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MEILLET, A. Esquisse D'Une Histoire de La Langue Latine

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Meillet. Morfologia Histórica do Latim

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  • A. MEILLET PROFESSEUR AU COLLGE DE FRANCE ET A L'COLE DES HAUTES TUDES

    MEMBRE DE L'iXSTITUT

    ESQUISSE DUNE HISTOIRE DE LA

    LANGUE LATINE

    ffl

    LIBRAIRIE HACHETTE 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS

    1928

  • ESQUISSE D'UNE HISTOIRE DE LA

    LANGUE LATINE

  • A. MEILLET PROFESSEUR AU COILGE DE FRANCE ET A I.'ECOLE DES HAUTES TUDES

    MEMBRE DE LINSTITUT

    ESQUISSE D'UNE HISTOIRE DE LA

    LANGUE LATINE

    ffl

    LIBRAIRIE HACHETTE 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS

    I928

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    LA TROBE UNIVERSITY

    LiBRARY

    Tous droite de traduction, de reproduction et d'adaptation rservs pour tou pays.

    Copyright by Hachette 1928.

  • AVERTISSEMENT

    Amon Aperu d'une histoire de la langue grecque on a reproch, avec raison, que je n'ai pas su y montrer les actions de

    l'histoire sur les changements de la langue. E n latin, les faits, plus rcents, sont en partie plus saisissables, et je m e suis efforc de montrer ici comment les vnements historiques et les tats succes-sifs de la socit ont en quelque mesure dtermin le dveloppement de la langue.

    Toutes minces qu'elles sont, les donnes qu'on possde laissent apercevoir comment le latin s'est dtach de l'indo-europen, sous quelles actions il est devenu une grande langue de civilisation, com-ment la langue savante a survcu, fournissant l'Europe occidentale une langue commune, et comment le parler courant s'est bris en parlers distincts pour aboutir aux grandes langues romanes.

    Le grec et le latin sont les deux plus grandes russites du monde indo-europen. Le grec a servi d'organe au dveloppement de la pense rationnelle, le latin au dveloppement de l'Etat et du droit; et, pour les choses de l'esprit, le latin s'est enrichi de ce qu'avait acquis le grec en en faisant un bien c o m m u n pour tous les hommes.

    Telle est l'histoire qu'on voudrait esquisser ici, brivement, en en montrant seulement les traits essentiels.

    O n aurait souhait de n'tre pas technique. A l'essai, il est apparu que, si l'on voulait pargner au lecteur les dtails prcis, il ne restait que des gnralits vagues, et que toute dmonstration manquait.

  • VIII AVERTISSEMENT

    La linguistique comparative est seule fournir quelques donnes sur la prhistoire du latin, et l'on s'est trouv oblig de faire lar-gement appel ses procds. Les lecteurs qui ne sont pas linguistes feront bien de passer rapidement sur les pages o il a fallu indiquer des faits propres rebuter qui n'est pas du mtier. A ceci prs, on a tch de rendre l'expos intelligible m m e pour le lettr que le menu dtail des faits de langue ne saurait intresser.

    M M . E. Benveniste, A. Ernout et J. Marouzeau ont bien voulu lire chacun une preuve de ce livre, et je dois beaucoup leurs critiques. M a femme l'a lu, elle aussi, et m'a vit nombre d'obscurits. Il en reste plus qu'il ne convient. Le lecteur m'excu-sera de n'avoir pas su rendre plus attrayant un livre sur un aussi beau sujet.

    A. M.

  • INTRODUCTION

    E N T R E l'indo-europen c o m m u n et les langues romanes d'aujour-d'hui, le latin prsente un moment de transition dont l'impor-

    tance est singulire. Langue d'un grand empire sans doute du premier empire tout

    fait organis qu'ait connu le monde indo-europen , le latin a gard durant quelque huit cents ans une stabilit. Quand l'unit de la langue parle a commenc se rompre, du m e au ve sicle ap. J.-C, l'unit de la langue crite a persist. Le latin classique est demeur jusqu' une priode avance de l'poque moderne l'organe de la science et de la philosophie dans l'Europe occidentale ; il est aujourd'hui encore la langue officielle et rituelle de la seule religion vraiment universelle, l'glise catholique romaine. Toutes les grandes langues de l'Europe occidentale se sont nourries de sa substance. Aucun idiome n'a, depuis deux mille ans, jou pareil rle dans le dveloppement de la civilisation ; si les dbuts d'autres grandes langues de civilisation, le chinois, le sanskrit, l'hbreu, le grec, remontent plus haut, aucune n'a une histoire plus pleine, aucune n'a eu plus d'influence. Nourri de grec et associ au grec, le latin a fourni la civilisation moderne son expression linguistique.

    L'histoire de chacune des langues indo-europennes prsente des traits particuliers et se prte clairer d'une manire spciale les types du dveloppement linguistique. L'histoire du latin diffre de

    A. MEILLET. I

  • 2 INTRODUCTION

    celle du grec autant que l'histoire de la cit romaine et de l'empire romain diffre de celle de la nation hellnique.

    Chez les Grecs, des parlers varis et des langues littraires multiples, presque pas un crivain dont la langue concorde exacte-ment avec celle d'un autre. A Rome, un seul parler courant et une seule langue littraire qui, pour l'essentiel, n'a pas chang du dbut de la tradition la fin de l'Empire. D'un ct une nation souple, varie, dont chaque cit garde son autonomie, qui cherche sans cesse du nouveau, qui invente constamment et se modifie avec le temps. De l'autre, un groupe troit de chefs, fermes dans leurs desseins, qui ne cessent de grandir leur puissance jusqu' ce que les vices internes de leur action et le succs m m e de cette action dterminent la ruine de leur uvre politique. D'un ct, les origines de la pense moderne, de l'autre les origines de l'Etat moderne.

    Parmi les langues indo-europennes, les parlers grecs appa-raissent isols, sans parents immdiats : entre l'indo-europen et le grec commun, il n'y a pas un repre pour jalonner les moments successifs du dveloppement. Le latin, au contraire, est un dialecte d'un groupe dont les parlers osques et ombriens sont un autre membre. Ce groupe lui-mme est une partie d'un groupe plus tendu, l'italo-celtique. Entre l'indo-europen et le latin, on peut ds lors marquer deux tapes intermdiaires.

    A partir du moment o il est attest, le grec sert d'organe une littrature originale; il exprime une pense qui se renouvelle et s'enrichit de gnration en gnration. Le latin ne commence pas comme le grec par un Homre ; et, quand il se cre R o m e une littrature, c'est pour imiter des uvres grecques, pour exprimer en latin une pense grecque. Depuis les premiers textes conservs, le grec n'emprunte peu prs rien aucune autre langue. Le latin, au contraire, ne cesse d'emprunter au grec et d'en calquer les moyens d'expression.

    En revanche, le prestige de la civilisation n'a suffi nulle part imposer le grec aux populations de l'intrieur des terres : le grec n'a jamais russi s'implanter loin des ctes. Souvent, quand les peuples de l'intrieur se sont organiss et civiliss, il a t expuls :

  • LA PRHISTOIRE DU LATIN 3 c'est ce qui est arriv dans l'Italie mridionale. Au contraire, grce l'organisation romaine, le latin est devenu la langue de toute l'Italie, del Gaule, de l'Espagne, de l'Afrique mineure, de l'Illyrie, bref de toute la moiti occidentale de l'Empire romain. Puis il s'est diffrenci suivant les rgions, et il a donn naissance de grandes langues littraires: roumain, italien, espagnol, portugais, proven-al, franais, dont chacune a son originalit propre. A leur tour, ces langues ont agi au dehors : sous les formes de l'espagnol, du portugais, du franais, le latin a conquis, l'poque moderne, des continents entiers.

    Lorsque le christianisme s'est rpandu, chaque nation orientale en a traduit les livres saints et s'est donn une langue rituelle : le gotique, le slave, le copte, le syriaque, l'armnien, le sogdien ont t adapts l'usage des glises chrtiennes. Par contre, en Occident, l'glise n'a jamais eu qu'une langue, le latin.

    Tout ce dveloppement a eu lieu au cours de l'poque historique, en pleine lumire, et les conditions en peuvent tre aperues, pour les parties anciennes, tudies de prs, pour les parties plus rcentes. Nulle part, on ne peut suivre mieux les vnements qui dcident du sort des langues.

    En considrant la dialectologie indo-europenne, puis les units successives, l'italo-celtique, et ensuite 1' italique , on parvient situer en un ordre chronologique relatif les innovations qui, dans une grammaire compare du latin, apparaissent sur un m m e plan.

    Nulle part ailleurs, on n'observe l'extension d'une langue com-mune comme on le fait sur le domaine latin. Sans doute les langues germaniques, les langues slaves reposent sur un germanique commun, sur un slave c o m m u n ; mais ces langues communes sont simplement supposes, elles ne sont pas attestes en fait. Sans doute les parlers aryens de l'Inde moderne reposent sur le type attest par le sanskrit ; mais les faits indiens sont complexes ; les parlers indo-aryens ne remontent pas la langue une d'une seule cit, comme les langues romanes reposent toutes galement sur le latin de Rome. Le latin offre ici un champ d'observation unique en son genre.

  • h INTRODUCTION

    Si l'on fait abstraction des premiers monuments, qui enseignent peu au linguiste, le latin n'est attest qu' partir du m e sicle av. J.-C. Ds cette date, il est fix de telle sorte que les textes qui s'chelonnent sur une dure de huit sicles n'instruisent presque pas sur le dveloppement de la langue. Il n'y a pas de textes qu'on ait davantage sollicits pour btir une grammaire histo-rique ; il n'y en a pas qui rendent moins. [On a subtilis pour dcouvrir des rgles dans une langue o les nuances affectives ou subjectives tiennent une place dominante. O n a divis et subdivis pour ramener des lois une langue crite et parle par des gens d'origines diverses et de conditions diverses, o des influences varies se sont croises. Ce n'est pas qu'il soit impossible de rien faire des textes ; mais on n'en peut tirer parti que si l'on sait d'avance ce qu'on veut leur demander : grce la comparaison des langues romanes, le linguiste sait en quel sens s'est dvelopp le latin ; examins avec critique, les textes crits portent tmoignage des tendances de la langue et de l'tat de choses qui se ralisait chaque poque dans l'usage courant. De ce ct, il se substitue maintenant au travail souvent mcanique des grammairiens-philo-logues une enqute souple et nuance de linguiste.

    La grammaire compare a clair tout ce qui, en latin, est survi-vance de l'tat indo-europen ou qui a t fait avec des lments indo-europens adapts, mais encore transparents. Elle a rduit en formules les changements par suite desquels lat. coqu continue la m m e forme indo-europenne, *pekwd, que pdcmi je cuis du sanskrit et pekq du vieux slave. Ce n'est pas ici le lieu d'examiner ces formules. O n se contentera de les utiliser pour dgager les grandes tendances auxquelles a obi la langue et pour marquer l'importance des innovations.

