Mémoire M2 de Julia Pentecouteau

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Les réseaux sociaux numériques se sont imposés en moins d’une dizaine d’années comme un outil de communication presque incontournable, qui dépasse les frontières des relations interpersonnelles. Leur usage par les musées marque le pas d’une nouvelle étape dans la relation qui les unit à leurs publics. Une observation directe des manifestations de la présence de trois musées d’art, de leurs communications éditoriales et des réactions des publics sur les réseaux sociaux numériques permet, dans un premier temps, d’étudier les nouvelles modalités de cette relation. Puis une enquête quantitative par questionnaires standardisés révèle le profil et les attentes des publics connectés.

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UNIVERSIT PARIS I - PANTHON-SORBONNEUFR ARTS PLASTIQUES ET SCIENCES DE LART

Mmoire de Master 2 Recherche

pour obtenir le grade de

MASTER en ARTS & SCIENCES DE LARTMention Esthtique et Etudes Culturelles Spcialit tudes culturelles Mmoire prsent et soutenu publiquement en Sorbonne 10/2011 par Julia PENTECOUTEAU Titre :

LES MUSES ET LES RSEAUX SOCIAUX NUMERIQUES : UNE NOUVELLE RELATION AVEC LES PUBLICS ?

_________ Directeur de recherche : Bernard DARRAS _________ JURY Fanny GEORGES, Matre de Confrence lUniversit Sorbonne Nouvelle - Paris III, Bernard DARRAS, Professeur lUniversit Paris 1 Panthon-Sorbonne.

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Universit Paris 1 Panthon-SorbonneUFR 04 Arts et sciences de lart

Master dEtudes CulturellesSous la direction du Professeur Bernard DarrasBILAN DOCUMENTAIRE ET RSUM DU TRAVAIL DTUDE ET DE RECHERCHE Nombre de signes : Nombre de pages de texte : Nombre de pages dannexes : Nombre dillustrations dans le texte : 1 volume 10 Mots clefs de la recherche: muses, rseaux sociaux numriques, Internet, web 2.0, publics, communication des organisations, communication ditoriale, sociabilit, dialogue, identit numrique 5 mots clefs de la mthode : Observation directe, enqute sociologique, questionnaires quantitatifs, analyse des rseaux, entretiens RSUM DU MEMOIRE : Les rseaux sociaux numriques se sont imposs en moins dune dizaine danne comme un outil de communication presque incontournable, qui dpasse les frontires des relations interpersonnelles. Leur usage par les muses marque le pas dune nouvelle tape dans la relation qui les unit leurs publics. Une observation directe des manifestations de la prsence de trois muses dart, de leurs communications ditoriales et des ractions des publics sur les rseaux sociaux numriques permet, dans un premier temps, dtudier les nouvelles modalits de cette relation. Puis une enqute quantitative par questionnaires standardiss rvle le profil et les attentes des publics connects. 189 679 97 50 23

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In the past, you were what you owned Now, you are what you share. Victor Samsa Responsable de la communication numriqueMoMA de New York

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REMERCIEMENTS

Merci Bernard Darras, directeur de recherche de ce mmoire, dont la rigueur mthodologique ma permis dorganiser la pense et davancer logiquement dans un sujet complexe. Merci Fanny Georges davoir accept dtre le deuxime membre du jury. Ses travaux sur lidentit numrique ont t particulirement clairants pour comprendre les processus de construction identitaire en ligne. Merci Conxa Rod, coordinatrice de projet Internet du Museu Picasso de Barcelone, AnneMyrtille Renoux, responsable du projet Communaut Louvre, et Diane Drubay, blogueuse et consultante en communication musale, davoir accept de rpondre mes questions avec autant de transparence et de clart. Merci toutes les personnes qui ont pris le temps de rpondre mon questionnaire en ligne. Un grand merci Nadine Barbier, qui, par ses relectures et ses remarques, ma accompagne pendant les principales tapes du mmoire. Merci Jokin Urraza pour son soutien et ses encouragements.

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TABLE DES MATIERESTABLE DES ILLUSTRATIONS TABLE DES TABLEAUX LISTE DES SIGLES ET ACRONYMES 1. 2. 3. INTRODUCTION PRESENTATION DU DOMAINE ETUDIE ETAT DE LA RECHERCHE 8 9 10 11 13 1919 19 20 26 26 27 30 33 36 36 37 38 39

3.1 Mta analyse quantitative 3.1.1 Prsentation des diffrentes mthodes de collecte des donnes bibliographiques 3.1.2 Analyse diachronique des donnes bibliographiques et par concepts cls 3.2 Mta analyse qualitative 3.2.1 Internet et les nouveaux paradigmes de la communication 3.2.1.1 Internet, un media spcifique 3.2.1.2 Les rseaux sociaux numriques 3.2.1.3 Les nouvelles conditions de la rception culturelle 3.2.2 Le muse et les rseaux sociaux numriques 3.2.2.1 Le muse ouvert et participatif 3.2.2.2 Le muse comme espace de socialisation 3.2.2.3 La construction collective du sens 3.2.2.4 Lapport des non experts au champ musal

4. 5.

PROBLEMATIQUE PROGRAMME ET MISE EN UVRE DE LA RECHERCHE 1E PARTIE :

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ETUDE DE LA RELATION ENTRE MUSEES DART ET PUBLICS SUR LES RESEAUX SOCIAUX NUMERIQUES5.1 Mthodologie de lenqute 5.1.1 Terrain dtude et chantillon de lenqute 5.1.2 Le recueil des donnes 5.1.3 Le traitement et linterprtation des donnes 5.2 Observation de la prsence du muse du Louvre sur les rseaux sociaux numriques 5.2.1 Contexte la relation du muse du Louvre avec ses publics 5.2.2 Observation de la page Facebook du muse du Louvre 5.2.3 Observation du blog officiel Le Louvre des Familles 5.3 Observation de la prsence du Museu Picasso sur les rseaux sociaux numriques 5.3.1 Contexte de la relation du Museu Picasso avec ses publics

4343 43 45 46 47 47 49 51 54 54

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5.3.2 Observation de la page Facebook du Museu Picasso 5.3.3 Observation du blog du Museu Picasso 5.4 Observation de la prsence de la Tate Gallery sur les rseaux sociaux numriques 5.4.1 Contexte de la relation que la Tate Gallery entretient avec ses publics 5.4.2 Observation de la prsence de la Tate sur Facebook 5.4.3 Manifestation de la prsence du muse sur le blog de la Tate 5.5 Interprtation des donnes : tude des manifestations de la prsence des muses sur les rseaux sociaux numriques 5.5.1 A chaque muse tudi, une prsence originale sur les rseaux sociaux numriques 5.5.2 La relation entre muses dart et publics via les rseaux sociaux, des consquences bilatrales

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PROGRAMME ET MISE EN UVRE DE LA RECHERCHE, 2E PARTIE

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EVALUATION DE LA PERCEPTION DES PUBLICS EN FONCTION DE LEUR PRATIQUE DES RESEAUX SOCIAUX NUMERIQUES6.1 Objectif gnral de lenqute et questions de recherche 6.2 Etude prliminaire 6.2.1 Les publics des muses 6.2.1.1 Un public fortement stratifi par critres socioculturels 6.2.1.2 Les enqutes portant sur lensemble de la population franaise 6.2.1.3 Typologie des visiteurs en fonction de leurs reprsentations des muses 6.2.2 Le double objectif des muses envers les publics 6.2.2.1 Un objectif commercial : intensifier les pratiques musales 6.2.2.2 Un objectif social : la dmocratisation des muses 6.3 Mthodologie de lenqute 6.3.1 Objectifs spcifiques et indicateurs mesurer 6.3.2 Plan dobservation et contraintes matrielles 6.3.3 Conception de lchantillon de population 6.3.3.1 Lunivers thorique de la population tudie 6.3.3.2 Taille et strates de lchantillon de lenqute 6.3.4 Prparation de linstrument dobservation 6.3.5 Mthode de recueil des donns (questionnement sur le terrain) 6.3.6 Prparation des donnes : contrle et codage pour faciliter lanalyse statistique 6.4 Analyse des donnes recueillies par le questionnaire 6.4.1 Etude de la reprsentativit de lchantillon recueilli 6.4.2 Prsentation des rsultats par groupe de population (tris croiss) 6.4.2.1 Les facteurs sociodmographiques (tris croiss) 6.4.2.2 Les pratiques numriques 6.4.2.3 Les pratiques musales 6.4.2.4 La relation avec les muses sur les rseaux sociaux numriques 6.4.3 Interprtation des rsultats du questionnaire 6.4.3.1 Trois groupes de population dont la perception de leur relation avec les muses varie en fonction de lintensit de leurs pratiques 6.4.3.2 Les rseaux sociaux numriques et la diversification des publics

7171 72 72 72 74 75 77 77 78 80 80 80 81 81 82 82 84 86 86 86 88 89 90 92 93 101 101 102

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7.

CONCLUSION

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BIBLIOGRAPHIE TABLE DES ANNEXES

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Table des illustrationsFigure 1 : Production annuelle d'ouvrages et articles de rfrence comportant au moins trois des mots cls de la recherche Figure 2 : Evolution du nombre moyen de mots cls cits par ouvrage ou article de rfrence Figure 3 : Arborescence du concept "Rseaux sociaux" Figure 4 : Arborescence du concept "Muse" Figure 5 : Evolution du paradigme communicationnel de la relation muses / publics depuis l'introduction des rseaux sociaux numriques Figure 6 : Evolution du nombre de visiteurs au Muse du Louvre depuis 2006 Figure 7 : Photographie de prsentation du profil Facebook du Muse du Louvre Figure 8 : Photographie de prsentation de l'auteur du blog Le Louvre des Familles Figure 9 : Photographie de prsentation du profil Facebook du Museu Picasso Figure 10 : Photographie de prsentation du profil Facebook de la Tate Figure 11 : Extrait d'changes sur la page Facebook du Museu Picasso au 30/08/2011 Figure 12 : Importance relative des groupes G1, G2 et G3 dans l'chantillon de l'enqute Figure 13 : Age des groupes de l'chantillon Figure 14 : Contribution du groupe G2 aux rseaux sociaux numriques Figure 15 : Contribution du groupe G3 aux rseaux sociaux numriques Figure 16 : Intensit des pratiques musales des groupes de l'chantillon Figure 17 : Rponses recueillies la question Q.20 Figure 18 : Type de rponses recueillies la question Q.21 Figure 19 : Thmes plbiscits par les publics la question Q.21 Figure 20 : Perception de G1 sur la place des muses d'art sur les rseaux sociaux numriques Figure 21 : Perception de G2 sur la place des muses d'art sur les rseaux sociaux numriques Figure 22 : Perception de G3 sur la place des muses d'art sur les rseaux sociaux numriques Figure 23 : Principales rponses recueillies la question Q.22 21 22 23 23

