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Maurice Blanchot et Michel Foucault : hétérotopies par Manola Antonioli La multiplicité n’est ni axiomatique ni typologique, mais topologique. Le livre de Foucault représente le pas le plus décisif dans une théorie-pratique des multiplicités. Telle est aussi, d’une autre façon, la voie de Maurice Blanchot dans la logique de la production littéraire qu’il élabore : le lien le plus rigoureux entre le singulier, le pluriel, le neutre et la répétition, de manière à récuser tout à la fois la forme d’une conscience ou d’un sujet, et le sans-fond d’un abîme indifférencié. Foucault n’a pas caché la parenté qu’il éprouve à cet égard avec Blanchot. Gilles Deleuze, Foucault Foucault a reconnu à plusieurs reprises sa dette à l’égard de Maurice Blanchot : « Klossowski, Bataille, Blanchot, ont été pour moi très importants. Et je crains bien de n’avoir pas fait dans ce que j’ai écrit la part suffisante à l’influence qu’ils ont dû avoir sur moi. 1 » De son côté, Maurice Blanchot a consacré un petit livre à la pensée de Foucault, Michel Foucault tel que je l’imagine (MF). Mais le lien entre ces deux auteurs ne se limite pas à l’influence réciproque dont témoignent leurs écrits, ni à l’intérêt commun pour certains « thèmes » récurrents (le langage, la loi, le pouvoir, les espaces). Leur rencontre a lieu de façon plus essentielle dans une sorte de topographie commune, la capacité de montrer − dans la théorie et la fiction − les « lieux autres », que Foucault a appelés hétérotopies, et leur rapport au temps, au langage, aux énoncés du savoir et aux stratégies du pouvoir. La pensée du dehors Au cours des années 1960, Foucault a publié un ouvrage sur Raymond Roussel 2 ainsi qu’une série d’importants articles sur la littérature, dont « La pensée du dehors 3 », consacré à Maurice 131

Maurice Blanchot et Michel Foucault : hétérotopies par Manola Antonioli

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Maurice Blanchot et Michel Foucault : hétérotopies par Manola Antonioli

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  • Maurice Blanchot et Michel Foucault :htrotopies

    par Manola Antonioli

    La multiplicit nest ni axiomatique ni typologique, mais topologique. Le livre de Foucault reprsente le pas le plus dcisif dans une thorie-pratique des multiplicits. Telle est aussi, dune autre faon, la voie de Maurice Blanchot dans la logique de la production littraire quil labore : le lien le plus rigoureux entre le singulier, le pluriel, le neutre et la rptition, de manire rcuser tout la fois la forme dune conscience ou dun sujet, et le sans-fond dun abme indiffrenci. Foucault na pas cach la parent quil prouve cet gard avec Blanchot.

    Gilles Deleuze, Foucault

    Foucault a reconnu plusieurs reprises sa dette lgard de Maurice Blanchot : Klossowski, Bataille, Blanchot, ont t pour moi trs importants. Et je crains bien de navoir pas fait dans ce que jai crit la part suffisante linfluence quils ont d avoir sur moi.1 De son ct, Maurice Blanchot a consacr un petit livre la pense de Foucault, Michel Foucault tel que je limagine (MF).

    Mais le lien entre ces deux auteurs ne se limite pas linfluence rciproque dont tmoignent leurs crits, ni lintrt commun pour certains thmes rcurrents (le langage, la loi, le pouvoir, les espaces). Leur rencontre a lieu de faon plus essentielle dans une sorte de topographie commune, la capacit de montrer dans la thorie et la fiction les lieux autres , que Foucault a appels htrotopies, et leur rapport au temps, au langage, aux noncs du savoir et aux stratgies du pouvoir.

    La pense du dehors

    Au cours des annes 1960, Foucault a publi un ouvrage sur Raymond Roussel 2 ainsi quune srie dimportants articles sur la littrature, dont La pense du dehors3 , consacr Maurice

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  • Blanchot. cette poque, la littrature constitue pour Foucault une voie daccs privilgie la bance entre le langage et le sujet que lpoque contemporaine a dcouverte travers la linguistique, ltude des mythes ou la psychanalyse :

    Ltre du langage napparat par lui-mme que dans la disparition du sujet.4 Cest dans la littrature, partir de la seconde moiti du XIXe sicle, que saffirme cette exprience du dehors que Nietzsche a introduite au sein de la philosophie : chez Mallarm, qui expose le mouvement du langage dans lequel disparat celui qui parle, chez Artaud, qui introduit dans la langue la violence du corps et du cri, chez Bataille, dans le discours de la transgression et de la limite, et dans lexprience du double et des simulacres qui traverse luvre de Klossowski. Pour Foucault, Blanchot nest pas seulement lun des tmoins de la pense du dehors, mais celui qui lincarne, qui est pour nous cette pense mme la prsence relle, absolument lointaine, scintillante, invisible, le sort ncessaire, la vigueur calme, infinie, mesure de cette pense mme5 . Lextrme difficult que prsente lcriture de Blanchot est la difficult mme que lon rencontre quand on veut donner au dehors un langage qui lui soit fidle. Le risque dans lcriture thorique, comme dans la fiction est celui de tisser nouveau la vieille trame de lintriorit . Cest pour chapper ce pige que Blanchot essaie de convertir le langage rflexif , en ayant recours aux procds les plus frquents de son criture : lusage non dialectique de la ngation6, le ressassement et la rptition, le ruissellement dun langage qui a toujours dj commenc . Le langage de la fiction doit, son tour, se plier une conversion analogue : il ne doit plus multiplier et faire briller les images pour faire voir linvisible, mais parvenir montrer combien est invisible linvisibilit du visible7 . Les rcits de Blanchot mettent ainsi en scne limpossible vraisemblance des rencontres, de la proximit et de la distance entre les hommes, les femmes, les choses et les mots, travers des lieux sans lieu , les maisons, les couloirs, les chambres, les portes qui se multiplient sans cesse, espaces clos et ouverts en mme temps. Cest ce mode dtre singulier du discours (plutt que la prsence des mmes thmes) qui dfinit le lieu commun aux romans ou aux rcits de Blanchot et son criture critique , et cette mme distinction ne cesse de sattnuer, jusqu lcriture ni narrative ni rflexive de LAttente LOubli, ou celle suspendue entre fiction et tmoignage de LInstant de ma mort.

    Foucault analyse aussi certaines des figures sans figure ou sans image de lcriture de Blanchot : lattirance et la ngligence, la

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  • loi, Euridyce, les Sirnes, le double et le compagnon , la logique neutre du ni... ni... ses yeux, elles annoncent la dfaillance du sujet qui sinscrit dans le passage du je la dimension neutre du il , qui installe lambigut et la fragmentation au cur de toute identit. Une puissance neutre semble ainsi stendre, progressivement, du langage littraire au langage quotidien et toute identit qui voudrait constituer un centre de cohrence ou un principe dunit immuable et autonome.

