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Nutr Clin M6tabo11999 ; 13 Suppl i : 35-7 © 1999l~ditions scientifiqueset m6dicales Elsevier SAS. Tous droits r6serv6s Journ~e ~ducationnelle M dicaments et nutrition parent rale Jean-Christophe S6guier Service d'anesthdsie-rOanimation, centre hospitalier intercornrnunal Poissy-Saint-Germain-en-Laye, 20, rue Armagis, 78105 Saint-Germain-en-Laye cedex, France alimentation parent~rale / compatibilite / m6dicaments / risque Drugs and parenteral nutrition drugs interactions / parenteral nutrition / risk Depuis l'alerte s6curitaire de la Food Drud Adminis- tration (FDA) en avril 1994 rapportant deux d6c6s et deux ddtresses respiratoires aigu~s survenues chez des patients recevant des m61anges ternaires, des pr6cautions concernant les ajouts d'ions dans les 6mulsions nutritives ont 6t6 ddvelopp6es par les pharmaciens. Cependant, Mirtallo [1] ddclarait que <~ les pharmaciens 6taient dans la position inconfor- table de r6aliser des poches nutritives sans disposer de donn6es suffisantes sur leur stabilit6 >>.Cet auteur insistait sur le fait que les 6tudes de compatibilit6 des m6dicaments et des mdlanges nutritifs concer- naient surtout les solutions et non les 6mulsions nutritives. En France, l'alimentation parentdrale est essentiellement r6alis6e avec des m61anges ternaires (lipides, glucides, acides amin6s) comprenant aussi des ions, des oligo616ments, voire des vitamines. De nombreux mddicaments sont utilis6s concomi- tamment. Peu de ddclarations d'interfdrences mddi- camenteuses sont faites aux centres de pharmaco- vigilance ; cependant, le pharmacien et le prescrip- teur s'interrogent souvent sur la compatibilit6 du m6dicament avec l'6mulsion nutritive. COMMENT ET POURQUOI SONT PRESCRITS DES MI~DICAMENTS PARALLI~LEMENT AUX NUTRITIONS ARTIFICIELLES ? L'administration peut avoir lieu en dehors du conte- nant du m61ange nutritif selon plusieurs modalitds : - en injection intraveineuse directe (IVD), le prin- cipe actif plus ou moins concentr6 est alors en solu- tion, plus rarement en 6mulsion ; le temps de contact avec le m61ange nutritif est assez court (de quelques secondes a quelques minutes) ; - en administration continue en << Y ~> p a r l ' i n t e r m 6 - diaire d'une pompe 61ectrique, le produit est dilu6 dans une seringue de 20 5 60 mL ou une poche de 100 ~ 250 mL. Le temps de contact m6dicament- 6mulsion nutritive varie de quelques minutes ~ plu- sieurs heures, le d6bit est r6gulier ; l'utilisation d'une pompe type patient control analgesia (PCA) pourra faire varier le d6bit du m6dicament ; - en administration continue en ,<Y >> par l'interm6- diaire d'une << miniperfusion ~, le produit est alors dilu6 dans 50 ?~ 250 mL. Le temps de contact m6dicament-6mulsion est plus court (de quelques minutes ~ 1 heure), le d6bit est plut6t irr6gulier. Le m6dicament pent Otre inject6 dans le m61ange lui- m6me, qu'il soit binaire ou ternaire. Le temps de contact m6dicament-6mulsion est alors de plusieurs heures (sup6rieur h 24 heures le plus souvent). Jusqu'~ pr6sent, les m61anges fabriqu6s par les pharmaciens 6taient directement sous leur responsabilit6 et leur garantie, l'arriv6e des m61anges ~ compartiment6s ~, suppl6ment6s ~ au lit du malade, pourrait accrottre le risque d'interactions en l'absence d'information des praticiens et poser un probl6me de responsabilit6. En France, on 6value ~ 2 000 000 le nombre de journ6es annuelles de nutrition artificielle intravei- neuse. Les principales indications de soutien nutritif recouvrent la chirurgie, la r6animation, la canc6ro- logie, la gastroent6rologie et l'infectiologie. Les rai- sons des prescriptions m6dicamenteuses connexes lots de l'administration des m61anges nutritifs sont 35s

Médicaments et nutrition parentérale

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Nutr Clin M6tabo11999 ; 13 Suppl i : 35-7 © 1999 l~ditions scientifiques et m6dicales Elsevier SAS. Tous droits r6serv6s

