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J. F. E. LE BOYS DESGUAYS l er Vol., COLLECTION DE CONCERNANT LA NOUVELLE JÉRUSALEM TOME TROIS1ÉME. SAINT—AMAND (CHEII) A la librairie de La Nourelle Jérusalem, chez PORTE, Libz,aire. PARIS M. 31INOT, rue Monsieur-le-Prince, 58. E. JUNG-TREUTTEL, Libraire, rue de Lille: 19. LONDRES SWEDENBORG SOCiETY, 36, Bloorasbury Street, Oxford Street. le NEW—YORK"' NEW ClIURCII BOOK110014 346, Broadway. _ 18Q4 ?9c

Melanges J.F.E LE BOYS DES GUAYS T III

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J. F. E. LE BOYS DESGUAYS

l er Vol.,

COLLECTIONDE

CONCERNANT LA NOUVELLE JÉRUSALEM

TOME TROIS1ÉME.

SAINT—AMAND (CHEII)A la librairie de La Nourelle Jérusalem, chez PORTE, Libz,aire.

PARISM. 31INOT, rue Monsieur-le-Prince, 58.

E. JUNG-TREUTTEL, Libraire, rue de Lille: 19.•

LONDRESSWEDENBORG SOCiETY, 36, Bloorasbury Street, Oxford Street. le

NEW—YORK"'•NEW ClIURCII BOOK110014 346, Broadway._

18Q4?9c

COLLECTION DE MÉLANGES.

SAINT-AMAND (CHE.R). - IMPRIMERIE DE DESTENAYBu» Lafajette, 70, place Mont-Rond.

J. F. E. LE BOYS DES GUAYS

COLLECTION

M É L A N G E SCONCERNANT LA NOUVELLE JÉRUSALEM

TOME TROISIÈME.

SAINT-AMAND (CHER)A la Librairie de LA NOUVELLE JERUSALEM, che» Porte, libraire.

PARIS

M. MINOT, RUE MOSSIECR-LE-PRINCB, 58.B. JUNG-TRBCTTEL, LIBRAIRE, RDE DE LILLE, 49.

LONDRESSWEDENBORG SOCIBTT, 36, BLOOMSBCRT STBBET, OXFORD STREET.

NEW-YORKNEW CUBRCU BOOK-ROOM, 346, BROADWAT.

1864

AVERTISSEMENT.

La publication, en 1861, des pièces fugitives d'E-douard Richer en deux Volumes, sous le titre deMÉLANGES, a suggéré l'idée de former une Collectionde MÉLANGES, en réunissant par Volume, sous le nomde leurs auteurs, certains Articles de la REVUE laNouvelle Jérusalem, qui a cessé de paraître depuis16 ans, et dont l'Édition est épuisée. Cette idée ayantété adoptée par d'anciens Rédacteurs de ce Journalréunis à Paris, nous donnons ici, sous le nom deLe Roys des Guays, un premier Volume de Mélanges,qui devient par conséquent le Tome troisième de laCollection.

Outre les Articles qui seront extraits de la REVUEet du Journal l'Écuo de la Nouvelle Jérusalem, quidepuis 3 ans paraît par livraison mensuelle à Maurice(Ancienne île de France), nous recueillerons toutesles pièces fugitives qui ont paru jusqu'à ce jour ouqui paraîtront dans le cours de notre publication.

Notre seul but, en formant cette Collection, c'estde laisser à nos successeurs quelques traces des ef-forts qui ont été faits par les travailleurs de notreépoque.

ERRATA.

Page 82, lig. k, peut élevé, lisez : peut élever.— 169, — 1, longtemps, lisez : plus longtemps.

TABLE.

Pag,

Introduction • 1CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES 3

I. Sur le besoin de religion 5II. Sur l'insuffisance du déisme 5III. Sur l'impossibilité de revenir au -véritable christianisme

sans admettre la nouvelle révélation 8IV. Sur le sens interne de l'évangile 12V. Sur le révélateur du sens interne de la Parole 15

EXPOSITION 19Principes généraux sur Dieu, sur l'univers et sur l'homme. . . 20Sur les lois de l'ordre 28Sur la véritable acception du mot miracle 51Sur le libre arbitre 33Sur la chute 36Sur le soleil spirituel 40Sur l'origine du mal 41Sur les extatiques 46Sur la révélation ou transmission de la Parole divine aux

hommes 4"Réponse à l'Echo du Vatican 51Un mot au Semeur 76De la polémique religieuse 77Considérations générales sur le christianisme et sur sa marche

pour constituer l'unité humanitaire • 80Aphorismes de la nouvelle Jérusalem 98

Sur l'amour en général 102Sur les amours de soi et du monde 104Sur l'amour envers le Seigneur 108Sur l'amour du prochain ou la charité 109

Considérations sur le sens interne de la Parole. . 117

Pag.

Du pouvoir de lier et de délier que s'arroge le clergé" catholique-romain 150

Sur l'avenir de l'humanité 137Une nouvelle canonisation 151La nouvelle révélation ne pouvait pas être faite plus tôt. . . . 161Sur l'obscurité des prophéties 167Sur le second avènement 176Sur l'établissement de la nouvelle église 185

Robert Hindmarsh 193Polémique locale. Une inhumation 200Considérations sur la foi, sur la charité & sur le culte 209Construction d'un temple de la Nouvelle Jérusalem à St-Amand . 216Fragment rétrospectif 222Sur la Parole 229Coup d'œil sur l'état de la nouvelle Jérusalem 241Sur la polémique religieuse 249De la cause du retour aux idées religieuses 258Du culte de la nouvelle Jérusalem à Saint-Amand 269Notice sur le capitaine Bernard 274Oberlin était un disciple de la nouvelle Jérusalem 298Gobert & Bernard 312Notice sur le général de Bissy 522Un mot au Nouveau-Monde, journal phalanstërien 52GExtrait du Nouveau-Monde 529Les Archives du Christianisme (journal de la réforme) 531Swedenborg apprécié en Angleterre par des hommes de lettres. . 535Pourquoi Swedenborg a publié ses visions et ses mémorables . . 346Bibliographie. Un troisième biographe d'Éd. Richer 351A la Revue catholique 561La prétendue chronologie de la bible attaquée par la science . . 368Variétés. Les Annales algériennes 571

Du fanatisme religieux 58!)Notes additionnelles 400

INTRODUCTION

Nous avons indiqué, dans le Prospectus (2) de cetteREVUE, le but que nous nous proposions d'atteindre.Nous avons dit que la Religion était seule capable derésoudre la grande question humanitaire, en régéné-rant l'homme et par suite les sociétés; que le Chris-tianisme avait, depuis quinze siècles, été détourné desa véritable route; qu'en raison de celte funeste dé-viation , les diverses Communions chrétiennes setrouvaient toutes dans l'impuissance d'opérer cetterégénération; mais que cependant le Christianismeavait encore dans son tronc une sève vigoureuse, etque du moment où les superfétations qui empêchentcette sève de circuler auront été élaguées, on leverra sur-le-champ reverdir plus majestueux et plusfécond.

Puis, sortant du cercle ordinaire des investiga-

(1) Nous donnons sous ce tilre d'iNTRODUCTlON les Considérationsgénérales et l'Exposition que nous avons présentées dans LA REVUE,en 1838.

(5) Voir ce PROSPECTUS à la fin du Volume, où nous avons placé cequi peut concerner d'une manière, soit directe, soit indirecte, l'établis-sement de la Nouvel le Église en France, sans avoir é té publié dans LAREVUE.

1.

INTRODUCTION.

tions humaines, nous nous sommes écriés : Les tempssont enfin accomplis ! Le sceau qui avait été mis parDieu sur les Livres-Saints est levé, et la Vérité peutdésormais apparaître aux yeux de quiconque désirerade bonne foi la connaître. Cette exclamation a dû pa-raître étrange dans un siècle où l'on s'est habitué àne considérer que le positif, où tout est soumis àl'appréciation des sens, où la plus légère excursionhors du domaine des sciences naturelles et des idéesintellectuelles généralement admises, est frappée sur-le-champ d'une sorte de réprobation. Quelque glis-sant que puisse paraître aux yeux du plus grandnombre ce terrain nouveau sur lequel nous noussommes placés, nous montrerons qu'il est solide etsurtout convenable. Nous n'avons même pas craintde déclarer tout de suite par quels moyens la Divinitéavait levé le sceau posé par Elle sur sa Parole. Nousaurions pu, à la vérité, ne faire une déclaration siopposée à toutes les idées reçues, qu'après avoircomplètement exposé la Doctrine; si nous avons pré-féré cette marche franche, ce n'est pas toutefois sansnous dissimuler l'impression fâcheuse qu'elle pour-rait faire sur certains esprits; mais nous avions enmême temps la conviction intime qu'elle ne déplai-rait pas à ceux qui cherchent avec persévérance la

-Vérité, et qui ne jugent pas sans avoir sérieusementexaminé.

Toutes les propositions énoncées dans le Prospec-tus seront successivement développées dans le cours

INTRODUCTION. 3

de cette REVUE. Nous commencerons, dans ce Nu-méro, à exposer les grandes vérités spirituelles ré-vélées à Swedenborg; mais nous croyons qu'il estnécessaire, avant d'entreprendre cette Exposition,d'entrer dans quelques considérations générales.

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.

I.

Sur le besoin de Religion.

Tous les hommes judicieux reconnaissent mainte-nant que la philosophie du dernier siècle, après avoirrendu d'éminents services, en sapant le vieil édificesocial, est restée tout à fait impuissante pour en re-construire un nouveau. On pense dès lors qu'unephilosophie moins sensuelle et plus conforme auxbesoins du siècle, pourrait nous préserver de l'abîmeoù nous courons. Chacun donc se met à l'œuvre,chacun s'évertue à formuler de nouveaux systèmes;mais si la philosophie a pu seule détruire, la philo-sophie seule est incapable d'édifier. En effet, pourdétruire, la philosophie n'a eu qu'à faire un appelaux passions des hommes, et elle a été facilementcomprise; en déroulant sous les yeux de l'homme sesdroits, en le créant roi de l'univers, elle a flatté son

4 SUR LE BESOIN DE RELIGION.

MOI, et après avoir renversé, à sa louange, un grandnombre d'abus, elle a malheureusement donné nais-sance au plus pernicieux des abus, au culte du MOI ;c'est lui qui détruit aujourd'hui tous les liens de lasociété humaine. Or, quelque pur que puisse être lesystème .philosophique qu'on cherche à formuler, ilne pourra jamais avoir seul la force nécessaire pourrenverser ce culte désastreux.

C'est sans doute par suite de semblables réflexionsque certains philosophes cherchent à corroborer leurssystèmes par des idées religieuses ; mais on a pu,commenous, remarquer que la plupart de ceux-là mêmesqui conviennent de l'utilité d'une religion, donnentà entendre, avec un certain air de supériorité, qu'elleserait bonne pour servir de frein aux passions duvulgaire ; mais que, quant à eux, hommes intelli-gents, elle ne saurait les lier. Ce serait donc encorede l'hypocrisie! et c'est sur une semblable religionque l'on compterait pour détruire Fégoi'sme? Non. Sil'on veut une religion, il ne faut pas qu'elle soit lerésultat des décisions humaines, il faut qu'elle soitdivine, il faut que ses dogmes puissent être aussibien conçus et avoués par ceux qui sont au premierdegré de l'échelle intellectuelle, que par ceux quisont au dernier; car le Dieu qui ne serait pas acces-sible à tous, ne serait pas le vrai Dieu. Ce n'estqu'avec cette seule religion que les hommes parvien-dront à acquérir une foi vive, et qu'ils pourront yconformer leur vie,

SUR LE BESOIN DE RELIGION. 5

Et cette religion, nous ne sommes plus à la dési-rer, elle existe; elle vient de descendre sans bruit,comme elle était descendue une première fois, il y adix-huit siècles, sans qu'alors les maîtres du mondes'en fussent aperçu. Aujourd'hui, elle commenceà apparaître d'une manière manifeste, et elle est auChristianisme primitif, ce que celui-ci fut à la Loi deMoïse; c'est, en un mot, un complément de VéritésDivines, qui se trouve en rapport avec la somme deslumières naturelles acquises par la succession dessiècles.

II.

Sur l'insuffisance du Déisme.

S'il y a maintenant bon nombre d'hommes quicroient à l'existence de Dieu et à l'immortalité del'âme, il en est bien peu qui vivent selon cettecroyance. Cela tient à cet esprit de scepticisme quipèse de tout son poids sur notre siècle. Il y a desmoments où l'on croit, d'autres où l'on ne croit plus;et c'est précisément lorsque notre intérêt personnelnous pousse à agir contre les lois éternelles de lajustice, que le peu de foi que nous avons nous aban-donne. Alors on s'accommode facilement avec sa con-science, qu'elle soit civile ou politique, morale oureligieuse. C'est précisément là qu'en sont réduits laplupart des croyants, faute d'avoir des convictionsassez fortes pour lutter contre l'Égoi'sme.

i*.

6 SUR L'INSUFFISANCE DU DÉISME.

Le Déisme, à la vérité, semble, à l'époque oùnous sommes, offrir seul au philosophe un abri con-tre les superstitions grossières de toutes les Com-munions chrétiennes; mais le Dieu des philosophesn'est qu'une simple abstraction qui éblouit la raisonsans rien dire au cœur. Car si les théologiens onttous rabaissé leur Dieu en lui donnant des passionshumaines, si tous l'ont représenté d'une injustice ré-voltante, les déistes au contraire se sont plu à éleverleur Divinité, au point de la rendre inaccessible àl'homme, de sorte qu'on aperçoit à peine le lien quidoit rattacher l'un à l'autre. Il en est résulté que leDieu des théologiens a été rejeté par les philosophes,et que le Dieu des philosophes est resté inintelligiblepour les masses; mais le véritable Dieu des Chrétiens,révélé par Swedenborg, peut être compris et parl'homme du peuple et par l'intelligence la plus élevée,car il est la Justice même ; et comme tout homme areçu de Dieu un sentiment interne de justice, souventétouffé par Fégoi'sme, mais se manifestant toujourslorsque cette passion n'est pas mise en mouvement,il n'est par conséquent aucun homme qui ne puissele comprendre. En un mot, avec les théologiens,Dieu est un tyran redoutable qu'il faut craindre;avec les philosophes, c'est un maître insouciant quis'occupe peu d'insectes tels que nous ; mais avecSwedenborg, c'est le plus tendre des pères quin'exige que notre amour.

Il est du reste plus que douteux qu'on puisse ja-

SUR L INSUFFISANCE DU DÉISME. 7

mais amener la majorité d'une nation au Déisme; etl'on peut conclure de ce qui vient d'être dit, que sile fait arrivait, cette nation resterait plongée dansl'Égoi'sme; mais il n'en sera jamais ainsi; il faut unecertaine dose d'instruction et de probité pour êtredéiste vertueux, et certes la majorité d'une nation neremplira jamais en même temps les deux conditionsexigées. D'ailleurs, il y a dans cette populeuse partiede la société qui reste tout à fait privée d'instruction,un penchant tellement prononcé pour le merveil-leux, qu'en admettant chez elle le discrédit total descroyances superstitieuses, elle n'en deviendrait pasmoins la proie des premiers charlatans qui s'offri-raient à elle.

De vrais principes religieux, dégagés de toute es-pèce de superstition, pourraient donc seuls empêcherla civilisation de devenir le plus grand des maux; onne sait que trop, en effet, combien l'homme en se ci-vilisant éprouve de propension à l'égoïsme. Or, pourdéraciner cette funeste passion, il ne suffit pas d'a-voir recours aux lois civiles, politiques et morales, ilfaut de plus des convictions religieuses propres àporter les hommes à s'aimer les uns les autres.

La vertu morale et philosophique est insuffisantepour diriger l'homme ; il succombera tôt ou tardlorsque l'occasion se présentera, si la vertu reli-gieuse ne vient le soutenir; on sait, en effet, qu'aufond de toutes nos actions, même de celles qui pas-sent pour les plus vertueuses, se trouve toujours uneespèce d'égoi'sme; car ce vice est la tache originelle.

8 SUR LE VÉRITABLE CHRISTIANISME.

III.

Sur l'impossibilité de revenir au véritableChristianisme sans admettre la nouvelleRévélation ({}.

Cette insuffisance du Déisme est avouée aujourd'huipar la plupart des penseurs; aussi plusieurs d'entreeux étudient-ils sérieusement le Christianisme dansl'intention de le réhabiliter. Mais dans l'état de té-nèbres où les théologiens l'ont plongé, ces théophi-losophes feront en vain de généreux efforts, privésqu'ils sont du seul fanal qui puisse dissiper tant d'er-reurs accumulées.

Ceux d'entre eux qui prétendent réussir en con-servant le Catholicisme romain, et en se contentant

(1) Ici, et dans ce qui suit, par Révélation il ne faut pas entendreune Révélation telle que celles dont sont composés les Livres de l'Ancienet du Nouveau Testament. Ces Révélations constituent ce qu'on ap-pelle La Parole de Dieu ou simplement la Parole. Or, Swedenborgne nous a pas apporté une nouvelle Parole, mais il a été l'instrumentpar lequel le Seigneur a levé le voile qui couvrait sa Parole, en mani-festant les vérités réelles cachées sous la lettre. Ainsi, par une Révéla-tion nouvelle, il faut entendre la Révélation ou manifestation du sensinterne de la Parole. De m<*me, lorsque plus loin Swedenborg sera appeléle Révélateur, il faudra seulement entendre qu'il a été l'instrument dontle Seigneur s'est servi pour une nouvelle dispensation de vérités divinescontenues dans le sein de sa Parole. Ces expressions peu usitées main-tenant, étaient alors (en 1838), assez fréquemment employées par lesmembres de la Nouvelle Jérusalem.

SUR LE VÉRITABLE CHRISTIANISME. 9

de le réformer, iront se briser inévitablement contredeux écueils. D'un côté, Rome, malgré les nouveauxrevers qu'elle éprouvera, toujours fière de son anti-que puissance, ne consentira jamais à céder sur au-cun point; dé l'autre, les peuples, fatigués du jougukramontain, ne sont pas disposés à le supporterlongtemps; et, dans le cas où ils ne l'auraient passecoué au moment de la réforme qu'on projette, ilsrefuseraient de la seconder, dans l'appréhensiond'un nouveau piège.

Quant à ceux qui, frappés de la pureté primitivedu Christianisme, voudraient nous y ramener, endétruisant les abus, mais sans s'appuyer sur la nou-velle Révélation, ils se trouveront dans une positionnon moins critique. Forcés de prendre l'Évangilepour code et de l'expliquer, comment y parviendront-ils? s'ils se contentent de la partie morale, je cher-che en vain le Christianisme; je vois bien une moraledivine, mais la religion a disparu. Si, plus consé-quents avec eux-mêmes, ils consentent à admettredes dogmes, ils se trouveront dans la nécessité, oude conserver ceux des Catholiques-Romains, ce quiserait maintenir le peuple dans la superstition, oud'en établir d'après leurs idées philosophiques, etalors le peuple ne les comprendra plus. Dans l'un etl'autre cas, tout homme, pour peu qu'il soit doué dejugement, verra que la nouvelle religion n'est qu'unfrein politique pour contenir la populace, et de cemoment elle sera enlièrement discréditée et restera

10 SUR LE VÉRITABLE CHRISTIANISME.

sans effet; car toute religion, qui ne conduit pas in-térieurement l'homme à combattre ses défauts et àse régénérer, a manqué totalement son but.

D'ailleurs, comment ces théophilosophes pourront-ils amener l'homme qui raisonne à adopter avec unepleine conviction leurs principes religieux, s'ils nepeuvent lui expliquer d'une manière satisfaisante ceque devient l'homme après sa mort? car il n'y a pasde religion sans le dogme des récompenses et despeines. Or, savent-ils ce que c'est que le ciel? Savent-ils ce que c'est que l'enfer? Présenteraient-ils sérieu-sement pour récompense à l'homme de bien ces pré-tendues béatitudes, dont personne n'a encore pudonner la moindre idée exacte, et qui seraient plutôtpropres à produire l'ennui, qu'à constituer le vérita-ble bonheur? Prétendraient-ils de nos jours détour-ner le méchant du vice, avec ces vieilles descriptionsde l'enfer, bonnes tout au plus pour effrayer les en-fants? On ne les écouterait même pas. Iraient-ils aucontraire présenter sur l'âme les diverses élucubra-tions de la philosophie? Le bon sens populaire leuraurait bientôt fermé la bouche. « Mon âme, diraitl'homme du peuple, ne serait qu'un souffle...! qu'unprincipe vital...! En quoi consisterait donc cetteexistence immortelle dont vous m'entretenez? Quefaire dans un monde où je serais privé de tous messens? En supposant même que je pusse avoir des sen-sations, elles ne pourraient ressembler en rien àcelles que j'éprouve sur cette terre; s'il n'y a entre

SUR LE VÉRITABLE CHRISTIANISME. 11

elles aucun rapport, je ne serai donc plus MOI? Orsi ce principe, qui m'anime, ne doit pas spirituelle-ment rester MOI TOUT ENTIER, peu m'importe qu'ilsoit immortel ou non? son immortalité ressembleraittrop à celle de mon corps, dont la décompositionn'est pas un anéantissement, mais un simple change-ment de forme. Dès lors, pourquoi se contraindre,pourquoi ne pas se procurer à tout prix ce qui peutnous plaire? Les seules peines à éviter sont celles dece monde; cessez donc de parler de dévouement :Chacun pour soi; voilà la seule règle qui doive diri-ger l'homme.»

Qu'en présence d'une logique si désespérante, oncherche à réhabiliter les idées religieuses, c'est fortbien ; mais tant qu'on n'aura, pour convaincrel'homme de son immortalité, que des lieux communsdont on fait depuis si longtemps usage, et dont l'in-efficacité est si patente, on ne devra pas espérer d'yparvenir. Si l'on produit par hasard quelqu'impres-sion sur certaines organisations aimantes, cette im-pression ne pourra être que légère et fugitive, et cedoute déchirant, dont le grand Pascal lui-même étaitla victime, viendra de temps en temps troubler leurespoir. Ce n'est qu'avec Swedenborg, comme on leverra plus tard, qu'on peut acquérir une convictionpleine et entière de l'immortalité de l'homme; alorson arrive à cette foi vive qui peut seule nous rendrevéritablement religieux. Si maintenant, malgré cebesoin de religion qui commence à se faire sentir, on

12 SUR LE VÉRITABLE CHRISTIANISME.

voit si peu de vrais croyants, si chacun cherche às'affranchir de toute espèce de foi, c'est que la foitelle que les théologiens l'ont faite, est contraire à lanature de l'homme. La foi, d'après eux, consiste àcroire aveuglement, sans chercher à comprendre. Or,n'est-ce pas là contraindre l'homme à laisser inactiveune des facultés qui font qu'il est homme, c'-est-à-dire, l'intelligence dont Dieu l'a doué? Tant que l'onconcevra ainsi la foi, il deviendra impossible de ré-tablir la religion, parce que le sens commun se re-fusera toujours à croire ce qu'on lui défendra dechercher à comprendre. Nous montrerons plus tardque la foi vive, prescrite par le sens interne de l'É-vangile, est bien différente, et bien plus conforme àla constitution spirituelle de l'homme.

IV.

Sur le sens interne de l'Évangile.

Nous avons la conviction intime que, du momentoù l'Évangile sera lu et compris par le peuple, levaste champ des révolutions sera clos, et que l'hu-manité jouira paisiblement de ses droits; car ellesaura alors accomplir ses devoirs. Mais ce Livre, re-connu Saint par tous les Chrétiens, et destiné par sonDivin Auteur à tous les peuples et à toutes les géné-rations, devait-il être écrit comme un livre ordi-naire? S'il ne renfermait que ce qui ;se lit dans

SUR LE SENS INTERNE DE L ÉVANGILE. 13

sa lettre, pourrait-il satisfaire aux besoins de tousles lieux et de tous les temps? Du moment où unegénération se serait élevée à sa hauteur, ne devien-drait-il pas, en raison de la loi du progrès, insuffi-sant pour régir les générations suivantes? Il fautdonc qu'outre son sens littéral, qui causait l'admira-tion de Rousseau, il renferme en lui un sens caché,propre à être dévoilé successivement aux hommes,selon leurs besoins. Or, le sens seul de la lettre nesuffit plus aujourd'hui à notre état de civilisation ; quidonc recevra la clé nécessaire pour ouvrir ce trésor,et répandre les richesses cachées qu'il renferme?Cette clé, comme nous l'avons indiqué dans notreProspectus, & été enfin donnée. L'Évangile n'est plusun livre où, à côté d'une morale sublime, se trouventdes passages que la raison humaine ne puisse admet-tre, et devant lesquels Rousseau s'anéantissait; main-tenant, au moyen de la théorie des phénomènes spiri-tuels donnée par Swedenborg, tout s'explique, etdes endroits qui semblaient les plus obscurs surgis-sent des faisceaux de lumière.

V.

Sur le Révélateur du sens interne de la Parole.

Ce n'est pas avec légèreté qu'on doit juger lesécrits de cet homme extraordinaire. Si ses contempo-rains, tout en rendant hommage à ses vertus et à son

2.

14 SUR LE RÉVÉLATEUR

profond savoir, ont négligé l'étude de ses écrits ex-tatiques, ce n'est pas un motif pour que nous ne lesexaminions pas. Combien d'autres hommes, négligéspar leurs contemporains, n'ont-ils pas fait l'admira-tion de la postérité? C'est un visionnaire, nous dira-t-on. — C'est vrai, et c'est précisément parce qu'ilest visionnaire, et qu'il s'est donné pour tel, qu'ilfaut surtout l'étudier. N'a-t-on pas perdu assez detemps à compulser les divers systèmes enfantés parla raison humaine? Pourquoi ne consentirait-on pasmaintenant à en consacrer un peu à méditer les ou-vrages d'un homme si extraordinaire? Qu'on serappelle seulement qu'on va voyager dans des ré-gions jusqu'ici inconnues; qu'ainsi il ne faut pasporter de jugement sur l'apparence, mais attendrepour décider qu'on ait saisi tout l'ensemble. L'appa-rence ! Ne devrions-nous pas nous en défier ? carmalgré l'apparence contraire, nous croyons ferme-ment aux antipodes et aux mouvements de la terre;nous nous rendons même facilement compte de cettecroyance que nos ai'eux rejetaient. Ces mots de Gali-lée : Et cependant elle tourne, sont restés commeune preuve de l'ignorance de ses contemporains;craignons que notre dédain pour Swedenborg nesoit, aux yeux de la postérité, une tache indélébilepour notre siècle. Si la raison humaine a admis plustard ce qu'elle avait d'abord refusé de reconnaître,c'est sans aucun doute parce qu'elle s'était perfec-tionnée. Or, nous ne pensons pas qu'on ose préten-

DU SENS INTERNE DE LA PAROLE. 15

dre que cette pauvre raison humaine soit arrivée au-jourd'hui à son plus haut degré de perception ;qu'elle consente donc à examiner.

Il faut du temps pour se familiariser avec Sweden-borg ; habitués que nous sommes à vivre au milieudes ténèbres, la lumière vive qu'il nous présente,éblouit d'abord nos yeux, et nous fait prendre lesvérités pour des illusions; mais peu à peu la vue seraffermit, et l'on parvient à distinguer nettement lesobjets et à marcher avec assurance dans la nouvellevoie qu'il ouvre. Il ne faudrait pas néanmoins jugerle Révélateur sur la lecture d'un abrégé de ses ou-vrages, car alors on n'aurait pas plus d'idée desbeautés renfermées dans Swedenborg, qu'on en au-rait de celles contenues dans Homère ou dans Virgi-le, si l'on se contentait de lire les sommaires que lestraducteurs placent en tête de chaque Chant.

On pourrait peut-être, au premier abord, regar-der une partie de ses théories comme des fictions in-ventées par un homme de génie, ou comme les fruitsde l'imagination la plus riche qui ait existé; mais si,après que l'ensemble aura été entièrement saisi, ontrouve que les parties coordonnées forment un touttellement complet, tellement encyclopédique, que laplupart des questions les plus élevées, jusqu'ici de-meurées insolubles, puissent par lui être facilementrésolues, alors on ne résistera pas à l'admiration, ettout homme de bonne foi se dira comme nous noussommes dit : II est impossible qu'une combinaison

16 SUR LE RÉVÉLATEUR

si vaste soit due à la seule intelligence humaine,il y a du Divin là-dedans. Des hommes transcendantsont pu enrichir le monde de certaines vérités, maisil n'a été donné jusqu'ici à aucun homme d'en em-brasser l'ensemble. Swedenborg n'était pas non plusun extatique ordinaire ; il était, comme il le dit lui-même, un instrument entre les mains de la Divinité :c'était le Révélateur du sens interne de la Parole.

Que ce mot de Révélateur ne choque pas les oreil-les; qu'on attende pour juger. Aujourd'hui, commeau temps des premiers Césars, le monde est dans unvague d'idées que personne ne peut définir; chacun,sans pouvoir s'en rendre compte, a en soi-même unpressentiment secret de l'approche d'un de ces grandsévénements qui renouvellent les destinées humaines ;aujourd'hui, comme il y a dix-huit siècles, on peutdire avec le poète :

Magnus ab intégra sœclorum nascitur ordo;

et si l'Évangile, dans le sens de la lettre, a suffiavec le temps pour renouveler la société d'alors, l'É-vangile dans son sens spirituel, qui n'est encoreconnu que de quelques hommes, suffira, lorsque cesens sera répandu, pour donner une vie nouvelle àce squelette qu'on gratifie encore du nom de société.Qu'un Paul surgisse, et bientôt les colonnes du nou-vel édifice s'élèveront au grand étonnement de nosScribes et de nos Pharisiens ; mais Paul avait puisé saforce dans l'Évangile pris dans le sens de la lettre, il

DU SENS INTERNE DE LA PAROLE. Il

faut que le nouveau Paul, que nous appelons de tousnos vœux, puise la sienne dans l'Évangile, pris dansle sens spirituel d'après Swedenborg, et ainsi devenususceptible d'être compris et adopté par les hommesde notre époque (1).

Nous terminerons ces considérations générales pardeux points de doctrines qui nous semblent propresà réconcilier la philosophie avec la vraie religion :

(1) Quand nous tracions ces lignes, il y a vingt-cinq ans, les Traitésde Swedenborg étaient encore rares en France. Les Arcana Cœlestian'étaient connus que par une nouvelle Édition, qui était loin d'être ter-minée ; et son Diarium (Journal) n'avait pas encore été publié ; nous

-n'avions donc pas tous les documents nécessaires pour nous former une-idée exacte sur certains points relatifs à l'instauration de la NouvelleJérusalem sur notre terre. L'établissement de cette Nouvelle Église,qui est l'Église définitive du Seigneur, doit différer de l'établissementde la première Église chrétienne, dont la fin a été prédite au momentmême où elle était fondée. Car la primitive Église chrétienne, commeil ressort des écrits de notre Auteur, ne pouvait être établie que par lacontrainte, tandis que la Nouvelle Jérusalem le sera par la liberté spi-rituelle laissée pleine et entière aux hommes. Il fallait donc des mira-cles, il fallait donc un Paul pour frapper les imaginations et amener leshommes au Christianisme primitif, et plus tard il a fallu le despotismedes papes et du clergé pour y maintenir successivement les générations ;mais la Nouvelle Jérusalem, s'appuyant sur le rationnel pour affermirsa foi, doit rejeter nécessairement toute contrainte et tout despotismespirituel, quel qu'il soit, et reconnaître pour seul Maître le SeigneurJésus-Christ, et pour Règle de conduite sa Divine Parole illustrée parle sens interne. Ainsi, point de miracles, parce qu'ils contraindraient;point de nouveau Paul, parce qu'il contrarirait par ses actes les vues mi-séricordieuses de la Providence ; c'est au Seigneur Seul à instaurer saNouvelle Église, en disposant peu à peu par son influx le genre humainà recevoir librement sa céleste doctrine.

a*.

18 SUR LE RÉVÉLATEUR.

1° // ne peut y avoir de religion vraie là où il n'ya pas entière liberté de conscience. Car la libertéest la base de tout acte spirituel ; et quiconque agiten matière religieuse, soit par crainte ou par intérêt,soit par habitude, est un égoïste ou un automate.

2° Le culte intérieur constitue l'homme au spi-rituel, le culte extérieur n'étant qu'un simple vê-tement. Peu importe donc la forme du culte exté-rieur, pourvu que l'homme soit dans le véritableculte intérieur. Ainsi tous les hommes, de quelquereligion qu'ils soient extérieurement, sont acceptéspar Dieu, s'ils ont bien vécu, c'est-à-dire, si le dé-vouement chez eux l'a emporté sur l'égoi'sme; car engénéral pour nous, le dévouement, c'est le bien; l'e-go ïsme, c'est le mal. Ainsi disparaît lç vice radicalde tous les systèmes religieux qui ont précédé ; nousn'aurons plus à craindre que les ambitieux tournentà leur profit une religion toute divine; nous n'auronsplus à craindre que les fanatiques fassent couler lesang humain pour la plus grande gloire de Dieu. Ilne sera donné à personne de juger la conscience re-ligieuse de qui que ce soit. DIEU SEUL SONDE LECOEUR ET LES REINS.

19

EXPOSITION.

Le véritable but du Christianisme étant de déta-cher l'homme de l'amour de soi pour le ramener àl'amour de Dieu, ou du bien général, il en résulteque quiconque est porté à préférer le bien général àson intérêt propre, n'eût-il d'ailleurs aucun culte ex-terne, est plus près d'être un vrai chrétien, que ce-lui qui croit aveuglement à tous les dogmes, et quidans tous ses actes n'a en vue que son propre bon-heur, soit dans cette vie, soit dans l'autre. Il y a doncnombre de gens qui se croient et se disent chrétiens,et qui sont néanmoins bien éloignés du vrai Chris-tianisme, tandis qu'il en est beaucoup d'autres quine remplissent aucun des devoirs extérieurs du culte,et auxquels il ne manque, pour devenir de vraischrétiens, que d'être éclairés sur des dogmes queleur raison a repoussés, parce qu'on exigeait d'euxqu'ils crussent sans chercher à comprendre.

C'est surtout pour ceux-ci que nous écrivons, sanscependant désespérer d'éclairer les autres. Noussommes même convaincus que, pour peu qu'ils veuil-lent nous suivre dans nos développements sur cha-cun des dogmes qui constituent la Vraie ReligionChrétienne, ils reviendront bientôt de leurs préven-tions.

Comme la Révélation est le principe et la base duChristianisme, et que, présentée ainsi qu'elle l'a été

20 EXPOSITION.

jusqu'ici, elle choque communément la raison hu-maine, il est naturel que nous commencions pardonner une idée de la manière dont nous nous ren-dons compte de ce dogme; mais pour que nous puis-sions être plus facilement compris, nous poseronsavant tout quelques principes généraux sur Dieu, surl'Univers et sur l'Homme.

Principes généraux sur Dieu, sur l'Univers etsur l'Homme.

I. Dieu ou Jéhovah est l'Amour Même et la SagesseMême ou l'Intelligence Même ; il est la VieMême par quitout a existé et subsiste. Ainsi il n'ya qu'une seule Vie,c'est Dieu. Rien de ce qui existe dans l'Univers n'ala vie en soi ; il n'y a, à proprement parler, que desimples réceptacles de cette vie unique, qui se trouveainsi modifiée par chaque être selon sa propre orga-nisation.

Pour peu que l'homme veuille réfléchir, il se con-vaincra facilement de cette haute vérité. Qu'il seprenne pour exemple, lui qui, par son organisation,possède la vie à un plus haut degré que tout autreêtre, il verra bientôt ̂ que la source de cette vie qu'ilcroit posséder pleinement, n'est pas en lui, et qu'iln'est qu'un simple récipient; il verra bientôt qu'ilne tient pas cette vie de son père qui n'était que ledépositaire de germes propres à recevoir la vie, demême que lui n'est que le dépositaire de germes qui

PRINCIPES GÉNÉRAUX SDR DIEU. 21

pourront la recevoir un jour. Si l'homme prétendaitdonner la vie à l'homme, il serait conduit, par l'a-nalogie, à dire que le végétal la donne au végétal, cequi ne saurait être admis.

De ce principe, que Dieu est la Vie unique, découlece beau dogme de la fraternité humaine, fraternitéqui existe dans toute sa réalité, dans le monde spiri-tuel, entre tous ceux qui ont bien vécu dans lemonde naturel ; fraternité qui doit aussi régner surcette terre, mais seulement lorsque l'homme se seralibrement replacé dans l'ordre.

II. L'Univers est une émanation de Dieu. Ainsi, ceserait plutôt une formation qu'une création, si parcréer on entend tirer du néant; car il est impossibleque de rien on puisse faire quelque chose : de nihilonihil. Cependant l'Univers n'est pas Dieu ; car Dieuest hors du temps et de l'espace, quoiqu'agissantdans le temps et dans l'espace. Ce n'est pas ici le lieud'entrer dans des détails sur la formation de l'uni-vers : Swedenborg a donné sur cette matière impor-tante un traité complet. Nous en présenterons plustard l'analyse.

L'univers se compose de deux mondes, l'un spiri-tuel, l'autre naturel. Le spirituel est le véritablemonde, le monde des causes; le naturel, dans lequelnous ne faisons que séjourner, est le monde des ef-fets, et se compose de notre terre matérielle et detous les globes terrestres qui gravitent autour de so-

22 PRINCIPES GÉNÉRAUX SUR I/UNIVERS.

leils innombrables. Ces deux mondes forment untout qui cesserait d'exister, si l'une de ses deux par-ties était anéantie. Ainsi notre monde naturel estaussi indispensable au monde spirituel, que celui-ciest indispensable au nôtre; car, de même qu'il n'y apas d'effet sans cause, de même aussi une cause quine se manifesterait pas par un effet, resterait privéede ce qui constitue l'existence réelle. Tout ce quiexiste dans le monde des causes ou monde spirituel,reçoit donc une manifestation dans notre monde parun effet qui nous devient sensible.

Ainsi disparaissent sur la fin de notre monde cesappréhensions qui produisirent dans le moyen âgede si grandes perturbations, et qui troublent encorequelques esprits faibles. Ainsi tombe la croyance à lareprise de nos corps matériels, lors de la consom-mation des siècles qu'une théologie erronée a prisepour la fin du monde matériel.

Tout ce qui est naturel reçoit sa forme d'un spiri-tuel correspondant ; car la matière n'a pas de formepar elle-même, c'est la vie seule qui lui donne cellequ'elle a. En effet, lorsque la vie se retire, la matièreperd insensiblement la forme qu'elle avait, et reçoitde cette vie unique et toujours agissante des formesnouvelles. C'est ainsi que tout corps matériel, privédu principe qui l'animait, ne se détruit que quant àla forme, et ne continue pas moins à exister et à sub-sister matériellement, mais sous de nouvelles formes,soit visibles, soit invisibles pour nos faibles organes.

PRINCIPES GÉNÉRAUX SUR l/UNIVERS. 23

La correspondance entre les deux mondes est gé-nérale; c'est-à-dire que toutes les productions quiexistent dans le monde naturel, depuis la plus petitejusqu'à la plus grande, représentent des choses spi-rituelles, et y correspondent. Ainsi le monde natureln'est qu'une enveloppe du monde spirituel; car lespirituel se revêt du naturel, comme l'homme d'unhabit; toutes les choses qui sont dans notre mondesont aussi dans le monde spirituel, qui en renfermeen outre une immensité d'autres; mais celles-cidifférent toutes de celles que nous voyons ici, en cequ'elles sont d'une origine spirituelle. Là, toutes lesaffections et toutes les pensées sont des êtres et desobjets distincts ayant substance et forme, et leur va-riété est aussi multipliée que celle des affections etdes pensées qui les produisent. Si le funeste préjugéqui n'accorde la substance qu'aux corps matérielsétait détruit, il deviendrait facile de comprendretous les phénomènes de l'ordre spirituel. La théoriedes substances et des formes sera développée dans lecours de cette Revue.

III. L'Homme est le lien de communication entre lesdeux mondes; il tient par son esprit au monde spiri-tuel, et par son corps au monde naturel; car demême que Dieu soutient le matériel de l'homme parla chaleur et la lumière du soleil naturel, de mêmeil vivifie l'immatériel de l'homme par son soleil spi-rituel, dont la chaleur est amour et la lumière sa-

24 PRINCIPES GÉNÉRAUX SUR L'HOMME.

gesse ou intelligence. Le monde spirituel a existé etsubsiste par le moyen de ce soleil qui est le premierprocédant de Dieu, de même que notre système pla-nétaire a existé et subsiste par notre soleil qui est lereprésentant matériel du premier. La chaleur et lalumière du soleil spirituel influent dans l'homme : lachaleur, dans sa volonté pour y produire le bien ; lalumière, dans son entendement pour y produire levrai. Il y a ainsi dans l'homme deux réceptacles de lavie, la volonté et l'entendement. Vouloir et penser,voilà l'homme.

Puisque l'homme tient par son esprit au mondespirituel, et par son corps au monde matériel, il estdouble; néanmoins c'est par l'esprit et non par lecorps qu'il est véritablement homme; car tout ce quivit dans l'homme est son esprit, et le corps ne sert àl'esprit que comme l'instrument sert à une force vivemotrice. En effet, la volonté et la pensée, qui sont lepropre de l'esprit de l'homme et non du corps, don-nent au corps et à ses parties la totalité et le détailde l'action tellement à leur gré, que tout y concourt,et que tout ce qui n'y concourt point, n'est plus re-gardé comme partie du corps et est rejeté commen'ayant plus la vie. i

II y a plus encore, l'esprit est l'homme même, etil existe dans une semblable forme que l'homme; cartout ce qui vit et sent dans l'homme est dans son es-prit, et il n'y a rien dans l'homme, depuis la surfacede la tête jusqu'à la plante des pieds, qui ne vive et

PRINCIPES GÉNÉRAUX SUR L'HOMME. 25

ne sente. Quand l'esprit se sépare du corps, ce qu'onappelle mourir, l'homme demeure toujours hommeet vit; en effet, l'homme ne peut ni penser ni vou-loir, s'il n'est un sujet substantiel par qui et dansqui soient le penser et le vouloir; car ce qu'on croitexister sans un sujet substantiel ne peut être quenéant. De même que l'homme ne peut voir sans l'or-gane qui est le sujet de sa vue, ni entendre sans l'or-gane qui est le sujet de son oui'e; de même la penséequi est la vue intérieure, et Faperception qui estl'oui'e intérieure, n'existeraient pas, si elles n'étaientdans les substances qui sont les formes organiquesou les sujets.

L'esprit de l'homme, quand il est séparé du corps,jouit de tous les sens, comme il en jouissait dans lecorps matériel. Le total de la vie de l'œil, le total dela vie de l'oreille, en un mot, le total de la vie dechaque sens, n'est point au corps de l'homme, maisà son esprit, dans tous ses organes, et jusque dansles moindres parties de ses organes. De là l'esprit,après sa séparation du corps, voit, entend et sentdans le monde spirituel, comme lorsqu'il était dansle monde naturel, à la seule différence que ses senssont plus exquis. Si l'esprit a senti naturellementdans le corps, c'était par le matériel qui lui servaitde vêtement; mais dans le monde immatériel il sentspirituellement en pensant et en voulant tout ensem-ble, et au moyen d'un corps immatériel ayant sub-stance et forme. Si l'esprit, quand il a brisé les liens

3.

26 PRINCIPES GÉNÉRAUX SUR L'HOMME.t

de son corps, n'apparaît pas à l'homme en forme hu-maine, c'est une conséquence de cette grande loi del'ordre universel : Le Matériel ne voit que le Maté-riel, et le Spirituel voit le Spirituel.

Ces divers principes sur Dieu, sur l'Univers etsur l'Homme, méritent d'être sérieusement médités.Quelques-uns d'entre eux sont tellement opposés auxidées reçues, qu'on ne peut qu'être étonné en les li-sant pour la première fois; tel est, surtout, celui quidonne à l'esprit substance et forme. On a de la peineà se persuader qu'après la mort de l'homme, son es-prit soit dans une parfaite forme humaine, et jouissede tous ses sens; mais pour peu qu'on veuille y ré-fléchir, on voit bientôt que s'il n'en était ainsi, l'im-mortalité de l'âme ne serait plus qu'un mot, une il-lusion, une chimère. C'est parce que cette grandevérité était inconnue, que les spiritualistes eux-mê-mes se sont souvent trouvés en proie au doute leplus déchirant.

Avant d'aborder la question importante de la Ré-vélation, sans laquelle il ne saurait y avoir de Chris-tianisme, il était indispensable de poser, comme nousl'avons fait, quelques principes généraux sur Dieu,sur l'Univers et sur l'Homme ; car ces principes, pourla plupart inconnus avant Swedenborg, ouvrent àl'étude de la science divine une nouvelle et large

SUITE DE L'EXPOSITION. 27

voie; ils sont loin cependant d'être suffisants pourrésoudre une question qui, par son enchaînementavec plusieurs autres dogmes, exige un grand nom-bre d'explications préliminaires; mais du moment oùces explications auront été données, la solution s'of-frira, pour ainsi dire, d'elle-même.

Si, au lieu de présenter successivement chaquedogme avec tous les développements qu'il exigerait,nous nous contentons, pour le moment, d'en faireune exposition succincte afin d'arriver plus promp-tement à la Révélation, c'est parce que nous avonssenti combien il était important de commencer pardétruire la répugnance qu'on éprouve générale-ment aujourd'hui pour tout ce qui concerne cedogme. A quoi bon présenter, chaque mois, quelquesfragments d'un traité spécial sur tel ou tel dogme,lorsqu'il est reconnu que la plupart des hommes neveulent pas entendre parler de choses révélées? Est-il un seul dogme qui ne s'appuie sur la Révélation ?Aurait-on pu même acquérir une seule notion dog-matique, si elle n'avait pas été révélée? Il fallait doncmontrer avant tout que notre manière d'entendre laRévélation n'était pas celle des autres Communionschrétiennes, et qu'elle était de nature à satisfaire enmême temps la raison et l'intelligence de l'homme.Ainsi, au moyen des Vérités données par la nouvelleRévélation, l'on arrivera à comprendre comment laRévélation primitive a pu être faite, et du momentoù l'on sera pénétré de la possibilité de la transmis-

28 SUITE i!E L'EXPOSITION.

sion de la Parole de Dieu aux hommes, on n'éprou-vera plus de répugnance à s'occuper des véritablesdogmes du Christianisme.

Sur les Lois de l'ordre.

Tout ce qui existe dans l'univers est soumis à unORDRE établi à l'instant de la création, et DIEU LUI-MÊME est cet ORDRE.

Dieu a donc introduit par lui-même les lois de sonordre divin, tant dans la création que dans toutes lesproductions générales et particulières qui en compo-sent l'universalité. C'est ainsi que le monde spirituela ses lois générales, et le monde naturel les siennes ;que chacun des trois règnes est soumis à des loisparticulières qui lui sont propres; que chaque genre,chaque espèce, se trouve différencié par les siennes,et que l'homme est régi par des lois qui le distinguentde la brute. Il résulte de là que les lois de l'ordresont innombrables, tant celles qui régissent le mondespirituel que celles qui régissent le monde naturel.La science a beau s'enorgueillir de ses progrès; sil'astronomie, la physique, etc., ont fait découvrirune multitude de lois auxquelles le monde matérielest soumis, on ne peut mettre en doute que nous n'enignorions encore un très-grand nombre, et les sa-vants présents et futurs auront toujours matière àexercer leur sagacité. Quant aux lois du monde spi-rituel, dont le nombre est encore plus considérable,

SUR LES LOIS DE L'ORDRE. 29

elles étaient presque toutes inconnues avant la publi-cation des écrits de Swedenborg; à peine commence-t-on maintenant à explorer cette mine précieuse; maiselle est si féconde que l'esprit humain peut être cer-tain d'y trouver toujours un aliment pour satisfairel'impérieux besoin d'augmenter ses connaissances.

Dieu ne peut agir contrairement aux lois de sonOrdre; car par là il agirait contre Lui-Même, contresa Justice et même contre sa Toute-Puissance. Quel-que surprenante que puisse d'abord paraître la finde cette proposition, on verra, pour peu qu'on veuilleréfléchir, que toute autre manière d'entendre laToute-Puissance Divine serait opposée à la hauteidée que le XIX0 siècle doit se faire de la Divinité.On n'a que trop longtemps donné à Dieu des pas-sions humaines; le moment de revenir aux véritablesprincipes est arrivé. La Toute-Puissance de Dieu nesaurait ressembler à la puissance humaine qui neconsiste souvent qu'à faire ce qui plaît. Si toutes leslois de l'Ordre Divin n'étaient pas invariables; siDieu ne s'y était pas Lui-Même astreint; si, à l'exem-ple des puissants de la terre, il pouvait les enfrein-dre, il ne serait pas la Sagesse Même. Revenir sur cequi a été fait, c'est sans aucun doute de la sagessehumaine, mais ce ne saurait être de la Sagesse Di-vine. L'homme, être fini, sujet à l'erreur, peut etdoit retoucher à l'ouvrage qu'il fait, pour le perfec-tionner : si Dieu, l'Être Infini, l'Intelligence Même,retouchait au sien, ce serait une marque certaine

3*.

30 SUK LES LOIS DE l'ORDRE.

qu'il n'aurait pas tout prévu; or Dieu, qui est laPrescience Même, a dû tout prévoir. Dieu ne pour-rait donc pas enfreindre une seule des lois de sonOrdre sans fournir un argument contre sa SagesseInfinie. Il résulte nécessairement de là que tout a étéprévu dès la création, et que Iss lois de l'Ordre Divinont toujours été, sont, et seront toujours invariables.Ce n'est pas à dire pour cela que toutes ces lois aienttoujours été en activité; beaucoup d'entre elles n'ontdû être en action qu'à mesure que les choses pourlesquelles elles avaient été établies se sont manifes-tées, et beaucoup d'autres n'auront d'action que lors-que d'autres germes se manifesteront; mais elles n'enont pas moins existé toutes dès le commencement.

Lorsque l'homme comprend ainsi la Toute-Puis-sance de Dieu, un nouvel horizon spirituel se déve-loppe tout à coup à ses regards. La Divinité lui ap-paraît avec une grandeur, une majesté et une sagessequi produisent en lui l'admiration et l'amour. Cen'est plus ce Dieu trop souvent représenté comme unroi trônant et dispensant ses bienfaits à son gré, oucomme un maître jaloux de ses droits, ou comme unpère établissant des distinctions entre ses enfants;mais c'est l'Ordre Même, c'est la Justice Même, c'est,en un mot, l'Essence de l'Amour se manifestant parune Sagesse infinie.

Dogmes désolants et pernicieux de la Prédestina-tion et de la Foi seule, disparaissez! plus de Prédes-tinés, plus d'Élus. Le Dieu qui nous a tous créés,

SUR LES LOIS DE L'ORDRE. 31

nous aime tous sans distinction ; et de même que sonsoleil matériel nous échauffe et nous éclaire tous sansfaire acception de personne, de même son Soleil Spi-rituel distribue à tons l'Amour et la Sagesse; maisl'homme, trop souvent semblable à un vase impurqui vicie ee qu'il reçoit, change cet amour en haineet cette sagesse en folie.

Disparaissez aussi, Superstitions grossières dues àla fausse idée de la Toute-Puissance Divine! votrerègne est désormais fini. Disparaissez aussi, Idolesde tous rangs! Semblables à ces nombreux agentsd'un monarque inabordable, vous receviez les inter-cessions des mortels, comme eux reçoivent les sup-pliques des sujets; on s'adressait de préférence àvous, comme on s'adresse à la tourbe des courtisanspour obtenir quelques faveur du prince. Disparaissezdonc à jamais, erreurs si déplorables ! car c'est enassimilant la Puissance Divine à celle d'un roi de laterre; c'est en reportant toute l'attention des peuplessur des êtres qui, quelque soit leur sort dans l'autrevie, ne sont que des créatures, qu'on a fait négligerle vrai Dieu, et donné naissance aux plus funestesidolâtries.

Sur la véritable acception du mot Miracle.

C'est parce que l'homme n'avait aucune con-naissance de l'Ordre Divin et de ses lois, qu'il adonné au mot miracle une acception tellement erro-

32 SUR LES MIRACLES.

née, qu'une raison éclairée rejette tous les faits quilui sont présentés comme miraculeux. Si par miracleon entend un fait contraire aux lois de l'ordre, il njyen a jamais eu, et il n'y en aura jamais, Dieu s'étantastreint Lui-Même aux lois de son Ordre. Mais sipar miracle on entend seulement un fait que l'hom-me ne puisse pas expliquer d'après ses connaissancesacquises, ou qu'il juge opposé à de certains principesque de son autorité privée il a déclarés lois naturel-les, nous disons qu'il y en a eu. Dans ce derniersens un acte peut être un miracle pour un siècle, etne pas l'être pour un autre. Ainsi, aujourd'hui, l'onpeut facilement se rendre compte de plusieurs évé-nements, que les théologiens ordinaires rangent dansla classe des miracles, parce que Swedenborg nousdévoile un grand nombre de lois spirituelles ignoréesjusqu'à nos jours. Il en est de même des lois de l'or-dre naturel : par suite du progrès des sciences phy-siques et astronomiques, beaucoup de faits nous pa-raissent naturels, qui certes auraient paru miracu-leux aux peuples du moyen âge. Si, malgré les pasrapides de la science, un nombre prodigieux de loisde l'ordre naturel nous sont encore inconnues, à com-bien plus forte raison devons-nous être dans l'igno-rance sur les lois de l'ordre spirituel, puisque, commenous l'avons déjà dit, nous ne faisons que commen-cer nos investigations dans cet ordre. Du reste, ja-mais l'homme ne pourra découvrir toutes les lois del'ordre, Dieu seul les connaît; mais l'homme est seu-

SUR LES MIRACLES. 33

lement appelé, tant dans ce monde que dans l'autre,à augmenter ses connaissances, sans néanmoins ar-river jamais jusqu'à pouvoir pénétrer l'infini. Nousdevons donc entendre par miracles des faits confor-mes aux lois de l'Ordre Divin, mais tels cependantque les contemporains soient dans l'impossibilité deles expliquer d'après la somme de leurs connais-sances.

Sur le Libre Arbitre.

Une des lois principales de l'Ordre Divin, c'estque le libre arbitre de l'homme ne puisse jamais êtrecontraint. Dieu, par son continuel effort dans l'hom-me, touche son libre arbitre sans jamais néanmoinsle violenter; car s'il le violentait, la demeure del'homme dans Dieu périrait ; il ne resterait plus quela demeure de Dieu dans l'homme, et cette demeureest celle qui lui est commune avec toutes les produc-tions et tous les êtres qui composent l'univers, et delaquelle ils tirent tous leur existence. Dieu, l'ÊtreInfini, Éternel, quoique hors du monde naturel et dumonde spirituel, ou hors de l'univers, est cependantdans cet univers, puisque l'univers est une émanationde Lui; mais l'univers n'est pas dans Dieu. De toutesles créatures, l'homme seul est appelé à faire réci-proquement sa demeure en Dieu, et pour cela il doitvivre selon les lois de l'Ordre Divin ; c'est alors seu-lement qu'il a pour nourriture le fruit de l'arbre de

34 SUR LE LIBRE ARBITRE.

vie. Dieu, par l'intermédiaire de son Soleil Spirituel,répand continuellement son Amour et sa Sagessechez tous les humains ; mais cet amour et cette sa-gesse, en pénétrant chez les hommes, deviennent telsqu'est le récipient de chacun d'eux. C'est donc àl'homme de disposer convenablement son récipient;il est libre.

Cette loi est une conséquence du but même queDieu s'est proposé en formant l'homme. Si l'hommen'était pas libre, on chercherait en vain le but deDieu dans la création. Or, Dieu a dû avoir un but,puisque l'homme lui-même en a un dans les moindreschoses qu'il fait. Quel a donc été le but de Dieu?Cette question exige par son importance quelquesdéveloppements.

L'essence de Dieu est l'Amour se manifestant parla Sagesse. Le propre de l'amour est d'aimer hors desoi et de se répandre au loin pour faire des heureux.Or, en examinant la grande échelle des êtres quicomposent notre monde, qu'y trouve-t-on qui pa-raisse digne de cet amour? Tous les êtres, à la vérité,sont à leur place, et remplissent des usages; mais lestrois règnes ne sont-ils pas à la disposition de l'hom-me?— L'homme, cet être souvent si abject, serait-ilréellement le but unique de la création? Pourquoialors est-il si imparfait? — Malgré la force de cetteobjection, on peut répondre : Oui, l'homme est lebut unique de la création, tout a été créé pour lui;mais il n'est plus ce qu'il était; et, d'après les lois de

SUR LE LIBRE ARBITRE. 3S

l'Ordre, Dieu ne pouvait le maintenir tel qu'il avaitété créé. En effet, si le propre de l'amour est d'ai-mer hors de soi, la jouissance que l'amour éprouvene peut être parfaite qu'autant qu'il y a retour, etque ce retour est le résultat de la liberté la plus com-plète. Quel est donc l'homme qui se croirait encoreheureux, s'il venait à découvrir que l'objet de sesaifections ne l'aime que par contrainte, ou par unmotif quelconque d'intérêt? Du moment où il feraitune telle découverte, tout le charme de l'amour neserait-il pas détruit? Ainsi Dieu, qui est l'Amour Mê-me, en créant l'univers en vue de l'homme, afin d'ai-mer hors de soi et d'être aimé, a dû nécessairementdonner à sa créature chérie la liberté la plus entière.Si cette liberté, qui peut seule constituer la vraie ré-ciprocité d'amour, n'avait été donnée à l'homme, onn'apercevrait plus le but de la création de l'univers;et si, ce qui est impossible, cette liberté lui était en-levée, il cesserait par cela seul d'être homme, et neserait plus alors qu'un automate indigne de l'amourde Dieu. Il est important d'insister sur ce point,parce que la liberté est la base de la vraie religion,et que par elle on peut résoudre les questions théo-logiques les plus ardues. Mais en disant que le butde la création est l'homme, il faut entendre par làl'homme-Esprit, destiné à peupler l'immensité dumonde spirituel.

Ainsi d'un côté, je vois un seul Dieu qui nous con-vie tous à nous conjoindre à lui, en l'imitant, c'est-

36 SUR LE LIBRE ARBITRE.

à-dire, en répandant sur nos frères, au lieu de leconcentrer en nous, cet amour inépuisable qui nousvient de lui, et dont l'activité ne peut croître qu'euraison de son effusion ; de l'autre, je vois tous les hu-mains libres de se procurer les plus grandes jouis-sances, même en ce monde, en donnant chaque jourà ce feu céleste de nouveaux aliments, ou de se pri-ver des seuls plaisirs vrais, en le concentrant en euxet en l'étouffant sous les cendres de l'égoïsme, libresen un mot de faire eux-mêmes leur bonheur ou leurmalheur. En outre, de ce qui précède il résulte quele but de la Divinité, en créant l'univers, a été depeupler le monde spirituel de créatures capables dele comprendre et de l'aimer, comme il doit être com-pris et aimé, c'est-à-dire, librement et sans la pluslégère contrainte. Ainsi les terres matérielles sontdes pépinières pour peupler autant de terres imma-térielles.

Sur la Chute.

L'homme n'est homme que par sa volonté et parson entendement. Sa volonté, d'où viennent ses af-fections, est le réceptacle de la chaleur spirituelle ouamour divin; son entendement, d'où résultent sespensées, est le réceptacle de la lumière spirituelle ousagesse divine. Ainsi, l'homme créé à l'image, et se-lon la ressemblance de Dieu est, comme son Créa-teur, amour et sagesse; mais avec cette différence que

SUR LA CHUTE. 37

Dieu est en soi l'Amour Même et la Sagesse Même,tandis que l'homme n'est qu'un simple récipient del'amour et de la sagesse qui procèdent de Dieu. —Mais pourquoi l'homme, depuis les plus anciens tempshistoriques jusqu'à cette époque, a-t-il toujours pré-senté un aspect si peu conforme à son Divin Modèle?— C'est qu'il est déchu. Dans le principe, les deuxfacultés constitutives de l 'homme, la volonté et l'en-tendement, étaient unies, c'est-à-dire, dans l'accordle plus parfait, et ce n'est que par une telle unionque l'homme est selon l'ordre, et qu'il peut com-prendre et aimer Dieu comme Dieu veut être com-pris et aimé. Or, pour être digne de son Auteur,l'homme avait, comme nous l'avons dit, reçu la liber-té; aussi longtemps qu'il fit un bon usage de ce donprécieux, il vécut heureux sur cette terre. Alors sesaffections étaient approuvées par son entendement, etses pensées étaient acceptées par sa volonté; car ilpuisait ses affections dans le bien et ses pensées dansle vrai. Mais, par suite de son libre arbitre, l'hom-me, au lieu de continuer à diriger ses pensées versDieu ou le bien général, les reporta peu à peu surlui-même.

Simple récipient de la vie, il crut l'avoir en soi.Alors son entendement se t rouvant domine par savolonté, il n'y eut plus d'accord entre ces deux fa-cultés; il cessa par là d'être dans l'ordre, et sa con-sti tution originelle fut altérée, il conserva, il estvrai, un récipient pour l 'amour dans sa volonté,

h.

38 SUR LA CHUTE.

mais il n'en eut plus pour la sagesse dans son enten-dement; car sa volonté, tout en recevant la vie éma-née de Dieu, refusc.it les conseils de la sagesse ouvraie intelligence qui auraient, pu régler les opéra-lions d'un amour aveugle. Dès lors la lumière del'esprit ne lui servit plus qu'à s'approprier les biensd'en-haut pour les concentrer sur lui seul.

La chute fu t donc la substitution de l'amour desoi à l'amour de Dieu ou du bien général. Aussil'homme est-il aujourd'hui bien différent de ce qu'ilétait primitivement. Il avait été créé bon, et depuisla chute il naît mauvais, c'est-à-dire, avec une pro-pension à l'égoïsrne ; c'est ce qu'on appelle le mathéréditaire. Les vices de l'organisation sociale vien-nent ensuite donner de nouveaux aliments à cette fu-neste passion, qu'il faudrait s'empresser de combat-tre dès le jeune âge.

Dieu étant la Toute-Science, la Toute-Prévoyance,savait que l'homme qu'il avait créé bon devait dé-choir ; et, néanmoins, il ne pouvait empêcher sa chute;car s'il l'eût prévenue par un moyen quelconque, ilaurait par cela même mis des entraves à la libertépleine et entière dont il l'avait doué, et sans laquelle,nous le répétons, l'homme ne serait plus qu'un auto-mate indigne de l'aaiour divin. Mais Dieu savaitaussi que cette même chute serait, pour sa créature,un moyen d'arriver plus tard au plus haut degré pos-sible de perfection. En conséquence il avait , par leslois immuables de son ordre, pourvu d'avance aux

SUR LA CHUTE. 39

moyens de relever l'homme, sans toutefois con-traindre sa liberté.

Les temps de calamité vont enfin s'éloigner denous, pour faire place à des jours plus heureux. Sil'homme a perdu l'âge d'or, il est destiné à le recon-quérir. Dès maintenant il peut marcher à grands pasvers cet Éden qu'il avait perdu et qu'il doit retrou-ver. Déjà l'Étoile brillante du matin s'est montrée àl'horizon, et s'il n'est encore que peu de passagersqui l'aient saluée, bientôt tout l'équipage, fixant sesregards sur elle, reconnaîtra que le navire ne peutêtre sauvé qu'en se dirigeant à l'éclat de sa lumière.Alors chacun se mettra à l'œuvre, chacun chercheraà rétablir l'union entre sa volonté et son entende-ment, c'est-à-dire, à replacer dans son être l'amourdu bien général au-dessus de l'amour de soi.

Si l'on était bien convaincu de cette vérité, quel'homme n'est tombé dans son état actuel de misère,que pour avoir mis l'amour de soi au-dessus de l'a-mour de Dieu ou du bien général, et que le butunique de la vraie religion est de le rétablir dansl'ordre, en lui faisant replacer l'amour du bien gé-néral au-dessus de l'amour de soi, combien de cœursgénéreux, que le seul mot de religion effarouche,s'empresseraient de venir puiser dans les doctrinesde la Nouvelle Jérusalem les eaux viv i f ian tes qu'ilsdemandent en vain à la science.

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Sur te Soleil spirituel.

Dieu, par son Soleil spirituel, vivifie l'esprit del'homme de la même manière qu'il vivifie son corpspar le soleil naturel, qui est le représentant matérieldu premier. Ce Soleil spirituel n'est pas Dieu; c'estseulement la première substance et la première for-me qui procèdent de Dieu ou Jéhovah, c'est-à-dire,de l'Être Unique qui existe par Soi. Ce Soleil est,pour le monde immatériel, ce que notre soleil estpour le nôtre. Jéhovah est au centre du Soleil spiri-tuel, et c'est par lui qu'il gouverne l'univers, tant lemonde spirituel que le monde naturel; car le mondespirituel influe à chaque instant sur le inonde natu-rel, et la vie pour arriver de Dieu à nous le traverse,de sorte que nous la recevons par son intermédiaire.De même que notre soleil est inaccessible à l'homme,de même le Soleil spirituel est inaccessible à l'hom-me devenu Esprit ; ainsi Jéhovah n'a jamais été vu,et ne sera jamais vu face à face par aucune de sescréatures. Nul ne saurait voir Dieu et vivre; car voirDieu face à face, ce serait le comprendre; or, pourcomprendre Dieu, il faudrait être Dieu; jamais lefini ne comprendra l'infini. L'homme devenu Espritpourra augmenter indéfiniment ses jouissances parl'aliment divin qui est l 'Amour, et perfectionner sonintelligence par la boisson divine qui est la Sagesse ;mais il ne pourra jamais être l'Amour Même et la

SUR LE SOLEIL SPIRITUEL. 41

Sagesse Même, parce qu'alors il serait Dieu. Jéhovahse voile donc, pour ainsi dire, afin de pouvoir secommuniquer à ses créatures les plus parfaites. SonSoleil spirituel est aussi éloigné des Esprits que no-ire soleil est éloigné de nous ; et de même que nousne pourrions supporter la chaleur et la lumière denotre soleil, si elles n'étaient modifiées par les at-mosphères matérielles qui nous en séparent; demême les hommes-esprits ne pourraient supporterl'ardeur de l'Amour et l'éclat de la Sagesse qui ef-fluent du Soleil spirituel, si leur force n'était atté-nuée par des atmosphères spirituelles dans lesquellesils vivent, comme nous vivons au milieu de la nôtre.A combien plus forte raison ne pourrions-nous pasles supporter, nous qui sommes ici dans un état siéloigné de la pureté des bons esprits, nous qui som-mes dégradés par la chute.

Sur l'origine du mal.

Mais la chute n'a pas pu être instantanée, l'hom-me, de bon qu'il était, n'est pas devenu tout à coupmauvais. Rien dans l'univers, tant immatériel que ma-tériel, ne se fait sans transition progressive. Tant quel'homme resta dans le bien et dans le vrai, le mal etle faux n'existaient pas; car ils ne peuvent venir deDieu qui est la bonté même; mais du moment quel'homme commença, par suite de son libre arbitre,à s'écarter du bien et du vrai, le mal et le faux com-

A*.

42 SUR L'ORIGINE nu MAI,.

mencèrent aussi à apparaître (1), et ils s'accrurent ensuite dans tout l'univers, en raison de la dépravationsuccessive de l'homme. Ainsi le monde immatériel, aulieu de ne renfermer que le bien et le vrai, reçut aussileurs opposés, le mal et le faux. De là sa division endeux parties distinctes et opposées entre elles : l'uneoù résident le bien et le vrai, le ciel; l'autre où ré-sident le mal et le faux, l'enfer. Et comme dans lemonde spirituel les affections et les pensées sont vé-ritablement des substances et des formes, les affec-tions des substances, et les pensées des formes, il enrésulte que tous les objets qui environnent l'homme-esprit lui offrent un aspect agréable ou hideux, etlui procurent des jouissances ou des peines, selonque ses pensées sont vraies ou fausses, et ses affec-tions bonnes ou mauvaises.

Le progrès de la dégradation humaine peut main-tenant s'expliquer. En effet, c'est l'homme qui peuplele monde spirituel, et c'est le monde spirituel quitransmet à l'homme la vie qui vient de Dieu. Tantque l'homme ne se détourna pas du bien et du vrai,les deux principes de sa vie, volonté et entendement,lui arrivaient purs du monde spirituel où i!s n'a-vaient pu être viciés; mais comme l'homme après la

(1) « De tous les êtres de la nature, l'homme est le seul qui soit douéu'un principe rationnel. Puisque le mal ne vient pas de Dieu, il ne peutprovenir que du seul être qui soit doué de l iberté et de rationalité. Lamatière n'ayant aucune volonté, puisqu'elle est matière, le mal ne peutni être attribué. » (En. RICHER.)

SUR L'ORIGINE DU MAL. 43

mort est tel que sa vie a été clans le monde naturel,et qu'il ne peut plus changer son amour dominant, lemal fut, par suite de sa chute, introduit dans lemonde spirituel, et avec lui le faux, parce que la vo-lonté devenue mauvaise avait subjugué l'entende-ment. Dès lors l'influence du monde spirituel sur lenôtre fut modifiée; elle cessa d'être entièrement pu-re; ce fut un mélange de bien et de mal, de vrai etde faux. L'homme, il est vrai, était libre de choisir,il pouvait s'attacher au bien et au vrai, et rejeter lemal et le faux; mais chaque génération fournissantun contingent d'hommes moins bons, et par suite dela modification de l'influx, et par suite de la loi gé-nérale de la transmission des germes, la générationqui la suivait recevait, par cela même, une influenceencore moins pure, et avait par conséquent moins depropension pour le bien. La pureté de l'influesce di-minua ainsi de génération en génération, et la dé-croissance fut telle que par la suite l'influence dumal et du faux l'emporta sur celle du bien et duvrai; et enfin il arriva un temps où la surabondancedes maux et des faussetés vint inonder l'humanitétout entière au point qu'elle la mit en péril de suc-comber. Tel fut l'état de la société nommée Adam, àl'époque désignée dans la Bible sous le nom de dé-luge.

Mais Dieu qui, par les lois de son ordre, ne peuten aucune manière contraindre la liberlé spirituelle del'homme, trouve dans ces mêmes lois des moyens de

44 SUR L 'ORIGINE DU MAL.

venir au secours de la race humaine ; car tout a dûêtre et a clé prévu par Lui. Lors donc que les chosesen sont arrivées à ce point, il influe avec plus deforce pour réchauffer dans le cœur des moins mau-vais le peu de bien qui s'y trouve, et il manifeste sapuissance par des actes en tout conformes aux loisde son ordre, pour ranimer la vraie intelligence chezceux qui ne l'ont point entièrement éteinte sous lesfaussetés résultant du sensuel; mais tout en agissantainsi, il se garde bien de contraindre la liberté del'homme, il la laisse intacte; et c'est pour cela que lesdiverses manifestations qu'il a effectuées, ont touteseu lieu sans que les contemporains s'en soient pourainsi dire aperçu. Nous ne donnerons pas pour preuvecelle dont il vient d'être parlé, il n'existe pas de mo-numents historiques sur cette époque reculée; maisnous citerons la manifestation au moyen de laquellele Christianisme fut fondé. Lorsqu'on voyait, aucommencement de notre ère, la société en pleine dis-solution, les philosophes et les publicités de l'EmpireRomain ne se doutaient guère que, par suite d'unemanifestation divine, une nouvelle société différentede génie et de mœurs, prenait racine dans un coinobscur de l'Asie. Et la manifestation qui s'est faitevers le milieu du siècle dernier, s'en est-on aperçu?s'en aperçoit-on même aujourd'hui? Nos philosopheset nos publicités sont comme ceux de l'Empire Ro-main : ils voient bien que la société est en dissolu-tion, mais ils ne savent pas que les bases d'une non-

SUR L'ORIGINE DU MAL. 45

velle société, différente aussi de génie et de mœurs,sont déjà posées. Ainsi, tous ces grands événements,ne contraignant en rien le libre arbitre de l'homme,sont dans l'ordre; tandis que si Dieu se manifestaitde manière à convaincre tous les esprits et à tou-cher tous les coeurs, ce serait agir contre l'ordre;car par là il forcerait l'homme à le reconnaître et àl'aimer. Or, serait-ce là le véritable amour? Nousl'avons dit, et nous le répétons : Là où il y a con-trainte, il ne peut y avoir amour.

Parvenu à l'état de dégradation dont nous ve-nons de parler, l'homme ne pourrait être ramené aubien et au vrai, et le genre humain finirait même pardisparaître de la surface de la terre, si Dieu ne ve-nait à son secours par des moyens qu'il tient enréserve, et dont il n'use que lorsque l'équilibre estsur le point de se rompre. Car, à ces époques de pé-ril pour l'humanité, tout se trouve renversé chezl'homme; il appelle bien ce qui flatte son égoïsme, etmal ce qui le contrarie; et par suite de ce renverse-ment, les vérités opposées à l'amour de soi sontpour lui des faussetés, et il nomme vérités toutes lesfaussetés qui favorisent cet amour. Alors tous lesîiens sociaux précédemment relâchés finissent par serompre; car chaque .homme ne voit plus dans sesfrères que des rivaux, que des ennemis; et s'il lepouvait, il les exterminerait tous, dût-il ne régnerque sur des ruines. Caligula aurait voulu que le peu-ple Romain n'eût qu'une seule tête, pour le détruired'un seul coup.

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Sur les Extatiques.

Nous avons dit précédemment que l'esprit del'homme est l'homme même; qu'il est substance etforme; que cette forme est la forme humaine même ;qu'en conséquence il jouit des cinq sens, et que lors-que par la mort il est débarrassé du corps matériel,ces sens n'étant plus enveloppés par la matière ontbeaucoup plus d'activité. Ainsi, tant que l 'hommeexiste sur celte terre, c'est son esprit seulement quiéprouve des sensations; mais ces sensations sont na-turelles, parce qu'il les éprouve par le corps maté-riel qui lui sert d'enveloppe, tandis que lorsqu'il arejeté cette enveloppe, ces sensations sont spirituel-les. De là cette loi de l'ordre universel déjà citée :Le matériel ne voit gué le matériel, et le spirituelvoit le spirituel. Ce n'est pas à dire pour cela que lematériel puisse voir, entendre,en un mot, sentir; carla matière est par elle-même incapable de voir, d'en-tendre, de sentir; mais comme c'est par cette ma-tière que l'esprit de l'homme éprouve sur notreterre des sensations, ces sensations sont alors pure-ment naturelles; de sorte que l'esprit ne peut voir,à travers le sens naturel de la vue, que des objetsmatériels; entendre, à travers le sens naturel del'ouïe, que des sons matériels; palper, à travers lesens naturel du toucher, que des corps matériels.Mais si les fonctions des sens naturels, qui ne sont

SUR LES EXTATIQUES. 47

que les enveloppes des véritables sens, c'est-à-dire,des sens spirituels, sont par une cause quelconquemomentanément suspendues, alors les sens spirituelsont chez l'homme, quoiqu'encore sur terre, l'activitéqu'ils auraient si cet homme, par la mort naturelle,était devenu homme-esprit, parce qu'ils sont pourainsi dire dégagés de la matière. Dans ce cas, l'hom-me plonge dans l'immatériel; et ce n'est pas là uneexception à la règle posée ci-dessus; car, quoiquel'homme dans cet état extraordinaire ait toujours soncorps matériel, ce n'est pas ce corps matériel, maisbien son spirituel qui voit le spirituel. Ainsi les faitssi souvent constatés d'extase, de somnambulisme, etc.,loin d'être contraires aux lois de l'ordre, peuventêtre expliqués par elles de la manière la plus satis-faisante. En citant ici les extatiques, nous sommestrès-éloignés de prétendre qu'ils aient tous été desinstruments de la Divinité; mais nous voulons seule-ment dire que tous, sans exception, se trouvent,pendant l'état d'extase, en communication avec lemonde immatériel, y percevant le vrai ou le faux, oumême le vrai mélangé de faux, suivant les sociétésavec lesquelles ils sont alors en contact.

Sur la Révélation ou Transmission de la ParoleDivine aux hommes.

Ce n'est qu'en se conformant aux lois de son or-dre que Dieu ramène insensiblement à Lui le genre

48 SUR LA RÉVÉLATION.

humain perverti et dénaturé. Jéhovah, du milieu deson Soleil spirituel, ne pourrait, par l ' influx de sonamour et de sa sagesse, changer dans l'homme le malen bien, le faux en vrai ; car il en est de la chaleur etde la lumière spirituelles, comme de la chaleur et dela lumière naturelles; au moment où elles s'introdui-sent dans les différents êtres, elles deviennent tellesque sont les récipients. Mais au moyen de la facultéextatique qui de tout temps a existé chez certainshommes, par suite d'une organisation particulière etindépendante de leur qualité morale, Jéhovah pou-vait transmettre au monde des préceptes capables dele ramener peu à peu au vrai, et par suite au bien.C'est ce qu'il a fait à diverses époques. Abraham etles autres patriarches, Moi'se et tous les prophètes,étaient des extatiques. Ils disent tous s'être entrete-nus avec Jéhovah, mais aucun d'eux n'a vu réelle-ment Jéhovah. Nul, avons-nous déjà dit, ne peutvoir Dieu et vivre. Le premier procédant de Dieu, leSoleil spirituel, ne pourrait pas plus s'approcher desterres spirituelles où résident les esprits, sans dé-truire le monde spirituel, que son correspondantmatériel, notre soleil, ne pourrait s'approcher desplanètes sans détruire tous ceux qui les habitent; àplus forte raison Jéhovah ne peut-il être vu par au-cune de ses créatures, soit naturelles, soit spiri-tuelles.

Nul être fini ne pouvant voir I 'ÉTRE I N F I N I , voicile moyen que la Divinité employait, avant son pré-

SUR LA RÉVÉLATION. 49

mier Avènement sur terre, lorsqu'elle jugeait néces-saire de transmettre sa Parole aux hommes. Commel'extatique communique, au moment de son extase,avec le monde spirituel, et qu'il peut voir, entendre,toucher l'homme-esprit, de la même manière qu'ilverrait, entendrait, toucherait, dans son état ordi-naire, l'un de ses frères; Jéhovah pénètre un deshommes-esprits de son Amour Divin et de sa SagesseDivine, jusqu'au point de le convaincre qu'il est Jé-hovah Lui-Même, et alors il le met en rapport avecl'extatique : c'est ainsi qu'il en a agi avec Moi'se.Tant que l'homme-esprit est l'instrument de Jéhovah,il se croit Jéhovah, et parle comme s'il l'était.

