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  Mollien, François-Nicolas. Mémoires d'un ministre du trésor public 1780-1815 . Tome premier. 2001. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisatio n commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fournitur e de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenair es. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothè que municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisat eur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisati on. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

Mémoires d'un ministre du trésor public, 1780-1815, Tome 1

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Mollien, Franois-Nicolas. Mmoires d'un ministre du trsor public 1780-1815 . Tome premier. 2001.

1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numriques d'oeuvres tombes dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur rutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n78-753 du 17 juillet 1978 : *La rutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la lgislation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La rutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par rutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits labors ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accder aux tarifs et la licence

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COMTE MOLLIEN

MEMOIRES

D'UN MINISTRE DUTRSOR PUBLIC1780-1815Avec une notice par M. Ch. GOMEL

TOME PREMIER

PARISGUILLAUMIN DITEURS DU JOURNAL ET DES Cie CONOMISTE 14

RUE

RICHELIEU,

1898

MMOIRES D'UN MINISTRE DU TRSOR PUBLIC

1. TOME

COMTE MOLLIEN MMOIRES

D'UN MINISTRE DU TRSOR PUBLIC 17801815Arec une notice par M. Ch. GOMEL

PARIS GUILLAUMIN ET CieDITEURS DU JOURNAL DES 14 CONOMISTES RUE RICHELIEU,

AVIS DES DITEURS

Les mmoires du comte Mollien n'ont jamais t mis en circulation. Nous avons pens qu'ils seraient lus avec intrt l'poque actuelle o les questions de finances tiennent une place si importante et o les esprits recherchent avec ardeur tous les tmoignages nouveaux qui peuvent clairer et remettre son vritable point cette priode si extraordinaire journaliers sont eux seuls de prcieux documents. de notre histoire. Les rapports du comte Mollien avec Napolon

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Bien rares sont les auteurs de mmoires qui, en s'adressant la postrit, prennent la plume avec le seul souci de la renseigner impartialement, sans passion et avec exactitude, sur les hommes et les vnements au milieu desquels ils ont vcu. Mollien est de ceux-l. Aprs avoir t, pendant quatorze annes, l'un des principaux collaborateurs du souverain qui avait port le plus haut la gloire de la France et qui, malgr ses fautes et ses revers, tait incontestablement un des plus tonnants gnies qu'et produit l'humanit, il considra comme un devoir de conserver par crit le souvenir des grandes choses qu'il avait vues de si prs. N'avait-il pas d'ailleurs sa et nombreux documents, disposition d'importants que lui avait valus l'exercice des fonctions dont il avait t investi ? Il rsolut de s'en servir pour tayer son rcit, et dsireux de mettre en vidence non pas ses propres mrites, mais les procds financiers qui

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avaient permis au gouvernement imprial de faire face aux dpenses ncessites par des guerres presque ininterrompues, il entreprit de relater les actes principaux de sa carrire. La clart de l'exposition, la prcision des dtails, la modration des ides et des jugements, sont autant de qualits qui distinguent l'ouvrage de Mollien. Mais, ce qui en fait surtout le prix, c'est l'abondance des renseignements qu'on y trouve sur la part considrable prise par Napolon non seulement la direction des finances, mais encore leur gestion pour ainsi dire journalire, sur l'attention avec laquelle il tudiait, la veille de ses campagnes, les ressources que pourrait lui fournir le Trsor, sur l'intrt qu'il attachait, si loin que l'eussent entran ses conqutes, se tenir minutieusement au courant de la situation budgtaire sur la vigilance qu'il mettait surveiller, de loin comme de prs, l'emploi rgulier des crdits ouverts ses ministres, sur l'conomie dont il s'tait fait une rgle inflexible pour l'entretien de ses immenses armes. Mollien, il est vrai, n'a eu de relations avec l'empereur que pour s'occuper des questions de trsorerie. Mais, mme ce point de vue restreint, ce qu'il nous raconte suffit pour attester les puissantes facults d'administrateur que possdait Napolon. Les Mmoires d'un ministre du Trsor prsentent donc, dans leur genre, pour quiconque veut envisager sous ses divers aspects le gnie du grand homme, une importance gale celle des mmoires dans lesquels ses

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gnraux ont dpeint les actions du capitaine qui les a mens si souvent la victoire. Dans son ouvrage, Mollien ne nous parle pas, au surplus, uniquement de sa carrire ministrielle. Il raconte les premiers incidents de sa vie, il nous fournit des indications d'un grand intrt sur l'organisation financire d l'ancienne monarchie, il nous montre comment l'apprentissage financier qu'il accomplit sous l'ancien rgime le prpara remplir les places qu'il occupa plus tard avec une rare distinction. Franois-Nicolas Mollien naquit Rouen en 1758. Son pre tait commerant. Il avait l'esprit cultiv, et voulant que son fils reut une instruction plus soigne que celle qui aurait pu lui tre donne dans sa ville natale, il l'envoya, l'ge de douze ans, dans un collge de l'Universit de Paris. Le jeune Mollien s'y distingua quatre ans plus tard, il avait termin ses tudes et il retourna Rouen, o un des premiers avocats de la ville l'admit dans son cabinet. Amen dans la capitale l'anne suivante par un plaideur pour lequel il avait rdig un mmoire, il fut prsent au clbre avocat Gerbier, qui le dtourna d'entrer au barreau. Celui-ci lui exposa que les vieilles institutions de la France taient branles, que tout le monde tait d'accord pour les rformer, sans qu'on pt savoir quel nouvel ordre de choses s'tablirait dans le royaume, qu'une rvolution politique et sociale dont il tait impossible de mesurer la porte se prparait, et que les anciennes lois taient la veille de dispa-

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ratre. Comme Voltaire, comme d'Argenson et, beaucoup d'autres esprits distingus de son temps, Gerbier prvoyait donc ds 1775 le mouvement mancipateur qui devait se produire en 1789, et Mollien, renonant j'lude du droit, se fit admettre dans les bureaux de la ferme gnrale. C'tait une compagnie compose de soixante fermiers gnraux, et charge de percevoir les taxes indirectes au profit de l'Etat droits sur le vin, la bire, le cidre et l'alcool, sur le sel, sur le tabac, sur les fers, les cuirs et autres objets fabriqus, droits de douane qu'on appelait alors droits de traite et qui taient exigibles tant aux frontires du royaume qu' la limite de diverses provinces, droits sur les denres l'entre des principales villes, etc. Le taux de ces droits variait l'infini leur recouvrement tait protg par une lgislation fiscale dont l'extrme svrit ne parvenait pourtant pas empcher qu'ils ne fussent souvent frauds la contrebande tait trs active et la ferme gnrale entretenait, pour la leve des contributions, une sorte d'arme de trente mille agents de tous ordres. Ainsi mise sans cesse en contact avec la population, elle tait l'objet d'une impopularit qu'augmentait encore l'envia suscite par les grosses fortunes de quelques fermiers gnraux. Sous Louis XV, certains d'entre eux avaient affich un luxe scandaleux, qui avait contribu leur dconsidration. Mais, sous Louis XVI, l'poque o Mollien obtint un emploi dans la ferme gnrale, les fermiers taient pour la plupart d'honntes gens, de riches fonction-

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naires, qui trouvaient, dans les revenus que leur rapportait leur place, une fructueuse rmunration de leurs capitaux. La mise de fonds de chacun d'eux tait, en effet, de 1.560.000 livres; elle reprsentait leur part dans la valeur des btiments de la ferme et dans celle des sels et tabacs emmagasins. Ils avaient droit sur cette mise de fonds un intrt de 5,65 et, en outre, ils avaient se rpartir entre eux un bnfice de 2 300.000 livres par tte. Mais ils avaient presque tous des associs, ce qui diminuait le montant des sommes qui restaient en dfinitive entre leurs mains. L'organisation de la ferme gnrale s'tait elle possdait une comptapeu peu perfectionne bilit trs complique, qui ne laissait chapper la trace d'aucune des recettes faites par la compagnie, mais qui prsentait le dfaut d'tre toujours de deux ou trois ans en retard il est vrai que les comptes du Trsor royal n'taient alors arrts et appuys de pices justificatives qu'avec un retard plus considrable encore. Mollien fut attach pendant six ans l'administration de la ferme gnrale il en scruta tous les rouages et il ne tarda pas se convaincre que l'intrt de l'Etat et exig sa suppression. En faisant percevoir par ses propres agents les impts indirects, il et, en effet, accru ses recettes des bnfices raliss par la ferme. Le bail de celle-ci venant chance en 1780, Necker allait-il profiter de cette circonstance pour substituer la rgie l'affermage ? Il n'osa pas accomplir cette rforme, et il se contenta d'enlever

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la ferme gnrale le recouvrement des droits d'aides sur les boissons, des droits de contrle sur les actes et des droits domaniaux, recouvrement qui ft confi a deux rgies diffrentes en mme temps, il augmenta le prix du bail pour les impts dont l'affermage fut maintenu, et il rduisit le nombre ainsi que le traitement des fermiers gnraux. Mollien applaudit toutes ces mesures et bientt aprs, en 1781, il signala son zle pour le bien public par la rdaction d'un rapport sur la franchise du port de Bayonne. La ferme gnrale tait oppose ce projet et elle le fit chouer mais un intendant des finances charg de la surveillance de la ferme, M. de Villevault, fut frapp des considrations que Mollien avait dveloppes dans son rapport et il lui proposa d'entrer dans son service. Moilien accepta, et d'agent de la ferme il devint l'un de ses contrleurs. En cette qualit, il travailla la prparation d'un nouveau bail que Calonne eut passer avec la ferme en 1786. Il dressa des tableaux tablissant la progression de plus en plus rapide du rendement des taxes affermes, et il contribua ainsi l'adoption d'un trait qui accrut de dix millions par an le prix minimum, qu'en vertu de leur bail les fermiers gnraux s'engagrent verser dans les caisses du Trsor. On sait que l'Assemble Constituante supprima non seulement la ferme gnrale, mais aussi les impts dont la leve avait t dans ses attributions. Mollien parat avoir t comme tourdi par la prcipitation qu'apportrent les Constituants oprer des rformes