    Les origines indo-europennes du latin se reconnaissent une infinit de traits ; mais entre l'indo-europen et le latin, la struc-ture de la langue a chang. Des formes qui, en indo-europen, taient normales, comme celles de est, sunt ou de ux, ucetn, sont devenues exceptionnelles ; figurant dans un ensemble nouveau, elles ont d'ailleurs reu, l o elles subsistent, des valeurs nou-

  • INNOVATIONS 5

    velles ; et le dtail m m e en est altr : Yi final de *esti : *sonti s'est amui ; l'ancien o bref de l'accusatif *wokvm a reu la quantit longue d'aprs le nominatif ux, et, d'aprs la m m e forme, le kw a t remplac par le k qui a t gnralis dans uocis, et m m e dans uocre. De plus, il ne manque pas de formes dont, malgr des essais multiples, on n'a pas russi expliquer avec certitude la cration, ainsi le perfectum du type amul, genu, monui, etc.; c'est que ces formes sont apparues, bien aprs l'indo-europen commun, dans des tats de langue intermdiaires sur lesquels on n'a pas de donnes. E n somme, la grammaire com-pare a reconnu les fils qui relient le latin l'indo-europen ; mais il y a des faits plus rcents dont les amorces sont inconnues. Et quand on regarde, d'une part, l'tat de choses indo-europen que la comparaison permet de restituer, d'autre part, l'tat latin attest, ce qui frappe, ce ne sont pas les conservations, ce sont les nouveauts.

    O n ne se propose pas ici de suivre l'histoire du latin jusqu' l'poque actuelle, o, sous les formes romanes, il s'est beaucoup diversifi, mais seulement de tracer les lignes principales de la prhistoire pour autant qu'on peut la deviner, d'y opposer les traits essentiels de la langue crite et d'indiquer le point de dpart du dveloppement roman qui, on le verra, continue au fond le dvelop-pement prhistorique. Ceci suffira pour faire apparatre quelques-unes des conditions auxquelles est d le dveloppement observ, pour clairer par suite les origines des langues romanes.

    L'histoire politique de R o m e et l'histoire de la civilisation romaine expliquent l'histoire de la langue latine.

  • CHAPITRE I

    DE L'INDO-EUROPEN AU LATIN

    D I R E que le latin est une langue indo-europenne, c'est non-cer une proposition vidente : le latin est l'une des formes qu'a

    prises, avec le temps et le changement des circonstances, la langue qui, ailleurs, en d'autres conditions, est devenue l'indo-iranien, le grec, le slave, le germanique, etc. ; cela se voit du pre-mier coup.

    Cette constatation est de premire utilit pour le linguiste qui entreprend d'expliquer la structure phonique et grammaticale ou le vocabulaire du latin. Faute d'en tenir compte, on ne saurait rien comprendre au pass de la langue.

    Mais un nonc aussi simple n'enseigne presque rien sur la pr-histoire du latin. Entre la priode d'unit indo-europenne et les premiers monuments de chaque idiome de la famille, les vne-ments qui sont intervenus diffrent d'un cas l'autre. Pour faire l'histoire particulire du latin, le premier point est de dterminer ce (jui s'est pass durant la longue priode qui spare l'unit indo-europenne des premiers textes propres indiquer l'tat de la langue date historique.

    L'histoire proprement dite n'est ici d'aucun secours. Les anciens peuples de langue indo-europenne n'crivaient pas: pour les demi-civiliss qu'ils taient, le mot est une force qu'il est dangereux de manier. Fixer cette force par l'criture aurait fourni une arme dan-gereuse qui risquait de se retourner contre ceux qui l'auraient ainsi

  • H DE L'INDO-EUROPEN AU LATIN

    mise aux mains d'ennemis possibles. Encore l'poque de Csar, les druides ne voulaient pas se servir de l'criture.

    Dans la mesure o il pouvait y avoir des traditions orales, ces tra-ditions ont t troubles ou abolies quand les peuples ont reu la civilisation mditerranenne, de la m m e manire que les tradi-tions des Germains ou des Slaves ont disparu quand le christia-nisme s'est rpandu.

    Il y a des donnes archologiques ; mais, si elles sont instructives pour l'histoire des techniques, si l'on en peut tirer quelques conclu-sions incertaines sur les rapports que les peuples ont pu avoir entre eux, elles sont muettes, et le linguiste n'en a aucun profit.

    O n est donc rduit tirer des faits de langue eux-mmes ce qu'ils peuvent fournir. Il n'en faut pas attendre des dtails historiques prcis : la nature des faits linguistiques n'autorise pas de pareilles esprances. Mais on peut relier les faits latins d'autres faits connus et, par l, restituer en quelque mesure, dfaut de l'histoire abolie des peuples, au moins l'histoire linguistique du latin.

    Deux ordres de faits sont envisager. Le monde indo-europen ne se composait coup sr pas d'une

    unique tribu, parlant une langue exactement une. Il tait tendu, divers, et l'on y observait une varit de dialectes. L'indo-europen avait du reste une morphologie trop riche en faits particuliers, trop touffue, et aussi de structure trop souple, pour offrir nulle part la rgularit qui est la condition de l'unit. Il faut donc dterminer quel groupe se reliaient les parlers qui ont abouti au latin.

    D'autre part, entre l'unit indo-europenne et le latin de R o m e que livrent les textes, il a pu y avoir il y a eu une ou plu-sieurs units partielles. Qui voudrait expliquer les langues romanes par l'indo-europen c o m m u n en ignorant l'unit romaine commet-trait videmment une faute de mthode. Pour rendre compte des faits latins, il faut envisager les units successives qui se sont con-stitues et que l'on peut entrevoir : sans parler d'units antrieures dont on ne sait rien, mais qui ont pu exister, il y a eu au moins une unit italo-celtique, une unit italique (latine et osco-ombrienne) et, en quelque mesure, une unit latine .

  • SOUPLESSE DE L'INDO-EUROPEN 9

    L'aristocratie qui a port sur l'Europe entire et sur de grandes parties de l'Asie la langue indo-europenne a montr une nergie singulire, une capacit aussi singulire d'assimiler des populations trangres. Mais elle n'aurait pas russi dominer sur d'aussi vastes domaines si, en m m e temps qu'elle s'imposait, elle n'avait su s'adapter. Autant que par le sens de l'organisation sociale, elle a t remarquable par la souplesse. Le type de civilisation indo-euro-pen a pris sur chaque domaine un esprit propre, et la langue qui servait d'organe cette civilisation a, tout en gardant un fonds commun, fourni des types nouveaux distincts les uns des autres.

    La souplesse du type indo-europen ressort d'une manire frap-pante quand on la compare l'immobilit du type turc. C o m m e l'aristocratie indo-europenne, les tribus turques ont fait de grandes conqutes ; elles sont alles loin de leur petit domaine originel. Mais elles n'ont gure vari suivant les temps et les lieux. Et les Turcs n'ont pas dvelopp ces civilisations la fois semblables et diverses grce auxquelles l'aristocratie indo-europenne n'a cess de se renouveler au fur et mesure qu'elle conqurait davantage. L e turc d'aujourd'hui est le turc d'il y a mille ans ; le turc de Kazan' est, pour l'essentiel, le turc d'Angora ; le schmatisme rigide de la langue l'a prserve du changement ; la langue a dur, on peut peine dire qu'elle ait vcu. M m e quand elles diffrent les unes des autres par la forme matrielle, les langues du groupe altaque gardent le m m e type, le m m e schmatisme sur lesquels le prince N. Troubetskoj a, d'une manire si profonde, attir l'attention.

    Bien qu'autrement souple et vari que le turc, le type smitique s'est montr moins capable de fournir des types nouveaux que l'indo-europen. Et, dans le monde arabe, on ne voit rien de pareil la riche varit qu'offre le monde roman, avec l'italien, l'espagnol, le portugais et le catalan, le provenal et le franais, et enfin le rou-main. La structure de l'arabe d'aujourd'hui est encore toute semblable celle des langues smitiques d'il y a trois mille ans : si loigns qu'ils soient les uns des autres, les parlers arabes actuels offrent tous un m m e type grammatical; il s'y est produit des changements. de dtail ; le type grammatical est demeur le mme.

  • IO DE L'INDO-EUROPEN AU LATIN

    Les langues indo-europennes au contraire se sont dveloppes de manire parallle, mais de faons distinctes : elles ont fourni, elles ne cessent pas de fournir des types varis, et les caractres qu'elles ont pris, qu'elles prennent sont infiniment divers : il y a loin du franais actuel au russe ou l'armnien; les langues indo-europennes modernes ne diffrent pas seulement par le dtail des formes; elles prsentent des types diffrents.

    Le trait frappant du dveloppement indo-europen, c'est qu'il a fourni sans cesse des groupes nouveaux. De ces groupes on ne voit clairement qu'un petit nombre. Il y en a eu beaucoup dont les noms ont disparu sans laisser de traces ; d'autres se laissent seulement en-trevoir. Derrire le latin, on en devine plusieurs qu'il faudra ici commencer par indiquer. Et, son tour, le latin a fourni par la suite des types aussi divers que ceux des parlers italiens, hispaniques, gallo-romans, rhtiques, roumains.

    La souplesse du groupe indo-europen ne se manifeste pas seule-ment par la varit des types qu'il a fournis au cours de sa longue histoire. U n autre trait, de grande consquence, a t la facilit avec laquelle chacun des groupes s'est assimil des lments utiles des civilisations voisines et avec laquelle il en a tir des rsultats neufs et originaux. O n connat assez le miracle grec , l'art avec lequel les Hellnes ont pris le meilleur des civilisations mditerra-nennes et ont pos les bases de la philosophie, de la science, de l'art europens. Il y a eu aussi un miracle romain : de m m e que les Hellnes de la priode antrieure aux textes et aux monuments, les Romains se sont assimil tout ce qu'ils trouvaient d'utile autour d'eux ; ils ont imit la littrature grecque, mais en crant, et l'on ne connat chez les Grecs ni un Plaute, ni un Lucrce, ni un Cic-ron, ni un Virgile, ni un Tacite; ce sont les Romains qui, travers des luttes et des essais pnibles, ont constitu le droit et dgag la notion de l'Etat. La valeur durable de la langue latine tient ce qu'elle exprime un type de civilisation riche et dont l'influence a t dcisive. Pour la littrature, R o m e a imit la Grce, mais sa manire et en faisant uvre propre : l'humanisme est d vraiment Rome. Pour l'organisation sociale, R o m e a cr, autant et de ma-

  • SOUPLESSE DE L'INDO-EUROPEN M nire aussi dcisive que la Grce a cr pour les choses de l'esprit.

    Et, quand l'empire romain s'est croul, de nouvelles civilisations en sont sorties, dont chacune a t encore une cration nouvelle. L'Afrique du Nord a t islamise ; la pression des Germains, des Slaves et des Albanais a fait perdre presque tout le domaine oriental et y a longtemps arrt le dveloppement romain. Mais en Italie, en Gaule, dans la pninsule hispanique, il apparat ds le moyen ge de grandes civilisations nouvelles qui ont gard pour langues des formes volues du latin ; et les pays de langue celtique, germa-nique, m m e en partie de langue slave, ne se sont civiliss qu'en se nourrissant du latin.

    La souplesse, la puissance de renouvellement sont le trait qui caractrise le monde indo-europen, et, dans le monde indo-euro-pen, d'une manire minente, le monde latin. Le dveloppement de la langue illustre ce caractre fondamental.

  • CHAPITRE II

    ORIGINE DIALECTALE

    L E S faits n'indiquent pas qu'il y ait eu en indo-europen des dia-lectes caractriss par des ensembles de particularits communes

    des groupes de parlers. Mais le point de dpart de certaines diff-rences entre les langues attestes semble remonter jusqu' l'po-que de l'unit indo-europenne. Les limites de chacune de ces par-ticularits anciennes communes plusieurs langues de la famille ne concordent pas : il y a des limites de faits dialectaux ; mais rien n'autorise poser des limites de dialectes indo-europens.

