11
Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected] Article « D’événements en avènements : la mémoire visionnaire dans Terra Nostra » Julie Hyland Protée, vol. 32, n° 1, 2004, p. 49-58. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/011025ar DOI: 10.7202/011025ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 6 May 2015 07:36

Mémoire Visionnaire Dans Terra Nostra

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Julie Hyland

Citation preview

  • rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l'Universit de Montral, l'Universit Laval et l'Universit du Qubec

    Montral. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. rudit offre des services d'dition numrique de documents

    scientifiques depuis 1998.

    Pour communiquer avec les responsables d'rudit : [email protected]

    Article

    Dvnements en avnements: la mmoire visionnaire dans Terra Nostra Julie HylandProte, vol. 32, n 1, 2004, p. 49-58.

    Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :

    URI: http://id.erudit.org/iderudit/011025ar

    DOI: 10.7202/011025ar

    Note : les rgles d'criture des rfrences bibliographiques peuvent varier selon les diffrents domaines du savoir.

    Ce document est protg par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'rudit (y compris la reproduction) est assujettie sa politique

    d'utilisation que vous pouvez consulter l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html

    Document tlcharg le 6 May 2015 07:36

  • PROTE volume 32 numro 149

    DVNEMENTS EN AVNEMENTS:LA MMOIRE VISIONNAIRE DANS TERRA NOSTRA

    JULIE HYLAND

    Au cur de Terra Nostra, de lcrivain mexicain Carlos Fuentes, sige lesouvenir confus, mais tenace, dune ant-Amrique. Toujours nich en amontdoublis, ce souvenir sintroduit dans les chambres ombreuses du rve de manire y survivre. Ayant fait du rve son support dinterprtation et de remmorationdu pass espagnol, Fuentes en est venu constituer une tentative singulire dereprsentation des vnements de la Conquista. Lintgration du rve dans latessiture du texte a permis la conception dune mmoire multidirectionnelle quicherche le souffle dun avenir dans le pass, de mme que les fruits de germeslointains dans le dploiement de lactualit. Terra Nostra a fait du temps une peaude taureau tendue entre les deux aspirations indissociables du ressouvenir et deladvenir.

    De fait, ce quexprimentent les diffrents personnages du roman, ce sont leshorizons du pass et du futur rendus indiffrencis par une mmoire visionnairedu rve. La construction temporelle du roman est ainsi fonde sur des momentsdhypothses et de dsirs, selon lesquels pass et prsent se dclinent constammenten un futur, en une recherche dadvenir. De ce point de vue, Terra Nostra accomplitune comprhension imaginaire et affective de lvnement; fil par les survivancesdun prsent psychique, son essor hermneutique stoile en dsirs, souvenirs etimaginations.

    Peuples ! coutez le pote!coutez le rveur sacr!Dans votre nuit, sans lui complte,Lui seul a le front clair.Des temps futurs perant les ombres,Lui seul distingue en leurs flancs sombresLe germe qui nest pas clos. []Toute ide, humaine ou divine,Qui prend le pass pour racine,A pour feuillage lavenir.

    V. Hugo, Les Rayons et les Ombres, p.6.

  • volume 32 numro 1 PROTE 50

    SPECTRES DE TEMPSLunivers romanesque, fond sur une orchestration

    et une exprimentation du temps fort hybride, permetde rinvestir lhistoire de visions que des sujets ont euesdu futur dans le pass: non pas exclusivement de ce quiest advenu, mais aussi de ce qui aurait pu advenir. Lepersonnage de Domine Valerio, le matre du thtre dela mmoire, rsume lentreprise du roman par lidedune mmoire simultane: regarde, regarde dans lestrames combines de mon thtre le passage de la plusabsolue des mmoires : la mmoire de ce qui aurait putre et qui ne fut point (t.II : 121) 1. Le thtre deValerio prserve la tonalit de ce que fut hier. ladiffrence de lhistorien, il tient concevoir unemmoire qui, au lieu dtre au service de lvnement,aspire rendre compte de lavnement. Sa mmoireinvente est de nature avnementielle, dans lamesure mme o son activit de reprsentation puisede part et dautre dans lant-vnementiel et le post-vnementiel ; aussi bien dire dans le dsir. Tout estentrevu par les trous de loubli, par les orifices dutemps, dans les obscurs instants de vide durant lesquelsle pass tenta dimaginer le futur (t. II : 174). Cettemmoire imagine par le maestro vnitien sintresse la dclivit du fait, cest--dire lubac et ladret de laraison pour laquelle, par exemple, Cicron garda lesilence tandis quil coutait les sottises de Catalina(t.II : 121). Valerio observe et analyse les vnements dupass sous plusieurs angles, sachant fort bien que toutecriture, dcision et situation reposent sur un interminable choix entre ceci, ceci et cela (t.II : 121)et que, ce faisant, la dtermination historique dpendintimement de ce dont elle se dissocie. Julian, lepeintre du roi, affirme galement le caractre virtuel detoute ralit. Selon lui, luvre picturale, limage dumonde, ne se dfinit pas seulement par sa descriptionobjective; elle est aussi compose de tous les possiblesquelle renferme. Du coup, le rle des artistes, quilsagisse de celui du peintre, de lcrivain ou du crateurdu thtre de la mmoire, est entirement relatif unecapacit imaginative. La rserve dimages dans limageet de souvenirs dans la mmoire dpend troitement delimagination qui linsuffle. Ainsi le peintre tient ainsi