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fiscales, et par leur parti pris de laisser les contribuables se soustraire au paiement de l'impt. 11 aspirait quitter Paris, et vers la fin de 1791 il accepta la place de directeur de l'enregistrement et des domaines Evreux. 11ne la conserva pas longtemps, car aprs le 10 aot il fut destitu. Sans fortune et avec l'espoir de se faire oublier en se consacrant des affaires industrielles, il prit un intrt dans une filature de coton qu'un de ses parents venait de monter dans le dpartement de la Seine-Infrieure, et mand Paris par Clavires, au mois de mai 1793, il refusa de rentrer dans l'administration des finances. C'tait agir prudemment, car, sous le rgime de la Terreur, tout poste qui vous mettait en vidence vous exposait au danger. Il n'vita pourtant pas d'tre dnonc, comparut au mois de fvrier 1794 devant le tribunal rvolutionnaire d'Evreux, fut acquitt, mais arrt quelques jours aprs, conduit dans la capitale et emprisonn avec les fermiers gnraux. Ils taient au nombre de trente-deux, et comme le dit Mollien, on n'en voulait qu' leurs richesses. Ils repoussrent victorieusement tous les reproches de malversation qui leur furent adresss ils n'en furent pas moins condamns mort, sauf trois d'entre eux, et excuts. Le 9 thermidor arriva avant que Mollien n'et son tour pass en jugement, et le 2 aot 1794 il tait remis en libert. Il employa les annes qui suivirent s'occuper de sa manufacture et voyager en Angleterre, o il tudia le systme et le fonctionnement de la Banque. Il tait de retour en France

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quand Bonaparte s'empara du pouvoir au 18 brumaire. n ne cache pas la joie qu'il ressentit voir un gouvernement fort et ami de l'ordre succder l'anarchie directoriale. Il prouva une joie non moindre voir le premier consul et son ministre des finances, Gaudin, rorganiser l'administration fiscale, veiller la rentre des contributions, et prendre des mesures tant pour relever la valeur de la matire imposable que pour hilter le paiement des rentes et d'une masse de dettes de l'Etat depuis longtemps en souffrance. Gaudin tait l'ami de Mollien. Il lui demanda son concours et lui olfrit la direction de la Caisse d'amortissement qu'il venait de crer. Malgr son titre, elle avait moins pour but d'amortir la dette publique que de faciliter le service courant du Trsor, au moyen de la ngociation des obligations souscrites par les receveurs gnraux, obligations qui constituaient des avances sur la rentre des impts. Ceux-ci n'taient en effet verss au Trsor que dans un dlai de quinze vingt mois, tandis que la plupart des dpenses devaient tre acquittes par douzimes la fin de chaque mois. Mollien tait d'avis qu'il tait prmatur de constituer une Caisse d'amortissement, une poque o les ressources de l'Etat taient fort audessous de ses besoins, et o l'arrir des ministres atteignait des sommes trs leves. Nanmoins, il estima que la nouvelle institution aiderait au relvement du crdit public et faciliterait les paiements de l'Etat. JI accepta donc de diriger la Caisse d'amortissement, s'empressa d'en organiser la comptabilit

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et le contrle, y introduisit la mthode de la partie double qui n'avait encore t mise en pratique dans aucune administration officielle, et dirigea les oprations de la Caisse avec tant d'habilet que, d'aprs les comptes qu'il publia au commencement de l'anne 1801, son capital primitif de 10.800.000 francs se trouvait lev 13.400.000 francs. Les cours de la taient si bas au dbut du Consulat, que rente 5 moyennant 5.200.000 francs, la Caisse avait pu acqurir 686.000 francs de rente. L'apparition de ce compte produisit dans le public le meilleur effet. Mais le bruit s'tant rpandu que la Caisse d'amortissement allait recevoir du gouvernement un supplment de dotation dont elle se servirait pour acheter des rentes, une spculation la hausse s'engagea la Bourse; elle ne russit pas, parce que le bruit qui lui avait donn naissance tait mal fond, et la Caisse fut accuse de connivence avec les joueurs la baisse. Cette circonstance fut l'occasion de la premire entrevue de Mollien avec le gnral Bonaparte. Celui-ci commena par lui dire qu' son avis la Caissed'amortissement devait tre l'arbitre du cours des effets publics. Mais Mollien lui dmontra aisment que la hausse ou la baisse de la rente, tenait un ensemble de causes bien plus complexes que la simple intervention d'un tablissement disposant de quelques millions. Bonaparte avait d'ailleurs un autre objet en vue c'tait de se faire expliquer le mcanisme de la Caisse. Par des questions prcises il amena, en consquence, son interlocuteur a exposer non seulement de quelle ma-

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nire ce mcanisme fonctionnait, mais les amliorations dont il tait susceptible, et il s'appropria la plupart des ides qu'il lui soumit. Puis il tint une seconde confrence laquelle assistrent Mollien, les deux autres consuls et les ministres il y critiqua dans .les termes les plus svres un plan de rorganisation de la Caisse prpar par le Conseil d'Etat, contrairement quelques-unes des intentions qu'il avait manifestes son ministre des finances, et finalement un dcret rorganisa la Caisse d'amortissement, tendit ses attributions, augmenta ses moyens d'action, et nomma Mollien, qui avait eu jusqu'alors pour collgues deux autres administrateurs, directeur gnral de cette institution. Les rapports qui s'taient ainsi tablis entre Napolon et Mollien ne tardrent pas devenir frquents. .Le premier reconnaissait la comptence du second! dans les affaires financires, son honntet et sa parfaite bonne foi. Il le consulta spcialement sur le rle de la Banque de France, sur les services qu'en pouvait attendre le gouvernement, et Mollien lui fit sentir les dangers qui seraient rsults d'une mission de billets hors de proportion avec le montant des effets decommerce ngociables. Devant les objections de Mollien, il renona exiger que la Banque vint au secours de l'Etat et cependant le Trsor soufrrait de l'insuffisance du produit des impts par rapport aux dpenses, ce qui faisait que les valeurs par lui cres n'taient pas reues au pair celles brve chance taient elles-mmes offertes 1 de perte. Autant

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Napolon se montrait cassant et absolu dans les discussions, autant il dployait de bonne humeur dans les conversations prives o il cherchait s'instruire de ce qu'il voulait savoir. Un de ses principes consistant toujours tenir ses ministres en veil et leur inspirer la crainte d'tre, sur quelque point, pris en dfaut, il ne ngligeait aucun moyen d informations, tl chargea donc Mollien, dont la modestie et le bon sens lui inspiraient confiance, de lui rendre compte de tous les mmoires qui lui taient journellement adresss sur le crdit, les impts, les emprunts, les et comme Mollien lui faisait remarquer monnaies un jour qu'il n'y avait pas un seul des conseils contenus dans ces mmoires qui fut digne d'tre suivi, ce n'est pas des conseils que j'attends, lui rpondit vivement Bonaparte, mais des avertissements. Paroles remarquables, qui montrent la conception qu'il se faisait du gouvernement personnel toute l'autorit pour lui-mme, mais avec le devoir de n'ignorer rien de ce qui disait et de ce qui se passait en France. Ses rsolutions une fois prises taient inbranlables, et il ne restait qu' se soumettre. Nous n'en citerons qu'un exemple: les fonds publics ayant baiss au moment de la rupture de la paix d'Amiens, et le premier consul ayant ordonn la Caisse d'amortissement d'intervenir la Bourse afin de soutenir les cours du 5 c'est en vain que Mollien lui reprsenta que cette intervention serait ineflicace, qu'elle tait injuste et qu'elle occasionnerait l'Etat une perte certaine. Bonaparte maintint ses ordres et les

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choses se passrent comme l'avait prvu Mollien la Caisse consacra douze millions en trois jours acheter de la rente, devant la multiplicit des offres elle dut cesser ses achats et la baisse atteignit bientt plus de 10 Aprs la proclamation de l'empire, Mollien fut nomm conseiller d'Etat, tout en conservant la direction de la Caisse d'amortissement. La situation de cet tablissement tait bonne, mais il n'en tait pas de mme de celle des finances de l'Etat. Les dpenses des ministres de la guerre et de la marine avaient pris un dveloppement qui finit par puiser les ressources du Trsor. Pendant la campagne de 1805, ses embarras furent tels, qu'il lui fut impossible de continuer ses paiements. En mme temps, la Banque de France qui avait imprudemment grossi le chiffre de ses escomptes et. le montant de sa circulation de papier, se vit assaillie de demandes de remboursement de ses billets et elle ne put y faire face. Une crise intense clata sur la place de Paris. Napolon s'en inquita, et peine de retour aux Tuileries, il runit le 26 janvier 1806 un conseil qui dura neuf heures. Ce conseil eut pour rsultat la destitution de Barb-Marbois, ministre du Trsor, et son remplacement par Mollien. C'est par pur sentiment du devoir et avec une apprhension bien comprhensible, que ce dernier accepta le ministre du Trsor. D'une part, en effet, les dtails qu'il avait entendus dans la sance laquelle il venait 'd'assister ne lui laissaient aucune

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illusion sur la gravit du dficit avec lequel il allait, se trouver aux prises d'autre part, il connaissait la msintelligence qui avait jusqu'alors exist entre les deux ministres qui se partageaient cette poque l'administration des finances. Comme il l'explique fort bien, l'un avait la prvoyance sans l'action, l'autre avait l'action sans la prvoyance. Ce ddoublement des attributions tait mauvais mais l'empereur l'avait imagin, parce qu'il voulait que les deux ministres se contrlassent l'un par l'autre, et surtout parce qu'il entendait tre lui-mme son propre ministre des finances. Quoiqu'il en soit, son arrive au Trsor, Mollien trouva 30 millions d'ordonnances de paiement en souffrance, un arrir de 15 millions sur la solde des troupes qui tenaient garnison en France et un excdent de dpenses de prs de 100 millions comparativement aux recettes des deux derniers exercices. En outre, les oprations d'une socit de banquiers et fournisseurs, connus sous le nom de faiseurs de service, avec lesquels avait trait M. de Marbois et qu'il n'avait pas surveills suffisamment, se traduisaient par une perte momentane de 142 millions. La gne de la trsorerie tait, par suite, extrme et il importait d'y parer au plus vite. C'est quoi s'appliqua Mollien, et le succs couronna ses efforts. Ainsi la fin de 1806, le dficit des faiseurs de service tait ramen 85 millions et au mois de mars 1808 il n'tait plus que de 13 millions. D'un autre ct, l'escompte des obligations souscrites par les receveurs

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gnraux baissa en quelques mois, grce la paix qui venait d'tre conclue avec l'Autriche, de 12 (i ou 7 Mais Mollien trouvait avec raison que la facult dont ils jouissaient de ne verser au Trsor qu'au bout de dix-huit mois le produit de l'impt, tait fort onreuse pour l'Etat. Afin de les engager se dessaisir plus tt des sommes payes par les contribuables, il imagina d'attribuer un intrt leurs versements et il cra une caisse, dite caisse de service, dans laquelle les comptables furent tenus de verser les recettes aussitt aprs leur recouvrement. Cette rforme eut pour consquence d'accrotre d'une quarantaine de millions les fonds de la trsorerie, de faciliter les oprations de paiement et de relever ce point le crdit du Trsor, qu'il put placer au pair ses mandats, ses bons vue, ses effets sur la province, et se procurer de 100 150 millions par des emprunts court terme, qui se renouvelaient au fur et mesure de leur chance et dont le taux ne dpassait pas 5 Ces heureux rsultats causrent beaucoup de satisfaction l'empereur, qui en flicita son ministre. Et comment ne l'aurait-il pas lou, en apprenant qu'au mois de janvier 1807, la trsorerie, au lieu d'tre aux abois comme elle l'tait un an plus tt, possdait plus de 60 millions en espces dans la caisse de service de Paris et dans les caisses de rserve de Mayence, Strasbourg et Turin? Rien n'est plus difficile que de changer une pratique administrative, si vicieuse qu'elle soit, et surtout quand son origine est ancienne. Mollien parvint