    Pour ne pas compliquer un problme qui par lui-mme est dli-cat, on laissera de ct les langues nouvellement dcouvertes et interprtes, tokharien et hittite, quitte y revenir incidemment. De ce ct il y a encore trop peu de faits srs, et rien qui semble modi-fier gravement ce qu'on sait de la prhistoire du latin.

    Quand on numre l'ensemble des langues indo-europennes, le premier trait qui attire l'attention est le traitement des occlusives gutturales. A ce point de vue, les langues se rpartissent en deux groupes o le traitement diffre profondment. L'un des groupes, qui se compose de langues orientales : indo-iranien, slave et baltique, armnien, albanais, a deux sries, l'une comprenant des reprsentants de prpalatales trs altres, l'autre des reprsentants de gutturales pures sujettes s'assimiler aux voyelles prpalatales et y. En slave, par exemple, la premire srie, celle des prpalatales, est reprsente par desimpies sifflantes, s et z, auxquelles rpondent, en lituanien,

  • FAITS DIALECTAUX INDO-EUROPENS i3

    des chuintantes s et i; la seconde srie est reprsente par k, g qui, sous l'influence des voyelles prpalatales, se sont transforms date ancienne en c, i, et, date plus rcente, quand de nouvelles con-ditions se sont ralises, en c (c'est--dire ts), dz. L'autre groupe, com-prenant des langues occidentales : italique et celtique, germanique, grec, a d'une part, des gutturales pures, telles que k, g, de l'autre, des post-palatales pourvues d'un appendice labio-vlaire: kw,gw ; ce second type, complexe par nature, tait instable ; le latin et le germanique l'ont conserv dans une assez large mesure, et l'on a par exemple lat. quis et qu, got. hwas qui ; mais, ailleurs, ces gutturales se sont souvent altres, perdant leur appendice labio-vlaire ou passant la prononciation labiale. Les correspondances entre les deux groupes posent beaucoup de problmes. Deux principes fondamentaux dominent la thorie : aux prpalatales orientales rpondent en Occi-dent des gutturales pures, ainsi skr. da dix , arm. tasn, v. si. deset et lit. desimt (littralement dizaine ), rpondent gr. dka et lat. decem ; aux postpalatales labio-vlaires occidentales rpondent en Orient des gutturales pures : lat. quis, got. hwas qui , s'apparentent lit. ks qui , v.-sl. k-to, skr. kdh et, devant voyelle prpalatale, avestique vis, v.-sl. c-to quoi , etc. De ce contraste net, on a souvent conclu qu'il y aurait eu un groupe dialectal de centum (occidental) et un groupe dialectal de satam (oriental ; d'aprs la forme du n o m de nombre cent dans la lan-gue de l'Avesta, la forme la plus archaque de l'iranien qui soit atteste). Pareille conclusion vaudrait si la concordance observe dans le traitement des gutturales tait accompagne d'autres concor-dances. Mais tel n'est pas le cas.

    Les autres innovations, phontiques ou morphologiques, qui s'tendent des domaines tendus, autorisent tracer l'int-rieur de l'indo-europen des limites de faits dialectaux occupant des domaines diffrents.

    L'un des faits les plus caractristiques est la tendance confondre les timbres o et a. Cette tendance, qui se manifeste de la manire la plus complte en indo-iranien, se retrouve non seulement en slave, en baltique et en albanais, langues du groupe salam, mais

  • \k ORIGINE DIALECTALE

    aussi en germanique, langue du groupe centum. Inversement, elle est trangre l'armnien, langue du groupe satam, tout comme elle l'est au grec, l'italique et au celtique.

    Quand la succession de leurs lments morphologiques distincts racine et suffixe, thmes et dsinence provoquait la rencontre de deux occlusives dentales, s o i W - M - , l'italique, d'accord avec le celtique et le germanique, en fait -ss-, tandis que le grec, d'accord avec le baltique, le slave et l'iranien, en fait -si-. C o m m e exemple on peut citer lat. sessus, de *sed-to-s, en face de hast de l'Avesta qui reprsente le m m e mot indo-europen.

    Dans le verbe indo-europen, le temps n'tait pas caractris par des formes particulires de thmes. L'opposition du prtrit au pr-sent tait indique, d'une manire souvent peu nette, par la forme des dsinences. U n groupe de parlers indo-europens disposait d'un autre moyen, accessoire : la prposition, facultative, d'une particule *e-, dite augment , soit sanskrit -bharat il portait , grec -phere, armnien e-er, en face de skr. bhrati il porte , gr. phrei, arm. ber. Le procd ne se trouve ni en italique et celtique, ni en germanique, ni en baltique et en slave.

    Pour ces quatre faits, les plus caractristiques au point de vue des diffrences dialectales, on doit donc supposer quatre limites distinctes. C o m m e les limites ne sont observables que sur les groupes linguistiques survivants, entre lesquels l'ancienne conti-nuit est abolie, on n'en peut dterminer, m m e approximativement, le dtail. Les concordances de plusieurs lignes qui se remarquent pour certains faits particuliers ne sauraient ds lors passer pour avoir une grande valeur probante. Si, par exemple, l'indo-iranien, l'arm-nien et le grec sont seuls possder la particule prohibitive *me (indo-iranien ma, armnien mi, grec mfj), il se trouve que la limite concide avec celle de l'emploi de Taugment. Mais les lignes sont traces d'une manire si approximative et grossire qu'on n'ose btir l-dessus aucune thorie ferme.

    Certains faits de vocabulaire sont remarquables et sans doute significatifs.

    Il est remarquer par exemple que l'emploi de la racine *meh-

  • FAITS DIALECTAUX INDO-EUROPENS i5

    pour fournir le verbe signifiant moudre , lat. mol, etc., se trouve justement dans le groupe o il n'y a ni augment ni la par-ticule *me, tandis que le grec et l'armnien, l'un avec al je mouds , l'autre avec atam je mouds , recourent une racine qui se retrouve en indo-iranien pour la m m e notion.

    Pour dsigner le chef ,le latin a dans dominus, de domus (litt-ralement chef de la maison ), et dans tribnus, de tribus, une formation dont le pendant se retrouve exactement en germanique : le gotique a piudans roi de piuda peuple (litt. chef de peu-ple ) et kindins chef d'un mot qui est reprsent par kind, descendance du vieil islandais. En indo-iranien, en baltique et en grec, il y a, non des drivs, mais des composs et des juxtaposs, ainsi en vdique dam patih chef de la maison et en grec des-potes matre , littralement chef de la maison , *dems-pat-avec le suffixe -a- de drivation. Si le latin recourt ce type domi-nus, tribnus, ce n'est pas qu'il ignore la composition avec pot- : d'une manire gnrale, il a conserv mieux que le grec le type re-dux, ii-dex, con-iux, prae-ses, parti-ceps, etc., et, en l'espce, il a com-pos et im-pos. La concordance du type de dominus, tribu-nus avec des formations germaniques est donc significative.

    Dans l'ensemble, 1' italique , dont le latin est une partie, a la plu-part de ses traits caractristiques anciens en c o m m u n avec le celtique et souvent aussi le germanique. S'il offre avec le grec certaines concor-dances, c'est en gnral l o le grec est d'accord avec le celtique et le germanique. Mais, tandis que le grec concorde souvent avec une langue du type satam comme l'armnien, le latin est tous gards loin des parlers orientaux. Par tous ses traits, il remonte aux mmes types de parlers indo-europens que reprsentent le celtique et le germanique, et par plusieurs, il s'loigne du groupe que con-tinue le grec. Ainsi le latin se trouve situ avec quelque prcision sa place ancienne parmi les parlers indo-europens.

  • CHAPITRE III

    L'ITALO-CELTIQUE

    P L U S I E U R S concordances qui s'observent entre le groupe celtique et le groupe italique donnent lieu de croire qu'il y a eu, un

    certain moment, de beaucoup postrieur l'unit indo-europenne, une unit italo-celtique. Mais on n'en peut dterminer les traits d'une manire exacte.

    Le celtique est connu tardivement, une date o il avait beau-coup volu et o nombre de traits caractristiques du celtique com-m u n s'effaaient dj. Le groupe brittonique n'a t fix par crit qu'en un temps o la flexion casuelle avait disparu, o les finales s'taient amuies presque sans laisser de traces, en un mot alors que les langues de ce groupe taient parvenues un stade de dvelop-pement comparable celui des langues romanes. Le groupe ga-lique a t not plus tt, mais un moment o la langue tait en pleine transformation, o elle passait de l'tat archaque des lan-gues indo-europennes un tat quasi-moderne, et o par suite l'on en entrevoit l'tat ancien travers les innovations qui se produisent plutt qu'on n'en discerne proprement les vieilles formes ; du reste, les premiers textes, les plus instructifs pour le linguiste, ne sont pas ceux d'une langue littraire systmatiquement fixe, c o m m e il arrive pour le gotique, le vieux-slave ou l'armnien; ce sont, pour la plu-part, des gloses destines faciliter aux clercs l'intelligence de textes latins.

    Les rares inscriptions qui ont t dcouvertes et les noms propres

  • LES DONNES '7 attests vers le ier sicle avant l're chrtienne et le sicle suivant montrent que cette date l'aspect d'ensemble du gaulois tait encore archaque ; mais les Gaulois se sont presque entirement abstenus d'crire, et ce qui a subsist du gaulois est peu considrable ; il se trouve d'ailleurs qu'une partie notable des misrables textes gaulois conservs est malaisment intelligible et, par suite, inutilisable pour le linguiste.

    Bien qu'on ait russi mettre de l'ordre dans les faits celtiques dont le premier abord est repoussant et qui sont toujours d'une interprtation dlicate , et bien que la Vergleichende Grammatik der keltischen Sprachen de M . Pedersen ait rendu accessibles m m e des linguistes avertis non-celtistes les donnes du celtique, ces donnes demeurent troubles, incommodes manier, et peu propres clairer les faits d'autres langues.

    Le groupe italique se compose des parlers latins, d'une part, des parlers osco-ombriens de l'autre. Par malheur, on ne connat, c o m m e on le verra, du latin que presque uniquement la langue de Rome, et de l'osco-ombrien, il ne subsiste que de menus dbris. L' italique n'est donc restituable que partiellement, d'autant plus que les textes conservs sont, de rares exceptions prs, mdiocre-ment anciens : ces langues ne sont connues qu' partir du m e sicle av. J.--C, c'est--dire en un temps o leur volution tait dj trs avance. O n n'a en Italie rien de pareil ce qu'est le Vda pour l'Inde, l'Avesta pour l'Iran, Homre pour la Grce. Or, il est facile de voir combien, sans ces vieux textes, la grammaire compare des langues indo-europennes serait pauvre, combien incertaine et par-tielle serait l'histoire ancienne de l'indien ou du grec.

    En somme, pour restituer l'tat italo-celtique c o m m u n qu'on entrevoit, on dispose de donnes celtiques, tardivement attestes ( partir du vue sicle ap. J.-C), en voie de transformation ou dj transformes, et de donnes italiques plus anciennes, mais fragmen-taires, dont aucune n'a un caractre vraiment archaque. Les faits qu'on possde ne suffisent pas pour qu'on tente vraiment de res-tituer un tat italo-celtique commun.