Mais comme la sagesse doit être mise à la portéedes hommes pour qu'ils puissent la saisir, les pa-roles de Jéhovah, quoique étant la vérité même,sont toujours dans leur sens naturel conformes à l'é-tat présent de la société, et appropriés à ses mœurs.Voilà pourquoi la Parole de l'Ancien Testament,prise à la lettre, nous paraît, dans beaucoup de pas-sages, si peu conforme à l'idée que nous pourrionsnous former d'un langage divin; mais ce sens natu-rel renferme, sous son écorce grossière, un sens in-terne qui n'est autre que la Divine Vérité elle-même.Ce sens interne est resté inconnu tant que la sociétéhumaine n'a pas été en état de le pouvoir compren-dre; mais, dans ces derniers temps, les sciencesayant agrandi le champ des connaissances humaines,au point de permettre à l'homme de saisir les vérités

5.

50 SUR LA RÉVÉLATION.

divines dans toute leur portée, et les temps d'ailleursétant accomplis, Dieu a levé le sceau qu'il avait posésur sa Parole, en dévoilant son sens interne <î l'exta-tique Swedenborg, qui se présente lui-même dansses écrits comme serviteur du Seigneur Jésus-Christ. C'est dans ce sens.interne que l'homme, dé-gagé de préventions, peut aujourd'hui aller, sanscrainte, puiser toutes les vérités; car elles sontmaintenant exprimées clairement, et ne sont plussujettes à interprétation.

Telle est notre manière d'envisager la Révélation.Ainsi expliquée, elle ne répugnera plus à l'intelli-gence de ceux qui voudront méditer les nombreuseset belles théories renfermées dans les ouvrages deSwedenborg.

RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN ^

L'article de l'Echo du Vatican sur les doctrinesde la Nouvelle Jérusalem est intitulé : D'UNE NOUVELLEHÉRÉSIE.

Ce titre indique seul que la manière de procéderdes Catholiques-Romains envers leurs adversaires esttoujours la même. Ne tenant aucun compte de la mar-che progressive des idées, ils se croient seuls jugescompétents pour décider où est l'hérésie, et ils agis-sent encore, du moins en paroles, comme si l'Europeétait toujours courbée sous le joug du célèbre Hilde-brand.

Il serait difficile de déterminer la nature de cetécrit. L'auteur n'a pas osé entrer dans une discus-sion sérieuse; et lorsqu'il s'agissait d'examiner avecgravité une doctrine qui ne date pas d'aujourd'hui,et qui est respectée dans tous les autres États parles diverses Communions chrétiennes, il s'est jetédans des personnalités outrageantes et dans des di-vagations de tout genre, prodiguant à chaque instant

11) Voir à la fin du Volume les notes additionnelles.

52 RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN.

les expressions les plus injurieuses et du plus mau-vais goût. Nous étions loin de nous attendre h trou-ver dans un écrit religieux de notre époque des lo-cutions de ce genre : Les jongleurs en philosophiedu X VIIIe siècle, la prostituée des masses, l'a-théisme en guenilles, le vagabondage du schisme,le dernier va-toul de l'erreur, le dernier hourrade la philosophie, etc., etc.

Nous aurions cru que les rédacteurs d'une publi-cation faite en quelque sorte sous les glorieux aus-pices du Pape, et destinée à propager /'ESPRITDE ROME en France (1), se seraient assez respectéseux-mêmes pour refuser d'accueillir une semblableproduction; mais puisqu'ils l'ont insérée dans leurjournal, ils en ont assumé sur eux la responsabilitémorale.

S'il fut une époque où le Vatican n'avait pas be-soin de chercher des arguments pour combattre sesadversaires, s'il lui suffisait alors de lancer ses fou-dres pour terrasser quiconque osait n'être pas en toutpoint de son avis, il n'en est plus de même aujour-d'hui; et puisque l'avantage de la lutte ne peut res-ter en définitive qu'à ceux qui auront présenté lesmeilleures raisons, le VATICAN aurait au moins dûchoisir des défenseurs capables de traiter une ques-tion si importante avec la décence et la dignité qui

(1) Ce sont les termes qu'emploient les Rédacteurs de Y Echo duVatican.

RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICO. 53

conviennent à de semblables matières. En effet, sinous suivions l'exemple que nous donnent nos adver-saires; si nous nous lancions comme eux dans lespersonnalités; si nous allions puiser dans des libelles,et faire sur leurs chefs les suppositions qu'ils ontgratuitement faites sur un homme qui a joui pendanttoute sa vie de la considération générale et de l'es-time publique, dans quelle position se trouverait leVATICAN? Nous en aurions cependant le droit; maisnous ne voulons pas user de représailles, notre causeest trop belle pour que nous ayons recours à de telsmoyens; c'est lorsqu'on a tort qu'on emploie l'inju-re. D'ailleurs, notre doctrine qui est toute de cha-rité nous défendrait d'agir ainsi ; elle nous commandede combattre les erreurs; mais quant à ceux qui sontplongés dans ces erreurs, elle nous dit de les plain-dre, de chercher à les éclairer, mais non de les ai-grir en les chargeant d'invectives. Aussi nous garde-rons-nous bien de sortir de la question.

De quoi s'agit-il donc réellement? — De savoirqui de vous ou de nous possède la vérité spirituelle.Or, il n'y a qu'une discussion grave et approfondiequi puisse éclairer les esprits et amener une décisiondéfinitive. Attendez-la denc cette décision à laquellevous serez plus tard obligés de vous soumettre, et neproclamez pas tout de suite, de votre autorité privée,que nous sommes des hérétiques ; car il n'y a hérésieque chez ceux qui s'écartent de la vérité spirituelle.Si vous dites que cette vérité est en votre possession,

5*.

54 RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN.

nous disons, nous, qu'elle est en la nôtre. Pouvez-vous être en même temps juge et partie?

Ne croyez pas cependant que nous soyons étonnésde la qualification d'hérétiques que vous nous appli-quez. Nous savons que c'est votre habitude d'agirainsi envers tous ceux qui s'écartent de votre opi-nion. Quoique vous nous ayez donné le droit de voustraiter de la même manière, nous n'emploierons pasl'épithèque d'hérétique; ce mot sonne trop mal dansce siècle, et réveille du reste de trop pénibles souve-nirs; mais nous prouverons que vous n'êtes plus devrais chrétiens, et que votre doctrine est devenuetout à fait idolàtrique. Nous vous le prouverons, sanspour cela employer des termes injurieux. Le tempsn'est pas éloigné où vous serez obligés de descendredans l'arène, et de défendre pied à pied chacun devos dogmes. Nous verrons alors s'ils appartiennentau véritable Christianisme, ou si par suite des alté-rations qu'on leur a fait subir, ils ne sont pas deve-nus réellement idolâtriques.

Votre article indique assez que vous redoutez lejour où la lutte sera définitivement engagée. Malgréle dédain superbe que vous affectez, vous n'avez puéviter l'emploi de certaines expressions qui témoi-gnent de la crainte que vous éprouvez, et qui indi-quent en vous un pressentiment secret du sort quiattend la doctrine ultramontaine que vous défendez.La force de la vérité vous a même arraché des aveuxprécieux que nous devons enregistrer ici; et bien

RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN. 55

que les éloges que vous donnez aux Novi-Jérusalé-mites soient toujours accompagnés d'un correctifsouvent acerbe, nous citerons textuellement (1).

C'est ainsi qu'après la phrase obligée sur l'indiffé-rence en matière religieuse qui, en réalité, n'est duequ'à la déviation que vos prédécesseurs ont donnéeau Christianisme, vous vous écriez :

« Hélas ! peut-être est-ce à ce malaise de l'indiffé-» renée en matières religieuses qu'il faut attribuer la» déplorable facilité avec laquelle des citoyens d'ail-» leurs si reeommandables, des hommes d'un cœur» si droit, d'un esprit si élevé, ont déserté le giron» de l'Église de Saint-Pierre au profit des rêveries» de Swedenborg. Plus il n'est aujourd'hui question» de ce Saint-Simonisme obscène jeté au travers des» peuples comme pour en mesurer la niaiserie et re-» connaître tout le parti qu'on pourrait tirer de leur» crédulité; la Jérusalem nouvelle se présente sous» un aspect tout autre : ses formes sont agréables,» son ton mielleux, son attitude grave et imposante.» Courtisane de bonne compagnie, elle sait éviter» jusqu'à l'apparence du dérèglement; sa propa-» gande habilement concertée s'adresse de préfé-» renée aux âmes poétisées, aux cœurs brûlants de» philantropie et de charité, fulmine contre l'égoïs-» me, et accuse l'isolement de toutes les souffran-

(l) L'Echo du Vatican n'a pas agi de la sorte; il a de"naturé toutesles phrases de notre Prospectus qu'il a citées.

56 RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN.

» ces de l 'humanité; tolérant envers tous les hom-» mes, le Novi-Jérusalémisme ne s'impose à per-» sonne sous peine de damnat ion; sa morale paraît» saine et pure comme celle de l'Evangile dont elle» prétend émaner; et en vérité, lors même que cette» hérésie parviendrait à détrôner le Catholicisme,» nous ne voyons point où sont les avantages que les» passions révolutionnaires pourraient en obtenir» immédiatement. »

Vous n'avez à la vérité tracé ce tableau que pourarriver à dire que si les passions révolutionnaires nepeuvent rien obtenir immédiatement du triomphede la Nouvelle Jérusalem, ce triomphe serait cepen-dant plus tard celui de l'enfer, puisque vous ajoutez :

« Nous disons immédiatement, car il n'est que» trop vrai, qu'à la longue, les conséquences de ce» bouleversement, heureusement impossible, seraient» le triomphe de l'enfer sur la famille que le divin» fils de Marie a promis de protéger jusqu'à la con-» sommation des siècles. En faut-il davantage» pour montrer la vanité de ses prétentions? »

Quel est donc l'homme de bonne foi qui, aprèsavoir lu cette esquisse de la Nouvelle Jérusalem tra-cée par une main hostile, pourrait croire que notredoctrine est infernale, surtout lorsque vous n'appor-tez aucune preuve à l'appui d 'une assertion aussigrave ; car si vous connaissiez la signification spiri-tuelle de ces mots, jusqu'à la consommation dusiècle, vous sauriez que le passage de l'Écriture au-

RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN. 57

quel vous faites allusion prononce votre propre con-damnation. La consommation du siècle n'est pas lafin du monde, comme vous le prétendez; la Divinitén'a pas créé l'univers pour le détruire; mais cetteexpression symbolique désigne la fin d'une Église.La première Église chrétienne est arrivée à sa findans le siècle dernier, comme l'Église Judaïque étaitarrivée à sa fin il y a dix-huit siècles. Voilà pour-quoi tout croule dans votre Église, tandis que touts'édifie dans la nôtre; de même que tout croulaitdans le Mosai'sme, lorsque le Christianisme s'établis-sait : comparez les deux époques, et vous trouverezla ressemblance frappante.

L'indifférence en matières religieuses dont vousvous plaignez vient de ce que vous avez tellementconfondu toutes les notions du bien et du mal, tou-tes celles du vrai et du faux, que les hommes, n'ayantplus de fanal pour marcher dans de si épaisses ténè-bres, ont fini par abandonner leurs guides devenusaveugles. Ce sont là les signes qui indiquent d'unemanière évidente la fin d'une Église ; alors le soleilest obscurci, la lune ne donne point de lumière,c'est-à-dire que la charité s'éteint, et qu'il n'y a pointde foi. Vos plaintes réilérées prouvent suffisammentque cette époque est arrivée. Mais en même temps lesigne du Fils de l'homme apparaîtrait toutes lestribus de la terre verront le Fils de l'homme venirsur les nuées du ciel. —Matth. XXIV. 30. —Vous leméconnaissez, ce signe du Fils de l'homme, de même

58 RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN.

que les Pharisiens et les docteurs de la loi mécon-naissaient le Christ. Ils s'opiniàtraient à ne voir dansle Christ qui leur était promis qu'un Roi de la terrequi devait les rendre maîtres des peuples, commevous, en prenant ces paroles de l'Évangile à la let-tre, vous vous opiniâtrez à croire que le Seigneurdescendra en personne sur les nuées du ciel : aurez-vous donc toujours des yeux pour ne pas voir?

Nous sommes prêts maintenant à rendre justice àplusieurs des vôtres. Nous reconnaissons aussi qu'ily a parmi les Catholiques-Romains des citoyensd'ailleurs rccommandables, des hommes d'un cœurdroit, d'un esprit élevé, qui, frappés de la grandeurpassée du Catholicisme-Romain, s'abusent encore aupoint de croire qu'ils pourront rappeler à la vie cevieillard décrépit qui se meurt. Ils voient ses rides,mais ils les fardent; ils connaissent ses blessures,mais ils les cachent, et ils pensent par là soustraireson agonie à la vue des peuples. Hommes aux senti-ments élevés et religieux qui dissipez vainement vosforces à réchauffer un cadavre, faites usage de cetteintelligence que vous avez reçue de la Divinité pourapprofondir, comme vous avez reçu l'œil pour voiret l'oreille pour entendre! Cessez de croire que cetteprécieuse faculté qui nous rend images de Dieupuisse être liée par des décisions humaines; car iln'y a pas de religion là où il n'y a pas liberté d'exa-men. Avant donc de juger une doctrine que vous neconnaissez pas, ouvrez nos livres, méditez-les, et

RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN. 59

bientôt, au lieu de vous voir dans les rangs de nosadversaires, nous vous compterons au nombre desouvriers de la nouvelle vigne du Seigneur.

Continuons de citer :« Bien que depuis un demi-siècle et plus, les

» théories de Swedenborg se soient impatronisées en» Angleterre, d'où elles se sont répandues successi-» veinent en Suisse, en Allemagne et en différentes» contrées du nouveau continent, elles ne s'étaient» pas jusqu'ici montrées assez hostiles aux doctrines» que nous professons pour nous inspirer de sérieu-» ses inquiétudes ; nous les observions cependant» avec moins de sollicitude que de curiosité, tantôt» sous les latitudes équatoriales de l'Amérique, tan-» tôt sous les glaces du Sund. Sans diriger contre» elle ni les lumières de l'examen ni les armes de la» plaisanterie, nous ne les perdions pas entièrement» de vue, en attendant la nécessité de repousser les» attaques de la Nouvelle Église, ou de lui crier qui» vive les premiers pour lui enlever les avantages de» l'agression. Que pouvions-nous exécuter de plus» sage ? »

Ainsi, de votre aveu même, nous ne sommes pasnés d'aujourd'hui, nous comptons plus d'un demi-siècle d'existence; notre doctrine n'est pas resserréedans d'étroites limites territoriales, elle est répanduedans les États les plus éclairés des deux continents,partout enfin où il y a liberté de conscience.

Vous ne nous perdiez pas de vue, dites-vous, et

60 RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN.

vous attendiez que le moment fût arrivé de dirigercontre la Nouvelle Jérusalem : 1° les lumières del'examen ; 2° les armes de la plaisanterie.

1° Les lumières de l'examen !Qu'entendez-vous parla? Une explication serait

nécessaire. Pour faire un examen consciencieux, nefaut-il pas, avant de se livrer à la critique des moyensde l'adversaire, s'assurer que ceux qu'on veut em-ployer contre lui sont bien fondés? Or, comment pou-vez-vous exécuter ce travail préliminaire, puisqu'ilvous est défendu sur ce point de faire usage de v?»tre entendement et de votre raison. Vous allez doncvous engager en étourdis dans une lutte sans savoircomment vous pourrez vous en tirer? Votre dernièrephrase : « Que pouvions-nous exécuter de plus sa-ge? » ne semble-t-elle pas indiquer en vous de gran-des appréhensions? vous regrettez vivement de nepas avoir crié qui vive les premiers; eh! n'importequi commence, c'est le bon droit qui décide.

2° Les armes de la plaisanterie !La plaisanterie ! nous ne craignons pas ses armes;

elles ne sont redoutables que pour ceux qui n'ont pasde fortes convictions. Si elles tuent, elles ne tuentque ceux qui sont déjà morts, c'est-à-dire, ceux qui,ayant tout à fait oublié que l'homme est immortel, nevivent absolument que pour obtenir les faveurs dusiècle?

Est-ce que Gênes, la patrie de Christophe Colomb,ne plaisantait pas ce grand homme? elle le traitait

RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN. 61

même de fou lorsqu'il parlait d'un nouveau mondeterrestre; raaisla plaisanterie émoussa ses armes con-tre la conviction de l'illustre navigateur, et l'Améri-que découverte versa toutes ses richesses sur l'anciencontinent. Le nouveau monde découvert par Sweden-borg aura pour l'humanité une importance bien supé-rieure. Les contemporains du théosophe suédois l'ontaussi plaisanté, ils lui ont aussi donné Pépithète defou (1); mais lui, sans faire attention aux piqûres desmouches qui bourdonnaient à ses oreilles, continuaitde poser pour la postérité les bases du nouvel édificereligieux. Qu'on plaisante donc aussi les Novi-Jéru-salémites, si on le veut; la plaisanterie aura son ter-nie, et le temps est proche où l'humanité commen-cera à jouir pleinement des avantages les plus précieuxque la Divinité ait jamais accordée aux hommes.

Mais était-ce bien à vous de plaisanter? Deviez-vous, hommes revêtus d'un caractère religieux, ad-mettre dans vos colonnes des plaisanteries scanda-leuses, grossières, et qui plus est calomnieuses contreun homme dont la vie pure et laborieuse fait l'admi-ration de ceux mêmes qui n'admettent pas ses théo-ries? Avez-vous bien réfléchi avant d'avoir eu recoursà l'arme du ridicule en fait de matières religieuses?Ignorez-vous qu'il n'est pas une seule de vos céré-

(1) II esl à remarquer que les plus grands hommes ont été traités defous par tous ceux qui ne pouvaient ou qui ne voula ient pas les com-

prendre. Celui qui a découvert la puissance de la vapeur a été enfermécomme fou par le cardinal de Richelieu.

6,

62 RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN.

monies, que vous dites saintes, qui n'ait été attaquéeavec cette arme? Gardez-vous donc soigneusementd'employer la plaisanterie : cette arme, dans vosmains, vous deviendrait fatale; elle se tourneraitcontre vous-mêmes.

D'ailleurs la plaisanterie n'est bonne et ne produitdes effets redoutables qu'aux époques de destruction.Lorsque Voltaire vous plaisantait, tous ses coups ontporté, parce que les jours marqués pour la destruc-tion de votre doctrine étaient arrivés; mais tout l'es-prit de Voltaire échouerait maintenant, parce quenous sommes à une époque de reconstruction, etqu'on ne peut reconstruire qu'avec la logique et lascience.— Vous ajoutez :

« Notre position vis-à-vis la Jérusalem nouvelle a» tout à fait changé : de modeste et silencieuse qu'elle» était, l'hérésie se montre aujourd'hui la tête dé-» couverte : elle attaque au lieu de se défendre,» elle accuse au lieu de se disculper. Elle a ses» écrits, son code, sa presse périodique, ses mission-» naires; il ne lui manque plus que des miracles pour» nous prouver son origine céleste, et des martyrs» pour sceller de leur sang les révélations de Swe-» denborg. »

Vos plus solides arguments sont donc fondés surles miracles et sur les martyrs; et quand nous au-rons prouvé que toutes vos cérémonies sont u :"triques; que vos dogmes ne peuvent pas supportela comparaison avec les véritables dogmes du Chris-

RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN. 63

lianisme, vous croirez donc qu'il vous suffira pourdétruire tous nos arguments de nous crier : Où sontvos miracles? où sont vos martyrs? Ignorez-vous quenous sommes chrétiens, et qu'en cette qualité ce quevous appelez vos miracles et vos martyrs nous appar-tiennent comme à vous? Nous posons en principe, nel'oubliez pas, car toutes les fois que vous l'oublierez,nous vous le rappellerons; nous posons, dis-je, enprincipe que le Christianisme a été détourné de savéritable route depuis le concile de Nicée sous Con-stantin, lorsque, pour combattre l'hérésie d'Arius,les pères de ce concile sont tombés dans l'hérésie dela trinité de personnes, hérésie qui a été la sourcede toutes celles qui ont perdu définitivement l'Église.Tout ce qui est antérieur à ce concile nous appartientaussi bien qu'à vous : tout ce qui l'a suivi, nous vousl'abandonnons; c'est votre œuvre. Ainsi s'écrouleracette argumentation sur laquelle vous fondez tantd'espoir. Les miracles (1) sont utiles aux vues de laProvidence-dans des temps d'ignorance et de foi, ilspeuvent corroborer cette foi sans la commander : s'iln'y en a plus, c'est qu'ils ne serviraient à rien ; ilsforceraient le libre arbitre des uns, et seraient pourles autres un sujet de raillerie. Les Juifs se sont-ilsconvertis à la vue de toutes les actions du Seigneur?La plupart d'entre eux, au moment du miracle,

(!) Nous avons dit, page 31, qu'on doit entendre par miracles desfaits conformes aux lois de l'Ordre Divin, mais tels que les contempo-rains ne puissent les expliquer d'après la somme de leurs connaissances.

64 RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN.

croyaient; quelques jours après, ils ne croyaientplus; ses apôtres, témoins de tous ses actes miracu-leux, étaient même souvent dans l'incertitude sur SaMission Divine, et tous l'abandonnèrent, jusqu'àPierre, dont la foi paraissait si robuste. Les Phari-siens et les Saducéens demandaient aussi au Seigneurqu'il leur fît voir quelque miracle du Ciel; mais illeur répondit : « Quand le soir est venu, vous dites :» Beau temps ! car rouge est le ciel ; et le matin :» Aujourd'hui tempête! car d'un rouge sombre est» le ciel. Hypocrites ! l'apparence du ciel, vous sa-» vez, il est vrai, la discerner; mais les signes des» temps, ne le pouvez-vous point? » — Matth. XVI.1 2 31, 4, O.

Vous avez cru sans aucun doute lancer contre nousun trait fort piquant, en disant, au sujet des mira-cles que vous nous demandez : « A moins qu'il ne» faille considérer comme un miracle la facilité avec» laquelle un si grand nombre de personnes, d'ail-» leurs fort estimables, ont ouvert leur âme à ces» chimériques illusions. » Ce seul fait, avoué parvous, est certes de nature à faire plus d'impressionsur l'esprit de ceux qui réfléchissent, que tous lesprétendus miracles que vos co-religionnaires saventencore si bien exploiter.

Quant aux martyrs, nous dirons : Le temps despersécutions religieuses est passé; mais s'il revenaitet qu'on nous persécutât, nos convictions sont assezprofondes pour nous faire supporter la persécution.

RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN. 65

Ce serait sans doute un moyen de propager plusvite notre doctrine, mais cela ne prouverait en au-cune manière qu'elle est vraie; aussi n'a-t-elle pasbesoin d'une semblable preuve. Les persécutionsdonnent de l'énergie, mais le sang des martyrs neprouve rien. On meurt aussi bien pour l'erreur quepour la vérité, car on meurt pour ses convictions, etl'histoire prouve que les convictions les plus fortespeuvent aussi bien être le résultat de l'erreur quecelui de la vérité.

Vous avez raison de vous effrayer des théories dela Nouvelle Jérusalem sur l'homme immatériel, vouspressentez déjà tout l'effet que produiront ces théo-ries, lorsqu'une fois elles seront bien comprises;mais vous n'auriez pas dû ajouter : « Donner à l'es-» prit une forme et des sens, n'est-ce pas incontes-» tablement le matérialiser? » Car vous devez savoir,puisque vous avez parcouru les écrits de Sweden-borg, la différence qu'il établit entre la substance spi-rituelle et la matière. Ce n'est pas dans une simpleréponse à une attaque générale que nous pouvonsdonner la théorie des substances et des formes; nousla présenterons plus tard. Nous vous dirons seule-ment aujourd'hui : Croyez-vous que vos élucubra-tions sur l'âme humaine puissent ramener les hom-mes aux véritables idées spirituelles? ne sont-ce paselles, au contraire, qui les ont conduits à ce septicismemortel que nous devons tous déplorer? Vous ne vou-lez pas admettre que l'homme, sorti de ce monde,

6*.

66 RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN.

existe dans le monde immatériel avec un corps spiri-tuel, proposition dont il est cependant facile de serendre compte pour peu qu'on veuille étudier nosdoctrines et réfléchir, et vous admettez la reprisede nos corps matériels à la fin du monde, lorsque,selon vous, nous serons tous convoqués dans la valléede Josaphat. Avez-vous bien réfléchi avant de nousfaire cette objection? Est-il bien conséquent de votrepart de placer la matière même dans le monde im-matériel, et de venir nous dire que nous matériali-sons l'esprit en lui donnant des sens spirituels? Quefaites-vous donc de l'homme au sortir de ce monde?Que sont devenus tous ceux qui sont morts depuisdes milliers d'années? Que deviendrons-nous nous-mêmes jusqu'à cette convocation dans la vallée deJosaphat, si vous nous privez de nos sens spirituels?Pouvez-vous faire une seule réponse à ces questionsqui se présentent tout naturellement? Ne vous plai-gnez donc plus de l'indifférence en matières reli-gieuses ; si l 'homme n'a plus de foi, c'est parce quevous avez tellement abusé de sa crédulité, qu'il re-jette même les choses les plus saintes et les plus di-gnes de ses méditations; mais il reviendra à la véri-table foi, dès l'instant que les divines vérités luiseront présentées dans toute leur clarté; car il nesaurait vivre longtemps sans croyances, et il en sentdéjà le besoin.

Nous nous sommes jusqu'ici abstenus de releverbeaucoup d'inexactitudes dans les faits, beaucoup de

RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN. 67

suppositions gratuites, beaucoup d'allusions insi-dieuses, mais nous ne pouvons passer sous silencevos réflexions au sujet des doctrines de Swedenborgsur l'enfer. Il y a plus que de la perfidie lorsquevous dites :

« Rassurez-vous, méchants de la terre ! vous ne» trouverez à ce gracieux rendez-vous que ce que» vous avez tant regretté sur cette boule. Point n'y» verrez chaudières ni fourneaux, et votre situation» de damné sera telle que pour rien au monde vous» ne voudriez la changer. Eh bien ! qu'en dites-vous,» législateur des nations? Et vous, rois de.la terre,» que vous en semble? Les doctrines de Swedenborg» ne sont-elles pas infiniment plus attrayantes que» celles de Saint-Paul? surtout plus rationnelles,» plus puissantes pour améliorer les hommes et con-» tenir les masses dans l'obéissance et le devoir? Avec» de pareilles théories, y a-t-il rien de plus facile à» pratiquer que la science gouvernementale, rien de» plus solidement garanti que le repos et le bonheur» de la Société? »

Nous sommes fâchés de vous le dire, mais vousnous y contraignez, car la défense contre la calomnieest de droit naturel; vous avez joué là un rôle... quenous pouvons nous dispenser de qualifier; chacunsaura bien ajouter au mot l'épithète qui lui convient.—- On n'analyse pas une doctrine sans la connaître,vous n'avez donc pu vous méprendre sur l'enfer deSwedenborg; c'est donc sciemment que vous avez

68 RÉPOSSE A L'ÉCHO DU VATICAN.

dénaturé la belle théorie que vous prétendez analy-ser. Et pourquoi? pour attirer sur les Novi-Jérusalé-rnites les soupçons des chefs des nations, pour lessignaler comme des hommes immoraux. Votre causeest donc bien faible, et la peur de perdre votre pou-voir bien grande, pour que vous soyez descendus àdes moyens si bas. Il faut qu'un esprit de vertige,avant-coureur de votre chute, se soit emparé devous, pour que vous ayez avancé des choses dont lafausseté peut être si facilement prouvée. Que ces pa-roles du premier ministre de Gustave III retentissentà vos oreilles pour vous donner le démenti le plusformel : « Si j'avais à fonder un état fort et tran-si quille, dit le comte de Hobken,y<? ne ferais qu'y» mettre des Novi-Jérusalémites. »

Notre doctrine ne considère pas comme religieuxun acte fait par crainte, car notre Dieu est un Dieud'amour et n'admet que ce qui est fait par amour.Cependant si nous étions obligés, pour répondre àvos accusations calomnieuses, de nous adresser auxlégislateurs et aux rois de la terre, nous leur di-rions : Les fourneaux et les chaudières de nos adver-saires ont pu dans le moyen âge être utiles pour rete-nir les peuples dans le devoir; mais ils ne sont bonsmaintenant qu'à effrayer quelques enfants. Quel estl'homme qui croit aujourd'hui à l'enfer des Catholi-ques-Romains?— II en est tout autrement de l'en-fer de Swedenborg ; et si son bel ouvrage du Cielet de l'Enfer était plus répandu, nous sommes

RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN. 69

convaincus qu'il n'est pas un seul homme qui necherchât à réformer ses défauts. Les tisons, l'huilebouillante et les fourches infernales font rire de pi-tié ; mais les descriptions de Swedenborg font réflé-chir, parce qu'elles parlent à la raison, et parcequ'elles sont confirmées par l'analogie, seule preuvequ'on puisse donner aux hommes qui n'ont pas en-core la foi.

Le ton qui règne dans votre article indique suffi-samment que vous ne croyez pas vous-mêmes à tousces contes. Alors votre apostrophe aux puissants dela terre peut se traduire ainsi : « Nos contes étaient» bons pour retenir les masses dans le devoir, on ose» donner de l'enfer une description toute différente !» Vite, armez-vous de vos foudres pour frapper ceux» qui prétendent que nous ne devons plus tromper le» peuple.»Et ce sont les rédacteurs d'un journal re-ligieux qui parleraient ainsi; qui oseraient dénaturerla religion au point de la faire descendre à un rôlede police; qui de Divine voudraient la rendre terres-tre? Non, quand ce ne serait que par pudeur, vousvous rétracterez.

«I l n'est que trop vrai, avouez-vous ensuite, que» dans l'examen du dogme Novi-Jérusalémitain, nous» rencontrerons des propositions captieuses, des dif-» ficultés inextricables pour les esprits récalcitrants» qui ne veulent s'en rapporter ni à la décision so-n lennelle des conciles, ni à l'interprétation des» saints docteurs. Aussi demandons-nous à l'Es-

70 RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN.

» prit-Saint de nous prêter assistance dans la con-» traverse qui se prépare, et de nous éclairer tous» de ses rayons célestes, les disciples de Swedenborg» pour comprendre, nous pour expliquer la Parole» de Dieu. »

Oui, vous rencontrerez dans l'examen de nos dog-mes, si vous vous y livrez, non pas des propositionscaptieuses, comme vous le dites, mais des proposi-tions tellement précises et tellement conformes à lanature spirituelle de l'homme, qu'elles seraient suffi-santes pour dissiper les ténèbres dans lesquelles vousêtes plongés, si vous vouliez faire un instant usagede votre entendement et de votre raison.

Ces difficultés dont vous parlez ne sont inextri-cables que pour ceux qui mettent les décisions hu-maines au-dessus de la PAROLE DE DIEU. Com-ment! vous prétendriez encore que la Vérité Divinea pu sortir de ces assemblées tumultueuses où lespassions humaines étaient portées au plus haut de-gré; où chaque parti s'anathématisait; où celui quiavait momentanément obtenu le plus de voix en-voyait son antagoniste au bûcher qui devait plus tardse dresser pour lui-même ; où l'on déchirait le len-demain ce qu'on avait fait la veille; où enfin l'intri-gue et la force brutale étaient employées à défautd'arguments! Les disputes de la Montagne et de laGironde n'ont pas soulevé plus de passions que cellesdes théologiens des conciles, et ce sont les décisionsprises au milieu de cette effervescence des esprits

RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN; 71

que vous nous présentez comme infaillibles! Croyez-vous que le XIXe siècle, qui revient aux idées reli-gieuses dont il sent le besoin, consentira jamais àfaire une abnégation complète de l'intelligence qu'ila reçue de la Divinité? Et pourquoi? Pour courberservilement la tête devant les décisions des théolo-giens du moyen âge! Ah! vous ne le pensez pas.

Vous terminez ce paragraphe par une invocationà l'Esprit-Saint. Ce que vous demandez spécialementà l'une des trois personnes de votre Trinité, nous ledemandons au Seigneur qui est seul la Divine Trini-té; nous le prions de répandre avec abondance soninflux divin sur tous les hommes, afin qu'ils puissentcomprendre les vérités que renferme sa PAROLE.

« Rien, dites-vous encore, n'est écrit avec plus» d'entraînement et ne renferme des séductions plus» dangereuses que les productions Novi - Jérusalé-» mites du célèbre hérésiarque (Ed. Richer) auquel» la doctrine de Swedenborg doit tout son intérêt.» Un avant-propos de M. de Tollenare son éditeur,» non moins riche de pensées que fleuri d'expres-» sions, ajoute encore aux dangers réels de ces ou-» vrages qui déjà ont produit des fruits bien amers» dans certaines villes de France, et ont dévoyé de» la foi catholique des hommes de cœur et de mérite» dont nous déplorons la défection. Sans rappeler» ici la scandaleuse apostasie de l'abbé Ledru, qui» désertant notre bannière s'est fait un des apôtres» les plus fougueux du visionnaire suédois, combien

72 RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN.

» n'avons-nous pas à gémir de voir se précipiter» dans l'hérésie des citoyens aussi honorables que» MM. le Maire de Saint-Amand, le Rédacteur de la» Revue religieuse qui nous a jeté le gant avec tant» de témérité, le savant M. de Tollenare, éditeur de» Richer, l'infatigable Hofaker, le brave et candide» capitaine Fraiche, auteur d'un opuscule brûlant» de convictions. »

Lorsque le Seigneur est venu sur terre, les Juifssuivaient la loi de Moi'se de la même manière que leschrétiens d'aujourd'hui suivent la loi du Christ. « Ce» peuple des lèvres M'honore, mais leur cœur est» fort éloigné de Moi. Mais en vain ils Me rendent un» culte, enseignant des doctrines, commandements» d'hommes. » —Marc, VII. 6, 7.— Ces paroles del'Évangile peuvent certes aussi bien s'appliquer ànotre époque qu'à celle où elles ont été prononcées.Ainsi, nous le demandons, était-on alors apostatquand on abandonnait les doctrines falsifiées desScribes et des Pharisiens, pour suivre la nouvelle lu-mière qui apparaissait dans le monde? Vous n'ose-riez pas le soutenir, parce que vous feriez par là desApôtres et des Disciples qui tous avaient été élevésdans la loi de Moi'se autant d'apostats; et cependant,quoique le Seigneur ait dit en parlant de la NouvelleJérusalem : « Voici, je vais faire toutes choses nou-» velles. » —Apoc.XXI. 5, — vous osez nous traiterd'apostats par cela seul que nous suivons la nouvellelumière qu'il a donnée au inonde selon sa promesse.

KÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN. 73

Nous savons bien que vous n'admettez pas que cettenouvelle lumière ait été donnée, et en cela, commeen beaucoup d'autres points (voir Matth., Ch. XXIIItout entier), vous ne faites qu'imiter les Scribes etles Pharisiens. Ils ne voulaient pas reconnaître dansle Seigneur le Christ qu'ils attendaient; et vous, vousne voulez pas voir que son second Avènement sur lesnuées du Ciel n'est autre chose qu'une nouvelle dis-pensation de sa Divine Vérité, pour retirer les hom-mes des ténèbres spirituelles où vos fausses doctrinesles ont plongés.

Puissent vos yeux s'ouvrir! Nous pensons que ladiscussion éclairera ceux d'entre vous qui cherchentde bonne foi la vérité. Quant à ceux qui ont prisd'avance leur parti, et qui nieraient la vérité lorsmême qu'elle leur apparaîtrait dans tout son éclat,la discussion aura du moins cet avantage de les for-cer, dans leur intérêt, à modifier certaines de vospropositions canoniques. Vous n'ignorez pas, en effet,la défaveur qu'elles jetteraient sur votre cause sivous les défendiez; aussi les laissez-vous de côté :vous cherchez même à relever en quelque sorte leCatholicisme-Romain, en le confondant adroitementavec le Christianisme. Rome ne s'en alarme point,parce qu'elle pense que cette ruse peut lui être utile,et elle permet en France, pays avancé, ce qu'elleréprouverait ailleurs; mais cependant, tenez-voussur vos gardes, ne nous faites pas trop de conces-sions; car vous seriez désavoués et traités d'héréti-

7,

74 RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN.

ques, si vous ne vous empressiez de passer les montspour aller vous soumettre.

Nous ne répondrons pas dans cet article, déjàassez long, à une foule de propositions que nousnous réservons d'examiner plus tard ; et puisquevous annoncez à la fin du vôtre que « cette impor-» tante discussion sera continuée et soutenue jus-» qu'au bout, » la lutte pourra se prolonger encorelongtemps, à moins toutefois que la force de l'évi-dence ne vous fasse tomber les armes des mains.

Nous terminerons par une simple comparaison desdeux doctrines sous le point de vue de leur action surle corps social. Suivant la Nouvelle Jérusalem, noussommes sur terre pour nous régénérer, mais en mê-me temps pour faire des usages et toujours des usa-ges, c'est-à-dire, pour travailler et toujours travail-ler, afin d'être des membres utiles à la société; pournous, travailler ainsi, c'est prier, sans que cependantune telle prière puisse nous dispenser de remplir lesdevoirs de notre culte extérieur aussi simple que dé-gagé de toute superstition. Vous, au contraire, vousfaites consister la vie agréable au Seigneur à toujoursprier, à se séquestrer et à rester ainsi inuti le aux au-tres. C'est de là que J.-J. Rousseau et quelques au-tres réformateurs ont dû croire qu'il serait tout àfait impossible de former un corps social avec de vé-ritables chrétiens; ils auraient pensé tout autrementsi vos fausses doctrines ne les avaient jetés dansl'erreur.

RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN. 75

C'est donc à tort que vous vous prévalez à chaqueinstant d'avoir fait progresser la société; ce n'est pasà vous, Catholiques-Romains, qu'elle doit les progrèsqu'elle a faits; vous l'avez, au contraire, arrêtée danssa marche autant que vous avez pu; mais c'est leChristianisme seul qui l'a fait progresser; car, quoi-que vous l'ayez presqu'étouffé dans vos serres, ilavait cependant encore conservé une force cachéeque vous ne pouviez pas détruire, et c'est à cetteforce que la société doit ses progrès. Si, malgré lesefforts de Rome, le Christianisme a produit de sigrands biens, que ne produira-t-il pas, lorsqu'enfinil sera débarrassé des entraves dans lesquelles vousne l'avez que trop longtemps retenu !

L'Echo du Vatican, dans ses numéros d 'avri l et de mai, a tout àfait changé de ton en parlant de la Nouvelle Jérusalem. Il a sans doutesenti l ' inconvenance de son premier article; mais, confondant toujoursle catholicisme avec le christianisme, il refuse toute discussion de dé-tails et se retranche derrière l'auguste majesté de Rome. Son argu-mentation peut se t raduire en ces termes : Les principes de notre doc-trine sont vrais, il n'est permis à qui que ce soit d'en douter; donc,toutes les conséquences que nous en tirons, quelqu'absurdes qu'ellesparaissent, sont vraies aussi. Nous, au contraire, nous lui disons : Lesprincipes de notre dochine sont vrais, mais nous désirons qu'on s'enassure; examinez donc toutes les conséquences que nous en tirons, etsi vous êtes dans l'impossibilité de démontrer qu'elles sont contraires àl'idée que tout esprit juste et religieux doit se faire de la Divinité, vousserez forcé par cela même d'avouer que nos principes sont vrais. Le

76 UN 510T AU SEMEUR.

Seigneur ne nous a-t-il pas donné à tous une règle infaillible pour jugeraussi bien des doctrines que des personnes, en nous disant : Vous lesconnaîtrez à leurs fruits?

Le Vatican donne aussi, sur les ouvrages philosophiques de Swe-denborg, antérieurs à ses travaux religieux,un article tiré, de son aveu,de l'ouvrage du docteur Gœrres. N'est-ce pas là se mettre à côté de laquestion?

UN MOT AU SEMEUR *

Le SEMEUR, journal de la RÉFORME, s'est occupé denotre Prospectus dans son N° du 28 mars. Si sonarticle diffère de celui de YÉcho du Vatican, c'esten ce sens seulement que la forme est co-nvenable;car, quant au fond, même prétention, même affecta-tion de dédain pour des doctrines qu'il connaît àpeine. Il nous désigne aussi sous la dénomination deSecte, comme si la Réforme, qui est le dissolvant leplus nuisible et le plus pernicieux sous le doublerapport religieux et civil, pouvait avoir la moindreprétention à l'UxiTÉ. Mous répondrons au Semeurdans notre prochaine livraison; cependant, nous de-vons dès aujourd'hui reconnaître que loin de suivrel'exemple de l'Écho du Vatican, il a loyalementcité plusieurs passages de notre Prospectus sans lesdénaturer en aucune manière.

(*) Voir aux notes additionnelles.

77

DE LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE.

Une vérité nouvelle ne s'est jamais produite dansnotre monde sans avoir aussitôt excité les clameursde quiconque était sous l'empire d'erreurs qu'ellevenait détruire. Les luttes furent souvent longues etpénibles, mais la vérité finit toujours par triompher,et cela, parce qu'elle est la vérité. Nous ne saurionsdonc avoir de crainte sur le résultat de la lutte quivient de s'engager entre la Nouvelle Jérusalem et lesautres Communions chrétiennes. Quelles que soientles attaques que l'on dirige contre nous, nous sau-rons toujours répondre avec le calme et la dignitéque donne une intime conviction. Nous ne reculeronsdevant aucune des objections qui nous seront faites ;mais malgré notre ardent désir de répondre tout desuite à toutes celles qui ont déjà été posées, les bor-nes de cette Revue ne nous le permettent pas. En ef-fet, quoique nous ayons consacré une moitié de notredeuxième livraison pour répondre à l'Écho du Va-tican, nous n'avons fait qu'effleurer une partie desquestions soulevées, et pour résoudre sur-le-champcelles que soulève le Semeur, il nous faudrait plus d'un

7*.

78 DE LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE.

numéro; or, nous croirions manquer à nos obliga-tions envers nos abonnés et à notre devoir commeNovi-Jérusalémites, si nous remplissions entièrementnotre Bévue de réponses à toutes les questions quipourraient chaque jour nous être faites. Il nous sem-ble qu'une discussion ne peut porter de bons fruitsqu'autant qu'elle est soumise à un ordre quelconque,et si nos adversaires ne consentent pas à en établirun, nous sommes de notre côté décidés à suivre lesrègles d'une saine logique.

Que signifient, en effet, ces attaques multipliéescontre Swedenborg, lorsqu'on devrait d'abord exa-miner la doctrine de la Nouvelle Jérusalem. Si nousattaquions Luther, Mélancllton ou Calvin, les rédac-teurs du Semeur seraient en droit de nous dire :Nous ne reconnaissons de maître que le Christ, dis-cutez notre doctrine.— Nous pouvons donc leur direavec le même droit : Nous ne reconnaissons pourmaître que le Seigneur, discutez notre doctrine.C'est en agissant ainsi que nous pourrons procéderavec ordre, et que la lumière sortira de la discus-sion ; car notre Maître commun a dit : « Vous con-naîtrez l'arbre à son fruit. » Voilà la règle infailliblequ'il nous a donnée et que nous devons suivre. Agirautrement, ce serait s'exposer à mettre des passionshumaines dans des matières où elles ne sauraients'introduire sans causer les plus grands désastres.

Ce n'est pas, cependant, que nous refusions de ré-pondre à toutes les questions qui nous seront faites

DE LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE. 79-

sur l'état de Swedenborg. Le temps ne tardera pasà arriver où nous pourrons présenter la véritablethéorie de l'extase qui n'est encore connue que d'unpetit nombre d'hommes, mais nous devons, commenous l'avons dit, procéder avec ordre, et ne pas nouslaisser détourner de notre but principal, à savoir, ledéveloppement de notre doctrine ; car si les doctri-nes des autres Communions chrétiennes sont depuislongtemps connues, la nôtre ne l'est pas encore; etsi elle l'était, beaucoup de questions qu'on nousadresse ne nous seraient certainement pas faites.D'ailleurs, le développement successif que nous don-nerons répondra suffisamment au plus grand nombred'objections faites ou à faire. C'est ainsi que l'articlesuivant pourra servir de commencement de réponseau Semeur; il en sera de même de tous ceux quenous donnerons; car, tout en posant nos principes,nous aurons soin de les comparer à ceux des autresCommunions chrétiennes, pour que le lecteur debonne foi puisse reconnaître de quel côté se trouvela vérité.

80

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES

SUR LE CHRISTIANISME ET SUR SA MARCHE POUR CON-

STITUER L'UNITÉ HUMANITAIRE *

L'attaque des Protestants ne nous a pas plus éton-nés que celle des Catholiques-Romains. Pourquoi se-rions-nous surpris de voir repousser par toutes lesCommunions chrétiennes la Nouvelle Église du Sei-gneur, lorsque l'histoire nous apprend que toutes lessectes du Judaïsme se sont acharnées, il y a dix-huitsiècles, contre la première Église chrétienne? Alorsles attaques des Scribes et des Pharisiens restèrentimpuissantes, et la Religion du Christ, supplément dela loi de Moi'se, se répandit dans toutes les posses-sions de l'Empire Romain. Il en sera de même de laNouvelle Jérusalem ; elle sortira victorieuse des com-bats qui lui seront livrés, et se répandra sur toute lasurface de la terre; car telle est la destinée promisedans l'Ancien et dans le Nouveau Testament à cetteÉglise qui doit être la couronne de toutes les Églisesprécédentes, et le complément du Christianisme.

Nous désirerions néanmoins que tous ceux qui re-

(*) Voir aux notes additionnelles.

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cherchent la vérité consentissent, avant d'entrerdans la lutte, à prendre connaissance de la doctrinecéleste de la Nouvelle Jérusalem ; car nous sommesconvaincus que pour peu qu'ils voulussent l'examinersans prévention, sans parti pris d'avance, ils nepourraient s'empêcher de déposer les armes, ou decombattre dans nos rangs.

Mais nous savons qu'il y a toujours des hommesprêts à repousser, sans examen préalable, les véritésles plus avantageuses à l'humanité, par cela seulqu'elles sont opposées à des erreurs qui leur plaisent,ou qu'ils ont considérées jusqu'alors comme des vé-rités. Ceux-là ne consentiront pas à prendre connais-sance de notre Doctrine; cependant, ils sont aussinos frères, puisqu'ils sont hommes, et nous devonschercher à dessiller leurs yeux. Puissions-nous réus-sir en leur signalant la source de leurs erreurs etl'abîme dans lequel elles peuvent entraîner la société !

Sans la Révélation, l'homme n'aurait aucune idéede la Divinité; aussi Dieu ne laissa-t-il jamais legenre humain privé de sa Parole. Avant celle qu'ildonna à Moïse, il en existait une dont Moïse lui-même cite quelques passages; mais la Parole Divineest toujours appropriée aux mœurs, au caractère età l'état de civilisation du peuple qui la reçoit. Il enest ainsi, parce que Dieu a créé l'homme libre, etque, d'après les lois de son Ordre Divin qui sont lui-même, il ne pourrait porter atteinte à la liberté hu-maine, sans détruire son ouvrage, c'est-à-dire,

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sans faire de l'homme un automate. Dieu est doncobligé pour élever l 'homme à Lui de descendre jus-qu'à l'homme. C'est ainsi que l'homme civilisé nepeut élevé le sauvage à la civilisation qu'en se con-formant d'abord à ses idées, et en s'identifiant pourainsi dire avec lui . C'est pour cela que la Parole deDieu est toujours couverte d'un voile plus ou moinsépais, selon que le peuple, auquel elle est donnée,est plus ou moins susceptible de recevoir et de com-prendre les Vérités Divines. Toutes les vérités qu'ilpeut recevoir et comprendre, sans qu'il y ait pourlui danger de les profaner, lui sont données dans lesens de la lettre; toutes les autres sont soigneuse-ment enveloppées dans ce sens pour n'être dévoiléesque lorsque le temps propice sera arrivé.

Quinze siècles s'étant écoulés depuis Moïse jus-qu'au premier Avènement du Seigneur, la civilisationavait pendant cet intervalle fait des progrès; mais enmême temps le genre humain était tombé dans leplus déplorable état de dégradation spirituelle etmorale, par la falsification des vérités qui avaient étérévélées dans les précédentes Paroles, et il n'y avaitqu'une nouvelle manifestation de la Vérité Divine quipût le sauver. C'est alors que le Verbe ou la Parolese fit chair; c'est alors que s'opéra le grand acte dela Rédemption au milieu de ceux qui possédaient laParole Mosaïque, et que la Bonne Nouvelle, rejetéeavec mépris par la majorité des Juifs, fut annoncéeaux Gentils et reçue par eux avec acclamation. Si la

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Parole du Nouveau Testament est pour notre siècleplus facile à comprendre dans son sens littéral quecelle de l'Ancien, c'est parce qu'elle fut, comme lesprécédentes, appropriée aux besoins de l'époque,et que la civilisation actuelle diffère moins de la ci-vilisation d'il y a dix-huit siècles, dont elle dériveimmédiatement, que de la civilisation Mosaïque quise perd dans la nuit des temps.

Néanmoins, si l'on trouve dans le Nouveau Testa-ment plus de vérités nues que dans l'Ancien, le plusgrand nombre de vérités qu'il renferme n'étant pointencore susceptibles d'être reçues et comprises sansprofanation par les contemporains et par leurs des-cendants, ne leur ont été présentées que voilées, maistoutefois avec promesse réitérée de lever le voile quiles cachait, lorsque les temps seraient accomplis, ouen d'autres termes, à la consommation du siècle,c'est-à-dire, lorsque l'Église ou la société chrétienneserait tombée, par la falsification des divines vérités,dans un état de dégradation spirituelle et moraleanalogue à celui où s'était trouvée la société lors dupremier Avènement du Seigneur. Et de même qu'ily a dix-huit siècles le genre humain aurait succombésous le poids de ses maux, si la Divinité ne fût venueà son secours en fondant une nouvelle société aumoyen de vérités nouvelles, de même la société dansle siècle dernier eût été conduite à une perte cer-taine, si le Seigneur ne fût venu, selon sa promesse,poser les bases d'une société nouvelle en étant le

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voile qui recouvrait ses Divines Vérités. C'est là sonSecond Avènement. Toute autre manière de l'enten-dre est opposée à la Majesté Divine et à la saineraison.

Quoique la Parole du Nouveau Testament fût engrande partie couverte d'un voile, les vérités nuesqu'elle renfermait étaient cependant suffisantes pourpréserver l'humanité de sa ruine, et ramener auvrai Dieu quiconque désirait le trouver. Chacun re-connaît aujourd'hui que les grands principes huma-nitaires dont notre siècle est si glorieux sont tousposés dans l'Évangile; chacun admire la vie simple,pure et dévouée des premiers Chrétiens. L'hérésienéanmoins ne tarda pas à se glisser parmi eux. Celleque soutint avec tant d'ardeur Arius aurait certaine-ment porté un coup mortel au Christianisme, si elleeût prévalu ; aussi se réunit-on de toutes parts pourla combattre. Mais déjà les passions humaines s'é-taient introduites dans les discussions spirituelles, lapureté primitive des mœurs s'était insensiblementaltérée, et les pères du Concile de Nicée en repous-sant une hérésie monstrueuse tombèrent eux-mêmesdans une autre hérésie, et cette hérésie devint lasource de toutes les erreurs et de tous les maux quidepuis affligèrent l'Église et la conduisirent à saperte.

Cette hérésie fut celle de la Trinité de personnesqu'on substitua à la Trinité d'attributs. On admit troispersonnes distinctes en Dieu, tandis que les Apôtres

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et leurs successeurs n'avaient vu dans la Trinité queles trois attributions du Dieu unique qui créa l'uni-vers, le racheta en prenant l'humanité, et le conserveà chaque instant par sa Divine Providence. En vaindéclara-t-on, pour éviter le reproche de Polythéisme,que ces trois personnes distinctes ne fesaient qu'unseul Dieu, l'hérésie n'en fut pas moins pernicieuse,et donna lieu à toutes ces aberrations de l'esprit hu-main qu'on rencontre à chaque pas dans les écritsdes théologiens les plus profonds, tant il est vraiqu'une fois en dehors du sentier de la vérité, on nepeut qu'errer ça et là, et s'enfoncer graduellementdans les ténèbres les plus épaisses !

La Divinité, nous dira-t-on, ne devait-elle pasprévoir qu'en couvrant d'un voile ses divines vérités,la faiblesse humaine tomberait infailliblement dansl'erreur? Nous répondrons : Elle l'avait prévu ; carune foule de passages de l'Écriture l'indiquent d'unemanière claire, et annoncent qu'un Second Avène-ment viendra enfin rétablir l'homme dans les lois del'ordre et le faire jouir des délices d'un nouvel Éden.— Mais n'aurait-il pas été plus conforme à l'essencede l'Amour Divin d'éviter à l'humanité cette nouvellechute, et de la faire entrer tout de suite dans ce jar-din de délices?—Quel est donc aujourd'hui le nouvelAlphonse de Castille qui oserait dire que s'il eût étédu conseil de Dieu, il lui aurait donné de bons avis?C'est la réponse qu'on pourrait faire à une semblablequestion; cependant la nouvelle dispensation des vé-

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rites divines permet maintenant de donner quelquesmotifs propres à satisfaire la raison humaine.

Dieu est un; par conséquent, pour que l'humanitépuisse rentrer dans l'ordre, il faut qu'elle redevienneune. Tous les efforts de la Divine Providence, depuisla chute, tendent à ramener les hommes à cette uni-té; mais tout dans ce inonde ne se faisant que parprogression, ce n'est que progressivement que l'œu-vre divine peut être accomplie. Nous, faibles mor-tels, nous comptons dans notre impatience les jours,les années, les siècles, et nous allons quelquefois jus-qu'au blasphème, en osant attribuer à Dieu ce quine vient que de la dépravation humaine. Dieu estl'Amour Même, et il est dans un continuel effortpour ramener l'humanité à Lui ; mais l'humanitéqu'il a douée de liberté résiste, et il ne saurait sansdétruire son ouvrage contraindre le libre arbitre deshommes.

Maintenant ouvrons l'histoire, et partout nous re-connaîtrons le doigt de Dieu pour reconstituer l'unitéhumaine. Les hommes agissent poussés le plus sou-vent par leurs passions, mais l'œil de la Providencereste sans cesse ouvert, et elle sait toujours du plusgrand mal tirer quelque bien. En un mot, tous les évé-nements sont providentiels à un degré plus ou moinsélevé, et cependant chaque homme, chaque société,quoiqu'instrument de la Divinité, reste parfaitementlibre dans ses actions. C'est ainsi que la grandeur etla décadence de l'Empire Romain furent des événe-

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ments providentiels de l'ordre le plus important. Lagrandeur de l'Empire Romain était utile aux vues dela Providence, parce qu'il était nécessaire qu'unemasse de nations fût réunie sous le pouvoir d'unpeuple qui professait la plus grande tolérance pourtous les cultes. C'est, en effet, cette tolérance qui per-mit aux disciples du Seigneur de proclamer haute-ment la Bonne Nouvelle, et de répandre dans toutl'Empire la vraie semence. Mais dès que cette se-mence eut germé et donné des fruits assez nombreux,l'unité romaine, qui n'était que factice, commença àse décomposer, car sa mission était remplie. Aussidès l'aurore du Christianisme voit-on apparaître lespremiers linéaments d'une nouvelle société beaucoupplus compacte et d'une nature bien différente.

L'unité romaine, avons-nous dit, était factice : eneffet, il y avait dans l'Empire unité de pouvoir; maischacune des diverses nations qui le composaientavait conservé ses lois, ses mœurs, ses usages, sespréjugés, sa religion, de sorte que cette unité étaitpurement matérielle, et n'avait rien d'intellectuel,rien de spirituel. Il n'en fut pas ainsi de la petite So-ciété Chrétienne qui commençait à se former. Dèsses premiers pas on remarque en elle une tendanceà l'unité de sentiments et de croyances. C'est quel'Évangile avait proclamé que tous les hommesétaient libres et frères. Mais que de sang cette saintevérité va faire couler ! que de siècles vont passeravant qu'elle puisse être bien conçue et mise en ap-

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plication ! Il y a dix-huit cents ans qu'elle a été pro-mulguée pour la première fois, et nous avons encoredes esclaves, et tous les chrétiens loin de vivre enfrères ne connaissent encore de la Fraternité Évan-gélique que le nom. Ah ! c'est que les préjugés sontd'autant plus enracinés dans le cœur de l'hommequ'ils se trouvent liés à son orgueil ou à son intérêtpersonnel. Pour juger sainement de l'époque dontnous parlons, il faut se représenter les peuples d'a-lors tels qu'ils étaient réellement, et l'on ne s'éton-nera plus qu'il ait fallu dix-huit siècles pour amenerla société au point où nous la voyons.

Si les Romains fussent restés maîtres de l'Empire,le Christianisme eût fait moins de progrès parmieux. La prospérité enfle le cœur des hommes, et leurlaisse peu d'instants pour penser aux choses éternel-les. D'un autre côté, la Religion nouvelle serait res-tée inconnue aux nombreuses populations de l'est etdu nord de l'Europe; mais des hordes de barbares,poussées par la rapacité et par le besoin de combat-tre, se jettent tout à coup sur l'Empire et en inondenttoutes les possessions. Cette époque fut certes une desplus douloureuses pour l'humanité ; cependant la Di-vine Providence, qui laisse les nations aussi libres deleurs actions que les individus, sut tirer le plusgrand bien de cette horrible catastrophe. Le restedes vaincus fut plus facilement porté à adopter leChristianisme qui offre tant de consolations aux mal-heureux, et les vainqueurs, ne pouvant méconnaître

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la supériorité intellectuelle de ceux qu'ils avaientsoumis par la force des armes, courbèrent eux-mê-mes la tète devant la force morale et spirituelle duLivre Divin que les vaincus leur expliquèrent. C'estainsi que les peuples les plus hétérogènes se trouvè-rent disposés, par suite de ce mélange, à constituerplus tard cette unité chrétienne du moyen âge quicause aujourd'hui l'admiration de tous les penseurs.

Mais, à l'époque dont nous parlons, la ReligionChrétienne avait déjà perdu sa pureté primitive. Ledogme de la Trinité des personnes avait engendréune foule d'hérésies. Les théologiens passent leur vieà se disputer, à s'anathématiser; mais il y a dans lepeuple de nombreux chrétiens qui, sans s'occuperdes discussions théologiques, vivent conformémentaux préceptes de l'Évangile. Ceux-là seuls consti-tuaient la véritable Église du Seigneur, et quellesqu'aient été d'ailleurs leurs erreurs au sujet desvrais dogmes, ces erreurs appartenaient à leur siè-cle, et ne leur furent point imputées, parce que leSeigneur n'a égard qu'au bien ou au mal de la vie,l'erreur non-confirmée n'étant point le fait de l'hom-me, mais le résultat des temps et des lieux.

Bientôt l'orgueil et l'ambition des chefs de l'Égli-se, que la funeste rivalité des princes se chargeaitd'alimenter, ne connurent plus de bornes; mais laDivine Providence sut encore tirer du bien de cespassions désastreuses. Les peuples, victimes des dé-prédations et des fureurs de leurs maîtres, sanction-

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nèrent avec joie la prééminence du pouvoir spirituelsur le pouvoir temporel, et de ce moment l'unité ca-tholique fut définitivement établie. Elle eut pour ré-sultat la réunion de tous les peuples de l'Occident enune seule grande famille. Ce fut là sa mission, maisdès qu'elle l'eut remplie, elle dut commencer à s'af-faiblir'insensiblement pour disparaître comme l'unitéromaine, parce que l'une et l'autre elles n'étaientque de simples acheminements pour arriver à lagrande unité humanitaire, seul but de la Divinité ;car le Seigneur n'est pas seulement le Dieu desChrétiens, il est le Dieu de tous les peuples de laterre; tous sont ses enfants, et il les a tous conviésau grand banquet des noces de l'Agneau.

Pourquoi cette unité Catholique-Romaine si adroi-tement cimentée, si puissante, si respectée, fut-elleinsuffisante pour remplir les vues de la Divinité? C'estparce que d'hérésie en hérésie elle était tombée dansl'idolâtrie la plus grossière; c'est parce que ses chefss'étaient arrogé la puissance divine, et avaient placéleurs décisions au-dessus de la Parole de Dieu ; c'estparce qu'ils avaient enlevé cette Parole au peupleavec défense expresse de se la procurer; c'est enfinparce qu'ils avaient détruit la foi vivifiante en abo-lissant, sous peine de mort naturelle et spirituelle, laliberté de conscience, de toutes les libertés la plusprécieuse à l'homme.

Que fût devenu pour l'humanité l'espoir d'obtenirpar le progrès ce bonheur que tous les Livres Saints

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lui promettent, si une pareille puissance se fût main-tenue sur la terre? Eût-il été possible de déracinerle moindre de ses vices, de détruire la plus faible deses erreurs, de signaler la plus petite de ses hérésies,quand toute l'Europe tremblait sous ses lois? Quelaurait donc été le sort de l'humanité enlacée dans depareilles entraves, accablée sous ce joug de fer etde plomb ; mais la Divine Providence veillait, tou-jours prête à tirer quelque bien des passions humai-nes qui de leur côté ne sommeillent jamais. Bientôtles puissances temporelles s'indignent de supporterles caprices des chefs de l'Église; les plus éclairésdes laïques reconnaissent l'ambition et l'orgueil sousle masque de la paternité spirituelle, et ne voientplus dans le serviteur des serviteurs du Seigneur quel'homme qui veut tout asservir à ses lois. Enfin, toutse trouvant disposé d'avance pour une scission écla-tante, le faible bandeau qui reste encore sur lesyeux des peuples tombe subitement à la voix puis-sante dès-Luther, des Mélanchton et des Calvin.

La Réforme fut donc aussi un événement provi-dentiel d'une haute importance : le temps était ar-rivé de briser l'unité Catholique-Romaine qui, dé-sormais inutile, ne pouvait que nuire aux vues misé-ricordieuses du Seigneur. Le coup que porta laRéforme fut terrible. Le dix-huitième siècle fut en-suite chargé d'achever l'œuvre, et l'on sait avec quelacharnement il s'en acquitta. Il faut en effet que leterrain soit entièrement déblayé pour qu'une recon-

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struction nouvelle puisse être solide. « Voici, dit le» Seigneur en parlant de notre époque, je vais faire» toutes choses nouvelles.» Il faut aussi qu'une terrecouverte de ronces et d'épines soit entièrement dé-frichée pour que la semence qu'on y jettera ne puisseêtre étouffée dans sa naissance. « On ne coud pas, dit» l'Évangile, une pièce de drap neuf sur un vieil ha-» bit, et l'on ne met pas de vin nouveau dans un» vieux tonneau. »

L'humanité délivrée des entraves de toute espècedans lesquelles elle avait été providentiellement re-tenue pour qu'elle ne tombât pas dans de plus grandsmalheurs, se trouve enfin en état de pouvoir marcherd'un pas ferme vers les grandes destinées qui lui ontété promises. Chacun peut, en effet, remarquer les ef-forts de tout genre qui, depuis plus d'un demi-siècle,manifestent la tendance de notre époque à réaliser lavéritable unité religieuse et sociale. Si les essaisn'ont pas toujours été heureux, c'est que tout enfan-tement est pénible; mais quel espoir ne devons-nouspas tirer de la différence qui existe entre la positionoù nous sommes et celle où se trouvait la société,lorsque l'unité Catholique-Romaine commença à seformer! La boussole a mis en communication tousles peuples de la terre; l'imprimerie a répandu l'É-vangile sur les plages les plus éloignées, et il n'estpas un seul point du globe où le Livre-Saint n'ait pé-nétré; les merveilles que produira la vapeur ne sontencore que faiblement entrevues, et l'on peut prévoir

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qu'il n'y aura bientôt plus d'obstacles capables d'i-soler un peuple d'un autre. Déjà ce progrès rapidequi nous étonne n'est plus resserré dans les limitesde la civilisation chrétienne; l'Orient lui-même, jus-qu'au dernier siècle si immobile, se met aujourd'huien mouvement; tout enfin se modifie, tout se disposepour la grande fusion.

Est-ce à dire pour cela qu'il n'y aura plus surterre qu'un seul peuple, qu'un seul culte externe?Loin de nous une telle idée qui ne saurait êtrequ'une utopie. L'unité ainsi conçue serait tout à faiten opposition avec les lois de l'ordre. Le principeimportant qui domine toutes les belles théories deSwedenborg, et qu'on ne doit jamais perdre de vue,c'est que l'unité résulte de la diversité, mais d'unediversité telle que toutes les parties concourent, cha-cune selon sa nature, à la perfection du tout. C'estainsi que les milliers de miliers de parties qui com-posent le corps humain diffèrent]toutes les unes desautres, et concourent cependant par une dispositionharmonique à constituer cette unité qu'on appellehomme. La grande unité humanitaire se formeradonc de toutes les unités nationales qui devront né-cessairement différer toutes entre elles. C'est ainsique dans le corps humain, le cœur qui en est uneunité partielle diffère du poumon qui en est une au-tre; le foie n'est pas semblable à la rate, l'œil à l'o-reille.

Or, tout n'est-il pas maintenant en travail pour

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former ces unités nationales indispensables à la con-stitution de la grande unité? Chaque peuple n'est-ilpas porté par une impulsion secrète à désirer l'unitédans ses usages, dans ses lois, dans son gouverne-ment? Si chaque nation souffre dans l'état socialactuel, c'est parce qu'aucune n'est encore par-venue à former une véritable unité; car, lorsqu'iln'existe pas une harmonie parfaite entre les milliersde parties différentes qui composent un organe ducorps humain, cet organe ne peut pas remplir par-faitement ses fonctions, et moins il y a d'harmonieentre ces parties et plus l'organe souffre. C'est ainsique chaque nation éprouve plus ou moins de souf-frances selon que les diverses parties qui la consti-tuent s'éloignent plus ou moins de l'état harmonique.La véritable unité nationale ne pourra donc se for-mer que lorsque toutes les divisions territoriales, etparticulièrement les communes, seront elles-mêmesde véritables unités; et les communes ne parvien-dront à cet état que lorsque les hommes qui les com-posent mettront le devoir au-dessus du droit, et se-ront convaincus que le tout se porte mal et que lesparties souffrent dès que l'une d'elles ne remplit pasconvenablement les fonctions qui résultent de son or-ganisation particulière.

Ainsi, pour que l'humanité puisse rentrer dansl'ordre dont elle est sortie à son grand détriment, ilfaut qu'il y ait d'abord régénération dans les indivi-dus. Cette régénération conduira ensuite à rétablir

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successivement l'harmonie dans les unités partiellesqui concourent à composer, chacune dans leur ordre,la grande unité sociale.

Mais quelle sera dans l'ordre spirituel la doctrinedestinée à former et à diriger cette grande unité? Cesera, selon les promesses du Seigneur, la doctrinecéleste de sa Nouvelle Église, de cette Nouvelle Jéru-salem qu'il nous a annoncée pour l'époque où il fe-rait toutes choses nouvelles; et ce ne peut êtrequ'elle, car elle seule est capable de rallier les hom-mes en les régénérant ; elle seule peut convenir auxChrétiens de toutes les communions; elle seule enfinest susceptible d'être admise par tous les peuples dela terre. En effet, pour elle le culte intérieur est l'im-portant, le culte extérieur n'est qu'un accessoire;celui-ci est à celui-là ce que le vêtement est à l'hom-me. Est Novi-Jérusalémite, non pas celui qui s'an-nonce comme tel, mais seulement quiconque adoreDieu en esprit et en vérité, c'est-à-dire, quiconquereconnaît le Seigneur comme seul Dieu du ciel et dela terre, et conforme sa vie aux préceptes du Décalo-gue, quelle que soit d'ailleurs la forme dont il revêtce culte intérieur. Est-il une doctrine plus simple eten même temps plus conforme aux idées de tous leshommes de bien, de quelque nation qu'ils soient,plus propre enfin à remplir les préceptes de l'Évan-gile, à faire cesser toute division religieuse entre leshommes, et à établir le règne de la fraternité sur laterre ?

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Ainsi, unité de culte quant à l'intérieur pour tousles peuples de la terre, l'adoration d'un seul Dieu enesprit et en vérité; diversité de culte quant à l'ex-térieur, chaque nation, chaque communauté d'habi-tants, chaque individu étant libre de manifester sonadoration de la manière qui lui semble le plus enrapport avec ses sentiments intérieurs. C'est bien làl'accomplissement de cette vérité primordiale : l'u-nité résulte de la diversité; c'est bien là, dans saplus grande extension, cette précieuse liberté de con-science sans laquelle le culte de l'homme ne sauraitêtre agréable au Seigneur. Est-il une seule des au-tres Communions chrétiennes qui puisse offrir unedoctrine aussi propre à satisfaire l'esprit et le cœurde tous les amis de l'humanité, aussi conforme à l'i-dée que la raison éclairée doit se faire de la Divinitéet du culte qui lui est dû ?

Le SEMEUR prétendrait-il opposer à la doctrine dudevoir, qui est la nôtre, la doctrine des Réformésqui n'est autre que celle du droit individuel? Qui nesait que la liberté individuelle absolue renferme enelle-même l'anarchie universelle? Qui ne sait que ladoctrine protestante conduit directement au fatalis-me, elle qui déclare que l'homme n'a ni bien ni malen soi; elle qui prétend qu'il est privé du libre arbi-tre spirituel ; elle, en un mot, qui admet la prédesti-nation? Peut-il exister un principe plus anti-social,un dogme plus anti-religieux? Le SEMEUR, à la vérité,fait tous ses efforts pour répandre une morale pure

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et évangélique; mais il n'en est pas moins certainque telle est la métaphysique transcendentale desdocteurs Réformés.

Le Catholicisme-Romain n'a jamais cessé, il estvrai, de faire des efforts pour reconstituer l'unité, etchaque jour il proclame encore à haute voix qu'ellene saurait exister que dans son sein. C'est cette per-sistance qui a frappé quelques esprits justement ef-frayés des malheurs que l'individualisme a causés, etqui leur a fait croire que Rome pourrait être unearche de salut; mais on a pu voir par ce qui précè-de, en quoi consiste l'unité Catholique-Romaine, etcombien elle est opposée aux lois de l'ordre divin quiexigent, pour qu'il y ait perfection tant au matérielqu'au spirituel, que l'unité soit le résultat d'une di-versité harmonisée. On a pu voir aussi que cetteunité factice était nécessaire aux vues de la Provi-dence dans le moyen âge et qu'elle a commencé à sedécomposer, du moment où son action n'aurait plusété qu'un obstacle à ces mêmes vues; aujourd'huielle n'est plus qu'une ombre, et il y a pour elle impos-sibilité absolue de se reconstituer. Le monde ne ré-trograde pas, et une fois que les institutions sontmortes, elles ne revivent plus.

Puissent ces considérations générales engager lesvéritables amis de l'humanité à étudier sérieusementnotre doctrine ! Elle seule est capable de réaliserleurs espérances.

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APHORISMES DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM.

Tout ce qui existe dans l'univers se rapporte aubien et au vrai, ou au mal et au faux. Les chosesqui sont conformes aux lois de l'ordre divin se rap-portent au bien et au vrai, et toutes celles qui sontopposées aux lois de cet ordre se rapportent au malet au faux.

Il y a en l'homme deux facultés qui le constituent,la volonté et l'entendement; et telles elles sont enlui, tel il est lui-même.

C'est par ces deux facultés que l'homme se distin-gue des bêtes, parce que par son entendement ilpeut voir les vérités divines, et par sa volonté perce-voir les biens divins ; c'est ainsi que par elles l'hommepeut être conjoint à la Divinité.

Comme tout dans l'univers se rapporte au bien etau vrai, ou au mal et au faux, de même en l'hommetout se rapporte à la volonté et à l'entendement,parce que la volonté est le récipient du bien ou dumal, et l'entendement le récipient du vrai ou dufaux.

La volonté de l'homme est l'être même de sa vie,

APHORISMES. 99

et l'entendement en est {'exister : ainsi la vie de lavolonté est la vie principale de l'homme, et la vie del'entendement en procède, comme la lumière procèdedu feu ou de la flamme.

La volonté et l'entendement constituent un seulmental (mens) ou une seule âme. Ces deux facultésde la vie ne doivent faire qu'un, pour que l'hommesoit véritablement homme.

La volonté et l'entendement dans l'autre vie sontramenés à l'unité; car il n'y est pas permis d'avoirun mental divisé.

L'homme sait à peine distinguer entre l'entende-ment et la volonté, parce qu'il n'aperçoit qu'à peinela différence qui existe entre penser et vouloir.

L'homme a été créé de telle sorte qu'il est tout àla fois dans le monde spirituel et dans le monde na-turel; et parce qu'il a été ainsi créé, il y a en lui uninterne et un externe, ou un homme interne et unhomme externe. L'homme interne est spirituel,l'homme externe est naturel.

Ainsi le monde spirituel et le monde naturel sontconjoints en l'homme. De là, l 'homme est tel qu'ilpeut porter ses regards en haut vers le Ciel, et enbas vers le monde.

L'homme interne ou spirituel, et l'homme externeou naturel sont absolument distincts l'un de l'autre.La distinction qu'il y a entre eux est semblable àcelle qui existe entre la cause et l'effet, entre ce quiest antérieur et ce qui est postérieur. Ainsi, ils nesont pas continus, mais contigus.

100 APHOR1SMES

Dans l'interne, il y a des milliers de milliers dechoses qui apparaissent dans l'externe comme uneseule chose, l'ar conséquent, plus la pensée et laperception sont intérieures, et plus elles sont claires.De là résulte que l'homme doit être dans les in-ternes.

L'homme s'élève quand il porte ses regards versles choses spirituelles; et autant il s'élève des exter-nes vers les internes, autant il vient dans la lumière,et ainsi dans l'intelligence ; c'est là ce que les anciensappelaient être séparé des objets sensuels.

L'influx procédant de la Divinité s'effectue parl'homme interne dans l'homme externe. En effet, lesintérieurs peuvent influer dans les extérieurs, maisjamais les extérieurs n ' inf luent dans les intérieurs ;par conséquent il existe un influx spirituel, et il n'ya point d'influx physique. L'homme spirituel ou in-terne peut voir ce qui se fait dans l'homme naturelou externe; mais l'homme naturel ne voit pas ce quise fait dans l'homme spirituel, puisque le spirituelinflue clans le naturel et non le naturel dans le spiri-tuel.

Toutes les choses du monde naturel viennent de laDivinité par l'intermédiaire du monde spirituel. Delà le spirituel est dans toute chose naturelle, commela cause est dans l'effet, comme l'effort est dans lemouvement, comme l'interne est dans l'externe.

Entre les naturels et les spirituels il y a corres-pondance, et les choses qui existent par les spiri-

DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM. 101

tuels dans les naturels sont des Représentations. Delà vient que toute la nature est le théâtre représentatifdu monde spirituel.

L'homme naturel, par sa lumière appelée lumièrede la nature, ne sait rien sur Dieu, sur le ciel, sur lavie après la mort; il n'en croit rien quand il en en-tend parler, à moins que la lumière spirituelle n'in-flue dans cette lumière naturelle. La lumière spiri-tuelle est la lumière procédant du Ciel.

L'homme naturel est de lui-même opposé à l'hom-me spirituel, car il lui est opposé dès sa naissance.C'est pourquoi, tant que cette opposition existe,l'homme est dans un état de gêne quand il pense auxobjets spirituels et célestes, et il éprouve de la satis-faction quand il pense aux objets naturels et corporels.

Le sensuel est chez l'homme le dernier degré de lavie, adhérent et inhérent s. son corporel. L'hommesensuel est celui qui juge et conclut d'après les sensdu corps, et qui ne croit que ce qu'il peut voir de sesyeux et toucher de ses mains. Un tel homme penseextérieurement et non intérieurement en soi. Ses in-térieurs sont entièrement fermés.

Les hommes sensuels raisonnent avec hardiesse etadroitement, parce que leur pensée est si près deleur parole qu'elle se confond presque avec elle, etparce qu'ils fondent toute leur intelligence sur cetteparole qu'ils tirent de leur seule mémoire; mais ilsraisonnent d'après les illusions des sens qui séduisentle vulgaire.

9*.

102 APHOR1SMES

Si la pensée n'est point élevée au-dessus des cho-ses sensuelles, l 'homme n'a que peu de sagesse.L'homme sage pense au-dessus du sensuel. Quandl'homme élève sa pensée au-dessus du sensuel, ilentre dans une lumière plus claire, et enfin dans lalumière céleste.

Sur l'Amour en général.

L'amour est une chaleur spirituelle, et le principevital même de l'homme.

L'homme a pour fin ce qu'il aime par-dessus touteschoses.

Ce que l'homme aime et a pour fin règne univer-sellement en lui, c'est-à-dire, dans toutes ses affec-tions, dans toutes ses pensées, dans toutes ses paroleset dans toutes ses actions.

Il y a en conséquence dans chaque homme unamour dominant; tel est cet amour, telle est la viede l'homme, et tel est même l'homme tout entier; carce que l'homme aime par-dessus toutes choses estsans cesse présent à sa pensée ainsi qu'à sa volonté,et fait sa vie la plus intime; ainsi, c'est l'amour do-minant qui fait l 'homme.

Cet amour a sous ses ordres d'autres amours quine sont que des dérivations de lui-même; ils parais-sent sous une autre forme, mais néanmoins ils sonttous individuellement compris dans l 'amour domi-nant et ne font qu'un avec lui.

DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM. 103

L'amour dominant est leur chef et les dirige; c'estpar eux comme par des fins moyennes qu'il vise ettend à sa fin, et cela, tant directement qu'indirecte-ment.

L'homme étant absolument tel qu'est l'amour do-minant de sa vie, se trouve distingué des autreshommes par cet amour, qui constitue son ciel, s'il estbon ; et son enfer, s'il est mauvais : cet amour domi-nant est sa volonté, son propre, sa nature, puisqu'il estl'être de sa vie, et il ne peut être changé après lamort de l 'homme, puisqu'il est l'homme lui-même.

Tout plaisir, toute volupté, tout bonheur, toutefélicité, toute joie du cœur, procèdent dans chaquehomme de son amour dominant, et leur qualité estselon la qualité de cet amour.

Ce qu'il aime, l'homme l'appelle un plaisir; cequ'il pense et n'aime pas, il peut aussi l'appelerplaisir, mais ce n'est pas le plaisir de sa vie.

Le plaisir de son amour est pour l'homme le bien,et ce qui est contraire à ce plaisir est pour lui lemal.