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nanmoins obtenir que les receveurs gnraux et tous les autres agents du Trsor tinssent leurs critures en partie double. n simplifia, en outre, les formalits applicables aux paiements, donna des instructions aux comptables pour qu'ils acquittassent plus rapidement les sommes dues par l'Etat ses cranciers, soumit la comptabilit du Trsor de nouvelles rgles que sanctionna un dcret, cra dans le sein de son administration un contrle destin prvenir toute erreur et tout dtournement enfin, il et l'ide de faire dresser tous les trois mois un bilan du Trsor, prsentant, en un petit nombre de feuilles, l'tat de ses dettes et de ses ressources, des recouvrements et des paiements par lui effectus durant l'exercice en cours et de ceux restant faire sur les exercices antrieurs. Ce bilan trimestriel tait chaque fois soumis l'empereur qui, mme en campagne, l'tudiait avec le plus grand soin et qui en utilisait les indications pour accabler ses ministres de demandes de renseignements et de justifications. Pendant les sjours qu'il faisait Paris, Napolon aimait travailler avec Mollien et il approuvait en gnral ses propositions. Nanmoins, il dcocha un jour contre les administrateurs qui avaient l'amour des innovations des pigrammes que Mollien crut tre son adresse, et il offrit de suite sa dmission l'empereur. Celui-ci la refusa et afin de prouver son ministre qu'il n'avait pas entendu le blmer, il lui accorda une gratification considrable sur son trsor priv. Ils n'taient pourtant pas toujours d'accord.

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Ainsi Mollien aurait attach le plus grand prix ce que les fournisseurs fussent exactement pays du prix de leurs fournitures c'et t, suivant lui, le moyen de les obtenir meilleur march et de meilleure qualit. Mais l'empereur n'aimait pas les fournisseurs, il leur reprochait leurs gains, et il lui arriva plusieurs fois de rduire les crdits qui leur taient destins, afin de couvrir des dpenses d'armement-et de solde. De mme au dbut de la guerre d'Espagne, le cours de la rente 5 ayant notablement flchi, il ordonna au ministre du Trsor de ne pas la laisser descendre audessous de 80 francs le ministre multiplia inutilement les objections contre cette fausse mesure, il dut se soumettre et l'Etat perdit une trentaine de millions vouloir maintenir le cours de 80 francs. Ce fut encore contre l'avis de Mollien qu'une somme de 18 millions fut employe en 1810 et 1811 des prts consentis des manufacturiers que ruinait le renchrissement des matires premires d au blocus continental, prts qui devaient tre rembourss par eux et que bien peu purent restituer. Enfin Mollien dploya une insistance peu prs infructueuse prie l'empereur de verser dans le Trsor les indemnits pcuniaires qu'il arrachait aux nations ennemies. Napolon les consacra constituer une caisse particulire laquelle il donna le nom de domaine extraordinaire, et dont il se rserva l'entire disposition. A trois reprises seulement, en 1807, 1811 et 1813, il accorda au Trsor, par des versements du domaine extraordinaire, des secours montant ensemble environ 120 millions. Dans le pu-

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blic on croyait au. contraire que les contributions imposes aux peuples vaincus tombaient en majeure partie dans le Trsor, et la rgularit inaccoutume avec laquelle;il remplissait ses engagements fortifiait cette opinion. Napolon tait bien aise qu'elle se propaget, car il tenait ce que les Franais fussent persuads que la guerre leur rapportait plus de profits que de charges. Il est certain, au surplus, que l'empereur attnua singulirement la dpense de ses armes, en les faisant vivre au dpens des nations dont, aprs la. victoire, elles occupaient le territoire, et il prolongea souvent cette occupation, afin de soulager son budget par les rquisitions et les leves de subsides. Enfin, il veillait avec une rigueur tonnante chez un conqurant renfermer dans d'troites limites les frais d'entretien de ses troupes grce elle, la dpense moyenne par homme, depuis le simple soldat jusqu'au marchal de France, ne ressortait qu' 700 francs par an, y compris la solde, les vivres, l'armement et la remonte, et la garde impriale, quoique jouissant d'avantages spciaux, ne cotait annuellement, pour 30.000 hommes, que 22 millions. Cela explique comment le premier empire put soutenir sans emprunts des guerres perptuelles. Il rsulte des tableaux budgtaires qui sont reproduits dans l'ouvrage de Mollien, que les dpenses du ministre de la guerre et de la marine ont toutefois toujours t en augmentant, qu'elles ont successivement atteint 418 millions en 1806, 460 en 1807, 493 en 1808, 508 en 1809, 498 en 1810, 663 en 1811,

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722 en 1812, 816 en 1813; et qu'elles ont absorb une part de plus en plus forte des recettes de l'Etat les trois cinquimes pendant les trois premires annes, les deux tiers pendant les trois dernires. Quant aux recettes, elles furent pour chaque exercice, sauf celui de 1811, gales aux dpenses mais en dpit de la fermet de l'administration qui n'aurait pas tolr que les contribuables ne payassent pas leurs impts, les recouvrements prouvaient des retards qui devinrent considrables partir de 1809. Sans un judicieux emploi des moyens de trsorerie, l'acquittement des dpenses ft devenu presque impossible. Aprs la chute de l'empire, les royalistes accusrent Napolon d'avoir dpens un milliard au-del des ressources ralisables, et ils reprochrent Mollien d'avoir laiss s'accumuler un arrir de 600 millions dans les ministres. L'ancien ministre du Trsor n'eut pas de peine dmontrer combien ce reproche tait immrit, mais il ne voulut pas livrer sa rponse la publicit. Lorsqu'il apprit le retour de l'empereur en 1815, il s'empressa d'aller le saluer, mais il et prfr ne pas avoir le servir de nouveau, car il prvoyait bref dlai une guerre terrible et l'crasement de la France. Napolon lui parla en des termes qui prouvaient que la confiance lui manquait lui-mme, mais il fit appel son dvouement et Mollien ne crut pas devoir lui refuser son concours. Il occupa donc pour la seconde fois le ministre du Trsor, et aprs les Cent jours il rentra dans la vie prive. La dignit de sa retraite et son renom d'habile administrateur

NOTICE SUR MOLLIEN

XIX

appelrent bientt l'attention sur lui, et le duc de Richelieu, prsident du Conseil, lui offrit le ministre des finances. Il le refusa et ne voulut pas davantage s'en charger sous le successeur du duc de Iiichelieu, M. Decazes. Mais celui-ci lui proposa une place la Chambre des pairs et il l'accepta avec empressement. Quoiqu'en 1819 Mollien fut dj g de fit ans, il resta pendant bien des annes encore membre de la Chambre Haute. Sous la Restauration, comme sous le gouvernement de Louis-Philippe, il y rdigea d'importants rapports sur des questions financires, et il y jouissait d'une lgitime autorit. Il s'teignit en 1850. Peu de vies ont t plus nobles et plus utiles que la sienne. Dans les pages qui prcdent nous nous sommes attach dire quel fut son rle et rsumer les points les plus saillants de sa carrire. Nous aurons atteint notre but, si nous sommes parvenu inspirer au lecteur le dsir d'en connatre les dtails, et de rechercher dans les Mmoires qu'il nous a laisss les preuves de la prodigieuse activit de Napolon.CH. GOMEL.

SUR MES MMOIRES1.Quam depono, vitam expono.

J'ignore sera ritable cience; en jamais nom,

quel rendu en

sera

le sort

de ce long Je lui mon

crit,

et s'il son v-

public. l'appelant assez que'je qui n'a

donnerais examen

de

cons-

etjepourrais si ce

raisonnablementmettre pense plus de moi peut motif intd'y

question,

resser penser. Mon

le public,

aucun

but

a t surtout

de

me

rendre

compte

1. Une premire impression de ces Mmoires avait t faite en 1837, et tire quelques exemplaires, seulement pour ma famille. Quelques personnes m'en demandrent confidentielleet crurent pouvoir y trouver, pour ment la communication, d'une plus haute importance, des renseignements de mettre leur disposition. Cette cirque je m'empressai me dtermina constance revoir cet crit, et l'imprimer dfinitivement des travaux

I.

en 1845.

1

2

SUR MES MMOIRES

de ma vie; toute simple qu'elle est, elle n'en appartient pas moins tout entire au public, moi-mme qui pourrait toujours me demander ce compte. Depuis 1774 jusqu'en 1814 (sauf huit annes passes dans la tourmente rvolutionnaire ou dans la rea toujours t de prendre quelque part aux affaires de la France j'ai donc un peu le droit de dire des faits contemTestis et pars aliqua fui. porains traite), classiques tait peine termin, lorsque dj le hasard m'avait ouvert la carrire des emplois de finances. Mon pre aurait dcsir que je fisse un autre choix; il m'avait cependant laiss profiter de l'occasion qui m'tait offerte et, sans autre recommandation que celle que se donne elle- mmela jeunesse modeste et docile, j'tais parvenu, aprs quelques annes de noviciat et fort jeune encore, ce qu'on nomme, dans les bureaux, une place suprieure. J'tais charg; sous la direction d'un intendant des finances, de suravec veiller, dans l'excution de ses engagements le gouvernement et l'accomplissement de ses devoirs envers le public, une de ces grandes compagnies qui recouvraient alors les impts, celle qu'on nommait la ferme-gnrale. Mon cours d'tudes ma principale affaire

SUR MES MMOIRES

3

Dans ce temps,

qu'ils gouvernaient de ridiculiser les airs d'importance que se donnaient mais il est vrai que, sur le terrain quelques-uns mouvant du ministre,

on disait des premiers commis la France. C'tait une manire

il n'y avait, en effet, de stabilit que pour eux seuls et c'tait l un moyen relle. On les considrait comme dd'importance positaires des vieilles traditions auxquelles la plupart des conseillers du trne tenaient, sans les dfinir,et seulement par les souvenirs qui s'attachaient aux noms de Louis XIV, de Colbert et de Louvois. Ainsi les cooprateurs secondaires surviencore presque toujours, mme aux ministres qu'ils avaient mal dirigs, ou auxquels ils n'avaient que trop bien obi. vaient, sous les pas des ministres, c'tait surtout sous ceux des ministres des finances. Si la terre tremblait Croirait-on que, dans un espace de dix-sept ans (de 1774 1791), je me suis trouv sous les ordres de quinze de ces ministres '? En voici la liste: l'abb

1. Monadmissiondans les bureaux des finances date en elfet dela dernire anne de mon cours classique(1774);maisj'avais obtenu la permission de n'en profiter que plus tard, et la suite de quelquesautres tudes qui m'taient ncessaires mme pour le noviciat.

