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M1 Physique et Applications MATI ` ERE MOLLE Notes de cours 2017 - 2018 Florence Elias [email protected] 01 57 27 62 50 Document r´ ealis´ e avec l’aide de Fran¸ cois Graner et Evelyne Kolb.

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M1 Physique et Applications

MATIERE MOLLE

Notes de cours

2017 - 2018

Florence [email protected]

01 57 27 62 50

Document realise avec l’aide de Francois Graner et Evelyne Kolb.

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Plan du cours

Chapitre 1 : Les objets mous : introduction qualitative

Chapitre 2 : Interactions entre molecules, surfaces ou particules :van der Waals, electrostatique, DLVO

Chapitre 3 : Une interface : capillarite, loi de Laplace

Chapitre 4 : Stabilite des dispersions

Chapitre 5 : Mouillage, gravite

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Chapitre 1

Les objets mous : introductionqualitative

Les materiaux mous sont tout autour de nous : il s’agit de pate dentifrice, de mayonnaise, demousse de savon, mais aussi de materiaux biologiques (sang, mucus, larmes, tissus biologiques),ou geologiques (dunes de sable ou cours d’eau charges en sediments). Leur etude conduit donc a denombreuses applications industrielles, ou dans le domaine de la biophysique et de la geophysique.D’un point de vue fondamental, nous verrons que le comportement macroscopique tres riche desmateriaux mous a son origine dans des proprietes physiques que l’on peut decrire a plusieursechelles de longueur, du microscopique au macroscopique.

Les objets de la matiere molle possedent des comportements complexes, parfois antagonistes.Un meme materiau, par exemple du dentifrice, de la mayonnaise ou un tas de sable est tantotsolide, tantot liquide en fonction de la contrainte mecanique appliquee. Il peut egalement etretransparent ou turbide selon qu’il est cisaille ou non (comme une solution micellaire).

S’ils sont composes de plusieurs phases, leurs proprietes macroscopiques ne sont pas une simplemoyenne de celles des deux phases : la mousse est blanche alors que l’eau et l’air sont transparentes(proprietes optiques complexes), elle possede une elasticite alors que l’air et l’eau sont fluides(proprietes mecaniques complexes), le son s’y propage a une vitesse de quelques dizaines de metrespar seconde, plus lentement que dans chacune des phases constitutives (proprietes acoustiquescomplexes). Ainsi, les materiaux mous qui font l’objet de ce cours sont egalement appeles fluidescomplexes.

Ce comportement complexe est generalement lie a l’existence de deux phases imbriquees l’unedans l’autre, qui se structurent a une echelle intermediaire entre l’echelle moleculaire et l’echellemacroscopique : la mousse est structuree a l’echelle des bulles, le sang est constitue de globulesrouges en suspension dans le plasma sanguin, le dentifrice est une suspension de grains solidesdans un fluide.

Pour decrire ces comportements complexes, qui sont des etats d’equilibre du systeme, on aurarecours a la thermodynamique (minimisation d’un potentiel thermodynamique).

Les systemes diphasiques possedent beaucoup d’interfaces. Ainsi, la physicochimie, c’est-a-dire la composition chimique du materiau et les proprietes physiques associees, intervient pourcomprendre la stabilite des interfaces.

Parmi les comportements macroscopiques complexes, on attachera une importance parti-culiere au comportement mecanique, qui est principalement celui vers lequel se tournent lesapplications industrielles.

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4 CHAPITRE 1. LES OBJETS MOUS : INTRODUCTION QUALITATIVE

On considerera dans ce cours des phenomenes qui ont lieu sur Terre, a temperature et pressionnormales : T ' 300 K et P ∼ 105 Pa.

L’objet de ce premier chapitre est de dresser un panorama qualitatif de la matiere molle. Ilintroduit des objets mous et leurs classifications, les notions de base et les ordres de grandeur.Tous les elements introduits dans ce chapitre seront par la suite detailles dans les chapitres sui-vants.

Bibliographie classee par niveau : • grand public, •• etudiant-es, •••recherche

• Science et Vie : hors-serie“‘La matiere etrange”, septembre 2004.

• P.-G. de Gennes, J. Badoz, “Les objets fragiles”, Plon Pocket, Paris 1994.

• H. This, “Casseroles et eprouvettes”, Belin, Paris 2002.

• N. Constans, F. Graner, “Comment devenir invisible... et autres experiences a faire chez soi”,Dunod/ La Recherche, Paris 2010.

• R. Lehoucq, J.-M. Courty, E. Kierlik, “Les lois du monde”, Belin, Paris 2003.

•• D. Dusenbery, “Life at small scale”, Scientific American Library, New York (USA) 1996.

•• B. Cabanne, S. Henon, “Liquides : solutions, dispersions, emulsions, gels”, Belin, Paris 2003.

•• I. Hamley “Introduction to Soft Matter”, Wiley, Chichester (UK) 2007

•• R. Jones, “Soft Condensed Matter”, Oxford University Press, Oxford (UK) 2011

•• J. Berg, “An Introduction to Interfaces & Colloids”, World Scientific, 2010

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1.1. STRUCTURE 5

1.1 Structure

1.1.1 Echelles de longueur

Echelle intermediaire :

On distingue trois grandes familles d’echelles caracteristiques :• L’echelle macroscopique : 1− 10 mm : c’est l’echelle humaine, observable a l’oeil nu.• L’echelle microscopique : 0, 1− 10 nm : c’est la taille d’un atome ou d’une molecule.• L’echelle mesoscopique : 0, 1− 100 µm est l’echelle intermediaire entre le niveau des atomes etnotre echelle.

Les materiaux mous possedent generalement une structure interne a l’echelle mesoscopique.Cette echelle intermediaire intervient :• par l’existence de gros objets• par des objets petits qui s’assemblent• par une modulation, a grande echelle, de l’ordre de la structure

Ordres de grandeur :

La taille des objets consideres ici est la suivante :

un atome 10−10 mune molecule 10−9 m

une macromolecule 10−8 − 10−6 mune particule colloıdale 10−8 − 10−6 mune vesicule (liposome) 10−7 − 10−4 m

une cellule 10−6 − 10−4 mun grain 10−6 − 10−3 m

une goutte 10−5 − 10−3 mune bulle 10−5 − 10−2 m

Pour visualiser ces objets on a recours a differentes techniques :

microscopie a force atomique 10−10 − 10−8 m (interaction entre une pointe et un substrat)microscopie electronique 10−8 − 10−6 m

microscopie optique) 10−6 − 10−4 moeil 10−4 − 100 m

Qu’est-ce qui fixe ou limite la taille de ces objets ?

1.1.2 ‘Gros’ objets

Les ‘gros’ objets, c’est-a-dire gros devant la taille atomique. Ces gros objets sont soit desmacromolecules (polymeres, molecules d’ADN, proteines), qui peuvent atteindre des tailles del’ordre du micrometre, soit des incorporations d’une phase (solide, liquide ou vapeur) dans uneautre. On parle alors de milieu divise, parmi lesquels on definit plusieurs sous-groupes.

Cas des milieux divises :

• Les emulsions sont des gouttes liquides dans du liquide,• les mousses liquides sont des bulles d’air dans du liquide,

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6 CHAPITRE 1. LES OBJETS MOUS : INTRODUCTION QUALITATIVE

• les colloıdes sont des grains solides dans du liquide.

La liste des milieux complexes que l’on obtient en dispersant l’une des trois phases (solide,liquide, gaz) dans une matrice (solide, liquide, gaz) se presente sous la forme d’un tableau 3×3 :

dans → : solide liquide gazdisperser ↓ :

solide (micro- ou nano- colloıde (fumee,composite) (granulaire humide) granulaire sec)

liquide gel emulsion (aerosol)

gaz aerogel mousse liquide (melange)(mousse solide)

(poreux)

(en italique, ce qui ne correspond pas a de la matiere molle)

Comme ils sont diphasiques, ces milieux divises sont caracterises par un grand rapport surfacesur volume.

rSoient N objets de taille r dans une matrice.La surface totale de leurs interfaces est S ∼ N r2

Leur volume total est V ∼ N r3

Donc le rapport surface sur volume : S/V = 1/r augmentequand r diminue.

Il y a donc une grande surface dans un petit echantillon, et par consequent une grande energiede surface (qui est l’energie necessaire pour creer une interface).

Ainsi, contrairement aux solides et liquides simples :• la matiere molle contient beaucoup d’interfaces : les proprietes physiques des interfaces jouentdonc un role crucial dans son comportement ;• elle est heterogene aux echelles intermediaires ; d’ou le role de l’imagerie pour l’etudier ;• elle diffuse la lumiere. Il y a perte d’information de direction (par refraction si ce sont des ob-jets plus grands que le micron, par diffraction si c’est plus petit que le micron). Mais attention :trouble ne veut pas dire absorbant ! Le pastis, le brouillard, le lait, la mousse sont des melangesde deux materiaux transparents (donc pas absorbants), mais on ne peut pas voir a travers.

1.1.3 Ordres

Entre le solide cristallin, parfaitement ordonne a l’echelle atomique, et le gaz, desordonne, ilexiste de nombreux etats intermediaires de la matiere, qui se caracterisent par leur degre d’ordremoleculaire.

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1.2. THERMODYNAMIQUE 7

Cas classiques :

• cristal : ordre de translation (position) et de rotation (orientation) des molecules constitutives.Cet ordre est conserve sur de grandes distances (ordre a longue portee).• amorphe (verre ou liquide) : la distance entre atomes (ou entre molecules) est fixee, mais l’ordrede translation et d’orientation chutent exponentiellement sur quelques distances atomiques• gaz : aucun ordre

Combinaisons des cas classiques :

• anisotropie : l’ordre peut decroıtre lentement dans une direction et vite dans une autre• l’ordre de translation peut decroıtre plus (ou moins) vite que l’ordre de rotation• exemple des cristaux liquides : les cristaux liquides nematiques sont constitues de moleculesallongees en forme de batonnets ; ils n’ont pas d’ordre de position (d’ou leur aspect liquide),mais ont un ordre d’orientation : les batonnets s’orientent parallelement les uns aux autres. Lescristaux liquides smectiques ont en plus un ordre de position dans une direction de l’espace : ilsse disposent en couches regulierement espacees dans cette direction, mais restent fluides dans leplan des couches. Voir les schema ci-dessous, ou les batonnets representent des molecules.

r

Cristalliquidenématique

Cristalliquidesmectique

Cas des materiaux mous :

• les fluctuations thermiques deviennent plus importantes que dans un solide dur• l’ordre decroıt alors en loi de puissance• c’est donc un cas intermediaire

1.2 Thermodynamique

1.2.1 Classification : Equilibre et hors-equilibre

Equilibre mecanique :

L’image d’une pomme au fond d’un bol ou d’un.e etudiant.e sur sa chaise sont de bonsexemples de systemes ayant atteint un equilibre mecanique. Il y a plusieurs facons d’exprimer lefait que le systeme est a l’equilibre mecanique :• l’energie du systeme est minimum,• le systeme est au fond d’un puits de potentiel,• les sommes des forces et des moments exterieurs sont nulles.

Dans ce cas, la temperature n’a pas d’effet, autrement dit la profondeur du puits de potentielest� kBT , ou kB est la constante de Boltzmann. Le systeme a relaxe : il a evacue vers l’exterieur,par un mecanisme dissipatif, tout son surplus d’energie.

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8 CHAPITRE 1. LES OBJETS MOUS : INTRODUCTION QUALITATIVE

Equilibre thermodynamique :

L’air de la piece en ete est un systeme a l’equilibre qui ne minimise non pas une energiepotentielle, mais un potentiel thermodynamique comme l’enthalpie libre (si T, P sont fixees) oul’energie libre (si T, V sont fixes).

Dans ce cas, le systeme est en contact avec un reservoir a temperature donnee. L’equilibreest atteint si le flux de chaleur entre le systeme et l’exterieur est nul en moyenne.

L’energie du systeme fluctue dans le puits de potentiel, avec des fluctuations de l’ordre del’energie d’agitation thermique kBT . La distribution de energies est donnee par la distributionde Boltzmann.

Regime permanent, hors-equilibre :

En hiver, l’air de la piece est chauffe : le chauffage fournit au systeme un apport constantd’energie, necessaire pour le maintenir hors d’equilibre. Lorsque le regime est permanent, un fluxd’energie entrant (en general sous forme de travail, comme dans le cas d’un chauffage electrique)equilibre un flux d’energie sortant (sous forme de chaleur, ou de travail qui sera finalementdegrade en chaleur). Il y a beaucoup d’exemples de systemes fonctionnant en regime permanentcomme un moteur de voiture, un cycliste, une cocotte-minute... A vous d’en trouver d’autres !

Inerte et vivant

Un organisme vivant peut etre caracterise comme un systeme hors-equilibre, excitable, quis’auto-reproduit. Notons que ce choix exclut les virus, mais peut inclure un systeme artificiel

1.2.2 Ordres de grandeur

Les systemes de la matiere molle sont au voisinage de l’echelle humaine, du point de vuede leur taille et de leur duree. Ils sont generalement a pression atmospherique, et surtout a

temperature ambiante , Tamb = 300 K

Les variations de temperatures auxquelles ces objets sont exposes sont typiquement de ±30 K(gamme de 0 a 60◦C), soit des variations de ±10% par rapport a la temperature ambiante.

Entropie :

Les objets mous dont il est question dans ce cours sont formes d’un grand nombre de moleculeset soumis aux fluctuations thermiques. L’entropie est donc un parametre important pour decrireleurs proprietes physiques.

