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Musiques traditionnelles de demain: Entre anamnèse et injonction identitaire Author(s): Dominique Salini Source: Cahiers d'ethnomusicologie, Vol. 22, mémoire, traces, histoire (2009), pp. 49-61 Published by: Ateliers d'ethnomusicologie Stable URL: http://www.jstor.org/stable/20799677 . Accessed: 14/06/2014 03:18 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Ateliers d'ethnomusicologie is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers d'ethnomusicologie. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.229.229.96 on Sat, 14 Jun 2014 03:18:58 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Musiques traditionnelles de demain: Entre anamnèse et injonction identitaireAuthor(s): Dominique SaliniSource: Cahiers d'ethnomusicologie, Vol. 22, mémoire, traces, histoire (2009), pp. 49-61Published by: Ateliers d'ethnomusicologieStable URL: http://www.jstor.org/stable/20799677 .

Accessed: 14/06/2014 03:18

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Musiques traditionnelles de demain Entre anamn?se et injonction identitaire

Dominique Salini

La fragmentation ? outrance des sciences humaines qui s'est op?r?e au fil du xxe si?cle n'est pas ?trang?re ? l'?mergence de la figure ?clat?e de l'homme (Durand 1979) ni ? la s?rie d'occasions de rencontre manqu?es et de malen tendus s?mantiques ? propos de la tradition et de Poralit?. H?tivement d?finies

par rapport ? une histoire dont elles auraient ?t? exclues, les cultures de tradition orale deviennent les attributs anthropologiques des soci?t?s sans autre histoire

que la leur. Sous le regard curieux des Autres, elles ont rapidement endoss? une

identit? pr?te-?-porter qui peine aujourd'hui ? ?chapper aux poncifs. D?j? r?duites ? l'animation intermittente des spectacles, les musiques traditionnelles ont du mal

? imaginer un devenir ind?pendamment de succ?s m?diatiques, s'?cartant, de

fait, sinon du terrain de l'anthropologie, du moins du domaine de la cr?ation.

En effet, ? l'int?rieur d'un champ heuristique mal d?fini, discours esth?

tiques (musicologiques et m?me ethnomusicologiques) et pratiques musicales sont rest?s ? l'?cart les uns des autres, malgr? des pr?occupations communes, en particulier ? propos de la m?moire et de Poralit? (Salini 2004). L'ignorance r?ciproque, qui s'est assez rapidement substitu?e ? la curiosit?, a engendr? malentendus et incompr?hension, et hypoth?qu? le devenir des traditions orales. Et pourtant, l'histoire la plus significative de l'ethnomusicologie s'est d?roul?e l?, entre histoire et m?moire, traces et oubli, anamn?se et amn?sie, le temps ?tant

bel et bien le questionnement central.

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50 Cahiers d'ethnomusicologie 22/2008

D'un premier malentendu s?mantique...

Le premier malentendu d'importance tient probablement au sens tr?s statique accord? ? la tradition. Assimil?e au pass?, n?cessairement r?volu, la tradition

devient une notion floue, essentiellement affective, sorte de nostalgie pastorale,

pour reprendre l'image de Jean-Claude Passeron (Passeron & Grignon 1989) et en tout cas, un tr?sor dont chacun se veut le d?positaire. La d?fense de sa

tradition a ?t? pour certains l'occasion de retrouvailles avec une m?moire plus ou

moins virtuelle et pour d'autres celle de l?gitimer une ignorance historique relati

vement commode. L'oralit? s'est impos?e comme un mode de communication qui rendait inutile un savoir historique hormis les quelques points de rep?re habituels.

Symbole de la r?sistance, elle est vite apparue comme une revanche sur l'histoire

et en particulier l'histoire politique avec ses strat?gies de d?culturation.

? l'origine, et entre autres facteurs, de la divergence entre Histoire et

Anthropologie, l'opposition que l'on sait arbitraire, et en tout cas sommaire, entre

oralit? et ?criture est d?sormais relativis?e quoique non encore v?ritablement

?claircie. Tout un chacun admet aujourd'hui que l'oralit? n'est ?videmment pas absence de savoir d'?criture, mais une forme autre de scripturalit? beaucoup plus

corporelle et kin?sique que la notation. ?Si Jean-Jacques Rousseau d?plore que les Occidentaux modernes ne sachent plus percevoir la musique qu'? travers les

<figures> qui l'expriment, et n'y voient plus que noires, blanches et croches, tout ne

peut point se lire, cependant, sur leurs port?es?, ?crivait ? ce propos Constantin

