46
1. Motif d’inaptitude à la conduite automobile (arrêt du 21.12 publié au J.O. du 28 décembre 2005). 2. Régis Debray, Les Communions humaines, Fayard, 2005. 3. Voltaire, Superstition, I, Dictionnaire philosophique (rapporté par le Robert). 4. Pierre-André-Taguieff, La foire aux illuminés, Mille et une nuits, novembre 2005. 5. Ibid. N OUS abordons le quatrième numéro de la revue Médecine et Culture toujours avec beaucoup d’enthousiasme grâce au soutien et aux encouragements des lecteurs. Progressive- ment, d’autres confrères manifestent leur intérêt et certains proposent des articles à visée médicale ou culturelle. Nous les en remercions. La partie médicale s’intéresse à la Ronchopathie et aux Apnées du sommeil, pathologies fréquentes, le plus souvent sous-diagnostiquées, qui altèrent la qualité de vie, augmentent le risque d’accidents du travail et de la circulation et posent un problème médico-légal 1 . Il existe des liens étroits entre l’obésité et le SAS. Les conséquences sont connues sur le plan cardio-vasculaire avec notamment, une morbidité importante. Nous disposons actuellement d’outils diagnostiques et de moyens thérapeutiques efficaces pour traiter les apnées du sommeil. Laurent Vincent donnera ensuite son avis sur la question : y a-t-il une dérive à l’americaine en ce qui concerne les procès médicaux en France ? La seconde partie ouvrira le débat sur la Supersti- tion où la pensée critique est en apnée et où, selon Régis Debray, « l’Invisible n’est pas prêt de nous lâcher 2 ». Personne ne peut échapper totalement aux superstitions car la plupart des individus sont attirés par le hasard, le désir de dominer la nature et de vaincre le destin. Ce désir, devant lequel nous nous trouvons souvent désarmés, est plus puissant que la raison. Il convient de méditer sur cette pensée : « Il est des sages qui prétendent qu’on doit laisser au peuple ses superstitions, comme on lui laisse ses guinguettes, que de tout temps il a aimé les prodiges, les diseurs de bonne aventure, les pèlerinages et les charlatans ; il est d’autres sages qui disent : aucune de ces superstitions n’a produit du bien ; plusieurs ont fait de grands maux : il faut donc les abolir 3 ». À cause des nouveaux systèmes de communication, l’ésoté- risme touche désormais un immense public, à travers des best-sellers, des films et des séries télé- visées où l’on promet au lecteur ou au spectateur de lui donner les moyens de déchiffrer l’invisible, de connaître le passé, de comprendre le présent et de prévoir l’avenir, bref de lui transmettre des connaissances sur la « logique » profonde de la marche de l’Histoire, voire de l’évolution du monde 4 . Le mystère fait rêver et le secret excite la curiosité. Ce « pseudo-ésotérisme » est souvent instrumentalisé à des fins strictement commer- ciales ou à des fins politiques souvent inavouées 5 . Dans la dernière partie, nous retrouverons la nouvelle de Jacques Pouymayou et découvrirons les photos de notre ami Laurent Arlet. Plusieurs confrères ont demandé une rubrique « humour » : à vous lecteurs, de la pérenniser ! À propos de la croyance dans le cinéma, Stéphane Souchu nous fera part de ses réflexions. L’année Mozart fournit l’occasion à Serge Krichewsky et Didier Descouens de nous faire connaître la famille de ce prestigieux compositeur. Henri Obadia a créé les pages de couverture des numéros 3 et 4 de la revue. Dès à présent, nous vous invitons à consulter tous les numéros de cette revue et l’intégralité des articles en allant visiter le blog http://medecineetculture.typepad.com Vous pouvez communiquer l’adresse à tous nos confrères. Bonnes vacances ! 1 E DITORIAL Dr Elie ATTIAS* * Pneumo-Allergologue - Toulouse [email protected]

MED N¡ 4 xp 4 - medecineetculture.typepad.commedecineetculture.typepad.com/mc/files/Medecine_Culture4.pdf · Pierre-André-Taguieff, La foire aux illuminés, Mille et une nuits,

Embed Size (px)

Citation preview

1. Motif d’inaptitude à la conduite automobile (arrêt du 21.12 publié auJ.O. du 28 décembre 2005).2. Régis Debray, Les Communions humaines, Fayard, 2005.3. Voltaire, Superstition, I, Dictionnaire philosophique (rapporté par leRobert).4. Pierre-André-Taguieff, La foire aux illuminés, Mille et une nuits,novembre 2005.5. Ibid.

NOUS abordons le quatrième numéro de larevue Médecine et Culture toujours avecbeaucoup d’enthousiasme grâce au soutien

et aux encouragements des lecteurs. Progressive-ment, d’autres confrères manifestent leur intérêt etcertains proposent des articles à visée médicale ouculturelle. Nous les en remercions.

La partie médicale s’intéresse à la Ronchopathieet aux Apnées du sommeil, pathologiesfréquentes, le plus souvent sous-diagnostiquées,qui altèrent la qualité de vie, augmentent le risqued’accidents du travail et de la circulation et posentun problème médico-légal1. Il existe des liensétroits entre l’obésité et le SAS. Les conséquencessont connues sur le plan cardio-vasculaire avecnotamment, une morbidité importante. Nousdisposons actuellement d’outils diagnostiques etde moyens thérapeutiques efficaces pour traiter lesapnées du sommeil.Laurent Vincent donnera ensuite son avis sur laquestion : y a-t-il une dérive à l’americaine en cequi concerne les procès médicaux en France ?

La seconde partie ouvrira le débat sur la Supersti-tion où la pensée critique est en apnée et où, selonRégis Debray, « l’Invisible n’est pas prêt de nouslâcher2 ». Personne ne peut échapper totalementaux superstitions car la plupart des individus sontattirés par le hasard, le désir de dominer la natureet de vaincre le destin. Ce désir, devant lequel nousnous trouvons souvent désarmés, est plus puissantque la raison. Il convient de méditer sur cettepensée : « Il est des sages qui prétendent qu’ondoit laisser au peuple ses superstitions, comme onlui laisse ses guinguettes, que de tout temps il aaimé les prodiges, les diseurs de bonne aventure,les pèlerinages et les charlatans ; il est d’autressages qui disent : aucune de ces superstitions n’a

produit du bien ; plusieurs ont fait de grandsmaux : il faut donc les abolir3 ». À cause desnouveaux systèmes de communication, l’ésoté-risme touche désormais un immense public, àtravers des best-sellers, des films et des séries télé-visées où l’on promet au lecteur ou au spectateurde lui donner les moyens de déchiffrer l’invisible,de connaître le passé, de comprendre le présent etde prévoir l’avenir, bref de lui transmettre desconnaissances sur la « logique » profonde de lamarche de l’Histoire, voire de l’évolution dumonde4. Le mystère fait rêver et le secret excite lacuriosité. Ce « pseudo-ésotérisme » est souventinstrumentalisé à des fins strictement commer-ciales ou à des fins politiques souvent inavouées5.

Dans la dernière partie, nous retrouverons lanouvelle de Jacques Pouymayou et découvrironsles photos de notre ami Laurent Arlet. Plusieursconfrères ont demandé une rubrique « humour » :à vous lecteurs, de la pérenniser ! À propos de lacroyance dans le cinéma, Stéphane Souchu nousfera part de ses réflexions. L’année Mozart fournitl’occasion à Serge Krichewsky et DidierDescouens de nous faire connaître la famille de ceprestigieux compositeur. Henri Obadia a créé lespages de couverture des numéros 3 et 4 de larevue.

Dès à présent, nous vous invitons à consulter tousles numéros de cette revue et l’intégralité desarticles en allant visiter le blog

http://medecineetculture.typepad.comVous pouvez communiquer l’adresse à tous nosconfrères. Bonnes vacances !

1

E D I T O R I A L

Dr Elie ATTIAS*

* Pneumo-Allergologue - [email protected]

■ Place d’une unité spécialisée dans lestroubles du sommeil dans la prise encharge d’un SAS et de la SDE

Dr Thierry MONTEMAYOR, Dr Michel TIBERGE*

Préambule

Le Syndrome d’apnée est, pour le grand public et pourbeaucoup de médecins, la partie la plus visible de ladiscipline qu’est la médecine du sommeil, aboutissantpar là même à la confusion entre médecine du sommeilet une de ses parties que sont les troubles ventilatoiressurvenant au décours du sommeil. Même si le motif derecherche d’un SAS est en premier lieu la présence d’unesomnolence diurne excessive (SDE) il faut s’intéresseraux autres causes de celle-ci, causes qui en sont soit l’ori-gine pure, soit des cofacteurs. Comme nous le verronsplus loin, de nombreuses pathologies peuvent survenir etêtre intriquées au décours de notre repos nocturne, etl’outil central de l’exploration étiologique de celles-ci estl’unité spécialisée dans tous les troubles du sommeil. Àcet effet, différents outils sont à notre disposition, outilsque nous détaillerons en insistant sur leur intérêt, leurslimites, et leur place dans la démarche diagnostique.Enfin nous nous intéresserons à l’intérêt que présente uneunité spécialisée dans les troubles du sommeil dans laprise en charge d’un SAS.

Démarche diagnostique et outils utilisés dansune Unité du Sommeil

Le motif de consultation le plus fréquemment rencontréen consultation est la SDE. Son exploration couple enpremier lieu l’interrogatoire, l’examen clinique et deuxtypes d’outils d’évaluation facile d’emploi en consul-tation.

Interrogatoire et examen cliniqueL’interrogatoire doit s’intéresser en premier lieu à l’ori-gine des troubles, leur ancienneté, leur répercussion surla vie quotidienne et enfin déterminer la typologie dupatient pour le sommeil. L’origine est très variable,comme nous le verrons plus loin, et il est fréquent quele patient ne consulte que sur pression de l’entourage,notamment en raison de la présence de ronflements

invalidants. Rappelons que les ronflements sontfréquents chez l’adulte et que leur présence est naturellenotamment avec l’avance en âge et sont fortementinfluencés par l’hygiène de vie (surpoids, l’alcool, letabac, les repas riches du soir etc…). Ils sont à confron-ter avec le reste de la clinique. Le seul cas qui doit moti-ver systématiquement une exploration complète estcelui de l’enfant ronfleur. C’est en effet le seul cas où ilsigne systématiquement la présence de troubles respira-toires qui peuvent se révéler par exemple, outre par uneSDE et des troubles cognitifs, par un syndrome d’hy-peractivité. Vient ensuite la typologie du patient : est-ildu matin ou du soir ? est-il court ou long dormeur ? Puisles précisions sur ses nuits et leur répercussion : leurshoraires, la qualité de celles-ci, celle de son réveil etcelle de ses journées. Enfin celles sur son hygiène devie et du sommeil. L’examen clinique se doit d’êtreglobal en insistant sur l’exploration des voies aériennessupérieures, et leurs anomalies éventuelles.

Les échelles d’évaluationsPermettent de compléter l’interrogatoire et éventuelle-ment de le reprendre à la recherche d’autres élémentsimportants.L’échelle d’Epworth : cette échelle validée ne donneque le reflet subjectif de la somnolence dont se plaint lepatient. Il est important d’insister sur le fait que lesrésultats de ce test ne sont pas corrélés à la gravité despathologies existantes, mais elle demeure utile endépistage.

L’échelle de fatigue de Pichot : cette échelle permet demettre en évidence, et de différencier, une fatiguephysique anormale ou la possibilité d’un syndromedépressif chez le patient. On les complètera alors parcelles de Beck et Hamilton.

L’agenda du sommeilOn demande au patient de remplir un tableau, sur troissemaines, des horaires de ses levers et de ses couchersavec ses réveils, s’ils existent. Il est important d’insis-ter auprès du patient pour qu’il ne le remplisse chaquejour que le lendemain de ses nuits et sans avoir regardél’heure s’il s’est réveillé dans la nuit. Cet outil permetd’avoir une vision certes subjective mais assez fidèledu cycle veille-sommeil du patient. Il est particulière-ment indiqué dans l’évaluation des troubles chronobiologiques.En complément de la consultation viennent alors lesoutils paracliniques :

2

RONCHOPATHIE ET APNEES DU SOMMEIL

* Unité des Troubles du Sommeil et Epilepsie CHU Rangueil - Toulouse

L’actimétrieEst fréquemment utilisée pour étudier les troubles dusommeil dans leur ensemble et notamment les insom-nies, hypersomnies, décalages de phase etc... C’est unbon complément à l’étude des agendas de sommeil caril permet d’objectiver l’ensemble de l’activité physiquedu patient sur la journée durant plusieurs semaines.

La polygraphie ventilatoireSon intérêt dépend grandement de l’appareillage utilisé.L’idéal étant celui qui prendrait en compte le flux nasalet buccal, la saturation en O2, les mouvements thora-ciques et abdominaux, et la position du corps. Cetexamen n’est qu’un examen de dépistage, sa valeurdiagnostique ne s’appliquant que pour des indicesd’apnées supérieurs ou égaux à trente par heure. Endessous un comptage des micro-éveils par la polysom-nographie est nécessaire.De plus il est indispensable de refaire une relecturesystématique des résultats, les interprétations automa-tiques des logiciels livrés avec les machines étant plutôtfantaisistes. Sans relecture, la valeur diagnostique dupolygraphe se limite à l’affirmation de l’absence deSAS. En outre aucun des paramètres mesurés ne permetde savoir si le patient dort réellement et de quelle façon.Enfin, l’expérience montre qu’une mise en placesoigneuse du polygraphe sur le patient est incontour-nable pour que les données enregistrées soientcomplètes et fiables.

La polysomnographieC’est l’examen « Gold Standard » pour l’étude et lediagnostic des pathologies survenant au décours dusommeil. Sont enregistrés les mouvements oculaires,l’EEG, l’activité musculaire mentonnière et des jambiers,les flux nasaux et buccaux, les mouvements thoraciques etabdominaux, l’activité cardiaque et la saturation enoxygène. Peut y être couplé l’enregistrement vidéo denuit, notamment utile en cas de troubles moteurs, compor-tements anormaux nocturnes etc…. Son utilisation permetles corrélations anatomo-électro-cliniques.L’ensemble des données recueillies nécessite une relec-ture par une personne expérimentée qui seule peut en reti-rer la quintessence. En effet, en dehors du comptage desmicro-éveils dans le cadre du SAS et l’objectivation d’unsyndrome de résistance, l’aspect global de l’hypno-gramme permet de mettre en évidence la possibilité d’unsyndrome dépressif, décalage de phase, dette de sommeil,mouvements périodiques nocturnes, narcolepsie et autrescauses à l’origine d’hypersomnolences diurnes.Hypersomnolences qui sont objectivées par les testsd’endormissement itératifs (TILE). Détail de réalisation du TILE (1) : le patient est allongédans le noir avec comme instruction de laisser venir le

sommeil. Les tests sont constitués par cinq épreuvesréalisées toutes les 2 heures, en général entre 1 heure etdemi et 3 heures après le réveil suivant la polysomno-graphie et d’une durée de 20 minutes chacune. Toutendormissement compris entre 5 et 10 minutes signeune somnolence modérée, inférieur à 5 min une somno-lence sévère. Hormis le temps d’endormissement, cestests permettent de mettre en évidence la survenue desommeil paradoxal que l’on retrouve entre autre dansles narcolepsies.Autres tests réalisés en unité du sommeil sont ceux dumaintien d’éveil (TME) (1). Détails de réalisation du TME : le patient est cette foisassis confortablement dans l’obscurité. Les enregistre-ments sont réalisés sur le même principe que le TILEmais sur quatre épreuves réalisées toutes les deuxheures sur une durée de 40 minutes, mais avec instruc-tion au patient de résister au sommeil. Le temps normalchez un sujet sain est supérieur à 18 minutes. Les TMEpermettent de contrôler l’efficacité du traitement de lapathologie à l’origine de l’hypersomnolence. Ces tests sont d’ailleurs exigés par le législateur pour lerenouvellement du permis de conduire des chauffeurspoids lourds apnéiques traités.

Pathologies causales d’une somnolence diurne excessive

La SDE est le principal motif d’envoi en consultation etd’exploration. Ses conséquences sur la qualité de vie dupatient sont énormes y compris en accidentologieroutière (2). Les causes sont multiples et non forcémentdues à un SAS (3) ou autres pathologies respiratoires, etsont souvent intriquées à celles-ci.Cette SDE est due soit à un excès global de sommeil surla journée due à la pathologie, soit à la récupérationd’une dette de sommeil induite par une fragmentationexcessive du sommeil nocturne par celle-ci.La première cause est la dette de sommeil. D’une façongénérale tout ce qui est à l’origine d’une dette desommeil est à l’origine d’une SDE et les causes les plussouvent rencontrées sans origine pathologique sont letravail posté, celles dues à une mauvaise hygiène dusommeil (cf. l’adolescent), et les décalages de phasequ’ils soient induits par de mauvaises habitudes de vie,de travail, ou qu’ils soient physiologiques, chez lepatient âgé sans pathologie démentielle évolutive.Viennent ensuite les pathologies anxieuses et anxiodé-préssives et la dépression. Seuls 35% des pathologiesdépressives sont, quelle que soit la tranche d’age étudiée,actuellement, diagnostiquées et traitées. Même si nosautorités de tutelle estiment qu’il y a dans notre pays unexcès de prescription d’antidépresseurs, la question quise pose principalement est plus un problème de bonne

3

adéquation à la pathologie, des molécules prescrites,qu’un problème de quantité globale de ces prescriptions.Dans ce cas la SDE est due soit à un mauvais sommeilnocturne par insomnie d’endormissement et fréquentsréveils associés, aboutissant à une récupération diurne dela dette de sommeil, soit à un sommeil que l’on appelleen l’occurrence « sommeil refuge ». Les syndromesdépressifs sont fréquemment retrouvés dans les SAS, ensont souvent la conséquence, et aussi souvent la caused’une mauvaise adaptation du patient à la PPC.Rappelons aussi que les pathologies tumorales, vascu-laires et infectieuses sont aussi à l’origine d’hyper-somnies.Même chose en ce qui concerne la nécessité de recher-cher un syndrome métabolique chez un patient atteintd’une SDE.Autre cause fréquente de SDE, sont les médicaments,notamment les hypnotiques de la classe des benzodiazé-pines, dont les effets secondaires demeurent quelle quesoit la dose prise et ce, d’autant plus que le patient avanceen âge. C’est pourquoi le sevrage du patient à ces médi-caments doit être le plus possible envisagé et réalisé.Ensuite viennent les pathologies telle que l’hypersomnieidiopathique, la narcolepsie, où il est classique de retrou-ver un temps total de sommeil sur la journée supérieur a12 heures.Autre facteur de SDE sont les pathologies causales demicro éveils.Le SAS et les SRVAS, bien évidemment sont des causesde SDE (4) mais plus par la fragmentation induite par lapathologie, que par les phénomènes d’hypoxie (5). Cefractionnement désorganise totalement le sommeil etson rôle récupérateur, en le rendant instable et en gênantl’établissement des différents cycles et de leurs diffé-rents stades.À noter également, dans le cadre du SAS traité, les microfractionnements sous PPC, dus aux fuites au niveau dumasque.Une pathologie neurologique souvent présente, est leSyndrome des Jambes Sans Repos dans lequel onretrouve dans 87% des cas des mouvements périodiquesnocturnes des jambes associés. Rappelons, au niveauneurologique, le Parkinson avec attaques de sommeilsous agonistes dopaminergiques (6), ainsi que les causesdémentielles et maladies neurodégénératives qui altèrentle sommeil par l’altération du cycle nycthéméral veille-sommeil.De même les pathologies cardiaques, outre les HTArebelles associées au SAS, qui sont un motif d’explora-tion du sommeil, les troubles du rythme sont une causede fragmentation du sommeil et donc de SDE.

Prise en charge d’un SAS, d’une SDE, intérêtde l’unité spécialisée dans les pathologies dusommeil

La multidisciplinarité est la clé des unités spécialiséesdans les troubles du sommeil et permet la prise encharge de tous les patients, de l’enfant à la personneâgée.Nous avons vu que de multiples facteurs peuvent être àl’origine des plaintes et motifs de consultation pour uneSDE, et qu’il est nécessaire d’avoir une vision globaledu patient et de son sommeil. L’interrogatoire et l’exa-men clinique, couplé aux outils d’évaluations cités plushaut, permettent d’objectiver les causes originelles oules co-facteurs à l’origine de la plainte. La recherche d’un SAS se fait souvent sur la constata-tion de la part du patient ou de son entourage, de ronfle-ments, de sommeil altéré et surtout de SDE, et enfinlorsqu’un traitement antihypertenseur polymédicamen-teux demeure inefficace. Il est intéressant de noter à cesujet qu’il n’est pas exclu qu’elle joue un rôle dans lamodulation de la réponse cardiovasculaire (5).Une polygraphie ventilatoire, bien faite, est un bon outilde dépistage, sinon de diagnostic pour les SAS impor-tants, mais ses limitations nécessitent un recours à unabord multidisciplinaire et des outils plus performants.En effet, elle n’est que de faible recours dans le casd’une SDE persistant sous traitement par PPC.De plus, en cas d’intolérance pure de celle-ci d’autressolutions thérapeutiques doivent être envisagées, tellesles Orthèses d’avancées mandibulaires, ainsi que lachirurgie (UPP et plastie nasale en complément de laPPC, chirurgie d’avancée maxillo-mandibulaire….).Dans ce cas, les unités spécialisées dans les pathologiesdu sommeil et leurs consultations multidisciplinairesont toute leur place.

Conclusion

Le SAS et plus généralement la SDE doivent nécessitercomme tout autre trouble du sommeil une prise encharge globale et multidisciplinaire. Les centres spécia-lisés sont certes peu nombreux et les délais d’accès àleurs consultations et explorations sont longs. C’estpourquoi nous devons sensibiliser nos autorités detutelle et nos confrères à la mise en place d’un parcoursde soins logique pour le patient.Le médecin traitant devrait jouer un rôle princeps dansle dépistage des différentes pathologies du sommeil etl’orientation de celui-ci. Pour cela, il faudrait mieux lesensibiliser aux différents outils utilisables facilementen consultation. Un étiquetage plus précis de la patho-logie permettrait une meilleure orientation vers lespécialiste concerné qu’il soit cardiologue, neurologue,ORL, pneumologue ou psychiatre. En cas d’échec de la

4

prise en charge, le recours aux unités spécialisées dansles pathologies du sommeil serait alors indispensable etlogique.

Bibliographie1. Association of Professionnal Sleep Societies, APSS Guide lines

Comittee: Carskadon MA, Dement WC, Mitler MM, Roth T, West-brook PR, Keenan S. Guide for the Multiple Sleep Latency Test(MSLT): a standard measure of sleepiness. Sleep 1986; 9:519-24.

2. Arbus L, Tiberge M, Serres A, Rouge D. 1991. Somnolence et acci-dents de la circulation routière. Importance du diagnostic. Neuro-physiol Clin ; 21 : 39-43.

3. Excessive Daytime Sleepiness in a General Population Sample: TheRole of Sleep Apnea, Age, Obesity, Diabetes and Depression. BixlerEO, Vgontzas AN, Lin HM, Calhoun SL, Vela-Bueno A, Journal ofClinical Endocrinology & Metabolism 2005; 90: 4510-15.

4. Guilleminault C, Stoohs R, Clerk A, Cetel M, Maitros P. 1993. Àcause of excessive daytime sleepiness. The upper airway syndrome.Chest 104(3): 781-7.

5. Roehrs, Zorick TF, Wittig R, Conway, Roth T. 1989. Predictors ofobjective level of daytime sleepiness in patients with sleep-relatedbreathing disorders. Chest 95(6): 1202-6.

6. Arnulf I. 2005. Excessive daytime sleepiness in parkinsonism. SleepMedecine Reviews : 185-200.

■ Le sommeil vu par le pneumologue

Dr Bruno DEGANO*

Le sommeil vu par le pneumologue ? Plus modestement,le lecteur trouvera ici quelques réflexions d’un pneumo-logue sur le sommeil. Et d’abord un souvenir, celui d’unvoyage dans le Caucase, il y a quelques années.J’accompagnai deux amis se rendant de Tbilissi àBakou, et nous avions choisi de voyager en train. Nousavions réservé une place dans un compartiment pouvantaccueillir quatre personnes, dans un wagon dit « depremière classe ». Nous y passerions aussi la nuit. Lequatrième occupant arriva peu avant le départ du train.C’était un américain d’une cinquantaine d’années,voyageant dans la région pour le compte d’une sociétépétrolière.Moins d’une heure après le départ, on nous proposa unrepas pantagruélique. L’homme d’affaire américain eutbeaucoup de mal à apprécier son déjeuner. Il devaitavoir avalé à peine quelques bouchées quand nousconstatâmes qu’il s’était endormi. Une secousse leréveilla moins d’une minute plus tard. Il bredouillaquelques mots incompréhensibles, et reprit le cours deson repas d’un air maussade et agacé. La même scènese reproduisit plusieurs fois, si bien que je pris la libertéde lui demander s’il se sentait bien. Il me répondit qu’iltraînait depuis son arrivée dans le Caucase une fatigue

épouvantable. Il avait hâte de rentrer aux Etats-Unis, oùil était traité depuis une dizaine d’années pour desapnées du sommeil.L’histoire qu’il nous raconta était édifiante à plus d’untitre. Dix ans plus tôt, il avait lu dans un journal localun article parlant du syndrome d’apnées du sommeil.Il y avait retrouvé la description de symptômes dont ilsouffrait depuis plusieurs années : impression de seréveiller fatigué, hypersomnie diurne, nycturie, pertede la libido, tendance dépressive, perte de ses perfor-mances au travail. De plus, son médecin essayait envain d’équilibrer sa pression artérielle en associantplusieurs médicaments. D’autres éléments pourtant necadraient pas avec la description du « patient typique »faite dans le journal : il était plutôt sportif, mince, neconsommait que très peu d’alcool. Il décida néan-moins de consulter un spécialiste qui lui proposa unenregistrement polysomnographique. Cet examencomptabilisa 72 apnées par heure de sommeil. Il lui futimmédiatement administré une ventilation nocturnepar pression positive continue. Dès la première nuit, ilse souvenait non seulement d’avoir dormi, maissurtout d’avoir rêvé, et non pas d’avoir rempli sesnuits de cauchemars comme c’était le cas depuis troplongtemps. Dès le premier matin, il s’était senti enforme. Durant son repas de midi, il avait eu la surprisede prendre part à la discussion de ses collègues, sansavoir besoin de se concentrer pour ne pas sombrerdans le sommeil. L’après midi, il avait travaillé avecenthousiasme à des dossiers qui le préoccupaientdepuis des semaines. Il avait poursuivi son nouveautraitement, ayant tout au plus besoin de changer unmasque qui le gênait. Son traitement pour l’HTA avaitété totalement arrêté en quelques mois.Un peu plus d’un an après, son entreprise l’avaitenvoyé en mission pour une quinzaine de jours enEurope. Il n’avait pas suivi les conseils de son médecinet était parti sans sa machine. Il l’avait regrettée dès lapremière nuit. Il avait « dormi » d’un sommeil agité,s’était levé une dizaine de fois pour uriner, s’étaitréveillé avec des céphalées et sa journée avait été desplus difficiles. Il avait mis cette mauvaise journée surle compte du décalage horaire, de l’humidité deLondres, du stress. Les symptômes de ce premier jouren Europe s’étaient prolongés tout son séjour, pourdisparaître aussitôt la ventilation nocturne reprise à sonretour aux Etats-Unis. Ayant admis ne pas être « guéri »de sa maladie du sommeil, il s’était résolu à ne plus dese séparer de sa machine.Cette machine, il l’avait bel et bien avec lui pour cevoyage dans le Caucase. Depuis bientôt dix jours, iln’avait hélas jamais trouvé une prise de courant luipermettant de la faire fonctionner. Et c’était la raisonpour laquelle la « maladie » avait resurgi.

5

* CHU Larrey - Toulouse

La nuit que nous passâmes dans le compartiment futconforme à ce que j’avais annoncé à mes deux amis :l’homme s’était endormi sitôt couché, avait émis desronflements incroyables, rapidement suivis d’apnéesde plusieurs dizaines de secondes, interrompues pardes sursauts, des mouvements, des reprises des ronfle-ments, d’autres apnées... C’est un homme abattu,manifestement de fort mauvaise humeur, que nousquittâmes en gare de Bakou.

Pourquoi cette histoire ?