• La quantite elementaire d’entropie est la constante de Boltzmann : kB = 1.4 · 10−23 J ·K−1.• L’energie libre correspondante : kBTamb = 4.2 · 10−21 J.• On peut donner la valeur de cette energie en unites microscopiques : 1 eV = 1, 6 · 10−19 J.• 1 kJ.mol−1 = 103 J / 6 · 1023 molecules = 1, 6 · 10−21 J / molecule

• cela donne kBTamb = 1/40 eV = 2,6 kJ.mol−1

kBTamb est l’ordre de grandeur des fluctuations d’energie, appelees fluctuations thermiques,a temperature ambiante. Connaıtre cet ordre de grandeur permet de determiner la cohesion d’unmateriau en fonction de son energie de cohesion. Ainsi, les liaisons covalentes , dont l’energie de

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1.3. PHYSICO-CHIMIE 9

liaison est de l’ordre de 1 eV, soit 40×kBTamb, sont stables vis-a-vis de l’agitation thermique atemperature ambiante. Nous aurons l’occasion de decliner cet argument dans la suite de ce coursen considerant tous les types d’energie de liaisons dans la matiere solide ou liquide.

1.2.3 Susceptibilite

Sous l’effet de la pression du doigt, un gel de gelatine se deforme beaucoup plus qu’un morceaude bois. Les oeufs en neige montent bien mieux si l’ion ajoute une pincee de se aux blancsd’oeuf initiaux. Lorsque l’on prepare une pate a tarte, sa consistance depend beaucoup du petitvolume d’eau qu’on peut ajouter a la fin de la preparation... Les objets de la matiere mollesont caracterises par une grande reponse a une petite sollicitation : on dit qu’ils ont une grandesusceptibilite, la susceptibilite d’un materiau etant le rapport entre la reponse du systeme etl’intensite de la sollicitation exterieure.

Le tableau ci-dessous donne des exemples de parametres qui peuvent avoir une action im-portante sur les proprietes du systeme. N’hesitez pas a completer ce tableau avec vos propresexemples et ceux qui viendront au fur et a mesure du semestre.

augmentation de temperature beurre se ramollitoeuf durcit

mecanique (cisaillement) mousse se liquefie“silly putty” se solidifie

composition mayonnaise prendduree mayonnaise retombe

pH gel gonflefraction d’eau pate a tarte ramollit

ajout de sel blancs en neige un peu de sel : stabilisebeaucoup de sel : destabilise

1.3 Physico-chimie

L’eau entre dans la composition de nombreux objets de la matiere molle : fluides biologiques etgeologiques, aliments, cosmetiques, etc. Il est donc essentiel de connaıtre le detail des interactionsmoleculaires et inter-moleculaire dans l’eau et les solutions aqueuses.

1.3.1 Hydrophiles et hydrophobes

La cohesion des molecules d’eau a l’etat liquide est assure par la liaison hydrogene, qui estune interaction dipolaire, du meme type que l’interaction de van der Waals (que nous decrironsen detail au chapitre 2), mais dont l’intensite est plus importante que celle de l’interaction devan der Waals.

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10 CHAPITRE 1. LES OBJETS MOUS : INTRODUCTION QUALITATIVE

La liaison hydrogene conduit les molecules d’eau a s’organiser en reseau tridimensionnel(chaque molecule forme en moyenne 3,5 liaisons), bien qu’il n’existe pas d’ordre a longue portee.

Toutes les molecules peuvent etre classees, en fonction de leur affinite pour l’eau, en moleculeshydrophiles ou hydrophobes.

Objets hydrophiles = “qui aiment l’eau” :

Les molecules hydrophiles font facilement des liaisons hydrogene. C’est le cas par exempledes sucres, des ions, de la plupart des alcools et de la plupart des molecules ioniques ou polaires.L’energie libre d’un systeme constitue d’eau et de molecules amphiphiles est plus basse lorsquele systeme est melange par rapport au cas ou les constituants (eau et molecules amphiphiles)sont separes : ainsi les molecules amphiphiles se dissolvent bien dans l’eau.

Objets hydrophobes = “qui n’aiment pas l’eau” :

Certaines molecules ne font pas de liaisons hydrogene, comme par exemple les molecules or-ganiques, les huiles, les longues chaınes carbonees (CH2)n ou fluorees (CF2)n, ainsi que beaucoupde molecules apolaires. En leur presence, les molecules d’eau s’orientent en faisant une cage quine pointe jamais vers la molecule hydrophobe : les molecules d’eau s’attirent entre elles, ce quiexclue de facto les molecules hydrophobes. Ainsi, les molecules hydrophobes se dissolvent maldans l’eau.

Les molecules hydrophobes sont generalement lipophiles (“aiment l’huile”).

On trouve parfois dans la litterature la mention de ‘repulsion hydrohobe’. Notons alors qu’ils’agit d’une repulsion effective, due a l’attraction preferentielle des molecules d’eau entre elles ;il n’existe cependant pas de force d’interaction entre une molecule individuelle d’huile et unemolecule d’eau.

1.3.2 Molecules amphiphiles = “qui aime de deux facons”

Structure

Les molecules amphiphiles sont composees de deux parties differentes liees (de facon covalente)dans la meme molecule :

— une partie apolaire, en general une longue chaıne carbonee (donc appelee la “queue”) ,— une partie polaire ou ionique, qui peut etre petite (donc appelee la “tete”).

Ainsi, la meme molecule “aime” et “n’aime pas” l’eau : elle est a la fois hydrophile et hydro-phobe.

Notons que ceci n’est valable que si la molecule est assez grande (i.e. grande devant la tailled’une molecule d’eau). On peut alors faire l’approximation que les interactions hydrophiles ethydrophobes s’ajoutent. 1

`tête’hydrophile `queue’hydrophobe

Représentation(très)schématiqued’unemoléculeamphiphile :

0.19mm2

n × 0.1nm

1. La molecule CH3OH (methanol), par exemple, n’est pas amphiphile car sa partie apolaire (CH3) n’est pasplus grande qu’une molecule d’eau.

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1.3. PHYSICO-CHIMIE 11

Queues hydrophobes :

Ce sont de longues chaınes carbonees componees de n groupements CH2. Elles ont une sectionde 0.19 mm2, et une longueur de n× 0.1 nm. Les queues hydrophobes peuvent contenir deuxchaınes carbonees : dans ce cas la section de la queue est doublee. Si la chaıne est inclinee d’unangle θ, sa longueur projetee est cos θ × n× 0.1 nm.

Tetes hydrophiles :

Les tetes hydrophiles peuvent etre :• non ioniques (mais polaires) ; par exemple OH,• anioniques ; par exemple le SDS (abreviation da Sodium Dodecyl Sulfate) : C12H25SO−3 + Na+

entre dans la composition des produits vaisselle et des savons liquides,• cationiques ; par exemple le DTAN (tete N+(CH3) Br−), savon bactericide• zwitterionique (cation et anion a la fois, total neutre) ; c’est le cas par exemple des phospho-cholines (lecithine), presentes entres autres dans le jaune d’œuf.

Phosphatidylcholine (lécithine) :

Sodiumdodecyl sulfate(SDS)

Source:Wikipedia

Principales applications des molecules amphiphiles

Ajoutees a un liquide ou a un melange eau/huile, les molecules amphiphiles ont pour effet :• d’abaisser (ou d’adapter) la tension de surface :

— aerosols (une faible tension de surface permet de former de petites gouttes)— empecher l’effondrement du poumon (grace au surfactant pulmonaire)

• d’emulsifier l’eau et la graisse :— mayonnaise : lecithine d’oeuf (phosphocholine)— “faux beurre”, “fausse creme” : proteines du lait— pommades, medicaments, cosmetiques : alkyl sulfates

• d’augmenter la viscosite d’une emulsion :— chocolat : lecithine de soja (phosphocholine)

• de jouer sur les proprietes de mouillage d’un liquide sur une surface solide :— rendre mouillant (insecticide)— rendre non mouillant (plumes de canard)

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12 CHAPITRE 1. LES OBJETS MOUS : INTRODUCTION QUALITATIVE

• la formulation de detergents :

— lessive— liquide vaisselle— savon

• de stabiliser des mousses :

— savon— proteines— polymeres

• de stabiliser des films :

— membranes de nos cellules : phospholipides— films de savon.

Principaux types de molecules amphiphiles

detergent lipide proteine copolymere

exemple savon, lecithine ovalbumine (blanc d’oeuf)liq. vaisselle jaune d’oeuf, soja lactoglobuline (lait)

nom alkyl phospho- acides contientsulfate choline amines “poly”

application nettoyage membranes aliments materiaux

mole 300 g 800 g 103 − 5 · 103 g 103 − 106 g

dimensions 0.2 nm2 × 2 nm 0.5 nm2 × 2,5 nm 10 nm2 × 4 nm

1.4 Mecanique

La resistance d’un materiau a une contrainte exterieur, qui se traduit par une rigidite ou parune viscosite, a sa source dans les interactions a l’echelle moleculaire.

Il existe en physique quatre interactions fondamentales : l’interaction electro-magnetique,l’interaction faible, l’interaction forte et la gravitation. En matiere molle, seules jouent les forceselectro-magnetiques (sous leur aspect quantique ou classique). Elles ont pour consequence macro-scopique la cohesion des liquides, la tension de surface, les phenomenes d’adhesion, la capillarite,le mouillage, l’agregation de particules, l’adsorption et la structure des proteines.

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1.4. MECANIQUE 13

1.4.1 Interactions d’origine electromagnetique

Par ordre d’intensite decroissante :

Repulsion sterique “coeur dur” :

• exemple d’effet : contacts entre deux solides• origine : deux nuages electroniques s’interpenetrent tres peu• intensite : bien plus importante que toutes les autres forces en jeu• portee : ∼ 0.05 nm (rayon de Bohr)

Liaison covalente :

• exemple d’effet : rigidite d’un solide• origine : partage d’un nuage electronique entre deux noyaux (ou plus)• energie de liaison : E ∼ 1− 5 eV, ou ∼ 100− 500 kJ/mol• soit E/kB ∼ 40 T ∼ 104 K• portee : ∼ 0.1 nm (liaison carbone)• liaison intra–moleculaire (c’est ce qui definit une molecule)

Liaison ionique :

• exemple d’effet : cristal de sel• origine : deplacement du barycentre d’un nuage electronique entre deux noyaux (ou plus)• energie de liaison : E ∼ 1− 5 eV, ou ∼ 100− 500 kJ/mol• portee : force decroissant en 1/r2, ou r est la distance entre les deux noyaux• liaison inter-moleculaire

Liaison hydrogene (voir Israelachvili) :

• exemple d’effet : forme des proteines• origine : partage partiel d’un proton entre deux molecules• energie de liaison : 0, 1− 0, 4 eV = 10− 40 kJ/mol• soit E/kB ∼ 4T ∼ 103 K• portee : ∼ 0.1 nm• liaison fragile, duree de vie ∼ 10−11 s.• liaison intra- ou inter-moleculaire

Interaction de van der Waals (voir cours ulterieur) :

• exemple d’effet : cohesion d’un liquide• origine : interaction de dipoles electriques• energie de liaison : 10− 25 meV = 1− 2, 5 kJ/mol ∼ kBT• soit E/kB ∼ T ∼ 300 K• portee : force decroissant en 1/r7

• interaction inter-moleculaire

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14 CHAPITRE 1. LES OBJETS MOUS : INTRODUCTION QUALITATIVE

1.4.2 Autres interactions effectives

On appelle interactions effectives les phenomenes qui se traduisent pas des forces qui neresultent pas d’une interaction entre constituants elementaires.

La pression : origine entropique

La pression est une force effective d’origine entropique. En effet, plus les molecules ont deplace disponible, plus elles ont d’entropie de translation, donc moins elles ont d’energie libre, cequi est plus favorable. L’effet de l’entropie de translation est donc toujours repulsif.

A titre d’exemple, la pression d’un gaz parfait, uniquement d’origine entropique, est appelee“pression cinetique”. En effet, en physique statistique, on la relie a la vitesse quadratique moyennedes molecules : ainsi, elle est proportionnelle a la temperature : P = NkBT/V . Autrement dit,P/ρ est egal a la valeur caracteristique kBT

Interactions hydrophiles et hydrophobes

Pour minimiser l’effet sur le reseau des molecules d’eau, deux objets hydrophobes places dansl’eau s’attirent. De meme, deux objets hydrophiles places dans l’eau s’attirent (en gardant chacunautour de lui une couche monomoleculaire d’eau). Un objet hydrophile et un objet hydrophobeplaces dans l’eau tendent a se repousser. Ces interactions sont bien reelles, mais leur explicationest encore controversee (voir bibliographie, y compris Israelachvili).

Forces dissipatives

Exemple : frottements solides ou liquides (viscosite). Les forces dissipatives resultent d’untransfert d’energie vers d’autres degres de liberte (l’energie n’a pas ete “dissipee” mais trans-formee, en chaleur par exemple).

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Chapitre 2

Interactions entre molecules,surfaces ou particules

- Interactions de van der Waals- Interactions electrostatiques dans l’eau- Theorie DLVO

Bibliographie classee par niveau : • grand public, •• etudiant-es, •••recherche

•• eds. M. Daoud, C. Williams, “La juste argile”, Editions de Physique, les Ulis, 1995.- voir pp. 88-100 : le mieux resume, le plus clair.•• “Intermolecular and surface forces”, J. Israelachvili, 2d ed., Academic Press, London 1992.- la partie sur van der Waals, electrostatique, DLVO est probablement la meilleure partie de celivre- origine physique de vdW : pp. 83 - 108- forces entre surfaces : 139 - 259 : c’est un tres gros chapitre !•• B. Diu, C. Guthmann, D. Lederer, B. Roulet, “Physique statistique”, Herrmann, Paris, 1989.- pour l’equation de Poisson-Boltzmann et la longueur de Debye•• “Physique des polymeres et membranes biologiques”, L. Auvray, J. Charvolin, F. Devreux,J.-L. Dimicoli,

Cours de l’Ecole Polytechnique, 2001.- pour la constante de Hamaker•• C. Cohen-Tannoudji, B. Diu, F. Laloe, “Mecanique quantique”, Herrmann, Paris, 1973.