    ces propos au Sire: Moi je ne vois que ce qui donnevie lesprit intangible ainsi qu la matire inerte :limagination (t. II : 201). De concours avec lanalyse,limagination recre des liens en tenant compte de cequi aurait pu tre:

    Moi Julian, moine et peintre, je te dis que de mme que lesparoles contradictoires du Seigneur et de Ludovico se confondent

    pour faire natre un nouveau discours n de la rencontre de deuxcontraires, de mme se combinent ombre et lumire, forme et

    volume, couleur plane et profondeur de la perspective sur unetoile, ainsi devraient se combiner dans ton livre le rel et le virtuel,ce qui fut et ce qui aurait pu tre, ce qui est avec ce qui pourrait

    tre. Pourquoi nous conterais-tu seulement ce que nous savonsdj au lieu de nous dvoiler ce que nous ignorons? (t. II : 269)

    Linventeur rappelle Ludovico lincidence que peutavoir un infime dtail sur un vnement qui esttoujours passible de prendre une allure tout faitdiffrente. Lhistoire est contingente et elle se rpte,nous apprend-il encore, seulement parce que nousignorons lautre ralit possible de chaque faithistorique (t. II : 123). Il existerait ainsi, paralllement des sries relles de faits, des sries idalespermettant au pass dtre ce quil est par distinctionde ce quil aurait pu tre. En fait, et cest sur ce pointque nous pouvons faire le lien avec la question dutemps dans le roman, linvention de Domine Valerioest formellement visionnaire, car elle propose ce quiaurait pu tre et qui na pas eu lieu de manireeffective, comme un modle de ce qui est susceptibledadvenir. Comprendre et mettre en lumire les rejetsde lhistoire, cest consquemment aller dans le sensde son avnement. Cest pourquoi, dans luvre deFuentes, lavenir se dduit du pass et que, duneautre manire, le rve induit la mmoire:

    Les images de mon thtre intgrent toutes les possibilits du

    futur, car en sachant ce qui ne fut pas, nous saurons ce qui brledtre: ce qui a t tu las vu est un fait latent qui attend le

    moment dtre, sa seconde chance. (Ibid.)

    Or, la considrer sous langle dune latence,lhistoire fuentsienne, pour reprendre les mots dugrand Monarque, trace tout un futur de

  • PROTE volume 32 numro 151

    rsurrections (t. II : 174). Car cest ce qui a t cach,rejet ou encore tu qui refait surface dans le roman: les gestes non accomplis, les paroles imprononces,les choix sacrifis, les dcisions toujours reportes(t. II : 121). Passionne danecdotes sises hors delhistoire (dabsences), la mmoire fuentsienne mne deux constats. Le premier est que ne cesse jamaisdirectement dexister ce qui a t oubli et, lautre,quil y a de linconscient dans lhistoire, cest--direque la connaissance du pass, toujours incompltedans ses sources, objets et comprhension, esttoujours insuffisante et oublieuse lgard de cequelle reprsente. Le discours historique, ou de toutautre nature quil soit, est toujours au bord dautrechose: il se ferme et se coupe dlments de manire ce que sa situation puisse se laisser reprsenter commelenvers et lendroit dune bande de Mbius. Pourchaque cho, le roman dvoile ainsi une mmoirecrite et institue lenvers de laquelle sen trouve uneseconde de nature hiroglyphique, cest--dire encoreindchiffrable.

    OCCUPATION TEMPORELLE: LINDCHIFFRABLELe prsent de la narration qui se situe

    vraisemblablement dans lpilogue vibrant duvingtime sicle parisien prsente deuxprotagonistes, Clestine et Pollo, dont chacun despropos est marqu par le stigmate dune violencepasse. La situation initiale du livre, Chair, sphres,regard gris au bord de la Seine, est dvaste par unmal dont la cause est indiscernable. Les femmesaccouchent par milliers sur les rives du fleuve, les genssentretuent inopinment sur les grandes avenues, etla ville lumire est intoxique par un miasmeintolrable, comme si lenfer avait dcharg toute lacongestion de ses poumons (t. I : 19) ; mais personneau sein de cette tragdie ne semble comprendre laraison du bouleversement. Est-ce, comme sinterrogePollo, cause, effet, problme ou solution (t. I : 29)?Bien que dinnombrables groupes avancent dans lesrues encombres de Paris en scandant cette ritournelleobsdante : Le lieu cest ici/ Le temps maintenant/Maintenant et ici/ Ici et maintenant (ibid.), tout

    porte nanmoins croire que le tmoignage dinstantsantrieurs persvre et subsiste en ce moment decatastrophe; sy jouent l les effets dune dureexprime par le dtour de survivances et desurvenances. la premire ritournelle, qui valoriseseulement le lieu et le temps de lnonciation,conviendrait davantage une autre rengaine. Cettedernire accorderait un lieu qui, mme ici, nen seraitpas moins habit par un temps pass:

    Les envahisseurs ne sont pas venus dun autre lieu mais dunautre temps, se dit finalement Pollo. Lantimatire qui a rempliles vides de ton prsent a t engendre et stocke dans le pass.

