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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected] Article « De l’être-ensemble à l’être-au-monde : le rôle du haut-lieu » Mario Bédard Ethnologies, vol. 24, n° 2, 2002, p. 229-241. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/006649ar DOI: 10.7202/006649ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 20 mars 2015 06:44

Mario Bedard

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  • rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l'Universit de Montral, l'Universit Laval et l'Universit du Qubec

    Montral. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. rudit offre des services d'dition numrique de documents

    scientifiques depuis 1998.

    Pour communiquer avec les responsables d'rudit : [email protected]

    Article

    De ltre-ensemble ltre-au-monde: le rle du haut-lieu Mario BdardEthnologies, vol. 24, n 2, 2002, p. 229-241.

    Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :

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    DOI: 10.7202/006649ar

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  • DEDE LTRE-ENSEMBLE LTRE-AU-MONDE Le rle du haut-lieu

    Mario BdardGographe

    CLAT, Universit Laval

    Tous les lieux sont comparables mais leurs diffrences ne sont pas quedes rsidus de leurs ressemblances. L esprit des lieux ce qui faitquun espace est la fois semblable et distinct dun autre espace nest ni un fantasme, ni une spiritualit irrductible, il existe. [ nousde nous] exercer le voir, lapprivoiser, le penser (Lvy 1999 : 139).

    En notre re o le sens des lieux et le sentiment dappartenance deceux qui les habitent sont largement pris partie par limplosion desdistances et des frontires, puis par lexacerbation des diffrences quisensuit, le haut-lieu demeure, pour la trs grande majorit, un concept magique . En tmoignent le nombre croissant de textes,gographiques, ethnologiques et autres, qui, traitant de culture et depatrimoine, damnagement, de territoire et didentit, y rfrent plusou moins explicitement. Nest-il pas ainsi de plus en plus question, parexemple, de lieu de mmoire (Nora 1997a, 1997b, 1997c), de lieuexemplaire (Micoud 1991) ou de lieu du cur (Bonnemaison 1996) ;de lieu parlant ou de lieu dormant (Nora 1997a) ; de haut-lieu ou debas-lieu (Corajoud 1990 ; La Soudire 1991 ; Poche 1990, 1995) ;dentre-lieu (Turgeon 1998a, 1998b) et de non-lieu (Aug 1992, 1994) ;voire de lieu attribut, de lieu gnrique ou de lieu de condensation(Debarbieux 1992, 1993, 1995) ? Si nous nous sommes ailleurs employ dbroussailler cette plthore dappellations (Bdard 2002), nousaimerions maintenant poursuivre et prciser davantage le rle identitairedu haut-lieu. Un rle identitaire quon peut pressentir relationnel etheuristique au regard de la rhtorique dominante. Le haut-lieu, en effet,tenterons-nous ici de dmontrer, est identitaire parce que relationnel,

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    et encore relationnel parce que heuristique et vice versa. Serait-ce,pour reprendre Berque, quavec le haut-lieu on nest plus trs loin dusymbole dont Gurvich a dit il montre, il runit et il enjoint (1997 :54) ?

    Ses vertus relationnelles

    Premier lment notable, le haut-lieu symbolise et incarne lasingularit dun territoire et de son mode dtre en ce quil re-situe sanscesse le maintenant dans la longue dure comme lici, lindividu et lacollectivit aux chelles du Je, du Tu et du Nous. De fait, et que ce soiten termes

    - de prsent tendu, et donc dimbrication des pass, prsent, futuret autres conditionnels ou subjonctifs,

    - dici pluriel1, et donc dimbrication de toutes ses chelles fondatrices,de la plus grande la plus petite,

    - ou de complexe socioculturel o sont simultanment conjuguslindividu et la collectivit au su des allgeances, idologies, populations-souche et technicits qui ont pu y avoir cours,

    cest dans la dialogique de leurs embotements et immixtions que lelieu prend tout son sens. Et cest parce quil voque et articule la densitspatio-temporelle comme la complexit socioculturelle du lieu que lehaut-lieu, fut-ce lHtel-Dieu des Hospices de Beaune, la Penfeld deBrest ou larrondi des frises des toitures Kamouraska, ractive la chargede sens du lieu dans toute sa compltude et, du coup, quil raffirmeson originalit. Illustrant que le territoire ne peut faire sens que grce lassomption et la ralisation de tout ce qui distingue un lieu commeentit plurielle singulire, le haut-lieu est en quelque sorte une formedmulation scalaire. Mieux, de sublimation, en ceci que le poids delune ou lautre dimension spatiale ou temporelle, par exemple, estrelativis puis rgnr aussitt quentendu et repositionn laune decelui, sursignifiant, de lune et de lautre.