Brailoiu (1960: 118)1. Des traditions vocales toujours pratiqu?es de cette mani?re le montrent

bien: les chanteurs sont de v?ritables personnages sonores (Levaillant 1981). N?anmoins rien ne nous autorise ? affirmer que l'oralit? est plus m?morielle et

donc moins historique que l'?criture. Les points d'appui, les rep?res sont bien ?vi

demment diff?rents de m?me que les m?canismes (D?tienne 1981), et la pens?e occidentale a bien subi de profondes mutations lors du passage de la tradition orale ? l'?criture si l'on en juge d'apr?s les magistrales analyses de Jean-Pierre

Vernant (1965) pour la pens?e grecque et de Solange Corbin (1960) pour ce

qui est de l'?glise en qu?te de sa musique. Pourtant l'oralit? ne cesse de faire

probl?me alors que l'on pensait avoir r?gl? la question, ne serait-ce que par la

modernit? des moyens de communication.

Ce texte propose une r?flexion sur l'avenir des musiques traditionnelles en

prenant l'exemple de ce que les m?dias nomment ?les polyphonies corses?. Ins

crites dans une histoire mal connue, brandies comme embl?me des revendications

1 Br?iloiu se r?f?rait sans doute ? ce passage de la pr?face de la Dissertation sur la musique moderne de Rousseau, o? ce dernier ?crivait:

?Je sais que les musiciens ne sont pas traitables

sur ce chapitre. La musique pour eux n'est pas

la science des sons, c'est celle des noires, des

blanches, des doubles croches; et, d?s que ces

figures cesseroient d'affecter leurs yeux, ils ne

croieroient jamais voir r?ellement de la musique? (Rousseau 1979:25).

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Dossier/Salini 51

identitaires des ann?es 1970, elles connaissent toujours un succ?s m?diatique certain. Aujourd'hui est d?pos?e aupr?s de l'Unesco une candidature d'inscription sur la liste de sauvegarde d'urgence du cantu in paghjella2, et cette d?marche, ini

ti?e par l'institution (Centre de Musiques Traditionnelles et Collectivit? Territoriale de Corse), veille ? renouer les liens un peu l?ches entre praticiens, parfois h?ritiers, et approche anthropologique, confirmant ainsi sa fonction dans la communaut?.

Comprise par les insulaires comme un h?ritage statique, monolithique et intouchable, la tradition polyphonique, dont l'histoire ?se perd dans la nuit des

temps?, est bien la r?activation dynamique d'une m?moire latente. ? ce titre,

l'usage contemporain de cette forme musicale pourrait correspondre ? un ?v?

nement au sens o? l'entend Clifford Geertz (1986), de r?alisation contingente d'un mod?le culturel. Or, l'ignorance historique du mod?le culturel a confin? l'?v?

nement dans une mode d'?poque, le vidant simultan?ment de sa force anthro

pologique et de ses potentialit?s cr?atrices, sorte d'?piph?nom?ne ?ph?m?re consid?r? cependant comme les racines d'un futur possible. Sous les diktats

m?diatiques, se r?alise peu ? peu la d?culturation (Salini 2008b) que n'avaient

pas r?ussi ? obtenir, aux si?cles pr?c?dents, l'Administration et l'?glise.

... ? un autre

L'histoire de l'anthropologie n'a cess? de pointer les relations entre histoire et culture, mais la distinction ?pist?mique qui a pr?valu le temps des colonies est d?sormais caduque, le moment ?tant venu, comme le dit Marshall Sahlins, d'aller

au-del? d'une simple collaboration disciplinaire et de ?faire exploser le concept d'histoire au moyen de l'exp?rience anthropologique de la culture?, l'exp?rience

historique faisant ? son tour ?exploser le concept anthropologique de culture -

y compris la structure? (Sahlins 1989: 17). Chaque chercheur en sciences humaines et sociales admet d?sormais l'insuffisance th?orique du mod?le binaire et tente de s'armer pour affronter le nouveau d?fi intellectuel : comment accepter la relecture du temps, entre diachronie et synchronie, nostalgie et amn?sie? Le

temps est sans doute venu, par-del? les contraires, de plaider pour le processus, le work in progress, le non finito3. La distinction entre un temps achev? et un pr? sent sans histoires qui laisserait augurer d'un futur impr?visible, oblige chacun

d'entre nous ? repenser sa propre histoire de temps.

D?j?, les h?sitations lexicales (folklore, ethnologie musicale ou musicologie compar?e) pour qualifier le domaine de la science ethnomusicologique naissante

2 II s'agit d'une m?taphore qui renvoie simultan?

ment ? une forme (profane ou religieuse) et ? une

technique d'agencement des voix par tuilage.

3 L'expression est propos?e par Daniel Charles

? propos de l'esth?tique de John Cage (Charles 1968:23-26).