Il y a deux amours d'où découlent tous les biens ettoutes les vérilés comme de leurs sources mômes. Cesont l'amour envers le Seigneur et l'amour à l'égarddu prochain. Ces deux amours font le ciel en l'hom-me; ils ouvrent et forment l'homme spirituel, parcequ'ils résident en lui.

Il y a deux amours d'où dérivent tous les maux ettoutes les faussetés. Ce sont l'amour de soi-même et

104 APHORISMES

l'amour du monde. Ces deux amours sont entière-ment opposés aux deux premiers; ils font l'enfer enl'homme; ils ferment et détruisent l'homme interneou spirituel quand ils dominent, et alors ils font quel'homme est naturel et sensuel selon le degré de leurdomination.

Sur les Amours de soi-même et du monde.

L'Amour de soi-même consiste à ne vouloir dubien qu'à soi seul, et à n'en vouloir aux autres, c'est-à-dire, à l'humanité, à la patrie, à ses concitoyensque par rapport à soi-même, de sorte qu'on ne leurfait du bien qu'en vue de la réputation, des honneurset de la gloire qu'on espère en retirer.

Aimer exclusivement les siens, c'est-à-dire, sesenfants, ses descendants, et en général tous ceux quiflattent, honorent et rendent une sorte de culte, c'estaussi s'aimer soi-même ; car c'est les considérercomme en soi, et se considérer comme en eux.

Faire du bien par ostentation, c'est encore êtredans l'amour de soi.

L'homme est dans l'amour de soi-même, lorsqu'ilregarde comme ennemis ceux qui ne lui sont pas fa-vorables, qui ne !s révèrent pas, et qui ne lui rendentpoint hommage ; et surtout lorsque, pour cette rai-son, il les prend en haine, les persécute, brûle dudésir de se venger et aspire à leur perte.

L'Amour du monde consiste à vouloir attirer à

DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM. 4OS

soi les richesses des autres par quelque moyen etpar quelqu'artifice que ce soit.

Ceux qui sont dans cet amour brûlent du désir deposséder tout ce qui appartient à autrui, et met-traient ce désir à exécution, s'ils ne craignaient l'ac-tion des lois et la perte de leur réputation qu'ils neménagent que par avidité pour le gain. Cependantl 'amour du monde n'est pas aussi pernicieux quel'amour de soi-même, parce qu'il n'y a pas autant demaux renfermés en lui.

L'amour du monde se divise en plusieurs espèces ;les principales sont : l'amour des richesses pour s'é-lever aux honneurs et aux dignités ; l'amour deshonneurs et des dignités pour obtenir les richesses;l'amour des richesses pour les différents usages quiprocurent des jouissances et des délices dans lemonde ; l 'amour des richesses pour les richesseselles-mêmes : ce dernier amour est celui des avares.La fin pour laquelle on désire les richesses est l'usa-ge, et c'est de cette fin que l'amour tire sa qualité.

L'amour de soi-même et l'amour du monde sontdestructifs de l'Ordre social humain et de l'Ordrecéleste.

Les hommes n'ont établi des gouvernements, etne se sont soumis à des puissances, que pour se met-tre en sûreté contre les maux qui résultent de cesdeux amours.

Car des amours de soi-même et du monde pro-viennent l'inimitié, la haine, la vengeance, la cruau-té, les trahisons, et en général tous les maux.

106 APHORISMES

Chez ceux qui sont dans les amours de soi-mêmeet du monde, il y a des liens externes, mais aucunlien interne. Aussi du moment que les liens externessont ôtés, ils se précipitent dans toute sorte de cri-mes. Les liens externes sont la crainte de la loi etdes châtiments, et celle de la perte de la réputation,de l'honneur, du gain, des emplois et de la vie.

Ces amours se précipitent avec impétuosité tantqu'on leur lâche la bride, et l'amour de soi-mêmes'élance jusqu'au trône céleste. Pour lui il n'y a niterme, ni limite.

Quoique cet esprit de domination ne se manifestepas devant le monde où il est retenu par les liensexternes, il est néamoins caché en tous ceux qui sontdans l'amour de soi. Lorsqu'il rencontre dans sesprojets un obstacle insurmontable, il s'arrête jus-qu'à ce qu'il puisse les accomplir.

De là vient que l'homme, qui est dans l'amour desoi-même, ne sait pas qu'une cupidité si insensée etsi effrénée est cachée au fond de son cœur.

Cependant l'histoire de tous les peuples prouvequ'il en est ains,i. Une fois que les puissants de laterre ne sont plus retenus par toutes ces craintes etpar ces obstacles, ils se précipitent sur les paysqu'ils convoitent, les subjuguent autant que le sortdes armes leur est favorable, et aspirent à une puis-sance et à une gloire sans bornes.

L'influence de cet amour est encore plus fortechez ceux qui veulent étendre leur domination jus-

DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM. 107

que dans le Ciel ; ils s'arrogent la Toute-PuissanceDivine du Seigneur, et désirent encore sans cessealler au-delà.

Il y a deux genres de domination : l'une est cellequi résulte de l'amour à l'égard du prochain ; l'autreest celle qui résulte de l'amour de soi-même. Ces deuxdominations dans leur essence sont diamétralementopposées entre elles; l'une est céleste et l'autre in-fernale.

L'amour de la domination reste en chacun aprèssa vie dans le monde, et fait son bonheur ou sonmalheur, selon qu'il provenait de l'amour à l'égarddu prochain ou de l'amour de soi-même.

L'amour de soi-même ne peut pas être reconnu àl'apparence extérieure, ni à l'état d'élévation ou d'a-baissement, car les affections sont dans l'homme in-terne. Or, l'homme interne est le plus souvent ca-ché, et l'homme externe est habile à feindre les affec-tions de l'amour du bien public et du prochain ; cettefeinte est encore un effet de l'amour de soi-même;car ceux qui sont dans cet amour savent qu'aimer lebien public et le prochain, c'est charmer tous leshommes et attirer leur affection et leur estime.

Tous les maux tirent en général et en particulierleur origine de l'amour de soi-même ou de l'amourdu monde; et comme il est évident que l'hommenaît dans ces deux amours qui constituent son pro-pre, il en résulte qu'il naît dans les maux de toutgenre, et qu'il doit renaître, c'est-à-dire, se régé-nérer.

108 APHOR1SMES

Les maux héréditaires dérivent des pères, desai'eux et des ancêtres dans la série la plus éloignée.

A ses maux héréditaires, l'homme en ajoute d'a-près lui-même de nouveaux qui sont appelés mauxactuels.

Nul ne porte dans l'autre vie la peine de ses mauxhéréditaires, mais il porte celle de ses maux actuelsqui alors reviennent.

L'homme ne peut connaître quels sont les biens,s'il ne sait d'abord quels sont les maux; c'est pourcela qu'il a été parlé de la double origine des maux,avant de dire d'où découlent les biens.

Sur l'Amour envers le Seigneur.

Dieu ou le Seigneur est l'Amour Même.Trois choses constituent l'essence de l'Amour Di-

vin :1° Aimer les autres hors de soi ;2° Vouloir ne faire qu'un avec eux ;3° Faire leur bonheur par soi.C'est parce qu'il est de l'essence de l'Amour d'ai-

mer les autres hors de soi, que Dieu a créé l'universpour pouvoir étendre son amour sur lui.

C'est parce qu'il est de l'essence de l'Amour devouloir ne faire qu'un avec les autres, que Dieu acréé l'homme à son image et à sa ressemblance,c'est-à-dire, susceptible de recevoir son Amour et saSagesse, et de se conjoindre à son Créateur.

120 CONSIDÉRATIONS

irrécusable qu'il est de toute impossibilité que la Bi-ble ne renferme pas un sens caché ou interne ; il noussuffit pour cela d'ouvrir les premiers Chapitres de laGenèse.

Est-il aujourd'hui un seul homme d'un jugementsain qui puisse admettre que la Divinité ait été occu-pée six jours à créer l'univers? Est-il une seule per-sonne douée d'une intelligence ordinaire qui puissereconnaître comme vraies toutes les circonstancesrapportées par la Bible sur cette création? Il est dit,par exemple, que la lumière et les ténèbres, le jouret la nuit, le matin et le soir, les herbes et les ar-bres, les semences et les fruits furent créés avant lesoleil, la lune et les étoiles. Comment est-il possiblede concevoir que ces effets aient pu être produitssans l'existence et l'influence du soleil ?

Dans le premier Chapitre, il est dit que Dieu fitl'homme mâle et femelle; et dans le second, aprèsles six jours de la création, on lit qu'il n'y avait pointd'homme pour cultiver la terre, et qu'alors Dieuforma l'homme de la poussière de la terre. Peut-ilexister une contradiction plus manifeste?

Pourquoi est-il défendu à l'homme placé dans lejardin d'Éden de manger du fruit d'un seul arbre,lorsqu'on lui permet de manger des fruits de tous lesautres? N'est-ce pas là lui tendre un piège? Une tellesupposition peut-elle être admise par un homme rai-sonnable ?

Que dire de cette côte tirée d'Adam pendant son

SUR LE SENS INTERNE DE LA PAROLE. 119

» brode tout ce qui passe par l'imagination, quand» on détruit le sens naturel de chaque passage pour» y substituer un sens caché, et qu'on change la si-» gnification des mots pour leur faire dire autre» chose qu'ils ne disent ! »

Le SEMEUR a cru sans doute présenter un argu-ment irrésistible, tandis qu'il nous place, au con-traire, dans la position la plus avantageuse pourlui répondre.

Si, comme le prétend le SEMEUR, la Bible n'a pasde sens caché, elle doit être prise tout entière dansle sens de la lettre. Dès lors, le clergé Catholique-Romain ne devrait pas être blâmé par lui d'avoirétabli la puissance de son chef et la prééminence desa doctrine sur ce passage de l'Évangile : « Et Moi» aussi je te dis que toi tu es Pierre (Roc); et sur ce» roc je bâtirai mon Église. » — Matth. XVI. 18.—Nous savons bien qu'il répondra que c'est à tort quele Catholicisme-Romain se prévaut de ce passage, etqu'il en est une quantité d'autres qui condamnent sadoctrine; mais les Catholiques-Romains vous cite-ront à leur tour mille passages qui réprouvent lavôtre. Que conclure de là, sinon que chaque commu-nion chrétienne a toujours cherché à torturer lesÉcritures pour les rendre applicables à la doctrinequ'elle s'est faite? C'est d'ailleurs ce que personnen'ignore aujourd'hui.

Mais, ne nous arrêtons pas à ces subtilités, et arri-vons au fait principal, en prouvant d'une manière

H 8 CONSIDÉRATIONS

primaient leurs idées par des représentations, etqu'on avait la plus haute estime pour ceux qui mon-traient le plus d'habileté à décrire les sujets morauxet spirituels sous des formes historiques. Toute la lit-térature des anciens orientaux, aujourd'hui mieuxconnue, prouverait encore, s'il était nécessaire, quecette coutume d'écrire par représentation était gé-néralement en usage dans les temps reculés.

Et cependant, lorsque Swedenborg offre la clé quipeut seule ouvrir les trésors cachés dans la Bible;lorsqu'on peut s'assurer qu'avec cette clé la Genèse etl'Apocalypse, les deux ouvrages les plus inintelligi-bles dans le sens de la lettre, se trouvent néanmoinsexpliqués mot par mot, et présentent alors les véritésles plus utiles à l'homme; lorsqu'il serait même fa-cile de se convaincre qu'avec la même clé on pour-rait, mieux qu'avec la science des Champollion, ex-pliquer les monuments de l'antiquité, qui, depuis silongtemps, exercent la sagacité des archéologues;lorsqu'enfin tant de témoignages se réunissent en fa-veur des assertions de Swedenborg, il y a encore,malgré cela, des hommes religieux qui, sans vouloirexaminer le plus ou moins de fondement qu'elles peu-vent avoir, décident de leur autorité privée que laBible ne renferme aucun sens caché.

C'est, en effet, ce qui résulte de ce passage d'undes journaux de la Réforme, le SEMEUR : « Comment,» dit-il, ne pas sentir que la Bible n'est plus qu'un» canevas dont on fait ce qu'on veut, sur lequel on

117

CONSIDERATIONS

SUR LE SENS INTERNE DE LA PAROLE.

Notre doctrine, comme celle de toutes les com-munions chrétiennes est fondée sur la Bible, car l'onne saurait être chrétien sans reconnaître l'Évangile,et l'Évangile confirme l'Ancien Testament ; maisnous différons des autres communions, en ce sensque chacune d'elles prend ça et là dans la Parolequelques passages dont elle torture le sens pour con-firmer sa doctrine, tandis que nous, au contraire,nous disons qu'il y a dans toutes les phrases de laParole un sens interne caché dans le sens de la lettre,ou, en d'autres termes, que les choses célestes y sontreprésentées par des choses naturelles, et nous ap-puyons notre doctrine sur le sens externe éclairé parles ilôts de lumière qui jaillissent du sens interne.

Sans répéter ici ce que nous avons déjà dit sur lamission donnée à Swedenborg, nous ferons remar-quer que cette manière de considérer la Bible n'arien qui puisse choquer l'esprit; car il est bien re-connu maintenant que les plus sages des anciens ex-

116 APHORISMES DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM.

Elles constituent des actes de vraie charité, sielles sont faites par un pur amour pour la sociétéet pour les individus.

Elles ne sont pas des actes de vraie charité, sielles sont faites par des motifs de vaine gloire, d'a-mour de la renommée, d'hypocrisie, ou par quel-qu'autre considération personnelle.

DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM. 115

II faut aussi distinguer entre les devoirs de la cha-rité et les bienfaits de la charité.

Par devoirs de la charité on doit entendre lesexercices de charité qui procèdent immédiatement dela charité même, et qui consistent principalementpour chaque homme à se conduire avec justice et sin-cérité dans son emploi.

Les bienfaits de la charité sont de donner auxpauvres et de secourir les indigents, mais avec pru-dence.

Si une infortune grave, un malheur récent, undénuement complet doivent être, autant que possi-ble, immédiatement secourus, il n'en est pas demême des. pauvres de profession, il faut agir enverseux avec discernement et intelligence et non pas in-distinctement.

Celui qui porte secours h quelque pauvre malfai-sant fait du mal au prochain par ce pauvre lui-mê-me, si le secours qu'il lui porte le confirme dans lemal, et lui procure le moyen de nuire aux autres.

On croit en général que la charité consiste uni-quement à donner aux pauvres, c\ soulager les néces-siteux, à secourir les veuves et les orphelins, à fon-der des hôpitaux et surtout à faire des donationspour construire ou orner des édifices religieux. Onvoit par les principes précédents que ces choses neconstituent pas à proprement parler la vraie charité.Elles peuvent être ou ne pas être des actes de vraiecharité ; tout dépend des motifs et de l'intention despersonnes qui les font.

Ii4 APHORISMES

ce que l'on fait, et à s'acquitter de son devoir danstous les emplois.

Quiconque, dans quelqu'état que ce soit, fait sondevoir par amour de son devoir, et agit avec justicepar amour pour la justice, exerce la charité.

Mais s'il fait son devoir et agit avec justice, envue de soi-même et du monde, il n'exerce pas lacharité.

En effet, la charité est une affection interne quipousse l'homme à faire le bien par pur amour dubien et de la justice, et sans aucun égard à la récom-pense ou à la réciprocité ; car elle porte avec elle sarécompense, en procurant à celui qui l'exerce laplus grande et la plus pure satisfaction.

Ainsi, la vraie charité ne saurait être méritoire;elle chasse loin d'elle toute idée de mérite, parcequ'elle sait que le bien vient du Seigneur Seul, etappartient au Seigneur Seul.

L'homme naissant dans le mal, la première actionde la charité, c'est de ne pas faire de mal au pro-chain; la seconde, c'est de lui faire du Lien.

La charité et les œuvres sont deux choses distinc-tes, comme la bienveillance et la bienfaisance.

Les œuvres sont bonnes, et par conséquent œuvresde la charité, si la bienfaisance est le résultat de lareconnaissance d'un bien réel dans la personne.

Les œuvres ne sont pas des œuvres de charité, sila bienfaisance est le résultat d'une préférence enversla personne résultant de toute autre cause.

DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM. 113

par la nourriture qui lui est nécessaire, c'est-à-dire,par les choses qui appartiennent à l'intelligence et àla sagesse, dans la seule fin que cet esprit le metteen état d'être utile à ses concitoyens, aux diversesbranches de la société, à la patrie et à l'humanité, etpar conséquent de servir le Seigneur comme le Sei-gneur veut être servi.

Agir ainsi, c'est pourvoir à son bien-être pourl'éternité.

La fin montre comment chacun doit être son pro-pre prochain, et comment il doit songer à soi. Si lafin est de devenir plus riche que les autres unique-ment pour l'amour des richesses ou des voluptés oudes dignités, ou pour tout autre motif personnel,cette fin est mauvaise, et celui-là n'aime pas le pro-chain, il s'aime lui-même.

Mais si la fin est de s'enrichir, ou d'obtenir desemplois pour être en état de secourir ses conci-toyens, une société petite ou grande, la patrie, l'hu-manité, alors la fin est bonne, et celui-là aime le pro-chain.

La fin pour laquelle l'homme agit fait l'homme ;car elle est son amour, chacun ayant pour fin pre-mière et dernière ce qu'il aime par-dessus tout.

La CHARITÉ est l'amour à l'égard du prochain.Elle consiste à agir prudemment, et à avoir pour

but quelque bien.Elle consiste encore à agir avec droiture dans tout

10*.

112 APHOR1SMES

Aimer le Seigneur, c'est donc aimer le bien par-tout où on le découvre, mais toutefois en suivant depréférence l'ordre qui vient d'être établi ; c'est ainsique l'amour du prochain se conjoint avec l'amour deDieu, ces deux amours ayant uniquement pour objetle bien comme émanant du Seigneur, et comme reçupar l'homme ; le plus ou le moins de réception parl'homme en fait la différence.

Tels sont les degrés ascendants du prochain ; ilsforment comme les étages successifs d'une tour ausommet de laquelle est le Seigneur.

L'on dit communément que chacun est son pro-chain à soi-même, c'est-à-dire, que chacun doit sepourvoir d'abord. La doctrine de la charité enseignecomment cela doit s'entendre.

Chacun doit songer à se procurer les nécessités dela vie, comme la nourriture, l'habillement, le loge-ment et les autres objets indispensables dans la viecivile, et il doit y pourvoir non-seulement pour soi,mais pour les siens ; non-seulement pour le présent,mais pour l'avenir : car si quelqu'un ne se procurepas les nécessités de la vie, il ne peut être en étatd'exercer la charité, puisqu'il se trouvera lui-mêmedans l'indigence.

Ainsi, la première obligation de chacun est depourvoir à son propre corps par les aliments dont ille nourrit, et par le vêlement dont il le couvre, dansla seule fin de se procurer un esprit sain dans uncorps sain. Chacun doit aussi pourvoir à son esprit

DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM. 11 i

Aimer la patrie, c'est aimer le salut commun; ondoit donc l'aimer non comme soi-même, mais depréférence à soi-même. Cette loi est gravée dans lecœur humain, c'est d'elle que vient cette maxime detous les temps et de tous les pays : // est glorieuxde mourir pour la patrie.

Les hommes étant tous frères, enfants d'un mêmepère, le Seigneur, l'humanité entière, qui est laréunion de tous les hommes vivants, doit être le pro-chain de préférence à la patrie, car l'humanité en-tière est à la patrie ce que la patrie est à la petitesociété dont chacun de nous fait partie.

Aimer l'humanité, c'est donc préférer le bien detous les hommes en général au bien des compatrio-tes, de même qu'on doit préférer le bien de ceux-ciau bien des hommes d'une société quelconque, et ce-lui de ces derniers au bien privé.

Le Royaume du Seigneur est le prochain dans undegré encore supérieur, parce qu'il est formé de tousceux qui sont véritablement dans le bien, tant deceux qui sont encore dans le monde naturel que deceux qui sont déjà dans le monde spirituel. Ainsi leRoyaume du Seigneur réunit au bien des hommes vi-vants sur terre celui de toutes les générations pas-sées; c'est pour cela qu'il doit être préféré à l'huma-nité contemporaine.

Enfin le Seigneur, source de tout bien, est leprochain dans le degré suprême et doit être aimépar-dessus toutes choses, puisqu'il est le bien même.

HO APHOR1SMES

par amour pour le bien, et selon la qualité du bienqui est en lui.

Ainsi, aimer le prochain, ce n'est pas aimer lapersonne, c'est aimer le bien et le vrai qui sont enelle. Ceux qui aiment la personne, et non ce qui faitle prochain en elle, aiment le mal comme le bien ; ilsfont du bien aux méchants comme aux bons, et ce-pendant il est généralement reconnu que faire dubien aux méchants, c'est nuire aux bons.

Tout homme n'est pas le prochain au même degré,mais chaque homme est le prochain selon le degréde bien qui est en lui.

Le mot prochain n'est pas restreint à l'homme enparticulier, il est aussi collectif et s'applique à touteréunion d'hommes, de sorte que l'amour pour luidoit s'étendre en raison de l'importance de chacunede ces réunions. Ainsi, parce qu'une société petiteou grande est une réunion d'hommes, ou un hommeau pluriel, elle doit être le prochain par préférenceà un homme seul.

La charité doit être exercée envers elle, commeenvers l'homme individuel, c'est-cî-dire, selon laqualité du bien qui est en elle; ainsi d'une manièredifférente selon qu'elle est un composé d'hommesplus ou moins probes.

La patrie est le prochain par préférence à une so-ciété quelconque, parce qu'elle est la réunion detoutes les sociétés particulières qui existent dans sonsein. La patrie est pour l'homme comme une mère quile nourrit et le garantit des injures.

DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM. 109

C'est parce qu'il est de l'essence de l'Amour defaire le bonheur des autres par soi, que Dieu a des-tiné le bonheur céleste à tout homme qui reçoit sonamour et y répond.

L'amour envers le Seigneur n'est pas un amourayant pour objet la personne du Seigneur sans égardà ses attributs divins et à ses perfections divines,mais c'est un amour pour toutes les bontés et pourtoutes les vérités qui émanent uniquement de lui.

Prendre pour modèle l'Amour de Dieu, autant quecela est possible à la faiblesse humaine, c'est aimerle Seigneur.

Cet amour qui consiste dans l'abnégation et le dé-vouement est céleste et entièrement opposé à l'amourde soi-même qui est infernal. L'égoï'sme est appeléamour; mais, considéré en lui-même, il n'est quehaine; car l'égoïste n'aime personne, excepté lui, ets'il désire s'unir aux autres, ce n'est pas pour leurfaire du bien, mais pour s'en faire à lui-même.

L'amour envers le Seigneur ou l'amour céleste ré-gnait sur la terre dans le commencement de la Très-Ancienne Église ou Église Adamite.

Sur l'Amour du prochain ou la charité.

L'Amour à l'égard du prochain, ou la charité, estl 'amour spirituel.

Le PROCHAIN- est celui qui doit être aimé et enversqui la charité doit être exercée. Il doit être aimé

10.

SUR LE SENS INTERNE DE LA PAROLE. 121

sommeil pour en former la femme? Et de ce serpent,la plus rusée de toutes les bêtes, qui parle et tientune conversation avec Eve dans sa propre langue? Etde ce fruit défendu qui perdit non-seulement Adamet sa femme, mais le genre humain tout entier? Est-il possible de reconnaître la Parole de Dieu danstoutes ces choses prises au sens de la lettre?

Imprudents ! Et ne voyez-vous pas que c'est enagissant ainsi que vous avez exposé le Livre Saint àla risée des hommes, en les portant successivement àdouter de sa Sainteté, à nier sa Divine Inspiration, età le considérer enfin comme un tissu d'imposturesoffertes à la crédulité ? Cherchez autour de vous, tâ-chez de découvrir un homme qui puisse s'empêcherde sourire, lorsque vous lui direz, en gardant votresérieux, qu'il est certain que Dieu a tiré la femmed'une des côtes d'Adam, et que le serpent a réelle-ment tenu avec elle une conversation dans sa proprelangue. Vous vous en garderez bien; vous ne vou-driez pas vous exposer à compromettre ainsi votredignité; et cependant, s'il n'y a pas dans la Bible unsens caché, vous êtes forcés d'admettre ce que votrepropre raison rejette, ce que le sens commun nesaurait reconnaître.

Tout ce que nous venons de dire de la Genèse, quiouvre le Livre Saint, peut s'appliquer à l'Apocalypsequi le ferme; mais ici nous pouvons sans aucun in-convénient nous dispenser de faire des citations, carvous n'oseriez pas prétendre sérieusement que la

il.

122 CONSIDÉRATIONS

Révélation de l'Apôtre Jean doive être prise dans lesens de la lettre, et refuser de convenir qu'il y ait enelle un sens caché. Il en est de même de la plupartdes écrits des prophètes; et quant aux livres histori-ques, dites-nous ce qu'on pourrait, aux tableauxqu'ils présentent, reconnaître de Sacré et de Divinen eux, si l'on prétend qu'ils ne renferment aucunsens interne.

Vous avez, il est vrai, un très-grand respect pourla Bible, et vous faites tous vos efforts pour la ré-pandre; en cela vous servez la cause de l'humanité,car c'est dans ce Livre seul que les hommes pour-ront trouver le remède à leurs maux de tout genre,lorsqu'ils sauront y découvrir les vérités divinesqu'il renferme dans son sens interne. Mais, si vouspersistez à dire que tout doit y être pris à la lettre,vous ne parviendrez pas à convaincre de sa saintetéla raison éclairée des peuples d'aujourd'hui, car ellene peut plus admettre ce qui était jadis reçu sansexamen par la simplicité de cœur des chrétiens pri-mitifs; et si, lorsqu'on vous offre le seul moyen d'at-teindre le but, vous continuez à le rejeter avec dé-dain, vous donnerez à penser par là que votre zèlepour répandre la Bible appartient plutôt au prosély-tisme étroit de l'esprit de secte, qu'à la vraie charitéchrétienne.

Swedenborg ne se contente pas de prouver que laBible renferme un sens caché, il donne ce sens; ettout homme qui voudra examiner avec un peu d'at-

SUR LE SENS INTERNE DE LA PAROLE. 123

tention ses Arcanes Célestes et ses Traités suri'Apo-calypse, se convaincra facilement qu'il n'y a dans cesécrits rien d'hypothétique, rien de bizarre, rien d'ar-bitraire, et, en un mot, rien de l'homme ordinaire.Si Swedenborg eût seulement signalé, dans le senslittéral de la Bible, certaines contradictions sans lesexpliquer, et sans prouver que ces explications, loinde porter atteinte au sens de la lettre, lui donnaientau contraire plus de prix, il n'eût fait que répéter cequi avait été souvent dit avant lui; il n'eût alors étéqu'un démolisseur de plus, dans ce siècle où toutcroulait, où chacun, depuis le premier jusqu'au der-nier degré de l'échelle intellectuelle, voulait met-tre la main à l'œuvre, et détacher quelque pierre duvieil édifice ; mais il avait une mission bien différenteà remplir, et c'est en cela surtout qu'on doit se gar-der de le confondre avec tous ceux qui se sont occu-pés de matières religieuses; par eux-mêmes leshommes ne savent que détruire ; par eux-mêmes ilsne pourraient réédifier, Dieu seul le peut. Sweden-borg fut donc un de ces hommes extraordinairesdont la Divinité se sert comme d'instruments, auxépoques funestes de calamité morale et spirituelle,alors que la société humaine, accablée sous le poidsde ses maux et de ses faussetés, ne pourrait faire au-trement que de succomber, si la Miséricorde Divinene venait à son secours.

Examinons maintenant en peu de mots les sujetsspirituels et célestes qui sont décrits sous les formes

124 CONSIDÉRATIONS

historiques que nous présente la Genèse dans sespremiers Chapitres.

La création du ciel et de la terre représente spi-rituellement la nouvelle Création ou la Régénérationde l'homme en général, et particulièrement de l'hom-me de la Très-Ancienne Église qui fut appelée Adamou Homme, parce qu'elle était une Église vraimentcéleste, et un modèle de toutes les vertus. Le ciel si-gnifie l'interne de cette Église, et la terre son exter-ne. Les six jours de travail et le septième dans lequelDieu se reposa, après avoir terminé son ouvrage,désignent les états successifs de la Régénération del'Église ou de l'homme, et la paix céleste qui en estla suite.

Lorsqu'on connaît la signification spirituelle desmots, on n'est plus étonné de lire que les herbes etles arbres, les semences et les fruits qui représententl'état de préparation de l'homme pour qu'ils puisserecevoir la vie spirituelle, aient été créés avant lesoleil, la lune et les étoiles par lesquels sont repré-sentés l'amour, la foi et les connaissances du bien etdu vrai qui seuls procurent cette vie spirituelle. Lacréation de l'homme au sixième jour indique quel'homme arrivé au sixième état de Régénération de-vient spirituel; il est alors créé homme en ce sensque sa vie précédente, comme homme purement na-turel n'étant pas la vraie vie, il était au spirituelcomme s'il n'eût pas existé

Mais la vie spirituelle étant dans un degré de féli

SUR LE SENS INTERNE DE LA PAROLE. 125

cité inférieur à celui de la vie céleste qui procure levéritable état de paix, l'homme rendu spirituel parles six.états de régénération peut obtenir cette nou-velle vie en devenant céleste; c'est alors une nouvelletransformation qui s'opère en lui. Voilà pourquoidans le second Chapitre, où il s'agit de l'homme cé-leste, il est dit qu'il n'y avait point d'homme et queJéhffcali Dieu forma l'homme, quoiqu'il ait été ditdans le premier Chapitre que Dieu avait créé l'hom-me; car l'homme n'étant encore que spirituel n'exis-tait réellement pas comme homme céleste. Il n'y aplus ici de contradiction.

Ce second Chapitre, depuis le septième Verset jus-qu'au dix-septième, renferme la description de l'étatle plus parfait de la société Adam ou de la Très-An-cienne Église. Ainsi formé à l'image et à la ressem-blance de Dieu, l'homme est appelé âme vivante, etil est dit qu'il fut placé dans le jardin d'Éden, nom-mé aussi Paradis. Ce jardin désigne l'intelligence del'homme ou des hommes ainsi créés de nouveau etdevenus célestes : leurs perceptions intérieures duVrai et du Bien sont représentées par les arbresbeaux à la vue et bons à manger. L'arbre de viesdésigne leur amour et leur sagesse dérivés du Sei-gneur seul; et l'arbre de la connaissance du bien etdu mal signifie la foi ou la science qui pouvait déri-ver d'eux-mêmes, ou du principe sensuel, par lavoie externe opposée à l'ordre divin. C'est pourcela qu'il leur fut défendu de manger du fruit de ce

il*.

126 CONSIDÉRATIONS

dernier arbre, tandis qu'il leur était permis de man-ger librement du fruit des autres. Il est facile main-tenant de concevoir cette défense.

Cette époque de l'humanité fut l'âge d'or, tempsheureux dont le souvenir s'est conservé par traditionchez tous les peuples de la terre. Alors les hommesn'avaient pas besoin d'instruction externe, ils obte-naient par un influx interne toutes les connaissancesqui leur étaient nécessaires. Convaincus qu'ils étaientdes récipients de la vie de Dieu, ils rejetaient latrompeuse apparence que la vie dont ils jouissaientpleinement leur appartenait en propre; mais leursdescendants ne surent pas se maintenir dans cet étatde bonheur céleste ; entraînés par les choses dumonde extérieur, l'apparence chez eux l'emporta surla réalité; ils crurent vivre par eux-mêmes; et, encommençant à reporter leur amour sur eux, ils sedétournèrent insensiblement de la Divinité. Ce com-mencement d'altération du bonheur dont jouissait lasociété Adam est décrit dans le second Chapitre, àpartir du dix-huitième Verset. D'abord, les hommesne se contentant plus de se laisser diriger par l'influxde la Divinité, désirèrent se diriger par eux-mêmes,d'après les choses du monde, c'est-à-dire, par leurpropre. Or, le propre de l'homme, qui est désigné parla côte, n'étant point encore vivifié, Jéhovah Dieu levivifia en édifiant la côte en femme, qui désigne la vo-lonté. Adam, ou les hommes de cette époque, eurentdonc leur propre volonté; mais plus tard le serpent,

SUR LE SEXS IXTERM: DE LA PAROLE. 127

qui représente le sensuel, c'est-à-dire, la plus astu-cieuse de toutes les affections de l'homme externe,séduisit la femme ou la volonté, et la volonté une foisséduite entraîna le mari, c'est-à-dire, le rationnelde l'homme. Ainsi le serpent, qui par des discourstrompe la femme, et par elle l'homme, n'est autreque le principe sensuel qui, par des apparences illu-soires et des raisonnements plausibles mais faux,flatte et séduit d'abord la volonté ou le propre, etensuite la faculté rationnelle elle-même.

Ainsi la chute de la Très-Ancienne Église ne futpas instantanée, mais graduelle; elle commença chezles hommes de cette Église ou société par une penteou inclination presqu'imperceptible à se conduirepar eux-mêmes, au lieu de se laisser conduire par leSeigneur;, et c'est cette inclination contraire auxlois de l'ordre, qui d'abord les fit sortir peu à peu duhaut état d'intégrité et de bonheur où ils étaientparvenus; il en résulta ensuite un changement fu-neste dans leur volonté et dans leur entendement;mais ce changement désigné par l'action de mangerdu fruit défendu ne les précipita pas subitement dansle plus profond abîme de la dépravation morale, illes conduisit à un état plus prononcé d'amour de soiou d'égoïme, et c'est cet égoi'sme qui, en faisant degénération en génération de nouveaux progrès, pré-cipita enfin le genre humain dans un abîme de maux,et couvrit la terre de rapines et de violence.

Nous n'aurions pas pu, dans un simple article pré-

128 CONSIDÉRATIONS

senter toutes les grandes vérités morales, spirituelleset célestes que renferment les premiers Chapitres dela Genèse, elles se trouveront d'ailleurs exposéesavec leurs preuves dans les Arcanes Célestes dontnous donnons la traduction ; nous avons seulementvoulu montrer combien certains passages inintelligi-bles ou contradictoires dans le sens de la lettre, de-viennent clairs et concordants avec le secours dusens interne.

Si une si sublime interprétation pouvait être lesimple résultat de la perspicacité humaine, loin deplaisanter le génie qui l'aurait produite, on lui de-vrait les plus grands éloges ; mais ici rien n'est dû àl'imagination et à la science, qui par elles-mêmesne sauraient embrasser un si vaste champ; aussine sont-ce pas des éloges que nous demandons pourSwedenborg, nous désirons seulement attirer l'atten-tion sur des écrits aussi précieux que les siens; etlorsque la moindre découverte archéologique est prô-née de tous côtés, on refuserait de s'occuper des écritsd'un homme qui explique et rend intelligible l'ou-vrage le plus ancien qui soit parvenu jusqu'à nous!D'où peut donc provenir une telle bizarrerie? Est-ceparce que cet homme déclare avec ingénuité que sesécrits ne sont pas le résultat de ses propres idées,mais celui d'un état extraordinaire dans lequel la Di-vinité l'a placé? ou bien est-ce parce que la NouvelleDoctrine qu'il révèle fait crouler toutes les doctrinesreligieuses que l'on prêche aujourd'hui? C'est en

SUR LE SENS INTERNE DE LA PAROLE. 129

même temps de l'une et de l'autre de ces causesqu'elle provient. Les hommes du monde, éblouis parla vanité de leurs sciences, s'amusent comme des en-fants avec les hochets qu'elles leur présentent et n'ontde confiance qu'en elles seules, oubliant qu'il est unescience bien supérieure qui faisait autrefois le char-me et les délices des anciens sages : et les ecclésias-tiques des diverses communions chrétiennes, aveu-glés par les ténèbres spirituelles qui les enveloppent,rejettent sans examen tout ce qui leur paraît con-traire à la doctrine que, par état, ils se croient obli-gés de défendre.

Nous reviendrons souvent sur un sujet si important, et nous con-tinuerons à prouver que tous les passages de la Parole, qui semblent secontredire, se trouvent, au moyen du Sens Interne, dans l'accord leplus parfait.

130

DU POUVOIR DE LIER ET DE DÉLIER QUE S*ARROGE LE

CLERGÉ CATHOLIQUE-ROMAIN".

On a souvent contesté au clergé Catholique-Ro-main ce pouvoir de lier et de délier, qui n'est plusaujourd'hui entre ses mains qu'un faible levier, si onle compare à ce qu'il fut, lorsqu'il lui servait à re-muer les masses pour établir et consolider sa domi-nation; on lui a souvent prouvé l'extravagance de cedogme, d'après lequel l'homme ose s'attribuer ce quine peut appartenir qu'à la Divinité. Cependant,quoique la domination qu'il s'était acquise par cettefraude se soit écoulée peu à peu en présence de la ci-vilisation toujours croissante ; quoiqu'il soit aujour-d'hui reconnu qu'un tel pouvoir ne saurait apparte-nir à l'homme, le clergé romain n'en persiste pasmoins à conserver précieusement ce dogme impie,dans l'espoir qu'il pourra plus tard lui servir à re-couvrer cette domination qu'il a perdue, et à laquelleil aspire toujours.

Comme cette prétention anti-chrétienne est néan-moins appuyée sur un passage de l'Évangile qui fut

DU POUVOIR DE LIER ET DE DÉLIER. 131

pris au pied de la lettre, il devient important demontrer quel est le sens interne de ce passage, afinque tous ceux qui, fatigués de leur septicisme, ontmaintenant une tendance à revenir aux idées reli-gieuses et au code des chrétiens, puissent au moinsêtre en garde contre tous les arguments qu'on nemanquera pas de reproduire.

Swedenborg s'élève souvent dans ses écrits contrele pouvoir de lier et de délier, et montre combien ilest opposé à la Majesté Divine et à la raison humaine.Il traite aussi de ce point dans la Préface de la troi-sième partie de ses Arcanes Célestes. Comme cettePréface n'est pas connue de la plupart de nos lec-teurs, nous pensons leur faire plaisir en la leur tra-duisant en entier.

« Ceux qui s'en tiennent au sens seul de la lettre,» sans rechercher le sens interne dans d'autres pas-» sages de la Parole où il se trouve expliqué, s'abu-» sent d'une manière étrange. C'est ce qu'on peut» voir clairement par le grand nombre d'Hérésies» dont chacune confirme son dogme au moyen du» sens littéral de la Parole, et surtout par cette» grande Hérésie que l'extravagant et infernal amour» de soi et du monde a tirée de ces paroles du Sei-» gneur à Pierre : « Moi je te dis gué toi tu es» Pierre (Roc) ; et sur ce roc je bâtirai mon Égli-» se, et les portes de l'enfer ne prévaudront point» contre elle. Et je te donnerai les clés du Royau-» me des deux, et tout ce que tu auras lié sur la

132 DU POUVOIR

» terre sera lié dans les deux; et tout ce que tu» auras délié sur la. terre, sera délié dans les» deux. » — Matth. XVI. 18, 19. — Ceux qui pres-» surent le sens de la lettre croient que toutes ces» choses ont été dites au sujet de Pierre, et qu'un» pouvoir si grand lui a été donné, quoiqu'ils sa-» chent que Pierre a été un homme tout à fait sim-» pie, qu'il n'a jamais exercé un tel pouvoir, et que» l'exercer, c'est agir contre le Divin; cependant,» comme d'après l'extravagant et infernal amour de» soi et du monde, ils veulent s'arroger un souve-» rain pouvoir sur la terre et dans le ciel, et se» faire dieux, ils expliquent ce passage selon la let-» tre, et soutiennent avec force leur explication,» lorsque cependant le Sens Interne de ces paroles» est que la Foi au Seigneur, laquelle est seulement» chez ceux qui sont dans l'amour envers le Sei-» gneur et dans la charité à l'égard du prochain, a ce» pouvoir, et encore appartient-il non à la Foi, mais» au Seigneur de qui procède la Foi. Par la pierre» ici est entendue cette Foi, comme partout ailleurs» dans la Parole ; sur elle l'Église est bâtie, et con-» tre elle les portes de l'enfer ne prévalent pas; à» cette Foi appartiennent les Clés du Royaume des» Cieux; c'est elle qui ferme le Ciel pour que les» maux et les faussetés n'entrent point, et c'est elle» qui ouvre le Ciel pour les biens et les vérités; tel» est le Sens Interne de ces paroles. Les douze Apô-» 1res, de même que les douze tribus d'Israël, n'ont

DE LIER ET DE DÉLIER. 133

» pas représenté autre chose que ce qui appartient» à une telle Foi. Pierre a représenté la Foi elle-» même, Jacques la Charité, et Jean les biens de la» Charité. Il en était de même de Ruben, de Siméon» et de Lévi, les premiers nés de Jacob, dans l'É-» glise représentative. Juive et Israélite, ainsi qu'on le» voit par mille passages de la Parole; et, parce que» Pierre représentait la Foi, c'est à lui que ces pa-» rôles ont été adressées. D'après ce qui vient d'être» dit, on voit clairement dans quelles ténèbres se •» jettent, et jettent les autres avec eux, ceux qui ex-» pliquent toutes choses selon la lettre, comme ceux» qui appliquent à Pierre ces paroles, par lesquelles» ils enlèvent au Seigneur et s'arrogent à eux-mêmes» le pouvoir de sauver le genre humain.»

Ce passage de Swedenborg est en parfait accordavec tous ses autres écrits : l'exposition qu'il donnedu sens interne de ces deux Versets de l'Évangile n'of-fre rien d'arbitraire, et est d'ailleurs basée, commetoutes ses autres explications, sur ce grand principequ'on devrait toujours avoir présent à l'esprit, enlisant la Parole, à savoir, que toute l'Écriture Saintene traite que des choses spirituelles et célestes, etn'a aucunement en vue les choses du monde ; qu'enconséquence, les noms de personnes et de lieux, qu'onrencontre dans la Parole, ne signifient pas des per-sonnes et des lieux, mais les choses spirituelles oucélestes que ces personnes et ces lieux représentent.

Ainsi, partout où Pierre se trouve nommé dans12.

134 DO POUVOIR

l'Évangile, c'est de la Foi dont il s'agit, de mêmequ'il s'agit de la charité ou des œuvres, quand il estquestion de Jacques ou de Jean ; mais cette Foi quePierre représente, ce n'est ni la foi des Réformésqui exclut les œuvres, ni la foi des Catholiques-Ro-mains qui consiste à croire aveuglement, sans sepermettre de faire usage de la rationalité et de la li-berté que Dieu a données à l'homme pour qu'il fûtvéritablement homme; mai> c'est la vraie Foi qui nese trouve que chez ceux qui sont dans l'amour en-vers le Seigneur et dans la charité à l'égard duprochain. C'est cette Foi seule qui édifie en l'hommel'Église ; c'est elle qui le met à l'abri des tentativesde l'enfer, qui empêche les maux et les faussetés depénétrer en lui, et qui donne accès aux biens et auxvérités. Cette puissance lui est accordée, parce qu'unetelle Foi vient du Seigneur, à Qui Seul appartienttout pouvoir dans les deux et sur terre.

« Qu'y a-t-il donc de plus abominable, dit Swe-» denborg, que de fonder une religiosité par laquelle» il est établi que ce divin pouvoir et cette divine» puissance appartiennent à un homme, et ne sont» plus au Seigneur ; et que le ciel est ouvert ou fer-» me pourvu qu'un prêtre dise : J'absous ou j'ex-» communie; et qu'un péché même énorme est re-» mis pourvu qu'il dise : Je remets? Il y a un grand» nombre de diables dans le monde qui, pour éviter» les peines temporelles, demandent et obtiennent» par des artifices et par des présents, l'absolution

DE LJEB ET DE DÉLIER. 135

» d'un crime diabolique. Qui est-ce qui peut être» assez insensé pour croire qu'il soit donné pouvoir» d'introduire des diables dans le Ciel? » (Apoc. Ré-vélée, N° 798J

On répondra sans doute que le clergé ne prétendplus avoir ce pouvoir, et qu'il pense n'absoudrequ'autant qu'il y a sincère repentir. Nous convenonsque parmi ses membres les plus éclairés, il en estmaintenant quelques-uns qui ont cette opinion : il abien fallu d'ailleurs marcher avec le siècle, et semettre à la hauteur de la morale publique qui ré-prouve un tel pouvoir; mais le dogme n'en subsistepas moins; mais le pontife de Rome n'en distribuepas moins des indulgences, et transmet même unepartie de ce pouvoir monstrueux à ses délégués. Or,que sont les indulgences, sinon le pouvoir d'ouvrirle Ciel? N'est-ce pas là se faire soi-même Dieu? Etquel Dieu que celui qui, à l'exemple des hommes,distribuerait ses faveurs selon son caprice ! Non, cepouvoir que le pape s'attribue ne saurait même ap-partenir au Seigneur, car le Seigneur est la JUSTICEMÊME, et s'il avait un tel pouvoir et qu'il ne sauvâtpas tout le genre humain, il serait par cela seul unpère injuste.

Mais le Seigneur, qui est l'Amour Même et la Sa-gesse Même, agit toujours d'après les lois de l'OrdreÉternel qu'il a lui-même établi. A Lui Seul appar-tient le pouvoir de lier et de délier, d'ouvrir et defermer, en ce sens qu'il accorde la vraie Foi à qui-

136 DU POUVOIR DE LIER ET DE DÉLIER.

conque vit conformément à ses préceptes, c'est-à-dire, à quiconque aime la vérité pour elle-même, etfait le bien, parce que c'est le bien, et sans aucunevue de retour sur lui-même; car c'est là être dansl'amour envers le Seigneur et dans la charité à l'é-gard du prochain.

Ainsi compris, ce pouvoir n'offre plus rien d'arbi-traire, rien de capricieux, rien d'injuste. Tout hom-me peut être sauvé en suivant les lois de l'ordre, etpour peu qu'il fasse d'efforts pour les suivre, la Mi-séricorde du Seigneur est toujours prête pour lesoutenir et l'aider. C'est ainsi que le Seigneur a seulle pouvoir de sauver, l'homme par lui-même étantincapable de persister longtemps dans le vrai et dansle bien.

Dans un prochain Numéro, nous reviendrons surle pouvoir de lier et de délier.

137

SUR L'AVENIR DE L'HUMANITÉ.

Les philosophes et les publicités, reconnaissantaujourd'hui toute l'importance du principe religieuxsur les destinées de l'humanité, ne dédaignent plusde faire intervenir des idées religieuses dans leurscours publics ou dans leurs ouvrages. C'est uneamélioration sensible qui conduira, nous en sommesconvaincus, à d'heureux résultats. Cependant, fautede connaître les doctrines de la Nouvelle Jérusalem,nos savants ne s'occupent encore que du vieil édificechrétien, soit pour le critiquer, soit pour l'exalter,soit plus généralement encore pour chercher à lemodifier, en élaguant ce que chacun d'eux trouve enlui de choquant. Ils ne se doutent pas que les basesdu nouvel édifice chrétien, prédit dès la fondationdu premier, sont maintenant toutes posées, et qu'ilne reste plus qu'à l'élever sur les solides fondementsqui viennent d'être jetés, et qui ne sont pas l'œuvrede la main des hommes.

L'instant n'est pas éloigné, où la science humainesera conduite par la force des choses à donner une at-tention sérieuse aux écrits de Swedenborg; instruite,

12*.

138 SUR L'AVENIR

par l'histoire, des dissensions sanglantes qui furentle résultat de discussions théologiques, elle redoute,avec juste raison, de s'enfoncer dans un labyrinthesans issue, où la plupart de ceux qui y sont entrésont obscurci leur esprit au lieu de l'éclairer, etrempli leur cœur de haine au lieu de le saturer d'a-mour. Mais, lorsqu'elle saura qu'il n'en a été ainsique parce que la théologie avait été dénaturée par lespassions des hommes, qui avaient aux vrais dogmessubstitué des dogmes erronés; lorsqu'elle saura sur-tout que la théologie nouvelle n'exige, pour êtrecomprise, que le désir du vrai et l'amour du bien, etqu'au lieu de dessécher l'esprit et le cœur, elle leurprocure les plus douces jouissances, toutes ses crain-tes se dissiperont, et elle sera la première à chercherun appui dans la science divine.

En attendant cette époque où la nouvelle doctrinereligieuse et la science pourront marcher de concert,nous pensons qu'il n'est pas hors de propos de don-ner ici quelques fragments d'une lettre écrite à la finde 1836, au sujet du cours de M. Lerminier et dusystème présenté par M. Bûchez dans ses préfaces del'Histoire parlementaire. Cette lettre adressée à unjeune néophyte de Paris pourra, dès à présent, faireentrevoir la possibilité d'arriver plus tard à concilierles idées nouvelles des contemporains avec les nou-velles idées religieuses.

« L'analyse que vous me donnez du système de

DE L'HUMANITÉ. 139

M. Lerminier me prouve que, malgré son savoir etdes intentions pures, il n'a pu arriver jusqu'au vrai,faute de connaître le point de départ. Il en sera ainside tout savant qui voudra prétendre à l'honneur debâtir un système. Il pourra approcher plus ou moinsde la vérité, selon qu'à plus ou moins d'intelligenceil joindra plus ou moins d'amour; mais jamais il nepourra, en volant de ses propres ailes, s'élever jus-qu'au vrai même.

» II n'est pas étonnant que M. Lerminier, qui n'apour critérium que la raison humaine, trouve que leChristianisme ait fait son temps ; ne disions-nouspas la même chose avant de connaître les écrits denotre Swedenborg? Je ne le blâme donc pas d'a-vancer une semblable erreur, quoique, sortant de sabouche, elle me semble plus dangereuse que si elleeût été prononcée par un homme moins conscien-cieux; je regrette seulement qu'un savant d'un es-prit juste et d'un cœur droit méconnaisse encore lavraie source des eaux vives.

» Vous me le présentez plus loin, tonnant contreceux qui ont voulu distraire la religion des préoccu-pations du monde, et, par là, dédoubler l'homme,c'est-à-dire, couper tous les liens qui unissentl'homme religieux à l'homme occupé des affaires, etvous trouvez que sur ce point il a raison, et que sapensée, réduite à sa plus simple expression, est celle-ci : L'homme doit toujours agir eu vue de Dieu.Si telle est la pensée de M. Lerminier, elle est vraie;

140 SUR L'AVENIR

mais lors même que vous lui donneriez plus d'exten-sion qu'elle n'en aurait réellement, il resterait tou-jours dans le vrai, en ce sens qu'il considéreraitl'homme comme religieusement obligé à remplir ceque Swedenborg appelle des Usages.

n Quant à cette proposition : les sociétés accom-plissent à leur insu une mission fatalement réglée,il faudrait, pour la discuter, savoir ce qu'entendM. Lerminier par fatalement réglée, car il a dû dé-velopper son idée. Vous présumez qu'il a voulu direque nous sommes les instruments de la Divinité ;mais votre interprétation exigerait encore une expli-cation. Je suis convaincu que vous vous entendezfort bien en disant que nous sommes les instrumentsde la Divinité, mais cette locution a besoin d'uncomplément pour ne pas mener droit à une hérésietrès-dangereuse; car on en pourrait conclure quel'homme n'est qu'une machine, et toute société unassemblage de machines, ce qui conduirait à la néga-tion du libre arbitre et au système désolant d'une fa-tale nécessité. Or, toute religion qui méconnaîtraitle libre arbitre ne serait pas divine ; car, si l'hommen'est pas libre,il n'y a plus ni récompenses, ni peines,ou son Dieu est injuste. D'un autre côté, toute so-ciété qui nierait ie libre arbitre perdrait logiquementle droit d'instituer des tribunaux, car il n'y auraitplus de la part de ses membres ni actions criminelles,ni actions vertueuses. Il est certain cependant quenous sommes des instruments de la Divinité : —Oui,

DE L'HUMANITÉ. 141

mais en conservant notre libre arbitre, soit qu'il s'a-gisse d'un individu, soit qu'il s'agisse d'une nation,car aux yeux de Dieu une nation est comme un indi-vidu; elle a son libre arbitre; et, comme lui, elle de-vient responsable de ses actes.

» Voici, sur ce sujet, un passage remarquable del'Avant-propos que M. de Tollenare a placé en têtede la 2me partie des œuvres religieuses d'EdouardRicher.

« Et quand notre doctrine religieuse proclame» l'intervention providentielle au milieu des intérêts» sociaux, elle est loin d'établir que ce soit au péril» de la liberté. Elle entend que cette intervention a» lieu pour conserver, pour prévenir la dissolution,» et cela, par le principe que la destruction propre» ou le suicide humanitaire ou social, est interdit à» qui n'est qu'instrument de coopération du Sage et» Seul Ordonnateur. Jusqu'aux limites deladestruc-» tion exclusivement, la liberté la plus complète» existe, et l'intervention providentielle ne consiste» nullement, dans la théorie qui nous occupe, à» commander à l'avance ce que doivent faire les» peuples, c'est-à-dire, à tirer les fils qui leur fe-» raient exécuter forcément tels ou tels mouvements.» Ici, la Providence ne prescrit à priori aucun acte;» elle se réserve seulement de les prendre tels qu'ils» ont été librement accomplis, à bien ou à mal; et,» dans sa haute prévision, de faire usage de ces li-» bres événements pour le maintien de l'ordre géné-» rai que sa sagesse a établi. »

142 SUR L'AVENIR

» Le genre humain tout entier ne paraît lui-mêmeaux yeux de Dieu que comme un seul homme; il aaussi son libre arbitre, et devient ainsi responsablede ses actes. Mais Dieu en créant l'univers, ayant eupour but le genre humain comme pépinière du Ciel,il est dans les lois de l'ordre Divin que le genre hu-main ne puisse pas périr, afin que lo Ciel par des re-crutements successifs arrive à un perfectionnementindéfini. En conséquence, lorsque la société humaine,par la surabondance des maux et des faussetés quil'inondent, est en péril de succomber, la Divine Pro-vidence vient à son secours par une de ces grandesmanifestations dont nous entretiennent les Livres-Saints, mais cependant sans contraindre en rien lelibre arbitre. Seulement, la Divinité influe avec plusde force pour réchauffer chez les moins mauvais lepeu de bien et de vrai qui réside au fond de leurcœur, et la transformation de la société s'opère peuà peu. C'est ainsi qu'il en est arrivé à l'époque dési-gnée sous le nom de déluge; c'est ainsi qu'il y adix-huit siècles, la société d'alors a été peu à peuremplacée par une société d'un caractère et d'un gé-nie tout différents; enfin, c'est ainsi que depuis qua-tre-vingts ans notre ordre social se dissout insensi-blement, pour faire place à un ordre nouveau quechacun commence à pressentir, mais dont on ne peutavoir une juste idée qu'un étudiant les écrits deSwedenborg.

» Si, comme vous le dites plus loin, M. Lerminier

DE L'HUMANITÉ. 143

en est encore à considérer Jésus-Christ comme unsimple réformateur, dont les vues sont maintenantdébordées par les besoins toujours croissants de lacivilisation, nous ne pouvons que l'engager à méditersérieusement l'Évangile. Il pourra facilement se con-vaincre qu'il n'est aucune idée nouvelle, pourvuqu'elle soit vraie, qui ne se trouve explicitementou implicitement renfermée dans ce Code Divin.

» Quant à M. Bûchez, dont vous me citez plusieurspassages tirés de ses Préfaces, il me semble, commeà vous, plus avancé. Ce publicité n'a plus qu'un coindu voile à soulever pour que la vérité apparaisse àses yeux dans toute sa pureté. Puisse l'amour proprequi guide ordinairement les faiseurs de systèmes nepas s'opposer à ce que le rideau soit entièrementtiré ! Les applications de son système à l'ordre socialne pourraient être jugées qu'après un examen bienapprofondi, et ce n'est pas dans une simple lettrequ'on peut entreprendre un pareil travail; cepen-dant, si vous me demandiez quelles sont les idéesque les écrits de Swedenborg ont pu me donner surle sort futur de l'humanité, socialement parlant, voilàce que je pourrais vous répondre.

» Les hommes, quoique libres dans leurs actions,sont néanmoins soumis à l'influence du monde spiri-tuel, où résident de bons et de mauvais esprits; c'estde là que leur viennent toutes leurs pensées vraiesou fausses, et toutes leurs affections bonnes ou mau-vaises. Nous n'avons réellement en propre que la H-

144 SUR L'AVENIR

berté, pour choisir, et la rationalité, pour guidernotre liberté dans son choix. Ainsi, les deux mondesse trouvent liés entre eux de telle sorte que le pro-grès des sociétés humaines vers le mal ou vers lebien dépend de la composition des sociétés spirituel-les. Or, Swedenborg nous apprend que lorsqu'il sefait un jugement dernier, c'est-à-dire, lorsque lemal et le faux sont arrivés à un tel degré que l'équi-libre spirituel qui maintient l'univers est sur le pointd'être rompu, la Divinité rétablit l'ordre par une deces manifestations dont je viens de vous parler. En1757, l'univers était dans cette position critique,lorsque le Seigneur, suivant sa promesse, vint surles nuées du Ciel avec puissance et beaucoup degloire, — Matth. XXIV. 30, — c'est-à-dire, vinteffectuer son second avènement en dévoilant le sensinterne de Sa Parole.

» Depuis la fondation de l'Église chrétienne jus-qu'à cette mémorable époque, tous les hommes quin'étaient pas assez purs pour aller au Ciel, ou assezimpurs pour se précipiter dans l'enfer, s'étaient réu-nis, après leur mort, dans le monde des Esprits quiinflue immédiatement sur nous, et y étaient restés.Or, du moment où l'Église chrétienne s'était écartéede sa véritable route, le nombre des méchants étantdevenu plus grand que celui des bons, l'influence dumal et du faux l'emporta sur celle du bien et du vrai,et ne fit que s'accroître ensuite de génération en gé-nération. Enfin, cet accroissement devint tel qu'au

DE B^HCKANITÊ. 145

miteu (tu sièete1 dentier, là pauvre humanfté allaitsuccomber sons le poids des maux et des faussetésqui l'inondaient et ne lui permettaient plus de dis-cerner le bien du mal et le vrai du faux. C'est alorsque s'opéra dans le monde spirituel le Jugement Derfc

nier. Le- Seigneur fit par son influx l'a séparation desbons et des méchants ; les uns furent élevés au Cîel,et les autres se précipitèrent dans les enfers. Ainsiprit fin dans le monde intermédiaire cette premièreÉglise chrétienne qui était parvenue à tout falsifieret à tout adultérer; et si sur terre ses deux princi-pales branches, le Catholicisme et le Protestantisme,nous paraissent maintenant dans un état si déplora-ble, c'est qu'elles ne reçoivent plus du monde inter-médiaire cette puissante influence qui faisait autre-fois toute leur force; car l'ordre ayant été rétablidans le monde spirituel par suite du Jugement Der-nier, une Nouvelle Église chrétienne a pu, dès lors,commencer à s'y former, pour de là se manifestersur la terre.

» Cependant, les fervents adeptes du catholicismeet du protestantisme se rendant après leur mort dansle monde intermédiaire, peuvent encore influer surnous, mais au lieu d'y demeurer des siècles commeautrefois, ils n'y restent que très-peu de temps, et leplus long terme est de trente années. En outre, tousceux qui, quoique dans le faux, ont vécu dans lebien, sont tirés de leurs erreurs et instruits dans ladoctrine de la Nouvelle Église du Seigneur. L'in-

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146 SUR L'AVENIR

fluence que la vieille Église tire du monde spiritueln'est plus que très-faible, et doit nécessairement di-minuer peu à peu, jusqu'à ce qu'elle devienne enfinnulle, et c'est alors qu'elle-même cessera d'existersur terre.

» Ce que je viens de vous dire sur l'influence desidées religieuses, s'applique à l'influence des idéessociales; car non-seulement les unes se trouvent liéesaux autres et en dépendent, comme le remarquetrès-judicieusement M. Bûchez, mais il n'est pas uneseule idée, de quelque nature qu'elle soit, qui nenous arrive du monde spirituel. C'est là le motif quim'a fait entrer dans des détails qui, sans cela, au-raient été hors de propos. Vous pouvez maintenantvous expliquer pourquoi, depuis plus d'un demi-siècle, on remarque dans les idées qui se rapportentà l'état social autant de cahos que dans celles quiconcernent la religion; vous pouvez voir pourquoiles trônes sont aussi chancelants que les autels; etenfin, puisque la Nouvelle Église doit descendre duCiel insensiblement sur la terre, pour remplacer cellequi s'écroule, vous pouvez en conclure qu'un nouvelordre social viendra aussi se substituer graduelle-ment à celui qui nous régit maintenant .

» Mais quelles seront la substance et la forme dece nouvel ordre que chacun pressent et que personnene peut encore déterminer? Voilà l ' important à dé-couvrir. Il me semble qu'on ne parviendra à unetelle découverte, qu'autant qu'on cherchera à con-

DE L'HUMANITÉ. 147

naître, au moyen des écrits de Swedenborg, l'ordrequi existe dans le monde spirituel. Je ne dis pas parlà que les sociétés humaines seront absolument con-stituées de la même manière que les sociétés spiri-tuelles; il y aura toujours entre elles la différencequi résulte de leur nature respective; mais je disque, par suite de la loi du progrès que nos jeunespublicités ne font qu'entrevoir, mais que Swedenborgprouve, l'humanité tendra désormais, ainsi que lefait le monde spirituel, aune perfection qui s'accroî-tra indéfiniment, et cela, en marchant à l'unité decroyance, source de la véritable unité sociale.

« Ainsi, en tenant toujours compte de la diffé-rence dont je viens de parler, voilà, ce me semble,le raisonnement qu'un disciple de la Nouvelle Églisepourrait faire.— Le Livre Saint, dirait-il, nous an-nonce que la Nouvelle Jérusalem doit descendre duCiel et s'établir parmi nous; donc, les hommes fini-ront par obtenir sur terre une félicité analogue àcelle dont jouissent les esprits célestes. Or, la fra-ternité règne dans le Ciel, car tous les habitants descieux reconnaissent le Seigneur seul pour leur père ;ils sont convaincus qu'ils n'ont pas la vie en propre;qu'ils n'en sont que des récipients, et qu'ils la puisenttous dans le Seigneur qui est la vie même ; qu'ainsi,ils sont tous véritablement frères, et qu'en cettequalité ils doivent tous vivre les uns pour les autres,et jouir ainsi du seul bonheur réel, en répandantleur amour sur tous ceux qui les environnent.—

448 ABB L'AVENIR

Donc, il viendra un temps où ces vérités étant com-prises et mises en pratique par les hommes, on verrala fraternité établir enfin son règne sur la terre.

» L'Égalité règne aussi au Ciel, car la vie célesteconsiste à faire des usages, c'est-à-dire, à travailler,toujours travailler, mais de telle manière cependantque le travail, au lieu d'être une peine, soit le plusgrand des plaisirs, parce que chacun est à sa place,et exerce les travaux auxquels il est apte et qui luiplaisent. — Donc, il viendra un temps sur la terre oùl'égalité existera aussi, c'est-à-dire qu'alors chacunsera à sa véritable place, et consacrera sa vie à faireavec plaisir un travail utile à la société. Chacun àsa place, voilà l'égalité ; toute autre manière de laconcevoir, ne saurait être qu'une utopie.

» Là Liberté règne au ciel, car là chacun y jouitdans toute sa plénitude, non-seulement de la libertéde penser, mais encore de la liberté d'agir. En effet,lorsque la pensée est toujours conforme à l'amour•du bien, l'action qui en résulte ne saurait être nuisi-ble aux autres. — Donc, lorsqu'au moyen des célestesvérités que renferme la doctrine de la Nouvelle Jéru-salem, les hommes se seront régénérés, chacund'eux pourra jouir même sur terre de la plénitudede la liberté, parce qu'il n'en résultera aucun pré-judice pour la liberté des autres; on trouvera plusde plaisir à remplir des devoirs qu'à exercer desdroits.

» La Nationalité existe au Ciel, car chaque société

DE L'HBMANITÉ. 149

céleste est, si l'on peut s'exprimer ainsi, une espècede nation ; mais toutes ces sociétés sont les membresdivers d'un même corps, le Ciel entier, qu'elles pré-fèrent à elles-mêmes, et pour le perfectionnementduquel elles travaillent sans relâche, tout en se per-fectionnant elles-mêmes.—Donc, il existera toujourssur la terre de grandes sociétés, c'est-à-dire, desnationalités qui se distingueront les unes des autrespar certains caractères particuliers, mais au lieu dese porter réciproquement envie, et de s'entredéchirercomme elles l'ont fait et le font encore, il y aura fra-ternité de nations, et chacune d'elles préférera lebien de l'humanité entière au sien propre.

» L'Unité de gouvernement existe au Ciel, tantdans son ensemble que dans ses parties; car le Sei-gneur gouverne seul le Ciel, et place à la tête dechaque société un seul chef, qui, loin de se prétendrele maître, n'est que le serviteur de ses frères, puis-qu'il ne s'occupe uniquement que de leur bonheur,et n'est leur chef que parce qu'il les surpasse tous enabnégation personnelle.—Donc, il arrivera un tempsoù notre globe sera régi par une seule volonté, et oùchaque peuple sera gouverné par un seul chef. Qu'onle nomme Empereur, Roi ou Président, peu importe.L'important, c'est qu'alors ce chef n'aura de pou-voirs légitimes, qu'autant qu'il fera abnégation com-plète de ses intérêts propres, et qu'il gouverneradans l'intérêt du plus grand nombre. Ainsi, par celaseul qu'il sera le serviteur du peuple, il sera son re-

13*.

sas LAVENIR

présentant légitime; et, comme tel, il jouira despouvoirs les plus étendus, mais toujours basés sur ledevoir commun. Voilà la seule Souveraineté dupeuple. Toute autre manière de l'entendre serait il-lusoire. Tout gouvernement représentatif, même-avec le suffrage universel, serait une déception; etl'histoire nous apprend que tout gouvernement, oùle peuple s'assemblait sur la place publique pour dé-libérer, n'a pu se soutenir longtemps, et n'a produitpendant son existence que troubles et divisions in-testines.

» Après avoir ainsi expliqué quel sens on doit don-ner à tous ces grands mots, Fraternité, Égalité,Liberté, Nationalité, Unité, Souveraineté du peu-pie, qui agitent notre globe depuis un demi-siècle, leDisciple de la Nouvelle Église, en continuant à puiserses arguments dans la connaissance de la JérusalemCéleste, pourrait descendre dans les questions d'ad-ministration intérieure qui, quoique secondaires,n'en méritent pas moins l'attention de ceux qui s'oc-cupent des grandes destinées de l'humanité.

» L'interrogerait-on, par exemple, sur l'impor-tante question de l'instruction de la jeunesse? Il di-rait : Au Ciel, la première éducation des enfants estconfiée à des anges du sexe féminin, qui font consis-ter toutes leurs jouissances à développer dans cesjeunes âmes le germe des vertus et à déraciner leurspenchants vicieux. La seconde éducation et l'instruc-tion des garçons sont communes et dirigées par des

DE L'HUMANITÉ. 1S1

anges <lu sexe masculin, qui mettent tout leur plaisirà découvrir les capacités de chacun d'eux, et à tesdévelopper pour le plus grand avantage de la société.—Donc, il viendra un temps où, sur terre, les parentsne pourront plus abuser de leurs prétendus droits,en élevant leurs enfants selon leurs caprices ou leurorgueil. La société est la mère commune de tous lesenfants qui naissent dans son sein, parce qu'elle re-présente le Seigneur qui est le Père de tout homme,de préférence à son père naturel. En se chargeantde l'éducation et de l'instruction des enfants, loin dedétruire ou même d'affaiblir un des plus doux pen-chants que la Divinité ait mis dans le cœur des hom-mes, l'amour réciproque des pères et des enfants, lasociété d'alors saura le concilier avec l'intérêt com-mun, et lui donnera même plus d'intensité, en déve-loppant des vertus qui auraient pu être étouffées, eten déracinant des vices que l'amour aveugle des pa-rents aurait pu alimenter. Alors, la position du jeunehomme entrant dans le monde ne dépendra plus dela naissance, de la fortune, et de diverses autrescauses souvent étrangères à sa personne : elle dépen-dra de son aptitude spéciale, et chacun se trouvantainsi à sa place, chaque individu deviendra réelle-ment utile à la société, en ne s'occupant que deschoses auxquelles il sera propre.

i) C'est ainsi que l'étude des écrits dé Swedenborgme fait envisager le sort futur de l'humanité.—Maisquand ce nouvel âge d'or, qui cesse d'être pour BOUS

132 JSUR L'AVENIR

une chimère, sera-t-il réalisé? — II n'est donné àpersonne, pas même à l'ange le plus pur, de le sa-voir : c'est le secret de Dieu. — Qu'il nous suffised'avoir sa promesse Divine que la Nouvelle Jérusalemdescendra sur la terre, et y établira son règne. Tout,dans le monde naturel, est soumis aux lois du temps,qui sont aussi des lois de l'ordre divin; tout a be-soin, pour se développer, de passer par des étatssuccessifs de progression. La pauvre espèce humaine,depuis si longtemps le jouet des différents systèmesenfantés par l'orgueil de la propre intelligence, nepeut être tirée tout à coup des épaisses ténèbresdans lesquelles ces systèmes ont plongé son entende-ment; mais vous pouvez remarquer avec satisfactionqu'elle a beaucoup perdu de son engouement poureux, et c'est là l'important ; peu à peu le vrai chas-sera le faux, et la Divine Providence, tout en laissantaux nations et aux individus leur libre arbitre, sau-ra, comme elle le fait toujours, tirer du mal le bien,et les conduire finalement au but qu'elle s'est pro-posé.

» Dès que le Christianisme est ainsi compris, et,depuis la révélation du Sens interne de la Parole Di-vine qui en fait la base, c'est la seule manière de lecomprendre, il ne peut plus encourir le reprocheque lui fait M. Lerminier, d'être débordé par lesbesoins toujours croissants de la civilisation. Quela civilisation consente à le suivre dans le développe-ment de sa seconde et dernière phase, quels que

DE L'HUMANITÉ. 183soient ses besoins légitimes, il les satisfera, et il laconduira à des destinées dont ses précepteurs actuelssont encore loin de prévoir l'élévation.»

Les idées émises dans cette lettre feront peut-êtrel'objet de la critique, et de ceux qui ne veulent pasméditer sur de pareilles matières, et de ceux dontelles contrarient les préjugés; mais tous du moinsdevront convenir qu'avec de semblables principes,on cesse d'être malheureux dans ce séjour, où toutest maintenant misère, parce que tout est vanité.

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UNE NOUVELLE CANONISATION.

Les défenseurs du Catholicisme-Romain se gar-dent bien d'engager une discussion sérieuse; ils secontentent de lancer quelques traits qu'ils croientplaisants, oubliant sans doute qu'il n'y a pas decroyances qui puissent plus que celles des Romainsprêter aux plaisanteries de tout genre. Ils ne se rap-pellent plus celles qui leur ont été faites par les fon-dateurs de la Réforme, par la généralité des Écri-vains du XVIIIe siècle, et même par ceux qui por-taient l'habit religieux et qui étaient les premiers àrire de toutes les pratiques superstitieuses et idolâ-triques dont cependant ils vivaient. Nous répugne-rions à faire usage d'armes semblables; nous dironsnéanmoins qu'il est bien surprenant que ceux quis'amusent chaque jour avec gravité à faire des saints,osent trouver ridicule cette assertion que l'ange etl'homme-esprit sont couverts de vêtements.

Si Rome reste immobile au milieu du mouvementqui entraîne le monde; si elle ne veut rien appren-dre, rien oublier; si elle est aujourd'hui ce qu'elleétait il y a un siècle, c'est que la vie s'est retiréed'elle. Elle est morte maintenant, comme le Paga-

UNE NOUVELLE CANONISATION. ISS

nisme était mort dans le premier siècle du Christia-nisme. Alors le Paganisme se croyait encore puissant,parce que les peuples, attirés par l'éclat de ses pom-pes, ou entraînés par la force de l'habitude, remplis-saient les temples de ses dieux. Il en est ainsi deRome, elle croit encore avoir de la puissance; ellese berce même, par instant, de l'espoir de ressaisirson antique pouvoir, parce qu'elle voit les popula-tions pressées d'un besoin de religion; mais sa desti-née est accomplie, elle ne peut que se traîner encorequelques temps, comme a fait le Paganisme; car,pour satisfaire ce pressant besoin de religion qui semanifeste, il faut d'autres doctrines que celles duCatholicisme-Romain.

C'est cependant dans un tel état de choses queRome a la prétention de tourner en ridicule ceux quine professent pas ses doctrines; mais, par un aveu-glement qui résulte toujours de la passion et qui faitqu'alors on ne se connaît plus soi-même, ses écri-vains ont placé, à la suite de leurs sarcasmes sur Swe-denborg et sur Éd. Richer, le récit de plusieurs cé-rémonies qui certainement appartiennent à un autreâge, et qui par leur nature nous mettraient en étatd'user largement de représailles; mais, nous le répé-tons, nous ne voulons pas avoir recours à de pareilsmoyens. Notre siècle lui-même, plus sage que cesprétendus défenseurs de la religion, réprouve main-tenant toute plaisanterie sur des matières religieu-ses. Faut-il donc que ce soit le bon sens populaire

186 UNE NOUVELIE CANOUBATIOST*

qui se charge aujourd'hui de rappeler à la décenceceux qui,par état,devraient en donner l'exemple?

Voici un passage de l'article dont nous parlons :«Le 19 juin (1838), LL. ÉÉm. les Cardinaux,

» qui composent la congrégation des rits, se sont» réunis au Vatican, sous la présidence de S. Ém. le» Cardinal Odescalchi. A la requête du P. Louis» Nanni, religieux du tiers-ordre de Saint-François,» on discuta la cause concernant la renommée de» Sainteté du vénérable serviteur de Dieu, Mariano» Arriéra, prêtre du diocèse de Consa, décédé à>> Naples le 16 février 1789. Après avoir entendu» l'évêque promoteur de la foi, et ayant considéré» les observations de M. l'avocat Rosatini, défenseur,» LL. ÉÉm. répondirent, en révoquant le doute pro-» posé par la partie adverse, que la renommée de» Sainteté du vénérable prêtre était fondée. Cette» cause a été ensuite approuvée par le Saint-Père. »

Nous ne pouvons rien dire de Mariano Arciero,dont nous ne connaissons pas la vie ; mais cette viefût-elle connue et admirée de tout l'univers, ce neserait pas un motif de décider de son état spirituel.Dieu seul peut juger l'intérieur de l'homme, car luiseul sonde le cœur et les reins. Nous demanderonsdonc aux défenseurs du Catholicisme-Romain quitrouvent si plaisant que l'homme ait des vêtementsdans l'autre vie, ce qu'ils pensent de l'état actuel decelui que leurs chefs viennent de déclarer Saint. S'iln'est plus maintenant qu'un souffle, quel peut être

UiNB NOUVELLE CANONISATION. 187

son mode d'existence? Eux et leurs chefs répondrontsans doute qu'ils n'en savent rien ; que c'est le secretde Dieu. Cependant ces mêmes hommes, abusant dela crédulité humaine, osent s'attribuer la Toute-Puissance Divine, en déclarant que Mariano est auCiel; et, lorsque tout tend, dans ce siècle, à détruirel'idolâtrie, ils osent encore instituer un nouveauculte idolâtrique pour des ossements humains? Oui,certes, l'homme ne connaîtra jamais tous les secretsde Dieu, car pour les connaître tous, il faudrait qu'ilfût Dieu lui-même, ce qui est impossible; mais laDivinité a de tout temps et successivement révélé àl'homme les secrets qui étaient de nature à être sai-sis par son esprit.

Si nous avions à combattre les objections des phi-losophes sur l'existence de l'Esprit en forme humaineet sur les vêtements dont sou corps immatériel estcouvert, nous aurions recours à des arguments pui-sés dans les sources philosophiques; mais puisqu'ilne s'agit ici que des Catholiques-Romains, nousprendrons nos arguments dans les Livres Saints.

Lorsque les femmes qui avaient accompagné le Sei-gneur pendant son séjour sur notre terre vinrent ausépulcre, « deux hommes se présentèrent à elles enhabits resplendissants. »—Luc, XXIV.4.—Or, quelsétaient ces hommes, sinon deux anges, comme la suitel'indique clairement? L'Évangile admet donc les an-ges en forme humaine, et couverts de vêtements.

Lors de la Transfiguration, les trois disciples qui

158 UNE NOUVELLE CANONISATION.

avaient accompagné le Seigneur sur la montagnevirent « deux hommes qui s'entretenaient avec Lui,lesquels étaient Moïse et Élie. » — Luc, IX. 30. —L'Évangile reconnaît donc que les hommes qui onthabité cette terre, tels que Moïse et Élie, ont con-servé dans le monde immatériel la forme humaine ;et quoiqu'il ne soit pas dit d'une manière expliciteque Moïse et Élie étaient vêtus, cela peut résulterimplicitement de ce qu'ils s'entretenaient avec le Sei-gneur, dont« les habits devinrent alors blancs commela neige et resplendissants comme un éclair. »

Nous pourrions citer une infinité de passages dela Parole qui confirme l'assertion de Swedenborg ;mais nous ferons seulement remarquer que les Ca-tholiques-Romains ont été beaucoup plus loin queSwedenborg sur ce point ; car Swedenborg n'admetdans le monde immatériel que des corps immatériels,tandis qu'eux y ont même introduit la matière. Eneffet, poussés par l'esprit d'idolâtrie, et voulant as-similer en quelque sorte la mère du Seigneur au Sei-gneur même, ils ont été jusqu'à prétendre qu'elleavait été enlevée vivante dans les cieux, tandis qu'ilssavent très-bien que le Seigneur a plusieurs fois dé-claré que sa mère n'était qu'une mortelle, et n'avaitrien de commun avec Lui (1). Ils auront beau pré-

(1) Les Novi-Jërusalémites ont pour Marie le respect qu'on doitavoir pour celle qui porta le Seigneur dans son sein lorsqu'il se fithomme; mais ils ne lui rendent aucun culte, parce que le culte n'estdû qu'au Seigneur. C'est ainsi qu'en agissaient les premiers Chrétiens.

UNE NOUVELLE CANONISATION. 159

tendre que le fait dont il s'agit n'est pas admis parleurs théologiens comme dogmatique; le nom seulde la fête de l'Assomption qu'ils célèbrent chaqueannée avec tant de pompe déposera toujours contreeux.

