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MARQUEURS BIOCHIMIQUES DES MALADIES CARDIOVASCULAIRES REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2009 - N°409 // 59 Marqueurs biochimiques de l’insuffisance cardiaque (IC) a Biochimie et hormonologie Centre hospitalier Tenon (AP-HP) 4, rue de la Chine 75970 Paris cedex 20 [email protected] b Unité thérapeutique d’insuffisance cardiaque Centre hospitalier René-Dubos 6, av. de l’Ile-de-France 95300 Pontoise [email protected] * Correspondance [email protected] article reçu le 18 décembre 2008, accepté le 12 janvier 2009. © 2009 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés. RÉSUMÉ L’insuffisance cardiaque est un problème majeur de santé publique. Le dosage des facteurs natriurétiques (BNP et NT-proBNP) est devenu un partenaire indispensable de l’urgentiste pour établir le diagnostic d’une dyspnée aiguë et du cardiologue pour évaluer le pronostic des patients insuf- fisants cardiaques ou coronariens. Ce sont des examens complémentaires aux données cliniques et à l’imagerie. Au vu du rôle physiopathologique fondamental de ces peptides, les applications validées et potentielles de ces dosages se sont rapidement développées. Le but de cet article est de présenter les utilisations actuelles et les applications en développement des dosages des facteurs natriurétiques en pratique clinique. Insuffisance cardiaque – dyspnée – peptides natriurétiques – facteur natriurétique type B – NT-proBNP. L’i ffi di t blè j d bli SUMMARY Biochemical markers for heart failure Heart failure is a major public health issue. Assay of natriuretic peptides (BNP and NT-proBNP) is today an essential tool for emergency clinicians to establish acute dyspnoea diagnosis and for cardiologists to evaluate heart failure or coronary patient prognosis. These tests add to clinical data and imaging. Given the basic pathophysiopatho- logic role of these peptides, both validated and potential applications of those assays have been rapidly developed. The aim of this review is to present current use and applications of natriuretic peptide assays in clinical practice. Heart failure – dyspnoea – natriuretic peptides – B-natriuretic peptide – NT-proBNP. Guillaume Lefèvre a, *, Patrick Jourdain b La morbi-mortalité de l’IC est supérieure à celle des can- cers. La médiane de survie du patient en IC est de 5 ans, mais est réduite en cas d’évolution vers l’IC aiguë. On distingue l’IC systolique (à fonction ventriculaire gauche systolique diminuée) qui est majoritaire chez les jeunes, et l’IC à fonction systolique préservée (éjection normale et donc problème de remplissage cardiaque) qui est majo- ritaire chez les plus âgés. Les principales étiologies de l’IC systolique sont les cardiopathies ischémiques et les cardiomyopathies dilatées (où les coronaires sont norma- les). Les principales étiologies de l’IC à fraction systolique préservée sont l’hypertension artérielle et les valvulopathies (rétrécissement aortique). L’IC apparaît lorsque le cœur n’est plus capable d’assurer un débit cardiaque suffisant pour les besoins de l’organisme. Elle est liée soit à la réduction de la fonction « pompe » du cœur, généralement par dysfonction cardiaque (suite d’infarctus par exemple). Plus rarement, l’IC peut apparaître en absence d’atteinte cardiaque par augmentation des demandes (surcharge volumique, insuffisance mitrale). Il existe de nombreux facteurs pronostiques chez les patients en IC, traduisant la sévérité de la dysfonction ventriculaire gauche : présence d’une cardiopathie isché- mique, stade de l’IC jugée par la classification NYHA (tableau I), paramètres de fonction ventriculaire gauche en échographie (FEVG) et capacité fonctionnelle. Le degré de l’activation neuro-hormonale et du retentissement hémo- dynamique sont également des outils pronostiques : les concentrations élevées du facteur natriurétique de type B (BNP) ou de la noradrénaline sont associées à un faible taux de survie. 1. L’insuffisance cardiaque L’insuffisance cardiaque (IC) est un problème majeur de santé publique. Sa prévalence en Europe est de 0,4 à 2 % et concerne en France 1 % de la population générale. La prévalence de l’IC augmente avec l’âge, de moins de 3 % chez les patients âgés de moins de 45 ans à 10 % chez les patients âgés de plus de 70 ans. L’âge moyen lors de la première hospitalisation pour IC est de 74 ans, avec une prédominance masculine. Malgré les progrès thérapeutiques, le pronostic de l’IC reste sombre, avec une mortalité de 50 % à 4 ans dans les formes bénignes et de plus de 50 % à 1 an dans les formes sévères. L’IC est associée à des taux élevés de morbidité et de mortalité : le taux de réadmission pour IC aiguë peut atteindre un patient sur deux dans les 6 mois suivant le diagnostic initial.