J o ur n~ e ~ d u c a t i o n n e l l e

M dicaments et nutrition parent rale

J e a n - C h r i s t o p h e S6guier

Service d'anesthdsie-rOanimation, centre hospitalier intercornrnunal Poissy-Saint-Germain-en-Laye, 20, rue Armagis, 78105 Saint-Germain-en-Laye cedex, France

alimentation parent~rale / compatibilite / m6dicaments / risque

Drugs and parenteral nutrition drugs interactions / parenteral nutrition / risk

Depuis l 'alerte s6curitaire de la Food Drud Adminis- tration (FDA) en avril 1994 rapportant deux d6c6s et deux ddtresses respiratoires aigu~s survenues chez des patients recevant des m61anges ternaires, des pr6cautions concernant les ajouts d'ions dans les 6mulsions nutritives ont 6t6 ddvelopp6es par les pharmaciens. Cependant, Mirtallo [1] ddclarait que <~ les pharmaciens 6taient dans la position inconfor- table de r6aliser des poches nutritives sans disposer de donn6es suffisantes sur leur stabilit6 >>. Cet auteur insistait sur le fait que les 6tudes de compatibilit6 des m6dicaments et des mdlanges nutritifs concer- naient surtout les solutions et non les 6mulsions nutritives. En France, l 'alimentation parentdrale est essentiellement r6alis6e avec des m61anges ternaires (lipides, glucides, acides amin6s) comprenant aussi des ions, des oligo616ments, voire des vitamines. De nombreux mddicaments sont utilis6s concomi- tamment. Peu de ddclarations d'interfdrences mddi- camenteuses sont faites aux centres de pharmaco- vigilance ; cependant, le pharmacien et le prescrip- teur s ' interrogent souvent sur la compatibilit6 du m6dicament avec l'6mulsion nutritive.

COMMENT ET POURQUOI SONT PRESCRITS DES MI~DICAMENTS PARALLI~LEMENT

AUX NUTRITIONS ARTIFICIELLES ?

L'administration peut avoir lieu en dehors du conte- nant du m61ange nutritif selon plusieurs modalitds : - en injection intraveineuse directe (IVD), le prin- cipe actif plus ou moins concentr6 est alors en solu-

tion, plus rarement en 6mulsion ; le temps de contact avec le m61ange nutritif est assez court (de quelques secondes a quelques minutes) ; - en administration continue en << Y ~> par l 'interm6- diaire d 'une pompe 61ectrique, le produit est dilu6 dans une seringue de 20 5 60 mL ou une poche de 100 ~ 250 mL. Le temps de contact m6dicament- 6mulsion nutritive varie de quelques minutes ~ plu- sieurs heures, le d6bit est r6gulier ; l'utilisation d 'une pompe type pat ien t control analgesia (PCA) pourra faire varier le d6bit du m6dicament ; - en administration continue en ,< Y >> par l 'interm6- diaire d 'une << miniperfusion ~, le produit est alors dilu6 dans 50 ?~ 250 mL. Le temps de contact m6dicament-6mulsion est plus court (de quelques minutes ~ 1 heure), le d6bit est plut6t irr6gulier.

Le m6dicament pent Otre inject6 dans le m61ange lui- m6me, qu'il soit binaire ou ternaire. Le temps de contact m6dicament-6mulsion est alors de plusieurs heures (sup6rieur h 24 heures le plus souvent). Jusqu'~ pr6sent, les m61anges fabriqu6s par les pharmaciens 6taient directement sous leur responsabilit6 et leur garantie, l 'arriv6e des m61anges ~ compartiment6s ~, suppl6ment6s ~ au lit du m a l a d e , pourrait accrottre le risque d'interactions en l 'absence d'information des praticiens et poser un probl6me de responsabilit6.

En France, on 6value ~ 2 000 000 le nombre de journ6es annuelles de nutrition artificielle intravei- neuse. Les principales indications de soutien nutritif recouvrent la chirurgie, la r6animation, la canc6ro- logie, la gastroent6rologie et l'infectiologie. Les rai- sons des prescriptions m6dicamenteuses connexes lots de l 'administration des m61anges nutritifs sont

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en relation avec les pathologies et les caract6ris- tiques des malades : - la mauvaise qualit6 de l'acc6s veineux p6riph6- rique et la raise ?a disposition d 'un acc6s veineux cen- tral par cath6ter extdrioris6 ou implant6 ; - l a limitation de l 'apport hydrique, cons6quence d'une pathologie cardiaque, rdnale ou de la ddnu- trition elle-mame ; - la diminution du nombre d 'ouverture du systbme clos, patient-poche de nutrition, par l 'adjonction du m6dicament dans le mdlange a probablement deux avantages : un gain de temps pour le personnel infir- rnier, une diminution du risque infectieux. Ce der- nier point est contest6, en ce qui concerne le coot- efficacit6, pour les malades de r6animation [2].