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Table des tableauxTableau 1 : Concepts antinomiques du paradigme communicationnel des muses via les rseaux sociaux numriques Tableau 2 : Observation des publications du profil Muse du Louvre sur Facebook et des ractions des publics Tableau 3 : Observation des publications du profil Museu Picasso sur Facebook et des ractions des publics Tableau 4 : Nombre de contacts des pages Facebook de la Tate Tableau 5 : Observation des publications du profil Facebook de la Tate et des ractions des publics Tableau 6 : Comparaison entre les pages Facebook des trois muses de lchantillon Tableau 7 : Comparaison entre les blogs des trois muses de lchantillon Tableau 8 : Les Muses de France 2005 entre 2009 Tableau 9 : Entres dans les Muses Nationaux entre 1980 et 2005 Tableau 10 : Pourcentage de Franais de plus de 15 ans ayant visit au moins un muse au cours des 12 derniers mois Tableau 11 : Comparaison entre l'chantillon de rfrence et l'chantillon de l'enqute Tableau 12 : Composition de lchantillon en fonction des groupes G1, G2 et G3 Tableau 13 : Principales rponses recueillies la question Q.12 Tableau 14 : Rponses recueillies la question Q.13 Tableau 15 : Principales rponses recueillies la question Q.14 Tableau 16 : Rponses la question Q.15

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Liste des sigles et acronymesCREDOC D.E.P.S. E.T.P.T. INSEE I.D.C. ICOM M.P.3 M.S.N P.C.S. R.S.N. R.S.S. T.A.P.E. Centre de Recherche pour l'tude et l'Observation des Conditions de Vie Dpartement des Etudes, de la Prospective et des Statistiques Equivalent Temps Plein Travaill Institut National de la Statistique et des tudes conomiques Internet Data Collection Conseil International des Muses MPEG Audio Layer 3 MicroSoft Network Professions et Catgories Socioprofessionnelles Rseaux Sociaux Numriques Really Simple Syndication Technology, Arts, Profession, Education

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1.

Introduction

Deux lments principaux mont dcid tudier dans ce mmoire le thme les rseaux sociaux numriques et de leur impact sur la relation entre muses dart et publics. De 2004 2010, un change universitaire, un stage de fin dtude, et finalement un emploi mont port vivre en Egypte, au Guatemala, et au Mexique. Lors de cette priode dexpatriation, les relations avec mes proches, non pas dans le sens gographique, mais motionnel du terme, se sont transformes, notamment, grce au dveloppement de nouveaux outils de communication. Dans mon cas, Facebook a reprsent un moyen beaucoup plus simple et efficace de garder le contact et de partager des informations avec ma famille et amis rests en France. Cette technologie sest intgre de manire si rapide dans ma vie quotidienne, comme dans celle de millions de personnes, quil est difficile dimaginer que ces technologies nexistaient pratiquement pas au dbut des annes 2000. Or, la communication travers les rseaux sociaux implique des profonds changements tant dans la manire denvisager la relation lAutre connect , que dans celle de construire et de manifester sa propre identit numrique. Le second facteur qui a motiv le choix de ce sujet est davoir ralis un mmoire de posgrado1 en Gestion de projet culturel lUniversit Autonome de Mexico en 2009/2010, portant sur la ralisation dun site Internet pour le Muse dArt Moderne de la ville de Mexico qui lui permettrait de consolider la relation avec ses publics moyen et long terme. Cette tude ma permis de prendre conscience que nombre de muses avaient dvelopp des sites Internet qui nenvisagent la communication envers les publics que dans un sens unidirectionnel. Au vu de mon exprience personnelle et la suite de ce premier mmoire, il ma ainsi sembl intressant dtudier en quel sens les rseaux sociaux numriques font voluer cette relation entre linstitution et ses publics. Le programme de recherche mis en uvre se divise en deux parties. Pour dcrire la relation qui unit muses dart et publics, et rendre compte de ses transformations, ce mmoire propose, dans un premier temps, danalyser les manifestations de la prsence des muses dart sur les rseaux sociaux numriques. Puis, il sattache mettre en lumire la manire dont les publics peroivent la relation quils entretiennent ou souhaitent entretenir avec les muses dart via ces rseaux.

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quivalent dun master 2 professionnel

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Deux mthodologies sont dfinies, correspondant chacun des terrains denqute diffrents. La premire est une observation directe qui porte sur la prsence de muses sur deux rseaux sociaux numriques qui rendent possibles les changes rciproques entre muses et publics : Facebook et les blogs officiels des muses. Les approches de la relation avec les publics ont t tudies au prisme de trois muses dart : le muse du Louvre, la Tate Modern de Londres ainsi que le Museu Picasso de Barcelone. La seconde mthodologie dveloppe dans cette tude sest attache tablir le profil des publics connects aux muses dart via les rseaux sociaux, car il est important de dfinir les contours de ces publics dits invisibles afin didentifier leurs attentes face aux muses. Cette partie est mise en uvre au moyen dune enqute quantitative par questionnaire auto administr. Directement ralise sur Internet, cette enqute distingue trois groupes de population: les personnes qui visitent les muses et qui nutilisent pas les rseaux sociaux numriques, celles qui se rendent au muses et qui utilisent les rseaux sociaux (mais ne sont pas connects aux muses via ces rseaux), et enfin celles qui vont au muses, utilisent les rseaux sociaux numriques, et qui comptent un ou plusieurs muses parmi leurs contacts.

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2.

Prsentation du domaine tudi

Si lhistoire dInternet est relativement rcente, elle est dj marque par une volution majeure : le tournant vers le 2.0 . Dans son ouvrage La Dmocratie Internet : Promesses et Limites, Dominique Cardon2 (Cardon, 2010) prcise quen 2005, les sites qui runissaient les plus fortes audiences dans le monde taient des sites de services de vente en ligne ou des portails commerciaux tels queBay, Amazon, A.O.L. et Microsoft. Pourtant, ces fleurons de la nouvelle conomie avaient dj disparu du classement des 10 meilleures audiences en 2008, au profit de Youtube, Myspace, Facebook et Wikipedia. Avec lapparition des messageries instantanes de type I.C.Q., les plateformes dchange de fichiers ont constitu une premire tape vers linterconnexion des utilisateurs et le tournant social dInternet, tablissant les bases fonctionnelles des rseaux sociaux numriques (R.S.N.). Les premires plateformes dchange de fichiers en pair pair destines au grand public datent de la fin des annes 1990. Lexemple le plus emblmatique est Napster, plateforme dchange de fichiers musicaux qui a fonctionn de 1999 2001, puis ferm sur dcision judiciaire amricaine, invoquant la violation des droits dauteurs. Etant jusqualors plutt rserve aux communauts dinitis en informatique, laudience de ces plateformes dchanges a commenc slargir au dbut des annes 2000. Les R.S.N. sont principalement dvelopps depuis 2004, sur la base de ces outils. Ils sont utiliss pour publier, converser et partager du contenu en ligne 3 (Kelly, 2009). Ils ont rapidement intgr de nouvelles applications, permettant des millions de personnes de les utiliser pour leurs activits de divertissement, dapprentissage, de socialisation et de participation la vie civique. Cr en 2004, le R.S.N. le plus populaire est incontestablement Facebook. En 2011, il dj compte plus de 500 millions dutilisateurs dans prs de 120 pays. Il en existe dautres tels que Skype, Twitter, tumblr, Myspace, M.S.N. Messenger, LinkedIn, Slideshare, Spotify, Deezer, Youtube, Dailymotion, Vimeo, Flickr, Wikipedia, Orkut, Hi5, QQ (en Chine), Cyworld (en Core), del.icio.us4, Couchsurfing, etc spcialiss soit dans un media particulier (texte, image, musique, vidos, tags, prsentations Powerpoint) ou bien plus spcifiquement orients vers2

Cardon, D. (2010). La Dmocratie internet: Promesses et limites. Paris: ditions Le Seuil, Col. La Rpublique des ides. 3 Kelly, L. The Impact of Social Media on Museum Practice. Dossier prsent lors du National Palace Museum, Taipei, 20 octobre 2009. 4 Site web social permettant de sauvegarder et de partager ses marques-pages Internet et de les classer selon le principe de folksonomie par des mots cls (ou tags). http://www.delicious.com

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un public spcifique (BlackPlanet5 rseau social spcialis pour la communaut afroamricaine, MiGente pour la communaut latine, ArtBabble6 pour les amateurs dart vido, Exponaute7 pour les visiteurs dexpositions en France, etc ) ou vers une pratique particulire (le blogging avec Wordpress8, linformation sur les prochains vnements dans sa rgion avec Upcoming9 ou Socializr, le journalisme participatif avec Ohmynews10, site coren o chaque citoyen est un journaliste , etc). Lutilisation massive des R.S.N., et particulirement la cration de profils, implique pour les utilisateurs de dvelopper une manire originale dexprimer leur prsence numrique. Laurence Allard dsigne par expressivisme digital 11 (Allard, 2008) le mouvement de construction identitaire qui passe par lexpression de soi travers les diffrents medias et technologies disponibles : blogs, chats, syndication, tagging 12... Chacun est invit exprimer sa prsence au moyen de textes (posts), dagencement de contenus prexistants, de partage de liens Lutilisation massive des rseaux sociaux numriques a largement dpass le cercle des relations interpersonnelles. Ces rseaux attirent les entreprises qui souhaitent mettre profit les outils du marketing communautaire, les politiques qui y voient une nouvelle forme de tribune publique, les leaders dopinions, les associations, etc Aprs quelques hsitations, comprhensibles au regard de lhistorique de la relation quils mnent avec leurs publics, nombre dinstitutions, dadministrations et de muses, se sont lancs dans laventure des rseaux sociaux numriques, notamment, en se crant un profil sur Facebook. Au cur de la problmatique musale, le concept de transmission est boulevers par ces nouveaux outils. Depuis une dizaine dannes, lintroduction dans les muses des nouvelles technologies et des crans interactifs a rgulirement fait lobjet dtudes. Le dialogue constructiviste, lhypertexte et la manire dont le multimdia permet de rduire la dissonance cognitive semblent autoriser croire que le muse est aujourdhui en mesure de5 6

http://www.blackplanet.com Site web social dvelopp par le Muse dArt dIndianapolis (Indianapolis Museum of Art), en collaboration avec des contributeurs individuels, qui permet de visionner et publier des contenus dart vido en format haute qualit http://www.artbabble.org 7 Rseau social qui permet de suivre lactualit des muses et artistes classs comme favoris, accder des expositions virtuelles dart contemporain, partager ses impressions avec la communaut http://www.exponaute.com 8 Plateforme de publication de blogs http://wordpress.org 9 Site social organis en calendrier participatif des vnements sociaux. http://upcoming.yahoo.com 10 http://english.ohmynews.com 11 Allard, L (2008). LImpossible politique des communauts lge de lexpressivisme digital. Cahiers Sens public, 2008/3-4 (n 7-8), p 105 126. 12 Consulter lANNEXE 1 : Lexique