Tome II, complement CXI

- pour le calcul quantique des interactions de London - van der Waals•• F. Graner, R. Kaiser, A. Marchand, T. Salez, “Petits problemes de physique : du quotidienau laboratoire”, Dunod, Sciences Sup, Paris, 2011 Nouvelle edition revisee de ”Petits problemesde physique”.- pour le calcul semi-quantique des interactions de London - van der Waals•• M. Bertin, J.-P. Faroux, J. Renault, “Elactromagnetisme 1”, Dunod.- pour le calcul des interactions de van der Waals ab initio

15

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16 CHAPITRE 2. INTERACTIONS ENTRE MOLECULES, SURFACES OU PARTICULES

2.1 Interaction de van der Waals

L’interactions de van der Waals est une interaction entre dipoles electrostatiques, attractive,qui s’exerce entre toutes les molecules de meme nature, qu’elles soient polaires ou non polaires.Son intensite decroıt (en valeur absolue) lorsque la distance distance entre molecules augmente.L’attraction de van der Waals est responsable de la cohesion des liquides. Cependant elles peutegalement s’exercer entre les molecules d’un gaz, modifiant l’equation d’etat du gaz par rapporta celle des gaz parfaits PV = nRT (avec P la pression, n le nombre de moles de gaz, V le volumedu gaz, T sa temperature et R la constante des gaz parfaits), qui devient : (P+na/V 2) (V −nb) =nRT , ou a est un terme de cohesion, b un terme de volume exclu. Nous allons ci-dessous detaillerl’origine de l’interaction de van der Waals a l’echelle microscopique, puis a l’echelle mesoscopique.

2.1.1 Les differents types d’interaction electrostatique

A l’echelle microscopique, les differents types d’objets sont :

• des ions,

• des atomes,

• des molecules (qui peuvent etre chargees, polaires ou non polaires).

Ces objets interagissent entre eux. Les differents types de liaisons dependent du rapportentre leur distance d et leur taille caracteristique (i.e. la taille caracteristique de leur nuageelectronique) : le rayon de Bohr a0 = 0.53 A :

• d ∼ a0 : liaison covalente (mise en commun d’un electron), responsable de la formation desmolecules,

• d� a0 : interaction electrostatique, qui depend de la nature des objets :

- interaction charge/charge,

- interaction charge/dipole,

- interaction dipole/dipole,

- etc...L’interaction de van der Waals est une interaction dipole/dipole, entre molecules non chargees.

Un dipole electrostatique naıt d’une repartition de N charges qi (avec i = 1, ..., N) dansl’espace, placees chacune a la position ~ri. Le moment dipolaire est alors ~p =

∑i qi~ri : ~p 6= ~0 lorsque

le barycentre des charges positives ne coıncide pas avec le barycentre des charges negatives. Ondistingue deux types de dipoles electrostatiques :

• le dipole permanent : ~p 6= ~0 (molecules polaires)

• le dipole instantane ou dipole induit (molecules non polaires) : 〈~p〉 s’annule lorsque sa valeurest moyennee dans le temps, mais il existe a chaque instant des fluctuations de la repartitionspatiale des charges, de sorte que ~p(t) 6= ~0 a un instant donne (dipole instantane). Une moleculenon polaire peut egalement se polariser lorsqu’elle est placee dans un champ electrique exterieur,par exemple lorsqu’elle se situe a proximite d’une molecule polaire (dipole induit).

Cette distinction amene a identifier trois type d’interaction dipolaire : l’interaction entre deuxdipoles permanents (interaction de Keesom), l’interaction entre dipole permanent et dipole induit(interaction de Debye), et l’interaction entre deux dipoles instantanes (interaction de London).

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2.1. INTERACTION DE VAN DER WAALS 17

2.1.2 Interaction dipole permanent / dipole permanent (Keesom)

~d~pA

~pB

La force d’interaction entre deux dipoles permanents ~pA et ~pB distants de ~d depend desdirections relatives de ~pA, ~pB et ~d. Si les dipole sont fixes, l’energie potentielle d’interaction est :

W (~pA, ~pB , ~d) = − 1

4πε0d 3

[3

( ~pA · ~d ) ( ~pB · ~d )

d 2− ~pA · ~pB

]= − pA pB

4πε0d 3( 3 cos θA cos θB − cos θ ) ,

ou θA est l’angle entre ~pA et ~d, θB est l’angle entre ~pB et ~d, et θ est l’angle entre ~pA et ~pB . Ainsi,W (~pA, ~pB , ~d) peut etre positive ou negative en fonction des directions relatives de ~pA, ~pB et ~d,ce qui signifie que l’interaction peut etre repulsive ou attractive.

Sous l’effet de l’agitation thermique, les directions relatives changent a chaque instant. L’ex-pression ci-dessus doit donc etre moyennee sur tous les angles θA, θB et θ. Cependant, a causede l’attraction, les directions relatives ne sont pas equiprobables. En tenant compte de la distri-bution de probabilite des orientations relatives (loi de Boltzmann) et de la permittivite relativedu milieu ε on trouve la force d’interaction moyenne et on en deduit l’energie d’interaction deKeesom : 1

WK = − p2A p2B

3d 6(4π ε0 ε)2 kB T

Notons que : WK ∝ −1/d 6 : plus la distance entre molecules d est petite, plus WK est petit,ce qui traduit une interaction attractive entre molecules.

2.1.3 Interaction dipole permanent / dipole induit (Debye)

Soit A une molecule (ou un atome) polaire, et B une molecule ou atome apolaire. Le dipolepermanent A cree sur le dipole induit B, place a distance d, un champ electrique en :

EA(d) ∝ pA(t)

ε0d3

(pour l’expression vectorielle, se rapporter a l’expression du champ du dipole).

L’atome B acquiert, sous l’influence de ce champ, un dipole δ~pB . Dans une approximationlineaire, le dipole induit est proportionnel au champ. On introduit donc une constante de pro-portionnalite, appelee la polarisabilite de l’atome B αB :

δ~pB = ε0αB~EA(d).

αB a la dimension d’un volume. Son ordre de grandeur est αB ≈ a30, ou a0 est le rayon du nuageelectronique de B (rayon de Bohr). 2

L’energie d’interaction entre les deux dipoles est donc :

WD = −δpB EA(d) = − ε0αB p2A

(4πε0 ε)2d 6.

1. Pour le calcul complet, voir par exemple le livre d’Israelachvili.2. Attention : selon les livres, on convient d’incorporer ou non le terme ε0 dans α.

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18 CHAPITRE 2. INTERACTIONS ENTRE MOLECULES, SURFACES OU PARTICULES

2.1.4 Interaction dipole induit / dipole induit (London)

A et B sont maintenant tous deux des atomes apolaires. Si la molecule ne possede pas dedipole permanent, c’est que, spontanement, la moyenne temporelle du dipole est nulle : 〈~p〉 = 0.En revanche sa valeur instantanee ~p(t) n’est pas constamment nulle : a l’instant t, on a ~pA(t) 6= ~0.Le dipole A cree donc un champ electrostatique instantane, qui polarise B : le dipole induit ~pB(t)est donc correle avec le dipole ~pA(t) : il en resulte une energie d’interaction non nulle.

Le calcul de cette energie d’interaction est quantique : il est du a London (1936). 3 On peutneanmoins retrouver son expression en utilisant un argument “avec les mains” :• a l’instant t, on a pA(t) 6= 0.• Le dipole instantane A cree un champ electrostatique instantane. A la distance d de A :EA(d) ∝ pA(t)/(ε0 d

3).• Le champ EA(d) polarise la molecule B situee a la distance d : B acquiert un dipole induit

δ~pB = ε0 αB~EA(d).

• A son tour, B cree un champ que subit A, qui va creer un dipole supplementaire δ~pA ∝αAδpB/d

3.• Ainsi, l’energie d’interaction entre les dipoles sera de l’ordre de 〈δpA(t)δpB(t)〉 /d 3 6= 0.

Plus precisement :

WL = −cstαAαB

d 6,

ou la constante est de l’ordre de l’eV.

2.1.5 Interaction de van der Waals

Ces trois interactions sont toutes attractives, et la valeur absolue de chaque energie associeedecroıt en 1/d 6. L’energie d’interaction de van der Waals est la somme de ces trois energiesd’interaction dipolaire :

WvdW = WK +WD +WL = −CK

d 6− CD

d 6− CL

d 6

soit

WvdW = − Cd 6

La figure 2.1 donne la contribution de chacune de ces trois interactions a l’energie de van derWaals pour plusieurs atomes ou molecules.

2.1.6 Discussion

L’interaction de van des Waals est universelle :• elle concerne tous les atomes et toutes les molecules• son ordre de grandeur, a la distance 2a0 (ou a0 est le rayon de Bohr), est de l’ordre de 1/64eV, comparable a kBT• la force qui en derive est en 1/d 7

• elle est toujours attractive !

3. Pour les details, voir Cohen-Tannoudji, Tome II, complement CXI . Le calcul est resume dans Israelachvili.

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2.1. INTERACTION DE VAN DER WAALS 19

18

L'interaction de van der Waals

La résultante des interactions de Keesom, Debye et London constitue l'interaction dite de van

der Waals (interaction dipôle-dipôle moyennée en orientation). L'énergie correspondante est

en r-6 (dans le cas simple où l'interaction dispersive n'est pas retardée), le poids relatif des

différents termes dépend de la polarisabilité des molécules et de la présence éventuelle de

dipôles permanents.

Contributions à l'interaction de van der Waals

Les moments dipolaires sont exprimés en Debye, les polarisabilités en 10-30 m3.

Chaque interaction apparaît comme:

<W> 6r

C!= les valeurs de C sont en unité 10-79 J.m-6

Molécule Polarisabilité

" / 4#

Dipôle

permanent

C (Keesom)

$ p4

C (Debye)

$ p2 "

C (London)

$ "2

% London

Ne 0,39 0 0 0 4 100

CH4 2,60 0 0 0 102 100

HCl 2,63 1,08 11 6 106 86

HBr 3,61 0,78 3 4 182 96

HI 5,44 0,38 0,2 2 370 99

CH3Cl 4,56 1,87 101 32 282 68

NH3 2,26 1,47 38 10 63 57

H20 1,48 1,85 96 10 33 24

Référence: livre d'Israelachvili

Consulter aussi la discussion sur l'eau et son dipôle dans le livre Cabane-Hénon.

Attention, la polarisabilité est définie ici homogène à un volume.

Figure 2.1 – Contributions a l’interaction de van der Waals (Reference : livre d’Israelachvili)

L’interaction de van der Waals a des limites de validite :

• A courte portee, elle devient negligeable devant larepulsion de cœur dur, tres repulsive, modelise par unevariation en 1/d 12. La somme de l’attraction de van desWaals et de la repulsion de cœur dur est appelee le poten-tiel de Lennard-Jones :

WLJ ∝(a0d

)12−(a0d

)6.

~d~pA

~pB

WLJ

d

/ 1/d 12

/ �1/d 6

• A grande distance, (d > λ = c/ν, longueur d’onde correspondant a la frequence propre dunuage electronique, typiquement 100 nm – c est la celerite des ondes electromagnetiques), il fauttenir compte du temps fini que met le champ electrique a se propager. Il y a donc un terme deretard, et l’energie devient un peu plus faible : W ∼ −1/d 7 (force en 1/d 8).

En conclusion, la variation enWvdW ∝ −1/d 6 est valable dans un certain domaine de validite :pour a0 � d� λ, soit de 0,5 A a 100 nm environ pour les atomes.

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20 CHAPITRE 2. INTERACTIONS ENTRE MOLECULES, SURFACES OU PARTICULES

2.2 Interaction de van der Waals au niveau mesoscopique

L’interaction de van der Waals existe entre atome ou entre molecules. Elle se manifesteegalement a l’echelle mesoscopique, par exemple entre des particules solides en suspension dansun liquide, entre les gouttelettes d’une emulsion, entre les bulles d’une mousse... Nous allons dansce paragraphe nous interesser a cette echelle mesoscopique.

2.2.1 Trois milieux

Considerons trois milieux, separes par deux interfaces planes, regulieres, paralleles et distantesde D. Les milieux 1 et 3 sont semi-infinis ; le milieu 2, d’epaisseur D, est pris en sandwich entre1 et 3, et les surfaces des interfaces en regard sont S � D2. On cherche a calculer la contributionde l’energie de van der Waals a l’energie de ce systeme.

1 2 3

D

Pour decrire un grand nombre d’atomes en interaction, on utilise le principe de superposition.On somme les energies d’interaction de van der Waals sur toutes les paires d’atomes (A, B)presentes dans le systeme :

W (D) =∑(A,B)

W (A,B)

Autrement dit on integre sur tout le volume de la matiere. 4 On trouve :

W (D) = (WV 1 +WV 2 +WV 3) + (γ12 + γ23)S + P123(D)S.

• Le premier terme du terme de droite, (WV 1 +WV 2 +WV 3), correspond aux sommes des in-teractions entre atomes (ou molecules) d’un meme milieu : A et B appartiennent tous deux soitau milieu 1, soit au milieu 2, soit au milieu 3. Ce terme represente la cohesion de volume : il estfixe, si les volumes sont fixes.

• Le deuxieme terme, (γ12 + γ23)S, correspond aux cas ou A et B sont dans deux milieuxdifferents mais voisins (A dans 1 et B dans 2, ou A dans 2 et B dans 3). Ce terme est doncproportionnel a la surface de separation S : il s’agit du terme de tension de surface.