    La prsence sans visage qui annonce cette exprience impossible du dehors est tout particulirement celle du compagnon , double trange qui hante presque tous les narrateurs anonymes des rcits et romans de Blanchot. Ce compagnon toujours drob, ce double qui reste toujours distance tout en tant extrmement proche, attire irrsistiblement hors de soi lintriorit du narrateur, creuse le dedans du je pour y introduire la puissance impersonnelle du dehors, dun langage sans sujet assignable, une loi sans dieu, un pronom personnel sans personnage, un visage sans expression et sans yeux, un autre qui est le mme8 .

    Dans La pense du dehors , Foucault a mis galement en vidence la dimension politique, longtemps nglige par les commentateurs, de lcriture de Blanchot. En effet, celui-ci ne cesse de montrer, tout particulirement dans Thomas lObscur, Aminadab et Le Trs-Haut, les lieux o se manifeste sous toutes ses formes une loi insaisissable et inaccessible, les lieux o le lien entre le langage et les structures juridico-politiques qui le fondent devient visible et reste, cependant, toujours cach. Si la dimension institutionnelle de ces lieux (chambre dhpital, tribunal, salle de classe...) semble voquer les lieux du pouvoir disciplinaire dans lequel Foucault verra en 1975 (Surveiller et punir) lune des structures typiques de la modernit, la nature insaisissable de ce pouvoir partout prsent, visible et invisible en mme temps, se rapproche plutt des formes de scurit et de police , des mcanismes de ce que Deleuze, partir dune lecture de Foucault, a appel la socit de contrle9 .

    Quelques annes aprs la publication de Lcriture du dehors , Foucault propose lors dun entretien10 une nouvelle interprtation de luvre de Blanchot, qui tmoigne galement dun changement dorientation de sa recherche personnelle ; le 22 dcembre 1970, il prononce en effet sa leon inaugurale au Collge de France, publie sous le titre LOrdre du discours11, qui marque le dbut dun intrt renouvel pour le politique.

    Interrog par les rdacteurs dune revue littraire japonaise, Foucault exprime une vidente dsillusion vis--vis de la puissance

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  • de transgression dont peut tre capable la littrature dans le monde contemporain. Si des crivains comme Hlderlin et Artaud ont pu affirmer dans leur criture la puissance de la folie, si Sade et Bataille ont su imposer le discours de la transgression sexuelle, si Mallarm et Blanchot ont su montrer les ressources inoues du langage et de lcriture, il faut bien reconnatre dclare Foucault quaujourdhui la bourgeoisie en est arrive vaincre la littrature , et que la subversion par la littrature est probablement devenue un pur fantasme, cause de la puissance de rcupration du capitalisme, de ses maisons ddition et de ses journalistes. Blanchot est cit dans ces pages comme le dernier crivain , celui qui a su dlimiter un espace littraire irrductible qui sest constitu au cours des XIXe

    et XXe

    sicles, mais dont la fonction transgressive et subversive est en train de disparatre. Ayant recours une comparaison trs audacieuse, Foucault prsente Blanchot comme le Hegel de la littrature : comme Hegel a transform les murmures de lHistoire pour crer le sens mme de la modernit, Blanchot a extrait quelque chose de toutes les uvres importantes de lOccident, quelque chose qui leur a permis aujourdhui, non seulement de nous interpeller, mais aussi de faire partie du langage que nous parlons aujourdhui12 . Mais le Hegel de la littrature est en mme temps loppos de Hegel : le philosophe allemand a expos le contenu de lhistoire de la philosophie et des grandes tapes de lhistoire universelle pour montrer leur immanence au prsent, pour produire une magnifique synthse de lintriorisation sous forme de mmoire13 , alors que Blanchot sest adress aux grandes uvres de la littrature pour prouver quelles existent en dehors de nous, et que nous sommes notre tour en dehors delles, pour montrer leur altrit irrductible. Il na donc pas poursuivi une immanence compacte , mais une nigmatique dispersion .

    Cest ainsi que Blanchot lui-mme glisse constamment en dehors de la littrature, chaque fois quil en parle14 . Loin dtre le chantre nostalgique de la puret jamais perdue de lespace littraire, Blanchot nous a appris dit Foucault sortir de la littrature, ne pas nous y enfermer comme dans un simple lieu de communication ou de reconnaissance : Cest justement lui qui a racont les choses les plus profondes sur ce qua t la littrature, et cest lui qui, tout en esquivant constamment la littrature, nous a montr quil fallait sans doute se mettre en dehors de la littrature.15 Blanchot est donc lauteur qui a su dlimiter le lieu sans lieu dune extriorit littraire irrductible toute intriorit, mais en mme temps celui qui nous a appris reconnatre la dimension inessentielle et

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  • anonyme dune littrature qui a progressivement perdu sa valeur exemplaire, son potentiel rvolutionnaire.

    Cest la lecture de Blanchot (mais aussi de Roussel, Hlderlin, Klossowski, Bataille, Sade, Artaud et du Nouveau Roman) qui, dans les annes 1960, a pouss Foucault accorder une place privilgie lcriture littraire, mais cest toujours lexprience extrme dont tmoigne luvre de Blanchot qui a plus tard contribu faire natre en lui le doute quant la fonction subversive de lcriture, doute qui concerne tout la fois la littrature, la philosophie et lcriture en gnral. Foucault, dans les annes 1970, oriente ainsi son tude des pratiques discursives vers le questionnement des stratgies, des dispositifs et mcanismes de pouvoir qui traversent l ordre du discours , et une nouvelle lecture de Blanchot semble avoir sinon dtermin, au moins accompagn ce changement de direction fondamental de ses recherches.

    Quelques mots, personnels

    son tour, Blanchot a consacr Foucault, aprs sa mort, un petit texte intitul Michel Foucault tel que je limagine. Le recours un je qui nest pas celui de lidentit narrative (toujours traverse par la troisime personne, par la dimension neutre et impersonnelle du il ), mais qui semble concider avec celui de lauteur, est assez surprenant de la part de Blanchot. Le Michel Foucault dont il est question nest pas lauteur dune uvre philosophique quil sagirait dtudier avec la distance du commentaire savant, mais un personnage qui appartient lexprience singulire et l imagination du lecteur Maurice Blanchot, qui ne nous avait pas habitus de tels procds dappropriation et dintriorisation. Limpression trange que suscite le titre de louvrage se confirme et saccentue la lecture des premires lignes : Quelques mots, personnels. Prcisment, je suis rest avec Michel Foucault sans relation personnelle. (MF 9) Lexprience personnelle de la rencontre avec Foucault na jamais eu la dimension dune relation personnelle ; le seul pisode de cette rencontre qui na pas eu lieu est un change anonyme dans la cour de la Sorbonne pendant les vnements de mai 1968, quand Blanchot avait exceptionnellement choisi de participer la vie publique, alors que Foucault tait rest trangement lcart, un peu rserv ou ltranger . La vraie rencontre avait dj eu lieu par lintermdiaire de ce que Blanchot dfinit comme le premier livre de Foucault (il sagit en ralit de lHistoire de la folie, qui nest pas son premier livre), lequel lui avait t

