Mémoires du sous-développement & Mémoires du développement _ radiographies de la politique cubaine.pdf

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Cinmas dAmrique latine21 | 2013:Cinma et politique

Mmoires du sous-dveloppement& Mmoires dudveloppement: radiographiesde la politique cubaineMAGALIKABOUS

p. 80-94

Traduction(s) :

Memorias del subdesarrollo& Memorias del desarrollode la poltica cubana

Rsums

FranaisEspaolMemorias del subdesarrollo de Toms Gutirrez Alea (1968) et Memorias del desarrollo deMiguel Coyula (2010), adaptations de romans de Edmundo Desnoes, ont fortement marqu lacinmatographie nationale. Le premier est considr comme le plus grand film de lhistoirecubaine. Le second, tourn en partie aux tats-Unis, sest fray un espace sur les crans de lle etcontribue aujourdhui ouvrir le dbat. Tous deux proposent une approche de la politiqueparfois polmique par le biais dun personnage principal ambigu qui nadhre pas aux idescastristes. Dans un style cinmatographique clectique extrmement travaill, ils dressent leportrait dune le en transition en soulignant les excs, le dogmatisme et en pratiquant le doutecritique.

Memorias del subdesarrollo de Toms Gutirrez Alea (1968) y Memorias del desarrollo deMiguel Coyula (2010), adaptaciones de novelas de Edmundo Desnoes, marcaron fuertemente lacinematografa nacional. El primero es considerado como el filme ms grande de la historiacubana. El segundo, filmado en parte en los Estados Unidos, se abri un espacio en las pantallasde la isla y hoy en da contribuye a lanzar el debate. Los dos proponen un acercamiento a lapoltica a veces polmico a travs de un personaje principal ambiguo que no concuerda con lasideas castristas. En un estilo cinematogrfico eclctico muy trabajado, hacen el retrato de una islaen transicin destacando los excesos, el dogmatismo y practicando la duda crtica.

Entres dindex

Mots-cls : Cuba, idologie, dogmatisme, polmique, exprimentation cinmatographique
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Palabras claves : Cuba, ideologa, dogmatismo, polmica, experimentacin cinematogrfica

Texte intgral

Memorias del subdesarrollo, de Toms Gutirrez Alea (1968)

Quand tre apolitique nest pas uneoption

Memorias del desarrollo, de Miguel Coyula (2010)

Dans le cadre de la production rvolutionnaire cubaine, lexpression cinmapolitique est presque un plonasme. Depuis 1959, le cinaste de lle doit tmoigner deson patriotisme et de sa volont de participer lentreprise de formation du peuple. Lecontenu de ses films doit reflter lhistoire ou la ralit contemporaine du pays. Voilpour la consigne. Cela ne nous dispense pas dexaminer les diffrentes manires derelier les termes cinma et politique car les crateurs cubains ont montr que leurtravail pouvait reflter la politique, la problmatiser, linflchir parfois, la raillerlgrement voire la dnigrer franchement. Les cinastes qui se sont risqus porter unregard critique sont peu nombreux1. Malgr notre rticence apposer des tiquettes surles uvres dune cinmatographie nationale, nous nous risquons tablir quelques-

unes des catgories observables dans la production cubaine. Par rapport au discoursofficiel, les uvres ont adopt divers angles et tons : chronique quotidienne de la viepolitique, exaltation pure et simple, commmoration, vitement par le biais dediffrentes chappatoires (le cinma historique, lhumour, ladaptation duvreslittraires), attitude de questionnement. Cest au travers des deux films Mmoires dusous-dveloppement (MDS) de Toms Gutirrez Alea (1968) et Mmoires dudveloppement (MDD)de Miguel Coyula (2010) que ce couple cinma et politiqueest le plus intensment interrog2. En veillant confronter et nuancer les visionsmanichennes, ces deux uvres relatent les crises profondes quont t linvasion de la

baie des Cochons, la crise des Missiles, les premires vagues dexil aprs la victoire de1959, la crise conomique, lexil du port de Mariel en 1980, etc. Quest-il rellement

possible de dire et comment ? Deux films suffisent pour montrer quentre la critiquefroce et le ton dithyrambique, le champ des possibles est infini.