• Le troisieme terme, P123(D)S, decrit l’interaction entre les milieux 1 et 3, separes par le film 2d’epaisseur D. Il est donc egalement proportionnel a la surface de separation S. Par definition,il tend vers zero lorsque D → ∞, puisque les atomes (ou molecules) du milieux 1 et ceux dumilieu 3 sont trop eloignes pour interagir. Donc P123(D) represente la difference d’energie par

4. Notons que dans ce cas, il est bien utile de decrire les interactions par l’energie d’interaction (et non parles forces) car il suffit alors d’integrer un scalaire dans l’espace. On peut ensuite prendre le gradient de l’energiecalculee pour obtenir la force entre objets mesoscopiques.

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2.2. INTERACTION DE VAN DER WAALS AU NIVEAU MESOSCOPIQUE 21

unite de surface entre le cas ou il existe un film fini d’epaisseur D, et le cas ou l’epaisseur du filmest macroscopique : 5

P123(D) =W (D)−W (D →∞)

S

P123(D) s’exprime en J ·m−2, ou N ·m−1. Apres integration des interactions de l’energie d’inter-action dipolaire de van dew Waals, on trouve :

P123(D) = − A123

12πD2

La grandeur A123 est la constante de Hamaker des milieux 1 et 3 separes par 2. Elle est homogenea une energie. 6 Elle peut etre positive ou negative :- si A123 > 0 alors P123(D) < 0 : l’interaction entre les milieux 1 et 3 separes par le milieu 2 estattractive.- si A123 < 0 alors P123(D) > 0 : l’interaction est repulsive.

Pression de disjonction :La derivee de P123(D), Π = −dP123/dD est appelee la pression de disjonction.Elle s’exprime en N ·m−2, donc en Pa : elle est bien homogene a une pression.Elle peut etre positive ou negative : une pression positive correspond a une interaction repulsive :l’interface 1-2 et l’interface 2-3 tendent a s’ecarter ; au contraire, une pression negative traduitune interaction attractive : les interfaces ont tendance a se rapprocher.

2.2.2 Constante de Hamaker

La constante de Hamaker A123 depend du contraste de polarisabilite entre les milieux 1, 2 et3. Elle depend aussi de la densite des trois milieux : 7

A123 ≈ cst(ρ3α3 − ρ2α2)(ρ1α1 − ρ2α2)

ou ρi est le nombre d’atomes (ou molecules) par unite de volume du milieu i. On peut distinguerplusieurs cas, suivant la nature des milieux 1, 2 et 3.

Cas 1 = 3 : Dans ce cas :

A121 ≈ cst(ρ1α1 − ρ2α2)2 > 0,

ce qui signifie que l’interaction entre deux milieux identiques separes par un film d’un milieu

different est toujours attractive : qui se ressemble s’assemble !

• Si 1 = 3 = solide : deux particules solides en suspension dans un liquide on tendance a secoller entre eux. La formation d’agregats peut destabiliser une suspension colloıdale, en separantla phase solide de la phase liquide. Pour maintenir la stabilite du colloıde, il faut donc introduireune repulsion supplementaire entre particules pour compenser l’attraction de van der Waals etmaintenir les particules en suspension.• Si 1 = 3 = air : un film mince d’eau (en contact avec un reservoir macroscopique) entre deuxphases d’air tend a s’amincir. De meme, tout film mince est instable vis-a-vis de l’interaction devan der Waals et doit donc etre stabilise par un autre mecanisme.

5. Notons que cette expression est valable si le milieu 2 est en equilibre avec un reservoir de volume, ce quipermet de considerer que l’on peut ecarter ou rapprocher les milieux 1 et 3 en maintenant le volume du milieu 2constant.

6. le facteur 12 est la pour des raisons historiques (et de facilite de calculs d’integration).7. Voir le cours d’Auvray pour plus de details.

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22 CHAPITRE 2. INTERACTIONS ENTRE MOLECULES, SURFACES OU PARTICULES

Cas ou 2 est du vide ou une phase vapeur (de l’air par exemple) :ρ2α2 � ρ1α1 et ρ2α2 � ρ3α3, donc

A1/vide/3 = A13 ≈ cst(ρ1α1ρ3α3) > 0.

Deux masses separees par un film d’air (en contact avec un reservoir macroscopique) tendent ase rapprocher, c’est toujours attractif.

Remarque : A1/vide/3 est note simplement A13, et A1/vide/1 est notee A1.

Cas ou 3 est une phase vapeur (ex : air) :ρ3α3 � ρ1α1, ρ2α2, donc

A12v = cst ρ2α2(ρ2α2 − ρ1α1).

Si le substrat est plus polarisable que le liquide : (ρ1α1 > ρ2α2), alors A12v < 0 : l’energie decroıtavec D, le film (en contact avec un reservoir macroscopique) a tendance a s’epaissir : le film estepais, on dit que le liquide mouille le substrat. Dans le cas contraire, ou le substrat est moinspolarisable que le liquide, le film a tendance a s’amincir et disparaıtre : c’est un cas de nonmouillage.Exemples :- le teflon (assez peu polarisable) n’est mouille presque par aucun liquide usuel,- l’helium liquide (extremement peu polarisable), mouille tous les substrats (meme le teflon),sauf le cesium.

Ordres de grandeur :

- retenir A ∼ 10−19 − 10−20 J, a comparer kBT .

- si 1 = 3 = materiau organique, et 2 = eau : A1/eau/1 ≈ 0, 3− 1, 5 · 10−20 Jle teflon a l’une des plus petites valeurs

- si 1 = 3 = materiau organique, et 2 = air : A1/air/1 ≈ 4− 8 · 10−20 Jici encore, l’un des plus petits est le PTFE = teflon, A = 3, 8 · 10−20 J

- cas des metaux : c’est a peu pres pareil dans l’air ou dans l’eau, A1/eau−air/1 = 20−50 ·10−20J.

2.2.3 Autres geometries

• Deux spheres de rayon R- calcul de Derjaguin (ou Deryaguin), avec pas mal d’approximations, on se ramene aux plaques- on trouve cette fois une dependance en 1/D :

W (D) = − A12

R

D

- donc cette fois c’est la force qui est en 1/D2

- domaine de validite : a0 � D � R (pour R pas plus grand que 100 nm)- remarque (importante pour les colloıdes) : quel que soit R, a la limite de validite = distanceD de l’ordre de R, on reste de l’ordre de kBT

• 2 films d’epaisseur e, distants de D (ex : deux bicouches lipidiques) :

W (D) = − A

12π

(1

D2− 1

(D + e)2+

1

(D + 2e)2

)

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2.2. INTERACTION DE VAN DER WAALS AU NIVEAU MESOSCOPIQUE 23

5

Constantes de Hamaker A131 > 0

Milieu 1 Milieu 3 Milieu 1 A131 en 10-20 J Air Eau Air 3.7 Pentane Eau Pentane 0.28 Octane Eau Octane 0.36 Dodécane Eau Dodécane 0.44 Hexadécane Eau Hexadécane 0.49 Eau Hydrocarbone Eau 0.3 – 0.5 Polystyrène Eau Polystyrène 1.4 Quartz fondu Eau Quartz fondu 0.63 Quartz fondu Octane Quartz fondu 0.13 Téflon Eau Téflon 0.29 Mica Eau Mica 2.0 Al2O3 Eau Al2O3 4.2 n- ZrO2 Eau n- ZrO2 13 TiO2 Eau TiO2 26

Constantes de Hamaker A132 Milieu 1 Milieu 3 Milieu 2 A132 en 10-20 J Eau Pentane Air + 0.08* Eau Octane Air + 0.51 Octane Eau Air - 0.24 Quartz fondu Eau Air - 0.87 Quartz fondu Octane Air - 0.7 Quartz fondu Tétradécane Air - 0.4 CaF2, SrF2 He liquide Vapeur - 0.59 Source, Israelachvili Figure 2.2 – Quelques valeurs de constantes de Hamaker (Reference : livre d’Israelachvili)

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24 CHAPITRE 2. INTERACTIONS ENTRE MOLECULES, SURFACES OU PARTICULES

• Geometries variees : voir Fig. 2.3

26

Interactions (et non force ) dans l'approximation de Derjaguin Origine: Israelachvili

Interaction entre deux atomes (exact)

2 sphères

Atome-surface (exact) Sphère-surface

Cylindres parallèles

Cylindres croisés Demi-espaces (exact) Par unité de surface

Figure 2.3 – Interactions (et non force ) dans l’approximation de Derjaguin (Reference : livred’Israelachvili)

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2.3. ELECTROSTATIQUE DANS L’EAU 25

2.3 Electrostatique dans l’eau

2.3.1 Introduction

Pour ioniser un atome, il faut lui fournir une energie au moins egale a son energie d’ionisation.L’energie qu’il fait apporter pour arracher un electron a une atome dont le noyau contient Ncharges est

Ei 'Ne2

4πε0 a0,

ou e est la charge de l’electron et a0 est le rayon de Bohr.Dans l’air Ei ' 1 eV = 40 kBT : il est tres couteux de dissocier des ions, et donc la matiere

reste neutre. En revanche, dans l’eau, qui possede une forte permittivite dielectrique (ε = 80),l’energie d’ionisation devient

Ei 'Ne2

4πε0ε a0∼ kBT.

Dans l’eau, l’agitation thermique suffit a dissocier les molecules en ions : l’eau contient un grandnombre de charges mobiles.Par exemple l’eau salee provient de la dissociation de cristaux de selNaCl en ions Na+ + Cl−.

Des surfaces peuvent egalement se charger dans l’eau, par dissociation de molecules en surface(acides, ou SiO2) : ainsi, il peut y avoir des objets mesoscopiques (comme des particules), chargesen surface, en suspension dans l’eau.

2.3.2 Debye

Position du probleme

Pour decrire l’interaction entre objets mesoscopiques ou macroscopiques charges en surfacedans l’eau, nous allons calculer le potentiel electrostatique cree par une surface chargee dansl’eau, puis l’energie d’interaction d’une autre surface chargee placee dans le potentiel cree par lapremiere surface.

Commencons donc par considerer une seule surface charge (positivement, par exemple), telleque schematisee ci-dessous.

Surfacechargée

eau

xO

+++++++++++

+

+

+ +

++

+

+

+-

-

-

-

---

--

--

-

-

Comme le systeme total doit etre electriquement neutre, l’eau doit contenir un surplus decharges negatives (les contre-ions), qui compensent la charge de surface. La surface, chargeepositivement, attire les contre-ions, qui dont donc plus nombreux dans le voisinage de la sur-face chargee. Nous allons montrer que la concentration de contre-ions est plus importante dansune couche d’epaisseur bien determinee autour de la surface. Il y a donc pres d’une surfaceelectriquement charge dans l’eau une double couche (double couche de Gouy-Chapman) : unesur la surface (couche de charges de surface), et une dans l’eau (couche de contre-ions).

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26 CHAPITRE 2. INTERACTIONS ENTRE MOLECULES, SURFACES OU PARTICULES

Mise en equation

La surface chargee cree dans l’eau au point ~r un potentiel electrostatique ψ(~r), ou ~r est repereepar rapport a une origine a la surface de la particule.Dans l’eau sont presents :• des cations de charge q+ = +Ze, a la concentration c+(~r), et• des anions de charge q− = −Ze, a la concentration c−(~r).

Les concentrationsc+(~r) et c−(~r) ne sont pas constantes : elles sont ponderees par le facteurde Boltzmann exp(−Ui(~r)/kBT ), ou Ui = qiψ(~r) est l’energie de la charge qi placee dans lepotentiel electrostatique ψ(~r). Ainsi :• c+(~r) = c+o exp(−Zeψ(~r)/kBT ), et• c−(~r) = c−o exp(Zeψ(~r)/kBT ),ou c+o et c+o sont des constantes.

La densite volumique de charges dans l’eau est :

ρe(~r) = q+c+(~r) + q−c−(~r)

= Ze c+o exp(−Zeψ(~r)/kBT )− Ze c−o exp(Zeψ(~r)/kBT )

Loin de la paroi, l’effet de la surface chargee ne se fait plus sentir : ψ(∞) = 0, ρe(∞) = 0.Ainsi, c+o = c−o = co, donc :

ρe(~r) = −2Ze co sinh

(Zeψ(~r)

kBT

),

ou sinh(u) = [exp(u) + exp(−u)]/2 est la fonction sinus hyperbolique de u.

L’equation de Poisson entre le potentiel electrostatique et la densite volumique de chargepermet d’ecrire une seconde relation entre ces deux grandeurs :

∆ψ(~r)) = −ρe(~r)εε0

Ainsi :

∆ψ(~r) = 2Ze coεε0

sinh

(Zeψ(~r)

kBT

).

L’equation ci-dessus, connue sous le nom d”equation de Poisson-Boltzmann, permet d’obtenir lavariation spatiale du potentiel electrostatique ψ(~r) d’une surface chargee dans l’eau.

A une dimension (comme represente sur le schema ci-dessus), on a :

d2ψ(x)

dx2= 2

Ze coεε0

sinh

(Zeψ(x)

kBT

).

Ecrantage

Dans le cas ou l’energie potentielle electrostatique est petite devant l’energie d’agitationthermique, Zeψ(x) � kBT , on peut lineariser l’equation de Poisson-Boltzmann en utilisantl’approximation sinhu ≈ u a l’ordre 1 :

d2ψ(x)

dx2− 2 (Ze)2

ε0ε kBTψ = 0

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2.3. ELECTROSTATIQUE DANS L’EAU 27

La solution est une somme de deux exponentielles : ψ = ψ0 exp(−x/`D) + ψ1 exp(+x/`D).Cependant, la condition ψ(∞) = 0 impose ψ1 = 0, d’ou :

ψ = ψ0 exp(−x/`D).