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mettre lexprience esthtique la porte du plus grand nombre, en lui donnant les moyens de prendre possession *de la culture+ pour quelle appartienne tous (Bourdieu & Darbel, 1969). Pourtant, force est de constater que lintroduction des nouvelles technologies dans le muse na quun impact trs relatif sur la frquentation des nouveaux publics. La rencontre avec les publics sur les R.S.N. implique une certaine forme de rciprocit, dinteractions et de conversation, qui nest pas forcment naturelle pour les muses, bien que depuis le dbut des annes 1990, le mouvement de la Nouvelle musologie encourage la participation des publics dans la vie des muses. Plus pdagogique, cette approche suggre que le muse place le visiteur au centre de lexprience musale. Il est ainsi intressant dtudier de quelle manire des institutions telles que les muses sadaptent aux modalits de la communication interpersonnelle qui caractrise ce terrain. Le public du muse dart nest pas seulement constitu par ses visiteurs. Linstitution intresse tout autant les personnels dautres muses, les chercheurs, les enseignants et tudiants, les artistes et amateurs dart, les communauts qui lentourent En ce sens lapport des R.S.N. semble dterminant, puisque ces derniers permettent non seulement dtablir une relation plus personnelle avec les personnes qui visitent le muse, mais aussi de disposer de la capacit toucher les publics ou communauts dintrts mentionns ci-dessus, et ceci, lchelle internationale. Les muses semblent penser qualler sur le terrain des publics, et particulirement des plus jeunes, leur permettrait de rencontrer de nouveaux publics. Cependant, explorer ces nouveaux terrains sans y tre bien prpar constitue un facteur de risque pour les muses. Il leur est ncessaire de dfinir au pralable comment se prsenter aux publics connects, savoir quels lments leur communiquer, et de quelle manire le dire, en dfinissant une vritable stratgie 2.0. Ceci implique de repenser en profondeur leur relation avec les publics, passant dune communication unidirectionnelle, de linstitution vers ses publics, un change rciproque avec eux. En revanche, lusage premier des R.S.N. se situe dans le cadre des relations entre amis , et celui-ci dfinit dans une large mesure les fonctionnalits et les modes de discussions de ces rseaux. Il est donc important de se demander quel sens donner ce type de communication entre un muse et ses publics. En effet, un muse est une institution dont le crdit rside en grande partie dans son autorit scientifique. Celle-ci reprsente pour le muse un capital essentiel, qui doit le maintenir travers les diffrents canaux de communication. Jusqu prsent, cette autorit sest accompagne dune certaine distance, dun certain recul, que le mode conversationnel peut bouleverser. De quelle manire le muse peut-il converser avec

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ses publics tout en prservant ce statut part, cette autorit, qui, fondamentalement, est sa spcificit ? Le champ dtude concernant les enjeux de la conversation dans un cadre institutionnel, ainsi que celui relatif limpact spcifique des R.S.N. sur les muses est actuellement trs disparate. La revue Rseaux sest notamment intresse plusieurs reprises lidentit numrique13 (Georges, 2009), aux rseaux sociaux numriques14 (Cristofoli, 2008), et aux dispositifs sociauxtechniques de la discussion15 (Benvegnu & Brugidou, 2008). La question de la rception des mdias sociaux fait lobjet de passionnantes tudes. En France, Herv Glvarec documente et dcrit un ensemble de pratiques numriques chez les adolescents et pradolescents qui a donn naissance une culture de la chambre 16 (Glvarec, 2009), bouleversant les pratiques culturelles familiales. Par le mode de communication gnr par les rseaux sociaux, la notion de public y est mouvante. Le mmoire sintressera donc particulirement aux personnes qui sont sur les R.S.N. et entrent en contact avec les muses, afin den comprendre les attente face cette relation nouvelle. Les R.S.N. essuient de nombreuses critiques contre les effets pervers quils semblent gnrer. Ils sont questionns sur le respect de la vie prive, le droit loubli et les liberts des utilisateurs de certaines rseaux. Leur fonctionnement mme est accus de participer une hyperstimulation cognitive, qui engendrerait des dficits dattention parmi les utilisateurs rguliers. Les dtracteurs craignent que linstantanit des rseaux sociaux numriques vienne bout de lattitude contemplative et de la profondeur de la pense. Pourtant, les R.S.N. sont effectivement entrs dans le quotidien de millions de personnes. Depuis 2008, le domaine des rseaux sociaux et des muses commence intresser la communaut scientifique, mais le sujet est encore trs nouveau et la documentation scientifique sur le sujet est en cours dlaboration. La revue amricaine Curator : A Museum Journal, sest penche sur la faon dont les muses doivent prendre en compte la

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Georges, F. (2009). Reprsentation de soi et identit numrique: Une approche smiotique et quantitative de l'emprise culturelle du web 2.0. Revue Rseaux n 154, 2009/2. p. 165 193.14

Cristofoli, P. (2008). Aux sources des grands rseaux dinteractions : Retour sur quelques proprits dterminantes des rseaux sociaux issus de corpus documentaires. Revue Rseaux n 152, 2008/6, p. 21 58.15

Benvegnu, N et Brugidou, M. (2008). Prendre la parole sur internet : Des dispositifs sociotechniques aux grammaires de la discussion. Revue Rseaux n 150, 2008/4, p. 51 - 82.16

Glvarec, H. (2009). La Culture de la chambre : Pradolescence et culture contemporaine dans l'espace familial. Paris : D.E.P.S. du Ministre de la Culture et de la Communication.

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communication participative17 (Chan, Kelly, Russo, & Watkins, 2008). Dans un autre numro de cette mme revue, la directrice du dpartement de recherche sur les publics de lAustralian Museum, Linda Kelly, a crit un article trs clairant sur les changements oprationnels que les muses doivent intgrer leur organisation du travail 18 (Kelly, 2010). La revue The Exhibitionist a publi un article sur les contenus et design gnrs par les visiteurs 19 (Jennings, 2009). Dans un cadre plus informel, plusieurs professionnels du champ musal entretiennent des blogs sur la musologie ou sur les thmatiques lies aux nouvelles technologies dans leur domaine dactivit. Parmi les plus intressants, il est possible de suivre en franais : Buzzeum20, Mixeum21, Museonet2.022, Muse-Oh ! Lactualit en musologie23, en anglais : FRESH+NEW(ER)24, The Museum of the Future25, Archives and Museum Informatics26, Museumnext27, Museum328, et en espagnol : CCCB/Lab29 , et El blog del Museu Picasso de Barcelona30.

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Chan, S. ; Kelly, L. ; Russo, A. et Watkins, J. (2008). Participatory communication with social media. Curator: The Museum Journal, 51 (1), p. 2131.18

Kelly, L. (2010). How web 2.0 is changing the nature of museum work. Curator: The Museum Journal, n53(4), p. 405410.19 20

Jennings, G. (2009) Visitor-Generated Content and Design. The Exhibitionist, n 28(2).

Tenu depuis fvrier 2007 par Diane Drubay, Buzzeum est lun des premiers blogs concernant la communication en ligne des muses. Aujourdhui, Buzzeum sest constitu en agence de conseil spcialise dans lassistance matrise douvrage des projets de communication et stratgie culturelle des muses. http://www.buzzeum.com21 22

Samuel Bausson, webmaster au Musum de Toulouse, anime le blog http://www.mixeum.net

Mriam Bensassi est lauteur du blog Museonet2.0, observatoire de lusage des mdias sociaux et du Web 2.0 appliqu la culture. http://www.museonet2.com23

Claire Casedas, chercheuse en musologie et historienne de l'art ICOM France, anime depuis mars 2010 le blog http://musee-oh.museologie.over-blog.com/24

FRESH + NEW(ER), discussion of issues around digital media and museums. http://www.powerhousemuseum.com/dmsblog/25

Jasper Visser, travaille au dpartement des nouveaux mdias et technologies du Museum dHistoire Naturelle des Pays-Bas. Elle anime en anglais le blog http://themuseumofthefuture.com en publiant des penses, exemples et meilleures pratiques concernant linnovation dans les muses et le secteur culturel.26 27

http://www.archimuse.com

Jim Richardson, directeur de lagence anglaise de graphisme spcialise dans le domaine artistique et culturel SUMO, anime le blog http://www.museumnext.org/blog/. Lagence SUMO organise depuis 3 ans une confrence annuelle sur le thme des muses et des nouvelles technologies.28

Linda Kelly, directrice du dpartement de recherche sur les publics de lAustralian Museum, tient le blog http://www.museum3.org29 30

http://www.cccb.org/lab est le blog de musologie du Centre Culturel Contemporain de Barcelone http://www.blogmuseupicassobcn.org

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La lecture de ces diffrents blogs permet de prendre la temprature des tendances du champ musal. Force est de constater quil existe une grande diffrence entre les blogs anglo-saxons et les francophones. Si certains auteurs de blogs en franais se demandent encore si les muses ont leur place sur les R.S.N., ceux en anglais se demandent de quelle faon y tre prsents. Cependant, la multiplication des blogs tenus par des professionnels des institutions musales ne rpondrait-elle pas une ncessit de leur part de renforcer les liens au sein dune communaut professionnelle trs disperse gographiquement ? Peu ou pratiquement pas darticles traitent des consquences des nouvelles pratiques via les R.S.N. sur la manire de communiquer des institutions et sur la question de lautorit scientifique. Pourtant, il sagit peut-tre pour les muses dun des plus importants dfis relever pour les cinq prochaines annes afin de rpondre au mieux aux attentes de leurs publics. Ces mutations ont un effet direct sur lorganisation du muse en soi, mais de manire plus globale, elles ont trait aux missions, ainsi quaux questions identitaire et philosophique du muse

18

3.

Etat de la Recherche

3.1 Mta analyse quantitativeLa mta analyse quantitative est lexploitation de la bibliographie exhaustive dune tude. Elle permet dorganiser les rfrences et les sources en fonction de leur contenu, tout en mettant en lumire les diffrents rseaux de la recherche internationale dans le domaine qui nous intresse ici, c'est--dire celui de la prsence et des prises de parole des muses sur les rseaux sociaux de linternet.