    (t. II : 453)

    Le roman apparat ainsi comme une survivance dupass hispanique. Il est la fois processus et effets :manifestation de traces et dun travail du temps.

    Limportance accorde au futur dans le roman estproportionnelle linsignifiance attribue diverspans du pass. Lintroduction dramatique etplthorique insiste, non seulement sur ce qui a tperdu, mais sur le fait que plusieurs lments etpersonnes ont disparu dans les dserts sans crituresde loubli. Ainsi, le premier chapitre revient commeun mal nglig sur certains vnements du pass. Lefil semble rompu par la violence dun aboutissement,car il y a une difficult savoir quelle fin exactementrpond cet vnement. linstar des personnages quiaccomplissent cet pisode, le lecteur peut sedemander : mais que sest-il pass pour en arriver a ?. La vision angoisse du futur qui prfigure uneapocalypse construit une vritable intrigue, car elledemande pourquoi cette reprsentation traumatisequi poursuit une limite. Elle pose, en effet, toute laquestion du pass.

    Le rapport du futur au pass, dans le monderomanesque de Fuentes, est mdiatis et structur parune mmoire de la Conquista qui agit comme creux etcrte. Le blocage des forces du pass, leurimmaturation est, en ce sens, responsable de larptition anachronique et verbeuse du pass2 quisvit dans la ville parisienne. Le dlai, voire lobstaclerencontr dans laccomplissement des dsirs,

  • volume 32 numro 1 PROTE 52

    occasionne un rcit anachronique, sorte de spectre quirapparat toujours sous la forme dune lacune etdune dette appeles tre exauces et acquittes dansun futur qui soffre comme un horizon de potentialitslatentes : Ce transfert de pass [est] celui de la moinsralise, la plus avorte, la plus latente et dsirante detoutes les histoires : celle de lEspagne et de lAmriqueespagnole (t. II: 453). Cette disposition anachroniqueimplique de reconnatre, dans la dynamiquetemporelle du roman, un principe danimationpensable et traduisible en termes psychiques, entermes de refoulement et dinconscient. Car en raisondoffenses passes, il y a quelque chose qui ne peut tretu, et qui de ce fait signe un parcours rcursif ettenace. Sans convocation ni raison, le monde ruinpar la colonisation espagnole revient sous la formerptitive dun une fois encore dans le Paris du XXe

    sicle. Le roman et tous les personnages quil impliquevivent alors au gr de battements rythmiques qui fontsans cesse appel la mmoire dune autre poque. Dece point de vue, partir du deuxime chapitre,lEspagne du sicle dor soffre comme une explicationet une consquence du dsastre contemporain de lanarration qui renvoie limage, au rappel dunpremier dsastre gnocidaire: lespace lointain etoubli de lAmrique. La survivance3, en tant querappel du pass, dtermine la nature trange des liensqui se nouent entre les poques et les espaces. Aussi leroman prsente-t-il la ville de Paris comme homologuede lEspagne de Philippe II, ou du moins comme satranslation: sy rverbrent effectivement de nombreuxvnements du sicle dor espagnol. Les Parisienssubissent de faon effraye et stupfaite le retour dunpass tranger leur histoire. Cette situation suggreune sorte de mise lpreuve des Parisiens qui setrouvent contraris dans leur intimit par un mal quine les concerne pas, qui leur vient du dehors. Ils sontvictimes dun dcalage et se trouvent manipuls par untemps en rupture vidente avec le leur. Cetteinterversion du temps dans lespace parisien se litcomme une forme de terrorisme temporel, o le passespagnol vient prcisment occuper, accaparer etterrifier le prsent parisien:

    [...] nous navons pas t envahis par les Martiens ou lesVnusiens, mais par les momies et les hrtiques du XVe sicle,

    les conqurants et les peintres du XVIe sicle, [] : nous avons toccups par le pass. (t.II : 453)

