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Mémoires de l'ancien Président de la République du Sénégal et ancient S"crétaire Général de la Francophonie Abdou Diouf
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ABDOU DIOUF
MEMOIRES
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AVANT-PROPOS
Dans son autobiographie, Si le grain ne meurt , publie en 1924, Andr Gide crit : Les
mmoires ne sont jamais qu demi sincres, si grand que soit le souci de vrit. . Cest peut-
tre vrai pour un auteur qui rdige son autobiographie mais ce nest pas le cas en ce qui me
concerne car je ne suis anim que du souci dapporter ma part de vrit dans la relation de
faits que jai vcus soit comme tmoin, soit comme acteur de la vie publique du Sngal, que
ce soit aux abords du sommet ou au sommet de lEtat. Cest dautant plus ncessaire que a
et l, au gr des circonstances et du public cibl, on assiste une vritable rinvention de
lhistoire, soit pour se mettre en valeur, soit pour jeter lopprobre sur ceux que lon croit
emmurs dans un silence ternel. Au demeurant, de tels propos fallacieux, sils ntaient
infirms, risqueraient de tenir lieu de vrit. Cest pourquoi, jai dcid de prendre la parole,
en toute srnit, mais au nom de lquit, celle qui a toujours guid mes pas de tout temps
et en toutes circonstances.
Pendant quarante ans, en effet, de 1960 2000, jai t au service de mon pays o jai t tour
tour, haut fonctionnaire, Directeur de cabinet et Secrtaire gnral de la Prsidence de la
Rpublique, Premier ministre et enfin Prsident de la Rpublique..
Du ct du Parti, jai t militant la base de lUPS, responsable dUnion rgionale,
Secrtaire gnral adjoint , Secrtaire gnral, puis Prsident du PS. Cest dire que jai t
ml ds le dbut de notre indpendance lvolution politique, administrative, conomique,
sociale et culturelle du Sngal. Cest dire que jai pratiqu des hommes et des femmes de
toutes les catgories sociales. En somme, pendant quarante ans de vie publique, jai entendu et
jai vu, jai fait et jai dfait, jai aussi subi.
Il ne sagit pas, pour moi, travers ce rcit, de faire une sorte de rapport en conseil
dadministration, ni de tresser des lauriers ou de vouer aux gmonies qui que ce soit. Mon
propos est autre. Il sagit simplement de faire en sorte que pour nous-mme, pour nos
contemporains et pour les gnrations futures, nous nous employions restituer la part de ce
que nous avons vcu, bien souvent de lintrieur et quelquefois, sans dautre tmoin que notre
propre conscience.
Le moment me semble donc venu de partager mon vcu car jai encore ma mmoire intacte,
une mmoire qui est gnralement reconnue comme bonne mais je crains que lge aidant,
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elle ne saffaiblisse et que des faits qui sont encore clairs dans mon esprit, ne se brouillent
avec lusure du temps.
Un tel exercice nest jamais facile. Quarante ans de vie publique ne peuvent tre restitus en
quelques centaines de pages, quelle quen puisse tre la densit. Jai essay, autant que faire
se peut, de me remmorer des faits qui me paraissaient les plus marquants de cette priode.
Jen ai certainement oubli. Quon me le pardonne.
En rappelant les faits, jai t amen citer des noms de personnes, parce que simplement,
elles se trouvaient lies au contexte. Que tous les autres, parents, collaborateurs, amis,
camarades ou adversaires politiques, pairs et autres acteurs qui ne figurent pas dans ce texte,
nen soient nullement troubls. Quils soient convaincus quils bnficient, tous, de mon
affection et de mon estime indfectibles et que je nai oubli personne.
Enfin, je voudrais remercier toutes celles et tous ceux qui mont accompagn dans ce projet
de rtablissement de la vrit. Ils se reconnatront. Je leur renouvelle toute ma bienveillante et
cordiale attention.
Paris, le.
Abdou Diouf
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CHAPITRE 1
DE LOUGA A LENFOM (1935-1960)
Jai vu le jour le samedi 7 septembre 1935, sous le signe de la Vierge, Louga, au quartier
Thiokhna. Cette ville, situe aux portes du Sahel, enclave entre la rgion historique du Djolof
lest, le Walo au nord, le Cayor au sud, tait une zone de contacts entre agriculteurs et
pasteurs, un point de rencontre de groupes ethniques diffrents : Wolofs, Peuls, Maures. Il ny
a rien de surprenant que je sois le fruit dun mtissage. Mon pre, en effet, avait du sang
toucouleur par sa mre et du sang srre du ct paternel, tandis que ma mre tait fille dun
peulh et dune wolof..
Beaucoup dvnements marqurent cette anne 1935.
Au plan international, le Congrs de Nuremberg qui souvre le mois de ma naissance,
annonce le dbut de lexpansion du Reich vers lEst. Le canon italien tonne en Ethiopie, au
moment o lAOF fait le deuil de son ancien Gouverneur gnral Martial Merlin. Le Sngal
rend hommage au premier dput africain lAssemble nationale franaise, Blaise Diagne
dcd en France en 1934.
Heureusement dans cette morosit ambiante, dardent les premiers rayons despoir pour le
Sngal et lAfrique. Trois jeunes Sngalais, en effet, terminent leurs tudes universitaires
en France : Lopold Sdar Senghor est agrg en grammaire et philologie ; Joseph Ka, sort
comme mdecin des Troupes coloniales, et Ousmane Soc Diop, lauteur du premier grand
succs romanesque sngalais, Karim, est diplm de lEcole vtrinaire dAlfort.
Je mimagine ma ville natale durant ces annes o la colonie se relevait des affres de la crise
conomique des annes 30. Louga avec son paysage arbustif, brl une grande partie de
lanne par le souffle chaud de lharmattan. Louga et ses habitations de paille, ses maisons de
commerce comme Maurel et Prom, Devs et Chaumet, Buhan et Teisseire, Vzia. La ville
avait aussi son fort militaire, son huilerie, son bureau de poste, sa gare du chemin de fer
Dakar-Saint-Louis, son cole dagriculture, sa section de la Croix Rouge, dont laction tait
tourne vers la protection de lenfance. Louga, ctait aussi le grand march de btail, appel
Marbath, qui faisait de la ville le centre carrefour du Ndiambour.
Jadis place sous domination tido, Louga devint avec le temps un grand centre islamique. De
grands marabouts mourides vivaient dans le cercle de Louga : Serigne Ibra Faty Thierno
Mback Darou Mousty, Serigne Sarr Moukmouk, et Serigne Bara Mback Louga mme.
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Il faut galement signaler la prsence de marabouts tidianes dont le plus connu reste Serigne
Malick Sall, muqaddam dElhadj Malick SY.
Mon pre Ndiaye Diouf, fils de Mbagnick, est n Saint-Louis. A linstar des Originaires des
Quatre Communes, il tait citoyen franais et votait lors des lections lgislatives et
municipales. Une grande partie de sa famille vivait encore Saint-Louis. Je me souviens de
ses frres, mes oncles, mais aussi et surtout de ma grand-mre paternelle, Fama Bass, de sa
sur, Magatte Bass et de sa nice, Toutane Bass. Mon pre tait un homme calme, avare en
paroles. Un des traits de sa personnalit qui ma cependant le plus marqu est sa gnrosit,
sa loyaut, et surtout sa grande humilit.
La tradition saint-louisienne voulait que lducation des enfants ft faite par les tantes ou
grand mres paternelles. Je ne pouvais ainsi chapper cette rgle.
Aussi lge de deux ans et demi, je quittais Mback, dans le Baol, o mon pre tait affect
trois mois aprs ma naissance, pour la fracheur des nuits saint-louisiennes. Au demeurant,
Mback constitue, pour moi, le royaume denfance. Jy revenais passer mes vacances
jusquen 1945, anne o mon pre quitta cette ville. A Saint-Louis, ce fut ma grand-mre
paternelle Fama Basse qui devait se charger de mon ducation.
La maison familiale, sise au 43 rue Andr Lebon, entre les rues de France et lavenue Jean
Mermoz (ex rue Brire de LIsle), se trouve en fait dans le sous quartier que les Saint
Louisiens appellent Boppu Ndaru Lodo ou pointe nord, un jet de pierre de la grande
mosque de la ville. Je vcus l dans linsouciance, sous le regard protecteur de ma grand-
mre, de sa sur et de sa nice, Toutane Basse. Cest cette dernire, qui, aprs le dcs de
ma grand-mre, soccupa particulirement de mon ducation, en mme temps que de celle de
ses propres enfants. Je porte le nom de son pre. Elle tait marie Abdoulaye Damimou Ly
qui travaillait au Bas-Sngal. Sa fille, Ada Ba avait pous Doudou Guye, un cheminot,
mais les difficults matrielles et financires engendres par la grve du Chemin de fer de
1947 eurent raison de ce mariage qui finit par se rompre. Ce fut un vritable drame familial.
Comme la quasi-totalit des enfants de Saint-Louis, jai frquent trs tt lcole coranique.
Saint Louis tait un important centre religieux, fortement influenc par la Mauritanie voisine.
De grands rudits islamiques sy signalrent ds le XIX sicle, comme Amat Ndiaye Ann et
Bou El Modgad Seck., tous deux cadis et tamsirs, pour ne citer que ceux-l. La ville accueillit
aussi de grandes figures de lIslam au Sngal, limage dEl Hadj Malick Sy qui y institua
une mosque-Zawiya. Dailleurs, Saint Louis est la seule ville jouir de ce privilge, avec
Dakar et Tivaouane, capitale de la Tidjanya au Sngal. La ville tait donc rpute pour ses
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coles denseignement coranique appeles communment janggu ou alxuraan, et Daara dans
les autres localits du Sngal. Ma grand-mre confia les soins de mon ducation Serigne
Baye Mbaye et ensuite Samba Seck qui minitirent la rcitation du Coran. Il sagissait
dapprendre par cur des versets et de les restituer sans rien y comprendre. En fait, cest avec
Ousseynou Sarr qui avait son cole la Zawiya, que jai appris rellement lire le Coran.
Ctait un ancien sous-officier de larme franaise qui manipulait la langue franaise avec
dextrit et qui avait un sens lev de la pdagogie. Il nous apprenait dchiffrer les lettres de
lalphabet arabe, rassembler les syllabes, en somme lire. Il avait galement le talent de
nous faire rviser les leons apprises lcole franaise. Il lui arrivait mme danticiper sur le
matre de lcole franaise. Cest lui, en effet, qui mapprit, le premier, les nombres
complexes.
Lcole coranique dmarrait trs tt le matin, aux premires lueurs du jour. Mon Dieu, quil
tait difficile de braver les matines glaciales de Saint-Louis ! La ville senveloppait ds la
tombe de la nuit dun manteau de brouillard ; le froid qui semblait monter du sol laissait de
douloureuses gerures aux mains, aux pieds et sur les lvres. Il fallait nanmoins, tous les
matins, braver ce froid, pour aller psalmodier quelques versets du Coran, jusqu la premire
pause, vers huit heures. Je retournais alors la maison pour le petit djeuner, avant la reprise
des cours coraniques de laprs midi, jusquau crpuscule.