3.1.1

Prsentation

des

diffrentes

mthodes

de

collecte

des

donnes

bibliographiquesLa collecte des donnes bibliographiques a dbut par lidentification des revues scientifiques ayant trait la communication sur internet, aux relations interpersonnelles sur les rseaux sociaux, et enfin aux revues sintressant la musologie. Une veille systmatique des revues suivantes a permis didentifier 40 articles dintrt : Rseaux (6 articles) Multitudes (5 articles) Journal of Computer-Mediated Communication (4 articles) CyberPsychology and Behavior (3 articles) Social Science Computer Review (3 articles) Cahiers Sens public (2 articles) Communications and Strategies (2 articles) Curator: The Museum Journal (2 articles) Exhibitionist (2 articles) First Monday (2 articles) Behaviour Change (1 article) Bulletin of Science, Technology and Society (1 article) Communication Research (1 article) Computers in Human Behavior (1 article) Convergences (1 article) Ethics and Information Technology (1 article) Journal of Social and Personnal Relationships (1 article) Open Museum Journal (1 article) Young (1 article)

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Publics et Muses The International Digital Arts and Media Association International Journal of Web Based Communities

La recherche bibliographique sest poursuivie par ltude systmatique des notices bibliographiques proposes par le logiciel de recherche Gallica, dans les archives numriques de la Bibliothque Nationale de France31. Cette recherche a permis didentifier les mots-cls les plus pertinents se rapportant cette tude : Muses, Rseaux sociaux numriques, Internet, Web 2.0, Autorit/Lgitimit, Sociabilit, Dialogue, Relation participative avec les publics, Identit numrique, Communication ditoriale. Il a ensuite t possible de runir dans un tableau les 136 rfrences douvrages ou articles ayant trait aux mots-cls32, ce qui nous a permis de constater que 66 articles et rfrences traitent dau moins trois mots-cls, mais seulement 15 dentre eux portent la fois sur "Muse" et "Rseaux sociaux". Force est de constater quil sagit pour linstant de deux mondes qui cohabitent dans le domaine de la recherche scientifique, mais ne prsentent encore que peu dinteraction entre eux.

3.1.2 Analyse diachronique des donnes bibliographiques et par concepts clsEtude diachronique Le premier document recens dans cette tude pour la pertinence de son contenu, ayant trait dau moins trois des thmes cits plus haut, est paru en 2002. Lauteur est Marie-Sylvie Poli, dans son ouvrage Le texte au muse : une approche smiotique33 (Poli, 2002), traitant la fois de Muse, de son Autorit et lgitimit, ainsi que du Dialogue et de la participation des publics. Le graphique ci-dessous rend compte de la rpartition des ouvrages et articles retenus en fonction de leur anne de parution.

31 32

www.bnf.fr Ce tableau est reproduit en ANNEXE 2 : Tableau des rfrences bibliographiques 33 Poli, M.S. (2002). Le texte au muse : une approche smiotique. Paris : LHarmattan.

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Production annuelle des rfrences contenant au moins 3 mots cls 1412 11 9 10

4 2 1 2002 1 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2

Figure 1 : Production annuelle d'ouvrages et articles de rfrence comportant au moins trois des mots cls de la recherche

Cependant, ce nest quen 2006 que sont parus les trois premiers ouvrages traitant la fois de Muse et de Rseaux sociaux , les ouvrages traitant auparavant, soit de lun, soit de lautre. Il est galement intressant de constater que ces trois premiers ouvrages sont publis dans le monde anglo-saxon. Il sagit de The responsive museum : working with audiences in the twenty-first century34 (Lang, Reeve, & Woollard, 2006), de A companion to museum studies35 (Macdonald, 2006), et Curating immateriality : the work of the curator in the age of network systems36 (Krysa, 2006). Ce champ dtude sest surtout dvelopp depuis 2004 et lapparition de Facebook. Cette volution sest traduite dans la communaut scientifique par un vritable boom du nombre dtudes parues en 2006. Lintrt pour ltude des rseaux sociaux dans le cadre musologique, ainsi que pour la participation croissante des visiteurs au sein du champ musal na ensuite pas dcru, puisquune tude du nombre moyen de mots-cls cit par article et par anne rvle que celui-ci suit une augmentation.

34

Lang, C.; Reeve, J.; Woollard, V. (2006). The responsive museum: working with audiences in the twenty-first century. Aldershot (GB): Ashgate Publishing. 35 Macdonald, S. (2006). A companion to museum studie. New York: Blackwell Publishing. 36 Krysa, J. (2006). Curating immateriality: the work of the curator in the age of network systems; Brooklin; Autonomedia.

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Nombre moyen de mots cls par article et par an4,5 4 3,5 3,5 3,6 3,3 3,4 3,5 3,6 4,0

3,3

33,0 2,5 2 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 3,0

Figure 2 : Evolution du nombre moyen de mots cls cits par ouvrage ou article de rfrence

Trois conventions annuelles sont cependant devenues des rencontres essentielles entre professionnels du secteur musal et chercheurs ou consultants : les confrences Museums & the Web qui se tiennent annuellement depuis 1997 en avril Philadelphia, la confrence Museum Next37, de taille plus modeste, a gnralement lieu pendant le mois de mai dans une ville europenne, et enfin, la confrence Communicating the Museum 38, qui est devenue une rfrence mondiale dans le domaine de la communication autour des arts. Etude par concept cl Comme cela a t tabli plus tt, les Muses et Rseaux sociaux sont deux concepts qui ne prsentent, pour linstant, que peu dinteraction entre eux. Ainsi, deux arborescences pour les concepts-cls de rseaux sociaux (entendus comme rseaux sociaux numriques) et de muse ont t ralises afin de voir dans quels rseaux de concepts ils sinscrivent.

37 38

http://www.museumnext.com/ http://www.communicatingthemuseum.com

22

Figure 3 : Arborescence du concept "Rseaux sociaux" (source Visual Thesaurus)

Les rseaux sociaux font partie intgrante du web 2.0, qui inclut la dimension numrique des relations humaines (communaut, collaboration, dialogue). Le web collaboratif ouvre la voie une nouvelle re dans la construction collective des savoirs et dans lapprentissage en ligne. Lidentit numrique est galement un concept central dans ce domaine, se rattachant la psychologie, la reprsentation en ligne du corps (avatar), ainsi qu sa rputation.

Figure 4 : Arborescence du concept "Muse" (source Visual Thesaurus) Dominique Cardon, membre associ du Centre dtudes des mouvements sociaux de lEcole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, montre que linternet na pas t conu comme un 23

mdia permettant un metteur de sadresser une masse de rcepteurs, mais plutt pour faciliter les changes entre des individus tour tour metteurs et rcepteurs 39 (Cardon, 2010). Si les courriers lectroniques et les forums de discussion laissaient entrevoir cette fonctionnalit, cest vritablement travers les R.S.N. quelle sexprime pleinement. Lutilisation massive de ces rseaux dans le cadre de relations interpersonnelles40, mais aussi de celles entre institutions/entreprises et leurs publics, a entran un glissement gnralis du discours vers le dialogue. Ce glissement relatif prsente de nombreuses implications pour la communication des muses. Avant lavnement des R.S.N., leurs discours taient gnralement formuls de manire impersonnelle et distancie. Ensuite, les muses doivent davantage intgrer la dimension interpersonnelle. Cependant, ceci nest pas sans consquence sur lautorit de linstitution musale. En effet, les R.S.N. ont t crs pour permettre la discussion entre amis , possdant un profil personnalis travers lequel chacun exprime son identit numrique. Celle-ci nest pas une simple transposition de lidentit hors ligne. Comme le fait remarquer Laurence Allard : lidentit numrique propose tout autant une rponse la question qui suis-je ? qu celle, plus vaste encore de qui voudrais-je devenir ? 41. Pour les personnes, cette identit numrique rend compte de gots, de relations, dvnements, de crations propres cependant, quoi peut correspondre cette identit numrique pour une institution ? Dans quelle mesure peut-elle rendre compte de la mission, des valeurs, des relations, des rseaux qui font la particularit du muse ? Est-il simplement souhaitable de rechercher personnifier cette institution ? Pour les muses qui souhaitent investir pleinement les rseaux et qui veulent instaurer un dialogue avec leurs publics, la question de lidentit numrique est fondamentale. Dans son dialogue avec ses publics, une institution ne peut pas faire appel aux mmes procds communicationnels que lors dun dialogue entre amis sur les sites de rseaux sociaux, car la relation entre ces derniers se caractrise par une forte proximit. Toute la question est de savoir si un muse peut effectivement dialoguer et communiquer sur les R.S.N., tout en conservant lautorit scientifique qui la caractrise.

39 40

Cardon, D. (2010). La dmocratie Internet: Promesses et limites; Paris : Le Seuil. Selon une tude dvoile par le cabinet de conseil Experian Hitwise (New York), la page www.facebook.com a t la page la plus visite par les internautes amricains entre janvier et novembre 2010, devanant pour la premire fois www.google.com. Cette tude crdite le site de Facebook de 8,93% du total des visites d'internautes aux Etats-Unis entre janvier et novembre 2010, contre 7,19% pour Google. 41 Cours de Laurence Allard donn en M2 Recherche en Etudes Culturelles, UFR Arts Plastiques, Paris 1 Panthon-Sorbonne le 17 novembre 2010.

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Les grandes volutions du paradigme communicationnel des muses souhaitant investir les R.S.N. peuvent tre rsumes en quatre principales paires de concepts antinomiques, prsentes dans le tableau suivant : Tableau 1 : Concepts antinomiques du paradigme communicationnel des muses via les rseaux sociaux numriques Communication des muses avant les rseaux sociaux de lInternet Communication impersonnelle Discours Valorisation de lidentit hors ligne Autorit, distanciation Communication des muses intgrant les rseaux sociaux de lInternet Communication interpersonnelle Dialogue Valorisation de lidentit numrique Amiti, proximit

Le diagramme en radar suivant permet de visualiser ces transformations, limportance de la porte de ces concepts, ainsi que leurs aires de recouvrements et de diffrences :

Figure 5 : Evolution du paradigme communicationnel de la relation muses / publics depuis l'introduction des rseaux sociaux numriques La communication des muses, hors R.S.N., passe gnralement par un discours impersonnel et distant par rapport au public. Lidentit hors ligne du muse est une donne importante, le muse cherchant prserver son autorit et sa lgitimit. 25

En revanche, il est intressant de constater que la communication des muses travers les rseaux sociaux numriques ne soppose pas forcment la communication traditionnelle, puisquelle intgre, les concepts antrieurs, tout en les relativisant. Le muse ne peut sadresser chacun de manire individuelle, et doit, dans une certaine mesure, intgrer les rhtoriques traditionnelles du discours. De mme, le muse doit maintenir une cohrence entre son identit numrique et son identit hors ligne. Des efforts doivent tre souligns avant tout dans le monde anglo-saxon pour placer le visiteur au cur de lexprience musale et de participer activement sa visite, la communication des muses avant les rseaux sociaux de linternet restait caractrise par un discours prsentant un fort degr dimpersonnalit et de distance. Lidentit hors ligne du muse tait une donne importante, puisque linstitution se dirigeait dj dans une certaine mesure vers un public particulier (sa communaut-cible), le muse cherchant avant tout prserver son autorit et sa lgitimit.

