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U N I V E R S I T E D E R O U E N
U.F.R. DE PSYCHOLOGIE, SOCIOLOGIE ET SCIENCES DE L’ÉDUCATION
Dépa r tement des S c i ences de l ’ Édu ca t i on
M É M O I R E D E D . E . A . E N S C I E N C E S D E L’ É D U C AT I O NM É M O I R E D E D . E . A . E N S C I E N C E S D E L’ É D U C AT I O N
Master Européen
LA CONSTRUCTION DE LA PERSONNE EN AFRIQUE.
Entre l’éducation informelle et scolaire.
Présenté par
A nan i V Valèr e ADONSOU
Sous la co-direction des Professeurs
Rui CANARIO
Michel SOËTARD
ROUEN - 2001
SOMMAIRE
DEDICACE.......................................................................................................................................3
REMERCIEMENTS........................................................................................................................4
PREMIERE PARTIE
CONSTRUCTION DE L’OBJET DE RECHERCHE .......................................5
UNIVERSITE DE ROUEN ........................................................................................................... 1
U.F.R. DE PSYCHOLOGIE, SOCIOLOGIE ET SCIENCES DE L’ÉDUCATION .... 1 MÉMOIRE DE D.E.A. EN SCIENCES DE L’ÉDUCATION ......................................... 1
Anani VValère ADONSOU ...................................................................................................... 1
PREMIERE PARTIE .......................................................................................................... 6 INTRODUCTION ................................................................................................................ 7
1.1- ÉNONCÉ DU PROBLÈME .................................................................................................................. 9 1.2- JUSTIFICATION ET PERTINENCE DE LA RECHERCHE ............................................................................. 13
1.2.1- Le fait ............................................................................................................................. 13 1.2.2- Se construire comme personne : une diversité d’approches disciplinaires ................... 17
2.1. DÉLIMITATION SPATIALE ET TEMPORELLE ........................................................................................ 22 4.1- LES CONCEPTS OPÉRATOIRES ......................................................................................................... 25
4.1.1- Le concept de personne .................................................................................................. 25 4.1.2- Politique et démocratie ................................................................................................... 27 4.1.3- Problématique de l’articulation des concepts de personne et de démocratie ........... 29
4.2- LES SYSTÈMES THÉORIQUES .......................................................................................................... 30 5.1- CORPUS DOCUMENTAIRES ............................................................................................................. 33 5.2- MÉTHODOLOGIE ......................................................................................................................... 34
CONCLUSION ................................................................................................................... 37 DEUXIEME PARTIE ........................................................................................................ 38 INTRODUCTION .............................................................................................................. 39
L’ÉNIGME EN ENTENTE D’UNE CLARIFICATION ......................................................................................... 39 EXPLORATION D’UNE PISTE NOUVELLE ................................................................................................... 42 1.1- AUX SOURCES DE L’ÉDUCATION INFORMELLE .................................................................................. 44
1.1.1- La place éminente de l’expérience ou de la vie ............................................................. 44 1.1.2- L’habitus ou la référence à la culture ............................................................................. 47
1.2- VALORISATION DE L’ÉDUCATION INFORMELLE : LA CRITIQUE ILLICHÉENNE DE L’ÉCOLE .......................... 49 1.3- STATUT ÉPISTÉMOLOGIQUE DE L’ÉDUCATION INFORMELLE ................................................................. 52
1.3.1- Élucidation conceptuelle ................................................................................................ 52 1.3.2- Caractérisations théoriques ....................................................................................... 54 1.3.3- Limite de la forclusion de l’école et de la caporalisation de l’éducation informelle ..... 60
2.1- LA FILIATION DE L’ÉCOLE AUX MUTATIONS SOCIALES ....................................................................... 63 2.2- FORME SCOLAIRE ET ÉDUCATION POPULAIRE .................................................................................... 66 2.3- INCIDENCES SOCIALES ET SPÉCIFICITÉ DE LA FORME SCRIPTURALE D’ÉDUCATION .................................... 68 3.1- UNE LECTURE AUTRE DE LA NATURE DE L’ÉCOLE ............................................................................. 73
2
3.1.1- L’aurore de l’école ........................................................................................................ 73 3.1.2- « La leçon d’écriture » : un paradigme du sens dévoyé de l’école ................................ 76
3.2- EFFET PERVERS DES FINALITÉS DE L’ÉCOLE ET RECONDUCTION DE LA VIOLENCE .................................... 79 4.1- VIGILANCE PAR RAPPORT AU SACRÉ DE LA SOCIÉTÉ .......................................................................... 82 4.2- LES « BRUITS » DE L’ÉCRITURE DANS LA CONSTRUCTION DE LA PERSONNE ........................................... 85
CONCLUSION ................................................................................................................... 88
SELECTION BIBLIOGRAPHIQUE COMMENTEE ...............................................................91
BIBLIOGRAPHIE GENERALE.................................................................................................102
3
DEDICACE
A Yaguine KOÏTA (14 ans)et
Fodé TOUNKARA (15 ans)
Enfants guinéens, morts dans le train d’atterrissage d’un airbus de la compagnie aérienne SABENA et découverts à Bruxelles le 02 août 1999.
REMERCIEMENTS
Aux Professeurs Rui CANARIO et Michel SOËTARD, nos directeurs de recherche. Notre profonde gratitude pour le vif intérêt porté à ce travail et pour l’accompagnement efficace dans sa réalisation.
Au Professeur Jean HOUSSAYE. Nos sincères remerciements pour nous avoir guidé dès les premières heures de la germination de ce travail et pour les éclairages dans son mûrissement.
A chacun des Professeurs qui ont dirigé les séminaires du DEA Mention Européenne. Merci de nous avoir permis d’élargir l’horizon de notre réflexion à partir des apports multiformes de vos champs de recherche respectifs.
Aux confrères de Rouen, Bernard MÉRIAN, André LEGENDRE, Jean BADUEL et Louis VADAINE. Votre vraie fraternité nous a aidé à travailler dans la sérénité. Nous vous en sommes infiniment reconnaissant.
A Frère Jacques D’HUITEAU et à tous nos confrères de la Rue de Sèvres à Paris. Votre généreux accueil et vos nombreuses délicatesses à notre égard ont énormément contribué à la mise en route de ce travail.
Aux Frères José Manuel AGIRREZABALAGA et Michel MESSAN. Merci pour les sacrifices consentis, au nom du Sous-District du Golfe du Bénin, pour l’aboutissement de ce travail.
A Monsieur Didier RETOURNE, Directeur du Pensionnat St Jean-Baptiste de La SALLE de Rouen. Notre participation au Conseil de Direction par vos soins a nourri notre réflexion sur les problèmes de l’éducation en milieu scolaire.
A Bruno, Cristina, Daniel, David, Konstantinos, Martina, Patrick, Stéphanie et Valérie. Vous avez créé un climat de convivialité et d’échange stimulant et enrichissant tout au long de notre aventure commune.
PREMIERE PARTIE
CONSTRUCTION DE L’OBJET DE RECHERCHE
INTRODUCTION
L’avènement de l’ouverture et des transitions démocratiques dans les pays
d’Afrique a fait surgir une interrogation fondamentale. Cette forme d’organisation
politique de la cité, fille d’une mutation de la vision du monde et de l’homme dans
l’aire culturelle occidentale, peut-elle s’incarner en Afrique ? Les ressorts
fondamentaux de la culture africaine sont-ils compatibles avec la démocratie ?
Question qui a requis deux réponses antinomiques : l’affirmation de la particularité
de la démocratie – la thèse de l’incommunicabilité démocratique1 - et celle de son
universalité2. Cette question de l’opportunité de la démocratie en Afrique et les
réponses attenantes apparaissent dans un contexte de crise. Une crise dont les
manifestations sont saisissables aux niveaux social, économique et politique. La
démocratie est à ce propos ciblée comme option politique susceptible de la juguler.
Les raisons évoquées au crédit de son universalité se situent dans l’ordre de
l’unicité de l’humanité malgré la diversité des cultures. Elles expriment la
possibilité d’enrichissement réciproque des cultures et de communication entre les
hommes, disqualifiant ainsi la vision ethnocentrique postulée dans la thèse de
l’incommunicabilité démocratique3.
Dès lors que les ressources culturelles africaines ne constituent pas un obstacle à
l’appropriation de la démocratie, il reste à expliciter les conditions de son
enracinement. Dans l’exploration de ces conditions, l’éducation est reconnue
comme élément indispensable. « S’il n’y a pas de démocratie sans culture et de
culture sans axe de sens venant structurer la diversité de ses expressions, alors il
devient évident (...) que le premier moyen de la démocratisation est bien
l’éducation »4.
Reconnaissance certes du rôle de l’éducation, mais elle n’a pas fait l’objet d’une
réflexion systématique. De plus, l’éducation revêt plusieurs formes : éducation
formelle, informelle et non-formelle. Et il existe entre celles-ci des relations
d’influences réciproques et d’opposition. Notre choix de la forme scolaire –
éducation formelle – comme objet de réflexion lié au politique est justifié par sa
position centrale dans l’édifice social en Afrique. Réalité exogène de par son
origine occidentale, l’école a ses valeurs internes et est génératrice de
1 CASTORIADIS C. in CHALVIDAN H., « Culture, espace démocratique et citoyenneté : Essai de mise
en place d’une problématique » in État, Démocratie et culture en Afrique, Unesco-IAD, Dakar, avril
96, p.69
2 TOURAINE A., Qu’est-ce que la démocratie ?, Paris, Fayard, 1994, p.300
3 Le débat sur la place de l’Afrique dans l’histoire de l’humanité remonte, dans sa version
philosophique, à HEGEL, Leçons sur la philosophie de l’histoire, Paris, Vrin, 1979
4 CHALVIDAN H., Ibid., p. 81.
déterminations culturelles nouvelles. Elle y est devenue le nouveau bosquet
initiatique au service de la quête et de la conquête du pouvoir symbolique,
politique et matériel des acteurs sociaux. L’école est le lien d’enjeux qui
mobilisent les différents groupes de la société globale et ceux de leurs membres
qui y ont accès. Son rôle est beaucoup évoqué dans les thèmes corrélatifs à la
démocratie : éducation aux droits de l’homme, à la paix, à la citoyenneté5.
L’ancrage de notre réflexion ne réside pas dans la réactivation ou le réexamen des
modalités de l’éducation à la démocratie à l’école, mais dans l’enquête sur leurs
présupposés respectifs et les interrelations de ces derniers. Car, d’une part, en
deçà de la démocratie se pose le problème plus fondamental des déterminants de
la fondation d’une communauté politique. L’apologie du droit de cité de la
démocratie en Afrique ne peut occulter l’histoire de l’État telle qu’elle s’y est
déployée dans ses caractéristiques, ses procédures et ses rôles. Elle ne saurait
non plus répudier le sentiment d’autochtonie, l’allégeance à des groupes, des
acteurs de la scène politique. Allégeance dont la plus prégnante est le lien
ethnique. Elle se doit aussi d’intégrer les exigences pour les acteurs sociaux, le
passage du monde clos de leurs collectivités traditionnelles à l’univers complexe
et ouvert de l’État moderne.
D’autre part, l’école s’est implantée dans un espace social et culturel africain qui
avait ses propres structures et modalités d’intégration de ses membres. Rencontre
conflictuelle donc de deux formes éducatives qui pose en termes nouveaux la
dialectique de l’individu et de la société. Rapport contradictoire qui a des
incidences sur la scène politique. Notre investigation se donne comme tâche d’en
avoir une intelligence qui puisse contribuer à l’éclairage de la question du vivre-
ensemble. Dans cette quête d’intelligibilité, nous nous démarquons par rapport aux
approches qui, jusqu’ici, ont occupé le champ de la réflexion : approches
économique, quantitative (résultats scolaires) et institutionnelle (démocratisation
de l’école, décentralisation...) de l’école et macro-systémique du politique (débats
sur la forme des institutions...).
Cette quête privilégiera la piste philosophique en s’appuyant sur des données
anthropologiques et sociologiques.
5 GALICHET F., L’éducation à la citoyenneté, Paris, Economica, 1998.
Cahier pédagogique, Supplément n°4, L’éducation à la citoyenneté, Oct-Nov. 1998.
Vie pédagogique n°109, nov.-déc. 1998.
Notre mémoire: ADONSOU A., L’éducation à une citoyenneté nouvelle en milieu scolaire togolais. Analyse prospective à partir des lycées publics de Lomé, Maîtrise, Université du Bénin-Togo, 1999.
GBEGNON A. et MESSAN K., « Eduquer à la démocratie pour une paix durable en Afrique » in
Afrique 2000. Revue africaine de politique internationale, n°27/28, avril-octobre 1997.
8
I- PROBLEMATIQUE
1.1- Énoncé du problème
L’Afrique au Sud du Sahara connaît plusieurs problèmes émargeant à différentes
sphères de la vie sociale. Il s’agit entre autres de l’endettement de ses États, de la
paupérisation croissante des populations, des guerres ethniques et de l’instabilité
politique. L’ensemble de ces problèmes est totalisé dans l’idée de crise. En
témoignent les titres des ouvrages qui y sont consacrés. Ils expriment l’idée de
blocage, d’impasse, de péril ou de mort6. Cette crise est perçue globalement sous
les registres de l’économique et du politique. Et dans son traitement, c’est le
premier qui est positionné dans le champ de la réflexion et visé dans les
initiatives ; ce que Ki-Zerbo a appelé la « diversion économiste »7. Cet ancrage de
la résolution de la crise dans l’économique apparaît clairement dans les mesures
prises par les Institutions de Bretton Woods, la Banque Mondiale et le Fonds
monétaire International. Elles ont décidé, dès les années 1970, les fameux
Programmes d’Ajustement structurel (PAS). Le but était de « résorber les
déséquilibres macro-économiques et financiers »8 considérés comme causes de la
crise. Quinze années de mise en œuvre des PAS n’ont en rien entamé l’acuité de la
crise. D’où le langage de la dérision des intellectuels africains appliqué par
exemple au FMI, subverti en « Faim, Misère, Inflation ». Les limites du PAS ont
amené la Banque Mondiale à changer de stratégie en recourant au concept de la
« bonne gouvernance ». Concept charnière qui allie la gestion économique à la
dimension institutionnelle.
Le rôle assigné à l’école depuis les indépendances est aussi aligné sur le schéma
économiste. La première conférence des Ministres de l’éducation d’Afrique sous
l’égide de l’Unesco, à Addis-Abeba en 1961, en a donné la marque9. Cela fut
exprimé dans le mot de ralliement, « l’école, moteur du développement ».
6 AMIN S., Afrique de l’Ouest bloquée, Paris Minuit, 1971.
KÄ MANA, L’Afrique va-t-elle mourir ? Essai d’éthique politique, Paris, Karthala, 1993.
BOULAGA E., La crise du Muntu. Authenticité africaine et philosophie, Paris, Présence Africaine,
1977.
N’GOUPANDE J-P., Racines historiques et culturelles de la crise africaine, Cotonou, Pharaon, 1994.
KI-ZERBO J., Éduquer ou périr. Impasses et perspectives africaines, Paris, Unicef/Unesco, 1990.
7 KI-ZERBO J., « Comment renaître » in Histoire de l’Afrique Noire d’hier à demain, Paris, Hatier,
1978, p. 640.
8 DIALLO T. « De la bonne gouvernance à la croissance économique » in Démocraties africaines,
1996, n°8, p. 24.
9 Cette structure est appelée MINEDAF (Conférence des Ministres des États Membres d’Afrique) et
est suivi des chiffres (I, II…) suivant leur ordre d’occurrence. La conférence d’Addis-Abeba est la
MINEDAF I.
9
Ce mot de ralliement a une double filiation économique. Il est, d’une part, tributaire
du concept de planification. Dans cette optique, l’Unesco a « élaboré », « diffusé »
et « institutionnalisé » un modèle soutenu par le PNUD et la Banque Mondiale. « Ce
modèle empruntait ses méthodes à la planification économique de l’époque,
correspondant aux options d’une politique volontariste visant à maximiser la
croissance »10. Pour générer la croissance, il fallait déterminer le nombre d’écoles
à construire, d’enseignants à former et les sources de financement. Il dérive,
d’autre part, de la « théorie du capital humain » apparue à la fin des années 1950.
S’inscrivent dans ce champ théorique les travaux des chercheurs11 qui ont montré
la corrélation entre croissance économique et niveau de scolarisation. La relation
entre les deux variables est que l’extension de l’éducation scolaire est génératrice
de progrès économique. Cette théorie traduit l’idée de l’éducation « considérée
comme un facteur de la croissance économique, donc comparable à un
investissement matériel »12. Sa visée est d’évaluer l’éducation en terme de profit
(salaires futurs dans le monde du travail) pour l’individu par rapport à ses
investissements.
La prégnance de l’orientation économique de la fonction de l’école n’a pas
toutefois exclu la dimension socio-culturelle. Celle-ci a été nettement ciblée par
l’Unesco et les États africains à partir de la MINEDAF de Nairobi en 1968. Il fallait
donc s’engager dans une profonde réforme du système éducatif. Une réforme qui
permettrait à l’école de jouer un rôle de métanoïa au niveau des mentalités et des
attitudes individuelles et collectives « pour engendrer les changements sociaux
nécessaires et impulser l’évolution vers le progrès, la justice et la liberté »13.
De 1990 à 1994, dans une démarche d’inventaire et de revue analytique, des
études sectorielles sous l’égide de l’UNESCO14 ont été menées sur le système
éducatif en Afrique. Elles révèlent que les politiques projetées dans les réformes
réalisées dans la plupart des pays autour des années 75 n’ont pas été à la hauteur
des résultats escomptés. Les points de convergence de ces études ont trait de
manière prédominante aux données qui gravitent autour de l’école : rôle des
10 DEBEAUVAIS M., « Planification dans le Tiers-Monde » in B. CHARLOT et J. BEILLEROT (dir.),
La construction des politiques d’éducation, Paris, PUF, 1995, p. 44.
11 Ce sont les économistes BECKER, SCHULTZ , DENISON, FARELL, SOBEL, ALBATCH. Cf. M.
DEBEAUVAIS, Ibid., p.45. ; PETITAT A., Production de l’école -Production de la société. Analyse socio-historique de quelques moments décisifs de l’évolution scolaire en Occident, Genève -Paris,
Droz, 1982, pp.356-357 ; GBEGNON A., « Éducation et développement en Afrique sub-saharienne :
Le cas du Togo » in Annales Université du Bénin, Série Lettres, Tome XII, 1992, pp. 43-60.
12 DEBEAUVAIS M., Ibid., p. 45.
13 MINEDAF IV, Lagos 1976, Unesco, ED/41, p. 60.
14 Groupe de travail sur l’analyse sectorielle en éducation (GTSA), JALLADE L. et al., Analyses, programmes et priorités pour l’éducation en Afrique, Paris, UNESCO/ ED-96/WS/13 (F), 1996.
10
politiques, la décentralisation et la régionalisation des responsabilités par rapport à
l’autorité centrale, l’accès universel à l’éducation de base, la rénovation des
établissements et le problème de financement. Les données internes à l’école sont
relatives à la qualité de l’éducation. Cette dernière n’est mesurée que par les
résultats aux examens et les diplômes. « L’apprentissage, en tant que processus,
l’utilisation de l’information plutôt que son acquisition, la formation des concepts,
le développement d’aptitudes à l’analyse et autres semblent être rarement inclus
dans les mesures de la qualité »15. En arrière-fond de la qualité de l’éducation se
loge le problème plus fondamental de la perspective anthropologique, sociologique
et philosophique du rôle des scolarisés dans l’édifice social africain.
Dans l’approche politique de la crise, l’espace de la réflexion est habité par trois
orientations16. La première est une analyse « dépendantiste » de la situation
politique. Elle s’appuie sur le fait de la domination coloniale comme point de départ
de l’explication des systèmes politiques africains. Elle répond, par la négative, à la
question de savoir si le régime d’hétéronomie, caractéristique de la période
coloniale, est aboli avec les indépendances17. Cette analyse tout en ciblant la
responsabilité des acteurs politiques locaux donne, en définitive, plus de poids et
de force à l’influence des anciennes métropoles dans la crise. Elle s’inscrit dans la
perspective de la théorie du rapport entre les pays du « Centre », dominateurs, et
ceux la « Périphérie », dominés.
La seconde approche est d’instance « développementaliste ». Dans l’optique des
étapes de la croissance économique développées par ROSTOW, cette approche
soutient que le changement politique doit être progressif. Suivant ce point de vue,
il faudrait non seulement affronter les obstacles à l’entreprise de modernisation
que sont « les allégeances et les identifications traditionnelles », mais aussi opérer
une combinatoire de variables, dont la formation, et qui sont en même temps des
prérequis18.
Cette deuxième approche rejoint la troisième qui est l’option pour la démocratie et
dans laquelle s’instaure le débat autour des éléments culturels et institutionnels à
prendre en compte pour son enracinement.
15 Ibid.
16 Nous présentons ici les deux premières à partir de la synthèse réalisée par BOURMAND D., La politique en Afrique, Paris, Montchrestien, 1997.
17 BOULAGA F. E., Les conférences nationales en Afrique Noire. Une affaire à suivre, Paris,
Karthala, 1993, p. 96.
18 « La construction d’un État moderne suppose des décisions et des institutions capables de réduire les tendances périphériques dont pâtissent les sociétés africaines. Faire surgir puis conforter une conscience nationale passe l’émergence et la consolidation d’un centre politique qui monopolise nécessairement les ressources .» BOURMAND D., op. Cit., p. 49.
11
Ces différentes approches abordent, d’une part, le problème de la crise par le biais
macro-systémique. Elles portent sur les garanties institutionnelles et leur
efficacité. Leur analyse, d’autre part, à partir des données culturelles ne donne pas
à saisir clairement le point focal de la crise. D’où le changement de perspective
que nous entendons opérer ici. Une prise de distance par rapport à
l’investissement de l’école dans le « paradigme industriel »19 qui prédomine depuis
les indépendances. Nous nous appuyons sur le fait que la réalisation du progrès
matériel, de la croissance économique doit souscrire à une conditionnalité : la
création d’un cadre politique adéquat. « L’économique présuppose et exprime [...]
la capacité humaine de concevoir et de réaliser des projets en commun au moyen
de l’échange et d’idées, de paroles et de la discussion. Sans le pouvoir
d’entreprendre une œuvre collective en en définissant les fins et les voies,
l’économie serait inconcevable »20.
De ce point de vue, la crise africaine ne relève pas prioritairement de la
fabrication et partant de l’économie mais de l’action, domaine du politique 21. Le
point de départ n’est pas la production des biens, leurs échanges et leurs
acquisitions mais le politique dont la finalité est de créer les conditions pour que
les multiples relations au sein de la société soient possibles. C’est le premier
niveau inférieur de cette démarcation. Une hiérarchie dans laquelle l’économique
est subordonné au politique22. Le second niveau, supérieur au premier, est la
primauté de la personne sur la sphère politique. Les déterminations de cette
dernière, les visages qu’elle peut prendre ne seront que ceux induits par les
personnes23. En définitive, dans cet ordre hiérarchique se dessinent trois paliers
constitués, de manière ascendante, par l’économique, le politique et la personne.
19« Le paradigme industriel, en un mot, se caractérise par l’application de la rationalité scientifique aux activités humaines et par la croyance dans le progrès matériel », cité par HOUSSAYE Jean dans
sa recension de synthèse de l’ouvrage de BERTRAND Y. et VALOIS P.,« École et sociétés » in Revue Française de Pédagogie, n° 101, octobre-novembre-décembre 1992, p. 124.
20 BOULAGA F. E., Les conférences nationales en Afrique Noire. Affaire à suivre, Paris, Karthala,
1993, p. 92.
21 ARENDT H., La condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Levy, 1983, p. 42.
22 Quel que soit le choix du type d’économie, libéralisme ou socialisme, le pouvoir politique – l’État –
a un rôle à y jouer : Garantir « les libertés de production et de transaction (le libéralisme ) ou [prendre] celles-ci en charge (socialisme) ». DOMENACH J-M., Approches de la modernité, Paris,
Marketing, 1986, p. 19.
Cf. aussi RICOEUR P., « Que le politique doit être défini d’abord par rapport à l’économique et au social, avant d’être confronté avec l’éthique » in Du texte à l’action. Essai d’herméneutique II, Paris,
Seuil, 1986, pp. 434-444.
23 La même idée est exprimée par ERNY P. dans sa préface au livre de SIKOUMOU H., Jeunesse et éducation en Afrique Noire, Paris, Harmattan, 1995 : « On sait bien que les systèmes scolaires ou autre ne valent concrètement que par la qualité des hommes qui les font vivre. Les institutions les mieux dotées, les organisations les mieux rodées, les méthodes les plus performantes sont peu de chose, en matière d’éducation, face à l’impact des choses » (p. 6).
12
C’est donc la notion de personne qui va servir de clé de voûte à notre analyse et
ce, en positionnant l’institution scolaire par rapport à l’éducation informelle et
procéder à une herméneutique de leur confrontation. Cela nous amène à la
question suivante : Comment articuler l’éducation informelle et formelle pour qu’elles puissent contribuer, dans l’optique de la construction de la personne, au dépassement du holisme et de l’individualisme ?
Cette question en appelle d’autres. Quels sont les déterminants de ces deux types
d’éducation? Dans quels rapports se situent-ils ?
L’horizon de la réponse à cette question centrale est de contribuer à la naissance
de citoyens nouveaux en Afrique. Elle a donc une dimension et une implication
éthiques et politiques.
1.2- Just i f icat ion et pert inence de la recherche
1.2.1- Le fait
La problématique de la construction de la personne relève de l’éducation en tant
qu’œuvre spécifique et propre à l’homme. Ceci d’autant qu’il est, dans le règne
animal, le seul être soumis à la néoténie, c’est-à-dire marqué par l’inachèvement
à la naissance24. Il n’accède à l’humain que par le processus d’enculturation. La
culture ne relevant pas de la transmission héréditaire, il se doit de l’acquérir par le
truchement de l’éducation. Or, l’orientation de celle-ci est tributaire de la vision
du monde de la société où elle s’effectue. Elle dépend également du type d’homme
que la société se projette de former. Le consensus autour des contenus de ces
déterminants de l’éducation est déjà difficile à obtenir dans les nations de culture
hégémonique et de longue tradition de pluralisme idéologique25. Plus épineuse
encore est la question dans les Etats postcoloniaux d’Afrique du fait du conflit des
cultures. La construction de la personne y requiert dès lors le recours à une
24 Concept que l’on doit aux travaux de l’embryologiste BOLK (« Le problème de la genèse
humaine ») et que Georges LAPASSADE développe dans son ouvrage, L’entrée dans la vie. Essai sur l’inachèvement de l’homme, Paris, Les Éditions de Minuit /Livre de Poche, 1963. « L’homme naît inachevé...La naissance a lieu trop tôt, l’enfant doit "achever" dans le monde un développement qui n’a fait que commencer au cours de la vie fœtale. La prématuration de la naissance déterminerait ainsi l’allure spécifique de l’enfance humaine » (pp. 23-24). L’auteur va plus loin dans sa thèse contre
l’idée d’une maturité progressive de l’homme dans son procès vers l’âge adulte : il affirme et
démontre que « l’adulte précède l’enfant » . C’est la thèse de la « foetalisation » permanente de
l’homme. (pp. 32 et sv.). En ce qui nous concerne, cette radicalisation de la thèse n’est pas féconde
au regard de l’éducation.
On retrouve cette idée d’inachèvement chez KANT même s’il n’utilise pas le concept. Cf.Traité de pédagogie, Paris, Hachette, 1981, pp. 35-37.
25 Nous pensons aux anciens pays occidentaux colonisateurs en général et en particulier à la France
où le débat à ce propos est très vif. Dans le grand éventail des ouvrages, nous signalons, à titre
indicatif, celui de MEIRIEU P. et GUIRAUD M., L’école ou la guerre civile, Paris, Plon, 1997.
13
approche éducative englobante. Telle est la valeur heuristique de l’articulation de
l’éducation informelle à la forme scolaire. La diversité des expériences que peut
traverser l’éduqué y trouvent leur place.
1.2 .1 .1- Le scolar isé afr ica in entre deux types d’éducat ion
L’éducation informelle
Institution éducative formelle, l’école coexiste avec l’éducation informelle qui
modèle profondément la pensée, l’agir et la relation à l’autre des individus. Cette
dernière est constituée par les multiples influences exercées par l’environnement
physique et humain. Influences qui s’opèrent par imprégnation au contact avec les
êtres et les choses. C’est un éventail d’influences au nombre desquelles celles du
groupe d’appartenance. Elles se réalisent au travers du vécu quotidien et du
discours narratif. Ce discours est porteur de tous les éléments marquant l’identité
de la communauté. Il légitime l’existence du groupe et garantit sa mémoire et sa
survie. Par l’expérience et par le discours narratif donc, s’opère l’intégration de
l’enfant parmi les siens. L’indicateur anthropologique de cette insertion est le
primat du groupe sur l’individu. C’est l’individu membre d’une communauté qui est
valorisé. Ce ne sont pas les attributs propres de l’individu qui ont la préséance
dans l’évocation de son identité mais le principe relationnel. L’individu est d’abord
le fils de.., frère, cousin, neveu – et la liste des filiations et de la parentèle est
longue – de telle ou telle personne, membre de telle famille, de tel village, de telle
ethnie, de telle région. C’est lesté de toutes ces déterminations que l’enfant
africain franchit le seuil de l’école.
Spécificité de l’école
L’école par sa culture organisationnelle introduit une nouveauté radicale dans le
mode d’intégration sociale des enfants. Un premier élément de cette nouveauté est
d’être un cadre unificateur. L’école constitue un espace social a priori ouvert aux
enfants de toutes les communautés de la société globale. Elle permet la rencontre,
par élèves interposés, des micro-groupes. Le second élément, versant du premier,
est la commune activité à laquelle y sont soumis tous les usagers. Accès à
l’écriture, apprentissages intellectuels nouveaux, universalité, rationalité ouverte,
métacognition, appartiennent au champ lexical des activités et de la spécificité de
l’école. L’école introduit ainsi des individus, membres de différentes communautés,
dans le même univers culturel.
14
A l’analyse, ces deux attributs de l’école – espace de rencontre de multiples
origines et homogénéisation culturelle - qu’on peut qualifier d’organique, devraient
être vecteurs d’intégration des personnes scolarisées dans une large communauté.
Une macro-communauté qui renvoie au concept de nation et d’État. Mais l’école a
un autre attribut de type opératif. Au terme du processus qu’elle propose, il y a la
réussite à assurer. Et la réussite scolaire est un facteur de différenciation sociale.
Celui qui achève avec succès l’itinéraire scolaire « possède en échange le pouvoir
de définir le plafond des espérances de la société à laquelle il sert d’étalon de
comparaison »26. La réussite scolaire est le moyen d’un meilleur « positionnement
social »27. En devenant le critère par excellence de définition sociale des individus,
elle relègue au second plan les valeurs internes de l’école. Cet horizon de l’école
est le creuset séminal d’où émerge l’individualisme. Matrice de ce fait de
l’axiomatique des « stratégies »28 que les acteurs sociaux mettent en œuvre dans la
demande de scolarisation.
1.2 .1 .2- L’état c iv i l de l ’école en Afrique
L’individualisme qu’induit cette représentation fonctionnaliste de l’école connaît
une autre fortune au regard de l’anthropologie africaine qui dérive d’une ontologie
unitaire. Le scolarisé dans ce contexte est le « héros » et le héraut potentiels de
sa communauté d’origine. Sa réussite n’est pas seulement un avantage personnel
mais aussi une propriété publique. Elle est mise au service de son micro-groupe
d’appartenance.
C’est le triomphe du collectif local sur l’individuel. Ici le « Volksgeist »29, l’esprit du
peuple, absorbe le subjectif. Ce que le groupe attend du scolarisé, c’est de
souscrire à un rôle, de s’inscrire dans l’ordre des aspirations qui sont les siennes.
La possibilité pour lui de dire « je » est prise dans le piège du « nous »30. Le
« nous » est reconnu et projeté dans le « je » et vice versa. Cette imbrication de
l’individuel et du collectif induit chez le scolarisé la conscience d’être investi d’une
mission par son groupe. De sa réussite dépend la réalisation de leurs rêves. Dans
cette perspective, il a « le statut d’objet projectif »31, donc porteur d’une utopie32,
26 ILLICH I., Une société sans école, Paris, Seuil, 1971, p. 65.
27 BERTHELOT J-H., Le piège scolaire, Paris, PUF, 1983, p. 97.
28 BALLION R., Les consommateurs d’école, Paris, Stock, 1982, pp. 67 et sv.
29 FINKIELKRAUT A., La défaite de la pensée, Paris Gallimard, 1987.
30 A propos de l’individu et du sujet, cf. TOURAINE A., Critique de la modernité, Paris, Fayard, 1992,
3è partie, chapitre 1.
31 BALLION R., « L’emprise totale » in op. cit., p. 193.
32 Nous nous référons pour le concept d’utopie à P. RICOEUR qui en fait une étude comparée avec
l’idéologie. « Si l’idéologie préserve et conserve la réalité, l’utopie la met en question. L’utopie, en ce sens, est l’expression de toutes les potentialités d’un groupe qui se trouvent refoulées par l’ordre
15
celle du prestige, d’une existence meilleure à tout point de vue de son groupe. Don
de sa communauté d’origine, il se doit d’être à son tour contre-don. Le principe de
la non réciprocité est exclu du champ des mobiles d’actions. Du fait donc de cette
utopie, la communauté est pour lui une mère collective. Il est l’« objet sexuel » 33 de
cette mère. Son acheminement vers l’autonomie doit passer par un matricide. La
réciproque en est aussi la condition : la communauté doit perpétrer un infanticide.
Cette position du scolarisé en milieu africain se situe de manière très paradoxale
par rapport à l’idée de « l’asocialité de la formation scolaire »34. Idée selon laquelle
les pratiques éducatives, en induisant l’assomption de l’individu, font que
« l’école nous rend orphelins de nos communautés »35. Le paradoxe est qu’elle
confirme et infirme cette idée. Elle l’accrédite à un double point de vue. D’abord
dans la mesure où les politiques éducatives sur la réhabilitation des idiomes et des
valeurs culturelles sont plutôt rhétoriques36. Les activités pédagogiques n’offrent
pas aux apprenants d’espace pour une réelle confrontation avec les réalités socio-
culturelles africaines.
En second lieu, l’organisation scolaire crée pour l’apprenant africain les conditions
pour entrer dans le champ de la prolifération de l’adjectif possessif. C’est le champ
de l’énonciation de : « ma place », « mon sac », « mon devoir », « ma note », « mon
rang »37.