    PASS PAR LE RVELes transferts spatio-temporels seffectuent par le

    biais du rve. En effet, Terra Nostra assigne au rveurune fonction de passeur : il est un transmetteurdimages et de mmoires. Il est ltre du passage entredivers lieux, temps et tats. Il sert rsolument de lien.Le rveur fuentsien fonctionne rebrousse-poil, parmicro-lectures; tel est le sens de son activit, de safiguration: partir dun lment contemporain pourlapprofondir et linvestir dans le dessein de rejoindreun originaire. Ainsi, mme si laction de Terra Nostradbute dans un Paris du XXe sicle rempli de diverssymptmes et trous de mmoire, elle tend nanmoins rejoindre progressivement la cause de tant deractions; elle renvoie lEspagne de la conqute, cevers quoi elle fait signe. La mmoire, qui structure etralise lensemble des rapports narratifs dans leroman, est inspire gnralement par une dmarcheanalytique constitue de liens valeur rtrospective.Cest pourquoi, la suite de lintroduction qui sedroule au XXe sicle Paris, le roman poursuit sonaction en faisant refouler un personnage sur les terresespagnoles, au XVIe sicle. On pourrait dire, dans unecertaine mesure, que le rcit rsulte duneinterprtation des diffrentes empreintes laisses dansun Paris assailli par une nigme qui le laisse lagonie.Comme si linsoutenable mme de la situationparisienne inspirait ou marquait ce point lespersonnages de Pollo et de Clestine que ceux-cidevaient se prter un processus profonddinterrogation et danalyse. Consquemment, la suitedu premier chapitre se pose comme une plonge dansdes eaux qui, loin de faire apparatre une issue,creusent des entres dans des antriorits, dans deshistoires passes. En ce sens, la mmoire fuentsienneapparat comme une opration smantique ;rpondant aux conditions de la rgression et dudoute, elle disperse et fait voler en clats des blocs

  • PROTE volume 32 numro 153

    dhistoire afin den produire dautres. Elle restetoujours, en dfinitive, une mise en relation avec lepass qui fait refluer non seulement des faits, maissurtout des affects, et cest pourquoi elle se laissedavantage penser comme le sige dinvestissementsmotifs qui assure la prennit des traces mnsiques.

    LA CRYPTE DU RVEJe me souvins alors de mon rve celui o je creusais un

    puits pareil celui-ci et tombais dedansCarlos Fuentes, Terra Nostra, t.I: 640.

    Dans Terra Nostra, le rveur mdiatise laccs unemmoire lointaine et dissimule, il en rglelvocation de faon vidente et particulire. Lenarrateur dit ainsi que le Seigneur retrouve dans sonsommeil le souvenir (t. I : 76) et Clestine poursuit unpeu plus loin dans le roman en tenant ces proposrvlateurs : En te rvant je te faisais surgir de mammoire (t. I : 261). Pour Clestine, il ny a pas defrontire entre rve et mmoire : Mre du fils ducharpentier, je me souviens de tout comme dun rve(t. I : 311). Le rve, en effet, loriente vers la mmoire,lamne se souvenir dimages et dimpressionsmuettes dans la vie vigile. Sa mmoire en dpend, carle fait de rver lui esquisse une exprience de larminiscence du monde fort distante descommmorations mises en place par une intellectiondu temps.

    La situation singulire du roman, par laquelle lerve restitue plusieurs vnements du pass la surfacedu texte, prsente lexprience onirique comme lundes derniers supports mnsiques permettant defouiller les dpts et les alluvions laisss par lhistoire.Chaque fait est ainsi rappel lordre du discours dansun dsordre activ par la dynamique onirique. Toutrevient, et mme plus encore que ce qui pouvait selaisser entendre, mais tamis par le point de vuercratif du rve. Les sdiments mnsiques, rejets desvolcans de loubli et dune forme de nomination,refluent alors dans une disposition surprenante. Lerveur fuentsien interroge et dnoue les liens entre lesvnements et, ce faisant, il peut apparatre dlirant,

    justement parce quau lieu de prsenter uneorganisation logique, cest--dire normalise, ilsattache crer de nouvelles liaisons. Il prsente leflux de ses expriences tel quil le ressent, cest--diredune faon beaucoup plus pulsionnelle et imaginativeque rationnelle. Il ne sattarde pas une thique quichercherait lordre et la vrit de lnonc. Sonexprience nest ainsi ni restrictive ni rflexive, maisplutt intensive, spontane et spculative. De fait,lensemble des signes arrangs en lgende par lediscours traitant de lEspagne coloniale reste, dans leroman, continuellement susceptible dune autreanalyse, dune autre histoire. Clestine utilise dailleurslanalyse comme un moyen dapprochersingulirement la faon dont sorganisent et soriententles vnements :

    Elle qui au milieu des vnements tient maintenir la distancede la narration, assumant la ncessit danalyser, plus que lesfaits eux-mmes, la manire dont les faits sextriorisent etsont lis entre eux (t. II: 364)

    Elle cherche, derrire ce qui est dclar et extrioris,les penses et les contenus latents. partirdexpriences oniriques relatives des vnementsstant produits essentiellement au cours des XVe etXVIe sicles, Clestine tente danalyser les rves des troisbtards, dont Pollo, puisquils sont en lien direct aveclhistoire quelle tente de comprendre; ils la mettent surune scne diffrente qui est mme den illustrer etden clairer de nouvelles dimensions. Lanalyse ducontenu manifeste des songes lui permet de remonter des sources plus profondes et caches de lhistoire quise trouvent dans lesprit du dormeur. Si lanalyseconduite par les personnages peut parfois prtendre un dlire, de nombreuses situations dmontrenttoutefois quelle correspond davantage une enquteminutieuse sur le pass, soutenue par des lments defragmentation, dintrospection et dinflation verbalequi cherchent fouiller et dterrer des vocables cachs.