Parce que c’est celle de bien des patients souffrant desyndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS).Les patients ont des symptômes gênants, voire invali-dants, ayant débuté des années plus tôt ; ils n’ont pasforcément fait le lien entre leurs symptômes et lesronflements (voire les apnées) dont ils se saventporteurs. Autre fait marquant : un traitement, lorsqu’ilest bien adapté et bien supporté, peut faire disparaîtretous les signes de la maladie dès la première nuit. Maisle traitement ne guérit pas la maladie ! Celle-ci « réap-paraît » dès la ventilation nocturne abandonnée. D’autreséléments de cette histoire tordent le cou à des idéesreçues sur le SAOS : même si le surpoids ou l’obésitésont des facteurs de risques de SAOS, nombre de patientsn’en présentent pas les caractéristiques.Toutes les histoires de SAOS ressemblent-elles de cetaméricain ? Non, bien sûr. Le pneumologue peut êtreconfronté à un patient chez qui le SAOS n’a pas étédiagnostiqué devant des symptômes, mais dans lecadre de la recherche d’un facteur de risque, d’HTAnotamment. Le pneumologue peut également rencon-trer des succès thérapeutiques moins francs, voire unrefus de l’appareillage (ce qui est d’autant plusfréquent que les patients sont asymptomatiques). C’estalors que les stratégies thérapeutiques deviennent pluscompliquées : on essaie d’autres machines, d’autresmasques. On envisage, si possible de manière pluri-disciplinaire (entre un pneumologue, un neurologue,un chirurgien maxillo-facial), des solutions alterna-tives : prothèse d’avancée mandibulaire, chirurgied’avancée bi-maxillaire…

Quels messages peut retenir le pneumologuenon spécialiste du sommeil ?

Que tous les troubles du sommeil ne sont pas d’originerespiratoire, qu’un enregistrement polygraphiqueventilatoire sans EEG sera moins sensible et moinsspécifique pour diagnostiquer un SAOS qu’un enre-gistrement avec EEG ; que tous les syndromesd’apnées ne sont pas d’origine obstructive (il existedes syndromes d’apnées « sans trop », répondant à uneprise en charge ventilatoire spécifique) ; qu’une prise

en charge ventilatoire, même optimale, peut être refu-sée par un patient, et doit alors faire discuter de façonpluridisciplinaire un traitement alternatif.

■ Docteur, je ronfle

Dr Edmond ATTIAS*

Le ronflement, motif de consultation de plus en plusfréquent, mérite une prise en considération ainsi qu’uneapproche tactique.La ronchopathie atteint environ 20 à 30% de la popula-tion. Bien que très diversement supportée, la gêne socialequ’elle provoque est l’objet d’une demande thérapeu-tique réelle et croissante de la part des patients et de leursconjoints.Il s’agit d’un ‘‘bruit de lutte’’ en rapport avec uneobstruction des voies aériennes supérieures (VAS). Lesvoies aéro digestives supérieures peuvent être considé-rées comme un tube flaccide entre deux segmentsrigides : le nez et le larynx.Sous l’effet de la pression intraluminale négative inspira-toire, les parois des VAS ont tendance à se collaber àl’inspiration. Le calibre des VAS à l’inspiration dépendde l’équilibre entre la pression intraluminale négative,qui tend à diminuer, et la pression générée par lesmuscles dilatateurs des VAS qui tend à l’augmenter.Toute circonstance favorisant un déséquilibre entre cesdeux pressions aux dépens de la pression des musclesdilatateurs favorise la survenue d’obstruction complèteou partielle.Il faut distinguer deux types de ronfleurs : les ronfleurssimples et les ronfleurs compliqués avec des apnées dusommeil.

Interrogatoire

Le motif de consultation le plus souvent rencontré est lebruit et la gêne occasionnés pour le conjoint ou l’entou-rage.Il faut rechercher des signes évoquant la survenued’apnées du sommeil : sommeil agité, réveil inopiné,endormissement rapide, pauses respiratoires durant lesommeil, sueurs nocturnes, céphalées matinales,somnolence diurne pouvant entraîner des accidents dela circulation, fatigabilité matinale, endormissementslors de réunions, aux feux tricolores, lors de la conduiteet en post prandial irrépressible.Le ronfleur se plaint rarement ou très peu ; l’interrogatoiredu conjoint, plus concerné et motivé est obligatoire.

6

* ORL. Chef de service C.H. Argenteuil

La conduite à tenir devant cette plainte est codifiée ainsi :

Examen ORL

à la recherche d’un trouble de la ventilation et mettanten lumière l’obstacle désigné.* rhinoscopie antérieure et postérieure à la fibreoptique, à la recherche d’une déviation de la cloisonnasale, d’une polypose naso sinusienne, d’une hyper-trophie des cornets, d’une tumeur du cavum.* examen du larynx : étude de la mobilité des cordesvocales, recherche d’une tumeur du larynx, d’uneépiglotte en «chapeau de gendarme» venant recouvrir lalumière glottique.* examen de l’oropharynx : recherchera une hypertrophieamygdalienne, une hypertrophie adénoïdienne chez l’en-fant, une imperforation choanale, un voile pléthorique etépaissi, étude de l’isthme pharyngé postérieur.

L’interrogatoire et l’examen ORL permettent le plussouvent de classer les ronfleurs.

Enregistrement du sommeil

Au terme de cet examen, un enregistrement du sommeilen ambulatoire permet de chiffrer le nombre d’apnées etde ronflements, de mesurer l’indice d’apnées, ainsi que lasaturation en oxygène nocturne et la fréquence cardiaque.La polysomnographie est réservée aux cas sévères, avecapnées du sommeil importantes.

Nous voici au terme de nos investigations : que peut-onproposer ?

Traitement du Ronflement Options thérapeutiques

L’attitude thérapeutique est fonction de l’enregistre-ment polygraphique et de l’index d’apnées par heure(IAH) de sommeil. On classe alors les ronfleurs enronfleurs simples et ronfleurs compliqués dont l’IAHest supérieur à 30.

Pour les ronfleurs simples,la décision thérapeutique est fonction de l’examenclinique : aspect du voile du palais, taille des amygdalespalatines et état des fosses nasales. Il existe quatregrands types d’intervention :

1. interventions portant sur l’oropharynx :– pharyngotomie (ou uvulopharyngoplastie - UPP)

conventionnelle, pharygotomie par laser ou réduc-tion du volume du palais par radio-fréquence.

– amygdalectomie.2. interventions portant sur la langue et ses insertions :

– glossectomie ou réduction de base de langue.

– ostéotomie mandibulaire avec avancée desapohyses géni.

– suspension de l’os hyoïde.3. interventions qui visent à modifier les bases

osseuses : chirurgie bi-maxillaire.4. interventions portant sur les fosses nasales : septo-

plastie, polypectomie, turbinectomie.

Pour les ronfleurs compliqués,dont l’indice d’apnées est supérieur à 30, le traitementde référence est la pression positive continue ou CPAP,associée à des mesures hygiéno-diététiques (perte depoids, éviter les hypnotiques).

En conclusion

La prise en charge du ronflement est un problème à lafois social et médical. Les ronfleurs hésitent à consulteret la plupart du temps, c’est le conjoint qui en fait lademande. Il faudrait rechercher les signes d’appel afinde dépister les apnées du sommeil. Les facteurs favori-sants sont l’obésité, la prise d’œstrogènes chez lafemme en préménopause, la prise de somniféres. Laclinique et l’enregistrement du sommeil permettent declasser ces ronfleurs. Le principal obstacle se situe auniveau des voies aéro-digestives supérieures. La persis-tance d’apnées sévères nécessite un traitement parCIPAP ou ventilation par pression positive.Pour le traitement de la ronchopathie, notre choix théra-peutique est basé sur quatre critères : l’aspect anato-mique du voile, les résultats de l’enregistrement poly-graphique, les disponibilités du patient et sonappréhension de la douleur.

■ SAS et rique cardio-vasculaire

Pr Jacques Amar*

Le syndrome d’apnée du sommeil (SAS) concerne envi-ron 5% de la population préférentiellement les hommes.L’apnée peut être obstructive (maintien d’effort respira-toire), centrale (pas d’effort respiratoire) ou mixte. LeSAS est défini en référence au nombre d’apnées oud’hypopnées (réduction de 50% du flux respiratoire oudiminution de 30% si elle est associée à une désatura-tion en oxygène d’au moins 3% ou d’un micro éveil)durant au moins 10 secondes. Le seuil de 15 évène-ments par heure de sommeil est généralement retenupour établir le diagnostic [1].

7

* Service de Médecine Interne et d’hypertension artérielleCHU Toulouse, Hôpital Rangueil

SAS obstructif

Diagnostic

Il est suggéré par le contexte et l’interrogatoire. Le contexteOn estime que 60% des patients porteurs d’un SAS sonthypertendus. Le profil le plus typique est l’hypertendu(résistant) obèse avec syndrome métabolique.

Des signes fonctionnels évocateursLes symptômes les plus fréquemment décrits sont leronflement, les éveils nocturnes, l’asthénie matinale, lasomnolence diurne (tableau 1) parfois responsable d’ac-cident de la voie publique et les troubles sexuels.

Tableau 1 :Echelle de somnolence d’Epworth

Remplissez le tableau en vous demandant pour chaque situation quelles sont vos chances

d’endormissement

0 = jamais d’endormissement1 = faible chance 2 = chance moyenne 3 = forte chancelorsque le score dépasse 15, il est proposéde dépister un SAS.

Physiopathologie

Mécanisme du SAS obstructifL’inspiration induit une pression négative tendant àcollaber les voies aériennes [2]. À l’opposé, il existe denombreux muscles maintenant les voies aériennesouvertes : la régulation du tonus de ces muscles estcomplexe : elle s’effectue par la mise en jeu des centresrespiratoires et d’autres centres nerveux actifs seule-

ment pendant l’éveil. L’augmentation du tissus adipeuxchez les patients obèses, des spécificités anatomiques :petite taille des mandibule, hypertrophie lymphoïde etla position couchée sur le dos par basculement posté-rieur de la langue et du palais favorisent l’obturationdes voies aériennes au cours de la nuit. L’hypoxie géné-rée permet la stimulation des centres de l’éveil autori-sant la ré-ouverture des voies aériennes : un nouveaucycle peut alors s’enclencher conduisant de l’endormis-sement au relâchement des muscles pharyngo-dilata-teur, à l’apnée et enfin à l’éveil.

SAS et système cardio-vasculaireLes patients souffrant d’apnée du sommeil vont subirtout au long de la nuit des oscillations hémodynamiquesimportantes. Au début de l’apnée, la pression artériellediminue puis augmente progressivement lors de lareprise de la respiration avec un pic qui peut varier entre+15 et +80 mm Hg. Ces variations sont sous l’influencede la baisse de la PO2, l’augmentation de la PC02, lesefforts inspiratoires qui font varier le retour veineux etl’éveil. L’hypoxie générée par l’apnée est source d’hy-peractivité sympathique qui se surajoute à l’hyperactivitésympathique qui caractérise l’obèse [3]. L’augmentationdu tonus sympathique assombrit le pronostic cardio-vasculaire via l’élévation de la pression artérielle et lestroubles du rythme qu’elle favorise.

SAS et syndrome métaboliqueUne association privilégiée entre SAS et syndrome méta-bolique est décrite. Cette relation ne serait pas expliquéeseulement par le surpoids présent dans les deux entités.La privation relative de sommeil induite par le syndromed’apnée entraîne une résistance à l’insuline, une diminu-tion de la leptine et une augmentation de la ghreline àl’origine d’une augmentation de la prise alimentaire et dupoids [4]. On imagine donc un cercle « vicieux » où laprise de poids, le SAS, l’hypertension et le syndromemétabolique s’alimentent l’un l’autre et où tous se conju-guent pour compromettre le pronostic cardio-vasculaire.

Syndrome d’apnée du sommeil et pronosticcardio-vasculaire

Un facteur prédictif de l’apparition de l’HTADans une étude prospective [5] menée aux Etats-Unis,l’influence du SAS sur le risque d’HTA a été testée. Unerelation de type dose réponse a été mise en évidenceentre l’intensité du SAS et l’incidence de l’HTA(tableau 2). Cette relation reste significative après ajus-tement sur les autres facteurs de risque cardiovascu-laire, notamment l’index de masse corporelle. Ainsi, un

8

Assis en train de lire

En regardant la télévision

Assis inactif dans un lieu public (cinéma, réunion)

Passager d’une voiture ou d’un transport en communroulant depuis plus d’une heure sans interruption

Allongé dans l’après midi lorsque les circonstances lepermettent

Assis en train de parler avec quelqu’un

Assis au calme après un déjeuner sans alcool

Dans une voiture immobilisée quelques minutesà un feu rouge ou dans un embouteillage.

SAS défini par un index d’apnée hypopnée de 15/heuretriple sur une période de 4 ans le risque d’installationd’une HTA. Ce résultat suggère le caractère causal de larelation conduisant du SAS à l’hypertension artérielle.

Un marqueur du risque cardio-vasculaire

Accident vasculaire cérébral et décèsUne étude prospective [6] conduite en Californie aenvisagé l’influence du SAS sur le risque d’accidentvasculaire cérébral (AVC) et de décès chez des patients>50 ans suivis 3 ans adressés pour dépistage de SAS enprévention primaire. La présence d’un SAS est associéeà un doublement du risque d’AVC et/ou de décès(risque relatif : 1.97 ; intervalle de confiance à 95%[1.12-3.48]) après ajustement en particulier sur laprésence d’une HTA. À noter que ce résultat est obtenuchez des patients dont le SAS a été traité au cours dusuivi suggérant le caractère partiel de la protectionconférée par la CPAP, si cette protection existe.

Mort subiteL’horaire des décès subits a été colligé chez des patientsayant bénéficié d’un enregistrement polygraphique dusommeil. L’étude [7] a montré que parmi les patientsdécédés de mort subite, ceux affectés d’un SAS mour-raient plus volontiers entre minuit et 6 heures du matin.De plus, le risque de décès subit dans cette tranchehoraire était corrélé à l’index d’apnée.

Traitement du SAS : une place pour le cardiologue ?

Le traitement de choix du SAS est l’ application d’unepression respiratoire positive continue (CPAP : conti-nuous positive airway pressure) pendant le sommeil. Ils’agit à l’évidence d’un traitement contraignant pour lepatient et souvent pour son conjoint. Une alternative aété suggérée en 2002 pour les patients affectés d’unSAS et porteurs d’un stimulateur cardiaque : une étudebordelaise [8] suggérait en effet l’influence bénéfiqued’une stimulation auriculaire destinée à corriger les

épisodes de bradychardie nocturne. Une augmentationde la fréquence auriculaire de 15 bpm était associée àune réduction de l’index d’apnée hypopnée de 10/h.Cependant, ce résultat n’a pas été confirmé dans uneétude randomisée [9] récemment parue.

Quelle bénéfice attendre du traitement du SAS ?

Une amélioration fonctionnelleLa correction du SAS permet une amélioration rapidede l’asthénie et de la qualité du sommeil. Les obstaclesà une bonne observance sont cependant multiples. Enpremier lieu, il faut envisager une insuffisance decorrection du SAS par la CPAP. De fait, le patient subis-sant les contraintes de l’appareillage sans en percevoirles bienfaits va rapidement l’abandonner. On peut aussirencontrer des problèmes liés à l’appareil lui même :sécheresse buccale secondaire à l’absence d’humidifi-cateur, masque inadapté à la morphologie, etc.

Une réduction de la pression artériellePlusieurs études randomisées ont démontré une réduc-tion de la pression artérielle chez les patients affectésd’un SAS traités par CPAP. Cette réduction concerne lapression nocturne mais aussi diurne. Elle a atteint dansune étude incluant à la fois hypertendus et normotendusrespectivement 6 et 3 mm Hg pour la moyenne despressions systoliques de jour et de nuit évaluée parmesure ambulatoire de la pression artérielle [10]. L’am-plitude de la baisse tensionnelle observée augmenteavec la sévérité du SAS et la qualité de sa correction.Elle est perceptible dans les 15 jours qui suivent la miseen place de l’assistance respiratoire. Elle est associée àune réduction des marqueurs d’activation sympathique(excrétion urinaire de catécholamines).

Amélioration du pronostic cardio-vasculaire ?La trachéotomie comparée à la prise en charge diété-tique a été associée à une réduction de la mortalité dansle cadre d’une étude non randomisée parue en 1988ayant concerné des patients affectés d’une forme sévèrede SAS [11]. Cependant à ce jour, l’influence bénéfiqued’une correction du SAS par la CPAP sur le pronosticcardio-vasculaire reste à démontrer.

Le SAS central de l’insuffisant cardiaque

Très fréquent, de 25 à 40% des patients, sa présence estassociée à un risque accru. Il est lié à des cycles d’hy-perventilation provoquant une chute de la PCO2 à l’ori-gine de l’apnée [12]. Une étude d’intervention [13] a étémenée chez l’insuffisant cardiaque avec altération de lafonction systolique ventriculaire gauche. Le critèred’évaluation était le décès et la transplantation

9

Tableau 2 :

risque d’apparition d’une HTA et intensité du SAS d’après Peppard et al [5]

Index d’apnée hypopnée

0

0.1 - 4.9/h

5 - 14.9 h

>= 15/h

Odds ratio*Risque d’installation d’une HTA

1

1.42

2.03

2.89

Intervallede confiance

à 95 %

1.13-1.78

1.29-3.17

1.46-5.64

cardiaque. Il n’y a pas eu de différence significativechez les patients randomisés dans le groupe CPAP. Iln’y a pas eu non plus d’amélioration de la qualité devie. Cependant, une amélioration de la fraction d’éjec-tion ventriculaire était observée. Il faut aussi soulignerque l’étude n’a pas eu la puissance prévue a priori parles concepteurs ce qui en limite la portée. Il reste doncune place pour le doute. Cependant à ce jour, il n’y apas d’argument fondé sur un fort niveau de preuve pourproposer la correction du SAS central chez les patientsinsuffisants cardiaques.

ConclusionLe syndrome d’apnée du sommeil est une pathologiefréquente. Dans sa forme obstructive, il se rencontrevolontiers chez l’hypertendu résistant avec syndromemétabolique. Il est responsable d’une gêne fonction-nelle souvent considérable et d’une augmentation durisque cardio-vasculaire en partie secondaire à l’éléva-tion de la pression artérielle et à l’émergence detroubles du rythme. Sa correction par CPAP a été asso-ciée à une amélioration de la qualité de vie et une réduc-tion de la pression artérielle.

Références

1. Baguet JP, Narkiewicz K, Mallion JM. Update on HypertensionManagement: obstructive sleep apnea and hypertension. JHypertens. 2006 Jan;24(1):205-8.

2. White DP. Pathogenesis of obstructive and central sleep apnea.Am J Respir Crit Care Med. 2005 Dec 1;172(11):1363-70.

3. Grassi G, Facchini A, Trevano FQ, Dell’Oro R, Arenare F, Tana F,Bolla G, Monzani A, Robuschi M, Mancia G.Obstructive sleepapnea-dependent and -independent adrenergic activation inobesity. Hypertension. 2005 Aug;46(2):321-5. Epub 2005 Jun 27.

4. Spiegel K, Knutson K, Leproult R, Tasali E, Van Cauter E. Sleeploss: a novel risk factor for insulin resistance and Type 2diabetes. J Appl Physiol. 2005 Nov;99(5):2008-19.

5. Peppard PE, Young T, Palta M, Skatrud J. Prospective study ofthe association between sleep-disordered breathing and hyper-tension. N Engl J Med. 2000 May 11;342(19):1378-84.

6. Yaggi HK, Concato J, Kernan WN, Lichtman JH, Brass LM,Mohsenin V. Obstructive sleep apnea as a risk factor for strokeand death.N Engl J Med. 2005 Nov 10;353(19):2034-41

7. Gami AS, Howard DE, Olson EJ, Somers VK. Day-night patternof sudden death in obstructive sleep apnea. N Engl J Med. 2005Mar 24;352(12):1206-14.

8. Garrigue S, Bordier P, Jais P, Shah DC, Hocini M, Raherison C,Tunon De Lara M, Haissaguerre M, Clementy J. Benefit of atrialpacing in sleep apnea syndrome. N Engl J Med. 2002 Feb7;346(6):404-12.

9. Simantirakis EN, Schiza SE, Chrysostomakis SI, ChlouverakisGI, Klapsinos NC, Siafakas NM, Vardas PE. Atrial overdrivepacing for the obstructive sleep apnea-hypopnea syndrome. NEngl J Med. 2005 Dec 15;353(24):2568-77

10. Norman D, Loredo JS, Nelesen RA, Ancoli-Israel S, Mills PJ,Ziegler MG, Dimsdale JE.Effects of continuous positive airwaypressure versus supplemental oxygen on 24-hour ambulatoryblood pressure. Hypertension. 2006 May;47(5):840-5.

11. Partinen M, Jamieson A, Guilleminault C. Long-term outcomefor obstructive sleep apnea syndrome patients. Mortality. Chest.1988 Dec;94(6):1200-4.

12. Javaheri S. À mechanism of central sleep apnea in patients withheart failure. N Engl J Med. 1999 Sep 23;341(13):949-54.

13. Bradley TD, Logan AG, Kimoff RJ, Series F, Morrison D,Ferguson K, Belenkie I, Pfeifer M, Fleetham J, Hanly P, Smilo-vitch M, Tomlinson G, Floras JS; CANPAP Investigators.Conti-nuous positive airway pressure for central sleep apnea and heartfailure. N Engl J Med. 2005 Nov 10;353(19):2025-33.

■ Aspect neuro-vasculaire et endocrinien

Drs A.M. SALANDINI, F. BRANET-HARTMANNCh. ROUBY, J.R. ROUANE*

Le syndrome d’apnée du sommeil (S.A.S.) a été identi-fié voici une cinquantaine d’année. Son importanceclinique est maintenant reconnue. Il s’agit d’unproblème majeur qui affecte 2 à 4% des hommes et 1 à2% des femmes d’âge moyen.1 La majorité d’entre euxsont méconnus. Il s’agit d’un diagnostic sous-estimé.Le SAS est fortement corrélé à l’obésité. Il atteint aussides patients moins obèses mais avec une répartitionabdominale des graisses. La prévalence du SASaugmente parallèlement à celle de l’épidémie d’obésitéet de surcharge pondérale dans les pays développés.

Aspects de la sémiologie neurologique du SAS

Le tableau typique associant la somnolence diurne et leronflement nocturne permet d’évoquer facilement cediagnostic. Or, en pratique, la clinique est beaucoupmois évocatrice. La symptomatologie nocturne (apnées,ronflements, réveils en sursaut, polyurie) est souventignorée ou mésestimée par le patient et n’amène pas àconsulter un neurologue. Elle est parfois signalée spon-tanément par le conjoint. La symptomatologie diurnedes SAS associe les troubles de mémoire et de concen-tration, les céphalées matinales, la somnolence, la fati-gabilité, les crises comitiales, les faiblesses muscu-laires. Ces symptômes aspécifiques sont fréquents chezles patients âgés, polymédiqués, aux pathologiesmultiples. Les patients retraités qui font la sieste post-prandiale se plaignent rarement de somnolence diurne.2

10

* Clinique Pasteur, Toulouse

SAS et céphaléesLa céphalée est aspécifique. Elle est quotidienne, peuintense, essentiellement matinale et conditionnée par laqualité du sommeil de nuit. Quand le SAS est traité, lacéphalée disparaît généralement. Les céphalées du SASs’expliquent par les fluctuations nocturnes de la satura-tion d’oxygène et de l’hypercapnie, la vasodilatation,l’augmentation de la pression intracrânienne et l’altéra-tion de la qualité du sommeil.3La céphalée n’est pas unmotif de consultation des patients souffrant de SASprobablement parce qu’elle est peu intense et essentiel-lement matinale.

Le SAS et troubles cognitifs4

L’augmentation de l’index de perturbation respiratoireet de la somnolence diurne est corrélée avec la diminu-tion des performances cognitives. Une fois écartés lesbiais liés à l’âge et au niveau d’éducation, seule l’aug-mentation de la somnolence diurne reste corrélée avecla diminution du mini mental score.

SAS et épilepsieLa présence d’un SAS serait susceptible d’aggraver unecomitialité préexistante. En effet, une étude prospectiveréalisée à Ann Arbor (Michigan) a analysé l’effet dutraitement du SAS sur la fréquence des crises chez lespatients épileptiques. Les 4 patients appareillés pour unSAS ont vu la fréquence de leurs crises diminuée d’aumoins 45% sous CPAP.5

Le SAS maladie métabolique et vasculaire

Sur le plan cardio-vasculaire, le SAS est responsabled’une augmentation de la fréquence de l’hypertensionartérielle, des troubles du rythme cardiaque nocturne,de l’insuffisance cardiaque, de l’infarctus du myocardeainsi que de l’AVC. 6, 7

Le syndrome métaboliqueDes études récentes sont en faveur d’une relation étroiteavec l’obésité mais aussi avec le syndrome métabolique.Les apnées semblent favoriser la diminution de la sécré-tion de l’hormone de croissance (GH) nocturne quientraîne une majoration des paramètres du syndromemétabolique tels que l’hypertension artérielle, la résis-tance à l’insuline, la diminution de la tolérance auglucose, la dyslipémie et un état inflammatoire. 8, 9, 10

Une étude contrôlant les patients avant et après appa-reillage nocturne ne montre pas de différence deconcentration de l’insuline, du C peptide, du cortisol, etdu glucagon. En revanche, il existe une réductionmarquée de la GH dans le SAS avec une augmentationsignificative sous CPAP. La diminution de sécrétion dela GH nocturne chez les patients non traités entraînerait

une diminution de la lipolyse qui est réversible sousCIPAP.11 Ce mécanisme pourrait participer à la perte depoids des patients appareillés.Le syndrome métabolique (anciennement appelésyndrome X) se caractérise par : une répartition abdo-minale des graisses, une insulino-résistance, une intolé-rance au glucose, une dyslipémie caractérisée par unHDL bas et un LDL élevé, une hypertriglycéridémie,une HTA, une augmentation du fibrinogène. Cespatients sont donc à haut risque de maladie cardio-vasculaire.

Le diabète de type 2Trente-cinq pour cent des diabétiques de type 2 présententun SAS sans corrélation évidente avec leur poids. Le trai-tement par CPAP chez ces diabétiques améliorerait leurprofil glycémique. Ces données récentes demandent à êtreconfirmées12, 13 d’autant qu’une étude retrouverait plutôtune tendance à l’élévation de la glycémie au cours del’utilisation de la CIPAP chez des patients obèses nondiabétiques.14, 15, 16 À poids égal, l’insulino-résistance estplus marquée chez les patients présentant un SAS. Il y adonc une intrication très étroite entre obésité, syndromemétabolique, résistance à l’insuline et SAS.

L’influence du poidsLe SAS est particulièrement fréquent chez les obèses etsa fréquence augmente avec la prise de poids. La pertede poids chez les patients obèses avec SAS permetl’amélioration de la fonction pulmonaire et la réductionde la fréquence du SAS et ceci même pour des pertes depoids modérées (15% du poids initial). Ces résultats liésà la perte de poids sont particulièrement intéressantsdans l’obésité morbide grâce à la chirurgie bariatrique,by-pass ou anneau gastrique, avec une réduction duSAS jusqu’à 33% dans certaines cohortes.17, 18, 19, 20, 21, 22

Les conséquences neuro-vasculaires

Le syndrome d’apnées obstructives du sommeil(SAOS) peut être la conséquence d’un accident vascu-laire cérébral (AVC). Il est aussi considéré comme unfacteur de risque vasculaire indépendant. Le SAS esttrès fréquent à la phase aiguë des AVC (60% despatients).Plusieurs arguments plaident pour un SAS facteur derisque d’AVC ou d’AIT : le risque de survenue d’unAVC est corrélé à la sévérité initiale du SAS ; les apnéesau cours des AVC sont surtout obstructives et non pascentrales ; il n’y a pas de différence de prévalence ou desévérité des SAS entre AIT et AVC ; la prévalence desSAS au cours des AVC est indépendante de leur locali-sation carotidienne ou vertébro-basilaire ; on retrouvesouvent à l’interrogatoire une somnolence diurne précé-

11

dant l’AVC ; la sévérité du SAS est indépendante de lasévérité de l’AVC ; les SAS non traités ont plus d’AVCet de morbi-mortalité liés aux AVC que les SAS traités. Après un AVC, les patients apnéiques présentent plussouvent une aggravation initiale du déficit, une morta-lité à 6 mois supérieure et un risque de récidive d’AVCplus importants ainsi qu’un moins bon pronostic fonc-tionnel à 6 mois. De nombreux mécanismes expliquentl’augmentation du risque vasculaire liée au SAS :

Le développement d’une HTAUne relation de cause à effet a été démontrée récem-ment entre SAS et HTA. Un SAS isolé pouvant entraî-ner une HTA en particulier chez les hommes jeunes. Ilexiste une corrélation positive entre la sévérité du SASet la présence d’une HTA quatre ans plus tard. La carac-téristique particulière de l’HTA induite par le SAOS estla disparition de la baisse physiologique de la pressionsanguine artérielle nocturne.