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Collages, Memorias del desarrollo, de Miguel Coyula (2010)

Siempre necesitan que alguien piense por ellos, Memorias del subdesarrollo, de TomsGutirrez Alea (1968)

Un systme duvres qui dialoguententre elles

Plus que dun film et de sa suite, il convient de parler pour les Memorias dun2
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[] lorsque nous disons peuple, nous parlons de rvolutionnaires lorsque nous

disons peuple prt combattre et mourir, nous ne pensons pas aux gusanos 5ni aux quelques pusillanimes qui restent : nous pensons ceux qui ontlgitimement le droit de sappeler Cubains et peuple cubain []6

systme duvres dplaant un mme personnage dans deux contextesdiamtralement opposs. Ainsi, nous allons les considrer comme deux uvrescomplmentaires, entretenant certes dtroits rapports stylistiques et thmatiques,mais ralises des dates suffisamment loignes pour tre tudies indpendamment.Elles constituent un binme dans la mesure o elles sont la chronique du dbut et de lalongue fin de rgne, reflets de deux priodes opposes pour de nombreuses raisons(degr dadhsion populaire au rgime, contexte international). Dans ce systme, ilfaut redonner toute sa place au pre littraire des films, lauteur exil des romans

ponymes, Edmundo Desnoes. La varit des trajectoires des trois artistes construitune image exhaustive de Cuba. Toms Titn Gutirrez Alea (1928-1996) a vcu toutesa vie Cuba. Rappelons le chemin quil a parcouru. Dabord rvolutionnaireconvaincu3auteur de films univoques, dogmatiques et limpides4, son positionnement avolu. En 1968, sa perspective est dj plus critique, il a repens la manire dduquerle peuple pour devenir un filtre et non plus seulement un miroir, un catalyseur derflexion plutt quun simple passeur. Edmundo Desnoes (1930) a quitt Cuba en 1980pour les tats-Unis. Miguel Coyula (1977) vient de retourner sinstaller Cuba aprsquelques annes passes entre New York et La Havane.

Pour dcrire brivement le type dadaptation pratiqu, considrons la gense desuvres. Desnoes et Alea ont travaill de faon si troite et fusionnelle quaprs le travail

sur le scnario et le tournage, lcrivain a inclus dans les rditions de son roman desscnes tires de limagination du cinaste. La relation entre Coyula et Desnoes, deuxhommes de gnrations diffrentes, est plus complexe. Sils souhaitaient au dpartcollaborer pour renouer, quarante ans plus tard, le si prolifique dialogue Desnoes-Alea,leurs chemins ont diverg pour ne se recroiser que lors de projections du film. Lescontextes de production sont aussi trs diffrents. Alea a sign un film institutionnel,uvre-phare de lge dor du cinma cubain, qui fera dailleurs lunanimit et estencore aujourdhui plbiscit par tous. Lanne 1968 Cuba est connue pour trelanne de commmoration des Cent ans de lutte pour lIndpendance. ce moment-l, la dfinition du peuple tait lapidaire :

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Coyula a financ et ralis son film de faon totalement indpendante et personnelle,principalement aux tats-Unis. Le temps de gestation a t long, cinq ans au total7.

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Cuba, annes 1960 : existe-t-il un droit

MDD, trs ancr dans un contexte historico-politique, est encadr dans son uvre pardeux films de genre plus universels8. Le point commun entreMDS etMDDest quaucundes deux cinastes na privilgi la transparence dun message lisse au mpris dulangage cinmatographique. Chacun a explor tout le potentiel de loutil cinma pourfaonner sa propre esthtique et la mettre au service de rcits non formats. Lextrmedensit des uvres nous oblige slectionner quelques squences reprsentatives delapproche de la politique cubaine par les deux cinastes. Face aux deux Memorias, lespectateur non averti peut tre dcontenanc par les rfrences politiques, lclectisme

et une certaine tendance lexprimentation. Rappelons largument de chacun deslongs-mtrages. La base de la narration est lcriture par Sergio de ses mmoires. Le faitde suivre le flot dune vie retranscrite par crit explique le ct minemment subjectifdes confessions recueillies, le dcoupage en pisodes et la non-linarit des vnements.