    Le territoire tant le produit de la transformation delendosomatique terrestre par lexosomatique humain (Raffestin 1986 :177), le haut-lieu sentremet comme faire-valoir des faire-tre et faire-devenir qui sont spcifiques un territoire. Marqueur didentit, il est

    1. Et non pas plural puisque si cet ici renvoie une multitude de couches gigognes,nombre dentre elles ne sont pas immdiatement perceptibles.

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    un identifiant axial dont la nature et la forme rvlent un sens, unordre et un effet concert affrents aux interfaces des chelles spatialeset sociales, puis des temporalits possibles ou probables dont il relancecontinment lpaisseur et lintrication. Mettant en relation, les uns parrapport aux autres, si ce nest les uns cause des autres, les lieux et lesindividus, puis les espoirs, mythes, rves, valeurs et mmoires duterritoire, le haut-lieu temporalise [] lespace [et] spatialise letemps (Wunenburger 1991 : 60). Citons ici, titre dillustration, lecas des tuiles vernisses ou de la Cte viticole en Bourgogne, dumonument ddi Louis Riel sur le parvis de la cathdrale de Saint-Boniface ou du complexe La Fourche/The Forks situ sur lautre rivede la rivire Rouge Winnipeg.

    Le haut-lieu individualise encore la trame sociale quil dcline lchelle du Je, puis contextualise lindividu quil socialise aux chellesdu Tu et du Nous. Motif ou artefact gosymbolique qui fait ni plus nimoins vivre les lments constitutifs dun lieu, le haut-lieu est sommetoute un lieu privilgi. Un paysage dexception o les habitants dunterritoire se trouvent et se retrouvent, signifis et signifiants, situ quilest la source et au terme du sentiment quune communaut peutavoir de son identit (Bguin 1995 : 89).

    Sa vocation heuristique

    Cette aptitude relationnelle du haut-lieu saisir et qualifier horizontalement et verticalement loriginalit du lieu dans sacompltude scalaire nest possible que parce que ce dernier procdegalement dune dmarche identitaire heuristique. Cest--dire dunedmarche identitaire totale qui, pour tre oprationnelle, cherche dsengorger nos ralits familires en restituant au sens du lieu sadmesure et son devenir. Les phnomnes dialogiques de spatialisation,de temporalisation, dindividualisation et de contextualisationprcdemment amens de gographisation, pourrait-on dire, puisquilsagit l, ontologiquement, du lot de la gographie (Bdard 2000) ne sont en effet possibles que parce que le haut-lieu renvoie un niveauplus profond et plus authentique du Rel (Claval 1996). Permettant la raison de smanciper des limites du langage et de la raison discursive(Eliade 1963) pour se reprsenter le tout inconditionn des choses (Wunenburger 1991 : 18), le haut-lieu semploie ainsi inlassablement exprimer une d-mesure de sens intimement lie lassomption et laralisation du Mme et de lAutre.

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    Comme un individu ou un lieu ne prend sens que dans la relation,lidentit de lun comme de lautre ne peut sapprcier qu la limite desoi et de lautre (Aug 1994). Toute identit est en effet relative, animepar une problmatique du Mme et de lAutre spculative o le lieu et celui qui lhabite nest et nadvient quen fonction dune altritintrieure et dune altrit extrieure. Soit en vertu dune ouverturetridimensionnelle

    - au Mme, cest--dire lici, au maintenant et au Je sujet ;

    - lAutre intrieur, soit lici, conjugu au pass, au futur ou auconditionnel en un registre davantage mnmonique quhistorique, puisle Je objet, le Tu proche ou semblable, et le Nous singulier ;

    - et lAutre extrieur, cest--dire un ailleurs situ par del lhorizondes sens ou par del les frontires culturelles ou politiques du territoire,voire au-del de lentendement de sa population, ou un Autre plusfranchement distinct et diffrent, tels que le Tu distant et le Nous pluriel

    avec lesquels nous sommes inexorablement en phase de significationrciproque. Dune ouverture donc aux tenants et aboutissants culturels,gographiques, historiques, sociaux ou psychologiques, et non plusseulement scalaires, des Je, Tu et Nous. Et il en est ainsi car, comme laprcis Buber, Il ny a pas de Je en soi. [] Quand lhomme dit Je,[] il soffre une relation (1969 : 20-21) avec le Tu, le Nous etmme le Je pour intime quil nous soit, ne nous est-il pas toujourstranger ? au contact desquels il saccomplit pleinement, si ce nestplus sciemment, comme Je, Je-Tu et Je-Nous. Une relation ouverte au Tu, au Nous et au Je par laquelle merge le monde qui est le ntre.