Saint Louis fut le berceau de lducation en AOF. Jean Dard, puis les Frres de Plormel et
les Surs de Saint Joseph de Cluny y ouvrirent les premires coles primaires. Cest dans
cette ville que fut construite la premire cole publique en 1857, quon baptisa plus tard du
nom dun ancien Gouverneur du Sngal, Brire de lIsle. Cest l o fut ouverte en 1923
lcole des Enfants de Troupe qui deviendra plus tard lEcole militaire prparatoire, puis le
prytane militaire. A Saint Louis enfin, on trouvait le lyce Faidherbe, le premier
tablissement denseignement secondaire dAOF cr en 1919. Saint Louis contribua donc
la formation de beaucoup de cadres africains, civils comme militaires. Elle peut juste titre se
targuer dtre ville avant-gardiste, dans ldification de lunit africaine, et de la francophonie.
Lorsque jai atteint lge daller lcole publique franaise, ma grand-mre procda mon
inscription lcole Brire de lIsle, situe ct de la Salle des Ftes, mi chemin entre
lactuel pont Moustaph Malic Gay (ex pont Servatius) et le pont Masseck Ndiaye (ex pont de
la Gele), qui reliaient le quartier nord Ndar Toute et la Langue de Barbarie. Du coup, je
devins Diouf Abdou, nom que je devais garder durant toute ma scolarit primaire, secondaire
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et universitaire. Ladministration coloniale, sous le prtexte quelle ntait pas assez
familiarise avec les patronymes africains, choisit, en effet, de faire prcder le ou les
prnoms par le nom de famille. Il faudra attendre un dcret du Prsident Senghor, en 1963,
pour que lordre naturel des noms soit rtabli. Ds lors mes journes se retrouvrent rparties
en trois temps : lcole coranique laurore, lcole franaise le matin et laprs midi, et
nouveau lcole coranique jusquau crpuscule.
Saint louis ntait pas seulement un lieu dtudes, mais aussi de loisirs. La ville offrait, en
effet, un cadre idal pour lpanouissement du corps et de lesprit. Elle avait une bibliothque
municipale et ses associations de jeunes qui perptuaient lhritage de lAurore qui a marqu
la gnration de Matre Lamine Guye servaient de lieux dpanouissement la jeunesse qui
y pratiquait des activits intellectuelles et sportives On dcouvrait, loccasion de
confrences, le gnie dhommes talentueux comme Abdoulaye Sadji..
Les ftes de fin danne avec le Rveillon, comme les ftes du 14 juillet taient loccasion des
dfils de Signares, mais aussi du fanal, des rgates, des courses hippiques et des grands
fobines ou sances de danses
La musique tait bien ancre dans les murs. Depuis les annes 20, on dansait dans la ville le
charleston, le black bottom, des sonorits que reprenait avec brio lOrchestre Jazz Saint Louis.
Saint Louis rayonnait en AOF par ses quipes de football : lEspoir, la Saint-Louisienne, le
Rveil, lAvenir.
Enfin les solitaires pouvaient profiter des grands espaces de mditation que constituaient les
berges du fleuve avec les quais. Le Jardin dEssai de Sor la vgtation luxuriante offrait aux
visiteurs, dont les lves, un cadre idal pour loxygnation, la dcouverte, et la rflexion.
Je profitais des moments de dtente pour me promener dans le quartier avec les camarades
Cest donc dans la capitale du Sngal colonial que jai grandi, entour de lamour dune
grand-mre bienveillante mais nanmoins rigoureuse en matire dducation.
Beaucoup de souvenirs se bousculent dans ma tte quand jvoque Saint Louis, cette doyenne
des villes du Sngal qui pendant longtemps sest glorifie de son statut de ville franaise, une
des premires communes de plein exercice riges par la mtropole dans ses colonies de
lAfrique noire.
Les dix sept ans passs dans cette ville font que je la connais mieux que Louga o je suis n et
o je nallais que pendant les priodes de vacances scolaires.
Les annes qui prcdent la seconde guerre mondiale sont vrai dire des annes difficiles
pour Ndar, la ville de Faidherbe. En fait, depuis la fin de la crise conomique des annes
trente, elle tait concurrence par Dakar alors capitale de lAOF et qui, par limportance de
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son port et de sa position stratgique, tait en passe de devenir la ville la plus importante de la
colonie. De fait, Saint-Louis, avait amorc une agonie lente mais inexorable la fin des
annes trente.
A lge de sept ans, je fus donc inscrit lcole primaire Brire de LIsle, du nom dun
ancien gouverneur qui dirigea la colonie du Sngal de 1876 1881. Elle tait construite
selon le style que Saint louis partage avec les villes des provinces mridionales de la France.
Cest l, dans le btiment un tage avec balcon en bois de lcole, que jai effectu tout mon
cycle primaire sous la direction de matres aussi bien franais que sngalais.
Mme si je ne peux, dans le cadre de ces rminiscences, parler de tous ceux qui pendant six
ans ont t la base de ma formation primaire, je ne peux mempcher de me souvenir de
certains parmi eux qui ont eu me marquer vritablement.
Il y a incontestablement Monsieur Monfraix, le directeur de lcole. Son physique
disgracieux tait largement compens par une beaut morale dont le souvenir indlbile me
poursuit encore. Cest son pouse Madame Monfraix qui maccompagna au Cours moyen et
cest sous son magistre que jai pass avec succs, en 1948, lentre en sixime et le
Certificat dtudes.
Parmi les matres sngalais, il me revient Monsieur Oumar Camara, pdagogue et paternel.
Comme lcole Brire abritait galement un centre de formation de moniteurs, il arrivait
quen labsence dun matre titulaire, un moniteur prt en charge les lves. Cest ainsi que
jen ai bien connu et apprci certains.
Durant tout mon cursus primaire, je fus plac sous la houlette de ma grand-mre paternelle
Fama Bass, charge de minculquer aussi bien les bases de lducation traditionnelle que de
lamour du travail bien fait. Elle se faisait aussi un point dhonneur de me faire aimer la
langue franaise, mme si elle insistait beaucoup pour me faire connatre mes racines
Toucouleur et Wolof. Dcde pendant que jtais encore au cycle moyen de mes tudes
secondaires, elle fut relaye par la fille de son frre, ma tante Toutane Basse, forte
personnalit sil en est.
Cest au moment o jentre au lyce Faidherbe, mon nouvel tablissement, que Lopold
Sdar Senghor aprs un appel au lecteur dans la condition humaine, (le journal quil
animait) crit sa lettre de dmission Guy Mollet, quitte la SFIO et annonce la naissance du
Bloc dmocratique sngalais (BDS).
Si jinsiste sur cette concomitance, cest en fait parce que tout au long de mon cursus
secondaire, la politique sest invite dans ma vie.
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Sans vraiment lavoir cherch, je me suis trouv trs tt dans le cercle des rares Senghoristes
du Saint Louis du dbut des annes cinquante.
Cest dans lambiance dune famille senghoriste , devant faire face une forte adversit
politique que jai grandi.
Dans cette cit majoritairement acquise aux partisans de Lamine Guye, ctait une gageure
que de prtendre animer un parti oppos la SFIO. Cest pourtant le dfi que ma tante
Toutane Bass, cousine de mon pre, a essay de relever.
Prsidente du comit des femmes senghoristes Saint Louis, elle fut la grande amazone
du leader du BDS, dans cette ville ; Senghor y tait certes minoritaire, mais son parti y tait
malgr tout implant. La section au sein de laquelle militait ma tante avait son local appel
Tagou Thioly , dans le quartier nord de lle.
Je pense avoir jou lpoque dj, un rle dans la marche du BDS naissant, tout au moins
Saint Louis. Jtais charg, en effet, de lire pour ma tante et ses amis militants qui ntaient
pas alphabtiss, tous les journaux qui paraissaient, aussi bien ceux favorables Senghor que
ceux qui lui taient hostiles. Je jouais aussi le rle dcrivain public, puisque charg de rdiger
tout le courrier adress au secrtaire gnral du BDS, et de traduire ses rponses.
En somme, avec le recul, je peux dire quentre le BDS, (branche importante de larbre
gnalogique de lactuel parti socialiste du Sngal) et moi, la greffe effectue par ma tante
date de longtemps. Quant Senghor, dj lve, je ladmirais, je le suivais dans les rues de
Saint-Louis et jtais parmi les enfants qui suivaient son cortge et assistaient ses meetings.
On le savait agrg de grammaire et la rumeur populaire voulait quun agrg ft capable de
reconstituer un dictionnaire quand bien mme on laurait dchir. Alors on tait l, on
ladmirait, on coutait ses phrases non seulement pour le fond mais galement pour la forme
parce quil articulait bien, il parlait lentement et ctait un plaisir de lcouter mme si
lpoque, je ne lavais encore jamais rencontr physiquement.
Quelques fois, il descendait chez MEDOR ct de chez nous et lorsque ma tante y allait, je
laccompagnais et lui serrais la main furtivement. Mais un jour, ma tante Toutane BASS a
dcid que je devais rencontrer SENGHOR. Ce jour l, SENGHOR avait djeun chez
Andr PEYTAVIN la pointe nord. Je crois que ctait en 1956 car aprs la loi- cadre Andr
PEYTAVIN tait ministre des finances dans le premier gouvernement du Prsident Mamadou
Dia , en 1957. Je suis all et ctait un privilge norme pour le jeune tudiant que jtais.
SENGHOR aprs le djeuner,- je nai pas particip au djeuner, je lattendais-, a dit : Ah !
vous tes le neveu de Toutane BASS, venez avec moi dans ma voiture ; et je suis all avec lui
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de la pointe nord jusque chez moi et nous avons discut dans la voiture. Quest ce que vous
voulez faire ? Je veux faire lEcole Nationale de la France dOutre Mer. Quelle section voulez
vous faire ? A lpoque, la mode, ctait linspection du travail, je veux faire linspection du
travail ; et nous voil arrivs chez ma tante, il ma encourag et je suis sorti.
Cette atmosphre bruyante du monde politique ne ma cependant pas empch de mener
bien mes tudes secondaires dans ce grand lyce qui, lpoque, recevait une bonne partie de
ceux qui deviendront les lites du Sngal indpendant et mme de certains pays de la sous-
rgion.
