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Masculin feminin la grande reconciliation. le figaro 11 mars 2013 valérie colin simard

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Page 1: Masculin feminin la grande reconciliation. le figaro 11 mars 2013 valérie colin simard

lundi 11 mars 2013 LE FIGARO

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14 santé l psycho

le plaisirdes livres

PAR JEAN-LUC NOTHIAS

������� �� ���� � � ���� ���� ��� ��� ����� ��� ��� � ������QUE CROIRE? Et qui croire?Maladie de la vache folle, ondesélectromagnétiques, sras, changementclimatique, gaz de schiste…Les controverses sont encorenombreuses aujourd’hui. Pas plussans doute qu’elles ne l’étaient déjàau XIXe siècle avec les polémiquesautour du gaz de ville, du train,

de la voiture, des médicaments...mais elles sont plus vastes, touchentplus de gens et suscitent des réactionsparfois totalement irrationnelles.Ces interrogations du grand public, ces affrontements entre « experts » envahissent les esprits et les médias.

«Ils n’y connaissent rien»C’est pour tenter de voir plus clair dans les rapports entre les sciences et la société que l’Institut des hautes études de science et de société (Ihest) vient de publier un ouvrage collectif regroupant plus d’une vingtaine de personnalités venues de divers horizons, sous la coordination de Marie-Françoise Chevalier-Leguyader, la directrice de l’Ihest. La question, provocante, posée est Partager la science. L’illettrismescientifique en question *.

Dans ces pages, on comprend qu’au moins trois modes de pensée imparfaits se confrontent autour des questions de sciences et de société : « les gens n’y connaissent rien » ; « on ne leur explique pas assez bien » ; « on n’en sait pas assez pour être affirmatif ». D’où un profond divorce entre sciences et société. Des sismologues italiens n’ont-ils pas été récemment condamnés en justice pour n’avoir pas prévu un séisme ?…On reproche souvent aux scientifiques de rester dans leur tour d’ivoire ; pourtant, nombreux sont ceux qui font l’effort de « vulgariser » leur science. Avec plus ou moins de bonheur, il est vrai.«Les discours portant sur l’illettrismescientifique attribuent souvent aupublic une ignorance sur des principes,méthodes ou résultats scientifiques

jugés importants. Mais que se passe-t-il en régime de controverse,qu’en est-il si cette ignorance n’est passeulement subie, mais bien activementproduite?», écrit ainsi le philosophe Mathias Girel, qui rappelle comment dans les années 1950 l’industrie du tabac menait des campagnes de désinformation pour discréditer les résultats scientifiques prouvant la dangerosité de leur produit.

«Perle rhétorique»Plus près de nous, le physicien ÉtienneKlein affirme qu’il ne faut«pas cesserde traduire l’intraduisible» et prendl’exemple de«la pseudo-controverse»sur l’origine du changementclimatique. Pour lui,«on a pu entendrependant des mois sur les ondesdes assertions pseudo-scientifiquesen apparence convaincantes,

mais en réalité parfaitement fausses».Et de citer en exemple ce qu’il appelleune«perle rhétorique» d’un ancienministre de l’Éducation nationalequi avait déclaré:«Comment peut-onprétendre prévoir le climat du prochainsiècle alors que les prévisionsmétéorologiques ne vont pas au-delàde quelques jours?»Bien d’autres questions sont abordées dans cet ouvrage, dont celles concernant la première éducation et sa contribution à la formation et à l’acquisition d’une culture scientifique. Des exemples sont donnés pour les États-Unis, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Brésil, la Corée ou les pays du Maghreb. Bien des progrès sont encore à réaliser.

* «Partager la science.L’illettrisme scientifique en question».Éditions Actes Sud/Ihest.

PASCALE SENK

PRESSION «Je ne suis pas à la hau-teur, je ne vais pas y arriver, il faut queje mette la gomme ». A priori, ce dis-cours intérieur stimulant, nous leconnaissons tous de manière ponc-tuelle, lors d’oraux d’examens, épreu-ves sportives ou même entretiens derecrutement. Lorsque cette intensemais éphémère pression, nécessaire àl’engagement dans l’épreuve, s’instal-le de manière durable et devient modede vie, elle risque d’entraîner la per-sonne dans des comportements des-tructeurs. Aujourd’hui, comme l’affir-mait récemment le Dr LaurentChneiwess dans nos colonnes, cetteanxiété de performance est en netteaugmentation, notamment dans lemonde du travail.