Cette idée de l’asocialité est falsifiée puisque « l’égotisme » généré par l’école
n’est pas absolu. Les liens du scolarisé avec la communauté ne sont pas rompus.
Ils sont en « épochè ». Sa solitude est apparente. Elle est habitée par la présence
silencieuse de sa communauté. Le scolarisé africain, de par son rapport particulier
avec ses origines, représente de manière emblématique le « go-between ». Le go-
existant. L’utopie est un exercice de l’imagination pour penser un "autrement qu’être" du social ».
(« L’utopie » in Du texte à l’action. Essais d’herméneutique II, Paris, Seuil, 1986, p. 427).
Pour l’approche originelle de la notion, Thomas MORE, L’utopie, Paris, La Dispute, coll. Librio, 1997.
33 Cela s’inscrit dans l’optique lacanienne. LECLAIRE S., « On tue un enfant », cité par MEIRIEU P.,
Le choix d’éduquer. Éthique et pédagogie, Paris, ESF, 1991, p. 50.
34 HOUSSAYE J., Les valeurs à l’école. L’éducation au temps de la sécularisation, Paris, PUF, 1992,
p.167. Il développe le problème de l’acquisition des attitudes à l’école en commentant J. Beillerot et
particulièrement J. Jaulin, « Il est temps d’être indien ». Ce dernier affirme que l’école « coupe l’enfant de l’adulte, enferme les savoirs dans les livres. Elle ‘’atomise’’ l’élève, chacun ne travaillant que pour lui-même. Bref, elle n’initie qu’à la solitude. La personne se retrouve sans personne ».
35 Ibid., p. 167.
36 « Politique rhétorique : proclamations et publications officielles qui s’accompagnent parfois d’actions concrètes, mais restent souvent lettre morte ». in SAMOFF J., L’éducation pour quoi ? L’éducation pour qui ? Directives pour l’établissement de rapports sur les politiques nationales d’éducation. Paris, Unesco, 1994, p. 12.
37 KI-ZERBO J., Éduquer ou périr. Impasses et perspectives africaines, Paris, Unesco-Unicef, 1990,
p. 77.
16
between, selon Perrenoud38, est une figure sociologique qui caractérise les enfants
scolarisés du fait de leur double appartenance familiale et scolaire.
Cela pose le problème, d’une part, de la continuité et de la rupture39 entre les
cultures véhiculées dans les deux milieux et, d’autre part, celui de l’intégration à
une communauté plus vaste (niveau politique) et de la libération de l’individu40. De
fait, l’attitude des communautés locales « par rapport aux enfants scolarisés n’est
pas tant de leur demander des connaissances nouvelles pour changer quoi que ce
soit fondamentalement que de jouer un rôle, celui de comprendre ce qui donne
autorité suprême au détenteur de connaissances scolaires qui règne en vainqueur
sur les institutions »41. « La leçon d’écriture » de Lévi-Strauss42 n’est pas loin. On
est ainsi renvoyé à une conception de l’école dont les prestations n’ont aucune
incidence sur la personne qui la fréquente43.
La question de la construction de la personne dans ce contexte de la bipolarité de
l’éducation se trouve partagée entre la cristallisation sociocentrique et le primat
de l’individu. Présence du couple classique, société et individu, que Norbert ELIAS
appelle « les différents aspects de l’homme »44. Les observations sur leur
dialectique sont multiréférentielles. Nous allons aborder celles de trois disciplines
qui éclairent suffisamment la question : la sociologie, la philosophie,
l’anthropologie culturelle et l’histoire de l’éducation en Afrique.
1.2.2- Se construire comme personne : une diversité d’approches disciplinaires
L’éducation – redisons-le – est la médiation nécessaire à l’avènement de l’humain
en l’homme. Cette réalité de fait est diversement appréhendée dès lors qu’il s’agit
de préciser la nature de l’homme et son rapport à la société. En sociologie, une
des positions est le holisme. La société y est considérée comme une entité
38 PERRENOUD P. « Le go-between : entre sa famille et l’école, l’enfant message et messager » in
Métier d’élève et sens du travail scolaire, Paris, ESF, 1999, pp. 75-78.
39 Snyders G., « La joie à l’école » in HOUSSAYE J., op. cit., p. 218.
40 Sur le couple intégration-libération, cf. O. REBOUL in HOUSSAYE, ibid.
41 QUENUM J-C., Interactions des systèmes éducatifs traditionnels et modernes en Afrique, Paris,
L’Harmattan, 1998, p. 24.
42 LEVI-STRAUSS C., « La leçon d’écriture » in Tristes Tropiques, Paris, Plon, 1965, pp.347-360. Il
y raconte comment le chef du peuple Nambikwara sans connaître l’écriture, profite de son symbole
pour arriver à ses fins.
Et pour la critique de ce passage et celle de la position de ROUSSEAU par rapport à l’écriture, Cf.
DERRIDA J., De la grammatologie, Paris, Minuit, 1967.
43 Cf. CAMILLERI C., « Culture et problèmes d’éducation dans les pays du tiers-monde » in
Anthropologie culturelle et éducation, Paris, Unesco-Delachaux & Niestlé, 1985, p. 101.
44 ELIAS N., La société des individus, Paris, Fayard, coll. Agora, 1991, p. 31.
17
transcendante, supra-individuelle. L’orientation de l’existence de ses membres est
de reproduire les idéaux collectifs, la culture commune, et d’assurer leur rôle
spécifique dans la division du travail. Ensemble d’éléments que DURKHEIM appelle
« l’être social » et dont la constitution en chaque membre est assignée comme fin à
l’éducation45. L‘identité de tout représentant de la société est quasiment ainsi
assimilée à l’identité collective. En ce sens, le jeu par lequel chacun incorpore les
informations qu’il reçoit du milieu environnant et l’expérience vécue dans le cadre
scolaire perdent le tranchant de leur singularité.
A l’opposé, se situe l’approche qui affirme la primauté de l’individu sur la société.
Idée qu’énonce ainsi SIMMEL : « Comment donc, si les êtres individuels existent
seuls, expliquer le caractère supra-individuel des phénomènes collectifs,
l’objectivité et l’autonomie des formes sociales ? Il n’y a qu’une manière de
résoudre cette antinomie. Pour une connaissance parfaite, il faut admettre qu’il
n’existe rien que des individus »46. Ici, c’est l’individu élevé au-dessus des
déterminations sociales. C’est le « je » sans le « nous », « la conception de l’"homo
clausus »47. L’homme retranché dans son intimité, la sphère privée et qui amène à
mettre l’accent, dans tout projet d’éducation, sur la seule assomption de l’individu
au détriment de l’intégration sociale.
Ce second volet de l’antinomie du point vue sociologique a son répondant en
philosophie allant jusqu’à sa forme perverse. L’affirmation sophiste selon laquelle
« l’homme est la mesure de toute chose » (Protagoras) en est une ligne directrice.
Cet anthropocentrisme est a priori positif. Il renvoie, entre autres, à la conception
de l’homme selon laquelle, de par sa nature, il est susceptible d’actualiser toutes
les virtualités de son être. Il est un réservoir de potentialités et le rôle de
l’éducation est d’être la médiatrice de leur passage à l’acte. Mais il dessert
l’homme quand il est retourné en subversion des valeurs. Ce n’est plus l’homme
tourné vers son semblable qui est valorisé, mais celui qui est inscrit dans une
dynamique existentielle dionysienne, de « volonté de puissance », de
« surhomme »48. Position de Nietzsche qui trouve en « la volonté de puissance »,
l’essence de tout individu. Chaque être développant au maximum sa volonté trouve
45 « Ce sont les croyances religieuses, les croyances et les pratiques morales, les traditions nationales ou professionnelles, les opinions collectives de toutes sortes ». Education et sociologie,
Paris, PUF, p. 51. DURKHEIM est la référence dans cette approche holistique du couple
individu/société. Sa définition de l’éducation y en découle de manière conséquente.
46 SIMMEL G., « Sociologie et épistémologie », cité par KOZAKAÏ T., L’étranger, l’identité. Essai sur l’intégration culturelle, Paris, Payot, 2000, pp. 59-60.
47 CHARTIER R. , Avant-propos de l’ouvrage de ELIAS N., op .cit., p. 19.
48 NIETZSCHE F., La volonté de puissance, Paris, Le Livre de Poche, 1991 ;
" Par-delà le Bien et le Mal, Paris, Librairie Générale Française, 1991.
18
en face de lui l’autre qui obéit à la même logique. Le dernier mot revient au plus
fort. Que le fort exploite le faible est tout à fait naturel. La même vision est
présente dans la philosophie de Stirner qui est une antithèse de l’impératif
catégorique dans la morale kantienne. C’est la réification de l’autre, son utilisation
comme moyen pour parvenir à ses propres fins. « Tu n’es pour moi qu’une
nourriture [...]. Il n’y a entre nous qu’un rapport, celui de l’utilité, du profit, de
l’intérêt »49.
En revanche, l’éducation, référée à la valorisation positive de l’homme, peut être
pensée de manière féconde dans plusieurs ancrages philosophiques. Tel est celui
de HEIDEGGER qui a servi à Bernard HONORE à penser le problème de
l’éducation50. Le concept heideggerien d’« être-là », désignant l’homme comme
étant, permet d’articuler les deux types d’éducation. L’homme est un « être-au-
monde » ; ce qui est synonyme d’exister. Et exister, c’est être appelé à vivre
toutes les expériences possibles. L’éducation devient alors les conditions offertes
pour que l’homme puisse assumer son héritage – « un déjà-là non voulu » -, se
mettre dans une dynamique de projet, de se prendre en charge et de gérer sa
relation aux autres et aux choses.
La construction de la personne s’éclaire également dans le champ de
l’anthropologie culturelle. Ceci d’autant plus que la médiation de l’éducation à cet
effet est éminemment culturelle. Le milieu environnant et l’école sont des lieux où
se communiquent, à travers les individus ou les messages, les traits culturels.
L’intérêt de cette discipline pour l’éducation est qu’elle s’investit dans la
compréhension des modalités de l’incorporation et du vécu de la culture. En ce
sens, elle permet d’établir le lien entre éducation et identité culturelle tant
collective qu’individuelle. Plusieurs courants rendent compte de ce rapport. Nous
en présentons brièvement trois de ceux qui sont antinomiques ou en adéquation à
l’orientation de notre réflexion : le courant objectiviste, l’école « culture et
personnalité » et la conception relationnelle et situationnelle51.
49 STIRNER, « L’unique et sa propriété », cité par HANNOUN, Comprendre l’éducation. Introduction à la philosophie de l’éducation, Paris, Nathan Pédagogie, 1995, p. 95.
50 La thèse éducative de HONORE à partir de la philosophie heideggerienne est que la formation est
« un trait fondamental de l’existence » humaine et que « l’homme est dans un rapport de formation en ce monde qu’il installe et organise ». Cf. Sens de la formation. Sens de l’Être. En chemin avec Heidegger, Paris, L’Harmattan, 1990, p. 9.
FABRE consacre un chapitre à cet ouvrage. Il n’utilise pas le terme « éducation » mais plutôt celui de
« formation » comme HONORE. Mais le terme de sa minutieuse distinction, pour montrer le caractère
totalisant du concept de formation, rejoint à notre avis le même sens donné à l’éducation dans sa
plénitude. Cf. FABRE M., « L’interrogation ontologique : en chemin avec Heidegger » in Penser la formation, Paris, PUF, 1994, chap. XIII.
51 Nous suivons pour les orientations fondamentales de ces courants, CUCHE Denys, La notion de culture dans les sciences sociales, Paris, La Découverte, 1996, chapitres III et VI.
19
Le courant objectiviste – assimilable au holisme sociologique – a une approche
« quasi génétique » de l’identité. Elle est « pensée comme une condition immanente
de l’individu, le définissant de façon stable et définitive ». L’identité est réifiée et
liée au groupe d’origine auquel appartient l’individu. Cette optique est repérable
dans la littérature sur le rapport de l’Afrique à la modernité en général et sur la
scolarisation en particulier. Elle se présente sous une double tendance dans
l’articulation de l’éducation informelle à l’éducation formelle. La première est
l’affirmation de l’existence d’une identité culturelle africaine à préserver. L’école
coloniale l’aurait détruite52. C’est dans le même sens qu’il faut comprendre
l’affirmation de FANON : « La civilisation blanche, la culture européenne ont
imposé au Noir une déviation existentielle »53. Et le rôle de l’école postcoloniale
est de s’investir dans une œuvre de désaliénation, de réappropriation des valeurs
culturelles africaines54. C’est l’apologie d’une culture pure que l’école, à travers
ses programmes, ses pratiques, doit restaurer. Dans cette première tendance
apparaît une vision de l’éducation formelle purifiée de ses avatars originels et
originaires et de ses habitus. Or, « L’ école est une vieille dame qui a ses
habitudes »55. Il y est aussi perdu de vue le caractère dynamique de toute culture56.
La seconde tendance conserve l’orientation fondamentale de la première, mais en
y intégrant les apports culturels extérieurs enrichissants. En d’autres termes,
l’école doit être le lieu d’un alliage entre l’héritage culturel africain et les valeurs
52 MOUMOUNI A., L’éducation en Afrique, Paris, Présence Africaine, 19982, pp. 64-65.
53 FANON F., « Peau noire, masques blancs » cité par DRAVIE-HOUENASSOU-HOUANGBE K.,
L’éducation africaine face à l’école coloniale. Dualisme de l’éducation dans les pays de la côte ouest-africaine, Lomé, Haho, 1988, p. 134.
54 On retrouve ici la théorie de la dialectique du Père et du Fils développée par MUDIMBE V.Y dans
L’odeur du Père. Essai sur les limites de la science et de la vie en Afrique Noire et que synthétise
KÄ MANA. Théorie qui assimile la colonisation à « un processus ‘’d’oedipianisation ‘’ c’est-à-dire du sacre de l’occident comme Père et d’institution du continent africain comme Fils de ce Père mortifère et féroce. Il en découle que l’Afrique n’a pas d’autre choix, pour devenir elle-même, que de tuer le Père ». ( KÄ MANA, L’Afrique va-t-elle mourir ? Essai d’éthique politique, Paris, Karthala,
1993, pp.. 47-48 ).
55 HOUSSAYE J., École et vie active. Résister ou s’adapter ?, Paris, Delachaux & Niestlé, 1987, p.144.
56 Les critiques par rapport à cette vision fixiste de la culture font nombre. « C’est l’idée de quelques idéologues et quelques despotes...un mensonge trop grossier pour ne pas recouvrir des intérêts et une stratégie de domination » (TOURAINE A., Critique de la modernité, Paris, Fayard, 1994, pp.235-
236).
MANA Kâ identifie la réalité de l’identité culturelle comme un mythe, « une représentation imaginaire destinée à vaincre, dans une symbolique abstraite et inoffensive, un Maître qu’on ne peut vaincre sur le terrain de la pratique » (op. cit. p. 74).
Selon EBOUSSI B., « nulle part (...) les valeurs traditionnelles ne prennent en charge la direction et l’animation spirituelle de l’appareil technique et industriel ni même les appareils socio-politiques »
(La crise du Muntu, Paris, Présence Africaine, 1977, p. 277).
Une des critiques plus virulente et plus systématique est celle de HOUNTONDJI P., Critique de l’ethnophilosophie, Paris, Maspero, 1977.
20
au-delà de tout soupçon57. L’individualisme que l’école promeut est l’un des
éléments auquel renvoie la crédibilité des valeurs58. Dans cette tendance, les
données culturelles sont comme des « objets » identifiés, extérieurs donc aux
individus, et que l’école doit proposer à ses usagers pour adoption.
L’école « culture et personnalité » s’oppose justement à cette vision de la culture.
Son affirmation centrale est que « la culture n’existe pas comme une réalité "en
soi", en dehors des individus, même si toute culture a une relative indépendance
par rapport à ceux-ci »59. Ce sont donc les individus qui, à travers leurs manières
d’être, de penser et d’agir, rendent visibles des traits culturels. De ce point de
vue, se construire comme personne par le biais de l’éducation renvoie à une
certaine subjectivité dans le travail d’appropriation de la culture.
Le dépassement des approches exclusivement objective ou subjective de l’identité
culturelle est opérée par la conception relationnelle et situationnelle. Ici, l’identité
n’est pas sui generis, autodéterminée. Sa construction requiert l’altérité. Elle
résulte des positions dans l’architecture sociale et des interactions avec d’autres
groupes. Notre démarche s’inscrit dans cette conception dynamique, cette
dialectique entre altérité et identité et situe la personne à éduquer dans une
posture de mise en rapport dynamique, de confrontation permanente des données
des deux formes d’éducation. Face à l’interpénétration des cultures d’horizons
divers, la complexité de leur rencontre, nous investissons la personne dans le
cadre scolaire comme constructrice de sens – sens comme signification et comme
direction qualitative - des messages culturels qu’elle reçoit. Ce travail
herméneutique par rapport aux cultures n’est pas un déni radical de tout acquis
culturel du milieu dans le sens de « notre héritage n’est précédé d’aucun
testament »60. Il est celui de « l’émigré (...), voyageur rempli de mémoire autant
que de projet et qui se découvre et se construit lui-même dans cet effort de
chaque jour pour nouer le passé à l’avenir, l’héritage culturel à l’insertion
professionnelle et sociale »61.
57 SIKOUMOU H., Jeunesse et éducation en Afrique Noire, Préface de ERNY P., Paris, L’Harmattan,
1995, pp. 118-119.
58 SIKOUMOU H., Ibid., p. 72.
59 CUCHE D., op. cit., p. 35.
60 C’est ainsi que René CHAR exprime l’ensevelissement ou la perte de la tradition tel que l’ont
montré les révolutions aux États-Unis et en Europe et qu’Arendt explicite en ces termes : « Le testament, qui dit à l’héritier ce qui sera légitimement sien, assigne un passé à l’avenir. Sans testament ou pour élucider la métaphore, sans tradition – qui choisit et nomme, qui transmet et conserve, qui indique où les trésors se trouvent et quelle est leur valeur – il semble qu’aucune continuité dans le temps ne soit assignée et qu’il n’y ait, par conséquent, humainement parlant, ni passé ni futur mais seulement le devenir éternel du monde .» Cf. ARENDT H., La crise de la culture,
Paris, Gallimard, 1992, pp. 6 et 14.
61 TOURAINE A., op. cit., p. 236.
21
I I- Le cadre d’étude
Notre cadre d’étude est Afrique occidentale francophone, espace géographique
dont les peuples avaient connu la colonisation française. Quel que soit le pays, la
colonisation y a provoqué des mutations des données culturelles. L’école en a été
le moyen fondamental. Cette mutation culturelle est commune aux pays de cette
aire géographique. Il n’existe plus donc une identité culturelle à l’état pur. Ce qui
explique, chez les acteurs sociaux, le recours à un jeu complexe d’élection de
stratégies dont les codes sont puisés dans les ressources tant de la tradition que
de la modernité62. Tout est fonction des nécessités et des enjeux. De ce fait, pour
éviter tout « arbitraire épistémologique » - le choix d’une réalité culturelle fossile63
– nous avons ciblé un trait culturel dont la grammaire est lisible dans tous ces
pays : la conception de la personne.
En ce qui concerne la réalité scolaire, après les indépendances, les systèmes
éducatifs dans tous les pays africains ont fonctionné suivant les orientations des
organisations internationales telles que l’UNESCO et la Banque Mondiale. Selon
les indicateurs du développement humain publiés par le PNUD64, celui du taux de
scolarisation dans ces pays, tous niveaux confondus, se situe entre 16 et 51%.
2.1 . Dé l imitat ion spat ia le et temporel le
Tout en prenant appui sur la valeur unificatrice de la notion de personne et des
politiques éducatives sous l’égide des organisations internationales – ce qui
permet d’intégrer les réalités culturelles, éducatives et politiques de plusieurs
pays- , nous retiendrons pour la précision des analyses trois pays : le Togo, la
Guinée-Conakry et le Bénin.
Le choix du premier se justifie par deux raisons majeures :
- la première est que c’est le pays où fut perpétré le premier coup d’Etat en
Afrique au Sud du Sahara et qui connaît depuis 1967 une dictature militaire
et en phase d’essoufflement depuis 1990 ;
62 MBEMBE A., Afriques indociles. Christianisme, pouvoir et État en société postcoloniale, Paris,
Karthala, 1988, p.105.
63 MBEMBE A. parle de fétichisme culturel. Il consiste à étudier des objets « en dehors de l’ensemble des déterminations historiques sociales qui les ont engendrées et avec lesquels ils ont entretenu des rapports au long du temps. Ou encore « prendre pour ‘’éternelles", "naturelles", des relations signifiantes plastiques, réversibles, contextuelles, qui sont avant tout un construit dans l’histoire. »
(Ibid., pp. 55 et 57 ).
64 PNUD, « Rapport mondial sur le développement humain , 1996 » in Démocraties Africaines, n°8,
1996, pp. 22-23.
22
- la seconde est de soumettre à la critique l’affirmation selon laquelle il
existe une nation togolaise65.
La Guinée constitue un pays témoin dans la mesure où elle a rompu ses relations
avec la France en 1958 à l’issue du vote majoritaire négatif contre l’entrée dans
une « communauté franco-africaine »66.
Enfin le Bénin qui a connu pendant dix-huit ans un régime politique marxiste-
léniniste. A lui revient, en Afrique, la paternité du concept de « conférence
nationale souveraine », son scénario, sa dramaturgie et ses institutions67 et qui lui
a permis d ’entrer en 1990 dans l’ère de la démocratie.
En ce qui concerne le positionnement dans le temps, nous nous intéresserons à
deux grands moments. Comme point de départ, l’année 1924 où l’enseignement fut
réorganisé en Afrique Occidentale Française et la période d’après-guerre (1945-
1960)68. Le second moment est celui de l’après- indépendance (1960-1990) mais
en focalisant les époques charnières (1960, 1970, 1980, 1990) marquées par les
grandes orientations de politique éducative dans les pays en développement
économique69.
I I I- Le paradigme de recherche
Le paradigme dans le cadre de cette recherche est de type compréhensif. Il s’agit
d’élucider les liens entre les composantes possibles des deux types d’éducation
ci-dessus définis. Par l’élucidation « il faut entendre un questionnement des
réalités éducatives (discours, pratiques, systèmes, fonctionnements) qui cherche à
dégager leurs conditions de possibilités, leur sens philosophique et par là même
les valeurs qu’elles attestent, promeuvent ou refusent[…]. Elle cherche quelle
65 YAGLA W. O, L’édification de la nation togolaise, Préface de LUCHAIRE François, Paris,
L’Harmattan, 1976.
66 « Le gouvernement de la IVè République fait appel au Général de Gaulle, qui, arrivé au pouvoir, organise un référendum portant à la fois sur la Constitution de la Vè République et sur les rapports avec l’ensemble d’Outre-mer, dans le cadre d’une Communauté comportant en Afrique des républiques autonomes. Les résultats du scrutin devant être comptabilisés par territoire. Ceux qui auraient une majorité de « non » s’excluraient ipso facto de la communauté projetée ». Ce fut en cette
circonstance que le Président Guinéen, Sékou TOURE, déclara en présence du Général de Gaulle à
Conakry : « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage ! » Cf. KI-
ZERBO J., Histoire de l’Afrique Noire, Paris, Hatier, 1976, p.513.
67 BOULAGA E. F., Les conférences nationales en Afrique Noire. Une affaire à suivre, Paris Karthala,
1993, p. 31.
68 MOUMOUNI A., L’éducation en Afrique, Préface de KI-ZERBO J., Paris, Présence Africaine, 1998.
69 DEBEAUVAIS M., « Planification dans le Tiers-Monde » in CHARLOT B. et BEILLEROT J. (dir.),
La construction des politiques d’éducation, Paris, PUF, 1995.
23
figure d’humanité ces discours, ces pratiques, ces dispositifs impliquent »70
. Comprendre c’est aussi « saisir la place qu’occupe une idée ou un fait dans une
structure de savoir plus vaste. Lorsque nous comprenons quelque chose, nous le
comprenons comme faisant partie d’un cadre conceptuel ou d’une théorie plus
larges »71. De ce point de vue, l’ensemble des éléments en présence sont dans des
interrelations ainsi schématisées.
1 PERSONNE 2
1
Education informelle
2
Education formelle
MILIEUX DE VIE
3
5 Politique 6 ECOLE
8 Economie 7
4
Ce schéma comprend la hiérarchie entre personne, politique et économie ci-
dessus développée (Axe trois). La personne est au centre du dispositif d’analyse.
Centralité, non en terme de position spatiale, mais en tant que pôle privilégié,
entité à laquelle s’ordonnent les autres éléments. Elle représente le point de départ
et le terme des différents axes de relation. La personne scolarisée est entre deux
types d’éducation (Axes un et deux). Chaque type d’éducation a ses déterminants
et renvoie à une conception spécifique de la personne. Dans le cas de l’éducation
informelle, les déterminants sont les milieux de vie. Ceux-ci sont à entendre dans
leurs dimensions spatiale (lieux d’implantation des écoles : villes et villages),
culturelle (les objets et les messages qu’ils suscitent ou dont ils sont porteurs : les
média et les artefacts de l’environnement physique) et humaine (les réseaux de
70 FABRE M., « Qu’est-ce que la philosophie de l’éducation ? » in HOUSSAYE (dir.), Éducation et philosophie. Approches contemporaines, Paris, ESF, 1999, pp. 280-281.
71 BRUNER J., L’éducation, entrée dans la culture. Les problèmes de l’école à la lumière de la psychologie culturelle, Paris, Retz, 1996, p. 8.
24
relation et les groupes d’appartenance). La conception de la personne liée à
l’éducation informelle est la subordination de l’individu au tout social72.
L’éducation formelle, – type scolaire – de par son mode de fonctionnement et le
statut nouveau – par rapport à celui du groupe d’origine - qu’acquièrent ses
bénéficiaires, induit une conception de la personne dans laquelle la société est
subordonnée à l’individu. C’est en référence à ces deux types de conception qu’il
faut analyser la perception de l’école dans les milieux de vie (Axe quatre) et dont
les enjeux sont d’ordre politique et économique (Axes six et sept). Les avantages
qu’offre dans ces domaines l’école, dans l’organisation sociale, sont à l’origine des
stratégies qu’élaborent les individus et les groupes pour leur acquisition (Axes
trois, cinq et huit).
IV- Cadre théorique
4.1- Les concepts opératoires
Les concepts fondamentaux du paradigme, à savoir personne, éducation informelle
et formelle, politique et école, recèlent des dimensions significatives qui sont à
élucider. Il en sera ainsi de l’école avec les notions d’écriture, de métacognition,
de rapport au savoir73 ; du concept de politique qui, outre sa définition dénotée, est
le lieu d’inscription de la notion de démocratie ; de personne, qui est le support
conceptuel du citoyen et qui renvoie aussi à la notion d’autonomie.
D’autres concepts seront convoqués pour analyser les liens entre les trois pôles
du paradigme que sont personne, milieux de vie et école. Il s’agit de la notion
d’identité, d’expérience, de socialisation et de stratégie. Pour une première saisie
de l’enjeu de la problématique, nous développons ici les concepts de personne et
de politique et auquel sera adjoint celui de démocratie.
4.1.1- Le concept de personne
La notion de personne est à saisir au double point de vue de l’anthropologie
occidentale et africaine74. La trajectoire de la conception occidentale de la
personne a été présentée par Marcel MAUSS. Dans un article intitulé « une
catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle du moi », il a retracé
72 Dans la mesure où les milieux de vie sont investis aussi par des apports culturels extérieurs, la
conception de la personne ici désignée est un type-idéal, au sens wébérien du terme. Elle joue un
rôle normatif et régulateur par rapport aux différents types de rapport que l’individu peut nouer avec
son groupe d’appartenance et réciproquement.
73 CHARLOT B., Du rapport au savoir. Éléments pour une théorie, Paris, Anthropos, 1997.
74 Nous nous référons pour une bonne part à la synthèse de N’DAW A., La pensée africaine. Recherches sur les fondements de la pensée négro-africaine, Dakar, NEA, 1983, pp. 147-185.
25
comment cette notion a revêtu diverses significations au fil des temps. La
conception actuelle de la personne a son origine dans l’élaboration qui en a été
faite dans la civilisation latine. Personne vient de « persona » qui a d’abord désigné
dans l’antiquité le masque. Le terme a ensuite pris le sens de personnage
représenté et après celui de l’acteur75. De là, la personne en est venue à désigner
celui à qui incombe des rôles dans les institutions et à qui revient des droits et des
honneurs. Bref, c’est la personne définie par son statut social et les rôles
afférents. Par la suite, le concept au sens juridique a intégré la dimension
morale, c’est-à-dire la conscience d’être autonome, libre et responsable 76.
Ce changement de perspective a été l’œuvre du christianisme à partir de la
réflexion sur l’unité des trois personnes de la Trinité. Aussi la personne a-t-elle
pris le sens de « substance rationnelle, indivisible et individuelle »77. Dans cette
optique, Emmanuel KANT va faire de la conscience individuelle le caractère sacré
de la personne78. Cette approche kantienne sera reprise avec une identification de
la personne au moi, l’orientant ainsi vers l’individualisme. Malgré les nouvelles
formulations philosophiques pour ne pas enfermer le concept de personne dans
l’individualisme et lui conférer un sens qui intègre la dimension communautaire et
l’altérité79, c’est la tendance individualiste qui se traduit au niveau social.
Dans l’univers culturel africain, ce qui définit l’homme comme personne80, c’est
d’abord le fait qu’il est un faisceau, un nœud, un centre de relations
interpersonnelles et cosmiques81. C’est une conception plus sociale qu’individuelle
de la personne. « La société est constitutive de la personne qui est impliquée dans
75 « Personne qui participe à l’action dans une pièce de théâtre, un roman, une nouvelle, un film ».
Encyclopédie Universalis, Larousse, article « personnage ».
76 N’DAW A., ibid, p. 148.
77 Ibid., p. 148.
78 C’est la dignité de l’être raisonnable comme « impératif catégorique », c’est-à-dire qui n’a aucun
rapport à quelque but.. C’est en référence à la personne considérée comme fin en soi qu’il écrivait :
« Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen ». KANT
E., Fondements de la métaphysique des mœurs, Paris, Livre de Poche, 1993, p. 105.
79 La dimension communautaire a été soulignée, entre autres, par MOUNIER. et le rapport à l’altérité
par LEVINAS. Pour la pensée de ces deux auteurs, cf. « Emmanuel MOUNIER. Existence et
personne. De l’idéal communautaire » et « Emmanuel Levinas : L’épiphanie du visage » in TZITZIS
Stamatios, Qu’est-ce que la personne ?, Paris, Armand Colin, 1999, Chap. 15 et 16.
Cf. aussi LEVINAS E., Totalité et infini. Essai sur l’extériorité. La Haye, Martinus Nijhoff, 1971 et
Entre-nous. Essais sur le penser-à-l’autre, Paris, Grasset, 1991.
80 Cf. THOMAS Louis-Vincent et LUNEAU René, La terre africaine et ses religions. Traditions et changements, Paris, L’Harmattan, 1992.
CNRS, La notion de personne en Afrique Noire, Paris, L’Harmattan, 1973.
81 C’est ce qu’expriment des proverbes tels que : « L’homme, c’est sa parenté » (Les Serer du
Sénégal) ; « L’être humain est une liane » (Les Vili du Congo).
26
une multitude de structures : famille, lignage, village, ethnie,... »82. Cette
conception de la personne est exprimée de manière très significative dans la
dation du nom individuel83. Donner un nom n’est pas une simple désignation, un
choix dans un répertoire. C’est une opération de détection, d’interprétations de
signes qui permettent de situer le nouveau venu dans la chaîne généalogique de la
communauté, l’y intégrer et d’appréhender sa trajectoire existentielle84. Ce qui
prédomine, c’est l’accord de l’individu avec le groupe, la conformité à ses normes
et valeurs. S’il y a autonomie de la personne, elle s’entend dans sa capacité à
pourvoir à sa subsistance et à assumer des responsabilités vis-à-vis de
l’ensemble des réseaux humains dans lesquels elle est insérée.
De ces deux conceptions de la personne, on peut relever deux éléments
communs : le statut et le rôle85. Elles divergent cependant sur l’approche de la
notion d’autonomie. D’où le point nodal de notre démarche à les situer non dans
une position antinomique, mais de réciprocité et de complémentarité.
4.1.2- Pol itique et démocratie
Le terme politique, selon son étymologie grecque, πολιτικοs (politikos), fait
référence à la « polis », c’est-à-dire la cité, aux activités qui lui sont liées. Il
s’applique au gouvernement de la cité. Le qualificatif « politique » est utilisé pour
désigner la condition nécessaire des êtres humains qui vivent dans une forme
spéciale de société humaine, la cité. ARISTOTE rappelle en ce sens que seul
l’homme est politique86. Les présupposés de cette affirmation sont à préciser. Au
sein de chaque communauté particulière, il existe des groupes très diversifiés, des
individus avec tout le poids de leur expérience personnelle, de leurs aspirations.
Les groupes et les individus ont des intérêts divergents, des points de vue variés
sur les rapports d’échange, de travail et sur l’organisation de leur communauté
d’appartenance. Au regard de cette réalité, la politique est définie comme l’activité
humaine qui essaie de concilier la diversité des intérêts dans une communauté en
82 N’DAW A., op. cit., p. 150.
83 Cf. ERNY P., Les premiers pas dans la vie de l’enfant d’Afrique Noire. Naissance et première enfance, Paris, L’École, 1972.
84 Tel n’est pas le cas dans la première conception de la personne. Comme l’écrit RICOEUR P., les
noms propres « se bornent à singulariser une entité non répétable et non divisible, sans la caractériser, sans la signifier au plan prédicatif, donc sans donner sur elle aucune information » in
Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, Collection Points, 1990, p. 41.
85 Le statut est « la place qu’un individu donné occupe dans un système donné à un moment donné, [...] (ou sa ) position dans le système de prestige de sa société. Quant au second terme, le rôle, (c’est) l’ensemble des modèles culturels associés à un statut donné ». LINTON R., Le fondement culturel de la personnalité, Paris, Dunod, 1999, p. 71.