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  • communiqu par Roger Caillois, exalt et perplexe face ce nouveau style, puisque crit Blanchot personne naime se reconnatre, tranger, dans un miroir o il ne discerne pas son double, mais celui quil aurait aim tre (MF 11), sans quon puisse savoir si cette rflexion se rfre lexprience de Roger Caillois ou celle de Maurice Blanchot lui-mme, personnellement. Dans LEntretien infini, un texte de Blanchot tmoignait dj de cette rencontre avec luvre de Foucault16. Blanchot crivait que lHistoire de la folie nest pas tant une histoire de la folie quune histoire des limites , des gestes par lesquels une culture rejette quelque chose qui constituera pour elle lExtrieur. La socit fait exister la folie, par ses noncs et ses pratiques, pour rpondre lexigence d enfermer le dehors . Dans le livre quil a consacr Foucault, Deleuze a recours ces pages de Blanchot pour rfuter les critiques qui ont pu reprocher Foucault dtre simplement le penseur de lenfermement : Comme le dit Maurice Blanchot propos de Foucault, lenfermement renvoie un dehors, et ce qui est enferm cest le dehors.17 Dans Michel Foucault tel que je limagine, Blanchot prolonge ce dialogue distance (une distance dsormais devenue inluctable, cause de la mort) et interroge les figures principales qui caractrisent lcriture de Foucault et sa mthode de recherche. Il affirme que Foucault privilgie dans lhistoire une certaine discontinuit, sans faire de cette discontinuit une rupture : avant les fous, par exemple, il y a eu les lpreux, et cest dans les mmes lieux (rels et symboliques) laisss vides par les lpreux quon amnagera ensuite des abris pour dautres formes dexclusion. Mme si Foucault, aprs lHistoire de la folie, se reprochera plusieurs reprises de stre laiss sduire par lide dune profondeur de la folie et par son caractre hroque, dont tmoigne lexprience des potes et des artistes, aux yeux de Blanchot cette erreur lui a t bnfique, parce quelle lui a permis de dcouvrir son peu de got pour la notion de profondeur et de mettre en uvre un discours de surface, le discours dun homme solitaire et secret, prt affronter les prils de sa recherche et explorer les relations ambigus des ralits quil tudie avec les divers dispositifs du pouvoir.

    Si Foucault soulignait chez Blanchot la prsence du dehors et de lextriorit, Blanchot lit dans luvre de Foucault le got pour la discontinuit et la capacit dtudier les effets de surface des discours et du pouvoir : Cest une question de mthode en gnral : au lieu daller dune extriorit apparente un noyau dintrioritqui serait essentiel, il faut conjurer lillusoire intriorit pour rendre les mots et les choses leur extriorit constitutive.18

    Dans la lecture de Blanchot, LArchologie du savoir et LOrdre

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  • du discours marquent la priode (et en mme temps, la fin de la priode) o Foucault prtendait mettre dcouvert des pratiques discursives presque pures, en analysant les rgles de leur formation, leur absence dorigine et dauteur, leur nigmatique transparence, faites datomes la fois singuliers et multiples, si lon veut bien admettre quil y a des multiplicits qui ne se rfrent aucune unit (MF 20). la diffrence du structuralisme, duquel il a toujours voulu se dmarquer, Foucault na jamais rejet lhistoire, mais il na jamais cess dy distinguer des discontinuits et des discrtions nullement universelles, mais locales (MF 24). Blanchot remarque que lautonomie du discours dans LArchologie du savoir nest quillusoire, puisquelle renvoie dj une philosophie politique, une nouvelle forme dextriorit pragmatique, o sannoncent les rapports multiples du savoir et du pouvoir, et lobligation de nous rendre conscients des effets politiques que produit tel ou tel moment de lhistoire lantique dsir de dmler le vrai du faux (MF 32). En effet, dcrire rigoureusement les noncs dans leur paisseur matrielle et dans leur extriorit na de sens, pour Foucault, que dans la mesure o cette couche autonome des discours peut tre mise en rapport avec des stratgies non discursives, sociales et politiques. Un nonc ne peut tre dfini que par la place quil occupe dans un espace social et dans une poque de lHistoire, que par son existence concrte et par les effets quil produit : Un nonc est toujours un vnement que ni la langue ni le sens ne peuvent tout fait puiser.19 Blanchot montre ainsi que la thorie de lnonc, qui sinscrit apparemment dans une logique pure et abstraite des pratiques discursives, assure dj la transition entre l archologie du savoir et le projet de gnalogie du pouvoir que Foucault poursuivra partir de Surveiller et punir.

    Surveiller et punir marque dfinitivement le passage de ltude des seules pratiques discursives ltude des pratiques sociales qui en constituent larrire-plan. Encore une fois, Blanchot souligne la dimension spatiale des analyses de Foucault : le quadrillage strict de lespace mis en place pour lutter contre la peste, linvention dune technologie de lordre qui sera la base de ladministration rigoureuse des villes modernes, la cartographie de lespace psychique et intellectuel, les rgles (politiques) dun strict arpentage de lespace physique et social qui finira par soumettre les corps dans les lieux du pouvoir disciplinaire (casernes, coles ou hpitaux). Foucault ne sintresse pas au concept du pouvoir en gnral, mais la formation et la spcificit des relations de pouvoir. Quand on lui reproche son refus danalyser la centralit du pouvoir sous sa

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  • forme tatique ou que lon stigmatise son apolitisme , on oublie ses engagements dans les luttes politiques de son temps, ainsi que son refus de jouer avec de grands desseins , qui ne seraient que lalibi avantageux de la servitude quotidienne (MF 44). Foucault occupe ainsi une position difficile et inconfortable, puisquil ne se reconnat et ne peut tre reconnu ni comme philosophe, ni comme sociologue, ni comme historien, ni comme structuraliste , ni comme mtaphysicien. Cette position complexe, interstitielle est aussi celle de Maurice Blanchot, ni romancier, ni critique littraire, ni philosophe, mais tout cela la fois, et encore autre chose.

    Le petit livre de Blanchot sachve sur lvocation des derniers tomes de lHistoire de la sexualit, o Foucault est la recherche dune thique individuelle, dont lexigence senracine peut-tre dans son exprience personnelle, et sur la revalorisation des pratiques amicales et de la philia comme modles de vertu chez les Grecs et les Romains. Blanchot dclare enfin, par-del la mort, son amiti intellectuelle pour Foucault, amiti qui est toujours chez lui le lieu paradoxal dune rupture et dune interruption, qui sinscrit toujours dans l imprvisible tranget de la fin , dans limminence infinie du mourir, et qui introduit limpersonnel au cur de toute relation personnelle, ft-ce la plus proche et la plus intime.