Qu'on remarque l'inconséquence des défenseursdu Catholicisme-Romain; ils reconnaissent commenous que Dieu est homme, car ils admettent commedogme que le Seigneur est ressuscité avec le corpsqui fut déposé dans le sépulcre; et cependant ils neveulent pas que l'homme qui a été créé à l'image deDieu reste sous une forme humaine ; ils veulent ab-solument qu'après sa mort naturelle il ne soit plusqu'un souffle. Ils disent que nous matérialisons l'Es-prit en lui donnant une substance et une forme spi-rituelles; et eux, en faisant une exception en faveurde Marie, vont jusqu'à placer la matière même dansle monde immatériel. Que sait-on? lorsqu'on se lancedans le champ des exceptions, on va loin; peut-êtrequ'à l'exemple des Brahmanes qui font une distinc-tion entre leurs sages et le reste des humains, ad-mettent-ils aussi d'autres exceptions en faveur deceux qu'ils déclarent Saints. S'il en était ainsi, nousleur demanderions s'il ne leur semblerait pas plusconvenable que Mariano Arciero se présentât dans lecéleste séjour le corps couvert de vêtements ainsiqu'apparurent Moi'se et Élie, lorsqu'ils s'entretinrentavec le Seigneur.

Nous terminerons cet article en répétant aux dé-

160 UNE NOUVELLE CANONISATION.

fenseurs du Catholicisme-Romain que nous ne recon-naissons nullement les décisions des conciles. Qu'onétudie les conciles pour y trouver des faits histori-ques, rien de mieux; mais pour y découvrir des vé-rités spirituelles, qu'on s'en garde bien ; car le bienet le faux ont été tellement mélangés par eux, qu'ilest tout à fait impossible, dans un semblable chaosintellectuel, de distinguer la lumière des ténèbres. Ilest cependant une autorité aussi supérieure aux con-ciles que Dieu est supérieur à l'homme, c'est cellede la Parole Divine ; c'est la seule que nous recon-naissions. Mais les défenseurs du Catholicisme-Ro-main ne consentiront jamais à soumettre les incohé-rentes décisions de leurs chefs aux sublimes véritésde l'Évangile.

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LA NOUVELLE RÉVÉLATION NE POUVAIT PAS ÊTRE

FAITE PLUS TÔT.

Au nombre des arguments, la plupart futiles,qu'on nous adresse, il en est un qui, tout spécieuxqu'il est, mérite néanmoins d'être réfuté. Si Dieu,nous dit-on, n'a révélé que dans le siècle dernier lesens spirituel de la Parole, il s'est donc plu à laisserles hommes dans l'erreur. Ceux qui nous font cetteobjection n'ont certainement pas lu les écrits de Swe-denborg; car la Doctrine de la Nouvelle Jérusalemdonnée par Swedenborg n'est pas puisée dans lesens spirituel de la Parole, comme ils semblent lecroire, mais elle est entièrement tirée du sens de lalettre et éclairée seulement par le sens spirituel.Cette doctrine est celle que suivaient les premiersChrétiens, celle qu'ont suivie et que suivent encoretous ceux dont le cœur n'a pas été et n'est pas per-verti par les fausses lumières de l'esprit; elle estécrite dans l'Ancien et le Nouveau Testament, ettout homme sincèrement chrétien la voit clairementdans ces beaux préceptes qui causent l'admiration deceux mêmes qui ne croient pas à la sainteté de ces

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162 LA NOUVELLE RÉVÉLATION

Livres. Si cette doctrine, en même temps simple etsublime, a été tellement dénaturée par les conciles etpar les théologiens des diverses Communions chré-tiennes, qu'elle est devenue en grande partie mécon-naissable ; si ces modernes docteurs, en tous pointssemblables aux docteurs de la loi, « ont lié des far-deaux pesants et difficiles à porter, et les ont mis surles épaules des hommes, bien qu'ils n'eussent pointvoulu les remuer de leur doigt, » — Matth. XXIII. 4,— les vérités indispensables à la vie chrétienne n'ensont pas moins restées intactes par un effet tout spé-cial de la Providence. L'ensemble de ces vérités peutse résumer en ce peu de mots : Vivre selon les pré-ceptes du Décalogue, et fuir les maux comme con-traires à l'Ordre Divin (1). Tous ceux qui ont vécuainsi ont vécu en vrais chrétiens.

Mais, pourrait-on nous dire, les erreurs des chefsspirituels ont nécessairement fait tomber les hommesdans des maux de différents genres. — C'est indubi-table; mais la justice de Dieu n'est pas semblable àcelle des hommes; la Divinité fait une grande dis-tinction entre l'erreur qui conduit au mal, et l'er-reur qui résulte du mal. Tout homme qui tombedans le mal par suite des erreurs dans lesquelles il aété élevé est excusable, si toutefois il ne s'appropriepas ce mal, en le faisant entrer dans sa vie; tandis

(1) Fuir les maux par tout antre motif, c'est faire seulement qu'ilsne paraissent pas devant le monde; c'est, s'il nous est permis d'em-ployer une expression vulgaire, c'est renfermer le loup dans la bergerie.

NE POUVAIT PAS ÊTRE FAITE PLUS TÔT. 163

que quiconque se plonge dans l'erreur, entraîné parl'amour pour le mal, est criminel. De même queDieu ne punit pas les peuples, qui ne sont pas chré-tiens, des erreurs dans lesquelles ils ont été élevés etentretenus par leurs prêtres; et que, pour les appe-ler à Lui ou les rejeter, il n'a égard qu'à la manièredont ils ont vécu; de même aussi Dieu n'a pas euégard aux erreurs grossières dans lesquelles les prê-tres avaient élevé et entretenu les hommes du mondechrétien; il a seulement considéré si ces hommesavaient vécu selon les préceptes du Décalogue, etavaient fui les maux comme contraires à l'Ordre Di-vin. Or, ces deux points n'ont jamais cessé d'être re-commandés même par les chefs spirituels qui, par lespratiques superstitieuses qu'ils avaient introduites,s'étaient le plus écartés de la doctrine primitive.

De ce que la Parole dans son sens littéral renfermetoutes les vérités nécessaires au salut de l'homme;de ce que, malgré les erreurs que les conciles et lesthéologiens de tous les siècles ont introduites dansla doctrine chrétienne, ces vérités ont toujours étéenseignées, on doit déjà en conclure que si Dieu n'arévélé que dans ces derniers temps le sens spirituelde sa Parole, on ne peut sans blasphème l'accuserd'avoir laissé les hommes dans l'erreur, puisqu'il apourvu à ce que les erreurs des chefs spirituels nedétruisissent pas les vérités les plus indispensables.

Mais répétons encore ici que c'est faute de con-naître les écrits de Swedenborg qu'on a osé dire

164 LA NOUVELLE RÉVÉLATION

que, par une tardive Révélation, Dieu se serait pluà laisser les hommes dans l'erreur. Non, Dieu nes'est pas plu à les laisser dans l'erreur; s'il avait pules en retirer plus tôt, sans forcer leur libre arbitrequ'il s'est fait une loi de toujours laisser intact, ill'aurait certainement fait ; mais, sans revenir sur ceque nous avons déjà dit ailleurs, à savoir, que, selonl'Écriture, le sens spirituel de la Parole ne devaitêtre révélé que lorsque la première Église chrétienneserait parvenue à sa fin par un débordement completde maux et de faussetés, nous dirons que Dieu n'au-rait pas pu faire cette Révélation plus tôt, puisquetout s'opposait à ce qu'elle pût être reçue par leshommes avant l'époque où elle leur a été donnée. Eneffet, aurait-ce été lorsque Rome régnait en souve-raine sur toute la chrétienté, et que les bulles desPapes étaient les seules lois religieuses qu'il fut per-mis de suivre? N'aurait-elle pas"alors été étoufféesur-le-champ? Aurait-ce même été au moment de laRéforme? L'inopportunité était presqu'aussi grande.Pour saper le Vatican devenu domination politico-religieuse, il fallait une doctrine qui mit en jeu lesintérêts mondains ; pour détruire une théocratie quipunissait de mort quiconque osait faire publiquementusage de son entendement en fait de matières reli-gieuses, il fallait une doctrine qui, bien qu'aussifausse que celle qu'elle combattait, préparât dumoins les hommes à la liberté de conscience. La vé-ritable doctrine n'aurait-elle pas eu contre elle les

NE POUVAIT PAS ÊTRE FAITE PLUS TÔT. 168

deux seules puissances qui avaient partagé les peu-ples chrétiens en deux camps, et qui les tenaienttoujours prêts à s'entr'égorger au premier signalqu'elles donnaient? Au milieu des passions sangui-naires, autant excitées par les intérêts matériels quepar les discussions théologiques, il aurait été impos-sible qu'une doctrine toute de charité pu se produireau grand jour. Non ; pour que la Révélation pût êtredonnée au monde chrétien, il fallait nécessairementque les peuples fussent amenés, par les excès deleurs conducteurs spirituels, à reconnaître les mo-tifs secrets qui les faisaient agir, et à secouer défini-tivement le joug qu'ils avaient si longtemps fait pe-ser sur eux.

Nous savons que ceux qui nous ont fait cette ob-jection n'ont pas eu l'intention d'adresser un repro-che à la Divinité; ils ont voulu par là donner àpenser que si Dieu eût voulu faire une Révélationnouvelle, il n'eût pas laissé les hommes si longtempsplongés dans les ténèbres. Si ces critiques avaientvécu du temps des Apôtres, lorsqu'apparut la doc-trine chrétienne, qui, en rappelant à sa pureté pri-mitive la doctrine Mosaïque falsifiée par les théolo-giens Juifs, apportait en outre un supplément devérités nouvelles appropriées aux besoins de l'épo-que; si, disons-nous, ces critiques avaient vécu dansle premier siècle de l'ère chrétienne, ne se seraient-ils pas empressés d'opposer à la doctrine nouvellel'argument qu'ils présentent aujourd'hui avec tant

166 LA NOUVELLE RÉVÉLATION'.

de légèreté contre la doctrine de la Nouvelle Jérusa-lem ? Si votre Maître, auraient-ils dit aux Apôtresou à leurs successeurs, a été envoyé de Dieu (1)pour donner une nouvelle doctrine, parce que l'an-cienne aurait été falsifiée, que n'a-t-il été envoyéplus tôt? car il y a longtemps que la doctrine deMoïse est dans l'état où nous la voyons; Dieu se se-rait donc plu à laisser les hommes dans l'erreur?Oui, l'on ne saurait en douter, cet argument a aussiété fait aux premiers Chrétiens, et cependant leurdoctrine n'en a pas moins prévalu. Il en sera demême de la doctrine de la Nouvelle Jérusalem, elleprévaudra, non pas seulement parce que c'est la seulequi puisse convenir aux peuples fatigués maintenantdes doctrines anciennes, et poussés intérieurement àrevenir à leur Dieu, mais surtout parce que sontriomphe est annoncé dans le Livre Saint, et que lespromesses de la Divinité ne sont jamais vaines.

(1) Dans la supposition que nous faisons, ces critiques auraient in-dubitablement tenu à la doctrine alors régnante, comme ils tiennent àcelle qui règne aujourd'hui; par conséquent ils se seraient bien gardésde reconnaître Jésus-Christ comme Dieu; et si on leur eut dit que lesÉcritures avaient prédit sa venue, ils auraient répondu que le Messiequi leur était annoncé devait régner avec gloire sur la terre, et nonmourir sur une croix; de même qu'aujourd'hui, dans le second Avène-ment du Seigneur, ils s'opiniâtrent à ne voir qu'un Avènement sur lesnuées du Ciel pour juger les hommes dans la vallée de Josaphat. Nousdésirons que le bandeau qui leur couvre les yeux puisse enfin tomber,pour qu'ils jouissent, comme nous, des faisceaux de lumière qui jail-lissent maintenant de la Révélation du sens spirituel de la Parole.

167

SUR L'OBSCURITÉ DES PROPHÉTIES.

Ceux qui ne veulent admettre aucune Révélationopposent souvent aux Chrétiens l'obscurité des livresprophétiques, en faisant remarquer que le sens qu'ilsprésentent est presque toujours équivoque, et que sil'on y rencontre quelque clarté, c'est seulement lors-que l'événement prédit est entièrement accompli.

Ces objections fort embarassantes, et pour lesChrétiens qui nient le libre arbitre, et pour ceuxqui, le reconnaissant, ne veulent pas admettre dansles Ecritures un sens spirituel, ne sauraient arrêterun seul instant le disciple de la Nouvelle Jérusalem.Si le véritable sens des prophéties est toujours enve-loppé d'un sens extérieur obscur et souvent équivo-que, c'est, dira-t-il, parce qu'il est indispensable,pour l'avantage du genre humain et dans les vuesmiséricordieuses de la Providence, que la liberté del'homme reste toujours intacte; et, si ce véritablesens est dévoilé lorsque l'événement prédit est entiè-rement accompli, c'est parce qu'alors la liberté hu-maine ne peut plus en aucune manière être violentée.

Remarquons d'abord qu'avec le dogme du libre

168 SUR L'OBSCURITÉ DES PROPHÉTIES.

arbitre, compris comme il doit l'être, la plupart desdifficultés théologiques peuvent être résolues. Si nosadversaires religieux consentaient à entrer dans unediscussion sérieuse sur les principaux dogmes duChristianisme, il en résulterait pour les hommes debonne foi la preuve que la Religion Chrétienne ra-menée à ses véritables principes est la seule vraie, etqu'elle ne renferme rien qui puisse être rejeté par laraison éclairée de notre siècle; mais jusqu'ici unetelle discussion, que nous appelons de tous nos vœux,a toujours été éludée; et, en cela, nos adversairesont agi prudemment. En effet, pour ne parler icique du dogme du libre arbitre, l'on sait que desdeux communions les plus nombreuses du Christia-nisme, l'une l'admet et l'autre le rejette; on sait pa-reillement que les Catholiques-Romains qui l'admet-tent, reconnaissent en même temps le mérite del'homme, et que les Protestants qui rejettent le librearbitre, nient le mérite de l'homme. Or, comme ilrésulte des véritables principes du Christianisme quel'homme jouit du libre arbitre, et qu'il ne sauraitnéanmoins s'attribuer le mérite qui n'appartientqu'au Seigneur Seul, il s'ensuit que chacune de cesdeux communions est dans le vrai sur l'un de cespoints, et dans le faux sur l'autre. Elles ont été ré •duite à ce triste état, parce qu'étant sorties des vraisprincipes du Christianisme primitif, et par consé-quent du chemin de la vérité, il leur était devenuimpossible de concilier deux dogmes dont l'un sem-blait exclure l'autre.

SUR L'OBSCURITÉ DES PROPHÉTIES. 169

Mais, n'anticipons pas longtemps sur une matièresi importante, qui ne peut manquer d'être soumiseun jour à un examen tout à fait spécial, et revenonsà la solution donnée par le disciple de la NouvelleJérusalem concernant notre sujet.

Si, quant à ce qui concerne les événements futurs,la vérité divine que renferment les prophéties étaitexprimée en termes clairs et précis, de telle sorteque les hommes ne pussent s'y méprendre, il est bienévident que, par cela seul, leur libre arbitre seraitentièrement détruit, et qu'ainsi ils cesseraient d'êtrehommes; mais lors même qu'on supposerait qu'ilspussent encore conserver leur libre arbitre, la naturehumaine a été tellement changée par la chute, que,dans celte hypothèse même, l'homme ferait tous sesefforts pour contrarier les vues bienveillantes de laProvidence Divine à son égard, et que par là il ren-drait sa position encore plus malheureuse. S'il yavait quelques doutes à cet égard, un seul exemplesuffirait pour les lever.

Il est, certes, bien des hommes qui n'ont pas deplus grand désir que de connaître la destinée quileur est réservée sur cette terre; c'est, du reste, cequi est constaté par l'histoire de la Divination, decet art trompeur, qui fut exercé chez tous les peu-ples, et dont l'origine se perd dans la nuée destemps. Eh bien ! Qu'on suppose que le prétendu livredes destins ait été ouvert à un mortel pour qu'ilpuisse y lire tout ce qui concerne son existence ter-

15.

470 SUR L'OBSCURITÉ DES PROPHÉTIES.

restre; que, même, pour éviter tout défaut de mé-moire de sa part, il lui ait été permis de transcrirejusqu'aux moindres particularités de sa vie; qu'onsuppose, en outre, que sa destinée soit telle qu'elledoive surpasser tout ce que l'imagination de l'hommele plus attaché aux biens de ce monde pourrait in-venter pour embellir la vie. Un tel mortel serait-ilvéritablement heureux? Il pourrait du moins le pa-raître aux yeux de ceux qui courent inconsidérémentaprès le bonheur, il pourrait même exciter leur en-vie; mais, nous soutenons, qu'il serait le plus infor-tuné des hommes. En eifet, dès l'instant qu'il auraitacquià par expérience l'entière certitude que les di-vers événements de sa vie arriveront tels qu'ils ontété annoncés, et sans que le moindre changementpuisse y être apporté, dès cet instant, ce qui consti-tue véritablement l'homme disparaîtrait en lui, sonmoi n'existerait plus; car, pour lui désormais plusde liberté, il est enchaîné au bonheur; plus d'alter-native, il faut qu'il suive fatalement la ligne tracée;plus même d'espérance, la certitude la lui a enlevée.Que lui reste-t-il donc, au milieu de son prétendubonheur? La mort, la terrible mort à jour et àheure fixes.

Mais, croit-on qu'un homme, quelque soit d'ail-leurs son caractère, puisse rester longtemps danscette position passive. L'apathie qu'on remarquechez certains individus n'est que relative ; l'hommea été créé Être libre et actif, et s'il arrivait qu'il fût

SUR L'OBSCURITÉ DES PROPHÉTIES. 171

totalement privé de la faculté d'agir librement, parcela seul il cesserait, comme nous l'avons dit, d'êtrehomme. Celui que nous avons pris pour exemple se-rait donc irrésistiblement conduit, par suite de saqualité à'Être libre et actif, à mettre toutes ses fa-cultés en action pour contrarier l'ordre des destinsà son égard.

Or, si le prétendu livre des destinées existait réel-lement, si le sort de -l'homme en particulier et del'humanité en général était fatalement réglé, peuimporterait pour les plans de la Divinité que l'hom-me connût ou ne connût pas sa destinée; tout n'enmarcherait pas moins selon l'ordre déterminé; maisil n'en est pas ainsi. Jamais le Christianisme n'a ad-mis le dogme désolant de la fatalité qui avilit Dieuet anéantit l'homme. Le vrai Christianisme pose enprincipe que l'homme est libre, et que Dieu, en legratifiant de la liberté, s'est interdit, par les lois deson ordre divin, de porter la moindre atteinte à saliberté. Ainsi l'homme, pouvant toujours faire usagede son libre arbitre, se trouve porté par sa naturedéchue à abuser de sa liberté; il est toujours prêt àse précipiter dans le mal, en courant par une fausseroute vers un bopheur idéal qu'il recherche conti-nuellement; mais Dieu, qui est l'amour même, influesans cesse sur l'homme pour le ramener à lui, sanstoutefois contraindre son libre arbitre ; et sa DivineProvidence veille à chaque instant sur ses actions,pour atténuer autant-que possible le mal qu'il fait ou

172 SUR L'OBSCURITÉ DES PROPHÉTIES.

qu'il veut faire, et en tirer même quelque bien, enlui suggérant des pensées propres à lui imprimerune autre direction.

Cette action incessante de la Providence est ce quimaintient l'ordre dans cet univers au milieu de toutesles causes de dissolution qui résultent de l'abus quel'homme fait de son libre arbitre. Cette action estpuissante contre le mal, parce l'homme, tout en re-cevant son impulsion secrète, croit néanmoins agirpar lui-même ; mais il n'en serait plus de même, sil'homme pouvait avoir une connaissance certaine desévénements futurs ; son naturel ne lui permettraitpas de faire une abnégation complète du moi hu-main; ce qui, du reste, ne serait autre chose quel'anéantissement de l'individu. Dès lors, cette espècede fatalité, toujours présente à ses yeux, ne feraitqu'irriter son désir de faire acte de liberté; toutesses facultés seraient employées à contrarier les plansde la Divinité ; et la Providence, ne pouvant plus lediriger à son insu, il se précipiterait de lui-mêmedans les maux de tout genre. Or, ce que nous ve-nons de dire d'un seul individu s'applique nécessai-rement à la collection d'individus nommée nation,et, par la même analogie, à l'humanité tout entière.

Nous pouvons donc conclure de ce qui précède,que c'est par un pur amour pour nous que Dieunous a caché les événements futurs, et que c'est pourne pas augmenter notre état misérable sur cetteterre, qu'il a voilé ceux que, dans l'intérêt de l'hu-

SDR L'OBSCURITÉ DBS «WPHÉTIES. 173

inanité, et pour :la eonservation de son Église, il acru nécessaire de révéler-par la bouche de ses Pro-phètes. Si, lorsque les événements sont accomplis,le véritable sens des Prophéties devient plus clair,ou si même il est quelquefois révélé, c'est encoreune conséquence de ce qui vient d'être dit, puisqu'a-lorsle libre arbitre de Phomme ne saurait plus à cetégard être violenté.

Nous terminerons cet article en faisant remar-quer quelques poiwts frappants de similitude entreles prophéties de l'Ancien Testament et celles duNouveau.

Les prédictions si souvent réitérées de l'Avène-ment d'un Sauveur ou Messie furent présentées d'unetelle manière dans leur sens littéral ou naturel, que lesJuifs s'attendaient à voir un Roi qui les rendait maî-tres de toute la terre, tandis-que les Écritures, ilansleur sens interne ou spirituel, ne désignaient cepen-dant que PHomme-Dieu, dont le royaume n'étaitpas de ce monde.

De même, -les prédictions de l'Évangile et de l'A-pocalypse sur le second Avènement du Seigneur, sontprésentées d'une telle manière dans leur sens littéral,que les Chrétiens de toutes les Communions préten-dent, en paroles du moins, que le Seigneur viendra,sur les jnuées du Ciel, pour juger tous les hommesdans la vallée Ae Josaphat, tandis que les Écritures,dans leur sens interne, ne désignent que l'Avènementspirituel du Seigneur, dans 4oute sa gloire, par 4a

15*.

174 SUR L'OBSCURITÉ DES PROPHÉTIES.

Révélation du sens interne de Sa Parole, Révélationqui dissipera toutes les erreurs théologiques, et ra-mènera par la vérité les hommes au bien.

Le sens interne des prédictions sur le premierAvènement ne fut dévoilé par les Évangélistes qu'a-près la glorification du Divin Humain du Seigneur,par conséquent lorsque l'événement prédit avaitreçu son entier accomplissement.

De même, le sens interne des prédictions sur lesecond Avènement ne fut dévoilé par Swedenborgqu'après le Jugement Dernier, qui se fit, dans lemonde spirituel, en 1757, par conséquent, lorsquel'événement prédit était entièrement accompli.

La similitude entre les deux époques où s'opérèrentles deux Avènements, est pareillement frappante.Qu'on ouvre l'Évangile; qu'on médite sur les nom-breux passages où le Seigneur trace le portrait de lasociété religieuse dans la personne des Scribes, desPharisiens, des Docteurs de la Loi, des Princes desPrêtres, qui la représentaient ; que l'on compare sonétat avec celui de la société religieuse dans le mondechrétien au milieu du dernier siècle, et l'on resterapleinement convaincu.

Il ne nous reste plus qu'une remarque à faire :Ceux qui sont chargés de diriger les diverses Com-munions chrétiennes ont devant les yeux, reconnais-sent et critiquent même, chaque jour, l'erreur gros-sière dans laquelle les Juifs sont tombés, il y adix-huit siècles, en s'opiniâtrant à ne voir dans l'É-

SUR L'OBSCURITÉ DES PROPHÉTIES. 175

criture que le sens de la lettre; que le terribleexemple que leur offre ce peuple, aujourd'hui dis-persé et encore aveugle, serve donc à les faire sortird'une opiniâtreté semblable, et qui, chez eux, de-viendrait plus coupable qu'elle ne le fut chez leschefs de la Loi Ancienne.

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SUR LE SECOND AVÈNEMENT.

Lorsque nous parlons du second Avènement, etque nous disons qu'il ne faut pas prendre à la lettreles paroles de l'Écriture qui l'ont annoncé; que laConsommation du siècle n'est pas la fin du mondematériel, mais la fin de la première Église chré-tienne; que le Jugement Dernier ne se fera pas surcette terre dans l'étroite vallée de Josaphat, maisqu'il a été fait, en 1757, dans le monde spirituel,aussitôt, Catholiques-Romains et Protestants se re-crient, sans même se donner la peine de réfléchir;car, s'ils consentaient à prêter la moindre attention,ils verraient tout de suite que ce qu'ils appellent notreinterprétation de la Parole est beaucoup plus con-forme à l'idée que l'on doit avoir de la justice divine,et choque bien moins le sens commun que ce qu'ilsannoncent eux-mêmes, en s'attachant judai'quementau seul sens de la lettre.

Ils ne veulent pas, disent-ils, s'écarter du senslittéral, de peur d'errer; et cependant, ils sont cha-que jour forcés de reconnaître qu'il y a dans la Pa-role des expressions symboliques et un sens figuré et

SUR LE SECOND AVÈNEMENT. 177

anagogique dont ils font même un fréquent usage,soit dans leurs discours, soit dans leurs écrits.

Ils croient ou feignent de croire que nous n'avonségard qu'au sens spirituel et que nous mettons decôté le sens littéral, tandis qu'au contraire l'impor-tance de ce dernier sens est démontrée dans chacundes écrits de Swedenborg, qui le considère commela base et l'affermissement du sens spirituel. Il y aplus, c'est que tous les points de la Nouvelle Doctrinesont puisés dans le sens littéral et confirmés par lui.« On pourrait croire, dit Swedenborg, que la doc-

» trine du vrai réel (*) peut être acquise par le sens» spirituel de la Parole, qui est donné par la science» des correspondances ; mais par ce sens la doctrine» n'est pas acquise, elle est seulement illustrée et» corroborée; car l'homme peut falsifier la Parole» par quelques Correspondances qu'il connaît, en» les liant ensemble et en les appliquant pour confir-» mer ce qui est attaché à son mental d'après un» principe arrêté. »—Vr. Bel. Chr. N° 230.

Tout homme qui désire sincèrement connaître lavérité, pourra facilement se convaincre, en lisant lesécrits de Swedenborg, que le Jugement Dernier areçu son exécution; il reconnaîtra même que c'estpar des arguments tirés du sens littéral de la Paroleque Swedenborg confirme tout ce qu'il avance sur

(*) La vérité absolue c'est Dieu; de Lui viennent toutes les vérités :les unes sont réelles, d'autres ne sont qu'apparentes. De là l'expressionde Frai réel qu'emploie Swedenborg par opposition au Vrai apparent.

178 SUR LE SECOND AVÈNEMENT.

l'accomplissement, dans le monde spirituel, de toutce qui a été prédit sur ce terrible événement. Mais,que ce Jugement ait été exécuté précisément en l'an-née 1757, ainsi qu'il l'annonce positivement, c'estun fait qu'il n'appuie sur aucun passage de la Parole;la seule preuve qu'il nous offre, c'est qu'en raison del'état extraordinaire dans lequel il est resté si long-temps, et qu'il explique si bien, il a vu d'une ma-nière claire et manifeste exécuter, en 1757, tout cequi concerne ce Jugement, ainsi que tout ce qu'ildécrit avec une bonne foi si remarquable. Pouvait-on exiger de lui d'autres preuves? Cependant, commenous venons de dire que ses assertions sont en géné-ral confirmées par des passages du sens littéral dela Parole, celle qui fixe à l'année 1757 l'exécutiondu Jugement Dernier, ne devrait-t-elle pas aussiêtre confirmée par ce sens? C'est un point qu'il de-vient important d'examiner.

En effet, l'époque de cette exécution n'est pasaussi indifférente pour -les Novi-Jérusalémites qu'onpourrait d'abord'le croire; car, pour eux, le Juge-ment Dernier est le rétablissement de 'l'ordre dansle monde spirituel, et par suite la formation, dansce monde, d'un Nouveau Ciel et d'une Nouvelle Égli-se; et, comme l'influx nous vient directement dumonde spirituel ou monde des causes, du momentoù l'ordre y est rétabli, tout doit tendre à faire dis-paraître idu monde des effets, où nous vivons, l'ancienordre,de choses, <jui n'est «n réalité que désordre,

SUR LE SBCON» AVÈNEMENT. 179

pour y coBstituer le véritable ordre par l'éteklisse-ment d'une nouvelle Église, établissement qui ne peutêtre complété que graduellement, et cela, en raisonde la loi immuable qui maintient l'homme collectif etl'homme individu dans le libre arbitrer sans-jamaisle froisser. Il n'est donc pas indifférent d'examinersi l'assertion de Swedenborg ne serait pas susceptibled'être confirmée par le sens littéral de la Parole;car, dans le cas de l'affirmative, on saurait d'unemanière plus expresse que c'est à partir de 1757que la nouvelle influence spirituelle a commencé àse faire sentir sur notre globle, pour ramener libre-ment les hommes à leur vrai Dieu, et par conséquentau véritable bonheur.

Et d'abord, il conviendrait de rechercher quel apu être le motif qui a empêché Swedenborg de pré-senter à l'appui de son assertion quelques passagesde la Parole.

Il faut remarquer qu'il s'agit seulement ici de lafixation d'une époque, c'est-à-dire, d'une chose quine concerne absolument que le monde matériel pourlequel seul existe le temps. En effet, dans le mondespirituel, il n'y a ni temps, ni espace, mais seule-ment des apparences de temps et d'espace, qui ré-sultent des variations de l'état intérieur des êtresqui l'habitent. Or, la Parole, dans son sens interne,ne traite que des choses qui concernent l'état spiri-tuel; et Swedenborg n'avait pour mission que derévéler ce sens resté jusqu'alors inconnu.

180 SUR LE SECOND AVÈNEMENT.

On fera sans doute cette objection : L'époque dupremier Avènement ayant été confirmée par les 70semaines du Prophète Daniel prises au sens de lalettre, sauf la substitution qu'on a faite des annéesaux jours, pourquoi Swedenborg, si le second Avè-nement est accompli, comme il le prétend, n'a-t-ilpas confirmé de même l'époque de son accomplisse-ment, par quelques passages tirés, soit des Prophè-tes, soit desÉvangélistes?

On peut d'abord répondre à cette objection, enfaisant observer que les Évangélistes n'ont, en au-cune manière, fait mention des semaines de Daniel,quoique ce Prophète soit cité dans Marc, au sujet del'abomination de ta désolation, expressions qui setrouvent dans le Verset même où il est question dessemaines. Or, si l'Évangile garde le silence sur cesfameuses semaines qui indiquent, dit-on, l'époquedu premier Avènement, pourquoi s'étonner que leProphète de la Nouvelle Église chrétienne n'ait citéaucun passage de la Parole indiquant par son senslittéral l'époque du second Avènement.

Nous avons dit, dans l'Article précédent, queDieu, pour ne point violenter le libre arbitre del'homme, voilait le sens des prophéties, et que cesens ne paraissait clair qu'après l'entier accomplis-sement de l'événement prédit. Ne serait-ce pas làl'explication du double silence gardé par les Évan-gélistes et par Swedenborg? Les Évangélistes n'ontfait que transmettre aux hommes la Nouvelle Parole

SUR LE SECOND AVÈNEMENT. 181

qui renfermait, dans son sens littéral, les principalesactions du Seigneur sur cette terre. Or, pendant lavie terrestre du Seigneur, le premier Avènementn'avait pas encore reçu son entier accomplissement.D'un autre côté, Swedenborg, depuis le commence-ment de sa mission jusqu'à sa mort, fut continuelle-ment occupé à donner la Révélation du sens spirituelde la Parole; or, c'est dans cette Révélation queconsistait pour notre globe le second Avènement duSeigneur, par conséquent il n'y avait pas non plusalors entier accomplissement.

Mais si, lorsque la première Église chrétienne futétablie, on ne tarda pas à recourir aux semaines deDaniel, pour prouver aux partisans exclusifs de la loide Moïse que le Christ était venu dans ce monde àl'époque fixée par les Prophètes, les Chrétiens de laNouvelle Église peuvent aussi présenter aux Chré-tiens de l'Église en dévastation des arguments dumême genre, pour leur montrer que le second Avè-nement est accompli, et que le Jugement Dernier aété fait, en 1757, selon l'assertion de Swedenborg.

En effet, dans la vision du bélier et du bouc dumême Prophète Daniel, on trouve ces paroles remar-quables : « Jusqu'à quand cette vision? » Et il futrépondu : « Jusqu'à deux mille trois cents soirs etmatins; puis le SANCTUAIRE sera sanctifié. »— VIII.13, 14.

Nous pourrions continuer la citation de cette vi-sion, qui, dans son sens spirituel, se réfère, comme

10.

182 SUR LE SECOND AVÈNEMENT.

celle des semaines, à un Jugement Dernier; maisnous nous contenterons pour le moment de compterles soirs et matins, comme les premiers Chrétiensont compté les semaines. Or, si d'une semaine, quicomporte sept jours, ils ont fait sept années, onnous permettra bien de faire aussi de chaque soir etmatin, ou de chaque jour une année. On ne pour-rait pas nous dire qu'il s'agit réellement ici, dans lesens de la lettre, de 2300 soirs et matins, car il estdit plus loin : « La vision du soir et du matin qui aété dite est la vérité; mais toi, scelle la vision, carelle n'arrivera de longtemps. »— VIII. 26.

Il ne s'agit plus maintenant que d'un calcul chro-nologique; or, sans entrer ici dans les commentairesque comporterait un tel calcul, nous pouvons affir-mer que quiconque voudrait supputer en même tempsles 70 semaines de 7 années qui se réfèrent au pre-mier Avènement, et les 2300 années qui se réfèrentau second, se trouverait porté plus près de l'année1757 par le second calcul que de l'époque du premierAvènement par la première supputation; car, l'onn'ignore pas qu'on a fait hypothèse sur hypothèsepour faire concorder les semaines avec le premierAvènement. Dom Calmet dit à ce sujet : « Les Pères,» les interprèles et les chronologistes sont de divers» sentiments; mais l'hypothèse de Jules Africain est» maintenant adoptée par la plupart des interprètes» et des chronologistes, tant Catholiques que Proles-» tants. » II ajoute ensuite qu'il y a quelque variété

SUR LE SECOND AVÈNEMENT. 183

sur le calcul, que les chronologistes diffèrent dequelques années, mais que la plus grande différencene va qu'à 9 ou 10 ans. — Tout cela vient, sansdoute, des ténèbres qui planent sur la chronologiepour les époques où les astronomes n'avaient pas en-core su déterminer exactement le cours des astres.

Les premiers Chrétiens n'avaient pas besoin dessemaines de Daniel pour se confirmer dans la doc-trine que les Apôtres avaient prêchée, et pour seconvaincre que Jésus était le Christ annoncé par lesProphètes; de même, les Novi-Jérusalémites n'ontnullement besoin des 2300 soirs et matins de Danielpour se confirmer dans les vérités révélées à Swe-denborg, et pour se convaincre que le Seigneur aopéré son second Avènement en rétablissant l'ordredans le inonde spirituel. Mais, de même que les pre-miers Chrétiens disaient aux Juifs incrédules qui at-tendaient la venue du Messie : Comptez les semainesde Daniel, et vous verrez que l'événement que vousattendez est arrivé ; de même aussi nous dirons auxChrétiens de la Vieille Église : Comptez les 2300soirs et matins de Daniel, et vous reconnaîtrez quele SANCTUAIRE a été purifié, dans le monde spirituel,en 1757; c'est-à-dire, qu'il y a eu alors séparationdes bons d'avec les méchants, par conséquent Juge-ment Dernier ou consommation du siècle; ou, end'autres termes, fin de l'Ancienne Église et établis-sement de la Nouvelle.

Ainsi, même en prenant les Prophéties anciennes

184 SUR LE SECOND AVÉXEMEXT.

dans le sens de la lettre, sens que nous sommes bienéloignés de mettre de côté, comme nous l'avons pré-cédemment prouvé, nous pouvons encore montreraux Chrétiens de la Vieille Église que ces prophétiesconcordent avec les déclarations du Prophète de laNouvelle Jérusalem; mais, nous ne saurions trop lerépéter, ce qui distinguera toujours la NouvelleÉglise de celles qui l'ont précédée, c'est qu'auxavantages qu'elle relire, comme elles, du sens de lalettre, elle joint l'avantage inappréciable de posséderle sens spirituel, ce qui la garantira des périodes dedécroissances qui conduisirent les autres à leur rui-ne : aussi doit-elle être la couronne de toutes cellesqui ont existé jusqu'à présent, et progresser conti-nuellement. « Ses portes ne seront point ferméesjournellement, car de nuit il n'y aura point là. » —Apoc. XXI. 23.

183

SUR L'ÉTABLISSEMENT DE LA NOUVELLE ÉGLISE

Lorsque la première Église chrétienne, aprèsavoir parcouru ses diverses phases, fut arrivée à safin; quand, pour elle, le Soleil fut obscurci; quandla Lune ne donna plus sa lumière; ou, en d'autrestermes, quand la charité fut presqu'éteinte et qu'iln'y eut plus de foi, alors se fit, selon les promessesdu Seigneur, une nouvelle dispensation de véritésdivines, propres à dissiper les ténèbres épaisses quienveloppaient le monde chrétien, et tout fut disposépar la Providence Divine pour arriver à l'établisse-ment d'une Nouvelle Église, de celle que les LivresSaints désignent sous la dénomination emblématiquede Nouvelle Jérusalem, de celle enfin qui doit êtrele complément ou la couronne de toutes les Églisesqui l'ont précédée.

Nous avons déjà dit que la Divinité transmet augenre humain ses vérités célestes, au moyen de cer-tains hommes qui ne sont, dans cette circonstance,que de simples instruments; nous avons surtout in-sisté sur ce point important, que jamais Dieu necontraint le libre arbitre de l'homme, et qu'en con-

16*.

186 SUR L'ÉTABLISSEMENT

séquence rien ne s'opère an spirituel que par unetransit ion, pour ainsi dire, insensible. Ainsi, quandnous avançons que la première Église chrétienne estarrivée à sa fin au milieu du siècle dernier, et qu'aumême moment les premiers fondements d'une Nou-velle Église ont été posés par le Seigneur, nous en-tendons seulement par là que cette première Églisea cessé d'exister en tant qu'Église du Seigneur, parcequ'elle s'était entièrement séparée de Lui, en abu-sant de tous les biens célestes, et en falsifiant toutesles vérités spirituelles; et que les bases de sa Nou-velle Eglise ont été établies par la nouvelle doctrinequ'il a transmise aux hommes, en se servant deSwedenborg qui, en cela, fut seulement un intermé-diaire.

Mais, de ce que la première Église chrétienne acessé d'exister, en tant qu'Kglise du Seigneur, il nes'ensuit pas nécessairement qu'elle ait dû cesseraussitôt d'exister en tant qu'institution humaine.Quand le Seigneur vint établir celte première Égli-se, ce fut sur les débris de celle qu'il avait instituéequinze-cents ans auparavant par l'intermédiaire deMoïse; or, l'Église Judaïque était arrivée à sa fin;l'abus qu'elle avait fait des choses saintes l'avait en-tièrement séparée du Seigneur, et par conséquent lavéritable vie n'était plus en elle; cependant, le Ju-daïsme n'en subsista pas moins comme institutionhumaine, et lutta même assez longtemps contre leChristianisme. Tant que celui-ci fut dans sa période

DE LA. NOUVELLE ÉGLISE. 187

d'enfance, il demeura exposé aux sarcasmes et aumépris de son vieil adversaire qui se croyait puis-sant, parce qu'il avait en sa possession le Temple deJérusalem ; inébranlable, parce qu'il s'appuyait surplus de quinze cents ans d'existence; fort, parcequ'il faisait avec orgueil le dénombrement de sesenfants; majestueux enfin, parce qu'il marchait avecpompe, revêtu d'éclatants oripeaux. Mais, tandisque le vieillard, privé de la véritable vie, perdait àchaque instant une partie de cette faible chaleur na-turelle qui lui donnait un semblant d'existence, l'en-fant, puisant aux sources mêmes de la vie, croissaitavec vigueur, et les forces spirituelles qu'il acqué-rait chaque jour développaient en lui ses forces na-turelles. Il n'était pas encore arrivé à la fleur del'âge que son rival avait disparu de la scène : leTemple de Jérusalem avait été renversé; ses quinzecents ans d'existence étaient passés dans, le domainede l'histoire ecclésiastique; ses enfants qui faisaientautrefois sa gloire avaient été dispersés; il ne luirestait plus enfin que quelques franges de ses ori-peaux, comme témoignage de son antique splendeur.

Depuis lors, bien des siècles se sont succédé; l'en-fant qui avait crû avec tant de vigueur devint hom-me, mais bientôt enorgueilli par ses succès, il suivitla marche de son prédécesseur, et éprouva le mêmesort. Comme lui, il est devenu vieux ; comme lui, ils'est trouvé par sa faute privé de la véritable vie;comme lui, il disparaîtra insensiblement de la scène.

188 SUR L'ÉTABLISSEMENT

Ni la ville aux sept montagnes, ni ses dix-huit sièclesd'existence, ni le nombre actuel de ses enfants, ni ledéploiement de toutes ses pompes ne sauraient legarantir de la destruction. L'heure fatale est sonnéepour lui ; il n'est plus qu'un cadavre qui conserveencore la forme que la vie lui avait imprimée, maisqui la perd nécessairement, avec plus ou moins derapidité, selon que les diverses circonstances qui ac-compagnent la décomposition sont de nature à laralentir, ou à l'accélérer.

Maintenant, il est facile de comprendre commentla première Église chrétienne a pu arriver à sa fin,vers le milieu du siècle dernier, et cependant paraî-tre encore aujourd'hui, à l'extérieur, comme si elleexistait réellement.

Quant à la Nouvelle Jérusalem, qui est destinée àêtre, à l'égard de la première Église chrétienne, ceque celle-ci fut à l'égard du Mosaïsme, si l'on veuts'assurer que les bases de cette Nouvelle Église ontété établies par les doctrines données au moyen deSwedenborg, il suffit d'étudier ces doctrines, et touthomme de bonne foi ne tardera pas à reconnaîtreque leur origine ne peut être que divine. Les diver-ses théories de Swedenborg, que nous admettonstoutes, ont pu souvent être l'objet de la critiqued'hommes qui voulaient juger des parties, sans avoirembrassé l'ensemble; mais nous n'avons pas encoreconnaissance qu'un seul homme moral, ou véritable-ment religieux, ait osé attaquer un de ses points de

DE LA NOUVELLE ÉGLISE. 189

doctrine, tandis que la doctrine de la premièreÉglise chrétienne a été tellement pervertie par ceuxqui avaient été chargés de la maintenir, qu'elle nepeut plus aujourd'hui, dans la plupart de ses points,supporter le moindre examen.

La doctrine, nous dira-t-on, est sans aucun doutela base de toute Église : ainsi, nous admettons queles fondements d'une Nouvelle Église ont été posésdans les écrits de Swedenborg; mais, après nousavoir indiqué où est la base, il devient important denous faire connaître comment l'édifice s'est élevé;car on voit maintenant la Nouvelle Jérusalem se ma-nifester, dans plusieurs états de l'Europe et de l'A-mérique, sous forme de sociétés visibles, et l'onignore encore généralement par quelles phases ellea passé pour parvenir au point où elle est aujour-d'hui.

Il faudrait, pour répondre à cette question, faire,pour ainsi dire, l'historique de la Nouvelle Église àpartir de son origine. Or, toute l'histoire exige denombreux documents, et l'on sait que c'est surtoutquand il s'agit du berceau des grandes institutionsque le défaut de documents se fait plus particulière-ment sentir, parce que ceux qui édifient sont plusoccupés à agir qu'à écrire. Il nous serait donc im-possible, dans la position où nous nous trouvons, dedonner à notre réponse toute l'extension qu'exigeraitun tel sujet. Nous nous contenterons, pour le mo-ment, de présenter quelques faits importants, con-

190 SUR L'ÉTABLISSEMENT

nus, il est vrai, de nos frères d'Angleterre, maisignorés d'un grand nombre de Novi-Jcrusalcmites deFrance (*).

Quand une Église est arrivée à sa fin, il y a né-cessairement une nouvelle clispensation de véritésdivines, pour sauver le genre humain; car, sansce secours de la Providence, il se précipiterait dansun abîme de maux qui le feraient disparaître dela surface de la terre; mais les ténèbres sont alorssi épaisses, et l'égoi'sme a tellement endurci le cœurde l'homme, que les vérités nouvelles sont générale-ment prises pour des illusions, et que le véritabledévouement est considéré comme une niaiserie.Ainsi, quand Dieu donna sa loi à Moi'se, quoiqu'il

(') NOTA. 11 serait important de recueillir avec soin, et dès ce mo-ment, tout ce qui peut être propre à faire connaître les divers effortsqui ont été faits, tant à l 'Étranger qu'en France, pour arriver à ré-tablissement de la Nouvelle Église. 11 existe, sar.s aucun doute, beau-coup de matériaux précieux laissés par des hommes qui, pénétrés desdivines vérités, mais convaincus que le temps de les répandre n'étaitpas alors arrivé, ont travaillé dans le silence, ou entourés d'un petitcercle d'amis ; leurs pensées, leurs vues, leurs moyens d'action pour untemps plus propice, ont pu aussi être consignés dans leur correspon-dance. Que rien de ce qui peut intéresser la Nouvelle Église ne soitperdu par notre négligence; empressons-nous de met t re le plus tôtpossible à l'abri de la destruction tout ce que nous pourrons découvrir.Que les plus âgés rappel lent leurs souvenirs; que les jcuncs se livrentà de laborieuses recherches. De notre côté, nous consacrerons une par-tie de la Revue, qui pourra être considérée comme section rétrospec-t ive, pour consigner les pièces qui nous seront adressées, en ayanttoutefois égard à leur degré d'importance et à l 'opportunité de leur pu-b l i ca t i on .

DE LA NOUVELLE ÉGLISE. 191

l'eût entourée de l'appareil le plus propre à rendretémoignage de son origine céleste, les Israélites,plongés dans l'obscurité et dans l'amour de soi, quit-taient à chaque instant Jéhovah pour leurs idoles, etla génération, témoin de tant de merveilles, erra pé-niblement dans le désert, sans pouvoir entrer dansla terre promise. Lorsqu'à la fin de l'Église Judaï-que, le Seigneur vint lui-même dans le monde pourle sauver, les Juifs furent sourds à sa voix; la subli-mité de la doctrine qu'il prêchait ne pouvait émou-voir leurs cœurs endurcis : ses Apôtres, témoinschaque jour des choses merveilleuses qu'il opérait,ses Apôtres, auxquels il avait même donné le pou-voir d'en opérer de semblables, étaient néanmoins àchaque instant dans l'incertitude sur sa mission, etne crurent inébranlablement en lui qu'après sa ré-surrection. D'après de tels faits, serait-il étonnantque le second Avènement du Seigneur, ou la Révé-lation du sens interne de la Parole Divine, n'aittrouvé, lorsqu'elle a été faite, que des incrédules etdes indifférents.

Lorsque Swedenborg remplissait la mission quilui avait élé confiée, il savait bien que ses écrits se-raient dédaignés de ses contemporains. Il ne s'oc-cupa pas, comme font tous les faiseurs de systèmes,à former des disciples, à s'entourer de preneurs, àfaire école enfin; cependant, il ne refusait jamais dedonner des explications à ceux qui lui en deman-daient. Il ne s'adressa pas, comme les chefs de secte,

492 SUR L'ÉTABLISSEMENT

à telle ou telle nation de préférence, en se confor-mant à ses mœurs et à ses usages, pour capter sabienveillance; mais il écrivit pour tout le mondechrétien, et c'est pour cela que ses ouvrages furentcomposés en latin ; il ne cherchait pas même à lesrépandre par les moyens usités; il les adressait seu-lement aux hauts dignitaires de l'Église, aux établis-sements publics et à quelques amis, sachant bienque le Seigneur, dont il n'était que l'instrument, fe-rait germer la semence en temps et lieux conve-nables.

La germination se fit d'abord avec silence et pro-gressivement dans quelques États de l'Europe ; cartoutes les choses qui s'exécutent conformément àl'Ordre Divin procèdent toujours par gradation etnon par transition violente. Ceux donc qui admirentles premiers les doctrines célestes de la nouvelledispensation, les conservèrent intérieurement dansleurs cœurs, jusqu'à ce que le moment fût arrivé deles professer publiquement ; mais il ne larda pas àse faire quelques manifestations publiques, et la pre-mière paraît s'être effectuée en Angleterre ; dumoins, s'il y en eut qui la précédèrent dans quelquesautres contrées, ce que nous ignorons, elles furentsans importance, tandis que celle dont nous allonsparler eut les résultats les plus heureux.

DE LA NOUVELLE ÉGLISE. 193

ROBERT HINDMARSH.

Les détails que nous allons donner sur ce ferventdisciple, en tant que promoteur de l'Etablissementostensible de la Nouvelle Église, sont puisés dans unécrit de M. Noble, ministre actuel de cette Église àLondres, et Rédacteur du journal Anglais Vlntellec-tual Repository.

Robert Hindmarsh était un de ceux qui avaient eule précieux avantage de connaître les écrits de Swe-denborg, à une époque où il n'y avait encore enAngleterre qu'un petit nombre de ses Traités quifassent traduits. Son esprit n'étant pas de nature àse contenter d 'une simple traduction, il eut recoursà la collection latine, et l'étudia avec l'assiduité laplus soutenue et les plus suaves délices. Heureuxd'avoir trouvé une mine si précieuse, il ne songeaplus qu'à faire partager son bonheur à ses conci-toyens, en leur procurant la lecture de ces ouvragesconnus à peine d'un pet i t nombre d'entre eux; et,de ce moment, il fit tous ses efforts pour dissiper latorpeur qui régnait clans tous les esprits. Il se con-certa en conséquence avec trois autres personnes, eten décembre 1783, il inséra dans les journaux unavis pour prier les lecteurs et les admirateurs desécrits théologiques de Swedenborg, de se réunir leo du mois dans un lieu public de Londres. Cinq per-sonnes seulement s'y rendirent . Ces quelques disci-

17.

194 SUK L'ÉTABLISSEMENT

pies de la Nouvelle Église convinrent de tenir desassemblées dans un local, où ils furent joints pard'autres, au nombre de trente, îls manifestèrent tousun grand zèle et firent beaucoup de bien : on impri-ma, aux frais d'un petit nombre d'entre eux, quel-ques ouvrages posthumes de Swedenborg, écritsaussi en latin. C'est à cette petite réunion que nousdevons l'impression de l'inestimable Traité, YApoca-lypsis Explicata (4 vol. in-4°).— Hindmarsh, enoutre, traduisit et imprima, à son compte, plusieursdes plus petits Traités.

Biais une société ayant, à la même époque, été for-mée à Manchester pour publier la traduction des ou-vrages de Swedenborg, il devint moins nécessairepour la petite réunion de Londres de diriger unique-ment ses travaux sur cet objet. Elle prit, en consé-quence, en considération le projet d'établir une so-ciété pour constituer la Nouvelle Église sous uneforme visible, et la distinguer complètement de l'an-cienne. Cette proposition donna lieu à de nombreu-ses discussions. La majorité jugea cette mesure trophardie pour être adoptée tout de suite, et voulait ladifférer jusqu'à ce que le nombre des personnes quiadmettent les vérités de la Nouvelle Eglise fût plusconsidérable; mais Hindmarsh, et la minori té d'ac-cord avec lui, la considérèrent comme le moyen leplus capable de faire disparaître de grands inconvé-nients . Ils pensaient, en outre , nue celte manifesta-tion était indispensable v>cur l'existence réelle de la

DE LA NOUVELLE ÉGLISE. 19o

Nouvelle Église, et pour la satisfaction et l'instruc-tion de ses membres, quoiqu'une augmentation denombre ne dût pas en résulter immédiatement; car,il n'y a pas en réalité Église là où on ne possède pasles statuts essentiels de l'Église. En conséquence,Hindmarsli et le petit nombre de ceux qui étaient deson avis obtinrent, dans Great-Eastcheap, une cha-pelle qui fut ouverte en janvier 1788.

On ignore si ce fut immédiatement avant l'ouver-ture de cette chapelle, ou aussitôt après, mais tou-jours est-il que ce fut à cette époque que se fit, dansla Nouvelle Eglise, la première ordination de Minis-tres. Hindmarsh fut également le promoteur de cettemesure. On considéra avec juste raison que, puisqu'ils'agissait d'une Église tout à fait nouvelle, aucuneordination consacrée par l'Ancienne Église ne pour-rait être valide pour les ministres de cette NouvelleÉglise; mais que, comme l 'ordination de ministresdans la première Église chrétienne avait commencéavec les douze Apôtres, qui ne furent pas tirés dela prêtrise de l'Église juive, de même le Ministèrede la Nouvelle Église devait avoir aussi une origineindépendante. Hindmarsh proposa, en conséquence,pour l'institution d'un nouveau Ministère, la forma-lité admise par les Apôtres dans une circonstancebien connue. Désigné lui-même par le sort pour ac-complir le rôle principal de l 'ordination, il transmittout de suite les ordres à son père Jam. Hindmarsh età Samuel Smith. C'est de ce commencement d'un mi-

196 sur. L'ÉTABLISSEMENT

nistère que découlent toutes les ordinations qui sesont succédé dans la Nouvelle Église, et c'est ausside ce 'commencement de prédication publique quevient l'origine de toutes les congrégations de laNouvelle Église en Angleterre, qui étaient, en 1833,au nombre d'environ cinquante.

Le vœu le plus cher au cœur d'Hindmarsh étaitaccompli. La Nouvelle Église du Seigneur avait en-fin reçu une forme distincte et visible, et se trouvaitétablie à perpétuité. En effet, elle prit dès lors unegrande extension, se répandit d'Angleterre auxÉtats-Unis d'Amérique, et commença à apparaîtreplus ou moins manifestement dans presque toutes lescontrées du globe. Cette tâche ayant été providen-tiellement remplie, Hindmarsh se livra à de nou-veaux travaux. Il publia, en 1790, un écrit périodi-que mensuel, et composa ensuite plusieurs ouvragesimportants. La plupart des principaux points decontroverse entre la Nouvelle Eglise et l'Anciennesont traités avec tant de force et de clarté dans seslettres en réponse au docteur Priestley, la vérité s'ymontre dans un centre de rayons si lumineux,qu'elles resteront comme étendard dans les polémi-ques théologiques de la Nouvelle Église.

Après avoir rendu, pendant cinquante-cinq an-nées, de si émincnts services, en établissant et enconsolidant la Nouvelle Église dans sa patrie, Ro-bert Hindmarsh quit ta ce monde en 1835, à l'âge de7(> ans.

DE LA NOUVELLE ÉGLISE. 197

Que l'exemple de ce zélé disciple de la NouvelleKglise ne soit pas perdu pour les Novi-Jérusalémitesfrançais. L'appel qu'il fit à ses concitoyens, en 1783,fut h peine entendu, mais loin de se décourager, ilredoubla de zèle, car il était pleinement convaincuqu'il remplissait une haute mission; aussi, ses per-sévérants efforts furent-ils plus tard couronnés d'unbeau succès. De fervents disciples ont aussi tenté enFrance, à différentes époques, de faire jouir leursconcitoyens des bienfaits innombrables de la Nou-velle Dispensation ; si leurs efforts n'ont point eu ungrand résultat, c'est, sans aucun doute, par suite decette loi qui exige que la terre soit défrichée, que lasemence soit répandue, et qu'elle germe avant d'ap-paraître; leurs travaux étaient donc indispensables.Nous les ferons successivement connaître à mesureque nous recueillerons.les documents qui les con-statent.

Maintenant que nos devanciers ont préparé le ter-rain, c'est à nous tous, leurs successeurs, qu'est ré-servée la tâche de hâter la germination; c'est à noustous de rechercher les meilleures terres en frichepour les disposer aussi à recevoir la vraie semence.Unissons-nous étroitement, nous aurons plus de forcepour nous étendre. Qu'aucun de nous ne soit un ou-vrier inutile; que chacun rende productif le talentqui lui a été départi par le Seigneur. Le Royaume deDieu est le Royaume des usages; faisons donc des

17*.

198 SUR L'ÉTABLISSEMENT

usages, des usages, toujours des usages. Que chacunde nous s'attache avec persévérance à éclairer ceuxen qui il reconnaîtra l'amour de l 'humanité ou dubien public; si chez eux cet amour l'emporte surl'intérêt privé, quelle que soit du reste leur opinion,ils seront, tôt ou tard, des nôtres. Préférer réelle-ment l 'humanité à soi-même, c'est être dans le bien;et celui qui est dans le bien reconnaît le vrai aussitôtqu'il lui est présenté. Le démocrate qui se sacrifie-rait, non pour le plaisir de détruire ou de satisfairede mauvaises passions, mais pour que le peuple fûtplus heureux; le légitimiste qui serait capable de. sedévouer pour son idole, non dans des vues d'ambi-tion ou de vanité, mais dans l'intime conviction que,sans elle, le peuple ne saurait jouir de la paix et dela t ranqui l l i té ; le paisible bourgeois qui serait sus-ceptible de négliger ses propres intérêts pour soute-nir le gouvernement, non dans l'espoir d'en être ré-compensé ou dans la crainte d'éprouver de plusgrandes pertes, mais parce qu'il serait convaincuque le peuple ne saurait être heureux que dans tingouvernement tenant le milieu entre l'aristocratie etla démocratie, tous ces hommes-là, quoique d'opi-n ions si différentes, reçoivent à leur insu le nouvelinflux du Seigneur. Cette terre-là est excellente;elle est déjà échauffée par la chaleur divine, puisqu'ily a véritable dévouement : il ne lui manque que labonne semence. Répandons-la donc cette semence,et nos peines ne seront pas perdues; car, l 'homme

DE LA N O U V E L L E ÉGLISE. 199

capable de sacrifier ses propres intérêts à ceux del'humanité, par suite seulement d'un sentiment in-terne dont il ne saurait se rendre compte, ne peutmanquer d'accueillir une doctrine qui lui démontreque ce sentiment n'est autre que l'action du Sei-gneur en lui, et que ce Dieu unique, que la théologieavait rendu méconnaissable, est l 'Amour Même et laSagesse Même.

200

POLÉMIQUE LOCALE.

— On lit ce qui suit dans l'Annonciateur duCher :

Saint-Amand (Cher), le 11 décembre 1838.•

MONSIEUR LE RÉDACTEUR,

Attaqués par le Journal l'Abeille du Cher, dansson N° 172, les Novi-Jérusalémitcs comptent survotre impartialité pour l'insertion de leur réponse.Occupés de leur propre Régénération et de la pro-pagation de leur doctrine, ils n'auraient fait aucuneattention à un article aussi inconvenant, pour nerien dire de plus, s'il ne renfermait du reste desfaits controuvés et des suppositions gratuites. Ils seborneront donc, pour le moment , à rectifier lesfaits, et attendront qu'on revienne sur cette affaire,pour entrer dans tous ses détails, et mettre à décou-vert les manœuvres qu'on a employées.

Agréez, etc.Le chef d'une famille étrangère, M. H...*, ayant

appris que la Nouvelle Église chrétienne, dont leculte est ostensiblement célébré dans plusieurs Etalsde l'Europe et de l'Amérique, s'était manifestée en

* Voir aux notes a d d i t i o n n e l l e s ,

UNE IXHU3ÏATIOX. 201

France, et que des disciples de la Nouvelle Jérusa-lem avaient un culte public à Saint-Amand, vint deson propre mouvement, il y a quelques mois, se réu-nir à nous. Accueilli avec cordialité, il assista à nosexercices religieux; mais, attaqué presqu'aussitôtd'une maladie grave, il succomba le 6 octobre der-nier. Les Novi-Jérusalémites, se conformant aux in-tentions qu'il avait manifestées, lui rendirent lesderniers devoirs selon le rit de leur culte.

Cette cérémonie, quoique simple en elle-même,prit cependant un caractère imposant, par suite duconcours de la plus grande partie de la population.En conséquence, on s'attendait généralement à trou-ver, dans un des journaux de la localité, une relationdétaillée de l'inhumation ; mais la Nouvelle Jérusalemn'a pas besoin pour se propager d'avoir recours àces petits moyens; aussi garda-t-elle un profond si-lence : si elle le rompt aujourd'hui, c'est uniquementparce qu'elle s'y trouve forcée par les actes de sesadversaires. En effet, plus de deux mois s'étaientécoulés, lorsqu'un événement presqu'inaperçu vintservir de prétexte au journal /''Abeille',,,pour nousattaquer et crier en même temps Victoire.

Qu'était-il donc arrivé? Rien, certes, qui pût ex-citer la surprise. M"'CH... qui, selon l'Abeille elle-même, avait toujours été de la religion désespères,venait de faire baptiser deux de ses enfants à l'ÉgliseCatholique-Romaine.

Tel est, en deux mots, le grand événement que

202 CXE INHUMATION.

l'Abeille annonce avec jubilation au public, qui,sans elle, n'en aurait pas eu connaissance. Si cettefeuille s'en était tenue là, nous n'aurions rien à endire : chacun, en pareille circonstance, étant libred'agir comme bon lui semble; mais elle veut argu-menter, et elle conclut, en bonne logicienne, qu'enfaisant baptiser ses enfants selon le rit romain,Mmo H..., qui est née Catholique-Romaine et qui atoujours été de la religion de ses pères, a nécessai-rement fait, éprouver une défection à la NouvelleJérusalem.

Or, comme la défection est la base et le fonde-ment de l'article de l'Abeille, tout s'écroule sansdiscussion. Reproduire son argumentation, c'est laréfuter complètement.

Du reste, nous ne voyons pas la grande impor-tance de l'acte de Mmc H... Le baptême d'eau n'estpar lui-même qu'un emblème du véritable baptême,qui consiste à se réformer peu à peu, et à parvenirpar ce moyen à dépouiller le vieil homme pour re-vêtir l'homme nouveau. Si les enfants de M m °H. . .mouraient avant d'avoir atteint l'âge où l'hommepeut agir librement et rationnellement, notre doc-trine et le bon sens nous disent qu'ils seraient accep-tés de Dieu, quelle que fût la religion dans laquelleils auraient été élevés; car Dieu, qui est la JusticeMême, n'impute à l'homme que ce qu'il a fait commehomme, c'est-à-dire, avec pleine liberté et entièrerationalité. Si, au contraire, ils deviennent hommes,

UNE INHUMATION. 203

nous avons l'espoir qu'ils sauront alors secouer lespréjugés superstitieux dans lesquels on les aura éle-vés, et qu'ils s'administreront eux-mêmes le vérita-ble baptême, en devenant des citoyens utiles et devéritables Chrétiens.

Quant à la cérémonie de l'inhumation, puisquel'Abeille la critique, nous nous trouvons forcés d'enparler.

Réunis au domicile du défunt, nous nous rendîmesau champ du repos dans un silence religieux, mar-chant deux à deux, à quelques pas en arrière desporteurs, et entourés d'une foule considérable. Ar-rivés au cimetière, une autre partie de la populationnous y avait devancés.

Lorsque le corps fut descendu dans la fosse, l'unde nous ouvrit le livre de la liturgie, et s'adressantà rassemblée, il lut à haute voix les passages sui-vants :

FRÈRES,« Puisqu'il a plu au Seigneur, selon le cours de

sa Divine Providence de retirer de ce monde notrefrère H..., nous déposons son corps dans ce sépul-cre, rendant de la terre à de la terre, des cendres àdes cendres, de la poussière à de la poussière, avecla ferme assurance qu'il est vivant pour l'Éternité,cl avec l'espérance qu'il a trouvé miséricorde devantle Seigneur.

» II est impossible que le corps naturel, qui n'esten lui-même qu'une matière insensible, constitue le

204 USE INHUMATION.

véritable homme; il n'est qu'un instrument donné àcelui-ci, instrument à l'aide duquel il se rapprochedu but pour lequel il a été créé, en résidant, pendantun court espace de temps, dans ce monde matériel.Quand le corps naturel cesse d'être dans un étatpropre à servir d'instrument, c'est alors qu'on dit([u'z/ meurt; non pas que l'homme cesse de vivre;il ne fait que se débarrasser de cette enveloppe exté-rieure, à l'aide de laquelle il était en communicationavec ce monde et les choses de ce monde. Le théâtrede son existence est transporté dans un autre monde,où il continue de vivre, devenu, non une vapeursans substance, un vain fantôme, mais un hommevéritable; car l'homme est homme, parce qu'il a uneâme spirituelle douée de la faculté de connaître etd'aimer son Dieu; et c'est pour cela seul qu'il estimmortel; ainsi, quand l'homme (je ne parle ici quede son âme) passe de ce monde matériel dans lemonde spirituel, il emporte avec lui tout ce qui luiappartient comme homme ; il ne se dépouille que decette simple enveloppe terrestre dont il n'a plus be-soin, et que par conséquent il ne reprendra jamais.Sans elle, il n'a pas moins un corps comme avant,mais un corps d'une substance spirituelle et immor-telle.

» Nous avons donc suffisamment de quoi nous ras-surer contre la crainte de la mort du corps. Mais ilest une mort qui a de la terreur, môme pour le phi-losophe, cl de laquelle, si nous sommes sa^;es, noua

UNE INHUMATION. 205

devons chercher à nous préserver pendant que nousdemeurons dans la vie terrestre. « Ne craignez point» ceux qui tuent le corps, et après cela n'ont pas» pouvoir de rien faire de plus. Mais je vous mon-» trerai qui vous devez craindre : Craignez Celui» qui, après avoir tué, a pouvoir de jeter dans la gé-» henné; oui, vous dis-je, Celui-là, craignez-le. »—Luc, XII. 4, S.— La mort que nous devons touscraindre est la mort spirituelle ou la mort de l'âme.Cette mort est amenée par l'amour du mal ; elle estvéritablement l'ouvrage de nos propres mains. Nenous laissons donc pas induire en erreur; ayons tou-jours présent à l'esprit que la vie intérieure de cha-cun le suit dans la vie éternelle, et qu'une vie bonnea pour terme le Ciel, de même qu'une vie mau-vaise a pour terme l'enfer; car le Seigneur a dit :« Voici, je viens bientôt, et ma récompense avec» Moi, pour rendre à chacun selon que son œuvre» sera. » — Apoc. XXII. 12. — Ainsi l'état del'homme ne peut plus changer une fois qu'il est en-tré dans l'éternité.

» Connaissant donc l'importance du grand chan-gement que nous subirons bientôt el inévitablement,songeons sans cesse à nous y préparer. Cherchons leSeigneur pendant qu'il nous est possible de le trou-ver. Appelons-le pendant qu'il est près de nous. Quele méchant abandonne sa voie, et l'homme injusteses pensées; qu'ils viennent au Seigneur et il aurapitié d'eux : qu'ils reviennent à notre Dieu, et ils

18.

206 UNE INHUMATION1.

trouveront pleine miséricorde. C'est ainsi que nousserons prêts à paraître devant notre juge, quand ilnous appellera. C'est ainsi que nous entendrons samiséricorde dire à chacun de nous : « Bien ! servi-» leur bon et fidèle; sur peu tu as été fidèle, sur» beaucoup je t'établierai. » — Matth. XXV. 21.

Un autre de nos frères a lu l'invocation de Ri-cher, qui a pour titre : Qu'est-ce que la mort?

Nous nous retirâmes ensuite en silence au milieud'un recueillement général. — Oui, Messieurs del'Abeille, il y eut un recueillement bien senti; carde telles paroles, qui ne sont ni des discours pom-peux, ni des panégyriques faits par des amis, maisun simple résumé de nos doctrines sur ce qu'on ap-pelle la mort, étaient bien capables de porter le re-cueillement dans l'âme des nombreux assistants, etde leur faire sentir la différence des deux cultes.Non, personne ne se demandait ce que cela signi-fiait, parce que tout le monde avait compris ce quiavait été dit, tandis que chez vous, Messieurs, ceux-là mêmes qui sont payés pour prononcer des chantslugubres ne savent pas un seul mot de ce qu'ils disent:et vous aussi, vous avez fort bien compris, et c'est làle motif de votre irritation; car, toutes les réflexionsque la foule se communiquait dans un religieux si-lence , vous les avez recueillies avec anxiété ; lecompte exact qu'on vous en a rendu n'était pas ceque vous attendiez, et voilà la cause de l'article ma-ladroit que vous avez rédigé contre nous. Allons,

UNE INHUMATION. 207

soyez de bonne foi; est-ce bien pour défendre leprincipe religieux que vous avez pris la plume? Quepouviez-vous trouver d'irréligieux dans ce que nousavons dit? Ne serait-ce pas plutôt pour quelques in-térêts terrestres? Nous pourrions en indiquer plu-sieurs; mais à quoi bon ! ils se présentent si naturel-lement à la pensée de tout homme, que les passer enrevue serait faire injure à la sagacité et au bon sensdu public.

Nous terminerons en rapportant un fait qui pourraseul donner une idée de tous les moyens qu'on em-ploie pour nous calomnier. Lorsque la foule se reti-rait paisiblement, on entendait répéter dans diversgroupes cette exclamation bien significative : « Ah !nous ne nous attendions pas à cela; on nous avaitdit qu'ils ne croyaient pas en Dieu? » Ainsi, de per-fides insinuations avaient été répandues contre nous;et si nous eussions habité l'une de ces contrées, oùmalheureusement encore le fanatisme ose montrerquelquefois sa tête hideuse, elles auraient pu, malgréla liberté de conscience, inscrite dans nos lois, cau-ser un mal affreux; mais nos concitoyens sont tropéclairés; ils ont, en général, une idée trop élevée dela Divinité, et sont trop amis de nos libertés publi-ques, pour souffrir jamais qu'on trouble le repos deleur ville pour des formalités de culle qui, aux yeuxde tout homme de bon sens, n'honorent ni ne désho-norent la Divinité, attendu que le vrai Dieu n'esthonoré que par les verius de ses créatures, de même

208 UNE INHUMATION.

qu'il n'est déshonoré que par leurs vices. Du reste,les Novi-Jérusalémites n'oublieront jamais les prin-cipes de tolérance qui résultent de leur doctrine, etchercheront toujours à éviter le scandale; car leSeigneur a dit : « Malheur à celui par qui le scan-dale arrive. »

209

CONSIDÉRATIONS SUR LA CHARITÉ, SUR LA FOI ET

SUR LE CULTE.

On parle souvent de la Foi ; et quoique la vraie Foiait été bannie de la première Église chrétienne,beaucoup de personnes cependant pensent encore laposséder, et font même retentir ce mot bien haut;mais ce qu'elles prennent pour de la foi ne ressem-ble en aucune manière à cette foi vivifiante sur la-quelle toute Église doit reposer; aussi la premièreÉglise chrétienne a-t-elle cessé spirituellementd'exister.

On fait aujourd'hui consister la foi à croire lespoints de doctrine de l'Église, tandis que la foi nesaurait exister là où il n'y a point de charité. Croireseulement, ce n'est pas la foi; vouloir et pratiquerce que l'on croit, voilà la foi. La croyance auxpoints de doctrine ne les met pas dans la vie del'homme, elle les place seulement dans sa mémoireet par suite dans sa pensée externe : pour qu'ils en-trent dans sa vie, il faut qu'ils soient d'abord dans.

210 CONSIDÉRATIONS SUR LA CHARITÉ,

sa volonté et ensuite dans ses actions. C'est alorsque la foi commence à être dans le mental de l'hom-me; car la mémoire de l'homme et la pensée qui enrésulte sont seulement le vestibule par lequel se faitl'introduction.

L'homme peut savoir, penser et comprendre beau-coup de choses ; mais celles qui ne concordent pasavec sa volonté, ou avec son amour, ce qui est lamême chose, il les rejette loin de lui, quand, livré àlui seul, il médite d'après sa volonté ou son amour :c'est pour cela qu'il les rejette aussi quand il passede cette vie dans l'autre; car il ne reste dans l'hom-me devenu Esprit que ce qui est entré dans sa vo-lonté ou dans son amour; toutes les autres choses,après la mort, sont regardées par lui comme étran-gères : il les rejette, il les a en aversion, parcequ'elles ne sont pas les objets de son amour. C'estdonc une grande erreur de penser que la foi consisteà croire et à se persuader que telle chose est ainsi ;et surtout de croire que la foi est seulement dans laconfiance ou la présomption qu'on est sauvé par lapassion du Seigneur et par son intercession. La vé-rité sur ce point important, c'est qu'il n'y a point defoi sans charité, ni de charité sans foi, de mêmequ'il ne saurait y avoir d'entendement sans volonté,ni de volonté sans entendement. Car la charité et lafoi, de même que la volonté et l'entendement, quileur servent respectivement de siège, ne doiventfaire qu'un.

SUR LA FOI ET SUR LE CULTE. 211

Or, s'il n'y a plus aujourd'hui de vraie foi dansl'Église chrétienne, c'est parce qu'il n'y a plus devraie charité; et s'il n'y a plus de vraie charité, c'estqu'il n'y a plus en elle aucun bien spirituel, quoi-qu'il reste cependant encore chez quelques-uns deses membres un bien qui est purement naturel. Cequi confirme encore qu'il n'y a plus de vraie cha-rité dans cette Église, c'est que les diverses Com-munions qui la composent ne se distinguent entreelles que par ce qui est du ressort de ce qu'on ap-pelle la foi.

Du reste, la doctrine de la charité, qui est celle dela vie, est entièrement oubliée depuis bien des siè-cles. « Cette doctrine, dit Swedenborg, était la doc-» trine même des Églises anciennes qui précédèrent» la Parole mosaïque. Elle les conjoignait toutes, et» ainsi de plusieurs n'en formait qu'une. On y re-» connaissait pour hommes de l'Église tous ceux qui» vivaient dans le bien de la charité, et on les appe-» lait frères, quoique d'ailleurs ils ne fussent pas» d'accord sur les vérités qu'on nomme aujourd'hui» vérités de la foi. On s'instruisait les uns les autres,» et cela faisait partie des œuvres de charité ; mais» on ne s'indignait pas de ce que quelqu'un n'admet-» tait pas l'opinion d'un autre, sachant bien que cha-» cun reçoit la vie en proportion de ce qu'il est dans» le bien. C'est parce que telles furent les anciennes» Églises, que les hommes qui en faisaient partie» étaient intérieurs, et par conséquent plus sages.

212 CONSIDÉRATIONS SUR LA CHARITÉ,

» Mais cette sagesse a décru par la succession des» temps; car autant le genre humain s'est éloigné du» bien de l'amour envers le Seigneur et de l'amour» à l'égard du prochain, qui se nomme charité, au-» tant il s'est par là éloigné de la sagesse. C'est ainsi» que l'homme, d'interne qu'il était, est devenu» d'abord externe, puis mondain et corporel. Par-» venu à ce dernier état, il songe peu aux choses» du Ciel, car il est tout occupé des plaisirs des» amours terrestres, et il se livre aux maux que ces» amours rendent agréables à l'homme. Alors, tou-» tes les choses qu'il entend dire sur la vie après la» mort, sur le Ciel, sur l'enfer, et, en un mot, sur» les vérités spirituelles, sont comme hors de lui, et» non en lui, comme cependant elles devraient y être.» II est encore résulté de là que la doctrine de la» charité, qui était en si grande estime chez les an-» ciens, est aujourd'hui entièrement perdue; car» aujourd'hui on ignore absolument le véritable sens» des mots charité et prochain. »

Ainsi, c'est en s'écartant peu à peu de la charitéqu'une Église finit par perdre sa foi ; car la charitéet la foi, ne formant qu'un seul tout, ne peuventexister l'une sans l'autre; la charité est la substancemême de ce tout, et la foi en est la forme. Or, toutesles fois qu'une substance est viciée, sa forme se dé-tériore, et si la substance vient à être anéantie, saforme disparaît.

Ces Églises anciennes, dont vient de parler Swe-

SUR LA FOI ET SUR LE CULTE. 213

denborg, faisaient plutôt consister le culte dans la vieintérieure que dans les actes extérieurs de la reli-gion : aussi les hommes de ces temps reculés vi-vaient-ils dans un haut degré de sagesse. Ils n'u-saient pas leur intelligence à de stériles discussionsthéologiques ; ils étaient bien éloignés de se persécu-ter pour des dogmes : ils reconnaissaient au con-traire pour frères tous ceux qui étaient dans le bien,quelles que fussent d'ailleurs leurs opinions reli-gieuses en ce qui concernait la forme. C'est à cetétat de paix et de bonheur que l'humanité est appe-lée à marcher sous la bannière de la Nouvelle Jéru-salem, pour, de là, arriver à cet âge d'or dont lespremiers hommes ont goûté les délices, et qui doitreparaître de nouveau sur la terre pour s'y établirdéfinitivement (1). Que tous nos efforts soient doncemployés à hâter son règne; mais sachons néan-moins que nous ne pourrons le conquérir qu'ennous soumettant aux lois de transition. C'est pargradation que l'humanité est tombée dans le mal etdans le faux; c'est de même par gradation qu'elledoit revenir au .bien et au vrai : c'est insensiblementque le culte, d'interne qu'il était, est devenu entiè-rement externe; c'est de même par transition insen-sible que, de tout à fait externe qu'il est, il faut qu'ilredevienne interne.

(1) Les hommes de la Très-Ancienne Église, dont la tradition se re-trouve chez presque tous les peuples, sous ce nom d'âge d'or, jouissaientd'un bonheur encore plus grand que ceux des Églises anciennes.

214 CONSIDÉRATIONS SUR LA CHARITÉ,

Aussi, bien que le disciple de la Nouvelle Jérusa-lem sache que le culte intérieur est la substancemême de la religion, et que le culte extérieur en estseulement la forme; que le premier est au second ceque le corps est au vêtement; qu'ainsi, chacun peutdonner à son culte extérieur la forme qu'il croit lameilleure, de même qu'il peut donner à ses vête-ments la forme qu'il lui plaît; il se gardera biennéanmoins de rester dans l'isolement pour remplirles devoirs de ce culte, lorsqu'il trouvera la possibi-lité de se réunir à d'autres frères; car il sait aussique, dans l'état actuel du milieu où nous vivons,c'est dans ces réunions que chacun puise de nouvellesforces pour continuer l'acte incessant de la Régéné-ration, seul but de la religion.

Le disciple de la Nouvelle Jérusalem sait aussi quele Seigneur ne peut pas avoir de temple plus beauet qui lui soit plus agréable que celui que lui élèvel'homme dans son intérieur, en se dépouillant de sesmaux et de ses faussetés. Il sait encore qu'il n'exis-tait pas de temple dans la Très-Ancienne Église, etque les temples n'ont commencé à être érigés surterre que quand les hommes, de célestes qu'ilsétaient d'abord, furent devenus spirituels; mais ilreconnaît en même temps que l'humanité étant des-cendue dans le degré le plus bas, il faut que leshommes, de corporels qu'ils sont aujourd'hui, pas-sent nécessairement par l'état spirituel avant de par-venir à l'état céleste, et qu'ainsi il leur devient utile

SUR LA FOI ET SUR LE CULTE. 215

d'avoir des lieux spécialement destinés à la célébra-tion du culte externe.