Marqueurs biochimiques de l’insuffisance cardiaque (IC)

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THÉMATIQUE À TAPERMARQUEURS BIOCHIMIQUES DES MALADIES CARDIOVASCULAIRES

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2009 - N°409 // 59

Marqueurs biochimiques de l’insuffisance cardiaque (IC)

a Biochimie et hormonologieCentre hospitalier Tenon (AP-HP)4, rue de la Chine75970 Paris cedex [email protected]

b Unité thérapeutique d’insuffisance cardiaqueCentre hospitalier René-Dubos6, av. de l’Ile-de-France 95300 [email protected]

* [email protected]

article reçu le 18 décembre 2008, accepté le 12 janvier 2009.

© 2009 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

RÉSUMÉ

L’insuffisance cardiaque est un problème majeur de santé publique. Le dosage des facteurs natriurétiques (BNP et NT-proBNP) est devenu un partenaire indispensable de l’urgentiste pour établir le diagnostic d’une dyspnée aiguë et du cardiologue pour évaluer le pronostic des patients insuf-fisants cardiaques ou coronariens. Ce sont des examens complémentaires aux données cliniques et à l’imagerie. Au vu du rôle physiopathologique fondamental de ces peptides, les applications validées et potentielles de ces dosages se sont rapidement développées. Le but de cet article est de présenter les utilisations actuelles et les applications en développement des dosages des facteurs natriurétiques en pratique clinique.

Insuffisance cardiaque – dyspnée – peptides natriurétiques – facteur natriurétique type B – NT-proBNP.

L’i ffi di t blè j d té bliSUMMARY

Biochemical markers for heart failure

Heart failure is a major public health issue. Assay of natriuretic peptides (BNP and NT-proBNP) is today an essential tool for emergency clinicians to establish acute dyspnoea diagnosis and for cardiologists to evaluate heart failure or coronary patient prognosis. These tests add to clinical data and imaging. Given the basic pathophysiopatho-logic role of these peptides, both validated and potential applications of those assays have been rapidly developed. The aim of this review is to present current use and applications of natriuretic peptide assays in clinical practice.

Heart failure – dyspnoea – natriuretic peptides – B-natriuretic peptide – NT-proBNP.

Guillaume Lefèvrea,*, Patrick Jourdainb

La morbi-mortalité de l’IC est supérieure à celle des can-cers. La médiane de survie du patient en IC est de 5 ans, mais est réduite en cas d’évolution vers l’IC aiguë.On distingue l’IC systolique (à fonction ventriculaire gauche systolique diminuée) qui est majoritaire chez les jeunes, et l’IC à fonction systolique préservée (éjection normale et donc problème de remplissage cardiaque) qui est majo-ritaire chez les plus âgés. Les principales étiologies de l’IC systolique sont les cardiopathies ischémiques et les cardiomyopathies dilatées (où les coronaires sont norma-les). Les principales étiologies de l’IC à fraction systolique préservée sont l’hypertension artérielle et les valvulopathies (rétrécissement aortique). L’IC apparaît lorsque le cœur n’est plus capable d’assurer un débit cardiaque suffisant pour les besoins de l’organisme. Elle est liée soit à la réduction de la fonction « pompe » du cœur, généralement par dysfonction cardiaque (suite d’infarctus par exemple). Plus rarement, l’IC peut apparaître en absence d’atteinte cardiaque par augmentation des demandes (surcharge volumique, insuffisance mitrale).Il existe de nombreux facteurs pronostiques chez les patients en IC, traduisant la sévérité de la dysfonction ventriculaire gauche : présence d’une cardiopathie isché-mique, stade de l’IC jugée par la classification NYHA (tableau I), paramètres de fonction ventriculaire gauche en échographie (FEVG) et capacité fonctionnelle. Le degré de l’activation neuro-hormonale et du retentissement hémo-dynamique sont également des outils pronostiques : les concentrations élevées du facteur natriurétique de type B (BNP) ou de la noradrénaline sont associées à un faible taux de survie.