86 ARISTOTE, La politique, Paris, Gonthier, 1965, p. 16.
27
vue du bien commun et « du bien-être »87. Cette action est menée grâce à
« l'institutionnalisation du pouvoir"88. L'institutionnalisation du pouvoir est
l'opération juridique constitutive de l'Etat. Ce dernier est défini comme un
ensemble d’institutions agissant de manière synergique89. L'Etat régule les conflits
d'intérêts par le recours aux lois et aux actions des institutions. On parle en ce
sens de concorde intérieure. Cette concorde n'est obtenue que lorsque les
citoyens reconnaissent « l'autorité d'une même loi en tant que principe
impersonnel »90. Dans la mesure où aucune collectivité ne peut vivre dans
l'autarcie, il est aussi du ressort de la politique d'assurer la sécurité extérieure91.
De la manière dont est structurée et régie la société au moyen de l'exercice du
pouvoir politique dépend le statut accordé à chacun de ses membres. Cela nous
amène à expliciter le concept de démocratie.
Avant de définir le concept de démocratie, il convient d'abord de préciser la
philosophie de l'homme qui le détermine et l'oriente. La question de l'homme est
celle de toute pensée politique. Toute théorie politique au point de départ se fonde
sur une anthropologie, sur une vision de l'homme et de sa condition dans le
monde. Telle anthropologie, tel type de pensée politique. Suivant cette orientation,
la démocratie se fonde sur une anthropologie qui fait confiance à l'homme et lui
reconnaît la capacité à gérer sa condition, celle d'un être libre92. Il y a démocratie
quand il existe un « espace d'épanouissement de la liberté, c'est-à-dire un espace
de "vouloir-vivre-ensemble" »93. Il faut adjoindre à cela une deuxième dimension
de la démocratie, celle de l'égalité de droit de tous les citoyens. C'est dans cette
optique que la démocratie est associée au concept d'État constitutionnel ou État de
droit94. L'égalité de droit doit aussi se traduire dans les faits. Il en résulte une
troisième dimension de la démocratie. C’est le droit de tous les citoyens de
participer à la gestion de la chose publique. La démocratie, pour fonctionner
harmonieusement, exige que soient préservées la diversité et la liberté dans
87 Ibid., p. 15.
88 BURDEAU, cité par GBEGNON et MESSAN, « Éduquer à la démocratie pour une paix durable en
Afrique » in Afrique 2000. Revue africaine de politique internationale, n° 27/28, 1997, p. 18.
89 CANIVEZ P., Éduquer le citoyen ?, Paris, Hâtier,1990, p. 144.
90 CANIVEZ P., Ibid., p.16 ; Cf. aussi ROUSSEAU J-J. : « Quand je dis que l’objet des lois est toujours général, j’entends que la loi considère les sujets en corps et les actions comme abstraites, jamais un homme comme individu ni une action particulière », Du contrat social, Paris, Garnier Flammarion,
1992, p. 62.
91 FREUND J., Qu’est-ce que la politique ?, Paris, Sirey, 1965, pp. 38-56.
92 CHALVIDAN P. H., « Culture, espace démocratique et citoyenneté : Essai de mise en place d’une
problématique » in État, démocratie et culture en Afrique, Dakar, UNESCO/IAD, avril 1996, p. 66.
93 Ibid., p. 68.
94 WEIL E., Philosophie politique, Paris, Vrin, 1971.
28
l'expression des points de vue. ARISTOTE95 et ROUSSEAU96 ont montré l'intérêt
de la délibération ou de la discussion dans la résolution des problèmes de la cité.
4.1.3- Problématique de l’articulation des concepts de personne et de démocratie
La liberté, en tant que relative à la personne et élément primordial de la
démocratie, est entendue de deux manières. Elle est, d’un côté, saisie dans un
sens politique, c’est-à-dire en relation nécessaire avec le lien communautaire, ou
encore comme résultat de l’organisation de la cité. Tel est le point de vue de
HEGEL et d’ARENDT. Selon le premier, « l’État [...] a dans la conscience de soi,
le savoir et l’activité de l’individu, son existence médiate, tandis que celui-ci a, en
revanche, sa liberté substantielle en s’attachant à l’État comme à son essence,
comme but et comme produit de son activité »97. Le second considère que « sans
une vie publique politiquement garantie, il manque à la liberté l’espace mondain où
faire son apparition »98. De l’autre, la liberté est interprétée comme attribut de la
volonté de la personne. C’est la liberté naturelle99.
L’absolutisation de la première interprétation ne permet pas de rendre compte des
mouvements de contestation des régimes dictatoriaux et communistes qui ont eu
lieu sur le continent100 ni des luttes de libération du joug colonial. Si malgré
l’absence « d’un espace mondain » ces changements sont intervenus, la liberté
peut être référée, comme attribut, à la personne. C’est la mise en évidence du
« souci de soi »101. Cette position peut être rapprochée de l’hypothèse des
« individus triviaux » de von FORSTER à partir de laquelle on peut inférer cette
autre de l’évolution des groupes. Un individu trivial est celui dont le
conditionnement social est tel que la connaissance de son milieu permet de prévoir
son comportement. C’est dire qu’il est passif et ne peut donc provoquer de
95 ARISTOTE, op. cit., pp. 115-117.
96 ROUSSEAU J-J., op, cit., p. 138.
97 HEGEL, Principes de la philosophie du droit, Paris, Gallimard, 1940, & 257, p. 250.
98 ARENDT H., La crise de la culture, Paris, Gallimard, p. 193.
99 Cf. LOCKE J. in STRAUSS L. et CROPSEY J., Histoire de la philosophie politique, Paris, PUF,
1994 , pp. 525 et sq.
100 Respectivement par exemple au Togo et en République du Bénin.
101 « Fixer ce qu’on est dans un pur rapport à soi : il s’agit (alors) de se constituer et de se reconnaître comme sujet de ses propres actions [...] à travers une relation aussi indépendante que possible du statut et de ses formes extérieures car elle s’accomplit dans la souveraineté qu’on exerce sur soi-même ». FOUCAULT M., Histoire de la sexualité, Tome III, Le souci de soi, Paris,
Gallimard, 1984, p. 118.
Cf. aussi la critique du « modèle de dépendance » , de la domination par KOZAKAÏ T.,
« l’acculturation volontaire » in L’étranger, l’identité. Essai sur l’intégration culturelle, Paris Payot,
2000, Chapitre IV.
29
changement dans son groupe d’appartenance. Si le groupe connaît des mutations,
c’est qu’il existe des individus non triviaux102.
Nous marquons ici notre choix pour une association des deux interprétations.
4.2- Les systèmes théoriques
Les différents concepts du paradigme seront travaillés principalement dans le
cadre théorique de la double orientation du comportement d’un individu à l’égard
d’autrui de Max WEBER : « communalisation et sociation »103. Ce que Claude
DUBAR appelle « socialisation communautaire » et « socialisation sociétaire »104. Ce
cadre s’accorde au mieux à la double polarité de notre champ d’investigation :
éducation informelle et éducation formelle.
Cette théorie de WEBER est une reprise de celle de F. TÖNNIES qui oppose
radicalement formes communautaire (Gemeinschaft) et sociétaire (Gesellschaft) de
groupement et affirme le primat de la communauté sur l’individu. TÖNNIES définit
la première comme « vie organique » et considérée comme « réelle », « vraie » et
« durable » et dans laquelle les individus « restent liés malgré toute séparation ».
Par contre, la société se présente comme « vie virtuelle et mécanique » marquée
du sceau de l’éphémère et de l’apparence. Elle n’est qu’une « pure juxtaposition
d’individus » qui sont « séparés malgré toute liaison ». WEBER opère un triple
déplacement par rapport à l’approche de TÖNNIES :
- en considérant les deux formes de groupement comme types-idéaux qui
coexistent dans toutes relations sociales. Le facteur temps, favorisant la
sédimentation des valeurs sentimentales, peut faire muer une relation
sociétaire en communautaire ;
102 Cf. HANNOUN H., Comprendre l’éducation. Introduction à la philosophie de l’éducation, Paris,
Nathan Pédagogie, 1995, p. 132.
Cf. aussi Henri BERGSON. Il développe en maints endroits de son œuvre, le rapport entre individu et
société. Face à la tendance de la société qui veut enfermer ses membres dans un univers clos
(« société close », « morale close »), on rencontre des individus – exemples de Socrate et de Jésus-
Christ - qui arrivent à avoir leur remarquable autonomie. Il parle en ce sens de « grands hommes »,
d’« appel du héros », « des grands entraîneurs de l’humanité », des protagonistes de « société
ouverte » et de « morale ouverte ». Voir à ce propos, Les deux sources de la morale et de la religion,
Paris, PUF, 1976 ; et le livre de synthèse de MEYER F., Pour connaître Bergson, Paris, Bordas,
1985.
103 WEBER M, Économie et société, Tome 1 : Les catégories de la sociologie, Paris, Plon, coll. Agora
Pocket, 1995, p. 78.
104 Nous le suivons tout au long de la présentation de la théorie de Weber. DUBAR C., La socialisation, Paris, Armand Colin, 2000, pp. 90-95.
30
- en les présentant non comme statiques mais en tant que « deux processus
dynamiques d’instauration de relations sociales » et dont le second requiert
la volonté des membres ;
- en définissant « le passage historique de la forme communautaire dominante
à la forme sociétaire dominante en termes de rationalisation sociale ».
Les catégories de cette double socialisation se présentent comme suit105 :
Vergemeinschaftung
(Socialisation « communautaire »)
Vergesellschaftung
(Socialisation « sociétaire)
Types d’action Traditionnelle / émotionnelle Rationnelle en valeur
Rationnelle en finalité
Relation sociale
dominante
Solidarité héritée Entente par engagement mutuel volontaire
Fondement
de la régularité
Coutume Intérêts spécifiques
Ordre légitime
Croyance religieuse
Abandon au leader
Foi dans les valeurs
Convention ; Droit
Fondement
de légitimité
Traditionnelle/Charismatique Légale-rationnelle
Forme dominante
de disposition
Sentiments d’appartenance commune Compromis ou coordination d’intérêts motivés rationnellement
Types de groupement
Famille ; Autres communautés affectives
Nation
Institution Association Entreprise
A la théorie de WEBER nous associons la théorie du rapport au savoir qui situe le
sujet de l’apprentissage par rapport à lui-même et dans une relation très
diversifiée avec des objets de savoir (humains, événementiels, matériels,
topologiques...). L’intérêt de cette théorie est son affinité avec ce que BERTRAND
Yves appelle, dans le cadre des théories sociales de l’éducation, la « compétence
écosociale ». C’est la compétence qui met l’apprenant sur la voie de la gestion des
105 Texte de WEBER M. dans l’ouvrage sus-cité (pp. 78-82) et mis en tableau par DUBAR C., ibid., p.
91.
Les distinctions opérées par BERGER P. et LUCKMANN entre « la société comme réalité objective et comme réalité subjective » offrent des pistes de rapprochement avec la pensée de WEBER. Cf. leur
ouvrage, La construction sociale de la réalité, Paris, Méridiens Klincksieck, 1992.
31
« problèmes sociaux, écologiques, culturels et politiques »106. Étant donné aussi que
la théorie de WEBER se présente sous forme d’un tableau diptyque, d’autres
théories seront mises à contribution pour éclairer l’un ou l’autre volet ou pour
montrer leur interrelation.
Dans l’approche communautaire seront investis les apports de MAFFESOLI107 qui
utilise « la métaphore de la tribu (qui) permet de rendre compte du processus de
désindividualisation, de la saturation de la fonction qui lui est inhérente, et
l’accentuation du rôle que chaque personne (persona) est appelée à jouer en son
sein »108. Les idées développées par BOUDON109 seront rapprochées de la forme
sociétaire. Il analyse l’action sociale des individus, non sous l’angle du
déterminisme sociologique, mais en tant que relevant de leur autonomie. Cette
analyse est une voie d’explication des « contrefinalités » ou « effets pervers »
qu’engendre, sur le plan social, la convergence de leurs actions. C’est la thèse de
« l’individualisme structurel » ou de la « méthodologie individualiste ». « Les
phénomènes sociaux [...] ne peuvent être expliqués de manière satisfaisante si on
n’en fait pas la conséquence d’actions individuelles »110.
L’interaction des deux formes sera analysée à la lumière de l’œuvre de RICOEUR111
et de TOURAINE112. Nous ferons aussi recours aux auteurs qui s’inscrivent dans le
106 BERTRAND Y., Les théories contemporaines de l’éducation, Ottawa, Éditions Agence d’Arc, 1993,
p. 211.
Cf. aussi du même auteur, « Expérience et éducation » in HOUSSAYE (dir.), Éducation et philosophie. Approches contemporaines, Paris, ESF, 1999, pp. 49-62.
107 MAFFESOLI, Le temps des tribus. Le déclin de l’individualisme dans les sociétés de masse, Paris,
Méridiens Klincksieck, 1988.
108 MAFFESOLI, Ibid, p. 16.
109 BOUDON R., Effets pervers et ordre social, Paris, PUF, 1993.
110 BOUDON R., Ibid., p. 4.
111 RICOEUR P., Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.
RICOEUR P., Du texte à l’action. Essai d’herméneutique II, Paris, Seuil, 1986.
112 TOURAINE A. Qu’est-ce que la démocratie ?, Paris, Fayard, 1994.
TOURAINE A., Critique de la modernité, Paris, Fayard, 1992.
32
champ de la philosophie politique113, de la philosophie et de la sociologie de
l’éducation114 et à ceux qui ont traité le rapport entre éducation et politique115.
V- Validation de la recherche
5.1- Corpus documentaires
Quatre types d’archives seront analysés dans le procès de notre investigation en
référence à la question centrale suscitée par notre problématique.
Le premier type est constitué par les textes émanant des institutions, et ce à un
double niveau : continental et étatique. Au niveau continental, ce sont les actes de
la Conférence des Ministres de l’Éducation d’Afrique sous l’égide de l’UNESCO
(Addis-Abeba, 1961 ; Abidjan, 1964 ; Naïrobi, 1968 ; Lagos, 1976 ; Harare, 1982 ;
Dakar, 1991). En ce qui concerne les Etats, seront analysés les textes des
réformes scolaires ou les orientations sur l’éducation au Togo, en Guinée et au
Bénin.
Comme appoint à ce premier type, nous nous intéresserons à un second type de
documents permettant de situer l’école en Afrique dans la configuration
internationale des politiques éducatives. Ce sont les documents sur les époques
charnières évoquées ci-dessus dans la délimitation temporelle (1960 : « la théorie
du capital humain » ; 1970 : l’explosion scolaire et le problème de la qualité de
l’éducation; 1980 : la crise économique mondiale ; 1990 : « Éducation de base pour
tous »).
113 ROUSSEAU J-J., Le contrat social, Paris, Garnier-Flammarion, 1992.
L’ouvrage de synthèse de STRAUSS L. et CROPSEY J., Histoire de la philosophie politique, Paris,
PUF, 1994.
114 LOMBARD J. (dir.), Philosophie de l’éducation : Questions d’aujourd’hui. L’école et la cité, Paris,
L’Harmattan, 1998.
KAHN P. et al., L’éducation. Approches philosophiques, Paris, PUF, 1990.
HOUSSAYE J. (dir.), Éducation et philosophie. Approches contemporaines, Paris, ESF, 1999.
ROUSSEAU J-J., Émile ou de l’éducation, Paris, Garnier-Flammarion, 1966.
DURKHEIM E., Éducation et sociologie, Paris, PUF, 19934.
115 ARENT H., « La crise de l’éducation » in La crise de la culture, Paris, Gallimard, 1972.
KANT E., Traité de pédagogie, Paris, Hachette, 1981.
HEGEL G. W. F., Principes de la philosophie du droit, Paris, Gallimard, 1940.
HEGEL G. W. F., Textes pédagogiques. Discours du gymnase, Paris, Vrin, 1978.
MOUGNIOTTE A., L’école de la République. Pour une éducation à la démocratie, Lyon, PUL, 1996.
MOUGNIOTTE A., Pour une éducation au politique. En collège et lycée, Paris, L’Harmattan, 1999.
33
Le troisième type d’archives regroupe les recherches en éducation dont l’objet est
le dualisme de l’éducation en Afrique ou sa dimension interculturelle116. Nous nous
référerons aussi aux productions qui, au détour d’autres problématiques, abordent
le thème de cette double polarité de l’éducation.
Le dernier type de documents est constitué par les travaux sur les réalités
politiques et les questions du rapport des intellectuels et des jeunes avec le
pouvoir ou l’ordre politique117.
5.2- Méthodologie
Notre investigation se veut une mise en ordre théorique de manière dialectique
des deux types d’éducation. Face au concept d’éducation informelle à l’usage très
récent118 dans le champ de l’analyse de l’éducation et dont la réalité à laquelle elle
renvoie est qualifiée de « confuse»119, une clarification de sa compréhension et de
son extension s’avère nécessaire. Il nous faudra aussi mettre en lumière les
éléments caractéristiques et spécifiques de l’école. Dans la mesure où théorie et
pratique sont en rapport dialectique en pédagogie120, la pratique pédagogique à
l’école en Afrique sera aussi versée au dossier de l’analyse. Pratique dans le sens
des activités qui sont internes à l’école et plus précisément la mise en œuvre
pédagogique. Autrement dit, il sera question de l’étude des types de processus
116 QUENUM J-C., Interactions des systèmes éducatifs traditionnels et modernes en Afrique, Paris,
L’Harmattan, 1998.
DRAVIE-HOUENASSOU-HOUANGBE K., L’éducation africaine face à l’école coloniale. Dualisme de l’éducation dans les pays de la côte ouest-africaine, Lomé, Haho, 1988.
MOUMOUNI A., L’éducation en Afrique, Paris, Présence Africaine, 19982. C’est la première
production exhaustive sur les réalités éducatives africaines. Elle servira de base pour l’analyse des
données des années 1922 et 1945-1960.
117 Jean-François BAYART et l’Équipe de Politique Africaine qui traitent de « la politique par le bas ».
BAYART J-F., L’Etat en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 1989.
BAYART J-F (dir.), Religion et modernité politique en Afrique Noire, Paris, Karthala, 1993.
N’DA P., Les intellectuels et le pouvoir politique en Afrique Noire, Paris, L’Harmattan, 1987.
MBEMBE J. A., Les jeunes et l’ordre politique en Afrique Noire, Paris, L’Harmattan, 1985.
118 Il apparaît en 1969 sous la plume de SCHWARTZ. Cf. PAIN A., op. cit., p. 121.
119 C’est ce qu’écrivait en 1968 COOMBS P. : « Les activités éducatives non scolaires forment un ensemble confus qu’il est impossible de décrire simplement ou de soumettre à l’analyse et à l’évaluation quantitative requises pour une planification méthodique », « La crise mondiale de l’éducation », cité par PAIN A., op. cit., p. 34.
120 HOUSSAYE J. (dir.), “Avant-propos” in Quinze pédagogues. Leur influence aujourd’hui, Paris,
Bordas, 2000, pp. 11-16.
34
pédagogiques121 qui structurent ou orientent la relation éducative122 et leur rapport
avec la construction de la personne.
Puisque le savoir est l’un des termes de ces processus, nous ferons recours aux
thèmes des programmes de littérature et d’histoire123. C’est dans ce même cadre
que nous retenons deux romans de la littérature africaine. Leur intérêt est qu’ils
cristallisent la thématique de la collusion de la culture africaine et de la
scolarisation124.
Du fait de son statut de « produit » d’importation en Afrique, nous suivrons par
ailleurs la piste historique à un double niveau. Le premier sera la présentation des
conditions de son apparition en général et en France en particulier, et ses effets
en retour sur les individus et l’organisation sociale. Le second niveau consistera à
interpréter le moment inaugural de la susdite collusion à partir des idées-forces
de L’aventure ambiguë de C. Hamidou KANE125. C’est au regard de ces différentes
données que nous entreprendrons la réflexion sur l’incidence de l’éducation dans
la construction de la personne en Afrique.
Nous adopterons une double posture dialectique, d’inspiration ricœurienne126, dans
la lecture de ces documents. La première est de les prendre dans leur dire, le
« lieu » où ils se tiennent, leur « dedans ». La seconde est d’effectuer leurs
« références potentielles non ostensives », c’est-à-dire le dévoilement des non-
dits, de l’implicite. Cette double lecture sera guidée par une grille de base
commune à l’ensemble des textes et deux autres qui seront appliquées
spécifiquement aux thèmes des programmes de littérature et d’histoire et aux deux
romans retenus.
121 HOUSSAYE J., Théorie et pratiques de l’éducation scolaire, tome I : Le triangle pédagogique,
Berne, Peter Lang, 19922. Le triangle pédagogique est constitué par trois termes : savoir, enseignant
et élève. La combinaison binaire des trois permet de définir trois processus : « enseigner »,
« apprendre » et « former ».
122 POSTIC M., La relation éducative, Paris, PUF, 1982.
123 La justification du choix de ces deux disciplines sera présentée plus en détail dans le déploiement
même de la recherche. A titre indicatif, nous nous appuierons, dans le cas de l’histoire par exemple,
sur les huit centres d’intérêt développés par MARTINEAU R. et LAVILLE C. dans leur article :
« L’histoire : voie royale vers la citoyenneté ? » in Vie pédagogique, n° 109, novembre- décembre
1998, pp. 35-38.
124 KANE C. H., L’aventure ambiguë, Paris, Julliard, 1961.
NGAL G., Le viol du discours africain, Paris, Hatier, 1984.
125 KANE C. H., L’aventure ambiguë, Paris, Julliard, 1961.
126 RICOEUR P., Du texte à l’action. Essais d’herméneutique II, Paris, Seuil, 1986, p. 230.
35
GRILLE DE BASE
Conception de la culture « Culture culturée » : Figée
« Culture culturante » : Dynamique
Culture promotionnelle
Approche du rapport entre culture africaine et les autres cultures
Type de société visé Close
Ouverte
Rôle assigné à l’école par rapport à la société
Type de socialisation Communautaire
Sociétaire
Conception sous-jacente de la personne
Articulation individu et société
L’homme éduqué pour intégrer un type de société
L’homme éduqué dans une perspective d’autonomisation
Type d’organisation politique référé
Hiérarchie des valeurs qui s’y font jour
GRILLE POUR LES PROGRAMMES
Caractéristiques des types de savoir évoqués
Sur l’homme
Sur la société
Sur la culture locale
Sur les autres cultures
Sur le monde
GRILLE POUR LES ROMANS
Représentation de l’école par le prisme de la culture
CONCLUSION
Le point de départ de notre investigation est la mise en question des lieux
théoriques d’incarnation de l’analyse de la crise africaine. Notre projet est de la
focaliser sur la sphère politique qui a un fondement anthropologique. D’où la
rencontre avec l’éducation dans sa double modalité formelle et informelle appelant
une analyse de leur influence sur la personne, actrice dans la sphère publique.
L’horizon de cette analyse est une réflexion éthique susceptible de mettre des
balises pour l’éducation en milieu scolaire au regard des exigences de la
démocratie.
37
DEUXIEME PARTIE
UNE HERMENEUTIQUE DE LA COLLUSION DE L’ÉDUCATION FORMELLE ET INFORMELLE EN AFRIQUE
INTRODUCTION
Dans un travail récent, nous avons étudié le problème de l’éducation à la
citoyenneté en milieu scolaire127. Notre intérêt à ce problème était lié à l’aurore de
la démocratie en Afrique. Cette étude ciblait l’école comme cadre idéal dans lequel
les valeurs, les attitudes et la culture démocratique peuvent être intériorisées,
adoptées et apprises. Elle nous avait conduit à analyser des données et pratiques
dans les lycées et qui sont relatives à la vie pédagogique ( méthodes
d’enseignement, contenus des programmes, les relations interpersonnelles), au
rapport à la loi et à la participation des élèves à la vie de leur établissement.
L’épilogue de ce travail nous a amené au constat d’une certaine « ratiocination »,
au sens hégélien du terme. Autrement dit, nos approches étaient un mouvement
giratoire par rapport à la question de la démocratie et de la citoyenneté. Si ces
approches étaient loin de se réduire aux projets éducatifs de socialisation
harmonieuse et républicain ou nationaliste, elles n’avaient pas, par contre,
clairement exploré l’au-delà de leurs présupposés. Qui plus est, le constat de cette
limite a été renforcé par les résultats d’une étude – également récente - de Jean-
Claude QUENUM128 relative à l’impact de la culture de base sur l’intégration
sociale, au Bénin, des personnes scolarisées. Ces résultats révèlent que la culture
scolaire est plus au service des stratégies pour un meilleur positionnement dans
l’espace public que d’induire un changement dans le rapport des personnes
scolarisées à leur groupe d’origine. Il n’y a là aussi qu’une simple reconnaissance
d’un fait. Ses déterminants n’y sont pas explicités. Il nous fallait donc ouvrir un
nouveau chantier d’investigation qui, en se focalisant sur le sujet de l’éducation,
mette en lumière les termes de l’influence, sur ce dernier, des deux modalités
éducatives : la forme scolaire et la forme diffuse.
L’énigme en entente d’une c lar i f icat ion
Deux raisons sous-tendent la confrontation de la forme scolaire d’éducation à
l’éducation informelle. La première est celle que nous avons indiquée dans la
première partie de ce travail, à savoir la centralité du concept de personne dans
l’approche des réalités économiques et politiques. Les déterminations de ces
dernières sont tributaires du rôle des individus en amont duquel se situent les
influences éducatives dans leur développement129. Et ce recours aux effets de
l’éducation a un arrière-fond d’ordre interrogatif. Comment appréhender le fait
127 ADONSOU A., L’éducation à une citoyenneté nouvelle en milieu scolaire togolais. Analyse prospective à partir des lycées publics de Lomé, Mémoire de maîtrise, Institut National des Sciences
de l’Éducation, Université du Bénin - Togo, 1999.
128 QUENUM J-C., Interactions des systèmes éducatifs traditionnels et modernes en Afrique, Paris,
L’Harmattan, 1998.
que l’action des individus scolarisés dans l’espace politique obéisse à la logique
d’appartenance à une communauté130 ? Interrogation que confirment les propos d’un
ancien cadre du Bénin et dont fait état Jean-Claude QUENUM : « L’instruit, après
son apprentissage scolaire, fait, selon lui, "exactement" le même choix culturel
que celui qui n’a pas été (sic) à l’école... Ce qu’il reçoit de ses parents
traditionnels est l’éducation... "Ce qui lui reste lorsqu’il a tout oublié", et auquel il
se réfère, ce sont les habitudes cognitives et empiriques acquises auprès de ses
parents traditionnels »131. Non seulement il y a disjonction des deux univers
éducatifs, mais encore l’école y apparaît comme dénuée de tout pouvoir de
marquer l’être de l’individu. Il n’y aurait ainsi de véritable éducation que dans les
influences du milieu de vie.
La deuxième raison est une exigence de la réalité du fait éducatif en Afrique. Cette
exigence est un produit de l’histoire. En effet, à l’instar de toute société, celles
d’Afrique avaient leur mode de transmission des éléments culturels à leurs
nouveaux membres. Leur rencontre avec l’Occident s’est soldée par l’instauration
d’une nouvelle institution éducative : l’école. Elle y a pris l’ascendance sur les
anciennes formes d’intégration des jeunes générations. C’est un nouvel ordre dans
lequel le système des statuts et des rôles qui assuraient la cohésion de ces
sociétés a perdu de son efficace. L’école est ainsi devenue le nouvel « ascenseur
social » et une référence majeure dans la définition sociale des individus dans
chaque collectivité et dans chaque groupe social. D’où la désignation de cette
rencontre en terme de collusion.
C’est dans ce contexte que prend sens l’éducation informelle. Elle permet
d’expliquer la survivance des schèmes culturels distinctifs des sociétés africaines
malgré la disparition quasi totale des bosquets initiatiques, ces lieux par
excellence de l’ultime appropriation de la vision du monde de ses membres.
« Dans des sociétés traditionnelles où l’enseignement formalisé sous une modalité
scolaire s’oppose à la culture traditionnelle, l’informel est le lieu de défense de
l’identité culturelle, notamment en ce qui concerne l’éducation des enfants »132. En
129 Il ne faudrait pas voir ici un soupçon de causalisme. Il s’agit d’éclairer autant que faire se peut la
rampe –pour ainsi dire – de déploiement de la construction de la personne en Afrique. Ceci dans la
mesure où « les circonstances font l’homme » et « l’homme fait (aussi) les circonstances ». On peut
se référer, à ce propos, à la place de la causalité et de la finalité dans l’action pédagogique
développée par SOËTARD M., Qu’est-ce que la pédagogie ? Le pédagogue au risque de la philosophie, Paris, ESF éd., 2001, pp. 106-110. Les citations que nous lui empruntons sont de
l’ouvrage Mes recherches de PESTALOZZI.
130 Nous l’utilisons dans le même sens que dans la partie consacrée aux considérations théoriques de
la première partie de ce travail (4.2), et ce en suivant Max Weber.
131 QUENUM J-C., op. cit., p. 102.
132 PAIN Abraham, Éducation informelle. Les effets formateurs dans le quotidien, Paris, L’Harmattan,
1990, p. 122. L’auteur se réfère aux études, d’approche psychologique et anthropologique, sur les
40
contexte africain, même si on ne peut parler de sociétés traditionnelles à l’état pur,
des manifestations de « niches culturelles » sont du moins repérables. De plus, il
ne s’agit pas à proprement parler de leur « défense », dans la mesure où ce terme
suppose – à l’exclusion de toute connotation psychanalytique - une action
intentionnelle, volontariste qui ne s’accorde que très partiellement avec la
problématique de l’éducation informelle. Mais que des éléments culturels résistent
à la toute puissance des apports de l’école est révélateur de deux choses. D’une
part, le crédit à accorder à cette éducation non labellisée et d’autre part
l’attestation de la critique faite à l’école d’être un univers clos où les réalités de la
vie sociale n’ont pas droit de cité.
Dans l’appréciation de l’éducation informelle, des auteurs ont non seulement mis
en exergue sa primauté, mais aussi émis l’hypothèse de sa prédominance sur les
autres formes d’éducation. Dans le premier cas, évoquant ce qui est perdu de vue
dans l’analyse de l’action éducative par la focalisation sur sa modalité formelle,
Abraham PAIN écrit : « Du point de vue social, l’action éducative a commencé bien
avant l’existence de l’école comme institution chargée de transmettre aux jeunes
les acquis de la société. Du point de vue individuel, elle commence bien avant
l’entrée de l’enfant à l’école, depuis sa naissance »133. Bien des études sur la
première enfance en Afrique, confirme de manière particulière ce modelage de
l’individu, préalable à la scolarisation134. En ce qui concerne le second cas, c’est-à-
dire en jaugeant la portée de l’éducation informelle, l’hypothèse est que « si on
tient compte de l’ampleur des activités (vie sociale et économique, loisir) et du
volume d’occasions dans lesquelles elle peut se produire, le poids de l’éducation
informelle, par rapport aux autres modalités dans l’ensemble du processus
éducatif, est le plus important »135. ILLICH136 se situe dans la même optique dans sa
virulente critique contre l’institution scolaire.
conséquences cognitives des deux types d’éducation réalisées par SCRINER et COLE, « Cognitive
consequences of formal and informal education ».
133 PAIN A., Ibid., p. 129.
134 ERNY P., Les premiers pas dans la vie de l’enfant d’Afrique Noire. Naissance et première enfance,
Paris, L’École, 1972 ; L’enfant et son milieu en Afrique Noire, Paris, L’Harmattan, 1987.
ORTIGUES E., Œdipe africain, Paris, Plon, 1966.
135 PAIN A., Ibid., p. 135. Voir aussi p. 140. Tel est aussi l’avis de COOMBS P. H. et de LENGRAND
P.. Le premier écrit dans The world crisis in education. The view from eighties - une seconde
version de la « La crise mondiale de l’éducation » - que l’éducation informelle « constitue le plus grand morceau de l’apprentissage total durant la vie d’une personne – même pour celles "hautement scolarisées " » ; et le second dans Structures de l’apprentissage dans les pays de l’Europe Occidentale que « l’essentiel des apprentissages de chaque individu se déroule en dehors des cadres institutionnels », cité par PAIN, Ibid., pp. 126-127.
136 ILLICH I., Une société sans école, Paris, Seuil, 1971.
41
Toujours dans le sillage de la seconde raison, cette double modalité de l’éducation
en Afrique est affectée, de façon générale dans la littérature, des qualificatifs
« traditionnelle » et « moderne ». Si l’école, telle qu’elle est importée en Afrique,
est étroitement liée à la modernité, il en va différemment du rapport de l’éducation
informelle à la tradition. Le discours sur l’éducation traditionnelle se réfère à son
effectuation dans sa forme originale, voire virginale. On y décrit les agents, les
contenus, la méthode et les étapes. Outre le rôle pédagogique de la famille et
l’éducation mutuelle dans les classes d’âge, la société toute entière était
éducatrice. Les valeurs morales et sociales, les savoirs et les savoir-faire
multiformes nécessaires à la prise en charge de soi et à la préparation à
l’accomplissement des futurs rôles dans la division du travail en constituaient les
curricula. Ces contenus étaient transmis au moyen de la parole, au gré des
circonstances, par le « voir-faire », au moment des rites de passage et de manière
décisive, lors de l’initiation137.
Cette relation de l’éducation traditionnelle reste positive dans le cadre de la
conservation de la mémoire culturelle. En dehors de ce devoir de mémoire, sa
pertinence appartient à un passé révolu. Son évocation dans l’aujourd’hui de la
réalité éducative sert beaucoup plus à faire le procès de l’école coloniale qu’à la
mobiliser pour une action pédagogique créatrice. Cette démarche érige l’éducation
traditionnelle en « béatitude onirique », l’accrédite « d’une fausse grandeur, d’une
gloire purement fictive déconnectées des questions (éducatives) décisives de
notre temps »138.
Explorat ion d’une piste nouvel le
L’élection ici du concept d’éducation informelle est une rupture avec ce fétichisme
de l’éducation traditionnelle. Ce concept s’accorde à l’actualité du fait éducatif
dans un contexte africain irréversiblement d’interculturalité. Sa particularité est
d’être le lieu de rencontre d’éléments culturels tant spécifiquement africains
qu’exogènes. L’appropriation des premiers se fait par le biais de l’oralité et du
phénomène de la « proxémie ». La proxémie étant « les histoires vécues au jour le
jour, les situations imperceptibles qui constituent...la trame communautaire »139.
L’écriture – à laquelle l’école est liée - et les mass-média servent de médiateurs
137 Plusieurs auteurs ont fait une description détaillée de l’éducation traditionnelle : MOUMOUNI A.,
L’éducation en Afrique, Paris, Présence Africaine, 19982 ; ERNY P., Les premiers pas dans la vie de l’enfant d’Afrique Noire. Naissance et première enfance, Paris, L’École, 1972 ; ERNY P., L’enfant et son milieu en Afrique Noire, Paris, Payot, 1972 ; LÊ THÀNH KHÔI, « Afrique : Les sociétés
communautaires » in Éducation et civilisations. Sociétés d’hier, Paris, Nathan, 1995.