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52 Cah lERS d'ethnomusicologie 22/2008

avaient alert? le chercheur sur deux questions devenues tr?s vite d?terminantes

dans l'orientation th?orique ult?rieure: existe-t-il r?ellement une fronti?re nette

entre histoire et m?moire ? N'est-il pas temps d'interroger le musical par-del? ses composantes techniques, mais aussi par del? les sph?res d'influences cultu

relles suppos?es ? Qu'il s'agisse d'ailleurs aussi bien de traditions orales que de cultures ?crites. Autrement dit, le manque d'assurance affich? par la science en

voie de constitution lorsqu'il a fallu ? la fois d?finir son objet et s'identifier, aurait d? inciter ? une plus grande prudence dans le choix des mots.

Ces deux questions, sans doute pr?pond?rantes, ont n?anmoins occult?

l'?cart qui existe entre science et pratique, surtout lorsque observant et observ?

appartiennent ? la m?me culture. L'histoire de l'ethnomusicologie rappelle bien

que celle-ci na?t en Europe et qu'elle se construit d'abord ? partir du folklore euro

p?en, en somme de sa propre culture, avant de s'int?resser ? Tailleurs et revenir,

apr?s le p?riple, de nouveau chez elle. Et ce va-et-vient territorial, ce trajet avec

des haltes plus ou moins lointaines et longues, n'emp?chent pas que l'observation soit d?j? interpr?tation, avec ou sans la distance g?ographique, avec ou sans la

conscience de l'historicit? culturelle.

La cr?ation s'oppose ? la tradition...

Dans la relation que la science ethnologique entretient avec son objet - la

musique vivante -, interviennent d'autres acteurs: le musicologue et le composi teur. Il serait bien difficile de minimiser l'apport consid?rable, parmi d'autres natu

rellement, de B?la Bartok dans la conceptualisation de cette nouvelle science.

Ses missions (ethno)musicologiques, notamment celle en Alg?rie en 1913 (Tra belsi 2002), le Congr?s du Caire auquel il participa ?galement en 1932 ainsi

que, ? la m?me ?poque, le voyage de Maurice Ravel (Marn?t 1995) aux ?tats Unis, sont autant de points de rep?res tant historiques que symboliques de ren contres possibles entre le savant et le populaire, le sien et celui de l'autre. De

ces moments, en tout cas, ont ?merg? des questionnements d'une ?tonnante

actualit? ? propos de l'urgence de l'?laboration d'une anthropologie du musical.

Et pratiquer aujourd'hui une anthropologie du musical, c'est justement admettre

que la musique est ? la fois dans et hors de l'histoire, entre oubli et m?moire, sou venir refoul? et r?activ?, puisque la musique n'existe que par celui qui la porte et

l'ex?cute, avec ou sans partition. Mais faire du probl?me des rapports entre le populaire et le savant la

toile de fond de l'interrogation th?orique a dress? une ligne de d?marcation entre savoir appris, ?crit, et culture v?cue, h?rit?e par impr?gnation, dans la proximit? du face-?-face et du bouche-?-oreille. Et l'apartheid se fait toujours au d?triment des

m?mes, de ceux qui n'ont pas les cl?s de lecture. Si Bartok a pu rechercher (et

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Dossier/Salini 53

trouver) dans les musiques paysannes hongroises ce qui lui permettait d'?chapper ? la tyrannie de la tonalit? (Szabolcsi 1968) ou dans les collectes r?alis?es dans le Constantinois alg?rien une source active de cr?ation (Trabelsi 2002), l'impact du savant sur le populaire est beaucoup moins ?vident Et ceci se v?rifie dans

de nombreux cas, m?me s'il a ?t? difficile d'admettre qu'une province n'est pas, ? l'instar d'une colonie, une ?le dans l'histoire, pour reprendre l'image de Sahlins.

Se profilait d?j? l'id?e qu'il ?tait indispensable d'approcher autrement la

musique et que cette approche ne pouvait ?tre que de nature anthropologique. N?anmoins, avec le souci affich? de devenir une science exacte, plus technique que symbolique, et l'emprunt de ses outils intellectuels ? la musicologie plut?t qu'? l'anthropologie, l'ethnomusicologie s'est coup?e de la chair du musical. De

plus en plus, le th?orique et la pratique se sont d?solidaris?s au point de d?man teler l'objet musique. C'est le constat que l'on peut faire justement ? propos des

musiques dites traditionnelles, renvoy?es soit ? une histoire des syst?mes musi

caux plus ou moins bien connue, soit ? un ?motionnel identitaire entretenu.