L’accélération de l’athéroscléroseLe risque d’infarctus du myocarde est multiplié parvingt quand le SAS n’est pas traité.23

L’élévation du fibrinogène plasmatique serait un facteurde risque indépendant d’événements vasculaires. Uneétude de polysomnographie réalisée chez 113 patientslors de leur séjour en rééducation fonctionnelle a mis enévidence une corrélation entre SAS et taux élevé defibrinogène après un AVC ischémique. Un mécanismephysiopathologique serait donc à l’origine d’un risqueaccru d’AVC chez les patients souffrant de SAS. 24

L’induction de troubles du rythme cardiaque emboligènesL’hypoxie intermittente récurrente liée au SAS et l’hy-peractivité du système nerveux sympathique font le litde l’arythmie cardiaque. 25

Les modifications de la pression intracrânienne, del’hémodynamique et du métabolisme cérébral lors desapnées augmentent aussi le risque vasculaire des SAS.

L’impact du traitement

Le traitement du SAS par la CIPAP peut prévenir etaméliorer l’HTA, réduire l’hypertonie sympathique,éviter l’augmentation du stress oxydatif vasculaire,diminuer les anomalies de la coagulation et aussiaméliorer l’insulino-résistance.Le traitement du SAS par CPAP améliore le pronosticvasculaire. Les patients non traités ou non compliantsont un risque vasculaire augmenté. Néanmoins, lespatients non compliants peuvent l’être également pourle reste du traitement. La CPAP semble diminuer lerisque de récidive vasculaire mais la compliance à long

terme est aléatoire surtout chez les patients déprimés,aphasiques ou présentant des troubles cognitifs.

Conclusion

Compte tenu du risque vasculaire, cardiaque et neuro-logique mais aussi métabolique, la recherche du SASdoit être systématique chez tout patient d’âge mûr car lasymptomatologie est aspécifique et ce d’autant qu’il estobèse ou suspect de syndrome métabolique. L’exploration et le traitement sont bien codifiés, l’effi-cacité de la CPAP n’est plus à démontrer. N’oublionspas de plus que la somnolence entraîne une diminutiondes performances professionnelles avec des consé-quences sociales dont la restriction d’aptitude à laconduite automobile en raison du risque d’accident.

Bibliographie 1 (Gibson GJ) « Obstructive sleep apnoea syndrome : underestimated

and undertreated » Br med Bull. 2005 mar 29 ; 72 : 49-65. Print2004

2. (Abad VC, Guilleminault C.Clinical Monitoring Sleep DisordersCenter, Cupertino, California, USA.) “Neurological perspective onobstructive and nonobstructive sleep apnea”. Semin neurol 2004sep ;24 (3) : 261-9

3. (Jensen R, Olsborg C, Salvesen R, Torbergsen T, Bekkelund SI)“Is obstructive sleep apnea syndrome associated with headache”Acta Neurol Scand. 2004 Mar;109(3):180-4.

4. (Mairav Cohen-Zion, BA,* Carl Stepnowsky, PhD, Marler, PhD,Tamar Shochat, DSc, Daniel F. Kripke, MD, and Sonia Ancoli-Israel, PhD) “Changes in Cognitive Function Associated withSleep Disordered Breathing in Older People” J Am Geriatr Soc49:1622–1627, 2001.

5. (Michael S. Aldrich Sleep Disorders Center, Department of Neuro-logy, University of Michigan Medical Center, Ann Arbor, MI, [email protected]) Sleep Med. 2003 Nov;4(6):509-15.

6. (Poirier P; Giles TD, Bray GA, Hong Y, Sterb JS, Pi-Sunyer FX,Eckel RH, American Heart Association, Obesity and Heart Diseasefrom the Obesity Committee of the Council on Nutrition, PhysicalActivity, and Metabolism) “Obesity and cardiovascular disease :pathophysiology, evaluation, and effect of weight loss : an updateof 1997 American Heart Association Scientific Statement onObesity Committee of the Council on Nutrition, Physical Activity,and Metabolism”. Circulation. 2006 feb 14 ;113 (6) : 898-918. Epub2005 dec 27.

7. (Dursunoglu N., Dursunoglu D., Kilic M.) “Impact of obstructivesleep apnea on right ventricular global function : sleep apnea andmyocardial index.” Respiration. 2005 May-Jun ; 72 (3) : 278-84.

8. (Steven R. Coughlin, Lynn Mawdsley, Julie A. Mugarza, Peter M.A.Calverley; John P.H. Wilding) “Obstructive sleep apnea is inde-pendently associated with an increased prevalence of metabolicsyndrome”. European Heart Journal 2004 25, 735-741.

9. (Shinji Teramoto, Hiroshi Yamamoto, Yasuhiro Yamaguchi, RyoichiNamba and Yasuyoshi Ouchi) “Obstructive Sleep Apnea CausesSystemic Inflammation and Metabolic Syndrome”. Chest 2005 ;1074-1075 DOI : 10.1378/chest 127.3.1074

10. (Apoor S. Gami; Virend K. Somers) “Obstructive sleep apnoea,metabolic syndrome, and cardiovscular outcomes”. European HeartJournal 2004 25, 709-711

11. (Cooper BG, White JE, Ashworth LA, Alberti KG; Gibson GJ)« Hormonal and metabolic profiles in subjects with obstructive

12

sleep apnea syndrome and the acute effects of nasal continuouspositive airway pressure treatment.” Sleep 1995 apr;18(3):172-9

12. (Raison J.) « Apnées du sommeil et diabète de type 2 » Diabète etfacteurs de risque 2005 oct. Vol 3 Suppl.1 6

13. (Babu AR, Herdegen J., , Shott S, Mazzone T.) “Type 2 diabetes,glycemic control, and continuous positive airway pressure inobstructive sleep apnea”. Arch Intern Med. 2005 fec 28 ; 165 (4) :447-52.

14. (Czupryniak L., Loba J., Pawlowski M., Nowak D., Bialasiewiez P.)“treatment with continuous positive airway pressure may affectblood glucose levels in nondiabetic patients with obstructive sleepapnea syndrome” Sleep 2005 May 1 ; 28 (5) : 601-3.

15. (Punjabi NM, Polotsky VY) “Disorders of glucose metabolism insleep apnea” J Apple Physiolo 99 (5) 1998-2007 (2005)

16. (Vgontzas AN, Bixler EO, Chrousos GP) “Sleep apnea is a mani-festation of the metabolic syndrome” Sleep Med Rev 9 (3) 211-24(2005)

17. (Kalra M; Inge T; Garcia V, Daniels S, Lawson L, Curti R, Cohen A,Amin R) « Obstructive sleep apnea in extremely overweigth adoles-cents undergoing bariatricsurgery” Obes Res. 2005 jul ; 13 (7) :1175-9.

18. (Davila-Cervantes A, Dominguez-Cherit G, Borunda D, Gamino R,Vargas-Vorackova F, Gonzalez-Barranco J, Herrera MF) “Impact ofsurgically-induced weight loss on respiratory function : a prospec-tive analysis”. Obes Surg. 2004 Nov-Dec ; 14 (10) : 1389-92

19. (Simard B, Turcotte H, Marceau P, Biron S, Hould FS, Lebel S,Marceau S, Boulet LP) “Asthma and sleep apnea in patients withmorbid obesity : outcome after bariatric surgery”. Obes Surg. 2004Nov-Dec ; 14 (10) : 1381-8

20. (Newman AB, Foster G, Givelber R, Nieto FJ, Redline S, Young T.)“Progression and regression of sleep-disordered breathing withchanges in weight : the Sleep Heart Health Study” Arch InternMed. 2005 Nov 14 ; 165 (20) : 2408-13

21. (Spivak H, Hewitt MF, Onn A, Half EE) “Weight loss and impro-vement of obesity-related illness in 500 U.S. patients followinglaparoscopic adjustable gastric bandling procedure”. Am J Surg.2005 Jan ; 189 (1) : 27-32

22. (Busetto L, Enzi G, Inelmen EM, Costa G, Negrin V, Sergi G,Vianello A.) «Obstructive sleep apnea syndrome in morbid obesity :effects of intragastric balloon”. Chest. 2005 Aug ; 128 (2) : 485-7

23. (Grigg-Damberger M. Pediatric Sleep Services, University Hospi-tal Sleep Disorders Center, and Department of Neurology, Universityof New Mexico School of Medicine, Albuquerque, New Mexico87131, USA. [email protected]) “Why a polysomnogramshould become part of the diagnostic evaluation of stroke andtransient ischemic attack.” J Clin Neurophysiol. 2006Feb;23(1):21-38.

24. (Wessendorf TE, Thilmann AF, Wang YM, Schreiber A,Konietzko N, Teschler H) “Fibrinogen levels and obstructivesleep apnea in ischemic stroke”.. Am J Respir Crit Care Med. 2000Dec;162(6):2039-42.

25. (Mehra R, Benjamin EJ, Shahar E, Gottlieb DJ, Nawabit R,Kirchner HL, Sahadevan J, Redline S; Sleep Heart HealthStudy.)Am J Respir Crit Care Med. 2006 Apr 15;173(8):910-6.Epub 2006 Jan 19.Related Articles, Links

■ Programme d’éducation thérapeutique pour les patientsappareillés par pression positive

Equipe Educative de Sadir Assistance Pr Alain DIDIER, Dr Kamilla SEDKAOUI*

Le syndrome d’apnée du sommeil (SAS) a été méconnupendant de nombreuses années, en effet l’individualisa-tion du SAS est relativement récente puisqu’elleremonte à 1976, bien que la connaissance des troublesrespiratoires du sommeil remonte à l’Antiquité.Dans la littérature, Charles Dickens fait une descriptiontrès intéressante du tableau clinique dénommé plus tard(1956) le syndrome de PICKWICK qui associe obésitéimportante, hypoventilation alvéolaire chronique etretentissement cardiaque droit. C’est en 1976 queGUILLEMINAULT définit le SAS à partir d’indicesd’apnées : nombre d’apnée/heure.Enfin le traitement du SAS est né en 1981, année de lapublication par SULLIVAN et COLL dans le Lancet deseffets thérapeutiques de la ventilation par pression posi-tive continue sur les troubles respiratoires du sommeil.

Epidémiologie

Le SAS peut être observé à tous les âges de la vie avecun augmentation de la fréquence après 50 ans, et unefranche dominance masculine.L’étude de référence concernant la prévalence du SASdans la population générale a été réalisée par YOUNGet COLL aux USA, chez 626 adultes âgés de 30 à 60ans. La prévalence du SAS définie dans cette étude parun IAH supérieur à 15/heure est de 9% chez leshommes et de 4% chez les femmes.LINDBERG et GUISLAON notent que la prévalencedu SAS non diagnostiqué varie de 0,3 à 5% dans9 études portant sur la population générale.Dans les pays occidentaux, 5% des adultes ont un SASnon diagnostiqué qui justifierait d’un traitement.

Signes cliniques du SAS

Le symptôme principalement observé est la somnolencediurne, excessive secondaire à la fragmentation dusommeil. Elle peut être à l’origine d’accidents dutravail ou de la circulation d’où le problème médico-légal constituant un motif d’inaptitude à la conduiteautomobile (arrêt du 21 décembre publié au journalofficiel du 28 décembre 2005).

13

* Service de Pneumologie Hôpital Larrey, CHU Toulouse

L’asthénie chronique, les céphalées matinales, la dimi-nution de l’efficience intellectuelle, les troubles de lamémoire, de la concentration, de l’humeur, la baisse dela libido voire l’impuissance, peuvent aussi faireévoquer l’existence d’un SAS. Les symptômesnocturnes sont essentiellement des ronflements sonoresinterrompus par des pauses respiratoires bien décritespar le partenaire et une polyurie.

Les complications du SAS

Il est parfaitement reconnu que le SAS représente unvéritable problème de santé publique en raison descomplications qui en découlent, d’une morbiditécardio-vasculaire importante et d’une surmortalitésignificative. Les troubles de la vigilance peuvent êtreresponsables d’accidents de la circulation et du travail.

Les traitements

La pression positive continue par voie nasale constituele traitement de référence du SAS, son principe a étédécrit en 1981 par SULLIVAN et COLL. Grâce à uneffet d’attelle pneumatique, elle évite le collapsus inspi-ratoire du pharynx. Le niveau de pression nécessairevarie d’un patient à l’autre et doit être déterminé endébut de traitement ; on parle de titration. Les PPCactuelles délivrent des débits compris entre 20 et60 l/min permettant de générer des pressions comprisesentre 2 et 20 cmH20.L’effet bénéfique de ce traitement sur les évènementsrespiratoires et sur les cycles du sommeil est immédiat.Il s’agit d’un traitement au long cours, contraignant,dont le taux d’acceptation se situe selon les échantillonsentre 60 et 70%, d’où l’importance de la mise en placed’un programme d’éducation thérapeutique. La faiblesévérité du SAS en terme d’IHA et de score d’EPWORTHest un facteur prédictif de mauvaise tolérance.Les indications à la mise en place d’une PPC dans lecadre du SAHS ont été précisées par un arrêté publiédans le journal officiel du 30 décembre 1998 : IAH> 30/heure, micro-éveils > 10/heure avec unesomnolence excessive.Les orthèses d’avancée mandibulaire sont un systèmeorthodontique ; elles sont efficaces dans plus de 50% desSAS modérés avec cependant des effets secondaires à typede douleurs articulaires temporo-mandibulaires, d’hyper-sialorrhée et d’inflammation gingivale. Les bénéfices et lescomplications à long terme sont encore mal connues.La chirurgie maxillo-faciale peut être proposée à dessujets jeunes présentant une rétro-mandibulie et atteintsd’un SAS sévère ne supportant pas le traitement par PPC.Les mesures d’hygiène diététiques, et l’arrêt des traite-ments hypnotiques (benzodiazépines, barbituriques)peuvent diminuer l’IAH.

Projet d’Education Thérapeutique : généralités

DéfinitionEn 1998, le bureau Européen de l’OrganisationMondiale de la Santé a réuni un certain nombre d’ex-perts afin de proposer une prise en charge des maladieschroniques dans sa dimension éducative. Quatre pointsimportants ont été retenus :1) former le malade pour qu’il puisse acquérir unsavoir-faire adéquat, afin d’arriver à un équilibre entresa vie et le contrôle optimal de la maladie.2) l’éducation thérapeutique du patient est un processuscontinu qui fait partie intégrante des soins médicaux.3) l’éducation thérapeutique du malade comprend lasensibilisation, l’information, l’apprentissage, le supportpsychosocial, tous liés à la maladie et au traitement.4) la formation doit aussi permettre au malade et à safamille de mieux collaborer avec les soignants.L’éducation thérapeutique est devenue aujourd’hui unenécessité du fait, de l’accroissement du nombre demaladies chroniques, de la mauvaise observancefréquente des prescriptions qui diminue l’efficience dela prise en charge thérapeutique et de l’évolution desattitudes et comportements des patients vis-à-vis de lasanté et des professionnels de santé.

L’application au syndrome d’apnée obstructivedu sommeilDevant le développement clinique et la reconnaissancede l’importance du SAS, les différentes réflexions(Ateliers d’Arcachon, congrès SFRS) soulignent lanécessité de proposer un programme d’éducation théra-peutique en direction du patient et de son entourage.La mise en place d’une PPC constitue un traitement aulong cours qui engendre des contraintes et par là mêmeune acceptation parfois difficile. Le constat d’abandonest évalué selon différents échantillons entre 35 et 40%.Traditionnellement le diagnostic et l’annonce de lamaladie sont réservés au seul médecin. Cependant, cesdonnées doivent être reprises par les acteurs du réseaude santé et en particulier par le prestataire de service quioriente l’écoute sur le ressenti immédiat du patient et deson entourage ce qui permet une relation de conseil.Dès lors les notions évoquées : la durée du traitement,le rapport bénéfices / contraintes doivent être plus clai-rement explicités.Un travail doit être mis en place afin d’évaluer lesconnaissances, les appréhensions, les croyances et lesévitements déguisés. Les obstacles à une observancesatisfaisante et les besoins pour une motivation au longcours doivent également être recherchés.Un comité de pilotage regroupant au sein même de laSADIR une équipe pluridisciplinaire - deux médecins

15

pneumologues, un psychomotricien, un psychologue,une assistante sociale une diététicienne, une infirmière,un technicien de santé et un dessinateur - a travaillé àl’élaboration d’une démarche pédagogique et d’outilséducatifs.Parallèlement et pour dynamiser la prise en chargedu SAS, différents partenaires institutionnels : l’ARIRPLO, les Ateliers d’Arcachon, l’ALAIR,l’AVAD, l’A.P.P., l’ANTADIR, la SADIR, la F.F.A.I.R.se sont réunis au sein d’une association « PASSE-RELLE EDUCATIVE » afin de proposer des outils etune stratégie éducative.

Parcours Thérapeutique proposé

Dès la demande d’appareillage par le médecin prescrip-teur, un premier contact téléphonique est pris parl’équipe éducative qui informe le patient des modalitésde sa prise en charge.L’équipe éducative réalise une première visite au domi-cile et évalue tout d’abord les connaissances du patient,ses appréhensions, ses croyances et ses évitements.Dans un deuxième temps l’appareillage est introduitdans le cadre de vie, le technicien présente le dispositifmédical en reprenant toutes les questions pratiques quipeuvent diminuer le niveau d’anxiété, d’angoisse et destress. Suite à cette première intervention, un suivi télé-phonique se met immédiatement en place pour unemeilleure réactivité et pour pallier à d’éventuelsdysfonctionnements liés à une panne ou un défaut demaîtrise des informations données.La deuxième visite est programmée vers le dixièmejour, et permet l’évaluation des connaissances dispen-sées, les motivations, l’aptitude du patient à prendre des

initiatives, à transmettre des informations fiables à sonentourage.Les premiers bénéfices obtenus sont repérés de façonsubjective et objective par l’évaluation de la somno-lence diurne sur l’échelle d’EPWORTH. Un relevé durapport d’observance, de la titration et du compteurhoraire est effectué.A ce stade là de la prise en charge deux principaux casde figures se dessinent :1° Le patient s’adapte bien au traitement, une visite à lafin du premier mois est programmée.2° Le patient rencontre certaines difficultés (mauvaiseadaptation, incompréhension familiale) ou un refustotal de poursuivre ce type de traitement.Le médecin prescripteur est alors immédiatementcontacté et l’équipe éducative tentera d’identifier leséléments de résistances et de freins qui peuvent s’orga-niser autour de cette prise en charge thérapeutique.Quels que soient les différents cas de figure rencontrés,trois mois après le début de la mise en place du traite-ment par PPC, chaque personne incluse dans ceprogramme éducatif est invitée à participer à un groupede parole pour partager ses satisfactions, ses échecs, sescraintes et exposer ses croyances.A chaque étape de ce programme un rapport de suivi estadressé au médecin prescripteur et au médecin traitant.Ce projet éducatif soumis au conseil scientifique de laSADIR a pour ambition de s’intégrer dans un protocolede recherche afin d’évalue : « l’impact d’un pro-gramme d’éducation thérapeutique, lors du diagnosticinitial du SAS, sur l’observance ». À moyen terme l’en-semble des patients appareillés pourra bénéficier d’unetelle prise en charge.

16

■ Prise en charge à domicile des patients appareillés poursyndrome d’apnées du sommeil

Dr Françoise FOURNIAL*

Une fois posé le diagnostic de Syndrome d’apnées dusommeil et décidée la mise en œuvre d’une ventilationnocturne par Pression positive apparaît alors le rôle duservice prestataire chargé de la mise en place de l’appa-reillage et responsable de sa surveillance.Cette prise en charge des patients peut pour nombred’entre eux se poursuivre sur plusieurs années. Traite-ment à vie pour certains? Certainement, pour lemoment du moins, en l’absence d’une autre alternativepouvant faire la preuve d’une efficacité aussi certaine etd’une innocuité non remise en cause.Dans la cadre de l’assistance respiratoire à domicile,cette prise en charge des patients traités pour SAS n’estpas chose aisée car elle s’adresse à : une population demalades ayant le plus souvent une apparence de « bonvivant » ; une population plus jeune que nos insuffisantsrespiratoires habituels, avec une activité profession-nelle, une vie de couple et familiale actives.Les contraintes liées à l’appareillage, au port dumasque, l’image de soi dévalorisée, la nécessité decontrôles réguliers sont difficilement acceptés et letechnicien chargé de la surveillance apparaît souvent audébut comme un agent perturbateur alors qu’il est le« sauveur » lorsqu’il apporte la source d’oxygène.Il est donc important dès le départ de bien préciser avecchaque patient les buts et les modalités de l’appa-reillage, le protocole de surveillance, afin qu’il puissetrès tôt s’approprier son traitement. L’équipe prestataireapparaît alors comme l’accompagnant nécessaire à sonprocessus de guérison, maillon indispensable de sachaîne éducative.Schématiquement il faut envisager trois étapes essen-tielles dans la prise en charge des patients appareillés en P+ :1) L’annonce du diagnostic et la décision thérapeutique.2) La mise en place de la ventilation et la période

d’adaptation au traitement (de 10 jours à 2 mois) :période des manifestations d’intolérance à corrigerqui peut nécessiter des visites ou contacts télépho-niques rapprochés.

3) La période de chronicité du traitement où vontrentrer en jeu les facteurs de motivation : motivationà maigrir, à poursuivre son traitement, à envisagerdes solutions alternatives…

ANNONCE DU DIAGNOSTIC ET DE LADECISION THERAPEUTIQUE

Le dialogue initial entre médecin et malade est essentielà la bonne compréhension et à la compliance au traite-ment. Toutes les explications données à ce moment làseront essentielles à l’adhésion future : les causes de lamaladie, les risques immédiats ou à venir, les raisons dela ventilation, ses contraintes, les solutions alternativespossibles, les règles d’hygiène… et les signes d’effica-cité qu’il devra en attendre.L’aspect medico-légal, en particulier pour la conduiteautomobile, est clairement explicité.Et la guérison ? Comment répondre à la question de ladurée du traitement ? Réponse facile si la perte de poidspermet la guérison ; plus difficile, si le poids n’est pasle facteur déterminant. Il est donc important d’établir audépart un véritable contrat de « suivi de soins », contratde confiance où le médecin prend la responsabilité dutraitement et où le patient s’engage à des mises au pointrégulières permettant de connaître l’efficacité ou non dutraitement, d’envisager si nécessaire un nouveaucontrôle polygraphique ou polysomnographique, arrêterla ventilation après amaigrissement satisfaisant, ouremotivation devant la lassitude.Ces consultations régulières seront facilitées par lesretours d’informations transmises par le service d’assis-tance à domicile, témoin de la régularité et de l’effica-cité ou non du traitement.La majorité des ventilateurs de PPC sont en effet munisde logiciels d’observance permettant de connaître l’ho-raire réel de traitement, les pressions efficaces utilisées,l’index d’apnées hypopnées résiduel, l’existence defuites… éléments qui, associés à l’existence ou non designes fonctionnels, de perturbations dans l’environne-ment familial ou professionnel, de perte ou non depoids… permettent d’avoir une idée précise de la régu-larité et de l’efficacité du traitement.

INSTALLATION ET PERIODE D’ADAPTATION

La mise en place de la ventilation est un temps précieuxpour l’adhésion du malade. Elle doit se faire le plusrapidement possible après la décision thérapeutiquepour valider toute son importance.Le patient, et son entourage si possible, vont apprendre àconnaître le ventilateur, son mode de fonctionnement, lamise en place du masque, les règles simples d’hygiène.Le masque est d’abord essayé, choisi afin d’être étanchesans être trop serré pour ne pas blesser. Le choix dumasque n’est pas toujours chose aisée, mais lesnombreux modèles existants permettent de s’adapter àla majorité des visages.Le masque nasal est mis en première intention sauflorsque l’ouverture de la bouche au cours du sommeil

17

* Médecin pneumologue à la société ISIS Médical Midi-Pyrénées.

apparaît majeure, le masque naso-buccal est alors préféré.Les ventilateurs sont réglés selon la prescription soit enmode constant, soit en mode de titration qui serontévalués 10 à 15 jours plus tard et ajustés alors.Le masque en place, le branchement de l’appareil permetd’apprécier la tolérance aux pressions prescrites et aumasque, l’absence de fuites.L’humidificateur ne sera ajouté en première intention quedevant une pathologie ORL chronique connue (rhiniteallergique, sinusite chronique, épistaxis répétés ou antécé-dents de chirurgie, type UVPP).De même, nous évitons la mise en place de machinesauto-pilotées chez les malades opérés.Pour toutes ces mises au point et afin de faciliter laconfiance du patient, il est important de personnaliser aumieux ce premier contact grâce aux informations trans-mises par le prescripteur. Le médecin pneumologuetravaillant au sein de l’équipe chargée de la prise encharge à domicile y joue là un rôle essentiel de coordina-tion des soins.L’efficacité est obtenue dans plus de 80% des cas, dès lespremières nuits, et le bénéfice est tel qu’il entraîne facile-ment l’adhésion du patient. Chez les autres patients, ilfaudrait savoir ré-expliquer les raisons du traitement,dédramatiser l’appareillage et améliorer la tolérance :changement de masque, mise en place d’un humidifica-teur, modification des pressions…Chez les patients désaturant fortement, une oxymétrienocturne peut être nécessaire afin de discuter d’une venti-lation par BIPAP ou d’ajouter une source d’oxygène.

PERIODE DE CHRONICITE DU TRAITEMENT

Le traitement par PPC est dit efficace lorsque : – la somnolence et les ronflements disparaissent (et nepas hésiter à redemander un avis ORL si obstructionnasale et ronflements persistants),– l’index résiduel est inférieur à 5,– l’index de désaturation est inférieur à 10,– l’observance est d’au moins 4 h par nuit, 5 jours par

semaine,– la confirmation étant bien sûr apportée par la polygra-

phie ventilatoire ou si nécessaire la polysomnographieUne étude ponctuelle sur 150 de nos patients revus cesderniers jours montre que 75% d’entre eux ont uneobservance largement supérieure à 4 h, 12% une obser-vance moyenne entre 3 et 4 heures. Mais 13% ont uneobservance inférieure à 3 heures.

Les motifs de mauvaises observances retrouvés sont :– des signes d’intolérance à l’appareillage : sécheressedes voies aériennes, rhinite, sinusite, sensationsd’étouffement,

– des hospitalisations en milieu non pneumologique oùla ventilation n’apparaît pas comme essentielle etdissuade ainsi le patient de poursuivre son traitement,– une affection intercurrente qui aggrave lescontraintes,– la maladie ou le décès d’un proche (dans le couplesurtout),– un handicap moteur gênant la mise en place et le bran-chement de l’appareil,– ou souvent lassitude et absence de motivation, nonreconnaissance des bénéfices fonctionnels qui peuventparfois cacher la honte du port du masque devantl’épouse ou les proches.C’est cette population qui va exiger sous l’égide duprescripteur une prise en charge plus étroite de l’équipede soins prestataire pour trouver des solutions :• réajuster les pressions, le mode constant ou piloté, • parfaire l’adaptation en corrigeant les fuites (masque

naso-buccal, mentonnière),• choisir une ventilation mieux appropriée : auto C-flex

plus souple ou BIPAP pour éviter des pressions tropagressives,

• éviter le mode auto piloté après chirurgie ORL,• motiver le patient en : dédramatisant l’appareillage :machines plus petites, alimentation sur allume-cigare(chauffeur routier,…), rampe de démarrage ; favorisantl’adaptation par la mise en place de l’appareillage pendantla sieste ; accordant de petites vacances sans machine (WEpar exemple) ; avant de choisir une solution alternative(prothèses d’avancée mandibulaire) même si elle n’est quetemporaire ou ré-envisager un traitement chirurgical ; ettoujours inciter chaque fois qu’il est nécessaire aux règlesd’hygiène et à la perte de poids.

LE PROTOCOLE DE PRISE EN CHARGE POURLE SAS

18

Installation dès réception de la prescription médicale

Mise en place d’une PPCen mode titration

J10 Transmission au médecin d’un rapport de titration et évaluation d’une pression définitive.

+ Oxymétrie nocturne sous PPC

J40 Contrôle du traitement mis en place et transmission du rapport d’observance au médecin.

+ Oxymétrie nocturne sous PPC

J60 Contrôle et mise au point du traitement

J120 Contrôle, relevé d’observance et transmission du compte-rendu au médecin avec le renouvellement de la prise en charge.

+ Oxymétrie nocturne sous PPC

Au-delà, contrôle tous les 4 mois. Relevé des observances ettransmission du compte-rendu au médecin

■ Traitement de l’asthme sévère malcontrôlé : place de l’omalizumabXolair®

Dr Marie-Pascale VerpilleuxRecherche Clinique et Développement, Novartis Pharma

Pr Mathieu MolimardDépartement de Pharmacologie, CHU de Bordeaux, Université Victor Segalen, INSERM U657

Sévérité de l’asthme

Les recommandations internationales (GINA) classentl’asthme selon 4 stades de sévérité : asthme intermit-tent, asthme persistant léger, asthme persistant modéréet asthme persistant sévère [1, 2]. Le patient asthma-tique sévère souffre de symptômes invalidants en l’ab-sence de traitement (symptômes diurnes continus,symptômes nocturnes fréquents et limitation de l’acti-vité physique) ou bien nécessite une importante pres-sion thérapeutique afin de pouvoir contrôler sa maladie.L’asthme sévère concernerait ainsi 10% des patientsasthmatiques en France, et serait à l’origine defréquentes hospitalisations [3].Le traitement préconisé par GINA pour ces patientsasthmatiques sévères est un traitement de fond, quoti-dien, incluant des corticoïdes inhalés (CSI) et unβ2–agoniste inhalé de longue durée d’action (ß2-LDA)auxquels s’ajoutent, si nécessaire, un ou plusieursagents tels une théophylline à libération prolongée, ouun corticoïde oral.Toutefois, malgré les traitements actuellement dispo-nibles, 40% des patients asthmatiques sévère restentmal contrôlés. La classe des anti-IgE dont le seulreprésentant est l’omalizumab (Xolair®), a été intro-duite dans la mise à jour des recommandations GINA2004 [2].