    Htrotopies de la loi et du pouvoir

    Ce qui frappe dans les crits de Blanchot sur Foucault et dans ceux de Foucault sur Blanchot est une trange structure spculaire, un effet de miroir : chacun des deux auteurs souligne dans lcriture de lautre la prsence de caractres stylistiques, de figures, de centres dintrt quils partagent : le double, lusage non dialectique de la ngation, lintrt pour le langage comme extriorit, raret et discontinuit, la passion pour la littrature. Il ne sagit pas simplement du double tmoignage dune influence rciproque, mais de la rencontre, de lentrelacs, de lentrecroisement de deux penses, de deux critures qui restent pourtant spares, trs proches et trs loignes en mme temps, trangement apparentes. Mme si des changes comparables ont souvent lieu entre des auteurs qui appartiennent la mme communaut de pense (on retrouve ainsi la rfrence luvre de Blanchot dans luvre de Derrida ou la pense de Foucault et de Blanchot dans les uvres de Deleuze), le lien souterrain entre Foucault et Blanchot, leur dette rciproque, leur lien damiti littraire et philosophique est encore plus perceptible, tout en tant moins souvent comment

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  • et soulign. De faon inattendue, ce lien est encore plus visible dans les fictions de Blanchot que dans son uvre critique ou philosophique ; en effet, on sait quil est impossible de sparer lcriture fictionnelle de Blanchot de son criture thorique ou critique, et Blanchot nous rappelle que Foucault a affirm navoir jamais crit que des fictions20. Cest lintrt pour lespace qui les rapproche probablement le plus, la prsence des lieux singuliers que Foucault a appels htrotopies , et que lon peut aisment identifier dans lcriture narrative de Blanchot.

    Le concept dhtrotopie apparat pour la premire fois au dbut des Mots et les choses, en 1966, dans la clbre description de lencyclopdie chinoise invente par Borges. Foucault baptise htrotopie le dsordre qui fait scintiller les fragments dun grand nombre dordres possibles qui prside limprobable classement des animaux chez Borges, et il oppose lutopie lhtrotopie : lutopie se dploie dans un non-lieu de lespace, lhtrotopie dans un non-lieu du langage. Toujours en 1966, Foucault prononce la radio une confrence21, dans laquelle lhtrotopie relve dsormais dune analyse de lespace. Puisquil sagit dune mission radiophonique consacre lutopie et la littrature, le point de dpart de la confrence est nouveau une comparaison entre lutopie et lhtrotopie : les htrotopies sont des utopies qui ont un lieu prcis et rel, des utopies et des uchronies situes. Il sagit de contre-espaces, de lieux diffrents, dont Foucault donne des exemples extrmement htroclites (le fond du jardin, le grenier et la tente de lIndien ou le grand lit des parents qui devient pour les enfants tour tour ciel, ocan ou fort, mais aussi le miroir, le cimetire, la maison close, la prison, le village de vacances ou le bateau).

    Dans la version crite de cette confrence, profondment remanie et modifie22, Foucault souligne que ce qui lintresse rellement nest pas l espace du dedans , espace de la conscience traditionnellement subordonn la dure, mais un espace du dehors , espace htrogne fait d emplacements irrductibles les uns aux autres et absolument non superposables , et plus particulirement, dans cette htrognit globale des emplacements, certains espaces qui ont la curieuse proprit dtre en rapport avec tous les autres emplacements, mais sur un mode tel quils suspendent, neutralisent ou inversent lensemble des rapports qui se trouvent par eux dsigns, reflts ou rflchis23 . Il sagit dabord des utopies, qui sont des espaces irrels en analogie directe ou inverse avec la socit qui les cre, mais aussi des htrotopies, dfinies comme

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  • des lieux effectifs qui agissent comme des miroirs de la socit qui les a produits : comme le miroir, ils en constituent une image virtuelle, tout en mettant en vidence les relations spatiales qui les constituent. Foucault envisage ainsi la constitution dune nouvelle discipline, dune htrotopologie qui aurait pour objet ces espaces, et dont il numre (dabord dans la version radiophonique de la confrence, puis dans la version rcrite en 1967) plusieurs principes. Tout dabord, il ny a pas de socit qui ne se constitue son (ses) htrotopie(s) : dans les socits primitives, ctaient les lieux privilgis ou sacrs destins aux individus en crise biologique , mais dans les socits modernes civilises , il sagit plutt de lieux que la socit mnage ses marges pour les fous, les personnes ges ou inactives, les criminels, des htrotopies de dviation (maisons de repos, prisons, cliniques psychiatriques, hpitaux, etc.). Ensuite, Foucault affirme que toute socit peut rsorber ou faire disparatre une htrotopie ou en organiser dautres : ainsi, lon a essay de faire disparatre les maisons closes, et le cimetire comme lieu spar est apparu partir du XVIIIe sicle ; dans la socit contemporaine, on pourrait penser au statut de plus en plus htrotopique de certaines banlieues des grandes villes, limportance politique de la situation territoriale et juridique inclassable de la base amricaine de Guantanamo, ou encore aux zones dattente dans les aroports internationaux rserves aux trangers qui demandent la reconnaissance de leur statut de rfugis : des non-lieux de non-droit qui semblent cristalliser lensemble des affrontements, des lignes de forces, des relations de pouvoir de lensemble de la socit. Foucault cite aussi des htrotopies qui juxtaposent en un lieu rel des espaces incompatibles (comme le thtre et le cinma, qui font coexister lespace-temps de la scne ou de lcran avec celui des spectateurs). Les htrotopies sont galement lies des dcoupages singuliers du temps, elles donnent lieu des htrochronies , comme la temporalit daccumulation des muses et bibliothques, qui arrtent le temps dans un espace pour constituer larchive gnrale dune culture dans des espaces de tous les temps . Toute luvre de Foucault pourrait tre lue, au fond, comme la tentative de constituer une htrotopologie , dtudier des espaces htrognes et discontinus, avec les htrochronies qui les caractrisent et les formes de pouvoir dont elles deviennent le support rel, imaginaire ou symbolique : de lextriorit des pratiques discursives, aux lieux du pouvoir disciplinaire dans Surveiller et punir, qui ouvrent lespace dune double articulation du pouvoir sur le corps de lindividu et du savoir au pouvoir24 , jusquaux processus

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  • de subjectivation que Deleuze a interprts topologiquement comme plissements du dehors25 .

    Mais on peut soumettre une mme lecture htrotopologique ou cartographique luvre de Blanchot (surtout ses fictions), pour dcouvrir de multiples rsonances ou points dintersection, des espaces tout autant htrognes, faits de discontinuits et de ruptures et en rverbration continuelle les uns avec les autres, contribuant confrer toute leur tranget ses rcits et romans. On pourrait multiplier les exemples en ce sens ; je me limiterai voquer ceux qui peuvent aider mieux souligner la proximit dloignement entre les textes de Blanchot et ceux de Foucault.