1. L’insuffisance cardiaque

L’insuffisance cardiaque (IC) est un problème majeur de santé publique. Sa prévalence en Europe est de 0,4 à 2 % et concerne en France 1 % de la population générale. La prévalence de l’IC augmente avec l’âge, de moins de 3 % chez les patients âgés de moins de 45 ans à 10 % chez les patients âgés de plus de 70 ans. L’âge moyen lors de la première hospitalisation pour IC est de 74 ans, avec une prédominance masculine. Malgré les progrès thérapeutiques, le pronostic de l’IC reste sombre, avec une mortalité de 50 % à 4 ans dans les formes bénignes et de plus de 50 % à 1 an dans les formes sévères. L’IC est associée à des taux élevés de morbidité et de mortalité : le taux de réadmission pour IC aiguë peut atteindre un patient sur deux dans les 6 mois suivant le diagnostic initial.

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Les symptômes de l’IC chronique apparaissent classique-ment à l’effort ou peuvent être marqués par une grande asthénie, associés à des signes cliniques de bas débit cardiaque et de rétention hydrosodée. L’IC aiguë se pré-sente sous forme d’un accès aigu de dyspnée au repos s’aggravant en détresse respiratoire aiguë et orthopnée. Les altérations cliniques sont nombreuses et peuvent comporter une tachycardie, une élévation de la pression veineuse centrale (turgescence jugulaire, reflux hépato-jugulaire, hépatomégalie), des crépitants pulmonaires. Les examens complémentaires (biologie, électrocardio-gramme, radiographie pulmonaire pour la recherche d’une cardiomégalie, échographie, ventriculographie, corona-rographie) permettent de confirmer le diagnostic, de faire une recherche étiologique et de dépister les éventuelles complications. Les traitements de l’IC aiguë nécessitent une hospitalisation en unité de soins intensifs (USIC) avec surveillance hémodynamique et oxygénothérapie non invasive. Le traitement médicamenteux à la phase aiguë repose sur les diurétiques de l’anse (furosémide) et les vasodilatateurs nitrés qui ont une vocation symptomatique. Le traitement de la cause initiale de l’IC aiguë doit égale-ment être entrepris (thrombolyse en cas de complication d’infarctus, antibiothérapie en cas d’infection, inotropes positifs en cas de bas débit, etc.). Le but des traitements de l’IC chronique est de soulager les symptômes et d’amé-liorer le pronostic. Les traitements ont beaucoup progressé ces 20 dernières années, mais la prise en charge reste très hétérogène entre et au sein d’un même pays. Les diurétiques sont indiqués uniquement en cas de rétention hydrosodée. Le traitement au long cours doit comporter les inhibiteurs du système rénine-angiotensine (IEC) et des bêtabloquants spécifiques. Pour les patients en IC chroni-que, la spironolactone et les antagonistes du récepteur de l’angiotensine II (ARA2) en remplacement ou en association aux IEC peuvent être recommandés. Enfin, les thérapies électriques (pacemaker multisite, défibrillateur) ont prouvé leur impact tant sur la qualité de vie que sur l’amélioration de la survie dans cette population à risque. Pour autant il est nécessaire de pouvoir optimiser de façon continue ces thérapeutiques afin de prévenir une aggravation de cette pathologie évolutive où plus de 30 % des hospitalisations sont considérées comme évitables par un bon suivi.