L’asthme : une maladie d’origine allergique

Chez l’asthmatique adulte, une cause allergique estretrouvée dans 70 à 80% des cas, un chiffre qui passe à95% chez l’enfant [4]. Dans la majorité des cas,l’asthme est donc une maladie allergique. Les immuno-globulines E (IgE), sont impliquées à plusieurs niveauxdans la physiopathologie de l’asthme [5]. Les IgE sefixent sur les récepteurs de haute affinité (FcεRI) situéssur les mastocytes, les éosinophiles, les macrophages etles cellules dendritiques [6]. Il est actuellement bienétabli que le rôle des IgE ne se limite pas seulement auxphénomènes d’hypersensibilité immédiate liés à la

dégranulation des mastocytes. Il s’étend aussi à lagenèse et à l’entretien de l’inflammation bronchiquecaractéristique de la maladie asthmatique. La natureallergique de l’asthme peut être documentée par ledosage des IgE sériques spécifiques ou par le résultatpositif de tests de provocation cutanés à des aéroller-gènes cliniquement pertinents.

Omalizumab Xolair® : pharmacodynamie

Omalizumab est un anticorps monoclonal humanisé quise fixe aux IgE. Il réduit ainsi la quantité d’IgE libres etempêche leur fixation aux récepteurs FcεRI [7,8]. Par unphénomène de rétrocontrôle, l’omalizumab entraîne unediminution importante (97%) du nombre de récepteursFcεRI [9-11]. La réduction simultanée des IgE libres etde leurs récepteurs a pour conséquence l’inhibition de laréponse à l’inhalation d’un allergène chez les patientsasthmatiques [12].

Omalizumab Xolair® : efficacité clinique

L’efficacité d’omalizumab a été évaluée au cours d’unvaste programme de développement clinique. L’étudeINNOVATE [13], étude pivot du dossier d’AMM, estune étude de 28 semaines, randomisée, en doubleaveugle, contrôlée versus placebo, menée chez 400patients atteints d’un asthme allergique sévère persis-tant mal contrôlé par une forte dose de CSI et unβ2 LDA. L’objectif principal de cette étude était le tauxd’exacerbations de l’asthme, cliniquement significa-tives (c’est-à-dire nécessitant la mise en route d’unecorticothérapie systémique). Les patients inclus présen-taient effectivement un asthme sévère mal contrôlé :VEMS médian à 62% de la valeur théorique, 67% depatients à haut risque de mortalité liée à l’asthme selonla définition GINA, environ deux exacerbations clini-quement significatives par patient par an, cinq visitesmédicales non programmées et 31 jours d’absentéismeau cours de l’année précédente. Il existait cependant unimportant déséquilibre entre les deux bras à l’entréedans l’étude sur le taux d’exacerbations de l’asthme aucours des 14 mois précédents (9% d’exacerbations enplus dans le bras des patients traités ensuite par omali-zumab par rapport à ceux traités par placebo). Comptetenu du fait que les exacerbations antérieures sont unfacteur important de prédiction des événements futurs,deux types d’analyse (avec et sans ajustement sur lesexacerbations à l’entrée) ont été réalisés.

20

NOUVEAUTÉS PHARMACEUTIQUES

Étude INNOVATE : principaux résultats

Le taux d’exacerbations de l’asthme avec ajustementsur les exacerbations à l’entrée montre une diminutionsignificative (réduction de 26,2% ; p = 0,042) dans lebras traité par omalizumab. Pour les patients les plussévèrement atteints (VEMS à l’entrée < 60% du VEMSthéorique), une réduction plus importante est observée,que ce soit avec (- 43,7% ; p = 0,006) ou sans ajuste-ment sur les exacerbations à l’entrée (- 42,8% ; p < 0,01). De la même façon, l’omalizumab réduitsignificativement le taux d’exacerbations sévères (- 50,1% ; p = 0,002) et le taux de visites non program-mées (- 43,9% ; p = 0,038), avec un effet maximal surles symptômes, le DEP du matin et la consommation detraitement de secours obtenus après 16 semaines de trai-tement. L’augmentation du VEMS en fin d’étude (28 semaines) est de + 190 ml dans le bras omalizumabversus + 96 ml dans le bras placebo (p = 0,043). Uneamélioration significative sur tous les paramètres de laqualité de vie est également constatée par rapport augroupe placebo.Les fréquences des événements indésirables et desanomalies biologiques étaient similaires chez lespatients traités par omalizumab et dans les groupescontrôles. Quelques rares cas de réaction au point d’in-jection ont été décrits. Il n’a pas été constaté de forma-tion d’anticorps anti-omalizumab ni d’augmentation dela fréquence des infections parasitaires et les réactionsd’hypersensibilité sont demeurées extrêmement rares,comparables à celles observées dans les groupescontrôles.

Conclusion

L’omalizumab est un nouveau traitement additionneldestiné à une population de patients asthmatiquesprésentant un asthme allergique persistant sévère et malcontrôlé malgré un CSI à forte dose et un β2-LDA. Il nedoit être envisagé que chez les patients présentant unasthme dont la dépendance aux IgE a été établie sur descritères probants. Il s’agit d’un traitement administré aulong cours, par voie sous cutanée. La prescriptioninitiale annuelle doit être hospitalière et le renouvelle-ment réservé aux pneumologues et aux pédiatres. Uneévaluation de l’efficacité doit être réalisée à la seizièmesemaine afin de décider de la poursuite ou non du trai-tement.

Bibliographie1. Global initiative for asthma (GINA) Global strategy for asthma

management and prevention : Updated 2004. At:http://www.ginasthma.com.

2. Service des recommandations professionnelles de l’ANAES.ANAES, AFSSAPS. Recommandations pour le suivi médical despatients asthmatiques adultes et adolescents. Septembre 2004.

3. L’Her E. Révision de la troisième Conférence de consensus en réani-mation et médecine d’Urgence de 1988 : Prise en charge des crisesd’asthme aigues graves de l’adulte et de l’enfant (à l’exclusion dunourrisson). Réanimation 2002 ; 11 : 1-9

4. Ministère de la solidarité de la santé et de la famille. Programmed’action, de prévention et de prise en charge de l’asthme 2002-2005.

5. Burrows 1989 : Burrows B, Martinez FD, Halonene M, Barbee RA,Cline MG. Association of asthma with serum IgE levels and skin-testreactivity to allergens. N Engl J Med 1989 ; 320 : 271-277

6. Busse 2001 : Busse W, Lemanske RF. Asthma (review article). NEngl J Med 2001 ; 344 : 350-362

7. Chang TW. The pharmacological basis of anti-IgE therapy. Naturebiothechnology 2000; 18: 157-162.

8. Inführ D, Crameri R, Lamers R, Achatz G. Molecular and cellulartargets of anti-IgE antibodies. Allergy 2005; 60:977-985.

9. MacGlashan DW Jr, Bochner BS, Adelman DC et al. Down-regula-tion of Fc(epsilon)RI expression on human basophils during in vivotreatment of atopic patients with anti-IgE antibody J Immunol. 1997Feb 1;158(3):1438-45

10. Djukanovic R, Wilson SJ, Kraft M et al. Effects of treatment withanti-immunoglobulin E antibody omalizumab on airway inflamma-tion in allergic asthma. Am J Respir Crit Care Med. 2004 Sep15;170(6):583-93.

11. Prussin C, Griffith DT, Boesel KM et al. Omalizumab treatmentdownregulates dendritic cell FcepsilonRI expression. J Allergy ClinImmunol. 2003 Dec;112(6):1147-54.

12. Fahy JV, Fleming HE, Wong HH et al. The effect of an anti-IgEmonoclonal antibody on the early- and late-phase responses to aller-gen inhalation in asthmatic subjects. Am J Respir Crit Care Med.1997 Jun;155(6):1828-34.

13. Humbert M, Beasley R, Ayres J et al. Benefits of omalizumab as add-on therapy in patients with severe persistent asthma who are inade-quately controlled despite best available therapy (GINA 2002 step 4treatment) : INNOVATE. Allergy 2005, 60 : 309-316

■ Kestinlyo® : une galénique innovante avec un effet antihistaminique dose dépendant*

Issue de la recherche Almirall, l’ébastine est un anti-H1de deuxième génération commercialisé en France en2002 sous le nom de Kestin®. L’ébastine est leader desanti-H1 en Espagne sous le nom d’Ebastel® et d’Ebas-tel® Flas.Les antihistaminiques inhibent l’action de l’histamineet agissent sur la plupart des symptômes de la rhiniteallergique : éternuements à répétition, nez qui coule ouqui est bouché, yeux qui piquent...L’ébastine a une action puissante, spécifique et prolon-gée sur les récepteurs H1 périphériques. Elle agit rapi-dement et son activité se maintient sur 24 heures.Dans la rhinite allergique, l’ébastine est le seul anti-H1offrant la possibilité d’adapter la posologie en fonctionde l’importance des symptômes ou de l’environnementdans lequel évoluent les patients (exemple : pic depollen). Un effet anti-H1 dose dépendant a en effet étédémontré dans des études comparant une dose quoti-

21

dienne de 10 mg à une dose de 20 mg/jour1. Cette poso-logie modulable (1 à 2 comprimés par jour selon lasévérité des symptômes ou selon l’environnement)s’accorde avec la classification de la rhinite allergiqueproposée par ARIA2. L’ébastine est efficace sur l’en-semble des symptômes de la rhinite allergique (rhinor-rhée, prurit nasal, éternuements) y compris sur l’obs-truction nasale généralement plus difficile à contrôlerpar les antihistaminiques. L’obstruction nasale estconsidérée par les patients comme le symptôme altérantle plus la qualité de vie.En cette nouvelle saison pollinique, le laboratoire Almi-rall met à la disposition du corps médical et des patientsune nouvelle forme galénique d’ébastine à dissolutioninstantanée, plus facile à utiliser : Kestinlyo® (ébastinelyophilisat oral = LYO). Placé sur la langue, Kestinlyo®

se dissout instantanément et se prend sans eau, doncpartout et à tout instant. Kestinlyo®, c’est toute l’effica-cité et la tolérance de l’ébastine dans un lyophilisat oral.Ce nouveau traitement de l’allergie est disponible enboîte de 30 lyophilisats oraux. Il est remboursé à 35%par la sécurité sociale et agréé aux collectivités.Parce que la réaction allergique est variable d’un indi-vidu à l’autre et même d’une crise à l’autre chez lemême individu, la posologie modulable de l’ébastineconstituait déjà lors de sa commercialisation un vraiprogrès thérapeutique.Parce que la rencontre d’allergènes peut arriver dansdes contextes très variables, l’association entre l’effica-cité de la molécule, la maniabilité et l’acceptabilité quelui confère sa galénique originale apporte un nouveauprogrès particulièrement apprécié par les patients et lesmédecins.

1. Frossard N et al. Activity of ebastine (10 and 20 mg) and cetirizineat 24 hours of a steady state treatment in the skin of healthy volun-teers. Fundam. Clin. Pharmacol. 2000; 14:409-413. 2. ARIA. Management of Allergic Rhinitis and its Impact on Asthma.À pocket Guide for Physicians and Nurses. 2001. 3. Roger A, Fortea J, Artés M, Montilla L. Acceptability and prefe-rence of fast dissolving tablet versus ebastine tablet placebo in regu-lar consumers of oral antihistamines with allergic rhinitis. Abstract.

IV Congress of Pharmaceutical Care, Nov 2005. 4. Roger A, Fortea J, Artés M, Montilla L. Attributes for preferenceof new fast dissolving tablet (FDT) formulation of ebastine inpatients with allergy. Abstract. ISPOR Annual Congress, Nov 2005. 5. Roger A, Galván C., Jordi; Plazas F., Ma José; Heras N., Joan;Artés M.; Gabarrón H., Elia,Ebaflas Doctors Study. BarometerSurvey for the Acceptance of a Fast Dissolving Tablet Pharmaceuti-cal Formulation in Patients, with Allergy. Satisfaction and Expectations. IV Congress ofPharmaceutical Care, Nov 2005. International Market Research.Abstract 25

■ SPIRIVA*

Déjà commercialisé dans plus de 60 pays, le tiotropium,Spiriva® est désormais commercialisé en France.

Premier bronchodilatateur anticholinergique sélec-tif de longue durée d’action, Spiriva® est indiquécomme traitement bronchodilatateur continu destiné àsoulager les symptômes des patients présentant unebronchopneumopathie chronique obstructive, BPCO.Issu de la recherche des laboratoires Boehringer Ingel-heim France, Spiriva® est actuellement commercialisépar 2 sociétés : Boehringer Ingelheim France et Pfizer.

Spécifiquement développé dans la BPCO, Spiriva®en bloquant puissamment et durablement les récepteursmuscariniques M3 et avec seulement 1 inhalation quoti-dienne, permet une bronchodilatation efficace sur 24heures et maintenu après un an de traitement.

Le large programme d’études cliniques incluant plusde 25.000 patients et évaluant l’efficacité et la tolérancedu tiotropium a permis de montrer l’impact positif deSpiriva® sur la vie quotidienne des patients BPCO.En effet Spiriva® améliore la dyspnée au repos et à l’ef-fort et donc améliore la tolérance à l’exercice permet-tant ainsi une plus grande autonomie de ces patients auquotidien.Une potentialisation des effets de la réhabilitation respi-ratoire a également été constatée.Un effet bénéfique a été observé au niveau des exacer-bations (réduction de 35%), notamment modérées etsévères, avec une réduction des hospitalisations (-32%)et ce quels que soient l’âge, la sévérité de la maladie etles traitements reçus, comme l’a démontré l’étudeMistral.

L’action de Spiriva® ne s’accompagne d’aucun effetdélétère sur le transport muco-ciliaire. De plus, le faiblepassage systémique du tiotropium est gage d’une bonnetolérance, hormis une sécheresse buccale disparaissantavec la poursuite du traitement.

L’administration quotidienne de Spiriva® se faitgrâce au HandiHaler®, dispositif d’inhalation mis aupoint spécifiquement pour le tiotropium par BoehringerIngelheim. Cet inhalateur de poudre assure une délivrance efficace dutiotropium quel que soit le flux inspiratoire du patient.Remboursé à 65% par la sécurité sociale, Spiriva® estcommercialisé en boîte de 30 gélules de poudre pourinhalation avec un HandiHaler®.

22

* D’après la conférence de presse Boehringer Ingelheim et Pfizer.* Extrait du dossier de presse. Allergie : du nouveau dans la prise encharge. Almirall SAS. Mars 2006

La médecine, science parmi les sciences, accompagnel’être humain jusque dans son dernier soupir. Le célèbreécrivain Honoré de Balzac s’éteint dans la nuit du 17 au18 août 1850. Victor Hugo a évoqué dans « Chosesvues », avec une précision et une sobriété merveilleuse,sa dernière visite à son ami : « Il avait la face violette,presque noire, inclinée à droite, la barbe non faite, lescheveux gris et coupés court, l’œil ouvert et fixe. Je levoyais de profil et il ressemblait à l’empereur ». Est-ceexact (ou bien n’est-ce qu’une pieuse légende ?) onraconte que, dans le désarroi de ses pensées, il appelaitHorace Bianchon le médecin à qui, dans sa comédiehumaine il fait réaliser des miracles scientifiques. « Ahoui ! Je sais. Il me faudrait Bianchon, Bianchon mesauverait, lui ! ». Le médecin était alors considérécomme un véritable sauveur. Mais la médecine a évolué et le médecin n’est plusaujourd’hui un notable hors d’atteinte. Il est, dans lesfaits, devenu un prestataire de services. Le patient prendlui, les traits d’un consommateur de soins. La loi du 4 mars 2002 a posé le principe d’une responsa-bilité pour faute. Le patient victime doit rapporter lapreuve d’une faute du médecin afin d’engager sa respon-sabilité.Cependant, deux cas de responsabilité sans faute sontspécifiquement visés par la loi : l’accident causé par ledéfaut d’un produit de santé et l’infection nosocomiale.Dans ces deux cas, le patient n’a pas à prouver une fautecommise par le médecin. Il lui suffit d’établir un lien decausalité entre le fait du médecin et le dommage. C’estune responsabilité objective ou de plein droit. Il serait donc inexact de croire que l’objectivation de laresponsabilité médicale serait totale contrairement à ceque certains ont affirmé. Selon eux, cette objectivation dela responsabilité, serait le prélude à une explosion desprocès en responsabilité médicale comparable aux Etats-Unis. Nous contestons fortement cette affirmation. D’unepart, depuis 2002, le nombre de procès médicaux estquasiment stable. D’autre part, les raisons d’une explo-sion éventuelle des procès médicaux en France neseraient pas imputables à cette objectivation. Aux Etats-Unis, il est vrai que le nombre de procès médi-caux est très important. Mais il faut sortir d’un écueil quiconsiste à attribuer à la responsabilité objective l’aug-

mentation croissante des procès. D’ailleurs, les Etats-Unis connaissent une objectivation similaire à celle despays européens. Cette dérive américaine est notammentdue au rôle joué par les avocats. Ceux-ci sont de véri-tables commerciaux. Ils exercent un travail de démar-chage permanent auprès des victimes et sont rétribués enfonction de l’issue du procès. La victime n’aura donc rienà verser si son action en justice n’aboutit pas.En France, ce système est interdit. Les pactes de quotalitis sont prohibés. Il est vrai que les conventions d’ho-noraires sont permises (notoriété, difficultés rencontrées,frais exposés…). Certains avocats en abusent. Ils prati-quent des conventions d’honoraires au résultat. Mais lasituation est loin d’être identique à celle des Etats-Unis. Les dérives doivent être fermement sanctionnées et tantque l’avocat français occupera plus la place d’unconseiller que d’un commercial, le nombre de procèsmédicaux ne devrait guère augmenter.L’idée d’un règlement amiable des litiges permet égale-ment de penser qu’une dérive à l’américaine n’est pasenvisageable. La loi a institué des commissions régio-nales de conciliation et d’indemnisation que les patientsou leurs ayants droit peuvent saisir par préférence auxtribunaux. Ces commissions sont présidées par un magis-trat de l’ordre administratif ou judiciaire. Elles compren-nent vingt membres relevant de quatre catégories : repré-sentants des personnes malades et usagers du système desanté, représentants des professionnels et des établisse-ments et services de santé, membres de l’office, repré-sentants des compagnies d’assurance. Des personnalitésqualifiées complètent cette composition. Une fois saisie, cette commission, doit rendre un avis surles circonstances, les causes, la nature et l’étendue desdommages ainsi que sur le régime de l’indemnisation,après avoir diligenté une expertise. C’est donc elle quidécide ce qui relève de l’indemnisation par la responsa-bilité médicale (assurance) et ce qui relève de l’indemni-sation au titre de la solidarité nationale (ONIAM). L’as-sureur, ou l’ONIAM, doit faire une offre d’indemnisationà la victime, dont l’acceptation vaut transaction. Si lavictime refuse l’offre, elle peut saisir le juge compétenten vue de l’évaluation de ses préjudices. Ce mécanisme d’indemnisation est très largement inspiréde celui mis en place par la loi du 5 juillet 1985 enmatière d’accidents de la circulation. Au vu de ce que nous venons de traiter, il apparaît claire-ment que d’une part, le rôle tenu par l’avocat et d’autrepart, la volonté d’instaurer un règlement amiable deslitiges, sont de nature à limiter (au moins pour un tempsencore) les procès médicaux en France.

23

PROCES MEDICAUX EN FRANCE : vers une dérive à l’américaine ?Vincent LAURENT*

* Doctorant en droit privé, Université de Toulouse.Chargé de travaux dirigés, Université Champollion, Albi.Membre de l’association de recherche et de formation en droit médical,Toulouse.

■ ANALYSE ET DERAPAGES

Dr Elie ATTIAS

Tandis que l’esprit critique recule, que la pratique reli-gieuse traverse une crise morale et intellectuelle et quele monde politique et associatif est en panne, la super-stition est au mieux de sa forme. Elle survit à travers lesâges, séduit toutes les sociétés, toutes les cultures ettoutes les religions. Le monde occidental en subit,depuis plusieurs années, une influence croissante. Lanature humaine est ainsi faite. Elle est attirée par l’irra-tionnel qui lui plaît, qui la charme et qui la confortesouvent dans son quotidien. Mais, selon un proverbechinois, « Il est difficile d’attraper un chat noir dans unepièce sombre, surtout lorsqu’il n’y est pas6 ».

Définition

Pour le Larousse : « la superstition est la déviation dusentiment religieux, fondée sur la crainte ou l’ignorance,et qui prête un caractère sacré à certaines pratiques et àcertaines obligations. C’est une croyance à diversprésages tirés d’évènements fortuits ». Pour Le Robert : « c’est un comportement irrationnel,généralement formaliste et conventionnel, vis-à-vis dusacré ; croyances et pratiques de nature religieuse, consi-dérées comme vaines et contraires à la dignité de la raisonhumaine. (V. crédulité). Selon la personne qui l’emploie,le mot superstition s’oppose à la « vraie religion » ou à laraison critique ; il peut s’appliquer au fétichisme, à l’ido-lâtrie, à l’illuminisme, à la magie, à la mythologie, à l’oc-cultisme, au spiritisme… La superstition est considéréecomme une déviation, une perversion, une caricature de lareligion. Le fait de croire que certains actes, certainssignes entraînent, d’une manière occulte et automatique,des conséquences bonnes ou mauvaises (Cf. porterbonheur, malheur) ; croyance aux présages, aux signesheureux ou funestes ».Pour le Larousse Philosophie : « du latin superstitio, desuperstare “se tenir au-dessus”, “surmonter”, “dominer ”.En allemand, Aberglaube, du verbe glauben, “croire”, etaber, “à l’envers”. C’est une croyance irrationnelle aupouvoir et à la signification d’événements, de signes etd’actes contingents ».

Faits superstitieux

Cet inventaire a pour but de nous distraire. Un cher-cheur anglais aurait, dit-on, répertorié cinq cent millesuperstitions. Sachez que l’objet n’est rien car, qu’est-

ce que la superstition, sinon d’attribuer à l’objet lepouvoir d’influencer la destinée d’un individu ou d’unecollectivité ?

Ce qui « porte bonheur »

Toucher un bois en faisant un souhait ; trouver un trèfleà quatre feuilles ; accrocher un fer à cheval au-dessusd’une porte ; casser du verre blanc ; marcher du piedgauche sur une crotte de chien ; toucher le pomponrouge du béret d’un marin ; voir une coccinelle s’envo-ler ; voir un arc en ciel.

Ce qui « porte malheur »

Quand le treize du mois est un vendredi ; mettre deshabits neufs un vendredi ; treize convives autour d’unemême table ; placer le pain à l’envers sur la table ;renverser du sel sur la table ; croiser un chat noir lanuit ; passer sous une échelle ; offrir des chrysanthèmesou des œillets ; poser son chapeau sur un lit ; ouvrir unparapluie dans une maison ; casser un miroir = sept ansde malheurs ; allumer trois cigarettes avec la mêmeallumette. Celui qui voit des signes dans des événe-ments quotidiens comme faire tomber son pain ou sonbâton, ou croiser un cerf, tous ces signes étant considé-rés comme de mauvais augure. Si une maison vientd’être construite sur le site même d’une précédentehabitation, le nouveau résident doit s’assurer que lesportes et les fenêtres de la nouvelle maison sont à lamême place que les anciennes, faute de quoi, « sa vieest en danger à cause des démons ou des anges ».

Les treize superstitions universelles 7

Toucher du bois : cette superstition date de la Grèceantique et fait partie de ces préceptes superstitieux quela religion n’a pas réussi à déraciner. Les porte-bonheuren bois les plus efficaces seraient en olivier et/ou encèdre.Le vert : cette couleur marque le renouveau de la nature.Dans notre culture, le vert est censé attirer la malchanceet le malheur ; plus particulièrement aux comédiens quil’ont en phobie. Ce n’est pas le cas des américains quil’ont choisi comme couleur du dollar, des musulmans

24

LA SUPERSTITION

6. Rapporté par Pierre-André-Taguieff, La foire aux Illuminés, Essai.Mille et une Nuits, novembre 2005.

7. Pierre Canavaggio, Du bon usage des superstitions, La Tableronde, 1998.

pour lesquels le paradis d’Allah est vert, des footbal-leurs, des joueurs de golf, de rugby, de tennis, de ping-pong dont les terrains de jeu sont verts, etc...Le 13 : inquiète ou rassure, selon les pays et les personnes.L’idée que le chiffre treize puisse porter malheur date del’Antiquité. En France, ce chiffre serait plutôt bénéfique.En Italie, il porte malheur et en Angleterre, on se contentede ne pas se marier un treize. Aux Etats-Unis, la crainte dutreize frôle la pathologie. Le sel : symbole de la permanence, il est avant tout unconservateur. Dans la Bible, il est considéré comme lesigne d’alliance avec Dieu. Le psychanalyste ErnestJones écrit : « de tout temps, on a donné au sel uneimportance qui dépasse de loin ses propriétés natu-relles ». Sept grains de sel dans le fond d’une pochepréservent de la rencontre du diable un promeneur quisort tard le soir. Si l’on renverse du sel sur une table, ilfaut, dans l’instant, en lancer une pincée par-dessus sonépaule gauche pour conjurer le mauvais sort et aveu-gler, en même temps, le Diable. Il ne faut jamais passerune salière, de la main à la main, mais la poser à laportée de la personne qui l’a demandée. Casser du verre blanc : porte bonheur, à la condition dene l’avoir pas fait exprès. Si c’est le cas, autant demorceaux, autant d’années de bonheur.L’échelle : sous laquelle il ne faut pas passer est unesuperstition que l’on retrouve dans toutes les civilisa-tions. Elle est née d’un mythe égyptien qui faisait dutriangle une figure sacrée, dans laquelle il était interditde pénétrer. Le fer à cheval : porte bonheur grâce au fer qui renforcecelui qui le touche. Il protège du diable et porte bonheurà la maison et à ses occupants.Coiffe : l’enfant qui vient au monde la tête coiffée d’unepartie des membranes du fœtus pourra aller loin dans lavie parce qu’il est aimé et protégé des dieux.Corde : la meilleure pour porter chance est la corde dupendu, à condition qu’elle soit de chanvre. Aiguille : on n’offre pas une aiguille sans piquer lapersonne à qui on la destine avant de la lui donner. Sansquoi, on risquerait de se brouiller avec elle. Casser netune aiguille en cousant est le signe qu’il va falloirprendre une décision importante concernant sa maison.Briser un miroir : entraînerait sept ans de malheur. Maispour conjurer ce coup du sort, il faudrait ramasser lesmorceaux du miroir brisé, sans en oublier un seul, puisaller les jeter un par un, en les recommandant au diable,dans le lac ou l’étang le plus proche. Un miroir placéface à l’entrée, dans sa maison renverra le malheur d’oùil vient.Le mauvais œil : c’est la pire des malédictions. Elle estnée au Moyen-Orient et on la retrouve, dès l’Antiquité,dans de nombreuses civilisations. On accorde à l’œilhumain ce pouvoir de frapper les autres. Jeter le

mauvais œil, c’est « décharger avec son œil unesubstance invisible, immatérielle, maléfique sur qui onregarde pour lui nuire ». Cette tradition populaire,vivante encore aujourd’hui, a laissé des traces et adonné lieu à bon nombre de superstitions : on cherchepar tous les moyens à contrecarrer les maléfices dumauvais œil. Pour protéger sa maison du mauvais œil,on plante un figuier devant. On porte le « nom divin »en médaillon, on offre des pendentifs représentant despoissons réputés pour leur fécondité et qui ne sont pasvisibles dans la mer. Même dans le langage parlé, cetteidée du « mauvais œil » a laissé des traces. Pour unesprit rationaliste, il ne peut s’agir que d’une supersti-tion, les yeux étant le reflet de l’intelligence, desémotions et constituant un moyen de communication,on peut comprendre qu’un mauvais œil pourrait êtreanimé de jalousie et d’envie et à l’extrême, ne pas tolé-rer l’existence de l’autre.