    LECTURE DES PALIMPSESTESCest un point doriginalit du roman que davoir

    su intgrer la mmoire de la dcouverte des Amriques

  • volume 32 numro 1 PROTE 54

    en exposant le pass non plus une synthse ou unereconstitution, mais des entreprises dedynamitages et de fouilles mnsiques. La survivanceet larchologie psychique que le pass engagecomposent ainsi une nouvelle conception de lammoire cave par une persistance des traces. Leroman propose lide que quelque chose se tapitinfiniment sous ce qui est apparent et rvl. De fait,la difficult retrouver lobjet manquant (marquant),de lavoir sur le bout de la langue comme dautres lontsous les pieds, est sans cesse prouve par lespersonnages. Et la diffrence de lhistoire qui estdiscours et connaissance, la mmoire, telle quelle esttraite par Fuentes, se drobe toujours une prisetotalitaire, une totale comprhension. Elle est unrappel de la dfaillance du savoir pour des personnagesqui, loin de matriser lhritage duquel ils adviennent,sy trouvent assujettis. Ne sengageant pas sciemmentdans une recherche du pass, cest donc le pass quivient les retrouver depuis leur rve rcurrent. Demanire impromptue, car inspire de la faon dont lesprgrins se dplacent dans le monde abym du roman,les souvenirs savancent du fond de la mmoire ainsique des ondins pris par la fantaisie de venir faire untour tantt chez lun, tantt chez lautre. Lespersonnages eux-mmes ne savent pas exactement doils viennent, de quel temps, de quel fleuve ou de quelmarais, de quel recoin de la mmoire ils mergent etrefluent. Ils sont simplement remonts du fond de lavase, du fond dune mmoire oublieuse. Leur mmoireest essentiellement affective. Elle est touche par despans douloureux du pass qui, comme dans le casexemplaire de la petite Clestine, nest pas le leur: Leslvres peintes, en revanche, lui apparaissaient commeune plaie, comme si en elles staient retrouvs letemps de nouveau impitoyable, la douleur etlhumiliation (t. I : 421). Le pass leur est imput,transmis comme une charge. Cest ce qui amneraClestine, dans le texte original, sexprimer sous lemode discursif de lindirect libre. Elle parle,maintenant adolescente, la vieille Clestine qui, sans aucune mmoire, avait transmis toute sonexprience et son savoir lautre (t. II: 170), elle.

    Je me souviens de tout. Jai vcu en pensant toi, mre. Tu maslaiss ta mmoire en mme temps que tes baisers et tes caresses.

    Jai grandi avec deux mmoires dans un seul corps. Et celle quetu mas laisse tait plus profonde que la mienne propre, car

    avec celle-l jai d vivre en silence pendant vingt ans, mre, sanspouvoir parler avec quiconque de ce que je me remmorais.

    (t. II : 165)

    Aussi les propos de la petite Clestine, au sujet decette mmoire vcue en silence qui la en quelquesorte temporise, creuse, aident-ils concevoir, voire dchiffrer, les signes qui marquent ses lvres et qui ladistinguent singulirement des autres personnages duroman. Par elle, la situation mnsique se prcise, car,dans Terra Nostra, la bouche est la mmoire (t. II :93), elle est ce qui pourrit sur les lvres et rsiste leffacement par des moyens crypts. La mmoireespre son temps (tu sauras et tu diras ce que jai suet dit, je saurai et dirai, temps, comme il me la dit,fais-le temps [t. II : 90]), de mme quelle attend sonprotagoniste et son rveur-interprte. La jeune filleattendait Pollo sur le pont, elle attendait que les troisfrres ( ils se rvent tous les trois en mme temps tedis-je, un rve circulaire, infini [t. II : 158]) rventdelle, de son histoire. Ainsi, lorsque sa mresymbolique, qui aura t impuissante agir sur ledroulement des vnements, trahie par lhistoire, luilgue ses lvres blesses, elle lui rvle galementceci: je te transmets ma voix, je te transmets mabouche, je te transmets mes blessures, ma mmoire estsur tes lvres (t. II : 89). Ce qui est transmis la petiteClestine est une blessure, une souffrance encore vivequi na pas trouv le moyen de cautriser ; elle restecomme une plaie sur les lvres. Cette transmissionapprofondit et mine compltement le personnagepuisquelle traduit la situation dune vieille dame aupass douloureux, dont le tmoignage saccompagneaussi dune clipse mnsique. La dame a effectivementatteint une telle lourdeur et profondeur de vcu et desouvenirs que nous pourrions dire, la suite dudocumentaire Sans soleil de Chris Marker, quunemmoire totale est aussi une mmoire anesthsie.Clestine transmet ses souvenirs la petite en se