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SUR MES MMOIRES

Terray, puis MM. Turgot, de Clugny, Taboureau, Necker, Joly de Fleury, d'Ormesson, de Calonne, de Fourqueux, Devilledeuil, Lambert, (2 ministre), Lambert, (2 ministre), Tarb. Une succession si rapide de titulaires, pour u n ministre o tout changement dans les hommes, Necker, Delessart et

aucun changelors mme qu'il ne pronostiquait ment dans le systme, devait mettre en moi tant d'intrts, gularit fantaisie du monarque; elle tait donc un symptme; et il tait grave Il signalait des obstacles que le pouvoir n'apercevait que trop tard, et pour reculer devant eux mieux observ, ce symptme l'et averti et prserv de ses mprises; il lui et rvl l'action encore occulte, mais irrsistible, d'une inIluence qui ne pouvait tre mconnue sans danger. En effet, quoi qu'on ait pu dire des intrigues de cour, il tait au-dessus de leur puissance d'oprer et certes on ne supseules de tels bouleversements; posera pas non plus qu'un prince aussi moral que Louis XVI se ft un jeu de donner de si frquents ses propres choix. On sait que, parmi les prtendants au ministre, Louis XVI avait toudmentis jours prfr celui qu'il croyait le plus probe et le ne pouvait pas tre seulement une sinde l'poque; elle tait encore moins une

SUR MES MMOIRES

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plus capable s'il abandonnait un ministre, c'tait toujours avec l'intention d'en donner un meilleur la France; eux-mmes disons mieux, qui, c'taient les ministres aprs quelques preuves assez courtes, croyaient devoir au monarque d'abandonner le poste auquel sa confiance les avait appels,

tout tonns de trouverdansl'opinion publique une ne pouvaient ni diriger puissance nouvelle,dontils ni braver les jugements de rencontrer barras dans la manuvre des finances, plus d'emtandis que

le pays croissait en richesse et d'avoir se dbattre contre une foule d'intrts nouveaux qui prtendaient que le ministre devait aussi compter avec eux, puisqu'ils payaient mieux et plus cher l'attention et les gards qu'ils rclamaient. Louis XVI avait toutes les vertus de l'homme de bien. Sa pit admettait mme la tolrance, qui convenait son sicle mais il portait (et peut-tre trop loin pour un roi) la modration de ses princila pes dans l'expression de ses commandements,et dfiance de lui-mme dans les questions politiques dont il devait tre l'arbitre. Quoique coup d'il ft habituellement juste, sait jamais son avis que sous la forme du doute. Dj alors la lutte qui s'tait engage en Europe son premier il ne propo-

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SUR MES MMOIRES

entre les vieilles routines

etles besoins rcents des

tous les espeuples, occupait plus srieusement prits et commenait les diviser. Mme parmi ces hritiers des anciens noms, .auxquels on aurait presque pardonn de comprendre dans leurs droits des exceptions qui avaient travers les sicles au profit de leurs anctres, chaque jour d'honorables transfuges venaient grossir les rangs des autres propritaires, qui demandaient que, pour tous les Franais, les lois et les taxes fussent gales. Et cependant la rformation ft alors contente la France, politique, dont se et peut-tre pour longtemps, n'tait gure autre que celle que le plus clair des ministres de Louis XV (M. de Machault) avait, dans prince La marche du gouvernement franais tait donc toute trace son but tait marqu ce n'tait plus le moment de douter; l'indcision n'avait pas le prtexte de la prudence; ce n'tait pas mme comme hritier d'un trne antique, c'tait presque comme fondateur d'une monarchie nouvelle que le motait appel accomplir plus grand uvre de la royaut. narque de la France le sa sage prvoyance, au milieu du dix-huitime propose sicle. ce

SUR MES MMOIRES

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Le chef d'un tat qui n'a pas su user propos de son droit pour faire la loi dans l'intrt de tous, doit finir par la recevoir lui-mme, au lieu de la donner; il la reoit et pour lui. alors moins bonne pour tous

Quand des changements un animement rclams par le vu et le besoin du pays sont invitables, ne faire mme que les retarder c'est, de la part du pouvoir public, se dclarer galement impuissant pour la concession et pour le refus Toutefois il faut encore rendre cette justice Louis XVI, que, s'il avait trop de modestie pour croire l'infaillibilit de ses choix, il avait en mme temps trop de discernement pour croire celle de ses ministres dans tous leurs actes. Il aimait s'clairer il avait mme par la censure publique; donn quelques hommes probes de sa cour le privilge de discuter, dans leurs motifs, ces jugements du public sous lesquels tant de rputations et l'on remarquait presque toujours succombaient que chaque nouveau ministre choisi par lui sedistinguait spcialement par unequalitdontlepublic avait signal et regrett l'absence dans son prd1. Ceci tait crit en 1817.

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SUR MES MMOIRES

cesseur. Quel contraste, sparent le dernier

en effet, et quelle distance ministre de Louis XV, qui fut

aussi pendant quelques moments celui de Louis XVI, l'abb Terray, d'un homme d'tat tel que M. Turgot, qui fut l'objet du premier choix du nouveau le roi, et qu'on nommerait peut-tre aujourd'hui ministre le plus clair du dix-huitime sicle, s'il et pu ou voulu avoir plus de mnagements pour les mdiocrits de son temps, et modrerson ardeu r pour l'adoption simultane de toutes les amliorations qui entraient dans son plan En mme temps quel meilleur tmoignage de la tolrance religieuse du prince et de sa condescendance pour les innovations utiles, que l'admission dans ses conseilsd'un simplebanquier, qui tait la fois tranger et protestant! Seulement il arriva que, toujours domin par sa trop grande dfiance de lui1 mme, Louis XVI, aprs avoir permis M. Necker de s'engager aussi dans un systme de rformes,

1. M.Neckeravait d'abord partag, en qualit de directeurgnral du trsor royal, le ministredes financesavecM. Taboureau, conseiller d'tat, qui avait seul le titre de ministre. M. Necker ne s'accommodapas longtemps de ce partage nominal. Pour pourvoir toutes les dpenses, il fallait bien qu'il et la surveillance des recettes. M.Taboureau, magistrat modeste et probe, reconnut son inutilit et se retira.

SUR MES MMOIRES

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peut-tre prmatures, laissa bientt aprs succomber le ministre sous l'attaque des ennemis de toute amlioration. Je ne rappellerai pas plusieurs autres ministres que rien ne rappelle; mais je ne puis pas laisser dans le mme oubli M. de Calonne, qu'on peut regarder comme le dernier de Louis XVI. ministre du choix libre

Ce prince, qui avait jug sans prvention l'esprit novateur de son sicle, pouvait, d'aprs ses preuves personnelles, craindre galement, pour la direction des affaires publiques, et ceux qui marchaient encore plus vite que le sicle, et ceux qui se tenaient trop en arrire. Il tait peu touch de ce qu'on vantait le plus dans M. de Calonne, la bonne grce de ses manires, la facilit de son esprit mais il en qu'on pourrait du moins trouver en lui cette flexibilit de principes qui avait manqu ses divers prdcesseurs, et qui rend les transactions plus commodes. concluait Sans doute M. de Calonne tait fort infrieur M. Turgot dans ce qu'on appellera quelque jour la science des socits humaines il n'tait pas non plus aussi austre dans sa morale que M. Necker, aussi habile dans la manuvre des deniers publics. Mais

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SUR MES MMOIRES

il se prdestinait depuis longtemps car il avait prpar de nouveaux

au ministre

plans que ses amis prconisaient. Je parlerai ailleurs de ces plans, qui taient annoncs comme devant redresser tous pas pu re M. de Calonne de ne pas rpondre aux procher demandes de rformes. Il proposait de supprimer presque tous les privilges locaux, et de soumettre toutes les provinces , des taxes uniformes; il proclamait l'galit de tous les Franais devant l'impt il esprait mme modifier, sous plusieurs rapports, la condition des proprits du clerg enfin, dans les finances, il ne devait rien laisser sa place. Il est vrai que, pour combler le dficit des revenus publics, il ne prsentait que de nouveaux d'preuves impts essayer c'tait un programme trou faire il fallait abattre avant de construire ver dans les ruines des matriaux tout appropris leur nouvel emploi, dans tous les hommes disposition et aptitude obir. Certes il n'tait pas difficile de prvoir, ds ce moment, que la rvolution que M. de Calonne projetait dans les finances ne s'arrterait pas sa seule disgrce. Une assemble des notables du royaume avait t les torts; ce qu'ils apportaient, c'taient ainsi on n'aurait grands changements; surtout de

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propositions. Un ministre convoquepourjugerces des finances, qui n'avait jamais rien refus personne, ne trouva pas ces notables si complaisants, et lorsque, l'occasion d'opposition qu'ils devoir venir au secours de son ministre, en disant Je veux qu'on sache que je suis conaux notables tent de mon contrleur gnral, il arriva ds lors que, par une seule phrase, cet excellent prince commena compromettre, plus encore que la popularit dont il tait si digne, le pouvoir du monarque. Deux jours aprs, M. de Calonne n'tait plus ministre Cette premire assemble de notables avait t remplace par une seconde qui se montrait moins bienexigeante. Plusieurs parlements dclarrent tt que de simples notables ne pouvaient pas tre des organes assez imposants des griefs publics. Le parlement de Paris prit acte de ce vu pour de1. Le parlement de Paris avait sur les autres parlements de France le privilge de pouvoir former plus souvent la Cour des Pairs par la convocation des pairs de cette poque ses remontrances taient accueillies, sinon avec faveur, au moins avec gards. des premiers symptmes Louis XVI crt montrrent,

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SURMESMMOIRES

mander solennellement

qu'on rendt laFrance ses tats-Gnraux, qui n'avaient pas t convoqus depuis 1614. On avait bien conserv encore, en 1788, tradition de la division des tats-Gnraux de la France en trois ordres, et de la dlibration spare des trois ordres, composs chacun d'un nombre Mais, aprs quelques gal de membres. premires explications, et comme s'il et t question de la formalit la plus simple, il fut dcid que les nouveaux composs, pour les trois ordres, de mille dputs, et que le tiers-tat aurait seul autant de dputs que le clerg et la noblesse. C'tait arrter dj implicitement que en commun et par les trois ordres dlibreraient tte, la question du nombre n'tant de quelque intrt pour le tiers-tat que dans cette seule position. n est vrai que le tiers-tat commenait prendre une bien plus grande place en prsence des deux ordres depuis qu'on avait tant de fois rpt, tant Le tiers-tat est la de fois imprim cette dfinition nation proprement dite, moins la noblesse et le clerg. Et, en effet, ds les premires sances de ces tatsGnraux, qui prirent le nom d'Assemble nationale, le tiers-tat, par les talents et la rsolution recrues dans les qu'il montra, se fit d'imposantes tats-Gnraux seraient