La longueur `D apparaıt comme une longueur d’ecrantage : au-dela de cette distance, on ne

sent plus les charges, tout apparaıt neutre : la charge de surface est ecrantee par les contre-ionsdans la solution.

longueur de Debye et longueur de Bjerrum

La longueur d’ecrantage est la longueur de Debye :

`D =1

Ze

√ε0ε kBT

2co.

Plut la concentration en ions co est grande, plus la longueur de Debye est petite. De meme,`D diminue quand la valence des ions Z augmente.

On definit la longueur de Bjerrum `B comme la distance entre deux charges pour laquellel’energie d’interaction electrostatique est egale a l’energie d’agitation thermique :

e2

4πε0ε `B= kBT, soit `B =

e2

4πε0εkBT.

Pour deux ions de signes opposes, `B est la distance a partir de laquelle une molecule ionique secasse par fluctuations thermique.

La longueur de Bjerrum depend seulement du solvant (via ε) ; pour l’eau `B = 0.7 nm.La longueur de Bjerrum et la longueur de Debye sont reliees :

`2D =1

8πZ2co `B

Plus la longueur de Bjerrum est forte, autrement dit plus l’energie electrostatique est forte devantkBT , et plus la longueur d’ecrantage est faible.

`D decrit la competition entre concentration et dispersion des charges.

Ordres de grandeur (a retenir !) :

`D varie du nm (saumure) au µm (eau ultra-pure) – voir tableau.

Si on exprime `D en nm, alors

`D =0, 3√I,

ou on a defini la force ionique I en M (=mol/L) :

I =1

2

∑i

ciZ2i ,

avec ci et Zirespectivement la concentration et la valence du i-ieme ion present dans la solution.Ainsi, la longueur d’ecrantage diminue lorsque la force ionique de la solution, c’est a dire sacharge en sels, augmente.Remarquons que pour une solution aqueuse de sels monovalents (anions et cations), on trouveI = (co + co)/2 = co.

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28 CHAPITRE 2. INTERACTIONS ENTRE MOLECULES, SURFACES OU PARTICULES

force ionique `D commentaire

10−7 M 1000 nm limite realiste (eau pure)

10−6 M 300 nm

10−5 M 100 nm

10−4 M 30 nm

10−3 M 10 nm limite de l’hypothese lineaire

10−2 M 3 nm

10−1 M 1 nm

1 M < nm limite realiste (saumure)

longueur de Debye pour les ions monovalents

Cas general

Dans le cas general, l’energie electrostatique n’est pas petite devant l’energie d’agitationthermique, et l’equation de Poisson-Boltzmann ne peut plus etre linearisee. On peut tout dememe la resoudre de facon analytique. Le resultat reste une decroissance de ψ(x) sur une distancecaracteristique egale a la longueur de Debye. La notion d’ecrantage et de double couche est donctout a fait generale pour decrire le potentiel electrostatique cree, dans l’eau, par une surfaceelectrostatiquement chargee.

Repulsion entre deux plaques

Considerons deux plaques identiques, chargees en surface, de surface S et distantes de D, lemilieu interstitiel etant de l’eau. L’energie d’interaction des deux plaques se deduit de la densitevolumique ρe(~r) et du potentiel electrostatique ψ(~r) : W =

∫ρe(~r)ψ(~r)d3~r = S

∫ρe(x)ψ(x)dx

dans le cas unidimensionnel. Le potentiel electrostatique est la somme des potentiels crees parchacune des surfaces chargees (voir schema ci-dessous) : c’est un potentiel en forme de chaınette(cosinus hyperbolique).

On trouve que l’energie decroıt avec la distance entre les deux surfaces : e−D/`D . Plusprecisement, l’energie par unite de surface s’ecrit :

w(D) =W (D)

S= 64 cokBT `D e

−D/`D tanh2

(Zeψ0

4kBT

)

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2.3. ELECTROSTATIQUE DANS L’EAU 29

+++++++++++

+

+

--

--

--

-

Surfacechargée

eau

xO

+++++++++++

+

+

+ +

++

+

+

+-

-

-

-

---

--

--

-

-

x

+++++++++++

+

+

+

++

+-

--

--

--

-

-

! D

Pour des potentiels ψ0 � 25 mV, tout est lineaire : tanhu ≈ u, d’ou

w(D) ' 4 co `D(Zeψ0)2

kBTe−D/`D .

En general, on connaıt la charge de surface σ. Dans un condensateur, le champ electrostatiqueest donne par

E =σ

ε0 ε.

Or E = ∇ψ ' ψ0/`D. Ainsi :

ψ0 'σ `Dε0 ε

et

w(D) ' 2σ2 `Dε0 ε

e−D/`D .

Dans une experience, on mesure les forces ou les pressions. La pression entre les deux plaquesest donnee (toujours dans l’approximation lineaire) par

Π = − dwdD

' 4 co(Zeψ0)2

kBTe−D/`D

' 2σ2

ε0 εe−D/`D .

Repulsion entre deux spheres

On considere deux spheres identiques de rayon R et de charge de surface σ en suspension dansde l’eau. Dans cette geometrie, le calcul de l’interaction electrostatique entre les deux spheresdonne une force

F ≈ 2πR ε0 ε κψ20 exp(−κD) =

2πRσ2

ε0 ε`D exp(−D/`D)

ou κ = `−1D .

L’energie de ces spheres est

W (R,D) ≈ 2πR ε0 εψ20 exp(−κD) =

2πRσ2

ε0 ε`2D exp(−D/`D)

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30 CHAPITRE 2. INTERACTIONS ENTRE MOLECULES, SURFACES OU PARTICULES

2.3.3 Competition electrostatique - van der Waals (DLVO)

La theorie DLVO doit son nom a Derjaguin et Landau (URSS, 1941) d’une part, et Verweyet Overbeek (Hollande, 1948) d’autre part. Elle decrit l’interaction entre objets mesoscopiquescharges dans de l’eau. Cette interaction contient trois termes :

• L’interaction de van der Waals, toujours attractive si les milieux separes par l’eau sont de memenature ; l’energie decroıt comme une loi de puissance de la distance entre les surfaces chargees :ansi l’attraction de van der Waals n’est pas associee a une longueur caracteristique intrinseque :c’est une interaction a longue portee.

• L’interaction electrostatique, repulsive entre objets de meme charge, decroıt exponentiellementavec la distance entre objets, sur une distance caracteristique appelee longueur de Debye : c’estune interaction a courte portee.

• L’interaction de cœur dur, repulsive et a tres courte portee.

Considerons deux milieux identiques distantsde D representes dans le schema ci-contre. Lesmilieux sont semi-infinis, separes par de l’eau,et portent une charge de surface electrostatiqueidentique sur leur surface de separation, que l’onconsidere plane.

+++++++++++

+

+

--

--

---

+++++++++++

+

+

--

--

-

-

D

Dans ces conditions, l’energie d’interaction par unitede surface contient deux termes,

WvdW = − A

12πD2et Wel '

2σ2`Dε0 ε

e−D/`D

ou les notations sont definies dans les pages precedentes.De meme, la pression de disjonction contient 2 termes :

ΠvdW = − A

6πD3et Πel '

2σ2

ε0 εe−D/`D .

On peut ajouter a chacun de ces termes une repulsionde cœur dur, nulle lorsque D > a, et infinie lorsqueD < a avec a ∼ a0 le rayon de Bohr. L’energie et la pres-sion de disjonction varient ainsi en fonction de D commerepresente ci-contre, ou la courbe en rouge representel’energie par unite de surface totale du systeme dans legraphe du haut, et la pression de disjonction totale dansle graphe du bas.L’etat d’equilibre du systeme correspond a un minimumd’energie :

dW

dD

∣∣∣∣Deq

= 0 etd2W

dD2

∣∣∣∣Deq

> 0,

D

W cœurdur

Wel

WvdW

D

Π cœurdur

Πel

ΠvdW

Deq2Deq1

ce qui correspond aux conditions suivantes sur la pression de disjonction a l’equilibre :

Π(Deq) = 0 etdΠ

dD

∣∣∣∣Deq

> 0.

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2.3. ELECTROSTATIQUE DANS L’EAU 31

Ainsi, deux etats d’equilibre stables sont representes sur la figure ci-dessus : l’equilibre pri-maire, pour D = Deq1 ' a0, correspond a un equilibre entre la repulsion de cœur dur et l’at-traction de van der Waals ; l’equilibre secondaire, pour D = Deq2 ' `D, represente un equilibreentre l’attraction de van der Waals et la repulsion electrostatique.

L’existence de deux equilibres n’est en realite pas un cas general. Alors que la variation del’energie (respectivement : la pression) de van der Waals avec D ne depend que de la constantede Hamaker, qui varie peu d’un materiau a l’autre, Wel(D) (res. Πel(D)) depend beaucoup deσ, la charge de surface des interfaces qui interagissent, et de la longueur de Debye `D. On peutdistinguer trois cas :

a faible σ : la repulsion electrostatique est tropfaible pour permettre l’existence d’un equilibresecondaire. Lorsque D diminue (a partir d’unevaleur macroscopique), les particules se collentles unes aux autres, jusqu’a ce que la repulsionde cœur dur les empechent de s’approcher plus

les unes des autres : c’est le cas agrege ;

a fort σ : la repulsion electrostatique domine :la distance entre les surfaces n’atteint pas de

valeur d’equilibre : c’est le cas disperse ;

a une valeur intermediaire de σ : il existe unequilibre secondaire ; les deux etats d’equilibresont separes par une barriere de potentiel :

c’est la cas double potentiel .

14.21 Van der Waals and Double-Layer ForcesActing Together: the DLVO Theory

The total interaction between any two surfaces must also include the van der Waalsattraction. Now, unlike the double-layer interaction, the van der Waals interactionpotential is largely insensitive to variations in electrolyte concentration and pH, and somay be considered as fixed in a first approximation. Further, the van der Waals attractionmust always exceed the double-layer repulsion at small enough distances since it isa power law interaction (i.e., W f !1/Dn), whereas the double-layer interaction energyremains finite or rises much more slowly as D/ 0. Figure 14.13 shows schematically thevarious types of interaction potentials that can occur between two similarly chargedsurfaces or colloidal particles in a 1:1 electrolyte solution under the combined action ofthese two forces. Depending on the electrolyte concentration and surface charge densityor potential one of the following may occur:

• For highly charged surfaces in dilute electrolyte (i.e., long Debye length), there isa strong long-range repulsion that peaks at some distance, usually between 1 and5 nm, at the force or energy barrier, which is often high (many kT).

• In more concentrated electrolyte solutions there is a significant secondary minimum,usually beyond 3 nm, before the energy barrier closer in. The potential energyminimum at contact is known as the primary minimum. For a colloidal system, eventhough the thermodynamically equilibrium state may be with the particles in contactin the deep primary minimum, the energy barrier may be too high for the particles to

Normalized distance, D

543210 6 7 8 9 10–1.0

–0.5

0.0

0.5

1.0

1.5

Inte

ract

ion

ener

gy, W

Double-layerrepulsionEnergy

barrier

Secondary minimum

VDW attraction

Net DLVO interaction

high

low

D

Primary minimumadhesion at D 0

FIGURE 14.13 Schematic energy versus distance profiles of the DLVO interaction. The actual magnitude of the energyW is proportional to the particle size (radius) or interaction area (between two planar surfaces).

326 INTERMOLECULAR AND SURFACE FORCES

Figure tiree du livre d’Israelachvili,avec κ = 1/`D.

Considerons la configuration a double potentiel. Si les surfaces s’approchent a partir de D=∞,elles se stabilisent a la distance d’equilibre Deq2 ∼ `D/. On peut ainsi regler cette distanced’equilibre en ajustant la quantite de sel dans l’eau : plus la concentration en sel est grande,plus la longueur de Debye est petite donc plus Deq2 est petite. Dans une suspension colloıdalede particules solides dans de l’eau, cela permet d’ajuster la concentration en particules.

La stabilite d’un film de savon est egalement decrite par la theorie DLVO. Des moleculesamphiphiles ioniques couvrent les interfaces eau-air du film, ce qui leur confere une charge desurface. L’epaisseur d’equilibre Deq2 est de l’ordre de la dizaine de nanometres, et Deq1 de l’ordredu nanometre (ou moins). Tous deux etant bien plus petits que la longueur d’onde de la lumiere,ils sont totalement transparents. Ainsi, alors qu’un film de savon d’epaisseur micrometriques’irise lorsqu’il est eclaire avec une lumiere blanche, un film de savon ayant atteint son epaisseurd’equilibre ne reflechit plus la lumiere, et reste noir s’il est place devant un ecran noir : pourcette raison, on l’appelle un film noir : ‘film noir de Newton’ si D = Deq1, et ‘film noir commun’si D = Deq2.

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32 CHAPITRE 2. INTERACTIONS ENTRE MOLECULES, SURFACES OU PARTICULES

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Chapitre 3

Une interface : capillarite, loi deLaplace

Bibliographie classee par niveau :• grand public, •• etudiant-es, ••• recherche

• Science et Vie : hors-serie“‘La matiere etrange”, septembre 2004.

• S. Hildebrandt et A. Tromba, “Mathematiques et formes optimales”, Pour la Science / Belin,Paris, 1986.

• D. Dusenbery, “Life at small scale”, Scientific American Library, NY 1996.

•• P.-G. de Gennes, F. Brochard-Wyart, D. Quere, “Gouttes, bulles, perles et ondes”, Belin,Paris 2002.

•• “La juste argile”, eds. M. Daoud, C. Williams, , Editions de Physique, les Ulis, 1995.

•• F. Graner, R. Kaiser, A. Marchand, T. Salez, “Petits problemes de physique : du quotidienau laboratoire”, Dunod, Sciences Sup, Paris, 2011

•• H. Bouasse, Capillarite, Delagrave, Paris 1924

••• J. Rowlinson et B. Widom, Molecular theory of capillarity, Oxford University Press, Oxford1982.