Le contexte y est évidemment pourbeaucoup. « Des objectifs chiffrés deplus en plus hauts, des comparaisonsd’employés entre eux et de services en-tre eux, la nécessité de faire plus avecmoins de moyens… De nombreux sala-riés me disent se sentir pressés commedes “citrons” et frustrés de ne pouvoirfaire le travail aussi bien qu’ils le sou-haiteraient, observe le Dr Christophe

Massin, qui intervient lors de forma-tions sur les risques psychosociauxdans l’entreprise et a publié avec leDr Isabelle Sauvegrain Réussir sans sedétruire (Éd. Albin Michel). Lorsque lescontraintes ne sont pas reliées à des si-tuations temporaires, mais se générali-sent, elles installent peu à peu une pres-sion globale à laquelle il devient difficilede résister.»

Résultat, la dimension personnellede l’individu, sa spécificité, son sa-voir-faire s’effacent, pour laisser placeau seul stress d’obtenir des résultatsrapides et visibles. «Peu à peu, le tra-vailleur se donne beaucoup, tout en sesentant menacé, explique le psychiatre.Il a l’impression qu’il fait tout mal, com-mence à patiner tout en augmentant sesheures de présence… Lorsqu’il s’épuiseainsi, on se rapproche du burn-out.»

Le stress de performance distilléainsi à outrance épuise le plaisir et lasatisfaction du travail juste bien fait.La coach Pascale Henry-Deguirmen-djian qui, au sein de son cabinet Cry-salead développe le concept mis aupoint par la psychothérapeute ValérieColin-Simard pour favoriser l’équili-bre dans l’entreprise (lire ci-dessous),a elle-même vécu ce cercle vicieux.« J’étais directrice financière et j’avaisla conviction que pour réussir, il me fal-

lait en passer uniquement par l’effortintellectuel, la surcharge de travail,l’abstraction, se souvient-elle. Je relé-guais au placard mon intuition, macréativité, mon plaisir… J’observe cettemême tendance chez la plupart de noscoachés qui, pour tendre à outrance lacorde, se coupent de leurs émotions. »

«Prendre du recul»C’est alors le corps seul qui, pour avoirété trop négligé, peut réagir et manifes-ter des failles : tendinites, maladies car-dio-vasculaires, insomnies… Tous cessignes du mal-être au travail devien-nent alors, paradoxalement, des voiesthérapeutiques. « Les salariés que nousaccompagnons ont mis de côté, par peurd’échouer, leurs ressentis physiques etémotionnels, ajoute Pascale Henry-De-guirmendjian. Les premiers jours de nosformations, lorsqu’ils s’expriment, nousne cessons de les interrompre et de leurposer la même question : “Que ressen-tez-vous ?” Et ils nous répondent presquesystématiquement “Je pense que… ”Jus-qu’au moment où ils parviennent enfin àressentir leurs émotions. Cette rééduca-tion n’a de sens que si elle s’allie ensuite àla capacité à faire respecter un cadre,établir de vrais contrats… Pour ne pasrester dans une posture de victime. »

Apprendre à s’appuyer sur le corpspour s’en sortir semble donc incon-tournable. « Physiquement, nous pou-

vons sentir que nous mettons endanger notre équilibre, alors quedans notre esprit nous ne percevonspas la limite, explique le Dr Chris-tophe Massin. C’est donc notre corpsqui doit devenir un support pour nousaider à reconnaître la surcharge maisaussi à nous détendre, retrouver du re-cul et nous recentrer. » Relaxation,sophrologie, yoga sont parmi les tech-niques les plus prisées en la matière.

Pas question de ne plus souhaiter êtreperformant, donc, mais garder cet ob-jectif tout en prenant soin de soi, tel estl’enjeu. Et le psychiatre de rappeler cet-te loi du vivant qui avance toujours se-lon la même tension : « Lorsque votreenvironnement exerce une pression tropforte, il est nécessaire d’exercer de votrecôté une contre-pression, en posant voslimites, pour rétablir l’équilibre. Cela de-mande une capacité à prendre du reculvis-à-vis du système qui vous emporte ».On pourrait aussi appeler cela « aména-ger les contraintes » ou « réguler sonactivité ». �

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Devenue un trouble chronique, elle est au cœurdes risques psychosociaux au travail.