    Le Dernier Mot, rcit qui pourrait tre lu comme une sorte de scne primitive de lcriture de Blanchot, ouvre lespace de ses fictions travers le paradoxe dune narration qui se dit partir de limpossibilit de tout langage26. Ce rcit impossible met en scne toute la dimension institutionnelle qui garantit un espace du discours cltur, dlimit, rgl, et qui sorganise autour dune srie de lieux domins par lespace dsormais vide de la bibliothque. Dans la plus belle rue de la ville , le narrateur entre dans un majestueux btiment, gard par deux lions de bronze : la bibliothque. Il vient tard , il est le dernier , le dernier lecteur dans une salle aux rayons vides. Aprs la disparition de la bibliothque (associe un vnement extraordinaire lextrieur, dont on ne saura jamais sil sagit dune fte, dune rvolution ou dun nigmatique sacrifice), le narrateur est confront la disparition de sa propre maison, qui nest plus quun long couloir senfonant sous la terre : Chez moi, je ne suis quun intrus. (DM 64) Tous les lieux de lintriorit ont disparu ; il ne reste que le cortge dans les rues, que le langage anonyme de la foule. On dcouvre ensuite que le narrateur est un juge : dans la figure de la bibliothque se dessine ainsi en creux un autre lieu de lordre, le tribunal. Puis, le juge devient professeur dans une salle de classe grande ouverte : tous les lieux clos des institutions sont rendus louverture. Si la bibliothque ne peut plus tre le lieu de sauvegarde et de transmission des livres et du savoir quils contiennent, lcole ne peut plus tre le lieu de commentaire du livre, un livre de grandes dimensions, renforc dune paisse reliure (DM 68). Il ny a plus de textes sacrs, de textes fondamentaux qui puissent faire lobjet dun commentaire, de textes religieux, juridiques ou littraires qui gardent leur identit premire travers la rptition dun sens originaire : Depuis quon a supprim le mot dordre, dis-je, la lecture est libre. Si vous jugez que je parle sans savoir ce que je dis, vous resterez dans votre droit.

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  • Je ne suis quune voix parmi les autres. (DM 68) Litinraire du narrateur dans la ville et les rles diffrents quil joue tout au long de son parcours dessinent un rseau complexe de lieux institutionnels consacrs la lecture des textes, aux activits dinterprtation et de transmission du savoir et de la justice. Dans Le Dernier Mot, toutes les procdures internes de contrle et de dlimitation du discours analyses par Foucault dans LOrdre du discours27, et qui sont destines matriser lvnement et le hasard du langage, se sont effondres et disparaissent progressivement sous le regard dun narrateur qui est le dernier , le dernier drisoire garant de la loi, le dernier lecteur et le dernier juge.

    Comme Foucault la soulign dans La pense du dehors , lomniprsence de la loi ne cesse de se dployer travers toutes ses figures et ses lieux dans Le Trs-Haut et Aminadab. Les deux romans dessinent un espace de convergence entre criture littraire et criture politique. Aminadab et Le Trs-Haut ne donnent pas voir la loi ou le pouvoir, mais prsentent un univers fait dhistoires diffrentes et divergentes, de points de vue htrognes (celui des domestiques et celui des pensionnaires dans Aminadab, celui dHenri Sorge et celui de Bouxx dans Le Trs-Haut), qui essaient de dvoiler, sans jamais y parvenir, la dimension cache dune loi qui se situe au-del de la visibilit des rglements, de ltat, du pouvoir et de la rvolution. Aminadab est le rcit de lerrance de Thomas dans une maison (trange demeure, pension, prison, ou hpital) qui semble tre soumise (et vouloir le soumettre) des lois quil ne connat pas. Il est en mme temps pensionnaire plein titre et toujours tranger, apparemment soumis aux normes, aux rglements et interdictions qui dirigent la vie dans la maison, et cependant il demeure toujours lcart de ses habitants et de ses domestiques.

    Dans Le Trs-Haut, il y a une multitude de discours qui sefforcent de pntrer le secret de la loi, de la rendre visible. Henri Sorge est fonctionnaire, employ lHtel de Ville dans les bureaux de ltat civil, au cur de la forme premire de la loi, qui transforme la naissance et la mort en institution : Grce nous, les individus avaient une existence juridique, ils laissaient une trace durable, lon savait qui ils taient. (TH 32) Sorge semble rester toujours soumis la loi quil sert, mais il acquiert une conscience de plus en plus lucide de la puissance anonyme du pouvoir et de ltat :

    Que la loi ft toujours en mouvement, quelle passt indfiniment de lun lautre, prsente partout, avec sa lumire gale, transparente et absolue, clairant chacun et chaque objet dune manire toujours diverse et pourtant identique, tout me le faisait sentir et, sentant cela, tantt jtais transport et ivre, tantt je me demandais si je ntais pas dj mort. (TH 32)

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  • On peut mettre en rapport cette loi de visibilit et dinvisibilit du pouvoir avec la structure du pouvoir disciplinaire moderne, dcrite par Foucault dans Surveiller et punir :

    Traditionnellement le pouvoir, cest ce qui se voit, ce qui se montre, ce qui se manifeste, et de faon paradoxale trouve le principe de sa force dans le mouvement par lequel il la dploie. Ceux sur qui il sexerce peuvent rester dans lombre ; ils ne reoivent de lumire que de cette part de pouvoir qui leur est concde, ou du reflet quils en portent un instant. Le pouvoir disciplinaire, lui, sexerce en se rendant invisible ; en revanche il impose ceux quil soumet un principe de visibilit obligatoire.28

    Ce pouvoir est multiple, automatique et ne laisse pas de zones dombre autour de ceux quil est charg de surveiller ; il reste anonyme mais, travers ltat civil, travers ses procdures didentification et de signalement, il donne un nom tous les individus et aspire les livrer une visibilit sans rsidu. Le modle dun pouvoir centralis, qui sexercerait travers une rpression massive, est remplac par un pouvoir sans centre, qui agit simultanment sur tous les points, qui na pas de chef et qui est donc dautant plus puissant. Cest ce genre de pouvoir, celui qui rgle la vie de la ville, qui constitue le dcor du Trs-Haut, et qui, grce son invisibilit, rend dautant plus visible la majest de la loi dont il nest que lune des manifestations. Mais dans les romans et rcits de Blanchot, et tout particulirement dans Le Trs-Haut, la loi garde une dimension transcendante qui la diffrencie, mon avis, du pouvoir dont Foucault analyse la microphysique, dont la multiplicit, lomniprsence et lhtrognit ne renvoient plus aucune dimension surplombante et se dploient dune faon radicalement immanente tous les niveaux des institutions, des discours de la socit, et jusqu la vie et au corps mmes des individus.

    Pendant un cong prolong dHenri Sorge, lordre de la loi auquel il appartient est boulevers par une pidmie. la faveur des dsordres provoqus par la maladie, une organisation rvolutionnaire tente de dstabiliser le pouvoir en place. Lexercice du pouvoir (du pouvoir officiel, mais aussi de celui de Bouxx, le chef de la rvolte), est intriqu dornavant au dveloppement de lpidmie, aux usages politiques de la maladie29. Le Trs-Haut devient ainsi une sorte de trait fictionnel sur la biopolitique, thorise bien plus tard par Michel Foucault30. Ce terme dsigne la transformation du pouvoir entre la fin du XVIIIe sicle et le dbut du XIXe, quand il ne sagit plus seulement dimposer aux individus des procds disciplinaires, mais de gouverner une population : travers une multitude de biopouvoirs (qui contrlent et aspirent prendre en charge la gestion de la sant,

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  • de lhygine, de lalimentation, de la sexualit, de la natalit, etc.), la vie, la sant, le sexe et la maladie deviennent des enjeux politiques. Cette mutation est encore et plus que jamais dactualit aujourdhui, quand la gestion des pidmies, la prvention des accidents de la route, du tabagisme et de la consommation dalcool, le contrle de la dmographie et des flux de population constituent des enjeux essentiels du pouvoir sous toutes ses formes.