33

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34 CHAPITRE 3. UNE INTERFACE : CAPILLARITE, LOI DE LAPLACE

3.1 Capillarite

La capillarite se manifeste de facon spectaculaire dans le phenomene de montee capillaire.Plongez verticalement l’extremite d’un tube fin dans un liquide : le liquide remonte dans le tubeplus haut que le niveau de la surface libre a l’exterieur du tube. Nous examinerons ce phenomeneen detail dans le chapitre 5 : nous verrons que pour observer cette montee, lorsqu’elle se produit,il faut que le tube soit suffisamment fin, pratiquement aussi fin qu’un cheveux, d’ou son nom detube capillaire.

L’imbibition par un liquide d’un tissu, d’un papier absorbant, d’une eponge ou d’un morceaude sucre sont des avatars de ce phenomene de montee capillaire : le liquide envahit les intersticesentre les fibres ou grains solides du materiau.

C’est l’existence d’une tension interfaciale entre le liquide et l’air qui est a l’origine de ceteffet : l’interface liquide est tendue comme le serait la membrane d’un tambour. Nous allons voirdans ce chapitre que cette tension resulte de la tendance de l’interface a minimiser son energie.

3.1.1 Energie de surface

Definition

On considere un systeme constitue de deux milieux fluides 1 et 2. L’interface entre les deuxmilieux est un objet d’extension macroscopique dans deux directions de l’espace, et de dimensionmoleculaire (nanometrique) dans la dimension perpendiculaire.

Si les echanges thermiques sont permis avec l’exterieur,la temperature T du systeme est fixee par la temperatureexterieure et le potentiel thermodynamique approprie pourdecrire les etats d’equilibre du systeme est son energie libreF .La creation de surface a un cout energetique. On definitl’energie de surface de l’interface :

γ0 =

(∂F∂S

)T,V,ni cst

> 0

ou S est la surface de l’interface, V le volume du systeme, etni le nombre de moles de l’espece i dans le systeme.

• Unite : γ0 s’exprime en J.m−2. En pratique, on utilise le mN/m = 10−3 J.m−2

• La stabilite de l’interface impose que γ0 soit positif. En effet, un γ0 negatif, par definition,signifie que l’energie libre diminue lorsque la surface S de l’interface croıt : S augmente dontindefiniment, ce qui empeche l’existence d’une interface stable dans un volume fini. Pour stabi-liser l’interface il faut donc que γ0 > 0 : le systeme cherche a minimiser la surface totale de soninterface pour minimiser son energie.

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3.1. CAPILLARITE 35

• L’origine microscopique de l’energie de surface provient desinteractions de van des Waals entre molecules. Considerons uneinterface entre un liquide et un gaz.Dans le liquide, une molecule est attiree par toutes les moleculesvoisines : elle emmagasine une energie Wvol ∼ n × (−C/a 6),ou a est la distance moyenne entre molecules, C est uneconstante et n est le nombre de molecules premieres voisinesde la molecule consideree.Les molecules a l’interface ont deux fois moins de voisinesque les molecules dans le volume (on peut negliger l’attrac-tion par les molecules de la phase gazeuse, car la distanceintermoleculaire d y est beaucoup plus grande que dans laphase liquide). Ainsi, une molecule a l’interface emmagasineune energie Wsurf ∼ nsurf × (−C/a 6), avec nsurf = n/2.

Chaque molecule a la surface possede donc un exces d’energie w = Wsurf−Wvol ∼ +(n/2)(C/a 6).Ainsi, l’energie de l’interface totale, composee de N molecules 1 est egale a Nw. Elle est doncproportionnelle a la surface totale de l’interface S ∼ Na2. L’energie interfaciale γ0 s’exprimedonc : γ0 ∼ Nw/S ∼ w/a 2. L’energie d’interaction de van der Waals w etant du meme ordrede grandeur que l’energie d’agitation thermique kBT , on a donc γ0 ∼ kBT/a

2. En prenant ladistance intermoleculaire en matiere condensee a ' 3A, on obtient l’ordre de grandeur de l’energiede surface : γ0 ∼ 40 mJ.m−2.

Ordre de grandeur

La valeur de γ0 depend de la nature des interactions intermoleculaires : plus le materiau estcohesif, plus w est grand et plus γ0 est grand. Ainsi, l’energie de surface du mercure (interactionmetallique) est un ordre de grandeur au-dessus de celle des liquides ordinaires (interaction de vander Waals). Parmi ces liquides, l’eau possede l’energie interfaciale la plus grande, car sa cohesionest assuree par la liaison hydrogene, plus intense que l’interaction de van der Waals.

Notons que toutes les considerations donnees dans le cas d’une interface liquide-gaz sontegalement valables dans le cas d’une interface entre deux liquides non miscibles, car les interac-tions moleculaires entre deux molecules de nature differentes sont tres faibles par rapport auxinteractions entre molecules de meme nature.

exemples γ0 (10−3 J.m−2)tres polaire eau a 20◦C 73

liaisons hydrogene eau a 100◦C 58polaire glycerol 63,5

un peu polaire alcools longs ≈ 40pas polaire alcanes 9 - 16 carbones 23 a 27

ethanol 23acetone 24

cyclohexane 25non miscibles eau-huile ≈ 20

miscibles eau-ethanol ndextreme helium (4K) 0,1

autre extreme mercure 485

1. N est de l’ordre du nombre d’Avogadro.

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36 CHAPITRE 3. UNE INTERFACE : CAPILLARITE, LOI DE LAPLACE

Effets de cette energie

De nombreux phenomenes resultent de la tendance qu’ont les interfaces liquides a minimiserla surface de leur interface.

• Adhesion par pont capillaire.Lorsque deux objets solides (grains, fibres, ...) mouilles s’ecartent,le liquide mouillant se maintient entre les deux objets en question,formant un pont capillaire. Cependant la surface de l’interface aug-ment au fur et a mesure que les objets s’eloignent. Pour minimiserl’energie interfaciale du systeme, les objets doivent donc se rappro-cher : on parle donc d’adhesion capillaire entre des objets solidesmouilles. Ce phenomene explique entre autres la cohesion des poilsmouilles (pinceaux, cheveux) et du sable humide.

• Gouttes spheriques.En l’absence de toute autre energie (pesanteur par exemple), un goutteliquide est ronde car la sphere (ou le disque a 2 dimensions) minimise lasurface, pour un volume donne.

• Instabilite jet-goutte.Le jet d’eau qui sort d’un robinet se destabilise en gouttes, si le debitn’est pas trop fort. Comparons la surface du jet et celle de n gouttesde meme volume. Pour cela, on supposera que toutes les gouttes ont lememe rayon r, et que le jet est un cylindre de rayon R et de hauteurL� R. L’identite des volumes se traduit par

πR2L = n4

3πr3.

Le rapport entre la surface des n gouttes et celle du jet est donc :

Sn

S0= n

4πr2

2πRL=

3R

2r.

Ainsi le jet cylindrique est instable si Sn < S0, soit r > 3R/2. Cettecondition est toujours realisable, donc le jet est toujours instable. Tou-tefois, l’instabilite met un certain temps a se developper, ce qui expliquequ’on ne la voit pas si le debit est trop fort, car le jet de liquide atteintle fond de l’evier avant que l’instabilite ne prenne place.

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3.1. CAPILLARITE 37

3.1.2 Tension de surface

Force et contraintes qui derivent de l’energie

La tension superficielle est une force de tension, qui s’exerce dans le plan de la surface,analogue a la tension d’une membrane. Par une experience de pensee, on peut, a partir de l’energiede surface, decrire la force associee a cette energie. On considere une interface rectangulaire delargeur L dans la direction y et de longueur x. On augmente la surface de l’interface en faisantpasser la longueur de x a x + dx. L’aire de la surface passe donc de A = Lx a A + dA avecdA = Ldx.

L’energie libre augmente dedF = γ0dA = γ0L dx

ou γ0 est l’energie de surface de l’interface. On peut considerer que cette augmentation d’energierepresente le travail d’une force ~f :

~f = −~∇F = −dFdx~ex = − γ0L~ex

ou ~ex est le vecteur unitaire le long e l’axe Ox. La force ~f tire donc dans le sens −~ex : elles’oppose a la creation d’interface. De plus, son intensite est : |f | = |dF/dx| = γ0L :

la force = γ0× perimetre de la ligne qui entoure la surface consideree.

γ0 est donc une force par unite de ligne : on l’exprime en mN.m−1 = 10−3 J.m−2, et on l’appellela tension de surface (ou tension superficielle).

Notons que cette experience de pensee peut etre realisee en utilisant un film de savon tendusur un cadre dont un cote est remplace par une baguette mobile. Dans ce cas, la norme de laforce qui s’exerce sur la baguette est egale a 2γ0L : le facteur 2 provient du fait qu’un film desavon contient deux interfaces liquide/air. Sur une baguette de L = 10 cm, la force vaut alorsenviron 7 mN, ce que les doigts qui tiennent la baguette peuvent ressentir aisement. 2 Lorsqueles doigts lachent la baguette, elle glisse, sous l’effet de la tension de surface, jusqu’a ce que lefilm se retracte completement.

2. Un force de 7 mN correspond au poids d’une masse de 0.7 g)

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38 CHAPITRE 3. UNE INTERFACE : CAPILLARITE, LOI DE LAPLACE

Effets Marangoni

Lorsque l’interface est separee en deux partie de tensions de surface differentes γ1 et γ2, deuxforces ~f1 et ~f2 s’exercent en sens contraire sur la ligne de separation. Dans le cas ou γ1 > γ2,alors la resultante ~f = ~f1 + ~f2 est dirige de la region de plus petite tension de surface γ2 vers laregion de plus grande tension de surface γ1.

De facon generale, un gradient de tension de surface engendre une force qui s’exerce dans lememe sens que le gradient, des valeurs les plus faibles vers les valeurs les plus fortes de γ : c’estl’effet Marangoni.

L’effet Marangoni peut venir d’un gradient de temperature, car la tension de surface estune fonction decroissante de la temperature (Marangoni thermique). Il peut egalement venird’un gradient de concentration (Marangoni solutal). Par exemple, dans un melange eau-ethanolla tension de surface est une fonction decroissante de la concentration en ethanol. Un autreexemple est celui des solutions de tensioactifs, car l’ajout de molecules tensioactives dans unesolution aqueuse diminue la tension de surface.

L’effet Marangoni reflete un desequilibre des tensions de surface qui s’exercent de part etd’autre d’un element de surface. Il s’agit donc d’une situation hors-equilibre qui entraıne unmouvement de liquide. Ce mouvement intervient dans plusieurs situations de la vie quotidienne :• les larmes du vin : apres agitation dans un verre, le vin (qui n’est autre qu’une solution eau-ethanol) ne contient par la meme concentration en ethanol pres des bords et dans le fond duverre car l’ethanol s’est evapore pres des surfaces : le vin remonte donc le long des bords pareffet Marangoni, ce qui est a l’origine de la formation de coulees ou larmes de vin.• etalement de tensioactifs : une goutte de solution de tensioactifs deposee sur une surface d’eaupure s’etale spontanement, car la tension de surface de l’interface est soudainement abaissee al’endroit ou la goutte est deposee, creant un gradient de tension de surface radial dirige de lagoutte vers le reste de la surface. Cet etalement peut etre visualise en saupoudrant de poivre lasurface eau-air avant d’y deposer la solution tensioactive : sous l’effet de l’etalement, le poivreest chasse vers les bords du recipient.

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3.2. LOI DE LAPLACE 39

3.2 Loi de Laplace

Les surfaces liquides sont deformables et peuvent se courber. La courbure est alors associeea une difference de pression de part et d’autre de l’interface, decrite par la loi de Laplace.

3.2.1 Pression 3D et interface 2D

Considerons une bulle spherique de rayon R. Il s’agit soit d’une bulle de gaz dans un liquide,soit d’une goutte de liquide dans un gaz, soit d’une goutte de liquide dans un autre de liquidenon miscible. La tension de surface de l’interface entre les deux milieux est notee γ0. La pressiondans la bulle est Pint, et la pression a l’exterieur est Pext (elle peut etre egale a la pressionatmospherique). Le tout (bulle + milieu exterieur) a un volume constant, et le nombre de molesni de chacune des especes i en presence est egalement constant.

Considerons maintenant une transformation quasistatique qui fait passer le rayon de la bullede R a R+ dR en passant par des etats d’equilibre. L’energie libre passe de F a F + dF avec

dF = −Pintd

[4

3πR3

]− Pextd

[−4

3πR3

]+ γ0d

[4πR2

]= 4πR [−(Pint − Pext)R+ 2γ0] dR.

A l’equilibre : dF/dR = 0, donc

Pint − Pext = 2γ0R

Dans la bulle spherique ci-dessus, a l’equilibre, Pint > Pext (il faut souffler pour gonfler unebulle, de meme qu’il faut souffler pour gonfler un ballon de baudruche). De plus, la difference depression avec l’exterieur est inversement proportionnelle au rayon de la bulle : plus la bulle estpetite, plus la pression interne est grande par rapport a l’exterieur. Ainsi, si deux bulles de rayondifferent et de meme tension de surface communiquent, la petite bulle se vide dans la grosse.

3.2.2 Expression generale de la loi de Laplace

La loi de Laplace s’exprime, dans sa forme generale :

∆P = Pint − Pext = γ0

(1

R1+

1

R2

)ou R1 et R2 sont les rayons de courbure principaux de la surface definis localement. Une surfacedans l’espace a 3 dimensions possede en effet deux rayons de courbure comme illustre ci-dessous.

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40 CHAPITRE 3. UNE INTERFACE : CAPILLARITE, LOI DE LAPLACE

R1 et R2 sont les rayons des cercles tangents localement a la surface, selon deux plans per-pendiculaires passant par la normale a la surface ~n.