En 1948, voil donc que je commence mes tudes secondaires .Le lyce Faidherbe, cr en
1919, en remplacement du cours secondaire de Saint Louis pour permettre la bourgeoisie de
la ville de faire accder ses enfants lenseignement secondaire, porte le nom de celui qui, au
milieu du XIX sicle a su par son dynamisme et sa forte volont, faire de la cit de Ndar, le
point de dpart pour la conqute de lintrieur de lespace sngalais et mme de ce qui
deviendra lAfrique Occidentale franaise : il sagit de Louis Lon Faidherbe. On ne peut
voquer la ville de Saint Louis sans se rfrer celui dont le nom a t attribu lemblme
de la ville, en loccurrence le Pont reliant lle la grande terre, celui dont la statue trne au
milieu de la place qui porte encore son nom.
Ce nest quaprs la seconde guerre mondiale, quand lenseignement fut rorganis (un arrt
rorganisa le primaire et en fixa la dure six ans) avec un accent mis sur lenseignement
intgral incluant lapparition des diplmes classiques (brevet lmentaire, brevet dtudes du
premier cycle et Baccalaurat) que laccs du lyce Faidherbe fut beaucoup plus facilit.
Je vcus mon entre au lyce comme un passage de lenfance ladolescence. Bien que saint-
louisien, je navais aucune familiarit avec le lyce qui me semblait, jusqualors,
hermtiquement ferm aux non initis. Cest pourquoi, jeus limpression dentrer dans un
monde nouveau. A quelle section sinscrire ? Fallait-il faire moderne ou classique ? Je ny
vis que du feu. Jtais certes bon en franais et en rdaction mais ce nest pas ce qui
dtermina mon inscription en section classique. Personne ntait l pour me conseiller. Cest
ainsi que voyant deux files, je me suis mis tantt dans lune, tantt dans lautre. Or voil que
celle o javais fini mon chass- crois sbranle et je suis le mouvement ; ctait la file de la
section classique et ainsi doffice je me trouve inscrit en latin.
Pour la bourse, cest encore le mme scnario. Au dpart, je navais pas demand de bourse
tout simplement parce que javais ma famille Saint-Louis. Or voil quon nous remet des
formulaires de demande de bourse. Que fallait-il y mettre ? Je nen eus aucune ide et ceux
que jinterroge me disent que peu importait que lon demandt une bourse entire ou une
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demi-bourse dinternat car cela revenait au mme. Ils disaient, en effet, que ceux qui avaient
une demi-bourse dinternat prenaient leur repas midi au lyce et se faisaient rembourser en
argent la moiti de la bourse Ils me conseillaient mme, puisque javais ma famille Saint-
Louis, quil tait de mon intrt de demander une demi-bourse dinternat. Ainsi cest moi
mme qui ai coch demi-bourse dinternat et cest ce que jobtins. Or la vrit tait toute
autre. Je ne tardai pas men apercevoir .En fait, avec les excellentes notes que javais
lexamen dentre en sixime, javais droit une bourse entire dinternat. Mais ignorance,
quand tu nous tiens !
Je fus donc titulaire dune demi-bourse dinternat durant les cinq premires annes passes
dans cet tablissement et dune bourse dexternat plus habillement les deux dernires annes.
Pour moi passer de lcole primaire au lyce, ctait comme le moment de la circoncision ;
ctait vraiment le passage de lenfance ladolescence. Cependant, comme lambiance tait
extrmement fraternelle, je me suis fait beaucoup damis tous les niveaux. Quand jtais en
6me par exemple, jtais dans la mme classe que Ndiogou Ba dont le frre, Babacar BA
tait un de nos ans. Tous les jours, Babacar Ba, se privait de son goter pour le donner son
frre et moi-mme. Cest ce qui expliquera plus tard une certaine qualit de nos rapports.
Quand je suis arriv en 6me, jtais bon en franais et en rdaction et puis notre professeur
qui sappelait Monsieur Andr Denat, Denat Andr, disions-nous lpoque, nous a donn
notre premire interrogation crite en latin. Tous les bons lves en rdaction ont eu de
bonnes notes, alors que paradoxalement, je me suis retrouv avec une trs mauvaise note
.Monsieur Denat m a donn huit heures de colle durant lesquelles, je fus astreint recopier
cent (100) fois les dclinaisons latines. Ctait une punition, certes, mais elle avait une valeur
pdagogique parce quaprs cela, je connaissais mes dclinaisons latines par cur et
consquemment jtais dans le peloton de tte de la classe.
Au lyce, nous avions dexcellents professeurs, ptris de sens pdagogique et extrmement
dvous la cause de lenseignement. Parmi ceux qui mauront le plus marqu, il y avait bien
entendu, Monsieur Denat qui devint, par la suite, censeur du lyce. Il faut y ajouter Monsieur
Robert, professeur agrg de Franais, Latin et Grec, Jean Vigneau, qui quatorze annes
durant, a form la philosophie des gnrations de Sngalais, Lorenzini, professeur
dhistoire et de gographie, un corse dont la fibre patriotique franaise rsonnait nos
oreilles, Flix Brigaud qui aura consacr beaucoup douvrages lhistoire du Sngal. Il y en
a certainement beaucoup dautres. Tous ont t des professeurs loquents, ptris de sens
pdagogique et conscients de leurs responsabilits de formateurs dune jeunesse qui devait
se prparer assurer lavenir du Sngal.
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.A Saint-Louis, lambiance entre lves du lyce et des collges tait bonne, voire fraternelle.
Nous avions des amis partout et on se voyait souvent loccasion des manifestations sportives
et culturelles au cours desquelles nous fraternisions. Certes, au cours des preuves sportives
interscolaires, nous nous mesurions dans une ambiance de comptition, mais elle restait
fraternelle car nous avions des camarades partout. Dautant quau Collge Ameth Fall et au
collge Blanchot, les tudes sarrtaient la troisime. Cest ainsi que les plus brillants
venaient continuer leurs tudes au lyce. Les autres terminaient l, ou bien allaient faire une
formation pdagogique pour devenir instituteurs adjoints. Cest comme a que Lna Diagne
devenue bien aprs Lna Fall Diagne, parce quelle tait brillante, est venue nous rejoindre au
lyce en classe de seconde. .
De 1948 1955, mon sjour Saint Louis fut entrecoup de voyages que jeffectuais soit
Louga au sein de ma famille maternelle, soit Lingure, pour rendre visite mon pre qui
sy tait tabli aprs avoir quitt Mback.
Lingure et Louga ont t dans mon adolescence, les villes o jallais me ressourcer pendant
la dure des vacances scolaires
A partir des annes 47 / 48, jallais rgulirement Lingure rendre visite mon pre
pendant les vacances en empruntant la ligne du train Louga Lingure. Dans cette ville du
Djoloff, nous nous retrouvions, pendant les vacances, en famille. Mes frres aussi y passaient
les vacances. Ces sjours me rapprochrent beaucoup de mon pre. Cet ancien fonctionnaire
des postes, sorti de Blanchot, avait beaucoup dadmiration pour ladministration. Il sest tabli
Lingure et a t un proche collaborateur du commandant de cercle de lpoque. Sa fidlit,
sa loyaut et son srieux ont fait quen plus de sa mission dans les socits de prvoyance, la
bibliothque cre par les administrateurs coloniaux dans la ville lui fut confie. Mon pre
me demandait alors de moccuper des livres de la bibliothque sa place pour le dcharger un
peu de son double travail. Cest dailleurs dans ce cadre que je connus un jeune administrateur
du nom de Monteil. Ctait un jeune homme, administrateur adjoint au commandant de cercle.
Il tait trs bien et chaque fois quil venait la bibliothque, il prenait un livre et se donnait le
temps de discuter avec moi, de savoir ce que je faisais, o jen tais avec mes tudes et
vraiment il me donnait un maintien extraordinairement responsable. Il tait bon, humble et je
me suis pris dadmiration pour cet homme. Je lai retrouv dailleurs, bien aprs, quand je suis
revenu au Sngal. Nous tions dans le mme ministre, chez Karim Gaye. Il y tait
Directeur de lAction pour le Dveloppement. Il nest certes pas rest trs longtemps, mais il
sentendait bien avec Karim Gaye et a fait un travail remarquable. Il ma frapp plus que les
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administrateurs de Louga avec lesquels je nentretenais pas ce genre de rapports. Mon
admiration pour lui, a d, certainement, avoir une influence sur ma dcision de faire plus tard
lcole nationale de la France dOutre-mer.
Mon pre ntait pas du Jolof et comme la vie Lingure ne devait pas susciter un
enthousiasme dlirant, les fonctionnaires qui y taient affects, avaient lhabitude de se
retrouver chez nous, la fin de la journe pour prendre le th et combattre lennui. Ctait
loccasion pour mes frres et moi de nous affairer autour des fourneaux, thires et autre
matriel ncessaire pour le th. Ce regroupement spontan des fonctionnaires autour de mon
pre fut dnonc au commandant de cercle comme une manuvre des Saint-Louisiens qui ne
dsirant pas partager ave les autochtones du pays, voulaient faire bande part. Mon pre,
interrog par le commandant de cercle, dut rassurer ce dernier qui le comprit fort bien. Il ny
avait l aucun ostracisme : notre porte tait ouverte tous et naturellement, y venait qui
voulait.
Mon pre tait un excellent joueur de dames. Sil avait t plus jeune et avait pu participer
aux comptitions sportives comme il en existe aujourdhui, incontestablement, il aurait t
sacr champion du Sngal et peut-tre champion du monde. Il avait vraiment du talent. Je
dois avouer que de mes frres, except Djiby qui est moins fort que moi, je suis celui qui est
le moins dou au jeu de dames. En revanche ma fille Yacine a largement hrit des talents de
son grand-pre .Chaque fois quil marrive de laffronter, elle me bat, sans difficult, alors
quelle na pas dentranement. Figurez vous que mon pre, alors quil tait la retraite, a t
dfi par Baba Sy, alors champion du monde du jeu de dames qui est venu laffronter
Lingure. Mon pre la non seulement tenu en chec mais lui a tendu un pige dans lequel il
tait prs de tomber. Il a fallu quun spectateur indlicat, ait malicieusement fait un bruit qui
veilla lattention de Baba Sy. Cest ainsi quil se reprit et finalement ils firent match nul.
A Louga, je retrouvais lentourage de ma famille maternelle. Ctait ma grand-mre Tening
Gaye Massar et sa sur Yacine Gaye Massar qui en taient lautorit morale. Cest aprs leur
dcs, en 1953-1954, que ma mre monta en premire ligne. Elle devint ainsi lme de la
maison et de la grande concession familiale o son autorit tait inconteste.
Louga, ctait aussi pour moi loccasion dtre au cur de la compagnie enrichissante des
jeunes de mon ge avec qui je pus discuter et changer. Une anne repre, fut celle de 1952,
lors de la cration de lAmicale scolaire et universitaire de Louga. Cette association
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regroupait tous les lycens, collgiens et universitaires qui passaient leurs vacances dans cette
escale du Ndjambur. Jen fus dabord le secrtaire gnral, avant den prendre la tte en 1955.