SUR MES MMOIRES

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deux autres ordres dlibrations. Je n'avais aucune

il devint et resta. l'arbitre

des

part prendre aux redressements que voulait faire l'Assemble constituante, ni aux renversements qu'elle opra: on pourrait dire des uns et des autres qu'ils taient la consquence logique de la dfinition qu'elle avait adopte sur le tiers-tat. Je voulais tre encore plus tranger l'hritage qu'elle laissait l'Assemble lgislative, qui la remplaa je n'avais pas attendu la fin de sa session pour quitter Paris. En m'loignant de tant d'branlements, devenus si faciles, je ne pouvais pas garder une grande estime aux mthodes administratives du gouvernement qui succombait. Je m'accusais (moi, la suite de beaucoup d'autres) de n'avoir pas su le mieux dfendre. Jusqu'alors je n'avais encore fait que parcourir un livre anglais, dont parlaientavec un grand loge

les disciples qu'avait laisss M. Turgot, l'ouvrage d'Adam Smith. J'avais remarqu surtout que le vnrable et judicieux Malesherbes en disait du bien. Le mme ouvrage tait dnigr par tous les hommes de l'ancienne routine, qui se disaient si de l'cole de Colbert. Ils semblaient improprement s'tre persuad que ce qui importait avant tout la

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SUR MES MMOIRES

richesse de notre nation, c'tait qu'il ne sortt jamais un cu de France qu'avec cette garantie et sous, cette condition, le genre et la quotit de l'impt, le taux du salaire, le plus ou le moins de perfection des procds industriels, le prix des matires premires, taient choses compltement indiffrentes, pourvu que ce ft un Franais qui gagndt ce qu'aurait pu perdre un autre Franais. Ces mmes hommes poursuivaient encore la mmoire de M. de Vergennes, parce que ce ministre avait pens qu'il n'tait pas hors de propos, aprs la guerre d'Amrique, d'ouvrir de nouvelles routes notre commerce, soit avec les tats-Unis, soit mme avec Ce que M. de Vergennes avait surtout judicieusement pens, c'tait que la lgislation que Colbert avait rendue propre, en 1664, l'industrie l'Angleterre. naissante annes de nouveaux arts, tait successivement devenue d'autantmoins propre aux vingt dernires du dix-huitime et sous son insicle

en renouvelant fluence, le gouvernement, pour 1786 le bail des impts afferms aux fermiers-gnraux, en avait except les droits de douanes, parce qu'il se rservait de les modifier les fermiers-gnraux ne devaient en continuer le recouvrement que comme simples rgisseurs: je puis d'autant

SUR MESMMOIRES mieux attester rdacteur atteint

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ce fait et son motif, que j'ai t le de ce nouveau trait de six ans, qui a eu d'excution en 1786, et n'a pas

un commencement son terme.

Je l'avoue la honte de ma premire cole, ce fut ce livre d'Adam Smith, encore si peu connu et laquelle j'avais dj dcri par l'administration appartenu, qui me fit, et un peu trop tard sans doute, mieux apprcier la multitude de points de contact par lesquels les finances gnent chaque famille juges dans chaque foyer. Qui me fit mieux comprendre publiques atteice qui leur fait trouver des

l'action rciproque des revenus publics et des revenus privs Les caractres propres de la matire impo-

sable La proportion dans laquelle les impts doivent se renfermer pour ne pas affaiblir le principe vital des socits, consquemment celui des gouvernements, et pour ne pas tarir ainsi leur propre source Le devoir et la ncessit pour tout gouvernement et de discerned'observer, avec assez d'attention ment, la tendance des murs et des besoins, les de l'intelligence humaine et de dveloppements l'industrie sociale, pour n'en jamais contrarier ni

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SUR MES MMOIRES

retarder les progrs, et surtout pour ne demander pur l'impt, la proprit, quelle qu'elle soit, qu'une j uste part dans les revenus et produits, dont elle peut faire l'abandon sans dommage pour elle. L'horizon de l'impt, qui jusqu'alors s'tait born pour moi aux seuls rapports de ses divers percepteurs avec le trsor royal, commena mes yeux j'entrevis Que la connaissance textuelle s'tendre

des tarifs et des

rglements, et la manuvre des chiffres, ne constituaient pas seules le savoir en finance que l'tude de cette science ne pouvait se complter que par celle de la socit mme, dont elle devait toujours avoir en regard les mouvements progressifs, consquemment tous les intrts nouveaux, dans l'application de chacun de ses actes. Que, sous tout gouvernement prvoyant, l'impt devait trouver sa limite comme sa cause dans les publiques, lesquelles ne se composent que du salaire exact des services dont la gnralit a profit, ou du remboursement proportionnel des avances relles, faites par quelquesuns dans l'intrt de tous; Que, pour la leve de l'impt, l'Etat n'intervenant que comme un associ admis au partage des seules ncessits

SUR MES MMOIRES

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bnfices, sa part ne devait pas rester la mme lorsque les bnfices taient moindres Que, si les taxes ne pouvaient pas, sans inconvnients, varier chaque gereux encore qu'elles ment immuables, car celles qui auraient caus la ruine d'une seule classe de contribuables pourraient produire le plus irrmdiable des dficits Que le droit de lever des impts supposait le devoir de leur restitution immdiate que la restitution, en ce cas, ne pouvait tre lgitime qu'en faveur de vritables cranciers qu'un tat ne comme tels que ceux de qui pouvait reconnaitre il avait effectivement reu, sous quelque forme que ce pt tre, l'quivalent de ce qu'ils recevraient de lui Que la Trsorerie ne devant tre qu'un instrument de transmission entre ceux qui, sous le nom d'impt, fournissent les fonds applicables aux divers services publics, et ceux qui, par leurs travaux ou leurs avances, se sont rendus cranciers de ces les devait distribuer services, le gouvernement paiements de manire que chaque crancier ret, a l'poque convenue, sa part exacte, sans plus ni moins; et qu'on payait toujours trop chrement2

anne, il tait plus danrestassent toutes indfini-

18 le uns, envers Qu'il ministr doctrines faits; traire qu'il qu'il services faite Qu' qui ne l'gard doivent que plaisir par d'tre

SUR MES MMOIRES plus que juste envers compltement quelquesjuste

l'impuissance

d'tre

tous' en tait de cette maxime faire un Etat bien addes les con-

ne doit jamais absolues, la condition

d'emprunt,

comme par au

si souvent d'emprunter

contredites tait

tellement avait

inhrente

tout pour

gouvernement, tous jamais en avait ceux les t

constamment et dont que

prteurs payait lui

employait, qu'aprs

il ne l'avance

des tre

emprunts que de

plus

long des cas

terme, extra-

la ressource emploi

ordinaires,

l'abus

leur

tait

dangereux

tout Trsor public la i. Les motifs qui recommandent prompte restitution de l'impt en paiements rgulirement exigibles sont dvelopps dans ces Mmoires, trs longuement, et mais j'avais connu un temps o, peut-tre trop longuement; de la part du Trsor public, un paiement exact tait regard comme un bienfait, et mme encore en 1800, parmi les gardiens de la fortune publique, j'en retrouvais qui croyaient la garder d'autant mieux lorsqu'ils faisaient plus attendre les paiements auxquels ils devaient pourvoir. Ils oubliaient que toute somme ordonnance au profit d'un tiers, est. par ce fait, dtache de la proprit de l'Etat, qu'elle est celle de ce tiers, et que tout retard arbitraire dans sa disponibilit est synonyme de ce qu'on nomme dlit contre la proprit d'autrui.

SUR MES MMOIRES

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pour chaque

vernement, sret d'un gouvernement tant compromise partout o la confiance de la nation en lui est branle

pays, mais surtout pour son gouauquel le pays survit toujours, la

Que, d'un autre ct, le systme du crdit judicieusement employ tait peut-tre, de toutes les combinaisons modernes, la plus propre rvler un gouvernementla qu'il lui interdisait hasardeuses haute morale qui lui estpropre; les dceptions, les entreprises

et mme les mystres qu'il plaait prs de lui un organe permanent de l'opinion publique qu'il imposait tous ses actes la ncessit du bon ordre et de la bonne foi qu'il associait plus spcialement un intrt commun l'tat, les prteurs, les dbiteurs de l'impt; et qu'il tait ainsi dans les attributs du crdit de convertir en garanties,en srets nouvelles pour le gouvernement luimme, tous ses devoirs nouveaux envers les gouverns. dans ma pense, une acception plus large deux mots de notre langue, dfinis par la qui me paraissent insuffisamment plupart de nos crivains et mme dans nos lois ces deux mots sont la PROPRIT, es CAPITAUX. l Je commenai donner,

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SUR MMOIRES MES

Je compris que ce qu'on nomme la proprit d'une grande nation ne pouvait pas se borner son seul territoire que la proprit du territoire tait, pour chaque peuple, une uvre, un don de la Providence que pour que ce peuple pt en jouir et y prosprer, il avait besoin d'y crer lui-mme une autre proprit industrie qui devnt alors l'oeuvre de son que cette nouvelle proprit devait se de tous les produits que le travail husubstances alimen-

composer main peut tirer du territoire,en

taires,en matires qui se convertissent en vtements ou en instruments, en matriaux qui s'emploient des constructions que c'tait par le dveloppede cette seconde proprit que le territoire sans tendre ses limites, se pouvait s'agrandir couvrir d'une population plus abondante, se donment pour ses habitants, plus de moyens de dfense contre les attaques de ses voien variant naturellement sins que l'intelligence, ner plus de srets dans chaque lieu les produits industriels, devait aussi y introduire des nuances d'amlioration; qu'il pouvait arriver sans doute qu'un procd d'art, imit du dehors, et besoin d'abord, dans le pays o il aurait t import, d'tre protg pendant de ses prequelque temps .contre la concurrence

SUR MES MMOIRES

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miers inventeurs; mais que ce serait le condamner une enfance ternelle que de l'affranchir indfiniment de toute concurrence que, s'il restait dans son tat d'infriorit, ce procd, loin d'tre un secours pour le pays, n'y serait qu'une charge de plus, puisqu'il ferait payer plus cher son uvre, moins bonne qu'ailleurs probablement Que ce n'tait pas la monnaie d'un pays qui faisait sa richesse que, quelque abondante que ft la monnaie de quelque matire qu'elle se compost, elle n'galait jamais la dixime, la quinzime partie des produits annuels du travail, dans le pays dont elle portait l'empreinte, s'il tait sufindustrieux; peupl et convenablement mais que tout le pays qui voulait avoir la plnitude de son indpendance avait besoin de produire anplus qu'il ne devait consommer; que ce n'tait que de l'excdent qui lui resterait libre sur les produits de chaque anne, qu'il pouvait former nuellement richesse, c'est--dire ses capitaux que ce n'tait que sur ce fonds d'pargne,qu'un pays bien avis pouvait raisonnablement' prlever le prix d'achat des mtaux prcieux, qu'il et durable1. Mtallique.