Autres superstitions

Cinq sur toi : chiffre de bénédiction représenté par lamain de Fatma. Dans la Guématria, « numérologie » le« cinq » équivaut à la lettre hébraïque hé qui désigne leTétragramme, le nom de Dieu. Se déchausser : il ne faut pas marcher en chaussettesdans son appartement parce qu’on ne se déchausse quedevant un mort.Le fil : on ne coud pas directement un vêtement surquelqu’un, à moins qu’il n’ait un fil dans la bouche,preuve qu’il est vivant.L’eau : le verre d’eau renversé au moment du départ d’unproche est une pratique courante chez certains ; symbolede la vie spirituelle, l’eau est un signe de bénédiction. Le poisson : signifie l’abondance, l’éveil spirituel.Néanmoins, la symbolique est claire : dépourvu depaupières, le poisson a constamment les yeux ouverts ;de plus, il n’est pas visible quand il se trouve dansl’eau ; de là, à faire du poisson, un antidote contre lemauvais œil !…Inaugurer : certains ont l’habitude d’inaugurer leurmaison en trempant leur main dans le sang d’un poissonet en la plaquant contre la porte ; ici, tous les symbolesde protection sont réunis : poisson, cinq, rouge !Le rouge : c’est la couleur qui symbolise la « rigueurdivine » ; par extension, elle est censée protéger égale-ment du mauvais œil. Ce qui explique la présence du filrouge autour du poignet, du ruban rouge dans lescheveux.Les ongles : le méchant jette ses ongles, le bon lesenterre et le pieux les brûle. Les ongles sont les extré-mités du corps et on ne doit pas les éparpiller sous peinede causer du tort à autrui et aux femmes enceintes,notamment.

25

Le matelas : pour chasser les mauvais rêves, certainsont coutume de mettre un couteau sous le matelas ousous l’oreiller.Pourquoi allume-t-on ? La lumière d’une bougie oud’une torche relève de pratiques païennes. Lorsqu’unepersonne est décédée elle permet d’évoquer sa présencedans le souvenir de ses proches. Lors d’un mariage,l’allumage d’une lumière accroît la joie et l’allégresse ;d’autre part, le mariage attire les démons et on ne laissejamais seul un futur époux la nuit précédant le jour deses noces, les esprits pourraient chercher à lui nuire.Lors d’un enterrement, la lumière représente l’âme ; lalumière des bougies et des cierges est censée éloignerles démons et les « mauvais esprits ».La démonologie : est une réflexion mystique qui va seconstituer peu à peu (- 586) et on ne tardera pas à voir enSatan le démon. Les démons apparaissent comme desanges déchus, éloignés de la cour céleste, incitant leshommes à faire du mal. Ils sont organisés en groupe sousl’autorité de Samaël, ennemi de Dieu, tentateur et ennemidu Bien. D’une manière générale, nous voyons pullulerles théories sur l’influence astrale, sur l’astrologie et sur lasorcellerie égyptienne. C’est un fait que la littératureapocalyptique laisse apparaître le désir de capter lesforces secrètes de l’univers. Toujours est-il qu’une scienced’incantations et d’exorcismes se développa et l’on finitpar se persuader que la possession des noms des démonsou surtout des Noms divins permettait d’agir sur eux. Lesrationalistes n’accordaient aucun pouvoir aux démons etn’éprouvaient aucune crainte à leur égard ; mais les gensdu peuple pensaient et agissaient autrement.

Comprendre la superstition

La superstition court à travers les âges et elle survit toujours

C’est la foi que l’homme investit dans tel objet ou danstelle pratique car il supporte mal les incertitudes. Il aparfois besoin de la superstition pour calmer son anxiété,contrôler les événements de sa vie, ou du moins, s’endonner l’illusion. Nous la connaissons tous, plus oumoins, tout à fait naturellement, à des moments d’an-goisse, de peur ou d’incertitude. L’opinion populaireaccorde facilement un certificat de « bonne foi » à unepersonne qui avouait par ailleurs craindre les chats noirsou ne pas vouloir passer sous une échelle. « Le meilleurmoyen de consoler un malheureux est de l’assurer qu’unemalédiction certaine pèse sur lui. Ce genre de flatteriel’aide à mieux supporter ses épreuves8 ». Mais lorsque lasuperstition nous pousse à conduire notre vie en fonctiond’elle ‘on entre alors dans le domaine de l’obsessionna-lité, se rattachant alors, avec un certain fanatisme et unegrande conviction, à des chimères’.

Bayle9 fonde sa dénonciation de la superstition sur lebon sens

La raison démontre évidemment que la superstition estfausse et qu’elle nous conduit à des conclusionsabsurdes et contradictoires.

Spinoza cherche à découvrir les causes et lesconséquences de la superstition

« Si les hommes pouvaient régler toutes leurs affairessuivant un dessein arrêté, ou encore si la fortune leurétait toujours favorable, ils ne seraient jamais prison-niers de la superstition10». La superstition consiste prin-cipalement dans la croyance aux présages11. Leshommes deviendraient superstitieux en raison de leur« extrême crédulité 12» et de leur crainte face à l’avenir.Pour se rassurer et calmer cette inquiétude, ils vontalors imaginer les réponses les plus invraisemblablesaux questions qu’ils se posent. Bien que ces réponsessoient sans cesse démenties par les faits, leur croyanceempêche toute pensée logique et s’oppose à la raisonqui ne leur permet pas toujours de trouver une réponseimmédiate et certaine.L’homme superstitieux tente de supprimer toute possi-bilité d’expliquer la nature et les lois qui la régissent àl’aide de sa raison. Ainsi, par exemple, si une maisonest inondée au cours d’un orage qui laisse des victimes,le superstitieux s’imagine ensuite que l’orage annoncetoujours un malheur quelconque alors qu’il ne s’agitque d’une pure coïncidence. Mais, victime de sa peur etde son imagination, cette personne continuera à voirdans ce phénomène un présage funeste, même si ensuitel’orage n’est pas suivi d’incident fâcheux. Elle a poureffet de maintenir l’homme dans un état de crainte etd’ignorance. C’est pourquoi Spinoza considère que leshommes sont « prisonniers de la superstition ». Celan’empêche pas d’ailleurs le superstitieux de continuer ày croire.

26

8. Emile Michel Cioran, 1911-1995, Ecartèlement.

9. Bayle (1647-1706), Pensées sur la comète et Dictionnaire histo-rique et critique (1696-1697).

10. B. Spinoza, Traité théologico-politique, Préface, traduit par E.Saisset, Ed. 1842.

11. Désigne un signe grâce auquel on croit pouvoir deviner l’avenir.Spinoza montre ici comment se forment ces présages dans l’esprit del’homme ; il s’agit d’une interprétation du présent à la lumière dupassé pour tenter de deviner l’avenir.

12. La très grande facilité à croire qui caractérise le superstitieux.

La personnalité du superstitieux13

Selon une enquête publiée en 1950 sous la direction deTheodor W. Adorno, les superstitions constituaient deséléments de la « personnalité autoritaire ». Freud s’in-téresse à la superstition dès 190114. « Il pense à l’in-verse du superstitieux puisqu’il admet le hasard exté-rieur et non le hasard psychique et reconnaît dans lasuperstition un élément de la pensée magique, quiexprime le narcissisme infantile dans la toute puissancedes pensées15 ».Plus on est tolérant, plus diminue la fréquence de lacroyance aux horoscopes,16 observe le sociologue GuyMichelat. « Les situations objectives et subjectives quisuscitent de l’inquiétude, telles que le sentiment d’insé-curité, vont de pair avec une augmentation descroyances parallèles. Ces situations voient également ledéveloppement de l’intolérance17 ». C’est ainsi que lesindividus, incapables de supporter un futur proche etimprévisible, dans un monde producteur d’anxiété, sonttentés d’abandonner leur liberté et de recourir à desconduites leur permettant d’échapper à la réalité . Leurliberté devient une charge difficile à supporter et setransforme en « liberté négative18 ». Le psychanalysteErich Fromm interprète « ces fuites en avant dans lescroyances délirantes et les superstitions, chez lesModernes, comme le symptôme d’une « peur de laliberté19 ». « L’homme moderne, dégagé des liens de lasociété primitive qui le rassuraient et le limitaient à lafois, n’a pas conquis son indépendance dans le senspositif de la réalisation de son individu ; c’est-à-dire del’épanouissement de ses facultés intellectuelles,physiques et sensibles. Mais la liberté qui l’a doté del’autonomie et de la raison, l’a également affecté d’unsentiment d’isolement qui a engendré en lui l’insécuritéet l’inquiétude. Cet esseulement lui paraît insoutenableet le place devant l’alternative de se délivrer du fardeaude la liberté en se jetant dans une nouvelle servitude, oud’activer le développement total de sa personnalité ».Mais les voies de la délivrance illusoire sontmultiples.20

A propos des croyances

Dans les pays occidentaux tout particulièrement, deuxfaits majeurs vont permettre à la crédulité publique deprospérer : d’une part, le net recul des religions institu-tionnelles faisant place à des formes de « religiositésans dieu21 », comme le souligne George K. Chesterton,« depuis que les hommes ne croient plus en Dieu, cen’est pas qu’ils ne croient en rien, c’est qu’ils sont prêtsà croire en tout22 » ; d’autre part, la révolte contre lamodernité qui a fait perdre certaines illusions et beau-coup d’espérance. « Le progrès de la rationalité ne nousprévient pas de la barbarie ». Ainsi nous assistons à

l’apparition « anarchique » et envahissante denombreuses croyances « ésotérico-mystico-magiques »dans un univers social que nous imaginons habité par laraison. Certaines sont visibles et identifiables lorsqu’il s’agit desuperstitions, d’occultisme, de paranormal, de féti-chismes, etc. ; d’autres, en revanche, sont déguisées etdoivent être démasquées parce qu’elles peuvent êtredangereuses. « La raison y est fragile comme démorali-sée23 ».Ces croyances contemporaines déguisées en savoir,souligne Jean Claude Guillebaud, où l’essentiel cède laplace à l’urgent, sont souvent si rudimentaires et sicloses sur elles-mêmes qu’il faut plutôt parler de crédu-lité, au sens qu’en donne le Littré : croire trop facile-ment24. « Plusieurs sondages réalisés en France audébut des années 2000 ont révélé une surprenante incli-nation des adolescents de dix-huit à vingt-quatre anspour l’irrationnel en général. À plus de 52%, ils croi-raient à l’existence de rêves prémonitoires ou à la télé-pathie ; 30 à 35% d’entre eux accorderaient du crédit àla prédiction des voyantes, aux tables tournantes ou àl’envoûtement. Un rapport officiel, réalisé au printemps2004 par l’inspection générale de l’Education nationaletentait d’évaluer la montée d’une ‘‘demande’’ religieusechez les jeunes scolarisés et qui correspond à une inter-prétation de plus en plus idolâtre et identitaire du reli-gieux. Les adolescents ne demandent pas tant d’êtreinformés sur le contenu spirituel des grandes traditions,mais réclament le droit d’en afficher les signes. C’estune approche fétichiste de la croyance, approche quirabat en quelque sorte la foi vers la superstition. EnFrance, on évalue à cinquante mille le nombre d’astro-logues et de ‘‘voyants’’. Dans l’édition française, le

27

13. Pierre-André-Taguieff, La foire aux Illuminés, Essai, Mille et uneNuits, novembre 2005.

14. Psychopathologie de la vie quotidienne, 1901, Payot, Paris, 1960.

15. Totem et tabou, OCP XI, 1912-1913, pp. 189-385.

16. Michelat, 2003, p. 113.

17. Michelat, 2003, pp. 112-113.

18. Psychanalyste Erich Fromm dans son livre paru en 1941 (Escapefrom Freedom).

19. Fromm, 1963, p. 109.

20. Fromm, 1963, p. 10. Erich Fromm (1900-1980) fut l’un desreprésentants de l’Ecole de Francfort (Jay, passim).

21. Maître, 1981, cité par Michelat, ibid.

22. Cité par Jacque-Pierre Amette, 2005, p. 91.

23. Olivier Abel, « Repenser la laïcité à partir de sa fragilité », inL’Irrationnel, menace ou nécessité, op. cit., p. 149.

24. Jean Claude Guillebaud, La force de conviction, Editions LeSeuil, août 2005.

secteur regroupant les ouvrages d’ésotérisme et d’oc-cultisme réalise à lui seul plus de 20 millions d’euros dechiffre d’affaires annuel. Ce chiffre progresse d’environ10% par an. ‘‘Dans son ensemble, le marché des ‘artsdivinatoires’ est estimé à 3,2 milliards d’euros ! Cettesomme dépasse et de loin le chiffre d’affaires de toutel’édition25’’. Dans une enquête publiée dans LesCahiers de chirurgie à la fin des années 1980 et reprisepar le magazine l’Expansion, le chiffre d’affaires des‘‘voyants’’ français est évalué à quelque 3,5 milliardsd’euros. Cette somme représentait, à l’époque, le tripledes dépenses de consultations des médecins généra-listes, et à peu près l’équivalent des crédits publicsalloués, la même année, au ministère de la Recherche26.On découvre désormais du ‘‘sacré’’ partout : des mani-festations sportives aux concerts de rock 27». Cettedemande de croyances ésotérico-magiques et leurconsommation est beaucoup plus répandue chez lesplus de quarante ans que chez les jeunes28.Certaines de ces croyances prolifèrent discrètement,derrière le masque du savoir et de la raison sur lesterrains de la science, de l’économie, de la technique, dela politique et des médias, mettant ainsi en danger notreliberté de penser et notre esprit critique. Aujourd’hui,c’est sur l’internet que se déploie cette vaste ‘encyclo-pédie’ de la crédulité. « Pour la seule entrée ‘occul-tisme’, le moteur de recherche Google donnait au prin-temps 2005 plus de deux cent mille référencesdisponibles. Pour l’entrée ‘paranormal’, cette quantitéfaisait plus que doubler pour atteindre quatre cent trentemille résultats. Les mots ‘occultisme’ et ‘paranormal’totalisent un nombre de références supérieur à l’en-semble des livres – toutes catégories confondues –virtuellement disponibles en France29 ». Les publici-taires vont chercher à élaborer ou valoriser « uneimagerie pieuse, destinée à capter l’adhésion – irration-nelle – du consommateur en s’appuyant sur une con-naissance toujours plus fine des ressorts psychologiquesqui déclenchent l’acte d’achat30 ». Comme pour l’éco-nomie et la technoscience, le médiatique produit ausside la croyance en continu. La télévision assure unebonne part du lien social et occupe dans la cité la placequ’y tenait la religion au sens où l’entendait EmileDurkheim. La raison scientifique enfin mérite d’êtreprotégée de la déraison qui, quelquefois, l’imprègne.Nous voilà donc imprégnés de cette vieille notiond’idolâtrie où il y a comme une « désintégration de lapersonne humaine31 ». D’après Le Robert, l’idolâtrie estun culte rendu à l’image d’un dieu comme si elle étaitle dieu en personne. L’idole est une image représentantune divinité (figure, statue) qu’on adore comme si elleétait la divinité elle-même ; elle pourrait être en bois, enpierre, en or…, à forme humaine ou animale. Elle peutégalement être une personne ou une chose, l’objet d’un

amour passionné, d’une sorte d’adoration, de dévotion,de culte.Ces crédulités, rappelle Jean Claude Guillebaud, neconcernent pas exclusivement des êtres incultes et nesont pas seulement le fruit de l’ignorance et de l’obscu-rantisme. « C’est au cœur des territoires de la connais-sance, chez les esprits les mieux éclairés, voire par labouche des savants qu’elles s’expriment àl’occasion32 ». Le problème qu’elles soulèvent ne peutêtre résolu par l’indifférence ou la raillerie car ce n’estpas du folklore. Les débats de tous les jours, la sociolo-gie, la réflexion politique ou philosophique négligentcette immense question qui touche « au statut de lapensée ». Si des voix s’élèvent, de façon éparse, au nomde l’intelligence, elles demeurent, hélas, sans écho.

La superstition est l’ennemi des religionsmonothéistes

« La superstition est plus injurieuse à Dieu quel’athéisme33 ». Mais bien qu’elle soit assez mal vue desautorités religieuses, rien ne l’empêche d’aller bontrain. Certaines coutumes sont encore vivaces, alorsqu’elles ont été stigmatisées comme superstitieuses. Lafrontière est parfois très floue entre une coutume reli-gieuse et une superstition et certains taxent de supersti-tion ce que d’autres appellent religion. Le même actepeut parfois avoir une valeur religieuse ou supersti-tieuse : « le religieux embrasse un morceau de pain quivient de tomber pour honorer Dieu ; le superstitieuxaccompagne le même geste pour se protéger ». Lasuperstition serait donc un glissement du sentiment reli-gieux où, un instant idolâtre, l’homme ne chercheraitplus à servir Dieu mais seulement lui-même.

Pour les Chrétiens

L’idolâtrie est un péché par superstition allant à l’en-contre du premier commandement et de l’adoration

28

25. Mohammed Aïssaoui, Le Figaro, 30 décembre 2004.

26. Chiffres cités par Frédéric Méridien, Ma sorcière bien-aimée :spirites et magiciens, Hermé, 1991.

27. Jean Claude Guillebaud, La force de conviction, Editions LeSeuil, août 2005.

28. Pierre-André-Taguieff, La foire aux Illuminés, Essai, Mille et uneNuits, novembre 2005.

29. Ibid.

30. Ibid.

31. Paul Thibaud, dialogue avec Gérard Israël et Alain Finkielkraut,émission Répliques, France-Culture, 26 février 2000.

32. Jean Claude Guillebaud, La force de conviction, Editions LeSeuil, août 2005.

33. Denis Diderot, 1713-1784, Pensées philosophiques.

divine. Défini par la bulle pontificale Gratia Divina,l’idolâtrie est la croyance, l’enseignement ou l’observa-tion d’un culte, la vénération d’une idée, d’unepratique, d’une superstition, d’une personnalité vivanteou décédée qui ne relèvent pas de la foi catholique ouadmise par elle. Idolâtrer quelque chose, c’est s’enoccuper de façon immodérée jusqu’à négliger Dieu,considéré par le catholicisme comme seul digne deculte. Les catholiques romains et les églises orthodoxescitent l’œuvre de St Jean de Damas « Discours sur lesimages » pour justifier l’usage d’icônes. St Jean admetque la représentation du Dieu invisible est une fautemais que lors de l’incarnation où « le Verbe s’est faitchair34 », le Dieu invisible est devenu visible et qu’enconséquence il est permis de représenter Jésus Christ.Les catholiques modernes ne pratiquent généralementpas la prostration ou le baiser d’icônes, et de plus, leConcile Vatican II a recommandé la modération dansl’utilisation d’images. La plupart des groupes protes-tants évitent l’emploi d’images dans tout contexteproche de la vénération.Pierre-André Taguieff fait cette remarque : « alorsqu’elle est censée, en principe, avoir mis fin auxpratiques de magie et de sorcellerie, la croyance au dieutranscendant du christianisme s’est montrée souventcompatible, chez tel personnage ou au sein de tel grou-pement religieux, avec les croyances au paranormal et àl’astrologie, avec le spiritisme ou l’occultisme, uneprolifération de croyances ‘‘irrationnelles’’ aux fron-tières du religieux institutionnel, mais surtout à l’exté-rieur de celui-ci35 ».

Selon l’Islam

L’idolâtrie qui consiste à adorer d’autres dieux qu’Allahest le premier péché36. C’est ainsi que l’islam proscritl’idolâtrie et le polythéisme. La plupart des branches del’islam interdisent toutes les représentations artistiquesfigurées de la personne humaine, y compris celles deMahomet, en les qualifiant de shirk, dont le sens origi-nel est « association ». D’où, l’interdit d’associer unautre être au Dieu unique, Allah, qui s’apparente àl’idolâtrie. De plus, les images de Dieu ou sa représen-tation sont totalement bannies imposant un mono-théisme absolu.

Judaïsme et superstition sont antinomiques

Car le judaïsme conçoit l’omniscience divine alors quela superstition tente d’influer sur « les forces de l’au-delà » à travers des pratiques complètement étrangèresà sa spiritualité. On est alors conduit à considérer qu’ily a là la marque d’un manque de confiance en Dieu eton verse dans l’idolâtrie. C’est entre leurs mains que leshommes tiennent leur destin, Dieu leur ayant laissé le

libre-arbitre. La Loi biblique rappelle constammentl’interdit de l’idolâtrie, notamment dans le deuxièmedes dix commandements : « tu n’auras pas d’autre Dieuque moi ; tu ne te feras pas d’idole, ni de représentationquelconque de ce qui est en haut dans le ciel, de ce quiest en bas sur la terre ; tu ne te prosterneras pas devantelles et tu ne leur rendras pas de culte » (Ex. 20,3-5).L’idolâtrie consiste à prendre pour objet de foi quoi quece soit ou qui que ce soit qui ne soit pas Dieu lui-même,en tant que créateur du monde. Elle nie la liberté del’homme. La Bible interdit « celui qui use de charmesou de sorcellerie, qui opère un enchantement, quiconsulte un esprit ou un oracle, qui interroge lesmorts37 ». Certains prophètes dénoncent aussi la super-stition. Ainsi Jérémie déclarait : « quant à vous, n’écou-tez pas vos prophètes, vos devins, vos songeurs, vosastrologues, vos sorciers38 ».André Neher, dans « le silence de l’idole », se demandecomment aborder l’idole sinon par le rire ? C’est ainsique la parade biblique, en face de cet arsenal de jouetsd’un sou est l’ironie. Il s’agit de ces innombrables divi-nités qui usurpent le divin : « l’idole a une bouche maisne parle pas, des yeux mais qui ne voient pas, desoreilles mais qui n’entendent pas39 ». Isaïe s’appuie surla psychologie de l’idolâtre qui ne se rend pas comptedu scandale qu’il y a à entrer dans cette image, danscette idole que l’homme ne se contente pas de fabriquer,mais qu’il domine et qu’il dirige au gré de ses caprices.

Les dérapages de la superstition

Le mythe moderne du complot

Pierre-André-Taguieff explore et analyse le mythemoderne du complot et de ses interférences avec lechamp, aux frontières floues de l’ésotérisme ou de l’oc-cultisme40. Dans les écrits conspirationnistes contempo-rains, les « Illuminati » désignent les élites à la fois« éclairées », invisibles et foncièrement nuisibles. Cettedénomination d’illuminés est attestée dès le début duXVIIe siècle. Ils peuvent s’incarner dans plusieursfigures socio-politiques. Leur programme - conquérir,dominer, contrôler - fait intervenir la « peur para-noïaque d’une conspiration » et constitue une machine

29

34. Jean 1 :14.

35. Pierre-André-Taguieff, La foire aux Illuminés, Essai, Mille et uneNuits, novembre 2005.

36. Sourate 4.48, 137 ; sourate 47.34.

37. Deutéronome. 18, 19-11.

38. Jér. 27,9.

39. Ps. 115 :5-7.

40. Pierre-André-Taguieff, La foire aux Illuminés, Essai, Mille et uneNuits, novembre 2005.

à fabriquer des ennemis absolus qu’il faudrait détruire.Cet ensemble « ésotérico-complotiste » qui a inspirénombre de cinéastes et de romanciers, deviendrait unenouvelle machine à produire du sens, une offre « alter-native » de nourritures « spirituelles ».« Une enquête publiée en 1987 par le magazine améri-cain Omni41 établit que 75% de lecteurs affirment avoirvu un ovni, 65% croient que les ovnis sont d’origineextra-terrestre et 51% disent croire qu’un jour la scienceadmettra la réalité des ovnis42. Deux sondages montrentune nette augmentation de la proportion des personnesdisant avoir eu un contact avec un défunt : 27% en1973, 42% en 1987. La thèse du complot politico-mili-taire se rencontre dans de nombreux résultats desondages réalisés au Canada et aux Etats-Unis, notam-ment à partir des années 1990. En 2005, un sondageréalisé à l’initiative de CNN établit que 80% des Améri-cains croient que leur gouvernement est entré en rela-tion avec des extra-terrestres, mais qu’il dissimule lescontacts. Dans l’enquête effectuée en France par laSofrès en janvier 1993, 55% des personnes interrogéesdisent croire à la transmission de pensée (même pour-centage pour les guérisseurs et les magnétiseurs), 46%à l’explication des caractères par les signes astrolo-giques, 35% aux rêves qui prédisent l’avenir, 24% auxprédictions des voyantes, 19% aux envoûtements et à lasorcellerie, 18% aux passages sur terre d’êtres extra-terrestres43 ». « Remarquez que les temps les plus superstitieux onttoujours été ceux des plus horribles crimes44 ».

Le réenchantement du monde

Pierre-André-Taguieff rapporte également une hypo-thèse qui permet d’interpréter, aujourd’hui, cet attraitpour les croyances ésotérico-magiques : celle d’unréenchantement45 du monde. « Les esprits humains ontle vertige du mystère. Le mystère est l’abîme qui attiresans cesse notre curiosité inquiète par ses formidablesprofondeurs46 ». Ce constat nous conduit à une explora-tion de ce qu’il faut appeler aujourd’hui le ‘bazar del’ésotérisme’. Cette littérature « grand public » exposeau grand jour des « secrets » soigneusement protégés,éclairant le lecteur inquiet sur les « puissancesoccultes » censées diriger la marche de l’Histoire, quiont des intentions mauvaises et qu’il s’agit d’identifieret de débusquer47. Ce réenchantement par le fantastiquenous plonge dans l’illusion, consolante ou désolante.Pascal avait noté l’essentiel : « rien ne peut nous conso-ler, lorsque nous y pensons de près48. »Il est trop facile, reprend Pierre-André Taguieff, demettre en cause les « marchands de spirituel sans scru-pules49 » dans une société de marché mondialisée oùl’offre va de soi. Il reste à expliquer la réception, la

consommation, la formation, l’évolution ou les varia-tions de la demande. Il formule l’hypothèse que « cetensemble de croyances délirantes et de fictions sédui-santes permettrait à nos contemporains de penser lemonde indéchiffrable et menaçant dans lequel ils sontlittéralement ‘jetés’, sans boussole, et de plus en plussouvent sans traditions sur lesquelles s’appuyer nimémoire collective à laquelle se ressourcer. Comme si,pour la plupart des humains, mieux valait un sens del’Histoire frisant le cauchemar que pas de sens du tout.Il s’agit toujours de faire rêver, en rose ou en noir50 ».

Mais il nous faut croire à quelque chosemalgré tout51

Souligne Jean Claude Guillebaud car nulle sociétéhumaine ne peut vivre durablement dans la dérision oula raillerie. Le fait de croire est constitutif du principed’humanité et chaque homme a besoin d’une foi mini-male pour accéder à sa propre humanité. « Ne croirerien, ou croire tout, sont des qualités extrêmes qui nevalent rien ni l’une ni l’autre » écrit Pierre Bayle52.La croyance est aussi relationnelle car dans la vie quoti-dienne « il n’y a pas de communication possible, pas lamoindre conversation si je ne crois pas ce que l’autreest en train de me dire53 ». Pour Emmanuel Lévinas,« ‘croire’, n’est pas un verbe qui doit être employé à lapremière personne du singulier54 ». Pour Y. Leibovitz,la volonté est ce qui permet de distinguer la croyance dusavoir rationnel. « Alors que la foi est une décision, le

30

41. Sur la base d’une analyse de 2000 réponses faites par ses lecteursà 450 questions posées.

42. Boy/Michelat, 1993, pp. 209-211.

43. Pierre-André-Taguieff, La foire aux Illuminés, Essai, Mille et uneNuits, novembre 2005.

44. François-Marie Arouet dit Voltaire, 1694-1778, Dictionnairephilosophique.

45. Se soumettre à un pouvoir magique.

46. Lévi, 2000, p. 681.

47. Pierre-André-Taguieff, La foire aux Illuminés, Essai, Mille et uneNuits, novembre 2005.

48. Pascal, Pensées, Paris, Lemerre, 1877, p. 50.

49. Vernette, 2002, p. 125.

50. Pierre-André-Taguieff, La foire aux Illuminés, Essai, Mille et uneNuits, novembre 2005.

51. Jean Claude Guillebaud, La force de conviction, Editions LeSeuil, août 2005.

52. Pierre Bayle, Réponse aux questions d’un Provincial, chap.XXXIX.

53. Jacques Ellul, Islam et Judéo-christianisme, op. cit., p. 62.

54. Emmanuel Lévinas, « De la phénoménologie à l’éthique », entre-tien accordé à Paris en 1984 à Richard Kearney, Esprit, juillet 1997,p. 126.

rationalisme est une méthode de pensée55. » Cela signi-fie que la croyance est un choix préalable.Il nous faut donc réapprendre à croire. L’enjeu estimmense. Si la rationalité ne doit pas être combattue aunom de l’irrationnel, comme on le voit faire tropsouvent aujourd’hui, rappeler à la science et à l’écono-mie qu’elles sont tributaires de croyances, voire desuperstitions, ce n’est pas les combattre, c’est les rame-ner à leurs propres principes et, donc, les protégercontre elles-mêmes. « La raison, pour Gaston Bache-lard, ne devrait pas être aveuglée par ses proprescroyances ».« Aujourd’hui, l’un des modèles de la raison qui sembleprévaloir chez nombre de philosophes de notre temps,c’est une raison critique, une raison communication-nelle, une raison qui se défie précisément des véritéstoutes faites et qui met davantage l’accent sur la dimen-sion argumentative, intersubjective, la dimension dediscussion56 ». Ce concept fréquemment évoquéconclut Jean Claude Guillebaud est celui de « la ‘‘ratio-nalité élargie’’ qui consiste à enrichir la rationalité, enpartant du principe qu’aucun acte humain ne peut êtrecompris si l’on s’en tient à une seule de ses dimensions.Pour cette raison, le croire humain, qu’il soit politique,idéologique ou religieux, exige un apprivoisementperpétuel, une interrogation consentie sous le regard del’autre. La vraie conviction n’est pas magique maisconstruite ».