138 KÄ MANA, L’Afrique va-t-elle mourir ? Essai d’éthique politique, Paris, Karthala, 1993, p. 71.
139 MAFFESOLI M., Le temps des tribus. Le déclin de l’individualisme des les sociétés de masse,
Paris, Méridiens Klincksieck, 1988, p. 183.
42
pour l’acquisition des seconds. Oralité et écriture, deux formes du langage au
service donc de la transmission culturelle et qui permettent non seulement
l’interaction entre les hommes, mais aussi leur construction en tant que personne.
Elles vont aussi nous servir de référence dans le décryptage des mutations socio-
culturelles et anthropologiques générées par l’avènement de l’école.
Le problème en jeu est que, considérés du point de vue de leur clivage radical, les
deux types d’éducation sont frappés de relativité. D’une part, « à elle seule
l’éducation informelle ne peut assurer le développement régulier des individus,
mais elle se situe par ses caractéristiques, au moment du contact initial, une
circonstance de la vie quotidienne qui attire l’attention et fait jaillir l’intérêt de
l’individu »140 ; de l’autre, la référence exclusive à l’école ne permet pas de rendre
compte de certains comportements des individus et qui ne peuvent être expliqués
qu’en faisant appel à des effets éducatifs parallèles. Mais cette dichotomie peut
être surmontée en considérant l’école comme lieu de facilitation de « certains
types d’apprentissages qui ne peuvent être trouvés dans l’environnement immédiat
dans la vie quotidienne »141. Ce dépassement ne peut être opéré sans une claire
identification des déterminants de l’une et de l’autre éducation, de leur spécificité,
portée et limites.
I- L’ EDUCATION INFORMELLE DANS TOUS SES ETATS
Nous nous proposons ici de saisir le sens de l’éducation informelle, ses
déterminants et ses possibles caractérisations théoriques. Le préfixe privatif
associé à la racine "forme" pourrait laisser penser à une dépréciation de sa valeur,
à son discrédit. En effet, la "forme" renvoie, au sens commun, à un contour, une
configuration sensible ; et en métaphysique à la quintessence, à ce qui confère à
une réalité sa permanence. La référence à l’adjectif « formelle » qui y est contenu,
relève du domaine de la logique. Celle-ci a pour objet la manière méthodique,
claire, de connaître les choses et de manière privilégiée à partir des concepts.
Au regard de ces différentes acceptions, l’informel serait de l’ordre de
l’insaisissable, de l’éphémère, de la fugacité et donc sans consistance ; il
désignerait tout ce dont on ne peut préciser les qualités (la compréhension d’un
concept en logique) ni les êtres qui les ont de manière identique (l’extension d’un
concept). Telle n’est pas la réalité de l’éducation informelle. Son être est de se
manifester sous de multiples aspects. Elle est « matière », donc « puissance » dont
« l’acte » se décline au pluriel. Ou encore, c’est une matière qui se présente sous
des formes multiples. Cette façon de présenter l’éducation informelle est
140 PAIN A., op. cit., p. 136.
141 PAIN A., ibid., p. 141.
43
assimilable à la dialectisation de la forme et de la puissance dans La physique
d’Aristote. Cette dialectique se réfère à la possibilité de considérer la même chose,
soit comme forme, soit comme puissance142. Dans cette optique, l’éducation
informelle n’est matière que si l’on méconnaît ses attributs. Elle est forme dans le
cas contraire. Cette distinction que nous faisons ici est à appréhender dans le sens
du besoin de caractériser cette modalité éducative. La notion de « forme » utilisée
ici ne doit donc pas insinuer quelque idée de perfection de l’éducation informelle.
Notre visée ici est de mettre en lumière cette double figure. Pour saisir la richesse
de ses expressions, nous allons d’abord explorer quelques notions dont les
éléments constituent son bouillon nourricier. Nous essayerons ensuite de la
caractériser. Dans la même trame, nous débusquerons au passage sa trace chez
certains auteurs avant qu’elle ne soit quelque peu nommément intégrée dans la
pensée éducative. Cette caractérisation sera précédée de l’identification de sa
mise en valeur à partir d’une critique de la forme scolaire à laquelle elle est en
général opposée. Celle de Ivan ILLICH qui en a été une des figures emblématiques.
1.1- Aux sources de l ’éducation informel le
L’éducation informelle renvoie aux notions d’expérience, de coutume, d’habitus,
d’impact des choses143, bref, la vie au quotidien. Elles ont toutes une base
commune qui est « l’interaction d’un organisme avec son milieu »144, le fait d’être
confronté à la réalité immédiate, à tout ce qui se présente à l’individu comme faits,
actions – en y étant agent ou patients – ou événements. Mais chacune d’elles
apporte sa lumière particulière à l’éclairage du fondement de l’éducation
informelle.
1.1.1- La place éminente de l’expérience ou de la vie
Parmi ces notions, celle d’expérience se présente comme la plus englobante.
« Elle est ouverture et contact avec l’univers des possibles »145. C’est pourquoi elle
peut s’entendre selon plusieurs sens. On y retrouve l’acception scientifique, c’est-
à-dire les tests en vue de la découverte des propriétés d’une chose ou de
l’établissement des lois d’un phénomène, la gamme des significations en
philosophie et les activités des éduqués dans le cadre scolaire en lien avec ce
142 Il en est ainsi de l’airain qui est matière pour le sculpteur et forme d’un minerai brut. Cf. FABRE
M., « Forme et formation : la Physique d’Aristote » in Penser la formation, Paris, PUF, 1994, p. 123.
143 Nous nous référons à l’éducation des choses chez ROUSSEAU. Cf. Émile ou de l’éducation, Paris,
Garnier-Flammarion, 1966, p. 37.
144 FABRE M., Penser la formation, Paris, PUF, 1994, p. 154.
145 BERTRAND Y., « Expérience et éducation » in HOUSSAYE (dir.), Éducation et philosophie. Approches contemporaines, Paris ESF éd., 1999, p. 51.
44
qu’ils ont déjà vécu146. Inscrite spécifiquement dans le cadre de l’éducation
informelle, nous pouvons retenir que l’expérience « porte sur les relations
multidimensionnelles (affective, rationnelle, irrationnelle, émotive, instinctive,
cognitive) et quotidiennes qui tissent l’habitat, c’est-à-dire le simple fait d’habiter
au monde avec le monde »147.
ROUSSEAU ne dit pas autre chose quand il identifie l’action à la vie . Dans l’action,
ce sont toutes les dimensions de l’individu qui sont sollicitées. « Toutes les parties
de nous-mêmes qui nous donnent le sentiment de l’existence »148. Ou encore,
quand il situe l’expérience en aval d’un enseignement systématique verbal149. Au
Livre III de l’Émile, les considérations sur le mouvement solaire, en vue
d’apprendre à s’orienter, précèdent ce qu’on pourrait appeler un « canular
formateur »150 : la quête d’une solution à la désorientation dans la forêt près de
Montmorency. Ce que Michel SOËTARD traduit par le réinvestissement, dans cette
expérience, de « la leçon théorique distraitement entendue, mais entendue quand
même, dans un premier temps »151. Au livre V, l’expérience est aussi reliée à la
leçon théorique antérieure : « Le jeune homme n’aurait jamais pris [...] la mesure
de la Loi, dans son sens intérieur comme dans sa nécessité positive, s’il n’avait pu
mettre en rapport l’expérience acquise dans ses voyages avec la leçon de
philosophie politique que lui a précédemment administrée le gouverneur »152.
ROUSSEAU valorise ainsi l’expérience et lui assigne un rôle de maîtrise153.
Nous aborderons plus loin la portée épistémologique et éducatrice de l’expérience.
Mais nous pouvons déjà relever que sa théorisation dans l’éducation par
146 Sur ce point, nous pensons particulièrement à John DEWEY qui a inscrit l’expérience au cœur
même de sa philosophie de l’éducation. Cf., BRUBACHER J. S., « John DEWEY » in CHÂTEAU J.
(dir.), Les grands pédagogues, Paris, PUF, 19806 .
147 BERTRAND Y., Ibid., p. 55.
148 ROUSSEAU J-J., Émile ou de l’éducation, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, Livre I, p. 43.
149 Cf. SOËTARD Michel, « Jean-Jacques ROUSSEAU » in HOUSSAYE J. (dir.), Quinze pédagogues. Leur influence aujourd’hui, Paris, Bordas, 2000, p. 34.
150 Nous nous référons à Erving GOFFMAN qui, parlant des « fabrications » qui sont « des efforts délibérés, individuels ou collectifs, destinés à désorienter l’activité d’un individu...sur le cours des choses », y inscrit « les canulars formateurs (qui) sont des situations où le néophyte croit qu’il agit « pour de vrai » et apprend après coup qu’il était en fait constamment dans des conditions
particulières qui le protégeaient du monde réel » in Les cadres de l’expérience, Paris, Minuit, 1991,
pp. 93 et 105.
La différence d’avec ce passage de ROUSSEAU est que Émile restera ignorant de cette
« fabrication » et que le « monde réel » est à assimiler à la conscience d’être dans une véritable
situation pédagogique. Cf. ROUSSEAU, op. cit., Livre III, pp. 232-235.
151 SOËTARD M., op. cit., p. 34; et ROUSSEAU, Ibid.., pp. 600-615 et pp. 617-621 respectivement à
propos de la leçon de philosophie politique et la confrontation avec l’expérience des voyages.
152 SOËTARD M., Ibid., p. 34.
153 « Nos vrais maîtres sont l’expérience et le sentiment », ROUSSEAU, Ibid., Livre III, p. 230.
45
ROUSSEAU constitue un paradigme pour le type de rapport à établir entre
l’éducation informelle et la forme scolaire. Celle-ci peut être le laboratoire de
validation, de purification, ou de falsification de celle-là. Les deux peuvent
respectivement être considérées comme ce que sont, chez ROUSSEAU,
« l’éducation des choses » et « l’éducation des hommes »154. La première est en
quelque sorte un autre nom de l’éducation expérientielle : « l’acquis de notre
propre expérience sur les objets qui nous affectent »155. La seconde relève de
toutes les actions délibérées sous-tendues par un projet de type d’homme à
former. C’est le domaine de la pratique pédagogique et dont les théories qui en
donnent l’intelligence sont hantées par la destination de l’homme156. Pour
ROUSSEAU, le choix est clair. Il s’agit, ni plus ni moins, de former un homme qui
sache vivre157. Ce qui justifie, dès lors, la forclusion d’en avoir une totale maîtrise,
et le rôle primordial et irréductible du sujet en pédagogie.
Soulignons aussi par anticipation que le rôle de l’expérience dans le façonnement
de l’individu commence dès la prime enfance et où les facteurs culturels sont déjà
déterminants. Il en est ainsi des différentes modalités des rapports qui sont établis
avec l’enfant (style d’expression des besoins, soins, emmaillotement,
allaitement...) dont font état ROUSSEAU et KANT158. Des pratiques qui ont des
incidences non seulement sur la constitution physique, mais aussi sur les attitudes
154 Ibid., p. 37. Nous sommes conscient de l’objection qu’on peut soulever au regard d’un tel
parallélisme. Objection dans la mesure où, dans l’éducation informelle, il y a aussi l’intervention des
hommes et que « l’éducation des choses » n’est qu’un aspect de l’informelle. Nous nous l’autorisons
en raison de la manière dont Rousseau les corrèle, notamment aux livres III et V (voir infra dans
notre texte) et dans l’épisode sur l’apprentissage du sens de la propriété ( le jardinier Robert au livre
II). Il s’y révèle que « l’éducation des hommes » se réfère à la structuration de l’univers instrumental
pour l’éduqué dans l’action pédagogique. L’école répond de manière privilégiée à ces canons.
155 ROUSSEAU J-J., Ibid., Livre I, p. 37.
156 La définition et la mise en interrogation systématique de la pédagogie, à partir de la problématique
de la nature et de la liberté du sujet de/dans l’éducation et avec un ancrage dans les œuvres de
Rousseau , Kant et Pestalozzi, ont été entreprises par Michel SOËTARD dans son ouvrage, Qu’est-ce que la pédagogie ? Le pédagogue au risque de la philosophie, Paris, ESF éd., 2001.
L’intelligence de la pédagogie a été également explicitée par Jean HOUSSAYE dans l’ « avant
propos » de Quinze pédagogues. Leur influence aujourd’hui, Paris, Bordas, 2000.
157 « Vivre est le métier que je lui veux apprendre. En sortant de mes mains, il ne sera, j’en conviens, ni magistrat, ni soldat, ni prêtre ; il sera premièrement homme : tout ce qu’un homme doit être, il saura l’être au besoin tout aussi bien que qui ce soit ; et la fortune aura beau le faire changer de place, il sera toujours à la sienne ». ROUSSEAU, op. cit., Livre I, p. 42.
158 ROUSSEAU J.J., Ibid., pp.43-44 ; KANT E., Traité de pédagogie, Paris, Hachette, 1981, pp. 48-56.
On lit chez le premier ceci : « A peine l’enfant est-il sorti du sein de la mère, et à peine jouit-il de la liberté de mouvoir et d’étendre ses membres, qu’on lui donne de nouveaux liens [...] ; il est entouré de linges et de bandages de toute espèce, qui ne lui permettent pas de changer de situation....Une contrainte si cruelle pourrait-elle ne pas influer sur leur humeur ainsi que sur leur tempérament ? ».
Et chez le second, à propos de la manière de gérer les cris des enfants : « On rend un très mauvais service aux enfants en cherchant à les apaiser aussitôt qu’ils crient....C’est là ordinairement la première perversion de l’enfant ; car, quand il voit que tout cède à ses cris, il les répète plus souvent ».
46
et comportements qui renvoient, entre autres, à l’affectivité, au tempérament, à la
relation à l’autre et à la liberté.
A la lumière de ces orientations, considérons au passage ce qu’il en est de
l’altérité en contexte africain. Une pratique dominante chez les mères est de
porter les enfants au dos. A cela , il faut ajouter l’éventail des relations que
l’enfant a avec les membres de la famille élargie. Cette promiscuité souvent
prolongée et ces multiples liens participent du fort attachement de l’individu à son
groupe d’appartenance.
1.1.2- L’habitus ou la référence à la culture
Si l’expérience a une dimension totalisante, l’habitus en fait partie, mais en étant,
en revanche, plus spécifiquement rattaché au monde de la culture. Cette dernière
étant comprise comme « un ensemble lié de manières de pensée, de sentir et
d’agir qui étant apprises et partagées par une pluralité de personnes servent d’une
manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une
collectivité particulière et distincte »159. La culture ainsi définie peut être celle de
l’univers scolaire ou celle du milieu d’origine. Les apprentissages scolaires à
travers diverses disciplines génèrent chez les bénéficiaires la conscience
d’appartenance à une classe. La classe des personnes qui ont acquis une autre
culture différente de celles de leurs différents groupes d’origine. C’est l’habitus de
la classe des instruits équipés d’outils pour une approche différentielle des
problèmes existentiels160. Nous y reviendrons dans l’exploration de la spécificité de
l’école.
A considérer la filiation de la culture au milieu d’origine, l’habitus qui lui
correspond est constitué par tous les usages communs, ses « non-dits » de la vie
quotidienne qui fonde l’être-ensemble d’une collectivité particulière. Il est, en
d’autre terme, la coutume161. Sensibilité collective, règles régissant les relations
interpersonnelles (la morale), toutes ces pratiques et manières d’être de la vie
quotidienne qui ne sont pas mises à distance par ceux qui les vivent. Ce n’est pas
qu’ils n’aient pas de sens pour eux – dans la mesure où les choses ne sont
signifiantes que mises à distance –, mais qu’ils n’en font pas l’objet, à proprement
parler, de conceptualisation et d’énonciation. Le sens réside dans le
fonctionnement normal de la mécanique du groupe et auquel chacun contribue par
159 ROCHER Guy, Introduction à la sociologie. L’action sociale, Malhesherbes, éd. HMH, 1968, p. 111.
160 Cf. MEIRIEU P., Le choix d’éduquer. Éthique et pédagogie, Paris, ESF éd., pp. 126-127 ; Voir
également, Pierre BOURDIEU, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris Seuil, Coll. Points
Essais, 1994, pp. 15-28.
161 Cf. MAFFESOLI M., Le temps des tribus. Le déclin de l’individualisme dans les sociétés de masse,
Paris, Méridiens Klincksieck, 1988, pp. 38-50.
47
la traduction en actes de la connaissance informelle des rouages. Chaque membre
et la communauté toute entière sont inscrits dans « un monde de sens commun » 162
. Tout membre du groupe sait, par imprégnation, la grammaire des langages – au
sein plénier du terme – adaptée aux circonstances. C’est en ce sens que Pierre
BOURDIEU définit l’habitus comme un « principe générateur et unificateur qui
retraduit les caractéristiques intrinsèques et relationnelles d’une position en un
style de vie unitaire, c’est-à-dire un ensemble unitaire de choix de personnes, de
biens et de pratiques »163.
Hormis la connotation de classe – au sens marxiste- à laquelle pourrait renvoyer
le terme « position » dans cette définition164, elle éclaire tout au moins le
phénomène d’allégeance des individus à des groupes et particulièrement aux
ethnies en Afrique. Les formes d’entraide, de solidarité qui ne fonctionnent, dans
l’espace public national, qu’à l’intérieur des réseaux fondés sur l’appartenance aux
mêmes origines y est une manifestation fondamentale de l’habitus. Nous entendons
déjà l’objection que ce phénomène n’est pas spécifique à l’Afrique et que même les
pays de longue tradition démocratique n’en sont pas exempts. Si elle est
recevable, il faut, en revanche, ajouter qu’il y a une différence de degré. Le critère
d’identification de cette différence est l’hypertrophie des questions axées sur les
éléments « ascriptifs » ( la « position » : « D’où es-tu ?; de quelle ethnie es-
tu ? ....») par rapport à celles sur l’identité du sujet lui-même (ses référents
individuels) lors des demandes de prestation de services. Atrophie donc – le
corollaire – de tout ce qui touche aux compétences de l’individu, à ce qu’il a de
distinctif.
Au total, il ressort que l’immersion de l’individu dans son milieu de vie est source
d’apprentissages multiformes qu’éclairent les différentes notions explicitées. Le
fait que leur origine remonte à l’enfance165 confère à l’informelle une importance
que la théorie et l’action pédagogiques ne peuvent ne pas prendre en compte.
162 C’est la dimension objective de l’habitus : « C’est dans la mesure et dans la mesure seulement où les habitus sont l’incorporation de la même histoire – ou, plus exactement, de la même histoire objectivée dans des habitus et des structures – que les pratiques qu’ils engendrent sont mutuellement compréhensibles et immédiatement ajustées aux structures et aussi objectivement concertées et dotées d’un sens objectif à la fois unitaire et systématique, transcendant aux intentions subjectives et aux projets conscients, individuels et collectifs ». BOURDIEU P., « Structures, habitus,
pratiques » in Le sens pratique, Paris, Les éd. de Minuit, 1980, p. 97.
163 BOURDIEU P., Ibid., p. 23.
164 L’auteur d’ailleurs prévient : « La proximité dans l’espace social prédispose au rapprochement : les gens inscrits dans un secteur restreint de l’espace seront à la fois plus proches (par leurs propriétés et leurs dispositions, leurs goûts) et plus enclins à se rapprocher ;...Mais cela ne signifie pas qu’ils constituent une classe au sens de Marx, c’est-à-dire un groupe mobilisé en vue d’objectifs communs et en particulier contre une autre classe ». Ibid., p. 26.
165 Rousseau écrit à ce propos que « l’éducation de l’homme commence à sa naissance ; avant de
parler, avant d’entendre, il s’instruit déjà ». Émile, Livre I, p. 70.
48
C’est à la consécration de cette importance que s’est employé ILLICH dans sa
critique de l’école. Critique qui s’inscrit dans celle des institutions en général.
Faute d’amener le pédagogue à renoncer radicalement à la « nécessaire médiation
de l’institution »166 qu’est l’école, elle l’éveille tout au moins à penser et à agir
autrement en se référant à l’informelle.
1.2- Valorisat ion de l ’éducat ion informel le : la cr i t ique i l l ichéenne de l ’école
Le livre d’ILLICH, "Deschooling society"167, outre sa vision parcellaire et
immobiliste de l’institution scolaire168 recèle nombre d’aspects relatifs à l’éducation
informelle169. En effet, il y fait un réquisitoire virulent contre l’école de manière
manichéenne. L’école est un mal pernicieux incapable d’être générateur d’une
éducation véritable. Sa nocivité et son incapacité trouvent leur source dans la
grave confusion de l’éducation et de l’enseignement. Pour être éduqué, pour
assurer un rôle social, il faut nécessairement passer par le moule de l’école. Or la
moitié de l’humanité n’a jamais bénéficié de ses services.
Selon ILLICH, le crédit accordé à l’école en tant qu’institution au service de
l’éducation est une erreur. La définition qu’il donne de l’école fait ressortir son
impérialisme: le fait qu’elle s’est érigée en cadre unique et canal absolu de
l’acquisition du savoir, et qu’elle isole l’apprenant de la société réelle. L’ école
étant en déphasage par rapport à la vie quotidienne, la mission dite éducative qui
lui est assignée est relative, voire insignifiante quant aux résultats.
ILLICH affirme que l’école inhibe la capacité de prise en charge de soi,
d’autonomie, de créativité, de ses bénéficiaires. Non seulement elle débranche du
monde de la vie, des réalités sociales, mais aussi exerce son pouvoir de coercition
à travers ses programmes préétablis, l’assiduité, la durée du séjour en son sein et
ses modes d’évaluation. La vraie éducation s’acquiert non pas à l’école, mais dans
les sphères extra-scolaires. Il écrit à ce propos : « C’est sorti de l’école, ou en
166 SOËTARD M., Qu’est-ce que la pédagogie ? Le pédagogue au risque de la philosophie, Paris, ESF
éd., 2001, pp. 67-72.
167 ILLICH I., Une société sans école, Paris, Seuil, 1971.
168 Sa phénoménologie de l’école est celle de tout temps et de tout lieu. C’est une vision
métaphysique de l’école. Selon lui, elle n’est susceptible d’aucun changement, d’aucune
transformation. Son approche n’intègre pas du tout les mutations qu’a connues l’institution scolaire
au cours de l’histoire. Tous les courants de l’Ecole Nouvelle (Pestalozzi, Dewey, Neill), l’éducation
fonctionnelle (Claparède), les pédagogies institutionnelles (Lobrot, Oury, Vasquez, Loureau),
désavouent l’immobilisme de l’école illichéenne.
169 Il n’utilise pas cette terminologie mais les données de l’apprentissage présentées rejoignent , à
l’analyse, celles de l’éducation informelle.
49
dehors, que tout le monde apprend à vivre, apprend à parler, à penser, à aimer, à
sentir, à jouir, à jurer, à se débrouiller, à travailler »170.
Le cadre extra-scolaire est donc le lieu par excellence de l’apprentissage, de
l’éducation. Ce n’est pas à l’école, mais au monde de la vie que nous devons la
plupart de nos expériences, et ce d’une manière imprévue, inorganisée et sans
plan préétabli. Il confirme ainsi ce que ROUSSEAU a énoncé dans sa théorie de
l’éducation : « Si l’on partageait toute la science humaine en deux parties, l’une
commune à tous les hommes, l’autre particulière aux savants, celle-ci serait très
petite en comparaison de l’autre »171. Pour tirer profit de l’immense richesse de
cette réalité, ILLICH exige le meurtre de l’école, la « brûler »172. Alors, de ses
cendres, pourront naître les « réseaux de communications culturelles », « les
réseaux du savoir », la foi en l’homme épiméthéen.
Approche nouvelle des modalités, moyens et conditions de l’éducation qu’il met en
parallèle avec le mode d’inscription de l’homme primitif dans le monde. Il s’appuie
en cela sur les mythes grecs d’Épiméthée et de Prométhée pour montrer comment
l’homme est passé de « l’espoir » aux « espérances ». Vivre d’espoir est l’attitude
de l’homme primitif. Il s’abandonnait à la prodigalité, à la générosité de la nature.
C’est ce que symbolise le mythe d’Épiméthée dont l’épouse, Pandore, a laissé
s’échapper tous les maux du monde sauf l’espoir.
Par contre, Prométhée qui a dérobé aux dieux le feu, symbole de l’art et de la
technique , est le prototype de l’homme contemporain. Il a foi en ses propres
pouvoirs. Il croit en sa capacité non seulement de résoudre théoriquement, mais
d’assumer de façon pratique tous les problèmes qui se posent à l’homme dans sa
lutte contre la nature extérieure. C’est ce que ILLICH appelle « avoir des
espérances ».
En signalant l’asphyxie de l’espoir par l’éthique prométhéenne, aujourd’hui la
« raison instrumentale » (École de Francfort), ILLICH veut montrer que l’école fait
totalement perdre à l’homme le monde173. Ce qu’il faut, c’est renouer avec le mythe
d’Épiméthée, gage de l’intimité avec le monde. ILLICH appelle ainsi à de nouvelles
noces de l’homme avec la nature. Il y a en cela un écho, mais en un sens autre, de
la thématique de la nature et de la liberté en éducation chez ROUSSEAU174. Nous
prenons pour l’heure acte de l’importance qu’accorde ILLICH à l’éducation
170 Ibid, p. 57.
171 ROUSSEAU J-J., Emile ou de l’éducation, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, Livre I, p. 70.
172 SNYDERS G., Ecole, Classe et Lutte des Classes, Paris, PUF, 1982.
173 Cette idée émarge à la critique des institutions en général.
50
informelle. Mais l’ériger en archétype de l’éducation, la caporaliser radicalement,
est une autre question sur laquelle nous reviendrons.
S’il faut oublier le verdict de la peine de mort de l’école, l’utopie de l’apologie des
« anti-écoles »175 que sont les « réseaux du savoir » de ILLICH, sa critique en
revanche amène à prendre en compte un « autre traitement culturel de la vie »176.
Ce sont les expériences de la prime enfance et toutes celles qui ponctuent la vie
de tous les jours. Tout scolarisé en éprouve – allusion à l’étymologie latine du
terme expérience – et l’épreuve laisse des traces. C’est cet effet formateur des
expériences qui n’est pas pris en compte, notamment dans la définition de
l’éducation telle qu’elle apparaît dans le « Manuel pour la collecte des statistiques
sur la base de la Classification Internationale Type de l’Éducation » (ISCED) et
que rapporte Abraham PAIN177.
1Apprentissage occasionnel (sans communication organisée)
2
Apprentissage dans le cadre familial et social
Portée de l’éducation dans l’ISCED(Communication organisée en vue de
l’apprentissage)Enseignement
ordinaireÉducation des adultes
Institutionnel
Non institutionne
lÉducation spéciale
3Auto-
instruction
4Communication non organisée en vue de l’apprentissage
L’éducation informelle - apprentissage occasionnel (1), dans le cadre familial et
social (2), auto-instruction (3), communication non organisée en vue de
l’apprentissage (4) - y est représentée comme « une sorte d’agrégat par rapport
174 Cf. SOËTARD M., Qu’est-ce que la pédagogie ? Le pédagogue au risque de la philosophie, Paris,
ESF éd., 2001, chap. I et II.
175 SNYDERS G., Ibid., p. 260.
176 BERTRAND Y., « Expérience et éducation » in HOUSSAYE J. (dir.), Éducation et philosophie. Approches contemporaines, Paris, ESF éd., 1999, p. 49.
177 PAIN Abraham, Éducation informelle. Les effets formateurs dans le quotidien, Paris, L’Harmattan,
1990, p. 123.
51
au centre 178». Ne relève de l’éducation, selon la définition de l’ISCED, que « la
communication organisée et suivie qui vise à susciter l’apprentissage »179.
1.3- Statut épis témologique de l ’éducat ion informel le
1.3.1- Élucidation conceptuelle
Nous faisions référence à l’étymologie de l’adjectif « informel » qui ne doit pas
inférer un jugement de valeur négatif dans la comparaison de l’éducation
informelle à la forme scolaire. Elle est informelle dans le sens où sa
caractéristique essentielle est l’inorganisation. Elle ne relève pas d’une activité
programmée, volontariste ni institutionnelle. En ce sens, c’est un concept qui
recouvre plusieurs réalités. Au sens large, « l’éducation informelle regroupe
l’ensemble des influences que nous recevons durant notre vie sans que les
auteurs (ou sources) aient eu le projet délibéré de nous éduquer »180. Cette
extension de sa signification se réfère aux expériences multiformes de la condition
humaine qui peuvent être vécues. Ce sont, entre autres, les déterminations de la
vie familiale, les événements et les activités de tous ordres, la configuration et les
influences de l’espace de vie, celles des personnes et même le « curriculum
caché» de la vie scolaire. C’est ce caractère multiréférentiel de sa nature qui
apparaît dans la définition qu’en donne Philippe COOMBS. Elle « est le processus
au long de la vie par lequel chaque personne acquiert et accumule connaissances,
capacités, attitudes ; des expériences quotidiennes et de l’exposition à
l’environnement – au foyer, au travail, dans le loisir ; de l’exemple et des attitudes
de la famille et des amis ; des voyages, lisant des journaux et des livres, ou en
écoutant la radio ou regardant des films ou la télévision »181.
Ainsi définie, l’éducation informelle comprend, pour ainsi dire, des sites ayant
chacun ses reliefs particuliers. On y retrouve l’éducation de base, l’éventail des
influences de la vie quotidienne, l’éducation permanente et même un aspect de
l’expérience scolaire. Cette dernière, à l’image d’un iceberg, comprend une partie
immergée qualifiée de « curriculum caché ». Dénomination de la partie invisible de
l’action pédagogique, non moins importante, dont GUSDORF fait l’apologie. Il
l’appelle « pédagogie de la pédagogie », c’est-à-dire « l’investigation des
procédures secrètes par la vertu desquelles, en dehors de tout contenu particulier,
178 Ibid., p. 123.
179 Cité par PAIN A., Ibid., p. 123.
180 HANNOUN H., Comprendre l’Éducation. Introduction à la philosophie de l’éducation, Paris, Nathan
Pédagogie, 1995, p. 5.
181 COOMBS P. “The word crisis in education. The view from eighties” cité par PAIN A., op. cit., p.
126.
52
s’accomplit l’édification d’une personnalité, et se joue son destin »182. L’idée de
pédagogie de la pédagogie est que les activités didactiques ont des interstices qui
constituent tout un monde où se nouent des dialogues secrets entre maître et
élève. Ces activités sont des moyens, « des moments abstraits d’un exercice plus
profond, exercice de soi à soi, où chaque existence, en débat avec elle-même,
avec le monde et avec les autres, s’efforce de démêler le sens de son être
authentique et de sa vocation »183. Ce versant scolaire de l’éducation informelle
reste tributaire des pratiques d’un cadre structuré, organisé. Or notre intérêt porte
sur son caractère non institutionnel, extra-scolaire. C’est pourquoi nous ne le
traiterons pas dans notre analyse.
Nous ferons également abstraction de l’éducation permanente dont le public est la
génération des adultes et en tant que devenir et actualisation de leur éducation de
base. Qui plus est, l’éducation permanente, sans être dénuée d’une visée de
transformation de la personne, obéit plus à une logique de
l’adaptation professionnelle, à la nécessité de rester en synchronie avec les
mutations rapides dans le monde de l’emploi. Nous ne mettrons pas non plus à
contribution l’impact des mass-media. Ils recouvrent tant sur le plan théorique que
pratique un vaste domaine et dont l’élucidation nécessiterait tout un programme de
recherche. Car leur traitement amènerait à définir les caractéristiques des
différents types de médium ( radio, télévision, film, livres, l’ordinateur...), les types
de message qu’ils véhiculent avec leurs valeurs et idéologies et les mécanismes de
leur impact sur leurs utilisateurs. Avec ces différentes restrictions, nous
entendons explorer l’éducation informelle en ayant comme fil rouge les données
de l’anthropologie africaine et dont les influences, les habitus qui en sont
inhérents, contribuent au modelage de l’individu engagé dans la vie scolaire.
Cette focalisation sur le public scolaire est une ouverture sur la réponse à donner
au problème de « "la dis-jonction " des expériences » formulé comme critique à
l’éducation scolaire. Yves BERTRAND exprime ainsi cette dichotomie : « L’élève
vit différentes expériences et le système éducatif ne favorise pas toujours la
création de liens entre celles-ci. Si bien que la personne passant par un système
scolaire perçoit mal la relation entre l’éducation comme acquisition de
connaissances et les connaissances acquises à travers l’expérience de la vie »184.
L’éducation informelle est alors le processus par lequel une personne acquiert
182 GUSDORF G., Pourquoi des professeurs ? Pour une pédagogie de la pédagogie, Paris, Payot, 1963,
p. 11.
183 Ibid., p. 72.
184 BERTRAND Y., « Expérience et éducation » in HOUSSAYE (dir.), Éducation et philosophie. Approches contemporaines, Paris ESF éd., 1999, p. 49 ; Nous retrouvons à ce point de vue la critique
illichéenne de l’école. Cf. infra.
53
délibérément ou inconsciemment des aptitudes et attitudes par le vécu quotidien.
Même réalité que désigne le concept de « formation expérientielle »185.
Pour saisir de manière adéquate le statut épistémologique de l’éducation
informelle, nous allons recourir au binôme classique de toute démarche de
connaissance : un sujet en face d’un objet. Une référence qui permet, tout en
tenant compte des éléments objectifs culturels présents dans l’expérience et les
habitus, d’accorder une place centrale au rapport que le sujet établit avec eux.
Cette double polarité, objectivité et subjectivité, est inhérente à toute expérience –
que ce soit dans le paradigme scientifique ou de celui de la compréhension
historique186 - et sert de référence aux différentes approches de l’éducation
informelle.
1.3.2- Caractérisations théoriques
Le sujet de cette éducation n’est pas dans un contexte de relation pédagogique
telle qu’elle est définie et vécue dans le cadre scolaire. Rappelons globalement les
traits de cette relation et qui vont inspirer la suite immédiate de cette réflexion. A
l’école, les statuts, les activités spécifiques des acteurs (apprenants et éducateurs)
leurs codes de conduite, les types d’apprentissage et leurs contenus (les
différentes disciplines et les programmes correspondants) sont bien définis. Selon
la présentation classique, ces divers éléments s’actualisent dans le triangle
pédagogique. Il comprend trois pôles ou termes : savoir, professeur et élèves. En
suivant l’étude originale de Jean HOUSSAYE sur la triangulation pédagogique187, il
apparaît que « les modèles pédagogiques qui en naissent sont centrés sur une
relation privilégiée entre deux de ces termes » entraînant par conséquent
l’exclusion d’un troisième terme. A chaque combinaison binaire correspond un
processus. Le processus « enseigner » pour le couple professeur/savoir,
« former » pour les termes professeur/élèves et le processus «apprendre » relatif
au binôme élève/savoir. Ces processus, de par le principe du tiers exclu qui les
caractérise, font de la relation pédagogique, dans son fonctionnement, un monde
habité par « deux sujets et un mort, et, en puissance, un fou »188.