C'est ainsi que la Nouvelle Jérusalem, prenantl'humanité dans l'état où elle est maintenant, l'élè-vera par gradations jusqu'aux hautes destinées quilui sont promises.

216

CONSTRUCTION D'UN TEMPLE DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM

A SA1NT-AMAND *

Les Novi-Jérusalémites de Saint-Amand ayantéprouvé, en 1837, le besoin de se réunir pour prieren commun, profitèrent de la liberté que leur ac-corde la charte, et déclarèrent à l'autorité munici-pale leur intention d'exercer publiquement le cultequ'ils rendent au Seigneur. Ils n'ont eu depuis cetteépoque qu'à se louer de l'esprit de tolérance, et del'administration en particulier, et de leurs conci-toyens en général; aussi est-ce pour eux un véritableplaisir de leur témoigner publiquement ici toute leurgratitude. Ce seul fait prouvera, mieux que millephrases sonores, aux peuples d'Angleterre et desÉtats-Unis d'Amérique, nos aînés en liberté, que lesFrançais savent aussi, eux, comprendre la véritableliberté de conscience, et que, si elle n'est restée quetrop longtemps inscrite seulement dans nos lois, elleest maintenant descendue dans nos mœurs.

Après ce témoignage rendu à nos concitoyens,nous dirons que si notre culte externe a été exercé

* Voir aux notes additionnelles.

SUR LA CONSTRUCTION D\'N TEMPLE. 217

publiquement, ce n'a toutefois été que dans un localparticulier, déclaré provisoirement public. Nous nenous dissimulions pas les inconvénients qui pou-vaient en résulter pour la propagation de nos céles-tes doctrines, et nous sentions tous l'urgente néces-sité d'avoir un édifice spécial. La plupart de ceux denos frères, soit de France, soit de l'Étranger, quisont venus nous visiter, nous témoignaient aussi leurvif désir de voir s'élever, au milieu de Saint-Amand,un monument public pour l'exercice du culte de laNouvelle Église. Ainsi pressés, nous avions souventdélibéré sur les moyens à prendre pour satisfairedes désirs si naturels. Nos vœux se bornaient,pour le moment, à la construction d'un édifice pro-portionné aux besoins actuels ; et nous n'entre-voyions même pas la possibilité de l'élever à uneépoque aussi prochaine qu'on l'aurait désiré, lors-que la Providence, qui se sert des hommes pourremplir ses vues, est venue à notre secours, en nousaccordant beaucoup plus que nous ne pouvions es-pérer.

Un de nos frères, M. C , qui, comme nous tous,était naguère plongé dans les ténèbres que les aber-rations théologiques et une fausse philosophie ontaccumulées sur la généralité des hommes, trouva lesmoyens de s'en retirer, en saisissant une de cesmille circonstances que la Divinité fait naître sousles pas de tous ses enfants, pour les avertir de leurfausse route, et qu'eux négligent ou méprisent, tant

19.

218 SUR LA CONSTRUCTION D'UN TEMPLE.

est grande leur insouciance ou leur perversité ! Con-vaincu dès lors de l'origine toute divine du Chris-tianisme, mais ne pouvant le reconnaître dans lesdiverses Communions qui toutes se prétendent chré-tiennes, notre frère en avait conclu que les tempsprédits pour l'établissement d'une Nouvelle Églisedu Seigneur étaient arrivés. Il ne connaissait pas en-core les écrits de Swedenborg, et cependant toutlui disait que la Nouvelle Jérusalem descendait duCiel sur la terre; et la pensée d'élever un nouveauTemple au Seigneur germait déjà en lui.

Alors, de nouveaux incidents vinrent successive-ment le confirmer dans ses croyances. On lui com-muniqua les ouvrages de Swedenborg, et bientôtaprès il apprit que la Nouvelle Église du Seigneurexistait déjà sous des formes visibles. Ce fut pour luila bonne nouvelle, elle combla son cœur de joie;mais ne voulant pas concentrer son bonheur en lui-même, il vint à Saint-Amand pour faire connais-sance avec ses nouveaux frères : de là, il parcourutune partie de la France pour visiter des Novi-Jérusa-lémites; et, de retour à Saint-Amand, à la fin de dé-cembre dernier, il nous prévint de son intention deconsacrer une partie de sa fortune à l'édification d'unTemple de la Nouvelle Jérusalem à Saint-Amand. Cesera tout à la fois un monument simple mais impo-sant, et autant que possible en rapport avec les idéesde la Nouvelle Doctrine.

Dès le premier janvier, toutes les mesures étaient

SDR LA CONSTRUCTION D'UN TEMPLE. 219

déjà prises pour que nous puissions disposer bientôtd'un vaste emplacement situé clans un des plus beauxquartiers de la ville. Le terrain seul a été estimédouze mille francs. Tous les travaux préparatoiresseront exécutés dans le cours de cette année, de tellesorte que la première pierre puisse être posée le21 mars 1840.

Tout en pourvoyant aux choses les plus indispen-sables à la construction du Temple, M. G , estloin d'avoir la prétention d'élever seul ce monumentextérieur de la Nouvelle Église; il se joint à nouspour faire un appel à tous ceux qui, sur terre,éprouvent des sympathies pour les doctrines de laNouvelle Jérusalem. Que chacun apporte sa pierre;quelque petite qu'elle soit, elle contribuera à la con-solidation de l'édifice; et, liée par le ciment avec lesautres, elle sera l'emblème de l'effort que chacun denous doit faire pour s'unir étroitement à ses autresfrères, afin de ne faire qu'un seul homme sous la di-rection du Seigneur.

Cet appel sera entendu, nous n'en doutons pas :il n'y a point pour les disciples de la Nouvelle Jéru-salem de distinctions de races, ni de barrières denation à nation; ils sont tous frères dans le Sei-gneur, avant d'être Anglais, Américains, Allemandsou Français. Nous avons donc l'espoir d'obtenir detous côtés des assentiments et même des encourage-ments. Quoique les efforts que nous faisons pour ré-pandre la Nouvelle Doctrine partent d'hommes in-

220 SUR LA CONSTRUCTION D*UN TEMPLE.

connus, et soient dirigés sur un point presqu'ignoré,on se gardera bien de les considérer pour celacomme devant être infructueux; car il n'en est pasde la religion comme de la politique. Pour agir avecplus de chances de succès, la politique choisit ordi-nairement pour son centre d'action l'un des princi-paux foyers des relations sociales; et cela, parcequ'elle parle à tous les intérêts matériels qui fontaujourd'hui la principale occupation des hommes.La religion, au contraire, ne s'occupant que des in-térêts spirituels, n'a pas besoin, pour s'étendre, defaire un pareil choix. Le tourbillon d'une ville popu-leuse ne lui convient nullement pour répandre la se-mence et la faire germer; il lui faut, à elle, uneterre neuve et fertile où il lui soit facile de s'im-planter, et qui, par sa position centrale, puisse per-mettre aux rayons vivifiants de sa doctrine de péné-trer intimement toutes les parties du pays qu'elle estappelée à régénérer. Sous ce point de vue, l'on nesaurait trouver en France une ville qui pût, mieuxque Saint-Amand, remplir toutes ces conditions. Laville est neuve; et, plus que toute autre, à l'abri despréjugés religieux; la Nouvelle Doctrine s'y est im-plantée, et sa position géographique en faille centremême de la France (1).

La Revue étant destinée, par sa nature, à servir

(1) Une ancienne colonne milliaire placée sur !a route de Paris àClcrmont, à peu de distance de Saint-Amand, indique aux voyageurs lecentre de la France. (Itinéraire de Bourges à Saint-Amand.)

SUR LA CONSTRUCTION I)'UN TEMPLE. 221

aussi de mode de communication entre les Novi-Jé-rusalémites, pour tout ce qui peut concerner direc-tement ou indirectement les intérêts de la NouvelleÉglise, nous n'avons pas hésité à entrer dans tousces détails. Ils pourront, à la vérité, paraître oiseuxà ceux qui nous sont étrangers; mais nous avons laconviction qu'ils ne seront pas sans intérêt pour lesmembres de la famille nouvelle, qui, quoiqu'encorepeu nombreuse, n'en est pas moins destinée par laProvidence à s'étendre sur toute la surface du globe.

19*.

222

FRAGMENT RÉTROSPECTIF.

On trouve dans le Journal Encyclopédique (vol.du 1er septembre 1785, tome IV, partie 2me) unelettre du marquis de Thomé, qui montre que lesdoctrines de la Nouvelle Jérusalem avaient déjàtrouvé à cette époque quelques adeptes en France.•— Le marquis de Thomé s'occupe d'abord du grandouvrage philosophique et minéralogique de Sweden-borg :

« II y a, dit-il, dans la totalité de cet ouvragebeaucoup plus de vérités nouvelles, de connaissancesphysiques, mathématiques, astronomiques, mécani-ques, chimiques, minéralogiques, qu'il n'en faudraitpour faire la réputation de plusieurs hommes. Aussi,dès qu'il parut, il acquit à son auteur une si hauterenommée que l'académie de Stockholm s'empressade l'inviter à devenir un de ses membres. Cette pro-duction du philosophe Suédois s'étant maintenue de-puis au même degré d'estime dans toute l'Europe,les hommes les plus célèbres n'ont pas dédaigné d'ypuiser, et de s'en aider dans leurs travaux; quel-ques-uns même ont eu la faiblesse de se parer des

FRAGMENT RÉTROSPECTIF. 223

plumes du paon sans lui en faire hommage. En li-sant, dans le premier volume, page 387, le paragra-phe intitulé : De Chao universali Solis et planeta-rum, deque separalione ejus in planetas et satel-lites; et, page 438, celui : De progressione telluris,on verra combien M. le comte de Buffon a eu tort dedire, dans son discours sur la formation des planè-tes, qu'on n'avait jamais rien écrit sur cette matière ;et l'on regrettera sans doute que le Pline françaisn'ait pas profité des lumières de l'académicien deStockholm, qui, ne lui cédant en rien du côté dustyle, lui est infiniment supérieur dans tout le reste.Il suffira aussi de parcourir ce premier volume pourn'être plus étonné de l'expérience de M. Lavoisier,Swedenborg ayant fait voir, dès lors, qu'on ne de-vait pas regarder la terre et l'eau comme des élé-ments, ni les éléments comme des êtres simples.»

L'auteur de la lettre montre que la théorie del'aimant, donnée par Swedenborg, est démontréepar l'expérience, par la géométrie et par le raison-nement. Il fait ensuite l'énumération des autres ou-vrages du savant Suédois; puis abordant, malgré lesepticisme du siècle, les écrits religieux du nouvelApôtre, il s'exprime en ces termes :

« Que dire, après cela, de ses Traités théosophi-ques, où les plus grands secrets sont révélés sansemblèmes et sans allégories; où la science des cor-respondances, perdue depuis près de quatre milleans, et dont les hiéroglyphes égyptiens n'étaient que

224 FRAGMENT RÉTROSPECTIF.

des monuments et des restes inutiles, nous est enfinrendue? Je dirai que la lecture seule peut en donnerune idée; que plus on réfléchit sur les principes éga-lement nouveaux et féconds accumulés dans ces ou-vrages, et plus on en fait l'application à la nature, àsoi-même, à tout ce qui peut être l'objet de nos pen-sées et de nos affections, plus la vérité y brille, et pluson est forcé de rendre hommage à la supériorité deslumières qui les a enfantées, et d'y reconnaître lesceau d'une sagesse plus qu'humaine.

» A des connaissances si profondes et si univer-selles, Swedenborg joignant la vertu la plus pure etles mœurs les plus douces, ne dut pas être sans dé-tracteurs : aussi, en a-t-il eu, et en a-t-il encore. Jel'ai entendu décrier assez souvent dans le monde,mais toujours par un des trois motifs dont je vaisrendre compte, et dans l'unique intention d'empê-cher de le lire. Les uns, attribuant tout au hasard etne croyant qu'à la nature, craignent que les ouvra-ges lumineux du plus grand physicien et du plus su-blime théosophe qui ait encore existé, ne portent ledernier coup à leur caduc système; les autres, ayantemprunté de lui, sans le dire, tremblent, s'il devientplus connu, que leurs vols ne soient découverts; lestroisièmes, jouissant d'une considération fondée surla fausse opinion que l'on a de leur savoir, mais nepouvant cacher à eux-mêmes leur insuffisance, re-doutent l'apparition de cet astre polaire qui leséclipserait infailliblement, et les ferait bientôt ré-

FRAGMENT RÉTROSPECTIF. 225

duire à leur juste valeur. Je ne sais par lequel de cesmotifs un anonyme fit insérer, il y a environ deuxans (1783), dans le Courrier de l'Europe, surSwedenborg et ses écrits, une prétendue notice quin'était qu'un tissu d'erreurs de dates, de faux titres,de calomnies et de contraditions palpables : c'estainsi que l'amour propre, en défigurant, en falsifiantet en obscurcissant tout, est la source de tout mal etle fléau de l'humanité. Le premier travail à fairepour arriver à la vérité est donc de le combattre, dele vaincre et de l'enchaîner à jamais. Alors l'âme del'homme recouvrant sa liberté, rendue à la lumièrepour laquelle elle est née, peut planer à son gré surla nature entière, et poursuivant son vol, s'éleverjusqu'à ce monde que les hommes peu instruits re-gardent comme imaginaire, mais qui sera toujours,quoi qu'ils en puissent dire, la sphère vivifiante et levrai domicile de l'esprit humain.

» Voilà, Messieurs, ce que j'ai cru devoir rendrepublic pour l'avantage de la société, par respectpour la vérité, et par reconnaissance pour celui àqui je suis redevable de la majeure partie du peuque je sais, quoique j'eusse cherché la science, avantde le connaître, chez presque tous les anciens et lesmodernes qui ont joui de quelque réputation en cegenre. »

Le marquis de Thomé ajoute en post-scriptum :« Je viens de lire, dans la Gazette de Leyde,

qu'à Londres, ceux qui ont adopté la doctrine de

226 FRAGMENT RÉTROSPECTIF.

Swedenborg, ont formé une société adonnée à l'é-tude de ses ouvrages et à leur propagation. Onajoute que cet auteur a aussi un assez grand nombrede partisans en France, et qu'ils y sont connus sousle nom de Martinistes. Ce que M. Mercier a dit àce sujet, dans son Tableau de Paris, a vraisembla-blement induit en erreur les étrangers qui auront crupouvoir s'en rapporter à lui. Cependant, M. Merciera été on ne peut pas plus mal instruit à cet égard,étant absolument faux que les Martinistes soient par-tisans de Swedenborg. Il n'y a de commun entre cesdeux doctrines que la croyance en Jésus-Christ, etconséquemment à l'âme; elles diffèrent dans tout lereste. D'ailleurs, autant les connaissances de l'illus-tre Suédois sont étendues et toujours accompagnéesde démonstrations, autant celles des Martinistes sontbornées et couvertes du voile du mystère. »

L'erreur se propage plus vite qu'elle ne se déra-cine. Depuis cette déclaration publique du marquisde Thomé, l'on a souvent confondu les disciples dela Nouvelle Jérusalem avec les Martinistes, et cetteopinion erronée est même encore partagée par quel-ques personnes. Si les Novi-Jérusalémites t iennent àla dissiper entièrement, ce n'est toutefois que dansl'intérêt de la vérité, et pour constater un fait quedu reste chacun peut facilement vérifier; car il suffit,pour cela, de lire quelques pages de Swedenborg etde Saint-Martin. Des admirateurs de Saint-Martinont souvent, il est vrai, adopté les théories de Swe-

FRAGMENT RÉTROSPECTIF. 227

denborg, et sont devenus de fervents disciples de laNouvelle Église; mais il n'est pas à notre connais-sance qu'aucun Novi-Jérusalémite ait abandonné lesthéories de Swedenborg pour celles de Saint-Martin.

Nous avons découvert dans les papiers d'Éd. Ri-cher une lettre qui contient sur Saint-Martin quel-ques particularités qui viennent fort à propos àl'appui de ce que nous venons de dire; cette lettre,qui est du capitaine Bernard (1), renferme les pas-sages suivants :

« Un parent, un ami de Saint-Martin, que j'ai eul'avantage de connaître à Amboise, où il habite en-core la maison du théosoplie, a bien voulu me don-ner communication de quelques lettres adressées àl'auteur de l'Homme de désir par des amis Chré-tiens... Ce parent de Saint-Martin est un vieillardseptuagénaire, nommé M. Tournyer; sa conversationest d'un grand intérêt pour les amis du Philosopheinconnu, pour lequel il conserve une vive affection.Il se rappelle avoir écrit sous sa dictée le Ministèrede ïhomme-esprit. Il m'a appris que, quoiqueSaint-Martin eût très-peu lu Swedenborg, dont ilcroit se rappeler qu'il ne connaissait que le Traitédu Ciel et de l'Enfer, il avait proposé unesouscription pour faire imprimer la traduction de

(1) Le capitaine Bernard, décède' en 1828, fut le plus ardent propa-gateur des doctrines de la Nouvelle Église en France. Nous espéronsque nous serons bientôt en état de faire connaître ses importants Ira-

228 FRAGMENT RÉTROSPECTIF.

Moët, de Versailles. M. Tournyer m'écrivait lui-même en septembre 1825 : « Swedenborg mérite» bien d'être votre auteur favori ; c'est un véritable» prophète, envoyé pour le temps présent, afin den nous annoncer la Nouvelle Jérusalem, et de nousn préparer à l'établissement de son règne. M. de» Saint-Martin s'accorde avec lui pour l'annoncer.» Ces nouvelles faveurs que Dieu daigne accorder» tendent surtout à expliquer le sens intérieur des» Écritures-Saintes. »

Voici donc un parent, un ami, un admirateur deSaint-Martin qui reconnaît la mission prophétique deSwedenborg; et nous ne doutons pas que l'auteur del'Homme de désir ne l'eût lui-même reconnue, s'ilne se fût pas contenté de lire seulement un de sesouvrages. Du reste, enthousiasmé des écrits de JacobBœhme, qu'il a traduits en français, Saint-Martinn'a pu lire les Merveilles du Ciel, par Swedenborg,avec toute la liberté d'esprit nécessaire pour jugercet ouvrage; cependant, quelque superficielle qu'aitété cette lecture, il faut néanmoins qu'elle ait faitune grande impression sur lui, puisqu'au rapport deM. Tournyer, il avait proposé une souscription pourfaire imprimer la traduction des ouvrages du théo-sophe Suédois.

229

SUR LA PAROLE.

Toutes les Communions chrétiennes ont toujourseu pour la Parole un respect profond, car c'est ellequi est la base du Christianisme, le Seigneur étantvenu pour accomplir la loi et non pour l'abolir.Mais, à quelque degré que soit porté, en général, cerespect pour le Livre Saint, il n'est aucun Chrétienqui puisse avoir pour lui une aussi grande vénéra-tion que le Disciple de la Nouvelle Jérusalem.

Cette profonde vénération vient de ce qu'aumoyen des nouvelles vérités révélées à Swedenborg,le Novi-Jérusalémite peut se convaincre pleinementet librement que la Parole, dans son sens le plus in-time et le plus caché, est Dieu lui-même ou le Sei-gneur; que tout a été créé par cette Parole, et quec'est elle qui conserve tout. Il sait par conséquentque, dans ce sens intime, la Parole surpasse infini-ment la compréhension de tout être créé; mais ilsait en même temps que, dans son sens spirituel etdans son sens naturel, elle est adaptée à l'entende-ment des anges et des hommes, parce que la Divinité

20.

230 SUR LA PAUOLE.

y prend divers voiles appropriés aux diverses capa-cités de ses créatures, sans cesser pour cela d'y êtremoins présente.

Si, dans le monde, il y avait encore de la vraie foi,de cette foi qui prend sa source dans l'amour dubien général, il sutfirait, pour prouver ces hautesvérités, de citer ces expressions du Seigneur dansJean : « Au commencement était la Parole, et la Pa-» rôle était chez Dieu ; et Dieu elle était, la Parole !» Toutes choses par Elle ont été faites. » Mais, dansun siècle aussi sceptique que le nôtre, et au milieudes ténèbres spirituelles où nous ont jetés les aber-rations théologiques, une semblable preuve n'est auxyeux du philosophe qu'une pétition de principes; etsi le théologien semble l'admettre, ce n'est queparce qu'il y est obligé par état. Arrivée à un tel de-gré d'obscurité spirituelle, l'humanité ne peut êtreramenée que par transition à la vraie lumière; et,dès lors, il devient nécessaire de procéder par com-paraison, en lui présentant, autant que possible,des arguments tirés des choses naturelles et suscep-tibles par conséquent d'être saisis par elle.

L'homme n'est homme que parce qu'il a des affec-tions et des pensées. Lorsque les paroles de l'hommesont l'expression même de ses affections et de sespensées, l'on peut dire à juste titre qu'elles sontl'homme même. Les fixe-t-on au moyen de l 'écritureou de la typographie, elles deviennent par là unsigne permanent de l'état où s'est trouvé l'homme,

SUR LA PAROLE. 231

lorsqu'il les a prononcées. C'est ainsi qu'un auteurconsciencieux est tout entier dans ses écrits; car cesont ses affections et ses pensées de chaque jourqu'il a transmises au papier sans aucun déguise-ment. Fénélon n'est-il pas dans ses œuvres plutôtque dans les caveaux de la cathédrale de Cambrai?Que verrions-nous dans son tombeau? des cendres;tandis que nous l'avons véritablement devant lesyeux de notre esprit, lorsque nous lisons les bellespages qu'il a écrites.

Si la parole de l'homme droit et sincère est l'hom-me même, n'en devons-nous pas conclure que laParole de Dieu est Dieu Même? Que verrions-nousdans la vieille Jérusalem? un sépulcre. Dans la Bible,c'est Dieu Même que nous voyons, voilé, il est vrai,mais non moins présent pour cela, et toujours prêtà échauffer ros cœurs et à éclairer nos esprits, sinous n'y mettons pas obstacle. Nos ancêtres dumoyen âge couraient visiter le sépulcre du Sei-gneur : dans leur ignorance, ils préféraient ce signematériel et visible à sa Parole qui est esprit et vie;mais s'ils cherchaient ainsi à ranimer leur foi par lavue d'objets extérieurs, c'est parce que les erreursthéologiques ne leur permettaient plus de voir leSeigneur dans sa Parole. Telle fut, en dehors descauses morales et politiques, la cause interne du be-soin que l'on ressentait de faire des pèlerinages; caril y avait encore de la foi; mais cette foi, ayant cesséd'être le vêtement de la charité, n'était plus la vraie

232 SUR LA PAROLE.

foi. Ce ne sont pas des voyages lointains, ce ne sontpas des privations d'objets nécessaires à la vie quiplaisent au Seigneur; ce qu'il demande, c'est unemarche franche dans les voies qu'il nous a tracéesdans sa Parole, c'est la subjugation des passions quinous empêchent de les suivre. Un sépulcre ne sauraitêtre vu que d'un petit nombre d'hommes; la Parole,par suite de l'imprimerie, peut déjà être lue et en-tendue par un grand nombre, et le temps approcheoù elle le sera par tous. C'est ainsi que le Dieu del'univers a voulu être accessible à toutes ses créa-tures.

La parole, dans son acception la plus étendue, estl'expression de la pensée procédant de l'affection ;c'est le moyen par lequel l'homme se manifeste exté-rieurement, ou, en d'autres termes, c'est le moyenpar lequel la pensée de l'homme, produite par sonaffection, passe dans l'acte. Ainsi considérée, la pa-role n'est pas seulement ce qui est produit par dessons et par des articulations, mais c'est encore toutce qui est exprimé, soit par des gestes, soit par lemoindre mouvement des fibres du visage, de tellesorte qu'on peut affirmer que tout ouvrage de l'hom-me est le résultat de sa parole prise dans cette ac-ception large.

Ce que nous venons de dire peut s'appliquer à laParole Divine. En effet, la Parole de Dieu, c'est l'ex-pression de sa Sagesse procédant de son Amour; caren Dieu la pensée est la Sagesse Même, et l'affection

SUR LA PAROLE. 233

est l'Amour Même : c'est aussi le moyen par lequelil se manifeste dans l'univers, qui, à l'égard deDieu, est l'extérieur, de même qu'il Testa l'égard dechaque homme; ou, en d'autres termes, c'est lemoyen par lequel la Sagesse Divine, produite parl'Amour Divin, passe dans l'acte, pour répandre lavie dans toute la création. La Parole Divine, ainsiconsidérée, n'est pas seulement ce que nous pouvonsdécouvrir de bien et de vrai dans le Livre Saint,mais c'est encore l'ensemble de toutes les bontés etde toutes les vérités qui émanent de Dieu, et qui sontcachées dans l'intime de chaque phrase, de chaquemot et de chaque accent de sa Parole, comme l'affec-tion de l'homme est renfermée dans le moindre ac-cent de sa voix et dans son moindre geste; de sortequ'on peut aussi affirmer que l'œuvre de Dieu a étéle résultat de sa Parole, c'est-à-dire que touteschoses par la Parole ont été faites, ainsi qu'il estdit dans Jean.

De ce que la parole, prise dans son acception laplus large est le moyen par lequel l'homme se mani-feste extérieurement, il en résulte qu'elle n'est autrechose que l'homme agissant; la Parole de Dieu estdonc aussi Dieu ou le Seigneur agissant. Or, l'actionincessante du Seigneur qui est l'Amour Même et laSagesse Même, tendant à conserver l'univers, en ra-menant au bien et au vrai les hommes pour lesquelsil l'a créé, l'on doit en conclure que c'est la Parolequi conserve tout.

20*.

234 SUR LA PAROLE.

Si nous avons employé des comparaisons tirées del'ordre naturel, c'est pour engager par là le philo-sophe incrédule et le théologien de profession à mé-diter sérieusement sur les vérités les plus utiles et lesplus indispensables à l'homme.

Mais, nous dira-t-on, cette Parole, comment a-t-elle pu être transmise aux hommes? comment sur-tout reconnaître son caractère dans le livre que l'onnous présente comme la renfermant? Quoique nousayons souvent répondu à de semblables objections,ce point est si important qu'on ne saurait trop insis-ter pour convaincre les esprits. De ce que la Bibleest écrite comme les livres des hommes, et souventmême dans un style moins élégant et moins correct,on est naturellement porté à douter qu'elle soit laParole même de Dieu : mais pour se faire compren-dre des hommes et les ramener à Lui, Dieu ne de-vait-il pas avoir recours au langage des hommes !Pour se faire comprendre du sauvage et l'élever jus-qu'à lui, l'homme civilisé n'est-il pas obligé d'ap-prendre son jargon et de se conformer d'abord à sesidées? Pourrait-il sans cela obtenir quelque résultatsatisfaisant? Ce n'est qu'en s'abaissant jusqu'à luiqu'il peut le faire sortir de son état de dégradation.Ainsi ont agi tous ceux qui sont parvenus à remplircette belle tâche, car telles sont les lois de l'Ordre.Dieu qui n'agit jamais que conformément aux lois deson Ordre Divin, a toujours, au moyen d'hommes in-spirés, transmis sa Parole Divine, en l'adaptant aux

SUR LA PAROLE. 235

mœurs et au langage de l'époque. De là, ces passagesqui, pris à la lettre, paraissent si opposés à la ma-jesté et à la justice de l'Être Divin ; mais ce sont au-tant de locutions selon les apparences (1). Quant austyle, si celui de l'Évangile, par exemple, est moinsélégant et moins correct que celui des auteurs con-temporains, c'est, pourrions-nous dire aux hommesdu monde, parce que l'Évangile devait être à la por-tée de toutes les intelligences; et que si les écrivainsne s'adressent d'ordinaire qu'à un public choisi,Dieu s'adressait au genre humain tout entier. Maisnous allons bientôt voir pourquoi la Parole a étéécrite dans un tel style.

La Parole de Dieu a existé de tout temps; car l'u-nivers a été créé par elle, comme nous l'avons pré-cédemment montré, et c'est par elle qu'il y a com-munication du Ciel avec la terre; du reste, sans elle,l'univers ne saurait subsister, puisqu'elle est DieuMême : cependant elle n'a pas toujours existé soussa forme actuelle. Outre la Parole que nous possé-dons, il y eut, nous dit Swedenborg, une Paroledans la Très-Ancienne Église qui exista avant l'épo-que désignée sous le nom de déluge, et il y en eutune autre dans l'Église Ancienne qui succéda, aprèscette époque, à l'Église Très-Ancienne.

Dans l'Église Très-Ancienne, la Parole n'était pas

(1) Voir dans l'explication de l'Apocalypse, première livraison,page 11, ce qu'on entend par locutions selon les apparences.

236 SUR LA PAROLE.

écrite, elle était révélée à chaque membre de l'Égli-se; car l'Église était composée d'hommes célestes,ayant la faculté de percevoir le bien et le vrai,comme les anges avec lesquels ils étaient en consocia-tion; ainsi, la Parole était inscrite dans leurs cœurs.Tout ce que ces hommes voyaient de leurs yeux, ousaisissaient par quelques-uns de leurs sens, était poureux une représentation ou une signification des cho-ses célestes et spirituelles, de sorte qu'ils pensaientà ces choses, en voyant les objets mondains et ter-restres, ou en les saisissant par quelque autre deleurs sens. Ce n'est que de cette manière qu'ils pou-vaient parler avec les anges; car, ce qui est célesteet spirituel chez les anges, se transforme, lorsqu'ilparvient chez l'homme, en objets qui sont de cemonde. De là vinrent les représentatifs et les signi-ficatifs dont se compose toute Parole écrite; car laTrès-Ancienne Église s'étant détournée de la voie deDieu, et par suite la communication avec les angesayant commencé à cesser, les représentatifs et les si-gnificatifs furent recueillis par ceux que la Genèsedésigne sous le nom d'Hénoc.

L'homme de l'Ancienne Église, au lieu d'être cé-leste comme celui de la Très-Ancienne, était spiri-tuel ; en conséquence, il savait ce que les représen-tatifs et les significatifs enveloppaient, mais il ne lepercevait pas; et comme ce qu'ils enveloppaient étaitdivin, ces représentatifs et ces significatifs furentemployés dans le culte, pour qu'il y eût, par ce

SUR LA PAROLE. 237

moyen, communication avec le Ciel. Dans cette Égli-se, la Parole était écrite; elle se composait, commecelle de l'Ancien Testament, d'une partie historiqueet d'une partie prophétique. Sa partie historiqueétait écrite en style prophétique; mais la plupart deshistoires étaient purement symboliques, comme cellesque renferme la Genèse depuis son commencementjusqu'au Chapitre onzième. La partie historique s'ap-pelait les Guerres de Jéhovah, et la partie prophé-tique les Énoncés. Moi'se en parle dans le livre desNombres. — XXI. 14, 27. — Cette Parole se perditpar la suite des temps.

A la Parole de l'Église Ancienne succéda celle del'Église Judaïque, que nous possédons; celle-ci futsemblablement écrite en représentatifs et en signifi-catifs, pour qu'elle renfermât en soi un sens interne,afin qu'il y eût ainsi communication par elle entrele Ciel et la terre. Si chacune des choses qui sontdans la Parole ne représentait pas des objets divinset par conséquent célestes et spirituels, et si chacundes mots qui servent à décrire ces choses ne signi-fiait ou ne désignait pas ces objets, la Parole ne seraitpas divine; et c'est parce qu'il en est ainsi, qu'ellen'a pu être écrite dans un autre style ; car ce n'estque par ce style seul que les choses ainsi que les pa-roles humaines correspondent, jusqu'au moindre ac-cent, avec les objets et les idées célestes. De là vientque si la Parole est seulement lue par un enfant, leschoses divines qu'elle renferme sont perçues par les

238 SUR LA PAROLE.

Quant à ce qui concerne la Parole transmise parles Évangélistes, comme le Seigneur la prononça parson Divin Même, tout ce qu'elle renferme est repré-sentatif et significatif des choses divines.

Il résulte de tous ces détails, puisés dans Sweden-borg, que la Parole fut d'abord inscrite dans lecœur des hommes ; que par cette conjonction deDieu avec ses créatures, il y avait communication dela terre avec le Ciel; que les hommes s'étant détour-nés des voies de Dieu, la Parole fut alors révélée àdes inspirés et fixée par l'Écriture, afin que la com-munication avec le Ciel ne fût pas entièrement rom-pue; que cette Écriture consistait en locutions re-présentatives et en mots significatifs, afin qu'enconservant son unité, la Parole servît en mêmetemps aux anges et aux hommes; et enfin, qu'à lachute de chaque Église, Dieu accorda sa Parole àl'Église Nouvelle qu'il formait, en la revêtant de re-présentatifs et de significatifs appropriés à l'état etaux besoins de cette Église.

Les ténèbres spirituelles sont maintenant si gran-des qu'on est loin de se douter que le genre humainne puisse subsister sans la Parole ; cependant, commela communication avec le Ciel ne peut exister quepar elle, si, par suite de sa falsification et de sonadultération, elle ne pouvait plus trouver accès dansaucun cœur, le genre humain, privé de la lumièredivine, et par conséquent de toutes les véritables no-tions du juste et de l'injuste, tomberait dans des er-

SUR L\ PAROLE. 239

reurs si profondes et dans des maux si épouvantablesqu'il se détruirait lui-même, et disparaîtrait ainside la surface du globe. Sans la Parole Divine, leshommes n'auraient jamais pu avoir aucune idée deDieu ni de l'immortalité de l'âme. En effet, toutesles cosmogonies et tous les cultes qui ont existé dansl'univers n'étaient que des altérations plus ou moinsgrossières de la Parole qui précéda celle qui futdonnée à Moi'se.

La Parole étant Dieu Même, c'est-à-dire, l'ensem-ble de tous les biens et de toutes les vérités par les-quels l'univers existe et subsiste; et toutes ces per-fections de la Divinité étant cachées dans l'intime dechaque phrase, de chaque mot, de chaque accent quila composent, il en résulte qu'elle est, comme Dieului-même, impénétrable & l'homme et à l'ange, quantà son essence même ou quant à son intime; maiselle est en même temps appropriée à tous les besoinsspirituels et célestes de l'ange et de l'homme, quantà ses sens intérieur et extérieur.

C'est parce que la Parole est ainsi infinie et iné-puisable, que l'homme devenu esprit peut subsisteréternellement, et jouir d'un bonheur qui devientpendant toute l'éternité de plus en plus grand.L'homme, dans le monde immatériel, ainsi quel'homme sur cette terre, ne vit que par ses affectionset par ses pensées. Si l'ange le plus pur parvenait aupoint de n'avoir plus à acquérir de nouvelles affec-tions et de nouvelles pensées, sa vie deviendrait mo-

240 SUR LA PAROLE.

notone, ou pour mieux dire elle cesserait d'être cé-leste, parce que l'ennui s'emparant de lui, il finiraitpar devenir plus malheureux que ne l'est sur terrel'homme attaqué du spleen. Celui-ci du moins saitqu'un jour la mort viendra le délivrer de sa tristeexistence; mais avoir en face de soi l'éternité, sansaucune espérance de voir augmenter ses affections etaccroître ses pensées, ce serait le supplice le plusintolérable. Mais la Parole étant infinie et inépuisa-ble, quelque soit le degré d'amour et de sagessed'un ange, il puisera éternellement en elle des af-fections de plus en plus pures, des pensées de plusen plus élevées, sans aller cependant jusqu'à pouvoirpénétrer tout son intime, parce que si le fini parve-nait jamais à comprendre l 'infini, il serait Dieu, cequi est impossible : Dieu est un, et il restera éter-nellement un.

Les disciples de la Nouvelle Jérusalem pouvant seconvaincre par l'étude de leur doctrine que le DivinMême est renfermé dans l'intime de la Parole, iln'est pas étonnant que leur vénération pour elle soitportée au plus haut degré.

241

COUP D'OEIL

SUR L'ÉTAT DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM.

Lorsque nous entreprîmes, il y a un an, la publi-cation de la Revue, nous comptions avec confiancesur la sympathie de ceux de nos frères avec lesquelsnous avions déjà des relations; nous espérions obte-nir le concours de ceux dont l'existence ne nousétait pas encore connue, mais que nous supposionsoccupés isolément des célestes doctrines de la Nou-velle Dispensation, et nous étions convaincus que ledéveloppement successif des théories de la NouvelleJérusalem conduirait dans nos rangs les hommes dedésir qui cherchent en vain la pure vérité, soit dansles diverses Communions chrétiennes, soit dans lesdifférents systèmes philosophiques.

Nos espérances, loin d'être frustrées, ont été dé-passées; nous avons vu chaque jour nos relationss'étendre, non-seulement dans l'intérieur de laFrance, mais aussi à l'extérieur. Nous avons reçu denos frères d'Angleterre et des États-Unis d'Améri-que des témoignages de la plus franche cordialité etde la plus vive affection. L'Église n'ayant pas encore

2l.

242 LA LITTÉRATURE COMMENCE

reçu en Allemagne une organisation extérieure, nousn'avons pu correspondre qu'avec des frères isolés,mais nous pouvons compter sur une coopération gé-nérale. Déjà nous avons quelques relations avec laSuisse, et nous en aurons bientôt avec tous les paysdu Nord, où nous savons que nos doctrines ont denombreux adeptes.

Tant de résultats obtenus en une seule année se-raient déjà bien propres à nous encourager dansl'accomplissement de la tâche que nous avons entre-prise, si, d'ailleurs, nous n'avions, pour principalsoutien dans nos travaux, une confiance illimitéedans le Seigneur et dans ses promesses pour sa Nou-velle Église.

La littérature commence à s'occuper de Sweden-borg et de la Nouvelle Doctrine.

Dans une notice sur Edouard Richer, insérée à latête du premier volume de ses œuvres littéraires (1),M. Emile Souvestre, l'un de ses biographes, a étéamené, par la nature du sujet, à parler de Sweden-borg et de la Nouvelle Doctrine. Jusqu'ici, tous ceux

(1) Edouard Richer, quoiqu'à peine connu des gens du monde, adéjà trouvé deux biographes. Un littérateur breton, M. Piet, a consacrésa plume à écrire des mémoires sur sa vie et ses ouvrages; ces mé-moires forment le premier volume des œuvres l i t téraires, dont l 'édiliona été entreprise par M. Camille Mellinet, qui a vécu dans la plus grandeintimité avec Kicher.

A S'OCCUPER DE u NOUVELLE DOCTRINE. 243

qui, étrangers à cette doctrine, s'étaient occupés deSwedenborg, avaient puisé leurs renseignementsdans des dictionnaires biographiques qui répétaienttous, selon l'usage, les erreurs grossières renferméesdans un article fait par ses adversaires. M. EmileSouvestre a eu le bon esprit de sortir de cette voiefausse, et nous avons vu avec plaisir qu'il avait puiséà des sources plus pures.

« Celui, dit-il, qui, après Descartes, remua le plusd'idées nouvelles, ce fut Swedenborg qui, dans unun ouvrage intitulé : Opéra Philosophica et Mine-ralia, publié en 1737, entrevit le premier la scienceà laquelle nous avons donné depuis le nom de géolo-gie. La 2me partie de son livre contient un systèmecomplet de Métallurgie, auquel l'Académie des Scien-ces a emprunté tout ce qui a rapport au fer et à l'a-cier dans son Histoire des Arts et Métiers. Il com-posa aussi plusieurs ouvrages sur l'Anatomie (ce quiest un nouveau trait de ressemblance avec Descar-tes), et sembla même indiquer, dans un Chapitre surla Pathologie du cerveau, le système phrénologiqueauquel le docteur Gall dut plus tard sa célébrité.Il publia enfin, sous le titre de Dœdalus Hyperbo-reus, des essais de mathématiques et de physique,qui fixèrent l'attention de ses contemporains. Il étaiten outre fort versé dans les études théologiques,parlait les langues anciennes, plusieurs langues mo-dernes, les langues orientales, et passait pour le plusgrand mécanicien de son siècle. Ce fut lui qui fit

244 LA LITTÉRATURE COMMENCE

amener par tepre au siège de Frederick-Hall, en seservant de machines de son invention, la grosse ar-tillerie, qui n'avait pu être transportée par lesmoyens ordinaires.

» Loin d'être écrit dans un langage mystique,comme on le croit communément, la plupart desTraités religieux de Swedenborg se recommandentpar la méthode, l'ordre et la sobriété. Ils peuvent separtager en quatre classes, que l'on n'aurait jamaisdû confondre : la première renferme les livres d'en-seignements et de doctrines; la seconde, les preuvestirées de l'Écriture Sainte; la troisième, les argu-ments empruntés à la métaphysique et à la moralereligieuse; enfin, la quatrième, les révélations exta-tiques de l'auteur. Les ouvrages compris dans cettedernière catégorie sont les seuls qui aifectent la for-me apocalyptique, et dont l'extravagance apparentepuisse choquer au premier aspect. Ce fut précisé-ment ceux que Richer lut d'abord. L'impressionqu'il en reçut fut complètement défavorable à ladoctrine de Swedenborg; mais c'était un hommetrop éclairé pour ne point se défier de ses lumières,et de trop de bonne foi pour ne point soupçonnerlui-même sa partialité. Comprenant que la questionétait trop grave pour être si promptement résolue,il ouvrit un débat entre sa répugnance et sa raison,et se mit à chercher la vérité avec une ardeur pleinede précautions. Jaloux d'apprécier la Doctrine Nou-velle, il voulut sonder en tout sens ; il appela à son

A S'OCCUPER DE LA NOUVELLE DOCTRINE. 245

secours l'immense érudition qu'il avait acquise, afinde vérifier tous les éléments de cette religion; il en-tassa recherches sur recherches, objections sur ob-jections; mais plus il montait, plus l'horizon deve-nait vaste. « J'avais beau, dit-il, ajouter pierre sur» pierre à ma tour de Babel, la Jérusalem céleste» que je voulais escalader semblait s'élever et gran-» dir à mesure. Je montais au haut des sciences hu-» maines pour nier; et, arrivé là, je ne pus que flé-» chir le genou et croire. »

» Edouard Richer a surtout voulu, dans ses œu-vres religieuses, populariser la doctrine du nouvelAvènement, en la présentant sous les formes lesplus saisissables. Nous avons hésité longtemps àdonner l'analyse de ce travail qu'il n'a pu débaras-ser entièrement des mystiques nuages qui obscurcis-sent toujours de pareilles matières (1) ; mais nousavons réfléchi qu'il n'existait encore en France nulrésumé sommaire du Swedenborgisme, et qu'il pour-rait sembler curieux d'en trouver les principalescroyances exposées en quelques pages (2). Aucun

(1) II n'y a nuage que pour ceux qui commencent à étudier le sys-tème; on ne peut passer des ténèbres à la lumière, sans que celle-cine paraisse d'abord nébuleuse.

(2) Ce n'est pas en quatre pages que l'on peut résumer Swedenborg.Du reste, nous ne pouvons que savoir gré à M. Emile Souvestre dutravail auquel il s'est livré. Son résumé pourra dissiper bien des pré-ventions, et engager ceux qui cherchent la vérité à étudier nos doc-trines.

21*.

246 LA LITTÉRATURE COMMENCE

système religieux ne peut, d'ailleurs, être émis,sans intéresser tout ce qu'il y a en nous de saint etde grand. L'idée de Dieu est une clé de voûte, quela main d'un enfant lui-même ne toucherait pas im-punément. Puis, enfin, il faut bien le reconnaître,quand une religion est défendue par des hommescomme les Tafel, les Clowes, les Hindmarsh, les No-bles, les Hofaker, les Richer ; quand elle a des jour-naux, des prêtres, cinquante Églises en Angleterre,soixante en Amérique, et qu'elle compte plus dequatre cent mille fidèles, on ne peut se refuser à voirau moins en elle un événement social digne d'étude,sinon de sympathie. » (1)

M. É. Souvestre donne l'exposé dont il vient deparler, et termine ainsi sa notice sur Richer :

« Une chose a pu frapper dans le rapide exposéqui précède : c'est la liaison rigoureuse des diversesparties du système, et la présence d'esprit ingénieuseavec laquelle tout est prévu. Aussi, de quelque ma-nière qu'on juge le Swcdenborgisme, on est forcéd'y reconnaître cette harmonie et cette prévoyancelogique qui prouvent au moins le génie, quand ellesn'attestent pas la vérité (2).

(1) La tendance générale des écrits de M. Emile Souvestre nous adonné de lui une trop haute opinion, pour que nous ne soyons pas con-vaincus qu'un jour viendra, et ce jour n'est peut-être pas éloigné, oùtoute sa sympathie sera entièrement acquise aux doctrines de la Nou-velle Jérusalem.

(2) L'auteur de la notice ne peut encore parler que comme un hom-

A S'OCCUPER DE LA NOUVELLE DOCTRINE. 247

» Richer ne s'est pas borné à développer le sys-tème religieux de Swedenborg; il en a préparé l'ac-ceptation en prenant la question au point de vue dudoute, et conduisant le lecteur progressivement à lafoi. La première partie de son ouvrage est consacréeà défendre la révélation chrétienne, et à prouverqu'elle peut s'allier à la liberté d'examen la plus en-tière. C'est le plus souvent sous la forme du dialogueque Richer discute ses thèses. Si son livre y perdquelque chose sous le rapport de l'ordre et de labrièveté, il y gagne beaucoup en verve, en clarté etet en bonhomie.

» Nous ne croyons pas que, depuis Érasme, on aittraité les matières religieuses avec une logique à lafois si vive et si grave, si concluante et si fleurie. »

La publication de cette notice sur Éd. Richer apour nous une grande importance. Ce ne sont plusmaintenant les seuls disciples de la Nouvelle Jérusa-lem qui s'occupent des théories de Swedenborg;voici un littérateur distingué de la capitale qui en en-tretient le public. Il présente, il est vrai, ces théoriesavec la réserve que lui prescrit sa position d'hommedu vieux monde. Pour lui, ce n'est encore qu'unsystème dû au génie; il n'ose se prononcer, il reste

me du monde ; il trouve du génie, là où il ne verrait bientôt plus qu'unerévélation divine, si, poussé, par l'exemple de Richer, à mépriser lafausse gloire que distribuent les hommes, il se mettait à la recherchede la vérité, avec cette même ardeur qu'il admire déjà dans celui donlil s'est fait volontairement le biographe.

248 LA LITTÉRATURE ET LA NOUVELLE DOCTRINE.

dans le doute ; mais qu'y a-t-il là d'étonnant? Lors-qu'on vit dans un milieu où tout n'est que men-songe, être en suspens entre, l'erreur commune et lavérité qui tend à se répandre, c'est déjà avoir faitun grand pas. N'avons-nous pas, nous aussi, passétous par le doute, avant d'arriver à une entière con-viction? N'est-ce pas là, selon notre doctrine même,le moyen qui conduit le plus sûrement à une foi ro-buste? En effet, tout est soumis aux lois de transi-tion, aussi bien dans l'ordre spirituel que dans l'or-dre naturel; et, en fait de croyances, il n'y a desolides et de permanentes que celles qui ont été ad-mises avec une pleine liberté et une entière ratio-nalité.

249

SUR LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE.

Le Prospectus qui annonçait notre publicationavait à peine paru, que déjà nous étions en butteaux attaques des Catholiques-Romains et des Protes-tants. Nous répondîmes aux uns et aux autres, dansnos premières livraisons, avec toute la modérationpossible; et depuis, quoique nous ayons été conduits,par la nature même des matières que nous traitions,à parler souvent des erreurs de ces deux Commu-nions chrétiennes, elles ont toujours gardé le silencele plus profond. Loin de s'en étonner, l'on ne doitvoir là qu'un silence calculé, qu'une mesure conseil-lée par la prudence. En effet, plusieurs de leurschefs connaissent assez nos doctrines, pour s'êtreaperçus que si une discussion sérieuse s'engageait,ils seraient dans l'impossibilité de la soutenir enprésence d'un public éclairé et impartial. S'ils ontd'abord parlé de nos doctrines, c'est parce qu'ilétait dans leur intérêt de prévenir les esprits contreelles, avant même qu'elles fussent présentées. Maiscontinuer de s'en occuper, ce serait provoquer l'exa-

250 SUR LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE.

men de cette classe de lecteurs qui ne jugent passans entendre, et qui veulent connaître avant de pro-noncer; aussi s'en sont-ils bien gardés. On ne doitdonc pas chercher ailleurs la cause de leur silence.Leurs journaux, imitant certaines feuilles politiques,refusent même l'insertion des lettres les plus bien-veillantes, pour peu qu'elles renferment quelquesdiscussions graves, qui ne soient pas en tous pointsconformes à leur manière de voir, lors même queleur contenu est de nature à appeler l'attention dupublic sur une matière du plus haut intérêt reli-gieux.

Leur prudence, en pareil cas, ne date pas d'au-jourd'hui. Vers la fin de 1837, un journal protes-tant, les Archives du Christianisme du dix-neu-vième siècle, publia, sur l'accord de la Bible avec lascience, un article dont la direction erronée étaitplutôt de nature à compromettre le Christianismequ'à lui être utile. A la lecture de cet article, un vé-ritable Chrétien, entièrement dévoué à la recherchede la vérité, adressa au Rédacteur des Archives, unelettre conçue dans les termes les plus convenables,demandant que ses observations fussent accueillies,si elles étaient trouvées justes, ou rectifiées si ellesétaient erronées. On lui répondit par un billet, à lavérité fort poli, mais on refusa l'insertion.

Aujourd'hui que la Nouvelle Jérusalem peut aussis'adresser au public, par le moyen de la presse pé-riodique, il importe de revenir sur ce sujet; et pour

SUR LA POLÉHIQUE RELIGIEUSE. 2ol

qu'on puisse juger en parfaite connaissance de causes'il y avait motif suffisant de refus, nous donneronsen entier l'article des Archives.

Cet ARTICLE des Archives du Christianisme, et la LETTRE deM. F. P. au Rédacteur de ce journal, sur l'interprétation delà Bible,devant faire partie du Tome V des Mélanges, le lecteur pourra s'y re-porter.

Maintenant qu'on a sous -les yeux l'article des Ar-chives, et la lettre dont l'insertion a été refusée, onpeut facilement se convaincre qu'il s'agissait, nond'observations qu'on peut négliger sans inconvé-nient, mais d'un point de la plus haute gravité ; carl'on n'ignore pas que le Protestantisme, rejetanttout sens interne des Écritures, veut absoluments'en tenir à la lettre. Or, vouloir concilier la scienceavec le sens littéral pur, c'est entreprendre unetâche impossible, et nous dirons même, dangereuse.En effet, dans une société telle que la nôtre, et dansun moment où les esprits, fatigués des déceptions dela philosophie seusualiste, éprouvent le besoin d'i-dées religieuses, tout l'avenir du Christianisme peutdépendre, du moins en France, de la manière donton le présentera aux yeux des hommes que la scienceeu a détournés, et dont l'ascendant sur leurs conci-toyens est aujourd'hui si puissant.

C'est avec les ménagements les plus grands queM. F. P. a soumis ses observations aux Archives duChristianisme; il a par là rempli le devoir d'un

252 SUR LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE.

ami sincère de la religion. Le refus d'insérer unelettre qui indiquait avec tant de modération la faussedirection qu'on avait prise, prouve évidemment queles Archives n'avaient aucun argument solide à op-poser, et qu'elles persistent à vouloir suivre une voiepernicieuse pour le Christianisme en général. Il estdonc aussi de notre devoir de Chrétien d'insister,pour leur montrer dans quelle impasse elles vont setrouver engagées, afin que du moins les hommes dumonde, qui sont fatigués de vivre sans religion, nepuissent pas attribuer au Christianisme les fautes deses imprudents défenseurs.

Nous dirons d'abord aux rédacteurs des Archi-ves : Quand les arguments que vous avez présentésauraient été de nature à ne pouvoir être contestés,en seriez-vous beaucoup plus avancés? Réfléchissezdonc que pour établir votre système avec solidité, ilne suffit pas seulement de prouver que tel Verset dela Bible, qui jusqu'ici paraissait être en contradic-tion avec la science, est maintenant d'accord avecelle ; il faudrait encore prouver qu'il en est de mêmede la Bible tout entière, ou tout au moins faire voirqu'en raison des preuves incontestables données surcertains points, on est en droit de conclure que, parsuite des découvertes que fera la science, les autrespassages pourront être de même conciliés. Mais c'estce que vous ne parviendrez jamais à faire, lors mêmeque pour couper le nœud, et vous tirer d'embarras,vous auriez recours au miracle; car le sens littéral

SUR LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE. 253

de la Genèse renferme nombre de passages qu'on nesaurait expliquer, même en employant ce moyen.Que répondrez-vous donc, non-seulement aux objec-tions des incrédules, mais encore à celles que vousferont des Chrétiens de bonne foi, qui, vous voyantexpliquer par la science certains passages, vous fe-ront remarquer l'impossibilité absolue d'en expliquerd'autres?

Croyez-vous que les divers exemples, que vousavez cités dans votre article, soient propres à faireune grande impression sur les savants? Nous ne par-lerons pas des deux premiers, M. F. P. les a exami-nés dans sa lettre. Yotre argument sur la naissancedes montagnes repose sur une interprétation quebeaucoup de personnes pourraient regarder commeforcée. Votre remarque sur le terme de globe em-ployé par Ésai'e, en parlant de la terre, pourraitêtre critiquée, attendu qu'il n'est pas bien établiqu'à l'époque où vivait ce prophète, on ait été tout àfait dans l'ignorance sur la forme de la terre. Onpourrait dire aussi que, loin de supposer la connais-sance du rapport approché du diamètre à la circon-férence, les dimensions indiquées pour la mer defonte du temple de Salomon prouveraient seule-ment que les cercles d'alors étaient comme les cerclesd'aujourd'hui, si cela avait besoin d'être prouvé. Desphilosophes pourraient encore regarder comme debien peu d'importance vos exemples relatifs auxfourmis et à l'âne qui cannait la crèche de son

22.

2oi SUR LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE.

maître; ils pourraient dire aussi que vous vous êtespeut-être trop pressés d'accorder votre confiance àceux qui prétendent que la lumière est une matièreindépendante du soleil.

Pour nous, nous ne vous blâmerions pas de cher-cher à détruire, au moyen de la science, les préven-tions que beaucoup de personnes ont conservées con-tre la Bible, si la méthode que vous avez adoptéepouvait offrir la moindre chance de succès; car nouspensons, comme vous, qu'il y a dans la Bible plus deconnaissances scientifiques qu'on ne le suppose géné-ralement, et que plus les sciences feront de progrès,et plus on sera rempli d'admiration pour le LivreSaint; mais nous soutenons en même temps que lamarche que vous suivez, bien loin d'être avantageuseau progrès du Christianisme, lui deviendra nuisible,si vous persistez à ne pas vouloir reconnaître qu'il ya dans la Bible des récits purement symboliques, telsque sont, par exemple, tous ceux que renferme laGenèse, depuis son commencement jusqu'à Héber.

Vous nuiriez encore plus à cette cause sacrée, sivous persistiez à n'admettre que le sens littéral; ce-pendant votre article indique une tendance à secouerce joug. En effet, vous dites : « Les connaissances» scientifiques doivent se trouver dans la Bible, maisn d'une manière latente, inaperçues pour le com-» mun des lecteurs, quoique non impossibles à dé-» couvrir pour des yeux plus exercés; elles doi-» vent partout être supposées implicitement, sans

SUR LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE. 258

» être jamais formellement et directement énon-» cées. » Or, si la Bible renferme toutes les connais-sances scientifiques, ne doit-elle pas, à plus forteraison, contenir toutes les connaissances spirituelles?Dès lors, vous reconnaissez implicitement que lesconnaissances spirituelles y sont contenues d'unemanière latente, inaperçues pour le commun deslecteurs, quoique non impossibles à découvrir pourdes yeux plus exercés; qu'elles doivent partout êtresupposées implicitement, sans être jamais formelle-ment ni directement énoncées. Rejeter le sens spiri-tuel, c'est donc être inconséquent, et se priver duseul moyen de concilier la science avec la Bible.

Vous vous êtes séparés de Rome, et en cela vousavez bien fait, puisque Rome était tombée dans l'i-dolâtrie la plus abominable. Par là, vous avez recou-vré la liberté d'examen; mais quel usage en avez-vous fait? quel usage même pouviez-vous en faire,privés que vous étiez d'un vrai critérium ? Dès l'o-rigine même de votre séparation d'avec Rome, vousvous êtes divisés et subdivisés; maintenant, tenez-vous aux enseignements de vos premiers chefs? —Bien peu; car, et Luther, et Calvin, et Mélanchtonne sont plus pour vous de grandes autorités. En celavous avez eu parfaitement raison ; mais où serez-vousconduits en définitive? Pourrez-vous encore marcherlongtemps sans boussole? Du moins, votre vieille ri-vale en a une : nous n'en parlons toutefois que pourreconnaître un fait, car cette boussole ne peut plus

256 SUR LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE.

que hâter sa perte. Tout chez elle est interverti;l'orgueil de ses pilotes tient leurs yeux fascinés; ilsvoient le nord au midi et le midi au nord; et, malgréles diverses rafales qu'ils ont essuyées dans une merqu'ils ne peuvent plus connaître, ils s'imaginent en-core À chaque instant arriver au port, tandis queleur vieux bâtiment crevassé, s'en éloignant chaquejour de plus en plus, ne pourra résister à la pre-mière tempête, et disparaîtra sous les flots.

Serez-vous plus heureux, vous qui marchez à l'a-venture? en vain vous vous appuierez sur la Bible, sila Bible est pour vous un livre fermé. Chacun devous pourra prendre dans ce Livre Divin quelquespassages qui concorderont, dans le sens de la lettre,avec ses passions; et ces passages deviendront labase de sa doctrine, et ils constitueront sa foi, etvous aurez bientôt autant de sectes que de théolo-giens : telles seront les tristes conséquences de vosprincipes. On trouve tout dans le sens littéral de laBible; et la preuve incontestable, c'est que, sur desmilliers de doctrines qui se sont manifestées dans lemonde chrétien, il n'en est pas une seule qui ne sesoit appuyée sur des passages de l'Écriture, qui,dans le sens de la lettre, lui étaient tout à fait fa-vorables.

Ne doit-il pas résulter de là, pour tout hommeconsciencieux et sans préjugés, qu'il ne saurait yavoir de vraie doctrine que celle qui prouvera sonorigine divine, en s'adaptant, sans aucune exception,

SDR LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE, 257

à tous les passages du Livre Saint. Nous ne dironspas à ces hommes auxquels nous faisons appel :Adoptez notre doctrine; car nous ne ferions quesuivre l'exemple des autres Communions chrétiennesqui prétendent toutes posséder la vérité; nous leurdirons seulement : Étudiez et vérifiez.

22*.

258

DE LA CAUSE DU RETOUU AUX IDÉES RELIGIEUSES.

On s'occupe beaucoup aujourd'hui, surtout dansle inonde savant, de la tendance générale qu'ont lesesprits à se tourner vers les idées religieuses. Cettetendance est devenue même si manifeste, que touthomme de bonne foi ne saurait la nier : mais chacunl'apprécie en raison de la position particulière où ilse trouve ; chacun la considère dans le fait qui a leplus de rapport avec ses préoccupations habituelles.Si des hommes spéciaux veulent l'expliquer, on lesvoit, en général, avoir recours à des causes tout àfait secondaires, tandis que la cause principale, celled'où dérivent toutes les autres, reste pour eux ina-perçue; les brouillards qui couvrent leur horizonspirituel sont encore trop épais, pour qu'elle puisseêtre reconnue et admise par eux. .

Cette cause principale, c'est l'accomplissement,dans le inonde spirituel, de cet événement, à jamaismémorable, désigné dans les Livres Saints par la

CAUSE DU RETOUR AUX IDÉES RELIGIEUSES. 259

consommation du siècle, et nommé à tort par lesthéologiens la fin du monde.

Cet événement, dont si souvent l'annonce produi-sit la frayeur et causa la perturbation chez les peu-ples du moyen âge, fut accompli en 1757, dans lemonde spirituel, au moment même où les hommesde cette terre, livrés au sensualisme le plus dégra-dant, étaient bien loin d'y penser. C'est toujours, eneffet, à de semblables époques que se font les grandesmanifestations de la Miséricorde Divine. Ainsi, leSeigneur vint lui-même dans le monde, lorsque leshommes, plongés dans le délire des sens, avaientperdu toute idée saine de la Divinité.

Ces manifestations, toujours suivies de ce qu'onnomme un Jugement Dernier, consistent surtout àrétablir l'ordre dans le monde spirituel, pour que delà il descende progressivement sur la terre, et en re-nouvelle la face. Or, si par suite du Jugement Der-nier, opéré par le premier Avènement du Seigneur,le vieux monde d'alors croula insensiblement pourfaire place à un nouveau, de même, par suite du Ju-gement Dernier effectué en 1757, ce nouveau monde,devenu vieux, s'écroule à son tour sous nos propresyeux, et déjà nous pouvons apercevoir l'aurore dubeau jour qui nous est promis (1).

L'année 1757, qui deviendra bientôt aussi mémo-

(1) Tous ces divers faits de l'ordre spirituel ont déjà été expliquésdans quelques-uns des Articles qui précèdent, et notamment, Pages143 à U6.

260 CAUSE DU RETOUR AUX IDÉES RELIGIEUSES.

râble que celle de l'Incarnation, est l'époque où levieux monde, après s'être précipité de plus en plusdans le mal et dans le faux, parvint enfin au dernierdegré de l'abrutissement moral et spirituel; et où,en même temps, un nouveau monde apparut à l'étatd'embryon, pour de là passer successivement, ainsiqu'il arrive pour l'homme, par les diverses phasesde naissance, de première enfance, de dentition,d'âge puéril, d'adolescence, et parvenir enfin à unevirilité qui, suivant les promesses divines, ne seraplus suivie de la période de décroissance.

Cette assimilation de la nouvelle société humaineà l'homme même n'a rien qui doive choquer l'esprit.L'homme est le type de toutes les choses créées,parce que l'homme a été fait à l'image et à la res-semblance de Dieu, qui est le Prototype et le SeulHomme parfait. « Israël s'est levé comme un seul» homme, » a dit l'Écriture. Et nous-mêmes, aujour-d'hui, ne disons-nous pas encore, en parlant de lacoalition de 1792 : « La France s'est levée comme» un seul homme? » La Bible ne compare-t-elle pasaussi, dans mille passages, les divers états de l'É-glise, ou de la société spirituelle, aux phases de lavie humaine?

Examinons donc l'état de l'humanité à l'époquede 1757, et voyons si, dès à présent, nous ne pou-vons pas reconnaître, à partir de cette époque, lespremiers linéaments de la société nouvelle; maisn'oublions pas qu'alors le vieil homme, parvenu au

CAUSE DU RETOUR AUX IDÉES RELIGIEUSES. 261

maximum de la dégradation morale et spirituelle,fut, par suite de cet état, contraint de s'arrêter danssa marche abrutissante, mais qu'il ne dut pas pourcela cesser d'agir; en outre, rappelons-nous quel'homme nouveau n'était encore qu'un embryon.

Au moment même où le Christianisme allait êtrerévélé au monde, une civilisation, qui surpassaitalors tout ce que l'histoire avait pu transmettre,éblouissait par son éclat la vue des hommes, qui nerecouraient plus aux plaisirs de l'esprit que pour seprocurer des jouissances mondaines. Partout la reli-gion n'existait que dans la forme : « Je ne conçoispas, disait le plus grave des Romains, que deux au-gures puissent se regarder sans rire. » Alors la lit-térature et les arts étaient à leur apogée; la paix ré-gnait, et l'univers, soumis à la domination des pre-miers Césars, semblait destiné à se reposer longtempssous leur égide. Néanmoins, le secret pressentimentd'un nouvel ordre de choses occupe certains esprits,et le poète, appliquant à l'objet de ses flatteries cequ'il sent confusément en lui-même, s'écrie avec en-thousiasme : Magnusab intégra sœclorum nascituror do.

Ainsi, sous le règne de Louis XV, lorsque le se-cond Avènement du Seigneur se manifestait dans lemonde spirituel par le Jugement Dernier, et sur laterre par la Révélation du sens interne de sa Parole,le monde moral et politique offrait un spectacle toutà fait analogue : Avilissement de la religion par ses

262 CAUSE DO RETOUR AUX IDÉES RELIGIEUSES.

propres ministres, abrutissement du moral de l'hom-me par la philosophie sensualiste, éclat de la littéra-ture et des arts, paix générale; et, pour que lacomparaison soit encore plus parfaite, le mondechrétien, soumis à la domination de ses chefs, sem-ble aussi destiné à se reposer longtemps à l'ombredu traité de Westphalie. Enfin, que l'on consulte lesmémoires du temps, et l'on verra aussi que ce pres-sentiment d'un nouvel ordre de choses, qui s'est em-paré aujourd'hui de tous les esprits, a commencé àse faire sentir, dès cette même époque, non-seule-ment dans le monde chrétien, mais encore danstoutes les contrées de la terre.

Tant que l'homme nouveau est à l'état d'embryon,il ne peut y avoir de lutte entre lui et son vieil ad-versaire qui continue à se complaire dans son étatde dégradation ; mais par suite du rétablissement del'ordre dans le monde spirituel, le nouvel influx quien descend, prépare et dispose les membres lesmoins viciés de la vieille société à recevoir librementet progressivement les vérités nouvelles. Ce sont cesmembres qui, sans le savoir, constituent l'hommenouveau ; mais alors ils n'ont pas plus la consciencede leur nouvel état que l'enfant qui est dans le seinde sa mère n'a la conscience de son existence.

La naissance du nouvel homme ne fut autre choseque la manifestation des vérités nouvelles, ou de ladoctrine destinée à régénérer l'humanité. La mani-festation de cette doctrine se fit sans éclat : Un Sué-

CAUSE DU RETOUR AUX IDÉES RELIGIEUSES. 263

dois, homme d'un savoir profond et de mœurs douceset irréprochables, ayant été préparé par le Seigneurpour la recevoir, fut chargé de l'écrire telle qu'illa recevait, et de l'adresser aux savants et auxconservateurs des principales bibliothèques publi-ques. Sa mission se borne là; car, livrée dès sa nais-sance aux discussions d'une société si corrompue,cette doctrine eût été étouffée par son ennemi. C'estainsi que le Sauveur du monde, né dans une étable,fut aussitôt obligé de se tenir caché pour éviterd'être massacré par d'Hérode.

Dans cette première période d'existence, point decombat, point de lutte ; le nouvel homme est encoredans l'état de la première enfance ; mais les vérités,qui ont constitué son apparition dans le monde, ger-ment peu à peu dans les cœurs; elles s'enracinent,se développent, se propagent; et l'influx du bien etdu vrai, trouvant un plus libre accès, se répand avecabondance : c'est l'enfant qui commence à croître età se fortifier.

Cet influx n'agit pas seulement sur ceux qui con-naissent et admettent les nouvelles vérités révélées ;son action est générale, et s'étend principalementsur tous ceux qui sont susceptibles de quelque retourau bien et au vrai. Il se manifeste en eux de millemanières différentes; car, pur dans son essence,comme la chaleur et la lumière qui émanent du So-leil, il subit, comme elles, autant de modificationsdifférentes qu'il y a de réceptacles humains ; et, de

264 CAUSE DU UETOUR AUX IDÉES RELIGIEUSES.

même qu'une liqueur pure et bienfaisante, il se dé-tériore plus ou moins selon la qualité du vase qui lereçoit. En général, il excite en l'homme le désir deconnaître le vrai et de pratiquer le bien ; mais, aucommencement d'une époque de rénovation, toutétant encore dans la confusion, non-seulement il estdifficile de distinguer le bien d'avec le mal et le vraid'avec le faux, mais encore on peut souvent, sansmauvaise intention, prendre pour bien ce qui estmal et pour vrai ce qui est faux; de là, souffrance,déchirement. C'est pour l'homme nouveau l'époquede la dentition. Il ne saurait encore connaître et ap-précier la cause de ses douleurs; il ne peut que s'ir-riter, crier, et aller même jusqu'à battre sa nour-rice : cet état a ses intermittences et ses crises, etcelles-ci sont souvent accompagnées d'une fièvrebrûlante.

Si nous descendons maintenant au degré naturel,c'est-à-dire, à l'état social, et que nous appliquions cesréflexions à la France, par exemple, — car ce qu'onpourrait dire de l'Humanité en général peut se direaussi d'une Nationalité quelconque,— il nous sera fa-cile de reconnaître, en partant de 1757, les troispériodes de naissance, de première enfance, et dedentition du nouvel ordre social qui tend à s'établirdans notre patrie. La première période, celle de sanaissance, se place naturellement au milieu des sa-turnales du règne de Louis XV ; car c'est alors qu'ons'aperçut que l'ordre ancien était devenu tout à fait

CAUSE DU RETOUR AUX IDÉES RELIGIEUSES. 265

incurable, et qu'en conséquence on vit surgir de touscôtés des principes (1) pour le renverser et en éta-blir un nouveau. La seconde, celle de sa premièreenfance, se reconnaît facilement dans cette suited'années de paix, pendant lesquelles les principesdont il vient d'être question s'enracinent, se déve-loppent, se propagent. Enfin, il sera encore plus fa-cile de reconnaître la troisième, celle de sa denti-tion, dans toutes les commotions politiques qui de-puis un demi-siècle agitent la France et le mondeentier. Suivez l'enfant dans toutes ses crises, voyez sonirritation, entendez ses cris, ne va-t-il pas quelque-lois jusqu'à frapper sa nourrice; mais elle, toujourstendre, lui prodigue ses carresses; pourquoi lui envoudrait-elle? il ne sait ce qu'il fait.

Quelque longue que soit la période de la denti-tion, le nouvel homme grandit néanmoins; aussi,lors même que ses dernières crises ne seraient pasencore passées, le voyons-nous, dès à présent, de-venir de jour en jour plus apte à recevoir et à con-server l ' influx spirituel. Ainsi, l'Évangile est mainte-nant répandu dans toutes les classes; ce ne sontplus seulement les sociétés bibliques qui le réimpri-ment à des milliers d'exemplaires; les philosophes,revenus de leurs préventions, en font aussi des édi-

(1) La plupart de ces principes dérivaient, à la vérité, du nouvel in-flux spirituel; mais cet inf lux, en pcnélr.lntchez des hommes purementnaturels, perdait sa quali té spirituelle, et ne pouvait tout au plus exci-

ter en eus que le désir du bien naturel.

23.

266 CAUSE DU RETOUR AUX IDÉES RELIGIEUSES.

lions populaires sans se permettre le moindre chan-gement, et non plus comme sous la restauration oùl'on ne conservait que la partie morale. Les auteursde l'Histoire parlementaire de la révolution fran-çaise, MM. Bûchez et Roux, ont même fait précéderleur .édition d'une longue Introduction dans la-quelle se trouve ce passage remarquable :

« Tout homme qui admet le devoir ne peut pas» refuser de croire que Dieu a pris un corps sem-» blabte au nôtre, et qu'il nous a enseigné par sa» Parole et par ses actes en quoi consistait sa volon-» té. Ses actes comme homme ont été la pratique» absolue de la loi qu'il enseignait comme Dieu.»

Ne semble-t-il pas résulter positivement de laphrase soulignée qu'ils n'admettent, comme nous,qu'un seul Dieu : Jésus-Christ. En effet, d'aprèscette phrase, ce n'est plus le Fils de Dieu qui seraitvenu dans le monde, c'est Dieu lui-même qui auraitpris un corps semblable au nôtre.

Du reste, cette doctrine du devoir, prêchée parles auteurs de Y Histoire parlementaire, n'est-elle pas elle-même l'indice d'un grand progrès? Iln'y a encore que peu d'années, la doctrine du droit,si opposée au principe chrétien, était dans toutes lesbouches; maintenant, la vraie doctrine du progrèssocial, celle du devoir, est enfin à l'ordre du jour.

On a parlé d'une alliance entre MM. Bûchez etRoux et les Catholiques-Romains. Que ces disciplesde la doctrine du devoir, voyant le Protestantisme

CAUSE DU RETOUR AUX IDÉES RELIGIEUSES. 267

s'appuyer sur la théorie du droit et le Catholicisme-Romain prescrire le devoir, aient combattu les prin-cipes du premier et défendu ceux du second, Us nese sont montrés en cela que conséquents avec eux-mêmes; mais de là à une alliance avec le Vatican, ily a loin. On parle aussi d'un échange de lettres depolitesse, et même d'actes de soumission filiale : celane pourrait être tout au plus qu'une comédie diplo-matico-religieuse; il n'y a pas d'alliance possible en-tre les disciples de la doctrine du devoir, qui posentsérieusement pour principes ces deux préceptes del'Évangile : « Celui qui voudra être le plus grand» entre ses frères sera le serviteur de tous. Que» celui qui ne veut pas travailler ne mange pas, »non, point d'alliance possible entre ces disciples, etcelui qui prend le titre dérisoire de serviteur desserviteurs, et dont le travail principal consiste à selaisser adorer. D'ailleurs, si une telle alliance seréalisait jamais, ce ne pourrait être, de la part deMM. Bûchez et Roux, que par suite de l'abandon deleurs principes, et dès lors ils seraient désavouéspar tous les vrais Disciples de la doctrine du devoir.

Pour nous, Disciples de la Nouvelle Jérusalem,nous sommes remplis d'allégresse en voyant cegrand mouvement des esprits vers les idées religieu-ses; nous reconnaissons dans tout ce qui se passeaujourd'hui l'accomplissement graduel des promes-ses du Seigneur, et nous découvrons partout l'actionincessante de sa Divine Providence. Nous savons, en

268 CAUSE DU RETOUR AUX IDÉES RELIGIEUSES.

effet, que le Seigneur prend les hommes tels qu'ilssont, et qu'il les dirige progressivement vers les vé-rités divines, sans détruire tout à coup leurs er-reurs; s'il agissait autrement, il briserait l 'homme,car ce serait le priver subitement de ce qui constitueencore son propre, de ce qui fait encore sa vie; Do-minus non frangit, sed flectit, dit Swedenborg; leSeigneur ne brise pas l'homme, mais il le redresse.C'est ce qui nous fait espérer que tous ces hommesdévoués qui ont déjà éprouvé tant de fois l'action duSeigneur pour le redressement successif de leurs er-reurs, et qui se trouvent maintenant si près de lavéritable doctrine, ne tarderont pas à y être intro-duits, et à l'adopter dans toute la sincérité de leurcœur.

Enfin, nous résumant en peu de mots, nous di-sons : Notre monde n'est qu'une manifestation d'ef-fets; toute cause appartient au monde spirituel, d'oùnous viennent toutes nos affections et toutes nospensées. Or, si sur cette terre il y a maintenant unetendance à revenir à des idées religieuses et à re-chercher les bases d'un nouvel ordre social, c'estparce que ces paroles du Seigneur : Voici, je faisnouvelles toutes choses, ont reçu dans le mondespirituel un accomplissement qui commence déjà àse manifester sur cette terre.

269

DU CULTE DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM A SAINT-AMAND*

Depuis qu'il est question d'élever un Temple de laNouvelle Jérusalem à Saint-Amand, et que l'on saitqu'un culte public est régulièrement exercé ici dansun local provisoire, plusieurs de nos frères, voulantse réunir à nous d'intention, nous ont témoigné ledésir d'avoir quelques renseignements sur les for-mes de notre culte extérieur. La Bévue étant, pourle moment, le moyen de communication le plus géné-ral entre les Novi-Jérusalémites, nous l'emploieronsd'autant plus volontiers pour répondre à nos frères,que l'exposition simple que nous allons faire pourra,en outre, ramener au culte extérieur quelques-unsdes hommes de bien qui nous lisent, et qui, dégoûtéspar tant de minuties, d'abus et de superstitionsqu'ils voient ailleurs, avaient cessé toute espèce derapports extérieurs avec la Divinité.

Ce n'est pas que nous prétendions par là donnerau culte extérieur une importance de nature à nuireau culte intérieur, qui consiste, lui, à vivre dans lebien et dans le vrai; non, le culte intérieur doit tou-jours être le principal et le culte extérieur toujours

* Voir aux notes additionnelles,23*.

270 SUR LE CULTE DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM.

rester l'accessoire; car l'un est la substance même,et l'autre n'est que la forme ; l'un est l'âme, et l'au-tre n'est que le corps; mais, comme il n'y a point desubstance sans forme, ni d'âme sans corps, il est né-cessaire que le culte intérieur se traduise par quel-ques actes extérieurs. Si toutefois la forme que nousavons adoptée ne paraissait pas encore assez simpleà ces hommes de bien dont nous venons de parler,qu'ils s'en tiennent à ce que le Seigneur a prescritlui-même à ses disciples, lorsqu'ils lui demandèrentcomment ils devaient prier. Qu'ils s'enferment dansleur cabinet, et qu'ils s'adressent à leur Père qui setrouve dans ce lieu secret; qu'ils méditent ces paro-les divines qu'ils ont répétées si souvent, dans leurenfance, sans les bien comprendre, et leur Père cé-leste leur répondra, et ils sentiront d'abord l'effica-cité de la prière dans son premier degré : ils recon-naîtront que si la prière des lèvres fut autrefois poureux vaine et inutile, celle de l'entendement offre depuissants charmes à l'esprit : qu'ils continuent quel-que temps encore, et bientôt ils arriveront à la prièredu cœur : c'est alors qu'ils sentiront tout le prix dece baume consolateur; car ils seront alors parvenusà la vraie prière, parce qu'ils comprendront et vou-dront ce qui sera prononcé par leurs lèvres.

Quant au culte extérieur que nous suivons, il con-siste uniquement dans la lecture de la Parole. Nousnous réunissons tous les dimanches, car le Seigneura dit : « Souviens-toi de sanctifier le jour du Sab-

SUR LE CULTE DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM. 271

» bat. » Nous avons, en outre, à l'exemple de nosfrères d'Angleterre et des États-Unis, adopté quatrefêtes solennelles, la Nativité, la Crucifixion, la Résur-rection et l'Ascension, en commémoration des actesprincipaux du Seigneur sur cette terre; mais cesfêtes n'étant pas prescrites par le Décalogue, quirenferme toute la loi, ne sont pas obligatoires aumême degré que le jour du Seigneur.