■ D’où vient que la superstition nemeurt point ?

Laurent PIETRA*

C’est une opinion assez commune que de considérer lacroyance ou la religion des autres comme une superstition- ce qui la fait ressembler à une sorte d’hydre ; on atoujours de bonnes raisons de croire qu’on est exempt desuperstition. Aussi entend-on par superstition plusieurschoses : bien souvent, la religion des autres nous sembleêtre un ensemble de rites dépourvus de sens, et c’est cegenre de comportement ritualiste, formaliste que l’ondénigre par le vocable de superstition ; il s’agit de lacroyance en une causalité irrationnelle, surnaturelle,comme si les choses étaient disposées pour nous, par undestin ou par une providence, où se manifesteraient dessignes dont il faut tenir compte pour y adapter notreconduite ; très généralement, elle relève d’une croyanceaux esprits, d’influences occultes, invisibles qui se révè-

lent clairement après coup, dit-on. Le superstitieux avoue,avec sa superstition, comme une faute, mais une fautequ’il vaut mieux commettre ; car on regrette le ridicule denotre comportement, tout en se persuadant que notrecomportement influence favorablement la suite desévénements - cela ne coûte rien de ne pas passer sous uneéchelle... Nous agissons suivant les signes envoyés par ununivers ordonné où nous avons notre place et notrecomportement devient un de ces signes au sens cachénous inscrivant dans un univers fait pour nous - pour notremalheur ou notre bonheur.Une telle conception de l’univers, d’un ordre cosmiqueest aujourd’hui passablement abandonnée ; d’où vientalors que la superstition ne meure point dans le tempsmême où elle semble s’être considérablement affaiblie.Pour tenter de comprendre cela, il nous faut remonter nonseulement un peu avant les Lumières qui combattirent sifarouchement la superstition et qui imprimèrent si forte-ment le sentiment moderne à ce sujet, mais aussi à l’ori-gine de la notion de superstition en examinant la distinc-tion romaine entre superstitio et religio. La question de lasuperstition a donc beaucoup à voir avec la façon dont oninterprète l’évolution du fait religieux, et pas seulementavec la marche triomphale de la Raison qui fait sortirl’homme de l’âge mythologique vers un âge scientifiquepar l’entremise d’un âge théologique - âge scientifique oùles religions disqualifiées se survivraient sous la forme desuperstitions aisément explicables par l’analyse dequelques mécanismes psychologiques.Tout d’abord, nous établissons une séparation entresuperstition et religion, mais celle-ci, loin d’être natu-relle, met en évidence notre héritage latino-chrétien.Quand bien même considérerions-nous le christianismecomme une superstition, c’est par le christianisme quenous fut transmise cette opposition entre vraie religionet superstition et que fut définie pour nous la religion;plus précisément, comme l’a montré Maurice Sachot,c’est Tertullien, en 197, dans son Apologétique, quiapplique au mouvement chrétien les catégories de l’an-tique religion romaine.Pour Tacite, Pline le jeune ou Suétone, c’est le mouve-ment chrétien qui est une superstition nouvelle, dérai-sonnable, funeste, malfaisante. Même si la religioromana n’a pas d’équivalent, chaque cité a sa proprereligion, comme le dit Cicéron. Les conquêtes romainess’étendant constamment, il faut donner un statut auxreligions des peuples conquis en romanisant les dieux,

31

55. Yechayahou Leibovitz, « Une morale sans universel », entretienavec Llana Cicurel, présenté par Alex Derczanski, Esprit, novembre1994, p. 63-67.

56. Jean Michel Besnier, « La raison et la quête contemporaine del’unité », in L’Irrationnel, menace ou nécessité, op. cit., p. 122.*Professeur de philosophie

les cultes étrangers et en y distinguant ce qui est légi-time de ce qui est illégitime. Ainsi les religions étran-gères sont légitimes dans la mesure où elles ont unebase institutionnelle, comme système politico-religieux- ce qu’est la religion romaine, religion d’empire. Pourles Romains, du fait de la Diaspora et tant qu’il existeun établissement politique juif, existe le statut de religioiudaïca; mais dès lors que ce dernier est aboli, lemouvement chrétien ne peut être qu’une survivancereligieuse méprisable : une superstitio - substantif quivient du verbe superstare ; ‘‘est dit superstes celui qui,par rapport à un événement, soit lui a survécu, soit y aassisté et, donc, peut en être témoin’’. La superstition,c’est la religion illégitime, car la religion a ou est unfondement institutionnel; la religio romana est une atti-tude de ‘‘respect scrupuleux envers l’institué’’ - religere(‘‘se recueillir’’) est, comme le souligne Emile Benvé-niste, la racine du terme religio qui a le sens de ‘‘scru-pule’’. Elle ‘‘donne force aux institutions et en garantitla durée, par ce lien, par cet attachement du citoyen àrespecter les institutions de sa cité’’ - on retrouvera trèsnotablement ce trait dans la religion civile des philo-sophes modernes qui tentent de fonder un contratsocial. Les rites et les pratiques personnelles ‘‘qui nesont que les survivances d’un système politico-religieuxqui n’existe plus’’ ne sont que des superstitions. Religioet superstitio sont à comprendre à partir des institutionslatines: la première signifie ‘‘l’engagement du citoyen àservir sa cité’’, la deuxième peut ‘‘représenter unecontestation de la légitimité des institutions romaines’’- ce qui sera la source du martyre chrétien. Pour lesRomains, ceci représente la spécificité et la supérioritéde leur civilisation par rapport à celle des autres. Comment le christianisme est-il alors devenu religion ?Le christianisme naissant d’un judaïsme hellénisé vad’abord se déterminer comme école philosophique(hairesis), comme la philosophie qui surpasse toutes lesécoles ; il est ‘‘la seule philosophie sûre et appropriée’’,puisqu’il s’agit d’une vérité absolue, d’une vérité révé-lée. D’un point de vue romain, cela ne change rien àl’appellation de superstition du mouvement chrétien,car relever de la vérité philosophique ne procure aucunstatut institutionnel dans le cadre latin - la réflexionphilosophique latine, stoïcienne par exemple, sur lanature des dieux, fait bien partie de la religion mais nela définit pas. L’expansion du christianisme dans lasociété romaine va conduire celui-ci à se glisser dans lecadre de la religion romaine et à en modifier la défini-tion. Le retournement s’opère avec Tertullien qui affir-mera que le christianisme est religion et l’antique reli-gion romaine, superstition. La religion des Romains endevenant la religion chrétienne n’est plus alors seule-ment une réalité institutionnelle mais devient aussi unedoctrine, une foi ; de même, la définition hellénistique

du christianisme évolue de la doctrine, de la vérité révé-lée vers l’institution, le système politico-religieux -dont le grand penseur sera saint Augustin avec sa Citéde Dieu ; l’Eglise catholique sera effectivement cettesorte d’empire romain chrétien, où le pape n’est pour-tant pas empereur mais autorise le pouvoir temporel desprinces, où le représentant du Christ est pontifex maxi-mus, souverain pontife, titre initialement païen. Toutesles autres religions deviennent alors des superstitions,de même que toute autre philosophie que la philosophiechrétienne devient superstition - d’où sans doute notredifficulté, encore aujourd’hui, à classer ou à étudiersérieusement, par exemple, le bouddhisme... religion ouphilosophie ?On voit ici que ce n’est pas la psychologie qui permetde comprendre une évolution historique où les religionsdeviendraient ce qu’elles ont toujours été, c’est-à-diredes superstitions ; c’est plutôt l’histoire qui nous permetde comprendre notre psychologie au sujet de la super-stition. La culture européenne pose toujours ce qu’ellecroit, ce qui fait autorité en opposition à une supersti-tion. La culture européenne, comme l’a bien montréRémi Brague, est faite d’une succession de renaissancesoù l’Ancien est relu, renouvelé ; or cette opération n’estpossible que si l’on fait le tri entre ce qui fait toujoursautorité dans l’ancien et ce qui y est caduque, ce quisurvit mais qui ne devrait pas - on ne peut qu’inviter icià relire les magistrales Considérations inactuelles deNietzsche. Notre culture suit en cela ‘‘la voieromaine’’(par exemple, les Romains font leur la culturegrecque, mais rejettent la politique des cités grecquesincapables de faire de la loi un pacte entre des peuples,entre des groupes).La superstition et sa condamnation récurrente corres-pondent donc au type de rationalité développé dans lacivilisation européenne, dans le sillage de la civilisationromaine : la raison, la rationalité a toujours besoin de seposer en s’opposant à une superstition - et ce n’est passeulement le cas de la rationalité définie par les philo-sophes des Lumières.On comprend ainsi que la superstition ne meure pas,mais il nous reste à discerner pourquoi elle s’affaiblit -les différentes religions ont perdu leur rôle, leur impor-tance sociaux (la preuve en est qu’elles cherchent à lesreconquérir) et devraient devenir des superstitions ausens romain ; pourtant toutes les confessions s’opposentviolemment aux superstitions, aux bricolages descroyances ‘‘New-Age’’, et rivalisent philosophiquementpour prouver leur parfaite rationalité. Comme nousl’avons vu, superstition et religion sont intimementliées, par leur opposition même. Il ne peut y avoir dedifférence entre croyance raisonnable et croyance dérai-sonnable que s’il y a croyance. Abandonner la croyanceraisonnable conduit à abandonner la déraisonnable. La

32

croyance superstitieuse s’affaiblit donc lorsque lacroyance religieuse s’affaiblit ; la croyance religieuses’affaiblissant peut toujours donner lieu à une nouvellesuperstition, mais c’est une illusion d’optique de croireque l’affaiblissement des religions augmente significa-tivement les superstitions - les effets sont certes plusvisibles (comme dans le cas des sectes), mais leurcaractère spectaculaire ne leur donne pas automatique-ment une importance statistique.Il nous semble que l’affaiblissement de la croyance reli-gieuse connaît deux moments principaux (il faudraitsans doute examiner aussi les conséquences des guerresde religion et de la ‘‘découverte’’ des Amériques) : lepremier, au Moyen-Age, consiste dans une rationalisa-tion philosophique radicale du monothéisme avec lathéologie négative, dont l’artisan est Maïmonide ; ledeuxième, au XVIIe siècle, avec la révolution scienti-fique galiléenne-cartésienne, qui conduit à l’abandondu grand édifice chrétien de la scolastique.Le premier moment qui produira des effets détermi-nants pour la naissance de notre modernité (laïque,areligieuse, agnostique) est paradoxalement un momentreligieux. Un philosophe juif, Maïmonide, cherche àopérer une synthèse définitive entre la raison et la foi,entre la pensée philosophique grecque et les lois deMoïse. Maïmonide prend tellement au sérieux la trans-cendance divine, qu’il cherche à évacuer tout anthropo-morphisme dans la conception de Dieu. Si Dieu a faitsortir son peuple d’Egypte d’une main puissante, unemain puissante appartient à un homme et non à un Dieutranscendant ; il doit donc y avoir une interprétationallégorique, rationnelle de cela. Or, les anthropomor-phismes fourmillent dans la Bible, c’est donc tout letexte biblique qui doit être lu de façon allégorique,rationnelle. Le Dieu du monothéisme devient alorsabsolument transcendant, on ne peut en parler que demanière négative, par la négation de ce qu’il n’est pas :il est erroné de dire que Dieu est puissant (anthropo-morphisme), il est non-faible (négation de laprivation) ; d’où le nom de théologie négative.Les théologiens chrétiens reprendront eux aussi cetteconception, l’incarnation de Dieu ne le rendant pasmoins mystérieux - Dieu est-il puissant ? Il semble queoui, puisqu’il s’est incarné en un homme; mais ilsemble aussi que non, puisqu’il a vécu parmi nous enserviteur et non en maître. La radicalisation de la trans-cendance d’un Dieu déjà unique rationalise à l’extrêmela croyance et ‘‘désenchante le monde’’ ; que Dieu soitabsolument transcendant ou qu’il se concentre en uneseule vie humaine et c’est tout le monde des influencesoccultes, des esprits, en somme le monde de la super-stition qui s’efface - ce thème est illustré dans la littéra-ture récente par Tolkien dans ses célèbres ouvrages avecle départ des elfes.

Le deuxième moment, tout le monde en somme leconnaît. C’est avec Galilée que quelque chose de déter-minant pour la modernité a commencé ; cependant, cequelque chose est bien peu souvent cerné, car on neretient de lui que le fait que la Terre tourne. Commentcela pourrait-il affaiblir si gravement la croyance reli-gieuse et plus précisément la foi chrétienne, et détruirele ressort de toute superstition ? D’autant que l’on saitque Galilée n’est pas le représentant de la Science faceà l’Eglise obscurantiste : ses travaux étaient unecommande papale et il était un chrétien sincère. On setrompe en croyant que la grande idée galiléenne est lemouvement terrestre - alors même que tout un chacunsait que cette idée est copernicienne. La grande décou-verte galiléenne est la relativité de tout mouvementphysique : la Terre ne tourne pas plus qu’elle ne tournepas, encore faut-il dire par rapport à quoi elle tournepour pouvoir dire qu’elle tourne. Par rapport au Soleilnous tournons, par rapport à la Terre, nous ne tournonspas. En quoi le concept de relativité a-t-il un effet sidélétère sur toute croyance ? Cela ne saute pas auxyeux ! On peut d’abord souligner que la Terre n’est plusau centre du monde : tout l’édifice construit depuisAristote peut alors s’effondrer ; les êtres naturels nepeuvent plus être définis comme ce qui a son principede changement en soi-même : la Terre ni ne tourne nin’est immobile parce que ce serait dans sa nature, maiselle tourne parce que son mouvement est relatif auSoleil - même si Galilée croit encore que le mouvementinertiel est circulaire. Il n’y a que quelques décennies deGalilée à Newton, et déjà pour les premiers galiléenscomme Descartes, il n’y a qu’un seul monde régi par lesmêmes lois, les lois de la physique, les lois mathéma-tiques. C’en est fini des univers étagés, peuplés d’es-prits, d’un ordre cosmique centré sur la Terre et doncsur l’homme. Le monde céleste n’est plus un mondedivin, où la matière dont sont faits les astres seraitincorruptible (le fameux cinquième élément, la quintes-sence des alchimistes). La théologie chrétienne avaitintégré dans un même système les vérités de foi et lesvérités philosophiques, la métaphysique et la physiqued’Aristote (la philosophie de saint Thomas d’Aquin estd’ailleurs toujours la philosophie officielle de l’Eglisecatholique) : remettre en cause le système du monde dePtolémée, les principes d’Aristote, c’est en même tempsrendre douteux les dogmes religieux. Il faut alors insis-ter sur l’atteinte grave que l’idée de relativité fait subirà toute forme de croyance : si mes sens me disent que jesuis immobile et que le Soleil tourne autour de nous,alors que nous tournons autour du soleil, la vérité, lascience ne peuvent plus être fondées sur la certitudesensible, sur les évidences de la perception. Or, la reli-gion me demande de croire des témoins, des prophètesqui, même s’ils croient sans avoir vu, croient être en

33

relation avec Dieu, sentent, éprouvent cette relation. Laprésence divine ou spirituelle n’est certes pas de l’ordredu concept - où alors une démonstration suffirait pourconvertir. La foi est quelque chose qui s’éprouve.Comment croire ce qui s’éprouve lorsque mon immobi-lité qui est évidente nous conduit à des idées fausses. Sije ne peux plus croire mes propres perceptions,comment croire à ce qui n’est pas évident, à ce quirelève de la foi. On ne peut plus guère trouver de causessurnaturelles à des effets visibles ; l’inexpliqué n’estplus inexplicable rationnellement on le rapporte avecplus de vraisemblance à la limitation provisoire de nosconnaissances scientifiques. Les progrès constants de lascience et la succession des révolutions scientifiquesfinissent par nous habituer à des vérités provisoires quine laissent plus de place à une vraisemblance decertaines croyances ou superstitions. Les explicationsirrationnelles pour les choses inexpliquées ne nousparaissent plus valables, elles sont pour nous plussemblables au faux qu’au vrai. La croyance pour êtrevraisemblable doit être telle que, tout en pouvant douterd’elle, nous ne puissions y contredire : ce qui peut êtrecontredit est semblable non au vrai mais au faux. Lesreligions et les superstitions ont tellement été contre-dites depuis quelques siècles que nous accordons l’au-torité à la démarche scientifique. Les religions pour semaintenir doivent constamment montrer leur caractèreraisonnable et les superstitions sont contredites de façonpéremptoire par le discours scientifique - fantômes,astrologie, voyance...Comme le dit Spinoza dans une de ses lettres à HugoBoxel, ‘‘de ce que les sciences divines et humaines sontpleines de litiges et de controverses, on ne peut conclureque tous les points qu’on y traite soient incertains. [...]Pour ce qui est des spectres et des esprits je n’aijusqu’ici entendu parler d’aucune propriété intelligiblequi leur appartînt mais seulement de caractères à euxattribués par l’imagination et que nul ne peutcomprendre.’’La superstition peut toujours renaître : d’une part, ellese constitue par le rejet d’anciennes vérités que certainstentent de faire revivre en les réorganisant d’unenouvelle façon - la crédulité humaine n’aura sans doutejamais de fin - ; d’autre part, il faut bien noter que beau-coup de gens ne sont pas suffisamment éduqués, oud’une manière insatisfaisante ; surtout dans nos sociétésoù on attend une maîtrise toute extérieure des scienceset techniques, sans compréhension de leur sens - le sensn’est en général rien de rentable. L’absence d’éducationou une éducation mal conçue et la nécessité d’abandon-ner des idées longtemps crues vraies fourniront toujoursles bases suffisantes aux croyances superstitieuses. Labêtise humaine dépendra toujours de la déterminationque l’on aura de la combattre.

■ Superstition et hiérarchie

Nicolas SALANDINI*

« La superstition ne semble autre chose qu’une craintemal réglée de la divinité » confiait à ses lecteurs de« caractères » l’immense La Bruyère. Telle est sansdoute une des visions les plus justes et épurées portantsur ce thème de l’illusion transmissible, sur cettehorreur d’aveuglement, cette croyance impie, supersti-tion. N’importe quel lecteur de dictionnaire abrégépourra d’ailleurs en lire le contenu obscur agrémentédes quelques références à vocation d’instruire cetteinénarrable crainte de cet irrationnel ténébreux, notrearchaïsme.Si La bruyère a raison c’est que la superstition est biencette déviation du divin. Elle émet un mensonge sur lanature et les signes du sacré et rompt l’impénétrabilitédes voies d’un au-delà en y introduisant ainsi l’origine decodes purement humains. Or, c’est bien en ce point précisd’un infléchissement du lien de l’homme à ses mythesque se construit l’ampleur de ces erreurs pérennes. Quoide plus décriées pourtant que cette matière du leurre, quecette poudre aux yeux du naïf, cette texture opaque dontla surface porte déjà le discrédit. L’aveu de ses propressuperstitions ne semble-t-il d’ailleurs ne pouvoir sedispenser d’une certaine raillerie de soi, d’une complai-sance vainement repentie de ses tendances primitives ethonteuses. Qui de ce fait, se disant superstitieux, neverrait en cette affirmation une occasion rêvée de semoquer de soi, de sa crédulité, de ses faiblesses etmanques ? C’est donc ailleurs que dans l’évidente trom-perie qu’il faudrait trouver non seulement la racine maisl’activité de nos superstitions. Celles-ci paraissentsouvent trop évidentes à qui se pense lucide ou honnêtevis-à-vis de ses mythes ou croyances.Nous aimerions en ce sens proposer une esquisse de lasuperstition d’après sa propension à se fonder sur leprésupposé d’une relation hiérarchique. La superstitionse définit en effet d’après son rapport à un espace mis àdistance, en ce sens repoussé, rabaissé, maintenu en undomaine d’occultation. Le mot lui-même, en sonétymologie trahit ce projet à peine masqué d’assujettis-sement et de soumission. Celui-ci vient en effet de laformule latine superstare voulant dire se tenir au-dessus. Or c’est bien là, comme en son émergencemême, que se tient précisément le fond de son projet.La superstition est un mode de propagation du sensreposant précisément sur l’impossibilité de dialogueravec son fond. C’est-à-dire qu’elle met ainsi en regard

34

*Doctorant en philosophie

mais non en lien deux espaces distincts parce que sépa-rés en ceci qu’elle se tient précisément au dessus et sedicte sans retenue ni question. Son contenu nous vientd’une instance supposée supérieure au sens où elle setient au-dessus. Elle est dogmatique et aussi loin deslumières de la raison qu’elle s’établit sur le voilementde son fondement.Dans un très beau texte intitulé L’image-le distinct,Jean-Luc Nancy distingue l’espace du « sacré » du« religieux » et place ainsi l’image sous l’égide dusacré, c’est-à-dire du sacrifice. « Or le sens de « sacré »ne cesse en effet d’être confondu avec celui de « reli-gieux ». Mais la religion est l’observance des rites quiforme et qui maintient un lien (avec les autres ou avecsoi-même, avec la nature ou avec une surnature). Lareligion n’est pas, de soi, ordonnée au sacré. (Elle nel’est pas non plus à la foi, qui est encore une autre caté-gorie. »57 Il y a en effet un hiatus entre le domaine del’institution religieuse et la verticalité d’une imagesacrée parce qu’en rupture. L’image n’est pas à propre-ment parler la chose mais ce qui s’en détache. Elle esten quelque sorte ce qui de la chose tirera la secrète puis-sance et portera ainsi à même la surface d’une distinc-tion la force d’un déchaînement. Nous ne rejoignonspas là pour autant le projet d’un éloignement fictif oud’une mise à distance artificielle. L’image dont il s’agitn’est pas un mensonge ni un détournement du divinmais plutôt le vecteur paradoxal de sa mise en présence.S’il y a ici un paradoxe c’est que cette idée de mise àdistance, de rupture, de distinction semble le mieux direla fonte de l’homme dans la matière de ses propresimages. « L’image vient du ciel : elle n’en descend pas,elle en procède, elle est l’essence céleste et elle contientle ciel en elle. » 58 Elle se détoure et se sépare en ceciqu’elle constitue un monde en soi en qui déjà l’espaced’une relation et d’un dialogue se soulève tout en se de-fixant. La distinction de l’image constitue ainsi lagarantie de l’hétérogène en l’unité de chaque élément,c’est-à-dire la promesse d’un dialogue non entrel’homme et le divin mais à l’intérieur de chacun d’entreeux. « L’image est nécessairement non religieuse, carelle ne relie pas la terre au ciel mais elle tire celui-ci decelle-là. »59 L’image ainsi ne relie pas mais figure l’im-manence absolue de toute relation. « Au commence-ment est la relation »60 disait Gaston Bachelard. La rela-tion n’est pas subsidiaire, elle ne constitue en rienl’association secondaire de deux éléments - telsl’homme et le divin - mais trouve en l’image l’émer-gence simultanée de ces deux indissociables du cosmos.« L’image me touche, et ainsi touché et tiré par elle, enelle, je me mêle à elle. Pas d’image sans que je soisaussi moi-même à son image, sans pourtant passer enelle, pour peu que je la regarde, c’est-à-dire pour peuque je lui prête égard. »61 La superstition au contraire

est toujours ce produit d’une relation a posteriori entreune cause ignorée et le tropisme d’un effet dont nous nesavons plus nous défaire.Cette distinction entre la sphère du « sacré » et du « reli-gieux » révèle en fait deux rapports au temps radicale-ment différents dont un en particulier semble corres-pondre à l’exacte temporalité de la scission entrel’origine de l’Un supposé et la pluralité des mondesvécus. D’un coté le temps vertical de l’immédiatdétouré, de l’image ainsi sacrifiée, de l’autre cellelinéaire et horizontale du lien construit entre la cause etl’effet. Nous l’avons dit l’image du distinct repose surl’idée d’un déchaînement du lien construit entre leshommes et le divin. Nous aimerions maintenantmontrer comment la superstition semble entretenir uncertain rapport avec le système temporel de la causalité,celui-là même du continu, du plein. Car le temps de lacause est bien en nous ce prolixe vecteur d’idées reçues,d’irrationalités dogmatiques. Prenons ici l’exemple dumiroir brisé comme malédiction. Découpons-le parcequ’il est justement le plus commun et montre en ce senspresque idéalement le désormais trop classique et inévi-table lien de cause à effet. La cause ici est le bris dumiroir alors même que l’effet se traduit par les sept ansde malheur consécutifs à l’accident. Il n’est jusque làrien de plus infondé et mystérieux que ce lien faisant dela rupture de la surface réfléchissante du miroir la caused’un malheur de sept ans. L’explication est pourtantsimple et tient en la transcendance du temps de la cause.En effet, la qualité des miroirs était telle et les boursessi peu adaptées à leurs coûts, lorsque cette idée vit lejour, qu’il fallait alors sept ans d’économie afin d’ima-giner leur remplacement. Nous avons là l’illustrationparfaite d’une persistance d’un effet « l’idée des septans de malheurs » sans que n’en soit donnée lacause : « les difficultés propres aux restrictions relativesau remboursement du miroir brisé ». Le temps de lacausalité ici engloutit, par l’oubli, la raison même de lacause. Le fond du problème vient du fait que cettefausse connaissance dérive d’un passé maintenu dansune sorte d’éloignement. La superstition nous montreainsi comment celle-ci s’oppose aux images du sacré.Son contenu se déploie en fonction de sa référence àune motivation extérieure, c’est-à-dire à une cause

35

57. Jean-Luc Nancy. « L’image-le distinct » in « Au fond desimages. » Ed. Galilée. 2003. p. 11.

58. Jean-Luc Nancy. « L’image-le distinct » in « Au fond desimages. » Ed. Galilée. 2003. p. 20.

59. Ibid.

60. Gaston Bachelard. « La valeur inductive de la relativité. » Ed.Vrin. 1929. p. 210.

61. Jean-Luc Nancy. « L’image-le distinct » in « Au fond desimages. » Ed. Galilée. 2003. p. 21

transcendante dont la définition linéaire du tempsconstitue le fondement.Le problème qui se pose ici est majeur. Il est cependanttrop important pour que nous puissions en explorerl’ampleur véritable. Disons simplement que l’originedu temps linéaire de la cause ne peut être que l’antério-rité absolue et indépassable de l’Un. En ce sens, letemps de la causalité est bien celui de tout monothéismeet superstition. De là précisément la transcendanceindépassable de la cause. Il n’existe en effet pas decause qui ne soit qu’une cause, c’est-à-dire cause qui nesoit pas déjà l’effet d’une autre antériorité. Le temps dela cause médiatise car il est celui de la distance entre leshommes ainsi qu’entre eux et le divin.Il est cependant une alternative temporelle que certainscomme les poètes et les mystiques ont explorée. Cettealternative, c’est celle du temps vertical de l’immédiat,du sacré tel que nous le définissions, c’est-à-dire d’unetemporalité dont l’unité d’origine n’est plus vraimentcelle de l’Un mais plutôt du multiple et de la fusion.Une unité qui ne se dirait plus de l’Un mais du multiple,voilà précisément la définition que Gilles Deleuzedonnait de l’anarchie62. Aussi sommes-nous surpris devoir ainsi un astrophysicien comme Michel Cassérejoindre cette intuition d’une origine non hiérarchiqueet bigarrée quant à la question du Parménide de Platon,sur l’unité celui-ci répondait : « mais encore, lorsque lenombre d’objet tend vers l’un, et le langage vers zéro, ily a danger car il faut être deux pour dialoguer. Quandles physiciens arriveront à l’équation maîtresse dumonde, ils seront résorbés dans cette équation etpersonne ne pourra la dire. Donc il est une forme« monothéiste » d’approche qui personnellement nelaisse pas de m’inquiéter. Pourquoi préférer l’un audeux ? Le deux, n’est-ce pas l’amour après tout ? Ladualité dans la mécanique quantique est acceptée etc’est bénédiction pour l’explication des phénomènes.Elle tient même lieu de principe : ondes et particulessont dialectiquement liées, mais ne font pas un. »63

■ Le superstitieux et le religieux

Emmanuel TONIUTTI*

L’étymologie du mot Superstition vient du latin super-esse qui signifie « être superflu » ou encore de super-stare qui veut dire « s’élever au-dessus ». Dans le tempsdes Anciens, la superstition signifiait la crainte desdieux. Pour aller dans ce sens, le Littré définit la super-

stition comme un « sentiment de vénération religieusefondé sur la crainte ou l’ignorance, par lequel on estsouvent porté à se former de faux devoirs, à redouterdes chimères et à mettre sa confiance dans des chosesimpuissantes ».Il faut ainsi retenir que la superstition a à voir avec lapeur envers quelque chose d’étranger qui dépasse laraison de l’être humain et l’incompréhension de cequelque chose qui procure un sentiment de danger.Les effets psychologiques de la superstition amènentpour cela les êtres humains à matérialiser ce « quelquechose » pour lui donner une forme et lui conférer unsens qui apaise le sentiment de peur et de danger. Ainsi,la force des esprits invisibles sera canalisée dans untotem ; les maquettes des bateaux pendus aux plafondsdes églises représenteront le signe de la protection deDieu pour les marins… Le phénomène de la supersti-tion se met ainsi naturellement en place lorsque l’êtrehumain fait l’expérience de ce « quelque chose » d’in-saisissable pour lequel il éprouve une telle frayeur qu’ildoit en matérialiser les effets à travers un objet.Il nous faudra donc distinguer plusieurs niveaux decompréhension du superstitieux. Car l’Homme est êtrede superstition. L’incompréhension de la mort crée chezlui une angoisse qui ne peut être apaisée que par l’effetdu « superflu » ou du « s’élever au-dessus ».Nous repérons ici deux interprétations du « superflu » etdu « s’élever au-dessus » : l’une mineure, l’autremajeure. Les deux sont à tenir ensemble et à replacerdans l’humilité qui nous tient lorsque nous pensonsnotre petitesse devant la mort, devant la vie, face à soi-même et face aux autres. L’une ne devrait pas aller sansl’autre. Si l’interprétation mineure occulte l’interpréta-tion majeure, elle nie le sacré de l’existence ; si l’inter-prétation majeure occulte l’interprétation mineure, ellese pose comme seule et unique interprétation du super-stitieux voire du religieux. Nous nous mettrons d’ac-cord ici sur le fait que ces deux termes recouvrent unmême sens : le superstitieux et le religieux rendentcompte du lien intime et étroit qui unit l’Homme à lanature et à l’univers. Aller de l’interprétation mineure àl’interprétation majeure revient à aller du superstitieuxau religieux de manière qualitative.