2. Les facteurs natriurétiques

Le dosage des peptides natriurétiques est devenu en l’es-pace d’une dizaine d’années un partenaire indispensable de l’urgentiste pour établir le diagnostic d’une dyspnée aiguë et du cardiologue pour évaluer le pronostic des patients insuffisants cardiaques ou coronariens. Les travaux initiaux

sur ces peptides ont portés sur le Brain Natriuretic Pep-tide (BNP), et depuis 2001 sur le dosage du N-Terminal proBNP (NT-proBNP).

2.1. Rappels physiologiquesLa famille des peptides natriurétiques comporte au moins 13 membres [1]. Le BNP est un peptide constitué de 32 aci-des aminés (AA) et est produit principalement par les myo-cytes cardiaques en réponse soit à une augmentation de la pression pariétale soit à l’étirement cardiaque [2] ; d’autres stimuli ont aussi été décrits comme l’hypoxie cellulaire et les cytokines [3]. Le gène codant le BNP code en fait un précurseur, une protéine de 134 AA, le pré-proBNP1-134, transformé par protéolyse en proBNP1-108 (108 AA). Ce dernier est une glycoprotéine O-glycosylée, qui sous l’ac-tion de protéases, comme la furine et la corine, est scindée en BNP et en une glycoprotéine de 76 AA, le NT-proBNP, dépourvu d’action biologique connue à ce jour. L’action hormonale du BNP passe par la stimulation de récep-teurs : les « Natriuretic Peptide Receptors » A (NPR-A) et B (NPR-B) qui ont tous les deux une activité guanylate-kinase entraînant des actions vasodilatatrices et natriurétiques (figure 1 et tableau I). La principale forme circulante des facteurs natriurétiques est le précurseur (proBNP1-108) [4]. Les différentes formes circulantes des facteurs natriuré-tiques n’ont pas la même action biologique vis-à-vis des récepteurs du BNP. Ainsi, le NT-proBNP1-76 n’a aucune action sur les récepteurs NPR-A et NPR-B alors que le proBNP1-108 stimule 6 à 8 fois moins les récepteurs que le BNP1-32 [4]. Ces données pourraient expliquer un des paradoxes de l’IC en particulier à la phase aiguë où des concentrations élevées de BNP n’étaient pas associées à l’effet diurétique escompté par l’augmentation théorique du BNP [3, 5]. Les principaux effets biologiques du BNP sont rappelés dans le tableau II.

2.2. Dosage des peptides natriurétiques

2.2.1. Méthodes de dosageLes peptides natriurétiques (BNP et NT-proBNP) ont été initialement dosés par des méthodes radio- immunométriques [6], mais actuellement ils sont dosés en routine par des méthodes ELISA [7]. Les techniques de dosages des peptides natriurétiques ne sont pas stan-dardisées. Le dosage du NT-proBNP utilise les mêmes anticorps de capture et le même calibrant (licence Roche Diagnostics) quelle que soit la technique utilisée. Ces techniques utilisent chacune des anticorps reconnais-sant différents épitopes du BNP et donnent par consé-quence des résultats variables pour un même échantillon. Les dosages du BNP peuvent reconnaître des épitopes communs au BNP et à son précurseur le proBNP1-108 [5] et les anticorps utilisés pour les dosages du NT-proBNP peuvent reconnaître le précurseur le proBNP1-108 [4]. L’in-terprétation du dosage des peptides natriurétiques doit donc tenir compte des méthodes de mesure et des seuils décisionnels propres à chacune. Le dosage du BNP est préconisé sur plasma, préférentiellement en utilisant l’EDTA, et il est interdit sur sérum car cette molécule est instable et sensible à la protéolyse. Le dosage du NT-proBNP est réalisable indifféremment sur sérum ou plasma et sur tube

Tableau I – Les quatre classes

de gravité croissante d’insuffisance cardiaque

(classification NYHA).

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en plastique ou en verre. Le NT-proBNP possède une bonne stabilité à température ambiante, à 4° C ou à -20° C alors que dans les mêmes conditions, la concentration en BNP diminue [8, 9]. Bien que les dosages des BNP et NT-proBNP soient globalement corrélés, la grande disper-sion des valeurs ne permet pas de passer indifféremment d’un système à l’autre [10]. Cependant, il existe une concor-dance clinique globale satisfaisante dans l’interprétation des résultats du dosage de ces peptides [11].