A la lumière de cette triangulation, le terme qui est présent sans conteste dans
l’éducation informelle est le sujet en situation d’éducation. Le sujet ici, sans entrer
dans d’autres considérations sémantiques, est, en référence au registre lexical
185 FABRE M., op. cit., 1994, p. 153.
186 FABRE M., Penser la formation, Paris, PUF, 1994, pp. 54-61.
187 HOUSSAYE J., Théorie et pratiques de l’éducation scolaire, tome I. Le triangle pédagogique,
Berne, Peter Lang, 19922, pp. 40-49
188 Ibid., p. 44.
54
heideggerien, « l’être-là », le « dasein », le « s’éduquant » en tant qu’ être humain
existant. Il est le protagoniste privilégié dans le fourmillement des expériences. Il
est sujet confronté à des réalités objectives au sein de la société. Ces réalités sont
à l’éducation informelle ce qu’est le savoir à la triangulation pédagogique. Il
ressort que le processus « apprendre », d’une façon générale, est une donnée
nettement présente dans cette éducation.
On pourrait poser la question, après l’identification des deux termes -l’éduqué et
les réalités de la vie - sur le sort de statut de sujet de l’éducateur en tant que
troisième terme et qui infère les processus « enseigner » et « former ». Car, bien
qu’il ait dans l’informel des effets éducatifs stochastiques, on ne saurait envisager
l’exclusion totale de toute médiation. Les parents, par exemple, sont partie
prenante dans l’éducation familiale qui relève aussi de l’informel. De ce point de
vue, l’altérité d’un éducateur entre en jeu. Il y a là présence d’un « tu » qui
intervient pour que puisse s’effectuer le jeu de l’apprentissage du « je ». Mais
qu’en est-il de la totalité de l’éducation informelle ? Pour répondre à cette
question sur le troisième terme et expliciter l’articulation de l’objectivité et de la
subjectivité, nous allons recourir à un triangle « pédagogique »189 qui se
métamorphose suivant les étapes de la vie de l’éduqué.
189 Les guillemets sont importants dans la mesure où les éléments qui fonctionnent dans cette
situation éducative ne répondent pas adéquatement aux critères du monde scolaire.
55
1.3 .2 .1- Le tr iangle pédagogique dans la soc ia l isat ion pr imaire
La socialisation primaire nous situe à l’entame de l’éducation informelle. Elle
marque le début de la « construction d’un soi dans la relation à autrui » et dont la
description inaugurale particulière a été faite par George H. MEAD190. L’éducation
des enfants commence par les gestes symboliques signifiants qui sont générateurs
de réactions identiques chez l’émetteur et le destinataire. Ces réactions sont
l’origine de la conscience ou « mind » considérée comme « le fait d’adopter
l’attitude de l’autre envers soi-même ou envers sa propre conduite ». Phénomène
de langage dans lequel les parents sont les premiers protagonistes – en tant que
« autrui significatifs », selon l’expression de MEAD – et qui médiatise, chez
l’enfant, l’avènement de l’abstraction191. L’enfant procède à la re-création de leurs
rôles (les gestes signifiants) où il assure sa propre partition et en même temps
celle des parents. « "Ces compagnons invisibles, imaginaires que la plupart
d’entre eux créent dans leur existence" servent ainsi à " organiser les réactions
qu’ils provoquent chez les autres et qu’ils provoquent en eux-mêmes ». Des
parents, le champ de l’expérience des « autrui significatifs » s’élargit192. Il conduit à
s’ancrer dans la relation avec l’« Autrui Généralisé » (MEAD). C’est le « on » qui
englobe tous les membres de la communauté193. Et son intériorisation par l’individu
marque la fin de la socialisation primaire.
Dans la socialisation primaire, nous retrouvons les trois termes et les trois
processus du triangle pédagogique. L’enfant a en face de lui des éducateurs
(présence des « deux sujets ») qui l’introduisent dans un processus de formation. Il
s’y déroule aussi un enseignement implicite dans la mesure où les parents
reproduisent en gestes et paroles194 les schèmes culturels de la communauté.
Enfin, l’enfant s’investit dans un processus d’apprentissage. Ceci dans la mesure
où « les enfants commencent, en s’identifiant à leurs proches, par "absorber" leur
190 Nous suivons ici, à propos de cette description de MEAD dans « L’esprit, le soi et la société », la
synthèse de DUBAR C., La socialisation, Paris, Armand Colin, 20003, pp. 95-98.
191 Les travaux de Lev S. VYGOTSKY sont aussi éclairants à ce propos. Il développe comment dans
les interactions sociales s’opère chez l’enfant le passage du fonctionnement mental élémentaire au
fonctionnement mental supérieur. Transformation qui part de l’interpsychologique à
l’intrapsychologique. Cf. BRONCKART J-P ; SCHNEUWLY B (éd.), Vygotsky aujourd’hui, Neuchâtel
et Paris, Delachaux et Niestlé, 1985.
192 Référée au contexte africain, cette expérience implique la famille élargie ( les ascendants
parentaux, les codescendants patrilinéaires et matrilinéaires, les collatéraux, parents par alliance,
etc.).
193 BERGER P. et LUCKMANN T., La construction sociale de la réalité, Paris, Méridiens Klincksieck,
1992, p. 182.
194 Il y a lieu de rappeler ici les apports de AUSTIN [dans son ouvrage, « How to do things with words » (« Quand dire, c’est faire »)] sur les trois niveaux hiérarchiques d’actes, constitutifs de l’acte
du discours et qui l’accompagnent. Nous pensons plus particulièrement à « l’acte perlocutionnaire »
dont la spécificité est de provoquer des effets sur le récepteur du message. Cf. RICOEUR P., Du texte à l’action. Essais d’herméneutique II, Paris, Seuil, Coll. Points Essais, 1986, pp. 118-119.
56
monde social général, mais en le filtrant, à leur manière, au moyen d’attitudes
particulières qui à la fois définissent leurs réactions spécifiques aux autres et
sélectionnent certains rôles plutôt que d’autres »195. En définitive, dans la
socialisation primaire, il y a la présence simultanée des trois processus du triangle
pédagogique. La différence d’avec ce qui se réalise dans le monde scolaire est que
ces processus sont implicites. Il s’y déroule un équilibrisme196 informel, sui generis,
dans la relation pédagogique. Il y a deux sujets, mais pas de fou ni de mort197.
1.3 .2 .2- Le tr iangle pédagogique aux côtés « rée l » e t v ir tuel s
A la socialisation primaire, succède dans la réalité, la socialisation secondaire.
Celle-ci, en tant qu’« intériorisation de "sous-mondes" institutionnels»198, a son
champ d’explicitation à la fois dans la collectivité d’appartenance et l’univers
scolaire. Contrairement à sa corrélation à la seule division du travail et
l’acquisition des savoirs spécialisés199 qu’elle nécessite, la socialisation secondaire
peut être analysée en amont du monde professionnel. Cette posture se justifie
d’autant qu’à la suite des expériences intégratrices dans la communauté de la
prime enfance, l’individu est appelé à jouer sur le clavier des expériences de la vie
en tant que telle200. La période post-enfance doit pouvoir ainsi être caractérisée
autrement, notamment en ce qui concerne l’éducation informelle. Et c’est le
dessein du triangle particulier auquel nous faisons appel ici.
Objets d’expérience
« enseigner » « apprendre »
Médiation humaine Éduqués
195 DUBAR C., op. cit., p. 97.
196 Selon Jean HOUSSAYE, le pédagogue ne peut jouer qu’à « l’équilibriste » dans la mesure où il est
confronté à l’impossible : « cumuler les avantages des trois processus tout en étant condamné à n’en
privilégier qu’un, tout en maintenant les deux autres sans pour autant leur donner trop d’importance,
sinon il courrait à sa perte » in Théorie et pratiques de l’éducation scolaire, tome 1 : le triangle pédagogique, Berne, Peter Lang, 1992, p. 233.
197 Avec une réserve : il y a actuellement en Afrique, particulièrement en milieu citadin, une précoce
déviance chez les enfants. C’est le phénomène des enfants de/dans la rue. Cela n’enlève rien à
l’effectivité et à la généralité de cette conclusion.
198 BERGER P. et LUCKMANN, Ibid., p. 189.
199 C’est ainsi que la présentent BERGER et LUCKMANN, Ibid., p. 189.
200 Dans la socialisation primaire, « comme l’enfant ne dispose pas du moindre choix en ce qui concerne ses autres significatifs, son identification à ces derniers est quasi-automatique [...]. L’enfant n’intériorise pas le monde de ses autres significatifs comme un monde possible parmi beaucoup d’autres. Il l’intériorise comme le monde, le seul monde existant et concevable, le monde tout court ». BERGER et LUCKMANN, Ibid., p. 185.
57
« former »
Comme dans la socialisation primaire, le sujet de l’éducation, par les expériences
qu’il vit et qui s’offrent objectivement à lui, apprend. Ce que représente le côté
réel (en trait continu) du triangle. Les habitus continuent d’être partie intégrante
de ces expériences. Cette fois-ci, leur médiation n’est plus vécue par le sujet de
l’éducation sous le même mode que dans la période de l’enfance. Les « autres
significatifs » sont à la fois absents et présents. Présents au sens où les données
objectives de la culture ne peuvent se faire jour que partagées avec d’autres
personnes. Absents d’autant plus que la relation avec eux ne se présente plus sous
le mode frontal et affectivement chargé comme chez l’enfant. Cette abscondité des
autres significatifs donne lieu par conséquent à un « enseignement » et à une
« formation » virtuels201, ce que schématisent les deux autres côtés du triangle.
Cette particularité nous introduit du coup dans la problématique du statut
épistémologique de l’éducation informelle.
1.3 .2 .3- L’éducat ion in formel le entre « br icolage » e t act iv i té construi te
Dans ce qui précède, le sujet de l’éducation se révèle comme protagoniste
primordial dans les trois processus. C’est lui qui est confronté à un
« enseignement » et une « formation » qui sont et ne sont pas. C’est lui qui apprend
dans la conscience et l’inconscience de l’apprendre. Il est dans une situation
médiane dans le procès éducatif. Il se situe dans l’entre-deux de ce que nous
pouvons appeler, avec Claude LEVI-STRAUSS, l’activité du bricoleur et celle du
savant ou de l’ingénieur202. Nous le résumons dans le tableau ci-après203, pour
ensuite l’appliquer à notre modalité éducative.
B R I C O L E U R L ’ I N G E N I E U R
PROJET Indéfini Spécifique
Clos Variation
201 Il y a lieu de faire remarquer que le virtuel ne s’identifie pas à l’imaginaire. Il n’est pas l’opposé du
réel mais de l’actuel. C’est pourquoi il est producteur d’effets. En ce sens, « il est le complexe problématique, le nœud de tendances ou de forces qui accompagne une situation, un événement, un objet ou n’importe quelle entité et qui appelle un processus de résolution : l’actualisation ». In LEVY
Pierre, Qu’est-ce que le virtuel ?, Paris, La Découverte, 1995, pp. 13 et sv.
202 LEVI-STRAUSS C., « La science du concret » in La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, chap. I.
203 Nous avons élaboré ce tableau avec les contenus mêmes du chapitre de l’ouvrage pré-cité de
LEVI-STRAUSS.
58
UNIVERS INSTRUMENTAL
Eléments précontraints
Reconstruction incessante à l’aide des mêmes matériaux
Ça peut toujours servir
Les moyens de bord
Pas d’emploi précis pour chaque outil
Arrangement nouveau d’éléments dont la nature n’est pas modifiée
Changement de la destination de l’usage originel de l’outil
Adapté au projet
Ouvert
POSTURE DANS L’ACTIVITE
Dialogue avec la nature pure
Dialogue avec l’ensemble de l’outillage pour savoir le sens du moment
Utilisation de signes
Adresse à une collection de résidus d’ouvrages humains
Dialogue avec un état du rapport entre la nature et la culture
Utilisation de concepts
Inventaire de connaissances théoriques et pratiques
A l’image du bricoleur dont les moyens d’action ne sont pas déterminés par un
projet, le sujet de l’éducation informelle apprend et s’auto-éduque de manière
non-intentionnelle à partir des expériences et des habitus de son milieu. Sa
posture est à l’image du rapport que « le bricoleur » noue avec son univers
instrumental dans la résolution des problèmes. Il a, comme le bricoleur, « un
univers instrumental clos ». « Les matériaux » que constituent les habitus se
présentent à lui comme des données contraignantes. Ils sont pour lui des
« signes » dont les signifiants sont pré-donnés par l’univers social.
Il en est ainsi de l’individu en contexte africain de considérer la prise en charge
des siens, des membres de son ethnie, comme prioritaire et fondamentale, voire
parfois exclusive. Fait sens pour lui de manière massive que son projet de vie est
indissociable de celui de son groupe d’appartenance. Car « le monde pratique qui
se constitue dans la relation avec l’habitus comme système de structures
cognitives et motivatrices est un monde de fins déjà réalisés, modes d’emploi ou
marches à suivre, et d’objets dotés d’un "caractère téléologique permanent" ,
59
comme dit Husserl, outils ou institutions »204. Aussi, dans cette posture de
bricoleur, il a des balises pour ne pas faire ni le « fou » ni le « mort ».
Mais, on ne saurait réduire la dynamique d’apprentissage du sujet de l’éducation
informelle à la seule sphère de la « reproduction mécanique ». Il se ménage des
marges de liberté. Sourd en lui le désir de faire le « fou ». Tentation et tentative
qui le rapprochent de l’ingénieur. Le surgissement des situations problématiques
au cœur des habitus, de la routine quotidienne l’amène à s’interroger sur le mode
de leur intégration dans les seconds. A la manière de l’ingénieur, il cherche à se
doter d’un projet spécifique. Sa posture ressemblerait à « l’inventaire des
connaissances théoriques et pratiques » de l’ingénieur. Mais ici encore, cette
démarche reste confinée dans les limites de la connaissance du sens commun205.
Indice d’individualité, d’originalité, mais qui ne va pas au-delà du savoir de base
pré-donné dans le milieu206. Il introduirait ainsi, dans la composition musicale des
habitus, des dièses ou des bémols qui, dans leurs résonances spécifiques, ne font
que participer à son harmonie globale. Sa distanciation par rapport aux conditions
objectives de la réalité du milieu n’a pas le degré suffisant pour faire de lui un
producteur de nouveauté ou de diversité à la manière de « l’ingénieur ». C’est le
lieu donc de reprendre et questionner, quant à sa valeur, l’assomption de
l’éducation informelle présentée par ILLICH.
1.3.3- Limite de la forclusion de l’école et de la caporal isation de l’éducation informelle
Confrontée avec ce qui précède, la susdite étude d’ILLICH est une alliance avec
Eros207. Toute société, pour assurer sa survie, dispose des structures par le biais
desquelles elle communique aux jeunes générations son idiosyncrasie. L’école
participe à cette action de pérennisation de la société. Elle ne peut y apporter son
concours qu’en se référant à un « idéal de l’homme, de ce qu’il doit être tant au
point de vue intellectuel que physique et moral »208. Idéal qui se résume
fondamentalement en la liberté de l’homme, en son irréductible autonomie. Au
regard de cette orientation de l’éducation par la société, les « réseaux du savoir »,
204 BOURDIEU P., « Structures, habitus, pratiques » in Le sens pratique, Paris, Les éd. de Minuit,
1980, pp. 89-90.
205 BERGER et LUCKMANN, op. cit., pp. 38-39.
206 Cf. BERGER P. et LUCKMANN, Ibid., p. 94. C’est dans le même sens que Pierre BOURDIEU écrit
que « l’habitus rend possible la production libre de toutes les pensées, toutes les perceptions et toutes les actions inscrites dans les limites inhérentes aux conditions particulières de sa production, et celles-là seulement ». « Structures, habitus, pratiques » in op. cit., p. 93.
207 Illich est un Jules Vernes dans le monde de l’éducation annonçant d’une certaine manière, par ses
« réseaux du savoir », le World Wide Web. La toile d’araignée mondiale dont l’usage débridé, à
plusieurs points de vue, est en quête d’un supplément d’éthique ou d’une éthique tout court.
208 DURKHEIM E., Éducation et sociologie, Paris, PUF, 19997, p. 50.
60
dont les fondements résident dans le choix exclusivement personnel des domaines
de formation, l’abolition de tout programme préétabli et dans la réduction à la
portion congrue des dispositions administratives, constituent un inhibiteur de la
cohésion sociale. C’est une alliance avec Eros dans la mesure où l’individu donne
libre cours à toutes ses « pulsions » d’instruction. L’absence de médiation
institutionnelle exclut, du coup, le « principe de réalité ». Ce principe, en prenant
corps par la structuration de l’action pédagogique, balise la voie de
l’autonomisation de l’éduqué. Nous sommes ici en présence d’une antinomie que
l’auteur de la mort de l’école forclôt. D’une part, besoin d’institution où il y a le
risque d’étouffement de l’autonomie de l’éduqué, et nécessité de laisser cette
dernière s’exprimer de manière plénière, d’autre part. C’est ce que Bergson -
parlant des grands hommes qui brisent les cadres étroits dans lesquels la société
menace de les enfermer pour vivre une « morale ouverte »209 - résume en ces
termes : « La société ne peut subsister que si elle subordonne l’individu, elle ne
peut progresser que si elle le laisse faire : exigences opposées, qu’il faudrait
réconcilier »210.
Par rapport à la valeur de l’informel, la proposition par SNYDERS211 de « Gramsci
comme antidote à Illich » répond, de ce point de vue, au rôle à assigner à l’école.
Selon GRAMSCI, la connaissance du « nouvel intellectuel » est un ordonnancement
de celle du profane. Il a pour rôle de « rendre le sens commun homogène , (le )
rénover, l’éduquer en le faisant progresser vers une conception unitaire ». Sans
être antinomique à ce qui précède, il faut également inscrire ILLICH à l’école de
Gaston BACHELARD. Il nous apprend que l’esprit scientifique se forme par
opposition au donné immédiat. Pour accéder à la culture, il faut une catharsis
intellectuelle. « Face au réel, ce qu’on croit savoir clairement offusque ce qu’on
devrait savoir. Quand il se présente à la culture scientifique, l’esprit n’est jamais
jeune. Il est même très vieux, car il a l’âge de ses préjugés. Accéder à la science,
c’est spirituellement rajeunir, c’est accepter une mutation brusque qui doit
contredire un passé »212. Dans cet esprit, nous dirions que l’accès à l’autonomie
exige un travail sur soi. Lequel ne peut s’opérer sans intervention pédagogique.
209 BERGSON H., Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, PUF, 1976216, pp. 57-63.
210 BERGSON H., « Énergie spirituelle » cité par MEYER François, Pour connaître Bergson, Paris,
Bordas, 1985, p. 122.
211 SNYDERS G., Ibid., p. 260.
212 BACHELARD G., La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 199916.
Loin de nous ici l’idée d’assimiler la pratique éducative à l’activité dans le domaine des sciences de la
nature. Nous nous situons dans l’optique d’ériger l’école comme cadre de confrontation de diverses
expériences, de quête des démarches pouvant permettre aux éduqués de les intégrer dans la
construction de leur personne.
61
L’école est à considérer comme un des lieux privilégiés de cette intervention,
contrairement à ce que soutiennent les théoriciens et praticiens de l’histoire de
vie. Celle-ci étant « la démarche d’identification à la fois de ce que j’ai appris de
ma vie et de la manière dont je l’ai appris »213. S’appuyant sur le pouvoir générateur
de savoir de l’expérience, ils récusent la distinction, du point de vue de la tradition
universitaire, entre « savoir légitime et savoir illégitime »214. Sans nous attarder sur
ces adjectifs inappropriés qualifiant les deux types de savoir, disons tout au moins
que l’expérience formatrice n’est pas sans valeur215. Mais la survalorisation de son
crédit certain a conduit à un autre extrémisme : ne faire valoir les histoires de vie
qu’en dehors des cadres institutionnels. Et de cette posture, l’éducation en milieu
scolaire est qualifiée d’« hétéroformation », de « didactique » en opposition à
l’autre qui répondrait au modèle de la « maïeutique »216. Une certaine critique des
histoires de vie a évidemment favorisé cette marginalisation institutionnelle .
Celle, notamment, de BOURDIEU quand il affirme que « l’histoire de vie est une de
ces notions du sens commun qui sont entrées en contrebande dans l’univers
savant ; d’abord, sans tambour ni trompette, chez les ethnologues, puis...et non
sans fracas, chez les sociologues »217. Bataille rangée entre partisans et défenseurs
extrémistes de l’une ou l’autre modalité éducative. Notre position est que l’école
peut être le lieu de leur réconciliation.
I I- DE L’École A LA FORME SCOLAIRE
Les écrits sur l’histoire de l’éducation en Afrique francophone sont généralement
dominés par une présentation sous forme binaire. Ce couple est constitué par la
description de sa pratique dans la période pré-coloniale et celle de la forme
213 LAINE A., Faire de sa vie une histoire. Théories et pratiques de l’histoire de vie en formation,
Paris, Desclée de Brouwer, 1998, p. 99.
214 Ibid., p. 100.
215 Le lieu cardinal de ce débat remonte au romantisme allemand avec la problématique de la Bildung
(roman de formation) ; et qui a pour référence théorique l’antipositivisme avec comme toile de fond
la valorisation de l’herméneutique (compréhension) dans les sciences sociales par rapport au diktat
de l’explication dans les sciences de la nature. Un bon éclairage sur ce débat chez RICOEUR P., « La
tâche de l’herméneutique en venant de Schleiermacher et de Dilthey » in Du texte à l’action. Essais d’herméneutique II, Paris, Seuil, Coll. Points Essais, 1986. On peut se référer également à : FABRE
M., « Une alternative critique : formation et histoires et de vie » in Penser la formation, Paris, PUF,
1994, chap. XIV ; COHN-PLOUCHART D. « Le roman de formation » in Collectif, L’éducation. Approches philosophiques, Paris, PUF, 1990, pp. 157-169.
216 C’est la position des deux pionniers des histoires de vie France, Gaston Pineau et Henri Desroche.
La didactique, chez ce dernier, est à mille lieux de sa définition plus fouillée. Elle est « le modèle de formation, d’éducation où il y a un prof qui sait, où il y a un étudiant ou un partenaire qui ne sait pas. La science du premier instruit la néscience ou la méscience du second ». Il définit par ailleurs le
modèle maïeutique ainsi : « "Je suis une personne-ressource " ou tu me prends pour une personne ", toi, tu es une personne projet ; moi, je sais des choses, mais toi tu en sais d’autres, on va essayer de coopérer pour "accoucher" le " daïmon" qui est en toi ». Cité par LAINE A., op. cit. p. 101.
217 BOURDIEU, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris Seuil, Coll. Points Essais, 1994, p.
81.
62
scolaire218. Les données culturelles corrélatives à la première servent, de manière
récurrente, à l’évaluation, aux prospectives et à la recherche de thérapie aux
dysfonctionnements de la seconde219.
Ce mode d’analyse de la réalité éducative amène à se limiter, pour les origines de
l’école, à la seule période coloniale. Pour autant que nous sachions, rares sont les
productions qui en remontent au-delà pour éclairer les problématiques actuelles
de son apport pour l’individu et de son rôle socio-politique220. Quelles sont les
contingences sociales du ou des lieu(x) originaire(s) auxquelles est liée la genèse
de l’école ? Quelles incidences a-t-elle en retour sur l’ordre social tant au niveau
individuel que collectif ? Questions de l’école, en tant que produit et facteur de la
société, qui permettraient de dépasser la référence temporelle coloniale de
l’institution scolaire. Recourir à la trame de cette dialectique école et société, c’est
disposer d’un paradigme pour ouvrir la voie à une intelligence nouvelle des
incidences de son inscription dans l’espace social africain.
Dans cette optique, notre projet dans ce qui suit n’est pas de retracer l’histoire de
l’éducation ni de faire état de la trajectoire de l’école dans une pure et simple
description de son organisation et des pratiques pédagogiques qui y ont cours. En
revanche, notre visée est de faire ressortir, de l’analyse de l’école en certains
moments historiques clés, sa spécificité et sa place au sein de la société globale,
les finalités qui lui sont assignées et les exigences qu’elle requiert pour ses
usagers.
2.1- La f i l iat ion de l ’école aux mutat ions socia les
Les études concordent sur les facteurs déterminants qui ont donné naissance à
l’école221. Ils sont de l’ordre des transformations de l’organisation des sociétés, des
nécessités juridiques, économiques et religieuses. Dans les sociétés à faible taux
démographique, les relations humaines sont marquées par la promiscuité. Les
218 L’ouvrage de référence à ce propos est celui de MOUMOUNI Abdou, L’éducation en Afrique Noire,
Paris, L’Harmattan, 19982.
219 Tout en tenant compte, dans les orientations éducatives, des réalités de la modernité en Afrique,
ces écrits sont marqués par un attachement affectif et mythique aux données culturelles pré-
coloniales. Nous avons évoqué dans la première partie de ce travail le caractère muséographique de
cette tendance.
220 TOURE adopte cette démarche dans son étude sur l’alphabétisation en Côte d’Ivoire. Il se réfère à
celle des Français dont fait état FURET et OZOUF dans « Lire et écrire. L’alphabétisation des
Français de Calvin à Jules Ferry ». Cf. TOURE Abdou, La civilisation quotidienne en Côte d’Ivoire. Procès d’occidentalisation, Paris, Karthala, 1981, chap. 5.
221 GOODY J., Entre l’oralité et l’écriture, Paris, PUF, 1994 ; PETITAT A., Production de l’école. –Production de la société, Genève-Paris, Droz, 1982 ; LEVI-STRAUSS, Tristes tropiques, Paris, Plon,
1965 ; LOBROT M., A quoi sert l’école ?, Paris, Armand Colin, 1992 ; LE THANH KHÔI, L’éducation : cultures et sociétés, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991.
63
membres sont intégrés dans des communautés fondées sur des liens de parenté,
matrimoniaux ou de la division du travail. La vie quotidienne est circonscrite dans
des espaces peu étendus permettant ainsi une socialité plus forte et plus chargée
affectivement. Dans un tel contexte, le langage oral et non verbal sont adaptés et
suffisants à la communication et à la transmission culturelle. Contexte qui explique
également les modalités de la pratique éducative et sa finalité. L’éducation est en
harmonie avec le vécu quotidien. Elle s’y articule et a pour visée la reproduction
des rapports sociaux. En d’autres termes, elle prépare tout simplement les jeunes
générations à entrer dans l’ordre social établi.
L’école est née suite à la complexification de l’organisation sociale. La poussée
des villes, leur urbanisation croissante génèrent la nécessité de disposer d’un
pouvoir central pour leur gestion. Nécessité d’autant qu’elles entraînent
l’extension des relations humaines, la multiplicité et la diversification des
structures que requiert leur fonctionnement. Ainsi vont se constituer les Empires
ou les États dont le but est « l’intégration d’un nombre considérable d’individus et
leur hiérarchisation en castes et en "classes" »222.
Le lien implicatif entre croissance des cités et émergence d’un pouvoir central est
attesté dans plusieurs grands aires et foyers de civilisation. Ce fut le cas à Sumer
( troisième et quatrième millénaire avant Jésus-Christ), en Chine à la même époque
et en Afrique (l’Égypte de l’Ancien Empire au Nouvel Empire : 3500 à 1100 avant
Jésus-Christ ; les empires et royaumes au Sud du Sahara entre le VIIè et le XIIè
siècle dont ceux du Ghana, du Mali, de Gao et les États Haoussa223). Ces
institutions, ces formations sociales nouvelles, de par leur complexité, ont besoin
pour assurer leur survie d’un moyen de communication conséquent : l’écriture224.
Elle va être au service de la vie religieuse pour la conservation des idées et un
meilleur ordonnancement des doctrines. C’est également l’instrument du juriste
pour dire le droit, consigner les traités et les contrats ; des glossateurs225 dans
222 LEVI-STRAUSS, Ibid, p. 354.
223 KI-ZERBO J., Histoire de l’Afrique Noire d’hier à demain, Paris, Hatier, 1978.
224 L’écriture, en tant que servante du pouvoir politique, est évoquée par LEVI-STRAUSS pour
confirmer son hypothèse de la précarité des grands empires africains. Il la considère comme
« indispensable pour affermir les dominations » ( Ibid., p. 355). Autrement dit, cette précarité serait
due à la prévalence de la forme orale de communication.
Si cette hypothèse est recevable, il n’en est pas également de l’affirmation de BALANDIER selon
laquelle les groupements humains à formes sociales orales sont « acéphales ». Cf. BALANDIER G.,
« Anthropologie politique » in VINCENT G. (dir.), L’éducation prisonnière de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les sociétés industrielles, Lyon, PUL, 1994, p. 21.
225 Les glossateurs sont les juristes qui ont découvert le droit romain au IIè siècle. Dans ce rapport
entre droit et écriture, on comprend l’affirmation de LEVI-STRAUSS qui pose la capacité de tous à la
lecture comme postulat à l’ignorantia juris (« Nul n’est censé ignorer la loi »).. Cette formule de
l’ignorantia juris est une interprétation de sa première formulation dans le « Codex Thodosianus », 1,
1,2 ainsi libellée : « Les empereurs Vatentinien, Théodose et Arcadius, augustes, à Flavien, préfet du
64
l’interprétation et l’actualisation du sens des lois. Elle sert aussi l’art médical et
les activités économiques et administratives. L’invention de l’écriture en Égypte,
par exemple, est liée « aux nécessités de l’irrigation et du contrôle du fleuve, au
besoin de l’administration centrale, [...], de tenir une comptabilité précise de ses
réserves de vivres pour les distribuer au mieux en cas de famine »226. C’est elle qui
a permis la libération des « forces vives de la société », son accès à « un stade
supérieur d’organisation », « la cohésion et le dynamisme du corps social »227. Il
fallait, avec ces fonctions multiples de l’écriture, une structure, une institution
pour son acquisition. Ainsi naît l’école pour former tous ceux qui, par leurs
fonctions, ont en usage l’écriture : clercs, prêtres, fonctionnaires, marchands, etc.
L’école va également servir de cadre d’uniformisation de l’écriture pour son
identique compréhension dans les différentes villes des grands États. L’école est
fille de l’écriture malgré sa probable existence dans les empires aux notations
scripturaires très peu élaborées ou encore l’attestation des écoles utilisant le
registre oral en des sociétés où l’écriture est utilisée ( écoles védiques, écoles
orales de l’islam...)228.
L’école ainsi appréhendée est seulement au service d’une élite, d’un nombre très
infime des populations. Il en est ainsi des écoles ouvertes par l’Église dès le VIè
siècle, dans les campagnes, les évêchés et abbayes. Elles sont au service de
l’instruction des jeunes qui se préparent au sacerdoce ministériel. Tel est aussi le
cas de « l’école des palais » qu’illustre l’œuvre de l’humaniste Vittorino da
FELTRE (1378-1447) qui réunit autour de lui quelques enfants de familles
nobiliaires de l’Italie229. En se fondant sur la médiation de la culture dans la
construction de soi, son but est de former une élite politique.230 Un projet qui est
assimilable à l’orientation socio-politique platonicienne de l’éducation. C’est dire
que la socialisation de la quasi totalité des membres des différentes couches
sociales continue de s’opérer au travers des formes traditionnelles. Le caractère
élitiste et fonctionnaliste de cet « embryon » d’école et la marque distinctive que
lui confère l’écriture instaurent une « opposition entre manuels et intellectuels qui
prétoire d’Illyrie et d’Italie. Nous ne permettons à quiconque d’ignorer ou de dissimuler les constitutions sereinement prise (sic !) par la longue délibération de notre sérénité », cité par ROUMY
F., Les glossateurs et l’ignorantia juris, Communication à l’école doctorale, Université Catholique de
Paris, 24 février 2000.
226 UNESCO, « Histoire générale de l’Afrique », tome 2 in LÊ THANH KHÔI, op. cit., p. 133.
227 KI-ZERBO J., Ibid, p. 72.
228 Cf. PETITAT A., Production de l’école - Production de la société. Analyse socio-historique de quelques moments décisifs de l’évolution scolaire en Occident, Genève - Paris, Droz, 1982, p. 325.
229 RIGAULT Georges, Histoire Générale de l’Institut des Frères des Écoles Chrétiennes, Tome I,
Paris, Plon, 1937, p. 11.
230 Cf. BERNARDINIS Anna-Maria, Figures et moments-clés de la pensée pédagogique occidentale.
Notes de séminaire de DEA, Université de Rouen, février 2001.
65
recouvre une opposition de classe entre l’élite urbaine et alphabétisée et
"cultivée" et l’artisan moyen, le journalier et l’errant »231. Le projet clairement
affiché de faire de l’école un lieu d’éducation « populaire » n’apparaît qu’avec la
forme scolaire à partir des XVIè-XVIIè siècles232.
2.2- Forme scola ire et éducation populaire
L’utilisation conjointe que nous avons faite jusqu’ici de l’expression « forme
scolaire » et du terme « école » pourrait laisser penser à une identité de leur
acception. La différence de sens est déjà ébauchée avec l’école qui est un moyen
au service des futurs « fonctionnaires de l’écriture » tant dans le domaine des
activités profanes que sacrées. La forme scolaire est un mode de socialisation
nouveau qui a supplanté les anciens. A l’apprentissage et l’éducation par
l’expérience quotidienne, par « voir-faire et ouï-dire »233, se substitue une
organisation éducative inédite.
PERRENOUD234 répertorie dix traits dont l’articulation d’un certain nombre confère
à la forme scolaire son originalité. Ils se répartissent entre la nature du rapport
pédagogique, ses pratiques internes (planification des apprentissages, exigence
disciplinaire, évaluation, transposition didactique des savoirs) et son rapport à la
société (sa distinction et sa séparation des autres pratiques sociales). La forme
scolaire se distingue aussi par l’élargissement à grande échelle de son public.