3.2 Mta analyse qualitativeLa mta analyse qualitative de cette tude vise analyser la relation entre muses et rseaux sociaux. Pour ce faire, elle se porte sur les nouveaux paradigmes de la communication introduits par Internet, et plus particulirement, par les rseaux sociaux numriques. Ces concepts ont une incidence directe sur les nouveaux publics en rseaux, sur la construction identitaire en ligne ainsi que sur les nouveaux paradigmes de la production et de la rception des biens culturels numriques, thme dimportance capitale pour tudier la prsence et les stratgies des muses sur les rseaux sociaux numriques.

3.2.1 Internet et les nouveaux paradigmes de la communicationDaprs Manuel Castells, sociologue de la communication, qui lon attribue le concept dsormais clbre de socit en rseaux 42 (Castells, 2002), le vritable changement que la communication initie par le Web introduit, en comparaison avec les systmes communicationnels de la socit industrielle, rside dans le fait que le message circule non plus de manire verticale et unidirectionnelle, dun metteur vers plusieurs rcepteurs, mais

42

Castells, M. (2002). Internet and the network Society. In B. Wellman, & C. Haythornthwaite, The Internet in Everyday Life (p. 19-31). Oxford: Blackwell.

26

de manire horizontale, multimodale et interactive entre plusieurs metteurs et rcepteurs43 (Castells, 2007). De plus, il convient galement de souligner que cette nouvelle manire de communiquer peut prendre forme tant de manire simultane, que de manire asynchrone. Cette dfinition du nouveau paradigme de la communication semble aujourdhui produire un consensus au sein de la communaut scientifique. Pourtant, ses dbuts, lInternet suscitait de nombreuses ractions de suspicion. 3.2.1.1 Internet, un media spcifique Internet et les relations sociales Jusquau dbut des annes 2000, Internet tait communment accus dtre responsable dune nouvelle forme dautisme numrique , de lisolement de sujets socialement fragiles, etc Nombreux sont les chercheurs qui ont tent de dmontrer leffet datomisation sociale gnr par lusage dInternet et de la communication en ligne. Lexemple le plus frappant de ce retournement dopinion est certainement celui de Robert Kraut, chercheur en psychologie sociale et directeur de lInstitut dtudes des interactions entre humains et ordinateurs la Carnegie Mellon University de Pittsburg. En 1998, il publie dans la revue American Psychologist un article44 (Kraut, 1998) dans lequel il prsente les rsultats dune tude mene en 1995-1996 sur 73 familles amricaines dont le foyer avait accs lInternet depuis moins de deux ans. Ces premiers rsultats taient clairs : ils mettaient en vidence une nette corrlation ngative entre laccs Internet et linvestissement des membres de la famille dans leur environnement social proche. De plus, ce mouvement saccompagnait chez ces sujets dun sentiment de dpression et disolement croissant. Pourtant, quatre ans plus tard, Kraut publia un rectificatif son tude45 (Kraut, 2002), constatant sur le mme chantillon de population, 3 ans aprs sa premire tude, que leffet alinant de lusage dInternet tait transitoire. Kraut justifie son rsultat en expliquant qu linstar de tout apprentissage, celui dInternet entrane une frustration et une fatigue psychologique. Les mmes individus qui, au dbut de leur usage du Web avaient ressenti un43

Castells, M. (2007). Communication, Power and Counter-Power in the Network Society. International Journal of Communication, vol.1. p.238-266 The communication system of the industrial society was centered around the mass media, characterized by mass distribution of a one-way message from one to many. The communication foundation of the network society is the global web of horizontal networks that include the multimodal exchange of interactive messages from many to many both synchronous and asynchronous. 44

Kraut, R. (1998). Internet Paradox: A Social Technology That Reduces Social Involvement and Psychological Well-Being?. American Psychologist, vol.53 (9), p. 1 017-1 031. 45 Kraut, R (2002). Internet Paradox Revisited. Journal of Social Issues, vol. 58 (1), p. 49-74.

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sentiment disolement social ; une fois loutil relativement apprivois, sen servaient pour entretenir et approfondir leurs liens sociaux. Il semble quaujourdhui les jugements ne portent plus sur loutil en lui-mme, mais sur ses usages. Aujourdhui, nombreux sont les chercheurs qui affirment quInternet permet la fois de crer de nouveaux types de liens, et de fortifier ceux existants. Dans la revue Contexts, Barry Wellman46 (Wellman, 2004) prsentait une tude du nombre de conversations changes par email, par tlphone et en face face. Lenqute dmontre que lutilisation de lemail ne se substitue pas aux autres modes de conversation, mais au contraire, vient les complter. Son tude montre quun usage intensif de lInternet entrane un niveau de communication interpersonnelle plus lev. La communication via Internet est devenue un terrain dtude plus consensuel depuis la 2 e moiti des annes 2000. Pourtant, le nouveau paradigme communicationnel porte sinterroger sur la nature du mdia Internet. Peut-il tre caractris de mdia de masse ? Limportance quy tiennent les communications interpersonnelles ne nous empchent-elle pas de le classer ainsi ? Internet : un mdia de masse ? Dominique Cardon estime quil serait par trop simpliste de rduire Internet un aboutissement naturel de lvolution des mdias de masse. En runissant sur la mme interface les outils de lchange interpersonnel et ceux de la communication de masse, Internet instaure un nouveau type de relation entre la sphre de la conversation et celle de linformation. (Cardon, 2010). Les consquences de cette volution sont doubles : Internet permet chaque membre de la socit de prendre la parole en public ; et paralllement, une partie chaque fois plus importante des conversations prives sincorpore lespace public. Castells (2007) parle, quant lui, dune nouvelle forme de communication socialise : la mass self-communication , dont lpine dorsale est compose dordinateurs en rseau, le langage est numrique et les metteurs sont distribus chelle mondiale. Selon lui, la spcificit de cette mass self-communication rside dans le fait quelle est mondialement interactive. Cette remise en cause de fondamentaux de la communication amne aujourdhui les chercheurs se pencher attentivement sur la notion despace public et despace priv sur Internet.

46

Wellman, B. (2004). Connecting Community: On- and Off-line. Contexts, vol.3 (4), p.22-28

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Llargissement de lespace public Selon Thierry Paquot47 (2009), la sociologie urbaine dcrit comme relevant du domaine public ce qui est visible et accessible par tous. En ce sens, une grande partie du web doit tre considre comme espace public. En revanche, la thorie politique, telle quenvisage par Jrgen Habermas48 (1978), propose une autre dfinition de lespace public, comme tant le lieu o sexprime lintrt gnral. De ce fait, certains lments relevant du domaine priv sont rendus accessibles tous par Internet, ils nen sont pas pour autant devenus publics, car ils nont pas une porte qui peut tre qualifie dintrt gnral. Cardon propose denvisager le caractre public ou priv de lespace dune nouvelle manire : A une dichotomie tranche, Internet substitue un continuum dans lequel certains propos sont trs publics, dautres moins et dautres pas du tout (Cardon, 2010). Lissue de cette question est dautant plus importante quelle dterminera si les principes de la libert dexpression et de la presse doivent tre appliqus Internet, et, le cas chant, en fonction de quelle dontologie. Du caractre priv ou public du Web dcoule la lgislation qui sy applique. Si le lgislateur franais na pas encore tranch la question, force est de constater que dj, plusieurs affaires ont clat en France et jusqu prsent, une jurisprudence considrant le Web comme espace public fait foi. En novembre 2010, le Conseil des Prudhommes a jug fond le licenciement de trois employs de lentreprise franaise Alten pour dnigrement de leur hirarchie sur Facebook . Daprs larticle rdig et mis en ligne par le journal Libration.fr, le Conseil a estim que les pages mentionnant les propos incrimins constituent un moyen de preuve licite du caractre bien-fond du licenciement.49 (AFP, 2010) Dfinir les pages personnelles de Facebook comme espace priv ou public semble encore aujourdhui une question juridiquement pineuse. Si, comme laffirme Dominique Cardon, Internet est un continuum entre espace priv et public, dans ce cas, reste dfinir o la Loi souhaite placer le curseur.

47 48

Paquot, T. (2009). Lespace Public. Paris : La Dcouverte. Habermas, J. (1967). LEspace Public : Archologie de la Publicit comme Dimension Constitutive de la Socit Bourgeoise. Paris : Payot.49

Source AFP (2010, 19 novembre). Virs cause de Facebook, les Prudhommes sont daccord. Libration.fr . Repr : http://www.liberation.fr/societe/01012303207-trois-salaries-pourraient-etrelicencies-pour-avoir-denigre-leur-hierarchie-sur-facebook

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3.2.1.2 Les rseaux sociaux numriques Dfinition des rseaux sociaux numriques Daprs danah boyd, chercheuse spcialiste des rseaux sociaux et membre du Berkman Center for Internet and Society de lUniversit de Harvard, les rseaux sociaux numriques sont des services en ligne qui permettent leurs usagers : de se construire un profil public ou semi-public lintrieur dun systme de liens, darticuler la liste des usagers avec qui ils partagent un lien, de consulter et de naviguer travers les listes de contacts de ces derniers. 50 (boyd & Ellison, 2007) Par la transitivit des listes de contacts, la vritable spcificit des sites de rseaux sociaux numriques est de permettre leurs usagers darticuler et de rendre visibles leurs rseaux sociaux. Ainsi, les rseaux sociaux numriques les plus populaires sont dabord organiss en fonction des usagers, et non des intrts. Lindividu dsormais plac au centre de sa propre communaut, dispose de quatre principaux types dapplications permettant de communiquer en rseau : les applications de personnalisation de profil, les listes de contacts, les outils de commentaires, et les actualisations (de type flux R.S.S.) par lequel les usagers diffusent ou reoivent en temps rel les nouveauts de leurs contacts. De nouveaux publics connects Les publics en rseaux ne sont pas simplement des publics traditionnels qui ont t rassembls et numriquement connects. Pour boyd, les publics en rseaux sont des publics qui ont t profondment transforms par les proprits et les fonctionnalits des mdias sociaux. La persistance et la reproductibilit des contenus changs, allis un effet dchelle des plateformes de rseaux sociaux, puisque potentiellement, les contenus peuvent tre visibles par tous, impliquent de nouvelles dynamiques dans la manire de communiquer avec les publics connects. La communication sur les rseaux sociaux numriques se fait en direction dune audience invisible 51 (boyd, 2010). En effet, sur ces sites, toutes les audiences ne sont pas forcment50

Boyd, d.; Ellison, N. (2007). Social Network Sites : Definition, History, and Scholarship. Journal of Computer-Mediated Communication, vol. 13 (1), article 11.51

boyd, d. (2010). Social Network Sites as Networked Publics: Affordances, Dynamics, and Implications. Dans Z. Papacharissi, Networked Self: Identity, Community, and Culture on Social Network Sites (pp. 3958). New York: Routledge.

