synth` se, par crise agnostique. Or, cette dialectique, Marx e e e ` la tenait de Hegel : Hegel proclame quil la doit a Jacob Bhme, le cordon ` nier th osophe de Gorlitz. De L nine a Boehme, la liation est ininterrome e pue. Comme je navais lu ni Bhme ni Hegel ni Marx ni L nine, je me gardai de e le contredire. Mais il dut voir un peu dincr dulit dans mon regard, car il insista e e Paracelse est le cr ateur non seulement de lhom opathie mais de lobe e servation clinique et de la psychologie des profondeurs. ` Devant tant d rudition, je me risquai un jour a lui demander quel e agr ment il tirait de la fr quentation assidue de notre respectable loge. e e La question lui d plut ; il y r pondit evasivement. e e La Maconnerie est un vivier. Au milieu du fretin, on p che quelquefois e 40

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de beaux poissons. Qui, on ? Disons que les poissons se p chent entre eux. . . Il d tourna la conversae e tion : On sinitie tout seul. Ce qui est grave, cest que les epreuves ne sont plus maintenant que symboliques ; enn, presque. . . Dans le bon temps, au Moyen Age par exemple, on risquait vraiment sa peau en affrontant les e quatre el ments : Feu, Terre, Air et eau. Ne croyez-vous pas que dans certaines loges, aujourdhui encore ?. . . Il ne faut jamais apprendre trop vite. Limpatience est un vice moderne. Il me laissa sur ces mots. Pour revenir quelques minutes plus tard : - Je voyage beaucoup. Peut- tre, quelque jour, vous emm` nerai-je avec e e moi. . . Vous verrez, on rencontre des gens curieux. . . ` Quand vous voudrez. . ., ou vous voudrez. . . ` Pas tout de suite. Apr` s la grande crise. . ., a moins que. . . e Il y avait sufsamment de tension politique dans le monde entier pour que je ne lui demande pas quelle etait cette grande crise . Elle eut lieu, comme chacun sait. Elle dure encore. Elle nen est peut- tre e qu` ses d buts. a e A moins que. . . Une bombe am ricaine, en 1944, a volatilis le macone e alchimiste, son laboratoire, son uvre. Je crois que si Lalonde vivait encore, il aurait lu avec int r t Le Matin des ee magiciens de Louis Pauwels et Jacques Bergier. Une inscription herm tique nous en pr vient : e e QUI POTENTIS NATUR ARCANA REVELAT MORTEM QURIT Je fus elu d put de Sagesse et Progr` s . Cest-` -dire que je fus d l gu e e e a ee e pour repr senter notre loge aupr` s du convent annuel (de lassembl e e e e g n rale) de notre Ob dience. e e e Jen protai surtout pour visiter des ateliers de Paris et de louest de la France. ` Contrairement a ce que les profanes imaginent, il ny a pas, surtout en France, dunit maconnique. Diverses ob diences se font une e e 41

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guerre, sourde ou d clar e, et sexcommunient r ciproquement au moindre e e e pr texte. e Bien plus que des oppositions doctrinales, des questions de pr s ances, e e de cordons, dinuence politique, alimentent ces querelles. Jai limpression quelles sont voulues par nos Sup rieurs Inconnus ; quelles servent e d preuves pour juger de la largeur ou de la mesquinerie desprit des fr` res. e e Reconnaissons dailleurs qu` la base , les irritantes et byzantines quesa tion de r gularit nint ressent personne et que si on les laissait libres, e e e ` la grande majorit des fr` res seraient de bons copains, indiff rents a la coue e e leur de leur sautoir. En th orie, ces anath` mes restreignent singuli` rement le droit de visiter tel e e e ou tel atelier. En fait, les responsables ferment les yeux en cas de transgression. Cest ainsi que jai pu, sans difcult s et avec le minimum de mensonges, e ` si ger sur les colonnes des principales loges de Paris, a quelque ob dience e e quelles soient rattach es. e

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C HAPITRE V

NON NOBIS DOMINE !