Or, les musiques traditionnelles sont des m?moires sonores, des anam

n?ses de savoirs accumul?s et inscrits dans les corps. Il ne s'agit pas seulement

pour les chanteurs de se rappeler des mots ou des timbres et risquer ainsi le trou de m?moire, mais bien de recr?er ? chaque fois un ?v?nement C'est bien l? le point commun avec les projets de la musique contemporaine4 qu'il aurait fallu exploiter. Le questionnement ? propos de Poralit? aurait gagn? ? ?tre pos? au croisement de deux pr?occupations musicales rest?es ?trangement ? l'?cart

l'une de l'autre dans les vingt ann?es qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale:

celles de certains courants de l'esth?tique musicale exp?rimentale et celles des

revendications identitaires r?gionales. Serait m?me apparue comme un truisme

l'interrogation suivante: comment composer avec des identit?s (Pousseur 1989) ou avec des m?moires (Salini 2002)?

... et les cultures redeviennent des ?les

L'id?e longtemps d?fendue que les cultures du monde sont des ?les aux fronti?res ?tanches et disposant chacune de son propre syst?me d'historicit?, est largement battue en br?che par l'anthropologie post-coloniale. Dans cette perspective, l'iso

lement n'ayant pas forc?ment exclu le contact, de fait, l'identit? n'est ni g?n? tique ni immuable (Amselle 2001). Mais, si une mise au point de cette nature s'est av?r?e n?cessaire pour les anciennes colonies, la question perdit de sa per tinence lorsqu'il s'est agi d'inclure le r?gional ou le local dans la pr?occupation

4 Les recherches de th??tre musical conduites par Mauricio Kagel consistaient ? retrouver la kin?sie

m?me sous le geste du musicien classique.

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anthropologique nationale. Autrement dit lorsque les cultures populaires, puis tra

ditionnelles, se sont substitu?es aux cultures ethniques. Il n'est donc pas surpre nant que les revendications identitaires des ann?es post-1968 soient fond?es

essentiellement sur une histoire confisqu?e, donc m?connue, et sur une identit?

h?rit?e, jug?e g?n?tique et immuable. Si l'ethnologie et a forf/br/Tethnomusicologie ont pu servir de grille de lecture anthropologique pour tous ceux qui refusaient le d?terminisme historique ou rejetaient le principe qu'une m?me pens?e puisse ?tre appliqu?e ? tous, ind?pendamment du lieu et du temps de chacun, paradoxa lement, les cultures populaires entraient, elles, dans les pathologies de l'identit?.

La situation g?ographique de la Corse (entre France et Italie) et son statut

politique de r?gion fran?aise ont fait d'elle une zone culturellement tiraill?e que la population a en quelque sorte tent? de stabiliser ? l'int?rieur des limites natu

relles, physiques de l'?le. Pour pouvoir exister, il a bien fallu se r?fugier dans les

valeurs traditionnelles, ici comme ailleurs (Memmi 1985). Le ?groupe culturel?, fabrication du mouvement dit du riacquistu5, r?sume

? lui seul la m?moire du polyphonique historique, l'oubli de certaines p?riodes f?cheuses de l'histoire de la Corse ?cartel?e entre italianit? et francit?, et la r?ac tivation de l'?pisode paoliste favori6. On peut rappeler ? ce propos que la premi?re mention historique d'un chant aujourd'hui ex?cut? en polyphonie date de 1735. Lors de la consulta d'Orezza, la Corse d?cr?te son ind?pendance politique en se

pla?ant sous le protectorat mariai et en se dotant d'une hymne national, le Dio vi salve Regina. Ce chant, dont on conna?t plusieurs versions ne serait-ce qu'en Sardaigne (Pisanu), est d?sormais consid?r? comme embl?matique de toutes les

formes de r?sistance du peuple corse et se chante en polyphonie. ?tait-ce le cas

en 1735? Les sources se contredisent ? propos des ?auteurs? pr?sum?s de ce

chant, sans que rien ne vienne confirmer ou d?mentir l'assertion: le j?suite Fran cesco de Geronimo vers 1676 ou un berger niolain, Sauveur Costa?

Les revendications r?gionalistes des ann?es 1920-30 qui ont agit? les

r?gions fran?aises, la Corse comme la Bretagne, portaient d?j? sur la cr?ation, principalement litt?raire et musicale, m?me si elles ont presque essentiellement consist? ? retrouver dans le populaire des racines lettr?es ou ? tenter d'?tablir des ressemblances avec la culture savante. Une sorte d'?tude compar?e, en somme.

Une imposante litt?rature existe ? ce sujet, dont l'un des plus beaux exemples est sans aucun doute la correspondance entre Maurice Duhamel (Duhamel 1911) et Paul Ladmirault7. L'?poque de l'unification nationale tol?re, voire g?n?re, la notion

de populaire r?gional afin d'?tablir un tableau de bord des richesses patrimoniales

5 N?ologisme qui d?signe le mouvement de revendications identitaires qui a marqu? les

ann?es 1970 en Corse. Il correspond au souci de se r?approprier tout un pan de la culture tradition nelle (en particulier la langue et la musique) qui avait ?t? occult? par les al?as de l'histoire.