  • PROTE volume 32 numro 155

    vidant littralement de sa mmoire, en la donnantcompltement lautre qui sen trouve assaillie et parl mme charge. Ce transfert mnsique renvoiegalement la logique du temps pass uvrant sur leterritoire parisien aborde sous la figure dunterrorisme temporel. Lamplitude du temps occupelespace du texte en allant jusqu dsinvestir celui-cide toute spcificit territoriale ou physique. Lhistoireraconte dans Terra Nostra ne senracine pas dans unegographie, elle en tire tout au plus un motif exploit des fins de transmission, de dure. Que ce soit parClestine junior ou senior, Pollo, Ludovico ou encorePedro, que ceux-ci se trouvent Mexico, au Vietnam,en Italie, Paris ou en Espagne, ce que lensemble deslments potiques exprime est la volont de fairesurvivre le pass. En ce sens, la mmoire apparatcomme une facult de transmission et decommunication entre les temps et les personnages. Lamise en vidence des aspects phnomnologique etempirique de la mmoire offre celle-ci comme unemdiatrice du temps pass et du temps qui passe ; lammoire est du temps pass lautre. Elle est unincontestable don de temps dans le roman. Parmi leslectures que fait Ludovico dans la bibliothque duMaestro Valerio Camillo, il trouve aussi, dans un livrede Platon, les passages dans lesquels Socrate parle dela mmoire comme dun don (t. II : 113). Lammoire, comme lexprime la relation particulire desdeux Clestine dans le roman, est un legs : je te lguemes lvres blesses, en elles ma mmoire [] (t.II :89). Elle permet la survivance de souvenirs, de vies etdhistoires particulires, et ce, en dpit du fait quelleadmette la perte. Car, dans Terra Nostra, rvler lepass gnralement traumatisant quivaut aussi,comme lexprime la situation de la vieille Clestine, le lguer jusqu en perdre la mmoire. Cettetransmission est hmorragique, elle circule certes,mais en vidant tour tour le vaisseau mnsique quilinnervait. Du coup, le traitement de la mmoiredans le roman permet dinduire un processusdynamique de transmission, de transmigration et depropagation. Son mouvement sapparente celuidune preuve de relais qui fait le pont entre ce qui a

    dj t trac, se retrace et doit tre ultimement trac.Relative du pass, la mmoire est surtout ce quipasse travers le temps. Le rveur, quil soit Pollo,Philippe ou Clestine, est le mandataire de cesdplacements temporels qui lamnent se mouvoirde manire diachronique dans le rcit abym delhistoire. Il est un dvaleur de temps et de mondes enpalimpsestes dont il cherche les rhizomes. Rveurtymologique, fureteur dorigines? Quoi quil en soit,lopration archologique sopre son insu. Mmesil peroit une tranget relative son exprience, ilna pourtant pas conscience de rver. Et cest en celaquil se distingue de lhistorien, car il est tout faitinconscient du temps manipul. Sa fonction est quasiarchologique: il passe travers le temps pour y tomberchaque fois un peu plus : si le temps est un chasseur,en cet instant prcis il me pera de sa flche; bless, jetombai (t. I : 747).

    Puisque le souvenir transmis renvoie un pass dedouleur, dassimilation et dindignation, il suscite chezson dpositaire une sensation de chute etdaffalement. Celui qui subit la mmoire de ce tempsen reste bless, stigmatis. Tous les enfants quipeuplent et hantent le roman sont des apatrides et desorphelins dune Muse creve, morte en couches. Avecla colonisation, cest tout un hritage, un temps, qui at suspendu, voire supprim. Quelque chose ensuitesest poursuivi, mais toujours escort par une chargeinsondable doubli et une recherche douloureuse dusens. Or, malgr la tentative de la petite Clestine dese frotter la bouche avec la main, le rseau decicatrices ne seffaait pas (t. II : 85). De mme que lesfrres btards ne peuvent se dfaire des rves quihantent leur sommeil, dont certains sont induits,dautres partags (t. I : 232), Clestine vit avec uneseconde mmoire indlbile en elle. En confiant avoirgrandi avec deux mmoires dans un seul corps (t. II :165), elle pose aussi les jalons dune potique de lammoire qui suppose et supporte une cohabitationdes mondes et des vcus. Mais, encore, pour revenir cet extrait o elle parle sa mre amnsique alorsincapable de la reconnatre, ce qui retient lattentionest que ladjonction dune mmoire layant laisse avec

  • volume 32 numro 1 PROTE 56

    deux bouches (une bouche devait prononcer lesparoles de ce temps; lautre celles dun temps oubli[t. I : 48]) la aussi creuse. Rappelons-nous quelletraduit son impression davoir t abandonne avecune mmoire plus profonde que la sienne propre.Ainsi, la mre Clestine ne lui a pas seulement lguun rseau de cicatrices sur la bouche, elle lui agalement transmis une relation personnelle etsentimentale avec un temps qui la prcde et ladpasse. Reprsente, la mmoire pourrait doncaisment se laisser esquisser par les contours dunfoyer hant. Ds lors, elle ne serait pas le lieu dunpropre, mais constituerait plutt un espace parcouruet franchi par un savoir atavique (t. I : 21) et demultiples transmissions.