.Lorsque je quittai la prsidence, ce fut Cheikh Ba qui me remplaa. Cest encore lui qui me
succda la tte des Associations Scolaires et Universitaires de tout le Sngal quon appelait
la Coordination des Associations Scolaires et Universitaires du Sngal dont je devins le
Prsident avant daller poursuivre mes tudes en France.
Cette amicale de Louga organisait des cours de vacances pour les jeunes lves et galement
des soires artistiques et culturelles. Sur ce terrain, elle rencontrait le Cercle de la Jeunesse de
Louga qui regroupait les jeunes qui vivaient de manire permanente sur le terrain. On sait
avec quel talent le Cercle a domin pendant des dcennies, la scne artistique et culturelle du
Sngal. Les deux associations cultivaient une certaine rivalit mais elle ntait jamais bien
mchante car tout nous unissait.
Si Saint Louis, je dcouvris les ralits de la politique du Sngal de lpoque grce au
militantisme de ma tante, je peux dire que mes vacances Louga et ma participation la vie
de lAmicale furent pour moi un laboratoire dexercice la vie communautaire, avec tout ce
que cela demande comme comprhension et sacrifice pour le bonheur et lentente avec autrui.
Ma vie de lycen a t ainsi rythme par ces dplacements entre Saint Louis, Louga et
Lingure, tant entendu que, du fait de mes tudes, je passais plus de temps dans la vieille
capitale. Cest cela qui explique le fait que je la connaisse bien mieux que Louga ma ville de
naissance, mme si plus tard, les vicissitudes de lhistoire mont amen militer dans la
dernire. Cest le lieu de reconnatre que les liens nous entre adolescents sont trs forts et
peuvent tre de qualit. Je pense, en effet, que mon action au sein de lAmicale scolaire et
universitaire de Louga (participation la vie culturelle de lassociation, animation des cours
de vacances, etc.) nest pas trangre au fait que jaie pu russir, en politique, aprs un
passage la premire coordination de lUnion Rgionale du Cap Vert, tre secrtaire
gnral de la coordination communale de Louga avant de me retrouver la tte de lUnion
Rgionale de Diourbel.
Je souligne ce fait pour rendre hommage tous ceux qui, se rappelant notre compagnonnage
au sein de lAmicale, nont pas hsit me soutenir pour asseoir une base politique dans une
ville o jtais certes n, mais o je ne sjournais que le temps des vacances scolaires.
En 1955, jobtins la deuxime partie du baccalaurat en srie Philosophie. . Le lyce tait
alors termin et la scolarit, Saint-Louis, aussi. Dsormais, je devais mtablir Dakar.
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Il faut rappeler qu la suite de la Confrence africaine franaise de Brazzaville (janvier-
fvrier 1944) et de la Confrence africaine de lenseignement tenue en juillet 1944 Dakar,
ladministration coloniale a rpondu favorablement la revendication lgitime des lites
africaines. Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, il yavait en effet la gnralisation
des programmes mtropolitains dans le niveau du primaire. Il sy ajoute que les lyces de
Dakar et Saint-Louis taient dsormais, habilits prparer et avec toutes les options, au
baccalaurat de type mtropolitain.
Saint-Louis tait non seulement la capitale du Sngal, mais galement la capitale de la
Mauritanie. Elle revtait incontestablement les atours dune grande ville o se ctoyaient
administrateurs coloniaux, fonctionnaires europens et africains, conseillers territoriaux du
Sngal, commerants marocains, libanais, mauritaniens et sngalais, lves du lyce et des
collges Blanchot et des jeunes filles, pcheurs de Guet-Ndar et agriculteurs de lhinterland
venus la recherche de revenus complmentaires aprs la priode des rcoltes ; A ceux-l,
venait sajouter une population laborieuse, souvent confronte la recherche dun quotidien
qui nest pas toujours assur.
A Saint-Louis donc, tout mtait familier et tout mtait agrable aussi.
Or, voil que la ncessit de poursuivre des tudes suprieures mamenait quitter cette ville
si chre pour aller vivre Dakar.
Dakar, capitale de lAfrique occidentale franaise (AOF) tait le sige du Gouvernement
gnral et du Grand Conseil. Ville ouest-africaine o on retrouve une certaine concentration
humaine ainsi que des activits administratives, conomiques et sociales, elle est
incontestablement, une grande ville, avec les avantages et les inconvnients que lon peut
retrouver dans ce genre dagglomration. Jy allais certes de temps autre rendre visite un
cousin de ma mre, Soulye Ndoye. Il habitait la rue Thiers et au cours de ces visites, javais
tiss des amitis de jeunesse qui dailleurs,survivront lusure du temps.
Dakar abrite lInstitut des Hautes Etudes (IHE) cr par dcret du 6 avril 1950 et qui fut
transform en Universit par dcret du 24 fvrier 1957. Il est li au rectorat dacadmie de
Bordeaux et est ouvert aux originaires des territoires de lAOF. Il comprend uniquement, au
premier cycle, une cole de droit, une cole de mdecine, une cole de lettres et une cole de
sciences.
Install Fann, entre la route de Ouakam et la corniche ouest, lInstitut occupe une surface
denviron un kilomtre carr. Cest l que se dressent, les quatre facults spars par des
jardins, le Rectorat, la Bibliothque universitaire et lInstitut franais dAfrique noire (IFAN)
devenu, bien plus tard IFAN/Cheikh Anta Diop. Face la route de Ouakam, la cit
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universitaire o trne un beau btiment colonial couvert de tuiles rouges, le Pavillon A o jai
log pendant mes annes dtudes Dakar. Le restaurant universitaire occupait le sous-sol du
btiment. Le Professeur Assane Seck, intellectuel brillant et distingu tait le directeur de la
cit. Il avait t le colistier de Lamine Guye sur la liste SFIO aux lections lgislatives du 2
janvier 1956. Sa dfaite nentachait nullement le respect et la parfaite considration que nous
lui portions
Dans cet Institut qui comptait en 1954-1955, 365 tudiants devenus 1040 en 1957-1958, mon
monde slargissait et se diversifiait. Non seulement, je me retrouvais avec danciens
camarades du lyce Faidherbe, mais il fallait aussi compter avec les anciens lves du lyce
de Dakar, des tudiants franais dont les parents travaillaient, pour leur grande majorit, en
Afrique mais aussi les tudiants venus des autres pays de lAfrique occidentale et mme
quatoriale. Ce beau monde, malgr les diversits culturelles quon pouvait noter et l,
constituait, incontestablement, un terreau fertile o se dveloppait harmonieusement larbre
de lintgration africaine et que nous arrosions tous, chacun, sa manire
Cependant, dans cet unanimisme qui fdrait presque tous les tudiants, les camardes
ivoiriens, eux, faisaient bande part. Je me souvins encore des discussions que nous avions
avec eux dans la cour de lUniversit. Ils pousaient les positions de leur leader Houphout
qui prconisait la dcentralisation au niveau des territoires alors que Senghor que lon
considrait comme son rival, se battait contre la balkanisation et pour le maintien des groupes
de territoires et la cration dun excutif fdral, ce que lon aurait d faire. Les Ivoiriens se
plaisaient, en effet, dire non, non, nous on a assez dtre la vache lait de lAOF, il faut
que chacun soit indpendant dans son territoire et vous Sngalais qui faites le malin, vous
verrez, vous verrez ce que vous allez pouvoir faire avec vos arachides.
Dakar a t, en effet, une excellente tape o jai pu nouer des amitis qui iront se
raffermissant lorsque le destin aura plac bien dentre nous aux postes de responsabilit dans
nos pays respectifs.
Cest Dakar, galement, que ma prise de conscience politique, certes close Saint-Louis, a
t stimule. LAssociation gnrale des Etudiants de Dakar (AGED) se faisait lcho des
prises de position avant-gardistes de la Fdration des Etudiants dAfrique noire en France
(FEANF). A Dakar, nous avions cr la CECAS Coordination des Associations Scolaires et
Universitaires du Sngal dont je devins le Prsident avant de passer la main Cheikh Ba au
moment o jallais poursuivre mes tudes en France. Jai galement t le premier Prsident
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de lAssociation de la Coopration du Devoir que nous avions cre. Cheikh Sarr Le Petit
en tait membre et Habib Thiam en tait le Secrtaire Gnral.
Nous tions, en effet, un tournant important de lhistoire de lAfrique sous obdience
franaise. LUnion Franaise tait, en effet, critique de toutes parts. Qui pouvait tre sourd
aux conclusions du Sommet afro-asiatique de Bandoeng tenu en avril 1955 en Indonsie ?
Qui pouvait ignorer la lutte de libration nationale courageusement engage par les Algriens
contre la France qui venait de scrouler devant la rsistance indochinoise? Qui pouvait tre
insensible au panafricanisme de Kwam Nkrumah, le Ghanen ?
En Afrique, les leaders politiques et les syndicats ne cessaient de dnoncer, en effet, les
limites de lUnion Franaise et demandaient davantage de participation des Africains la
gestion de leurs propres affaires.
Cest dans cette atmosphre mouvemente lextrieur et contestataire lintrieur que nous
prenions conscience des obstacles qui jalonnaient lvolution de lAfrique vers davantage
dautonomie, voire vers lindpendance.
Au Sngal, la loi municipale de 1955 voyait arriver, la tte des mairies, suite aux lections
municipales du 18 novembre 1956, des hommes comme Lopold Sdar Senghor This,
Mamadou Dia Diourbel. A Louga, un cousin de ma mre, Momar Gaye Diop, instituteur de
son tat, homme de rsistance et de refus, quitta les rangs du Bloc Populaire Sngalais
(BPS) de Lopold Sdar Senghor et cra avec quelques amis dissidents, un parti local
dnomm Bloc Dmocratique du Ndiambour (BDD) qui remporta les lections. Il fut lu
maire. Nest-ce pas l une belle illustration de la dmocratie sngalaise ?
Le parti de Senghor qui avait dsormais pris lascendant sur la SFIO de Lamine Guye
travaillait lunification des partis politiques et attirait de plus en plus dintellectuels
regroups au sein du groupe Ralits .
Des syndicats revigors par le vote du Code du Travail outre-mer, en 1952, se formaient et
exigeaient que ladministration coloniale prt en compte leurs revendications pour plus
dgalit et de participation des autochtones aux affaires.
De grandes rformes se prparaient et ne laissaient personne indiffrent. Lavenir de lAfrique
tait en jeu et il fallait bien, avec patience et discipline, forger les outils ncessaires pour
assumer au mieux les responsabilits qui seraient les ntres.
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A lInstitut des Hautes Etudes, je me suis inscrit lEcole de Droit. Javais toujours eu
dexcellentes notes en lettres et en mathmatiques, mais cest le droit qui mattirait.