6 II s'agit d'une allusion au gouvernement de Pas cale Paoli, p?riode pendant laquelle la Corse a ?t? ind?pendante (1756-1768). 7 Cette correspondance ? propos de la modalit?

populaire est in?dite.

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Dossier/Salini 55

n?glig?es tout en poursuivant, sans l'avouer, la marginalisation du populaire. Certes,

la base de donn?es, comme l'atlas, conserve et prot?ge de l'oubli un moment de

l'histoire. Mais on a ?galement appris, depuis, combien l'apprentissage d'une tra

dition pouvait difficilement passer par les phonoth?ques aux droits d'auteurs pro

t?g?s et qu'en revanche elle pouvait se faire, se re-faire, se fabriquer, au bar, ? la

f?te, ? la messe, via le CD. Renouer avec sa m?moire veut dire qu'il est d?sormais

admis que la tradition n'a jamais ?t? authentique et que le vivant ne se d?cr?te pas. C'est la le?on que peut ?galement tirer l'esth?tique du XXe si?cle, si pr?occup?e ? faire de la p?dagogie pour retrouver l'espace et le temps du quotidien.

Lorsque B?la Bartok et Manuel de Falla pointaient avec ?nergie les risques de folklorisation des musiques tsiganes ou andalouses, exemples musicologiques ? l'appui, ils insistaient tous deux sur les transformations structurelles induites,

subrepticement et d?j?, par les diverses mutations soci?tales. L'adaptation ? la

demande a fait que le cante jondo ?a d?g?n?r? en flamenquisme ridicule... La

sobre modulation vocale - inflexions naturelles du chant qui provoquent division

et subdivision des sons de la gamme - s'est chang?e en ornementation arti

ficielle plus proche de la mauvaise ?poque italienne et de son go?t d?cadent

que de l'Orient primitif... Les limites de l'ambitus m?lodique restreint dans lequel ?voluent nos chants ont ?t? sottement ?tendues; ? la richesse modale de leurs

gammes si anciennes a ?t? substitu?e la pauvret? tonale que produit l'usage pr?pond?rant des deux seules ?chelles modernes, celles qui ont monopolis? la

musique europ?enne pendant plus de deux si?cles; la phrase enfin, grossi?re ment m?trifi?e, perd pour longtemps cette flexibilit? rythmique qui en faisait l'une des beaut?s principales? (De Falla 1992).

La remarque de Manuel de Falla rejoint celle de B?la Bartok ? propos de

l'acceptation si facile, de la part des h?ritiers du traditionnel, de l'h?donisme gra tuit de la virtuosit? et pourrait s'appliquer ? nombre de praticiens du traditionnel. L'attraction lyrique et le culte de la belle voix se substituent ? la tradition mais

surtout, se donnent pour de la cr?ation. C'est un nouveau rendez-vous manqu?: il ne s'agit pas d'une rencontre avec la cr?ation contemporaine, mais avec celle,

surtout, du XIXe si?cle. Et ce d?calage dans le temps, sans doute anodin, pr?sent dans le bin?me tradition/modernit?, emp?che la rencontre avec les h?ritiers de

la tradition savante de leur ?poque qui rencontrent les m?mes probl?mes d'iden tification et conduit ? propager l'un des st?r?otypes les plus ancr?s: tradition et cr?ation sont incompatibles. Sous-entendu, la tradition n'a d'autre issue que d'h?

riter de formes anciennes, les siennes et celles des autres.

Le glissement s?mantique de r?gionaliste ? identitaire s'est accompagn? d'une attention accrue au r?le constitutif de l'oralit?, surtout lorsqu'il s'est agi de la polyphonie. Progressivement, celle-ci devient symbole de lutte et, en tant

que tel, diff?remment interpr?table. Bien entendu, domine l'id?e qu'elle identifie la souverainet? politique d'un peuple. Penser poss?der une langue et une musique

sp?cifiques permettait d'asseoir un discours sur un futur politique hypoth?tique.