    Du reste, cet tat, antrieur d'environ une dizaine de sicles aux A. MEILLET. 2

  • i8 L'ITALO-CELTIQUE

    plus anciens monuments notables de l'italique, devait avoir encore un caractre archaque, et, pour le type gnral, tre voisin du type indo-europen commun, autant et plus que la langue des vdas, des gths ou d'Homre. Ds lors les innovations qui ont pu caract-riser le groupe italo-celtique ne sauraient avoir t encore nom-breuses ni graves. D'ailleurs plusieurs des dtails qui permettraient de dmontrer l'unit du groupe nouveau ont d s'effacer, au moins dans l'un des deux membres du groupe, avant de figurer dans les plus anciens monuments. L'unit italo-celtique est donc malaise saisir. On l'aperoit nanmoins dans une lointaine pnombre.

    Le phontisme n'a subi l'poque italo-celtique aucune altration profonde. Ou, s'il en a subi, les traces n'en subsistent pas d'une manire apprciable.

    Il y a cependant un dtail, remarquable par ceci que le fait ne se retrouve pas ailleurs. L o il y avait la succession *p...kw..., c'est--dire deux syllabes commenant l'une par p, l'autre par la guttu-rale labio-vlaire kw, la labiale s'est assimile la gutturale. Ainsi l o l'indo-europen avait *pnkwe cinq (skr. pnca, gr. pente), le latin a quinque, et l'irlandais (o la gutturale labio-vlaire s'est rduite k a cic), le brittonique (o le p ancien ne subsiste jamais et o tout p repose sur un ancien *kw) a v. gall. pimp, etc. ; l'osco-ombrien o p et kw ont galement abouti p ne permet aucun jugement. L o l'indo-europen avait *peku' je cuis (skr. pac?ni, v.-sl. pekq; gr. ppn mr ct depss je cuis ), le latin a coqu (de *quequ) et le breton pibi cuire (qui sup-pose *qeqwe-). Sans tre probante, cette concordance est curieuse. Le germanique en a une inverse : le n o m de nombre cinq y est de la forme got. fimf, c'est--dire qu'il y a aussi assi-milation, mais de la gutturale la labiale ; et ceci n'est pas acci-dentel puisque la gutturale labio-vlaire initiale du nom de nombre quatre (lat. quattuor, etc.) y a t assimile au w intrieur et a aussi pass la labiale : got. fidwor, etc. En grec, il n'y a pas eu assimilation : le n o m de nombre cinq est de la forme pente (lesbien pmpe) avec la labiale initiale maintenue. Les deux langues

  • FAITS GRAMMATICAUX 19

    autres que l'italique et le celtique, qui appartiennent au type centum des gutturales, offrent donc des traitements qui ne concordent pas avec le traitement observ en italique et en celtique. L'instabilit des labio-vlaires et la facilit avec laquelle, en juger par le ger-manique, une assimilation a pu avoir lieu ne permettent pas de fonder des conclusions fermes sur la concordance de lat. quinque et de irl. cic. Mais il y a l une indication.

    La morphologie fournit des faits plus instructifs. Si diffrente qu'elle soit au premier abord, la structure des verbes en italique et en celtique offre des concordances prcises et nombreuses.

    Ces concordances proviennent sans doute, en partie de particu-larits dialectales remontant jusqu' l'indo-europen, en partie de tendances nouvelles qui se retrouvent en germanique.

    O n s'est trop reprsent l'indo-europen c o m m e une langue une. De ce que le contraste des dsinences primaires et secondaires, actives et moyennes est le m m e en indo-iranien et en grec, de ce que, par exemple, les formes vdiques bhrati il porte , bhrate (moyen), bhrat il portait , bhrata (moyen) ont leur pendant en grec homrique dans phrei (dont la forme ne recouvre pas la forme vdique, la diffrence des trois suivantes), phrelai, phre, ph-reto, il ne rsulte pas que les formes des finales de ces verbes et la faon dont elles jouent entre elles reprsentent un tat indo-europen universel. La comparaison de l'italique, du celtique et du germa-nique, quoi il faut ajouter les faits baltiques et slaves, indique, dans une rgion dialectale, un tat de choses autre que celui d'o sont sortis le grec et l'indo-iranien. La dsinence, voyelle (sans doute a) plus i, de la lre personne du singulier qui est atteste par la forme moyenne -ai de l'indo-iranien et qui se retrouve, sans valeur moyenne dfinie, dans la forme isole (ancien parfait) vd je sais du slave, dans la forme non moins isole heite je m'appelle du vieil islan-dais, joue en latin un grand rle : elle a fourni la Ir" personne du perfectum : uldl j'ai vu , dlxl j'ai dit , etc. A ceci prs, il n'y a pas en latin trace des dsinences moyennes primaires du type, 2e pers. sg. sanskrit -se, grec -sai (-(hjai), 3e pers. sg. skr.

  • >o L'ITALO-CELTIQUE

    -te, gr. -tai, 3e pers. plur. skr. -nte, gr. -niai. Ds lors rien ne prouve que la diffrence des formes entre sequitur du latin et scate il suit du sanskrit, hpetai il suit de la langue homrique rsulte d'une innovation italo-celtique. Ce qui peut-tre se manifeste ici, ce sont des faits dialectaux de date indo-europenne.

    E n indo-iranien et en grec, les formes, actives et moyennes, dsinences dites secondaires servaient dans les phrases dclara-tives entre autres usages indiquer le pass: vdique bhdrat, bhrata, homrique phre, phreto sont souvent des prtrits, et le slave apporte un tmoignage dans le m m e sens. A en juger par la flexion de prsent dite conjointe de l'irlandais, les dsinences secondaires n'avaient pas cette valeur en celtique : les formes de la flexion conjointe dont les finales reposent sur d'anciennes dsi-nences pareilles aux dsinences secondaires de l'indo-iranien, du grec et du slave, servent uniquement de prsents. Il en va de m m e des types lat. sequere, sequitur, sequonlur o se retrouvent ces mmes dsinences. Rien n'autorise supposer, c o m m e original de l'tat italique et celtique, un tat pareil celui qui s'est conserv en indo-iranien, en grec, en slave, et aussi en armnien o l'un des principaux usages des dsinences dites secondaires est d'indiquer le pass.

    Une innovation remarquable, lie au fait prcdent, est commune l'italique, au celtique et au germanique, celle qui a consist intro-duire la notion de temps dans les thmes verbaux. Le systme verbal du latin oppose deux thmes fondamentaux dont l'un indique le procs inachev, Yinfectum, type dc, l'autre le procs achev, le perfectum, type dlxl, par exemple ; cette opposition continue, en les simplifiant, les vieilles oppositions d' aspect indo-europennes. \Jinfectum continue le prsent indo-europen qui indiquait le dve-loppement d'un procs, arrivant ou non un terme dfini. Le perfec-tum continue le parfait, ainsi dans cecin, ou l'aoriste, ainsi dans dlxl ; le parfait indo-europen indiquait le rsultat acquis par un pro-cs; l'aoriste indiquait le procs pur et simple; le latin a runi dans son unique perfectum ces deux aspects profondment distincts l'origine. Mais, une nouveaut qui loigne beaucoup plus le latin

  • FAITS GRAMMATICAUX 2 I

    du type indo-europen a consist en ceci que, l'intrieur de cha-cun des deux aspects , infectum et perfectum, il a t constitu, dans l'indicatif, un prsent, un prtrit et un futur, pourvus chacun d'un thme spcial, et dans le subjonctif (qui a hrit des emplois de l'ancien subjonctif et de l'ancien optatif), un prtrit oppos au prsent-futur, ce prtrit ayant lui aussi un type spcial distinct de celui qui sert pour le subjonctif prsent-futur, soit des systmes tels que :

    INFECTUM

    Indicatif.

    Subjonctif.

    Indicatif.

    Subjonctif.

    Indicatif.

    Subjonctif.

    Prsent Prtrit Futur Prsent-futur Prtrit

    Prsent Prtrit Futur Prsent- futur Prtrit

    Prsent Prtrit Futur Prsent - futur Prtrit

    dlc dlcbam dicam (dlcs) dlcam (dlcs) dcerem

    mone monbam monb moneam

    monrem

    fera ferbam feram (fers) feram (feras) ferrem

    PERFECTUM

    dlxl dlxeram alxer dlxerim dlxissem

    monu monueram

    monuer monuerim monuissem

    tul tuleram tuler tulerim tulissem

    Comme ces oppositions, qui se sont constitues en latin mme. traversent tout le verbe latin, les exemples de ce genre peuvent tre multiplis. Le contraste entre la valeur d' aspect des thmes fondamen-

    taux 'infectum et de perfectum, hrite de l'indo-europen pour le fond, et la valeur temporelle des thmes secondaires, constitue en latin mme, est l'un des traits essentiels de la morphologie

  • 22 L'ITALO-CELTIQUE

    latine, et la plupart des grammaires latines ont le tort de ne pas le mettre dans l'vidence qui convient. O n reviendra souvent ici sur ce fait capital.

    C o m m e le perfectum latin exprime uniquement une notion d'aspect, il arrive souvent qu'un m m e perfectum serve en regard de deux infectum diffrents. Par exemple le thme d'infectum de sd, sderam, etc. sert la fois en face de sld je m'assieds et de sede je suis assis ; c'est qu'il indique le procs achev, qui est le m m e en face de l'infectum sede et de l'infectum sld. De m m e tull (ancien tetull) sert en face de fera je porte (pour lequel le latin n'avait hrit de l'indo-europen ni un aoriste ni un parfait) et de toll j'enlve . Une m m e forme dormu se trouve en face du simple dormi et de la forme prverbe,avec suffixe, obdormisc, soit obdormlul. Pour qui envisage dans sa ralit la valeur de Vinfectum et de perfectum, ces faits qui surprennent au premier abord apparaissent naturels. U n prsent du perfectum dlxl ne signi-fiait pas en effet que l'on a dit quelque chose dans le pass, mais que le fait de dire tait achev au moment o l'on parlait : dlxl, dit l'orateur en terminant son discours.

    A l'intrieur de chacun des thmes de Vinfectum ou du perfec-tum, il y a toujours l'indicatif trois thmes, pour chacun des trois temps : prsent, pass, futur. Le thme du prsent est ancien ; mais les deux autres rsultent d'innovations latines. Les dsinences ayant peu de valeur significative en latin, et l'augment n'y ayant sans doute jamais exist, un imparfait du type de skr. bharat il portait , gr. phere, arm. eber (celui-ci devenu aoriste) n'a pas subsist. Le prtrit est caractris par un suffixe -0-, d'o ers (en face de ess tu es ), dlxeras, et, avec utilisation d'un l-ment accessoire italique -f- : legbs (ce type en *-f- est italique c o m m u n ; il sera examin au chapitre iv) ; l'usage de -- pour caractriser le prtrit a eu sans doute quelque amorce en indo-euro-pen ; car on le retrouve, en des conditions du reste bien diffrentes, en letto-lituanien et en armnien. Le futur s'est organis avec moins d'unit : il est fait en grande partie sur l'ancien subjonctif indo-europen ; ainsi eris est l'ancien subjonctif du thme de *es-ti

  • FAITS GRAMMATICAUX 23

    il existe ; dixeris s'explique de m m e ; le type fers est gale-ment un ancien subjonctif; et, pour obtenir le futur de Vinfectum des verbes dont le thme est termin par une voyelle, il a fallu re-courir au m m e lment -f- qui a servi pour le prtrit, d'o lat. ibis, monbis, ambis, etc. Ainsi un thme modal, dont le rle tait d'indiquer une intention, est pass la fonction de thme strictement temporel. Plus frappant encore est le traitement du subjonctif. Les modes indo-europens n'admettaient en aucune mesure l'expression du temps. Le latin, au contraire, d'accord avec l'osco-ombrien, a et de Vinfectum et du perfectum des prtrits au subjonctif.