Le rayon de courbure est une grandeur algebrique : il est positif si le centre de courbure estdirige vers l’interieur du domaine considere, et negatif dans le cas contraire. Sur les schemasci-dessus, si l’on considere que l’axe z pointe vers l’interieur du domaine, alors R1 < 0 et R2 < 0sur le schema de gauche, alors que R1 > 0 et R2 < 0. D’apres la loi de Laplace, la pression estdonc, sur le schema de gauche, plus grande dans la region z < 0 que dans la region z > 0.

Plus precisement, on peut definir les courbures principales d’une surface a partir de l’equationde la surface z(x, y) :

1

R1=

(∂2z/∂x2)[1 + (∂z/∂x)

2]3/2 et

1

R2=

(∂2z/∂y2)[1 + (∂z/∂y)

2]3/2 .

Si la surface est peu deformee (|∂z/∂x| � 1 et |∂z/∂y| � 1), on peut se limiter a l’ordre 1 en|∂z/∂x| et |∂z/∂y| et utiliser l’approximation :

1

R1' ∂2z

∂x2et

1

R2' ∂2z

∂y2.

La grandeur H = 1/R1 + 1/R2 est appelee courbure moyenne de l’interface. C’est cettecourbure moyenne qui est reliee a la difference de pression de part et d’autre de la surface via laloi de Laplace :

∆P = Pint − Pext = γ0 ×H.Ainsi, ∆P est intimement lie a la forme de l’interface.

3.2.3 Cas particuliers

• Sphere : R1 = R2 = R, d’ou H = 2/R.• Cylindre : R1 =∞ et R2 = R d’ou H = 1/R.• Selle de cheval : R1 = −R2 d’ou H = 0.• Plan : R1 = R2 =∞ d’ou H = 0.

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3.2. LOI DE LAPLACE 41

3.2.4 Discussion

En l’absence de tout gradient de pression, la pression de chaque cote de l’interface entredeux phases fluides est homogene. La loi de Laplace impose donc que la courbure moyenne del’interface soit constante, ce qui contraint la forme de l’interface. La forme de l’interface dependalors des conditions d’accrochage de la surface.• Si la bulle est libre (sans gravite ni accrochage), la solution est une sphere (goutte spherique,bulle de savon).• Si la surface est accrochee, et si l’interieur communique avec l’exterieur, alors, a l’equilibre :Pint = Pext, donc la courbure moyenne de la surface doit etre nulle : localement, la surface doitavoir la forme d’une selle de cheval. Des exemples correspondant a differentes formes de cadresaccrochant un film de savon sont illustrees ci-dessous.

Film plan Catenoıde HelicoıdeSource : F. Graner Source : Wikipedia

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42 CHAPITRE 3. UNE INTERFACE : CAPILLARITE, LOI DE LAPLACE

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Chapitre 4

Stabilite des dispersions

Bibliographie : • grand public, •• etudiant-es, ••• recherche

• Science et Vie : hors-serie“‘La matiere etrange”, septembre 2004.

• “La mousse”, dans La Recherche hors-serie“‘La physique en 18 mots-cles ”, Dunod, Paris 2009

•• “La juste argile” eds. M. Daoud, C. Williams, Editions de Physique, les Ulis, 1995.

•• Les emulsions, J. Bibette, Bulletin de la SFP, dec 2002, p. 11

•• A. Guinier, La structure de la matiere, CNRS-Hachette, Paris 1980.

•• Les mousses : structure et dynamique, ouvrage collectif, Collection Echelles, Belin, Paris, 2010

4.1 Introduction

4.1.1 Definitions

Les dispersions, ou colloıdes, ou suspensions colloıdales, sont des suspensions d’une phasedispersee dans un milieu dispersant. Le milieu dispersant est liquide, alors que le milieu disperseest constitue de particules solides, de bulles de gaz ou de gouttes d’un liquide immiscible avec leliquide porteur. On parle de suspension colloıdale lorsque la taille des domaines de la phase dis-persee est comprise entre 1 nm et 1 µm, et lorsque la dispersion est stable, c’est-a-dire homogenea l’echelle macroscopique, pendant un temps suffisamment long (au moins quelques heures).

4.1.2 Quelques proprietes

•Un colloıde est mou parce que les interactions sont petites ou parce que les distances sont grandes.

En effet, les objets mous sont des objets sont susceptibles de se reorganiser fortement sous l’effetde faibles variations de l’environnement. Autrement dit, de faibles variations de pression (de 1a 103 Pa) suffisent a rompre la cohesion de ces materiaux. Soit a la distance entre les elementscohesifs du materiaux, et U l’energie d’interaction entre ces elements ; la difference de pression a

43

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44 CHAPITRE 4. STABILITE DES DISPERSIONS

appliquer pour rompre la cohesion du materiau est ∆P ∼ U/a3. Ainsi, pour des corps usuels, avecU = kBT = 4.10−21 J et a = 0, 2 nm (distance inter-moleculaire typique en matiere condensee),U/a3 ∼ 5 108 Pa. Cependant, pour une suspension colloıdale d’elements distants de a = 0,1 µm,on trouve seulement U/a3 ∼ 4 Pa.

• Diffusion de la lumiere. Les mousses , la mayonnaise, le lait sont blanc, l’eau d’un fleuvechargee en sediments est turbide. Cet effet est du a l’interaction entre les domaines disperses etla lumiere : les domaines, plus grands que la longueur d’onde de la lumiere, devient l’orientationdes rayons lumineux, par refraction (s’ils sont plus grands que le µm), soit par diffraction (s’ilssont plus petits que le µm). Les rayons lumineux retro-diffuses par la suspension s’additionnentde facon incoherente, ainsi l’objet apparaıt blanc (laiteux) meme s’il est constitue de deux phasestransparentes.

• Grande surface par unite volume. Pour des domaines de taille r, le rapport surface/volumevarie comme 1/r. Ainsi, la tendance du systeme, pour diminuer son energie interfaciale, estd’augmenter la taille des domaines, ce qui peut conduire a la destabilisation du colloıde.

4.2 Stabilite

4.2.1 Stabilite a long terme : competition gravite - temperature

Considerons une suspension d’objets spheriques de rayon r dans un liquide porteur a latemperature T . La difference de densite entre la phase dispersee et le liquide porteur est notee∆ρ.

La gravite tend a destabiliser la suspension, c’est-a-dire a regrouper la phase dispersee enbas (si ∆ρ > 0) ou en haut (si ∆ρ < 0) du recipient. L’agitation thermique tend au contrairea maintenir la phase dispersee en suspension. Ainsi, la concentration de phase dispersee, c,depend du rapport entre l’energie potentielle de pesanteur d’un domaine a l’altitude z et l’energied’agitation thermique :

c(z) = c(0) exp

(−mapp gz

kBT

)= c(0) exp

(−∆ρ 4πr3gz

3kBT

)ou mapp = ∆ρ× (4/3)πr3 est la masse apparente des domaines dans le liquide porteur (qui peutetre positive ou negative) et g est l’acceleration de la pesanteur. Ainsi,

c(z) = c(0) exp(− zh

)avec h =

3kBT

∆ρ 4πr3g.

La hauteur h est donc une caracteristique de la suspension., Pour savoir si la separation entre laphase dispersee et le liquide porteur est observable macroscopiquement, il faut comparer cettehauteur h a la taille L du contenant ;

• si L > h : la separation de phase est observable et la suspension est instable

- si elle est plus dense que l’eau, elle tombe au fond : sedimentation

- si elle est moins dense que l’eau, elle monte : cremage

• si L < h : on n’observe pas de separation de phase : la suspension reste stable.

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4.2. STABILITE 45

Notons que h ∝ 1/r3 : plus les domaines sont petits, plus la suspension est stable, a l’equilibre.Spontanement, la surface tend a se reduire, pour abaisser l’energie interfaciale : la taille des

domaines r tend donc a augmenter, ce qui tend a diminuer h et donc a destabiliser la dispersion.

Il existe trois mecanismes pour augmenter la taille :- agregation (dans le cas ou la phase dispersee est solide)- coalescence, c’est-a-dire fusion suite a la rupture des parois liquides (phase dispersee liquideou gazeuse)- diffusion a travers les parois liquides (phase dispersee liquide ou gazeuse).

4.2.2 Limitation par la dynamique

En fonction du rapport L/h, la suspension est stable ou instable a l’equilibre. Mais le tempspour atteindre l’equilibre joue egalement un role : si le temps de destabilisation est plus grandque le temps de l’experience, alors la suspension peut rester stable.

- Si la taille grandit peu, ou si le liquide est visqueux :cette instabilite peut ne jamais etre observee en un temps raisonnable,

- Si la taille r grandit beaucoup, ou si le liquide est peu visqueux :cette instabilite peut apparaıtre en un temps observable

Effets des differents parametres

Melanger energiquement diminue la taille stabiliseSurfactants charges augmentent la repulsion et l’elasticite de surface stabilise

Sel ecrantage destabiliseParticules solides se mettent sur une interface stabilise

forment un pont entre les deux interfaces destabiliseElever la temperature accelere toutes les dynamiques destabilise

Glycerol augmente la viscosite stabilisePolymeres en volume augmentent la viscosite stabilise

en surface, s’ils l’aiment stabiliseen surface, s’ils la fuient destabilise

Sucre limite l’evaporation donc la coalescence stabiliseFluide disperse insoluble limite la diffusion stabilise

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46 CHAPITRE 4. STABILITE DES DISPERSIONS

4.3 Trois mecanismes pour augmenter la taille

4.3.1 Agregation - floculation

On cherche a decrire la cinetique d’agregation de particules colloıdales

Dans le liquide porteur, les particules sont soumises a des chocs. On considere dans un premiertemps que deux particules qui entrent en collision restent collees, comme represente ci-dessus.On peut decrire la cinetique du premier stade de l’agregation.

Soit N1(t) la concentration de particules isolees au temps t. Pour qu’une paire de particulesse forme, il faut que deux particules isolees soient presentes (probabilite ∼ N2

1 ) : le taux deformation de paires est donc : N2

1 × k11, ou k11 est le taux de collisions. 1 A chaque fois qu’unepaire de particules se forme, le nombre de particules isolees diminue. On a donc :

−dN1

dt= k11N

21

soit

−dN1

N21

= k11dt

d’ou, apres integration entre t = 0 et t :

1

N1(t)− 1

N1(0)= k11t.

Le temps t1/2 pour agreger la moitie des particules, N1(t1/2) = N1(0)/2, est donc :

t1/2 =1

k11N1(0).

Plus le milieu est dilue, ou bien plus k11 est petit, et plus le colloıde est stable.

Sans interaction entre particules, les particules se collent des qu’elles se touchent. Le taux decollision est accelere par l’agitation thermique et ralenti par la viscosite η du liquide porteur :k11 = 8kBT/3η. Pour une suspension de particules d’argile (masse volumique ρ = 1700 kg. m−3

et rayon r = 100 nm) dans de l’eau η = 10−3 Pa.s) a la concentration initiale c = 10 g/l, ontrouve t1/2 = 7.10−2 s : l’agregation est donc rapide, meme sans attraction entre les particules.

L’agregation peut etre ralentie en ajoutant une repulsion entre les particules. Dans ce cas, letemps de destabilisation devient

τ = t1/2 × exp

(U

kBT

),

1. N1 est une concentration (nombre de particules par unite de volume) : k11 a donc la dimension d’un volumedivise par un temps.

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4.3. TROIS MECANISMES POUR AUGMENTER LA TAILLE 47

ou U est la barriere d’energie potentielle introduite par l’interaction repulsive (voir l’exemplede la repulsion electrostatique lorsque les particules ont une charge de surface dans le cas de latheorie DLVO, p. 31). Avec une barriere energetique de U = 20 kBT , on trouve τ = 3.3.107 s =382 jours. L’agregation met 1 ans a se faire : c’est donc stable en pratique.

4.3.2 Coalescence

On considere un film liquide avec 2 interfaces enregard : le film est entoure de gaz (mousse), oud’un liquide non miscible (emulsion). A cause desinteractions de van der Waals, les interfaces s’at-tirent, et l’intensite de l’attraction augmente aufur et a mesure que les interfaces se rapprochent.

Si le film s’amincit localement, la fluctuation s’amplifie localement : le film est donc instable etfinit par se rompre. Un trou se forme. Une fois le trou forme, la tension de surface tire radialementsur le bord du trou, et la taille du trou augmente rapidement : les domaines separes par le filmont coalesce.

Si on veut eviter la coalescence, il faut stabiliser le film. On doit compenser l’attraction entreinterface en ajoutant une repulsion, par exemple une repulsion electrostatique, en chargeant lessurfaces. Les surfactants ioniques (anioniques ou cationiques) ont cette fonction. Notons queles surfactants non ioniques introduisent egalement une repulsion entre interfaces : la repulsionsterique, qui inhibe elle aussi la coalescence.

A l’inverse, si on souhaite se debarrasser de la mousse (par exemple dans un lave-linge ou unlave-vaisselle), on peut favoriser la rupture des films en rajoutant des antimousses : des particulessolides qui forment un pont entre les deux parois du film, initiant un trou dans le film. On peutegalement ajouter du sel, peut destabiliser les films en diminuant la longueur de Debye (dans lecas de tensioactifs ioniques).

Enfin, notons que la viscosite de la phase liquide a un effet sur le temps caracteristique detous ces mecanismes.

4.3.3 Murissement par diffusion

Ce mecanisme concerne les suspensions de bulles gazeuses ou de gouttes liquides dans unliquide porteur.