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56 Cahiers d'ethnomusicologie 22/2008

Mais s'il est ind?niable que le groupe culturel a pris part de mani?re active ? la constitution d'une musique traditionnelle, il a aussi particip?, via un discours, ? la

profonde modification des structures qui faisait l'admiration des compositeurs. Autrement dit, questionner l'h?ritage ? partir du rendez-vous manqu? entre

l'esth?tique musicale contemporaine et l'anthropologie revient ? pointer le malen

tendu s?mantique ? propos de la tradition et de Poralit?. Une des cons?quences actuelles de l'absence de r?flexion sur ces questions est bien ?videmment la ?fable

d'identit?? v?cue, parfois de mani?re caricaturale, par les acteurs traditionnels et la

surench?re identitaire qu'exigent d'eux les m?dias. Tout ceci n'aurait qu'une gravit? relative sans l'intervention des politiques culturelles institutionnelles, ind?cises quant ? l'avenir des patrimoines et h?sitant entre sauvegarde a minima et mus?ification.

D'une amn?sie de l'histoire...

L'esth?tique musicale d'apr?s-guerre, en tout cas celle des courants consid?r?s

les plus novateurs, rejetait h?ritage et histoire dans une sorte de table rase tr?s volontariste du pass?, qu'il s'agisse d'ailleurs des Europ?ens ou des Am?ricains.

Le ?s?rialisme int?gral?, en phase avec les pr?occupations d?velopp?es par la

s?miologie de Roland Barthes, se veut compl?tement amn?sique par rapport ?

l'h?ritage classique, refusant la tradition dramatique illustr?e par l'id?ologie de l'homme romantique. Il suffit de rappeler la position de Pierre Boulez qui poussa sa d?marche cr?atrice ? la ?limite des pays fertiles?8: la cr?ation ne peut ?tre

qu'une amn?sie. En finir avec la narrativit? n?o-romantique par la recherche de

moyens radicaux et atteindre le ?degr? z?ro de l'?criture?, telle ?tait l'ambition.

Autrement dit, la cr?ation ne pouvait pas ?tre m?moire.

Diff?remment, mais en fin de compte avec les m?mes r?sultats, les Am?

ricains faisaient ?merger du croisement des arts et de l'usage de la machine, des

formes d'oralit?. Mais alors que l'esth?tique musicale revendiquait l'amn?sie, le

rejet de l'h?ritage comme seule source possible de cr?ation et recherchait donc certaines formes d'oralit? (performances, happenings, partitions verbales, usage live de P?lectroacoustique et mixed-media), fortes d'une d?finition ethnologique, statique, du traditionnel, les revendications identitaires d'apr?s 1968 n'ont cess? de pratiquer g?n?alogie et anamn?se pour raviver leur ?h?ritage sans testament?,

8 Boulez avait initialement song? donner comme

titre ? son Premier cahier de structures pour deux

pianos (1952), uvre embl?matique de la musique s?rielle int?grale, celui d'un tableau de Paul Klee,

Monument ? la limite du pays fertile. ? L'id?e fon

damentale de mon projet ?tait la suivante: ?li miner de mon vocabulaire, absolument, toute trace

d'h?ritage, que ce soit dans les figures, les phrases, les d?veloppements, la forme, reconqu?rir, peu

? peu, ?l?ment par ?l?ment, les divers stades de

l'?criture, de mani?re ? en faire une synth?se abso

lument nouvelle, qui ne soit pas vici?e, au d?part, par des corps allog?nes, telle en particulier, la r?mi

niscence stylistique? (Bosseur & Salini 1993: 17).

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Dossier/Salini 57

selon l'image de Ren? Char. Preuve de l'anciennet? et donc de l'identit? de sa

culture, la pratique orale se donnait comme une juste revanche sur l'histoire, en

particulier celle des cultures dominantes, et les g?n?rations des ann?es 1970 ont d?sesp?r?ment tent? d'authentifier leur identit? traditionnelle, l'inscrivant ? la fois dans un territoire, l'?le, et dans un temps par un v?ritable processus d'anam

n?se. Allaient de pair, nationalisme et tradition. Les deux termes ?taient quasi ment synonymes et conjointement combattus. La confusion entre le politique et

le culturel sur l'unique plan id?ologique, ne pouvait qu'entretenir une autre confu

sion ? propos de la conception d'une identit?.

... aux habitus culturels...

Les revendications identitaires de l'?poque sont profond?ment marqu?es par la m?moire, historique plus que kin?sique, d'ailleurs. On peut en voir les effets dans la polyphonie corse brandie comme embl?me politique de la corsit?. Ainsi, ce sont les figures de personnages historiques qui seront sans cesse convoqu?es pour l?gitimer la revendication, puisque revendiquer une identit? c'est revendiquer sa ?v?ritable? histoire, ses traces, ses souvenirs occult?s par l'histoire de la domina

tion. C'est toujours au nom de l'histoire, ou plut?t de certains ?pisodes historiques, que l'on construit son pr?sent. Ce fut le cas en Corse: la construction identitaire

s'est faite entre une histoire ancienne mais m?connue et un pr?sent qui puise dans ce pass? plus ou moins lointain les ?l?ments de la fabrique d'identit?: entre anamn?se et anachronisme. Un h?ritage entre une authenticit? improbable mais