fisamment

sa vritable

22 convertirait

SURMESMMOIRES en sa monnaie se garder d'tendre qu'il devait, au surun tel emploi au del

plus,bien du strict ncessaire

de ses changes usuels, qui ne pourraient pas se solder autrement que la meilleure nature des capitaux de tout pays tait dans la des produits de travail plus grande abondance meilleurs et moindre prix, facilement transportables, partout applicables aux besoins humains en paix et en guerre; enfin qu'une telle richesse pourrait assurer au pays qui la possderait une grande supriorit sur beaucoup d'autres. et mme, dans certain temps, une prdominance qui;si elle n'tait pas la plus clatante, serait au moins la plus solide et la plus durable. On ne trouvera sans doute rien de bien neuf dans ces dductions produit en les considrant moments comme le seul de retraite, on de mes premiers

penserait peut-tre que, mme alors, o la moindre perte tait celle du temps, j'aurais pu mieux employer le mien cependant, je dois l'avouer, cette manire de dfinir et de rsumer les principales conditions de la lgislation des finances, et les devoirs de ceux qui les administrent, donna une direction meilleure mes autres tudes par les nouveaux rapports qu'elle me fit dcouvrir dans les hommes

SUR MES MMOIRES

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et dans les choses je ne les cite pas comme des rgles, je dis seulement qu'elles diffrent un peu de celles que j'avais trouves en honneur pendant mes seize premires annes de services. C'est avec leur seconde priode, de 1800 1814, qu'ont commenc mes relations avec l'homme extraordinaire fut l'arbitre guerre qui, pendant la dure de son pouvoir, de tant de destines. Une poque de

n'tait pas la plus favorable permanente des pour le choix des impts et pour l'application meilleurs principes de crdit et cependant c'est travers ces quatorze annes qui se sont successivement introduites,dans les finances de la France,des mthodes et des pratiques qu'on juge encore assez propres faciliter l'analyse de chaque impt dans ses effets et dans ses produits, donner, sur l'emploi rgulier des revenus publics, des garanties suprieures celles que peut offrir la moralit personnelle et la surveillance d'un ministre enfin de cette coopration, rarement fidle et toujours trop coteuse, que les administrateurs ont si souvent appele au secours de leur propre incapacit dans la personne tendus banquiers de l'tat. Ces amliorations ont t maintenues des prpar la pluaffranchir la trsorerie

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SUR MES MMOIRES

part des ministres qui se sont succd depuis la elles survivent encore au gouvernerestauration ment imprial. Cette preuve seule est dj une bonne recommandation pour elles. Lorsque les passions se tairont, Napolon restera pour l'histoire un des plus grands phnomnes des sicles. Sa haute fortune s'expliquera par cette runion de qualits suprieures dont il fut dou. L'impartialit ne craindra pas d'avouer qu'une sorte de prdestination semblait l'avoir appel au commandement des hommes. Quoique les vnements dont il disposa ne soient les souvenirs qu'il plus de nature se reproduire, laisse, la diversit, l'tendue, la rapidit de ses entreprises, sa chute mme (car quel autre tomba jamais de si haut !), seront longtemps une grande leon pour les souverains et pour les peuples. La postrit j ugera en lui le conqurant,le lgislateur, le suprme administrateur d'un empire qu'il avait rendu immense. rapport, le moins saillant d'ajouter quelques traits au C'est sous ce dernier

de tous, que j'essaie vaste tableau de sa vie. L'administration pendant

qu'il leva avait t trop vante son rgne pour n'tre pas dcrie sans

SUR MES MMOIRES

25

aprs sa chute; lorsque j'y concourais, je ne la trouvais pas exempte d'imperfections et, au milieu de tant de jugements divers, le mien reste encore tel qu'il tait alors. Elle fut, en effet, longtemps entoure d'un grand au centre de

mesure

prestige, cette machine si complique, laquelle Napolon s'tait plac comme un pivot assez ferme pour rsister, par son aplomb, tous les mouvements contraires. quer l'empreinte de toutes un homme, dou en mme temps forte, et d'une imagination toujours pouvoir, avait d parcourir ler l'art du commandement, du foyer mme profit; mais il n'avait On pouvait y remarles combinaisons dont d'une raison

plus avide de le cercle pour se rv-

et pour faire renatre, de l'anarchie, l'obissance son fait ses tudes

du pouvoir que dans les camps, o, pour trouver dans-les hommes des instruments dociles, pour les pntrer, les animer de son esprit, le chef a besoin de se faire proclamer, en quelque sorte, la providence universelle de tous ceux qui sont sous ses ordres. Dj de la hauteur d'Italie, ses derniers de confiance o l'avait plac sa campagne regards, lorsqu'il avait quitt

la France en 1797, n'avaient

pu lui laisser que peu dans la dure de ce gouvernement

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prtendu populaire, qui tenait les gouverns sous la double oppression de tous les dsordres de l'anarchie et de tous les excs du despotisme. A son retour blics, tonns, d'gypte, tous les pouvoirs pufatigus d'tre la proie de pareils

s'taient rfugis d'eux-mmes dans gouvernants, sa main puissante il les avait tous indistinctement ressaisis, parce que, pour rtablir ment le commandement et l'obissance, les concevait, paralllecomme il au

il croyait ne pouvoir demander

pays trop de gages. Il avait voulu se rendre le rgulateur de toutes les opinions, le modrateur de tous les partis, l'arbitre de tous les intrts publics, l'espoir de tous les intrts privs, en un mot, centraliser tout dans sa personne et il avait encore accru le nombre des agents qui faisaient descendre l'action directe du pouvoir suprme jusque dans chaque village, jusqu'au sein de chaque famille. Mais il s'tait senti capable de tenir seul le nud auquel se rattachaient les divers fils de ce vaste rseau qui enveloppait tous les besoins locaux, toutes les esprances individuelles; et,en quelque lieu qu'il se trouvt, sa main sentait la vibration de chacun de ces fils. Il n'avait pu soumettre ainsi tous les lments

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de l'organisation sociale son influence, fondre toutes les volonts dans une seule, tout un ancien pays dans un nouveau monarque, qu'en dirigeant vers un autre but cet esprit inquiet et srieux, ce dsir d'amliorations, qui, depuis dix ans, agitaient l'amour la France de la gloire il les avait remplacs par et ses ennemis du dehors, lui avaient fray

par leurs imprudentes attaques, la route des conqutes. Il avait su, l'intrieur, distinctions, lit par l'esprance premiers

flatter la vanit par les et donner le change au rve de l'gaofferte tous d'arriver aux

rangs. Enfin, dans le vaste horizon qu'il embrassait, il tait parvenu trouver plus d'obissance encore qu'il n'en demandait; car la soumission dpassait du zle, souvent les exigences l'empressement mme pour les sacrifices, se faisait encore plus remarquer que le pouvoir sans limite qui les provoquait. Il n'pargnait

pas, sans doute, ses agents la continuit des efforts qu'il s'tait imposs luimme et il avait tellement accoutum ceux qui recevaient difficults ses ordres ne compter de l'excution, pour rien les que, pour eux, lui ds-

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obir tait toujours la difficult la plus grande. Mais-il savait les diriger tous vers le mme but, en les maintenant dans un rthisme gal d'activit car ses prescriptions ou ses interpellations directes' allaient souvent surprendre, de grandes distances, les plus subalternes comme les plus levs. Si quelque irritation dans l'opinion publique se manifestait contre eux, Napolon avait voulu en tre averti et aucun d'eux, quelle que ft sa fonction, n'tait assez puissant plaintes. Par l'effet de formules pour touffer de justes

particulires qu'il s'tait il s'tait, en quelque sorte, rendu appropries, prsent partout; il tait rare que l'expression du ne retentt pas jusplus sourd mcontentement qu' lui et il ne refusait jamais de se donner, en ce cas, envers les administrs, le mrite de satisfaire promptement leurs justes rclamations. Il n'avait pas craindre cet gard que quelque surprise ft faite sa confiance par l'esprit de parti. On sait quelle nullit s'taient bientt trouvs rduits tous les partis sous le gouvernement d'un homme qui avait prouv, ds 1800, et qu'il qu'il n'en faisait jamais son instrument, leur en servirait encore moins.

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Les fautes, les mcomptes d'un tel homme ne pouvaient pas tre ceux des esprits faibles et superficiels. Mais Napolon, qui avait commenc d'Italie avec une arme presque campagnes pourvue mes aussi ses d-

de solde, de vtements, de vivres et d'arqui devait ses premiers succs aux soins,

actifs que minutieux, qu'il avait pris pour la recruter, l former, lui faire trouver dans la victoire le terme de ses privations, assurer son entretien, la surveiller jusque dans les distributions

.quotidiennes, se faire en un mot appeler le caporal de chacun de ses soldats, s'tait persuad que, dans l'ordre civil, ce systme d'influence universelle, cette constante core action d'un seul sur tous tait enune des obligations, comme aussi un des droits du rang suprme. Ses premires habitudes, son activit qui ne connaissait ni obstacle ni limite, l'avaient conduit ainsi porter dans le gouvernement qu'il fondait, la vigilance inquite, la prmilitaire, voyance soucieuse du commandement sous lequel tout doit tre passif. S'il n'allait pas une nation jusqu' croire qu'on pt discipliner comme une arme, il ne voulait pas du moins se montrer novice et en dfiance de lui-mme dans la direction des affaires civiles. Il arrivait ainsi que

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son nouveau

pouvoir

conservait

ses premires pratiques. Aussi ments eurent-ils presque toujours la concision et l'absolu d'une consigne il dictait ses dcrets de propre mouvement, Il disait souvent comme des ordres du jour. qu'il avait trouv la France

de l'empreinte ses commande-

dans l'esclavage de l'anarchie, et qu'il voulait rendre les Franais le premier peuple de la terre. En fondant son ambition personnelle sur cette autre ambition plus noble, on pouvait penser que ce qu'il voulait aussi, c'tait qu'aucune grandeur, ancienne et nouvelle, ne restt dans l'histoire gale la sienne. De l l'impulsion qu'il donnait au dveloppement des talents militaires; les prfrences qu'il assignait cette carrire les illusions qu'il offrait aux j eunes ses moyens de captation si puissants courages pour rattacher toutes les existences la sienne ses gards envers les anciennes familles dj illustres par les armes, et auxquelles il voulait faire entrevoir sous ses drapeaux une illustration plus grande encore cette investigation qu'il portait sur les progrs des sciences et des arts, sur tous les produits nouveaux l'esprit, de l'industrie, sur tous les exercices de elleet par l'effet de laquelle la protection