    Aussi les lvres cryptes de Clestine, les rves desfrres identifis par une croix de chair et les yeuxcrevs de Ludovico constituent-ils une rserve demmoire et de mots : Le rveur a une autre vie : laveille. Laveugle a dautres yeux: la mmoire (t.II:136). Une trace, un reste du pass rsiste continment leffacement et vient plier la surface homogne desfaits. Cette trace fait signe depuis le pass dont ellenest jamais revenue, marque par un retard et unobstacle. En effet, elle joue sur lamplitude et sur lapossibilit dtre reprsente et prsentifie, cest--diredtre rendue la prsence. Ainsi, mme si, dans le casde Clestine, la mmoire peine sactualiser et severbaliser, elle reste nanmoins l, en pleine surface,sur ses lvres. La mmoire silencieuse marque seslvres et rend visibles les traces du refoulement. Seslvres stigmatises constituent un vritable symptme.Car cest partir de ce qui reste du pass, de ses traces,que les narrateurs tenteront de rappeler et de rver cequi a pu se passer. De ce fait, nous pourrions rsumerle projet et lesthtique du roman par lide detumulte anachronique, mise en place par JacquesRancire dans Les Mots de lhistoire : seul parle celuiqui parlerait. Et non pas, surtout pas, celui qui parlait.Le conditionnel lanti-imparfait de la parole enrserve, de la parole au tombeau (2000 : 119). Tousaussi poreux les uns que les autres, les personnagessont constamment traverss et habits par une parole

    du conditionnel et de lanti-imparfait. Leur espritconstitue une loge pour tous les humilis de lhistoirequi refluent travers eux. Ils sont en quelque sorte lesventriloques dune parole du tombeau et du dsir. Eneux, plusieurs vnements du pass trouvent un espacede rfraction. Ou pour le dire autrement : dans TerraNostra, le mort4 hante le vif et le rend cafouilleux. Carde mme que le dit Barthes propos de Michelet, ilimporte quelquefois de mettre en place un monde dereprsentation au sein duquel les morts puissent seremettre parler (1965 : 92), pour quenfin des motsgards en suspens puissent trouver leur justeexpression.

    plusieurs reprises dans le roman, les personnagesse trouvent affects et traverss par des rminiscencesqui ne se rfrent pas uniquement leur seul champdexpriences :

    Dans la mmoire de ses anctres (je ne retins que ces images;elles sinfiltrrent dans ma mmoire, dj infiltre par les

    souvenirs de mon pre) dfilaient comme des fantmes diurnes lescits pestilentielles, les guerres et les invasions []. (t. I: 209)

    Latavisme comme hypothse de lecture du tempsdans Terra Nostra volue en parallle avec lexergue deCernuda:

    Ardente, dguenille, cest elle, la martre

    Originaire. Dont tant, comme toi, sontDouloureux et par elle dolents.5

    Cette martre originaire, pour reprendre lexpression dupote espagnol, rend les personnages douloureux etdolents. Prgrin confie oublier parce que sesouvenir est douloureux [et il peine ainsi se] donnerla force daccepter la douleur de la mmoire (t. I :737). Symbole de la Mmoire, elle est une mauvaisemre qui transmet la douleur ses fils en les plaantdans une filiation du souvenir du et terrifiant (Jenai jamais trs bien compris; seules me restrent,comme je te le disais, certaines images qui toutes meparlaient de leffondrement dun monde [t. I : 209]). Demme, Ludovico est interpell par la figure deMnmosyne lors de ses lectures dans lantre deValerio:

  • PROTE volume 32 numro 157

    Socrate parle de la mmoire comme dun don: cest la mre desMuses, et dans toute me il y a une part de cire dans laquelle se

    grave lempreinte de nos penses et perceptions. (t. II : 113)

    Il y aurait se demander, la suite de lvnementcolonial, des tromperies fourbes, des guerres et descatastrophes qui sillonnent Terra Nostra, si le romanne prsente pas la mmoire comme une souvenance etune inscription de la marge (Pollo observa avecfascination la calligraphie des lvres qui venaient delui parler [t. I : 48]), de labsence, voire de la fosse.Testament originaire et inscriptible, la mmoirefuentsienne, ficelle prenne, soffrirait alors commeun moyen de communication des diverses rsistanceset dceptions historiques travers le temps.Communaut des morts, des disparus et des trahis,elle apparat, sous ses atours crypts de croix de chairentre les omoplates et de calligraphies sur les lvres,comme une promesse en attente de son expression.Ce nest quen attendant son tour, sonaccomplissement, que la mmoire terra nostriennesurvit comme un stigmate sur les lvres de la jeunefille et trouve se symboliser dans le rve. En esprantle moment opportun, Clestine, Ludovico, Pedro etles trois fils btards (les fils btards de lammoireoriginaire?) rvent. Ils rvent du temps oleur rve sera ralit et leur mmoire, histoire. Et cestparce quelle est rve et quelle attend son rveil, quilest possible de penser que leur mmoire voquait dessouvenirs trs lointains6, comme un rve [...] (t. I :343), souvenirs dun originaire, pourrait dire Jung.