Alea et Coyula sa suite, ont choisi de naviguer entre petite et grande Histoire enmlant fiction et documentaire par le biais de lutilisation dimages darchives. Ilssuperposent les mmoires, exercice trs intime, et les notions gopolitiques que sont lesous-dveloppement et le dveloppement. Le sous-dveloppement, expressionrelativement rcente au moment des faits raconts, est frquemment cit par Castro. Laprise de conscience de ses causes et la recherche des moyens den sortir sont au cur duprogramme politique national. Pour Alea, lart est lune des meilleures armes.
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au doute ?


Dans le premier long-mtrage, Sergio Malabre dont nous suivons les (non)-aventuresdurant les annes 1961 et 1962, est un dandy nihiliste qui ne choisit jamais son camp.Lui-mme issu dun milieu bourgeois, il voit sans regret sa famille et ses amis partir enexil alors que lui reste. En pleine crise personnelle face leffervescence de lpoque, il sepositionne en observateur, papillonne dune femme une autre, relle ou fantasme, seterre dans son appartement ou erre dans les rues de la capitale en mditant. de rares

occasions lors dun procs intent par la famille de sa jeune matresse ou encore lafin du film, lors de la crise des missiles , le personnage se trouve contraint agir, assumer ses choix. Lambivalence de cet homme passif dans une poque dintenses

bouleversements a souvent t commente. Ce hros dchu de la bourgeoisie est-il letypique antihros de la Rvolution ? Comment situer ce personnage pas assezdtermin dans un contexte politique o les autorits prsentaient le combat commencessaire ? Plusieurs lments de la personnalit de Sergio ont pu poser problme : sonmanque de confiance et son mpris envers le peuple cubain, son individualisme, sondilettantisme ou encore le fait quil soit un bourgeois. Mais tait-il pour autant promisau lynchage ? Dans la Cuba de 68, monde qui ne tolre pas la neutralit, le non-engagement concret de Sergio ne lempche pas de rflchir sans cesse ce qui se

droule sous ses yeux, bien au contraire. travers sa voix off omniprsente, des notionspolitiques complexes sont abordes : le no-colonialisme, la censure sous Batista, laculture, le socialisme, la responsabilit, la justice... Tout dansMDS nest que politique,chacune des conversations, mme la plus anodine, recle un contenu idologique etdbouche sur une prise de position. Par exemple, une simple visite de la maisoncubaine dHemingway o il se trouve au mme moment quun groupe de touristesrusses, devient loccasion dune mtaphore sur la situation de Cuba prise entre deuxgrandes puissances en temps de Guerre froide.

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Les personnages secondaires peuvent tre diviss en deux catgories immdiatementlisibles, les pro et les contre-rvolutionnaires. Elena, la matresse de Sergio etmtonymie du peuple, incarne le Cubain moyen qui adhre la Rvolution. Il dit delle

quelle est la beautiful Cubanseorita, un strotype ambulant. Or Elena est lgre,peu encline de profondes rflexions. Sergio condamne la population au sein delaquelle il vit en disant : Les gens manquent de consistance, ils ont toujours besoin quequelquun pense pour eux. Alea rend cette affirmation plus polmique encore ensynchronisant cette rplique et une affiche de Fidel Castro. Sergio semble dtester

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Elena : Tu es rvolutionnaire ?

Sergio : Quest-ce que tu en penses ?E : Toi, tu nes ni rvolutionnaire, ni gusano.S : Alors je suis quoi ?E : Rien, tu nes rien.