2.2.2. Variations physiologiquesIl existe quatre facteurs confondants dans l’interprétation des valeurs du BNP et du NT-proBNP : l’âge, le sexe, l’obésité et la fonction rénale. Les concentrations en BNP et NT-proBNP s’élèvent « physiologiquement » avec l’âge. Pour l’âge, l’augmentation de production via la masse cardiaque associée à une diminution de la fonction rénale pourrait contribuer à cette augmentation. Ces facteurs sont, à tranche d’âge égal, plus augmentés chez la femme que chez l’homme. Bien que les estrogènes aient été décrits comme activant la sécrétion du BNP, la différence homme/femme est plus probablement expliquée par l’effet anti-BNP des androgènes. Pour le BNP, une expression plus importante des récepteurs de type C du BNP sur le tissu adipeux sous l’action des androgènes a aussi été suggérée [12]. Les concentrations en BNP et en NT-proBNP sont inversement proportionnelles à l’indice de masse corporelle [13]. Une relation inverse obésité/ filtration rénale a également été suggérée. Toutefois, l’obé-

sité ne remet pas en cause de manière significative les seuils décisionnels de NT-proBNP utilisés dans le diagnostic et le pronostic de l’IC [14]. Les mécanismes de l’influence de l’insuffisance rénale sur les concentrations respecti-ves de BNP et de NT-proBNP sont controversés, car la filtration glomérulaire est équivalente pour les deux pepti-des [15]. Cependant, les concentrations plasmatiques du NT-proBNP sont plus affectées par l’insuffisance rénale que celles du BNP. Toutefois, les performances diagnostique et pronostique de ces deux peptides sont comparables chez les patients dyspnéiques quelle que soit la fonction rénale [16, 17].

2.3. Facteurs natriurétiques et dyspnée aiguëChez les patients pour lesquels la recherche d’une étiologie de la dyspnée est difficile, les dosages du BNP ou du NT-proBNP sont une aide réelle pour le clinicien car plusieurs

Tableau II – Principaux effets physiologiques

du BNP (SRA : système rénine-angiotensine).

Effet physiologique Mécanisme

� Volume urinaire

� Pression artérielle

� Flux coronaire

� Excrétion Na+ proximal et distal Inhibition SRA, � catécholamines

Dilatateur veineux et artériel� Vasodilatation pulmonaire

� Vasodilatation coronaire

Figure 1 – Effets physiologiques du BNP.

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études ont démontré que l’incertitude diagnostique aux urgences aux États-Unis était de l’ordre de 43 % avec les moyens de diagnostic usuels (avant échographie car-diaque) et de 11 % en associant le BNP aux données de l’examen clinique. Ces dosages doivent donc être associés à un examen clinique rigoureux, à un ECG et à un cliché thoracique. Pour le BNP, l’étude « Breathing Not Properly » a démontré la valeur d’un seuil d’exclusion à 100 ng/l [18]. Pour le NT-proBNP, Januzzi et al. [19] ont montré que le seuil d’exclusion de l’IC était de 300 ng/l (VPN de 99 % et VPP de 55 %) ; les patients qui avaient un NT-proBNP > 300 ng/l présentaient un pronostic plus défavorable. Selon Januzzi et al., le seuil décisionnel de l’IC évolue entre 450 ng/l à 50 ans et 1 800 ng/l au delà de 75 ans. Au delà de 500 ng/l pour le BNP, et 450 ng/l à 50 ans et 1 800 ng/l à 75 ans pour le NT-proBNP, le diagnostic d’IC est très probable avec une valeur prédictive positive de 80 à 90 %. L’élévation de la concentration en NT-proBNP à l’admission chez un patient en IC décompensée est un facteur indépendant de morbi-mortalité.