VALÉRIE COLIN-SIMARD, psychothé-rapeute et coach en entreprise, vient depublierMasculin-Féminin, la grande ré-conciliation (Éd. Albin Michel).

LE FIGARO. - Concernantl’intensification de l’anxiétéet de la peur d’échouer dans notresociété, vous affirmez qu’elles viennentd’un déséquilibre profond entreles valeurs féminines et les valeursmasculines telles que nous les vivonsau niveau individuel et collectifaujourd’hui. Qu’entendez-vous par là?Valérie COLIN-SIMAD. - Tout se passecomme si la dévalorisation de la fem-me, si prégnante pendant des siècles etmoins active aujourd’hui, s’était désor-mais déplacée sur les valeurs fémininesen général. Ainsi, quand je travaille enentreprise, je préviens que je vais em-ployer des termes considérés actuelle-ment comme des «gros mots»: passi-vité, vulnérabilité, dépendance etinterdépendance… Toutes ces valeursféminines passent loin derrière cellesdu masculin: la vitesse, l’action, la sé-lection, la compétition… Ce sont ellesqui, parce qu’elles sont survalorisées,viennent nourrir l’anxiété de perfor-mance aussi bien chez les hommes quechez les femmes. Nous sommes aujour-d’hui en déséquilibre. Or, pour réussir,nous avons besoin de nous appuyer àl’égal sur ces deux systèmes de valeurs.

Pourtant les femmes sont de plusen plus présentes dans l’entreprise,

y compris à des postes de direction.Ne sont-elles pas les premièresà pouvoir incarner des valeursféminines là où celles-cimanquent?Hélas, les femmes sont encore en traind’essayer de prouver qu’elles aussipeuvent incarner les valeurs masculi-nes. Du coup, pour réussir, elles ont misau vestiaire leurs émotions, leur sens del’intimité, leur empathie. Résultat:c’est comme si elles marchaient sur uneseule jambe. Pour prouver leur droit auleadership, elles retiennent leurs émo-tions pendant des années, puis, sou-dain, explosent en larmes ou en colère,ce qui les rend toujours plus méfiantesenvers leur vie émotionnelle. Mais dé-nier ses émotions, pour les hommescomme pour les femmes, a un coût: cesont elles qui relient notre intellect etnotre corps… Si nous n’en tenons pascompte, nous nous coupons du réel, vi-vons dans des univers virtuels et som-mes pris dans des courses folles tellesque celle qui a provoqué la crise du sub-prime notamment.

Et les hommes, comment vivent-ilscette course à la performance?Comme l’idéal masculin du patriarcatest très fort, très haut, ils se croientobligés de jouer les «supermen», segrisent de chiffres, de virtuel, visent

une perfection inatteignable… Et unjour, ils se retrouvent en burn-out ou, àla faveur d’un licenciement en masse,ils tombent en dépression, car la fin del’action signifie pour eux la fin de leuridentité.

Comment se libérerde tels fonctionnements?En prenant conscience – et pas seule-ment sur un plan intellectuel - de lapuissance des valeurs féminines. Fairepreuve de vulnérabilité ou d’empathiepeut être une force. Ainsi, au lieu de selaisser happer dans des mécanismes deharcèlement moral, par exemple, pou-voir tout de suite accueillir son émotionet dire «quand vous me parlez sur ceton, cela me blesse» peut amener degrands changements. De même, s’esti-mer suffisamment compétent pour oserdire «je n’y arrive pas» peut vous per-mettre de vous affirmer et de gagner laconfiance et le respect de votre patron.La reconnaissance que nos émotionssont des informations précieuses peutprofiter à tous, hommes ou femmes. Ettrop souvent nous oublions que lesliens, en même temps que notreprofessionnalisme, sont notre ressour-ce essentielle. Il est impossible de s’ensortir seul. �

PROPOSRECUEILLIS PAR P. S.

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Valérie Colin-Simard :« La reconnaissance que nos émotionssont des informations précieuses peutprofiter à tous, hommes ou femmes.» DR

C’est le corps seul qui,pour avoir été tropnégligé, peut réagir :tendinites, maladiescardio-vasculaires…

«Les salariés que nousaccompagnons ont mis

de côté, par peur d’échouer,leurs ressentis»

PASCALE HENRY-DEGUIRMENDJIAN, COACH