Il sagit [] dutiliser le cinma comme linstrument le plus adquat pour rendredes comptes sur certains aspects conflictuels du dveloppement de la Rvolution(de la vie) dans notre pays []

Contrairement ce que nous pensions, il savre que cest un succs publicsurprenant. Plus encore que nimporte quel autre film cubain, y comprisLa Mortdun bureaucrate. Aujourdhui, nous entrons dans la deuxime semainedexploitation et il y a encore des files dattente impressionnantes quel que soit le

jour de la semaine. Et contrairement ce que nous pensions galement, le fi lmnest pas si polmique que a, loin de l. Les gens, dans leur grande majorit, le

reoivent avec enthousiasme [] et sont peu nombreux tre contre. Bien sr,jai crois quelques opposants irri ts [], ce qui m aide apaiser ma conscience.Le principal, et a nous nous y attendions, cest que le film touche et fasse rflchirles gens. Les perturbe. Et sils sont favorables au film, cest parce quils sententquil leur permet de comprendre beaucoup de choses11.


dgale manire tous les groupes qui composent la socit cubaine de lpoque, ilmprise Elena, il ddaigne ceux qui sont en adoration devant les tats-Unis. Au sensrvolutionnaire strict, Pablo lexil est le vrai antihros de lhistoire, le gusanoclairement discrdit. Sergio le non-align est entre ces deux extrmes, toujours contre-courant, au sens propre un jour de manifestation du 1 er mai o il marche linverse du cortge comme au sens figur. Elena conclut dailleurs sur son inexistenceau cours dun dialogue :

Pour rsumer,MDS nest pas un film de propagande classique, mais il comporte destraits relevant de lagit-prop et vhicule une partie du discours dominant quil dfend.Si le choix du personnage central instille la polmique, il a cependant t compens pardivers lments, notamment les images documentaires qui viennent faire contrepoint.Pour viter une assimilation crateur-crature et ne pas laisser penser que Sergio estleur alter ego, Desnoes et Alea font un camo dans le film. Ainsi, sils sont amis avecSergio et partagent certaines de ses opinions, ils prennent soin dviter lassimilation

autobiographique. Ce nest surtout pas un film contre la Rvolution bien quil ensouligne les dysfonctionnements. Au dbut du tournage, Alea avait adress AlfredoGuevara un texte-manifeste intitul Pour un cinma marginal, en voici un brefextrait :

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Le cinma jouerait alors le rle dinstrument dexploration et danalyse enprofondeur. Ce serait une sorte de bistouri qui pntrerait dans la chair-mme de notreralit et nous permettrait darriver au point o lon peut signaler une anomalie

dtermine9.

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Cest de cette manire-l, clairvoyante et critique, quil pensait aider et non plussimplement promouvoir la Rvolution.

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Enfin, voquons le contexte de diffusion. Cuba10, le film est sorti dans plusieurscinmas au mois daot 1968. Alea raconte :

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Lunique lment dplor par Alea est le manque dimagination des critiques quinont pas lanc de dbats la hauteur de ceux quil pensait provoquer. Si lon considreque lide de dbat est constitutive de la notion de politique, alors oui, MDS est un filmtotalement politique car pens pour provoquer la discussion par un Gutirrez Alea quina jamais cach son got pour la saine provocation, partag par Coyula. On observeune communion de styles qui ne relve en aucun cas du plagiat mais bien la fois dun

hommage et dune ractualisation.MDDva indniablement plus loin dans la prise deposition.

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Cuba / tats-Unis, annes 2000 :amertume et dsenchantement


Le second Sergio, Sergio Garcet, vit aux tats-Unis, qui ne sont dsormais plus hors-champ. Il est un peu plus g, divorc dune Nord-Amricaine et il prsente les mmescaractristiques que son homonyme cubain : sducteur, cynique, intellectuel las. Artisteet universitaire New York, il noue une liaison avec une tudiante. Nous le suivons lors

de ses cours, ses prgrinations urbaines, ses voyages au Japon, en Angleterre ou Paris, seul ou accompagn. Le film propose galement quelques flashbacks sur sa vie Cuba. Aprs son licenciement, il va oprer une retraite progressive, gographique etintrieure, jusqu lpilogue o il rencontre dans un dcor lunaire un utopiste esseul,fascin par la conqute spatiale.