    Or, paralllement ce que l'on observe en italique, il y a en cel-tique des thmes pour le prtrit et pour le futur ; et il y a, au sub-jonctif, un prtrit. Avec des formes diffrentes, le celtique a donc innov dans le m m e sens que l'italique.

    En germanique, les choses sont plus simples parce qu'il n'y a pas de thme pour le futur. Mais les deux thmes du verbe servent opposer le prsent-futur et le prtrit ; le thme du prtrit est emprunt des formes qui, en partie au moins, appartenaient ori-ginairement aux mmes groupes parfait et aoriste qui ont fourni le perfectum latin. Et le thme du prtrit a, aussi bien que celui du prsent, un subjonctif.

    La faon dont s'est orient le dveloppement du systme verbal est donc la m m e en italique, en celtique et en germanique; et la prsence du futur, inconnu en germanique, rapproche l'italique du celtique de manire significative.

    Ceci pos, il y a de plus entre le verbe italique et le verbe cel-tique certaines concordances remarquables.

    Le trait le plus concordant est la formation du subjonctif. Des formes modales de l'indo-europen telles qu'on les observe en

    grec et en indo-iranien, le latin S des traces abondantes : le sub-jonctif a fourni des futurs, on vient de le voir ; quant l'optatif, il subsiste dans des formes archaques de ce qui est n o m m sub-jonctif en latin : sis, uells, et tout le type des subjonctifs pr-sents-futurs du perfectum : dlxerim, etc.

  • 24 L'ITALO-CELTIQUE

    Mais l'italique semble seul possder clairement, d'accord avec le celtique, des types de subjonctifs dont la structure n'a rien faire ni avec l'ancien subjonctif ni avec l'ancien optatif tels qu'on les trouve clairement en indo-iranien et en grec, et tels qu'il y en a des dbris en baltique, en slave et en germanique : un type en -- et un type en -s-. Tandis que les subjonctifs et les optatifs indo-euro-pens sont des thmes drivs, au moyen d'un suffixe, du thme verbal qui sert pour l'indicatif, les subjonctifs italiques et cel-tiques, en -- et en -s-, sont indpendants de tout autre thme verbal. Malgr la date tardive o il est attest, l'irlandais claire ici le latin : le subjonctif y apparat c o m m e un thme entirement indpendant de tout autre et qui ne prsente ni les particularits qu'on rencontre au prsent ni celles qu'on rencontre au prtrit. En latin, le systme ancien est disloqu ds avant les plus anciens monuments ; mais il en subsiste des traces qui permettent, grce la survivance complte observe en irlandais, de reconnatre l'tat de choses initial.

    Soit le verbe dont Vinfectum est tango et dont le perfectum est letigl (tetigisll) : le subjonctif at-tigs, encore attest chez Plaute, ne relve ni de tango ni de tetig. Mais, isole, cette forme n'est pas demeure telle quelle ; et, ds l'poque de Plaute, at-tings tend remplacer at-tigas sous l'influence de at-ting : action analogi-que du type le plus banal. Ainsi s'est constitu le systme latin o le subjonctif appartient soit Vinfectum soit au perfectum et n'a plus d'autonomie.

    Soit encore le verbe dont Vinfectum est ueni et dont le perfec-tum est unl (unisti). Plaute offre des exemples isols de l'ancien type aduenat, peruenant; mais il a dj ueniam, etc., avec une innovation analogique parallle celle qu'offre at-tingam.

    Prs du verbe suppltif sumjfui, il y a un vieux subjonctif fuam, en m m e temps que siem, sim garde, avec la valeur du subjonctif latin, la trace de l'optatif indo-europen.

    Le nombre des survivances de ce genre en latin est petit. Mais elles sont nettes. Le fait que l'osque et l'ombrien n'ont rien de pareil tient ce que les dbris subsistants de ces parlers prsentent

  • FAITS GRAMMATICAUX 25

    un tat de langue plus normalis encore que le latin du 111e sicle. L'autre subjonctif irlandais tait celui en -s-, qui est large-

    ment rpandu. L'italique en a gard beaucoup de restes. Tout le futur osco-ombrien est tir de l : osq. deiuast il jurera , didest il donnera (avec redoublement) ; ombr. ferest il portera , heriest il voudra ; osq. fust, ombr. fust il sera ; etc. Le latin a bti avec cet lment un groupe de formes qui, l'poque rpubli-caine ancienne, taient encore trs employes ; ces formes servent et de futurs et de subjonctifs ; le cas de fax (futur), faxim subjonctit) montre comment le type est indpendant et de facto et de fcl.

    Peut-tre un subjonctif en -a- analogue celui qu'on observe en italique et en celtique se retrouve-t-il en tokharien ; s'il en est ainsi. le point de dpart de la formation serait de date indo-europenne ce qui ne veut pas dire indo-europen : le fait peut tre dialectal. Mais il demeure significatif que le celtique et l'italique offrent un subjonctif dont la structure ne ressemble rien de ce que l'on observe en indo-iranien, en grec, ni en germanique.

    Il y a un autre fait dont la porte, qui autrefois semblait grande, a t restreinte par des dcouvertes rcentes.

    A u passif, figure un lment -r qui, anciennement, suffisait indi-quer un passif impersonnel et qui a t combin avec les dsinences dites moyennes pour fournir le passif. L'irlandais a ainsi berir on porte, et le breton gweler on voit . L'antiquit de cet usage est atteste par les survivances qu'on en observe en osco-ombrien, ainsi le subjonctif ombr. ferar feratur et sans doute le prsent osq. loufir libet . Puis, en irlandais, en osque, en ombrien, et aussi en latin, il a t constitu des formes o la caractristique -r, qui suffi-sait d'abord, a t ajoute des formes dsinences moyennes ; c'est ainsi que l'osque a uincter et le latin uincitur avec -r ajout la dsinence qui, en osque, a la forme -te-, en latin la forme ancienne -lo-. L'ombrien a emantur accipiantur tout c o m m e le latin a emantur ; etc.

    La caractristique-r ne se trouve pas au passif seulement. Il y avait en indo-europen des thmes qui se flchissaient ordinairement

  • 26 L'ITALO-CELTIQUE

    ou exclusivement avec des dsinences moyennes. Ainsi le thme *sekwe/o- du prsent apparat toujours en sanskrit sous la forme scale il suit et chez Homre sous la forme hpetai. En pareil cas, l'italique et le celtique n'ont pas la dsinence de 3e pers. sg. *-tai que le groupe dialectal d'o sont issues ces langues ignorait sans doute (v. p. 21); mais on y trouve la dsinence *-te/o corres-pondant sanskrit -ta, grec -to, c'est -dire la dsinence moyenne dite secondaire de ces langues ; la dsinence active secondaire -t/d du sanskrit, rduite zro en grec, se retrouve en latin sous la forme -d, ainsi v. lat. feced il a fait ; il ne faut pas dire que, ici, l'ancienne dsinence secondaire sert indiquer le pass ; au point de vue latin, fced est un prsent du perfectum, nullement un pr-trit. La dsinence moyenne *-te/o est conserve dans lat. sequitu-r, avec addition de -r. L'osco-ombrien a des formes de m m e type, ainsi ombr. herter oportet . C'est ce que, en latin, on n o m m e le dponent. Or, l'irlandais connat des dponents tout pareils, et lat. sequor rpond irlandais sechur. La concordance est d'autant plus frappante qu'elle se poursuit dans le menu dtail ; la lre per-sonne du singulier, les langues occidentales du type du celtique et de l'italique n'avaient sans doute hrit de l'indo-europen aucune caractristique moyenne viable au prsent (le type en -l de uldi n'a vcu qu'au perfectum). Ds lors, on a fait la lre personne du dpo-nent en ajoutant l'lment -r la forme active, d'o lat. sequor, irlandais sechur. A la 3e personne du singulier, il y avait au contraire une dsinence moyenne, d'o lat. sequitur, irl. do-moine-thar il pense , obtenue par addition de l'lment -/' la forme pourvue de cette dsinence moyenne. Et, l m m e o la concor-dance n'est pas parfaite, les divergences indiquent des particularits communes. A la 2e personne du pluriel, o l'irlandais n'a pas une dsinence diffrente de celle de l'actif, le latin a une forme nou-velle, emprunte des types nominaux, sequiminl. A la 2 personne du singulier, il y a divergence entre le type irl. labrither tu parles et le type lat. sequere, sequeris ; mais cette divergence est de m m e ordre que celle qui s'observe dans le type secondaire moyen entre -thh du sanskrit et -ha, -sa (ancien *-sa) de l'avestique.

  • FAITS GRAMMATICAUX 27

    Aussi longtemps qu'on n'a pas connu le tokharien et le hit-tite , l'italique et le celtique taient seuls prsenter clairement l'em-ploi du type en -r dans ces conditions. La dcouverte et le dchiffre-ment de ces langues ont montr que, si de pareils usages taient incon-nus l'indo-iranien, au grec, au slave, au baltique, au germanique, c'est que, ainsi qu'on pouvait l'imaginer et que d'une manire gn-rale on l'imaginait en effet, ces langues sont loin de conserver tous les lments de l'indo-europen. D u reste, m m e dans les langues anciennement connues, notamment l'armnien, certaines formes telles que l'imparfait du type berr il portait doivent remonter des formes assez pareilles au type sequitur ; seulement ces formes ont valeur de prtrit parce qu'elles se trouvent dans un groupe dia-lectal indo-europen o les dsinences secondaires servaient l'ex-pression du pass : de l vient la diffrence de valeur entre lat. fer-tureiavm. berr qui d'ailleurs sont des formes comparables entre elles. L'indo-iranien n'ignore d'ailleurs pas le type en -r ; il l'a fait entrer dans son systme gnral de dsinences, pour la 3e personne du pluriel, au parfait et dans certaines formes modales, notamment. Ce qui fait que, nanmoins, la concordance entre l'italique et le cel-tique en ce qui concerne la dsinence en -r est probante, c'est que le dtail et de la forme et de la valeur concorde de manire frap-pante dans les deux groupes.

    Une confirmation prcieuse provient du type dictus est, sectus est. Il n'est pas tonnant que le perfectum latin du passif et du dponent ne repose pas sur l'ancien parfait. Car des faits grecs et indo-iraniens tablissent que le parfait indo-europen avait un seul type de dsinences et que l'opposition d'un parfait actif et d'un par-fait moyen, telle qu'elle existe en grec et en indo-iranien, rsulte d'un dveloppement secondaire. Pour le perfectum, le latin n'hritait pas d'une opposition d'un type coquit = sanskritpcati il cuit et d'un type sequitur qui, l'addition prs de -r, rpond vdique scala il suivait , pour la forme (moyenne), et vdique scate il suit , pour le sens. Mais ce qui est un dveloppement c o m m u n au celtique et l'italique, c'est que, dans les deux groupes, il a t recouru au type dictus est. Ce qui montre bien que ce type est entr

  • 28 L'ITALO-CELTIQUE

    profondment dans le systme verbal, c'est qu'un participe lat. sec-tus, inexplicable en lui-mme, a t fait, d'aprs sequor, peut-tre sur le modle de uoluor, uoltus ; soluor, soltus.