    Heuristique parce quil en appelle de la dmesure de sens dunterritoire comme de sa population, le haut-lieu lest encore parce quilillustre que si l identit territoriale [] est insparable dun rapport laltrit (Lipiansky 1995 : 35) par lequel peut tre assum lAutredans le Mme un Mme qui se prolonge et sachve dans ladcouverte du Mme chez lAutre , elle mane aussi des changes,des emprunts (36) qui gnrent une constante transformation. Eneffet, si tous les lments constitutifs au lieu doivent tre entendus etactivs dans leurs compltude, ils doivent ltre encore dans leursmouvements. En devenir, ils sont en permanence re-lus, r-invents,re-prsents, quelle que soit la stabilit des supports matriels parlesquels (Poche 1995 : 202-3) ils se manifestent. Ne sont-ils pas tout

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    aussi dynamiques et mouvants que les complexe socioculturel, prsenttendu et ici pluriel dont ils sont parties prenantes ?

    Comme ils interpellent la fois lunivers du visible et de linvisible,de linnit la plus profonde ltranget la plus dissemblable, les hauts-lieux sont des entits relationnelles et heuristiques qui assurent larencontre fconde des diversits qui particularisent un lieu. Ilsmobilisent de fait une imagination cratrice par laquelle le territoire servle structur autant par le concret que par lidel ou le symbolique.Insparable de la problmatique du Mme et de lAutre, on doitdistinguer, selon Wunenburger (1991, 1996), cette imaginationpotique

    - dune imagination reproductive qui, sur un mode mineur, image etpour cela supple au rel en vertu de reprsentations univoques etbidimensionnelles

    - et dune imagination radicale qui imagine proprement parler lerel autrement quil nest en le reconstruisant systmatiquement, crde toutes pices,

    en ce quelle imaginalise une autre ralit, mta-empirique et supra-conceptuelle, loge lenseigne du cur. Imaginalisante, cetteimagination en appelle dun rel cach ou dun surcrot de sens quiexcde le seul champ des ralits accessibles ou recevables et les bonifie.Participant sa re-prsentation, elle dcouvre un horizon de sens lafois proche et lointain, prsent et absent, immanent et transcendant (Wunenburger 1991 : 69) qui restitue davantage le Rel au sein duquelsinscrivent le lieu comme sa population. En effet, et alors quil rinvestitsans cesse la problmatique du Mme et de lAutre en vertu de relationsau lieu par lesquelles samenuisent lcart entre la ralit et Rel, si lehaut-lieu na de cesse de perptuer et dactualiser la densitspatiotemporelle et la complexit socioculturelle, cest parce quil estnourri et modul par une imagination au diapason de ses vertus etvocation.

    Lhomme a besoin dimaginer car il a le devoir daugmenter lerel (Bachelard 1961 : 12) sa hauteur et celle, contigu, du Rel.C'est--dire de se percevoir, tel quil est et l o il est, en dcloisonnantce qui est et en le magnifiant aux chelles, voisines2, du Je et du Rel

    2. Voisines, soutenons-nous, puisque ltoffement du Je nous a dvoil sa dmesure,une dmesure apparente en nature, et non en proportions, celle du Rel.

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    puisque nous vivons inluctablement leur mesure. Imaginalisant, lehaut-lieu donne lhomme le privilge de smanciper descontingences de nos sens et de notre raison raisonnable pour souvrir un autre monde qui lui permet [] de mieux comprendre celui-ci (Wunenburger 1991 : 122-3) et, de facto, sa propre existence.Relationnel et heuristique, le haut-lieu savre somme toute spirituelpuisque, capteur dabsolu, il est image et milieu en lequel il y a bienplus croire qu voir (Larrre 1995). Rvlateur dun sens immanent,il permet aux habitants dun lieu de se dcouvrir, de se mettre en questionet de se rgnrer grce une transcendance dtre (Wunenburger 1997).Cest dire que le haut-lieu participe dune ouverture du regard, dunpanouissement de lesprit et dune responsabilisation de lintelligencequi (r)affirment limportance du gosymbolique, voire du gographique pensons aux paysages quils faonnent et ponctuent commecondition et manire dtre du rapport soi. Serait-ce que le haut-lieuest enracinement et sublimation de lincommensurable sans lequel nulni rien ne ferait sens ?