    Ce lien entre lexercice du pouvoir et la gestion de la vie est dj parfaitement visible dans ce roman de Blanchot, crit en 1948, dans le deuxime aprs-guerre (il ne faut pas oublier que le nazisme a t lexpression paroxystique des processus biopolitiques dans lhistoire rcente, et que La Peste dAlbert Camus avait t publi en 1947). Le roman expose ainsi les opinions divergentes dHenri Sorge, de Bouxx et de Dorte sur ltat de la rvolution, sur les rapports entre la maladie et la loi. La maladie (dans la ville, on parle de peste ) apparat comme un lieu de subversion, un tat dsordonn, contagieux, dans lequel on ne sait plus qui est malade et qui est mdecin, qui est gardien et qui est prisonnier, quelles sont les zones interdites et dangereuses de la ville et o se trouvent les zones protges ; mais lpidmie semble, en mme temps, servir le pouvoir en place, la loi parat de plus en plus contrler lpidmie et les rvolutionnaires qui veulent la dfier. En effet, la biopolitique est le rsultat de laction efficace dun ensemble de biopouvoirs, mais la vie, le devenir des corps, les affects et les dsirs qui les traversent peuvent leur tour constituer les lieux dmergence dun contre-pouvoir31, et cette ambigut est au cur du roman de Blanchot. Parfois lpidmie napparat que comme un prtexte pour soumettre la ville un pouvoir mdico-judiciaire : le beau-pre de Sorge, personnage officiel de premier plan, affirme ainsi que la maladie est une cration au service de ltat, un plan pour justifier des mesures administratives et maintenir les citoyens sous le joug de la police :

    Lon parle pourtant de cas dpidmie. Les journaux en parlent en effet : une dizaine de cas suspects. Mais il faut lire entre les lignes, ce sont plutt des cas administratifs, une ide pour en finir avec la crasse des vieux quartiers et mettre au pas une rgion arrire. (TH 66)

    Dans Surveiller et punir, Foucault sest intress au lien entre pouvoir et pidmie, en diffrenciant les procds traditionnels dexclusion des lpreux et les mesures de lutte contre la peste dans les socits modernes. Lexclusion des lpreux, jusqu la fin du Moyen ge, tait ralise par un ensemble de lois, de rglements

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  • et de rituels destins tablir un partage entre les malades et les autres ; la lutte contre la peste se ralise au contraire par un strict quadrillage de lespace urbain :

    Dabord, un strict quadrillage spatial : fermeture, bien entendu, de la ville et du terroir , interdiction den sortir sous peine de la vie, mise mort de tous les animaux errants ; dcoupage de la ville en quartiers distincts o on tablit le pouvoir dun intendant. Chaque rue est place sous lautorit dun syndic ; il la surveille ; sil la quittait, il serait puni de mort. [...] Espace dcoup, immobile, fig. Chacun est arrim sa place. Et sil bouge, il y va de sa vie, contagion ou punition. Linspection fonctionne sans cesse. Le regard partout est en veil.32

    Dans la ville du Trs-Haut, lpidmie devient donc lincarnation relle et imaginaire du dsordre, qui requiert un dispositif de contrle mdical et policier. Les deux pouvoirs, dans les analyses de Foucault comme dans lcriture de Blanchot, sont toujours entrelacs : ainsi, dans Le Trs-Haut, cest la police qui vrifie que chacun a son timbre de vaccination. La police devient envahissante, omniprsente, son action est gnralise et semble devenir de plus en plus indpendante de tout pouvoir tatique et judiciaire, mme si elle prtend toujours agir au nom de ltat et de la loi. On touche l, travers la fiction, une forme de pouvoir qui nest plus seulement disciplinaire, mais aussi et avant tout scuritaire ; Foucault parlait dj, en 1975, de la police dans les socits modernes comme dun instrument de surveillance permanente, omniprsente et invisible, dune autonomie croissante de lappareil policier par rapport au pouvoir judiciaire33. Le Trs-Haut met donc en scne aussi, dans ltat dexception provoqu par lpidmie, cette essence spectrale34 de la police moderne et les rapports quivoques quelle entretient avec ltat et la loi quelle prtend servir et sauvegarder. Dans les analyses de Foucault comme dans les fictions de Blanchot, les problmes despace sont communs toutes les formes du pouvoir : la souverainet sexerce dans les limites dun territoire, la discipline sur le corps des individus et la scurit dploie ses technologies du pouvoir sur lensemble de la population35.

    Le corps utopique

    Lautre lieu dont Foucault et Blanchot exposent linquitante tranget et la singularit htrotopique est le corps. Chez Foucault, le corps est toujours prsent, depuis le corps malade dont il retrace lhistoire dans la Naissance de la clinique, jusquau corps supplici et soumis au pouvoir disciplinaire dans Surveiller et punir, au corps assujetti et thtre des rapports de pouvoir dans le cadre

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  • de la biopolitique, au corps rotis et envisag comme un lieu de rsistance et de production de subjectivit dans lHistoire de la sexualit.

    Dans luvre de Blanchot, le corps peut premire vue paratre absent, voqu seulement ltat de cadavre dans les crits thoriques et critiques, et totalement inconsistant dans latmosphre dsincarne des romans et des rcits. En ralit, la prsence du corps est un lment essentiel dans ses uvres de fiction, mme sil est difficile pour le lecteur den saisir les contours, puisque la pense du corps qui pourrait samorcer ici scarte de la phnomnologie du corps laquelle nous a consciemment ou inconsciemment acquis la pense contemporaine36 . Dans le cadre de la mme mission radiophonique qui a diffus le 7 dcembre 1966 la confrence sur les htrotopies, Foucault a prononc le 21 du mme mois une confrence sur Lutopie du corps37 , qui se situe galement en rupture totale avec le corps des phnomnologues, de Husserl Merleau-Ponty38, et qui nous offre indirectement des outils conceptuels pour mieux clairer lexprience du corps dans les romans et rcits de Blanchot.

    La confrence souvre sur lvocation du corps dit propre comme topie impitoyable , interface originaire entre moi , les autres et le monde, laquelle je ne peux chapper, qui est toujours ici et jamais ailleurs, le contraire dune utopie. Les utopies semblent ainsi natre du dsir deffacer lexprience quotidienne du corps et son opacit, de le transfigurer pour en faire un corps beau, limpide, lumineux et transparent, un corps sans corps dans le lieu sans lieu de lutopie. Lutopie premire est donc celle dun corps incorporel, transparent et invulnrable comme lme (qui est loge dans le corps, mais toujours capable de sen chapper) ou fig comme dans le pays des morts habit par les momies gyptiennes, les masques funraires, les peintures et les sculptures des tombeaux.

    Mais le corps a ses propres ressources utopiques, ses zones caches ; il est ouvert et ferm, visible et invisible en mme temps, une ralit fragmentaire dont je ne peux surprendre lunit que dans le miroir ou la vue de limmobilit du cadavre, fantme qui napparat quau moyen des miroirs, et encore dune faon fragmentaire , que la maladie transforme en une architecture fantastique et ruine .