    Outre les deux grands faits relatifs l'un au subjonctif , l'autre au passif et au dponent, il y a une menue particularit qui, par sa singularit m m e , a un caractre fortement probant: c'est le futur en -b du latin, de types tels que amb, uidb. Si l'osco-ombrien n'a rien de pareil, l'irlandais en a, au contraire, le correspondant -exact ; hors du celtique, il n'y a rien de tel.

    La flexion nominale ne comporte pas de larges innovations cons-tructives, c o m m e on en observe dans les verbes : en italique et en celtique, c o m m e clans les autres langues indo-europennes, elle s'est modifie surtout par simplifications et par extensions analogiques en attendant de s'liminer c o m m e elle l'a fait en brittonique et dans les langues romanes. Toutefois on y observe quelques nou-veauts particulires l'italique et ce que l'on sait du celtique par l'irlandais et par les dbris subsistants du gaulois.

    La nouveaut la plus curieuse n'est tablie que par le gaulois. l'irlandais et le latin ; l'osco-ombrien l'ignore ; quant au brittoni-que, la ruine prcoce de la flexion a fait disparatre jusqu' la pos-sibilit d'observer les faits eux-mmes. Le gnitif du type thmati-que, celui de lupus, lupum ; uir, uirum ; etc. est en latin de la forme lupl, uirl, etc. (avec un -l ancien, et non une ancienne diphtongue, c o m m e au nominatif pluriel latin des mmes mots). Or, ce gnitif en -l se retrouve pour le m m e thme en gaulois et en irlandais ; le mot fils tait, dans l'irlandais des plus anciennes inscriptions, dites ogamiques, de la forme maqi: le gnitif irlan-dais fir uiri suppose une forme *wirl = lat. uirl, tandis que le nominatif fer suppose *wiros = lat. uir. En gaulois, le gnitif de segomaros est segomari sur les inscriptions. L'osco-ombrien n'a pas ces formes ; mais il a une innovation propre : il emploie comme gnitif de osq. sakarakltim sacellum une forme sakarakleis dont la finale est emprunte celle des thmes en -i ; la prhistoire de cette innovation analogique est inconnue ; il faut retenir du moins que, pas plus que le latin, l'osco-ombrien ne prsente une

  • FAITS GRAMMATICAUX 2 9

    forme correspondant -asya du sanskrit ou -es du vieux haut-alle-mand. Quant l'origine du type lat. uirl, M . Wackernagel a rapproch des formes sanskrites en -% qui jouent un rle dans certains groupements de mots, mais qui ne font pas partie de la flexion. Nulle part ailleurs on ne signale rien de pareil. La concor-dance du latin et du celtique a donc ici une grande valeur probante.

    En italique et en irlandais, l'instrumental s'est fondu avec l'ablatif, et, au pluriel, le locatif et le datif avec l'ablatif-instru-mental. La principale des conditions initiales de ces confusions se trouve peut-tre dans le caractre qu'avait l'emploi des dsinences *bh initial : dans le groupe occidental de l'indo-europen, elles n'ont pas t affectes des valeurs casuelles dfinies c o m m e en indo-iranien, en slave, en baltique et en armnien. Si une forme latine ouibus sert pour le datif, le locatif, l'ablatif et l'instrumental, c'est de la m m e manire que la forme en -phi(n) chez Homre. Mais, en grec, le type en -phi(n) n'est attest que dans l'olien, et il n'a pas eu de consquences pour la tlexion casuelle o il n'a jamais pntr. A u contraire, l'italique et le celtique ont trait les formes de ce genre c o m m e des formes casuelles normales, essentielles la dclinaison ; en raison de leur ambigut, ces formes ont eu sur l'ensemble de la flexion casuelle une action destructrice. Il est vrai que la forme particulire de la dsinence n'est pas la m m e en latin et en irlandais : l'irlandais *-b suppose *-bhi(s), le latin -bus suppose sans doute *-bhos ; l'osque n'enseigne rien ; car la seule forme o la consonne initiale de la dsinence soit conser-ve, celle du v. osque luisarifs lusoriis (?) n'a pas conserv la voyelle entre -f- et -s. Mais le procd italique et le procd irlan-dais concordent dans l'ensemble. Le germanique a employ d'une manire semblable une forme -m- initiale ; mais cette dsinence tait tout autre que celle qui est prsente par l'italique et le cel-tique. La concordance entre l'italique et le celtique est donc significative.

    Les deux innovations les plus caractristiques de la flexion casuelle concordent ainsi en italique et en celtique.

    Un fait notable, mais qui a un pendant en armnien, est l'largis-

  • 3o L'ITALO-CELTIQUE

    sment par un suffixe en -n- du suffixe -ti- des noms d'action. Par exemple, le latin a mens (de *mentis) en face de sanskrit matih pense ; mais c'est un mot isol, qui n'a plus en latin le caractre de nom d'action ; le n o m d'action qui figure ct de memini, com-miniscor, etc. est menti, mentinis. Or, on observe le m m e largissement en celtique : irlandais air-mitiu honneur . Le fait existe en osco-ombrien c o m m e en latin: en face de ntus, le latin a nti, ntinis, et l'ombrien a natine natione .

    Les formations suffixales sont, dans les langues indo-europennes, un lment en grande partie rcent. Il se trouve ici encore que italique et celtique offrent des concordances spciales. La formation complexe en -t-t- n'est pas strictement propre l'italique et au celtique : le gotique a mikildufs grandeur , de mikils grand . Mais elle n'est productive et importante qu'en italique et en celtique : lat. iuuents, etc.; irlandais bethu (gn. bethad) vie et gallois bywyd (mme sens).

    La formation du superlatif du type sanskrit svdisihah le plus doux, gr. hdistos, vieux haut allemand suozisto ne se retrouve pas en italo-celtique. Le type en *-mo- de skr. madhyamh et goti-que miduma qui est au milieu (ou de skr. priytamah le plus cher et got. hleiduma gauche ) ne se retrouve pas non plus l'tat simple. Mais il y a un type complexe en *-smo- : lat. ma.xi-mus, pessimus, osque nessimas proximae , vieux gallois hin-ham le plus vieux , vieil irlandais dilem le plus cher; le vieil irlandais nessam et le gallois nesaf se laissent superposer au thme de osque nessimas proximae , ombrien nesimeiv. proxime . Or, cette formation est propre l'italo-celtique.

    Ce superlatif de type driv est d'autant plus remarquable que le latin et l'irlandais ont galement gnralis le type de comparatif radical : lat. senior, irlandais siniu. Le germanique offre, au con-traire, une forme drive *-iz-an- dont l'quivalent se retrouve en grec dans le type hdin plus doux ; la caractristique *-ion-s'explique bien par un ancien *-is-on-.

    Outre ces concordances morphologiques, le vocabulaire celtique

  • VOCARULAIRE 3i

    offre avec le vocabulaire latin quelques rencontres significatives. Les plus remarquables concernent les prverbes-prpositions. Le d latin n'a de correspondant exact qu'en celtique : irlandais dl. Le cwmlatin n'a de correspondant exact qu'en celtique : irl. com-, con-. Si lat. sine est apparent sanskrit sanith au dehors, spar-ment , gotique sundro sparment , etc., ce n'est que dans irlan-dais sain sparment , qu'on en a un correspondant exact. U n adjectif aussi singulier que lat. crispus (de *kripsos) n'a d'autre correspondant que gall. crych (mme sens), qui se retrouve dans le n o m propre gaulois Crixos. Le latin a ueru, l'ombrien berus (abl. plur.), l'irlandais bir, le gallois ber, avec le m m e sens (la consonne initiale est un ancien *gw). De m m e lat. al n'a d'au-tre correspondant clair que irlandais alim je nourris .

    Fait plus probant encore : certains termes de civilisation, inconnus d'autres langues, se rencontrent seulement en italique et en celtique. Lat. uts est apparent gotique wods furieux, pos-sd ; mais il n'a d'autre correspondant complet que irlandais fith pote . Il y a, hors du celtique, des formes apparentes lat. can, ombr. kanetu canito; mais le celtique est seul offrir un verbe identique : irl. canim (avec un prtrit cechan en face de lat. cecinl j'ai chant , gallois canu chanter . Lat. saeculum et gall.hoedl, moy. breton hoazl dsignent la dure de la vie .

    U n dtail de caractre ngatif, mais curieux, consiste en ceci que les noms du fils et de la fille , qui se trouvent dans presque toutes les langues indo-europennes sous des formes plus ou moins voisines de snh et duhitti du sanskrit, manquent et au celtique et l'italique et y sont remplacs par des mots visiblement adapts un usage nouveau, c o m m e lat. fllius et fllia. Le celtique a de tout autres mots, mais aussi nouveaux.

    Ces concordances partielles ne sont pas accidentelles. O n a constat en effet que l'indo-iranien a en c o m m u n avec l'italique et le celtique beaucoup de termes religieux ou juridiques qui sont anciens, mais qui ont disparu partout ailleurs. Or, ici, l'italique et le celtique concordent souvent, et de manire frappante. En face du juxtapos vdique rd dadhti il croit (o rdt et dadhti sont

  • 32 L'ITALO-CELTIQUE

    deux lments autonomes), le latin a crd (perf. crdidi), et l'irlandais cretim je crois (le t notant d sonore, non spirant), le gallois credu ; l'italique et le celtique s'accordent donc prsenter, sous forme de mot un, ce vieux juxtapos dont les autres langues indo-europennes n'ont pas trace. Le n o m du chef est attest la fois par lat. rx (rgis), par gaul. rlg- (-rx dans de nombreux noms propres), irl. ri (gn. rlg) et par skr. rj- (ou le driv rj-an-); il ne Test nulle part ailleurs. Lat. nemus (rxemoris) bois a encore nettement la valeur de bois sacr ; en grec il y a un correspondant concret, nmos pacage, endroit bois , sans valeur religieuse ; en revanche le sens minemment religieux de la racine *nem- en indo-iranien se retrouve clairement en celtique, et c'est ce sens qui rend compte de la valeur religieuse de nemus : en sanskrit nmati signifie il s'incline , dans l'Avesta nam signifie hommage, prire , et ce sens est celui du persan namz prire ; en celtique, gauloisnemeton, irlandais nemedsignifient sanctuaire .

    Ces trois rapprochements capitaux o l'italique et le celtique sont intresss la fois sont particulirement nets. Mais il y a un grand nombre d'autres cas o le celtique et l'italique sont seuls chacun conserver en Occident un terme religieux ou juridique qui est d'autre part maintenu en indo-iranien. Ainsi le groupe lat. is, istus. irre, si important, n'a de correspondant qu'en indo-iranien : aves-tique yaos, etc. La locution inter-dic qui indique une prohibition a son pendant seulement dans l'Avesta. La racine *kem- dire est un peu reprsente en albanais et en slave ; mais le sens de dire solennellement, officiellement, rituellement ne se trouve qu'en indo-iranien et en latin : lat. cense est le verbe dont se sert le snateur romain pour noncer son opinion; Otiy il proclame est le verbe par lequel Darius introduit ses proclamations ; msali il rcite est le verbe par lequel est dsigne la rcitation du rsi vdique.