    Un rle identitaire fdrateur essentiel, ou lessai dune dfinition

    Incarnation de lharmonie coextensive du sensible, du discursif etdu culturel, les hauts-lieux concourent au renchantement du lieu enlui redonnant sa profondeur de champ et en renouvelant sonhtrognit. En effet, ils procdent dune consubstantialit et dunedialogique existentielles qui permettent, notamment, de rassembler ceque ltalement de lurbain spare ; de replacer la mutation de lhabiterdans la longue dure ; de ractiver un contexte socioculturel englobant.Expression dune constante ractualisation dun sens structurant essentielmodul par lhistoire, la gographie, le patrimoine et par limaginairedu lieu, les hauts-lieux reconduisent des solidarits sans cesserecomposes. Ce faisant, ils refondent sa territorialit et sa convivialit.Aussi appartiennent-ils, pour reprendre Piveteau (1992), au groupedes langages fondateurs, lesquels se distinguent des langages quinoncent. Microcosmes dune collectivit qui se donne voir traverseux et qui les utilise pour se parler delle-mme, se raconter son histoire,se rappeler ses valeurs, puis se raliser, si les hauts-lieux peuvent ainsiexprimer ce qui unit et distingue un lieu, cest quils interpellent lesvocations et typicits foncires du lieu qui lui assurent, sur le plus longterme, sa prennit.

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    Alors quils condensent la signification conjugue des lieux enmettant en scne et la nature et la culture, et la partie et le tout, ajoutant la rationalit du sol celle, symbolique,

    - dune mmoire vive, restructure et constitutive dun prsenttendu,

    - dune territorialit aige, restructure et constitutive dun ici pluriel,

    - puis dune convivialit prgnante, restructure et constitutive duncomplexe socioculturel,

    les hauts-lieux transcendent lphmre du prsent, de lici et du Je. Ilsappellent le regard chercher la vrit et la plnitude de ltre aussibien dans lexceptionnel que dans lordinaire. Quils renvoient lunou lautre donn naturel ou construit, lun ou lautre lmentesthtique, organisationnel ou vocationnel, lun ou lautre trait mythifi,consacr ou vulgaire, visible ou invisible, dicible ou indicible, les hauts-lieux proposent une prise de possession intime du lieu. Focalisationde ltre dans ltant (Berque 1997 : 82), ne sont-ils pas, puisquils yincitent, le lieu de ltre-au-monde et, par effet dentranement, de ltre-ensemble ? Ensemble de valeurs et dimages mergentes spatialementexprimes, les hauts-lieux ne convoquent-ils pas

    - une image du monde et de soi,

    - un rapport au monde, soi et lAutre,

    - puis une manire dtre, de penser, dire et faire lespace (Bourdin1984)

    qui donnent consistance aux tres et aux lieux quils occupent, auxchoses et aux entreprises terrestres (Bureau 1997) qui y ont cours ?

    Artifices lus ou rigs dont les manifestations les plus parlantes peuplent liconographie et limaginaire populaires, les hauts-lieuxdonnent corps et raison dtre au territoire parce quils confrent unesubstance au dsir dtre-ensemble et une cohrence au besoin dtre-au-monde. Porteurs dune lgitimit, les hauts-lieux sont en effet miseen chair de lau spculatif et de let fdrateur. Re-prsentations-en-acte,ils participent de limpulsion identitaire de ltre-au-monde et de lacohsion rfrentielle de ltre-ensemble par laquelle nous sommes,Mme et Autre, signifis. Attendu quils font que nous sommes aumonde comme le monde est en nous (Berque 1990 : 115), les hauts-lieux nous aident retrouver dans les connivences sensibles entre les

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    formes du cadre gographique et les motifs culturels qui traversentencore les espaces contemporains plus spcialement lorsqueagglomrs et spcialiss la charge motionnelle propre au sentimentdappartenance et le pouvoir dvocation caractristique lternel dusens du lieu. Ils nous permettent donc, en quelque sorte, dhabiter lelieu pour quil nous habite.

    Habiter le lieu pour quil nous habite ; faire ntre son sens pour quenous puissions tre ; tre-au-monde pour tre-ensemble ; tre-ensemblepour tre-au-monde.