Nous nous réunissons chaque dimanche à troisheures après midi, cette heure étant la plus conve-nable pour la généralité de nos frères. L'on com-mence par prononcer quelques sentences tirées del'Écriture Sainte. On lit ensuite les préceptes du Dé-calogue et l'Oraison dominicale; puis, on annonce àl'assemblée quelles sont les parties de l'Ancien et duNouveau Testament qui vont être lues. Après la lec-ture de la Parole, celui qui officie donne des expli-cations sur son sens interne, et termine le culte parla formule de Bénédiction qui se trouve à la fin del'Apocalypse. Notre culte consiste donc uniquementdans la lecture de la Parole Divine ; nous ne faisonsusage d'aucune prière humaine'.cependant lorsque leculte est terminé, nous avons l'habitude, avant denous séparer, de lire une Invocation de Richer, etde nous livrer à des entretien ts instructifs.

Nous suivons pour la lecture de la Parole la divi-sion adoptée par nos frères d'Angleterre et desÉtats-Unis; de là résulte que les mêmes passages duLivre Saint peuvent être lus le même jour par tous

272 SUR LE CULTE DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM.

les disciples de la Nouvelle Jérusalem dans les deuxhémisphères. D'après cette division, — qu'il seraittrop long de donner ici, et qu'on trouvera, avec uneexplication, dans les tables placées au commence-ment de la Liturgie de M. Ledru, — on lit en uneannée l'Apocalypse et les Psaumes de David, on em-ploie le cours de deux ans pour la lecture des quatreÉvangélistes, et une période de quatre années pourcelle des Livres historiques et prophétiques de l'An-cien Testament.

Telle est la simplicité de notre culte : la Parole,rien que la Parole; elle seule renferme tout; elleseule donne la communication avec le Ciel et la con-jonction avec le Seigneur, quand on pratique cequ'elle prescrit. Cette simplicité toutefois n'irait pasjusqu'à exclure du culte ce qui peut exalter l'âme,ou procurer à l'esprit d'innocentes distractions. Oui,certes, nous aurons aussi nos jours de réjouissancespubliques; mais il faut auparavant que le milieudans lequel nous vivons ait été épuré par l'influx.Nos cœurs pourraient-ils s'épancher avec toute l'ef-fusion de l'amour qui les embrase, entourés que noussommes de tant de nos malheureux compatriotes quine nous comprendraient pas? Notre amour lui-mêmeest-il assez pur, pour que nous puissions nous aban-donner à toutes ses impulsions? Cherchons d'abordà faire des progrès dans l'acte important de notrepropre régénération, et des jours de joie pure et devive allégresse viendront ensuite. Aimons-nous les

SUR LE CULTE DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM. 273

uns les autres, c'est le commandement nouveauque le Seigneur a donné; ne l'oublions pas, et quoi-que peu nombreux encore, nous serons forts, carnous marcherons sous sa direction. Soyons surtoutindulgents les uns pour les autres; n'est-ce pas de ladiversité que résulte l'unité? Qu'importent donc lesdifférences qui distinguent l'un de l'autre, nous som-mes tous frères dans le Seigneur, du moment quenous le reconnaissons pour le Dieu unique du Ciel etde la terre, et que nous fuyons les maux comme con-traires a ses lois divines. C'est pour avoir oublié cesvérités si simples que la première Église chrétienneest tombée; que son exemple nous serve de leçon.

274

NOTICE

SUR LE CAPITAINE BERNARD*

Nous avons souvent parlé de Bernard dans lecours de cette publication; ses travaux immensespour la propagation de la Nouvelle Doctrine, ses re-lations avec Edouard Richer, la vénération que por-tent à sa mémoire tous ceux de nos frères qui l'ontconnu, le petit nombre de ses manuscrits qui nousavaient été adressés, tout, en un mot, nous faisaitun devoir de chercher à connaître plus particulière-ment une vie qui avait été si active et si bien remplie.L'appel que nous avons fait au souvenir de ses amisa été entendu, et de précieux renseignements noussont parvenus aussitôt.

Notre intention n'est pas cependant de donner labiographie du capitaine Bernard : ce travail, auquelse livrera sans doute plus tard quelqu'admirateurd'un si beau caractère, ne saurait trouver placeici, notre Bévue n'étant destinée qu'à développersuccessivement les Doctrines célestes de la NouvelleJérusalem, et à faire connaître les travaux antérieursqui n'ont pas encore été rendus publics : c'est donc

* Voir aux notes additionnelles.

LE CAPITAINE BERNARD. 275

seulement sous le rapport rétrospectif, en ce quiconcerne la propagation de la Nouvelle Doctrine,que nous considérons la vie de Bernard.

Mais, dans cette notice, nous laisserons presquetoujours parler ses frères d'armes, qui sont devenusaussi ses frères en Jésus-Christ, bornant, pour ainsidire, notre tâche à transmettre à nos lecteurs lessentiments exprimés par ceux qui furent les témoinsdes principaux actes de sa vie novi-jérusalémite. Lafranchise militaire qui les caractérise sera un motifde plus pour qu'ils soient bien accueillis.

Bernard (Jean-Jacques), naquit à Vannes, départe-ment du Morbihan, le 6 octobre 1791 ; admis à l'é-cole militaire de Fontainebleau en 1809, il en sortitsous-lieutenant en 1811, et fit, dans la jeune garde,les campagnes de Russie, de Saxe et de France (1).En 1815, après le licenciement de la Loire, il futincorporé dans la légion de la Loire-Inférieure etprit le commandement d'une compagnie. Les loisirsque procure un temps de paix furent utilement em-ployés par le jeune capitaine; porté naturellement àla méditation, il se livrait avec ardeur à l'étude desdivers systèmes philosophiques. Ses compagnonsd'armes admiraient son caractère, mais ils ne pou-vaient s'empêcher de trouver extraordinaire cetteténacité au travail. « Ne vous en étonnez pas, leur

(1) II fut décoré de l'Ordre de la Légion d'honneur le 20 mars 1813,et blessé d'un coup de feu au pied droit le 18 octobre 1813 à Leipsick.

276 LE CAPITAINE BERNABD.

» dit à ce sujet un jeune officier qui avait été son ca-» marade d'études au lycée de Nantes, Bernard est» ici décidément franc, loyal et studieux, comme il» l'était avant son départ pour l'armée. »

Bernard, comme tous les hommes de son âge,était passé des ténèbres obscures d'une éducationreligieuse anti-rationnelle aux lueurs fausses et dan-gereuse d'une philosophie sceptique ; mais le doute,si désolant pour tout homme en général, ne pouvaitconvenir longtemps à l'activité de son esprit; de là,son application et sa persévérance à étudier tous lessystèmes, pour parvenir à la découverte de la vérité.

« Eu 1818, nous écrit le capitaine Paillard, Ber-nard n'en était encore qu'aux sciences naturelles;mais, un an après, je le vis arriver à Brest tout àfait spiritualiste, pénétré des écrits de Saint-Martinet de Lamartine. Il s'était tellement adonné aux mé-ditations théosophiques que, dans cette garnison età Blaye, il se plantait sous un arbre, aux différentsrepos d'exercice, et y restait tout le temps commeabsorbé. Tout en se riant de cette sorte de bizarre-rie, chacun ne pouvait que l'admirer dans son activepersévérance à rechercher et à découvrir la vraiescience, qui, de la manière dont il l'affectionnait, nepouvait manquer de se présenter à lui sans beaucouptarder. En effet, arrivé à Bordeaux en 1820, un vo-lume de Swedenborg lui tombe entre les mains, etle voilà Chrétien de la Nouvelle Église, et le chaudpropagateur de la Nouvelle Doctrine, d'abord au ré-

LE CAPITAINE BERNARD. 277

giment, puis à Bayonne, en Espagne; et, à sa rentréeen France, dans toutes les villes où il a pu se trou-ver.

» C'est en 1820S nous dit le capitaine Puvis, queBernard, ramené depuis quelque temps au spiritua-lisme par des expériences magnétiques (1), et plustard au Christianisme par l'étude des œuvres du

(I) Bernard n'est pas le seul qui, avant d'arriver à la connaissancedes vérités de la Nouvelle Église, ait d'abord été conduit au spiritua-lisme par l'étude des phénomènes magnétiques. Un grand nombre dedisciples ont été dans le même cas. Cela, du reste, ne peut surprendreaucun de ceux qui ont quelque connaissance des vérités spirituelles.C'est par degrés, et en lui laissant intacte sa liberté, que Dieu ramènel'homme à lui. Or, dans un siècle comme le nôtre, où l'homme, fatiguéde tant de déceptions de la vieille théologie et abandonné à lui-même,doute de Dieu, nie l'existence après la mort, et ne croit plus qu'à cequ'il voit, qu'à ce qu'il palpe, il faut bien, pour le retirer d'une telleléthargie quelque moyen galvanique qui agisse avec force sur son en-tendement, sans le priver cependant de sa liberté d'examen. Tel est lemagnétisme, et, en cela, sa réapparition à notre époque doit être con-sidérée comme providentielle, quels que soient d'ailleurs les dangersqui peuvent résulter de son emploi, tout ce qui est donné à l'homme parla Divinité devant nécessairement tourner à son profit ou à son détri-ment, selon l'usage qu'il en fait, afin qu'il soit toujours libre, et que sesactes puissent lui être imputés. L'homme qui cherche la vérité pour lavérité elle-même, quel que soit son scepticisme, ne peut être longtempstémoin d'expériences magnétiques, sans se convaincre qu'il existe autrechose que le matériel. II se trouve donc, par cela même, débarrassé dece doute accablant qui le forçait de s'étourdir sur tout ce qui pouvaitconcerner le spirituel, et alors toute l'activité de son entendement leporte à s'enquérir de ce que peut être ce spirituel, dont il avait jusque-là dédaigné de s'occuper.

Lorsque l'homme en est arrivé là, !e Seigneur qui toujours frappe à

-'4.

278 LE CAPITAINE BERNARD.

théosophe Saint-Martin, fut initié dans la doctrine de

la Nouvelle Jérusalem ; et tel était chez lui le sens

d'intuition des vérités les plus élevées, que le doute

et l'hésitation, par lesquels il est peu de disciples

qui n'aient passé, non-seulement ne tiraillèrent point

son esprit, mais à peine parurent le préoccuper. —

Nous étions en garnison à Bordeaux, Bernard, tout

entier à l'étude et disciple ardent de l'Apôtre sué-

dois, bornait cependant ses relations à un petit nom-

la porte, mais qui ne peut entrer qu'autant qu'on lui ouvre, trouve cetteporte entr'ouverte : il agit alors envers l'homme avec une bonté et uneprécaution dont la tendresse du meilleur des pères ne saurait donner lamoindre idée : 11 introduit peu à peu quelques vérités, en écartant enmSme temps les faussetés qui leur feraient obstacle ; car ce n'est quepar degré qu'il lui présente la lumière, ses yeux étant encore trop fai-bles pour en soutenir l'éclat. II ne détruit pas non plus tout à coup lesfaussetés qui font le charme de son existence, car ce serait la détruire,Dominus non frangit, sed flectit, dit Swedenborg. 11 résulte de là quel'homme, tiré de son engourdissement spirituel par la vue de phéno-mènes magnétiques qui durent lui paraître d'abord bien extraordinaires,ne tarde pas à perdre l'engouement dont il s'était pris pour eux, lorsqueprofitant de ce secours providentiel, il finit par se laisser diriger par leSeigneur; car alors, en portant son attention sur tout ce qui s'est passé

• et se passe journellement dans son intérieur, il y découvre des merveil-les bien autrement surprenantes. 11 y a plus encore; c'est que, recon-naissant alors la main directrice delà Providence Divine dans la série detous les faits qui ont amené son retour au Seigneur, il acquiert de lui-même la conviction que si les phénomènes magnétiques ont été néces-saires pour l'amener à la recherche de la vérité, ils ne seraient plusmaintenant pour lui d'aucune utilité, et deviendraient même nuisibles,s'il avait la faiblesse de se laisser entraîner à des expériences de purecuriosité. En conséquence, il laisse de coté un instrument qui ne pour-rait plus lui offrir que des dangers.

LE CAPITAINE BERNARD. 279

bre d'amis, tous officiers dans le même régiment,mais non dans les mêmes sentiments religieux. Etcomment dans l'armée, à une époque si rapprochéede l'Empire, ne pas suivre le torrent des idées anti-chrétiennes, ne pas être aussi sous la tyrannie desopinions accréditées!... Certes, il fallait déjà biende la force d'âme, bien du caractère pour ne pas sa-crifier au respect humain ; il fallait des convictionsbien affermies pour dire hardiment sa croyance. Ehbien! cette confession si noble dans ce temps deraillerie, Bernard savait la faire; et tant était grandel'estime que tous ses camarades avaient pour lui,que, s'il y avait lutte souvent, jamais il ne venaitdans l'esprit d'aucun de mettre en doute sa bonnefoi. On l'avait vu dans le monde, mais on l'avait vutoujours vrai; on le savait ami plein de dévouementet soldat plein de zèle. Comment ne l'aurait-on pashonoré, alors qu'avec un amour passionné pour lebien, on le voyait encore embrasser une mission oùil n'y avait rien pour aucune des ambitions duj o u r ? »

Appelé à Paris à la fin de 1820 par un événementfuneste dont l'influence fut puissante sur le reste desa vie, Bernard y fit la connaissance de plusieurs sa-vants distingués qui se montrèrent justes apprécia-teurs de son mérite, mais dont les doctrines reli-gieuses lui parurent moins avancées que celles de laNouvelle Jérusalem. Il eut en même temps l'avantaged'être mis en relation avec l'épouse d'un officier stipé-

280 LE CAPITAINE BERNARD.

rieur qu'il avait connu à Rayonne, Madame de Saint-Amour, dont l'esprit éclairé était avide de connais-sances, et qu'il eut le bonheur de conduire à unedoctrine, à la propagation de laquelle elle devait unjour prendre aussi tant de part. Enfin, ce fut à cetteépoque qu'il parvint à découvrir quelques disciplesde la Nouvelle Église, et entre autres le zélé Gobert,avocat à la cour royale de Paris, avec lequel il se liaplus particulièrement.

« De ce moment, ajoute M. Puvis, — des notesduquel a été extrait ce qui précède, — son âme de-vint plus active encore; jusque-là, il n'avait étudiéSwedenborg que seul et dans l'isolement; aujour-d'hui, c'était avec des disciples qui depuis longtempspratiquaient la Nouvelle Doctrine. Avec quelle ar-deur il se prenait aux choses les plus profondes, lesplus enveloppées! Son esprit hardi et curieux nevoulait rien ignorer de cette doctrine dans la voie delaquelle il était entré.

» Cependant son séjour à Paris ne pouvant se pro-longer, il part pour visiter sa famille à Nantes. Là,d'anciennes relations lui sont aussi restées, mais ilsait quelles erreurs elles professent, car autrefois illes a partagées; et, dans l'élan de la foi la plus vive,apôtre déjà novi-jérusalémite, c'est aux hommesforts qu'il veut aussitôt s'attaquer. Un littérateurdistingué, Edouard Rieher, philosophe incrédule,croit entrer tout puissant en lutte. Bernard s'attacheà lui; c'est une conquête qu'il veut. La lecture des

LE CAPITAINE BERNARD. 281

ouvrages de Swedenborg est commencée ; ces livresd'abord rejetés, sont repris ensuite, et Richer de-vient une des colonnes les plus solides de la Nou-velle Église.

» Après ce long voyage à Paris et à Nantes, Ber-nard vint rejoindre le régiment à Bayonne. Là, tousses amis étaient impatients de le revoir, ils savaientson chagrin. Combien il leur en parut encore préoc-cupé ! Et pourtant, ses travaux, loin de diminuer,allaient prendre une activité plus grande encore,c'est que son âme, remplie d'une charité douce etd'un désir passionné de contribuer à la propagationde la Doctrine Nouvelle, faisait de lui le Chrétien leplus complet et l'Apôtre le plus zélé.

» II avait laissé ses amis sceptiques ou indifférentsau moins en matières religieuses; il reprend aveceux ses instructions interrompues. Sont-ils tièdesquelquefois à l'entendre? Le monde exerce-t-il surquelques-uns d'eux sa mauvaise influence? Son zèlepour les protéger contre ces séductions en redouble;il veut les ramener et les convaincre. Tous l'aimentet le vénèrent; mais souvent ils voudraient lui échap-per. Il ne les quitte pas; il faut que l'on goûte aveclui tout le bonheur qu'il trouve dans ses croyances :ami rempli de charité, la patience et l'espoir ne l'a-bandonnent point. Un jour il en aura la joie, il verraceux qu'il aime d'un tel amour devenir tous sesfrères.

» Nous arrivions alors à la fin de l'année 1821;24*.

282 LE CAPITAINE BERNARD.

les derniers mois qui venaient de s'écouler avaientété employés, pendant tous les instants que lui lais-saient les devoirs de sa profession, soit à s'emparerde tous les événements dont les esprits avaient puêtre douloureusement préoccupés à Rayonne, pouréveiller l'attention sur les doctrines religieuses qu'ilprofessait, soit à réfuter les attaques que le scepti-cisme engageait contre lui; et, sans crainte devant lechoc des raisonnements scrutateurs, dans des Opus-cules qu'il fit publier alors, et où il passe en revuequelques-unes des doctrines du Catholicisme, il n'hé-site point, Novi-Jérusalémite de conviction, à s'écar-ter dans sa croyance des dogmes de la communion-romaine et de laisser voir un penchant décidé pourune théologie libérale. Ces Opuscules, publiés sousl'anonyme à'un ami de la sagesse et de la vérité,écrits avec netteté et avec une précision extrême, ré-vèlent une âme remplie des vertus les plus actives,d'une chanté douce et d'un désir passionné de con-tribuer à éclairer les hommes pour les rendre meil-leurs et plus heureux.

« L'année 1822 se passa en grande partie pourBernard dans des cantonnements sur la frontièred'Espagne. C'était la guerre aux institutions espa-gnoles qui s'anonçait, guerre qu'il ne craignit pointde combattre dans des articles envoyés aux journauxde Paris, guerre qui du reste le mettait souventdans des tentations de donner sa démission. — Unautre sujet de peine pour lui, c'était de ne pouvoir

LE CAPITAINE BEftNARD. 283

se faire comprendre. Là, en effet, on ne parlait quela vieille langue cantabre; et, avec les habitants,nuls rapports d'intelligence n'étaient possibles. —Mais au milieu de ces populations, lorsque notreprésence rendait les communications avec l'Espagnesi difficiles, le nombre des malheureux avait beau-coup augmenté. Chez tous ceux qu'il sait dans le be-soin, il porte, il envoie des secours, et c'est à sessoldats qu'il fait remplir ce noble office. « Notre ca-» pitaine, disaient-ils, n'a rien à lui, il donne tou-» jours. » Et de quel amour, de quelle vénération ilsl'entouraient tous! — Près de lui, ou même l'aper-cevait-on de loin, plus de chants obscènes, plus depropos licencieux. Un changement s'est fait dans sacompagnie et s'étend bientôt dans tout le régiment.On comprend que l'on peut être Chrétien consé-quent, et cependant remplir encore avec distinctiontous les devoirs d'un bon militaire. Allions-nousalors parfois le visiter, tantôt nous le trouvions ab-sorbé sur des livres entassés devant lui, tantôt aussiméditant au pied de quelque vieil arbre, et c'étaitavec la plus grande peine que nous parvenions àl'entraîner dans des courses dont nous ne voulions,nous, pour but que de l'exercice sans occupationd'esprit.

» Ces travaux, où il concentrait en lui-même l'ac-tivité dévorante de ses facultés, ne pouvaient man-quer de réagir d'une manière fâcheuse sur sa santé;aussi vers la fin de l'année fut-il atteint, en rentrant

284 LE CAPITAINE BERNARD.

à Rayonne, d'une hémorrhagie interne qui tout aus-sitôt donna à ses amis les inquiétudes les plus vives.C'était le premier symptôme d'une maladie dont ilne devait plus guérir. Et vainement depuis cettecrise il lui fut prescrit de mettre quelque régimedans la multiplicité de ses travaux; à cet égard, sesamis, comme toutes les personnes qui s'intéressaientà lui, ne purent rien obtenir.

» Placés depuis plus de deux ans sur la frontièred'Espagne, nous ne pouvions manquer de faire partiedu corps d'armée qui devait entrer le premier encampagne, et tout annonçait que la guerre était pro-chaine. Bernard la fit avec nous; mais ce fut une oc-casion pour lui de porter, au milieu de l'exaltationet de la fureur des partis, un esprit de paix et de re-ligion mieux comprise. Et que de bien ne fit-il paspendant un séjour de plusieurs mois au milieu defamilles persécutées ! Que de sentiments religieux neréveilla-t-il pas là où l'esprit du moment avait voulules éteindre, là où les doctrines matérialistes du dix-huitième siècle avaient, comme jadis en France, tousles hommages des classes élevées!... Ses croyancesfaisaient un contraste peut-être avec l'habit et l'âge;mais au milieu de ce monde, elles ne furent pas ce-pendant sans trouver quelque sympathie, et long-temps encore après avoir quitté Madrid, il entrete-nait des relations avec l'évêque de Barcelonne lesavant Torres Amat, avec don Ellola, ancien inten-dant des armées, homme d'un grand savoir* avec le

LE CAPITAINE BERNARD. 285

général Palafox et l'auteur de la Morale du Labou-reur, don Augustin Quinto. »

D'autres renseignements nous sont encore donnéssur les efforts de Bernard pour introduire la Nou-velle Doctrine en Espagne. Aux noms déjà cités, lecapitaine Paillard en ajoute encore quelques autres.

« Parmi les personnes marquantes, dit-il, aveclesquelles Bernard était entré en relation, dans lepeu de temps qu'il est demeuré à Madrid, se trou-vait un don Antonio, moine avant la révolution de1820, et qui depuis s'était livré à l'enseignement.Bernard eut, je crois, l'intention de lui donner àfaire quelques traductions des ouvrages de Sweden-borg, mais les désordres qui existaient alors en Es-pagne par l'espèce de contre-révolution que l'arméefrançaise y venait d'opérer, l'empêchaient de se pro-duire en public, les royalistes poursuivant à ou-trance les malheureux libéraux qui s'étaient mis enévidence. Au nombre de ceux-ci était encore unhomme tout à fait intéressant, obligé de se cacher,mais que Bernard avait su découvir dans sa retraite;son nom m'est échappé, mais je ne puis oublier sapersonne, frappé que j'ai été de ses grandes idéesd'action pour le développement intellectuel et indus-triel à introduire dans son malheureux pays. Il avaitétabli à Avila une manufacture en grand dans legenre de celle de Ternaux, chez qui il était restéplusieurs années. Bernard avait soin, en outre, deprocurer à ses nouveaux amis des ouvrages de Swe-

280 LE CAPITAINE BERNARD.

denborg. Veuille le Seigneur que ces idées, seméesalors dans ces contrées, germent et se développentcomme le font celles d'indépendance réelle que cha-cun des membres de l'armée, depuis le général enchef jusqu'au dernier soldat, y a répandues! car telfut en réalité le résultat moral de notre expédition,quoique nous y eussions été envoyés pour détruire laconstitution et y rétablir l'absolutisme. Tant il estvrai que les voies de la Providence sont au-dessus denotre conception, et que nous ne pouvons voir Dieuque par derrière! Heureux encore ceux qui sont ar-rivés à le reconnaître ainsi ! »

A ces observations si judicieuses et si chrétiennes,ajoutons que l'ultramontanisme fut un des instiga-teurs les plus ardents de cette expédition, et qu'ilétait loin de présumer alors que les germes d'uneNouvelle Doctrine chrétienne pénétreraient dans laPéninsule à l'abri d'une épaulette française. Lais-sons ces premiers germes se développer sans bruit;ils apparaîtront au grand jour, lorsque le momentsera arrivé, pour la nation espagnole, de briser lejoug du Catholicisme-Romain, comme elle a déjàsecoué celui du pouvoir absolu.

Revenons à la narration du capitaine Puvis.« Toujours entraîné à l'excès du travail par l'ar-

deur de son esprit, le surcroît de fatigues, résultantde la campagne, devint la cause d'une nouvelle hé-morrhagie. La crise ayant été encore plus sérieuseque la première, il fut autorisé à rentrer en France.

LE CAPITAINE BERNARD. 287

La voiture dans laquelle il revenait fut attaquée pardes guérillas, et les voyageurs dévalisés, non sansquelque résistance qu'il osa faire tout seul. Mis pres-qu'à nu et souffrant toujours, il arriva vers la fin denovembre dans ce triste état à Bayonne, mais pours'y reposer à peine. Peu de jours après, il en repar-tait pour suivre le dépôt du régiment à Tarbes. Là,comme à Bayonne, il devint le centre d'une société.Avant lui, on s'était occupé dans cette ville du ma-gnétisme et de certains faits de somnambulisme. Cesfaits lui servent comme de points de départ pouréveiller l'attention sur les doctrines de l'Apôtre sué-dois, et il obtint des succès remarquables. Appelé àParis par des intérêts particuliers, il se sépare pourquelque temps de ces nouveaux disciples, et en pas-sant à Toulouse, renseigné par eux, il jette aussi làdes germes dont les racines y sont encore devenuesprofondes. A Paris, il revoit tous ses amis, il se mêleà tous leurs travaux de préparation. Il part ensuitepour Nantes, retrouve là Richer, but principal deson voyage, et prépare encore de nouvelles conquê-tes à la doctrine qu'il avait embrassée.

» Son retour à Tarbes était attendu avec impa-tience, il y rentra au mois de juillet; mais, au regretde tous les disciples, pour quelques mois seulement;ainsi le voulait sa position toujours dépendante dansun régiment. Cependant si ce fut un chagrin, sou-vent renouvelé pour lui, de quitter ses amis prèsdesquels il sentait sa présence nécessaire, de quels

288 LE CAPITAINE BERNARD.

avantages tous ces combats nombreux, tous ces pas-sages rapides dans tant de villes, ne furent-ils paspour la propagation de la doctrine Novi-Jérusalé-mite!...

n La nouvelle destination du 23e régiment qui,au commencement de 1823 rentrait d'Espagne etralliait son dépôt, était Tours avec Blois et Angers.Bernard résida d'abord à Tours, mais peu de temps.Parti pour Blois, il ne put oublier, en passant parAmboise, que c'était la patrie du théosophe Saint-Martin, aux ouvrages duquel il devait son retour auChristianisme. Il avait appris qu'il y trouverait en-core quelques membres de sa famille; il fut, en con-séquence, visiter un neveu (1) de ce philosophe, ob-

(1) M. Tournyer dont nous avons parlé dans notre livraison de jan-vier 1839 (ci-dessus, Page 227J. — Voici un passage d'une lettre qu'ilécrivait au capitaine Puvis en lui parlant de Bernard : < Je me félicite-> rai, toujours, dit-il, d'avoir fait la connaissance de ce véritable théo-» sophe, qui me semble bien destiné à fonder en France la Nouvelle» Église, d'après les merveilleux principes de Swedenborg, qu'on ne» saurait trop méditer. Je me rappelle bien que, lorsque M. de Saint-» Martin eut lu le premier ouvrage de ce Suédois, du Ciel et de l'En-> fer, il me dit qu'il regrettait que les autres ne fussent pas traduits,> afin de pouvoir mieux apprécier sa doctrine. Il n'aurait rien eu à dési-> rer, s'il eût lu son dernier ouvrage sur la Nouvelle Église. La Tkéo-• logie universelle ne laisse aucun doute dans l'esprit des lecteurs» pieux et préparés pour la lecture des Écritures Saintes, et des ouvra-» gesdeBœhme et de Saint-Martin. Les incrédules ne devraient pasp dire maintenant : Encore s'il revenait quelqu'un de l'autre monde,» pour nous instruire de ce qui s'y passe ; mais comme presque tous» ne veulent pas croire sur parole, ils diront maintenant qu'ils vou-» draient voir eux-mêmes les merveilles célestes pour les croire. »

LE CAPITAINE BERNARD. 289

tint plus tard de lui la communication de quelquesmanuscrits, et l'amena à mieux connaître la doctrinerévélée à Swedenborg, doctrine que, dans sa. jeu-nesse, il n'avait fait qu'entrevoir, ainsi que Saint-Martin, par le défaut seul de traductions qui alorsn'existaient point encore.

» Depuis quelque temps Bernard, n'ayant encoreque peu de relations commencées à Blois, restait plusabsorbé dans ses travaux d'étude, quand son père,magistrat âgé, venant des eaux de Vichy, fut apportéchez lui, atteint d'une maladie grave. Jusqu'à ce mo-ment, jamais l'esprit de ce vieillard ne s'était préoc-cupé des moindres questions religieuses, et dans sonétat, qui, tout autour de lui, donnait les plus vivesinquiétudes, son indifférence restait la même ; aussiquels chagrins profonds se manifestait chez son fils !Cependant Bernard ne se désespère pas; ses soins,ses exhortations à son père, ses prières au Seigneurne s'arrêtent point, et enfin il a le bonheur d'êtreexaucé dans tous ses vœux : son père est redevenuChrétien, la santé lui est rendue, et lorsqu'il est bienrétabli, Bernard l'accompagne à Nantes, mais il y resteà peine et revient aussitôt à Blois. Là, grand mouve-ment dans le clergé : on sait tout le zèle qu'un capi-taine a mis à ramener son père aux croyances chré-tiennes; mais on sait aussi que ce capitaine neprofesse pas tout ce qu'enseigne l'Église romaine, etl'on connaît toute son ardeur à répandre une Doc-trine Nouvelle. Mais quelle est-elle? on ne la connaît

25.

290 LE CAPITAINE BERNAED.

pas. Qu'importé? ce prosélytisme donne de l'ombra-ge, et rapport en est fait à la grande aumônerie.

» Bernard, s'étant ensuite formé des relationsnombreuses, revenait sans cesse auprès d'elles auxdoctrines qu'il professait; car c'était toujours là sonbut. L'esprit d'enseignement et de publication étaitinséparable de sa vie. Tout à coup un ordre inat-tendu le fait partir; contrariété nouvelle et toujourspartagée par les amis qu'il quittait. Biais une peinebien plus cruelle allait l'atteindre; il n'était pas àAngers, sa nouvelle destination, qu'il apprenait lamort de son père, qui, ce fut du moins pour lui uneconsolotion, était resté, jusqu'au dernier moment,dans la ferveur des sentiments réveillés à l'époquede sa maladie (1).

» En avril 1826, le régiment se rendit à Paris.Arriver là était un des désirs ardents de Bernard.Ses pensées rapides marchaient à l'établissementd'une réforme; il croyait l'époque prochaine où lesdoctrines religieuses allaient être appelées à jouerdans le monde un rôle immense, et recevoir une ap-plication mieux prononcée. La maison de Gobert de-vint le lieu de réunions fréquentes. Dans ce mêmetemps aussi, un événement grave pour la NouvelleÉglise se préparait. M. OEgger, premier vicaire de

(1) Dans une lettre date'e de Nantes et imprimée à Blois, en 18-25,Bernard annonça à ses amis la perte qu'il venait de faire. Cette lettrerenferme des sentiments d'une haute piété et de l'amour filial le plusprofond.— M. Bernard père était procureur du roi.

LE CAPITAINE BERNARD. 291

la cathédrale de Paris, se séparait des doctrines ro-maines, quittait une position heureuse pour entrerdans la voie des épreuves, des privations les plusdures; mais, guidé par Bernard et Gobert, il avaitpénétré avec Swedenborg dans la Nouvelle Révéla-tion des Écritures Saintes, et c'était pour se faireapôtre ardent de l'Église Nouvelle.

» Cependant l'horizon politique s'assombrissait,et chez le capitaine Bernard le désir de voir s'établirl'Église, annoncée par l'Apôtre suédois, excitait sonimpatience. Tous les événements lui semblaient veniren confirmation de son attente. « Le moment est» proche, disait-il souvent, le Règne du Seigneur va» paraître. » Dans toutes les villes où il avait préparédes disciples, il réchauffait leur zèle ; le sien étaitd'une ardeur sans exemple (1).

(1) Cette ardeur de Bernard à proclamer l'approche du Règne duSeigneur ne doit pas étonner. Combien de disciples, dans leur brûlantamour de voir jouir l'humanité entière des bienfaits de la Nouvelle Dis-pensation, ne se trouvent-ils pas portés à croire que le Régne du Sei-gneur va se manifester tout à coup ! Ils le sentent si bien descendrechaque jour dans leur propre cœur; les événements se succèdent main-tenant avec tant de rapidité dans l'ordre naturel, et montrent une ten-dance si prononcée pour la rénovation complète de cet ordre, qu'on peutprésumer que la grande manifestation qui s'est opérée, il y a 83 ans,dans le monde des causes, va s'effectuer aussi par des moyens analoguesdans le monde des effets. Quoiqu'il en soit, si cette prévision était uneerreur, ce ne serait toujours que celle d'un bon cœur, et elle ne pour-rait être nuisible qu'autant qu'elle serait de nature à produire du dé-couragement ; mais tout vrai disciple de la Nouvelle Jérusalem sait queles promesses d'une réhabilitation complète de l'humanité sont certaines

292 LE CAPITAINE BERNARD.

» Au mois d'avril 1827, un ordre fait partir le23me de Paris pour Besançon. Un moment, Ber-nard hésite s'il ne quittera pas sa position mili-taire. Il lui semble que tous ses efforts pour l'instal-lation de l'Église Novi-Jérusalémite ne peuvent avoirde résultats que faits et suivis surtout à Paris. Ce-pendant avant de prendre ce parti, il suit encore sonrégiment à Besancon ; et quelle satisfaction n'a-t-ilpas de ce voyage ! Il trouve dans cette ville deux dis-ciples des plus fervents de Swedenborg, le généralde Bissy et Genisset, professeur d'éloquence latine etsecrétaire perpétuel de l'Académie de la ville. Jus-qu'à ce jour, ils s'étaient livrés seuls et sans nullepensée de propagation à ces études religieuses; Ber-nard les initie dans tous les travaux auxquels il adonné lui-même une si grande impulsion ; il les ral-lie au centre de la société de Paris. La vaste érudi-tion de Genisset (1), les connaissances approfondies

et en voie d'exécution; il n'y a pour lui d'incertitude que sur l'époqueplus ou moins rapprochée de leur entier accomplissement. Ou le Sei-gneur aura recours à un moyen extraordinaire pour abréger les joursdouloureux de cette époque de transition, ou bien l'humanité, conduitede déceptions en déceptions par ceux qui la dirigent, finira par brisersuccessivement toutes ses idoles, par abandonner tous les faux christsqui lui promettront en vain la gùérison de ses maux, et viendra enfin sejeter dans les bras de Celui qui peut seul la sauver, parce que Seul il estle chemin, la résurrection et la vie.

(1) Décédé dernièrement à Besançon. Ce savant disciple a dû laisserdes manuscrits importants. Il serait à désirer que quelque frère prît àcet égard des informations, aOn qu'ils puissent être recueillis et mis àl'abri de toute desttuction.

LE CAPITAINE BERNARD. 293

de la Nouvelle Doctrine que possède le comte deBissy, tout arrive maintenant à servir aux travauxen commun, et Bernard, retournant à Paris au moisd'octobre, y reporte ainsi la moisson la plus riche.

» Pendant son séjour à Besançon, sa santé avaiteu une forte atteinte, toujours par suite de cette af-fection dont il avait déjà éprouvé plusieurs crises.Fatigué par le voyage, il fut encore surpris, à sonretour à Paris, par un vomissement tel, qu'on eut dela peine à le transporter dans un hôtel. Enfin, aprèsquelques jours, un peu de mieux survint, et aussitôt,malgré les conseils de ses amis, les travaux et lescourses recommencèrent. Le froid, la pluie, les dis-tances les plus éloignées, les rampes à marches nom-breuses, rien ne l'arrête; chaque soir il rentre épui-sé. En vain on se ligue autour de lui, en vain on faitmille efforts pour obtenir qu'il se ménage; pour lui,il faut être dans la voie tout entière des applica-tions; son ardeur s'en augmente, et il ne goûte plusde repos.

» Mais tout à coup il est forcé de s'arrêter, lesvomissements recommencent : on les calme d'abord;ils reviennent, et tous les efforts pour les combattrerestent infructueux. Vers la fin de janvier 1828, ilne peut déjà plus sortir ; le repos lui est à charge.Les visites alors deviennent nombreuses, nouvelleoccasion d'entretiens qui l'épuisent. Il ne lui est pluspermis de parler, et c'est avec la plus grande peinequ'on obtient de lui qu'il garde le lit.

25*.

294 LE CAPITAINE BERNARD.

» Du lait glacé avait pendant plusieurs jours câlinéles vomissements; vers le milieu de février, ce laitne suffit plus; et de la glace seule, placée sur la poi-trine, obtient quelque effet, mais effet avec réactionau cerveau; de ce moment une fièvre cérébrale sedéclare, la maladie fait des progrès effrayants, sesamis ne gardent plus d'espoir.

» II tomba bientôt dans un abattement qui devintde plus en plus profond. Madame de Saint-Amour etun de ses amis qui ne l'avait pas quitté pendant lecours de sa maladie, étaient près de son lit, écoutantsi la respiration durait encore, tant il y avait chezlui de faiblesse. Il murmura quelques-uns des nomsdes amis qu'il avait le plus affectionnés ; et quelquesmots de l'Oraison Dominicale venaient mourir surses lèvres. « Adieu, » nous dit-il, et il voulut qu'on luitendît la main. Ce fut le dernier signe qu'il donnaque son esprit était encore dans son corps matérielet près de nous; un instant après, un faible soupirnous annonça qu'il quittait ce monde; c'était le23. février. »

Nous n'avons pas voulu interrompre de nouveaule récit du capitaine Puvis dans sa marche à la foiscirconstanciée et rapide, pour placer dans l'ordrechronologique quelques autres particularités; nousavons pensé qu'elles trouveraient leur place ici.

» En 182o, dit le capitaine Paillard, je fis obser-ver à Bernard qu'il était bien étrange qu'avec desprincipes de bonté, de douceur, de charité et de

LE ÇApJÏ/lItŒ BpflARD, 295

paix, nous fussions, le sabre en main, à la têted'hommes armés de fusils et toujours prêts à en faireusage. Il me répondit qu'il en avait éprouvé une cer-taine répugnance, et que d'après cela il avait penséà donner sa démission, mais qu'il lui avait été ditque, dans toutes fonctions, l'on peut servir le Sei-gneur; que, du reste, lui se trouvait dans les siennestout à fait selon les vues de la Providence; qu'alorsil était décidé à s'y maintenir jusqu'à la fin. Nousdevons croire qu'il y était effectivement, en ce quepartout il trouvait des malheureux auxquels il don-nait des secours, et des hommes près desquels ils'introduisait pour allumer en eux le feu céleste, oule ranimer s'il y avait lieu. C'est ainsi qu'à Besançonil remit en état de travailler un malheureux ébénisteque la maladie avait réduit avec sa famille à la plusgrande misère, et qu'il fut mis en relation avec lebon général de Bissy et avec le frère Genisset, secré-taire perpétuel de l'Académie de cette ville. »

Nous terminerons cette notice sur Bernard par leportrait qu'en trace le capitaine Puvis qui, depuis1820, fut presque continuellement avec lui, et quilui ferma les yeux à sa sortie de ce monde.

» D'une taille au-dessus de l'ordinaire, Bernardavait de sa personne un soin de bon goût, mais sansrecherche. Ses manières étaient graves, mais enmême temps affectueuses; le caractère de sa figureétait plein de dignité; sa voix douce. Quand il par-lait, il était djfficile de ne pas être séduit, tant sa

296 LE CAPITAINE BERNARD.

conversation renfermait d'idées et de connaissances.Naturellement bienveillant, il était néanmoins sus-ceptible d'humeur, quand il se trouvait aux prisesavec l'incrédulité; alors il avait quelque peine à sedéfendre d'un certain emportement. D'une imagina-tion ardente, son esprit était avide de connaître.Peut-être aimait-il trop à descendre toujours au fondde son âme, à s'y perdre dans des extases où sescroyances nouvelles l'entraînaient ; mais toujoursceux qui le jugeaient ainsi lui rendaient-ils cette jus-tice, que jamais il n'y avait chez lui de mouvementsautres que ceux produits par un amour excessif dubien et du vrai, et reconnaissaient-ils encore qu'il fai-sait passer la doclrine qu'il professait dans toutes lesœuvres de sa vie. Le mot Providence était dans l'in-time de sa pensée. Il voulait que les doctrines reli-gieuses jouassent dans la société un rôle plus usuel,mais surtout que la législation, que tous les actes dela vie fussent édifiés sur le Christianisme; et c'étaitune conviction si forte chez lui que l'époque d'un telétablissement était proche, que le simple doute qu'onlui en exprimait excitait son emportement, mais co-lère douce à supporter, et toujours le fait seul deson amour pour la vérité et de son zèle pour le bien.Peu d'hommes ont possédé à un plus haut degré cesqualités; peu se sont livrés avec plus d'ardeur àl'étude de la doctrine annoncée par l'Apôtre suédois,et ont plus travaillé à sa propagation. Éloquent dis-ciple, jamais troublé par les argumentations du ra-

LE CAPITAINE BERNARD. 297

tionalisme le plus hardi, sans retour d'amour-pro-pre, saisissant toutes les vérités, les appliquant tou-tes, il fut de ceux qui contribuèrent le plus en Franceà présenter le secours nouveau descendu sur laterre. »

298

OBEULIN ETAIT UN DISCIPLE DE LA NOUVELLE JERUSALEM.

Si, dans notre siècle, il est un homme qui soitparvenu à faire taire la calomnie et à réunir en safaveur tous les suffrages, c'est sans contredit Ober-lin. Nous n'avons pas l'intention de retracer la vie sibelle et si bien remplie de cet apôtre de l'humanité,il n'est personne qui n'ait lu au moins un de cesnombreux ouvrages qui furent consacrés, dans plu-sieurs langues, à la rendre publique et à la faire ad-mirer; nous voulons seulement démontrer un faitimportant pour nous, c'est qu'Oberlin était un disci-ple de la Nouvelle Jérusalem. Nous ne doutons nul-lement que, dans ces temps de démoralisation com-plète, il n'ait été destiné, par la Providence, à offrirau monde, un type de Vhomme-pratique, tel qu'ildevra ressortir de l'entière application des doctrinescélestes de la Nouvelle Jérusalem.

Dans la première collection publiée par la sociétéMonthyon et Franklin, on trouve sur Oberlin uneNotice par M. Edouard Morel, alsacien, professeurà l'Institut royal des sourds et muets. Cette notice,la plus récente que nous connaissions, écrite du reste

OBERUN. 299

par un homme qui fut élevé près des lieux où vécutle vénérable pasteur de Waldbach, va nous offrir lesmoyens d'établir ce que nous avons annoncé.

M. Morel commence par tracer un tableau de lacontrée à demi-sauvage du Ban-de-la-Roche, qui dutsa civilisation à la charité et à la persévérance d'unvéritable apôtre de l'humanité. « Oberlin, dit-il,» voyait dans une mission évangélique une mission» de régénération sociale. » Puis il s'écrie : « Hon-» neur à Oberlin, qui, pendant 59 ans, a nourri ses» ouailles de la Parole de Dieu; qui, unissant à l'a-» mour le plus exalté de l'Écriture Sainte l'enthou-» siasme du bien, la confiance, la persévérance du» Chrétien, a su éviter les écarts du sentiment reli-» gieux, parce qu'il l'a toujours fait servir au bien-» être physique et moral de la contrée que la Provi-» dence lui avait confiée ! — Raconter la vie d'Ober-» l in, c'est présenter le plus parfait modèle du» pasteur évangélique, du vrai philanthrope. »

L'auteur a bien senti que le portrait, qu'il venaitde tracer, n'était ni celui d'un pasteur évangélique— dans l'acception toutefois qu'on donne communé-ment à ces expressions—• ni celui du vrai philan-thrope; mais qu'il appartenait à un homme qui réu-nissait en lui ces deux qualités : aussi s'empresse-t-ilde donner à Oberlin ces deux titres qui lui convien-nent parfaitement. M. Morel a fait preuve de saga-cité, car il est bien certain que les pasteurs évangé-liques de la Vieille Église se croient obligés de

300 OBERLIN.

séparer le spirituel du naturel, et l'on sait que, d'unautre côté, les philanthropes purs ne s'occupent guèrede la Parole de Dieu. Oberlin était donc à la foispasteur évangélique et philanthrope; or, c'est déjà unpoint d'une grande importance, car nous soutenonsque ce double caractère ne peut appartenir qu'à unvrai Novi-Jérusalémite. Qu'on ouvre, en effet, unTraité quelconque de Swedenborg, et l'on verra quepartout il recommande de ne jamais séparer le spi-rituel du naturel.

De ce que Swedenborg a eu des visions et s'appuiesur ces visions, on est porté à croire qu'il reste tou-jours dans le monde des causes au milieu du vague,et qu'il dédaigne notre monde des effets; c'est uneerreur des plus graves. Swedenborg est plus positifqu'on ne le croit en général; et, dans ses raisonne-ments, il ne s'écarte jamais des règles d'une bonnelogique : il nous révèle les causes, et nous les prouvepar l'analyse de leurs effets. Il s'appuie principale-ment dans ses démonstrations sur l'analogie, et l'onsait que ce genre de démonstration est admis mêmedans les sciences les plus exactes, les mathématiques.Il y a donc mille fois moins de vague dans les écritsde la Nouvelle Église que dans ceux du Catholicisme-Romain et du Protestantisme. Pour être Chrétienconséquent de la Vieille Église, il faut se détacher del'a terre pour ne vivre que dans la contemplation, etSwedenborg ne cesse de nous répéter : « Le royaumedu Seigneur est le royaume des usages; faites des

OBERLIN. 301

usages et toujours des usages. Le spirituel s'appuiesur le naturel comme sur sa base : celui qui n'estque dans le spirituel est comme un homme qui n'au-rait pas de pieds ; celui, au contraire, qui n'est quedans le naturel est comme un homme qui n'auraitpas de tête. Pour être véritablement homme, il fautêtre en même temps dans le spirituel et dans le na-turel, et subordonner le naturel au spirituel. Si l'onsubordonnait, au contraire, le spirituel au naturel,on serait alors comme un homme qui aurait les piedsen l'air et la tête en bas. » Ce n'est certainementqu'en suivant ces principes qu'Oberlin a su, commele dit son biographe, éviter les écarts du sentimentreligieux, en le faisant servir au bien-être physi-que et moral de ses concitoyens.

Il ne sera pas inutile de rappeler ici, en peu demots, les immenses résultats que l'union bien ordon-née du spirituel et du naturel a produits dans uneorganisation comme celle d'Oberlin.

Nommé, en 1767, pasteur de Waldbach, Oberlincommence son œuvre de civilisation en faisant con-struire à ses frais une maison d'école ; plus tard, ilcrée le premier un établissement pour l'enfance ; cefut là l'origine des salles d'asile qu'on s'empresseaujourd'hui d'établir de tous côtés. Il rend pratica-bles les voies de communication, entretient les che-mins, ouvre de nouvelles routes avec le secours deshabitants dont il excite le zèle, creuse un lit à la ri«vière, construit des ponts, et se charge de leur en-

26.

302 OBERL1N.

tretien et de celui des chemins. — II perfectionnel'agriculture, rend productif des terrains incultes,et forme un magasin d'instruments aratoires, où leshabitants trouvent les objets au prix coûtant. — IIremplace les sauvageons par des arbres fruitiers,plante des pépinières, introduit les prairies artifi-cielles, et ménage les prés naturels par un bon sys-tème d'irrigation. — II institue une société d'agri-ture, et l'affilié ensuite à celle de Strasbourg, dontil est membre. — II envoie des jeunes gens en ap-prentissage hors de la contrée, et bientôt le pays ades artisans indigènes ; il favorise l'introductiond'une filature de coton. — II établit une pharmacieoù les remèdes sont distribués gratuitement, et faitporter des secours à domicile au moyen de garde-malade. — II forme une caisse où les pauvres peu-vent puiser, à la condition expresse d'envoyer leursenfants à l'école. Il crée une caisse d'emprunt oùl'on prête sans intérêt et sans gages, Mont-de-Piétévraiment digne de ce nom, qui extirpa la mendicité.— Il s'abonne aux journaux les plus intéressantspour en communiquer des extraits dans des réunionshebdomadaires; enfin, en formant une bibliothèqueambulante, il donne encore le premier exemple d'uneinstitution qui s'est propagée depuis dans les paysétrangers. C'est ainsi qu'Oberlin réalisa, dans un re-pli ignoré des Vosges, toutes les fondations d'huma-nité qui, dans beaucoup de pays, font encore aujour-d'hui l'objet des vœux ardents du philanthrope.

OBERLIN. 303

Tels sont les nombreux travaux de l'ordre naturel,exécutés par le pasteur de Waldbacli ; mais commeil les subordonnait tous au spirituel, voilà pourquoitous furent si bien vivifiés. En effet, « dans le sys-» terne de régénération que méditait Oberlin, la re-» ligion était le pivot auquel se rattachaient toutes» ses pensées, tous ses projets.

» II conserva au culte son ancienne simplicité,» ajoute M. Morel ; il savait, dans ses exhortations,» se mettre à la portée de ses auditeurs; pour faire» comprendre les vérités qu'il enseignait, il em-» pruntait les exemples de la vie commune ; mais les» choses les plus vulgaires acquéraient dans sa bou-» che un charme puissant. Souvent, après le service» divin, il adressait à ses paroissiens de sages con-» seils sur leurs intérêts temporels; et il ne croyait» pas profaner la sainteté du temple, en permettant» aux femmes d'y travailler pour les pauvres. »

Ne reconnaît-on pas encore là le vrai disciple dela Nouvelle Jérusalem ? Pour se faire comprendre,Oberlin sort de la voie commune, il procède, commeSwedenborg, par analogie, et aussitôt les vérités lesplus sublimes du Christianisme sont saisies par desimples paysans. Il ne dédaigne pas de descendreavec eux dans ce qui a rapport aux intérêts de la vieterrestre, parce qu'il sait que la religion est baséesur la liberté; que pour être parfaitement libre,l'homme doit se conserver un esprit sain dans uncorps sain, et qu'ainsi, au nombre des devoirs reli-

304 OBERLIN.

gieux, se trouve aussi celui de pourvoir, par desmoyens honnêtes, aux besoins de première néces-sité : à la nourriture, au vêtement et au logement.Enfin, il a pour les objets du culte extérieur le res-pect qu'ils méritent, mais il se garde bien de leurdonner une importance qui n'a que trop souvent dé-généré en superstition.

En examinant successivement chacun des actes dela vie d'Oberlin, il serait facile de s'assurer qu'iln'en est pas un qui ne soit une application rigou-reuse de cette doctrine céleste que Swedenborg areçu mission de révéler au monde ; et, dès lors, onserait forcé de convenir que le pasteur de Waldbachétait un véritable disciple de la Nouvelle Jérusalem ;mais cet examen, nous pouvons nous dispenser de lefaire. M. Morel va nous fournir lui-même les moyensde rendre, sur ce point, la conviction aussi complèteque possible. Continuons de citer :

« Les sciences historiques, philosophiques, ma-» thématiques, physiques, furent tour à tour l'objet» des méditations d'Oberlin, et il aimait à les consi-» dérer sous le rapport pratique. Il avait réuni dans» son cabinet les productions les plus remarquables» des règnes animal, végétal et minéral, avec quel-» ques instruments de physique, et il se plaisait à» initier les jeunes gens dans les secrets de la na-» ture. Les ouvrages qui traitent des rapports» entre le monde spirituel et le monde matériel» captivaient fortement son attention. Il publia

OBERLIN. 305

» un almanach, purgé de toutes les erreurs qui s'a-» dressent à la crédulité du paysan, et dota les écoles» de cartes géographiques dessinées, gravées sur» bois et imprimées par lui-même. »

L'on voit déjà ici que l'esprit du savant, du phi-lanthrope, de celui qui cherchait par tous les moyensà extirper les superstitions populaires, était cepen-dant captivé par les ouvrages qui traitent des rap-ports entre le monde spirituel et le monde natu-rel. Quels étaient-ils ces ouvrages? Nous allons levoir bientôt; mais nous ferons d'abord remarquerqu'Oberlin n'ayant jamais donné la moindre preuved'inconséquence, ceux des philanthropes actuels quirejettent, avec dédain, tous rapports entre les deuxmondes, seront fort embarassés pour concilier lepenchant prononcé d'Oberlin pour ces rapports, etle zèle qu'il mit à répandre son almanach.

Si Oberlin vivait encore et qu'il fût interrogé surce point, le vénérable pasteur de Waldbach ne seraitpas embarrassé pour répondre : Croyez-vous, di-rait-il, que l'histoire nous présenterait, parmi lepeuple de tous les temps et de tous les lieux, ces su-perstitions si dégradantes pour l'humanité, et contrelesquelles vous vous élevez avec tant de raison, sielles ne renfermaient pas elles-mêmes quelque prin-cipe vrai, qui a été tout à fait dénaturé, soit par unintérêt de cupidité ou de domination, soit par cequ'on a appelé des fraudes pieuses. Or, s'il en estainsi, et, pour peu qu'on ait étudié la nature de

26*.

306 OBERLIN.

l'homme, on ne saurait le contester, ne devons-nouspas faire tous nos efforts pour chercher à dégager lavérité de l'erreur, en avouant noblement l'une, aurisque de passer pour des esprits faibles, et en com-battant l'autre par tous les moyens qui sont en notrepouvoir ?

« Oberlin, ajoute M. Morel, avait beaucoup d'ori-» ginalité dans ses conceptions, mais ses fantaisies» les plus singulières portaient l'empreinte d'une» belle âme; il attachait un sens symbolique aux» couleurs. Son imagination ardente, nourrie des» ouvrages mystiques de Swedenborg, aimait à» franchir le seuil du tombeau pour interroger le» monde mystérieux qui attend notre âme dégagée» de ses liens terrestres. »

Plus de doute maintenant ; l'aveu ne pouvait pasêtre fait d'une manière plus explicite : Son imagi-nation ardente se nourrissait des ouvrages deSwedenborg. Il connaissait donc notre Céleste Doc-trine? Oh ! oui, il la connaissait et l'avait bien médi-tée; car toute sa vie en a été une application con-stante. Nous n'avions pas besoin de cet aveu pourêtre convaincu qu'une si belle vie était un desprécieux résultats de la Nouvelle Dispensation desvérités divines; mais cet aveu formel, nous nous enemparons, pour l'opposer désormais à quiconquedouterait qu'Oberlin eût été Novi-Jérusalémite.

Comme notre Swedenborg, Oberlin vécut heureuxau milieu des heureux qu'il faisait; et, comme lui, il

OBERLIN. 307

atteignit la vieillesse la plus avancée, sans en éprou-ver aucun désagrément. « II conserva son activité» d'esprit jusqu'à la fin de ses jours; son corps se» refusait à sa volonté, que son imagination rêvait» encore le bien, et sa dernière prière fut une inter-» cession pour sa paroisse chérie. — II se reposa» dans le sein de l'éternité, en 1826, à l'âge de» 86 ans. »

Mais ces rapports ne sont pas les seuls que lepasteur de Waldbach eut avec l'Apôtre des tempsmodernes. Comme lui aussi, il déclare franchementavoir eu des visions. C'est ce que nous apprend en-core l'écrit de M. Morel : « Le 17 janvier 1783, ce» vertueux père de famille perdit sa digne compa-» gne, qui s'était associée à toutes ses généreuses» pensées, à toutes ses utiles entreprises. Il supporta» cette perte douloureuse avec une sainte résigna-» lion : persuadé que la mort n'avait pas rompu» tout lien entre son épouse et lui, il assurait que,» semblable au génie de Socrate (i), elle lui appa-

(1) En se servant de cette expression, le génie de Socrate, Oberlinmontrait une grande connaissance des hommes de son siècle, tous plusou motus soumis au joug des idées philosophiques, et en même tempsil donnait une preuve d'un grand tact; car il écartait par cette précau-tion oratoire, le ridicule qui, sans elle, n'eût pas manqué d'être déversésur lui; et, d'un autre côté, il ne s'éloignait en aucune manière de lavérité qu'il chérissait avant tout. En effet, ce génie de Socrate, sur le-quel on a beaucoup écrit, était de la même nature que celui d'Oberlin :ce ne pouvait être qu'un des hommes qui avaient précédemment habitéle monde naturel; car il n'existe point d'êtres intermédiaires entre Dieu

308 OBERLIX.

» raissait chaque fois qu'il avait besoin d'un con-» seit ou d'une consolation.

Vous tous qui admirez Oberlin, qui que voussoyez, philosophes, savants, moralistes, philanthro-pes, chrétiens de toutes les Communions, commentpourriez-vous encore repousser Swedenborg à causede ses visions, quand celui que vous appelez Vhommepresque divin (1) avoue lui-même avoir eu des vi-sions, quand il déclare positivement que c'est par cemoyen surnaturel qu'il recevait les conseils ou lesconsolations dont il avait besoin. Cessez donc deporter avec légèreté un jugement sur les écrits del'Apôtre suédois, avant de les bien connaître; carOberlin, l'homme que vous présentez, à juste titre,comme un modèle de toutes les vertus, Oberlin enfaisait sa lecture de prédilection, il en nourrissaitson esprit, il s'efforçait de les mettre en application

et l'homme, et la preuve incontestable de cette vérité pour tous ceuxqui croient à l'Écriture, c'est que l'homme a été créé à l'image et à laressemblance de Dieu, et qu'il est impossible d'après cela que d'autresêtres, qui ne seraient pas à l'image et à la ressemblance de Dieu, fussentsupérieurs à l'homme. Il n'est donc pas un seul habitant du monde spi-rituel qui n'ait été précédemment homme sur l'une des terres du mondenaturel. Socrate, néanmoins, n'en imposait pas, en se servant de l'ex-pression de génie; il était obligé de parler de manière à se faire com-prendre de ses contemporains; seulement, il se trompait, si, par suitedes ténèbres où l'on était alors sur cette matière, il croyait ce génied'une nature autre que la nature humaine, dépouillée de sou enveloppematérielle.

(1) Expressions qu'employait M. Lezai-Marnésia, Préfet du Bas-Rhin, lorsqu'il parlait d'Oberlin. (Voir la notice de M. Morel.)

OBERL1N. 309

«dans tous les actes de sa vie ; et s'il n'eût pas été aidéde leur secours, alors, comme la plupart des philan-thropes et des pasteurs évangéliques les mieux inten-tionnés, il serait resté sans boussole au milieu de cevague d'idées qui nuit aux meilleures résolutions, etil n'eût pas réalisé toutes ces merveilles qui sontmaintenant le sujet de votre admiration.

Si nous reconnaissons les visions comme des faitsréels de l'ordre spirituel, nous sommes bien loinnéanmoins de mettre au rang des visions véritablesces illusions fantastiques, malheureusement si com-munes, qui sont plus nuisibles que profitables. Lescommunications avec le monde des esprits, où setrouvent à la fois le bien et le mal, le vrai et le faux,offrent en général, pour les hommes de notre épo-que, des dangers de plus d'un genre. Elles peuventnon-seulement priver l'homme de son libre arbitre,qui lui est indispensable pour sa régénération, maisle jeter même dans les erreurs les plus préjudicia-bles, s'il ne connaît pas bien la nature de ce inonde ;et, pour peu qu'il soit enclin à quelque sentiment devanité, d'amour-propre, d'orgueil ou de domination,il risque de devenir la victime d'esprits enthousias-tes, toujours prêts à flatter adroitement ses passions.Pour ne plus redouter ces dangers, il faudrait êtreen même temps dans la charité, dans la foi et dansles œuvres, c'est-à-dire, avoir des affections pures,dépouillées de tout amour de soi, c'est la charité;posséder une connaissance éclairée des vérités divi-

310 OBERLIN.

nés révélées à Swedenborg, c'est la foi ; et éviter lavie purement contemplative en s'occupant activementde tout ce qui peut contribuer au bonheur de l'hu-manité, ce sont les œuvres. Si les communicationsd'Oberlin avec le monde spirituel n'ont eu pour luiaucun danger, et lui sont devenus profitables, c'est,sans aucun doute, parce qu'il remplissait admirable-ment bien ces trois conditions.

M. Morel termine ainsi sa notice : « De nombreux» ouvrages ont été consacrés, dans plusieurs lan-» gués, à retracer la vie d'Oberlin ; c'est qu'elle est» une de celles qui honorent le plus la nature hu-» maine; c'est qu'elle offre un puissant intérêt, parce» qu'elle se rattache à la civilisation d'un peuple, et» Oberlin l'a réalisée dans son extension la plus syn-» thétique ; car il a procuré au Ban-de-Ia-Roche» tous les bienfaits de l'agriculture, de l'industrie,» de l'éducation, des bonnes mœurs, des influences» religieuses et du bien-être; et celte civilisation,» dont le développement embrasse ordinairement» une longue suite de siècles, offre ici quelque chose» de merveilleux : elle est l'ouvrage d'un seul hom-» me. »

Eli bien ! cet homme, dont la vie paraît si mer-veilleuse, il était, comme nous venons de le prouver,disciple de cette Nouvelle Jérusalem, destinée par leCiel à faire le bonheur de l'humanité. Oui, d'aprèssa vie et de l'aveu même de ses admirateurs, Ober-lin nous appartient; la gloire dont on se plaît à l'en-

0 BERLIN. 311

tourer, nous la revendiquons, non pour les Novi-Jérusalémites, qui savent que tout bien vient duSeigneur; non pour lui, qui savait fort bien aussique toute idée de mérite est opposée à l'Ordre Divin,et vicie le bien que l'on fait; non pour le Seigneurqui n'en a nullement besoin, mais pour l'édificationde la Nouvelle Église, mais pour la propagation deses doctrines, mais pour l'accélération du bonheurde l'humanité, qui s'obtiendra plus facilement parcet exemple des merveilles que peuvent opérer lesprincipes de la Nouvelle Jérusalem, lorsqu'ils sontmis en application.

Nous ne terminerons pas cet Article sans remer-cier M. Morel de nous avoir fourni l'occasion deparler d'Oberlin. Puisse l'exemple de celui dont il asi bien su retracer la vie, l'engager à porter son at-tention sur les ouvrages dont se nourrissait l'ima-gination ardente du pasteur de Waldbach !

312

GOBERT ET BERNARD.

Dans la Notice sur Bernard, Page 274, nousavons dit quelques mots de Gobert, avocat distinguédu barreau de Paris, dont la maison devint, en 1826,le lieu de réunions fréquentes. Ce zélé disciple, quine tarda pas à aller rejoindre Bernard dans unmonde meilleur, avait fait dans le nôtre des effortsinouis pour répandre et faire fructifier une doctrinequi avait répandu tant de charmes sur son existenceterrestre. Son érudition et sa vie pratique étaientconnues du petit nombre de disciples qui existaientalors; aussi était-il souvent consulté par ceux quidésiraient faire de rapides progrès dans la nouvellevoie que la Providence avait ouverte aux hommes.L'un d'eux lui ayant demandé, au nom de quelques-uns de ses frères, quel était son avis sur les prièrespériodiques, Gobert lui adressa cette réponse quenous nous faisons un devoir de reproduire, parcequ'elle est de nature à éclairer quelques-uns de nosfrères sur ce point important, et à résoudre d'avanceles questions que d'autres pourraient avoir l'inten-tion de faire.

GOBERT ET BERNARD. 313

...... Sans doute, dans le vrai Christianisme,» dans celui de la Nouvelle Église, tout doit être» amour et liberté, et la vie et les œuvres une prière» continuelle, la charité en action. » « Mais cela nedoit point empêcher les prières périodiques, lorsquel'on entend bien, comme nous le faisons, que cesprières ne sont ainsi faites que lorsque rien de plusà propos dans la pratique n'en empêche, et qu'ellesle sont très-librement, volontairement et avec amour.La périodicité est dans l'ordre, qui est de Dieu, etDieu même en quelque sorte. Les jours et les nuitsse succèdent périodiquement; et y a t-il quelquechose de plus convenable, de plus à propos, — tou-jours quand rien de plus pressé n'en détourne, —que de suivre cet ordre, ouvrage du Seigneur, en luirendant grâces, à la fin de chaque nouveau jour etde chaque nouvelle nuit, des bienfaits qu'il ne cessede répandre sur nous, et en lui en demandant la con-tinuation avec les lumières et les forces spirituellesnécessaires pour reconnaître le mal hors de nous etsurtout en nous, et pour le fuir; comme pour dis-cerner en toutes choses ce qui est le plus juste, lemeilleur et le plus sage, c'est-à-dire, sa divine etsainte volonté, et l'accomplir; pour implorer enfinsa bénédiction sur nous et sur nos frères?

» La périodicité et la régularité, toujours entenduescomme je viens de le dire, ne nous sont-elles pasordonnées par le commandement même de Dieu desanctifier le jour du sabbat, commandement qui n'est

27.

314 GOBERT ET BERNARD.

pas plus abrogé que les autres préceptes du Décalo-gue? Si nous éprouvons quelquefois une sorte d'é-loignement et de relâchement pour les prières jour-nalières et hebdomadaires, il faut bien prendre gardede s'y tromper, c'est presque toujours parce quenous sommes distraits par les choses extérieures quinous entourent; et, dans ce cas, il est évident quenous en avons plus besoin que jamais pour nous dé-tacher de ces choses extérieures au degré convena-ble, élever notre âme au Seigneur, et nous remettredans la disposition d'esprit nécessaire pour que nouspuissions recevoir sa divine influence de lumière, desagesse et de force d'âme; car, c'est là, vous le savezbien, cher frère, le principal but et l'effet bienfaisantde la prière. Que si, lorsque cette disposition existe,notre bienveillance et notre charité pour nos frèresnous font joindre à nos prières l'invocation pleine debons désirs et de la grâce divine sur eux, pour lesaider eux-mêmes et se joindre en quelque sorteainsi à eux au même moment, — les esprits peuventcorrespondre malgré les distances qui ne sont rienpour eux, — il est évident que ce sera d'abordmettre en action, en exercice, notre confiance dansle Seigneur et notre amour pour le prochain, et quecela ne pourra toujours être qu'infiniment utile pourtous.

» Veuillez soumettre à nos frères ces courtes ré-flexions que vous pourrez développer, et les assurerde ma sincère affection chrétienne. »

GOBERT ET BERNARD. 31S

Les nouveaux disciples cherchaient à s'éclairer, etles anciens faisaient consister leur plus grand bon-heur à les aider de leurs conseils. Tous se faisaientun plaisir de s'entr'aider, de se fortifier mutuelle-ment. Bernard surtout était doué de la faculté depersuader : sa parole était entraînante; aussi s'atta-chait-il de préférence à toucher le cœur. Sa voix nepeut plus être entendue; mais, une partie de sa cor-respondance nous ayant été confiée, nous pensonsque ceux qui n'ont point connu ce fervent disciple,liront avec intérêt les épanchements de cette belleâme dans le sein de ses amis.

« Je glorifie avec vous le Seigneur, — écrivaitBernard à l'un de ses frères, — des heureux fruitsque vous avez obtenus dans votre voyage, les attri-buant, comme vous le faites, à l'assistance particu-lière que vous en avez reçue et qui ne vous manquerajamais, persuadé, comme vous, que nous ne pouvonsrien par nous-mêmes; que les enfants du Seigneurn'ont d'autre voie à suivre que de se laisser guiderpar son Esprit, et que la Divine Providence emploiecontinuellement tous les moyens conformes à l'ordrepour éclairer et ramener ceux qui peuvent l'être, seservant à cet effet du ministère de quiconque a déjàconnu la vérité et est animé du saint désir de la fairegoûter à ses frères. 0 Divine Charité! Source im-mortelle du bonheur et de l'activité des êtres céles-tes ! c'est encore toi qui sur la terre produis et mul-tiplies miraculeusement les œuvres salutaires !... Qui

316 GOBERT ET BERNARD.

pourrait peindre ton zèle, tes travaux, les succès quiles couronnent, les joies pures qui en sont le prix !Émanée de l'amour infinie du Père des miséricordespour tous ses enfants, tu deviens dans leur cœur unimmortel aiguillon qui les presse d'accomplir lesplans de sa sagesse et de son incommensurable bon-té! Feu sacré du soleil de vie, remplis à jamais nosâmes, et que, portées sans cesse par une invincibleet douce attraction vers le centre adorable du DivinAmour, elles trouvent ainsi et puisent en lui l'ali-ment journalier qui peut seul engendrer dans l'être,créé à son image, la vie, la lumière et l'action ! »

C'est cependant à un capitaine en activité de ser-vice que nous devons cette belle invocation, et ill'écrivait à une époque où la philosophie et la vieilledoctrine, méconnaissant l'une et l'autre les vraisprincipes, se faisaient une guerre acharnée. Bernardîie cessait de correspondre avec ceux qu'il avait tirésdes ténèbres, et auxquels il avait fait adopter lesdoctrines de la Nouvelle Jérusalem. Il les mettait enrelation les uns avec les autres, et dans chacune deses lettres se trouvaient toujours de pieuses exhor-tations. Nous ne résisterons pas au désir d'en citerquelques-unes :

« Les nouvelles que vous me donnez du pro-grès de la vérité chrétienne parmi vos amis me cau-sent la joie la plus sensible. Que de grâces nousavons à rendre au Souverain Dispensateur d'un siefficace et si évident appui! Car, que ferions-nous

GOBERT ET BERNARD. 317

par nous-mêmes? Tout est dû à la force de la vérité,dira-t-on ; mais c'est Lui qui est la vérité. Le désirde bonheur, inné dans tout homme, porte, on leconçoit, à adopter ce que l'esprit reconnaît commeun moyen d'y conduire; mais c'est encore cet adora-ble Sauveur qui, nous communiquant l'influx de sapropre essence, nous donna le besoin d'une félicitésans bornes; et c'est encore en nous éclairant de savraie lumière qu'il nous conduit dans la voie quinous en fera jouir; bien plus, c'est en se donnant ànous, comme substantielle essence d'amour et de sa-gesse, qu'il assouvit l'invincible désir de notre âmeimmortelle, que rien d'incréé ne satisfit jamais. C'esten la nourrissant ainsi pendant l'éternité qu'il rem-plira le but que s'est proposé son amour infini, encréant des réceptacles animés de la vie dont l'expan-sion tend à produire le bonheur de tous les êtres.Heureux donc, cent fois heureux ceux qui, reportantvers lui tous les dons qu'ils en ont reçus, sentent vi-vifier leurs facultés et leur être intime par la sourceincréée de lumière et d'amour ! Répondant ainsi auxvues du Bienfaiteur suprême, ils voient multiplierses bienfaits ; rétablissant en eux l'image altérée ja-dis, ils deviennent les enfants chéris du Père céleste,les agents et les messagers dont il se sert pour faireentendre sa voix aux enfants égarés qui souffrent etlanguissent encore, privés du souffle régénérateurdestiné à ranimer dans les âmes des fils de Dieu lavie divine et le vrai bonheur. »

27%

318 GOBERT ET BERNARD.

Est-il question de la philosophie moderne et dufanatisme, voyez avec quelle chaleur il les combatl'une et l'autre.

« Si des Sceptiques et des Déistes ont été ramenéspar le magnétisme à croire à la Révélation positiveque des abus et le surnaturel leur avaient fait reje-ter d'abord, pourraient-ils maintenant revenir àprofesser le Catholicisme dont l'Espagne'et l'Italie,où il est encore véritablement dominant, nous mon-trent l'impuissance et les funestes effets? Adopteront-ils, au contraire, avec Luther et Calvin, la justifica-tion par la foi, la prédestination, l'intolérance an-glaise et la Trinité de personnes? Il nous est aussidémontré qu'il n'existe aucune secte, aucune com-munion ou association religieuse qui, sur la terreaujourd'hui, ne soit plus ou moins entachée de dé-plorables erreurs qui entretiennent la division, favo-risent le crime, et causent les malheurs du monde.C'est pénétrés de ces réflexions et animés d'unamour éclairé de nos frères, que nous pouvons an-noncer aux hommes de bonne volonté, aux amantsde la vérité qui la cherchent encore, la DispcnsationNouvelle, qui, semblable à une arche de salut, estofferte aux mortels par l'inépuisable bonté de leurCréateur et Sauveur, dont ils avaient perverti lesdons. Il veut les arracher au joug odieux d'un fana-tisme impitoyable, aux enseignements dégradantsd'une aveugle superstition, comme à l'empire nonmoins funeste d'une philosophie dénaturée, étayée

GOBERT ET BERNARD. 319

de systèmes aussi incomplets que superficiels, qui afait du monde un cahos, et qui l'eut réduit en désert,si la Providence éternelle, qui tire le bien du malmême, n'avait usé, pour nous sauver, de son pou-voir modérateur. Accueillez-la donc, ô mes frèreschéris, cette œuvre de miséricorde; croyez au Ré-dempteur Divin qui seul a pu vaincre le mal, et vientétablir l'harmonie. Son amour infini vous convie aubonheur... Oh! ne refusez pas les dons de votrePère; que l'éclatant flambeau de la vérité vous ré-veille et vous dirige. Chassez bien loin de vous l'é-goi'sme et l'orgueil; aimez, aimez vos frères; adorezle vrai Dieu Créateur et Sauveur... Bientôt vous ver-rez renaître un nouvel âge d'or; la douce paix enfinhabitera sur la terre, et vous ne quitterez ce fortunéséjour que pour venir au sein des affections célestesde la félicité sans fin, promise aux enfants du Triom-phateur éternel ! »

S'agit-il de calmer la douleur d'une famille éplo-rée par la perte d'une mère chérie, Bernard remplitce devoir, en lui rappelant, dans cette triste situa-tion, les dogmes si consolants de notre céleste doc-trine qui mettent désormais tous les 'disciples de laNouvelle Église à l'abri d'un cruel désespoir.

« L'impression que j'ai éprouvée moi-même enapprenant cet événement inattendu, me fait biencomprendre tout ce qu'a dû souffrir la famille dontvous me peignez la désolation... Et nous aussi, nousétions ses parents, et nous participons à la douleur

320 GOBERT ET BERNARD.

commune. Mais quels puissants motifs de consolationnous sont offerts!... Pourrions-nous pleurer long-temps celle qui, maintenant affranchie des tribula-tions du lieu d'épreuves, a saisi la couronne incor-ruptible de gloire; celle qui, n'aimant jamais que lebien qu'elle sut toujours accomplir, pénétrée des di-vines vérités qu'il a plu au Seigneur de nous révélerdans la sainte Parole, était si bien préparée pour lecéleste séjour? Oh! non, nous ne nous affligeronsplus sur le sort de celle qui n'a quitté ceux qui l'ai-maient ici-bas que pour jouir de l'éternelle béati-tude; non, ses enfants, ses amis, ses proches nel'ont point perdue. Du monde spirituel qu'elle habiteaujourd'hui, elle ne cessera point de les aimer; elleveille sur eux, et son âme affranchie des liens ter-restres conserve à jamais l'affection et la penséepour lesquelles il n'est point d'espace. Appelée dansses derniers jours à faire partie de la Jérusalem des-cendue des Cieux, notre digne sœur habite aujour-d'hui ce nouveau Ciel que Jéhovah a formé selon sapromesse.—Ésai'e, LXV. 17.— C'est là que nous se-rons éternellement pénétrés de joie avec elle, lors-que nous aurons accompli le temps de notre habita-tion dans un corps mortel. Seigneur, Dieu Tout-Puissant, Rédempteur adorable, ne permets pas quenous t'offensions jamais, en manquant de résignationà ta volonté sainte; rends notre foi plus vive et plusefficace; répands dans nos cœurs un rayon de cetardent amour dont tu es la source infinie, de cet

GOBERT ET BERNARD. 321

amour qui, suivant l'Apôtre, supporte tout, croittout, espère tout, souffre tout, afin que, renouvelés àton image, nous soyons ici-bas des serviteurs fidèles,et que nous puissions être réunis un jour aux vraismembres de ton Église, que tu rappelles dans ta sa-gesse pour couronner leurs travaux dans ton sein ! »

322

NOTICE

SUR LE GÉNÉRAL DE BISSY.

Parmi les anciens disciples de la Nouvelle Églisequi se sont activement occupés de la Nouvelle Dis-pensation, le général de Bissy doit tenir une placeimportante ; s'il ne se livra pas, comme le capitaineBernard, à la propagation de la doctrine par des dis-cussions orales, il employa du moins tous ses mo-ments à méditer le Livre Saint, et à faire une étudeprofonde des écrits de Swedenborg. Les manuscritsqu'il a laissés sont nombreux et importants; mais laplupart doivent rester quelque temps inédits, et at-tendre pour être publiés qu'il se présente des cir-constances opportunes. Il en est un néanmoins dontnous pouvons dire maintenant quelques mots; ilporte ce simple titre : Explications sommaires desparoles dites en 1816 et 1821 à Thomas Martin,laboureur de la Beauce; s'il était imprimé, il for-merait un fort vol. in-8°.

On sait l'impression que le simple laboureur de laBeauce produisit sur Louis XVIII, le plus philosophedes rois de la branche aînée; l'entrevue qu'il eut

LE GÉNÉRAL DE BÎSSY. 323

avec ce monarque est rapportée dans les Mémoiresd'une femme de qualité, la comtesse Olympe DDu reste, les événements extraordinaires arrivés àMartin sont consignés dans plusieurs relations quifurent faites à diverses époques. On crut générale-ment que cette affaire avait été dirigée par le partiprêtre pour subjuguer l'esprit d'un vieillard : le gé-néral de Bissy était aussi porté à le croire; il pensaitsurtout que les rédacteurs de la relation qui passaitpour la plus authentique, avaient bien pu altérer lesparoles et les faits pour assurer la domination de laBabel; car ces paroles sont en grande partie confir-matives des cérémonies du Catholicisme-Romain.Mais notre frère fut plus tard retiré de son erreur;et, par une exégèse basée sur la Science des Corres-pondances, et sans s'écarter des principes de cettescience posés dans les écrits de Swedenborg, il ex-plique les sens naturel, spirituel et céleste des pa-roles et des faits consignés dans la relation. Il s'at-tache, en outre, à prouver que les sens spirituel etcéleste sont entièrement conformes à la doctrine dela Nouvelle Église; que la mission de Martin tendaità faire entrer la France dans les voies de la Nou-velle Dispensation, en agissant sur le Chef de l'État;et que les malheurs prédits à la famille royale, dansle cas où elle n'exécuterait pas ce qui lui était pres-crit, ne lui sont arrivés que parce qu'au lieu de ren-trer dans le sein du vrai Christianisme par la charitéet par l'humilité qui lui étaient recommandées, elle

324 LE GÉNÉRAL DE BISSY.

s'est maintenue dans l'amour de soi et dans l'or-gueil, et ne s'est occupée que de remplir les pres-criptions qui concernaient seulement l'extérieur.