Malgré la différence des origines sociales des enfants en corrélation avec les
types d’écoles fréquentées (écoles de charité, de Port-Royal) à la fin du XVIIè en
France, la donnée nouvelle est leur « scolarisation à plein temps »235 quelles que
soient leurs conditions sociales. Une figure marquante de la pédagogie en
occident, le Tchèque Jan Amos KOMENSKI236 (1592-1670) s’est, plus tôt (vers le
milieu du XVIIè siècle), engagé dans cette voie de la « démocratisation » scolaire.
KOMENSKI préconise non un simple enseignement des enfants des deux sexes,
mais un véritable système éducatif visant l’homme tout entier dans sa dimension
231 PETITAT A., Ibid., p. 109.
232 VINCENT G., L’école primaire française. Étude sociologique, Lyon, PUL, 1980.
233 VINCENT G., LAHIRE B., THIN D., « Sur l’histoire et la théorie de la forme scolaire » in VINCENT
G. (dir.), L’éducation prisonnière de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les sociétés industrielles, Lyon, PUL, 1994, p.16.
234 PERRENOUD P., « Quelques traits distinctifs de la forme scolaire » cité par ELIOU M. in VINCENT
G. (dir.), Ibid., pp. 173-174.
235 VINCENT G., L’école primaire française, p. 262.
236 Son nom est latinisé en COMENIUS.
66
intellectuelle, morale et religieuse237. Il inaugure la conception authentique du
système scolaire238.
Cette entreprise d’éducation populaire a un arrière-fond. Celui qui la lie au
pouvoir. D’une part, le pouvoir auquel émarge la nécessité de maintenir l’ordre
public. La lettre de Charles DEMIA aux pouvoirs municipaux de Lyon en 1668 pour
justifier l’ouverture des écoles pour les pauvres en est une illustration. Il écrit :
« Les jeunes gens mal élevés tombent ordinairement dans la fainéantise ; de là
vient qu’ils ne font que ribler [courir] et battre le pavé, qu’on les voit attroupés
par les carrefours, où ils ne s’entretiennent le plus souvent que de discours
dissolus, qu’ils deviennent indociles, libertins, joueurs, blasphématoires,
querelleux ; s’adonnent à l’ivrognerie, à l’impureté, au larcin et brigandage ; qu’ils
deviennent enfin les plus dépravés et factieux de l’État »239. Ce souci de soustraire
les enfants à la rue va de pair avec celui de la traduction en acte du pouvoir
religieux. En effet, avant le XVIIIè siècle, l’éducation de la jeunesse était
essentiellement assurée par l’Église240. La mission, le projet qu’elle revendique est
de continuer l’œuvre salvifique de Dieu inaugurée en Jésus-Christ. Elle trouve en
l’école le lieu par excellence de l’éclairage des esprits par les « lumières de la
foi » et de l’enseignement des « devoirs du chrétien ». Ce sont les idées que l’on
retrouve chez l’un des artisans majeurs de cette œuvre de salut par l’école en
France, Jean-Baptiste de La SALLE. Pour ce dernier, c’est Dieu lui-même qui est
le fondateur des Écoles Chrétiennes. Fondation – par hommes interposés – qui est
un remède nécessaire à l’errance des enfants et à ses conséquences spirituelles
sur leur vie. « Fréquentant les mauvaises compagnies, ils (les enfants) y
apprennent à commettre beaucoup de péchés, qu’il leur est fort difficile de quitter
dans la suite, à cause des mauvaises et des longues habitudes qu’ils ont
contractées, pendant un si long temps. Dieu a eu la bonté de remédier à un si
grand inconvénient, par l’établissement des Écoles Chrétiennes »241.
L’école apparaît en définitive comme un lieu séparé du monde de la vie et où on
peut avoir de l’emprise sur les enfants sur une longue durée. Son organisation,
tant au niveau spatial, matériel qu’à celui des activités pédagogiques, des
237 COMENIUS expose sa pensée pédagogique dans La Didactica magna qu’il écrit en tchèque vers
1630 et dont la diffusion européenne a été faite à partir de l’édition latine.
238 ISAMBERT-JAMATI V., « Éducation : types et fin » cité par VINCENT G., Ibid., p. 19.
239 DEMIA C., « Remontrances à Messieurs les Prévôts des Marchands, Échevins et principaux
habitants de la ville de Lyon », cité par RIGAULT G., Histoire Générale de l’Institut des Frères des Écoles Chrétiennes, Tome I, Paris, Plon, 1937, p. 67.
240 Il faut rappeler que c’était la France de l’Ancien Régime où la société était hiérarchisée en ordres
(Le Clergé, la Noblesse et le Tiers Etat). Le clergé était le premier ordre.
241 Jean-Baptiste de La SALLE, Méditations pour le temps de la retraite, Rome, Maison Généralice
des Frères des Écoles Chrétiennes, 1976, 2è méditation, 1er point, p. 81.
67
règlements et des moyens et pratiques didactiques, est orientée dans l’atteinte de
cet objectif242. Ce que Guy VINCENT résume en ces termes : « Espace clos
ordonné à l’accomplissement des devoirs, temps réglé, activités soumises à des
règles impersonnelles : l’œuvre scolaire apparaît bien comme une entreprise de
moralisation »243.
Que ce soit pendant la période de la suprématie de l’Église sur l’école ou celle de
l’Etat-éducateur à partir du début du XIIIè siècle (qui va s’accentuer au XIXè siècle
avec l’école ferryste)244, l’apparition de la forme scolaire « dépossède les groupes
sociaux de leurs compétences et prérogatives »245 en matière d’éducation. C’est la
rupture, la différence d’avec les formes orales d’éducation caractéristique de la
société traditionnelle. En d’autres termes, c’est l’avènement de la suprématie de la
forme scolaire sur l’éducation informelle. L’école devient l’espace du projet de
formation d’un être nouveau auquel doit concourir une culture écrite.
2.3- Incidences soc ia les et spéci f ic i té de la forme scr ipturale d’éducat ion
La nouveauté qu’introduit la médiation de l’écriture dans l’éducation est tributaire
de sa particularité même. Contrairement à l’oralité où tout ce qui est de l’ordre des
savoirs, des pratiques et des discours relève de l’ordre de l’incorporation par
chaque individu du groupe social, l’écriture permet d’opérer la distanciation. Elle
leur confère une autonomie. La première est inféodée à la contextualisation et à la
synchronie. Elle ne peut se passer du hic et nunc. La seconde délocalise et
désynchronise246. Celle-là fait appel à la mémoire et contraint ainsi au
conservatisme. Celle-ci permet la « virtualisation de la mémoire »247 et rend possible
l’esprit critique. « Avec l’écriture, [...] les modes de connaissance théoriques et
herméneutiques ont donc pris le pas sur les savoirs narratifs et rituels des sociétés
242 Cf. Jean-Baptiste de La SALLE, Conduite des écoles chrétiennes, Paris, édition du manuscrit
français 11.759 de la Bibliothèque Nationale de Paris par la Procure Générale des Frères, 1951. On y
retrouve dans les menus détails tous les aspects de la vie scolaire et ce qui fait la spécificité de
l’école chrétienne, les enseignements et les pratiques religieux.
243 VINCENT G., L’école primaire française. Étude sociologique, Lyon, PUL, 1980, p. 55.
244 Cf. NIQUE C., LELIEVRE C. , La République n’éduquera plus. La fin du mythe Ferry, Paris, Plon,
1993 ; et des mêmes auteurs, Bâtisseurs d’école. Histoire biographique de l’enseignement en France,
Paris, Nathan, 1994, cinquième partie.
245 VINCENT G. (dir.), « Sur l’histoire et la théorie de la forme scolaire » in L’éducation prisonnière de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les sociétés industrielles, Lyon, PUL, 1994,
p. 16.
246 LEVY P., Qu’est-ce que le virtuel ?, Paris, La Découverte, 1995, p. 36.
247 Idem.
68
orales. L’exigence d’une vérité universelle, objective et critique n’a pu s’imposer que
dans une écologie cognitive largement structurée par l’écrit »248.
L’écriture et partant la lecture offrent donc à celui qui y a accès d’immenses
possibilités. Il peut prendre ses distances avec le « dit » du texte et faire œuvre de
« Lector in fabula »249. Il a la possibilité non seulement de s’ouvrir à d’autres
mondes – démarche d’« hypertextualisation » –, mais encore d’entrer dans une
dynamique de compréhension de soi par le truchement de l’interprétation. C’est ce
que RICOEUR appelle « l’appropriation »250. C’est dire la particularité de l’écriture
et l’importance de sa médiation pour les disciplines scolaires. Guy VINCENT a
montré à ce propos comment, dans l’école chrétienne et ferryste, à travers, par
exemple, l’histoire, les textes de dictée, les phrases d’exercices et même le calcul,
sont véhiculées des idéologies – non au sens marxiste du terme – religieuses et
patriotiques251.
Mais, en faisant abstraction et en allant au-delà de cette orientation finaliste
spécifique, la nouveauté dont l’écriture sert d’intermédiaire, c’est la culture
scolaire. Cette dernière peut être définie comme « l’ensemble des outils
intellectuels susceptibles de donner au sujet l’intelligence de lui-même, la
capacité de vivre un peu plus pleinement toutes les dimensions de son existence,
ses tensions affectives et sa vie professionnelle, ses relations avec autrui et son
rapport au monde. Les disciplines scolaires deviennent alors des configurations
épistémologiques originales centrées autour des "tâches" particulières qui sont,
précisément, celles où l’on peut apprendre à affronter certains problèmes
considérés comme essentiels »252. Et nous pensons, dans l’optique de notre centre
d’intérêt, que le plus fondamental de ces problèmes essentiels n’est autre que la
construction de la personne253.
248 Idem.
249 Nous nous référons à ECO Umberto, Lector in fabula. Le rôle du lecteur ou la coopération interprétative dans les textes narratifs, Paris, Grasset et Fasquelle, Coll. Biblio Essais, 1985. Il y
montre que « le texte est une machine paresseuse qui exige du lecteur un travail coopératif acharné pour remplir les espaces de non-dit ou de déjà-dit restés en blanc ». Le texte est alors une « machine présuppositionnelle » ( pp. 27).
250 « Par appropriation, j’entends ceci, que l’interprétation d’un texte s’achève dans l’interprétation de soi d’un sujet qui désormais se comprend mieux, se comprend autrement, ou même commence de se comprendre » in Du texte à l’action. Essais d’herméneutique II, Paris, Seuil, Coll. Points Essais, 1986,
p. 170.
251 VINCENT G., L’école primaire française. Étude sociologique, Lyon, PUL, 1980. Les chapitres VI et
VII y sont consacrés à cette analyse des disciplines scolaires.
252 MEIRIEU P., Le choix d’éduquer. Éthique et pédagogie, Paris, ESF éd., 1991, p. 126.
253 C’est le « faire œuvre de soi-même » de PESTALOZZI., Cf. SOËTARD M., Qu’est-ce que la pédagogie ? Le pédagogue au risque de la philosophie, Paris, ESF éd., 2001.
69
Nous retrouvons, également ici, toute la problématique du « rapport au savoir »
qui, en reconnaissant la centralité du sujet dans l’apprentissage, met en lumière les
différentes figures de l’apprendre où entrent en jeu la dimension épistémique,
identitaire et sociale de ce rapport254. Rapport dans lequel l’éduqué est confronté
au monde , entre en relation avec les autres ; où sont latents les récits de son
histoire personnelle et de sa société. Cette référence au sujet de l’apprentissage
amène à ne pas réduire la culture scolaire à l’information, ni à la connaissance, ni
au savoir.
Dans le premier cas, ce ne serait qu’une donnée objective, disponible pour
appropriation par l’éduqué. Ceci dans la mesure où l’information est une archive,
un texte dont la spécificité est le mode d’articulation – oppositions et combinaisons
– des différentes unités qui le constituent255. Ces unités ont reçu une « forme »
particulière ; ce qui renvoie au sens originel du terme. L’information est dans un
régime d’extériorité par rapport au sujet. Il relève du « monde physique », « le
premier monde » dont parle Karl POPPER256. Dans le second cas, il y a certes une
dimension subjective ; l’acquisition de connaissance étant le jeu singulier par
lequel chaque individu incorpore les informations qu’il reçoit de son milieu. C’est
un processus mental qui relève du « deuxième monde »257. Mais, malgré cette
subjectivité, la connaissance ne cesse d’être qu’une interprétation de l’information.
Aussi, la culture scolaire, telle que nous l’entendons et sans aucune connotation
idéaliste, est un dépassement de l’objectivité et de la subjectivité pures 258. Elle est
254 On peut noter par exemple que, dans le « rapport identitaire au savoir », « apprendre fait sens en référence à l’histoire du sujet, à ses attentes, à ses repères, à sa conception de la vie, à ses rapports aux autres, à l’image qu’il a de lui-même et à celle qu’il veut donner aux autres ». Cf., CHARLOT B.,
Du Rapport au Savoir. Éléments pour une théorie, Paris, Economica, coll. Anthropos, 1997, pp. 84-
85.
Voir également, CHARLOT B., (dir.), Les Jeunes et le Savoir. Perspectives internationales, Paris,
Economica, coll. Anthropos, 2001.
255 Nous nous référons à l’approche structurale en linguistique. Cf., RICOEUR P., « Le texte et
l’interprétation structurale » in op. cit., p. 164.
256 POPPER K., La connaissance objective, Paris, Champs Flammarion, 1998, pp. 247 et 250. Nous
rappelons à ce niveau que cette production de l’auteur a été exploitée dans le cadre des
apprentissages scolaires par ASTOLFI J-P., L’école pour apprendre, Paris, ESF éd., 1993, pp. 67-75.
Ce dernier convoque, à l’occasion, la distinction faite par Jean-Marc MONTEIL entre information
connaissance et savoir.
257 POPPER K., ibid., p. 247.
258 Même si c’est à ce dépassement que s’attelle POPPER, nous prenons notre distance par rapport à
son troisième monde. Il se positionne dans les débats épistémologiques, c’est-à-dire sur la
connaissance scientifique. Il défend une « épistémologie sans sujet connaissant ». C’est pourquoi ce
monde est « le monde des intelligibles, ou des idées au sens objectif ; c’est le monde des pensées possibles : le monde des théories en elles-mêmes et de leurs relations logiques, des argumentations en elles-mêmes ; et des situations de problèmes en elles-mêmes » (op. cit., p. 247). Il affirme ainsi
l’autonomie du savoir, excluant du coup sa nécessaire dimension relationnelle. Si la construction de
la personne entre dans le cadre général de l’articulation du sujet à l’objet, elle ne peut être traitée
70
à relier à « l’appropriation » selon RICOEUR tel que nous l’ avons précisée ci-
dessus. Elle est à considérer comme ce qui permet à l’éduqué de se construire
dans un « triple processus d’hominisation (devenir homme), de singularisation
(devenir un exemplaire unique d’homme), de socialisation (devenir membre d’une
communauté) »259. Ces processus ne peuvent s’opérer qu’avec la médiation de
l’autre qu’est l’éducateur. L’intersubjectivité du « s’éduquant » et de l’éducateur
offre au premier les moyens de gérer ses différents rapports aux savoirs. C’est le
processus « former » comme tremplin au processus « apprendre ». Ces processus
sont bien explicites à l’école, contrairement à ce qui se tisse dans l’éducation
informelle. Nous sommes ainsi au lieu de la possibilité de l’avènement, disons le
mot, de la liberté. De ce point de vue, se profilent en filigrane les enjeux au niveau
individuel et collectif.
La démultiplication des possibilités qu’apporte l’écriture pour le champ éducatif a
des répercussions sur la scène sociale. Elle génère des luttes de préservation de
statut de classe et d’orientation politique éducative, sur fond d’option politique.
Deux repères historiques en contexte français nous en donnent une illustration.
Avant la Révolution, la poussée de la scolarisation des enfants des artisans et des
pauvres soulève des levées de bouclier, notamment des aristocrates et des
bourgeois. Les Frères des Écoles Chrétiennes sont ainsi dénoncés en 1763 par
Louis de Caradeuc de La Chalotais parce qu’ils apprennent « à lire et à écrire à
des gens qui n’auraient dû apprendre qu’à dessiner et manier le rabot ou la lime,
mais qui ne veulent plus le faire »260. Idée qu’entérine Voltaire qui voit, en sa ferme
de Ferney, le lieu où devraient être les Frères. C’est en bourgeois qu’il écrit en
1766 à de La Chalotais : « Je vous remercie de proscrire l’étude chez les
laboureurs. Moi qui cultive la terre, je vous présente requête pour avoir des
manœuvres et non des clercs tonsurés »261. Propos dont les raisons explicatives
sont la peur de voir le peuple réaliser ses ambitions et la mobilité sociale
perturber l’ordre social. Ce qu’exprime sans ambiguïté l’abbé Fleury dans ses
conseils aux fils de paysans : « Vous êtes nés paysans, labourez le champ de vos
pères, ou s’ils ne vous en ont pas laissé, servez un maître, travaillez à la journée ;
laissez les études à ceux qui sont riches »262. On retrouve ainsi la Cité Idéale
comme un problème des conditions de la fécondité des connaissances. Le rapprochement s’arrête
aux deux mondes.
259 CHARLOT B., Du Rapport au Savoir, p. 60.
260 Dominique JULIA, « Les trois couleurs du tableau noir » cité par FRELAT-KAHN B. et KAHN P.,
« Condorcet et l’idée d’école républicaine » in Collectif, L’éducation. Approches philosophiques, Paris, PUF, 1990, p. 300.
261 Cité par NIQUE C., LELIEVRE C. , Bâtisseurs d’école. Histoire biographique de l’enseignement en France, Paris, Nathan, 1994, p. 143.
262 FLEURY « Traité du choix des études » cité par NIQUE C., LELIEVRE C., Ibid., pp. 142-143.
71
platonicienne dont le fondement et l’équilibre reposent sur la division hiérarchique
des classes et le maintien de chacune dans sa fonction spécifique263. Et nous
sommes pourtant en pleine période des Lumières !
Le deuxième moment historique, la période post-révolutionnaire, voit la définition
du rôle de l’école se disputer dans l’arène politique. C’est le choix à faire entre
l’assignation d’une visée d’instruction à l’école et sa finalité éducative. Le premier
volet de l’alternative, fondé sur les idéaux des Lumières dont l’âme est l’usage
maximal et exclusif de la raison dans toutes les sphères de l’existence, est
défendu par CONDORCET. Il plaide pour la démocratisation de l’accès au savoir,
comme condition de la vertu et de la préservation de tout citoyen
d’endoctrinement et de manipulation. Il s’y loge la question de la liberté :
« L’homme qui dans les actions de la vie commune tombe par le défaut de lumières
dans la dépendance d’un autre homme peut-il se dire réellement libre ? »264. Il faut
donc rendre la raison populaire pour que toute personne, à quelque classe sociale
qu’elle appartienne, puisse faire des choix libres, raisonnés et rationnels. Et c’est
le fondement d’une démocratie représentative. Aussi l’école, en dispensant le
savoir à tous, ne peut-elle que contribuer à l’édification de la République. En
définitive, militer pour une raison éclairée revient à postuler que « l’éducation doit
convaincre »265 à travers l’enseignement des vérités susceptibles d’être expliquées
et transmises. C’est pourquoi, au nombre des caractérisations de l’option de
CONDORCET, on retrouve celle de « pédagogie du livre » : « Les livres sont des
raisons objectivées, déposées, préservées de la chaleur de l’éloquence. La parole
séduit, charme, captive. L’écrit est un objet d’analyse, il ignore les impulsions, il
refroidit les passions. C’est un objet de la raison »266. Le second volet de
l’alternative, par contre, voit en l’école le lieu d’action sur les cœurs, avec, comme
fin, l’adhésion des éduqués aux valeurs nouvelles de la République. « L’école doit
émouvoir ». C’est l’option de Rabaut Saint-Etienne et sur laquelle Jules Ferry a
263 En effet, Platon s’appuie sur une similitude entre l’organisation de l’univers, celle de la cité et la
constitution de l’individu. A l’ordonnance du monde de laquelle découlent les caractères d’or,
d’argent et de bronze, correspond respectivement la subdivision hiérarchique des âmes en
connaissante, désirante et besognante. A ces trois types de caractéristiques sont liées la classe des
dialecticiens, celles des gardiens et celle des manouvriers (artisans et agriculteurs). L’équilibre de la
société dépend de la place qu’elle sait aménager aux activités spécifiques de chaque classe :
magistrature, défense de la cité et artisanat. Cf. PLATON, La République, Paris, Garnier-Fammarion,
1966 et le commentaire de François CHATELET, Platon, Paris, Gallimard, 1965.
264 CONDORCET, « Sur la nécessité de l’instruction publique » cité par FRELAT-KAHN B. et KAHN
P., « Condorcet et l’idée d’école républicaine » in Collectif, L’éducation. Approches philosophiques, Paris, PUF, 1990, p. 304.
265 NIQUE C., LELIEVRE C. , La République n’éduquera plus. La fin du mythe Ferry, Paris, Plon, 1993,
p. 8.
266 FRELAT-KAHN B. et KAHN P., in op. cit., p. 331.
72
jeté son dévolu. L’État s’occupe d’éducation « pour maintenir une certaine morale
d’État, certaines doctrines d’État qui importent à sa conservation »267.
Si tels sont les « gènes » de l’école et son rapport au social et au politique dans
son lieu originaire, qu’en est-il de son « aventure » africaine ? Nous allons en
rendre compte en partant d’abord de l’analyse de son moment inaugural et en
recourant à sa présentation romancée par C. Hamidou KANE268. Nous ferons
ressortir par la suite le paradoxe de ses effets sur ses usagers.
I II- L’ECOLE EN AFRIQUE : EFFETS PERVERS ET PARADOXES
Dans l’horizon de la construction de la personne, il est d’intérêt de faire une
relecture de la trajectoire historique de l’école en Afrique. Cette construction, en
tant que problème actuel, ne peut se réaliser adéquatement que si la spécificité de
l’école est sauvegardée dans son authenticité. Aussi, cette trajectoire est à
comprendre en terme des sens conférés à l’école en soi et à son rôle. Il s’agit de
procéder en quelque sorte à l’analyse des problématisations269 - selon l’acception
de Michel FOULCAUT – de l’école.
3.1- Une lecture autre de la nature de l ’école
3.1.1- L’aurore de l’école
Ni traité systématique de pédagogie, ni œuvre classique de philosophie, de
sociologie ou d’anthropologie, le roman L’aventure ambiguë de C. Hamidou KANE
aborde de haut volet à la fois la question de la double culture et de l’éducation en
Afrique. Le point nodal du roman est la rencontre de l’Afrique avec l’Occident.
« Le matin de l’occident en Afrique fut constellé de sourires, de coups de canon et
de verroteries brillantes. Ceux qui n’avaient point d’histoire rencontraient ceux qui
portaient le monde sur leurs épaules... Le monde connu s’enrichissait d’une
naissance qui se fit dans la boue et dans le sang »270. A travers ces lignes, se
267 Jules FERRY, Discours à la Chambre des députés le 26 juin 1879, cité par NIQUE C., LELIEVRE
C. , La République n’éduquera plus, p. 9.
268 KANE C. H., L’aventure ambiguë, Paris, Julliard, 1961.
269 Foucault définit les problématisations comme « l’ensemble des pratiques discursives (discours) ou non discursives (pratiques concrètes) qui fait entrer quelque chose dans le jeu du vrai et du faux et le constitue comme objet de pensée » in Magazine littéraire, n° 207 cité par SKRZYPCZAK J-F et al.,
Penseurs pour aujourd’hui, Lyon, Chronique Sociale, 1985, p. 65.
La notion de problématisation chez FOUCAULT est à inscrire dans sa méthode archéologique et
généalogique qui cherche respectivement à décrire les conditions de l’apparition des discours et leur
fonctionnement et à décrypter les fondations des évidences et à reconstituer l’engendrement des
idées. Pour l’étude systématique et intégrale de son œuvre voir DREYFUS H. et RABINOW P., Michel Foucault. Un parcours philosophique, Paris, Gallimard, Folio Essais, 1984.
270 KANE C. H., Ibid., p. 59.
73
trouvent synthétisés le trafic des esclaves (exprimé par le contre-don des
verroteries)271, la résistance à la pénétration européenne (les coups de canon),
l’idéologie d’une Afrique sans passé et la « volonté de puissance » occidentale.
Rencontre meurtrière (« la boue et le sang ») dont les vaincus cherchaient à
comprendre l’âme des moyens du vainqueur. « Car ceux qui étaient venus ne
savaient pas seulement combattre. Ils étaient étranges. S’ils savaient tuer avec
efficacité, ils savaient aussi guérir avec le même art. Où ils avaient mis du
désordre, ils suscitaient un ordre nouveau. Ils détruisaient et construisaient »272.
C’est l’allusion à la puissance technique de l’occident, représentée par leurs
canons, le génie civil (la construction), la médecine (« guérir avec le même art »).
Quête également du sens de l’inefficacité de leurs boucliers, de leurs lances et de
leurs fusils. « Certains, comme les Diallobé, brandirent leurs boucliers, pointèrent
leurs lances ou ajustèrent leurs fusils. On les laissa approcher, puis on fit tonner
le canon. Les vaincus ne comprirent pas »273.
Besoin de comprendre, de saisir ce qui se cache derrière cette puissance
technique. Elle n’est que le paraître d’un être, l’image de quelque chose plus
essentiel. « On commença dans le continent noir, à comprendre que leur puissance
véritable résidait, non point dans les canons du premier matin, mais dans ce qui
suivait ces canons. Ainsi, derrière les canonnières, le clair regard de la Grande
Royale des Diallobé avait vu l’école nouvelle »274. Et la question se pose de savoir
s’il faut se passer d’elle. Doit-elle être la médiation nécessaire pour la résolution
des problèmes de l’existence ? « L’homme ne veut pas de l’école parce qu’elle lui
impose, pour vivre – c’est-à-dire pour être libre, pour se nourrir, pour s’habiller –
de passer désormais par ses bancs »275. La décision d’y envoyer finalement les
enfants est prise sur fond de la question de la répudiation de l’éthique manifestée
par le vainqueur. Comment expliquer le fait que ces étrangers « étranges » fassent
irruption de manière violente dans leur existence pour les soumettre à une autre
vision du monde, à un nouvel ordre social ?276
271 « Dans toutes les différentes traites, il faut nécessairement des verroteries de toutes espèces.
C’est la marchandise qui est le meilleur marché pour les négociations et celle sur laquelle ils (les
Européens) ont le plus de profit ». L’abbé DEMANET cité par KI-ZERBO J., Histoire de l’Afrique Noire d’hier à demain, Paris, Hatier, 1978, p. 213.
272 KANE C. H., Ibid., p. 60.
273 Ibid., p. 59.
274 Ibid., p. 60. La Grande Royale est la sœur du chef des Diallobé.
275 Ibid., p. 61.
276 « Ceux qui avaient combattu et ceux qui s’étaient rendus, ceux qui avaient composé et ceux qui s’étaient obstinés, se retrouvèrent, le jour venu, recensés, répartis, classés, étiquetés, conscrits, administrés » Ibid., p. 60.
74
L’école en donne certes un éclairage. Mais il s’avère insuffisant. De même que la
technique est le dévoilement de l’école, celle-ci a un arrière-monde, l’essence qui
donne le pouvoir dominateur. « Il y a cent ans, notre grand-père, en même temps
que tous les habitants de ce pays, a été réveillé un matin par une clameur qui
montait du fleuve. Il a pris son fusil et, suivi de toute l’élite, s’est précipité sur les
nouveaux venus. Son cœur était intrépide et il attachait plus de prix à la liberté
qu’à la vie. Notre grand-père, ainsi que son élite, ont étaient défaits. Pourquoi ?
Comment ? Les nouveaux venus seuls le savent. Il faut le leur demander »277. Il faut
remarquer l’accent hégélien de la fin de ce passage : le grand-père, qui donnait la
primauté à la liberté sur la vie, a été vaincu. En effet, selon Hegel, la quête et la
sauvegarde de la liberté s’effectue et se réalise au point de départ par un combat à
mort. C’est la lutte pour la reconnaissance au terme de laquelle le vainqueur est
celui qui ose prendre le risque de la mort278. Il devient le maître dans la mesure où
il a mis en jeu sa vie biologique au nom d’une valeur qui est le fait d’être reconnu
comme une existence indépendante. Le vaincu devient l’esclave puisqu’il a opté
pour la vie et se doit de trouver sa vérité dans le premier279. Pourtant, le vaincu ici
a risqué sa vie.
D’où, finalement, face à l’énigme, l’ordre de mission donné à Samba Diallo, le héros
du roman, d’entrer dans l’univers scolaire : « Il faut aller apprendre chez eux l’art
de vaincre sans avoir raison »280. Dans cette injonction, l’école apparaît comme le
lieu de l’apprentissage d’un art, et pas n’importe lequel, celui de l’exercice de la
violence. Et ce n’est pas seulement le lieu de l’acquisition d’un art, mais aussi d’un
savoir. Puisque au moment ultime du départ pour l’école, Samba Diallo entend, de
la part de la Grande Royale, l’ordre s’enrichir de ce nouvel élément: « Le jour où
je prenais congé d’elle, elle me disait encore : "Va savoir chez eux comment l’on
peut vaincre sans avoir Raison " »281. Nous sommes là bien loin des orientations
originelles de l’école. Les nobles fins d’utilités administratives, sociales et
religieuses n’y ont pas leur compte.
277 Ibid., p. 47.
278 « Le comportement des deux consciences de soi est donc déterminé de telle sorte qu’elles se prouvent elles-mêmes et l’une à l’autre au moyen de la lutte pour la vie et la mort. Elles doivent nécessairement engager cette lutte, car elles doivent élever leur certitude d’être pour soi à la vérité, en l’autre et en elles-mêmes. C’est seulement par le risque de sa vie qu’on conserve la liberté »,
HEGEL G. W. F., Phénoménologie de l’esprit, Traduction de Jean Hyppolite, Tome I, Paris, Aubier,
1941, p. 159.
279 Cf. HEGEL, Ibid., pp. 161-164.
280 KANE C. H. Ibid., p. 47.
281 KANE K., Ibid., p. 165. C’est nous qui soulignons.
75
Au fond, dans cette perception de l’école comme lieu d’appropriation d’un savoir
qui permet de mettre en œuvre la philosophie de Calliclès282, il y a un problème
culturel.
3.1.2- « La leçon d’écriture » : un paradigme du sens dévoyé de l ’école
L’école survient dans un espace culturel qui a sa vison du monde. Laquelle est
transmise par le registre oral de la communication. Ce que génère l’école, fille de
l’écriture, c’est l’entropie dans une vision du monde qui conçoit un cosmos
homocentrique et homomorphique. L’homme est la créature privilégiée et occupe
le centre de l’univers. Et le monde est à son image. « C’est un monde d’un seul
tenant où l’homme fait corps avec le monde, l’individu avec le clan, l’intérieur avec
l’extérieur, un monde de participations où l’homme se cherche dans les êtres du
monde et se trouve à partir de l’univers »283. A cette vision du monde, est
fondamentalement liée la conception d’une justice immanente. Vision
essentiellement morale du monde où tous les éléments qui composent le cosmos
sont en situation de justice ou de justiciable les uns à l’égard des autres. Dès lors
qu’on n’a pas perturbé l’ordre du monde, on ne peut qu’être innocent. Aussi, celui
qui a raison doit sortir vainqueur. C’est pourquoi « les vaincus ne comprirent pas ».
Et dans la même logique, la Grande Royale affirme : « L’école où je pousse nos
enfants tuera en eux ce qu’aujourd’hui nous aimons et conservons avec soin, à
juste titre. Peut-être notre souvenir lui-même mourra-t-il en eux »284.
Prophétie du meurtre de la culture locale par l’école et dont le choix est motivé
par la puissance qu’elle confère. Une adhésion qui rappelle l’expérience décrite
par LEVI-STRAUSS285 à propos de l’introduction de l’écriture chez les
Nambikwara. Il raconte que, leur ayant remis du papier et des crayons, il découvre
qu’ils s’ingénient à en faire le même usage que lui en traçant sur le papier des
« lignes horizontales ondulées ». Mais le point crucial de l’histoire est la
« clairvoyance » de leur chef. Celui-ci, à partir des mêmes lignes, établit un
semblant de dialogue avec l’auteur. « Il ne me communique pas verbalement les
informations que je lui demande, mais trace sur son papier des lignes sinueuses et
me les présente, comme si je devais lire sa réponse. Lui-même est à moitié dupe
282 Dans le Gorgias de Platon, Calliclès fait l’apologie de la force et de la violence. Il s’appuie sur le
mode naturel des relations entre les êtres. Les forts prennent le dessus sur les faibles. Aussi la loi
positive est-elle une violation de la loi naturelle. Elle est édictée au profit des faibles. La vraie
justice est celle qui respecte l’économie de la nature : la domination des puissants.
283 DARDEL Eric, « Magie, Mythe et Religion » cité par N’DAW A., La pensée africaine. Recherches sur les fondements de la pensée négro-africaine, Dakar, NEA, 1983, p. 123.
284 KANE C. H., op. cit., p. 57.
285 LEVI-STRAUSS C., « La leçon d’écriture » in Tristes Tropiques, Paris, Plon, 1965, pp. 347-360.
76
de sa comédie ; chaque fois que sa main achève une ligne, il l’examine
anxieusement comme si la signification devait en jaillir...Mais il n’en convient pas ;
il est tacitement entendu entre nous que son grimoire possède un sens que je
feins de déchiffrer ; le commentaire verbal suit presque aussitôt et me dispense
de réclamer les éclaircissements ». Une fois en présence de ses administrés, le
chef, par un semblant de lecture de « ses lignes tortillées », va donner les
indications pour la distribution des cadeaux aux uns et aux autres. Il fait ainsi la
démonstration de son « alliance » avec l’Européen et « qu’il participait à ses
secrets ». La conséquence en est que les « fortes têtes » se désolidarisèrent de lui
parce qu’ils avaient compris « confusément que l’écriture et la perfidie
pénétraient chez eux de concert ». La leçon de « la leçon » est que le chef,
quoiqu’ignorant la réalité de l’écriture, emprunte son « symbole ». « Et cela, en vue
d’une fin sociologique plutôt qu’intellectuelle. Il ne s’agissait pas de connaître, de
retenir ou de comprendre, mais d’accroître le prestige et l’autorité d’un individu –
ou d’une fonction – aux dépens d’autrui ».
La « leçon d’écriture » et « de « l’écriture » a été critiquée par Jacques DERRIDA. Il
reproche à LEVI-STRAUSS sa conception vulgaire et ethnocentrique de
l’écriture286. Son argument est qu’il existe une « archi-écriture », c’est-à-dire « le
jeu de la différence » dont témoigne la guerre des noms propres à laquelle se livre
les jeunes filles – précédant la leçon d’écriture – en transgressant l’interdit de leur
emploi. Dès lors que l’on nomme, on classifie, on fait des distinctions au niveau
linguistique et social. A cette « archi-écriture » est liée une « archi-violence ».