    Si l'ordinal decimus du latin s'accorde avec decam-etos du gaulois, dechm-ad de l'irlandais, etc., c'est que l'italo-celtique est rest fidle un vieil usage indo-europen conserv aussi par l'indo-iranien: daamdh en sanskrit, etc. ; les langues de la zone interm-

  • ARCHASME DE L'ITALO-CELTIQUE 33

    diaire ont une forme drive avec suffixe -lo- : desetu en slave, desimtas en lituanien, taihunda en gotique, dkatos en grec. D u reste, en celtique m m e , l'ancien *defi0mo- a reu secondairement le suffixe *-eto- qui figure d'ordinaire dans les ordinaux celtiques.

    Ces faits concordent pour indiquer que l'italique et le celtique remontent un ensemble de parlers qui, tant issus d'un m m e groupe dialectal de l'indo-europen, ayant t identiques au dbut, ont de plus, pendant un temps, continu d'avoir entre eux des relations particulires. Entre la nation indo-europenne, que suppose l'unit linguistique indo-europenne, et la nation italique , que suppose l'unit italique qui sera tudie au chapitre suivant, il s'est insr une priode o des populations de langue indo-europenne ont cons-titu une unit nationale qu'on peut nommer italo-celtique. Il a pu en sortir des groupes autres que 1' italique et le celtique. Mais de ces groupes rien n'est connu et il n'y a l qu'une possibilit vague. O n ne saurait ici invoquer le ligure puisque de la langue ligure on ignore tout : les faits linguistiques que laissent entrevoir les noms propres qui pourraient tre ligures ne permettent aucune affirmation absolue.

    Il subsiste cependant une objection propre dconcerter : mme abstraction faite de ce qui, en celtique et en italique, peut provenir d'innovations postrieures la priode d'unit suppose, le celtique et l'italique offrent des discordances nombreuses. Qu'on parcoure par exemple la liste des verbes forts et anomaux en vieil irlandais et en latin et elle est longue dans chaque langue , on verra qu'une minorit seulement de ces verbes se trouve la fois dans les deux langues. Il serait vain de chercher en latin le correspon-dant de irlandais crenim j'achte tout comme celui de lat. fund en irlandais. Et, quand les deux langues ont une m m e racine, c'est souvent sous des formes diffrentes ; en face de lat. uinc'o, ulcl, l'irlandais a fichim je combats , cf. ubar-wehan vaincre du vieux-haut allemand et vega combattre, tuer du vieil islandais, ct de weihan en gotique, et wigan en vieil anglais.

    A. MEILLET. 3

  • 34 L'ITALO-CELTIQUE

    Cet exemple fait ressortir la solution de la difficult : elle est simple.

    M m e l'irlandais, malgr ses archasmes partiels, m m e le latin, malgr la date relativement ancienne o il est connu, ne donnent pas une ide, m m e approche, de ce que pouvait tre l'italo-celtique. Encore au Ier sicle av. J.-C, les noms propres gaulois tels que Dumno-rlx ont un aspect peu prs aussi ancien que les composs vdiques ou homriques. A l'poque italo-celtique, qui ne saurait tre postrieure la fin du second millnaire avant le Christ, la langue avait encore un aspect au moins aussi ancien, aussi indo-europen que celui qui peut tre attribu l'indo-iranien com-m u n , et plus ancien que celui du vdique et surtout de la langue homrique. Les formes qu'on observe en latin et en irlandais ne sont pas les formes italo-celtiques elles-mmes ; c'en sont des adaptations, trs volues pour la plupart. Il n'y a aucune raison de supposer ni que les vieilleries conserves soient les mmes sur les deux domaines ni que les altrations se soient opres d'une m m e manire. Les formes germaniques de la racine *weik- combattre, manifester sa force, vaincre montrent que cette racine fournissait l'indo-euro-pen un prsent athmatique tel que *wik-mi je combats : *wik-m(s) nous combattons . Les prsents de ce genre ont tendu s'liminer partout ; l'arrangement qui a prvalu en irlandais, dans fichim, est du m m e type que celui qui subsiste en islandais dans vega, en vieux-haut allemand dans wehan ; l'arrangement qui sub-siste en latin est du type nasale infixe qui a reu en latin, comme en lituanien, une extension considrable, d'o : uinc. Si uinc et fichim ne concordent pas, c'est que, en dpit de leur air archaque. ni Tune ni l'autre forme n'est ancienne. Ici, par hasard, la compa-raison du germanique, laquelle se joint celle du lituanien, permet de rtablir exactement ce qui s'est pass. La situation n'est pas tou-jours aussi favorable. Mais c'est ainsi que peuvent en principe s'expliquer les faits attests.

    Voici un exemple caractristique. E n irlandais, benim je frappe , avec son subjonctif bia et son prtrit ro-bi, est courant. Le latin classique n'a rien qui y rponde. Mais il n'est pas douteux que pareil

  • ARCHASME DE L'ITALO-CELTIQUE 35

    prsent est ancien. Or, on sait par hasard que le latin ne l'a pas ignor : Festus atteste l'existence d'un perfines signifiant perfrin-gas. Il ressort de l que, au cours de son histoire, le latin a perdu un verbe dont l'usage a largement persist en irlandais.

    Le latin a perdu le prsent indo-europen qui est reprsent par irl. crenim j'achte . Mais ce prsent a disparu aussi, avec le temps, dans la plupart des langues indo-europennes. Le slave, qui l'a possd, n'en a que des traces. Le grec, qui a l'aoriste corres-pondant, eprimn j'ai achet , n'a plus le prsent. Le latin a spcialis au sens de acheter un verbe signifiant je prends , et qui, avec les prverbes, a conserv ce sens (exim'o, dmo, sam, etc.) : em. Cette dviation du sens de em a peut-tre eu lieu sous une influence trangre ; car on trouve en dorien de Sicile Xap.-6vw je prends au sens de j'achte . La racine *em-, dont le caractre ancien est tabli par les formes baltiques, se retrouve en irlandais, mais avec des emplois autres qu'en latin.

    Il n'est pas surprenant que le celtique n'ait pas un correspondant de lat. fund. Car la racine *gheu- verser avait, avec une forme radicale, un aoriste athmatique, non viable en latin ; pour en assu-rer la conservation, il a fallu crer des formations nouvelles : le ger-manique a obtenu un prsent avec un suffixe de forme *-de-, d'o giutan verser en gotique ; le latin s'est servi du m m e suffixe, mais il a de plus caractris le prsent par l'infix nasal dont il fait grand usage, tandis que le celtique n'en a pas dvelopp l'emploi, d'o fund, en face de fdl. Il y a l des formations anciennes au point de vue latin, mais qui ne remontent pas jusqu' une poque italo-celtique.

    Le prsent signifiant je conduis est duc en latin, fedim en irlandais. Tous deux sont anciens. Dcd se retrouve exactement en germanique : got. tiuha, etc., ainsi que le type de -ducre, dans toga tirer du vieil islandais; cette racine est inconnue de l'indo-europen oriental. Irl. fedim se retrouve en baltique : lit. ved je conduis , en slave : ved je conduis , et en indo-iranien. Il y avait donc en indo-europen occidental deux racines ; le latin a gard l'une, et le celtique l'autre. La racine qui a survcu en latin est celle

  • 36 L'ITALO-CELTIQUE

    qui est propre l'indo-europen occidental et qui, ayant un carac-tre populaire, tait propre fournir des formes expressives : le vieux haut allemand a zuckan tirailler , et le grec daidyssesthai tirer (seule trace qui s'y trouve de la racine). U n dtail montre cependant que le latin a connu, une poque prhistorique, la racine *wedh- de irl. fedim : cette racine avait, entre autres emplois, un usage technique ; l'accord de l'indo-iranien, du slave, du baltique et du celtique, donc de toutes les langues o elle est atteste, prouve qu'elle servait dsigner le fait d' emmener la fiance; le verbe dc a en latin hrit de cet usage, et l'on dit uxorem ducere.

    La phontique autoriserait les m m e s conclusions. Ainsi les anciennes sonores aspires indo-europennes aboutissent

    en celtique des sonores simples, en italique des spirantes sourdes. Mais la diffrence observe entre *gw donnant b et *gwh donnant g en celtique a prouv que la distinction des sonores simples et des sonores aspires existait encore en celtique commun. Le traitement celtique et le traitement italique rsultent d'innovations postrieures l'unit italo-celtique.

    Le traitement des sonantes voyelles telles que r, qui est ri en celtique et or en latin, diffre du tout au tout : lat. porlus (littra-lement lieu de passage ) rpond ritu- gu (de *prtu-) du celtique, furt gu du vieux haut-allemand, paratu- passage de l'Avesta. C'est que la sonante voyelle *r avait encore en italo-celtique son caractre ancien. D u reste, dans des situations spciales o *f, plus instable, a d s'altrer plus tt, il apparat des concor-dances entre italique et celtique. A la diffrence de ce qui se produit dans la plupart des langues, le timbre de la voyelle dveloppe devant *r suivi de voyelle, qu'on peut noter *r, diffre du timbre de la voyelle dveloppe devant *f suivie de consonne ; tandis que le ger-manique a ur dans les deux cas, l'italique et le celtique offrent ar devant voyelle, ct de celt. ri et lat. or devant consonne ; c'est ainsi que, de *k"r- part on a ombr. karu part , lat. car chair (littralement part de viande dans le sacrifice, dans le repas en c o m m u n ) et, de la m m e racine, l'irlandais a scaraim je spare (ancien *skr-). De m m e *r suivie d'*a> est reprsente

  • LE GREC ET L'ITALIQUE 37

    par r en italique et en celtique : lat. grnum, irl. gran, correspon-dant kaurn grain du gotique, zrno grain du slave. A ct d'une discordance entre l'italique et le celtique, l o les innovations sont rcentes, il apparat ainsi deux concordances frap-pantes, l o les innovations ont chance de remonter plus haut.

    O n pourrait multiplier les exemples de cette sorte. Il en ressort le fait intressant mais non imprvu que la langue de l'unit italo-celtique tait d'un type pleinement archaque, encore trs peu pareil la fois au type italique et au type celtique. Si, par un hasard qu'il n'y a pas lieu d'esprer, il se rvlait un jour un monument rdig dans un parler italo-celtique , on serait surpris et de la forme de la langue, qui ne ressemblerait presque en rien au latin qu'on connat, et de la diffrence avec le type indo-iranien ou le type hellnique.

    Le fait que 1' italique a travers une priode plus ou moins longue d'unit italo-celtique exclut l'hypothse qu'il y aurait eu, quelque moment du pass, une priode d'unit hellno-italique.

    L'hypothse de cette unit a t souvent soutenue. Mais les preuves sur lesquelles on l'appuie sont ruineuses.

    Il faut, bien entendu, faire abstraction de la premire impression. Le latin est attest une date plus rcente que le grec, mais ancienne par rapport la date des plus anciens monuments celti-ques et germaniques, et l'archasme de son aspect rappelle le grec plus que les formes attestes du celtique et du germanique. La cri-tique du linguiste dissipe aisment cette apparence. D'autre part, ds avant la date des plus anciens monuments conservs, le latin a subi une forte influence du grec ; il est rsult de l beaucoup de nou-velles ressemblances qui n'enseignent rien sur une communaut ini-tiale entre le grec et le latin.