Sans examiner ici la nature des choses extraordi-naires que renferme la relation de Thomas Martin,nous nous contenterons d'avoir présenté l'opinion dugénéral de Bissy, et nous profiterons de cette cir-constance pour mettre de nouveau en garde contrele danger des communications spirituelles. Noussommes arrivés à une époque où ces sortes de com-munications deviennent de plus en plus fréquentes;on les voit se manifester dans toutes les contrées;partout elles excitent la surprise et souvent l'enthou-siasme de ceux qui en sont témoins; et quoiqu'ellessoient toutes formulées dans un langage emblémati-que, jusque dans les termes mêmes qui paraissent lesplus clairs, on est souvent porté à les prendre à lalettre, ce qui peut entraîner dans les erreurs lesplus déplorables. Nous ajouterons que dans le faibledegré spirituel où nous sommes encore, quelles quepuissent être d'ailleurs nos connaissances dans lalangue des correspondances, il nous serait dange-reux de chercher à expliquer ces communicationspour nous diriger dans la vie : le Seigneur nous adonné sa Parole Divine, tenons-nous-en aux pré-ceptes qu'elle renferme en nous éclairant des lu-mières de la Nouvelle Dispensation ; ce sera toujoursle plus sûr.

Cependant, lorsqu'il s'agit d'anciennes comrauni-

LE GÉNÉRAL DE 1USSY. 325

cations, telles que celles dont traite l'ouvrage du gé-néral de Bissy, il n'est pas sans intérêt de chercherà découvrir, au moyen de la Science des Correspon-dances, le sens spirituel qu'elles renferment. Nousavançons même que si un semblable travail était faitsur toutes les productions véritablement extatiquesqui nous ont été léguées'par les siècles derniers etpar le commencement de celui-ci, on parviendraitsans aucun doute à démontrer que toutes s'expliquentavec la même clé, la Science des Correspondances,et qu'elles ont toutes rapport à l'Avènement du Règne-du Seigneur sur la terre et à la manifestation de sa-Nouvelle Église, la Nouvelle Jérusalem. Notre propo-sition est générale, et concerne aussi bien les extati-ques du Catholicisme-Romain, la religieuse d'Avila, lasœur de la Nativité, etc., que les mystiques du Pro-testantisme et ceux de l'Islamisme et de toutes les re-ligions de l'Orient. Ce travail, loin d'entraîner dansdes dangers, aurait l'avantage de servir à démontrerl'universalité de notre doctrine. Explorons le passé,mais gardons-nous de vouloir pénétrer l'avenir.

L'ouvrage du général de Bissy sur Thomas Martinest rempli d'observations judicieuses, et renferme denombreuses digressions dont quelques-unes méritenttoute l'attention des disciples de la Nouvelle Église.Nous espérons pouvoir entrer plus tard dans de plusgrands détails sur les écrits de ce frère que la DivineProvidence a appelé naguère dans un monde meilleur.

28.

326

UN MOT AU NOUVEAU-MONDE

JOURNAL PHALANSTÉRIEN.

En annonçant dans notre dernière livraison labrochure de Mme Ve Dalibert, la Nouvelle Jérusa-lem et le Phalanstère, nous nous sommes exprimésainsi : la Nouvelle Jérusalem étant en possessiondes vérités révélées qui sauveront l'Humanité,doit attendre que la science vienne à elle; et ellene peut, en aucun cas, s'écarter des principesque renferme sa doctrine. Ces paroles sont tout àfait conformes à l'ensemble des idées émises dans lecours de notre publication; jamais la Revue n'a pu-blié, en fait de choses spirituelles, rien qui indiquâtsa tendance à faire de l'ecclectisme : elle prêche lacharité, la tolérance; elle reconnaît que tous lescultes possèdent quelques vérités spirituelles étouf-fées sous le poids d'erreurs plus ou moins grossiè-res; que tous ceux qui vivent dans le bien, quelleque soit du reste leur religion, sont acceptés par leSeigneur; mais en même temps elle soutient que ladoctrine de la Nouvelle Église prédite dans le LivreSaint, sous l'emblème de la Nouvelle Jérusalem, est

UN MOT AU NOUVEAU-MONDE. 327

entièrement renfermée dans les écrits de Sweden-borg, et que là seulement se trouve la vérité spiri-tuelle dans toute sa pureté. Elle soutient, en outre,que toutes les vérités naturelles que la science a dé-couvertes et qu'elle découvrira viendront se grouperautour de cette vérité spirituelle, et la rendront pluséclatante aux yeux des savants et de tous ceux qui,pour croire, ont besoin de témoignages scientifiques.

La Nouvelle Jérusalem doit donc attendre que lascience vienne à elle, c'est-à-dire, attendre que lascience reconnaisse, au moyen d'études sur Sweden-borg, que la vérité spirituelle, dégagée de toutes leserreurs dont on l'avait affublée, est le principe detoutes les vérités naturelles. Nous serions-nous mon-trés exclusifs, en disant que nous ne pouvons enaucun cas nous écarter des principes que renfermenotre doctrine? Pourrait-on même agir autrementsans cesser, par ce seul fait, d'être Novi-Jérusa-lémite? Il n'en est pas d'une doctrine religieusecomme d'une doctrine sociale : il n'y a aucune com-paraison à faire entre les écrits d'un révélateur etles théories d'un homme de génie : ce sont chosesd'une nature tout à fait différente. On peut admettre enpartie les œuvres du génie, car quel est l'homme quine soit sujet à errer; mais, quand il s'agit d'une ré-vélation, tout en doit être admis, ou bien son originedivine disparaît entièrement.

Cependant le Nouveau-Monde blâme les expres-sions que nous avons employées; or, s'il a foi, lui,

328 UN MOT AU NOUVEAU-MONDE.

au génie de Fourier, il ne doit pas trouver extraor-dinaire que nous ayons foi, nous, au Seigneur, DieuCréateur, Rédempteur et Régénérateur, dont Swe-denborg ne se donne que comme le simple serviteur.Nous ne raisonnons ici que dans l'hypothèse où Fou-rier serait seulement considéré comme un homme degénie. Mais si la foi du Nouveau-Monde en Fouriers'étend jusqu'à ses écrits cosmogoniques, ainsi queson numéro du 21 décembre semblerait l'indiquer,et s'il pense que la doctrine phalanstérienne soitsuffisante pour répondre à tous les besoins tant na-turels que spirituels de l'homme, les expressionsque nous avons employées ont dû lui paraîtreétranges. Dans cette nouvelle hypothèse, nous luidirons : « Ayez le courage de vos convictions, et ex-posez les théories cosmogoniques de Fourier commenous exposons les révélations de Swedenborg; etalors tous les hommes d'avenir, qui désirent si vive-ment une base religieuse pour consolider les concep-tions du génie et satisfaire les besoins du cœur, setrouveront en état de pouvoir décider. »

Quant aux .expressions inconvenantes qu'emploiele Nouveau-Monde, nous nous abstiendrons de lesrelever; nous ne devons nous occuper que des prin-cipes.

329

EXTRAIT DU NOUVEAU-MONDE.

Le Nouveau-Monde, journal de la science so-ciale, commence ainsi un article, signé P., et intituléSwedenborg et Fourier :

« Parmi toutes les sectes que le Catholicisme ap-» pelle en masse protestantes, les Novi-Jérusalémites» sont une des plus nouvelles et des plus intéres^» santés à étudier. Tandis que les autres sectes ne se» différencient que par des nuances qui leur donnent» la petite satisfaction de se différencier, celle-ci se» lient à part avec une physionomie prononcée et un» regard inspiré qui contraste étonnamment avec la» tenue très-bourgeoise de ses compagnes. C'est une» monnaie neuve et burinée par un grand artiste, à» côté de pièces communes et usées. »

Nous ne suivrons pas aujourd'hui M. P. dans sonparallèle de Swedenborg et de Fourier; il nous pro-met d'autres articles sur le même sujet, et nous au-rons ainsi occasion d'y revenir. Nous dirons seule-ment que nous savons gré au Nouveau-Monde d'a-voir parlé de Swedenborg, lorsque les autres feuilles

28*.

330 EXTRAIT DU NOUVEAU-MONDE.

périodiques, et même celles de l'école sociale, sem-blent, par leur silence, ignorer que les écrits deSwedenborg sont propagés et étudiés en France; etnous engagerons M. P. à poursuivre le cours de sesétudes sur des écrits dont il semble apprécier le mé-rite. Habitués depuis longtemps à voir ceux que l'onappelle savants repousser avec dédain tout ce quiconcerne les choses spirituelles, nous avons lu avecplaisir dans le Nouveau-Monde que l'article dontnous parlons était dû à un savant distingué.

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LES ARCHIVES DU CHRISTIANISME

(JOURNAL .DE LA .RÉFORME).

Quoiqu'il fût question, dans tous nos numéros,des doctrines de la Vieille Église, les journaux reli-gieux du Protestantisme et du Catholicisme-Romainse gardaient bien de prononcer le nom de la NouvelleJérusalem; ils craignaient sans doute d'éveiller l'at-tention de leurs lecteurs sur des doctrines qu'ils nepourraient combattre en présence du public. Cepen-dant, à propos d'un Avis sur la vente des Bibles in-complètes, avis publié dans le recueil officiel desactes du Directoire de la Confession d'Augsbourg enFrance, le journal méthodiste les Archives du Chris-tianisme, dans son numéro du 25 avril dernier (1840),semble vouloir rompre le silence. Nous désirons vi-vement, dans l'intérêt du vrai Christianisme, que lesArchives ne s'en tiennent pas à une simple mentionde l'existence en France de l'Église de la NouvelleJérusalem, et qu'elles se décident enfin à discuterses doctrines. Voici, du reste, les quelques mots querenferment les Archives :

« On se demande, en lisant l'Avertissement que le

332 LES ARCHIVES DU CHRISTIANISME.

» Directoire a cru donner à MM. les pasteurs, quelles» peuvent être ces éditions incomplètes des Saintes» Écritures? Des disciples de Swedenborg, mem-» bres de l'Église de la Nouvelle Jérusalem, au-» raient-ils voulu préparer la victoire à leur pro-» phète moderne, en faisant disparaître du texte» sacré tel livre contraire aux révélations des esprits» élémentaires et autres ? »

Nous dirons d'abord à MM. des Archives quenous ne sommes pas plus des disciples de Sweden-borg qu'ils ne sont, eux, des disciples de Wesley;nous sommes disciples du Seigneur Jéhovah-Jésus-Christ, seul Dieu du Ciel et de la Terre, ou des Novi-Jérusalémites, c'est-à-dire, des membres de sa Nou-velle Église, la Nouvelle Jérusalem. Nous ne formonspas une secte, c'est-à-dire que nous ne différons pasde la Vieille Église en quelques points ; nous procla-mons, autant qu'il est en notre pouvoir, que laVieille Église a adultéré, falsifié et profané tous lesbiens et toutes les vérités du Christianisme; qu'elleest ainsi parvenue à sa fin, et qu'elle n'a plus en ellela véritable vie qui constitue une Église : nous for-mons le noyau de la Nouvelle Église Chrétienne quele Seigneur fonde lui-même par sa propre puissanceet selon ses promesses, Église qui sera universelle,et qui recevra dans son sein tous les hommes debonne volonté dont le cœur gémit des désordres re-ligieux, moraux, politiques et civils, auxquels l'hu-manité est livrée ; et, en un mot, tous ceux chez quiil restera encore quelque étincelle du feu sacré.

LES ARCHIVES DO CHRISTIANISME. 333

Quant au texte sacré, nous dirons que nous l'en-tourons de plus de vénération que ne pourrait lefaire le plus pieux des méthodistes (1). Quand la dis-cussion sera acceptée sur ce point, les preuves denotre assertion ne nous manqueront point.

Enfin, par ces expressions : les esprits élémen-taires, les rédacteurs des Archives prouvent qu'ilsn'ont pas les plus légères notions des écrits du Pro-phète moderne; nous les engageons à les étudierdorénavant, avant de se hasarder à en parler.

Nous trouvons dans le même numéro des Archi-ves, section Études Chrétiennes, un article sur laprédestination. L'auteur ne craint pas de proclamerhautement ce dogme anti-social et anti-chrétien; ill'étaie même de passages de l'Écriture Sainte. Etc'est sur un dogme aussi sacrilège que vous fondezl'espoir, de ramener les populations au Christia-nisme ! Vous pourrez réussir à faire des fanatiques,mais certes vous ne ferez pas des Chrétiens. Malheu-reux ! ne voyez-vous pas que vous blasphémez votreDieu? ne voyez-vous pas que de ce Dieu d'amour,que de ce Père des miséricordes, vous ne faites qu'unDieu barbare, qu'un père capricieux, injuste, impi-toyable? Quoi! le Seigneur pourrait sauver malgréeux quelques-uns de ses enfants, et il ne les sauve-

(1) Nous employons ce mot faute de savoir quelle est la qualificationque préfèrent les dissidents auxquels nous répondons; lorsqu'ils nousl'aurons fait connaître, nous nous empresserons de nous en servir enparlant d'eux.

334 LES ARCHIVES DU CHRISTIANISME.

rait pas tous ! Oh oui ! Dieu d'amour, tu les sauveraistous, si l'homme contraint dans sa liberté ne cessaitpas par cela même d'être homme; oui, tu nous ap-pelles tous à toi, dans tous les instants de notre vie;mais tu ne contrains personne ; et si nous persistonsdans notre perversité, si nous nous perdons, dumoins nous ne pourrons pas nous plaindre de tabonté. Mais, dire que le Dieu d'amour choisit celuiqu'il veut ; dire qu'avant notre naissance même noussommes prédestinés au bonheur éternel ou à la dam-nation ; blasphème ! blasphème épouvantable ! Pour-quoi Dieu ferait-il donc un choix parmi tous ses en-fants? Nous n'en savons rien, dites-vous, mais laParole parle d'élus, et cela nous suffit. Hé ! la Pa-role parle aussi des clés données à Pierre; pour-quoi vous êtes-vous donc séparés de Rome? La Pa-role dit aussi que Jean-Baptiste était lui-même cetÉlie qui devait venir, — Matth. XI. 13, 14. XVII.10 à 13, — pourquoi ne croyez-vous donc point àla métempsycose? Ignorez-vous d'ailleurs que, de-puis plus de seize siècles, toutes les sectes chré-tiennes ont trouvé dans la Parole, prise à la lettre,des passages pour confirmer leurs principes ? Ouvrezdonc les yeux, et étudiez une doctrine qui, baséeelle-même sur le sens de la lettre, donne l'explica-tion de toute l'Écriture, et présente aux hommes leDieu d'amour, de sagesse et de justice dans la per-sonne du Seigneur Jésus-Christ.

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SWEDENBORG

APPRÉCIÉ EN ANGLETERRE PAR DES HOMMES DE LETTRES.

Lorsqu'on consulte les recueils biographiques pu-bliés en France depuis quelque temps, on peut êtrecertain d'y trouver un article consacré à Sweden-borg. Il n'était plus permis, en effet, de passer soussilence le nom d'un homme si extraordinaire; mais,avant de porter un jugement sur lui, a-t-on dumoins cherché à connaître les particularités les plusimportantes de sa vie? C'est ce dont on n'a pasmême songé à s'occuper. On sait, du reste, commentse font en général ces recueils biographiques. Tou-tes les fois qu'il s'agit de personnes qui ont appar-tenu et appartiennent à l'opinion avouée ou secrètedes auteurs, et à celle qui leur est opposée, il y aréellement travail et méthode dans l'exposition desfaits; mais quand il s'agit de tout autre personnage,chaque entreprise nouvelle de biographie puise sansexamen dans celles qui l'ont précédée. Or, les es-prits, depuis plus d'un demi-siècle, ayant été plutôtportés aux idées philosophiques et politiques qu'auxidées religieuses, tous les biographes se sont con-

336 SWEDENBORG APPRÉCIÉ EN ANGLETERRE.

tentés de répéter, avec de légères variantes, un pre-mier article fait par un des adversaires du célèbreSuédois. Ce n'est pas cependant un reproche sévèreque nous adressons aux biographes; Swedenborgétant encore peu connu en France, ils ont agi enverslui comme envers beaucoup d'autres personnages;car chaque nouveau biographe tient à ce que sonœuvre ne soit pas moins complète que celles de sesdevanciers. Nous mentionnons ici le fait, en l'expli-quant toutefois, afin qu'on sache du moins à quois'en tenir sur toutes ces prétendues biographies deSwedenborg.

En Angleterre, où l'illustre Suédois est connu de-puis plus longtemps comme théologien, les biogra-phes ne pourraient pas, à son égard, se conduire dela même manière, sans fournir aussitôt une preuveévidente d'ignorance. Aussi, quelle que soit d'ail-leurs leur opinion, ils sont obligés de puiser à dessources non équivoques, lorsqu'ils veulent parlerd'un homme qui a joint la théosophie la plus sublimeà la science la plus profonde et la plus étendue. Onen jugera par la notice suivante qui accompagnaitune Collection de portraits des personnages les pluscélèbres, intitulée L'Unique :

« Si l'on envisage le caractère peu commun et lesprétentions de l'homme qui va maintenant nous oc-cuper, on verra que nul ne présente à notre vue unobjet de contemplation plus digne d'intérêt: car il

SWEDENBORG APPRÉCIÉ EN ANGLETERRE. 337

n'y a pas d'homme qui soit examiné sous des pointsde vue si différents par des personnes qui possèdentles mêmes moyens d'établir un jugement éclairé, nid'auteur dont les écrits soient probablement destinésà produire des résultats plus importants.

» Le baron Swedenborg est surtout connu commethéologien ; et, à ne le considérer que sous ce pointde vue, il est estimé ou déprécié à la légère par despersonnes qui, pour la plupart, forment leur opinionsur le rapport de ses adversaires; mais comme ilétait en même temps philosophe-naturaliste distin-gué, — circonstance peu connue dans ce pays, quoi-que sa réputation scientifique soit pleinement établiesur le continent, — nous le présenterons d'abord ànos lecteurs sous ce caractère, lequel, étant combinéavec les autres, fournira matière aux méditationsdes profonds penseurs et des esprits philosophiques,qui n'ont pas l'habitude de résoudre les difficultéspar une conclusion hardie et arbitraire, mais quisont portés à rechercher sincèrement l'origine desmanifestations extraordinaires de l'esprit, ainsi queles vues vraiment originales et les conceptions deschoses hors de la portée commune du vulgaire.

» Emmanuel Swedenborg était fils de l'Évêque deSkara, dans la Westrogothie; il naquit à Stockholmle 29 janvier 1688. Son père se nommait GaspardSwedberg; mais le nom de son fils Emmanuel futchangé en celui de Swedenborg, — conformément àune coutume suédoise, — parce qu'il fut appelé à

29.

338 SWEDENBORG APPRÉCIÉ EN ANGLETERRE.

siéger à la Chambre des nobles dans l'Assemblée desÉtats du Royaume. Cette élévation lui donna unrang équivalent à celui qu'on exprime en Angleterrepar la désignation d'Honorable, dont ses sectateursfont ordinairement précéder son nom; mais il estgénéralement appelé, par le public (anglais), baronSwedenborg.

» Swedenborg fit ses études avec une grande ap-plication, non-seulement à l'Université d'Upsal, maisencore dans celles d'Angleterre, de Hollande, deFrance et d'Allemagne. M. Sandel, qui prononça unéloge en sa mémoire devant l'académie des sciencesde Stockholm, le 7 octobre 1772, s'exprime de lasorte : « Comment puis-je tracer le caractère d'un» génie si étendu, si sublime et si laborieux, que ses» studieuses applications ne fatiguèrent jamais, et» qui, sans travail pénible, porta ses investigations» dans les sciences les plus profondes et les plus dif-» ficiles; qui, pendant plusieurs années successives,» fit nombre d'efforts, couronnés du plus beau suc-» ces, pour découvrir les secrets de la nature, ouvrit» et rendit facile l'étude de quelques-unes des scien-» ces exactes, et enfin pénétra dans les plus profonds» secrets, sans avoir même perdu de vue une mora-» lité sévère, ou la crainte de l'Être Suprême, con-» servant jusqu'à la fin toute la force de son esprit,» sans éprouver ce déclin des facultés mentales au-» quel sont soumises tant de personnes. »

» La liste de ses ouvrages montrera l'étendue de

SWEDENBORG APPRÉCIÉ EN ANGLETERRE. 339

son intelligence, et leur contenu justifiera l'éloge quenous avons fait ; nous citerons particulièrement sesouvrages anatomiques qui unissent à un grand fondde science expérimentale, les déductions rationnellesles plus hardies, dont plusieurs ont depuis été prou-vées, par des recherches plus étendues, être parfai-tement exactes, et ont paru devant le public sous laforme de découvertes nouvelles.

» Dans l'année 1716, et à l'âge de 28 ans, il pu-blia des Essais sur les sciences mathématiques etphysiques, sous le titre de Dœdalus hyperborœus.L'année suivante il donna une Introduction à l'Al-gèbre, et deux ans après un travail sur la Positionet le Mouvement de la terre et des autres planè-tes, et une Méthode nouvelle pour découvrir leslongitudes, soit en mer, soit sur terre, par lemoyen de la lune. Nous passons sous silence plu-sieurs ouvrages ingénieux et utiles sur la mécanique,pour arriver à ses Œuvres philosophiques et miné-ralogiques,3 vol.in-folio,publiés en 1734; son Éco-nomie du règne animal, en deux parties, publiéesen 1740 et 1741, in-4°. La première partie traitedu sang, des artères, des veines et du cœur; la se-conde, du mouvement du cerveau, de la substancecorticale et de l'âme humaine. Son Règne animaltraite de sujets anatomiques non mentionnés dans leprécédent ouvrage; il contient des observations surle toucher, sur le goût et sur les formes organiquesen général. Il fut publié en 1744 et 1748, in-4°.

340 SWEDENBORG APPRÉCIÉ EN ANGLETERRE.

» Dans tous les ouvrages philosophiques de Swe-denborg, il y a un caractère distinclif qu'on trouverarement dans les productions d'hommes instruits :un très-haut degré de vénération pour l'Auteur Su-prême de la nature, et pour la Révélation Divine.Toujours attentif aux occasions de faire dériver de lacontemplation de la nature, non-seulement l'instruc-tion, mais encore l'édification, il associe habituelle-ment les vues de la grandeur de la création avec lamajesté du Créateur, les preuves de la puissance di-vine avec la perception de la divine bienfaisance; et,de toutes ses découvertes, il tire de nouvelles raisonset de nouveaux motifs pour l'adoration et le culte duseul Être qui ait la vie en soi.

» La religion personnelle de Swedenborg n'étaitpas d'un genre purement contemplatif, comme on levoit par les simples règles que, dans la première pé-riode de sa vie, il se prescrivait pour sa conduitejournalière, et qu'après sa mort on a trouvées dansses manuscrits : 1° Lire souvent la Parole de Dieu,et la méditer beaucoup. 2° Être toujours résigné etcontent du sort que nous réserve la Providence.3° Observer une conduite décente et honorable, et semaintenir une conscience pure et sans reproche.4° Obéir à tout ce qui est ordonné, être exact à rem-plir les devoirs de son état, et faire tout ce qui esten son pouvoir pour se rendre utile à tous, sans ex-ception.

» Le premier ouvrage ci-dessus mentionné mit

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Swedenborg sur le rang des savants, et lui procurala faveur du Roi,— l'illustre Charles XII,— qui l'as-socia au célèbre Polhammar, dans la surintendancede la construction des travaux publics. Peu après, ilfut nommé aux fonctions d'Assesseur au Collège desMines, emploi d'une grande confiance publique etdonnant de forts émoluments.

» II fut annobli, en 1719, par la reine Ulrique;c'est à cette occasion que son nom fut changé,comme on l'a déjà observé.

» Nous arrivons maintenant à la partie la plus re-marquable de la vie de cet homme extraordinaire.En 1743, lorsqu'il était en possession d'une granderéputation, de l'honneur, d'une belle aisance, et del'estime d'un grand nombre d'hommes savants etvertueux de toutes les nations, il annonça subitementque le Seigneur Dieu, le Sauveur, lui avait donné lafaculté de voir dans le monde spirituel, et l'avaitrendu ainsi capable de converser avec les esprits etles anges, pour qu'il pût apprendre et divulguer auxhommes le système des vérités réelles du Christia-nisme.

» Depuis ce moment, — il était âgé de cinquante-cinq ans, — il discontinua ses études de philosophienaturelle, et jusqu'au jour de sa mort, le 29 mars1772, — dans une période de vingt-neuf ans, — ilcontinua à déclarer qu'il avait communication avecle monde invisible, et publia, en latin, environ trentevolumes de travaux théologiques, entremêlés de nar-

29*.

342 SWEDENBORG APPRÉCIÉ EN ANGLETERRE.

rations de choses et d'événements de ce monde in-connu qui passa sous sa pénétrante observation.

» Parmi ses ouvrages théologiques, — tous tra-duits en anglais,— on remarque : La Vraie ReligionChrétienne, contenant la théorie universelle de laNouvelle Église, prédite, dans l'Apocalypse, sousl'emblème de la Nouvelle Jérusalem ; — Du Ciel etde ses Merveilles, et de l'Enfer, relation de chosesentendues et vues; — l'Apocalypse Révélée; •— lesArcanes Célestes, ou Mystères célestes renfermésdans la Sainte Ecriture, manifestés et découverts.

» Plusieurs Suédois éminents, contemporains deSwedenborg, dont ils appréciaient le savoir et con-naissaient les vertus, embrassèrent ses doctrines etcrurent à ses déclarations ; et comme il n'y avait pasde moyens de s'inscrire en faux contre ces dernières,la franchise veut que ceux qui admirent ses doctri-nes, et qui, sur la foi de la véracité de Swedenborg,acceptent ses assertions, soient libres d'en agir ainsi,sans encourir de blâme de la part de ceux qui préfè-rent regarder la chose sous un autre point de vue.

» Les Rév. docteurs Beyer et Rosen, membresdu Consistoire ecclésiastique de Gottenbourg, ayantdonné leur approbation aux sentiments théologiquesde leur compatriote Swedenborg, une persécutionfut excitée contre eux par le doyen de ce Consistoire,et enfin un mandat, émané du Suprême Conseil d'É-tat, exigea du docteur Beyer une profession de foisur les écrits de Swedenborg. Pour se conformer à

SWEDENBORG APPRÉCIÉ EN ANGLETERRE. 343

cet ordre royal, le 2 janvier 1770, le docteur Beyerdélivra au roi, Adolphe-Frédéric, une déclarationdans laquelle il dit : « En examinant les doctrines» religieuses contenues dans les ouvrages de Swe-» denborg, et répandues dans eux tous, mais spécia-» lement dans ceux de ses volumes qui constituent la» seconde classe de ses écrits, nous voyons qu'ils» sont partout illuminés, et confirmés sans réplique,» même conformément à la lettre, par les passages» les plus formels de la Parole; car c'est une règle» fondamentale avec lui, à l'égard de toute doctrine» de l'Église, qu'elle doit être tirée du sens littéral» de la Parole prise dans son ensemble et dans ses» détails, et par là confirmée. Cette règle est suivie» dans toutes ses doctrines toujours clairement prou-» vées par les passages les plus incontestables de» l'Écriture. Voyez, par exemple, comment il a dé-» montré, dans la Doctrine concernant le Seî-» gneur, qu'il n'y a qu'un Dieu, que Jésus-Christ est» ce Dieu, et qu'en lui est la Divine Trinité, appelée» Père, Fils et Saint-Esprit. »

» Quelques personnes ont attribué les visions deSwedenborg au dérangement de l'esprit; mais sesadhérents demandent qu'on leur fournisse la preuved'un tel état dans ses écrits doctrinaux et dans saconduite. Ces écrits, disent-ils, sont remarquablespar l'étendue de la mémoire, la finesse du raisonne-ment, la nouveauté et la clarté de l'illustration, etpar un arrangement méthodique qu'on pourrait à

344 SWEDENBORG APPRÉCIÉ EN ANGLETERRE.

peine égaler; et quant à sa conduite, ajoutent-ils,elle fut toujours celle d'un gentleman accompli, en-joué, poli et agréable.

» Les admirateurs du système théologique deSwedenborg, dans ce pays, se nomment thé NtivJérusalem Church, l'Église de la Nouvelle Jéru-salem, conformément à sa déclaration, que les doc-trines qu'il donnait constituaient le corps pur etparfait du Christianisme, qui, reçu dans le cœur etappliqué dans la conduite, menait à cet état sublimede l'Église chrétienne prédit, — comme il s'était ef-forcé de le démontrer,—sous l'emblème de la Sainte-Cité, la Nouvelle Jérusalem, dans la Révélation del'Apôtre Jean. Ils ne sont pas très-nombreux encore,mais l'infériorité de leur nombre n'est pas un argu-ment contre la vérité de leurs opinions, Swedenborgleur ayant donné pour raison que son système s'a-dressant aux puissances intellectuelles du genre hu-main, et s'appliquant seulement aux dispositions dé-sintéressées, il ferait son chemin lentement et pardegrés. L'équité nous force à dire qu'ils forment untroupeau moral et digne de respect, et qu'ils mon-trent une profonde vénération pour les Saintes Écri-tures. Dans leurs controverses avec les autres Com-munions chrétiennes, ils ont manifesté une grande ha-bileté et une grande pénétration, jointes à beaucoupde modération, même quand ils auraient eu raisonde se plaindre des procédés de leurs adversaires.

» Sous tous les points de vue, Swedenborg doit

SWEDENBORG APPRÉCIÉ EN ANGLETERRE. 345

être distingué de la foule des enthousiastes igno-rants. — Son rang, ses vertus, son savoir et ses ta-lents veulent qu'on l'en distingue ; et, puisque lesÉcritures nous obligent à croire à la possibilité decommunications surnaturelles, il n'est peut-être pasde meilleur moyen pour éprouver leur validité,quand elles sont professées, que de considérer le ca-ractère personnel du parti qui les professe, les ac-tions qui accompagnent sa conduite, et la valeur in-trinsèque des résultats qui en sont la conséquence. »

Cette notice porte avec elle un cachet d'impartia-lité. Nous aurions pu néanmoins faire des observa-tions au sujet de quelques expressions qu'elle ren-ferme; mais le lecteur pourra y suppléer, en se rap-pelant qu'elle a été écrite par des hommes du monde,qui, malgré leur respect pour l'Écriture Sainte, res-pect d'ailleurs très-commun en Angleterre, ne par-tagent nullement nos opinions religieuses. Puisse cetexemple de nos voisins détourner nos compatriotesde parler dorénavant de Swedenborg avec légèreté !

346

POURQUOI SWEDENBORG A PUBLIE SES VISIONS ET SES

MÉMORABLES.

Beaucoup de personnes, en voyant la pureté desprincipes doctrinaux que renferment les écrits deSwedenborg, s'étonnent que l'illustre Suédois, dontle jugement est si solide et dont les raisonnementssont toujours si logiquement déduits, ait publié enmême temps ses visions et ses relations mémorables.Ces personnes, dont les intentions, du reste, ne sontpas suspectes, croient que les doctrines de la Nou-velle Église auraient eu plus de facilité à se répan-dre, si elles eussent été présentées au monde Chrétiendégagées de cet accessoire, qui, ajoutent-elles, leurest plus nuisible qu'avantageux. Ainsi pensait le pre-mier ministre de Gustave III, le Sénateur comte Hop-ken, ce même homme d'État d'un mérite distinguéqui disait à son Roi en parlant des doctrines de laNouvelle Jérusalem : « Si j'avais à fonder un état» fort et tranquille, je ne ferais qu'y mettre des» Novi-Jérusalémites. » Le comte Hopken, qui étaitlié d'amitié avec Swedenborg, voulant connaître lemotif qui avait porté son ami à publier des Visions

VISIONS ET MÉMORABLES DE SWEDENBORG. 347

et des Mémorables, lui demanda un jour une expli-cation sur ce sujet. La réponse de Swedenborg nousa été conservée; le Précurseur de Cincinnati, jour-nal de la Nouvelle Église, répondant au journal mé-thodiste de la conférence de Pittsbourg, cite cesphrases du Ministre de Gustave ni :

« De toutes les doctrines chrétiennes, celle deSwedenborg est la plus rationnelle ; elle insiste plusque toute autre sur la nécessité des principes bons ethonnêtes. Deux choses sont à remarquer dans la doc-trine et les écrits de Swedenborg : D'abord ses révé-lations : Je ne peux les juger, n'en ayant jamais eumoi-même, qui me donneraient les moyens de con-trôle nécessaires, soit pour les affirmer, soit pour lescontredire ; mais elles n'ont rien de plus extraordi-naire que l'Apocalypse de Jean, et autres semblablesrelations contenues dans la Bible. En second lieu,les dogmes de sa doctrine : Ceux-ci, je peux les ju-ger, et je soutiens qu'ils sont excellents, incontesta-bles, les meilleurs qui aient jamais été enseignés, lesplus propres à opérer un bonheur complet dans lavie sociale. Je sais que Swedenborg a raconté debonne foi ses visions. Je lui demandai un jour pour-quoi il avait écrit et publié ses Visions et ses Mémo-rables, qui semblaient jeter tant de ridicule sur sadoctrine, d'ailleurs si rationnelle, et s'il n'aurait pasmieux valu garder le silence sur ce point, au lieud'en instruire le monde. Il me répondit qu'zV avaitreçu du Seigneur l'ordre de faire cette publica-

348 VISIONS ET MÉMORABLES DE SWEDENBORG.

lion, et que ceux qui s'en prévaudraient pour leridiculiser commettraient une injustice; car, dit-il, comment pourrait-on supposer qu'un homme demon âge voulût se rendre ridicule en publiant desfaussetés et des rapsodies ?»

Ainsi, c'est sur l'ordre formel du Seigneur queSwedenborg a écrit et publié ses Visions et ses Mé-morables. Toujours pressé de jouir, l'homme jugeordinairement des choses par les effets qu'elles peu-vent produire pendant son existence terrestre, quin'est cependant qu'une portion infinitésimale de savie; toujours porté à se poser comme centre, les ob-jets qu'il voit du point de vue qui lui est propre luisemblent ne pas devoir être vus sous des faces diffé-rentes. Il n'est donc pas étonnant que des admira-teurs de Swedenborg, en entendant tourner en déri-sion les Visions et les Mémorables du théosophe,aient regretté qu'il les ait publiés; et il est encoremoins étonnant que ceux qui ont adopté la NouvelleDoctrine sans y être conduits par l'examen de cesfaits extraordinaires les aient jugés inutiles. Les vuesde la Divine Providence sont universelles et infinies ;il n'appartient pas à l'homme de les sonder; cepen-dant, Dieu permit à Moi'se de le voir par derrière,c'est-à-dire qu'il nous est permis de considérer lesvoies miséricordieuses de la Providence, en réflé-chissant sur les choses passées et présentes, et d'entirer des règles de conduite pour l'avenir, en plaçanttoute notre confiance dans le Seigneur. Or, depuis la

VISIONS ET MÉMORABLES DE SWEDENBORG. 349

conversation du comte de Hopken avec Swedenborg,près d'un siècle s'est écoulé; et que d'événementspendant cette période ! Pouvait-on croire alors quecette société qui paraissait si fortement constituéeallait être ébranlée, sans qu'il lui fût possible, mal-gré tous ses efforts, de se replacer sur ses bases ?Naguère encore, on ne voyait dans le grand mouve-ment qui agite le monde depuis cinquante ans qu'unesimple modification politique ; et ce n'est que main-tenant qu'on reconnaît que tout marche à pas degéant vers un nouvel ordre social, et que l'ordre an-cien est condamné à périr.

Mais cet ordre nouveau que tout le monde pres-sent, que personne ne connaît, sur quelles bases s'éta-blira-t-il? Swedenborg pose en principe que le civilet le moral dépendent du spirituel : l'ordre socialnouveau dépendra donc de la Nouvelle Dispensationde vérités spirituelles que le Seigneur a accordéesaux hommes. Mais des dogmes seuls suffiraient-ilspour établir un ordre social? Ces dogmes eux-mêmespourraient-ils être adoptés par la généralité deshommes, qui, dans la période intellectuelle où noussommes, sont courbés sous la domination de lascience et du raisonnement? N'était-il pas nécessaireque le Seigneur révélât aussi des vérités de l'ordrerationnel et de l'ordre scientifique, afin qu'elles vins-sent corroborer les vérités de l'ordre spirituel ? Etces vérités rationnelles et scientifiques, ne les trouve-t-on pas par milliers dans les Visions et dans les Mé-

30.

350 VISIONS ET MÉMORABLES DE SWEDENBORG.

morables que Swedenborg a écrits et publiés parl'ordre du Seigneur? Sans cette publication, connaî-trions-nous ce monde spirituel dont le nôtre n'estque l'image? aurions-nous la moindre idée du GrandHomme et de cette harmonie admirable entre lesparties innombrables qui le composent, et qui, parleurs diversités infinies, constituent son unité par-faite? pourrions-nous nous expliquer rationnelle-ment certains phénomènes de la nature dont les cau-ses étaient ignorées, et ne serions-nous pas à chaqueinstant en danger de nous fourvoyer au milieu detoutes les théories nouvelles, privés que nous serionsde boussole?

Oh ! si dès à présent il est déjà possible de recon-naître dans la publication de ces Visions et de cesMémorables de nombreux avantages dont on n'avaitpas d'idées dans le siècle dernier, combien l'avenirn'en manifestera-t-il pas de nouveaux qu'on ne sau-rait découvrir aujourd'hui! car le Seigneur n'or-donne jamais rien en vain, et c'est par son ordre queSwedenborg a fait cette publication.

3M

BIBLIOGRAPHIE.

Fables nouvelles par Lidener,

Si nous annonçons cet ouvrage, qui, par son titre,semble étranger aux travaux dont nous nous occu-pons, c'est que l'auteur, ami d'enfance de notreEdouard Richer, a eu le bon esprit, quoique n'ap-partenant pas à notre communion religieuse, de s'in-spirer des hautes idées théosophiques de son ami, etd'admettre l'utilité de la Science des Correspon-dances.

« Indépendamment des Livres Saints qui sont tousécrits dans cette langue de la nature, dit le pseudo-nyme Lidener, nous voyons dans les langues égyp-tienne et chinoise, qui remontent aussi, elles, à unetrès-haute antiquité, et qui ont subi le moins d'alté-ration avant de parvenir jusqu'à nous, que la repré-sentation des idées a été figurée dans le principe pardes hiéroglyphes, ou, pour mieux m'exprimer, parl'image de la chose même. D'où vient cette analogiechez des peuples si différents? c'est qu'ils croyaientqu'il n'existait pas un seul être qui n'eût son rapportbien clair et bien déterminé dans l'univers, et que laterre ne leur apparaissait que comme un temple, où

352 US TROISIÈME BIOGRAPHE D*ÉD. RICI1ER.

venait se manifester h chaque pas la pensée divine.Les choses visibles n'étant pour eux que la traduc-tion de cette même pensée rendue palpable, si jepeux m'exprimer ainsi, il n'est pas étonnant qu'ilsattachassent sa forme ou plutôt sa correspondanceà chaque idée. »

Voilà donc la littérature qui commence à sortir desa vieille routine et à s'appuyer sur les données nou-velles que nous devons aux révélations de Sweden-borg. En donnant le premier cet exemple, M. Im...en a tiré pour lui-même un avantage inappréciable,c'est d'avoir présenté un nouvel aperçu d'un art quisemblait, depuis La Fontaine, destiné à ne plus fairede progrès. Nous laisserons à d'autres la critique lit-téraire des Fables nouvelles, nous nous contente-rons d'en recommander la lecture, en assurant qu'ony trouvera une morale pure, une philosophie sévèresans causticité, et un style toujours en rapport avecle sujet.

C'est à la mémoire d'Edouard Richer que M. Im...a dédié son ouvrage. Nous voudrions pouvoir tran-scrire en entier son épître dédicatoire; mais notre pu-blication n'étant pas destinée à la littérature propre-ment dite, nous nous bornerons à citer quelques vers:

Plein d'un noble transport s'élançant vers les deux,Tu courus t'assurer par quels secrets mystères,Dans un ordre constant roulent ces vastes sphères,Quelle main les dirige en leur route, et comment

UN TROISIÈME BIOGRAPHE D'ÉD. RICHER. 353

On voit tout obéir au même mouvement.Certes, à l'auguste aspect d'une telle puissance,Tu sentis s'affaisser ta noble intelligence;Mais bientôt, remontant au principe éternel,Impatient, tu fus le chercher dans le Ciel.Là, tu vis devant toi s'ouvrir le sanctuaire,Inaccessible aux yeux d'un ignorant vulgaire,Ces lieux où l'amour seul par l'amour est compris,Et que tu peins si bien dans ces doctes écritsOù ta voix nous apprend par quel divin mystèreL'homme s'unit au Ciel et le Ciel à la terre, a

Dans ces vers, M. Im... fait allusion aux travauxastronomiques qui précédèrent les ouvrages reli-gieux de son ami ; mais une simple épître en vers nelui sembla pas suffisante, il voulut aussi contribuer àfaire connaître cette vie si bien employée de celuiqu'il regrette toujours; aussi trouve-t-on, à la fin dupremier volume, une Notice sur Edouard Richer.Dans cette Notice, comme dans celle de M. EmileSouvestre, comme dans les Mémoires sur la vie etles ouvrages d'Éd. Richer, par M. Piet, il est ques-tion de Swedenborg; car comment parler de Richersans que Swedenborg apparaisse en même temps?C'est donc un devoir pour nous de donner à nos lec-teurs des extraits de la partie de cette Notice quiconcerne les travaux novi-jérusalémites de Richer,comme nous l'avons fait lorsque la Notice deM. Emile Souvestre a paru. (Voir ci-dessus, Page242 et suiv.)

Cependant nous devons, avant tout, faire observer30*.

3o4 UN TROISIÈME BIOGRAPHE D'ÉD. RICHER.

que si ces trois biographes de Richer ont montré unegrande sympathie pour ses sentiments religieux, au-cun d'eux néanmoins ne les a entièrement adoptés;aussi parlent-ils de Swedenborg comme en parle-raient des gens du monde, mais avec respect toute-fois, et en gardant toujours une dignité convenable.

Après avoir fait Pénumération des œuvres litté-raires de son ami,M. Im... nous dit comment Richerfut conduit à s'occuper des écrits de Swedenborg, àl'étude desquels il consacra le reste de sa vie.

« Malgré tant de travaux multipliés, une idée fixeprenait de jour en jour plus de consistance dans sonesprit, et dominait toutes les autres. Ami ardent de lavérité, il l'avait longtemps demandée, mais en vain,aux ouvrages des hommes. Il n'y avait rien trouvéqui pût satisfaire aux besoins de son âme expansiveet tendre. La religion seule lui était apparue alorscomme Punique phare allumé au milieu des ténèbresde la vie, pour guider l'homme sur cette terre. Déjà,dans sa lettre sur l'abbaye de la Trappe, il l'avaitassociée aux plus hautes considérations. Le coupd'œil qu'il y jetait sur la vanité de la science, l'insta-bilité des joies de ce monde, et le besoin pour lecœur de l'homme de se rattacher à quelque chose deréel, il le développa dans sa Philosophie morale etreligieuse., ouvrage qui ne parut pas très-orthodoxeà certaines gens, mais qui était cependant dicté parune conviction intime.

» C'est à lui qu'il dut, en 1821, de faire la con-

UN TROISIÈME BIOGRAPHE D'ÉD. RICHER. 355

naissance de M. Bernard, de Nantes, brave militaire,qui, après avoir suivi vingt systèmes différents, etles avoir abandonnés les uns après les autres, parcequ'il en avait reconnu le vide, s'était enfin rattachéau Christianisme pur, avec une telle ardeur, qu'ilaurait voulu voir partager à tout le monde sa ma-nière de penser, dans la conviction où il était quec'était seulement par elle qu'on pouvait parvenir àasseoir ses croyances sur une base immuable. Il luiparla de la religion avec un tel enthousiasme, et lalui fit entrevoir sous un aspect si nouveau, qu'il luidonna le désir de connaître les auteurs dans lesquelsil avait puisé ses doctrines. Sur la recommandationde M. Bernard, il se mil à lire les écrits de JacobBœhme, de Saint-Martin, et la Voix qui crie dansle désert, de Law. Saint-Martin, qui, de temps àautre, jette sur l'existence des éclairs si brillants,pour aller le moment d'après se perdre dans lesnuages de ses systèmes, fut, dans le principe, avecJacob Bœhme, l'objet de ses études particulières. Illes lut, les relut, les médita, et en fit de nombreuxextraits.

» II n'en fut pas de même de Swedenborg, dontM. Bernard faisait un cas tout particulier, et quiétait l'Auteur religieux dont il suivait les principes,comme les seuls qui résumassent en eux la simplicitéprimitive du Christianisme à toutes les exigences dela science. Il lui en avait laissé deux ouvrages avantson départ, en l'engageant à les étudier; mais ni

356 UN TROISIÈME BIOGRAPHE D*ÉD. RICHER.

l'un ni l'autre ne put trouver grâce aux yeux dupenseur positif. Il regarda dans le principe commeles rêves d'un esprit malade les visions du célèbreSuédois dans le monde spirituel. Ce même Sweden-borg, dont à plusieurs fois il rejeta de dégoût lesouvrages, fut cependant celui qui, par la suite, eutune influence si marquée sur ses idées, et à l'étudeduquel il consacra douze années entières de sa vie.Le philosophe religieux qui parlait en style algébri-que ne convenait guère à cette imagination poétiquequi voulait saisir les choses plutôt par le sentimentque par le raisonnement abstrait et mathématique,et qui, d'un autre côté, ne pouvait admettre desidées qui s'écartaient à tel point du monde maté-riel au milieu duquel il vivait. Néanmoins, quand, àforce d'études, de persévérance et de dégoûts sur-montés, il fut parvenu à saisir le principe philoso-phique et religieux sur lequel reposait cette doctrinequi lui avait paru si étrange au premier abord, ill'adopta, non sans quelques doutes encore, jusqu'àce que son esprit scrutateur, qui n'acceptait les cho-ses qu'autant qu'elles pouvaient satisfaire à la foisaux besoins de sa raison et de son cœur, les eût sou-mises à cette double pierre de touche.

» A partir de ce moment sa vocation fut arrêtée.L'homme littéraire s'effaça presque totalement de-vant l'homme religieux. S'il lui arriva encore des'occuper de littérature de temps à autre, ce ne futplus qu'un passe-temps, une halte dans ses travaux

UN TROISIÈME BIOGRAPHE D?ÉD. RICHER. 357

philosophiques, et ne fut même écrit le plus souventqu'à la sollicitation de ses amis, qui voyaient avecpeine qu'il songeât déjà à se retirer d'une carrièredans laquelle il pouvait se faire un grand nom. De-puis l'année 1823 jusqu'à sa mort, arrivée onze ansplus tard, il ne s'occupa presque exclusivement quede son grand ouvrage sur la Nouvelle Jérusalem,dans lequel il a rassemblé tous les rayons épars de lascience et des systèmes humains, pour les faire tousconverger vers Dieu. »

L'Auteur de la Notice passe ensuite en revue lesdifférents ouvrages religieux sortis de la plume bril-lante d'Edouard Richer. Les bornes que nous som-mes forcés de donner à cet article ne nous permet-tent pas de le suivre, mais nous ne pouvons paspasser sous silence les détails intéressants dans les-quels il entre en parlant de la composition de quel-ques-uns de ces écrits. Ainsi, au sujet des Invoca-tions Religieuses, il dit :

« Cet ouvrage, dans lequel il y a un grand nom-bre de pages dignes de l'âme aimante de Fénélon, etqu'on croirait échappées de sa plume, fut composéd'enthousiasme à la suite d'entretients journaliersavec une petite société d'amis, dans laquelle il s'oc-cupait spécialement de matières religieuses. A peinerentré chez lui, et encore animé de conversations quiavaient Dieu et l'âme humaine pour but, il laissaitcourir sa plume sur le papier, et allait le jour sui-vant leur communiquer ces pages éloquentes, où s'é-

3S8 UN TROISIÈME BIOGRAPHE D'ÉD. RICHER.

panchait son âme aimante et douce. C'est un desécrits auquel il tenait le plus, et celui dans lequelson talent brille peut-être du plus vif éclat. »

Voici quelques autres détails sur son grand ou-vrage la Nouvelle Jérusalem, sur la Religion duBon Sens, et sur la Clé du Mystère :

La Nouvelle Jérusalem. — « II consacra à cetouvrage, d'une immense érudition, dix années en-tières de sa vie. C'est celui de tous auquel il a tra-vaillé avec le plus d'ardeur et de persévérance. Lesdifférents écrits sortis de sa plume, depuis 1825, onttous plus ou moins de rapport avec la philosophiereligieuse qu'il y développe. Ils en furent pour ainsidire les corollaires. Quelques-uns d'entre eux ontété entrepris à la sollicitation de ses amis, quelquesautres par la nécessité où il se voyait de donner deséclaircissements à des propositions un peu trop ab-straites. »

La Religion du Son Sens.— « Un de ses amis quis'occupait comme lui de matières religieuses, etavait adopté la même doctrine, lui ayant fait obser-ver que son grand ouvrage sur la Nouvelle Jérusa-lem était trop savant, et avait besoin de développe-ments préliminaires pour être compris de la généra-lité des lecteurs, il goûta cette idée, dont il reconnutla justesse, et composa, en 1832, pour obvier à cetinconvénient, la Religion du Bon Sens, ouvrageélémentaire dans lequel il expose et déduit ses doc-trines avec la plus grande clarté. »

UN TROISIÈME BIOGRAPHE D'ÉD. RICHER. 359

La Clé du Mystère. — « II montre dans cet ou-vrage quelles sont les différentes perceptions del'homme, et que tel mode accidentel dans lequels'est trouvé tel ou tel individu, et entre autres Swe-denborg, n'est pas une raison pour que nous reje-tions avec dédain ce qu'il dit parce qu'il ne nous apas été accordé de voir de la même manière que lui.C'est à cette pensée première qu'il a subordonnél'explication de sa Clé du Mystère, ou de VApoca-lypse, ouvrage qui a été l'écueil de tant de beauxgénies, et que Newton, Bossuet et Dupuis ont pris lapeine de commenter, chacun sous un point de vuedifférent. Non content de combattre Bossuet parl'histoire et la science, Dupuis par l'Astronomie, ilprouve que l'Apôtre Jean n'a été et n'a pu être qu'unvisionnaire, qui n'a vu les choses morales que sousdes emblèmes matériels, et que ces mêmes emblèmesaperçus par lui hors du temps et de l'espace, sontl'histoire de la religion, et celle de l'homme qui aaltéré chez lui la vérité absolue par ses différents sys-tèmes sur Dieu et sur l'âme. Quelle que soit l'opinionqu'on porte sur cet Ouvrage, qui est le dernier sortide sa plume, et le chant du cygne prêt à prendre sonvol pour ce monde immatériel qui était à ses yeux leprototype de celui dans lequel nous vivons, on nepourra cependant s'empêcher d'admirer, en dépit dela forme, les aperçus nouveaux que l'auteur sait dé-duire, les profondeurs des idées et l'étendue de lascience qu'il a fallu pour présenter l'Apocalypse

360 UN TROISIÈME BIOGRAPHE I»'ÉD. RICHER.

sous un point de vue si neuf et en même temps si ra-tionnel. Au reste, ce qui pourrait, jusqu'à un cer-tain point, prouver le mérite de cet ouvrage et lecas qu'on en fait, c'est qu'avant même qu'il eût en-tièrement paru, deux traductions en furent commen-cées simultanément en Angleterre et en Allemagne,pays où il y a tant de têtes philosophiques et deshommes d'un si grand mé>ite. Cet écrit, d'une vasteérudition, et qui ne contient pas moins de six centspages in-8°, fut fait d'inspiration, et ne coûta pasplus de trois semaines de travail à son auteur. Satête était en fermentation. Sa plume ne pouvait suf-fire à sa pensée, quoique son pauvre corps ressem-blât à l'arbre caduc qui ne vit que par l'écorce. Maischez lui, tout était âme, et c'était par l'âme seule quese soutenait encore celte ruine vivante. »

361

A LA REVUE CATHOLIQUE.

La Revue Catholique, dans son numéro du 15 aoûtdernier (1840), contient une annonce de la Doctrinede Vie pour la Nouvelle Jérusalem. Nous lui savonsgré d'avoir ainsi concouru à donner de la publicitéà cet ouvrage; elle a fait, en cela, preuve d'indépen-dance; car, depuis plus de deux ans, toutes les au-tres feuilles du Catholicisme-Romain se sont biengardées de dire un seul mot qui pût faire soupçonnerque les doctrines de la Nouvelle Jérusalem étaientétudiées et propagées en France.

Si la Revue Catholique s'en était tenue à unesimple annonce, nous n'ajouterions rien à ce quenous venons de dire; mais nous trouvons à la suitede sa note bibliographique, N° 40, un petit correctifque nous ne devons pas laisser sans réponse. Voicien quels termes elle s'exprime en parlant des Novi-Jérusalémites :

« Cette secte, dont nous ne soupçonnions pas» même l'existence, fait paraître à Saint-Amand» (Cher) une Revue mensuelle. Nous chercherons à» nous mettre au courant de ses publications, de son

3l.

362 LA REVUE CATHOLIQUE.

» objet et de ses croyances, pour faire connaître à» nos lecteurs ce culte nouveau, dont le présent ou-» vrage ne nous dit rien. Il est assez singulier que» nous ayons à nous occuper aujourd'hui de deux» ouvrages écrits dans un sens anti-catholique. (Voir» N° 33.) Ils ont au moins cela d'intéressant qu'ils» peuvent montrer dans quelles aberrations on se» jette, quand on s'éloigne du centre de l'Unité. »

Celte secte dont nous ne soupçonnions pas mêmel'existence! Nous pensons qu'en écrivant ces mots,le Rédacteur de la Bévue Catholique n'a pas faitappel à ses souvenirs, ou bien il faut que ses occupa-tions ne lui permettent pas de parcourir les publica-tions périodiques du Catholicisme-Romain, mêmecelles qui paraissent sous les auspices du Pape; carYÉcho du Vatican lui aurait appris l'existence decette secte. Mais comme le Rédacteur de la RevueCatholique annonce à ses lecteurs qu'il chercheraà se mettre au courant de nos publications, nouslui indiquerons spécialement la Réponse de la Nou-velle Jérusalem al'Écho du Vatican (1); et nous luiferons remarquer que, malgré l'assurance formelledonnée far Y Écho du Vatican que CETTE IMPORTANTEDISCUSSION SERAIT CONTINUÉE ET SOUTENUE JUSQU'AU

BOUT, la lutte cessa néanmoins, non pas que nousnous fussions retirés, mais parce que notre adver-saire, qui croyait sans doute nous écraser du poids

(1) Voir ci-dessus, page 51.

LA REVUE CATHOLIOCE. 363

de son patronage, et choisir lui-même le terrain,aima mieux rebrousser chemin, et manquer à sapromesse, lorsqu'il vit les Novi-Jérusalémites s'in-quiéter peu de ses autorités, et placer la discussionsur le terrain véritable.

Nous ne pouvions pas obliger l'Écho du Vaticanà tenir la promesse qu'il avait faite; mais nous n'encontinuâmes pas moins à combattre les dogmes duCatholicisme-Romain ; car c'était pour nous un de-voir, puisque ces dogmes sont le principal obstacleà la dispersion des lumières que le Seigneur répandmaintenant sur la terre pour la régénération deshommes. Aussi n'est-il pas une seule de nos publica-tions où ils ne soient plus ou moins directementcombattus ; et cependant, malgré l'éveil que les ar-ticles de YÉcho du Vatican avaient donné sur lapropagation des doctrines de la Nouvelle Jérusalemen France, aucune des feuilles catholiques-romainesne se présente pour défendre ces dogmes. Nous avonscru jusqu'ici que ce silence était calculé; car il n'estpas à présumer que des feuilles qui se sont toujoursmontrées si susceptibles lorsqu'on touchait à lamoindre des pratiques romaines, soient restées d'el-les-mêmes silencieuses quand il s'agissait des basesmêmes du vieil édifice qu'elles soutiennent. Maisnous serions-nous trompés? Voici la Revue Catho-lique qui semble faire un pas en avant, puisqu'ellepromet à ses lecteurs de chercher à se mettre aucourant de nos publications, pour leur faire con-naitre le culte nouveau.

364 LA REVUE CATHOLIQUE.

Cette promesse, il est vrai, ne l'engage pas aussiavant que la déclaration de l'Écho du Vatican; ilne s'agit pas encore d'entrer dans une discussion sé-rieuse et de la soutenir jusqu'au bout; mais, lorsmôme que la Revue Catholique s'avancerait jusqu'àfaire une déclaration semblable, nous craindrionsencore, nous l'avouons, qu'elle ne reculât plus tard,ou bien, il faudrait que les chefs, sous le patronagedesquels elle se trouve, eussent reconnu que le si-lence qu'ils ont gardé n'a pas amené le résultat qu'ilsen attendaient; que nos doctrines n'en continuentpas moins à se propager; que par conséquent lalutte qu'ils auraient voulu éviter devra tôt ou tards'engager, et qu'il est devenu urgent pour eux de neplus la refuser. Plaise à Dieu qu'il en soit ainsi !C'est un souhait que nous adressons au Seigneur,dans l'intérêt même de nos adversaires; car tousceux d'entre eux qui cherchent la vérité de bonne foiseraient éclairés par la discussion, et rejetteraientloin d'eux les abominations idolâtriques de la prosti-tuée de Babylone.

Ne trouvant rien à dire contre les principes mo-raux et religieux que renferme la Doctrine de Viepour la Nouvelle Jérusalem, la Revue Catholiquea recours à un moyen détourné que nous nous dis-penserons de qualifier : elle renvoie ses lecteurs auN° 33 de son article bibliographique, dans lequelelle rend compte d'un'ouvrage mystique; puis elleréunit à dessein les deux ouvrages, afin de pouvoir

LA REVUE CATHOLIQUE. 365

ajouter : « Ils ont au moins cela d'intéressant» qu'ils peuvent montrer dans quelles aberrations» on se jette, quand on s'éloigne du centre de» l'Unité. »

Vous nous permettrez, Monsieur le Rédacteur dela Revue Catholique, de vous demander, à vous quidevez être un homme religieux, si vous avez réfléchiet consulté votre conscience en écrivant une pareillephrase. Que vous combattiez les principes de laDoctrine de Vie, nous le concevons ; votre positionvous le commande. Mais dire, en parlant de cet ou-vrage, qu'il n'a d'intéressant que de montrer dansquelles aberrations on peut se jeter en s'éloignantde ce que vous appelez le centre de l'Unité, n'est-cepas au moins faire preuve d'une grande légèreté?Car que penseraient de votre jugement ou de votrebonne foi ceux de vos lecteurs qui, piqués par la cu-riosité, d'après l'intéressant que leur promet votreannonce, voudraient savoir par eux-mêmes quellessont ces aberrations dont vous leur parlez? Et puis,à quoi bon ces petits moyens? Une feuille religieusedevrait-elle y avoir recours? Agissez plus loyale-ment : Que cet Opuscule de Swedenborg soit prispour premier point de discussion ; c'est une proposi-tion que nous vous faisons. Attaquez-le sérieuse-ment; appelez à votre aide, si vous le voulez, tousvos théologiens, et vous verrez bientôt leurs armesse briser contre la pureté de la morale religieusequ'il renferme. Vous parlez ^aberrations ! Ah !

Si*.

366 LA REVUE CATHOUftUE.

Monsieur, daignez du moins étudier la question spi-rituelle, avant de la trancher si lestement; et sur-tout,, n'employez plus ce terme à.'aberrations enparlant des doctrines de la Nouvelle Jérusalem; caril serait facile de vous prouver que si l'on n'était pashabitué dès l'enfance à vos prédications et aux céré-monies de votre culte, on ne pourrait s'empêcher derire de toutes celles de vos croyances qui ne sontpas conformes aux principes que renferme la Doc-trine de Vie.

Quant aux ouvrages mystiques qui paraissent ouqui pourront plus tard paraître, ce n'est pas auxdisciples de la Nouvelle Jérusalem à en prendre ladéfense. Nous avons déjà plus d'une fois montré lasimilitude qui existe entre notre époque et celle del'établissement du Christianisme; alors, comme au-jourd'hui, le monde était inondé de rapports d'exta-tiques, de prédictions de tout genre ; on voyait sur-gir de tous côtés des opinions religieuses qui s'ap-prochaient plus ou moins des vérités de l'Églisechrétienne, de même qu'aujourd'hui les nouveauxsystèmes qui se produisent peuvent approcher plusou moins des vérités de la Nouvelle Jérusalem. Maisle Christianisme ne fut pas solidaire de tout ce quise passait autour de lui; de même !a Nouvelle Jéru-salem ne doit pas non plus l'être de tout ce qui sefait et de tout ce qui pourra se faire autour et eudehors d'elle, quelque rapprochement qu'on puissed'ailleurs trouver entre les systèmes nouveaux et ses

LA REVUE CATHOLIQUE. 367

doctrines. Nous pourrons, lorsque l'occasion s'enprésentera, parler de quelques-uns de ces systèmes;ce sera même pour nous quelquefois un devoir; maisnous déclarons que tous les principes de doctrine dela Nouvelle Église du Seigneur sont invariablementposés dans les écrits du Révélateur moderne, et quetous les efforts des vrais disciples de la Nouvelle Jé-rusalem tendront toujours à les conserver purs enles préservant de tout alliage.

368

LA PRÉTENDUE CHRONOLOGIE DE LA BIBLE ATTAQUÉE

PAR LA SCIENCE.

Nous lisons dans un compte rendu de l'Académiedes Sciences (séance du 5 octobre 1840,) :

« M. Thilorier soumet à l'Académie un travaild'un assez grand intérêt pour la chronologie. Deuxtextes servent de base à sa discussion, dans laquellela philologie, l'histoire et l'astronomie se trouventengagées à la fois. D'un côté, un auteur arabe s'ex-prime ainsi : « Lors du règne du calife Almamoun,» on trouva gravée sur la grande pyramide une in-f) scription qui apprenait l'époque de sa construc-» tion ; c'est le temps où la Lyre se trouvait sous le» signe du Cancer. En calculant, on trouve deux» fois trente-six mille ans. » En transformant cesdeux fois trente-six mille ans en autant de révolu-tions synodiques de la lune et en interprétant conve-nablement l'indication astronomique, le commenta-teur trouve que la construction de la grande pyra-mide remonte à quatre mille cinq cents ans avantl'ère chrétienne. D'un autre côté, une légende hié-roglyphique découverte récemment dans une des

SUR LA CHRONOLOGIE DE LA BIBLE. 369

chambres de la grande pyramide, et que M. Thiloriera déchiffrée, dit « que sous le règne de Chéops lan Lyre se levait à midi le jour du solstice d'été. »Partant de ce nouveau texte, l'auteur s'est assuré,au moyen d'une sphère à précession, que sous la la-titude-dé Memphis, le phénomène astronomique in-diqué par la légende ne pouvait s'être présenté quevers l'an 4500 avant Jésus-Christ. »

« Voilà donc deux textes qui s'accordent, grâce àl'élaboration que leur a fait subir l'auteur, mais(ajoute le feuilleton du National, 11 octobre, au-quel nous empruntons cet extrait), ils placent laconstruction de la pyramide juste à l'époque queMoïse assigne à la création du monde, et la chro-nologie ne peut manquer de s'en alarmer. L'Acadé-mie s'est chargée de vérifier les calculs de M. Thilo-rier. »

Nous ne craignons pas, nous, que les calculs deM. Thilorier soient pleinement confirmés par l'Aca-démie. De telles découvertes sont, au contraire, bienintéressantes pour nous, qui savons que le Seigneurles permet aujourd'hui après avoir révélé au mondedans sa Nouvelle Dispensation par le moyen de Swe-denborg, que le livre de sa Parole, la Genèse, qu'ila dicté à Moïse, ne contient point une chronolo-gie, mais qu'il a un sens interne spirituel dans le-quel les années et les nombres ne signifient point desannées et des nombres, mais des états spirituels,leurs progressions et leurs qualités (voir les Ar-

370 SUR LA CHRONOLOGIE DE LA BIBLE.

canes Célestes, Nos 482, 487, 647, 648); que jus-qu'au Chapitre XII, c'est-à-dire, jusque vers letemps d'Abraham, ce livre n'est nullement histori-que comme il le paraît dans le sens de la lettre, queles noms propres non plus ne désignent pas des indi-vidus, mais des églises selon leurs qualités, et quece récit est fait selon le génie des peuples de laTrès-Ancienne Église. (Arc. Cet. N° 575 J

Lorsqu'on se représente que là les généalogies dé-signent les filiations successives d'églises particuliè-res, on peut se figurer quelle longue suite de sièclesembrasse ce récit.

On peut voir, par le Mémorable N° 76, du Traitéde Y Amour Conjugal, que la religion égyptienneétait une fille de la seconde Église universelle appe-lée par Swedenborg VÉglise Ancienne, et remontaitdans son origine à une époque de cette Église dési-gnée chez les anciens par l'Age d'argent. On voitaussi dans Swedenborg comment cette Église An-cienne dégénérée est devenue la mère de toutes lesidolâtries par la corruption de la Science des Cor-respondances.

371

VARIÉTÉS.

I.

Les Annales algériennes, par E. Pélissier, capi-taine d'état-major, chef de bureau des Arabesà Alger, en 1833 et 1834. — T. IL 1836. —2me partie.

Nous ne sommes pas dans l'habitude de parlerdes différents ouvrages que l'on publie, même deceux qui traitent de matières religieuses; car l'im-portant pour nous est de faire connaître les écrits deSwedenborg et de développer les principes de laNouvelle doctrine que ces écrits renferment; maisl'un de nos frères nous ayant adressé un Extrait desAnnales algériennes, nous ne pouvons résister audésir de l'insérer dans notre Revue, en le faisantsuivre cependant de quelques réflexions. Au sujet decette insertion, nous comptons d'autant plus surl'indulgence de nos lecteurs, que la plupart d'entreeux connaissent l'opinion avantageuse que Sweden-

372 LES ANNALES ALGÉRIENNES.

borg a souvent émise à l'égard de la race africaine,et savent qu'au renouvellement d'une Église la lu-mière nouvelle pénètre plus facilement chez les Gen-tils que chez les peuples de l'Église qui est en dévas-tation. Ils liront avec plaisir, nous en sommes per-suadés, les détails intéressants que cet Extrait nousdonne sur les Arabes, et aussi les passages très-remarquables du Coran qui y sont littéralement ci-tés. Quant aux idées de l'Auteur de cet Extrait, il yen a beaucoup que certes nous ne désavouerions pas,mais aussi il en est d'autres que nous ne pourrionsadmettre; nos lecteurs sauront facilement distinguercelles qui sont conformes aux principes de notredoctrine, d'avec celles qui ne peuvent s'accorderavec elle; nous nous bornerons donc, dans nos ré-flexions, à signaler l'erreur capitale dans laquelle esttombé M. Pélissier au sujet du second Avènement duSeigneur.

DE LA RELIGION.

« La religion est le lien commun qui unit tous lesmembres d'une société. Le but de la société, quelqu'il soit, ne peut être ce lien, car quelle qu'en soitla nature, en quelque lieu qu'on le place, chaquemembre de la société croira toujours pouvoir l'at-teindre par un effort individuel, ce qui tend évidem-ment à détruire l'association.

» Le but de la société sera-t-il la prospérité maté-

LES ANNAIES ALGÉRIENNES. 373

rielle des associés? Dans ce cas, chaque membreagira très-logiquement, lorsqu'après avoir profitépendant un certain temps du travail commun, ilcherchera à s'élever seul au point où ceux qui onttravaillé avec lui seront obligés de travailler pourlui. Sera-ce ce qu'on appelle liberté qui sera le but dela société? Alors, comme le vrai moyen d'être par-faitement libre est de se rendre le maître des autres,tout homme énergique et persévérant devrait tendreà la tyrannie. Tout conduirait donc à détruire, ou dumoins à fausser les associations, si les membres quiles composent n'avaient d'autre idée commune quele désir même d'arriver au but.

» L'école matérialiste s'abuse étrangement lors-qu'elle croit qu'il suffit de bien expliquer aux hom-mes que leurs efforts isolés ne produisent rien pourles engager à vivre entre eux dans des rapportsde fraternité et de morale, et par conséquent dansde vrais rapports d'association. L'expérience nousprouve à chaque instant qu'une foule d'entre nousfinissent toujours par se persuader qu'il est infini-ment plus avantageux de travailler pour leur proprecompte que de s'engager à partager les bénéficesavec les autres. Les friponneries dans le commerce,les crimes dans les entreprises d'industrie, les roue-ries politiques, les vols par la violence ou par laruse, ne sont autre chose que des chemins plus di-rects que prennent certains hommes pour arriver in-dividuellement au but de la société telle que l'entend

32.

374 LES ANNALES ALGÉRIENNES.

l'école matérialiste. Si les exemples n'en sont pasplus fréquents, si la société n'est pas détruite parcela même que tout le monde veut arriver au but,c'est qu'il y a en circulation, parmi les hommes, desidées générales et généreuses qui sont indépendantesde ce but. Ces idées constituent la religion. Il y aplus d'une espèce de religion : la religion de l'ami-tié, la religion de la famille, la religion de l'honneur,la religion de la patrie, la religion de la liberté, lareligion de Dieu.

» La religion de l'honneur est vaine et superbe.Elle a pour base l'orgueil. Elle peut conduire aucrime comme à la vertu ; mais tout est grand chezelle. Les autres religions ont pour base la charité,c'est-à-dire, la fusion de plusieurs âmes en uneseule. La religion de Dieu les domine et les com-prend toutes. C'est l'idée la plus générale et la plusféconde. Le lien le plus puissant est celui qui conduità l'application la plus étendue de la charité, c'est lelieu des vertus, comme l'espace est le lieu des corps.

» La religion de Dieu, ou simplement la religion,est susceptible d'une foule de modifications qui don-nent plus ou moins d'étendue à l'idée qui lui sert debase, c'est-à-dire, à la charité, étendent ou resser-rent le lien social.

» La croyance en plusieurs dieux tend à séparerles hommes en sociétés nombreuses; la croyance enun seul Dieu tend à les réunir dans la même société.

» Néanmoins, comme les hommes ont cru long-

LES ANNALES ALGÉRIENNES. 37S

temps que la forme extérieure de leurs rapports avecDieu était presque aussi importante que le fond, etont voulu expliquer par la langue défaillante de laraison ce qui n'est que du domaine de la convictionintuitive, il en est résulté de fâcheuses discussions,même entre ceux qui reconnaissent l'unité de Dieu.Ils se sont groupés par sectes, et ces sectes ont ététrop souvent des nations ennemies. Mais prises in-dividuellement elles formaient des sociétés complè-tes, parce que les membres qui les composaientavaient un lien commun, c'est-à-dire, une croyancereligieuse.

» Plus tard, la raison justement fatiguée de cesdiscussions oiseuses, dont les résultats étaient quel-quefois sanglants, se mit en révolte contre l'abus descroyances religieuses. Mais l'orgueilleuse philosophiene se contenta pas d'attaquer les abus, elle s'en pritau fond mêmedes croyances. Il en résulta une réac-tion anti-religieuse qui ne tendait à rien moins qu'àbriser le lien social. Toutes les religions furent suc-cessivement battues en brèche ; car, en cherchant àsaper celle de Dieu, on ébranla les fondements detoutes, même celle de l'honneur, qui en paraît laplus indépendante. En France, où ces attaques eurentle plus de force, elles eurent aussi le plus de succès;l'impiété, pour tromper les hommes, ayant pris lemasque séduisant de la liberté, en fit table rase. Toutfut sapé, foulé aux pieds, et quand les hommes furenten face de ce chaos, quand ils virent à nu ce que les

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philosophes appellent la réalité, ils en eurent peur,et voulurent se rejeter dans ce que les philosophesappellent des illusions.

» Mais elles ne peuvent point être des illusions cescroyances sacrées qui portent dans leur sein la fé-condité et la vie. La vérité, c'est l'existence, c'est cequi produit, ce qui se meut, ce qui crée, c'est la re-ligion. Le matérialisme est une négation; il ne vit,ni ne se meut, ni ne crée, c'est la mort. Or, pouvez-vous expliquer la mort autrement que par des attri-buts négatifs? La vérité, c'est la religion ; l'illusion,c'est le matérialisme, illusion noire et désespérante.Non, non, la vérité ne peut être où sont l'impuis-sance et la mort. Il faut des croyances pour créerles sociétés, il en faut pour les conserver. 11 n'estpas une seule institution humaine un peu durable quin'ait eu pour base un principe religieux. Il n'est pasune action grande et magnanime, une entreprise fé-conde en grands et immortels résultats, qui n'ait étéinspirée par ces sentiments généreux que les hommesde chiffres appellent romanesques parce qu'ils ap-partiennent à un ordre d'idées qui ne peuvent êtrecomprises par eux.

» Rien ne prouve mieux la vanité du matérialismeque l'impuissance des hommes de chiffres. C'est envain que leur raison se livre à des calculs prodi-gieux, qu'elle combine toutes les chances; c'est envain que leur esprit se charge de la connaissance detous les faits; ils ne peuvent rien créer, rien insti-

LES ANNALES ALGÉRIENNES. 377

tuer; et à la voix de quelques pêcheurs ignorants, lemonde a changé de face ; et partout et en tout temps,ce sont les hommes à croyances vives, à passionsénergiques qui conduisent leurs semblables dans lesvoies nouvelles (1) ; et c'est le peuple, qui ne calculepoint, mais qui croit et agit, qui renverse et punitles monarques.

» Tout ce qui s'est fait de grand dans le monde aété basé sur une idée morale. Les masses ont soif decroyances. Lorsque le philosophe a eu le malheur deréussir à détruire les siennes, il prend à dégoût,comme le vulgaire, ce néant dans lequel il s'estplongé, et travaille le plus souvent à les recréer uneà une. C'est ce que nous faisons chaque jour enFrance. »

Ici l'Auteur trace un tableau de la réaction religieuse de-puis la Convention jusqu'à la Révolution de juillet, puis ilajoute :

(1) La puissance gouvernementale est en France entre les mains deceux qu'on appelait autrefois les esprits forts, et qu'on appelle aujour-d'hui les hommes positifs, les hommes de chiffres. Il en est dans lemonde quelques-uns qui ont encore conserve assez de feu sacré pourarriver presque maigri! eux à des conclusions qui ont quelque chose demoral et de providentiel, mais ils ont alors comme honte de paraîtresortir tant soit peu du sentier rocailleux de la matière, où ils se hâtentde rentrer. La commission d'Afrique, dans son rapport, entraînée parla grandeur du sujet, est quelquefois sur le point de se laisser aller àdes idées de cette nature ; mais elle se met presque aussitôt aux genouxdu public pour le supplier de ne pas la croire capable d'avoir de tellespensées. Cette honte du bien, cette fatuité de réalité sont des traversridicules et funestes. (Note de l'Auteur.)

378 LES ANNALES ALGÉRIENNES.

<r Alors des idées confuses encore, mais vastes,mais immenses, s'élevèrent du fond de toutes lespoitrines puissantes, non-seulement en France, maispartout. Le monde fut dans cette position de tres-saillement et d'attente qui précède toujours l'arrivéed'un prophète.

» Un prophète est celui qui est destiné par la Pro-vidence à formuler les besoins vagues, les idées con-fuses qui agitent- les hommes à certaines époques, àles formuler d'une manière tellement lucide que cha-cun puisse dire : Oui, voilà ce gué je veux, et ceque je crois. Le prophète est un; ses formes seulesvarient. Il est aussi ancien que la création, puisqu'iln'est autre chose que l'action de Dieu sur l'hommemoral. Le prophète reviendra. Celui qui doit luifaire des sentiers droits, son précurseur, a déjà pa-ru, et il vit parmi nous.

» Parmi les idées nouvelles que le prophète doitformuler, il en est une qui se présente déjà sous unaspect saisissable et déterminé. C'est celle qui tendà rapprocher toutes les sectes et à les confondre enune seule. Quant à savoir quelle sera cette nouvellesecte, c'est le prophète qui le dira. Mais elle aurapour résultat d'unir tous les hommes dans le sein deDieu par un lien commun de charité.

» Le Christianisme et le Mahométisme sont lesdeux plus puissantes des sectes rivales qui se parta-gent le monde. Ces deux sectes se trouvent en con-tact à Alger. Sont-elles un obstacle au rapproché-

LES ANNALES ALGÉRIENNES. 379

ment des deux races qui les représentent? Je ne lecrois point. La tendance à la fusion religieuse, quiest si marquée parmi nous qu'il est impossible de laméconnaître, l'attente du prophète, ne sont pointétrangères aux Arabes ; et, chose remarquable, c'estJésus-Christ qu'ils attendent : Ai'ssa (Jésus-Christ),dit une tradition, doit renaître dans un marabout deSyrie. Pendant quarante ans il parcourra le mondeet y fera régner l'abondance et la concorde. Voilàdéjà une idée commune entre des Musulmans et lesNéochrétiens. Quant aux anciens Chrétiens et auxMusulmans non-progressifs, voyons si leur foi lesrend forcément ennemis.

» L'Évangile, presque partout, prêche la tolé-rance; et d'ailleurs, la foi au vieux Christianisme estmaintenant trop affaiblie pour croire qu'aux yeuxdes anciens Chrétiens une différence de religiondoive faire naître des sentiments de haine et de ré-pulsion. Quant aux Musulmans, il ne serait pointdifficile de leur prouver que leur code religieux estbien moins exclusif que beaucoup d'entre eux le sup-posent : d'abord, le Coran reconnaît Jésus-Christpour le plus grand prophète, et le regarde commeMusulman. Il le considère comme doué du don desmiracles, qu'il dit que Mahomet n'a pas. Il entoure,comme l'Évangile, sa naissance'de circonstancessurnaturelles. Ensuite, la fraternité des disciples duChrist et de ceux de Mahomet est autorisée par lespassages ci-après :

380 LES ANNALES ALGÉRIENNES.

» Les Musulmans, les Juifs, les Pai'ens et les Chré-tiens qui croiront en Dieu et au jour dernier, et quiauront pratiqué la vertu, seront exempts de la crainteet des tourments.— Surate V. vers. 74.

» Certainement les Musulmans, les Juifs, les Chré-tiens et les Païens qui croiront en Dieu et à la viefuture, et qui feront le bien, en recevront la récom-pense de ses mains ; ils seront exempts de la crainteet des supplices.— Surate II. vers. 59.