Le superstitieux : l’interprétation mineure de la superstition

S’élever au-dessus du superflu signifie ici, matérialiserla frayeur ressentie autour d’un objet pour éviter le

36

62. Voir Gilles Deleuze et Félix Guattari, « Mille plateaux », lesEditions de minuit, 1980, p. 196.

63. Michel Cassé et Edgar Morin « Enfants du ciel. » Odile Jacob.p. 55.

* Ph.D. in Théologie, Docteur de l’Université Laval, Québec, Canada

danger qu’il procure. La pierre posée au milieu ducercle attire les mauvais esprits ; la peur qui m’atteintlorsque je me retrouve seul, enfermé dans une pièce,contre ma volonté, m’amène à en appeler à un dieuimaginaire qui pourrait me libérer. Le superstitieux estlié à la puissance d’imagination de l’être humain. Cetteimagination a une cause : le lien qui unit l’Homme à lanature de manière inconsciente. Nous ressentonsinconsciemment la puissance de la nature à l’intérieurde nous-mêmes et nous pensons que cette toute puis-sance de la nature peut nous sauver lorsqu’elle nous meten danger.

Pourquoi parler d’une interprétation mineure de lasuperstition ?

Parce que dans ce cas l’être humain se trouve dans l’im-possibilité de rationaliser les événements qui l’entou-rent. Il interprète le danger comme le déchaînement dela puissance de la nature contre lui-même. Et cette atti-tude se transforme en sentiment de culpabilité car le, oules dieux, auxquels il fait appel pour le sauver ne semanifestent pas. Alors, il se crée son propre dieu, sonpropre totem qui va lui permettre de se relier avec lesforces d’une nature invisible dont il ne maîtrise ni lapuissance, ni les effets. L’objet investi lui assure ainsil’immortalité potentielle. Il s’agit d’une interprétationmineure car non raisonnée. Il en va autrement de l’in-terprétation majeure.

Le religieux : l’interprétation majeure de la superstition

Il ne s’agit pas de donner une force de vertu supplé-mentaire au religieux sur le superstitieux. Mais le reli-gieux tend à comprendre le comportement de la super-stition pour lui donner du sens et l’enraciner dans laquête spirituelle de l’être humain.

Le religieux est la compréhension du sacré.

Qu’est-ce que le sacré ? C’est l’appréhension fonda-mentale de l’inconditionné à l’intérieur de soi-même.Qu’est-ce que l’inconditionné ? Il s’agit du principeoriginel et fondamental de toute chose, l’impulsionprimitive qui n’est soumise à aucune condition maisdont tout dépend de manière infinie. Les traditions l’au-ront traduit par le mot « Dieu ». Le comportement reli-gieux « s’élève au-dessus » du superflu qui consiste àressentir dans la nature un élément de crainte ; ilcomprend la nature comme l’élément primordial auquelil appartient de façon ultime. Il fait l’expérience intimedu sacré au sein de lui-même. Au lieu d’en éprouver dela crainte, il en éprouve de la fascination, de l’assu-rance, il fusionne avec la nature.

Le religieux est l’attitude mystique.

Qu’est-ce que la mystique ? C’est la communion intimeau mystère de la vie, c’est le fait de sortir de la rationa-lité extérieure des choses pour en comprendre le nonvisible, le non perceptible, l’incommensurable. C’est laparticipation à ce qui nous paraît totalement irrationnelbien que cela nous semble familier. C’est l’intuition dela participation de notre être intérieur à l’ensemble ducosmos qui nous entoure.

Pourquoi parler d’une interprétation majeure de la superstition ?

Parce que dans ce cas l’être humain rationalise l’appré-hension intuitive du monde dans lequel il vit pour entreren harmonie avec les événements qui l’entourent. Il inter-prète la nature, non pas comme un danger, mais comme laprésence de sa puissance à l’intérieur de lui-même. Etcette attitude se transforme en sentiment d’agir dans lemonde. Un monde dans lequel la prise de conscience dusacré amène à la compréhension mystique que la nature etles hommes ne font qu’un ; à la compréhension mystiqueque les hommes sont frères et égaux devant l’incondi-tionné qui remplit toute chose. Il s’agit d’une interpréta-tion majeure car raisonnée.L’interprétation mineure se fabrique ses propres dieux.Elle traite du superflu de l’humanité. L’interprétationmajeure communie à l’inconditionné. Elle s’élève au-dessus du superflu pour donner du sens à l’humanité. Etpourtant, l’être humain le plus sage qui soit, le plusavancé qui soit sur la voie mystique du religieux, lorsqu’ilse trouve en état potentiel de danger qui est prêt à lui ravirsa vie, se trouve renvoyé au superflu contre son gré ; carle danger le met face à sa propre mort. Que nous levoulions ou non, nous sommes ainsi tous des êtres desuperstition, car intimement liés à la nature. Du supersti-tieux au religieux, il y a un pas à franchir ; la reconnais-sance ultime que nous appartenons à un monde qui nousdépasse ; l’acceptation que ce qui nous dépasse fait partieintégrante du sens à donner à notre vie. Nier que touthomme est un être de superstition revient à nier le fonde-ment même de la vie dans lequel l’Homme s’enracine ;une nature dont il ne maîtrise ni les causes, ni les effets,car il n’est pas Dieu.

37

■ Médecine et superstition, côté médecin

Dr Christophe RASPAUD*

« Docteur, existe-t-il des risques pour mon mari si enplus de la chimiothérapie, nous voyons un magnéti-seur..., il prend des gélules à base de… censées l’aiderà se débarrasser de ces cellules cancéreuses», qui n’apas déjà entendu ce type de discours dans sa consulta-tion ?Tous les jours dans nos cabinets de consultation lorsquenous traitons des maladies graves et mortelles, la super-stition et la médecine s’affrontent encore. Parfois cettedualité est avouée, parfois elle est cachée, tout dépenddu rapport médecin-malade. Que devons-nous répondreà ces familles qui ont peur et doivent se défendre contreune maladie réputée fatale ? Devons-nous les encoura-ger dans des croyances superstitieuses ou les ramenervers la raison en leur proposant uniquement notremédecine rationnelle ?Essayons de comprendre pourquoi “superstition etmédecine” sont si proches. La pratique médicale existedepuis plusieurs millénaires. Elle a longtemps été unmélange de croyances religieuses ou philosophiquesbasé sur des pratiques magiques souvent irrationnelles.Ce n’est seulement que depuis environ 200 ans qu’ellese développe de façon rationnelle avec une certaineefficacité. La médecine rationnelle, issue de l’univer-sité, était au début réservée à la classe aisée de la popu-lation laissant au peuple l’autre médecine, guérisseurs,rebouteux et autres sorciers… Mais cependant, cettemême classe aisée n’hésitait pas à revenir vers cesmédecines ancestrales quand la faculté baissait les bras.Depuis des millénaires, la maladie et la mort ont étéintimement liées à la religion omniprésente. Chaquepeuple a son lot de superstitions, et ceci indépendam-ment de la forme de société dans laquelle il s’inscrit oude la religion dominante. Dans l’Egypte ancienne, enOrient et en Extrême-Orient de nombreux témoignagesont été retrouvés, et plus proche de nous dans le chris-tianisme moyenâgeux. Dieu ou les dieux envoyaient“mort ou maladies” pour punir l’Homme de samauvaise conduite et le purifier. Pour se protéger de cespunitions il était utilisé des amulettes, des icônes, desreliques ou des plantes médicinales. Ces dernièresétaient préconisées après observation de leur utilisationet effet sur les animaux ou par hasard sur l’homme. Dieu, ayant tout pouvoir sur le corps et la vie de

l’homme, la médecine fut rapidement contrôlée par lesreligieux et quand celle-ci était inefficace, l’existenced’une autre médecine utilisant des prières, des phrasesou des onguents pouvant guérir, était considérée commesecrète, mystérieuse et même diabolique. La peur liée àla superstition en fait quelque chose d’excessif, lesuperstitieux cherche à conjurer sa terreur par des riteset un culte excessif.Au XVIe siècle, la peste était combattue par l’utilisationde lotions à base de vinaigre, et des cures préservatricesconstituées d’odeur de bouc étaient recommandées. Lafrigidité féminine se guérissait par une infusion de four-mis volantes et l’impuissance masculine se traitait enassaisonnant les repas de sel de lézard. La panacéeuniverselle était la “poudre de sympathie” composée devitriol calciné et la croyance voulait que la corde d’unpendu protégeait des maux de tête. Dès qu’unepersonne éternuait il fallait rapidement lui adresser un«Dieu vous assiste» ou «Dieu vous conserve» car lagrande aspiration provoquée au moment du phénomènepouvait occasionner la rupture d’un vaisseau dans unepartie délicate du poumon. Lorsque des œufs de poulesétaient ramassés le vendredi saint et mangés le jour dePâques, ils protégeaient des fièvres pendant un an…Elle peut s’appeler médecine superstitieuse, primitiveou populaire, cette médecine paléolithique (JosephDelteil, la cuisine paléolithique, éd. Robert Morel,1964) est apparue dès le commencement par purinstinct, de bouche à oreille, pour parvenir jusqu’ànous. Elle se résume à des formules et recettes médico-magiques. Pour se démarquer de quelque chose dediabolique et peut-être pour être rassurante, souvent lesphrases prononcées pour “guérir” sont constituées deprières à Marie et Jésus, associées à de nombreux signesde croix.Avoir un don de guérison n’est pas chose facile. Latransmission se fait du plus âgé au plus jeune. Lapersonne ne possède le don de guérir que pour une oudeux maladies et son don est perdu s’il divulgue laphrase associée à ce don. Le mystère autour de cespersonnages entretient la croyance.Malheureusement, beaucoup sont des charlatans quiexploitent la crédulité des gens. Aujourd’hui encoredevant l’échec ou en complément de notre médecinemoderne, les marchands de rêves font recette.Pourtant, le plus troublant pour un médecin dit ration-nel, c’est de constater que certains, peu nombreux,doivent avoir un véritable don rendant parfois cettemédecine « paléolithique » ou populaire efficace, enparticulier pour les barreurs de feu, les soigneurs demigraine, les guérisseurs d’eczéma ou de verrue. Lepsychisme, l’autosuggestion jouent-ils un rôle impor-tant dans la guérison quand celle-ci est possible ?Parfois, en particulier pour enlever le feu, la médecine

38

* Pneumologue. Toulouse

traditionnelle fait appel à cette médecine irrationnelle,mais c’est toujours sous le couvert du secret. À ce jour,tout ce qui n’est pas expliqué n’existe pas et reste dudomaine du charlatanisme. Mais la terre a longtempsété plate et les charlatans pensaient qu’elle était ronde !Plus proche de nous l’asthme était une maladie psycho-logique ! Ce que nous n’arrivons pas à expliquer serapeut être explicable un jour nous permettant de diffé-rencier les gens sincères des charlatans.Je me suis amusé à demander dans une populationmédicale et paramédicale (aides soignantes et infir-mières), si elle croyait ou non à l’existence d’une méde-cine dite irrationnelle (aux pouvoirs des barreurs de feuet autres guérisseurs). Sur 40 personnes, 29 m’ontrépondu oui, 9 non et 2 ne savaient pas. Cette popula-tion pourtant baignée par la médecine rationnelle, peut-être justement à cause de la connaissance de nos limites,laisse une porte ouverte importante à l’irrationnel. Dansles deux populations les croyances étaient limitées prin-cipalement aux barreurs de feu, guérisseurs demigraine, verrues et lumbago. Pour les deux groupes,l’important était le confort du malade et beaucoup demédecins pensent qu’il s’agit surtout d’un effet placebo.Longtemps le médecin tout puissant, de part sesconnaissances, avait le pouvoir de vie et de mort sur sonpatient selon qu’il était curable ou incurable. Touteguérison inattendue était liée à un miracle, phénomèneamplifiant sûrement la superstition. C’est à nous méde-cins d’être un peu plus humbles en reconnaissant noslimites et nos insuffisances. Ainsi, les maladescomprendront peut-être ce que nous pouvons et nepouvons pas espérer leur donner. La superstition agitcomme une médecine préventive contre la maladie et lamort. Elle nous permet de nous protéger dans notreenvironnement hostile. C’est le fruit de l’ignorance etde la peur de ce que l’on ne connaît pas ou que l’on necomprend pas. Pour la croyance populaire, la supersti-tion est une tentative d’influer sur sa vie et sur sa mort.A la question de notre patiente du début, ma réponsedépendra toujours du malade lui même. Celui-ci a-t-ilvraiment besoin de telles croyances pour se rassurer etlui permettre de garder un espoir de guérison ? Dansl’affirmative, je demande toujours à voir la compositiondes fameuses gélules et je les mets en garde contre lescharlatans qui abusent des gens dans la détresse. Je nem’oppose en pratique jamais aux actions qui ne mesemblent pas dangereuses pour mon patient. De toutefaçon, malgré nos connaissances, nous devons toujoursrester curieux et ne jamais oublier que l’observation dephénomènes doit être de mise, en essayant toujoursd’accepter les résultats et en cherchant à les expliquermême si dans l’immédiat nous n’avons pas les clés nouspermettant de le faire.

Bibliographie– Jean Louis Clade : Médecines et superstitions en Franche-Comté autre-fois. Editions Cabédita– Georges Vergnes : La médecine venue du fond des âges ou ces prièresqui guérissent. Edition du Basileus

■ Quand la magie était un crime

Lucien REMPLON*

La consultation des archives judiciaires de l’ancientemps et spécialement celles du Parlement de Toulousepermet de prendre conscience de l’extrême rigueur dontla justice fit preuve à l’égard des pratiques de magie etde ce qu’elle qualifiait avec une étonnante facilité de«sorcellerie ». Encore le mot « pratique » était-ilcompris dans un sens pour le moins extensif…On a beau jeu de stigmatiser les effroyables ravages del’Inquisition par delà les Pyrénées mais, dans leroyaume de France, la lueur sinistre des bûchers nemanquait pas d’intensité. Alors que la Réforme et laRenaissance provoquent un éveil intellectuel ouvrantl’ère de la pensée moderne, les poursuites criminellespour cause de magie continuent. Des hommes, considé-rables par leur savoir et leur position sociale, donnentun fondement juridique qui nous surprend à de tellespoursuites : le procès d’Urbain Grandier et des Ursu-lines de Loudun se déroule en 1634 !« Ce qui confond l’esprit, c’est de voir, en plein XVIIe

siècle, des magistrats éclairés comme l’étaient nos parle-mentaires, appliquer des peines atroces à des infortunésdont le crime, le plus souvent, consistait en des supersti-tions ridicules ou, qui pis est, en trouble mental. »64

Le sort réservé, par notre Parlement, à un religieuxnommé Jean Dusel est descriptif de cette rigueur. Noussommes en 1614. Pendant qu’à Paris, la régente Mariede Médicis, en proie à toutes les superstitions, s’entoured’une cohorte d’astrologues, de jeteurs de sort, dedevins et d’autres charlatans, les procès retentissants sesuccèdent à Toulouse. Le moine Burdeüs et sescomplices viennent de monter à l’échafaud, accompa-gnant la sulfureuse Violante de Batz.65 Bientôt, ce sera

39

* Procureur général honoraire.Président des « Toulousains de Toulouse »

64. E.Vaïsse-Cibiel : Un procès de magie au Parlement de Toulouse ;Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres ; Mémoires1867, p.152.65. L’histoire de la belle Violante (de Batz ou de Castro) a suscité uneabondante littérature. Citons seulement : J.Maziol ; Discours rentréesolennelle Conférence du Stage ; 30 novembre 1947 et Roger Merle :Les grandes affaires criminelles de Toulouse ; Privat 1995.

le tour de Lucio Vannini66 puis, à peine quelques annéesplus tard, Montmorency.67 Et, entre temps, les magis-trats toulousains auront sévi contre l’un des leurs : LaRoche-Flavin.68 Ils viennent aussi de condamner à mortun nommé Blanchard, un faussaire si habile qu’on lecroyait inspiré du démon ! On disait qu’avant demourir, il avait dénoncé bien des gens qui, comme lui,pratiquaient la magie. Un prêtre, ancien « Jacobin » devenu vicaire de Saint-Pierre des Cuisines, nommé Jean Dusel se crut-ilcompromis par ces révélations ? On l’a supposé…Le greffier Malenfant a laissé, sur la vie judiciaire decette époque, des relations d’un intérêt capital.69 Il nousapprend « avec une religieuse horreur conforme à l’es-prit du temps »70 que Jean Dusel enferma, dans un sac,« plusieurs cahiers de magie écrits de sa main » et aussi,« comme Dieu l’aveuglait … plusieurs obédiences qu’ilavait eues de ses supérieurs Jacobins ».71 Ce sac, JeanDusel, va le dissimuler près du mur qui séparait le cime-tière de sa paroisse de l’enclos des Chartreux. Mais, àquelque temps de là, ce mur, menaçant de ruine, estabattu par des maçons qui trouvent le sac et le portentaux pères Chartreux. C’est ainsi que l’affairecommence … D’abord, devant les juges de l’Officialité.Une perquisition provoque la découverte de documentsqui nous paraissent sans intérêt. Au contraire, la déten-tion de « deux oraisons en forme de conjurations, l’unepour guérir le mal des yeux, l’autre le mal de dents » futjugée de la plus haute gravité. Mais, au moment où lajuridiction religieuse allait rendre sa sentence, le Parle-ment intervient et revendique sa compétence.72 Quicondamnerait, le premier, Jean dusel ? Ce fut l’Officia-lité qui, le 13 octobre 1614, en prononçant la déchéancedu privilège du titre clérical, livrait le malheureux aubras séculier. Sans égard pour cette décision et, dans ledésir évident d’affirmer la plénitude de sa compétence,le Parlement ouvrit une nouvelle procédure avecexperts et témoignages. On arrive ainsi, nous dit naïve-ment Malenfant à « des découvertes horribles… par oùla Cour jugera qu’il pratiquait ses abominations. » Lescrupuleux greffier concède cependant qu’« il ne futpoint prouvé que cet homme eut fait aucune faute, nipratiqué aucun magicien, ni faux monnayeur qui l’eus-sent déféré » mais il nous explique les motifs de sacondamnation : « sa prévention ne fut que d’avoir écritles cahiers dans lesquels, à la vérité, il y avait deschoses abominables contre la majesté de Dieu, pourexalter le pouvoir du diable ; et les principes de cesméchancetés se faisaient par le moyen de la Sainte-Messe, du Saint-Sacrement, des prières de l’Eglise etdes psaumes de David. » Autrement dit, le malheureuxJacobin fut puni pour la détention de « cahiers demagie » et d’oraisons pour guérir les maux d’yeux et dedents ! Il allait payer de sa vie « la faiblesse d’avoir

cédé à l’attrait mystérieux de l’inconnu. »73

Le 24 octobre 1614, le Parlement rendit son arrêt, laGrand’Chambre et la tournelle assemblées.74

Convaincu des crimes d’hérésie, sortilèges, magie,Dusel était condamné à être « deslivré ès mains del’exécuteur de la haute justice. » Le jour même, placedu Salin, il fut « pendu et estranglé et après son corpsbruslé ensemble les dits caractères et cahiers de magieet poudre et les cendres jetées dans le vent. »Ce procès n’était, malheureusement que banal et leprocès de Vannini, qui allait lui succéder aurait un toutautre retentissement…Ainsi allait la justice dans un siècle où allait s’épanouir« l’honnête homme »… Ce n’est qu’un de ces para-doxes qui foisonnent dans l’histoire de l’Humanité…■

40

66. Sur le procès de Vannini également de nombreux écrits dont E.Vaïsse-Cibiel ; Mémoires Académie des Sciences, 6ème série, tome5 et L.Remplon ; L’Auta ; décembre 1996 ; N° 620.

67. Sur l’affaire Montmorency : L.Remplon ; La gazette des Tribu-naux du Midi ; 7 et 14 février 1997.

68. Sur le procès de La Roche-Flavin : L.Remplon ; L’Auta ;décembre 1996 ; N°621.

69. Issu d’une lignée de parlementaires, Etienne de Malenfant aban-donna une charge de conseiller pour prendre la robe de greffier. Ilassuma cette charge pendant 42 ans et les Mémoires qu’il a laisséessont le pendant de l’œuvre de Lafaille pour l’Hôtel de Ville. .

70. Vaïsse-Cibiel : Opus cité.

71. Par « obédience », il faut entendre : lettre délivrée par un supé-rieur à un religieux appartenant à un ordre enseignant tenant lieud’un brevet de capacité. .

72 L’attitude des parlementaires toulousains ne doit pas surprendre ;à la même époque deux autres Parlements ont affirmé des droitsanalogues. Le parlement de Bordeaux, en 1609, en commettantPierre de Lancre pour réprimer la sorcellerie en Pays Basque et leParlement d’Aix-en-Provence, en 1611, en jugeant Gauffredi. .

73. Vaïsse-Cibiel opus cité. .

74. La Cour était présidée par Monsieur de Clary, à qui Toulouse doitl’édification de la somptueuse façade de l’Hôtel de Pierre. Dans lacomposition de la juridiction de jugement, on trouve tous les grandsnoms du monde judiciaire local : De Caminande, Berthier, Assézat,De Pins, Cambolas, Mansencal, Nupces….

Dr Jacques POUYMAYOU*

C’était il y a bien longtemps dans une ville du sud del’Italie. Un riche habitant n’arrivait pas à trouver lesommeil, malgré la mollesse et la fragrance de son mate-las empli de pétales de roses. Au matin, épuisé et agacé ilordonna à son esclave ( car il y avait des esclaves à cetteépoque ) d’éventrer le matelas afin de savoir pourquoi iln’avait pu dormir. Ainsi fut fait et quelle ne fut pas sasurprise de constater que le coupable de son insomnieétait un pétale de rose malencontreusement plié en deux.Il faut préciser que cet homme, au sommeil si délicat étaitun habitant de Sybarys. C’était une colonie grecque oùles fondateurs avaient débarqué vers 710 av. J.C., chasséspar la misère de leur patrie, le courroux de leurs conci-toyens, ou les deux. Ils fondèrent une nouvelle cité,comptoir commercial sur la cote d’Italie du sud, commeil y en avait beaucoup à cette époque où la Grèce sedébarrassait de bouches inutiles, de citoyens tapageurs oud’ambitieux en mal d’aventure. Ils partaient fonder desrelais commerciaux sur le pourtour méditerranéen. Au fildu temps, la cité prit une expansion telle que, aux alen-tours de 535 av J.C., ses 9 kilomètres de murailles abri-taient près de 300 000 habitants. De surcroît, elle domi-nait, entre mer Thyrénéenne et mer Ionienne les autrescités grecques de la région, soumettait quatre peuplesvoisins et vingt cinq cités qui lui payaient tribut et fondaitmême ses propres colonies qui battaient monnaie à l’ef-figie de celle de Sybarys. Ses habitants à la mollesselégendaire étaient des adeptes du plaisir considérécomme une fin en soi : des Hédonistes.Pour éviter toute « pollution sonore », les chaudronnierset autres métiers bruyants étaient bannis hors desmurailles. De même, les chiens, coqs et autres animauxtapageurs étaient interdits de séjour afin de ne pas trou-bler le repos des citoyens. Bien sûr, ces derniers s’ha-billaient d’étoffes les plus fines, les plus soyeuses etpassaient leur temps en plaisirs de la table ( Il y avaitl’élection annuelle du meilleur cuisinier, du repas le plusréussi, du mets le plus sapide ) de l’esprit et de l’art.L’Hédonisme était tellement poussé qu’un Sybaryte estrapporté avoir sué à grosses gouttes au spectacle d’unesclave en train de creuser un fossé. On conseillaitd’ailleurs à ces derniers de ne pas lever les bras trop hautde peur de se fatiguer en maniant la pioche.L’armée elle-même n’était pas en reste puisque la cavale-rie ( qui donnait à la cité la supériorité militaire sur les

villes voisines et assurait la sécurité et l’hégémonie deSybarys ) était accoutumée de danser de manière harmo-nieuse au son de la musique avec des chevaux artistes quiauraient sans doute fait le bonheur des grandes écoleséquestres comme le Cadre Noir ou l’école de Vienne.Cette prospérité devait déclencher la jalousie et l’envie deses voisines dont la plus acharnée était CROTONE. Elleprit prétexte du meurtre de ses ambassadeurs sur l’ordredu tyran de SYBARIS, TEYLIS, pour mettre sur pied unecoalition regroupant les autres cités de la Grande Grèce.Malgré la supériorité de sa cavalerie, l’armée sybarite futdéfaite. En effet un oracle disait que SYBARIS seraitvaincue par la musique. Le mystère de cette prédictionfut résolu au jour de la bataille quand un musicien trans-fuge de SYBARIS fit jouer par les troupes coalisées lamusique sur laquelle les chevaux avaient coutume dedanser. Et la supériorité de la cavalerie Sybarite disparutdans le ballet de ses chevaux permettant la victoire del’armée coalisée menée par le célèbre MILON deCROTONE76 vêtu d’une peau de lion et armé d’unemassue en hommage à HERAKLES dont on le disaitl’égal. C’était en 510 av J.C.La ville fut prise, livrée au pillage et ses habitants massa-crés ou emmenés en esclavage. Non contents de prati-quer ce rite que les ROMAINS appelleraient DEBEL-LATIO qui consistait à raser à fleur de terre tous lesbâtiments que le feu n’avait pas détruit, les vainqueurs(peine qui ne sera même pas infligée à CARTHAGE)dévièrent le cours de deux fleuves voisins pour que leurseaux viennent recouvrir le site même de la ville maudite.Aujourd’hui, les restes de SYBARIS reposent sous lelimon marécageux des eaux du COSCILE et du CRATIdont le courant se joint au vent de la mer toute prochepour faire onduler mélancoliquement les roseaux, seulmonument funéraire de ce qui fut une opulente cité.Mais SYBARIS n’est pas morte, contrairement à cequ’auraient voulu ses vainqueurs. Non seulement sonsouvenir et ses fastes vivent toujours dans l’évocation decette philosophie du plaisir qu’est l’HEDONISME (etnon l’EPICURISME comme on le pense trop souvent àtort) mais aussi et surtout dans la colonie qu’elle a fondéeà proximité et où l’on peut admirer sans doute les plusbeaux temples grecs, je veux parler de l’ancienne POSI-DONIA actuellement connue sous le nom de PAESTUM.Et les hommes ne sont pas prêts d’oublier SYBARIS, cequi est le plus grand hommage qu’on puisse lui rendre.