affirm?e, tri s?lectif dans l'histoire, et une extraordinaire richesse kin?sique. Mais, de m?me que la musique contemporaine a ?t? rattrap?e par sa

m?moire culturelle, entre habitus et st?r?otype, les musiques traditionnelles,

pourtant exemplaires d'une m?moire kin?sique, t?moins que le pass? n'est pas derri?re nous mais sous nos pieds, sont rapidement victimes du complexe du

colonis? au regard des cultures dites dominantes, en r?alit? sujettes ? la mode

m?diatique. De plus, peu pr?occup?es jusqu'alors de leur propre origine histo

rique, la rejetant dans une sorte de temps anhistorique appel? tradition, elles sont de plus en plus confront?es ? d'autres histoires et red?couvrent ce qu'elles avaient oubli?: l'histoire culturelle a toujours ?t? une histoire de flux, de circula tion, de rencontres et d'embo?tements.

Or, si l'histoire musicale s'est constitu?e au fur et ? mesure, c'est bien

parce qu'elle est, d'abord et avant tout, pourrait-on dire, une composition anthro

pologique. Diachronie et synchronie ne peuvent ?tre ? ce propos s?par?es. C'est sans doute aussi ce qui fait la grande diff?rence entre le m?tissage r?v? mais

provoqu?, par exemple lors de festivals, et celui qui s'est ?labor?, au fil du temps et en grande partie d'ailleurs subrepticement, par interactions. Et aujourd'hui, la

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58 Cahiers d'ethnomusicologie 22/2008

m?moire identitaire, de plus en plus troubl?e, croise de plus en plus de m?moires de la diversit?, non moins troubl?es. Un des probl?mes majeurs de notre temps est peut-?tre de croire que l'on peut rester ? l'?cart, ? l'abri de ce grand mouve

ment unificateur de banalisation. D'aucuns pensent m?me pouvoir se lover dans

la niche r?gionale, comme dans un abri ou tout autre lieu coup? du monde.

Ainsi, l'interrogation contemporaine sur le devenir des patrimoines cultu

rels ravive un questionnement que l'on croyait obsol?te, voire r?gl?, celui de l'au

thenticit? suppos?e des traditions. Les revendications identitaires des ann?es 1970 ont, de par leur force d'exaltation et d'adh?sion id?ologiques, d?plac? le

probl?me de fond, ? savoir ce qu'est une tradition. L'absence de r?flexion ? ce

niveau de la revendication, a ?videmment conduit ? la situation particuli?rement confuse d'aujourd'hui. En Corse, la surench?re identitaire, v?ritable injonction de

la part de l'ext?rieur mais qui finit par convaincre l'indig?ne, fr?le d?sormais la

schizophr?nie culturelle. Les territoires dits ?? forte identit?? subissent tous avec douleur une telle situation tant il est vrai que les traditions les plus touch?es sont celles qui ont cru ? la diversit? culturelle et donc ? leur propre exception cultu relle. Quiconque r?alise que ce que l'on croyait ?tre une identit? quasi g?n?tique r?sultant d'un processus de m?tissage, sorte de collage/mixage, pour reprendre une formulation d'usage dans l'esth?tique musicale d'apr?s-guerre, est conduit ?

adh?rer inconsciemment ? une nouvelle assignation identitaire.

... et aux fabriques d'identit?

Cette s?rie de rendez-vous manqu?s et d'ambigu?t?s s?mantiques ne pouvait que g?n?rer une fabrique d'identit?s, conduire les acteurs culturels ? une surench?re

identitaire, de plus en plus assign?e par les m?dias car la m?moire identitaire doit d?sormais s'imposer sur le march? de la diversit? des m?moires et des m?moires

de la diversit?. Victimes d'une d?finition obsessionnelle du traditionnel et rest?es ? l'?cart des recherches compositionnelles, les musiques de tradition orale ne

peuvent ?tre aujourd'hui qu'objets de toutes les attentions des institutionnels.

Mais sont-elles n?cessairement conscientes des risques encourus, de la fossili

sation, la folklorisation et surtout la banalisation, ? la disparition pure et simple? D?s lors, les groupes culturels pourraient bien endosser d?finitivement le statut d'intermittent du spectacle.