» Nous avons prescrit à chaque peuple ses ritessacrés. Qu'ils les observent et qu'ils ne disputentpoint sur la religion.— Surate XXII. vers. 66.

» Ne faites point de violence aux hommes à causede leur foi.— Surate II. vers. 256.

» Ne disputez avec les Juifs et les Chrétiens qu'entermes honnêtes et modérés. — Surate XXIX. vers.145.

» Nous croyons à la doctrine de Jésus et des pro-phètes; nous ne mettons aucune diiférence entreeux.— Surate II. vers. 129 et 130.

» L'Évangile est le flambeau de la foi, et il met lesceau aux anciennes Écritures. Ce Livre éclaire etinstruit ceux qui craignent le Seigneur. Les Chré-tiens seront jugés d'après l'Évangile, ceux qui lesjugeront autrement seront prévaricateurs. — Su-rate III. vers. 77.

» On pourrait augmenter à l'infini les citations decette nature. Mais je sais fort bien que chez les Mu-sulmans, comme chez nous, bien des commentateurs

LES ANNALES ALGÉRIENNES. 381

n'ont pas été aussi tolérants que la loi. Au reste, cescommentateurs sont peu connus du vulgaire qui nelit que le Coran, que malheureusement, il est vrai, ilne comprend pas toujours. Néanmoins, quand on ap-pelle l'attention d'un Arabe sur un de ces passagesremarquables, et qu'on lui dit qu'il recommande évi-demment la fraternité entre toutes les sectes, il réflé-chit un instant et finit par dire : Vous avez raison.

« M. Allegro, étant chez les Hadjoutes, a eu denombreuses controverses à ce sujet et en a rangéplus d'un à son avis.

» II serait infiniment utile de publier un petit ou-vrage qui mettrait toutes ces vérités en lumière pourle public musulman, et qui tendrait à établir que lesChrétiens et les disciples du Coran sont des frèresqu'un fâcheux malentendu a séparés trop longtemps.Cet ouvrage devrait être fait par un Chrétien; cars'il sortait de la plume d'un Musulman, on pourraitle croire inspiré par les séductions de l'autorité.Mais il serait bon de le communiquer, avant de lepublier, à quelque marabout éclairé que l'on enga-gerait, par des moyens convenables, à l'appuyer entemps opportun avec adresse et circonspection. Ilfaudrait qu'il laissât entrevoir l'aurore de la foi nou-velle qui doit réunir toutes les sectes dans une mêmecroyance. Il s'étayerait pour cela de la tradition dela seconde Venue de Jésus-Christ, dont nous avonsparlé plus haut, et de plusieurs passages du Coranqui prouvent que d'autres prophètes peuvent suivre

382 LES ANNALES ALGÉRIENNES.

ceux qui sont déjà venus. Ces passages sont asseznombreux. Il en est un qui parle de l'assemblée uni-verselle, c'est-à-dire, de la fusion de toutes les sec-tes. On le trouve dans la Surate XVIII. Il est assezobscur, mais il peut, en se combinant avec d'autres,produire de l'effet.

» Ce livre serait une œuvre méritoire. Ce seraitun des sentiers droits qu'il faut préparer au pro-phète. Celui qui en serait l'auteur aurait des droits àla reconnaissance des hommes. Il suivrait le préceptedu Coran qui défend de rester assis sans gloire etsans vertu. Le gouvernement, qui a à sa dispositiontant d'orientalistes distingués, devrait donner l'im-pulsion à cette publication ; mais pour qu'elle portâttous ses fruits, celui qui s'en chargerait devrait êtreun homme de croyance et d'avenir, bien pénétré del'importance et de la sainteté de l'entreprise.

» Les Arabes, hommes à foi vive, sont persuadésqu'il vaut encore mieux avoir une mauvaise religionque de ne pas en avoir du tout. L'indifférence quenous aifectons sur cette matière les étonne; et s'ils yvoient une garantie de tolérance, il faut dire qu'elleest d'un autre côté une des causes qui diminuent leurestime pour nous. Mais disons aussi, avec l'impartia-lité que nous cherchons à mettre en tout, que cetteindifférence si condamnable, et que nous sommes siloin de partager, a eu cependant pour résultat avan-tageux de réconcilier en quelque sorte les Arabesavec l'idée du Christianisme. Car en parlant des

LES ANNALES ALGÉRIENNES. 383

Français ils ne disent pas : // est fâcheux qu'Ussoient Chrétiens, mais ils disent : // est fâcheuxqu'ils ne soient pas même Chrétiens ! Ils en sontdonc à désirer qu'il y ait chez nous un principe reli-gieux. Ce principe, il faut le leur offrir. Et puisqu'ilssont venus au point de désirer que ce fût au moins leChristianisme, ils seraient agréablement surpris devoir surgir parmi nous une croyance progressive etde fusion. Les relations continuelles qui ont lieu de-puis quelques années entre le monde chrétien et lemonde musulman ont agrandi la sphère des idées deshommes. L'Europe, dans son orgueil scientifique,ne croit plus qu'elle est la seule partie intelligentedu globe ; les peuples de l'Orient, dans leur orgueilbarbare, ne se croient plus les seuls qui méritent queDieu jette les regards sur eux. Il y a de part et d'au-tre un instinct et un besoin de rapprochement. Afinqu'il n'y ait ni froissement, ni violence, le prophètenaîtra d'un mariage mixte. Il sera Chrétien par sonpère et Musulman par sa mère. En attendant sa ve-nue, faisons-lui des sentiers droits. Ne choquonspoint les indigènes dans leurs croyances, mais n'affi-chons plus une indifférence qui a produit tout le peude bien qu'elle pouvait produire, et qui, pousséeplus loin, serait dangereuse. »

On voit que l'Auteur de cet Extrait est aussi, lui,dans l'attente d'un prophète; il est vrai qu'il ne ditpas positivement que le prophète sera Jésus-Christdans un second Avènement, mais il va plus loin que

384 LES ANNALES ALGÉRIENNES.

ceux qui sont dans son attente, en déclarant que lePrécurseur du Prophète a déjà paru et qu'il vit par-mi nous, ce qui est annoncer en d'autres termes quela régénération actuelle verra le Prophète.

Mais avant d'aller plus loin nous avons aussinous-mêmes à faire une déclaration : c'est que nosdoctrines sur le second Avènement du Seigneur n'ontrien de commun avec celles des Néochréliens quecite M. Pélissier, lorsqu'il dit : « Les Arabes atlen- '» dent Jésus-Christ qui doit renaître ; voilà une idée» commune entre des Musulmans et les Néochrè-» tiens. » Cette déclaration, nous ne la faisons quepour ceux qui ne connaîtraient pas nos doctrines, etqui pourraient confondre les Chrétiens de la NouvelleÉglise du Seigneur Jésus-Christ avec les Néochré-tiens; car du reste il suffit d'avoir ouvert un Traitéde Swedenborg pour savoir que par l'Avènement duSeigneur dans les nuées du Ciel, il faut entendre uneNouvelle Dispensation de vérités divines par la Révé-lation du sens interne de la Parole, Révélation qui aété faite.

• Que les Néochrétiens soient encore dans l'attentede l'Avènement de Jésus-Christ dans la chair, commeles Chrétiens de la Vieille Église l'attendent sur lesnuées du Ciel, libre aux uns et aux autres; lesJuifs attendent bien encore le Messie, quoiqu'il sesoit déjà écoulé plus de dix-huit siècles depuis sa ve-nue; mais pour nous qui avons l'inappréciable bon-heur de connaître les écrits de Swedenborg, nous

LES ANNALES ALGÉRIENNES. 38o

croyons fermement que le Seigneur Jésus-Christ, seulDieu du Ciel et de la terre, est venu, selon ses pro-messes, visiter le monde une seconde fois, non enchair, non sur les nuées du Ciel, mais spirituelle-ment, en mettant l'humanité en possession du com-plément des vérités divines, avec lequel seul ellepeut parvenir aux hautes destinées qui lui ont éléréservées.

Par suite de ce second Avènement du Seigneur, lemonde a déjà commencé à se transformer; et, demême qu'après le premier Avènement, il continueraà se transformer avec des secousses plus ou moinsvives, qui seront produites, non par l'introductiondu bien et du vrai, mais par la ténacité du mal et dufaux à conserver leur position. Cette transformationne s'opérera donc pas comme par un coup de ba-guette, ainsi que semblent le croire beaucoup depersonnes, mais elle sera pour ainsi dire inaperçuepar les générations qui la subiront; c'est d'ailleursce que constate déjà l'histoire contemporaine, et lagénération actuelle en offre elle-même une preuvevivante.

II y a, selon nos doctrines, près d'un siècle que lesecond Avènement du Seigneur a eu lieu; or, n'est-ce pas précisément depuis cette époque que tout aété remis en question, que le vieux monde a été sapédans tous ses fondements, qu'un monde nouveau esten travail pour se produire au milieu de tant de dé-combres? Déjà trois générations sont passées, et ce-

33.

386 LES ANNALES ALGÉRIENNES.

pendant aucune de ces générations n'a eu une per-ception claire du but où tend l'humanité; tous ceuxqui ont travaillé n'ont été que de simples manœuvres,les uns démolissant, les autres déblayant; d'autres,mais en plus petit nombre, préparant ou posantquelques pierres plus ou inoins grosses, pour lesfondations de l'édifice nouveau dont l'Architecte su-prême connaît seul le plan. Nous, manœuvres de laquatrième génération, nous voyons, il est vrai, lestravaux de nos devanciers; nous voyons que le vieilédifice ne reste debout dans quelques-unes de ses par-ties que pour abriter les hommes, en attendant quele nouveau puisse les recevoir; nous voyons que toutcraque, que tout menace ruine; mais nous n'aper-cevons pas encore le nouvel édifice ; il n'est pas en-core assez avancé dans sa construction pour que nouspuissions en saisir l'ordonnance, et nous continue-rons à préparer et à poser des pierres; ainsi ferontaussi nos neveux, jusqu'à ce qu'enfin l'édifice soitassez avancé pour présenter à la vue émerveillée sesformes majestueuses.

L'erreur de M. Pélissier est partagée par un grandnombre de cœurs généreux. A l'aspect du chaos danslequel nous sommes, on a de la peine à croire queMOUS puissions en sortir sans une intervention di-recte de la Divinité; et l'on ne -réfléchit pas que Dieua créé l'homme libre, et qu'il contreviendrait auxlois de son Ordre Divin s'il contraignait la libertéhumaine. Si ces hommes généreux consentaient à

LES AXXALES ALGÉRIENXES. 387

prendre connaissance des vérités de la Nouvelle Dis-pensation, ils verraient que, pour renouveler leMonde, Dieu n'a pas besoin de se faire Homme uneseconde fois; qu'il lui suffira de préparer les cœurspar son influx et d'y faire ainsi pénétrer, sans aucunecontrainte, les vérités qu'il a révélées par son secondAvènement, qui devait être et qui fut tout spirituel;ils verraient que les vérités renfermées dans le sensspirituel de sa Parole, et maintenant dévoilées, trans-formeront successivement la société humaine commeles vérités du sens littéral de l'Évangile ont trans-formé le monde païen.

« Un prophète, dit M. Pélissier, est celui qui estn destiné par la Providence à formuler les besoins» vagues, les idées confuses, qui agitent les hommes» à certaines époques, à les formuler d'une manière» tellement lucide que chacun puisse dire : Oui,» voilà ce que je veux et ce que je crois. «Nousrépondrons à M. Pélissier que jamais prophète n'atrouvé chez ses contemporains cette disposition àvouloir et à croire, ni à plus forte raison cette una-nimité, et que c'est pour cela que tous les prophètesont été méprisés, hués et lapidés par ceux qu'ils vou-laient éclairer et sauver; il en a toujours été ainsi,et il en sera toujours de même tant que l'humaniténe sera pas définitivement rentrée dans l'ordre pri-mitif qu'elle a détruit par la chute. Mais nous ajou-terons que dès l'instant où tous les esprits auront étésuffisamment préparés par le Seigneur, chacun coin-

388 LES ANNALES ALGÉRIENNES.

prendra le sens interne des Livres Saints, et dira :Oui, voilà ce que je veux et ce que je crois.

D'ailleurs, si M. Pélissier eût porté ses regardssur le revers de sa médaille, il connaît trop le cœurhumain, tel qu'il est maintenant, pour qu'il n'eût pascompris qu'un prophète n'aurait de nos jours aucunechance de réussir. Quiconque veut réfléchir sur cepoint reconnaîtra facilement que si Dieu Lui-Mêmevenait de nouveau sur notre terre, il y serait mé-connu comme à son premier'Avènement; que lesPrinces des prêtres, les Pharisiens, les Docteurs dela loi et les Scribes de nos temps modernes refuse-raient de le reconnaître; que s'il faisait des miracles,ses miracles seraient traités par eux d'œuvres diabo-liques ; qu'ils l'appelleraient Lui-Mème, comme lapremière fois, Béelzébub ; et qu'ils Le condamne-raient de nouveau à la mort comme perturbateur durepos public et corrupteur du peuple. En effet, sup-poser que Dieu descende une seconde fois sur laterre, c'est admettre implicitement qu'il y reviendrapour détruire les abus qui s'y commettent en sonnom, et dès lors peut-on présumer que ceux qui vi-vent de ces abus, et qui font tant d'efforts pour lesmaintenir, changeraient subitement de conduite à lavoix d'un homme qui se dirait Dieu ? Peut-on présu-mer qu'ils rejetteraient ces abus pour embrasser lavraie doctrine évangélique? Toute l'histoire du passéet celle même du présent prouvent indubitablementle contraire.

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II.

M. Lunes Fox, membre du Parlement d'Angle-terre, et les Rébeccaltes.

On convient généralement qu'il s'opère aujour-d'hvi dans la vieille Europe un mouvement religieux;les uns le saluent avec des cris d'allégresse; d'autres,au contraire, tout en reconnaissant les bienfaits quela religion procure aux hommes, ne sont pas sans in-quiétude lorsqu'ils portent leurs regards sur le pas-sé; les guerres religieuses ont présenté jusqu'à pré-sent un caractère si odieux, si atroce, que ces der-niers ne peuvent se défendre d'un sentiment docrainte, à l'idée de voir les peuples s'occuper denouveau des questions religieuses. Celte crainte, ilest vrai, paraît illusoire aux yeux de ceux qui ontune confiance sans bornes dans la civilisation ac-tuelle, et qui croient que les questions religieuses nepeuvent plus, dans ce siècle de lumières, reprendrele caractère qu'elles ont eu dans des temps de barba-rie; mais ceux-ci pourraient fort bien se tromper.Le fanatisme est de tous les temps et de tous leslieux; c'est un des fruits de la chute, et il ne dispa-raîtra que lorsque l'humanité aura été entièrementréhabilitée; il ne meurt pas, il sommeille quelque-fois, ou plutôt, semblable au phénix, il renaît de sescendres, mais alors avec des forces plus grandes et

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390 DO FANATISME RELIGIEUX.

une énergie plus atroce; chassez-le de la religion, ilse réfugie dans la politique; faites-le disparaître dela politique, il reviendra dans la religion. Or, commele fanatisme politique perd chaque jour de son éner-gie et semble sur le point d'expirer, si l'on ne setient pas sur ses gardes, si ceux qui sont chargés parétat d'enseigner la religion aux peuples ne se hâtentde s'instruire eux-mêmes des véritables principes duChristianisme, afin de les inculquer à ceux qu'ilsdirigent, le fanatisme religieux reparaîtra, escorté detoutes les cruautés et de toutes les abominations quel'histoire a enregistrées. Qu'on lise attentivement lespièces qui suivent, quelque bouffonnes qu'elles soient,et l'on verra que si les discussions politiques fai-saient place aux questions religieuses, il ne manque-rait pas d'hommes prêts à soulever les masses, aunom du Christ, pour se baigner dans le sang de leursfrères.

M. Lanes Fox, membre de la chambre des com-munes, a prononcé à l'une des dernières séances lediscours suivant, que la Phalange du 25 juin a crudevoir donner en entier, tant il est extraordinaire.Nous le reproduisons tel qu'il est traduit dans ceJournal, sans en rien retrancher :

« Mon motif pour exposer devant la chambre mesopinions sur l'état présent de l'Irlande est que je suisfermement convaincu que notre glorieuse constitu-tion protestante, à laquelle l'acte de 1829 a fait unesi large brèche, est aussi bien la loi de Dieu que celle

DU FANATISME RELIGIEUX. 391

qui fut donnée aux Juifs sur le mont Sinaï. C'estmon opinion, et j'en appelle aux Écritures. Je suis,comme le ministre de l'intérieur, d'avis que la con-ciliation, à l'égard de l'Irlande, est épuisée. LeChrist Lui-Même a dit qu'il faut tirer le glaive pourla défense de l'Église ; et, à mon avis, il est tempsd'en venir aux armes. Le Christ a dit à ses disciples :« Que celui qui n'a pas de glaive vende sa besacepour en acheter un.» — Le temps est venu de tirer leglaive. Le prophète Ésai'e a dit : « Vois mon ser-» viteur, celui que je soutiens, mon élu dans lequel» mon âme se délecte. J'ai mis mon esprit en lui,» et il ira parmi les Gentils. Il ne poussera point de» cris, il ne fera point entendre sa voix dans les» rues; il ne brisera pas un roseau, il n'agitera point» la flamme de la cire qui brûle. » Eh bien ! y a-t-ildans les îles Britanniques un homme assez ignorantpour ne pas voir que le prophète parlait du jour oùl'Angleterre devait secouer le joug de Rome par larévolution de 1688? Je maintiens que cela ne peutpas se rapporter à autre chose. Puisque j'ai com-mencé, il faut que je dise à la Chambre ce que jepense de Rome; et, pour cela, je dois appeler l'at-tention sur la première révolution française, danslaquelle la France rejeta la Religion chrétienne toutentière, et à la suite de laquelle les soldats se donnè-rent pour conquérant leur général. Cet homme estmentionné dans l'Écriture comme une des têtes de laBête de l'Apocalypse, c'est-à-dire, de Rome. Faites

392 DU FANATISME RELIGIEUX.

bien attention. Rome était la puissance sous laquellela nation israélite était.en sujétion au temps de lavenue du Sauveur. L'Écriture dit qu'il viendra huitrois. Il y en avait un du temps de la première prédi-cation de l'Évangile. Il n'y a pas de puissance dansl'histoire qui ait eu autant de formes différentes degouvernement que Rome. Les Romains ont eu desrois, des consuls, des décemvirs, des dictateurs, destriumvirs et des empereurs.

» Suivez bien mon raisonnement. Je veux prouverque l'Empereur des Français était la septième tête dela bête, ou de Rome. Il adopta la forme du gouverne-ment consulaire, et prit l'aigle romaine pour emblè-me; elles autres rois ayant été des païens, il se fitégalement pai'en, et il reconnut Mars, le Dieu de laguerre. Mais il fut bientôt entraîné en captivité par leDieu d'Israël ; et Mars, le dieu qu'il avait adoré, lelaissa se tirer d'affaire comme il pourrait. Si la Cham-bre veut me permettre de continuer, je lui dirai queRome est aujourd'hui plus terrible qu'elle ne l'étaitquand elle fut couvée par la louve, la vieille nourricede Romulus et Rémus. On m'appelle enragé, mais jevous rappellerai une anecdote du bon vieux roiGeorges III, auquel ses courtisans disaient que lordNels.on était enragé. Sa Majesté répondit : Plût àDieu qu'il mordît quelques-uns de mes amiraux ! Ilfaut que j'expose mon opinion sur l'avenir de l'É-glise d'Angleterre : Après la transfiguration, faitesbien attention à ce que je vous dis, et souvenez-vous

DU FANATISME RELIGIEUX. 393

de la réponse qui fut faite aux Scribes : « Élie vien-dra d'abord et rétablira toute chose. » Ceci fut ditaprès la décollation de saint Jean-Baptiste. Soyezsûrs qu'Élie n'est pas loin. Je vais vous dire d'où ilviendra, et comment il viendra. Il y a une opiniondans le monde, selon laquelle la race d'Israël n'est pastout entière déchue de la grâce. Le Seigneur a .dit :« Je les enverrai dans les îles lointaines, et ils pro-clameront ma gloire parmi les Gentils ! » C'est dansces îles britanniques où l'Église protestante a étéplantée, que se trouveront ces Israélites. Quand cetteabomination des abominations, l'émancipation descatholiques, fut votée par le parlement, lord Eldon,le gardien de la conscience du roi, dit que si cettemesure devenait loi, le soleil de l'Angleterre seraitéclipsé. Et vraiment ce soleil a été obscurci par desténèbres effroyables ; mais si l'émancipation est rap-pelée, il brillera plus glorieusement que jamais. Lapuissance des ténèbres... (Ici un des amis de l'ora-teur le prend par son habit et le force à se rasseoirau milieu d'une hilarité inextinguible de tous lescôtés de la Chambre.) »

Ce même M. Lanes Fox, non content d'avoir pro-noncé un pareil discours en plein parlement, écritde Saint-James Square, 3, le 22 juin, à l'éditeur duTimes, la lettre suivante, dont nous reproduisons latraduction d'après le même Journal :

« Monsieur O'Connell dit au peuple irlandais qu'iln'est pas un homme de bataille ; eh bien ! je vous di-

394 DU FANATISME RELIGIEUX.

rai, moi, pour l'instruction du peuple anglais, que jesuis un homme de bataille, et qu'il ne se passera paslongtemps sans que je nage dans le sang des infidèlesbouillonnant jusqu'aux reins de mon coursier. Quel-ques gens diront que ce n'est pas là le langage del'Écriture, et moi je dis que l'Écriture à chaque pagele commande. J'ai prouvé à la Chambre des commu-nes que l'élu d'Israël, le rejeton de ces hommes quiles premiers ont cru à l'Évangile est parmi nous, etqu'à lui appartient l'interprétation de la Parole deDieu. Il y a en Angleterre des milliers de lionceauxvigoureux et hardis qui, au premier signal, s'élance-raient au combat. Nous irions prendre nos frères in-fidèles par la main ; nous les reconduirions sur leurterre natale, et bientôt serait réduit an silence le pa-pisme naissant de l'école d'Oxfort. J'ai revêtu jus-qu'ici la robe de la folie : sous ce déguisement j'aisondé le cœur de nos gouvernants, et je n'y ai rientrouvé. Je renonce à la folie, et je suis la preuve vi-vante de ce que dit saint Paul : « Que la folie de Dieuest plus sage que la sagesse du monde. » Des intérêtspourront être choqués; eh bien ! qu'ils le soient, etdamnation sur eux ! »

On dira sans doute aussi que M. Lanes Fox, quoi-que membre du parlement, est un fou, et qu'il neréunirait pas dix personnes autour de lui ; soit, sil'on parle du moment actuel; mais qu'on se reportepar la pensée à un moment où les questions religieu-ses, longtemps débattues, auraient irrité les esprits,

DU FANATISME RELIGIEUX. 395

où l'on serait prêt à en venir aux mains, et que l'ondise si alors des hommes tels que M. Fox, s'appuyantsur la lettre de l'Écriture, éprouveraient beaucoupde difficultés à réunir autour d'eux une foule de fa-natiques tout disposés à exécuter leurs ordres !

Mais il nous reste encore une pièce à faire con-naître avant d'indiquer le seul moyen qui peut ga-rantir l'Europe d'un nouveau fanastisme religieux.Toute la presse retentit aujourd'hui des exploits desRébeccaïtes, ces briseurs de portes et de barrières ;mais on ignorait qu'ils s'appuient aussi, eux, sur letexte de l'Écriture; c'est ce que nous apprend unelettre de Carmarthen, que nous trouvons dans laDémocratie pacifique (ancienne Phalange] :

« Les excès que commettent chaque jours les Ré-beccaïtes prennent un caractère de plus en plus gra-ve. Ils ont, ces jours derniers, abattu deux barrièresentre Uandillo et Emswarts. Hier matin, vers uneheure, des ouvriers mineurs, faisant partie de labande de Rébecca, ont cerné la maison de M. Tho-mas, propriétaire des mines à Emswarts. Les Rébec-caïtes avaient fait partir une fusée comme signal, ilsont tiré un coup de fusil; mais, au bout d'une heure,ils se sont retirés sans avoir fait aucune manifestation.Le lendemain, on a trouvé, attachée à la porte, unelettre ainsi conçue : « Renvoyez un de vos inspcc-» leurs. Dites à votre femme et à vos filles de ne pas» tant parler des Rébeccaïtes. Quant à votre fils, c'est» un homme signalé. Mardi dans la nuit nous revien-

396 DU FANATISME RELIGIEUX.

» drons. » Les Rébeccaïtes prétendent excuser leurbrigandage, en citant le XXI Vme Chapitre de laGenèse, Vers. 60 (1). Certains ministres des sectesdissidentes les ont, dit-on, encouragés. Un magistratavait envoyé à tous les ministres dissidents une cir-culaire, pour inviter à exhorter les fidèles au respectdes lois ; mais ils ont répondu qu'ils n'osaient point.»

Le seul moyen qui puisse préserver l'humanité desdivers excès qui ont été jusqu'à présent commis aunom de la religion, c'est celui que la miséricorde duSeigneur a donné aux hommes par son second Avè-nement, lorsqu'il a levé les sceaux placés sur les Li-vres Saints, en dévoilant leur sens interne. Il y abientôt un siècle que ce sens est révélé, qu'il a étépublié dans la langue que tous les ecclésiastiques ettous les savants de la Chrétienté connaissent, qu'il aété adressé par le Révélateur aux prélats, aux acadé-mies, aux bibliothèques publiques; et les Princes desprêtres, et les Pharisiens, et les Docteurs de la loi,et les Scribes, n'en ont fait aucun cas et l'ont rejeté.Etpourquoi? Parce qu'ils observent l'Évangile commeleurs prédécesseurs de la Judée observaient la loi deMoïse; parce qu'ils tiennent plus à leurs Traditionsqu'à la Loi Divine. N'y a-t-il donc pas déjà eu assez desang de versé au nom d'un Dieu de paix? Ne l'a-t-onpas assez outragé, en prétendant venger sa cause,

(1) « Et ils bénirent Rébecca, et ils dirent : Tu es notre Sœur, soisen milliers de Myriade, et que ta postérité possède la porte de ses en-nemis. > — Gen. XXIV. 60.

DU FANATISME RELIGIEUX. 397

comme si le Dieu qui est tout amour pouvait exigerla vengeance? Faut-il que les peuples s'entr'égor-gent encore, Içrsqu'il serait si facile de les éclaireren leur faisant connaître la doctrine de charité etd'amour que le Seigneur Jésus-Christ a révélée, poursauver encore une fois le genre humain d'une ruineimminente? Prêtres de toutes les Communions chré-tiennes, s'il est encore répandu du sang au nom dela religion, vous assumez sur vos têtes la plus terri-ble responsabilité; vous serez bien plus coupablesque tous vos prédécesseurs, car eux du moins, igno-raient que la Parole renferme dans le sens de salettre un sens spirituel, tandis que vous, si vous neconnaissez pas ce sens, c'est parce que vous ne vou-lez pas le connaître. Quand tous les jours vous pré-sentez le peuple juif comme le modèle des peuples enle nommant le peuple de Dieu, comment voulez-vousque, dans un moment d'effervescence et de collision,ceux qui ont eu confiance en vos paroles ne préten- •dent pas excuser leurs déprédations ou leurs brigan-dages en s'appuyant sur les actions de ce peuple in-fâme qui fut le plus cruel et le plus féroce de tous lespeuples? Quand vous leur vantez tous les jours lespatriarches, comment pourrez-vous les retenir, s'ilsviennent vous citer l'exemple des patriarches à l'ap-pui d'une mauvaise action qu'ils voudront commet-tre? Quand vous leur recommanderez de ne pas sevenger de leurs ennemis, qu'aurez-vous à leur ré-pondre, s'ils vous disent que David, dans ses Psau-

3/4.

398 DU FANATISME RELIGIEUX.

mes, ne cesse d'appeler la malédiction de Dieu surses ennemis, et de montrer envers eux les sentimentsde la vengeance la plus implacable? Vous leur citerezsans doute d'autres passages où le pardon des in-jures est recommandé; mais pensez-vous qu'ils vousécoutent et se rendent à vos exhortations? Passagespour passages, ils préféreront toujours s'en rappor-ter à ceux qui paraissent conformes à leurs pas-sions.

Tant que les Ministres de la religion s'en tiendrontau seul sens de la lettre, le premier venu pourratoujours leur fermer la bouche, lorsqu'ils voudrontle ramener à des sentiments d'humanité et de misé-ricorde; mais que, sans abandonner le sens littéral,ils étudient, reconnaissent et répandent le sens in-terne qui l'explique, et alors ils n'ont pas à craindreque leurs auditeurs deviennent des fanatiques. Euagissant ainsi, ils concilieraient et feraient dispa-raître avec la plus grande facilité les contradictions•du Livre Saint, qui toutes ne sont qu'apparentes, etl'on ne verrait plus des Chrétiens chercher à excuserleurs mauvaises actions en s'appuyant sur des passa-ges de la Bible. Loin de prendre des personnes del'Ancien Testament pour modèles, on reconnaîtraitque la plupart de ceux mêmes qu'on a le plus res-pectés, n'étaient que des hommes adonnés aux plusbasses passions, ne songeant qu'aux jouissances ter-restres, et ne faisant consister la religion que dansles pratiques extérieures du culte; on saurait que si

DU FANATISME RELIGIEUX. 399

les enfants d'Israël ont été appelés le peuple de Dieu, cen'est pas qu'ils valussent mieux que les autres peu-ples, car leur histoire elle-même, racontée dans laBible, prouve au contraire qu'ils valaient beaucoupmoins; on connaîtrait enfin les véritables causes quiles ont fait choisir pour être dépositaires de la Pa-role de Dieu, et dès lors on ne serait plus tenté d'i-miter le zèle fanatique de ce peuple.

NOTES ADDITIONNELLES.

.NOTE 2 DE LA PAGE 1".

Prospectus de la REVUE (la Nouvelle Jérusalem.)

Toute publication, pour être bien accueillie du public,doit nécessairement présenter certaines idées neuves ; mais sielle renferme, en outre, un grand but humanitaire, alors,quelle que soit la force des préjugés qu'il lui faudra combat-tre, elle parviendra d'abord à les affaiblir et finira par lesvaincre. Telle sera, nous devons l'espérer, la destinée decelle que nous annonçons sous le titre de Nouvelle Jérusa-lem.

Quiconque réfléchit sur la position actuelle des sociétéshumaines voit, à n'en pas douter, que l'ordre qui semblerégner chez elles n'est en réalité qu'un désordre perma-nent, et que si l'individualisme qui les ronge n'était pas ar-rêté dans sa marche effrayante, elles finiraient toutes partomber, à la moindre secousse, dans une complète dissolu-tion. C'est en vain que les publicistes redoublent d'effortspour découvrir le vrai remède; ils n'ont encore trouvé jus-qu'ici que des palliatifs, et cependant la gangrène continueà faire de rapides progrès.

Les publicistes ont échoué; et, malgré de nouvelles ten-tatives, ils échoueront encore, parce que faisant principa-lement consister leur science à mettre les passions hu-maines en action, ils agissent avec les vues plus ou moinsétroites de l'esprit de caste ou de parti, en cherchant, soit àconserver ce qui existe, s'il leur est favorable, soit à le dé-truire, s'il leur semble nuisible; de sorte qu'ils ne peuventque conserver les intérêts anciens, ou les remplacer par desintérêts nouveaux, et la cause désorganisatrice survit tou-jours aux secousses qu'ils ont provoquées.

Ce n'est pas le triomphe de telle ou telle forme de gou-

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vernement qui pourra constituer les sociétés dans leur véri-table élat normal; car la victoire d'un parti sur un autre,lors même que le parti vaincu serait totalement anéanti, neparviendrait pas à détruire l'individualisme, et ce fléau so-cial continuant à exister, le parti victorieux serait bientôt laproie de cette même guerre intestine qu; mine depuis silongtemps ces sociétés. Les mouvements politiques serontdonc toujours impuissants pour procurer à l'humanité cebonheur futur qu'elle entrevoit et qu'elle ne sait commentatteindre.

La grande question humanitaire sera résolue, non par ladécouverte d'une forme nouvelle de gouvernement, maispar la découverte, bien autrement importante, des moyensde réformer et de régénérer l'homme; car l'être collectif,nommé société ou nation, ne pourra se constituer régulière-ment et définitivement que lorsque l'être particulier, nomméhomme, aura été lui-même replacé dans l'ordre. En effet,lorsque le désordre existe dans chacune des parties, il estimpossible que l'ordre puisse exister dans le tout Tel estl'homme, telle est la société. Si les gouvernements sontégoïstes, c'est parce que les gouvernés le sont. Que leshommes commencent d'abord par se réformer, et ils n'au-ront pas besoin de courir la carrière des révolutions pourobtenir une forme de gouvernement qui réponde à leursvœux; elle sera contrainte par la force des choses de se pré-senter d'elle-même.

Quel est donc le levier capable de remuer le cœur humainpour replacer l'homme dans l'ordre, et sauver ainsi l'hu-manité entière du précipice dans lequel elle est entraînée ?Nous répondrons sans hésiter:G'est la Religion; et c'est elleseule, parce qu'il n'est donné qu'à elle seule de pouvoir pa-cifier les sociétés modernes, en les régénérant dans leurschefs et dans leurs membres, et en les unissant toutes parles devoirs d'une bienveillance mutuelle.

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Naguère, un semblable aveu eut certainement été malreçu; aujourd'hui, gouvernants et gouvernés, tous sententle besoin d'une religion; tous avouent que l'égoïsme, enbrisant les liens qui rattachent les hommes entre eux, les atous isolés, et que sans une religion en rapport avec l'état dela civilisation actuelle, il serait impossible de déraciner cettefuneste passion, et de ramener l'union et la concorde surcette terre.

Qu'on ne nous confonde pas, cependant, avec ceux qui ontfait ou qui veulent faire des essais de religion. Les uns ontété poussés par le désir de faire partager aux hommes leursconceptions, les autres ont agi en haine des pouvoirs ecclé-siastiques existants, d'autres, enfin, ont pu avoir en vue desintérêts politiques ou quelques autres intérêts humains.Kous ne sommes mus par aucun de ces motifs. Les hautesvérités qui seront successivement développées dans cettePublication, ne sont pas le produit d'une conception hu-maine; aussi n'avons-nous pas pour chef un homme. La Re-ligion que nous professons est toute divine; c'est le Chris-tianisme dans sa pureté primitive, s'emparant de la civilisa-tion moderne, pour l'épurer elle-même, et pour la dirigerensuite dans les voies qu'elle doit parcourir pour atteindrele degré de prospérité qui lui est destiné.

En considérant l'impuissance des diverses Communionschrétiennes pour détruire l'individualisme, certaines som-mités intellectuelles ont cru que le Christianisme était in-suffisant; et, parce qu'on voit ces Communions se débattredans une longue agonie, on se persuade qu'il a fait sontemps. Non, le Christianisme n'est pas insuff isant ; non, iln'a pas fait son temps. Si, depuis quinze siècles, il a été suc-cessivement détourné de sa véritable route par les passionshumaines qui l'ont exploité à leur profit, il n'en subsistepas moins encore en principe; et, pour qu'il apparaisse auxhommes dans toute sa beauté et dans toute sa puissance ré-

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génératrice, il suffira de le montrer tel qu'il est réellement,c'est-à-dire, dégagé des erreurs et des superstitions qui l'ontrendu méconnaissable.

Mais le difficile, nous dira-t-on, c'est de dégager le Chris-tianisme de toutes les erreurs qui le souillent; comment yparvenir? vous ne pourrez avoir recours qu'au Livre Saint;et comme il résulte de faits multipliés, qu'on l'a jusqu'iciinterprété de plusieurs manières bien différentes, chaqueCommunion chrétienne pourra, à votre interprétation, op-poser celle sur laquelle elle s'appuie, pour poser commevrai ce que vous prétendrez être faux; qui donc jugera? —Nous pourrions répondre : Le bon sens public; car lorsque laDoctrine de la Nouvelle Jérusalem sera exposée, il sera faci-le, en la comparant aux doctrines des autres Communions,de se convaincre que si celles-ci sont impuissantes pour ré-générer l'homme et par suite la société, celle des Novi-Jéru-salémites offre, au contraire, tous les éléments nécessairespour obtenir cette régénération, but unique et seule pierrede louche de la vraie religion.

Mais laissant de côté cet argument qui ne saurait avoir deforce que pour ceux qui connaissent déjà la Doctrine de laNouvelle Jérusalem, nous dirons : Les temps sont enfin ac-complis! le sceau qui avait été mis par Dieu sur les LivresSaints est levé, et la vérité peut désormais apparaître auxyeux de quiconque désirera de bonne foi la connaître.

Qu'on nous permette ici une digression indispensable.Au milieu du siècle dernier vivait en Suède un homme

qui, par la pureté de ses mœurs et la supériorité de ses con-naissances, s'était acquis l'estime et l'admiration du mondesavant. Après avoir étonné ses concitoyens par ses écritsscientifiques, Swedenborg tombe en extase, reste 27 ansdans cet état extraordinaire, rend compte dans de nombreuxouvrages de tout ce qu'il a vu et entendu, et déclare à sesamis, au lit de la mort, que ses écrits extatiques renferment

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la vérité dans toute sa pureté. Son siècle ne l'a pas compriset ne pouvait pas le comprendre; il était occupé à démolir,tandis que lui, instrument de la Divinité, reconstruisait,dans le 'silence, sur ses véritables bases, le nouvel édifice re-ligieux destiné à replacer l'homme dans son état normal, età le ramener au bonheur.

D'ailleurs, comment Swedenborg aurait-il été compris parson siècle? Connaissait-on alors la théorie importante del'extase, sans laquelle la science chercherait en vain à serendre raison des faits surprenants qu'il rapporte? On n'é-tudie sérieusement l'extase que depuis peu, et surtout de-puis qu'on a reconnu que les principes des sciences nou-velles qui font aujourd'hui l'occupation des savants, avaientété posés d'une manière précise, dans les écrits extatiques del'illustre Suédois, bien avant l'époque où ces sciences sontcensées avoir été découvertes. Le Christianisme régénéré neredoutera donc pas la science, il la'devancera même, commeil l'a déjà fait, et il la dirigera lorsqu'elle s'écartera de lavraie route.

Cependant les ouvrages de Swedenborg, tous écrits en la-tin, ne furent pas longtemps sans être appréciés par ceux quisentaient vivement le besoin d'une religion épurée. Aussi lespeuples qui possédaient la liberté de conscience jouirent-ilsbientôt de l'avantage précieux d'une traduction en languenationale. Alors la Nouvelle Doctrine commença à se ré-pandre en Angleterre, aux États-Unis d'Amérique, en Alle-magne, dans les gouvernements du Nord, etc. Elle fut pro-fessée publiquement en Angleterre dès 1783, et l'on compteaujourd'hui, dans le seul comté de Lancaster, soixante-troisministres de la Nouvelle Église.

Les commotions de notre première Révolution, les con-quêtes de l'Empire et le bigotisme de la Restauration, dé-tournèrent les esprits français de tout examen sérieux sui-des matières de religion, il fallait la Révolution de 1830

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pour tirer nos compatriotes de leur indifférence, et leur faireentrevoir que, sans une profonde conviction religieuse, ap-puyée sur ce sens commun qui est un des plus beaux pré-sents de la Divinité, il devient impossible de constituer lasociété sur des bases solides. Le moment est donc arrivépour la France de s'occuper sérieusement du vrai Christia-nisme. Déjà la plupart des Traités de Swedenborg sont tra-duits, et la Doctrine céleste qu'ils renferment a porté parminous de grands fruits. Les Novi-Jérusalémites sont, il estvrai, disséminés sur ce vaste sol; mais ils ont pour eux deuxbons auxiliaires, la vérité et le temps. Quoiqu'à peine entrésdans la carrière, nous possédons déjà plusieurs écrits re-marquables sortis de plumes françaises. Nous citerons, entreautres, le savant ouvrage d'Edouard Richer, en huit volumesin-8°, que nos voisins se sont empressés de traduire et derépandre à des milliers d'exemplaires. *

Les philosophes nous diront sans doute, que faire inter-venir la Divinité pour expliquer les ÉCRITURES, c'est resser-rer le nœud au lieu de le délier. Les bornes d'un Prospectusnous obligent de différer notre réponse; nous la donneronsdans celte Publication, et nous pensons qu'elle sera de na-ture à satisfaire ceux d'entre eux qui cherchent de bonnefoi la vérité. La Nouvelle Doctrine, loin de redouter la phi-losophie, peut fort bien s'allier avec elle et par suite lui êtred'un grand secours.

Les théologiens se garderaient bien de faire la mêmequestion; mais s'ils nous disaient qu'il n'appartient qu'auxconciles d'interpréter la Parole Divine, nous répondrions :C'est en s'arrogeant un tel droit que les conciles ont déna-turé le Christianisme. La vérité n'a jamais été et ne sera ja-mais le résultat indubitable d'une nombreuse assemblée dé-libérante.

Les Écritures que les Chrétiens de toutes les Commu-nions révèrent, ne peuvent être saintes, que parce qu'elles

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viennent de Dieu. Or, comment ont-elles pu être transmisesaux hommes! Swedenborg l'explique. L'homme est un êtredouble, appartenant par sa constitution aux deux mondes;par son corps matériel, au monde des effets dans lequel ilvit d'abord, et par son esprit, au monde des causes, pourlequel il est destiné. L'état d'extase existe chez l'homme,lorsque les sens de son esprit sont en pleine activité; alorsil plonge dans l'immatériel, et se trouve en communicationavec ce qui se rapporte au bien et au vrai, ou avec ce qui serapporte au mal et au faux, selon que son propre intérieurest disposé au bien ou au mal. De là, les vrais ou les fauxprophètes.

Tous les livres de la PAROLE, tant ceux de l'Ancien queceux du Nouveau Testament, sont le produit de l'extase.Moïse était un extatique ; Josué, Samuel, David, etc., étaientdes extatiques: enfin, tous les Prophètes et les Évangélistesétaient en extase lorsqu'ils écrivaient. Ce qu'ils nous onttransmis était d'inspiration divine, et renfermait, sous lesens souvent grossier de la lettre, un sens caché ou spirituelqui n'est autre que la Divine Vérité. Ce sens a été cachéaux hommes et ne devait leur être révélé que lorsque, parsuite du progrès des lumières, ils seraient en état de le com-prendre sans le profaner. Ce temps est enfin arrivé, le sceauest levé, ainsi que nous l'avons dit, et il ne pouvait l'êtreque par le moyen d'un extatique, car l'explication de la Ré-vélation ne pouvait être donnée que de la même manièreque la Révélation avait été faite. Au moyen de cette expli-cation, le Livre Saint est désormais ouvert à l'intelligencehumaine. On peut le lire maintenant dans son sens spirituel,depuis le Premier Chapitre de la Genèse jusqu'au dernierVerset de l'Apocalypse, et se rendre compte de tous les faitsde l'ordre spirituel qui étaient, avant Swedenborg, restéstout à fait inintelligibles.

Nous nous sommes restreints à ne donner ici qu'une idée

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de l'extase; sa théorie sera développée dans le cours del'ouvrage annoncé. Nous revenons maintenant au but prin-cipal de notre Publication, le bonheur de l'homme en parti-culier, et de la société en général, par le moyen du principereligieux.

Quoique toute Religion ait pour but de régénérer l'homme,aucune de celles qui existent aujourd'hui n'a pu atteindre cebut. Une telle impuissance, qu'on ne saurait révoquer endoute, ne peut certes provenir que de causes majeures;nous les signalerons dans le cours de notre Revue; pour lemoment, nous nous contentons d'indiquer, en peu de mots,comment la Nouvelle Jérusalem parviendra à résoudre cetimportant problème de la régénération humaine.

Elle y parviendra, en faisant connaître les nombreuses etsublimes vérités qui sont répandues dans les Écrits du Ré-vélateur; en détruisant les erreurs théologiques qui sont surle point d'étouffer le Christianisme; en donnant sur Dieu,sur l'homme et sur la nature, des notions qui pourront d'a-bord surprendre les savants, mais qui seront, avant peu,reconnues exactes par la science elle-même; en posant desprincipes propres à résoudre les plus hautes questions psy-chologiques et physiologiques, et à dissiper entièrement lesfunestes incertitudes de l'homme sur son immortalité.

Elle y parviendra aussi, en prouvant à l'homme que sesmauvais penchants ne sont tous, au fond, que l'abus del'amour de soi, ou l'égoïsme; que c'est ce vice, résultat dela chute, qui fait de lui un être misérable, tandis qu'il re-viendrait par le dévouement au véritable bonheur, si au lieude concentrer son amour sur lui-même, il le répandait surses frères; qu'ainsi il n'y a, à proprement parler, qu'un seulvice qui engendre toutes les mauvaises passions, l'égoïsme;et qu'une seule vertu qui fait naître toutes les bonnes affec-tions, le dévouement.

Elle y parviendra encore, en établissant la supériorité du

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culte intérieur sur le culte extérieur, et en retranchant decelui-ci les puérilités, les superstitions et les idolâtries; enmontrant que les vraies Doctrines sur l'amour du prochainse sont entièrement perdues, et en les rétablissant tellesqu'elles étaient primitivement; en prouvant enfin que lesdevoirs du vrai Chrétien ne consistent pas à vivre dans l'au-stérité, dans les privations, dans la retraite; mais à menerdans fe inonde une vie active et utile à la société, et surtoutà préférer, en toutes circonstances, l'humanité à la patrie,la patrie à la famille, et la famille à soi-même.

Lorsque les hommes seront pleinement convaincus, commele sont tous les Novi-Jérusalémites, que la mort n'est pas unanéantissement, mais le commencement d'une existencebeaucoup plus complète et beaucoup plus active que celledont nous jouissons sur cette terre;

Que ce qui survit n'est ni un simple souffle, ni une vapeursans substance, ni quelque chose d'éthéré dont on cherche-rait en vain à se former une idée; mais que c'est l'hommemême ayant immalériellement toute son organisation, ou,en d'autres termes, que c'est cet homme intérieur, jusqu'iciignoré, mais qui cependant constitue seul le MOI de chaqueindividu, et qui moule sur lui et actionne dans ce mondetoute la matière qui le recouvre, matière qui, sans lui, nesaurait prendre la forme humaine ;

Que dégagé de son enveloppe terrestre, l'existence de cethomme immatériel deviendra éternellement heureuse oumalheureuse, selon qu'en vertu de son libre arbitre, il aurasur terre usé ou abusé de l'amour de soi;

Lorsque, disons-nous, les hommes seront pleinement con-vaincus de ces importantes vérités,qui, pour être comprises,soit par le savant, soit par tout homme en général, n'ontbesoin que d'être exposées dans tous leurs développements,oh alors! l 'humanité entrera d'elle-même dans la grandevoie de la régénération, et pourra marcher à pas de géant versles hautes destinées qui lui sont promises.

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La Doctrine de la Nouvelle Jérusalem est fondée sur laCharité; nous ne l'oublierons pas dans notre Publication.Lorsque nous serons obligés de montrer les erreurs des au-tres Communions chrétiennes, nous le ferons avec la dé-cence convenable, et nous saurons toujours avoir pour lesconvictions le respect qu'elles méritent. D'ailleurs la Nou-velle Jérusalem, cette Église prédite dans les Livres Saintscomme devant ôlre la couronne de toutes les Églises précé-dentes, est destinée à faire disparaître toutes les dissidencesreligieuses qui n'ont que trop divisé les hommes.

Quelques mois avant la publication de ce Prospectus, j'avais ouvertma maison au public, le dimanche, pour y développer les doctrines dela Nouvelle Jérusalem ; mais désireux de nie conformer en tout point àla législation alors en vigueur, j'avais préalablement adressé au Maire deSaint-Amand la Déclaration suivante, qui fut ensuite insérée dansl'Annonciateur du Cher, dans son Numéro du 26 novembre 1837.

Saint-Arnand (Cher), 18 Novembre 1837.

MONSIEUR LE MAIRE,

J'ai l'honneur de vous prévenir que j'ai ouvert ma maison,le Dimanche, à toute personne raisonnable qui désireraitprendre connaissances des principes religieux que professentles disciples de ta Nouvelle Jérusalem.

J'ai la conviction int ime que l'exposition de ces principesne peut être que très-propre à accélérer la prospérité de laville que vous administrez avec un zèle si louable et si per-sévérant. Les idées civiles, morales et religieuses, quoiquedistinctes entre elles, ne portent de véritables fruits, quelorsqu'elles se trouvent liées de manière à marcher au mêmebut, le bonheur de l 'humanité, sans s'entrechoquer en quoique ce soit. Un simple coup d'œil sur quelques-uns de nosprincipes vous convaincra que la doctrine des iNovi-Jérusa-lémites peut remplir cetle condition, et nous conduire à cebut, espoir de tout homme de bien :

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1° La religion que nous professons n'est pas le résultaid'une conception humaine, c'est le Christianisme ramené àsa pureté primitive, et se mettant de lui-même en rapportavec le progrès des lumières; elle ne date pas d'aujourd'hui,il y avait en Angleterre avant 1830 quarante-quatre villesqui comptaient des temples, et l'on en désignait aux États-Unis d'Amérique plus de soixante en 1827. Sa doctrine com-mença à être professée publiquement en Angleterre dès1783; elle est maintenant répandue en Suède, en Norwége,en Panemarck, dans les Étals Allemands, en Prusse, en Hol-lande, en Belgique, en Suisse, dans la Russie septentrionale,et partout enfin où il y a la moindre lueur de liberté de con-science.

2° Notre religion est toute spirituelle et n'a absolumentrien de temporel ou de politique; car nous posons en prin-cipe qu'une religion ne doit en aucune manière s'immiscerdans les affaires des gouvernements, et nous en tirons celteconséquence, que si le Christianisme a été détourné depuisquinze cents ans de sa véritable route, c'est parce qu'on aabusé des choses spirituelles en les appliquant à des intérêtsterrestres.

3° Notre religion admet en principe la tolérance la plusgrande, et conséquemment elle n'est en aucune manière ex-clusive; en effet, nous reconnaissons que Dieu, comme Pèrecommun de lous les humains, et comme étant la JusticeMême, ne fait aucune distinction entre eux, et qu'ainsi touthomme, qu'il soit Chrétien, Mahométan, Juif, Indou ou Ido-lâtre, peut être sauvé. Il suffi pour cela qu'il ait bien vécu,la Divinité ne pouvant imputer à l'homme les erreurs danslesquelles il est né et a été élevé.

!i° La pratique de notre religion ne consiste pas à vivredans la contemplation et la mysticité, en ne s'occupant quedu salut, ce serait plutôt là un moyen de le perdre, car agirainsi, c'est n'agir que pour soi, et l'égoïsme est la tache ori-

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ginelle que l'homme doit détruire, pour revenir à l'état nor-mal dans lequel il a été primitivement créé; mais la pratiquede noire religion consiste à mener dans le monde une vietoute d'activité. Ne faire que louer et célébrer Dieu, ce n'estpas avoir une vie active ; Dieu n'a pas besoin, pour sa gloire,de louanges et de bénédictions-, il veut qu'on produise desusages (œuvres), et par là des bontés de charité; il exigeseulement de nous et dans notre intérêt seul, qu'une fois ensept jours nous nous réunissions un instant pour nous oc-cuper en commun, lorsque nous le pouvons, de matièresspirituelles. Pour nous, prier Dieu, c'est faire le bien parceque c'est le bien, et sans aucune vue de retour sur nous-mêmes; aimer Dieu, c'est, en toutes circonstances, préférerla généralité des hommes ou l'humanité entière à la pairie,la patrie à la famille, et la famille à soi-même.

Vous voyez, Monsieur le Maire, d'après ces principes, quedans nos réunions religieuses, il ne sera jamais question depolitique soit directement soit indirectement. La présenteDéclaration vous est faite à l'effet de prévenir toute fausseinterprétation de nos intentions.

J'ai l'honneur d'être, etc.LE BOYS DES GUAYS,

Conseiller municipal.

Cette Déclaration au Maire de Saint-Amand a tellement mécontentéla Gazette du Berry, qu'elle appelle l'attention de l'Autorité ecclésias-tique sur ce qu'elle nomme une nouvelle secte. Cette attaque m'aobligé d'avoir de nouveau recours à Y Annonciateur du Cher, qui aadmis dans ses colonnes les deux Articles suivants :

Si la Gazette du Berry a cru, qu'en employant des termesde mépris, elle nous forcerait à des représailles, elle s'esttrompée; nous l'avertissons que dans celle polémique reli-gieuse, nous ferons loujours abstraction des personnes;nous ne discuterons que les principes. Permis à elle mainte-

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nant d'agir comme bon lui semblera. Notre doctrine, à nous,est toute de charité, et nous la suivrons; elle nous dit decombattre les erreurs, mais elle nous défend d'attaquer lespersonnes. Celui qui est dans l'erreur n'en est pas moinsnotre frère, nous devons le plaindre et non l'irriter. Celuiqui est dans le mal est aussi notre frère; et s'il nous est per-mis de délester le mal qui est en lui, il nous est commandéde faire tous nos efforts pour l'en tirer. Le mal, nous devonsle haïr; l'homme, jamais.

L'auteur de l'article de la Gazette se garde bien de nousdésigner sous le nom que l'on nous donne dans l'anciencomme dans le nouveau continent ; il se contente de direque nous formons une nouvelle secte, et il nous compareassez maladroitement aux Saint-Simoniens. Je n'irai pas plusloin, je n'analyserai pas son article, je. m'en tiens à son litreseul : nouvelle secte] et je lui dis : En matière de religion,le mot secte s'entend d'une opinion hérétique ou erronée.C'est là la définition que nous donne l'Académie. Il ne s'agitdonc pas maintenant de savoir si vous êtes plus ou moinsanciens que nous; si vous avez le droit de traiter d'hérésietoute opinion qui diffère de la vôtre; car ce droit peut aussibien appartenir aux autres qu'à vous; mais il s'agit de savoirsi notre doctrine est erronée, ou bien si ce ne serait pasplutôt la vôtre. Remarquez qu'en pareille matière, vousn'êtes pas plus compétent que moi; l 'un et l'autre noussommes parties intéressées, nous n'avons que le droit d'expo-ser notre cause, et le public, qui seul est notre juge, décidera.Répondez, ou ne répondez pas ; vous m'avez jeté le gant, ilest ramassé. La Nouvelle Jérusalem ne craint point legrand jour, elle soumettra sa doctrine céleste à l'intelligenceet à la raison des hommes du 19e siècle.

Quant à vos attaques, nous ne saurions les redouter; ellesne pourront qu'engager à prendre connaissance de notredoctrine, et quiconque l'examinera de bonne foi, ne pourra

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s'empêcher de l'adopter. Nous n'aurons jamais d'autresarmes que la persuasion ; car si nous en prenions d'autres,nous ne serions plus Novi-Jérusalémites qu'à l'extérieur,comme vous n'avez plus été que des chrétiens externes, dumoment où, sous Constantin, vous avez contraint les peuplesde l'Empire à adopter vos croyances, foulant ainsi aux piedsce principe, qu'il ne saurait y avoir de véritable religion, làoù il n'y pas liberté absolue de conscience. Oui, quoi quevous puissiez en dire, c'est de cette époque que l'Églisechrétienne a été privée de la véritable lumière; que sesdogmes sont devenus un cahos ; parce qu'elle fit entrer lespassions humaines dans les discussions spirituelles, etqu'elle se servit des choses saintes soit pour établir, soitpour consolider des puissances temporelles.

Mais si, prévoyant votre défaite, vous reculiez devant desdébats publics, je suis encore en droit de vous dire : II n'estplus temps! le juge est saisi de l'affaire, il décidera en votreprésence ou en votre absence ; car votre silence serait unaveu tacite de la pauvreté de vos arguments. Vous étiezmaîtres de choisir le terrain ; si vous en avez pris un mau-vais, en nous désignant sous le nom de secte, la faute en està vous. Il y aurait de ma part plus que de la bonhomie, si,lorsqu'il s'agit d'un point si important pour le bonheur derhumanitéjj'allais abandonner la position favorable où vousm'avez placé.

Entrons en matière. Mais pour ne pas ennuyer le public,qui., dans ce siècle, n'a pas un goût prononcé pour les dis-cussions théologiques, parlons à sa raison, et nous seronssûrs d'être entendus; c'est une proposition que je vous faiset que vous auriez mauvaise grâce de refuser; je la considèredonc comme acceptée. Ce premier point posé, en voici unautre qui pourrait abréger la discussion, en lui imprimantune marche tout à la fois simple, régulière et propre à ré-soudre définitivement la question : ce serait de donner à ce

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même public, qui est, comme vous le savez, notre seuljuge, un critérium, une espèce d'étalon qui lui servirait debase et de mesure, et auquel il se reporterait toujours, avantde prendre son part i sur les questions qui lui seraient sou-mises de part et d'autre. Le public est de sa na ture bon logi-cien ; vous admettez, je le présume, le proverbe : Vax po-puli, vox Dei, car vous vous en êtes servi assez souvent.Eh bien! j'aurai recours à cette logique du public qui vautbien celle de l'école, et je dirai :

1. Dieu est la Justice Même.2. Dieu a imprimé dans le cœur de l'homme un sentiment

de justice souvent étouffé par les passions, mais n'en exis-tant pas moins et se manifestant tontes les fois que l'hommen'est pas dominé par un intérêt quelconque. Il en est ainsi,parce que l'homme, quoique déchu, n'en est pas moins crééà l'image et à la ressemblance de Dieu. Il est d'ailleurs re-connu qu'il existe un sentiment de justice universelle, quise manifeste par l'accord unanime de tous les hommes à dé-clarer que tel acte est juste ou injuste.

Or, si Dieu est la Justice Même, et s'il y a chez les hom-mes un sentiment de justice universelle, il en résulte quetoute religion dont un seul dogme ferait de Dieu un être in-juste, selon ce sentiment de justice universelle, serait incon-testablement fausse.

Tout homme raisonnable est donc en droit de nous dire àl'un et à l 'autre : Pour que je reconnaisse comme vraie lareligion que vous défendez, prouvez-moi qu'on ne peut faireà votre Dieu un seul reproche d'injustice.

O mes concitoyens, vous surtout qui avez rejeté votreDieu, parce qu'on vous l'avait présenté avec des a t t r ibutsque votre raison, que ce sentiment de justice qui est au fondde votre cœur ne vous permettaient pas d'admettre, puis-siez-vous porter votre attention sur cette logique simple!puissiez-vous nous dire : îSotre scepticisme nous pèse, nous

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voudrions être débarrassés de cette incertitude qui noustrouble souvent, même au sein des plaisirs; montrez-nousvotre Dieu, et s'il est conforme à l'idée que la raison humainedoit se faire de la Divinité, nous l'accepterons.

Quiconque nous tiendrait sincèrement ce langage ne tar-derait pas à être des nôtres, et à éprouver toutes les jouis-sances douces et pures qui font aujourd'hui le charme denotre vie terrestre.

Je reviens maintenant à vous, qui que vous soyez, Mon-sieur l'anonyme de la Gazette, et je déclare publiquementque nous sommes prêts à reconnaître que notre religion estfausse, si, après avoir développé tous nos dogmes, on peutfaire à notre Dieu un seul reproche fondé d'injustice ; maisen même temps je vous somme, vous, Monsieur, de faire lamême déclaration. Nous avons tous deux le même Dieu,nous sommes tous deux chrétiens, mais nous entendons lareligion chrétienne d'une manière différente, en donnant ànotre Dieu des attributs différents. Dieu cependant est Un,sa justice est Une, le bon sens du public décidera.

Pour le mettre en état de juger, j'exposerai chacun de nosdogmes, et je mettrai en parallèle ceux des vôtres qui leurcorrespondent. Il me sera facile de prouver que les nôtres nesont en aucune manière en opposition avec la Justice Même,et que la plupart des vôtres font de Dieu un être injuste.Ainsi pourra être décidée la question de savoir de quel côtéest la véritable religion chrétienne et de quel côté est lasecte.

Quant au Journal du Cher, qui vient aussi de nous atta-quer dans son n" du 5 décembre, que puis-je lui répondre?Je m'occupe seulement de matières religieuses, et ne memêle en aucune manière de politique. Puisqu'il a lu madéclaration, qu'il ne cite, il est vrai, qu'en partie, il auraitdû le savoir. Du reste, il aurait mieux fait de prendre quel-ques notions de notre doctrine, avant d'en parler. J'attendrai

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donc que l'auteur ait fait connaître d'une manière quelcon-que s'il est athée, sceptique, déiste, ou d'une communionchrétienne; car son article ne renferme pas un mot quipuisse indiquer quels sont ses principes religieux. Notre re-ligion est accessible à l'intelligence de tous les hommes, àcelle du philosophe comme à celle de l'homme du peuple ;sans cela elle ne serait pas la vraie religion, car l'être infiniqui nous crée tous ne fait aucune distinction entre sesenfants. Notre doctrine nous fournit donc des argumentspropres à convaincre tout homme qui désirera sincèrementconnaître la vérité, qu'il soit déiste, sceptique ou athée.Lorsque l'auteur anonyme du Journal du Cher nous aurafait connaître dans quelle catégorie il se place, nous luiprouverons que nous sommes véritablement chrétiens, enfaisant, pour lui dessiller les yeux et pour le ramener au vraiDieu, autant d'efforts que nous en ferions pour le meilleurde nos amis. (Annonciateur du Cher, 10 Décembre 1837.)

Le témoignage de toutes les personnes qui ont assisté auxréunions des Novi-Jêrusatémites suffira pour convaincrecomplètement les autorités et le public de la pureté de nosintentions, et pour dissiper entièrement toute espèce d'insi-nuations. Je ne m'occuperai donc pas de tout ce que la mal-veillance a pu supposer pour nuire à noire œuvre; mais jeme vois forcé de dire quelques mois sur un bruit, depuisquelque temps répandu, et qui semble maintenant prendrequelque consistance. On prétend que l'autorité supérieurea donné des ordres pour faire fermer ma maison. Un telbruil me paraît dénué de fondement, car si un déléguéd'une autorilé supérieure avait reçu de tels ordres, il mesemble qu'il les t iendrai t secrels jusqu'à leur mise à exécu-tion. D'ailleurs, j'ai fait une Déclaration à l'autorité locale,et je tiendrai ma maison ouverte à toute personne raisonna-ble, jusqu'à ce qu'on m'ait signifié de la fermer, et qu'on aitapposé les scellés sur mon salon.

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Nous respecterons toujours les lois civiles ;et politiques,mais nous saurons aussi en réclamer la protection. Nousobéirions même à la force, si on l'employait contre nous;mais après avoir obéi, nous réclamerions avec toute l'énergieque donne la purelé de la conscience. Aucune mesure vio-lente ne saurait ralentir notre zèle et notre persévérance;notre conviction est trop forte, pour qu'on puisse nous fairedévier de la ligne de conduite que notre devoir de Chrétiennous tracera.

Si, contre toute attente, on me forçait de fermer mon sa-lon, nous nous partagerions la tâche; alors, pour un lieu deréunion fermé, ne pourrions-nous pas en ouvrir légalementdix? et si, contre toute justice, ce nouveau mode de propa-gation nous était enlevé, il nous resterait encore la puissanteressource de nous rendre individuellement dans le sein dechaque famille avide de connaître LA BONNE NOUVELLE.

Il ne s'agit pas ici de ces intérêts terrestres contre les-quels les pouvoirs de ce monde peuvent employer la forcematérielle : il s'agit de conscience seulement, et devant laconscience s'arrêtent les pouvoirs de toute autorité tempo-relle. Comment! j'aurai une conviction qui me rend heureux,et il me serait défendu de la faire partager à mes semblables!J'aurai la main pleine de vérités qui peuvent ramener mesconcitoyens au bonheur, et il ne me serait pas permis del'ouvrir! Quelle puissance humaine pourrait donc m'en em-pêcher! Non. Ce serait injurier l'autorité supérieure que delui supposer de telles intentions.

Un catholique-romain peut se faire protestant, un proles-tant peut devenir catholique-romain ; et nous ne pourrionspas être Novi-Jérusalémites, c'est-à-dire, Chrétiens régéné-rés! Cependant, si les dogmes du Catholicisme-Romain oudu Protestantisme ne peuvent plus être admis par notre rai-son ; si la philosophie, loin d'avoir réchauffé notre cœur enne parlant qu'à nos sens, nous a isolés de telle sorte, que

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chacun de nous se soit considéré comme un centre auquel ildevait tout rapporter; si,au milieu de cette crise dissolvanteet anti-sociale, le Dieu qui nous créa pour vivre tous enfrères, est venu au secours de l'humanité, en manifestant DENOUVEAU sa Vérité rendue méconnaissable par les erreurs etles crimes des hommes; si enfin, nous avons eu le bonheurde connaître cette Vérité divine, et de la faire adopter parplusieurs de nos concitoyens,peut-on nous défendre de nousvoir, de nous entendre, pour l'inculquer plus profondémentdans nos cœurs, pour lui faire porter des fruits, et pour en-suite la répandre sur un plus grand nombre de nos malheu-reux frères? Aimerait-on mieux que nous fussions athées ousceptiques? croit-on qu'alors nous serions de meilleurs ci-toyens?

Que ne restez-vous, nous a-t-on dit, dans la Communionchrétienne où vous êtes nés? Pourquoi ses dogmes et sesrits troubleraient-ils votre esprit! Si votre raison ne peut lesadmettre, eh bien ! faites comme tant d'autres ; laissez allerles choses comme elles vont, et croyez seulement en Dieu,si vous le pouvez. De cette manière vous passerez toujourspour être restés fidèles à la religion de vos pères, et l'on nesaurait dans ce siècle en exiger davantage de vous.

Un tel langage peut faire impression sur la plus grandepartie des hommes. L'indifférence en matière de religion estencore si grande, que chacun préfère sa tranquillité à unéclat souvent désagréable; car pourquoi changer de reli-gion, lors qu'il est de mode de les regarder toutes commeinsignifiantes? Quitter celle où l'on est né, pour en suivreune autre, ne serait-ce pas avouer tacitement qu'on croitaux dogmes de celle où l'on entre? On s'en garde donc bien.

Nous nous en serions bien gardés aussi, nous, si le vraiDieu, en déchirant le voile épais dont on l'avait couvert, nese fût montré tel qu'il est en effet, c'est-à-dire, accessible àl'intelligence de toutes ses créatures. Mais maintenant pour-

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quoi hésiterions-nous? Personne ne saurait trouver notrerésolution extraordinaire,puisqu'elle est le résultat de notreconviction. Quand par suite de discussions raisonnées on aacquis la certitude que la mort naturelle est le commence-ment de la véritable vie; quand par les mêmes moyens ons'est pénétré de la bonté infinie du PÈRE commun des hom-mes, et des efforts continuels de sa Providence pour nousramener à lui; quand chaque jour on peut éprouver en soides effets de sa Miséricorde, oh alors ! la conviction devienttelle que ni la menace, ni même la force ne sauraient l'é-branler. Telle est celle des Novi-Jérusalémites. Ils savent,du reste, qu'en abandonnant la religion catholique-romaine,ils ne font que revenir à la véritable religion chrétienne, quifut autrefois celle de leurs pères.

(Annonciateur du Cher, 17 Décembre 1837.)

Saint-Amand (Cher), 27 mars 18S8.

A Monsieur le Procureur général près la Cour royale de Bourges.

MONSIEUR LE PROCDREDR GÉNÉRAL,

Dimanche dernier, M. le Commissaire de police s'est renduchez moi par ordre de votre substitut, M. le Procureur duroi de Saint-Amand, pour s'assurer du nombre de personnesréunies dans mon salon, qui sert aux Novi-Jérusalémites detemple provisoire pour rendre au Dieu des Chrétiens leculte de leur cœur. J'ignore, et je n'ai pas le droit de de-mander à connaître quels sont les ordres que vous aveztransmis, et jusqu'où ils peuvent s'étendre; mais commechrétien et comme français vivant sous l'ombre tutélaire dela liberté de conscience inscrite dans la Charte, je ne puism'empêcher de vous soumettre, avec tous les égards quemérite votre dignité, les réflexions que cet acte m'a naturel-lement suggérées.

J'ai faille 18 novembre 1837.à M. le Maire de St-Amand,

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la Déclaration que ma maison était ouverte, le Dimanche,à toute personne raisonnable qui désirerait prendre con-naissance des principes religieux que professent les disciplesde la Nouvelle Jérusalem. Celle Déclaration a été transmiseà l'Autorité supérieure, et depuis celle époque il n'est riensurvenu qui ait pu éveiller la sollicitude de l'Autorité pour latranquillité publique; car il n'y a eu ni désordre, ni tumulte :les portes de ma maison ont toujours élé ouvertes, le Di-manche, à trois heures, à tous ceux qui se sont présentés, ettous agents de l'Autorité ont eu liberté entière d'exercerleur surveillance. Nous ne nous plaindrons jamais de cettesurveillance; M. le Commissaire de police peut venir quandbon lui semblera, et envoyer des agents subalternes; ils se-ront toujours bien accueillis, car tous les hommes sontfrères; mais le fait de compter le nombre des assistants pa-raissant indiquer que l'Autorité serait dans l'intention denous appliquer l'article 291 du Code pénal, c'est sur ce pointseulement que je vous soumettrai de simples réflexions.

On peut se réunir dans les salons de Messieurs tels ou tels,pour jouer aux cartes, sans que l'Aulorité compte le nombrede ceux qui composent la réunion; et des chrétiens, dont laraison rejettent les dogmes du catholicisme-romain, ne pour-ront pas se réunir plus de vingt pour prier en commun, etil faudra qu'ils restent privés de culte, parce qu'il plaira deles assimiler à des conspirateurs! Ce n'est pas en lisant laParole de Dieu, et en cherchant à se pénétrer des vérités di-vines renfermées dans les Écritures, qu'on apprend à con-spirer.

On peut à jour fixe donner des bals dans des salons parti-culiers, où se réunissent un grand nombre de personnes, etil ne me sera pas permis de réunir chez moi pUis de vingt demes frères, y compris les femmes et les enfants, pour nouspénétrer de l'amour de Dieu et du prochain! La loi n'a puêtre immorale à ce point: elle a en tendu prohiber lesréu-

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nions clandestines et dangereuses pour la tranquillité del'État; mais elle n'a jamais prétendu mettre des entraves àla liberté de conscience, lorsqu'il n'y a pas association, etque tous les habitants peuvent participer à un culte qui n'arien d'exclusif. Vous savez, du reste, M. le Procureur géné-ral, qu'il faudrait effacer la liberté de conscience inscritedans la Charte de 1830, si l'on voulait appliquer dans toutela rigueur de la lettre l'article 219 du Code pénal, et vous«avez aussi combien une Charte constitutive d'un nouveaugouvernement l'emporte sur un Article de loi d'un gouver-nement antérieur.

Je ne saurais donc attribuer la rigueur, qu'on semble vou-loir exercer contre nous, qu'à la non-connaissance de nosprincipes religieux. Or, notre religion professée publique-ment, depuis longues années, en Angleterre et aux États-Unis de l'Amérique du nord, repose sur ces deux principesfondamentaux : Reconnaître le Seigneur Jésus-Christ commeDieu Unique, et vivre selon les préceptes qu'il nous a donnésdans le Décalogue. Ainsi, pour être Novi-Jérusalémite, onn'est astreint à aucune formalité extérieure; il suffit de re-connaître qu'il y a un seul Dieu, et non trois personnes dis-tinctes en Dieu, et de vivre selon le Décalogue ; on n'a pasmême besoin de faire celte déclaration ; car les paroles et lespromesses ne sont rien aux yeux de la Divinité, qui n'a.égard qu'aux actes; ainsi sont Novi-Jérusalémites tous ceux-qui vivent selon cette croyance, et non ceux qui la procla-meraient hautement sans la mettre en pratique.

Si l'Église française, qui nie la Divinité de Jésus-Christ,peut prêcher ouvertement un tel dogme, il est bien surpre-nant qu'on cherche à proscrire, ou du moins à entraverl'exercice du culte de la Nouvelle Jérusalem qui, loin de fairede Jésus-Christ un homme, le reconnaît, comme je viens de.le dire, pour Je seul et unique Dieu de l'univers.

J'Qse espérer, M. le Procureur général, que ces simples36,

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réflexions pourront modifier les ordres que vous avez don-nés, et éviter par là des réclamations publiques, auxquellesje n'aurais recours que si vous m'y contraigniez en mettantles Novi-Jérusalémites hors du droit commun.

J'ai l'honneur d'être, etc.

NOTE DE LA PAGE 51.

L'Article de VÉcho du Vatican est dû à la plume du vi-comte de La Perrière, compatriote et ami d'enfance du Majorde Fossa, l'un de nos frères les plus zélés. Dès que M. deFossa,qui avait prêté au vicomte la plupart de nos ouvrages,et qui le croyait revenu du seplicisme à des idées religieu-ses, eut appris qu'il était l'auteur de cet Article, il fui aus-sitôt le trouver. « Je m'aperçus, m'écrit-il en date du 12» mars 1828, qu'il était confondu par ma présence. Après» m'avoir renouvelé les protestations les plus chaudes d'a-» mille et d'estime, il me dit qu'il avait trop souvent pris la» défense du trône et do L'autel pour changer aujourd'hui» de langage; que ses intérêts positifs dans le monde qu'il» habite et ceux de ses enfants devaient être préférés par lui» à ceux d'un monde à venir dont l'existence ne lui est pas» démontrée, etc., etc. » M. de Fossa ajoute : « Dans une» lettre que j'écrirai au vicomte en réponse à un billet, où ilD cherche à s'excuser, je me plaindrai de toutes les infamies» qu'il a avancées, et lui reprocherai en même temps sa dé-» loyauté envers moi. Certes, ce n'est pas dans le camp en-» nemi, sous une bannière qu'il méprise, que je m'attendais» à trouver l'incrédule, le sceptique vicomte de La Perrière» transformé en athlète du papisme dont je l'ai toujours en-» tendu se moquer. »

NOTE DE LA PAGE 76.

Au sujet du Semeur, lire l'Article suivant Polémique re-ligieuse, et Pages 96, 118 et suiv. Nous ajouterons seule-

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ment que les journaux du Protestantisme, comme ceux duCatholicisme-Romain, n'ont lancé contre nous que des plai-santeries, sans vouloir aborder le fond de la discussion ; ilsse sont bien gardés de loucher aux questions dogmatiques;et plus tard, dans la crainte d'attirer sur nos doctrines la cu-riosité du public, ils ont eu recours à ce qu'on pourrait ap-peler la conspiration du silence.

NOTE DE LA PAGE 80.

Sur l'unité humanitaire, voir l'Article sur l'avenir del'humanité, Page 137.

NOTE DE LA PAGE 200.

M. H..., fils naturel de la célèbre baronne de K... et deM. T..., recevait de M. T... une pension trimestrielle suffi-sante pour le mettre en état d'élever convenablement sa fa-mille. Après le décès de M. H... sa veuve se trouvant, avecquatre enfants, à la merci de M. T... fut obligée, pour sub-venir aux besoins de sa jeune famille, de faire baptiser deuxde ses enfants à l'Église catholique-romaine.

NOTE DE LA PAGE 216.

La première pierre du temple fut posée le 20 mars 1840,ainsi qu'il avait été décidé; les travaux continuèrent confor-mément aux plans et devis qui avaient été approuvés parM. G...: mais lorsqu'il fut question de placer les emblèmesqui devaient décorer la porte d'entrée, M. C... en proposad'autres qui étaient inadmissibles. M. G... était extatique, ceque d'abord nous avions ignoré; et, comme extatique, il te-nait à ses idées. Il devint donc impossible de s'entendre. Dèslors je fis suspendre les travaux, aimant mieux subir les dé-sagréments que celle suspension allait m'allirer, plutôt qued'admettre de tels emblèmes. Toutefois, je dois rendre àM, C,.. celle justice qu'il régla avec loyauté les frais de

JBA.cette eenstraetion. iNoMflulemeBt il paya tontes les ilépen--ses, mais il m'offrit plusieurs fois <le céder le terrain et les•constructions pour un prix bien au-dessous de leur valenr,etmême il aurait été, je crois, jusqu'à nous les donner, si je nelui avais fait observer, que la connaissance que nous avionsmaintenant de son état extatique, et la publication récentede certains écrits, ne nous permettaient plus de marcherensemble.

Lorsqu'après 24 ans je réfléchis aux désagréments quem'a causés cette construction avortée, je ne puis que bénirla Divine Providence qui, en nous laissant notre libre-arbitre,sait toujours de nos fautes tirer quelque bien. J'avais agi unpeu à la légère en acceptant les propositions de M. G... Jecroyais le moment, enfin arrivé, de suivre l'exemple de nos-frères d'Angleterre et des Étals-Unis. Le Seigneur a suscitédes obstacles à la construction de cet édifice, et je l'en bénisd'autant plus, qu'il ne m'a pas laissé longtemps découragé ;-il m'a mis au cœur de ne plus penser à ce temple de pierres,et d'entreprendre un-édifice plus solide, à savoir, la publi-cation française des écrits de Swedenborg, et la traductionen latin et en français de la .Parole d'après ces écrits; la pre-mière de ces deux tâches est accomplie, veuille sa DivineMiséricorde m'accorder aussi d'accomplir complètement laseconde.

NOTE DE LA PAGE 269.

FoiV,,Page 2d3, la cérémonie d'une inhumation.

NOTE Ml LA PAGE 274.

fo!V,.surle capitaine Bernard, l'Article Gobert etJ?ernard,Page;3l2.

OUVRAGES D'EMMANUEL SWEDENBORGlv LS~-^^N Traduits en Français

SPAR X-F.-E. LE BOYS DES GUAYS

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OUVRAGES. CONCERNANT LA NOUVELLE ÉGLISE.lettres à un Homme du Monde, 1 volume in-18 . . . 3 «L'Apocalypse dans son Sens Spirituel, 1 vol. gr. ih-8". 7 50Exposition Populaire de la Vraie Religion Chrétienne. » 50La Religion du Bon Sens, 1 volume in-18 6 »Mélanges, 5 volumes in-18 . 18 »Abrégé de la Doctr. de la Vraie Religion Chrétienne, 1 v. 3 »Le Nouveau Testament, l volume in-32. . . . . . . 2 50Scriptura Sacra.— Esaias, 1 volume in-8° 10 »Index général des passages de la Parole, 1 volume in-8°. 10 »Appel aux Hommes réfléchis, 1 volume in-18. . . . . 5 »Particulttrités de la Bible, 1 volume in-18 5 »Lettres au-Docteur Priestley, 1 volume in-18 5 »

\Imprimerie de Deslenay, à Saint-Amand (Cher). /^