Pourquoi ? Peut-tre parce que le droit colle la ralit quotidienne et javais le sentiment que
rien de bon ne se faisait sans la justice et lquit. Il sy ajoute que jai toujours pens quune
bonne administration constitue la condition sine qua non du dveloppement et javais envie
dentrer lEcole nationale de la France dOutre-Mer. Cest pourquoi, en 1955, au moment de
postuler une bourse dinternat pour lenseignement suprieur, je prcisais que je comptais
prparer des concours administratifs.
A la Facult de droit, nous tions 183 en 1955-1956, 193, en 1956-1957 et 482 en 1957-1958.
Les programmes universitaires restaient dans leur contenu, leur organisation, et leur
pdagogie, strictement identiques ceux des universits mtropolitaines.
Nos professeurs taient dexcellents matres, frus de lesprit du droit et ayant une grande
dextrit communiquer avec simplicit leur immense savoir. Je garderai toujours un
excellent souvenir des cours de Messieurs Chabas sur le droit civil, Bruyas et Seurin sur le
droit administratif et Alliot sur lHistoire des Institutions et faits sociaux. Il faut y ajouter
Roche, pour le droit constitutionnel, Cappet, pour lconomie, Larguier, pour le droit pnal et
Decottignies.
Ces trois annes passes lcole de droit furent couronnes de succs. A tous mes examens,
je russissais la session de juin, ce qui me laissait le loisir daller passer mes vacances
Louga, lesprit libre. Cest vrai que ma proccupation premire tait la russite aux tudes,
persuad que jtais que de grandes responsabilits pesaient sur nos paules, nous qui tions
dj considrs comme ceux qui devaient assurer le dveloppement de notre pays et le bien-
tre de ses populations.
Lanne 1956 avait t marque par le vote de la Loi-cadre, dite encore loi Gaston Deferre, du
nom de son initiateur. Cette loi du 23 juin, mise en application en 1957, accentuait la
personnalit des territoires africains en mettant en place, notamment, un Conseil de
Gouvernement, vritable Conseil des ministres. Au Sngal, Mamadou Dia, secrtaire gnral
adjoint du BPS majoritaire lAssemble territoriale fut investi vice-prsident du
Gouvernement dirig par le Chef du Territoire Pierre Lami. En 1958, il en devint le prsident.
Mamadou Dia avait la fibre patriotique et lengagement ncessaire pour mener les rformes
que nous tions en droit dattendre ; il suscitait tous les espoirs. Son compagnonnage
harmonieux avec Lopold Sdar Senghor tait rassurant et lavenir sannonait prometteur.
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Incontestablement, le Sngal tait sur la bonne voie et je comptais bien apporter ma pierre
ldification et la consolidation de ldifice national.
En 1957, pour la premire fois, je me rendis, Paris. Jtais laurat de la facult de droit et
ce titre, jai bnfici dune bourse de vacances pour dcouvrir la France. Cest depuis
Kankan, en Guine, o je passais mes vacances, auprs de mon oncle Badara Dme, alors
greffier en chef des Tribunaux en AOF, que me parvint le tlgramme mannonant la bonne
nouvelle.
A mon retour des vacances passes en France, je terminai ma troisime anne de droit tout en
prparant le concours dentre lEcole nationale de la France dOutre-mer. Depuis 1951,
lEcole, en effet, recevait parcimonieusement des Africains qui, leur retour, se retrouvaient,
en gnral, placs de hauts postes de responsabilit, notamment dans le cabinet du Haut-
commissaire de lAOF. Des noms taient cits, notamment ceux du Guinen Diallo Telli, du
Sngalais Daniel Cabou, mais cest en 1956 quintervint la grande ouverture motive par
l africanisation des cadres voulue par la loi-cadre qui a dcid que 66%des cadres de
lAdministration seraient dsormais des Africains. Cette lite devait, dans lesprit du
colonisateur, prendre, en douceur, la relve des fonctionnaires mtropolitains. Nous ntions
pas dupes : ces mesures, comme bien dautres, avaient essentiellement pour objectif dinciter
les Africains retarder lchance de laccession lindpendance.
Je dois avouer que lide de faire lENFOM a t renforce par mon amie Mamy Sow qui ne
cessait de me rpter avec insistance Abdou, je veux que tu fasses lcole de Daniel .
Daniel, ctait Daniel Cabou qui tait fianc Elonore Mendy qui se trouvait tre une
cousine de mon amie. Bien plus tard, je nai pas manqu de rappeler Daniel Cabou que si je
mtais prsent lENFOM, cest bien lui que je le devais indirectement.
Cest lENFOM que jai rencontr pour la premire fois Habib Thiam. Habib tait dj
tudiant en France, alors que moi jai pass le concours partir de Dakar. Javais prvu de
faire le droit public mais dans mon esprit cest seulement aprs la licence. Est-ce que jallais
faire les impts ? Est-ce que jallais faire les Douanes ? Est ce que jallais en France pour
prparer une autre Grande cole ? Je me ttais et juste ce moment l, dans la foule de la loi-
cadre et des rformes quelle a engendres, notamment le besoin dafricaniser les cadres, on a
dcid douvrir aux Africains, les portes de lEcole Nationale de la France dOutre mer.
Alors, pour y accder, il fallait, au minimum obtenir, deux certificats, ce qui ntait pas
obligatoire pour la section administrative mais qui tait obligatoire pour la section
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Magistrature. Mais comme me disait Babacar BA un jour, il ne faut pas rester Dakar pour
soi mme, mais il faut terminer la licence. Cest ainsi que je suis rest au campus de Dakar.
Jaurais pu me prsenter dj lENFOM quand jtais en 2me anne de droit. Mais en fin
de compte, jai attendu lanne daprs pour affronter le concours. A cet effet, on nous avait
organiss des cours de prparation luniversit, dispenss par des professeurs, notamment
Roche, professeur de droit constitutionnel, Bruyas, professeur de droit administratif et Assane
Seck qui tait notre professeur de langue nationale, le wolof. On faisait le cours prparatoire,
on lisait un peu car il fallait non seulement avoir des connaissances en droit administratif,
mais aussi donner des preuves de culture gnrale. .
Donc on se prparait bien et comme dhabitude je travaillais avec beaucoup de srieux et eus
le bonheur de russir brillamment mon entre lENFOM. Le jour o je devais passer cet
examen, je me suis rveill quatre heures (4h) du matin ; il restait encore du temps avant de
prendre le car pour partir, et jai alors pris mon livre de droit administratif. Quand je lai
ouvert, je suis tomb sur la page CONSEIL DU CONTENTIEUX ADMININSTRATIF DE
LAOF ; je lai lu et relu jusqu lheure de prendre le car. Quand le concours a commenc,
je me suis tout de suite dis que les voies du Seigneur taient impntrables quand jai vu que
la premire preuve portait sur le Conseil du Contentieux Administratif de lAOF . Je crois
avoir obtenu 20/20 et cest pourquoi que je ne suis pas tonn davoir t Major. Pour
lpreuve orale, javais choisi le Wolof et jai t interrog par Mr Ba, un examinateur qui se
trouvait tre le Directeur de lEcole de Mdina. Il a commenc parler avec moi et tout au
long de lentretien, il prenait des notes. A la fin, jai eu 16/20. Je crois que cest lUniversit
dj, que jai assur la matrise de mon Wolof, ce qui ma dailleurs servi, puisque lors dun
magal, (jtais Premier Ministre lpoque) quand jai livr Serigne Abdoul Ahat le
message du Prsident Senghor, Bassirou Diagne, le pre de Bassirou Marme ma dit :
Abdou tu as t magnifique ; tu sais que pendant tout ton discours, tu nas dit quun seul
mot franais ! , je lui ai alors dit : cest une rptition. , je pensais bien entendu aux
cours de Wolof du Professeur Assane Seck.
Je ne peux mempcher de noter que cette anne de 1958, tait aussi celle du transfert de la
capitale du Sngal, de Saint-Louis Dakar. Ctait un moment important de lhistoire de
notre pays. Quel enfant de Saint-Louis ne la pas vcu comme une corchure trs vive. .Les
habitants de Saint-Louis en garderont longtemps encore une animosit contre le Prsident
Mamadou Dia qui tait considr comme lauteur de cette dcision. Cependant, daprs les
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explications que nous avions reues, Dakar risquait, ou : de faire scession du Sngal pour
devenir un Dpartement franais, ou bien, elle tombait sous la concupiscence des Etats de
lAOF qui voulaient en faire une ville indivise.
Quoiquil en soit, ma raison a prim sur mon sentiment. Jtais, comme bien des Saint-
Louisiens, prsent au meeting du cinma VOX. Ce jour l, Matre Babacar Sye qui tait la
tte de la contestation a fait .une intervention remarquable qui a t applaudie, mais quil a d
payer le lendemain car un tlgramme du Prsident du Conseil le remettait la disposition de
la Rpublique Franaise. A la fin du meeting, il y a eu la marche jusqu la place Faidherbe et
l, comme maire de Saint-Louis, Matre Babacar Sye est mont sur la statue de Faidherbe
quil a embrass et lui a dit : si tu avais t l on ne nous aurait pas fait a
Avec ma russite au concours dentre lENFOM, les portes de Paris souvraient moi, me
donnant loccasion dlargir encore mes horizons pour mieux me mettre au service de mon
pays et de mon peuple.
Javais, comme je lai dj dit, visit Paris pendant les vacances de 1957. Paris qui avait
hant mes rves dlve et dtudiant amoureux de la culture franaise me parut bien
dcevante. Non seulement le temps y tait gris, les rues recouvertes de pavs, mais des murs
sombres cachaient la majest des btiments. Trs vite cependant, je retrouvais mon
enthousiasme car Paris restait Paris et jtais bien content, en 1958, dy revenir et de la
redcouvrir nouveau. Les deux annes passes lAvenue de lObservatoire allaient me
faire aimer davantage cette belle ville qui offre toujours quelque chose dcouvrir et
savourer. Paris, en effet, est la ville des muses et des spectacles, la ville de losmose
culturelle. Elle est galement la ville des rencontres amoureuses car elle me donna loccasion
de rencontrer en 1959, Elisabeth, la chance de ma vie. Elle est devenue mon pouse.
Jarrivai dans la capitale franaise, le 30 septembre 1958, cest dire deux jours aprs le
rfrendum du 28 septembre 1958 ; Le Sngal et les autres territoires de lAOF, de lAEF et
Madagascar, lexception de la Guine avaient vot oui et acceptaient dtre des Etats-
membres de la Communaut franco-africaine propose par le Gnral de Gaulle revenu au
pouvoir en juin 1958. La Guine de Skou Tour accdait, elle, lindpendance, rompant
ainsi tout lien avec la France. Jtais la Place Protet, le 26 aot et jtais tout fait daccord
avec le discours de De Gaulle : Si vous voulez lindpendance, Prenez-la , avait-il dit. De
Gaulle avait prpar son discours crit, mais quand il a vu les porteurs de pancartes, il sest
dabord adress eux : je veux dire un mot dabord aux porteurs de pancartes. Voici ce
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mot : sils veulent lindpendance quils la prennent le 28 septembre. Mais sils ne la prennent
pas, alors, quils fassent ce que la France leur propose : la Communaut franco-africaine....