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mme prenait quelquefois le caractre de l'inquisition de l aussi ce haut degr d'exaltation auquel il avait lev toutes les vanits ces excs de magnificence de la part d'un homme simple dans ses de la part d'un prince naturellequi ne se mprenait pas pour son propre compte sur les faux dehors; cette profusion de largesses, de distinctions,de titres rajeunis, qu'il gots personnels, ment conome,et prodiguait en indemnit des privilges que regrettaient les uns, et des institutions mieux assorties aux murs du sicle, qu'avaient clames les autres. De tels changements rles, au sein d'une dans si vivement r-

les ides et dans les

population aussi prompte perdre les illusions qu' les adopter, taient l'uvre d'un seul hommedou du gnie le plus audacieux, plus remarquable encore par sa sagacit et son discernement que par son audace, qui avait espr pouvoir arrter la marche du sicle prsent, et qui y tait parvenu pour quelques annes. Napolon toutefois, par les premiers actes de son consulat, semblait d'abord avoir transig avec les ncessits d'une poque qui n'admet plus, sans le droit de suffrage tel qu'il s'exerait Sparte, Athnes et Rome, mais qui attache la doute,

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qualit de citoyen une autre prrogative, celle de rendre les reprsentants de la proprit de toute nature, plus directement arbitres des sacrifices qu'elle peut faire pour l'tat et des services qu'elle doit n'avait poque antrieure peut-tre aussi bien marqu la diffrence qu' travers les combats de la barbarie et de la civilisation un espace de vingt sicles avait apporte entre les anciens et les nouveaux peuples; entre quelques milliers de citoyens formant une nation distincte et les grandes nations europennes, entre les hasards de l're hroque et les srets nouvelles dont les dveloppements de la raison ont entour les socits modernes; entre les passions primitives qui ne laissaient chaque peuplade en paix avec elle-mme que lorsqu'elle tait en guerre avec les peuplades voisines, mutuels et les intrts, qui rapprochent c'est--dire les besoins et peuvent runir aujourd'hui de grands peuples; entre ces tats qui ne fondaient leurs finances que sur la dvastation et le pillage, et ceux qui, rservant les armes pour la seule dfense, ne font servir leurs conqutes que les arts utiles l'humanit. Mais de telles amliorations dans le moral des peuples, ainsi que les consquences qu'elles deen attendre. Aucune

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vaient avoir sur la politique de leurs chefs,n'avaient pas pu conserver longtemps le premier rang dans les mditations d'un guerrier qui avait conquis la comme le premier.qui fut roi. Ce n'est pas dans l'ile qui fut son berceau qu'il avait pu observer le mcanisme des socits modernes. Le speccouronne tacle offert sa jeunesse avait t celui de tous les tats d'Europe branls dans leurs fondements et sa tte ardente et forte avait surtout t frappe du prestige que laissent encore aujourd'hui aprs eux les antiques modles de la constance des efforts,de des courages, de l'pret mme des l'exaltation' vertus. Il ne pouvait pas redbuter la force de ces il se sentait celle de les diriger et de faire ressorts son instrument propre de l'nergie qu'il inspirerait aux autres. Soit dans ses camps de Provence et d'Italie, soit sur les confins de l'Europe et de l'Afrien un que, soit lorsqu'il reparut pour renverser, jour, les dix annes de rgne de l'anarchie, le point d'optique o il s'tait plac ne lui avait pas permis d'analyser dans leurs effets les concessions rciproques que le pouvoir et l'obissance doivent se faire dans des nations composes de plusieurs millions d'hommes, qui se sont enrichis mme en se crant de nouveaux besoins, parce qu'ils se sont en mme3

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temps cr des moyens encore plus grands pour les satisfaire. Ce n'tait pas non plus au milieu des guerres trangres et des discordes intestines, lorsque les vainqueurs et les vaincus sont momentanment jets hors de leurs habitudes et de leurs posiavait pu tudier le jeu des contre-poids qui peuvent seuls aujourd'hui maintenir au sein l'quilibre social car c'est principalement de la paix, qu'il serait si doux d'appeler l'tat naturel des socits civilises, qu'on peut justement apprcier l'influence de cette division de devoirs eutre les nations et leurs chefs. Ce contrat qui sert de garantie tous les autres ne peut, comme eux, trouver compltement la sienne que dans la plus exacte rciprocit. Si les profits du pouvoir ne peuvent appartenir qu'au petit nombre, il faut que la nation presque entire, dont la condition est aussi les siens dans l'obissance, et ceux-l ne sont pas difficiles dfinir. Il suffit d'obir, qu'un pays prospre, pour qu'il bnisse le pouen mme voir, qu'il fortifie par sa prosprit, temps que ce mme pouvoir en garantit la dure. Si, par l'effet de cet invitable mlange, dont toute population nombreuse subit les conditions, des dissidences politiques ou religieuses, des amtrouve tions naturelles,qu'il

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bitions imprudentes, manifestent quelque

des prtentions prcoces s'y, part, la raison publique en a bientt fait justice par sa,seule indiffrence. la situation de l'Europe ne peut Aujourd'hui plus admettre durablement que des gouvernements rguliers et temprs, et cette nouvelle garantie est conquise sans retour pour les diverses nations qui la peuplent. Les intrts du pouvoir public ne peuvent plus se sparer des intrts privs, partout o vit et se multiplie une population active et soi:gneuse de son avenir, qui porte, dans les champs. .et dans les cits, la fcondit du travail et de l'in-' dustrie qui s'approprie avec discernement tous les :arts, toutesles productions utiles l'humanit; qui, pour tout dire en un mot., cre par son travail, et. peut seule rendre efficaces, par sa coopration, les. moyens de protection et de sret dont elle profite, -et devient ainsi le principe vital du gouvernement, -qu'elle a adopt, en pourvoyant par ses oeuvres aux besoins de l'tat comme aux siens propres. Et c'est sans doute une puissance bien relle, que celle qui reste encore en possession de se suffire ellemme aprs avoir beaucoup donn. Ce sont de vieilles maximes (qui n'en conviennent pas moins au temps prsent), que celles qui

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disent que nul homme, quel qu'il soit, ne peut avoir plus d'esprit que tout le monde; et que si, aprs de le salut d'un peuple peut grandes perturbations, quelquefois dpendre de l'impulsion que lui donne un homme de gnie, ce chef d'tat ne pourrait jouir durablement de son uvre, aprs avoir opr le rtablissement de l'ordre, qu'en cdant lui-mme son tour l'impulsion du vu commun et des intrts rels de la population qui l'aurait admis la gouverner. Mais Napolon ne trouvait, ni dans les temps anciens ni dans les temps nouveaux, de leons qui lui fussent propres. Et, par exemple, il parlait souvent de Rome, qui, pendant plusieurs. sicles, avait su dominer le monde connu. Rome avait eu la prudence de laisser aux peuples vaincus par elle leurs lois, leurs magistrats, leur culte, leurs coutumes, condition leurs murs. Ce n'tait que, sous Napolon, Pimont et de la Hollande taient devenus des provinces franaises. Il voulait que les pays qu'il subpas la mme les royaumes du

juguait fussent tous soumis la mme loi, et que cette loi ft la sienne il leur imposait les codes qu'il avait donns la France, et qui avaient t un grand bienfait pour la France alors dpourvue de lois pour des nations vaincues, ces.

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le plus blessant des impts. Sans doute il faut encore reconnatre dans la plus gigantesque de ses entreprises, dans celle qui tendait interdire l'approche du continent europen au commerce anglais, matre de toutes les mers qui entourent l'Europe, cette pense de grandeur, qu'au premier aspect l'imagination prte assez na toute conception d'un homme qui rien encore n'a rsist et au milieu des rapports actuels et des besoins mutuels des peuples, l'effet le plus tonnant peut-tre de l'influence de Napolon est d'avoir pu tenir, pendant un assez long confdres temps, les puissances continentales avec lui, contre leur conscience et leur intrt, d'un tel plan Mais sans pour l'accomplissement doute aussi un pareil systme de gouvernement ne pouvait qu'lever autour d'un pouvoir qui avait paru sans bornes, des cueils encore plus grands. Il est vident que ce pouvoir commenait ds lors se dfier de lui-mme. Ce n'est cependant pas sous le rapport de son omnipotence et de la centralisation dont elle abude Napolon a t le plus sait, que l'administration censure. passive On ne s'est souvenu que de l'obissance qu'elle avait obtenue pendant quatorze turellement

codes

devenaient

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annes, on n'a vu dans cette immense accumulation de pouvoirs qu'un plus grand nombre de parts prlever sur son hritage. Ne pourrait-on pas en conclure qu'il y a aussi l'poque actuelle des besoins du temps? (1817) mconnaissance Mais, ct du superflu et du luxe dangereux qu'il avait port dans ses moyens de domination personnelle, Napolon n'avait garde de ngliger le ncessaire. Il avait, je le rpte, adopt des mthodes salutaires dans tous les temps pour le poudu bon parce qu'elles sont la sauvegarde ordre, comme le bon ordre est la sauvegarde du 'pouvoir. Ces mthodes prviennent les carts, ou 'voir, du moins elles en avertissent. C'est l'exposition de quelques-unes d'entre 'elles que la seconde et la troisime partie de cet crit sont consacres, prement parler, la premire n'tant, proqu'une notice sur le gouverne-

la rvolution. ment que j'ai servi antrieurement Ce ne sont pas des gnrations favorises du ciel que celles qui assistent la chute des pouvoirs sous lesquels elles vivaient. Pour ma part, j'ai vu plus d'une fois, et de bien prs, ce redoutable spectacle. J'ai vu tomber, par excs de dfiance de lui-mme t des autres, un excellent prince, hritier de qua-

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et par excs de force, par l'abus qu'yen a fait, un guerrier, le premier des temps modernes, vainqueur la fois de la rvolution dans l'intrieur de la France, et au dehors de rante rois, ses aeux tous les ennemis tion duquel de l'Europe avait sembl ne pas suffire. La vie de Louis XVI est dj du domaine l'histoire la mmoire de ce vertueux du nom franais, mais l'ambile premier rang parmi les souverains de

roi ne sera

charge que des moindres des fautes de son rgne. Dans le gouvernement imprial, au contraire, Napolon, tout est son uvre tout appartient et, quand il a fait des fautes, elles ont eu la dimension de toutes ses actions elles ont t grandes en doit conclure, c'est que de semblables fautes, si elles pouvaient se reproduire, ne seraient pas moins graves pour ses imitateurs qu'elles ne l'ont t pour lui-mme, comme ses victoires. puisque toute sa gloire n'a pas pu en dtourner de lui les consquences. On a eu tort de dire qu'il avait seul le secret de l'organisation particulire dont il tait dou. Ce secret est celui qu'il gardait le moins. Il lui chappait sans cesse dans sa correspondance avec ceux qu'il avait associs ses travaux et l'excution de ses Ce qu'on