Considerons des bulles de rayon r dans un liquide porteura la pression Pext. D’apres la la loi de Laplace, la pressioninterne dans la bulle est Pint(r) = Pext + 2γ0/r. Les bulles lesplus petites ont donc une pression interne plus grande que lesplus grosses bulles. Ces differences de pression provoquent unecoulement de gaz des bulles les plus petites vers les bullesles plus grosses. L’ecoulement se fait par solubilisation du gazdans le liquide porteur. Le gaz s’echappant des bulles les pluspetites, elles deviennent de plus en plus petites et finissent pardisparaıtre, apres s’etre videes dans les grosses bulles.

Ainsi le nombre de bulles diminue alors que le volume total de gaz reste le meme : le volumemoyen des bulles augmente avec le temps. On parle de grossissement, ou de murissement, pourqualifier ce phenomene (coarsenening en anglais).

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48 CHAPITRE 4. STABILITE DES DISPERSIONS

4.4 Exemples

• Sedimentation - cremage- cremage : graisse du lait- des particules de 100 nm sedimentent a terme, les particules de 10 nm ne sedimentent pas- un fleuve (sel 10−3 M) transporte des particules solides

jusqu’a l’estuaire ou il rencontre l’eau de mer (sel 0,5 M)- des objets aussi gros que des grains de sable sedimentent en 1 minute dans l’eau pure ;

en ajoutant quelques % de polymere viscosifiant (gomme de xanthane), le sable met 6 moisa sedimenter

• Cas ou on veut empecher la sedimentation- encre de Chine : stabilisation du noir de carbone par la gomme arabique

(polymere soluble dans l’eau, extrait d’un arbuste) ;les scribes egyptiens utilisaient de la gomme d’acacia ou de l’albumine de blanc d’œuf

- ralentir le depot des jus de fruits- beurre de cacao ou lecithine pour ajuster la viscosite du chocolat- stabilisation des pigments d’une peinture

• Cas ou on veut favoriser la sedimentation- collage du vin trouble : blanc d’oeuf delaye dans l’eau ; on laisse decanter et on soutire le vinclair- clarification des petroles- cafe turc- rendre l’eau potable (deja en Egypte ancienne) : polymere charge pour faire floculer les impu-retes

attention : il faut en mettre ni trop ni trop peu, pour compenser la charge !

• Emulsifier l’eau et la graisse grace a des surfactants- mayonnaise : lecithine d’œuf (phosphocholine)- il suffit de tres peu de surfactant pour peupler la surface un jaune d’œuf emulsifie 24 litresd’huile- pommades, medicaments, cosmetiques : alkyl sulfates

(emulsion inverse : molecule utile = aqueuse, solvant = pommade = gras)

• Stabilisation par des particules solides- bitume : stabilisation des gouttelettes par les poussieres de cailloux

NB : les gros cailloux, eux, sont inutiles

- les poussieres de graines de moutarde stabilisent la vinaigrette, et surtout la mayonnaise- les particules peuvent etre choisies pas chere, non irritantes, comestibles,...- interet pour l’industrie alimentaire et pharmaceutique

• Stabilisation par des proteines- tres courant en agro-alimentaire ! a commencer par la mousse au chocolat- lait, produits laitiers, chantilly, beurre dit “allege” : proteines du lait- temps d’equilibration (adsorption) plus long, 103 − 104 secondes- le resultat final ressemble plus a des emulsions stabilisees par des particules que par des sur-factants

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4.4. EXEMPLES 49

• Murissement par diffusion- une mousse vieillit (murit) plus vite qu’une emulsion,

car un gaz se dissout dans l’eau, alors que l’huile se dissout mal dans l’eau- on emulsifie mieux l’hexadecane (solubilite dans l’eau 10−8) que le benzene (solubilite 10−3)- de meme, une mousse tient mieux a l’azote (et surtout au C2F6, voire aux traces de C6F14)

qu’a l’oxygene (et surtout au CO2, voire a l’helium)les brasseurs anglais incorporent donc de l’air (et les irlandais de l’azote) dans leurs bieres

pression

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50 CHAPITRE 4. STABILITE DES DISPERSIONS

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Chapitre 5

Mouillage, gravite

Bibliographie : • grand public, •• etudiant-es, ••• recherche

•• “Gouttes, bulles, perles et ondes”, P.-G. de Gennes, F. Brochard-Wyart, D. Quere

•• “La juste argile”, eds. M. Daoud, C. Williams

5.1 Plusieurs interfaces : le mouillage

- trois interfaces : par exemple solide-liquide, solide-vapeur, liquide-vapeur,- donc trois energies (et tensions) correspondantes : γSL, γSV , γLV souvent note γ- il peut aussi s’agir de deux liquides et d’un gaz

5.1.1 Angle de contact

• Cas de trois fluides :- condition de Neumann- a l’equilibre, les trois “vecteurs force” se compensent

• Cas d’un solide, un liquide, un gaz- condition de Young (ou Young-Dupre)- a l’equilibre :

γ cos θ = γSV − γSL

- cela definit un angle θ caracteristique des materiaux en presence.- on l’appelle : “angle de contact” ou “angle de mouillage”- convention : c’est l’angle interne (θ � 1 si le liquide s’etale).- La demonstration correcte utilise l’energie : un petit deplacement de l’interface (parallelementa lui-meme) fait varier l’energie de :

δW = L (γSV dx− γSL dx− γ cos θ dx)

donc si on ecrit la condition d’equilibre (δW nul, au 1er ordre) on retrouve la conditiond’Young

51

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52 CHAPITRE 5. MOUILLAGE, GRAVITE

5.1.2 Classification

Parametre d’etalement

• Cela coute de l’energie de remplacer une interface par deux interfaces

- cela se mesure par le parametre d’etalement : S = E(substrat sec) −E(substrat mouille) :

S = γSV − (γSL + γ)

- il a une dimension : energie par unite de surface- signe : transition mouillage total / partiel

• Cas de mouillage partiel : S < 0- angle : S = γ(cos θ − 1), soit θ = arccos(1 + S/γ)- NB : si θ < π/2, on dit qu’on est “plutot mouillant”

donc θ = π/2 marque un changement entre deux regimes (voir ci-dessous)meme si ce n’est pas une vraie transition

• Cas de mouillage total : S > 0- film de mouillage, voir cours sur les forces microscopiques- pas d’angle de contact : on dit θ = 0

• Critere de Zisman- pour un solide donne : il y a une tension de surface critique γc en-dessous de laquelle les liquidess’etalent- si γ < γc : mouillage total- si γ > γc : le cosinus chute vers 0 (mouillage partiel)- un grand γc veut dire que le solide est facile a mouiller- on prend differents liquides (non polaires), et on regarde lesquels mouillent le solide

on peut ainsi mesurer approximativement l’energie de surface du solide

Ordres de grandeur des energies de surface

- surface d’un solide de haute energie : ionique, covalente, metallique = 500 a 5000 mN/mbeaucoup de liquides vont mouiller ce solide

- surface d’un solide de basse energie : plastique, cristaux moleculaires = 10 a 50 mN/mex : les fluores (teflon) ont 10-20 mN/m , les hydrogenes (alcanes) ont 20-30 mN/m.les surfaces polaires (ex : Nylon) ont 35-45 mN/m ;peu de liquides vont mouiller une telle surface solide.ex : gouttes d’huile sur poele anti-adhesive ; encre sur du plastique

- cela depend beaucoup de l’etat de surface : verre tres propre = 150 mN/mau contraire verre tres bien fluore = 10 mN/m

- les surface des liquides sont presque toutes des surfaces de basse energie

5.1.3 Forme de la surface

• En l’absence de gravite (dans un verre / becher) :- la surface est a courbure moyenne constante- si les conditions aux limites sont axisymetriques, la surface est une calotte spherique

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5.2. CAPILLARITE ET GRAVITE 53

- selon que le liquide mouille ou non les bords, la surface est concave ou convexe- donc le liquide est en depression ou en surpression par rapport a l’exterieur

• Ex : capitaine Haddock- le whisky dans un verre : c’est mouillant- c’est donc une calotte spherique concave, en depression- il n’a donc aucune raison de quitter le verre- et le capitaine a donc raison d’etre surpris en le voyant en boule dans l’air

5.2 Capillarite et gravite

5.2.1 Longueur capillaire

• Competition entre capillarite γ, en N/m, et gravite, ρg, en N/m3

- leur rapport, en m2, definit la longueur : λ =√γ/ρg

- plus generalement, a l’interface entre deux fluides 1, 2 :

λ =

√γ12

(ρ1 − ρ2)g

5.2.2 Consequences

• Ordres de grandeur

- pour l’eau, on trouve λeau−air = 2, 7 mm

- pour beaucoup de liquides, on trouve aussi environ 2 mmen effet ils ont un rapport γ/ρ qui est comparable a celui de l’eau

• Separation des echelles- petites echelles = dominees par la capillarite- grandes echelles = dominees par la gravite- ex : a la surface de l’eau : ω2 = gk+ (γ/ρ)k3, les petites ondes (rides) sont determinees par latension de surface,

les grandes ondes (houle) par la gravite- ex : au sein du champagne, une petite bulle (quelques centaines de microns) reste spherique- ex : quand un liquide se fragmente sous l’effet de la gravite, la taille des gouttes est de l’ordrede λ (en microgravite, les gouttes sont plus grandes)- ex : une bulle de savon de plusieurs dizaines de centimetres reste spherique sans sentir l’effetde la gravite

5.2.3 Forme d’equilibre d’une surface

• Equation de la surface- Laplace au point z s’ecrit : Pair(z)− Peau(z) = γκ- si z est oriente vers le haut, l’hydrostatique dans l’eau s’ecrit : Peau(z)−Peau(z0) = −ρeaug(z−z0).- prenons la reference z0 la ou la surface est plate et horizontale : Peau(z0)− Pair(z0) = 0.- l’hydrostatique dans l’air s’ecrit : Pair(z0)− Pair(z) = ρairg(z − z0).- en regroupant ces 4 equations on obtient : 0 = γκ− (ρeau − ρair)g(z − z0)

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54 CHAPITRE 5. MOUILLAGE, GRAVITE

- on peut a-dimensionner cette expression (et prendre z0 = 0 pour simplifier) : z = λ2κ- la condition aux limites est que l’angle est fixe par le mouillage.

• Discussion physique- on peut faire l’approximation lineaire : κ ≈ z′′

l’equation de la surface s’ecrit alors : z = λ2z′′

- la solution est exponentielle z(x) ∝ exp(±x/λ)donc λ est la longueur d’ecran

- la courbure n’est pas constante, ce n’est pas un arc de cercle en general- NB : le profil exact (sans approximation) est calculable ;

la forme des gouttes permet d’ailleurs de mesurer γ, voir livre de de Gennes pp. 58-67

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5.3. MOUILLAGE ET GRAVITE 55

5.3 Mouillage et gravite

La gravite donne l’equation differentielle ; le mouillage donne la condition aux limites (il fixel’angle au bord)

5.3.1 Menisque (“croissant”, en grec)

Presentation

• Soit une paroi solide verticale,

- on a vu que si le liquide mouille, il y a depression = aspiration

- le liquide monte ; il s’arrete quand il y a equilibre (on peut raisonner en energie ou en force,c’est equivalent)

• Dimensions du menisque

- largeur : on a vu que c’est d’ordre de la longueur capillaire λ (decroissance exponentielle)

- la hauteur aussi est de l’ordre de λ

attention : son signe depend de l’angle de mouillage θ ; et sa valeur aussi ; elle est evidemmentmaximum lorsque θ = 0

• ex : marche sur l’eau du gerris

- pattes non mouillables pour l’eau : la resultante des forces de surface est vers le haut

- si on met du detergent sur l’eau, la tension de surface devient trop faible, et θ devient < π/2 :le gerris tombe a l’eau

Forme

• Formes 2D : voir de Gennes p 49-50

- petite deformation : chaınette (cosinus hyperbolique)

c’est soit la taille du recipient, soit λ qui compte : c’est la plus petite

- si λ < R, ou 2R est la distance entre parois du recipient, alors les deux exponentielles sesuperposent

alors la forme tend vers une calotte spherique ; en ce cas, la gravite ne joue pas de role

- si λ > R, on a deux raccords exponentiels bien separes

5.3.2 La montee capillaire

Observation : Vinci ; experience : Hauksbee, Jurin

Origine physique

• Remplacer une interface par une autre (et non par deux)

- on a deja vu le tableau des θ croissants : S > 0 / θ = 0 / S < 0

- parametre d’impregnation : I = γSV − γSL = S + γ = γ cos θ

I > 0 si θ < π/2 : impregnant = plutot mouillant

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56 CHAPITRE 5. MOUILLAGE, GRAVITE

Calcul : de combien monte le liquide ?

• Simplification :- rayon r � λ, h (a verifier a posteriori) : cela permet d’oublier les details du menisque

- l’energie a un facteur 1/2 qui vient de l’integration en volume du potentiel,∫ h

0ρgz dz = ρgh2/2 :

E = ELV − 2πrhI +1

2ρgπr2h2

- c’est valable aussi bien pour I < 0 que pour I > 0- d’ou la hauteur qui minimise E (le 3eme terme etant constant) :

H =2γ cos θ

ρgr=

2λ2 cos θ

r

OG et exemples

- rappel : l’angle de contact depend fortement de la proprete !- tube de 1 mm = s’il etait propre, on imaginerait de monter au maximum de 1 cm- a l’extreme : tube de 10 µm, θ = 0 : ca pourrait imaginer atteindre 1 m- c’est, etymologiquement, la raison pour laquelle on parle de “capillarite”

(= “effet qui se manifeste dans un tube aussi fin qu’un cheveu”)

• Exemples courants- pourquoi les eponges mouillees ne coulent pas ?- sucre du cafe, pain pour saucer, serpilliere, coton, laine ; la seve des arbres- papier : filtre, buvard, mouchoir, essuie-tout !- contraire : cas non-mouillant = goretex