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Sergio vs Fiddle, Memorias del desarrollo, de Miguel Coyula (2010)

Sergio, Memorias del subdesarrollo, de Toms Gutirrez Alea (1968)
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Sergio Garcet : Bon, la rvolution est un chec. Ton rve ressemblait celui deDon Quichotte. []Fidel Castro : Ecoute-moi bien. Voici la dcision que nous avons prise. Nousdevons dmontrer que le socialisme va rsoudre ce problme.

SG : Si tu le dis. En ralit, tu ninspires plus beaucoup dautorit. Mais bon,allons-y, laissons-nous aller au ridicule.FC : Je ne vais pas rejeter la part de responsabilit qui est la mienne. Je lassume,car je crois en la force des idesSG : Voil bien ton erreur, la mienne aussi. Croire au pouvoir de la littrature, desmots.FC : Respectons les points de vue.SG : Tu vois, ici la littrature nest quun loisir.FC : OuiSG : Et les ides ? Les ides ne sont quun instrument. [] Tu mas bousill. Tuaurais au moins pu me donner lillusion de la libert.FC : Voil quoi mne le capitalisme. Nous avons choisi le socialisme parce quecest un systme beaucoup plus juste, dun point de vue moral, mais nous pouvonstirer une conclusion, cest que cest seulement avec la Rvolution [SGlinterrompt plongeant la canne dans son verre.]SG : Mais tu sais quoi ? Mens-moi encore, ta mchancet me rend heureux.SG [ la serveuse surprise de le voir parler seul] : Savez-vous quautrefois Fideltait trs important ? Presque dangereux. [] Maintenant, regardez-le, cest tout

juste une clbrit.

Le questionnement politique est continuel dansMDDet son ralisateur dispose dunavantage certain, le recul que donnent quatre dcennies coules depuis MDS. Coyulaexplore non plus seulement lhistoire cubaine, mais galement la nord-amricaine et lesmouvements rvolutionnaires en gnral. Vritable chronique de lexil et de latransition, le film hispanophone et anglophone est cheval entre plusieurs mondesdistincts et pourtant relis les uns aux autres. Sergio qualifie la politique de mensongeet sattaque au panthon des hros omniprsents dans lidologie castriste. Coyula etSergio, complices, oprent une dmystification dvastatrice des plus connus dentre euxds le tonitruant prologue qui entremle images despoir de la victoire castriste,excutions sommaires des partisans de Batista, documents attestant de lexistence de

camps de travail pour marginaux. MDD cible principalement Fidel Castro,notamment dans une des squences-cl du film, un dialogue imaginaire entre leprotagoniste et le leader. Sergio, qui sest considr comme manipul par le rgimelorsquil vivait Cuba, sadresse prsent un Fidel-objet sans dfense puisquil estmatrialis par une canne dont le pommeau reprsente une tte de chien12quil nomme

Fiddle. Un monologue entrecoup denregistrements rels de discours a lieu dans unrestaurant :

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Memorias del desarrollo,de Miguel Coyula (2010)

La politique cubaine au scalpel.synthse

MDD est sorti New York le 17 avril 2010 et, Cuba, il a t slectionn dans lasection Panorama du Festival annuel du Nouveau cinma latino-amricain dedcembre 2010. Or sa non-slection en comptition officielle ainsi que laprogrammation ultrieure sur des crneaux peu porteurs ont suscit bien des

polmiques. Paradoxalement, Granma a crit un article plutt positif sur le film.Depuis lors, il continue de sortir dans diverses salles cubaines, latino-amricaines etnord-amricaines, et est surtout transmis de cl USB en cl USB. Dans les festivalsinternationaux o il concourt, il a remport une moisson de prix et les projectionssuscitent dintenses discussions. La situation contradictoire deMDD, lu meilleur filmlatino-amricain de lanne 2010, le fait qu Cuba il ait t furtivement montr maisplus souvent mis au placard, renvoient la ralit schizophrne du cinma cubain quidoit louvoyer entre permissivit et contrle pour ne pas sattirer les foudres desautorits. Certaines squences de MDS taient la limite de lacceptable maischappaient la censure par leur caractre plurivoque. MDD est clairement tropexplicite pour constituer une vitrine. Pour preuve, en novembre 2011, Miguel Coyula a

appris que son film tait dprogramm du festival de Beyrouth, remplac par un autrefilm cubain sur ordre de lambassade.