    Loin dtre une ngation du corps affirme Foucault , les utopies senracinent donc dans le corps lui-mme, sont nes du corps et se sont peut-tre, ensuite, retournes contre lui. Le corps devient un acteur utopique grce aux masques, au maquillage, aux

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  • tatouages, toutes les techniques et les rituels qui le relient des pouvoirs secrets, qui font transiter par lui le sacr, les dieux, le dsir, le cosmos. Le corps devient ainsi le fragment dun espace imaginaire, corps dilat du danseur, corps du drogu, du possd. Lici du corps est donc toujours ailleurs, li tous les ailleurs du monde, comme le corps dispers de lenfant qui ne trouve son unit illusoire que dans le miroir. Ce nest que par lexprience du miroir et du cadavre que nous apprenons que nous avons un corps, que cette entit disloque et fragmentaire est assigne un espace dfini et totalisable. Dans LEspace littraire39, Blanchot choisit ltranget du cadavre comme forme exemplaire de limage et de la fascination quelle gnre. Ltranget du cadavre met en cause lessence mme de la position, du lieu, de la possibilit dun sjour : le lieu de la dpouille est toujours en dfaut, le cadavre manque sa place ; il nest plus ici-bas et pas encore l-haut . Comme lcriture, comme le rve, comme tout ce qui relve du domaine de limage, le cadavre se situe dans le non-lieu de lentre-deux qui spare et runit en mme temps la vie et la mort. Dans les romans et les rcits, le corps napparat jamais comme une totalit organique et comme un lieu de matrise40 ; les personnages, toujours malades , font lexprience dun corps instable et inquitant, ambigu et prcaire, fragment, morcel, dsorient et disloqu. Ils perdent souvent la vue (comme le narrateur de La Folie du jour), les contours de leur visage et de leur corps se brouillent. Visage et corps nexpriment et nextriorisent plus aucune intriorit ; le dehors semble devenir indpendant de tout dedans, le corps nest plus soumis l esprit , l intentionnalit , la conscience . La perte du corps qui a ainsi lieu est une mtamorphose qui transforme selon des axes divergents et dissymtriques ladhrence dun moi ce quon ne peut plus appeler son corps propre. Le corps dans les romans nest ni rel ni irrel, parfois extrmement lourd et oppressant, parfois lger et imperceptible. Il napparat que par bribes et morceaux dans lesquels lunit de lorganisme est toujours fissure. De temps en temps, une partie du corps (aperue comme dans un gros plan photographique) acquiert un relief particulier, presque comme dans une trange mtonymie o la partie ne renverrait aucun tout. La dimension corporelle est particulirement prsente dans LArrt de mort, rcit dune (ou plusieurs) agonie(s), dans lequel tous les personnages font lexprience dun corps insoumis, en rvolte, qui semble chapper aux lois naturelles, ou, dans la premire version de Thomas lObscur, qui souvre sur la dsorientation de Thomas dans lespace marin et dont les diffrents pisodes sont traverss par ltranget

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  • des trois personnages (Thomas, Anne, Irne) vis--vis de leur propre corps. Mme la voix, qui oscille entre le chant et le cri, parat chapper toute intentionnalit signifiante, de la mme manire que les organes chappent toute organisation. Si le corps nest plus un organisme et un centre dorientation, lespace nest plus ni cohrent, ni homogne, nest plus immdiatement disponible pour laction et le projet dun sujet. Ainsi, les lieux qui reviennent toujours (chambre dhtel, couloir, escalier, vestibule) ne sont pas destins lhabitation et au sjour, mais au passage et lchange avec le dehors. Il devient donc impossible de dfinir un espace intrieur et habit, puisque son centre dorganisation se drobe toujours.

    Dans leurs uvres respectives, Blanchot et Foucault ont contribu, chacun leur manire, liminer de ltude du langage toute illusion de ressemblance , montrer la distance qui spare dfinitivement les mots des choses, soustraire la pense et lcriture (dans la thorie comme dans la fiction) la matrise dune histoire linaire et concevoir et montrer les espaces-temps discontinus et fragmentaires constituant dsormais notre manire dhabiter au-del de toute ide de demeure, de sjour, denracinement dfinitif le langage, lcriture, la pense, le monde et notre corps, devenu dsormais dfinitivement impropre.

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  • NOTES

    1 Michel Foucault, La scne de la philosophie , in Dits et crits, t. III, Gallimard,

    1994, p. 589.2 Michel Foucault, La scne de la philosophie , in Dits et crits, t. III, Gallimard, 1994, p. 589.3 M. Foucault, Raymond Roussel, Gallimard, 1963.4 M. Foucault, Raymond Roussel, Gallimard, 1963.5 M. Foucault, La pense du dehors , Critique, n 229, p. 523-46, rd. in Dits et crits, op. cit., t. I, p. 518-44.6 M. Foucault, La pense du dehors , Critique, n 229, p. 523-46, rd. in Dits et crits, op. cit., t. I, p. 518-44.7 Ibid., p. 521.8 Ibid., p. 521.9 Ibid., p. 523.10 Ibid., p. 523.11 Lusage non dialectique de la ngation chez Blanchot a t magistralement analys par Jacques Derrida dans Parages, Paris, Galile, 1986, rd. 2003.12 Lusage non dialectique de la ngation chez Blanchot a t magistralement analys par Jacques Derrida dans Parages, Galile, 1986, rd. 2003.13 Michel Foucault, La pense du dehors, op. cit., p. 524.14 Michel Foucault, La pense du dehors , op. cit., p. 524.15 Ibid., p. 534.16 Ibid., p. 534.17 Gilles Deleuze, Post-scriptum sur les socits de contrle , in Pourparlers, Paris, Les ditions de Minuit, 1990, p. 240-247, rd. 2003.18 Gilles Deleuze, Post-scriptum sur les socits de contrle , in Pourparlers, Minuit, 1990, p. 240-47, rd. 2003.19 Michel Foucault, Folie, littrature et socit , in Dits et crits, op. cit., t. II, p. 104-128.20 M. Foucault, Folie, littrature et socit , in Dits et crits, op. cit., t. II, p. 104-128.21 Michel Foucault, LOrdre du discours, Paris, Gallimard, 1971.22 M. Foucault, LOrdre du discours, Gallimard, 1971.23 Michel Foucault, Folie, littrature et socit , op. cit., p. 124.24 M. Foucault, Folie, littrature et socit , op. cit., p. 124.25 Ibid., p. 124.26 Ibid.27 Ibid., p. 125.28 Ibid., p. 125.29 Ibid., p. 126.30 Ibid., p. 126.31 Maurice Blanchot, Le grand enfermement , in EI, p. 291-299.32 Maurice Blanchot, Le grand enfermement (EI, p. 291-299).33 Gilles Deleuze, Foucault, Paris, Les ditions de Minuit, p. 50.34 G. Deleuze, Foucault, Minuit, p. 50.35 Ibid., p. 50.36 Ibid.37 Michel Foucault, L Archologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 40.38 M. Foucault, LArchologie du savoir, Gallimard, 1969, p. 40.39 Na-t-il pas lui-mme confi Lucette Finas : Je nai jamais crit rien dautre