QUELS SONT LES RISQUES ?

L'6tude de Collins et Lutz [3] en 1991, r6alisde in vitro par injection de ph6nytoi'ne en ~<Y ~> sur un rn61ange nutritif, montre que, mOme avec un cathdter double lumibre, survient un pr6cipit6 form6 de cris- taux ac6rds au niveau des deux orifices internes du cath6ter. L'dloignement des orifices, lors de l'utili- sation de cath6ters triple lumibre, semble diminuer ce risque de prOcipitation. Deux cas de ddc6s et d'incidents respiratoires, rapport6s en 1994 aux t~tats-Unis [4], sont en rapport avec la survenue de prdcipit6s.

La modification de la biodisponibilit6 du mddica- ment peut Otre due ~t des interactions m6dicaments- mdlange nutritif, ou ~ l 'absorption du mddicament sur la surface du contenant du mdlange nutritif. C'est le cas de la somatostatine qui, inject6e dans une poche en EVA comparat ivement ~ un flacon en verre, volt sa concentration diminuer d 'un facteur 10 dans les premieres secondes [5].

La ddstabilisation des dmulsions peut Otre soit r6versible (ph6nom6ne de crdmage puis de flocula- tion), soit irr6versible (coalescence puis sdparation de phase) avec formation de globules graisseux dont les diambtres ne sont plus comparables ~ ceux des chylomicrons et deviennent incompatibles avec la microvascularisation pulmonaire (risque d 'embolie pulmonaire [6]).

QUELLES SONT LES CONDITIONS PHARMACEUTIQUES REQUISES ?

Le pharmacien ou le m6decin ne peuvent prendre le risque d'interactions m6dicamenteuses, de modifica- tions de la biodisponibilit6, d'obstructions du cath6- ter ou d'embolies pulmonaires. En cons6quence, des 6tudes physicochimiques sont indispensables avant

d'autoriser l'utilisation de l '6mulsion de nutrition artificielle (NA) comme vecteur m6dicamenteux. Deux cat6gories de tests sont ~ pr6voir, 6tant entendu que la stabilit6 des m61anges ternaires air 6t6 test6e auparavant, lors d 'une administration en <(Y ~ et lors d 'un contact prolong6 du m6dicament dans une 6mulsion. Ces 6tudes devraient ~tre r6ali- s6es sur la phase lipidique, sur la phase aqueuse et sur le m6dicament lui-m6me. L'observation visuelle du m61ange h la recherche d 'une d6stabilisation de l'6mulsion est n6cessaire mais insuffisante [6]. L'ana- lyse granulom6trique par diffraction de la lumibre laser, de la dispersion de taifle des globules et la quantification de la population de globules de taille sup6rieure h ] microm6tre sont h appliquer sur la phase lipidique [7]. Sur la partie aqueuse, la confor- mit6 /t la formule, le pH, l 'osmolarit6, la recherche de pr6cipit6s ou d 'une opalescence par turbidim6trie sont / t prendre en consid6ration. Sur le m6dicament lui-m6me, une 0valuation de l 'absence de d6grada- tion du principe actif ou d 'une modification de ses param6tres pharmacocin6tiques est indispensable. Ces 6tudes sont ~ r6aliser ~ 4 °C, 5 tempdrature ambiante et pour des temps de contact variant de quelques minutes ~ trois jours.

QUELS MI~DICAMENTS PEUT-ON UTILISER LORS DES NUTRITIONS ARTIFICIELLES ?

En consid6rant les recommandations 6nonc6es pr6c6demment concernant les mdlanges ternaires, aucune 6tude ne semble y satisfaire hormis l '6tude de Ritchie et al. [7] concernant l 'adjonction d'ac6tate d'octr6otide, mais darts un mdlange ternaire peu dos6 en lipides (3 %). Les 6tudes dont on dispose sont ax6es sur la biodisponibilit6 du m6dicament et sur l'dtude visuelle de l '6volution de l'6mulsion. Sont actuellement miscibles dans certaines poches de NA ternaires et pour moins de 24 heures : l 'aminophyl- line (en m61ange ternaire sans vitamines et 616ments traces, en moins de 24 heures), l 'ampicilline sodique (en 6mulsion avec vitamines et 6ldments traces), la cimdtidine (~ dose inf6rieure ~ 1 200 mg/L), la famo- tidine (~ une concentration inf6rieure h 20 mg/L), le chlorhydrate de ranitidine (~ une concentration inf6- rieure h 100 rag/L, dans une 6mulsion sans vitamine ou 616ments traces), le chlorhydrate d 'ondans6tron (h moins de 0,3 g/L).