« Penser l’unique dans le système, l’y inscrire, tel est le geste de l ‘archi-
écriture : archi-violence, perte du propre, de la proximité absolue, de la présence
à soi, perte en vérité de ce qui n’a jamais eu lieu, d’une présence à soi qui n’a
jamais été donnée mais rêvée et toujours déjà dédoublée, répétée, incapable de
s’apparaître autrement que dans sa propre disparition »287. A suivre DERRIDA, la
violence gît déjà dans l’oralité. Elle est constitutive du langage. Partant, ce n’est
pas à l’écriture au sens restreint qu’il faut imputer la perfidie. Elle était, bien
avant, présente chez les Nambikwara. Nombre de passages de Tristes tropiques
en témoignent.
286 Dans cette critique, l’auteur fait en même temps celle de Rousseau tout en s’appuyant sur lui pour
appuyer sa thèse. Respectivement, quand il évoque son mépris de l’écriture dans le second
Discours : « O homme...voici ton histoire telle que j’ai cru la lire, non dans les livres de tes semblables, qui sont menteurs, mais dans la nature, qui ne ment jamais » ; dans l’Émile : « tant de livres nous font négliger le livre du monde » ; dans la Lettre à Christophe de Beaumont : « j’ai cherché la vérité dans les livres : je n’y ai trouvé que le mensonge et l’erreur » ; et quand il rappelle
le traitement donné par Rousseau à la question du pouvoir politique.
287 DERRIDA J., De la grammatologie, Paris, Minuit, 1967, pp. 164-165.
77
La critique de DERRIDA s’est ingéniée à occulter l’écart des possibilités entre
oralité et écriture. Rapportée au rôle de l’école et l’usage qu’en ont fait ceux qui
l’ont implantée, cette critique est disqualifiée au regard des réalités sur le
terrain288. Les promoteurs de l’école en Afrique sont à l’image du chef Nambikwara.
Autant ce dernier a cherché le pouvoir à travers l’écriture, autant les premiers ont
dévoyé la vraie destination de l’école avec la seule différence qu’ils la connaissent.
L’école était érigée en « appareil idéologique »289 de l’État colonial. Elle devait
répondre aux besoins de l’organisation socio-politique mise en place.
La marque de cette organisation est l’assujettissement des populations. Elles y
vivaient sous l’emprise du non-droit. Les autochtones avaient en commun dans la
pluralité de leur appartenance ethnique, la servilité et la satisfaction des intérêts
de leurs « maîtres ». Ceux-ci « n’ont point l’égalité des échanges pour objet et leur
rôle ne consiste pas le moins du monde à respecter le repos, la liberté, les
croyances ou les biens d’autrui. Leur énergie, leurs talents, leurs lumières, leur
dévouement sont appliqués à créer ou à exploiter l’inégalité »290. Dans ce contexte,
les finalités et la structuration de l’institution scolaire étaient au service de la
survie de la domination291. C’était une question de choix judicieux des moyens pour
la pérennisation de la conquête : « Pour transformer les peuples primitifs de nos
colonies, pour les rendre le plus possible dévoués à notre cause et utiles à nos
entreprises, nous n’avons à notre disposition qu’un nombre très limité de moyens,
et le moyen le plus sûr c’est de prendre l’indigène dès l’enfance, d’obtenir de lui
qu’il nous fréquente assidûment et qu’il subisse nos habitudes intellectuelles et
morales pendant plusieurs années de suite ; en un mot, de lui ouvrir des écoles où
son esprit se forme à nos intentions »292. KANE ne dit pas autre chose quand il
utilise la métaphore de l’aimant pour qualifier la nature de l’école. Il y une analogie
entre l’ordre nouveau qu’instaure l’école et la solidarité d’un noyau magnétique
d’un champ. « Le bouleversement de la vie des hommes à l’intérieur de cet ordre
nouveau est semblable aux bouleversements de certaines lois physiques à
l’intérieur d’un champ magnétique. On voit les hommes se disposer, conquis, le
288 Une de ses réalités est « le gouffre béant entre ceux qui sont allés à l’école et ceux qui n’y sont pas allés, entre les nantis et les démunis. Pour le non-instruit, le changement social est associé au "livre du savoir " ». GOODY J., « Clercs et illettrés : l’influence de l’instruction européenne » in Entre l’oralité et l’écriture, Paris, PUF, 1994, p. 150.
289 L’expression est de Louis ALTHUSSER classant en deux groupes les appareils d’État : ceux qui
ont un fonctionnement répressif (justice, police, armée) et ceux qui ont une fonction idéologique dont
l’école. Cf. RICHARD MICHEL, « Louis ALTHUSSER. Le théoricien marxiste dans la lutte des
classes » in Collectif, Penseurs pour aujourd’hui, Lyon, Chronique Sociale, 1985.
290 VALERY Paul, « Regards sur le monde actuel », cité par EBOUSSI B., Les conférences nationales en Afrique, Paris, Karthala, 1993, p. 95.
291 Cf. MOUMOUNI A., L’éducation en Afrique, Paris, Présence Africaine, 19982, pp. 54-57.
292 HARDY G., « Une conquête morale, l’enseignement en AOF» cité par QUENUM J-C., op. cit., p.
101.
78
long de lignes de forces invisibles et impérieuses »293. Le rôle assigné à l’école est
la fascination des âmes. Cette idéologie présidait au recrutement des élèves. Ils
étaient quasiment tous de la descendance des auxiliaires autochtones de
l’administration coloniale294. Ils étaient destinés à l’issue de leur parcours scolaire,
à être, à l’image de leur ascendance, des fidèles et loyaux serviteurs du système
qui les a enfantés. Ce n’est donc pas sans raison que l’école a été perçue comme
un lieu où l’on peut « apprendre...l’art de vaincre sans avoir raison ».
Cette conception erronée de l’école induite par la manière violente de son
implantation d’une part, et son usage idéologique d’autre part, va par la suite se
confirmer et en même temps se traduire en paradoxe et effets pervers.
3.2- Effe t pervers des f inal i tés de l ’école et reconduct ion de la v io lence
Dans la partie consacrée au rôle de l’école et de sa destination sociale
particulièrement en France, nous avons fait état du conflit du choix entre
« instruction » et éducation ». La première mise sur le savoir envoyant des
faisceaux de lumière pour dissiper les zones d’obscurité qui pourraient envahir la
raison. Savoir dont dépendrait la vertu, relevant ainsi du paradigme de la
philosophie socratique. Cette composante de l’école – le savoir –, que l’option
idéologique de l’enseignement colonial s’est ingéniée à entraver l’acquisition
plénière295, va néanmoins jouer effectivement son rôle d’éclairage des esprits. Elle
va authentifier indéniablement le fait que la culture scolaire élargit le regard de
celui qui en bénéficie et apporte de nouveaux éléments à sa vision du monde. Elle
apporte du même coup un déni à la foi au déterminisme de la pratique pédagogique
coloniale : former les esprits aux intentions du colonisateur. En effet, c’est au
crédit du pouvoir de l’école qu’il faut inscrire la philosophie de la décolonisation296
et les luttes conséquentes pour l’autodétermination des peuples africains. Une
filiation intellectuelle multiforme y a concouru. C’est la fréquentation des écrits,
293 KANE C. H., Ibid., p. 61.
294 MOUMOUNI A., Ibid., pp. 56-57.
295 « L’enseignement colonial était un enseignement au rabais. Selon une logique implacable, les programmes étaient d’un niveau assez bas, le seul compatible avec "l’incapacité intellectuelle " de l’Africain, avec la nécessité de "doser judicieusement les connaissances qu’elles (les populations africaines) sont capables de s’assimiler...Seul l’enseignement secondaire, en raison de sa destination, avait les mêmes programmes que l’enseignement métropolitain correspondant. Encore faut-il remarquer...la dénomination de "Brevet de Capacité Colonial " donnée au diplôme censé être l’équivalent du Baccalauréat de l’enseignement secondaire français ». MOUMOUNI A., L’éducation en Afrique, Paris, Présence Africaine, 19982, p. 57.
296 A propos de la philosophie de la décolonisation, on peut se reporter à FINKIELKRAUT A., « Un
monde désoccidentalisé » in La défaite de la pensée, Paris, Gallimard, Folio Essais, 1987.
79
entre autres, sur le structuralisme297, le romantisme HERDER298, des auteurs
africains d’Amérique299. Les finalités premières données à l’école par ces
fondateurs ont finalement généré un effet pervers ou « émergent ». Il y a effet
pervers lorsqu’en « poursuivant leurs objectifs, les agents sociaux provoquent des
effets non recherchés »300. Organisée pour être auxiliaire et instrument de
l’asservissement, elle a été, au bout du compte, facteur de libération.
Liberté, autonomie, préservation de sa dignité, tels sont les mots d’ordre qui ont
galvanisé le combat contre la domination. Expressions qui font partie du champ
lexical de la définition de la personne. De cela, on peut conjecturer que le
combattant de la liberté ait fait l’expérience de l’intériorité, de la disposition de
lui-même. Sorti de tutelle, il devrait devenir à son tour libérateur, pédagogue de
l’autonomisation de l’autre ; offrir la possibilité à l’autre de dire « je » dans la
sphère du « nous ». Au contraire, c’est le triomphe de la reconduction de la
violence, bien traduite par Alain FINKIELKRAUT : « A peine ont-ils dit : "Nous
avons gagné ", qu’ils perdent le droit de s’exprimer autrement qu’à la première
personne du pluriel. Nous : c’était le pronom de l’authenticité retrouvée, c’est
désormais celui de l’homogénéité obligatoire ; [...] c’était la naissance d’une
communauté, c’est la disparition de tout intervalle et donc de toute possibilité de
confrontation entre ses membres [...] Il n’y avait pas de place pour le sujet
collectif dans la logique coloniale ; il n’y a pas, dans la logique identitaire, de place
pour l’individu »301. Le « je » disparaît sous la dictature du « nous ».
Paradoxe chez ceux qui, en Afrique, ont été les bénéficiaires des apports de
l’école. Nous retrouvons ainsi une leçon de l’histoire relative à l’instruction offerte
par l’école : que « la culture et la raison, à elles seules, ne délivrent pas de la
barbarie »302. Avec d’autres accents, mais relevant aussi de la nature de la
barbarie, les élites africaines ont, depuis les indépendances, enfanté et nourri
l’hydre qu’est « l’État de violence », « la délinquance d’État ». Monstre d’État dont
297 LEVI-STRAUSS C., Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1974.
298 Avec comme figure de prou, HERDER J. G., Une autre philosophie de l’histoire, Paris, Aubier,
Texte original et version française, 1964.
299 Il s’agit, entre autres, de William E.D. Du Bois, Langston Hugues, Richard Wright, Claude MC
Kay...Cf. KESTELOOT L., Les Écrivains noirs de langue française. Naissance d’une littérature,
Bruxelles, Institut de sociologie, 1965 ; BETI M., Dictionnaire de la négritude, Paris, Harmattan,
1989.
300 BOUDON R., Effets pervers et ordre social, P aris, Quadrige / PUF, 19932, p. 3.
301 FINKIELKRAUT A., « Portrait du décolonisé » in La défaite de la pensée, Paris, Gallimard, Folio
Essais, 1987, p. 96.
302 MEIRIEU P., « Une odieuse chasse au pédagogue », Journal « Le Monde » n° 17198 du 12 mai
2000. Il cite, dans le même article, Chaïm Potok ( « Le Maître de trope ») : « J’ai découvert qu’à la conférence de Wannsee, sur les quinze hommes qui se sont assis autour de la table pour mettre sur pied la bureaucratie qui allait massacrer les juifs d’Europe, huit avaient des doctorats ».
80
le souffle est l’idéologie du Parti Unique. C’est l’objet de l’interrogation de Eboussi
BOULAGA : « Comment se fait-il que nos "dirigeants" soient si cruels envers
leurs propres peuples, qu’il faut des promesses, des menaces, des "primes" de
puissances extérieures pour les amener chez eux à plus de considération pour la
vie et la "dignité" humaines ? »303. C’est la face problématique de l’instruction dont
nous avons vu la défense frénétique en contexte français des Lumières.
Fondamentalement, l’apologie de l’instruction est en même temps celle de
l’universel, érigé en absolu. Une transcendance où se trouve du coup évincée la
texture du particulier dans lequel se meut l’éduqué304. L’investissement des anciens
combattants de la liberté dans la dictature du collectif est le signe que les armes
de la lutte ont été approvisionnées au monde de l’universel pur. Le parcours
scolaire n’a pas donné lieu à une psychanalyse du terreau humain dont ils ont été
pétris. « Si,...ces mouvements de libération ont sécrété des régimes d’oppression,
c’est parce qu’à l’exemple du romantisme politique, ils ont fondé les relations
interhumaines sur le modèle mystique de la fusion, plutôt que sur celui – juridique
– du contrat, et qu’ils ont pensé la liberté comme un attribut collectif, jamais
comme une propriété individuelle »305. La prise en compte du particulier, donc de
l’informel, est l’antithèse de cette « utopie » - au sens étymologique du terme – de
l’apprenant. Car il n’y a pas d’apprenant qui soit de nulle part. En définitive, il
s’avère nécessaire d’articuler, dans l’acte pédagogique, l’universel et le
particulier : « l’universalité ne surplombe plus une particularité qui lui serait
soumise : l’une et l’autre marchent désormais ensemble, sous le principe de
liberté, qui est désormais l’universel en marche dans la particularité »306. On ne
peut offrir à l’apprenant les moyens de son acheminement vers la liberté, à travers
l’acte pédagogique, sans intégrer le tissu des contingences socio-culturelles dans
lesquelles il vit.
303 BOULAGA E., Les conférences nationales en Afrique Noire. Affaire à suivre, Paris, Karthala, p.
116.
304 C’est en substance l’objet du pugilat (c’est le mot qui convient, vu le ton des articles) intellectuel
entre Philippe MEIRIEU (cf. article précité du Monde) et Alain FINKIELKRAUT, dans son article, « La
révolution cuculturelle à l’école », Journal « Le Monde », n° 17204 du 19 mai 2000. Ce dernier y
soutient la thèse de l’universalité en parlant des stratégies des parents pour le choix d’une institution
scolaire « où l’on ne s’adosse pas à la misère pour faire honte à la pensée, où d’autres dimensions de la réalité sont prises en compte que l’environnement social et d’autres dimensions du temps que l’actualité, où la différence entre information et connaissance n’est pas tombée dans l’oubli ». Son
ouvrage, La défaite de la pensée, est consacré à la même apologie.
305 FINKIELKRAUT A., La défaite de la pensée, p. 99.
306 SOËTARD M., Qu’est-ce que la pédagogie ? Le pédagogue au risque de la philosophie, Paris, ESF
éd., 2001, p. 121.
81
En ce qui concerne l’option pour « l’éducation », où l’on veut inculquer des valeurs
au service de l’intégration républicaine, c’est l’alliance avec les « métaphores »307
de l’éducation. L’accent y est beaucoup plus porté sur l’activité de l’éducateur que
sur le rôle qui incombe à l’éduqué d’être l’acteur de son existence, la « concevoir »
et la « penser sur l’horizon d’un idéal qui lui soit propre »308.
IV- POUR UNE VIGILANCE CRITIQUE PAR RAPPORT A LA TRADITION AFRICAINE ET A L’ÉDUCATION INFORMELLE ET SCOLAIRE
Le point de départ de notre réflexion est constitué par les problèmes
d’organisation politique qui ont cours en Afrique. La quête de leur sens ou de leurs
raisons explicatives, non en un sens causaliste mais d’incidence, nous a emmené
au concept nodal de personne qui, par ailleurs, trouve son lieu d’éclairage dans
l’éducation. Dans cette partie, nous nous proposons, sous forme récapitulative, à la
lumière des données de l’anthropologie africaine et des considérations sur les
deux formes d’éducation, de mettre quelques balises pour l’orientation de la
construction de la personne.
4.1- Vigi lance par rapport au sacré de la soc iété
La question de la construction de la personne gît dans le rapport de l’individu à sa
société d’appartenance. Or, d’une part, « la société moderne se définit, comme
toutes les sociétés de l’histoire, par son sacré...La communion des individus dans
des valeurs qui ne sont pas situées sur le plan de la nature et de la lutte avec elle,
avec un Je universel et personnel, qu’il soit Nature, Dieu, Cité, Roi, est niée en
droit, plus exactement est considérée comme inutile et en contradiction avec la
valeur sociale »309. En d’autres termes, toute société vise à sa pérennisation. Dans
cette dynamique d’inscription dans la durée, elle se présente à ses membres
comme un ganz andere. En tant qu’entité numineuse, le « je » de chaque individu la
composant doit être canalisé par le « nous » de son essence. En ce sens, toute
velléité d’autonomie radicale de tout membre est subversive et constitue un germe
d’entropie pour l’ordre social. Si cette réalité est caractéristique de toute société,
elle l’est encore plus pour les sociétés africaines marquées par une anthropologie
du primat du collectif sur l’individuel. Cette emprise des sociétés africaines sur les
individus s’opère aujourd’hui par et dans le processus éducatif, comme nous
307 Nous pensons particulièrement aux façons de parler de l’éducateur selon les images de la tradition
(guide, nourricier, potier...) telles que les présente Nanine CHARBONNEL, Les aventures de la métaphore, Strasbourg, Presse Universitaire de Strasbourg, 1991. Voir également Daniel
HAMELINE, L’éducation, ses images et son propos, Paris, ESF éd., 1986.
308 Cf. HOUSSAYE J., Les valeurs à l’école. L’éducation aux temps de la sécularisation, Paris, PUF,
1992, p. 317.
309 WEIL Éric, Philosophie politique, Paris, Vrin, 19895, p. 96. Les mots sont soulignés par l’auteur.
82
l’avons souligné, par le truchement de l’oralité. C’est ici le lieu de rendre justice
au concept d’«archi-écriture » de DERRIDA, que nous avons relativisé sinon
récusé310.
En effet, bien des travaux ont mis en lumière, le pouvoir, la place et le rôle du
verbe dans le monde africain. L’étude la plus systématique, en ce sens, a été
présentée par Marcel GRIAULE, fruit de son entretien avec Ogotémmeli, le vieux
sage Dogon311. A cela, il faut ajouter celles de Léopold Sédar SENGHOR et de
Dominique ZAHAN312. Selon ces auteurs, le pouvoir que le l’homme africain
accorde au verbe est dû à trois caractéristiques. La première est qu’il est d’origine
divine : « Dieu est par excellence la parole ; celle des hommes, reflet de la parole
primordiale, conserve dans sa texture la trame originelle [...]. Chaque parole,
chaque discours sont en quelque sorte la reproduction du langage de Dieu »313. La
deuxième caractéristique est que la parole est chose humaine. En parlant, l’homme
met en jeu tout son corps, toute sa personne. Le rapport avec le monde constitue
la troisième caractéristique. Les éléments de la nature comme l’eau, l’air, le feu
sont partie intégrante de la parole. Selon Ogotémmeli, le « Nommo est eau et
chaleur, la force vitale qui porte la parole, sort de la bouche en vapeur d’eau qui
est eau et parole »314. Aussi dira-t-on par exemple de celui qui est en colère, qu’il
a « une parole brûlante ».
La parole a ses qualités et modes d’apparaître. Le verbe est l’expression par
excellence de la vie. Puisque l’homme a la maîtrise du verbe, il lui incombe de
diriger la force vitale. Ayant lui-même reçu la force vitale par le biais du verbe, il
lui revient d’en faire participer les autre êtres. La parole étant un bien commun,
elle doit être échangée pour que la réception et le don des forces de vie soient
possibles et bénéfiques. L’homme est un être actif au monde. Chaque événement
qui s’y produit est causé par sa parole bienveillante ou malveillante. La parole
bienveillante renforce la force vitale chez celui qui la prononce et chez son
destinataire. Elle apporte l’harmonie, l’ordre et la paix. La parole malveillante
déforce. Elle est source de désordre et de malheur. Dès lors, tout ne peut pas être
dit et de n’importe quelle manière et dans n’importe quelle circonstance. Car c’est
par la parole que l’homme exerce sa maîtrise sur les choses. Il est capable de les
changer, de les rendre agissantes et de les commander. La force et la puissance
de la parole dépendent de la position du locuteur dans la hiérarchie des êtres et
310 Cf. infra, pp. 39-40.
311 GRIAULE Marcel, Dieu d’eau. Entretien avec Ogotémmeli, Paris, Fayard, 1966.
312 ZAHAN Dominique, La dialectique du verbe chez les Bambara, Paris, Mouton, 1970.
313 ZAHAN D., Ibid., pp. 15 et sv.
314 GRIAULE M., Ibid, p. 165.
83
dans la société. Il apparaît donc que la parole chez les Africains comprend
plusieurs fonctions allant au-delà de la simple communication315.
Si tel est le statut ontologique de la parole, sa force perlocutionnaire316, faute de se
réaliser dans l’éducation traditionnelle qui a quasiment vécu, est éminemment
agissante aujourd’hui dans l’éducation informelle. « C’est papa qui me l’a dit . C’est
maman qui me l’a dit »... Ces propos souvent exprimés par les enfants ont aussi
leur formulation en termes de révélation d’actions ou d’attitudes. « Sais-tu ce qu’a
fait aujourd’hui le voisin ?.... ». Ils sont tous l’expression de l’impact du dire et du
faire317 des adultes sur les jeunes générations et, partant, de l’importance des
effets de l’informel. Les valeurs humaines et sociales que doivent intérioriser et
approprier les plus jeunes ou les moins jeunes ont pour médiateurs les paroles et
les comportements de la vie de chaque jour, que ce soit au sein de la famille, dans
l’espace public, voire en milieu scolaire. Le danger ici est qu’à travers les dits et
la gestualité, constitutifs de l’éducation informelle, les éduqués s’enferment dans
une vision de la société qui inhibe leur pouvoir d’émancipation, leur processus
d’autonomisation. Ce serait une entrave à la capacité de novation du nouveau venu
dont parle ARENDT et qu’il convient de citer longuement : « Le commencement
inhérent à la naissance ne peut se faire sentir dans le monde que parce que le
nouveau venu possède la faculté d’entreprendre du neuf, c’est-à-dire d’agir [...].
Le nouveau a toujours contre lui les chances écrasantes des lois statistiques et de
315 On retrouve le développement de ce dépassement de la communication dans le rôle de la parole
chez Jean-François LYOTARD. Il dit à ce propos que « la théorie de l’information dans sa version cybernétique triviale laisse de côté un aspect décisif...., l’aspect agonistique...Chaque partenaire de langage subit lors des "coups " qui le concernent un "déplacement", une altération, de quelque sorte qu’ils soient, et cela non seulement en qualité de destinataire et de référent, mais comme destinateur. Ces "coups " ne peuvent pas manquer de susciter des "contre-coups" », « La nature du
lien social : la perspective postmoderne » in La condition postmoderne, Paris, Minuit, 1979, p. 33.
316 Nous l’utilisons selon son acception chez AUSTIN (How to do things with words), reprise par
RICOEUR : « L’acte perlocutionnaire constitue l’aspect le moins inscriptible du discours et caractérise par préférence le discours oral. Mais l’action perlocutionnaire est précisément ce qui, dans le discours, est le moins discours. C’est le discours en tant que stimulus. Ici le discours agit, non par le truchement de la reconnaissance par mon interlocuteur de mon intention, mais en quelque sorte, sur le mode énergétique, par influence directe sur les émotions et les dispositions affectives de l’interlocuteur », RICOEUR P., Du texte à l’action. Essais d’herméneutique II, Paris, Seuil, Coll.
Points Essais, 1986, p. 119.
317 Pour une approche plus développée du lien entre l’action et la parole, on peut se reporter à
Hannah ARENDT, « L’action » in La condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, coll.
Agora, 1983, chap. V.
L’œuvre de Jürgen HABERMAS ( Théorie de l’agir communicationnel ) est également très féconde à
ce propos ; notamment, d’une part, quand il soutient que l’existence humaine est intersubjective et ne
voit le développement du je comme personne qu’au travers de l’action communicative ; et, d’autre
part, par son exposé sur les trois prétentions de validité (vérité objective, exactitude ou congruité
avec les normes sociales et la prétention à l’authenticité) dans la communication. Autrement dit,
« l’interaction humaine au travers des actes de parole inclut la réalité objective comme la réalité subjective et sociale dans une seule et même action ». Cf. LEIRMAN W., « La culture de l’éducation
communicative : être, c’est communiquer, apprendre, c’est dialoguer » in Quatre cultures en éducation : expert, ingénieur, prophète, communicateur, Paris, Peter Lang, 1994, pp. 104-105.
84
leur probabilité qui, pratiquement dans les circonstances ordinaires, équivaut à une
certitude ; le nouveau apparaît donc toujours comme un miracle. Le fait que
l’homme est capable d’action signifie que de sa part on peut s’attendre à
l’inattendu, qu’il est en mesure d’accomplir ce qui est infiniment improbable. Et
cela à son tour n’est possible que parce que chaque homme est unique, de sorte
qu’à chaque naissance quelque chose d’uniquement neuf arrive au monde »318. C’est
l’invitation donc, dans le processus éducatif, à une distance critique par rapport au
sacré de la société, plus particulièrement africaine.
Prégnance de la société d’une part, avons-nous dit, insatisfaction de l’individu,
d’autre part. Car ce que propose la société à l’individu, c’est l’efficacité et la
réussite dans « la lutte avec la nature extérieure »319. Or, l’individu veut plus que
cela. « C’est en lui-même, en son individualité, que l’homme doit trouver un sens à
sa vie, à cette partie de lui-même qui n’est pas soumise au calcul, qui n’est
d’aucune utilité (sinon négative) pour le travail de la société »320. Il a besoin
d’intériorité, concept fondamental dans la définition de la personne. « Et c’est cette
vie intérieure qui constitue en individualité l’individu pour autant qu’il n’est pas pur
facteur de production : l’individu ne découvre un sens à la lutte, - ni à celle contre
la nature extérieure ni à la lutte au sein de la société – que dans la mesure où
cette lutte lui paraît nécessaire afin qu’il puisse vivre pour lui-même selon son
sacré »321.
Ce problème de l’insatisfaction et de la nécessité pour l’individu d’une vie
intérieure peut légitimement être traité dans le cadre de l’oralité, naguère
développée. Mais, compte tenu de l’importance du rôle de l’école dans la division
du travail, il est plus opportun de le mettre en rapport avec la thématique de
l’écriture. Toutefois, son développement ne sera pas dissocié de l’oralité.
4.2- Les « brui ts » de l ’écr i ture dans la construct ion de la personne
Dans la « leçon d’écriture » que nous avons évoquée, Claude LEVI-STRAUSS émet
l’hypothèse que l’écriture « paraît favoriser l’exploitation des hommes avant leur
illumination » et que « la fonction primaire de la communication écrite est de
favoriser l’asservissement »322. Hypothèse que vérifierait, dans l’histoire ancienne
318 ARENDT Hannah, op. cit., pp. 43 et 234.
319 WEIL E., Philosophie politique, Paris, Vrin, 19895, p. 93.
320 Ibid., p. 93.
321 Ibid., p. 93.
322 LEVI-STRAUSS C., Tristes tropiques, Paris, Plon, 1960, p. 354.
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de l’Afrique, la disparition précoce des grandes formations politiques. C’est-à-dire
que, « si l’écriture n’ a pas suffi à consolider les connaissances, elle était peut-
être indispensable pour affermir les dominations »323. Revers de l’écriture dont on
trouve déjà, chez PLATON, le développement. Sa critique dans le mythe de
Theuth324, divinité égyptienne qui découvrit l’écriture, s’inscrit dans le sillage de
l’œuvre de son maître Socrate. En effet, la mission de taon auprès des Athéniens,
que ce dernier affirme avoir reçue des dieux, a été exclusivement réalisée à
travers le registre de l’oralité. C’est dans le face à face de l’interlocution qu’il fait
fonctionner sa méthode : la maïeutique325. L’immédiateté de la dialectique des actes
du discours entre lui et son interlocuteur préserve l’objet mis en examen des
manipulations de sens qui peuvent avoir cours dans les productions scripturaires.
« Que la pensée maîtresse d’elle-même...n’assure sa vérité qu’en se prouvant
universelle et qu’elle en prouve son universalité qu’en se fondant au regard de
toute contestation d’un interlocuteur possible »326. Plus que la psychanalyse de
l’opinion, la révélation de ses failles, la purification des conceptions de ses
interlocuteurs de leur gangue d’imagination, d’habitude et d’obscurité, l’horizon de
sa méthode est d’ordre anthropologique : une vie authentique et vertueuse qui
prend ses distances avec les conformismes sociaux327.
C’est cette finalité anthropologique qui est en jeu dans le susdit mythe. Theuth y
propose au dieu Thamous (le dieu égyptien Ammon, roi solaire et père des dieux)
que l’usage de l’écriture soit communiqué à tous les Égyptiens : « Voici, ô roi, dit
Theuth, le savoir qui fournira aux Égyptiens plus de savoir, plus de science et plus
de mémoire ; de la science et de la mémoire le remède a été trouvé »328. La
réplique de Thamous – exprimée par Socrate dans ce dialogue - à cette
323 Ibid., pp. 354-355.
324 PLATON, Phèdre, Paris, GF-Flammarion, 1997, 274c – 275b, pp. 177-178.
325 Cette méthode consiste en l’interrogation que mène Socrate en feignant l’ignorance. La
manifestation de sa prétendue inscience lui permet d’amener son interlocuteur à découvrir ses
contradictions en utilisant l’antilogie (opposition de discours). Socrate prend l’opinion émise par son
interlocuteur et, faisant semblant de l’adopter, en tire toutes les conclusions jusqu’aux plus
saugrenues. L’interlocuteur s’embarrasse de ses propres déductions et finit par refuser sa propre
définition de départ.
326 CHATELET François, Platon, Paris, Gallimard, 1965, p. 24.
327 Distance par rapport à l’ordre établi, à savoir « ce que chacun dans l’aveuglement de la quotidienneté et de l’existence banale tient pour juste ». Aussi, ce principe de non-conformisme qui
oriente sa vie, va être à l’origine des fausses accusations portées contre lui : « de corrompre la jeunesse, de ne pas croire aux dieux de la cité et de leur substituer de nouvelles divinités ». Socrate
demeurera jusqu’au bout dans sa logique du refus du mimétisme. Il le démontrera lors de son procès
en ne faisant ni recours à aucun des artifices de la défense qui ont cours dans les tribunaux, ni en
optant pour l’une des peines en vigueur (emprisonnement, amende, bannissement). Socrate propose,
eu égard au caractère exemplaire de sa vie, une récompense : « être nourri au prytanée ». La
première citation de ce commentaire est de CHATELET F., op. cit. et les autres de PLATON dans
l’Apologie de Socrate.
328 PLATON, Phèdre, 274e, p. 178.
86
proposition est que l’écriture se situe dans un registre d’extériorité par rapport à
l’individu et qu’elle n’est pas un moyen d’enseignement : « mettant, en effet, leur
confiance dans l’écrit, c’est du dehors, grâce à des empreintes étrangères, et non
du dedans, grâce à eux-mêmes, qu’ils feront acte de remémoration...Lors donc
que, grâce à toi, ils auront entendu parler de beaucoup de choses, sans avoir reçu
d’enseignement, ils sembleront avoir beaucoup de science, alors que, dans la
plupart des cas, ils n’auront aucune science ; de plus, ils seront insupportables
dans leur commerce, parce qu’ils seront devenus des semblants de savants, au
lieu d’être des savants329 ». Il y a lieu de ne pas perdre de vue ici le fait que le
thème du savoir chez Socrate est intimement lié à celui de la vertu. Il ne s’agit pas
d’une pure connaissance intellectuelle mais des acquis qui provoquent chez le
sujet des transformations intérieures, qui lui permettent de « faire œuvre » de lui-
même. C’est un moyen de mise en œuvre du « souci de soi »330.
Même critique de l’écriture qui court de DESCARTES à PESTALOZZI, par
ROUSSEAU interposé, avertissant sur ses dangers dans la mobilisation des
moyens de la liberté chez l’homme et sur le risque de tomber sous l’autorité
d’autrui. Le premier, dans la deuxième partie du Discours de la méthode bien
conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, écrit : « Je pensai que
les sciences des livres, au moins celles dont les raisons ne sont que probables, et
qui n’ont aucunes démonstrations, s’étant composées et grossies peu à peu des
opinions de plusieurs diverses personnes, ne sont point si approchantes de la
vérité que les simples raisonnements que peut faire naturellement un homme de
bon sens touchant les choses qui se présentent ». Écho au « bon sens » qui est
d’un meilleur partage au monde et que peuvent inhiber les écrits d’autrui.
S’investir soi-même dans l’usage de son entendement et de ses propres moyens
dans l’analyse des réalités est gage d’une atteinte authentique de leur vérité.
Et ROUSSEAU de renchérir plus d’un siècle plus tard : « Comme tout ce qui entre
dans l’entendement humain y vient par les sens, la première raison de l’homme est
une raison sensitive ; c’est elle qui sert de base à la raison intellectuelle ; nos
329 Ibid., 275a-b, p. 178. Idée dont s’inspire le commentaire de Laurent CORNAZ : « L’alphabet est une technique diabolique qui met à la portée du premier venu les mots d’un savoir qu’en son âme il n’a pas pensée, une machine à fabriquer des faux sages, des sophistes faisant parade et commerce de mots, une machine à détruire la mémoire, le culte des morts et l’amour des dieux ». in ...avant que d’être hommes, Paris L’Harmattan, coll. Écriture & Transmission, 2000, pp. 48-49.
Le commentaire le plus exhaustif et le plus systématique du Phèdre de PLATON est celui de
Jacques DERRIDA. Il situe dans l’ensemble de l’œuvre de l’auteur les différences acceptions du
concept Pharmakon ( écriture, remède, poison...) et fait ressortir les problématiques auxquelles
donnent lieu les couples de termes opposés (vie/mort, père/fils, bien/mal, soleil/lune...) qui y sont
rattachés. Cf. La pharmacie de Platon in l’édition GF-Flammarion du « Phèdre ».