2.4. Facteurs natriurétiques et insuffisance cardiaque (IC)

2.4.1. Facteurs natriurétiques et diagnostic d’IC chronique Les performances du dosage des peptides natriurétiques leur ont permis de rentrer, dès 2001, dans l’algorithme pro-posé par l’European Society of Cardiology pour le diagnostic de l’IC [20] (figure 2). L’aide au diagnostic d’une IC chroni-que chez un patient symptomatique à l’aide d’un dosage biologique est intéressante notamment pour les médecins généralistes qui voient ainsi la possibilité de sélectionner les patients à risque. Les valeurs médianes du BNP et du NT-proBNP augmentent avec l’importance de l’IC jugée par le score NYHA. L’augmentation du NT-proBNP est plus régulière que celle du BNP avec la sévérité de l’IC, ce qui permettrait une meilleure détection de ses stades précoces [21, 22], mais l’indication en screening n’est pas

recommandée. En revanche, il existe une relation linéaire entre la valeur du NT-proBNP et le risque de mortalité chez l’insuffisant cardiaque. Les informations pronostiques apportées par le dosage des peptides natriurétiques sont indépendantes de celles apportées par les autres moyens d’investigation (échographie, clinique…). Chez l’insuffisant cardiaque chronique, il semble plus pertinent d’évaluer l’évolution des concentrations de peptides natriurétiques plutôt que de la comparer à des valeurs seuils. Devant une détérioration clinique, l’augmentation des facteurs natriurétiques permet de la relier soit à l’aggravation de l’état hémodynamique ou a contrario à l’apparition de fac-teurs confondants (arythmies…). Ainsi, il pourrait s’avérer intéressant dans l’avenir de déterminer à l’état stable la concentration individuelle en peptides natriurétiques chez l’insuffisant cardiaque chronique.

2.4.2. Suivi thérapeutique de l’ICLa prise en charge et le suivi des patients atteints d’IC aiguë ou chronique doit tenir compte des données cli-niques et de l’interrogatoire, de l’échographie, des tests de capacité fonctionnelle (mesure de la VO2 max) et des concentrations de peptides natriurétiques. Le suivi par les dosages des facteurs natriurétiques du patient en IC aiguë permettrait d’estimer d’une part sa réponse au traitement médical instauré durant l’hospitalisation et d’autre part le pronostic à court terme après son hospitalisation. La variation de la concentration des facteurs natriurétiques au cours du séjour hospitalier apparaît comme étant bien corrélée à l’évolution clinique, une diminution moyenne de 56 % du NT-proBNP étant corrélée à une résolution considérée comme complète de la poussée d’IC aiguë [23]. Le BNP à la sortie apparaît comme un élément pronostique très puissant, les patients rentrant à domicile après une décompensation avec un BNP > 700 ng/l ayant un risque > 90 % de décès ou de ré-hospitalisation à 6 mois. La fréquence de ces dosages n’est pas fixée ; Wu et al. ont mis en évidence l’absence d’information apportée par la réalisation d’un dosage quotidien de NT-proBNP dans l’IC aiguë [24]. Actuellement, deux dosages intra-hospitaliers des facteurs natriurétiques seraient recommandés, un à l’admission et l’autre à la sortie du patient, ce dernier permettant d’évaluer le pronostic. Troughton et al. ont déterminé que le NT-proBNP pouvait permettre l’iden-tification des patients pouvant bénéficier d’une « inten-sification thérapeutique ». Un suivi basé sur un objectif de NT-proBNP diminuait les décès de toutes causes, les hospitalisations et les poussées d’IC par rapport à un suivi classique sans dosage [25]. Les résultats préliminaires de l’étude monocentrique BATTLESCARED [26] semblent confirmer les données de l’étude pilote menée chez les patients âgés de moins de 75 ans en terme de réduction de morbi-mortalité. Le rythme de dosage retenu dans le suivi de l’IC et l’optimisation thérapeutique est de 3 mois en association à un examen clinique, et éventuellement une échographie qui ne peut être remplacée par le dosage du NT-proBNP, ces deux éléments apportant des rensei-gnements différents. L’intérêt du NT-proBNP dans le suivi thérapeutique a été confirmé chez les sujets de moins de 75 ans par les résultats de l’étude TIME-CHF mais n’a pas été retrouvé chez les sujets âgés de plus de 82 ans.