    Il faut surtout se garder d'attribuer une signification des con-cordances qui rsultent d'innovations indpendantes. A comparer lat. fero et la prononciation fera de l'ancien phro je porte l'poque byzantine, on croirait que l'ancienne sonore aspire bh (re-prsente par bh- en sanskrit : bhrami je porte , et en germa

  • 38 L'ITALO-CELTIQUE

    nique et en armnien par des b qui ne peuvent reposer sur des sono-res simples : got. haira, arm. bereni) a abouti des spirantes pareilles en grec et en latin. Mais il suffit d'observer les faits de l'poque historique pour saisir la diffrence : *bh a donn en grec un p aspir , ph, qui est devenu spirant avec le temps, mais qui encore en attique tait une occlusive ; le m m e *bh a donn au con-traire une spirante, ds la priode italique commune. Il n'y a de com-m u n l'italique et au grec qu'un trait : les anciennes occlusives sonores aspires sont reprsentes par des phonmes sourds. L'as-sourdissement s'explique peut-tre par le fait que l'italique et le grec sont des langues adoptes par des populations mditerranennes diffrentes, mais qui avaient une difficult pareille prononcer le phonme singulier et peu stable qu'est une occlusive sonore aspire. D u reste, il y a des raisons de penser que le systme des occlusives des langues que l'indo-europen a remplaces dans le bassin mdi-terranen comportait c o m m e un lment essentiel des occlusives sourdes aspires et ne concordait pas avec le systme indo-europen.

    A u nominatif pluriel des thmes en -o-, si l'on n'avait que le latin lupl (de lupei, ancien *lupoi) et le grec lykoi, on croirait que la substitution de la finale *-oi des dmonstratifs *-s des substantifs pourrait tre une innovation commune. Mais cette innovation tait facile : le slave la prsente aussi, et de manire videmment ind-pendante. D u reste, il suffit d'examiner les faits italiques et celtiques pour apercevoir que le fait latin est rcent. L'osco-ombrien, qui est srement proche du latin, prsente un dveloppement inverse : alors que le latin a eu lupl d'aprs istl, en osco-ombrien le dmonstratif a reu le *-s des substantifs, et l'osque ius-c ceux-ci l'a au nomina-tif pluriel tout c o m m e N u via mis habitants de Noie . En irlandais, le nominatif pluriel fir repose sur *wiroi qui est aussi l'original de lat. uirl; mais *wirs, qui tait la forme ancienne, s'est maintenu au vocatif, qui est firu. Les innovations du grec, du latin, de l'osco1

    ombrien et de l'irlandais, diverses dans le dtail, rsultent des con-ditions hrites de l'indo-europen ; elles ne prouvent aucun rapport spcial entre ces langues pas plus qu'il n'y en a eu entre ces langues et le slave.

  • LE GREC ET L'ITALIQUE 39

    On voit par l quelle rserve il faut garder quand on utilise des concordances, frappantes au premier abord, entre le dveloppement grec et le dveloppement latin. La parent des conditions initiales en entranait naturellement ; et le nombre, en s o m m e petit, qu'on en observe est de l'ordre de ce qui peut tre attendu en vertu des dveloppements parallles et indpendants les uns des autres.

    Le fait le plus frappant consiste en ceci que, en italique c o m m e en grec, le gnitif pluriel du fminin des dmonstratifs, du type skr. tasm de celles-ci , homrique taon (vieille forme olienne), lat. istrum, osq. eizazun-c earum , s'est tendu tous les thmes en --, si bien que l'on a lat. -rwn, osq. -azum, ombr. -arum m m e dans les substantifs, et de m m e gr. olien -n (conserv notam-ment en botien et chez Homre ; de l ionien-attique -on, dorien-rc). Ceci ne s'observe nulle part ailleurs. Mais l'extension aux substan-tifs des formes de la flexion des dmonstratifs est, dans le dvelop-pement de la dclinaison des langues indo-europennes, un fait courant. Ds lors il est peu significatif que deux langues offrent Tune et l'autre l'extension d'une m m e forme. Le gnitif pluriel des thmes en -- faisait une difficult particulire : la dsinence, com-menant par voyelle, ne laissait plus transparatre la voyelle finale du thme, de sorte qu'une forme c o m m e celle qu'offre le lituanien et qui, n'ayant gure pu tre nouvellement cre, doit reprsenter le type indo-europen, ne caractrise pas les thmes en -- : le type du gnitif du fminin de lituanien stirna chevreuil ne se distingue pas de celui du masculin vyras h o m m e : on a stirnu comme vyru. Une extension analogique qui permettait de distinguer le gnitif des thmes en -- de celui des thmes en -0- tait la bien-venue, et l'on s'explique aisment la propagation du procd.

    L m m e o le grec et le latin ont en c o m m u n quelque trait de structure, le dtail des formes diffre. Ainsi le grec et le latin sont les seules langues indo-europennes o chaque thme verbal ait t pourvu d'un infinitif. Le latin a dcere et dxisse tout c o m m e le grec a un infinitif prsent, un infinitif aoriste, un infinitif parfait, etc. ; il a un prsent, un infinitif passif distinct de l'infinitif actif, tout comme le grec. Mais ni la caractristique -se de l'actif alcere

  • 4o L'ITALO-CELTIQUE

    (ancien deicese), d/xisse, ni la caractristique -l du passif dlcl n'ont en grec un correspondant ; les formes de l'infinitif grec, variables suivant les dialectes et suivant les types verbaux, diffrent absolu-ment des formes latines.

    D u reste, le grec et le latin divergent plus qu'ils ne convergent. Si les formes de la flexion nominale concordent assez souvent, c'est que la dclinaison a t modifie dans le dtail par beau-coup d'innovations analogiques sans qu'il ait t cr un systme nouveau. Mais les systmes verbaux diffrent beaucoup, et ils sont partis de systmes diffrents dj lors de la rpartition dialectale des parlers indo-europens. Ainsi, dans les restes de l'ancien parfait, le grec a le type redoublement dans tous les cas de m m e que l'indo-iranien, ainsi lloipa j'ai laiss ; le latin, au contraire, s'accorde avec l'irlandais et le gotique n'utiliser normale-ment le redoublement que l o le parfait n'est pas caractris par une opposition du vocalisme avec le prsent : liqul ayant un voca-lisme radical distinct de celui de linquo, le redoublement y tait superflu. Le redoublement ne figure gure que l o le vocalisme du parfait concide avec celui du prsent : l'irlandais a cechan en face de canim je chante , gegon en face de gonim je frappe ; le latin a de m m e cecinl (ancien *kekanai) en face de can, memordl ou momordl en face de morde, etc. U n dtail de ce genre montre que le latin est orient c o m m e le celtique et le germanique. et autrement que le grec.

    Une particularit du lexique confirme cette indication. Il y a beaucoup de mots, les uns srement anciens, les autres peut-tre emprunts, qui existent dans un groupe cohrent des langues indo-europennes : slave, baltique, germanique, celtique et italique, et ne se retrouvent pas en grec, en armnien et en indo-iranien. Ces mots sont trop nombreux et trop importants pour que la concor-dance soit fortuite. En voici quelques exemples dont la porte est immdiatement visible.

    Lat. cuis (de ceiuis), osq. ceus sont videmment apparents une srie de mots germaniques : en gotique heiwa- dans heiwa-

  • VOCARULAIRE DU NORD-OUEST 4

    frauja matre de maison , en vieux haut allemand hlwo mari hlwa pouse , en vieil islandais kj'n familia , et, avec une autre formation, en lituanien seim et seimyna, en vieux slave, smj'a familia . Rapprocher sanskrit vah favorable, amical, etc. , comme on le fait souvent, n'est qu'une amusette.

    Osq. touto, ombr. tuta, tota ciuitas, populus n'ont pas d'qui-valents en latin o ont prvalu le driv de ciuis, ciuitas, et le mot d'origine populaire populus ; le caractre particulier de populus res-sort du fait singulier que l'adjectif pblicus est prisa un autre groupe de mots, celui de pbs ; il y a eu ici en latin des innovations, les unes populaires, les autres savantes, assez peu ordonnes. Teut est un vieux mot qui se retrouve dans : irlandais tath (gaulois Teuto-dans des composs), gotique fiiuda, lituanien taut, partout avec la valeur de populus .

    Le nom hostis de 1' tranger , qui a pris en latin le sens de ennemi , ne se retrouve qu'en germanique : got. gasts, etc., et en slave : gost, au sens de hte .

    Lat. hom et hem (notamment dans nm, de *ne-hem) est un driv d'un thme racine signifiant terre , qui se retrouve dans le driv humus, et qui est un mot indo-europen c o m m u n ; la variation du vocalisme radical entre e et o s'explique par le fait que c'est un driv d'un mot alternances : *hem-/*hom-. L'osque et l'om-brien ont la m m e forme avec le vocalisme o: osq. h u m u n s homines , ombr. homonus hominibus . Il y a au sens de h o m m e des drivs du m m e mot signifiant terre dans duine de l'irlandais, guma du gotique, mu et zmogs du litua-nien. Ces langues dsignent donc 1' h o m m e c o m m e tre ter-restre par opposition aux dieux clestes ; en grec, en arm-nien, en indo-iranien, 1' h o m m e est n o m m le mortel , par opposition aux dieux immortels . porcus dsigne uniquement l'animal domestique, sus la fois

    l'animal domestique et le sanglier . Or, sus a des correspondants dans tout l'indo-europen. Mais porcus n'en a que dans le groupe dfini ci-dessus : irlandais orc, vieux haut-allemand farah, litua-nien parsas, vieux slave pras.

  • 4 a L'ITALO-CELTIQUE

    nldus en latin signifie nid , et il en va de mme de net en irlandais, de nest en allemand et des formes bizarrement altres lizdas en lituanien, gnzdo en slave. Il s'agit d'un mot indo-euro-pen *ni-zdo- qui, dans tout le groupe considr, a le sens spcial de nid , mais qui ailleurs, ou bien a disparu, comme en grec, ou bien a conserv son sens gnral de lieu o l'on est tabli : nist en armnien, nlddh et nlddm (de *?ii-zda-), en sanskrit; le second lment du compos appartient la racine sed- de lat. sede; mais il ne transparat dans lat. nldus rien del formation primitive du mot. uerbum a ses correspondants exacts pour la forme et pour le sens

    dans waurd du gotique, wlrds du vieux prussien, mais ne se retrouve ni en grec, ni en armnien, ni en indo-iranien. urus se retrouve exactement dans flr de l'irlandais, gwir du

    gallois, wr du vieux haut allemand, et ne saurait tre spar de vra foi du vieux slave. barba rpond pour la forme et pour le sens barda du baltique,

    brada du vieux slave, borod du russe, et n'est pas non plus spa-rable de bart du .vieux haut allemand. Le mot, dont Va radical caractrise une forme populaire, ne se retrouve pas ailleurs. mare appartient un groupe de mots drivs d'un thme radical

    qui apparat sous l'une des deux formes *mor- et *?nr- : *mor- dans muir (neutre) de l'irlandais, marei (fminin) du gotique et meri (neutre) du vieux haut allemand, mr (fminin) du lituanien et morje (neutre) du slave; *mr- dans lat. mare. Ce nom de la mer ne figure ni en grec, ni en armnien, ni en indo-iranien (sauf peut-tre une trace dans un compos sanskrit). Le groupe de g lu, gelure, gelidus du latin et de gelan (ace. sg.)

    gele de l'osque rappelle seulement gotique kalds froid , vieil islandais kala geler et lituanien glmenis froid intense , slave golot glace et ildica verglas . caurus, nom du vent du Nord-Est, rappelle le nom slave du nom

    du vent du Nord, sver, et le nom lituanien du mme vent, siaurys (ace. siduri) ; scr du vieux haut allemand dsigne un vent violent.

  • VOCABULAIR