330 Cf. FOUCAULT M., Histoire de la sexualité, Tome III, Le souci de soi, Paris, Gallimard, 1984.
87
premiers maîtres de philosophie sont nos pieds, nos mains, nos yeux. Substituer
des livres à tout cela, ce n’est pas nous apprendre à raisonner, c’est nous
apprendre à nous servir de la raison d’autrui ; c’est nous apprendre à beaucoup
croire, et à ne jamais rien savoir »331. Proscrire les livres de la vie de l’enfant
jusqu’à douze ans et que le besoin de lecture n’émane que de lui-même, au
moment où il en sent l’utilité332, telle est la position de ROUSSEAU pour préserver
son auto-éducation.
Il ne faudrait pas voir dans ces différentes approches un déni radical de la valeur
de l’écriture333. Elles mettent des balises pour qu’elle ne constitue pas une entrave
au nécessaire travail sur soi dans le processus éducatif. La preuve en est que,
tous ces auteurs, à l’exception de Socrate, ont exprimé leur pensée par l’écriture.
CONCLUSION
L’éducation scolaire n’est qu’un aspect dans le grand spectre des modes par
lesquels l’individu, au sein de sa société d’appartenance, peut advenir à l’humain
de son humanité. Modes qui émargent, pour une grande part, à l’éducation
informelle. Cela nous a amené à montrer que cette dernière ne peut être sous-
estimée sous prétexte de son inorganisation et des circonstances aléatoires de la
production de ses effets. Si la toute-puissance de l’école au service de la
socialisation l’a mise en marge dans les approches de l’éducation, la
reconnaissance de son pouvoir n’est pas moins présente depuis des siècles dans
les approches éducatives de certains auteurs, notamment ROUSSEAU.
L’incursion dans l’histoire de la forme scolaire nous a permis de saisir le fait que
la relégation de l’éducation informelle aux arcanes est contemporaine à la
soustraction des enfants à la rue. Confinement au silence de la seconde que
justifie, par des raisons d’ordre politique et religieux, la légitimité de la première.
C’est également - paradoxe apparent – au nom du politique en Afrique que nous
redonnons voix à l’éducation informelle. En l’accouplant à l’éducation scolaire, en
faisant l’option pour leur dialectique, leur mutuelle fécondation, s’offre alors la
possibilité de comprendre ce qui se noue dans les attitudes des personnes
scolarisées en Afrique. Ni impérialisme de l’école, ni apologie obtus de l’éducation
informelle, telle est la relativisation qui ouvre des voies pour l’analyse de la
331 ROUSSEAU J-J, Émile ou de l’éducation, Paris, GF-Flammarion, 1966, Livre Second, p. 157.
332 Ibid., p. 145.
333 Cf. PLATON, Phèdre, Paris, Gallimard, 276 c-e et n° 459, p. 182.
88
construction de la personne et la quête des moyens pédagogiques dans cette
optique334.
A cette double référence de l’éducation en Afrique nous avons associé oralité et
écriture. Les nombreuses possibilités générées par la « grammatisation de la
parole » dans l’histoire de l’humanité – servante de la pensée critique, antidote au
conservatisme, distanciation, ouverture sur d’autres univers culturels,
« virtualisation de la mémoire, hypertextualisation, déterritorialisation ou
délocalisation du texte »335.... – appellent toutefois un regard critique, quant à son
utilisation dévoyée. Bivalence de l’écriture et partant de l’école qui, à la manière
de la langue d’Ésope, tout en étant un moyen idéologique du colonisateur en
Afrique a généré la prise de conscience des colonisés. Il en est de même pour
l’oralité, qui d’un côté, dans l’éducation informelle, peut enfermer l’individu dans
l’univers clos de sa culture, et de l’autre, dans la synchronie qui la caractérise,
peut aider au travail sur soi de l’éduqué.
Au total, seules une approche globale des modalités éducatives d’une part, et une
posture de vigilance critique par rapport à l’écriture et l’oralité d’autre part,
peuvent concourir à un accompagnement des éduqués - sans aucune prétention de
maîtrise - dans la conquête de leur liberté et de leur autonomie.
334 Nécessité de cette articulation que souligne également Rui CANÁRIO où l’école doit réussir « dans son activité à "transgresser" les frontières traditionnelles du "scolaire" ». Nécessité «d’une vision "écologique" (qui) invite à une convergence et à une articulation de modalités éducatives formelles et informelles, à une articulation entre les activités scolaires et extra-scolaires...De cette synergie entre différentes modalités, institutions....résulte le renforcement du potentiel éducatif de l’environnement local, c’est-à-dire de son "educogénie"». CANÁRIO R., «Un projet pour les écoles
isolées », in Revue Internationale d’Éducation, n° 10 juin 1996, p. 115.
335 Cf. LEVY P., Qu’est-ce que le virtuel ?, Paris, La Découverte, 1995.
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SELECTION BIBLIOGRAPHIQUE COMMENTEE
1. BALLION Robert, Les consommateurs d’école. Stratégies éducatives des
familles, Paris, Stock, 1982. Comme l’indique son sous-titre, cet ouvrage montre
comment l’école, en tant qu’« appareil de définition sociale des individus »
privilégié, conduit les acteurs sociaux, de toutes les couches sociales confondues,
à mobiliser les informations et des tactiques pour bénéficier au mieux de ses
prestations. Stratégies du choix de la meilleure école où entre en jeu la
comparaison de l’enseignement public et privé et où se font également jour les
problèmes et les crises du premier.
2. BERTRAND Yves, Théories contemporaines de l’éducation, Ottawa, Agence
d’Arc, 1993. L’auteur présente sept groupes de théories en éducation. Certaines
mettent l’accent sur la dimension spirituelle de l’homme, sur la personne à
éduquer. D’autres axent leur problématique sur les processus et les moyens de
l’apprentissage, la critique de la société et des institutions et le changement social.
Il marque sa préférence pour « les théories sociales en général et « écosociales »
en particulier. Ces dernières visent à favoriser « chez les étudiants, l’appropriation
d’une compétence fondée sur la compréhension des problèmes écologiques,
sociaux et culturels ».
3. BERGER Peter et LUCKMANN Thomas, La construction sociale de la réalité, Paris,
Méridiens Klincksieck, 1992. Les deux auteurs, en se démarquant des questions
d’ordre méthodologique et épistémologique relatives à la sociologie de la
connaissance, inscrivent leur étude dans une théorie sociologique particulière. Ils
montrent que la sociologie de la connaissance relève de l’empirisme. Ainsi leur
objet d’étude est la réalité de la vie quotidienne. Réalité qu’ils analysent d’un point
de vue objectif et subjectif. Elle comprend le « stock de connaissances commun»
disponible au sein de la société que l’individu intériorise par le biais du langage,
l’intersubjectivité (dans la proximité et l’éloignement), les systèmes de signes et
leurs significations. Ainsi s’opère sa socialisation primaire, celle de l’enfance,
relayée plus tard par la socialisation secondaire. Celle-ci étant l’intériorisation de
« sous-mondes » institutionnels dans lesquels entrent en jeu l’acquisition de
connaissances spécialisées liées à la division sociale du travail. Un des points
intéressants de cet ouvrage est que les développements sur la socialisation
secondaire émigrent du domaine de l’expérience de la vie quotidienne vers les
données qui sont propres aux cadres éducatifs institutionnels. Ce qui offre la
possibilité d’articuler l’éducation informelle et celle de la forme scolaire.
4. BOURMAND Daniel, La politique en Afrique, Paris, Montchrestien, 1997. Cet
ouvrage retrace l’histoire du pouvoir politique en Afrique. L’auteur fait ressortir
les grands traits des multiples « configurations politiques » dans le contexte
précolonial ». Il présente le visage de l’administration coloniale dans son idéologie,
ses stratégies, et les « distorsions » entre les orientations de la métropole et leur
application dans les colonies. Il fait une analyse critique des théories
(dépendantiste, développementaliste, patrimonialisme et la politique par le bas) qui
sont investies dans l’analyse de l’État postcolonial, et il montre comment ce
dernier fonctionne au niveau des institutions et de la gestion du pouvoir. Les deux
derniers chapitres sont consacrés à « l’Afrique dans le système international »,
notamment au passage des rapports franco-africains aux relations multilatérales
et au débat sur les déterminants de la démocratie.
5. CAMILLERI Carmel, Anthropologie culturelle et éducation, Paris, Unesco-
Delachaux & Nestelé, 1985. Discipline profitant de l’ensemble des sciences de
l’homme, elle constitue une référence précieuse pour l’éducation. L’auteur montre
que leur rencontre ne s’est effectuée qu’après le dépassement des obstacles tels
que l’ethnocentrisme culturel et la seule reconnaissance de la « culturelle
promotionnelle », celle de l’école. D’abord aux États-Unis, où ce fut grâce aux
résistances des multiples communautés d’immigrés face à l’idéologie d’une culture
unitaire, le « melting pot ». En Europe ensuite, par l’intérêt porté à l’environnement
social de l’individu à éduquer et qui, en même temps, est une sortie de l’emprise
de la sociologie durkheimienne. Intérêt renforcé par la venue massive des
immigrés des anciennes colonies et qui installa le problème culturel au cœur de
l’éducation. Camilleri analyse les problèmes éducatifs du point de vue de
l’anthropologie culturelle (minorités ethniques, subcultures nationales, culture de
classe, problème linguistique...) tant dans les pays du « Tiers-Monde » qu’en
Occident.
6. CANIVEZ Patrice, Eduquer le citoyen ?, Paris, Hatier, 1990. L’auteur, en ayant
comme fil directeur la notion de discussion, traite la question de la forme
d’éducation qui convient aux démocraties. La réponse qu’il en donne est que
« l’école, dans une démocratie, doit éduquer les citoyens actifs ». Ce type de
citoyen est opposé au citoyen passif. Le premier se limite à l’expression de son
intérêt particulier sur le plan matériel et à l’attachement à ses valeurs morales. Le
citoyen actif, par contre, « pense du point de vue du Tout, comme s’il avait à
gouverner ». Pour éclairer son éducation conséquente, l’auteur fait recours à
Rousseau, Kant, Hannah Arendt et Eric Weil. Ce qui lui permet de développer ce
qui relève de l’universel, du juridique et de la discipline (autorité pédagogique, les
règles institutionnelles), du jugement politique, et de l’action au triple point de vue
de l’expérience humaine, de la transformation de la structure sociale et de
l’institution scolaire. En définitive, cet ouvrage fait le lien entre éducation et
philosophie morale et politique.
7. CHARLOT Bernard, Du rapport au savoir. Eléments pour une théorie, Paris,
Economica, 1997. Contrairement aux sociologies de la reproduction (Bourdieu et
Passeron ; Baudelot et Establet..) et sans sujet (Bourdieu) qui imputent l’échec
scolaire à l’origine sociale et aux handicaps socio-culturels, Charlot fait une
lecture positive de la réalité vécue par les apprenants à partir du concept de
« rapport au savoir ». Approche qui reconnaît la centralité du sujet dans
l’apprentissage et qui met en lumière les différentes figures de l’apprendre où
entrent en jeu la dimension épistémique, identitaire et sociale de ce rapport. C’est
une sociologie du sujet qui « s’approprie le social sous une forme spécifique, y
compris sa position, ses intérêts, les normes et les rôles qu’on lui propose ou
impose ». L’auteur intègre dans son analyse les apports des psychologues (Henri
Wallon, Lev Vygotski) et anthropologues (René Girard) dont les analyses prennent
92
en compte l’Autre, en tant que « partenaire perpétuel du moi dans la vie
psychique ».
8. CNRS, La notion de personne en Afrique Noire, Paris, éd. du CNRS, 1973. Cet
ouvrage rassemble trente-deux études qui sont le fruit d’un colloque auquel ont
participé des chercheurs africains et africanistes. Ces études peuvent être
regroupées en trois groupes principaux. Le premier groupe comprend une
approche critique de la notion de personne en général, les présupposés théoriques
qui sous-tendent son usage et « les limites des analyses de l’École Française de
Sociologie ». Le second adopte une démarche inductive qui, en se référant aux
réalités dans plusieurs ethnies africaines, en dégage une caractéristique commune
à l’ensemble du continent. Le troisième groupe aborde la question du point de vue
ethnographique et dans une démarche comparative. Au niveau des contenus, on
peut retenir entre autres :
- l’individu se définit beaucoup plus par sa position sociale, que par son unité
et son autonomie ;
- contrairement au dualisme corps et esprit dans la conception occidentale de
l’homme, les composantes de la personne sont nombreuses ; on en
dénombre jusqu’à neuf chez certaines ethnies ;
- des versions du mythe d’Er ;
- la place éminente des ancêtres dans la vie de l’individu.
9. DUBAR Claude, La socialisation. Construction des identités sociales et
professionnelles, Paris, Armand Colin, 2000. Le livre de Dubar est une mise en
lumière de la socialisation, associée au concept d’identité qui « est un produit des
socialisations successives », à travers plusieurs disciplines (anthropologie,
psychologie, sociologie et philosophie) et les constructions théoriques de
nombreux auteurs (Piaget, Durkheim, Weber, Hegel, Habermas, Mead, Linton,
Parsons...). Aussi y retrouve-t-on, entre autres, les approches « compréhensive »,
« génétique », « culturaliste », « fonctionnaliste », « interactionniste »,
« communautariste » et « sociétaire ». Il rend compte aussi de la socialisation
professionnelle en recourant à plusieurs modèles.
10. FABRE Michel, Penser la formation, Paris, PUF, 1994. L’auteur fait le constat de
l’inflation de l’usage du mot formation. Usage qui en fait un concept « atopos » qui
oscille entre les sens d’« éducation », d’« enseignement » et d’« instruction ». Tout
l’ouvrage peut être considéré comme la clarification et le développement de ce que
« former » veut dire et dont le substantif est souvent réduit, à tort, au monde de la
profession. Il va le confronter avec chacun de ces trois concepts et montrer
finalement que la formation est le concept le plus totalisant. Aussi substitue-t-il,
au triangle pédagogique classique, le triangle de la formation. Les trois pôles du
premier deviennent dans le second des logiques : logique sociale (situation socio-
professionnelle), psychologique (développement personnel) et didactique
93
(contenus et méthodes). Ce qui lui permet de définir trois types de formation :
professionnelle, psychosociologique (visant le « changement global de la
personne ») et didactique (« centrée sur l’instruction »). Pour montrer toute la
fécondité de son concept, l’auteur déploie des trésors de sa mise en relation avec,
entre autres, la Physique d’Aristote, la « réforme » chez Gaston Bachelard,
l’ontologie de l’existence chez Heidegger, l’expérience dans la Bildung et avec les
histoires de vie. Au terme, il fait une ouverture sur les questions éthiques de la
formation. Ouvrage assez instructif de par la variété des éclairages. Mais nous
nous disons, en définitive, qu’il suffirait de « travailler » la notion d’éducation dans
plusieurs champs philosophiques pour aboutir aux mêmes résultats. Le concept de
« formation » n’est pas plus englobant que celui d’«éducation ».
11. FOUCAULT Michel, Histoire de la sexualité, Tome 3 : Le souci de soi, Paris,
Gallimard, 1984. A partir des textes de la tradition antique classique, entre autres
ceux des épicuriens et stoïciens, l’auteur fait ressortir les transformations dans les
conduites personnelles générées par « l’effondrement de la cité-Etat » et la
complexification de l’espace politique. Au vécu de la morale traditionnelle,
caractérisée par l’attachement de l’individu aux statuts, règles et fonctions, s’est
substituée une nouvelle dont la marque est la culture de l’autonomie, « l’art de se
gouverner soi-même ».
12. GOODY Jack, Entre l’oralité et l’écriture, Paris, PUF, 1993. L’auteur fait
l’historique de l’écriture depuis ses formes graphiques, pictographiques et
logographiques dans différentes aires géographiques du monde jusqu’à ses
systèmes élaborés (consonantique et alphabétique) dont l’écriture cunéiforme
marque le début à partir du IVè millénaire av. J-C. Cette évolution culminerait dans
l’écriture alphabétique. Il montre comment elle a entraîné un grand degré de
formalisation de la pensée, chez les Grecs notamment, et favorisé le progrès dans
divers domaines (mathématiques, médecine...). La grande partie de l’ouvrage est
consacrée à la confrontation de l’oralité et de l’écriture quant à leur spécificité et
leur différence dans le domaine de l’acquisition du savoir, de l’apprentissage, du
rapport au temps et à l’espace et des activités sociales religieuses. Il s’appuie,
pour ce faire, sur les données qu’il a recueillies en Afrique Occidentale et plus
particulièrement chez les LoDagaa du nord du Ghana.
13. GOFFMAN Erving, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Editions
de Minuit, 1975. Définissant les stigmates non pas seulement comme difformités
ou marques corporelles, mais aussi en tant que tares du caractère et
caractéristiques tribales (race, nationalité, religion), l’auteur montre leur incidence
sur l’identité (sociale et pour soi) et les comportements de l’individu.
14. ILLICH Ivan, Une société sans école, Paris, Seuil, 1971. Il déploie sa réflexion
sur sept chapitres qui peuvent être résumés en deux grands pôles : les
déterminations et les incidences sociales et psychologiques essentiellement
néfastes de l’institution scolaire d’une part, et l’indication d’une nouvelle
orientation de l’action éducative radicalement contraire à la pratique courante,
d’autre part. La thèse d’Illich est un réquisitoire implacable contre l’école, l’école
94
de tout temps et de tout lieu. L’école est un mal pernicieux, incapable d’être
génératrice d’une éducation véritable. Elle est un paradigme de la dictature des
institutions modernes. Il montre que tout ce qui laisse une empreinte dans la
mémoire affective, intellectuelle est réalisé en dehors de l’institution scolaire.
Pour lui, la seule alternative pour libérer la société, les marginaux de l’institution
scolaire de la frustration, du complexe d’infériorité, du mauvais infini de la
consommation, c’est d’opérer le meurtre de l’école. Alors, de ses cendres pourront
naître les « réseaux de communications culturelles », la foi en l’homme
épiméthéen. Avec les « réseaux du savoir », « les anti-écoles » (Snyders), chacun,
muni d’un « crédit éducatif » de l’Etat, définit ses propres centres d’intérêt,
s’adjoint à ceux qui partagent le même souci.
15. LAINE Alex, Faire de sa vie une histoire. Théories et pratiques de l’histoire de
vie en formation, Paris, Desclée de Brouwer, 1998. Ouvrage de synthèse sur les
courants et pratique de l’histoire de vie dont les pionniers en France sont Henri
DESROCHE, Gaston PINEAU, Pierre DOMINICE et Guy de VILLERS. « La pratique
de l’histoire de vie...se caractérise par une conception du lien social qui met au
centre la valeur de respect de la personne, capable d’orienter sa vie à partir de
l’assomption des déterminants de sa propre histoire (personnelle et socio-
historique) et leur transformation en projet existentiel socialement inscrit ».
16. LAPASSADE Georges, L’entrée dans la vie. Essai sur l’inachèvement de l’homme,
Paris, Minuit, coll. 10/18, 1963. L’auteur s’appuie sur les travaux, particulièrement
de BOLK qui, à partir des observations biologiques, a développé la notion de
néoténie. Le fait que l’homme vient au monde prématuré. Prématuration
qu’attestent « l’inachèvement de l’organisme à la naissance, la longueur
exceptionnelle de l’enfance humaine, les décalages dans le développement ».
Réalité dans laquelle l’éducation trouve sa raison d’être et qui permet de soutenir
que l’adulte, par rapport à l’enfant, est « l’homme développé et formé ». L’auteur
soutient la thèse contraire : l’adulte est antérieur à l’enfant. Il convoque à
l’occasion, des exemples dans l’évolution des espèces animales, des faits relevant
de la psychanalyse (la névrose comme « un refus d’être adulte ») et s’appuie sur
l’œuvre de certains philosophes. Marx qui « postule la possibilité d’un homme total
à venir », Nietzsche annonçant le surhomme, Kierkegaard avec son « ou bien...ou
bien », Heidegger dans son analyse du « souci » du Dasein. En définitive,
LAPASSADE, affirme l’impossibilité de fixer a priori la nature de l’homme et la
nécessité d’un éclairage multidisciplinaire de sa compréhension. S’il est vrai que
nous ne pouvons pas assurer que l’homme adulte épuise toutes ses possibilités,
doit-on par là affirmer que tous les adultes sont des enfants ?
17. MAFFESOLI Michel, Le temps des tribus. Le déclin de l’individualisme dans les
sociétés de masse, Paris, Méridiens Klincksieck, 1988. Mafesoli récuse les
pensées récurrentes sur le triomphe de l’individualisme et « la fin des idéaux
collectifs ». Partant du concept central de « tribalisme » - une métaphore pour
désigner la multiplicité des micro-groupes dans la vie sociale et qui met en
lumière la « désindividualisation » - il montre que la socialité ne se donne pas à
voir au travers des chapelles conceptuelles des sociologues. Relevant de la vie
95
quotidienne et de la multiplicité des expériences, seule peut en rendre compte une
« sociologie vagabonde » qui puise à divers domaines disciplinaires et types de
documents. Le temps des tribus est synonyme de retour au communautarisme qui
s’inscrit dans le « paradigme esthétique », le fait « d’éprouver et de sentir en
commun ».
18. MANA Kä, L’Afrique va-t-elle mourir ? Essai d’éthique politique, Paris,
Karthala, 1993. L’auteur inscrit sa réflexion dans le cadre théorique développé par
ARENDT dans son livre « La condition de l’homme moderne ». Cadre qui permet
de penser « le rapport entre existence humaine et imaginaire social en temps de
crise ». Il analyse la crise africaine en repérant les mythes (l’Occident, l’identité
culturelle, l’indépendance, le développement, la libération) qui, dans l’imaginaire
africain, constituent des obstacles à l’émergence « d’une nouvelle vie ». L’auteur
propose de nouvelles orientations fondées sur la « logique de l’utopisme » et
nourries par une parole Autre, la Parole de Dieu.
19. MEIRIEU Philippe, DES ENFANTS ET DES HOMMES. Littérature et pédagogie.
1- La promesse de grandir, Paris, ESF éditeur, 1999. Analyse de dix romans dans
lesquels l’auteur pointe, du point de vue éducatif, différents aspects de la
thématique de la construction de la personne.
20. MORIN Edgar, Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Paris, Seuil,
2000. Ouvrage dans lequel on retrouve les filiations avec nombre de thèmes
développés déjà par l’auteur dans son cadre théorique de la « complexité ». Il traite
ici des principes (approche globale et non fragmentaire), des déterminants, de la
nature de vraies connaissances humaines et de leurs écueils, nécessitant ainsi
l’enseignement même « des caractères cérébraux, mentaux, culturels » de leur
procès. L’éducation du futur devra également enseigner ce qu’est l’être humain
dans toute sa complexité. Un élément de l’enseignement de la « condition
humaine » qui s’articule dans la triple polarité individu, espèce et société et qui
doit constituer la base d’une « anthropo-éthique ». Ce qui ne peut être réalisé que
par un regroupement des connaissances sur l’homme dispersées dans plusieurs
disciplines. Cette éducation doit également prendre en compte le fait que le destin
du genre humain est désormais planétaire : « enseigner l’identité terrienne ». Un
autre savoir important de cet ouvrage est la « compréhension » dans son double
niveau intellectuel et intersubjectif. Le but de son enseignement est de juguler
« l’égocentrisme, l’ethnocentrisme, le sociocentrisme et l’esprit réducteur ».
L’auteur s’est seulement préoccupé de contenus. Il ne se prononce pas sur les
modalités de leur gestion dans la relation pédagogique et, partant, des exigences
que cela requiert pour l’éduqué et l’éducateur.
21. MOUMOUNI Abdou, L’éducation en Afrique, Paris, Présence Africaine, 19982.
Écrit à l’aube des indépendances des pays africains, cet ouvrage fait une synthèse
et une réflexion sur l’éducation traditionnelle et l’historique de l’enseignement
colonial du point de vue de son organisation, de son fonctionnement, de ses
orientations idéologiques. Outre les avatars de l’enseignement colonial dans
l’éducation scolaire du moment, il relève les problèmes (organisationnels,
96
pédagogiques, économiques et financiers) de cette dernière. Des constats faits, il
formule les principes généraux et donne des orientations d’ordre pratique pour
une éducation et un enseignement scolaire adaptés aux intérêts et aux aspirations
des peuples africains.
22. N’DA Paul, Les intellectuels et le pouvoir politique en Afrique Noire, Paris,
L’Harmattan, 1987. Définissant les intellectuels comme tous ceux qui, par leurs
discours, leurs écrits et leurs actions (écrivains, enseignants, cadres et
technocrates, étudiants), entendent marquer de leur empreinte l’orientation et
l’organisation de la société, l’auteur montre leur double positionnement par rapport
au pouvoir politique, ici l’État. Soit ils y sont collaborateurs en tant qu’acteurs
dans ses institutions, soit ils s’y opposent. Dans le premier cas, l’auteur présente
leur classification en terme numérique et de statuts (intelligentsia
professionnalisée : médecins, administrateurs, ingénieurs, juristes, commerçants,
enseignants, pharmaciens..., hommes de culture et universitaires, étudiants) depuis
la veille des indépendances. Dans leur participation au pouvoir, ils ne font que
contribuer au « bon » fonctionnement de l’État clientéliste. Dans le second, il fait
état des idéologies politiques dont ils sont les défenseurs : nationalisme,
révolution, socialisme, marxisme, démocratie. Le corpus dominant pour
administrer la preuve à ce niveau est constitué par les productions littéraires. A
notre avis, à voir ce qu’ont été les États africains, depuis les indépendances
jusqu’à l’aurore de la démocratie en 1990, bien des questions se posent sur ce
statut d’intellectuel.
23. PAIN Abraham, Éducation informelle. Les effets formateurs dans le quotidien,
Paris, L’Harmattan, 1990. L’auteur fait remarquer que l’analyse de nombreux
travaux en sociologie de l’éducation révèle la place quasi exclusive accordée à
l’institution scolaire. Or, bien des influences dans l’univers extra-scolaire (médias,
loisirs, environnement, groupe des pairs, cadres professionnels...) produisent dans
la vie des individus des changements de comportements et sont sources
d’acquisition de multiples informations. D’où le concept d’éducation informelle dont
il retrace la trajectoire historique et qu’il caractérise en recourant aux notions
d’événement, de désordre, d’expérience et aux éléments de la vie quotidienne. Des
notions développées à partir des travaux d’Edgar MORIN (Le paradigme perdu) et
Henri ATLAN (Entre le cristal et la fumée). Vu le poids massif de l’éducation
informelle dans la vie de l’individu, l’auteur considère qu’elle doit servir de
« matrice » aux autres modalités éducatives. C’est, en définitive, une réflexion
d’orientation pour « une approche globale de l’éducation », « une sociologie de
toutes les actions éducatives ». Mais les propositions pour la mise en œuvre ne
font pas ressortir clairement et concrètement les éléments de l’ancrage pratique.
24. POPPER Karl, La connaissance objective, Paris, Champs Flammarion, 1991.
Qu’est-ce qui permet la fécondité et le développement de la connaissance ? Telle
est la question à laquelle l’auteur répond en distinguant trois mondes. Le premier
est « le monde physique » ou des « états physiques ». Le « monde 2 » est celui des
« expériences conscientes » ou monde mental. Le troisième enfin est « le monde
des intelligibles », des théories, des argumentations et des situations-problèmes.
97
Des deux premiers relèvent respectivement la théorie de la connaissance du sens
commun et la théorie subjectiviste de la connaissance. Après les avoir critiqués,
l’auteur montre que seul le « monde 3 » permet à la connaissance de progresser.
C’est le monde de la connaissance objective. Ce monde est autonome et est régi
par une « épistémologie sans sujet connaissant ». L’auteur soutient sa thèse en
faisant recours à plusieurs disciplines, dont la biologie et la logique.
25. QUENUM P. Jean-Claude, Interactions des systèmes éducatifs et modernes en
Afrique, Paris, L’Harmattan, 1998. A partir des questionnaires administrés au
Bénin à des villageois vivant en ville ou au village, à ceux qui ont fait des études
résidant au pays (étudiants, fonctionnaires, politiciens, enseignants) et ceux qui
sont expatriés en occident, l’auteur en dégage les axes suivants. L’éducation
scolaire est un facteur de rapprochement des bénéficiaires, d’origines ethniques
différentes, sur la scène socio-politique. En même temps, ils y reproduisent leur
particularité ethnique. Par ailleurs, les influences (parfois occultes) dans leur vie
de la tradition ne cessent pas pour autant. L’auteur constate des faits et ne traite
pas de la spécificité, des déterminants des deux types d’éducation.
26. RICOEUR Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Editions du Seuil, coll. Points
Essais, 1990. Cet ouvrage est un précipité de l’œuvre de l’auteur. Le point de
départ de sa réflexion est l’équivocité des termes « même » (idem) et « soi » (ipse)
en français (ce qui n’est pas le cas en anglais et en allemand) dans l’analyse de
l’identité personnelle et narrative. Il s’agit donc de la problématique de la
permanence de la personne dans le changement. L’auteur la traite en se
confrontant aux philosophies du sujet ou du Cogito (Descartes, Kant, Hegel,
Heidegger, Husserl) et en opérant leur dépassement. « L’herméneutique du soi se
trouve à égale distance de l’apologie du Cogito et de sa destitution ». D’où la
réflexion s’enracine dans le cadre de l’intersubjectivité et, partant, intègre
l’éthique et la philosophie politique. Cet ouvrage mobilise par ailleurs les théories
du langage et de l’action et met en relation les traditions analytique et
herméneutique.
27. RUANO-BORBALAN Jean-Claude, L’identité. L’individu, le groupe, la société,
Paris, Éditions Sciences Humaines, 1998. Cet ouvrage fait le point sur la question
de l’identité, sa construction, ses fondements, sa multiplicité chez l’individu. Il fait
ressortir le rapport entre l’identité et le groupe d’une part, et la société, d’autre
part. Dans le premier cas, il est question notamment des mécanismes
d’appartenance, des socialisations primaires et des logiques communautaires. Le
second traite de la diversité culturelle (« stratégies identitaires des immigrés,
« mécanismes de l’intégration...), de la dimension ethnique (conflits identitaires),
politique et des « nouvelles appartenances ».
28. SIKOUMOU Hilaire, Jeunesse et éducation en Afrique Noire, Paris, L’Harmattan,
1995. L’auteur fonde sa réflexion sur les résultats d’une enquête qu’il a réalisée
dans sept villes du Cameroun auprès de 1285 élèves du secondaire. Résultats qui
font état des défauts du système scolaire (au niveau des enseignants et du
système administratif), ceux des parents et des élèves, de l’inadaptation des
98
programmes scolaires et les remèdes pour palier ces défaillances. Les
commentaires qu’en fait l’auteur se présentent, dans une grande mesure, comme
un procès du fonctionnement de l’école et de l’éducation familiale en Afrique.
Selon SIKOUMOU, l’école comme la famille développent « une culture de
muselage ». La première est un obstacle à la mobilité sociale, dispose des
conditions de travail précaire et souffre de la carence d’une véritable politique. Au
nombre des solutions, il plaide pour l’« enracinement dans la culture ancestrale »,
la sensibilisation aux idées nouvelles, des « programmes ouverts », « une
pédagogie prospective » et la « promotion de l’éducation extra-scolaire ».
29. SNYDERS Georges, École, Classe et Lutte des Classes, Paris, PUF, 1982. Le
livre de Snyders est une excellente synthèse des œuvres de ILLICH I.,
BAUDELOT Ch. et ESTABLET, BOURDIEU P. et PASSERON J.-C. On y retrouve
les contenus des ouvrages des cinq auteurs : « Une société sans école », « L’école
capitaliste en France », « Les Héritiers » et « La Reproduction ». Il en fait aussi la
critique, montrant que l’école ne saurait être le bouc émissaire des problèmes
sociaux. L’école est un microcosme de la société globale. Aussi les sources de
l’inégalité ne sont-elles pas à chercher dans la petite unité qu’elle constitue, mais
dans la société elle-même. Par ailleurs, imputer à l ‘école tous les maux de la
société, c’est méconnaître ses fonctions d’éclairage des consciences, d’illumination
de l’intelligence, d’éveil de l’esprit critique. Toute sa critique pourrait se résumer
ainsi : « L’école , n’est pas le fief de la classe dominante ; elle est terrain de lutte
entre classe dominante et classe exploitée ; elle est le terrain où s’affrontent les
forces de progrès et les forces conservatrices ».
30. STRAUSS Léo et CROPSEY (dir.), Histoire de la philosophie politique, Paris,
Quadrige / PUF, 19943. Cet ouvrage collectif présente la pensée de trente-huit
auteurs. On y retrouve ceux de l’antiquité ( Thucydide, Platon, Aristote...),
d’obédience chrétienne (St Augustin, St Tomas D’Aquin, Luther et Calvin),
musulmane (Alfarabi), juive (Maïmonide) et les grands classiques de la pensée
politique du XVè au XXè ( Machiavel, Grotius, Hobbes, Montesquieu, Rousseau,
Kant, Hegel, Tocqueville, Marx...).
31. TZITZIS Stamatios, Qu’est-ce que la personne ?, Paris, Armand Colin, 1999. A
partir de trois découpages historiques, l’auteur inventorie les philosophes et
présente leurs différentes approches de la personne. En premier lieu, l’époque des
Anciens allant des présocratiques jusqu’à la période des réflexions de la tradition
judéo-chrétienne sur la question. Chez les Grecs, il était moins question de définir
l’homme que de le situer dans l’économie de l’Etre. Quête de sagesse, en
investissant la raison dans l’articulation des exigences de la nature et des
comportements. Par ailleurs, du point de vue politique, l’homme n’est appréhendé
que dans son rapport à l’être social, fondé sur une éthique qui est conformation
aux lois de la cité. Même philosophie de l’être qui va régir l’ouverture vers le
cosmopolitisme avec le stoïcisme. Il fallait attendre le christianisme pour
appréhender la notion de personne dans le sens de dignité. Le second moment
historique est celui de la modernité où l’auteur développe la pensée de Hobbes,
Locke, Kant, Sade et Nietzsche, du point de vue de la phénoménologie de
99
l’existence. Ici, c’est l’homme, en tant que « sujet créateur, cherchant en lui-même
le germe des vérités » de son aventure dans le monde. Rationalisme et
individualisme vont en être le nouveau couple. Le troisième moment, la
postmodernité où l’homme recherche « sa perfection en participant à la totalité »,
c’est-à-dire l’établissement d’un lien nécessaire de son histoire personnelle avec
celle des autres. C’est la philosophie de Kierkegaard, de Karl Jaspers, Jean-Paul
Sartre, Gabriel Marcel, Emmanuel Mounier et Emmanuel Levinas. A l’issue de ce
parcours, l’auteur définit la personne autour de trois éléments : « Mémoire et
intériorité, le cosmopolitisme et l’engagement ontologique ».
100
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