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  • que des fictions et jen suis parfaitement conscient ? (MF 46). Deleuze crit galement que dune certaine faon, Foucault peut dclarer quil na jamais crit que des fictions (Foucault, op. cit., p. 26).40 Na-t-il pas lui-mme confi Lucette Finas : Je nai jamais crit rien dautre que des fictions et jen suis parfaitement conscient ? (MF 46) Deleuze crit galement (Foucault, op. cit., p. 26) que dune certaine faon, Foucault peut dclarer quil na jamais crit que des fictions. 41 Pour une analyse dtaille de lhistoire complexe de la rception de cette clbre confrence, on pourra lire le texte de Daniel Defert intitul Lespace scoute qui accompagne le CD qui en contient lenregistrement (Michel Foucault, Utopies et htrotopies, Paris, INA coll. Mmoire vive , 2004).42 Pour une analyse dtaille de lhistoire complexe de la rception de cette clbre confrence, on pourra lire le texte de Daniel Defert intitul Lespace scoute qui accompagne le CD : M. Foucault, Utopies et htrotopies, Paris, INA, coll. Mmoire vive, 2004.43 Michel Foucault, Des espaces autres , in Dits et crits, op. cit., t. IV, p. 752-762.44M. Foucault, Des espaces autres , in Dits et crits, op. cit., t. IV, p. 752-62.45 Ibid., p. 755.46 Ibid., p. 755.47 Daniel Defert, Lespace scoute , op. cit.48 Daniel Defert, Lespace scoute , op. cit.49 Gilles Deleuze, Foucault, op. cit., et notamment le chapitre Les plissements, ou le dedans de la pense (subjectivation) , p. 101-130.50 G. Deleuze, Foucault, op. cit., notamment le chapitre Les plissements, ou le dedans de la pense (subjectivation) , p. 101-30.51 Pour une lecture de ce texte, je me permets de renvoyer mon ouvrage Lcriture de Maurice Blanchot. Fiction et thorie, Paris, Kim, 1999, et en particulier au chapitre intitul Figures de la loi . On pourra lire aussi le remarquable ouvrage de Daniel Wilhem, Maurice Blanchot : la voix narrative, Paris, U.G.S. 10/18, 1974.52 Pour une lecture de ce texte, je me permets de renvoyer mon ouvrage Lcriture de Maurice Blanchot. Fiction et thorie, Paris, Kim, 1999 et en particulier au chapitre intitul Figures de la loi . On pourra lire aussi le remarquable ouvrage de Daniel Wilhem, Maurice Blanchot : la voix narrative, Paris, U.G.S. 10/18, 1974.53 Michel Foucault, LOrdre du discours, Paris, Gallimard, 1971, et notamment les pages 23-28.54 M. Foucault, LOrdre du discours, op. cit., notamment les pages 23-28.55 Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 220.56 M. Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, 1975, p. 220.57 Pour une lecture politique du Trs-Haut, je renvoie louvrage de Georges Prli, La force du dehors : extriorit, limite et non pouvoir partir de Maurice Blanchot, Fontenay-sous-Bois, Recherches, 1977, ainsi qu mon ouvrage Lcriture de Maurice Blanchot. Fiction et thorie, op. cit.58 Pour une lecture politique du Trs-Haut, je renvoie louvrage de Georges Prli, La Force du dehors : extriorit, limite et non-pouvoir partir de Maurice Blanchot, Fontenay-s/Bois, Recherches, 1977, ainsi qu mon ouvrage Lcriture de Maurice Blanchot. Fiction et thorie, op. cit.59 Pour une dfinition de la biopolitique chez Foucault on pourra lire lentre Biopolitique dans LAbcdaire de Michel Foucault, Mons/Paris, Sils Maria/Vrin, 2004, p. 21-23 et la dfinition donne par Judith Revel dans Le vocabulaire de Michel Foucault, Paris, Ellipses, 2002, p. 13-15.60 Pour une dfinition de la biopolitique chez Foucault, on pourra lire lentre

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  • Biopolitique dans LAbcdaire de Michel Foucault, Mons/Paris, Sils Maria/Vrin, 2004, p. 21-23 et la dfinition donne par Judith Revel dans Le Vocabulaire de Michel Foucault, Paris, Ellipses, 2002, p. 13-15.61 Comme le souligne Judith Revel dans la dfinition de la biopolitique, dans Le vocabulaire de Michel Foucault, op. cit., p. 15.62 Cf. J. Revel, Le Vocabulaire de Michel Foucault, op. cit., p. 15.63 Michel Foucault, Surveiller et punir, op. cit., p. 228-229.64 M. Foucault, Surveiller et punir, op. cit., p. 228-229.65 Cf. Michel Foucault, Surveiller et punir, op. cit., p. 228-229.66 Ibid.67 Cest Jacques Derrida qui parle du pouvoir policier dans les socits modernes comme dune prsence spectrale, dans louvrage Force de loi, Paris, Galile, 1994 (voir en particulier les pages 102-103).68 Cest Jacques Derrida qui parle du pouvoir policier dans les socits modernes comme dune prsence spectrale, dans louvrage Force de loi, Paris, Galile, 1994 (voir en particulier les pages 102-103).69 On trouve une passionnante analyse des diverses modalits du rapport espace/pouvoir dans les cours de Michel Foucault au Collge de France de lanne 1977-1978, dits sous le titre Scurit, territoire et population, Paris, Gallimard/Seuil, 2004 (voir en particulier la Leon du 11 janvier 1978, p. 3-30).70 On trouve une passionnante analyse des diverses modalits du rapport espace/pouvoir dans les cours de Michel Foucault au Collge de France de lanne 1977-1978, dits sous le titre Scurit, territoire et population, Gallimard/Seuil, 2004 ; voir en particulier la leon du 11 janvier 1978, p. 3-30.71Franoise Collin, Maurice Blanchot et la question de lcriture, Paris, Gallimard ; 2e d. coll. Tel , 1986, p. 120. On trouve dans cet ouvrage un important chapitre consacr au corps impropre (p. 120-159, dans ldition de 1986).72Franoise Collin, Maurice Blanchot et la question de lcriture, Gallimard ; 2e d., coll. Tel, 1986, p. 120. On trouve dans cet ouvrage un important chapitre consacr au corps impropre , p. 120-59, dans ldition de 1986.73 Le corps utopique , confrence disponible dans lenregistrement de lINA, CD Utopies et htrotopies, op. cit.74 Le corps utopique , confrence disponible dans lenregistrement de lINA, CD Utopies et htrotopies, op. cit.75 Comme le souligne Daniel Defert, dans Lespace scoute , op. cit.76 Comme le souligne Daniel Defert, dans Lespace scoute , op. cit.77 EL, Annexe II Les deux versions de limaginaire , p. 344-349.78 EL, annexe II Les deux versions de limaginaire , p. 344-49.79 A ce sujet, je me permets de renvoyer encore une fois mon ouvrage Lcriture de Maurice Blanchot. Fiction et thorie, op. cit., p. 114-120.80 ce sujet, je me permets de renvoyer encore une fois mon ouvrage Lcriture de Maurice Blanchot. Fiction et thorie, op. cit., p. 114-20.

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