Nous ne sommes pas lpoque des dmagogues. Quils sen aillent, les dmagogues do ils
viennent, o on les attend ! Moi jtais daccord avec lui tout comme jtais daccord, pas
avec le ton, mais avec le fond du discours de Valdiodio Ndiaye qui disait ; que demain tous
les OUI ne comporteront pas une renonciation dlibre lindpendance et que tous les
NON ne traduiront pas une volont de rupture complte.
Je sais que les chefs religieux ntaient pas daccord avec lui parce que ctait surraliste,
Senghor ntait pas l. Senghor navait pas de responsabilit mais quand mme. Dia ntait
pas l en tant que Prsident du Conseil. On a laiss Valdiodio faisant lintrim de Dia,
prononcer le discours et plus tard De gaulle sen souviendra puisque cest Houphout
Boigny quil choisira comme ministre dEtat dans son gouvernement.
De Gaulle avait t surpris et nerv par le discours de Skou Tour Conakry.
A Dakar il a pris les choses en main, a reu tous les chefs religieux, Seydou Nourou Tall,
Abdoul Aziz Sy, Falilou Mback. Ils taient tous l et ils lont assur de leur fidlit en lui
disant que si les responsables politiques appelaient voter NON , ils perdraient car le
peuple les suivrait eux qui allaient voter et faire voter Oui .
Le climat politique tait lourdement charg par la guerre dAlgrie qui battait son plein, avec
son lot de morts et datrocits. Lempire franais avait dj perdu lIndochine.
Lindpendance semblait inluctable et il nous fallait ds prsent, nous prparer lassumer
et la rendre gagnante pour nos peuples et nos Etats qui avaient beaucoup donn pour notre
ducation. Cest dans cet esprit engag que je commenai mes cours lENFOM le premier
novembre 1958 et devais y rester jusquen juillet 1960.
LEcole tait dirige par le professeur Franois Luchaire. Son adjoint, John Gilmer tait en
mme temps, Directeur des tudes de la section administration, tandis que celle de
linspection du Travail tait sous la direction de Faraut, Gilbert Mangin soccupant de la
section Magistrature. Ferrol de Ferry, ancien archiviste Du Gouvernement dIndochine, tait
le secrtaire gnral de lcole
Quand jai intgr lENFOM, nous tions, je crois, si je ne compte pas les stagiaires qui
taient envoys par leurs Etats, trois Sngalais : moi-mme, Thikouta Sidib et Habib
Thiam que jai connu l. La ligne lpoque, disons la tradition, consistait ne pas accepter
dtre administrateur parce qutre administrateur, dans lesprit de lpoque, cest se voir dans
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lobligation dappliquer la politique coloniale ; pour viter cela, il ne fallait tre ni
administrateur, ni magistrat ; il valait mieux tre inspecteur du travail. Cest ainsi qu
lissue des deux premiers concours, les majors ont tous choisi de faire linspection du travail.
Cest au moment du choix que jai fait la connaissance dHabib Thiam. On tait sur le banc et
on attendait dtre appel. On commence par moi puisque jtais le major ; Diouf Abdou
quest ce que vous choisissez ? ladministration dis-je. Alors a a t comme une peur
dans la salle. Habib Thiam me dit alors : on ne vous a rien dit DAKAR sur linspection du
travail ou sur la magistrature ? Je lui rpondis que moi je veux faire administration car je
pense que, le pays allant vers lindpendance, cette section mouvrira plus de portes et plus
dhorizon. Je choisis donc ladministration et dans la foule presque tout le monde a choisi
ladministration. Ce furent le quatrime, Keita Namory qui tait un malien ( ex Soudanais) et
le sixime Thicouta Sidib qui tait Sngalais qui choisirent linspection du travail.
Dailleurs, tous les deux avaient dj leur licence. Ce qui tait une des caractristiques de ce
concours, cest quon y rencontrait des gens qui taient Docteurs en Droit, dautres qui
avaient des diplmes dEtudes Suprieures de droit public et dautres qui avaient dj la
licence. Ainsi, nous tions trs peu nombreux faire notre licence complte. Cest donc l que
jai connu Habib Thiam et vraiment nous nous sommes attachs lun lautre. Nous habitions
Paris et il a t vraiment pour moi un ami, un frre. Jtais au Pavillon dAfrique la Cit
internationale de lUniversit de Paris, tandis que lui logeait Anthony avec sa femme et ses
deux enfants. Il mamenait souvent manger chez lui et vraiment a sest trs bien pass entre
nous. Dailleurs au moment de faire notre stage, nous devions en tant quadministrateur le
faire en prfecture. Je suis all voir le Directeur de lEcole et celui des Etudes et leur ai dit
que jaimerais, si possible, faire mon stage au ministre des finances puisque je voulais en ce
moment l, me spcialiser en finances. En fait, ce que je voulais, parce quon tait encore en
fdration du Mali, ctait daller travailler la Direction Gnrale des Finances et faire une
carrire en me spcialisant dans les Finances Publiques. Ctait cela mon ambition et
finalement, aprs discussion, les autorits de lEcole ont donn leur accord et on ma organis
un stage aux finances. Habib Thiam my a suivi ; il a dit que lui aussi voulait faire un stage en
finances et dautres ont aussi profit de cette occasion. Cest ainsi que jai fait Rue
Deschamps, jai fait la Banque Centrale, en somme jai fait tous les services du ministre des
finances et jai mme travaill comme contrleur des Dpenses engages au Ministre des
Travaux Publics. Jtais ct du Contrleur des Dpenses engages pour apprendre mon
mtier ; donc, en dfinitive, jai fait un stage formidable. Pour moi le souvenir de lENFOM,
cest aussi mon mmoire, ce mmoire dont on me dit quil est aujourdhui introuvable. Sil a
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disparu, cest peut-tre le fait de ceux qui voulaient lutiliser contre moi au moment o je
devais tre Prsident de la Rpublique. Mon sentiment est quen fait, ce mmoire tire moins
sa valeur de son intrt scientifique, car je ne lui reconnais pas de valeur scientifique
particulire, mais, il faut plutt le voir comme une manifestation de rvolte contre ce que je
considrais comme des avatars de la religion. Cest comme a quil faut le voir, la rvolte
dun jeune homme de vingt-trois ans qui tait au bord de lAthisme, au bord du Marxisme-
Lninisme, mais qui avait quand mme encore la foi et trouvait que ce que ces marabouts l
faisaient, tait inacceptable ; ctait vraiment crit au vitriol. Quand nous avons russi le
concours, personne ne nous a dit quil y aurait un mmoire crire. La rentre a t effectue
en octobre et la mi-octobre, on nous fit savoir que nous devions fournir le mmoire avant
Nol. Il me fallait alors mener le travail lcole, de pair avec les cours et les travaux
pratiques en facult. Finalement dailleurs, je choisis de ne faire que les Travaux dirigs,
nallant que trs peu aux cours. Je me contentais des polycopies. Ctait la seule alternative,
puisqu lcole, lassiduit tait de rigueur ; non seulement il y avait un contrle strict, mais
en plus il fallait crire un mmoire. Alors, je me suis dis quest ce que je vais choisir comme
mmoire ? Jai alors choisi de travailler sur lislam et la socit au Sngal. Quand je me suis
lanc dans lentreprise, tout ce que jai souffert pendant les annes dcole coranique, tout ce
que jai vu dans ma jeunesse, tous les dfauts ayant un lien si tnu soit-il avec la religion
musulmane, me sont revenus en mmoire. Le Gouverneur Gnral Robert De Lavignette
comparant mon style celui de Camara Laye me donna 18,5/20. On me dit que lapprciation
a t retrouve dans mon dossier, aux Archives dOutre-mer Aix-en-Provence.
Je terminai donc ma licence en droit et mes tudes lENFOM furent couronnes de succs.
.Je mtais spcialis dans les affaires conomiques et financires et Franois Luchaire,
Directeur de lEcole, portant des apprciations trs logieuses sur ma personne termina ainsi
ses propos : Cest un lment de choix pour une administration de conception. Je suis
persuad quil russira brillamment dans sa carrire.
Si Paris fut pour moi un haut lieu pour mes tudes, elle me donna galement loccasion de
faire du syndicalisme estudiantin. Jai t, en effet, vice-prsident de lAssociation des
tudiants sngalais. Jai t attir par le marxisme et jai particip toutes les activits de
lAssociation des tudiants sngalais et de la FEANF (Fdration des tudiants dAfrique
noire en France).Jassistais galement aux confrences des hommes de gauche. Mais ma
conviction tait que si notre pays a besoin dhommes politiques, il a galement besoin
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dadministrateurs de qualit. Ma vocation, ctait dtre un administrateur, de diriger des
circonscriptions administratives, des administrations centrales ou des tablissements publics,
un peu comme les grands commis de lEtat franais. Je ne rvais pas dun destin politique. La
vie en a dcid autrement.
Le 20 juin 1960, le Sngal venait solidairement avec le Soudan, daccder lindpendance
sous la bannire de la Fdration du Mali. Mais on sait ce quil advint de la fdration. Cest
la terrasse dun caf que mon ami Habib Thiam et moi-mme apprenions lclatement de la
fdration, laissant orphelins, tous ceux qui, comme moi, croyaient la ncessaire intgration
africaine, seule voie de salut pour nos micro-Etats. Nous nous sommes dit que sans aucun
doute ce serait Doudou Thiam qui serait le ministre des Affaires Etrangres du Sngal
indpendant. Cest ce qui advint.
Mes tudes termines en juillet, je dcidai de rentrer Dakar en septembre. Mon premier
mouvement fut de prendre lavion, tant javais hte de retrouver mon pays et ma famille.
Cest Habib Thiam, qui, avec sa force de persuasion habituelle, me fit changer davis. Cest
ainsi que je me rsolus prendre le Lyautey avec lui qui voyageait avec son pouse et ses
deux enfants. Son frre Mohamed, connu sous le nom de Baba, ne se laissa pas convaincre et
prfra prendre lavion. En pleine mer quand nous parvint la nouvelle alarmante dun avion
qui stait abm au large de Dakar, nous priions pour que ce ne ft pas lavion que devait
prendre Baba. Cest du bateau, alors quil venait peine daccoster, quHabib Thiam,
interpella ses parents qui lattendaient sur le quai et nous emes la tristesse dapprendre que
Baba tait bien dans lavion et quil ny avait aucun survivant.