Figure 2 – Prise en charge en cas de suspicion

d’insuffisance cardiaque.

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Pour le BNP, l’étude STARS a comparé chez 220 patients traités pour IC l’efficacité d’un suivi clinique classique et d’un suivi clinique associé à un dosage trimestriel du BNP. L’objectif était d’obtenir une concentration basse (100 ng/l) en BNP. Cette étude a démontré que dans le groupe suivi avec un dosage régulier de BNP les adaptations thérapeu-tiques étaient plus fréquentes et la survenue d’événements défavorables (décès, décompensation) était significati-vement diminuée par rapport à un suivi « classique » [27]. Ces études, qui doivent être confirmées, pourraient jeter les bases du suivi thérapeutique de l’IC par les dosages des peptides natriurétiques.

2.5. Autres applications des facteurs natriurétiques

2.5.1. Chimiothérapies cardiotoxiquesLe dosage des facteurs natriurétiques pourraient être inté-ressant dans le suivi des patients traités par des chimio-thérapies cardiotoxiques comme les anthracyclines. Avant chimiothérapie, la concentration en NT-proBNP était équi-valente chez les patients cancéreux et les patients sans pathologie cardiaque alors qu’après chimiothérapie, le NT-proBNP augmentait jusqu’aux valeurs retrouvées chez les patients avec une pathologie cardiaque [28]. Une relation inverse entre FEVG et le NT-proBNP a été démontrée, la diminution de NT-proBNP étant plus sensible que celle de la FEVG en cas d’altération cardiaque [29]. Cardinale et al. ont montré qu’il existait une augmentation post-cure puis une normalisation du NT-proBNP. Une diminution persis-tante de la FEVG n’a été retrouvée que chez les patients n’ayant pas normalisé rapidement le NT-proBNP [30]. L’élé-vation persistante du NT-proBNP ou du BNP est prédictive d’une IC à moyen terme. Ainsi ces dosages permettraient de sélectionner des sujets à risque nécessitant un suivi cardiologique régulier.

2.5.2. Embolie pulmonaire Plusieurs publications ont présenté l’intérêt pronostic du dosage des facteurs natriurétiques dans l’embolie

pulmonaire : l’augmentation des peptides natriurétiques n’était pas instantanée mais a paru significative entre une et trois heures après l’augmentation de la pression ven-triculaire droite. Le dosage des peptides natriurétiques n’est donc utile qu’en complément de la clinique et de l’échocardiographie et l’absence d’élévation n‘apporte aucune information significative, en particulier sur le plan diagnostique [31].

2.5.3. État de chocAu cours des états de choc, les concentrations plas-matiques des peptides natriurétiques sont élevées quelle que soit l’étiologie. Cependant, leur dosage pourrait aider à déterminer le mécanisme en cause, cardiogénique ou non. De plus, le NT-proBNP possède une valeur pronostique établie au cours du choc septi-que [32].

2.5.4. Maladie coronaire En cas de syndrome coronarien aigu (SCA) ou de nécrose myocardique, les peptides natriurétiques ne sont pas sécrétés par la zone nécrosée mais par les zones péri-ischémiques. La sécrétion de médiateurs inflammatoires, comme l’IL-6, pourrait également expliquer la stimula-tion des peptides natriurétiques, sans augmentation mesurable des troponines. Sur un plan physiopatho-logique, le dosage des peptides natriurétiques diffère donc totalement du dosage des troponines, ce qui en fait son intérêt. Le NT-proBNP et le BNP ont un pouvoir pronostique à court et à long terme dans les SCA avec ou sans sus-décalage du segment ST [33]. L’influence du dosage des peptides natriurétiques sur les diffé-rentes stratégies thérapeutiques est encore discutée. Pour James et al., le NT-proBNP associé avec un sous-décalage du segment ST est plus étroitement corrélé à la mortalité à un an que les valeurs de la troponine, de la CRP ou de la clairance de la créatinine. L’association du dosage des marqueurs type troponine et NT-proBNP permettrait d’établir une meilleure prévision pronostique (stratification du risque).

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