Les m6dicaments administr6s en << Y ~ ont fait l 'objet d 'une revue g6n6rale r6cente par 1~issel et al. [8] ; ceux-ci pr6sentent un protocole de simulation d' injection en << Y ~> donnant des r6sultats rapides. Ce travail ne donne qu 'une appr6ciation visuelle du devenir de l '6mulsion. Les m~dicaments incompa- tibles, sur les 106 pr incipes actifs test6s, sont les

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su ivan ts : l ' a c i c l o v i r sod ique , l ' a m p h o t 6 r i c i n e B, la c ic lospor ine , le c h l o r y d r a t e de d o b u t a m i n e , la doxo- rubicine , la doxycycl ine , le d rop6 r ido l , le f l uo rou ra - cile, le gancyc lov i r sodique , le l ac t a t e d ' h a l o p d r i d o l , l ' h 6 p a r i n e s o d i q u e , le c h l o r h y d r a t e d ' h y d r o m o r - phone , le l o r a z d p a m , le m i d a z o l a m , le c h l o r h y d r a t e de minocyc l ine , le su l fa te de m o r p h i n e (5 c o n c e n - t r a t i o n s u p 6 r i e u r e 5 1 g / L ) , le c h l o r y d r a t e d e na lbuphine , le c h l o r h y d r a t e d ' o n d a n s d t r o n , le p e n t o - ba rb i t a l sod ique , le p h 6 n o b a r b i t a l sod ique , le phos - p h a t e de p o t a s s i u m , le p h o s p h a t e d e s o d i u m . L e s u l f a t e d ' a m i k a c i n e e s t i n c o m p a t i b l e p o u r u n e concen t r a t i on sup6r i eu re fi 5 g/L (ce qui est souven t le c a s l o r s d e l ' a d m i n i s t r a t i o n e n m o n o d o s e actuel le) .

C O N C L U S I O N

L ' e n s e m b l e des au teu r s insis te sur le fai t que les compat ib i l i t6s donndes ne le sont que p o u r ce r t a ines concen t ra t ions de p r inc ipe actif. I1 conv ien t donc de cons id6re r 5 c h a q u e in t en t ion de c o - a d m i n i s t r a t i o n le coup le m61ange t e rna i r e (avec p r d s e n c e ou non d 'd ldmen t s traces, d ' insu l ine , de v i t amines ) /m6d ica - men t ( concen t ra t ion , vi tesse d ' a d m i n i s t r a t i o n , exci- p ient ) en r6fdrence aux t r avaux d6j5 effectu6s. U n e amdl io ra t i on de la sdcuri t6 des p re sc r ip t ions do l t

pas se r p a r une p h a r m a c o v i g i l a n c e act ive et des 6qui- pes p h a r m a c e u t i q u e s et c l in iques spdcial isdes en pa r t i cu l i e r lors de l ' u t i l i sa t ion des mdlanges compar - t iment6s r econs t i tuds au lit du malade .

RI~FI~RENCES

1 Mirtallo JM. Should the use of total nutrient admixtures be limited? Am J Hosp Pharm 1994 ; 51 : 2831-4.

2 Durand-Zaleski I, Delaunay L, Langeron O, Belda E, Astier A, Brun Buisson C. Infection risk and cost-effective- ness of commercial bags or glass bottles for total parenteral nutrition. Infect Control Hosp Epidemiol 1997 ; 18 : 183-8.

3 Collins JL, Lutz RJ. In vitro study of simultaneous infusion of incompatible drugs in multilumen catheters. Heart Lung 1991 ; 20 : 271-7.

4 Food and Drug Administration. Safety alert: hazards of preci- pitation associated with parenteral nutrition. Am J Hosp Pharm 1994 ; 51 : 1427.

5 Montoro JB, Galard R, Catalan R, Martinez J, Salvador R Sabin R Stability of somatostatin in total parenteral nutrition. Pharm Weekbl (Sci) 1990 ; 12 : 240-2.

6 Driscoll DE Physicochemical assessment of total nutrient admixture stability and safety: quantifying the risk. Nutrition 1997 ; 13 : 166-7.

7 Ritchie D J, Holstad SG, Westrich TJ, Hirsch JD, O'Dorisio TM. Activity of octreotide acetate, in a total nutrient admix- ture. Am J Hosp Pharm 1991 ; 48 : 2172-5.

8 Trissel LA, Gilbert DL, Martinez JF, Baker MB, Walter WV, Mirtallo JM. Compatibility of medications with 3-in-I paren- teral nutrition admixtures. JPEN J Parenter Enteral Nutr 1999 ; 23 : 67-74.

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