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visibles. Mme sil est possible dimaginer laudience immdiate dun message en fonction du contexte de sa mise en ligne, en revanche, son audience potentielle peut tre beaucoup plus importante que celle imagine, du fait de la persistance et de la reproductibilit des messages. Ceci influe directement sur la production du message. En effet, connatre son audience permet de dterminer non seulement le contenu, mais galement la forme du message socialement acceptable, car il nexiste pas proprement parler de manire neutre de formuler un message. Face une audience invisible, il devient trs difficile de dterminer les conditions de la rception du message, la manire dont celui-ci sera compris et interprt. La liste des contacts accepts permet de fournir les premiers lments concernant laudience, du moins celle imagine par le producteur du message lanc travers une plateforme de rseau social. Utilis par de nombreux rseaux sociaux pour dfinir le contact qui est attribu un accs privilgi aux informations du profil, le terme friend peut conduire de mauvaises interprtations. Lamiti, au sens traditionnel du terme, nest pourtant pas ce qui caractrise en premier lieu ce lien, et ne permet pas de dduire les normes comportementales acceptables dans ce contexte. Pour boyd, la liste de friends se construit en fonction de critres tant politiques que sociaux. Le choix portant sur qui accepter dans cette liste se pose plus en fonction des implications quaurait lexclusion ou le rejet explicite de cette personne par rapport aux bnfices tirs de son acceptation. Il savre que les contacts accepts dans cette liste font gnralement partie, dune manire proche ou distante, de la sphre sociale de lutilisateur. Le processus de construction de la liste de contact relve du ressort de ce que les linguistes nomment lacte de parole 52 (Boltanski & Bourdieu, 1975). Le fait mme de dclarer quelque chose en dtermine lexistence. De grandes disparits surviennent quant la nature du lien qui unit les membres des rseaux leurs friends . Ces liens peuvent tre plus ou moins forts. Dans son article intitul Social Signal in Supernets 53, Judith Donath (2007) estime que les liens forts unissent de proches confidents, ceux vers qui se tourner en cas durgence et avec qui partager des intrts multiples. Etre considr comme tel ncessite un intense investissement en temps et

52

Boltanski, L. ; Bourdieu, P. (1975). Le langage autoris. Note sur les conditions sociales de lefficacit du discours rituel. Actes de la recherche en sciences sociales, (5-6), p.183-190.53

Donath, J. (2007). Signals in social supernets. Journal of Computer-Mediated Communication, 13(1), article 12. http://jcmc.indiana.edu/vol13/issue1/donath.html

31

attention. Le rseau des proches tend vers lhomognit : il renforce les croyances plus quil nintroduit de nouvelles ides. Marc Granovetter54 (1973) remarquait que les rseaux unissant des individus partageant des liens forts, en termes de temps pass ensemble, de frquence et dintensit motionnelle, font circuler une information plus redondante. A linverse ce sont les rseaux entre individus appartenant deux groupes de relations fortes distinctes qui sont susceptibles dintroduire des informations nouvelles et denrichir lventail des connaissances. L rside la richesse des liens faibles, capables de faire merger des opportunits et datteindre des ressources nouvelles. Pour Donath, les rseaux sociaux numriques permettent dtablir et de maintenir de manire efficace un grand nombre de liens faibles. Cest prcisment la combinaison et la coexistence des liens faibles et forts qui rendent les plateformes sociales viables : les liens forts rendent le profil fiable, tandis que le grand nombre de liens faibles amplifie lchelle et la porte du rseau. Le point de vue du marketing communautaire Le marketing communautaire ou relationnel est une tendance forte du marketing, et le community manager y fait figure de tte de proue. Daprs Jean-Marc Lehu55 (2004), cette nouvelle tendance consiste identifier des groupes d'affinit dans le but de leur adresser un message spcifique ou de leur faire une offre adapte. Le marketing traditionnel identifie des segments de march, fonds principalement sur des critres objectifs tels que le sexe, lge, la localisation, la C.S.P., etc. Cette rcente tendance du marketing relationnel envisage les communauts runissant des individus en fonction de critres plus subjectifs, et notamment sur des affects ou des ides communes, des valeurs partages Si leur identification est rendue plus difficile, le marketing communautaire estime que ces critres sont beaucoup plus dcisifs dans les modes de consommation et dachat. Pour le Marketing communautaire, les rseaux sociaux numriques reprsentent une vritable aubaine afin dtudier et de toucher ces nouvelles cibles. A tel point que dans son article sur le

54

Granovetter, M. S. (1973). The strength of weak ties. American Journal of Sociology, 78 (6), 13601380.55

Lehu, J.M. (2004). Lencyclopdie du marketing. Paris: Editions dOrganisation, col. Rfrences.

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sujet, Wikipedia annonce que le marketing communautaire est lune des mthodes daction [du marketing] les plus prometteuses pour les annes futures56. En quelques annes, les rseaux sociaux sont ainsi devenus des marchs publicitaires non ngligeables pour les annonceurs. Au cours du 1er semestre 2011, le Web a reprsent 12,2% des investissements publicitaires bruts raliss en France, reprsentant un march de 1550 millions deuros57. Aux Etats-Unis, une vritable rvolution dans le domaine a t initie par le groupe Pepsi, ayant annonc en fvrier 2010 quil nallait plus acheter son traditionnel espace publicitaire lors de la retransmission tlvisuelle de la finale du Super Bowl, qui reprsente depuis plusieurs annes la plus forte audience TV nationale, toutes chanes confondues. Selon le magazine Forbes58, le groupe Pepsi a dcid de consacrer les 20 millions de dollars non investis dans la tlvision lors de cet vnement la cration dune plateforme communautaire, proposant aux internautes de soutenir des actions caritatives que Pepsi sengage financer (Owyang, 2010). Au-del de la simple anecdote, de nombreux analystes dcrivent cet vnement comme lannonce du probable dtrnement de la tlvision, en tant que principal mdia prescripteur, par les rseaux sociaux numriques et les plateformes communautaires. En effet, comme le souligne lassociation de professionnels Interactive Advertising Bureau dans son Livre Blanc des Mdias Sociaux : les mdias sociaux ou plateformes communautaires peuvent servir tous les objectifs de communication dune marque. Ils permettent aux marques dinformer en temps rel leurs cibles/prospects, de crer des conversations en one-to-one , danimer des communauts (via des jeux-concours, instants gagnants, informations et contenus exclusifs, mdiatisation en direct dvnements), de vendre ou encore de fidliser. 59 3.2.1.3 Les nouvelles conditions de la rception culturelle La spcificit des modes de communication travers les rseaux sociaux numriques implique une nouvelle manire de se prsenter aux autres, de nouer et entretenir des relations, et le caractre multidirectionnel de la communication brouille les frontires entre metteurs et56

Marketing communautaire. (n.d.) Dans Wikipedia. Repr le 28/01/2011 dans : http://fr.wikipedia.org/wiki/Marketing_communautaire57

Interactive Advertising Bureau France (2010). Baromtre des investissements publicitaires 2010. Repr le 28 janvier 2011 dans: http://www.iabfrance.com/index.php?go=edito&eid=488 58 Owyang, J. (2010, 9 fvrier). Super Bowl: A Missed Opportunity For Pepsi. Forbes. Repr dans : http://www.forbes.com/2010/02/09/pepsi-super-bowl-social-media-cmo-network-jeremiahowyang.html 59 Interactive Advertising Bureau (2010). Livre Blanc des Mdias Sociaux. Repr le 28 janvier 2011 dans : http://www.iabfrance.com/getfile.php?id=2860&do=dl

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rcepteurs, entre producteurs et consommateurs de sens. Les conditions de la rception culturelle sont ainsi repenses la lumire des R.S.N. La construction de lidentit numrique Laurence Allard (2008) rappelle que le tournant expressiviste des sources du moi moderne remonte la pense du philosophe allemand J.G. Herder (1744- 1803), lun des prcurseurs du mouvement romantique. Le Soi exprim , au sens de formulation dune intriorit, constitue une ralit sociale qui contribue la construction identitaire du sujet. Ainsi, toute identit se constitue progressivement, au travers dun travail discursif par lequel lindividu parvient se doter dune reprsentation cohrente de son moi. Allard ajoute que par ce travail : lindividu cesse dtre fait de fragments et devient lauteur, pratique parfois, narratif toujours, de sa propre vie (Allard, 2008). Allard souligne lenjeu central que reprsente la validation par les pairs de lagencement prsent des signes du soi , telles que les photos, les listes de reproduction de musique, les recommandations ou les articles qualifis dun Jaime sur Facebook. Ainsi, travers les diffrents moyens dexpression possibles de lInternet et des rseaux sociaux en particulier, se faonne et se construit un Moi cubiste, exprim travers des pseudos, des tags, des liens, des contenus Le pro-am et le braconnage culturel Le philosophe et historien Michel de Certeau (de Certeau, 1980) avait dvelopp dans le premier tome de son ouvrage LInvention du Quotidien60 sa thorie assimilant la lecture une forme de braconnage des savoirs. Pour Certeau, le comportement des auteurs douvrages, cest--dire les producteurs de sens, est comparable celui de propritaires terriens. Les auteurs permettent aux lecteurs daccder leurs territoires, en imposant leur propre rglementation. Ils dcident du sens quils souhaitent donner leurs biens culturels, ainsi que la manire de les consommer. Certeau affirme que la relation entre producteurs et consommateurs de sens est ingalitaire et conflictuelle : ceux qui disent, crivent, mettent sur le march ou font lire, ont le pouvoir dimposer du sens ceux qui consomment. Or, certains consommateurs (les braconniers) passent au travers du maillage rglementaire, et recomposent le sens quils souhaitent attribuer ce bien culturel. En consommant une slection originale de biens, le milieu domin organise son autonomie qui lui permet60

Certeau, M. de (1980). LInvention du Quotidien, t.1, Arts de Faire. Paris: Gallimard

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dinventer son quotidien et de dvelopper des pratiques rfractaires et originales (de Certeau, 1980). En 2011, la lecture de la pense de Michel de Certeau, impose lauteur comme un visionnaire des nouveaux usages des contenus permis par le numrique et par la communication travers les rseaux sociaux. Il avait galement thoris les fondements de tensions qui opposent aujourdhui les producteurs de contenus qui cherchent garder le contrle de leurs productions en faisant valoir le copyright et les droits de proprit intellectuelle sur les consommateurs/producteurs, pour preuve, les lourdes polmiques souleves en France lors de linstauration de la Loi Hadopi61 (Champeau, 2011). Le consommateur passe de la rception passive une rception active des biens culturels, brouillant chaque jour davantage la frontire sparant la production et la rception. Laboutissement de cette thorie est troitement li lmergence de la figure du pro-am , telle que dcrite par Patrice Flichy62. Grce aux instruments fournis par linformatique et par Internet, les nouveaux amateurs ont acquis des savoirs et des savoir-faire qui leur permettent de rivaliser avec les experts. On voit apparatre un nouveau type dindividu, le pro-am, contraction des termes professionnel et amateur , invente par Leadbeater et Miller . (Flichy, 2010) Ce nouvel amateur investit des domaines aussi varis que lart, les connaissances scientifiques abstraites, ou encore le dbat politique argument. Ainsi, sur Youtube, le plus populaire des sites de partage de vidos sur internet, plus de 80% des contenus ont t crs par des internautes amateurs63, et non par des professionnels de la production de vidos. La reproductibilit et la possibilit de modification des contenus numriques ont boulevers la relation existante entre producteurs et consommateurs de sens. Pour reprendre limage de Michel de Certeau, le braconnage tend se gnraliser, dans un monde o presque tout le monde accs une parcelle de terrain. En effet, sur Internet et particulirement sur les rseaux sociaux, sest dveloppe une vritable culture du partage de contenus. Ces derniers peuvent tre simplement reproduits sur les profils (soit par copier-coller , soit par un lien renvoyant au contenu sur la page du producteur), ou agencs entre eux de manire originale61