Habib et moi sommes rests trs lis malgr les loignements provisoires auxquels nous
contraignaient nos diffrentes affectations. Nous avons tout fait ensemble et lpisode de
lavion quil a racont dans son livre, (cest moi qui le lui ai rappel dailleurs), prouve que
quelque part, nos destins taient lis. Quand jai t nomm Gouverneur Kaolack, il devait
tre nomm Gouverneur Ziguinchor, mais cest Doudou Thiam qui a refus en disant quil
le gardait comme Directeur de Cabinet.
Le Mali, tant mort et lEtat du Sngal proclam, il nous fallait prsent nous retrousser les
manches pour assurer, aux cts des Prsidents Lopold Sdar Senghor et Mamadou Dia, le
dveloppement conomique, social et culturel de notre pays. Javais vingt cinq ans.
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CHAPITRE 2
LE HAUT-FONCTIONNAIRE
1960 - 1964
A notre retour au Sngal, on a tout de suite dit : le Major de la Promotion cest
Abdou Diouf, puisque le pays veut assurer son dveloppement, il faut donc le mettre dans le
ministre qui soccupe du plan . Tandis quHabib allait aux Affaires Etrangres, o Il a
aussitt eu des responsabilits comme Directeur de cabinet, je me suis retrouv au Plan avec
Christian Valantin et on ma nomm Directeur de la Coopration technique internationale.
Jai surtout travaill louverture du Sngal vers les bailleurs de fonds autres que la France,
notamment la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Dveloppement, la Socit
Financire Internationale, le Fonds Europen de Dveloppement et la Banque Europenne
dInvestissement.
Jestime y avoir fait ce que je devais faire, mais lpoque, je me disais que ce ntait
vraiment pas mon poste. Je voulais un poste me permettant de temps en temps de faire du
droit, de ladministration rurale et de la fonction publique. Je dois dire que je ne garde pas
beaucoup de souvenirs de cette poque, mme si je suis rest ce ministre de septembre
novembre 1960.
Comme la Cour Suprme a t cre par la constitution du 29 aot 1960, mme sil faut
prciser que llaboration de son statut avait commenc en 1959 pendant la priode
dautonomie interne, Ibrahima Boye qui tait le Directeur de cabinet du Garde des Sceaux,
Ministre de la Justice, Gabriel DArboussier, ma appel au tlphone pour me demander si
je voulais tre auditeur parce quil avait entendu dire que je ne me plaisais pas l o jtais. Ce
qui tait vrai ; Il voulait comme auditeurs me dit-il, des jeunes qui aiment le droit. Je lui
donnais donc mon accord. La cration de cette Cour Suprme obissait deux impratifs : la
simplification de lorganisation judiciaire de la priode coloniale caractrise par la
multiplicit des juridictions et la ncessit pour un pays en dveloppement davoir une seule
justice. La Cour Suprme constituait donc une synthse des institutions judiciaires antrieures,
tout en laissant subsister des juridictions dexception qui lui taient toutes subordonnes par la
voie de la cassation.
Elle tait la fois le Conseil Constitutionnel, le Conseil dEtat, la Cour de Cassation, la Cour
des Comptes et la Cour Suprieure dArbitrage des conflits collectifs du travail. Ce faisceau
dattributions reposait sur une organisation trs simple en deux ou trois sections composes de
magistrats et dauditeurs choisis pour la plupart dentre eux parmi les hauts fonctionnaires.
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Quand donc, en Conseil des ministres, Isaac Forster qui tait jusque l Secrtaire
Gnral du Gouvernement fut nomm Premier Prsident de la Cour Suprme et quand on en
arriva la nomination des auditeurs, quelquun avana mon nom, ce qui fit aussitt sortir
Karim Gaye de ses gonds :
On a besoin de lui au Plan , dit-il ; Il y est et va y rester .
Son attitude ne surprit pas, puisque je savais quil tait satisfait de mon travail au Plan et le
faisait savoir qui voulait lentendre. Je savais donc quil allait me retenir l bas.
Comme Karim Gaye ne voulait pas me laisser partir, le Prsident Senghor qui dailleurs avait
voulu me prendre comme Charg de mission dans son Cabinet quand je suis rentr de France,
ritra sa demande. Le Prsident Mamadou Dia sy tait oppos lpoque, en disant quon
avait besoin de moi au Plan. Devant linsistance de Senghor qui lui rappelait que jtais le
neveu de Toutane Basse, le Prsident du Conseil trancha en disant :
- De toute faon, Lopold, il nira pas chez toi ; il ne restera pas non plus chez toi Karim, ni
nira la Cour Suprme avec DArboussier. Vous venez denlever Forster pour le mettre Premier
Prsident de la Cour Suprme, je propose donc Jean Collin comme Secrtaire Gnral du
Gouvernement et comme il a besoin dun adjoint, je veux que ce soit Abdou.
Comme adjoint au Secrtaire Gnral du Gouvernement, javais lensemble des
services rattachs et ils taient nombreux ! Je me souviens de cette priode o jeune adjoint
au Secrtaire Gnral du Gouvernement, jai t nomm membre dans la Commission des
cots et rendements des administrations en fin 1960, dbut 1961. La commission tait
prside par Cheikh Fall qui sera plus tard Prsident Directeur Gnral dAir Afrique et parmi
les membres, il y avait Kba Mbaye.
Le Prsident du Conseil avait mis sur pied des comits dtudes et des commissions
dont la mission tait de faire des propositions en amont pour llaboration du premier Plan
quadriennal de dveloppement conomique et social du Sngal.
Je me souviens du premier jour o nous tions alls devant le Prsident du Conseil
Mamadou Dia pour lui rendre compte du travail de la commission. En tant que rapporteur,
ctait mon baptme de feu. Je devais donner des explications et au beau milieu de mon
rapport, le Prsident Dia mavait interrompu en me disant :
- Monsieur le Rapporteur, il nappartient pas la commission de me dire comment je vais
former mon gouvernement.
Je lui rpondis :
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- Monsieur le Prsident, nous ne vous faisons que des propositions sur les structures que nous
croyons utile de mettre en place au sein du Gouvernement. Cest vous et vous seul de
dcider de la taille de votre Gouvernement.
Et il dit :
- Merci beaucoup, Monsieur le Rapporteur, vous pouvez continuer.
Jtais donc adjoint au Secrtaire Gnral du Gouvernement au moment o la
Rpublique du Sngal commmorait le premier anniversaire de son indpendance. Ctait le
4 avril 1961. Il y avait eu 72 dlgations trangres. La France tait reprsente par Andr
Malraux, les Etats-Unis par le Vice-Prsident Lyndon Johnson, la communaut ismalienne
par Karim Aga Khan.
Du ct africain, plusieurs Chefs dEtat avaient rpondu linvitation du Prsident
Senghor : Flix Houphout-Boigny de la Cte dIvoire, Hubert Maga du Dahomey, Hamani
Diori du Niger, Moctar Ould Daddah de la Mauritanie, Philibert Tsiranana de Madagascar et
bien dautres encore. Certains, lpoque, avaient expliqu labsence du prsident malien
Modibo Keta par la dtrioration des relations entre le Sngal et le Mali au lendemain de
lclatement de la Fdration du Mali. Les blessures ouvertes par le divorce entre les deux
peuples ntaient pas encore compltement cicatrises.
Ce ne sera que dans le courant du mois de mai suivant, que le dialogue allait t renou entre
les deux pays avec la tenue Dakar de la confrence de liquidation des biens de la dfunte
fdration.
Dans la mme journe du 4 avril 1961, le Prsident Mamadou Dia prononait
lAssemble nationale son discours de politique gnrale dans lequel il exposait la
reprsentation nationale les orientations du premier Plan quadriennal de dveloppement
conomique et social du Sngal. Le pays tait alors lre du Socialisme africain si cher au
Prsident Dia qui avait beaucoup travaill avec le Pre Lebret pour lmergence de cette
nouvelle vision politique et conomique.
En ralit, les options conomiques du premier Plan taient sorties des rflexions qui
avaient t menes doctobre 1958 juillet 1960, au temps de lautonomie interne. Cest ainsi
qu partir du 1er aot 1960, quelques jours aprs la fin des tudes gnrales, le gouvernement
avait fix les directives pour le plan. Une commission nationale du plan avait t cre avec
des sections techniques et des groupes de travail. On avait procd une tude de lensemble
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des ralits conomiques, sociales et humaines du pays et produit un rapport objectif dans
lequel on avait dgag une projection long terme et dfini des lignes daction.
Le rapport tablissait dans lensemble du pays des structures administratives et
conomiques : cration de nouvelles rgions administratives, dcoupage des cercles en
arrondissements et suppression des anciens cantons, cration de centres dexpansion rurale
(CER) au niveau des terroirs, de centres dassistance au dveloppement (CRAD)au niveau
rgional, dun office de commercialisation agricole (OCA) et dune banque de dveloppement
(BNDS)) au niveau national. Lobjectif recherch tenait essentiellement en trois points :
- la promotion du sens des responsabilits en rendant chaque citoyen, chaque groupe, chaque
communaut comptable du devenir du pays en fonction de ses capacits et des charges quil
assume ;
- lAfricanisation de lensemble des secteurs essentiels sans exclure pour autant la coopration
technique des experts venus de lextrieur ;
- la mobilisation de toutes les forces vives du pays en suscitant les efforts de chaque niveau et
en tenant compte de ces efforts dans la rpartition de laide de lEtat selon un mcanisme dit
de dveloppement contractuel .
Dans le premier Plan quadriennal de dveloppement conomique et social 1960-1964,
la priorit avait t donne la prparation de lavenir. Les efforts avaient essentiellement
port sur linvestissement. Il fallait favoriser la participation des capitaux privs en les aidant
sinsrer dans les oprations de croissance prvues par le plan en leur donnant, en plus
davantages fiscaux raisonnables, une efficacit dans la construction nationale.
Le taux de scolarisation par exemple devait passer de 28% en 1960-1961 51% en
1964-1965 en tenant compte de laccroissement de la population avec la cration de 2500
nouvelles classes. Les dpenses du service de la sant qui taient de 600 Fcfa par habitant en
1959 devaient passer prs de 800 Fcfa en 1964 soit une croissance de plus de 30%. Le total
des investissements tait de 92 milliards de Fcfa dont 42 milliards de fonds privs et 50
milliards de ressources publiques en comptant 1, 3 milliard dinvestissement humain et
environ 27 milliards daide extrieure.
A terme, le taux de croissance annuel attendu du produit intrieur brut tait de 8%
alors que la hausse prvue du niveau de vie par tte tait de plus de 3,5% par an.
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Si ce moment-l, sur le plan conomique, le Sngal dmarrait lexcution de son
premier plan de dveloppement, sur le plan diplomatique survenait dans le courant du mois de
mai 1961, le premier incident avec la rupture des relations avec le Portugal qui refusait
dexaminer avec ralisme les problmes de la dcolonisation.