La pens?e ?clat?e du musical a eu un impact sans doute plus profond sur

les cultures de tradition orale que sur les autres. Une attention accrue au pro cessus de Poralit? a enrichi, du moins symboliquement, la cr?ation contemporaine. La derni?re oeuvre commune de Michel Butor et Henri Pousseur, Voix et vues

plan?taires (2004), musique ethno-?lectroacoustique, r?active, d'une certaine

mani?re, les m?taphores de couleurs g?ographiques et de couleurs historiques

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Dossier/Salini 59

que Michel Butor avan?ait dans ?La musique, art r?aliste? (Butor 1964: 27-41). Le travail des compositeurs nationaux sur leurs patrimoines populaires a pu d?montrer ?ainsi ? l'Occident que son syst?me musical classique devait ?tre

consid?r? comme un simple cas particulier, parmi d'autres organisations suscep tibles d'?tre utilis?es aux m?mes fins?, et les couleurs historiques, autrement dit

?ce choc en retour de l'utilisation des couleurs g?ographiques?, ont pu r?v?ler

que la musique occidentale classique ?tait un domaine musical parmi d'autres.

Paul Collaer (1960: 52) ne voulait pas signifier autre chose en affirmant: ?Nous ne pouvons plus, aujourd'hui, continuer ? ?luder le probl?me de la naissance de la polyphonie en Europe. Nous ne pouvons pas continuer ? fermer nos oreilles ? ce qui est, ? ce qui existe r?ellement sous le pr?texte que la discipline historique, bas?e sur des documents ?crits, n'a pas prise sur cette mati?re.?

Voies et vues plan?taires ajoute une r?flexion ?thique, d?ontologique, ?

propos de la spiritualit? des musiques du monde qu'il convient de respecter sans

pour autant la mythifier. Les couleurs crois?es, historiques et g?ographiques, construisent comme un ?cheveau ? partir d'un imbroglio d'id?es, de formules, de

r?f?rences multiples que l'acte cr?ateur n'a plus qu'? d?nouer. Tout ceci montre

bien ? quel point la fa?on binaire de raisonner a simplifi? la question de la cr?a tion en confinant les musiques populaires dans un ghetto.

Or, le futur des traditions est une question profond?ment anthropologique. L'histoire des musiques traditionnelles continue ? se faire ind?pendamment de l'histoire savante et les pratiques traditionnelles d'aujourd'hui int?ressent de

moins en moins l'anthropologue du musical. En effet, sauf ? y voir de nouvelles

formes de ritualisation de la vie publique, les prestations identitaires tendent vers la constitution d'un monde ?homoculturel?. La disparition des fronti?res tant sou

hait?e au nom d'une meilleure gouvernance du monde et finalement obtenue, du

moins de mani?re virtuelle, par le d?veloppement des technologies de l'informa

tion et de la communication, conforte paradoxalement la conception de la culture

comme ressource fossile, ?nergie non renouvelable qui a entra?n? toutes sortes

de pathologies de la m?moire et donc de l'identit?. Alors, comment renouer avec ses m?moires, en somme comment retrouver

l'organisation anthropologique qui sous-tend toute culture, si l'on ne croise pas les

sciences entre elles mais aussi elles-m?mes avec leurs objets r?ciproques ? Les

cultures ? forte identit? n'ont plus d'autre choix que de faire taire leur m?moire et

r?pondre ? l'injonction identitaire si n'est pas r?tabli ce lien qui fait de la culture une ?vision du monde et de la soci?t? partag?e par ceux qui y adh?rent? (Aubert 2004: 113-123). Penser par dichotomies a d?finitivement montr? ses limites: il est tout aussi impossible d'?chapper ? l'histoire qu'? la m?moire. Qu'elle soit mise en veille par la revendication amn?sique ou qu'elle soit interpell?e par anamn?se, dans les deux cas la m?moire ne permet pas de fuir l'histoire. Et si revenir ? l'histoire et ?

l'anamn?se aide ? r?aliser que toute culture est d?j? un r?sultat, alors peut-?tre sera

t-il possible d'aborder avec s?r?nit? le contemporain en tant que work in progress.

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60 Cahiers d'ethnomusicologie 22/2008

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Dossier/Salini 61

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la m?moire et de l'oralit?. L'ignorance r?ciproque a engendr? malentendus et

incompr?hension, hypoth?quant le devenir des traditions orales. La musique corse pourra servir d'exemple parmi d'autres. Cette s?rie de rendez-vous man

qu?s et d'ambigu?t?s s?mantiques ne pouvait que g?n?rer une fabrique d'iden

tit?s, conduire les acteurs culturels ? une surench?re identitaire, de plus en plus

assign?e par les m?dias, car la m?moire identitaire doit d?sormais s'imposer sur

le march? de la diversit? des m?moires. Victimes de la d?finition d'un traditionnel

obsessionnel et rest?es ? l'?cart des recherches compositionnelles, les musiques de tradition orale risquent de se banaliser progressivement et les groupes cultu

rels pourraient bien endosser d?finitivement le statut d'intermittent du spectacle.

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