Champeau, G. (2011, 24 janvier). LHadopi na pas de problme de pdagogie mais de lgitimit. Numerama Repr le 28 janvier 2011 dans : http://www.numerama.com/magazine/17865-l-hadopi-na-pas-de-probleme-de-pedagogie-mais-de-legitimite.html 62 Flichy, P. (2010). Le sacre de lAmateur. Paris : Editions Le Seuil, col. La Rpublique des Ides. 63 Source: Mdiamtrie, 2009, cite par Flichy, P. (2010). In Le sacre de lAmateur. Paris : Editions Le Seuil, col. La Rpublique des Ides

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(ex : podcasts, listes de reproductions, slection darticles, etc.). Enfin, les contenus peuvent galement tre prsents son rseau de contact en les retravaillant. Laltration peut tre dordre fonctionnel, esthtique, ou politique (boyd, 2010). Apparues au cours de la dcennie 2000, ces pratiques prennent le nom de mashup ou de remix Flichy ajoute que contrairement au monde de lart qui distingue lartiste du critique, le monde de lamateur entremle les positions, si bien que production et discours, cration et jugement ne sont jamais totalement spars (Flichy, 2010). Ainsi, le statut de ceux qui savent , et de manire plus gnrale, la mdiation se trouve profondment transforme par ces volutions.

3.2.2 Le muse et les rseaux sociaux numriquesLe dveloppement des rseaux sociaux numriques ainsi que ses consquences sur les conditions de la rception culturelle semble rpondre une approche plus progressiste des muses qui sest forme avec le courant de la Nouvelle musologie, et qui est prolong dans les annes 2000 par celui des muses participatifs. 3.2.2.1 Le muse ouvert et participatif Lacception du terme muse incontestablement partage par lensemble de la communaut scientifique est celle labore par le Conseil International des Muses (ICOM). Celui-ci dfinit le muse comme : Une institution permanente sans but lucratif, au service de la socit et de son dveloppement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, tudie, expose et transmet le patrimoine matriel et immatriel de lhumanit et de son environnement des fins d'tudes, d'ducation et de dlectation. 64 Depuis les annes 1980, la musologie a connu de grandes volutions visant placer le visiteur au centre des proccupations du muse, considrant lexposition comme un dispositif permettant de communiquer avec les publics. Dans les faits, cela sest traduit notamment par la prise en compte du point de vue du visiteur, en complment de celui du curateur, lors de la phase de production des expositions. Celles-ci sont passes dune construction chronologique et pdagogiques des thmatiques critiques et/ou ludiques, qui conviennent mieux aux visiteurs. Dans son ouvrage intitul Le texte au muse65, Marie-Sylvie Poli prsente les orientations fondatrices de cette nouvelle musologie :

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International Counsil of Museums (2007). Les Statuts de lICOM. Vienne. Repr le 28 janvier 2011 dans : http://archives.icom.museum/statutes_fr.html#3 65 Poli, M. S. (2002). Le Texte au Muse : Une Approche Smiotique. Paris : LHarmattan.

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la collection garde son statut de ple dactivit et de recherche, mais elle est galement vue comme une banque de donnes dans laquelle les commissaires dexpositions et les conservateurs peuvent puiser pour organiser des expositions thme;

lexposition est conue comme un vritable dispositif rhtorique et smiotique qui a recours aux mthodes de largumentation discursive afin dinformer et de persuader les publics ;

la scnographie doit dornavant servir un projet dialectique dans lequel les objets, la lumire et lespace sont travaills comme un tout signifiant (Poli, 2002).

Nina Simon66 soutient que les publics des vnements ou des institutions culturelles sont aujourdhui habitus des processus dapprentissage participatifs. Ils valorisent le fait de ne pas tre simplement mis en situation de consommer , mais surtout de pouvoir discuter, partager, et remixer les informations et les expriences. Simon dfinit ce quelle nomme le muse participatif comme : *+ a place where visitors can create, share, and connect with each other around content. Create means that visitors contribute their own ideas, objects, and creative expression to the institution and to each other. Share means that people discuss, take home, remix, and redistribute both what they see and what they make during their visit. Connect means that visitors socialize with other peoplestaff and visitorswho share their particular interests. (Simon, 2010) Lauteur ajoute quune institution vritablement participative ne peut se contenter de dlivrer le mme contenu un public indiffrenci, mais idalement, elle a plutt fonction de plateforme collectant et partageant des contenus personnaliss et coproduits avec les visiteurs. Cette plateforme met en relation les crateurs de contenu, les distributeurs, les critiques et les personnels du muse. 3.2.2.2 Le muse comme espace de socialisation Cheek et Burch67 (1976), deux sociologues nord-amricains, ont montr quune activit de loisirs est moins choisie en fonction de la prfrence personnelle du sujet ou de lintrt intrinsque quil attribue lactivit mme, quen fonction de la possibilit que cette activit lui donne de consolider et de maintenir des liens sociaux. La visite dun muse tant en grande

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Simon, N. (2010). The Participatory Museum. Santa Cruz : Museum 2.0. Cheek, N.H.; Burch, W.R. (1976). The Social Organization of Leisure in Human Society. New York: Harper & Row.

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partie considre par les publics comme une activit de loisirs, linstitution doit tenir compte de la place primordiale quoccupent les liens sociaux pour les visiteurs. De fait, Stphane Debenedetti 68 (2003) met en vidence que, pour une large majorit de visiteurs, le rle jou par les accompagnateurs est primordial lors dune visite au muse. En effet, linteraction sociale est un des premiers facteurs motivant une visite dans un muse : lopportunit de passer un moment agrable et en bonne compagnie, ajout la possibilit de partager une exprience avec des tiers peut tre mme plus importante que la visite du muse en soi. Dans cette mme tude, Debenedetti souligne le fait que les publics assidus et les publics occasionnels du muse ont une dmarche plutt diffrente dans leur rapport aux uvres et linstitution. Lauteur affirme que les publics du muse les plus aguerris y adoptent gnralement une dmarche solitaire : ils apprcient de pouvoir dfinir eux-mmes le rythme et le parcours de la visite, et simprgnent profondment des uvres quils souhaitent voir. Ils envisagent dailleurs lexprience esthtique comme fondamentalement introspective. A linverse, les publics occasionnels, ceux que justement le muse cherche attirer et fidliser, considrent leurs compagnons de visite comme des facteurs rassurants face au stress que peut gnrer le muse par une foule trop importante de visiteurs, par laustrit de linstitution et par une relation incertaine aux uvres. 3.2.2.3 La construction collective du sens Plus que simplement fournir une agrable compagnie, les accompagnants permettent aux visiteurs de muse de verbaliser leur propre comprhension de ce qui leur est donn voir, confrontant leur interprtation avec celles des accompagnants. Dj en 1954, Festinger dveloppait une thorie des Processus de Comparaison Sociale69 selon laquelle les individus confronts une situation inconnue valuent en premier lieu la raction de leurs partenaires afin de dterminer plus efficacement leur propre position dans une telle situation (Festinger, 1954). Cest pourquoi, dans le cadre dune visite dans un muse, les accompagnateurs ou personnes tiers (guides, personnels de muses, etc.) permettent aux visiteurs de partager leur exprience et de valider leur position par rapport celle des autres.

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Debenedetti,S. (2003) Investigating the role of companions in the art museum experience. International Journal of Arts Management. Vol. 5 (3). Montral : HEC Montral. p. 52-63 69 Festinger, L. (1954). A Theory of Social Comparison Processes. Human Relations, vol. 7 (may), p.117140.

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Cest en ce sens que Marie-Sylvie Poli affirme que le caractre social est dterminant dans lexprience musale du visiteur. Les interactions avec dautres lui permettent de donner du sens ce quil apprhende : La dimension dialogique et cognitive est prgnante dans la perception des formes langagires au muse, car on a constat que lorsque le visiteur parle de lexposition un tiers, il participe activement construire le sens de ce quil a vu et compris. (Poli, 2002) Un retour sur ltude de Debenedetti est ici intressant, puisquil estime que le processus de co-construction de sens est dautant plus important que luvre donne voir est difficile apprhender : The more ambiguous the works are perceived to be (contemporary art, for example, or temporary exhibitions as opposed to permanent collections), the more pressing the need to compare opinions. (Debenedetti, 2003) 3.2.2.4 Lapport des non experts au champ musal Les amateurs et autres non experts peuvent participer de nombreuses manires lactivit du muse. Comme le rappelle Nina Simon, la mise en place de mcanismes de participation des publics dans les activits du muse doit saccompagner dun vritable respect de la part de linstitution pour les intrts, connaissances, expriences, aptitudes et gots de ces non experts (Simon, 2010). Cest en ce sens quelle appelle une redfinition des rles damateur et de professionnel, dartiste et de public, puisque la frontire qui les spare devient chaque jour plus permable : le public devient un crateur de contenu part entire. Un apport de contenus Lapport des publics non amateurs peut paradoxalement rsider dans leur approche affective aux objets ou concepts qui leur sont donns voir et apprhender. Ds 2002, Marie-Sylvie Poli avait mis en vidence lintrt grandissant des publics pour les tmoignages et laffectif. Cest en faisant entrer laffect et les motions et travers leurs tmoignages et avis que les publics peuvent jouer un rle nouveau au muse. Ces deux dernires annes, plusieurs expositions et manifestations de grande ampleur impliquant la participation des publics en tant que crateurs de contenus ont t organises par des institutions musales artistiques de premier plan. La Biennale de vidos courtes ralise en 2010 par le Guggenheim Museum de New York en collaboration avec Youtube, ou encore la publication dun livre par la Tate Modern, faisant appel des contributions 39