    CONCLUSIONLa mmoire a un statut particulier dans le roman

    de Fuentes. Elle est llment du rel qui composelapport rfrentiel du rve mais qui, par lescontingences et les mcanismes du procs onirique, seretrouve sans cesse dplace vers un possible. Loindavoir tent de retracer le pass petits pas sorte demouvement rcriminatoire et dbiteur lgard dupass davantage dispos voquer ce qui aurait dtre, Fuentes a propos une histoire de ce qui auraitpu tre. La stratgie fuentsienne est investie dunrapport singulier du rve au temps. Elle samuse ainsi,partant du fait que le dsir marque la mmoire et quele rve est un accomplissement de dsir, produireune histoire redevable autant du pass que du futur;lments prgnants de lactualit du sujet.

    Nous avons vu que si le rve engage le sujet versson archive, vers sa tablette de cire, il lui donne aussillan de son illusion : il le met en face de ses dsirs etde ses conflits. Le sens du roman rsiderait donc dansune recherche temporelle irrductible lvnementpass, puisque polarise aussi par tout typedavnement. Le rve permet dvoquer des images, depasser dune image une autre par le biais dunesuture imaginaire. A priori dpourvue de liens, lastructure temporelle du roman les acquiert grce aurve, qui permet de crer une logique en abme entrele monde parisien du XXe sicle et lEspagne mdivaleet, surtout, entre lEspagne coloniale et lAmriquedcime. Ce qui sy discerne est lide matricielle dunfutur capable de retours sur le pass et dun passdeffets sur le futur; lun rvlant lautre dans uninfini ballet. Il y a ainsi une relation rversible entre cequi a t prsent (civilisation colombienne agresse etdcime) et ce qui le sera vraisemblablement. Etpuisque cest sur les orifices du temps, durant lesobscurs instants de vide o le pass tenta dimaginer lefutur (t. I : 481) que slabore le roman, il a tpossible de montrer que le rve pouvait induire lammoire.

  • volume 32 numro 1 PROTE 58

    NOTES1. Je renverrai dornavant louvrage de C. Fuentes en nindiquant

    que le tome, suivi du numro de page.2. J. Rancire, 2000 : 67.3. ce propos, voir J. Altounian, 1990 et 2000.4. Mort est celui dans Terra Nostra qui a disparu, celui dont la trace a

    t efface tel point quil faille aujourdhui recourir limaginationpour lui ouvrir un espace dans le champ de reprsentation du pass.5. Ardiente y andrajosa. Es ella, la madrastra / Original de tantos,

    como t, dolidos/ es ella y por ella dolientes. / Cernuda, Ser deSansuea.6. Dans son essai sur Freud et Nietzsche, P.-L. Assoun note que le

    rve constitue une exprience archaque. Sur les bases de Nietzsche, quiaffirme que dans le rve continue sexercer cette partie antique delhumanit (1980 : 194) et que le rve nous reporte dans de lointainstats de la civilisation humaine et nous met en main un moyen de mieuxles comprendre (ibid.), Assoun conoit le rve comme un moyenrgressif de voyager parmi les sdiments de la mmoire. Le rve, crit-il, est un voyage de retour quotidien aux origines mentales de lespce,par le biais de la mmoire (ibid. : 191). Fondamentalement, la notiondarchaque dans le roman est investie dun mobile dexploration de lammoire. Car il se trouve que cest par le rve que les personnagesremontent aux souvenirs dexpriences la fois antrieures ladcouverte de lAmrique et contemporaines.

    RFRENCES BIBLIOGRAPHIQUESALTOUNIAN, J. [1990] : Ouvrez-moi seulement les chemins dArmnie : ungnocide aux dserts de linconscient, Paris, Les Belles Lettres : [2000] : La Survivance : traduire le trauma collectif, Paris, Gounod.ASSOUN, P.-L. [1980] : Freud et Nietzsche, Paris, P.U.F.BARTHES, R. [1965 : Michelet par lui-mme, Paris, Seuil.FUENTES, C. [1979] : Terra Nostra, tomes I et II, Paris, Gallimard, coll.Folio .MARKER, C. [1982] : Sans soleil (documentaire), Paris, Argos Films.RANCIRE, J. [2000] : Les Mots de lhistoire. Essai de potique du savoir,Paris, Seuil.