Je suis rest au poste dadjoint au Secrtaire gnral du Gouvernement jusquen juin
1961, date de ma nomination comme Secrtaire Gnral du ministre de la Dfense. L aussi,
il faut dire que ctait arriv trs vite. A lpoque, le Prsident du Conseil des ministres
Mamadou Dia dtenait en mme temps le portefeuille de la Dfense aprs quon leut retir au
Ministre de lIntrieur le 13 mai 1961. Je sentais dj, quil y avait des positionnements.
Le Prsident Dia a voulu donc avoir un Secrtaire Gnral et jai t nomm ce poste. Cest
Samba Alassane Mademba SY qui ma remplac comme adjoint de Collin. Je dois cependant
dire, quen tant que Secrtaire Gnral du Ministre de la Dfense, jai t combattu par le
Gnral Amadou Fall qui tait Chef dEtat Major Gnral des armes.
Le Prsident Dia avait commis lerreur davoir un Directeur de cabinet pour la Dfense, ce
qui fait que jtais court-circuit la fois par le Gnral Fall qui allait directement Arona Sy
qui tait alors le Directeur de cabinet du Prsident Dia et par le Gnral Potin qui tait le
conseiller militaire. Ctait dautant plus facile que gographiquement jtais loign du
Prsident Dia puisque mes bureaux situs en dehors du Building administratif, taient
lImmeuble qui allait, par la suite, abriter Air Afrique. Le Prsident Dia avait fini par se
rendre compte de la situation et dcida de mettre les deux Gnraux face face en prenant le
Gnral Potin comme secrtaire Gnral du ministre de la Dfense. Moi, je fus nomm
Gouverneur du Sine Saloum.
Les problmes auxquels jai t confront la Dfense ne mont cependant pas empch de
rdiger les textes fondamentaux de lArme sngalaise, en particulier les textes sur la
dfense. Jai vraiment fait tout ce que je devais faire. A un certain moment, le Gnral Potin
tait devenu Conseiller Militaire du Prsident Senghor. Au mois de novembre ou dbut
dcembre, jai accompagn le Prsident du Conseil Tananarive pour la fondation du systme
de lUAM (Union Africaine Malgache) : Politique, Economie, Dfense et
Tlcommunications. Jy suis all comme Chef de la dlgation, substitut du ministre de la
Dfense qui tait alors le Prsident du Conseil donc, comme ministre de la Dfense. Jtais
cette rencontre avec le Gnral Potin. Cest pendant ce temps l qua t conue larmature de
ce qui devait tre par la suite le ministre de la Dfense.
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Au mois de novembre 1961, Jean Collin, tait Secrtaire Gnral du Gouvernement a
eu une crise dappendicite et Il dcida que cest moi qui serai son intrimaire et non son
adjoint. Jtais donc Secrtaire gnral par intrim et jassistais donc au Conseil des ministres.
Comme je tenais la plume comme intrimaire de Jean Collin, le Prsident Mamadou Dia me
dit : Abdou, voulez-vous sortir ? . Je sortis et quelques instants aprs, Franois Dieng, le
Ministre de lEducation nationale dalors vint me chercher et me dit : Abdou, flicitations,
tu viens dtre nomm Gouverneur du Sine-Saloum, la plus importante rgion du pays,
vraiment flicitations . Je remplaais Ren Ndiaye, un Inspecteur des contributions directes.
Ibrahima Faye tait nomm en Casamance en remplacement dArona Sy, Ibrahima Sow
This en remplacement de Christian Valantin, nomm Gouverneur de la rgion du Cap-Vert,
poste prcdemment occup par Guibril Ndiaye, Mbaye Diouf au Fleuve en remplacement
dAbdou Ndn Ndiaye nomm au Sngal oriental et Mdoune Fall remplaait Ibrahima Tall
Diourbel.
Cest aprs quon ma racont la scne. En fait, le Prsident Dia tait venu avec sa liste
sur laquelle il avait mis Abdou Diouf comme Gouverneur de la rgion du Fleuve et Abdou
Ndn Ndiaye comme Gouverneur du Sine-Saloum. Abdoulaye Fofana lui avait tout de suite
dit :
Attention ! M. le Prsident on ne nomme pas quelquun chez lui. Abdou Ndn est du Sine-
Saloum et Abdou Diouf est de Saint-Louis. Vous devez donc inverser .
Ainsi donc, jai t nomm Gouverneur de la rgion du Sine-Saloum. Ctait une tche
passionnante. A lindpendance, le Sngal avait t divis en sept rgions administratives
dont le Sine-Saloum. Chaque rgion tait constitue de cercles administrs par des
Commandants de cercle et chaque cercle, darrondissements la tte desquels, il y avait des
Chefs darrondissement. Cest la faveur dune rforme administrative et territoriale
intervenue en 1964 que les cercles ont t transforms en dpartements dirigs par des Prfets.
En qualit de Gouverneur du Sine-Saloum, javais sous ma juridiction six cercles :
Kaolack, Fatick, Gossas, Kaffrine, Foundiougne et Nioro du Rip. La rsidence du Gouverneur
se trouve Kaolack, chef-lieu du cercle, ponyme et capitale de la rgion. Le Sine-Saloum est
le bassin arachidier et plus de la moiti des rcoltes du pays provient de cette rgion.
Jy ai t accueilli avec beaucoup de mfiance. Qui est ce blanc-bec qui vient nous
gouverner ? Sa nomination est une erreur et, quels que soient ses diplmes, il ne peut pas
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gouverner le Sine Saloum .De mon ct, je savais que ctait une tche lourde, compte
tenu de mon jeune ge et que si je ne mappuyais pas sur les grands notables de la rgion, je
risquais de rencontrer des difficults dans laccomplissement de ma mission.
Javais lpoque comme conseillers coutumiers des gens exceptionnels que tout le
Sngal connaissait : Fod Diouf, Mahcor Diouf, Thiendella Fall et bien dautres ; vraiment,
de grands chefs de province. Les gens mappuyaient de faon constante. Quand il y avait un
problme de frontire entre deux villages, je savais que ni moi ni le Commandant de cercle ne
pouvions le rgler. Un jour je me suis rendu Somb, un village du Sine dans le cercle de
Fatick, pour demander Mahcor de me reprsenter chaque fois quil y avait un problme.
Quand javais besoin de mobiliser des gens pour lanimation rurale, pour la
commercialisation de larachide, pour le remboursement des semences, je mappuyais sur ces
conseillers coutumiers et ctait passionnant. Jai appris aussi connatre les hommes. Je
connaissais les textes, javais la culture administrative, mais je navais pas cette connaissance
des hommes et ce sont ces chefs extraordinaires qui mont entour comme leur fils et qui
mont aid.
Au mois daot 1962, le Prsident du Conseil avait dcid de faire une tourne dans la
rgion. Je lai accueilli, entour des lus de la rgion : les dputs Mamadou Moustapha
Dram, Ibrahima Diouf, maire de Fatick, Amadou Alcaly Diouf, Ousmane Ndiaye Thiass,
Moustapha Bady Sow, Ousmane Alioune Sylla, Prsident de la commission des finances et le
Prsident de lAssemble rgionale, Alioune Sarr.
A travers les thmes utiliss lpoque et malgr mon jeune ge, javais le sentiment
que quelque chose danormal se passait. Ces thmes taient beaucoup moins politiques ou
conomiques. Ils navaient pas lair dtre dirigs contre qui que ce soit, mais ctait des
thmes moralisateurs qui convoquaient nos traditions, nos vertus, nos valeurs. Jtais un peu
tonn et, aprs cette tourne, jai vu les vnements se prcipiter. Les vnements politiques
se sont succds. On a commenc parler de divorce entre Senghor et Dia.
Un jour, jai pris mon courage deux mains parce quen tant que Gouverneur de
Rgion, javais audience avec le Prsident du Conseil pour lui rendre compte de mes activits
et prendre des instructions. On avait runion tous les mois mais on ne parlait pas de politique,
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on parlait de dveloppement. Un jour donc ctait ma dernire audience avec lui au mois de
novembre - je lui dis :
Nous sommes trs tonns, nous entendons les rumeurs dun divorce entre le Prsident
Senghor et vous .
Il me dit :
Oh Abdou ! Ncoute pas les rumeurs, il y a des gens qui veulent briser une amiti vieille
de 17 ans et nous ne les laisserons pas faire. Senghor et moi nous sommes ensemble depuis 17
ans ; je vous assure que personne ne peut nous sparer .
Senghor et Dia staient connus, en effet, depuis 1945, anne o, sous la frule de Lamine
Guye, Senghor avait fait son entre en politique.
Les choses se sont cependant prcipites avec le remaniement ministriel du 12 novembre
1962. Le 17 dcembre 1962, 41 dputs favorables Senghor ont voulu voter contre le
Gouvernement, une motion de censure que leur collgue Thophile James avait dpose 48
heures plus tt.
Pour eux, le premier homme politique du pays ne pouvait pas se contenter dinaugurer
des chrysanthmes. Comme tous les autres Prsidents africains, Senghor voulait, en effet,
instituer un rgime prsidentiel, avec Mamadou Dia comme Vice-prsident. Mais celui-ci
avait refus parce quil voulait rester le Chef du Gouvernement et par consquent le vritable
chef de lexcutif. Il voulait continuer gouverner en cantonnant Senghor aux chrysanthmes
et la posie.
La motion de censure avait toutes les chances dobtenir la majorit au Parlement.
Mamadou Dia souhaitait que laffaire soit tranche au sein du parti car pour lui, le parti avait
la primaut sur lEtat, ce qui ntait pas le point de vue de Senghor.
Devant la dtermination des dputs voter la motion, Mamadou Dia avait aussitt
donn la force publique lordre doccuper les locaux de lAssemble pour les en empcher.
Quatre dputs avaient mme t arrts lpoque ; il sagit dOusmane Ngom, Abdoulaye
Fofana, Magatte L et Moustapha Ciss.
Ne pouvant ds lors tenir session lAssemble nationale, les lus avaient regagn le
domicile du Prsident Lamine Gueye o ils avaient vot la motion la majorit absolue des
47 voix des 47 dputs prsents. Ds lors, le gouvernement navait plus dexistence lgale. Le
coup de force tait pass. Et Senghor institua un rgime prsidentiel. Les dputs arrts
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furent librs dans la journe sur ordre du Prsident Senghor et avec lintermdiation de
Andr Guillabert.
Dans la nuit du 17 au 18 dcembre, sur les conseils du colonel Jean Alfred Diallo, les
units de gendarmerie, avec leur tte le commandant Tamsir Ba de la Garde Rpublicaine
iront assurer le chef de lEtat de leur fidlit. Le 18 dcembre 1962, 18 heures, Mamadou
Dia tait arrt. Certains des ministres du gouvernement qui lui taient favorables seront
galement arrts : Il sagit de Valdiodio Ndiaye, Alioune Tall, Joseph Mbaye et Ibrahima
Sarr.
Nous qui tions dans les rgions, nous ne savio