dutilisateurs de Flickr, en complment de lexposition Street & Studio, An Urban History of Photography ralise en 2008 dans lInstitution en constituent des exemples probants. Le Centre Pompidou a invit le ralisateur Michel Gondry installer une Usine de Films Amateurs lors de la deuxime dition de son Nouveau Festival70. Ce dispositif permettait tout visiteur inscrit de crer son propre film, en suivant un protocole simple, dans un studio de cinma reconstitu pour loccasion. Lopration sest vue couronne dun fort succs critique et populaire : 63 000 visiteurs, 4 500 participants et 311 films tourns 71 (Rgnier, 2011). Un apport critique Parmi les visiteurs du muse, il existe une part damateurs qui, lorsque considrs comme des collaborateurs part entire, peuvent apporter une forte plus-value aux informations dlivres par le muse. En effet, Nancy Proctor (2010) considre quil est important de reconnatre que le public spcifique quelle qualifie d amateur-expert , peut tre le dpositaire de connaissances qui sont parfois au moins aussi profondes sur un sujet particulier que celle des curateurs. Selon Proctor, la collaboration entre ces amateurs-experts et les muses peut fournir des informations critiques, ainsi quune impulsion pour mettre en avant tant la qualit de linformation que des contenus accessibles publiquement. 72 Pour Simon le public du muse peut galement jouer un rle important dans le classement et la gestion des donnes et informations disponibles: The participatory act of tagging thus would add benefit to institution and audience alike (Simon, 2010). Tag est un mot provenant de langlais, qui signifie tiquette, marqueur. Daprs lencyclopdie collaborative Wikipedia, un tag, dans lacception qui nous intresse ici, est un marqueur smantique ou lexical utilis sur les sites de rseaux sociaux du Web 2.0 73. Il sagit dun mot-cl signifiant qui, par un lien hypertexte, assigne un terme une autre information qui peut tre une image, un article, une vido, etc. Ainsi, le tag dcrit l'objet et permet une classification dynamique des informations base sur les mots-cls. La croissance du volume des informations disponibles sur Internet confre un caractre fondamental au travail de classification et dagencement par les utilisateurs, permettant de le rendre visible, et donc accessible au public. Simon souligne que :

70 71 72

Le Nouveau Festival du Centre Pompidou, 2eme dition, du 16 fvrier au 7 mars. Rgnier, I. (2011, 17 mai). Michel Gondry: Jaime le cinma populaire. Le Monde.

Traduction de lauteur depuis: Working in partnership with museum curators, can provide critical data as well as the impetus to enhance the quality of information and content publicly available.73

Tag (n.d). In Wikipedia. Repr le 25 fvrier sur : http://fr.wikipedia.org/wiki/Tag

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Plus il y a de contenu, plus il y a de contenu. En revanche, plus il y a dinterprtations, de hirarchisations, et de discussions autour des contenus, plus nombreux seront les publics qui pourront accder aux vidos (et aux conversations) quils estiment importantes (traduction de lauteur 74). (Simon, 2010) Pour Simon, lactivit de tagging par le public permet de transformer une masse informe de donnes en un contenu classifi et exploitable par les institutions et par les publics.

74

The more content there is, the more content there is. In contrast, the more interpretation, prioritization, and discussion there is around the content, the more people can access the videos (and the conversations) that are most valuable to them.

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4.

Problmatique

Les rseaux sociaux numriques renouvellent-ils la relation entre les muses dart et leurs publics ? De quelle manire transforment-ils cette relation ? La problmatique de cette tude se dcline en deux principales questions de recherche : 1. Comment les muses dart manifestent-ils leur prsence et construisent-ils leur relation avec les publics sur les rseaux sociaux numriques ? 2. Comment les publics peroivent-ils leur relation avec les muses dart ? Leurs reprsentations et attentes sont-elles fonction de lintensit de leur pratique des rseaux sociaux numriques ? La premire question de recherche a trait la manire dont les muses dart occupent les rseaux sociaux, et les stratgies 2.0 quils mettent en uvre pour tre communiquer et dialoguer avec leurs publics sur les rseaux sociaux numriques. La seconde question de recherche se penche sur la manire dont les publics peroivent leur relation avec les muses dart. Les deux questions se compltent et permettent daborder les points de vue des parties luvre dans la relation entre les muses dart et les publics. Correspondant des terrains denqute diffrents, ces questions ont t traites sparment, travers un programme de recherche en deux parties.

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5.

Programme et mise en uvre de la recherche 1e partie :

Etude de la relation entre muses dart et publics sur les rseaux sociaux numriques

Comment les muses dart manifestent-ils leur prsence et construisent-ils leur relation avec les publics via les rseaux sociaux numriques? Cette question de recherche se dcompose en plusieurs questions intermdiaires : 1. Comment sexprime la prsence des muses sur les rseaux sociaux numriques? 1.1 Que donnent voir les profils des muses sur ces rseaux sociaux ? 1.3 Comment les muses sexpriment-ils sur les rseaux sociaux numriques ? Comment les muses organisent-ils les diffrents jeux de langage travers les prises de parole sur ces rseaux ? 2. Quels usages sont faits des rseaux sociaux numriques ? 2.1 Quelles stratgies 2.0 se dessinent ? De quelles manires les rseaux sociaux numriques sont-ils utiliss ? 2.2 Dans quelle mesure cette prsence sur les rseaux sociaux numriques influence-telle la relation que le muse dart entretient avec ses publics ? Dans cette premire partie du programme de recherche, le choix de la mthodologie permettant dtudier la prsence des muses dart sur les rseaux sociaux numriques sest port sur lobservation directe de la prsence de ces muses sur ces rseaux, des usages quils en font, ainsi que des comportements des diffrents acteurs qui y prennent part. La mise en uvre de cette premire partie du programme de recherche se dcompose en trois tapes : la dfinition de la mthodologie de lenqute, lobservation en elle-mme, et finalement, linterprtation des donnes.

5.1 Mthodologie de lenqute 5.1.1 Terrain dtude et chantillon de lenquteNombreux sont les muses dart qui ont dcid de dvelopper une prsence et de nouer des relations avec les publics sur les rseaux sociaux numriques. Chacun dveloppant sa prsence

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de manire originale, la diversit qui rgne aujourdhui en la matire nous permet de constater quil existe autant de stratgies que de muses. Ltude ici mene ne prtend pas tre exhaustive, puisque la taille de lchantillon est rduite trois muses dart, dont les approches des rseaux sociaux numriques sont riches et distinctes. Ltude ne cherche pas tablir de lois ou de modles gnraux des comportements des muses via les rseaux sociaux numriques, mais vise reconstituer le sens subjectif des actions de chacun afin de les interprter dans leur singularit. Les trois muses slectionns pour cette tude sont le Muse du Louvre, le Museu Picasso de Barcelone et la Tate de Londres. Tous sont des muses dart, situs dans des villes culturellement importantes en Europe, et qui bnficient dun tourisme intense. Pourtant, leurs approches des publics sur les rseaux sociaux numriques sont trs diffrentes les unes des autres. La Tate Modern fait figure de pionnier dans le domaine des rseaux sociaux, et y a acquis une forte rputation. Le Muse du Louvre jouit dune rputation considrable, et tente plusieurs approches pour tre prsent sur les rseaux sociaux. Enfin, le Museu Picasso de Barcelone dispose de moyens beaucoup plus rduits, mais son influence sur les rseaux sociaux ne cesse de crotre. Le terrain dtude est constitu des espaces investis par les muses de lchantillon sur les rseaux sociaux numriques. Lobservation porte plus particulirement sur deux aspects : les profils publis par les muses, ainsi que les prises de parole et changes entre les muses et leurs publics. Facebook est actuellement le rseau social numrique gnraliste le plus populaire en Europe et aux Etats-Unis. Il offre, avec les blogs, les plus grandes opportunits de conversation et dchanges avec les publics. Ce rseau est donc particulirement adapt ltude des interactions entre linstitution et ses publics. Twitter est un rseau social relativement populaire. Il fonctionne avec des followers et nest pas rellement propice la conversation personnalise avec les publics. Il sagit dun outil de diffusion dinformations en continu. De mme, les chanes de webTV des muses sur Dailymotion et sur Youtube ne relvent pas proprement parler des rseaux sociaux numriques. Les changes et le dialogue avec les publics constituent laxe central de notre tude, ltude de la prsence des muses se concentre donc sur Facebook et sur leurs blogs officiels. Nous verrons cependant quels sont les autres rseaux sociaux numriques investis par ces muses pour la publication officielle dinformations et les orientations quils ont adoptes pour

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chacune, afin dtablir si la cohrence des prises de paroles et des jeux de langage est respecte.

5.1.2 Le recueil des donnesNous sommes conscients quun nombre infini de variables influencent simultanment la prsence des muses dart sur les rseaux sociaux numriques. Cependant, plusieurs critres objectifs nous permettent, pour chaque muse tudi, de dfinir le contexte dans lequel sinscrit son utilisation des rseaux sociaux, ainsi que les axes stratgiques adopts. Une attention particulire est porte au degr dinteraction avec les publics, car, comme le prcise Antonio Casilli75 (2010), des contributions frquentes et de qualit, qui suscitent un bon nombre de ractions et de commentaires, sont la lymphe vitale des mdias sociaux. Pour chacun des muses de lchantillon, lobservation porte sur les caractristiques suivantes :

Contexte de la relation physique et numrique du muse avec ses publicsTaille du muse : nombre demploys Description des collections Publics : nombre de visiteurs annuels et volution depuis les trois dernires annes, politique des publics

Identification des rseaux sociaux o le muse est prsentType de rseau : pages Facebook, Twitter, Flickr, blog, plateforme communautaire (ArtGoogle,)

Manifestation de la prsence sur Facebook et sur les blogs des musesProfil : nom, photo du profil, nombre damis, description du profil (type de donnes publies, pratiques-factuelles et/ou subjectives-analytiques) Publications de la part du profil : tude des 30 dernires publications effectues par le profil, dtaillant :

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Casilli, A. (2010). Les liaisons numriques Vers une nouvelle sociabilit ?. Paris : Editions du Seuil, Col. La couleur des ides. p. 54

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La frquence : priode requise pour la publication des 30 dernires parutions, frquence des publications, langues disponibles

La nature de lintervention et la taille des publications (nombre de mots)Le registre de langage utilis : impersonnel, langage courant, positionnement ditorial, type dinformations dlivres (pratiques, promotionnelles, techniques) Interactions avec le public : nombre de ractions suscites, actives (commentaires) ou passives ( Jaime a ), vitalit des forums mis en place, dbats engags. Types dactivits proposes : forums de discussions, mise en avant de contenus gnrs par les utilisateurs (crowdsourcing, tagging), activits collectives et collaboratives,

personnalisation dun espace (ex : galeries personnelles virtuelles), et autres initiatives permettant de lier lactivit en ligne sur les rseaux sociaux et celles in situ au muse. Ce dispositif de recueil direct dinformations est spcifiquement dvelopp pour cette tude. Les donnes sont produites par un dispositif de comptage manuel.

5.1.3 Le traitement et linterprtation des donnesLtude permet de prendre une photographie un instant T de la prsence des muses sur les rseaux sociaux, et ne peut rendre compte de son historique. Les rponses obtenues permettent de formuler des hypothses concernant le public vis, les conditions du dialogue, et la stratgie mise en uvre par les muses. Lobservation du nivea