    Objet, toponyme, image ou sensation, le haut-lieu inscrit danslespace le territoire, la conscience dappartenir une mme entit,davoir des valeurs et des objectifs communs. En consquence de quoifaire sien un haut-lieu, cest permettre lindividu de trouver place dansla socit quil fait sienne et quilibre dans lhabitus quil dcline. Cestlui permettre dprouver un sentiment intense dappartenance quicre une fusion entre le lieu et le groupe, ou entre le lieu et le soi (Berdoulay et Entrikin 1995 : 116). Cest enfin lui permettre davoiraccs au lieu vrai, un lieu qui soit dj une vie , sujet et objet dune relation de ses habitants son site qui serait [] si accomplie que cestres feraient corps avec cette terre, ce rel (Bonnefoy 1990 : 17).Cest ainsi grce cette organicit dune unit de sens (Dupront 1990),plus et autrement quailleurs, que peuvent tre sauvegards et nourrisla complexit et la densit comme la dmesure et le devenir de cemme lieu. Cristallisant dans un cadre gographique donn etcollectivement reconnu (Debarbieux 1995) lessentiel du lieu, le haut-lieu impose aux prjugs, aux volonts et aux donnes de fait la disciplinesuprieure engendre par la familiarit la logique de ce lieu. Cestpourquoi le haut-lieu en appelle, finalement, dun renouvellementontologique.

    Formes spontanes de ltre-dans-le-monde [], non pas thorieou doctrine, mais saisie des choses, des tres et de soi (Gusdorf 1984 :63), les hauts-lieux renouvellent la charge de signifiance du territoireet ravivent sa dynamique comme milieu. lintrieur de leurs moyens,ils donnent voir, comprendre et vivre le lieu. Conditions dtre duterritoire car leur dsignation et leur usage sont des modalits majeuresdu processus de territorialisation (Debarbieux 1995 : 107), les hauts-lieux ont pour fonction principale de rendre la vie possible. Mieux,digne dintrt parce que signifiante. Aussi prnent-ils la formation dunesensibilit, dun sens du beau et dune authenticit (Blanger 1995) qui

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    donnent consistance la ralit du lieu puisque le Rel ne filtre plusqu travers elle. Constitutionnels en quelque sorte ce qui,inexpugnable (Bureau 1997), assure lassise identitaire, cest par leurentremise que le sujet et le lieu deviennent inextricablement lis, aupoint quils se fondent mutuellement.

    Agent et tmoin privilgi de lhabiter qui institue lhabitat etqualifie lhabitant, le haut-lieu savre somme toute tre

    - un prcipit territorialisant qui nous enveloppe, nous pntre, nouspossde, nous saisit ;

    - une forme doublement concrte et symbolique didentification cest--dire dtre l, de l, dy appartenir et de sy appartenir pour faire sens,pour y faire sens qui met subjectivement en cause notre propreidentit ;

    - une figure dappropriation et un mode dmanation par lesquelsadvient davantage lme du lieu, se rvle plus librement sa go-graphie.

    Conclusion

    Les hauts-lieux sont hors de tout doute des gosymbolesparadigmatiques. Marqueurs de la smiosphre culturelle dun lieu etde sa population, ils incarnent et articulent des temps forts de lhistoire,dune histoire, de leur histoire ; des espaces intenses, plus spcialementinvestis ; voire les silences habits de projets avorts ou despoirs toujoursvivants. Fentres sur lme, propulss au devant de la scne rgionalepar le dbat identitaire que provoque lactuelle reconfiguration delespace social, les hauts-lieux, au su de leurs vertus relationnelles etvocation heuristique, participent de manire ultime dune spatialitsymbolique. Dune sur-spatialit qui, proche parente de la symbolisationsociale virtuelle chre Eco (1988), perptue lunit immanente et leprincipe dindividualit dun lieu. Une sur-spatialit qui donc semploie dire et rgnrer la condition ternelle de ce lieu. Aussi les hauts-lieux sont-ils, en dfinitive, des lments rassembleurs du rfrentielhabitant qui, garants dune certaine continuit virtuelle, si ce nest dunestructure symbolique certaine, ancrent profondment etfondamentalement le sens du lieu et lidentit de ses habitants en lesparticularisant. Le haut-lieu nest-il pas un milieu de vie, de pense etdaction dans lequel et grce auquel un individu ou un groupe sereconnat, dote ce qui lentoure de sens et se dote lui-mme de sens,

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    met en route un processus identificatoire et identitaire (Barel 1990dans Tizon 1996 : 21) ?

    Signalons enfin que le rle du haut-lieu ici propos, pour rigoureuxet toff quil soit, se distingue par une polysmie et une nature cognitivecomme morale qui interdisent dy voir un concept scientifique. Et cesttant mieux. La gographie, comme toutes les sciences sociales ethumaines intresses par les relations qui existent entre lespace et laculture, voire tout individu dsireux dentreprendre une francherflexion identitaire, a besoin doutils territorialisants qui chappentaux canons conceptuels reus et aux logiques argumentaires usuelles.Et le haut-lieu a ceci de formidable quil suscite une farandole inachevede questions et de rponses qui recrent chaque fois lide comme lafonctionnalit de ce topo.

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