41

NOUVELLE : LES SYBARITES 75

75. Ou les philosophies du plaisir.

76. Jacques Pouymayou, « Milon de Cretone », revue Médecine &Culture n° 3.* Anesthésiste-réanimateur – Toulouse.

Un couple va chez un marchand de meubles et achèteune armoire. Pendant l’absence de son mari, représen-tant de commerce, la dame monte l’armoire. La maisonse trouve prés d’un arrêt de bus. Dès que l’armoire futentièrement montée, un bus passe et les étagèrestombent. La dame ne se décourage pas et remonte l’ar-moire. Le bus repasse et les étagères tombent. Excédée,elle appelle le vendeur et lui fait part de la mauvaisequalité de l’armoire qu’elle venait d’acheter. Le serviceaprès-vente lui envoie, dans la journée, un dépanneur.Celui-ci dit à la dame qu’il allait monter les étagères del’intérieur et rester un moment dans l’armoire pour voirce qui s’y passe. Dès qu’il rentre et s’enferme dans l’ar-moire, le mari qui devait être en déplacement, revientcontre toute attente à la maison. Dès qu’il entre, il ouvrel’armoire et découvre tout surpris le dépanneur quis’empresse de le rassurer en lui disant : « vous n’allezpas me croire, mais j’attends le bus !… »

Un monsieur se présente avec son fils, asthmatique, à laconsultation. Le médecin demande l’âge de l’enfant. Lepère répond, 13 ans. Le médecin étonné, demande au pèresi c’est bien 13 ans parce que l’enfant donnait l’impressiond’avoir 5 ou 6 ans, pas plus. Tout au long de la consulta-tion, le médecin redemandait au père, vous êtes sûr qu’il a13 ans, il n’a pas d’autres problèmes, hormonaux, parexemple. Non docteur, répond le père, mon fils a bien 13ans. Mais le médecin, intrigué, revenait à la charge et repo-sait les mêmes questions. Alors le père s’énerve et dit aumédecin : « docteur, vous vous occupez de l’asthme demon fils, moi, je m’occupe de sa carcasse ! »...

En fin d’hospitalisation, un patient se plaint de son bilanqu’il juge incomplet alors qu’il a subi tous les examenspossibles. Sa famille excédée lui promit qu’un jour, ilaura une « autopsie » ! Le patient ne comprend pas etdemande ce que veut dire « autopsie ». On lui dit quec’est un examen complet mais ce n’est pas pour tout desuite ! Le patient se calme et fait promettre de pratiquerl’autopsie « sous anesthésie » !

Quelques perles

Terminus : le dernier minus. J’ai passé une nuit noire. Jesuis alcoolique à l’eau. J’ai des douleurs chaque foisque je vais « au rapport ». J’ai de la « cigale » dans latête. L’extra-levure. Je n’arrive pas à respirer parl’oreille ! J’ai été opéré d’une « caracasse bilatérale »(cataracte !). Chaque fois que je suis en voiture, je mets

ma ceinture de « sécurité sociale ». La maladie d’Ei-senhower (d’Alzeihmer).Les Egyptiens transformaient les morts en momies pourles garder vivants. Les Amazones étaient comme desfemmes mais encore plus méchantes. Les empereursorganisaient des combats de radiateurs. Clovis mourut àla fin de sa vie. Charlemagne se fît châtrer en l’an 800.Les mauvais élèves étaient souvent décapités. Quandles paysans avaient payé leurs impôts, ça leur faisait ungros trou aux bourses. La mortalité infantile était trèsélevée sauf chez les vieillards. Les enfants naissaientsouvent en bas-âge. Jeanne d’Arc n’aimait pas tropqu’on la traite de pucelle. L’armistice est une guerre quifinit toujours le 11 novembre. Les Américains vontsouvent à la messe car les protestants sont très catho-liques. La Chine est le pays le plus peuplé avec unmilliard d’habitants au kilomètre carré. Pour mieuxconserver la glace, il faut la geler. Un kilo de mercurepèse pratiquement une tonne. Le passage de l’étatsolide à l’état liquide est le niquéfaction. La climatisa-tion est un chauffage froid avec du gaz, sauf que c’estle contraire. Les fables de La Fontaine sont si anciennesqu’on ignore le nom de l’auteur. Les Français sont debons écrivains car ils gagnent souvent le prix Goncourt.Les peintres les plus célèbres sont Mickey l’Ange et leHomard de Vinci. Pour faire des œufs, la poule doit êtrefermentée par un coq. Les poissons sont bien adaptés àl’eau ; on dit qu’ils ont le pied marin. Grâce à la struc-ture de son œil, un aigle est capable de lire un journal à400 mètres. La femelle du corbeau s’appelle lacorbeille. Après un accident de voiture, on peut êtrehandicapé du moteur. Socrate et sa célèbre « maillo-tique ». Socrate a bu l’Agora.

42

HUMOUR

La foire aux illuminés, de Pierre-André Taguieff, (Essai, Edition mille et une nuits),612 pages, 23 euros.La foire aux « Illuminés » porte sur la production, la circulation et la réception de cesproduits ésotérico-complotistes ordinairement négligés ou méprisés par les travauxuniversitaires. L’auteur nous invite à explorer ce qu’il faut bien appeler le bazar del’ésotérisme, cette nouvelle culture populaire massivement diffusée sur Internet. Cestock de rumeurs, de légendes et de croyances ne cesse d’être exploité par des entre-preneurs culturels spécialisés dans « l’ésotérisme » au sens ordinairement vague etattrape-tout du terme, renvoyant à « tout ce qui exhale un parfum de mystère ».

Une rage d’enfant, de André Glucksmann, (Editions Plon), 290 pages, 19,5 euros.Sur la photo, il a quatre ans et plusieurs identités. Qui est-il ? Où est-il ? Occupation.Libération. Révolution. Dissidence. Par deux fois l’enfant choisit la France puis s’in-vente des parrains poètes : Hugo, Baudelaire, Mallarmé. À ses yeux, le crime d’indif-férence – le pire parce qu’il autorise tous les autres – est porté par le double aveugle-ment de ceux qui trouvent que le monde tourne définitivement rond et de ceux qui ledécèlent incurable. ‘Je ne suis pas prophète d’apocalypse, tout juste un penseur auxaguets’.

Telling, La Grande Intrigue – II de François Taillandier, (Edition Stock), 220 pages,15 euros.L’histoire de cinq familles racontée sur cinq générations. Tel est le projet ambitieux de‘La Grande Intrigue’ avec laquelle François Taillandier renouvelle le roman familial etsociologique. Les événements relatés se situent entre 1955 et 2010 et se déroulent danscinq types de lieux : le monde rural, la province, la ville classique, la banlieuemoderne, l’espace mondialisé.

« Entre les murs » de François Bégaudeau, (Editions Verticales), 270 pages, 16,90 euros. Prix France Culture – Télérama.‘‘Entre les murs’’ s’inspire de l’ordinaire tragi-comique d’un professeur de français.Dans ce roman, au plus prés du réel, François Bégaudeau révèle et investit l’état brutd’une langue vivante, la nôtre, dont le collège est la plus fidèle chambre d’échos ettrace le portrait en miroir d’élèves impertinents et de profs ironiques ou blasés.

« Cent ans de Pneumo-Phtisiologie dans les Hôpitaux de Toulouse (1905-2005) »du Pr André Delaude et du Pr Paul Léophonte (Editions Hôpitaux de Toulouse),Cellule communication, Hôtel-Dieu, Toulouse.Cet ouvrage fait le récit des étapes successives depuis le projet initial de création d’unsanatorium en 1905 puis du bloc de phtisiologie à l’Hôpital Purpan, fonctionnel àpartir de 1946 et ensuite du regroupement à l’Hôpital Larrey en une entité unique, laClinique des voies respiratoires.

43

LES LIVRES

Dr Laurent ARLET** Rhumatologue. Toulouse

L’image est une ressemblance, la photographie est unregard, elle n’est jamais la réalité, elle est toujours unregard sur la réalité, une manière de s’approprier laréalité.Cette série de clichés rassemble des photographiesautour de la couleur, de la manière d’utiliser lacouleur en photographie.Comme le peintre qui utilise ses tubes de couleur etses pinceaux et comme il peut maintenant utiliserl’ordinateur et la souris, je me sers de la matière queje rencontre : verre de différentes natures, glace,carrosserie de voiture, pour jouer à la fois sur lesupport souvent irrégulier mais aussi sur les jeux delumière et de couleur.C’est Brassai qui a pu dire à propos de la couleur enphoto-graphie : « si l’on veut faire de la couleur enphoto, ce n’est pas du sujet qu’il faut partir, mêmes’il se prête à la couleur, car ce sera toujours un«sujet», un «document» en couleur, mais de lacouleur même, des couleurs en liberté qui vous

44

REFLEXIONS SUR… LA PHOTOGRAPHIE

donnent parfois la sensation d’un tableau bien peint,même si le sujet par lui-même n’a aucune espèced’intérêt, n’est qu’un simple support de la couleur ».Certaines de ces photographies paraîtront peut-être lefruit d’un travail de retouche numérique ou de super-position de négatif. Or il n’y a que celui du regard etde sa prolongation digitale jusqu’au déclencheur. Ceque l’œil a perçu dans les limites du cadre qu’il achoisi, vous est restitué sans artifice.La photographie ne sera jamais la réalité, elle ne doitpas l’être et c’est ainsi qu’à l’instar des autres formesd’art, elle acquiert lentement ce statut ; Car, derrièrel’appareil photographique, il y a toujours uneémotion, émotion du moment, selon l’humeur dumoment, émotion de l’instant devant ce qui est vu etce qui est perçu. Un instant miraculeux, rencontremystérieuse du regard et de la lumière, alchimieidéale, un instant de perfection que la photographienous permet de prolonger et qui permet le partage.L’art est à l’état latent dans la nature, dans la naturecréée ; il nous dépasse et nous submerge ; l’hommeen contemplation perçoit cet art immanent et setrouve alors en état de le transmettre.

Arobace

Réflexion

Impressionisme

Clocheraux quatre reflets

■ De bouche à oreilles

Serge KRICHEWSKY*

Dans l’œuvre de Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791), la voix occupe une place centrale. Place essen-tielle, due à une philosophie de la transparence dudiscours musical ; et structurelle car en Europe à sonépoque, plus encore qu’à la période baroque, toutemusique n’était plus que mélodie accompagnée. Durantquelques 620 numéros d’opus, toutes les formes serontbonnes au musicien pour magnifier l’expression de lavoix humaine ou instrumentale. Ainsi, la mélodiemozartienne sera le carrosse d’orsur lequel la voix immortelle ducompositeur traversera, immaté-rielle, les lieux et les siècles.

Les Lumières, la lumière

Cet homme si sensible auxLumières de la fin du XVIIIe siècle– notamment après son initiation àla franc-maçonnerie en 1784 – avaitlui-même fait vœu de la clarté laplus pure pour sa musique. C’est unprocessus historique complexe qui apermis à un génie commeMOZART de laisser une œuvre à lafois profondément humaine(certains l’ont comparée à celle deSHAKESPEARE) et d’une délica-tesse proche de l’apesanteur. Car legénie n’explique pas tout.MOZART fut très proche du dernier fils de J.S. BACH,Jean-Chrétien dont il partageait le goût pour la musiqueitalienne ; surtout, il fut l’élève et l’admirateur deJoseph HAYDN. Celui-ci, de 24 ans son aîné, lui survi-vra et sera le seul, en voyage à Londres, à passer la nuitde Noël 1791 à le pleurer. Le seul probablement à avoirpu prendre la mesure de la personnalité musicale deWolfgang. Il faut ici corriger le mythe de la «facilité» etde la «divine inspiration» qui colle encore trop àl’image du prodige. Doté de capacités d’assimilationhors du commun, s’appuyant sur une mémoire et uneculture exceptionnelles, MOZART fut aussi toute sa vie

un travailleur acharné, un explorateur de formes et untechnicien accompli de l’art musical. Malgré l’indiffé-rence croissante du public viennois, son art fut abouti aupoint de nous faire oublier la moindre trace de cetravail.

De tous, peut-être le plus grand

Tous les grands compositeurs de l’histoire de lamusique, indépendamment des lieux et des époques, ontreconnu la portée immense de l’œuvre de MOZART,proportionnelle à l’humilité de son auteur. La grandeurde Jean-Sébastien BACH, dont une bonne part de laproduction repose sur la musique d’église protestante

(cantates, messes et passions,musique d’orgue) ne peut s’apprécierpleinement sans une approche de laliturgie luthérienne. En revanche, parla pluralité des genres abordés, l’im-médiateté et la clarté de son langageavant tout mélodique, la musique deMOZART semble avoir atteint unecertaine forme d’universalité dontpeu d’êtres humains, mêmes excep-tionnels, peuvent se prévaloir. «Lamusique doit humblement chercher àfaire plaisir… L’extrême complica-tion est le contraire de l’art. Il fautque la beauté soit sensible, qu’ellenous procure une jouissance immé-diate… Voyez Léonard de VINCI,voyez MOZART.» ClaudeDEBUSSY, l’auteur de ces lignes sijustes ne put obtenir que la recon-

naissance respectueuse des musiciens et d’une poignéede mélomanes, seuls aptes à apprécier son génie plushermétique.

« Celle-ci chante pour le cœur »

Aloysia WEBER, belle-sœur de MOZART fut le grandrendez-vous manqué de la vie amoureuse du musicien,et tout au plus une de ses interprètes de prédilection. Ilse consola en composant à plusieurs reprises pour savoix des arias d’opéra et des airs de concert. Parmi lesplus beaux, on trouve le très intime «Nehmt MeinenDank» (K383), un miracle de simplicité et de sensualitévocale au charme insaisissable, qui se referme sur cesmots tremblants : « À jamais, mon cœur restera avecvous.» À chacun son cœur, à tous le cœur deMOZART…

45

MUSIQUE

* Serge Krichewsky est hauboïste à l’Orchestre National du Capitole deToulouse. Il y a été reçu en 1995 après des études au Conservatoire deMusique de Paris. Avec quelques collègues, il a fondé en novembre 2000la saison de musique de chambre « Les Clefs de St Pierre » qui se dérouleà l’Auditorium St Pierre des Cuisines de Toulouse

Si l’œuvre de MOZART est, sur le plan philosophiqueune question sur ce que peut être la beauté dans le plusabstrait des arts – la musique, elle est en même tempsune réponse, une des réponses possibles, mais ôcombien définitive et limpide à cette question. Sur leversant humain, nous nous trouvons en face d’uneénigme autrement insoluble : celle du génie. Un autreViennois célèbre, devenu lui aussi indésirable aux Vien-nois, refusa de s’y attaquer sérieusement. Il ne connutpas MOZART si ce n’est par le hasard des commémo-rations, et il s’y entendait peu en musique. SigmundFREUD était lui aussi un homme de parole et, dansd’autres sphères, il avait une assez bonne oreille !Pour longtemps encore, la voix de MOZART nous parlepar la bouche de ses interprètes et murmure à nosoreilles. À travers elles, sa musique touche à la foisnotre esprit, notre sens et notre cœur, avec plénitude etsimplicité. Et dans l’environnement sonore d’aujour-d’hui, cette musique est une des rares à pouvoir encorenous apporter quelque sérénité, à permettre à la grâce denous effleurer de son aile.

■ Mozart a beaucoup nuià la musique

Didier DESCOUENS*

Titre iconoclaste, s’il en est, pour un 250e anniversaire.Pour continuer dans la même veine nous pourrionsajouter : il n’est pas le seul. La liste pourrait s’enrichirde Jean-Sébastien Bach voire de François Couperin.Non pas qu’ils aient été mauvais voire même qu’ilsaient eu l’intention de nuire, c’est tout le contraire. Ilsont été bons, très bons, et pour Mozart, le meilleur quiait jamais existé. Malgré eux et sans en prendre vérita-blement conscience, ils ont été des géants dont l’ombrea étouffé toute végétation à leur pied. On écoute duCouperin sans savoir que ce patronyme a été celuid’une dynastie de musiciens parmi les plus prolifiquesqui aient existé de 1586 à 1860, avec au moins 14compositeurs ou compositrices. On écoute du Bach,mais qui se souvient des glorieux aïeux de Jean-Sébas-tien et qui connaît les noms des fils et des descendants?Et Mozart ? Nombreux sont ceux qui connaissaient lepère Léopold, et pour cause ! Mais qui connaît le fils ?Car des fils il y en a eu. Comment alors exister, surtouten tant que musicien, dans l’ombre de ce père. Ce sontces deux êtres, mal connu pour le premier, totalementoublié pour le second, dont j’aimerais vous dire un motet défendre la mémoire.

Léopold MozartParadoxalement, la tâche estplus difficile pour Léopoldcar on croit le connaître. Dansson film Amadeus, MilosForman a esquissé uneapproche intéressante maistrès orientée du personnage.Psychorigide, sans cœur,parfois haineux, autant declichés qui cadrent mal avec

la réalité historique. Comme son fils, Léopold sera reçupar l’intelligentsia viennoise en tant que franc-maçon.Sur des arguments contraires, on peut en déduire qu’ilsétaient meilleurs juges, non seulement pour apprécierses valeurs, mais parce qu’ils étaient ses contemporains.Cependant, si vous avez la curiosité de connaîtreLéopold, il est plus facile et surtout plus agréable des’intéresser à sa musique que de lire sa correspondance.Là, tout bascule et le musicien prend de l’ampleur. Premier trait : Léopold est un des plus grands péda-gogues de son temps pour ses enfants - ce qui sera sonplus grand titre de gloire - mais aussi pour avoir mis aupoint une méthode de violon qui succède aux travaux deTartini et restera la base de l’enseignement de cetinstrument pour longtemps.Second trait : sa musique est l’antithèse du personnagesombre et triste qu’on présente habituellement. Elle estextraordinaire, surtout au regard de la production de sescontemporains. Quelques oeuvres ont été, par erreur,attribuées à son fils comme la symphonie K.17. « Lasymphonie des jouets » longtemps attribuée à JosephHaydn est également l’œuvre de Léopold. C’est unesymphonie très originale qui cherche et recrée avecbonheur l’environnement ludique de l’enfance. Léopold s’intéressera toute sa vie à la musique descrip-tive et fera de l’originalité un système. Il nous gratified’une ‘symphonie campagnarde’, le mariage paysan.Le comble réside dans la ‘symphonie de la chasse’ où ilrecommande expressément de tirer quelques salves demousquets, à des moments bien précis sur la partition etjuge utile de faire venir une meute de chiens pour lesfaire aboyer, là aussi, à des endroits strictementmarqués pendant six mesures. Il avait ajouté qu’il seraitsouhaitable que les cornistes qui s’étaient vus pour l’oc-casion, attribuer un cor de chasse jouent aussi fort quepossible. Cette œuvre est peu souvent donnée, on lecomprend aisément.Il a exploré des voies extraordinaires pour l’époque, quidevaient en faire un John Cage ou un Ligeti de sontemps. Il a écrit des concertos pour Tympanon, desconcertos pour cornemuse, et pour… cor alpestre. Lecor alpestre est un instrument charmant de 4 à 5 mètresde long, taillé dans un tronc d’arbre dans lequel on

46

*Oto-Rhino-Laryngologiste - Toulouse

souffle avec vigueur pour tenter d’obtenir cinq notes demusique, pas une de plus. Ainsi, si Léopold a bien reçula lumière, on peut dire qu’auparavant, il était déjà unpeu « allumé » !

Franz Xaver MozartTriste privilège d’être, destrois Mozart, le plusméconnu. Sa production restetrès discrète et réservée à descollectionneurs. Beaucoupmoins fantasque que songrand père, difficile héritierde son père, il ne déméritepas et va illustrer le passage

du classicisme vers le romantisme. Il ne connaîtra nison grand père ni son père car il naît en juillet 1791 etson père meurt en décembre. Son destin sera forgé parsa mère Constance qui est la première instigatrice dumythe Mozart, aidée en cela par son nouvel époux toutacquis à cette cause. Il lui fallait un musicien pourparachever cette œuvre. Elle choisira entre ses deux fils, Karl et Franz Xaver, leplus jeune. Non parce qu’il fût le meilleur mais parcequ’il était plus malléable. Elle va reproduire les mêmesschémas d’éducation qu’elle avait tant reproché àLéopold pour son fils Wolfgang. Elle va lui donner lesmeilleurs maîtres de musique viennois de l’époque,Joseph Haydn, Antonio Salieri - l’éternel rival de

Mozart qui se consolera en enseignant la musique à sonfils -, Abrestberger qui sera le maître de musique deBeethoven et surtout Johan Nepomuk Hummel. Avec detels maîtres, il ne pouvait être que bon musicien et il futaussi un bon pédagogue. Sa mère exigera de lui qu’ilsigne ses compositions du nom de son père. Mêmelibéré de la tyrannie de sa mère, lorsqu’on lui demandaitde produire une œuvre, c’était pour l’inaugurationd’une statue de son père ou d’une rue qui portait sonnom, mais jamais avec son prénom.De ces deux musiciens, seul Léopold avait choisi saplace. Il avait accepté de laisser le pas à son fils qu’ilavait, en grande partie, fabriqué. En ce qui concerneFranz Xaver il n’en fut pas de même : sa place lui a étéimposée par sa mère mais c’est surtout son père qui l’aétouffé. Cet arbuste de bonne lignée, au berceau duquel tant debons et prestigieux pédagogues s’étaient penchés, auraitdû devenir un arbre puissant. Mais où qu’il aille,l’ombre portée de son père ne lui a pas permis decroître.La conclusion peut paraître paradoxale voire triviale,mais elle est intéressante à plus d’un titre. Si aujour-d’hui, nous pouvons réhabiliter ou du moins approchercertains musiciens méconnus, la palme en revient auC.D. Ce nouveau support a permis une large démocra-tisation de la musique et de porter sur elle une vuesynoptique qu’aucune génération avant la nôtre n’a puavoir.

47

■ L’incrédulité chronique du spectateur

Stéphane SOUCHU*

Quelle est la place tenue aujourd’hui par la croyance aucinéma ? Quel crédit accorde-t-on encore aux histoiresqu’il nous raconte ? En préambule à quelques réflexionsthéoriques, évoquons une image : celle d’une salle quiretient son souffle dans l’obscurité… et sursaute soudaincomme un seul homme. Puis quelques rires fusent ; ça serelâche dans les fauteuils, avant de se crisper à nouveau.On sait sur quel type de fréquence électrique peut seretrouver branchée une salle de cinéma. À l’affiche ? Ledernier film d’horreur à voir ce mercredi : Horribilis, quisera dès la semaine suivante concurrencé par unenouvelle sortie - Reeker, Mortuary, Silent Hill, ou autreDestination Finale 377… Car le cinéma d’horreur se

porte bien, en salles comme en vidéo-club. L’offre estsoutenue, son succès ne se dément pas, il ne s’est jamaisdémenti. Cette pérennité est une exception dans lecinéma de genre, expression désuète et vague quiconvient ici parfaitement pour définir clairement unensemble de films.Et quand il eut passé le pont, les fantômes vinrent à sarencontre, disait un intertitre de Nosferatu le Vampire, lefilm réalisé par Murnau en 1922. En 2006, il semble quele public ne se lasse pas de franchir ce pont en entrantsimplement dans la salle, pour s’asseoir et attendre quese manifeste brutalement quelque apparition, afin de serepaître de sensations. Rappel : d’une manière générale, les films sont faits pournous raconter des histoires, car le cinéma produit cetincomparable effet de réel qui nous permet d’y croire.D’un côté, il y a le réalisme («objectif» dans le sensphotographique du terme) combiné au mouvement, de

CINEMA

* Critique de cinéma77. Exemples de films sortis en France entre fin mars et début juin2006.

48

l’autre, la salle et la projection - un dispositif qui exercesur le spectateur une contrainte suffisante pour capter etmaintenir son attention. Près de 20 ans après l’inventiondu cinématographe, les principaux procédés de narrationqui ont cours encore aujourd’hui étaient codés. Lecinéma de fiction est assurément irrésistible, notre atten-tion durablement captive de ses effets. Mais le fil de lacroyance qui nous lie aux images de cinéma est devenuaujourd’hui ténu et comme évanescent ; le film d’horreuret ses modalités expriment ce syndrome sous la formed’un paradoxe.La pérennité du genre-horreur s’explique avant tout parl’effet d’un renouvellement continuel du public teenageraméricain et mondial auquel il s’adresse principalement.Il se décline en différentes sous-catégories, parmilesquels le slasher qui, de par ses succès, apporte régu-lièrement la preuve d’une excellente adéquation marke-ting. En général, il met en scène des lycéens sur leurcampus ou en vacances, devenant les proies d’un tueuren série qui les extermine les uns après les autres.Le slasher use et abuse de ses effets, à commencer parcelui qui consiste à prendre le spectateur par surprise.Tueur derrière la porte, sous la banquette, au téléphone,quiproquos (mais non ce n’est pas le tueur : ce n’est que lelivreur de pizzas). Le slasher poursuit un objectif quasi-ment exclusif : produire de la sensation pure. Il instru-mentalise l’effet-cinéma à cette fin, et en joue commed’un ressort strictement psychophysiologique auprès d’unpublic averti et consentant (ces films, américains pour laplupart, sont produits dans des conditions d’expertise et derationalisation toutes hollywoodiennes). La croyanceaccordée naturellement à l’image cinématographique estpoussée à sa limite, à son point de rupture ; le film mènele spectateur au seuil d’une béance psychologique parl’angoisse qu’il suscite, amplifiée par le collectif de lasalle. Jusqu’au «Bouh !» dans l’image qui fait hurler oubondir, instant de décharge et de délivrance. Et cela, adlibitum. La phase d’adhésion à l’image est enchaînée à unrecul ; le cri de surprise ou d’effroi est toujours doubléd’un rire, de qui se reprend et s’amuse de s’être une foisde plus laisser prendre au pouvoir de suggestion cinéma-tographique - phénomène bien connu. C’est dans ce dédoublement que l’adolescent-spectateurexpérimente objectivement ses propres réactions, et tiredes films un enseignement essentiel sur leur fonctionne-ment. En expérimentant l’effet plutôt qu’en enrecueillant le sens de manière inconsciente et globale-ment subie, il casse de lui-même le fil qui le relie auximages. On peut mettre en avant l’aspect transgressif, lespectacle de la violence, l’interdiction aux mineurs pourévoquer le caractère initiatique de ce type de cinéma.Mais l’important ici, c’est d’apprendre à se détacher dece qu’on voit sur un écran. On parle de crise d’ado pourdécrire la fronde d’un jeune contre des personnes,

figures d’autorité. On pourrait aussi bien appliquer l’ex-pression à cette forme de défiance contre le pouvoir desimages qui se seront jusqu’alors imposées à l’enfantqu’il était, avec au moins autant de péremption que laparole des adultes. Le film d’horreur fait donc office de passerelle entredeux modes de consommation audiovisuelle. Le premierest inconditionnel et passif, c’est celui de l’enfance. Lesecond est celui de l’adolescence : il est critique etdistancié. Là réside le paradoxe : venu chercher desémotions fortes, le jeune spectateur acquiert un savoirsur les films, mais ce mûrissement est déjà synonymed’une lassitude. En 1996 sortait sur les écrans français Scream, réalisépar Wes Craven, qui allait relancer la vogue du slasher.Le succès considérable rencontré par ce film entraîna laproduction de Scream 2, puis de Scream 3. Mais la sagaa connu des avatars plus remarquables, avec la série desScary Movie entamée en 2000 (le n°4 est sorti en juin2006). Les Scary Movie sont des films parodiques dugenre horreur, conçus pour récupérer le public fatigué deses effets d’épouvante, en lui offrant l’alternative de ladérision et du pastiche. Cette série n’a pas de lien directavec Scream, si ce n’est qu’elle le cite à titre de modèle,parmi de nombreuses autres références à détourner.Là, rien de bien nouveau, car depuis au moins 20 ans enFrance, le second degré foisonne à la télé comme aucinéma. Néanmoins, cet enchaînement de films est révé-lateur d’une logique à long terme de conditionnement dujeune spectateur, suivi de très prés dans son évolution,pour se voir toujours proposer le bon produit au bonmoment.La croissance ininterrompue de l’offre audiovisuelle a detoute façon modifié en profondeur notre appréhensiondes images. À leur multiplication répond une certainequalité d’attention qui relève plutôt de laconsommation : experte, flottante, versatile. Il estdevenu difficile d’établir des critères solides pourévaluer un film, car il y a trop de films, trop de sourcesd’images. Une tradition de la critique est ébranlée : cellequi distinguait des auteurs, des chefs d’œuvres, et garan-tissait au spectateur le sérieux, le sublime.Nous sommes et demeurons aujourd’hui à l’état d’ado-lescence vis-à-vis des films ; nous oscillons entre amuse-ment et incrédulité. La veine parodique prospère sur lesruines de la croyance perdue en l’image, support dumythe, des récits édifiants, mais aussi de l’Art. L’enfancerévolue du spectateur nourri de fictions, d’identificationsimaginaires prodiguées par la télé et le cinéma (quiauront en grande partie forgé sa personnalité), débouchesystématiquement sur une posture de non-dupe. C’est untrait caractéristique et prédominant du spectateurcontemporain.