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Ces deux films sont les chroniques singulires de moments politiques essentiels Cuba. Ainsi, le rcit tellement subjectif du personnage principal sert damorce pour

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Je ne sais pas ce que tu trouveras Cuba lorsque tu viendras. Tu as vuMemorias Cest un film honnte. travers lui, il te sera peut-tre faciledimaginer [] quel point on peut en arriver se sentir tranger dans ce milieu, quel point on peut tre plong dans labsurde, dans la folie, lincomprhension.Mais il y a beaucoup plus que cela14.

Toms Gutirrez Alea

Miguel Coyula

dresser le portrait de moments hroques, diplomatiques, dramatiques. Les vnementsmentionns vont du plus connu (discours de Kennedy et de Castro pendant la crise desmissiles, mention du 11 septembre aux tats-Unis) au plus confidentiel. Alea et Coyulainterrogent la relation entre art et politique ils souhaitent conduire le spectateur repenser des images et des notions. La diffrence est que le premier a bnfici delappui institutionnel et a brandi tel un tendard lengagement de son film, l o lesecond a privilgi la recherche artistique et na pas t avantage ou dsavantagedans les annes 2000 ? estampill ICAIC 13.

Si dans politique on entend la fois tat et ensemble des citoyens, les Memoriassintressent dfinitivement aux deux.MDS etMDD interrogent limpact des dirigeantssur le collectif et du collectif sur les dirigeants, mais ils sefforcent galement disoler desindividus afin de ne pas les noyer dans le groupe. Lexistence de ce double personnagequi semble en inadquation avec son environnement dnonce dune certaine manire lecaractre troit et excluant du systme politique qui les a rejets. Brebis galeuses ?Dissidents ? Rvlateurs ? Les deux Sergio ne sont en aucun cas des hros au senscastriste du terme. Ils nont aucun got pour le sacrifice gurillero, sont dpourvus depatriotisme et chappent ds quils le peuvent toute responsabilit Sergio na pas tpens par ses crateurs comme un contre-modle condamner, mais plutt comme unappel la vigilance face au dogme. Il nest quun homme pris dans le tourbillonhistorique, il renvoie une humble humanit, loin des figures homriques telles le Che,mort quelques mois avant le dbut du tournage de MDS. Un Titn raliste a crit en1969 une amie qui avait peur de retourner Cuba :

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MDS et MDD rconcilient, en somme, film politique et crativit en questionnantlengagement mais sans la pesanteur didactique. Alea, rvolutionnaire inquisiteur maisprudent expose, Coyula tirant balles relles incrimine, mais tous deux uvrent la

multiplication des points de vue et plaident finalement en faveur des outsiders quimritent lindulgence plutt que lostracisme.

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Notes

1Le panorama des annes 2000 est bien diffrent avec lmergence des cinmas indpendants etde leurs messages et style plurivoques. Sur les crans franais, le choix de diffusion de filmscubains a longtemps t restreint. Seuls des festivals comme Toulouse ou Clermont-Ferranddcident de montrer de Cuba, en plus de la production institutionnelle parfois russie etclairante, des uvres plus complexes ou polmiques.

2 Bibliographie et Filmographie : Edmundo Desnoses, Memorias del subdesarrollo, 1republication, La Havane, Editorial Unin, 1965, 60 p. Desnoses, Memorias del subdesarrollo,dernire publication, Sville, Mono Azul, 2006, 181 p. Toms Gutirrez Alea, Memorias delsubdesarrollo, Cuba, ICAIC, 1968, 97 Desnoses,Memorias del desarrollo, Sville, Mono Azul,2007, 252 p. Miguel Coyuela,Memorias del desarrollo,2010, 113.