40 volonts elle

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s'y rvle chaque ligne, cette inquite vigilance dont il tait agit, pour qu'aucune parcelle du pouvoir ne lui chappt. On en jugera par les fragments que j'insre dans cet crit des nombreuses lettres que j'ai reues de lui. C'est l qu'on reconnat sa sollicitude toujours prte descendre des entreprises les plus vastes, de gouvernement les plus levs, aux moindres dtails d'administration et de police, et aux plus minutieux calculs soit d'un budget municipal, soit des intrts d'une famille qui appelait son regard en un mot son insatiable besoin d'tre le centre de tout, le principe unique d'action et d'impulsion sur toute personne etsurtbute,chose. que le privilge d'une telle organisation puisse, de si tt, se retrouver dans tout autre mais ce qui est certain, c'est qu'aujourd'hui, Napolon lui-mme, s'il se relevait tout de sa tombe, ne parviendrait commencer. entier pas se reIl n'est pas probable des intrts

Dans une vie si courte, il a laiss sur toute l'Europe des traces si profondes de son passage, que son souvenir devient insparable des souvenirs anciens et nouveaux. Ce passage semble tre un songe, et il n'est pas de jour o sa grande figure

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n'apparaisse ceux qui l'ont approch. 11 n'appartiendrait aucun d'eux de la reproduire dans tout son ensemble mais dans la vie des grands hommes le privilge des dtails est de reposer des actions d'clat, et les tmoins aiment assez faire confidence des faits qu'ils ont pu observer de plus prs. Voil pourquoi et comment je n'ai pas pu me d fendre de retracer quelques-uns de ceux que j'avais et parmi les traits caractristiques, en recueillis voici un, entre autres, qu'il doit m'tre surtout permis de citer puisqu'il m'est personnel c'est qu'un homme jusqu'en tration franaise, qui lui tait inconnu, qui, depuis 1 92 1800, s'tait rendu tranger l'adminis-

aucun qui n'avait appartenu corps politique, qui, mme depuis 1800, n'avait eu que le seul mrite d'introduire quelques meilleures formules d'ordre dans une administration

encore que nouvelle, laquelle ne se recommandait par de bonnes intentions 1, ait t remarqu par lui dans la foule, se soit vu bientt appel, consult, admis dans ses conseils, soit devenu, et soit rest un de ses ministres depuis le commencement de 1806 jusqu' la chute du trne imprial.

1. La Caissed'amortissement, cre et dote en 1800.

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Je n'ai pu rsister aux souvenirs que m'avaient laisss mes seize annes de premiers services dans l'administration qui a succomb sous la rvolution, et j'ai peut-tre parl trop longuement de ses fausses mesures; car qui importent aujourd'hui des erreurs, des mprises, qui ont t expies d'une manire telle qu'aucune ne peut laisseraprs elle le danger de l'exemple ? Je pourrais en dire autant de mes dolances sur la lgislation des douanes j'ai attaqu l des prjugs qui ne se dfendent plus. tarifs s'purent chaque jour par les seules lumires de notre industrie, qui a fait de grands pas depuis Colbert, qui elle a d les lisires de son enfance. J'ai de plus rapport dans leurs moindres dtails, avec un respect qu'on pourrait nommer superstitieux, plusieurs de mes entretiens avec Napolon et les dpenses publiques, sur le sur les banques d'escrdit, sur les emprunts, compte, sur les limites et les conditions des services qu'elles peuvent rendre, etc., etc. sur les recettes Je rends galement compte des changements qu'il m'a permis d'introduire dans l'administration des finances et dans le rgime du trsor public. Ils avaient pour but, ils- ont eu pour effet de rendre Nos anciens

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plus rgulire

plus prompte besoins du service mrit de survivre

et plus conomique l'application du produit des impts aux divers public. Ces amliorations ont au rgne de Napolon; c'estau pour elles. davantage sur l'intention

moins une recommandation

Enfin, sans m'tendre de cet crit, s'il est lu, qu'on me juge. MOLL1EN.

MMOIRES1.

PREMIRE PARTIE.

Je suis loin de me placer au rang des hommes qui, par leur seul nom, appellent la curiosit ou l'intrt sur tous les dtails de leur vie mais mon destin ayant voulu que je parcourusse une partie de ma carrire au milieu des dissensions politiques, j'emploie les premiers loisirs de ma retraite recueillir jugement vie, et je remonte jusqu' ses premiers temps. Je me dfends de tous regrets sur le pass je ne tous les faits qui pourraient clairer le de ceux qui voudraient examiner ma

porte dans l'avenir que le dsir du repos de la France, aprs tant d'orages, et du mien, aprs de longs et pnibles travaux. (1) Ces Mmoiresont t l'uvre de ma retraite je les ai commencsen 1817.

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MMOIRES

Dans les premires n'ai pris part qu'aux

rappel le gnral Bonaparte, qui s'tait fait chef du gouvernement, je n'ai rien dsavouer de ce que j'ai fait j'ai laiss aprs moi quelques traces qu'on

annes de la rvolution, je sacrifices qu'elle imposait aux affaires publiques la fin de 1799 par

n'a pas ddaign de suivre. Plus je m'examine, plus je vois que ma vie tout entire se ressemble que je suis assez rest le mme dans toutes les positions, et je le dois surils publics dont j'ai t charg n'ont jamais eu pour but que le maintien des mthodes et des. rgles qui concourent l'ordre public la nature de ces devoirs est de ne pas chanet les gouger, lors mme que les circonstances vernements changent. Le sort m'a fait natre 1 dans la classe que j'aurais prfre, si j'avais pu choisir mes parents dans celle qui ne connat pas l'envie et qui ne l'inspire pas, qui aime dpendre des lois,, et qui peut ne dpendre des hommes que par des devoirs rciproques. Mon pre tait commerant; il avait augment son hritage par le travail et l'conomie il avait lev une trs nombreuse mme une ducation 1. En 1758. famille il avait eu luiil prit les premiers cultive tout aux devoirs

PREMIRE PARTIE

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soins de la mienne. Ma mre tait bonne, et peuttre un peu faible, comme dj toutes les mres l'tre l'utile fermet de mon commenaient pre carta de mon enfance les dangers de cette faiblesse. Mes premires instructions furent ril se faisait gles comme l'heure de ses ateliers rendre compte chaque jour du progrs de mes tudes par l'instituteur qu'il m'avait donn. Lorsque j'avais peine neuf ans, mes dlassements consistaient copier la correspondance de mon pre, placer quelques chiffres sur ses livres. Une assez grande influence sur le reste de la vie aux impressions de la premire jeuappartient nesse. J'ai retenu et recueilli plusieurs des maximes habituelles de mon pre. Voici particulirement les conseils qu'il me donnait, anne, on initie en matire de religion, dans ma douzime lorsque je me prparais l'acte par lequel les adultes

aux mystres du christianisme. Il m'avait accoutum lui confier tous mes doutes, et je lui avais fait l'aveu de ceux par lesquels ma jeune imagination se laissait surprendre. Vous abuseriez, me disait-il, des soins que je prends pour dvelopper votre raison, si vous aviez la prsomption de croire que tout peut vous tre expliqu par elle. C'est surtout contre les fausses .mensonges explications, contre les erreurs, les sous lesquels on touffe la raison des

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MMOIRES

enfants, que j'ai voulu prmunir la vtre. Je' cherche vous faire profiter, autant que peut le permettre votre ge, du fruit de mes cinquante ans d'exprience. Je ne repousse aucune de vos questions mais vous avez remarqu mes r ponses plusieurs d'entre elles Je l'ignore; Dieu seul le sait les livres saints ont ainsi prononc. Si je ne crains pas de vous avouer mon ignola vtre soumet rance, supportez patiemment tez-vous aux dcisions que je respecte mettez vous en garde contre les carts de votre curio sit, contre la divagation de vos doutes je vous ai recommand de ne rien croire avec lgret, mais non pas de douter de tout. Vos livres vous ont appris que vous tes com pos d'un corps qui est le sige de vos sensations et d'une me qui est la source de votre raison et de votre intelligence les aliments appropris vos besoins rparent vos forces physiques, favo risent leur dveloppement, et vos sensations vous avertissent qu'il y a danger pour votre corps dans l'emploi des mauvais aliments et mme dans l'excs des bons. La pense est la nourriture et de votre me soyez averti, par son trouble et son anxit, du tort que l'abus de la pense peut aussi faire votre intelligence. Vous ne prtendez pas, votre ge, tre plus clairvoyant ou mieux inspir que vos pres. l'exercice

PREMIRE PARTIE

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Commencez par honorer Dieu comme ils l'ont honor, ayez confiance dans la justice divine sans tenter de la juger. Je ne dis pas que les prceptes de nos pres forment autour de vous un cercle qui ne puisse pas s'agrandir. Dieu permet que les uvres des hommes se perfectionnent chaque jour; mais il ne rcompense ainsi que la persvrance, et le propre de cette vertu est de marcher la vrit, en aplanissant et en prolongeant les sentiers dj ouverts. Rsistez la tentation de vous crer des routes nouvelles; rsistez surtout celle de vouloir sou mettre les autres votre propre opinion. S'il ar rivait qu'un jour votre raison ne restt pas sou mise toutes les opinions reues, respectez tou jours dans vos discours la croyance commune, quand mme (ce qu' Dieu ne plaise !) elle ne serait pas la vtre sur tous les points. L'histoire des hommes et des peuples vous apprendra bien tt que trop souvent une assertion imprieuse, une contradiction imprudente, quelquefois mme une simple censure, ont excit des haines irrmissibles, des divisions interminables. L'homme vient au monde avec une grande indpendance dans la volont, mais avec une dpendance encore plus grande dans les besoins. Il faut donc qu'il renonce celles de ses volontsI. 4

50

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qui blesseraient ceux dont l'assistance lui est n cessaire. Remerciez-moi d'avoir, dans votre en fance, combattu avec svrit vos caprices; j'ai voulu, par votre soumission envers moi, vous accoutumer la condescendance que vous devez tous les hommes. Ne dpendez-vous pas de ceux qui travaillent pour votre subsistance, qui fabriquent les vtements et les meubles mis s'ils vous votre usage ? Que deviendriez-vous refusaient leurs services et si je cessais d'inter venir entre eux et vous? Lorsque telle est votre que vous ne pourriez pas, par vos propres moyens, vous assurer pour un seul jour les ress