Le R gime Ecossais Recti est une ob dience chr tienne. Son e e e e proph` te e est le catholique ultramontain Joseph de Maistre, Josephus a Floribus in ordinem . e Que le plus int griste de nos philosophes ait et une des lumi` res de la e e franc-maconnerie embarrasse bien les cl ricaux actuels. Ils essaient de les e camoter avec de savantes et laborieuses pirouettes verbales, - ce qui ne trompe personne, pas m me eux. e Comme il nest pas dans mes intentions de pol miquer, je pr f` re exposer e ee la doctrine initiatique de Joseph de Maistre, telle quelle est exprim e dans e deux livres-clefs de notre fr` re de Savoie : Les Soir es de Saint-P tersbourg e e e et le M moire au duc de Brunswick. e e uvres qui ont et analys es dans le Joseph de Maistre mystique dEmile e Dermenghem. ` Cest a ce livre que nous empruntons les pr cisions que voici : e ` Vers 1750, il existait d j` quatre loges a Chamb ry. La plus ancienne de ces ea e e loges, celle des Trois Mortiers, avait et fond e en 1749 par le marquis de e ` Bellegarde des Marches. Elle se rattachait a la Mother-Lodge dAngleterre. Ce fut la m` re de toutes les autres loges de Savoie. C tait purement une e e ` soci t de plaisir dont le gouvernement navait absolument rien a craindre. ee Au commencement, elle r unit tout ce quil y avait de plus distingu a e e ` ` Chamb ry. Ensuite, elle d clina, comme il arrive a toutes les institutions e e humaines. Quelques dissidents constitu` rent la loge de la Parfaite Union qui resta e longtemps isol e, (sauvage), comme on dit maintenant, puis entra ensuite, e r guli` rement, dans le sein du Grand Orient de France. e e Un Allemand nomm Schubart vint r pandre la franc-maconnerie e e ecossaise, qui s tait, depuis 1735, d tach e de la franc-maconnerie dAne e e derson . Elle etait caract ris e par de nouveaux grades myst rieux, ainsi que par la e e e ` pr tention de se rattacher a lOrdre des Templiers . e 43

NON NOBIS DOMINE !

Ainsi fut b tie, en 1778, une nouvelle loge, la Parfaite Sinc rit ou la a e e R forme. Cette loge ecossaise qui d pendait de la Province dAuvergne e e ` (dont le chef-lieu etait Lyon) r unit tout ce quil y avait de mieux a e Chamb ry dans toutes les classes. . . Ses aumones rent grande imprese sion . Elle se distinguait aussi par la sobri t , la d cence, le respect des r` gles ee e e eccl siastiques dabstinence. Les Trois Mortiers voulurent obtenir contre e elle une excommunication maconnique. Non seulement ils ny parvinrent pas, mais p riclit` rent. e e En 1785, sept habitants de Chamb ry, artistes ou praticiens , obtinrent e du Grand Orient de France lautorisation de constituer la loge des Sept Amis. De recrutement bourgeois et m me de petites gens de condition e m canique cet atelier se transforma en club politique d` s le d but de la e e e R volution francaise. e ` Ainsi, a la veille de la R volution, la Maconnerie savoyarde est scind e en e e quatre tendances : Les Trois Mortiers rel` vent de Londres. e La Parfaite Union rel` ve de Paris. e La Parfaite Sinc rit a pour S r nissime Grand-Matre le duc de e e ee Brunswick-Lunebourg. Les Sept Amis sorientent vers la politique jacobine. e Joseph de Maistre, en 1774, ag de vingt et un ans, est initi aux Trois e Mortiers. Il en devient orateur, le 4 septembre 1778 ; il passe, avec quinze ` autres matres, a la Parfaite Sincrit. Adoub Chevalier Bienfaisant de la e e e Cit Sainte, il prend le nom mystique de Josephus, Eques a Floribus. e Il fait aussi partie dun groupe tr` s secret diniti s sup rieurs qui semblent e e e avoir des connaissances profondes et jouent un role plus important due les macons ordinaires, quils manuvrent plus ou moins secr` tement. Le e Coll` ge M tropolitain de France (` Lyon), centre de lEcossisme, avait en e e a effet plac dans les pr fectures de Chamb ry, de Turin et de Naples, des e e e coll` ges particuliers form s par une classe secr` te de Chevaliers Grands e e e Prof` s. e Voici ce que J.-B. Willermoz nous apprend des Grands Prof` s : e Cest le dernier grade en Fr