3Carlos Saura raconte une rencontre avec son ami : Un jour, jai reu un appel. La Rvolutioncubaine venait de triompher et Titn tait Madrid. Il ma donn rendez-vous dans un htel deluxe. Jy suis all et devant mes yeux bahis sest prsent un homme barbu vtu comme unmilitaire et entour par dautres militaires barbus. Titn stait transform en Rvolutionnairecastriste [] rcemment revenu de la Sierra Maestra. Mais mon gars, cest quoi a ? lui ai-jedemand surpris de voir son accoutrement. [] Il ma dit que sa mission tait de dmasquer les


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gusanos comme Cabrera Infante qui avaient une posture douteuse sur la Rvolution cubaine.[] Ctait une poque de tension et les Cubains tentaient dexpliquer au monde les raisons deleur rvolution []. Emmanuel Larraz (textes runis par), Voir et lire Toms Gutirrez Alea.

La Mort dun bureaucrate, Dijon, Universit de Bourgogne, 2002, p. 6.

4Esta tierra nuestra (1959),Historias de la Revolucin (1960),Muerte al invasor (1961).

5Ver de terre, nom donn par le rgime aux exils et dissidents.

6Fidel Castro, 10 octobre 1968.

7MDS a t tourn entre fvrier et avril 1968.

8Red Cockroaches (2003) et Corazn Azul (2013), appartiennent plutt au genre science-fiction.

9Volver sobre mis pasos, Une slection pistolaire de Mirta Ibarra, Madrid, Autor, 2007, p. 167.Les citations en espagnol sont traduites par lauteur.

10Au moment o Alea cumait les festivals europens, il sest retrouv confront aux vnementsde 1968. Le cas cubain tait alors peru comme une utopie positive et une source dinspiration.

11Volver sobre mis pasos,op. cit., p. 175.

12Notons lanagramme : dog/god, (chien/dieu).

13Instituto Cubano de Arte e Industria Cinematogrficos.

14A Manuela, in Volver sobre mis pasos,p. 187-188.

Table des illustrations

Titre Memorias del subdesarrollo, de Toms Gutirrez Alea (1968)

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Titre Memorias del desarrollo, de Miguel Coyula (2010)

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Titre Collages, Memorias del desarrollo, de Miguel Coyula (2010)

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Titre Siempre necesitan que alguien piense por ellos, Memorias del

subdesarrollo, de Toms Gutirrez Alea (1968)

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Titre Sergio vs Fiddle, Memorias del desarrollo, de Miguel Coyula (2010)

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Titre Sergio, Memorias del subdesarrollo, de Toms Gutirrez Alea (1968)

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URL https://reader009.{domain}/reader009/html5/0327/5ab97027b8eb4/5ab9703771ade.jpgFichierimage/jpeg, 116k

Titre Memorias del desarrollo,de Miguel Coyula (2010)

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Titre Toms Gutirrez Alea

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Titre Miguel Coyula

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Pour citer cet article

Rfrence papier

Magali Kabous, Mmoires du sous-dveloppement& Mmoires du dveloppement:

radiographies de la politique cubaine , Cinmas dAmrique latine, 21 | 2013, 80-94.

Rfrence lectro nique

Magali Kabous, Mmoires du sous-dveloppement& Mmoires du dveloppement:

radiographies de la politique cubaine , Cinmas dAmrique latine[En ligne], 21 | 2013, mis

en ligne le 11 dcembre 2014, consult le 02 juillet 2016. URL : http://cinelatino.revues.org/236

Auteur

Magali KabousDepuis 2000, Magali Kabous collabore avec lARCALT et travaille sur Cuba. Aprs avoir

soutenu Toulouse II-Le Mirail une thse de doctorat sur le sujet, elle a obtenu un poste dematre de confrences lUniversit Lumire Lyon II. Actuellement, ses recherches portent sur

le cinma indpendant cubain.

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Droits dauteur

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Mémoires du sous-développement & Mémoires du développement _ radiographies de la politique cubaine.pdf