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Article paru dans Le Matin Dimanche du 16 février 2014
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16 FÉVRIER 2014 I LeMatinDimanche ÉCONOMIE 33
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Menaces et retraits cash: l’escroc russea dupé Bordier, et filé avec les diamantsGENÈVE Les trois Russes quiavaient blanchi plus de100 millions de dollars viala petite banque privée ont étécondamnés lundi parun tribunal civil de Londres.Deux sont sous les verrous.Le troisième a filé de justesseavec son argent, au nezet à la barbe de ses banquiers.
François [email protected]
En introduction de son jugement de223 pages rendu public lundi, Sir Ber-nard Eder a décrit «un procès extra-ordinaire, à plusieurs titres». Il a fallu46 jours d’audience et la comparu-tion de 20 témoins, sur six mois, à laHaute Cour de Londres pour parvenirà démêler les ressorts de la gigantes-que fraude orchestrée en 2011 au dé-triment de la banque d’affaires russeOtkritie par les trois principaux accu-sés. «Tromperie, mensonges, cor-ruption, intimidation, chantage,subterfuge, kidnapping et mêmemeurtre: la Cour a entendu un vastespectre d’allégations», note le jugeEder sur un ton mêlé de dégoût et dedélectation.
«Le Matin Dimanche» avait révéléle volet suisse de l’affaire, en septem-bre 2012, décrivant notamment untransfert de plus de 100 millions dedollars en liquide auquel les trois Rus-ses s’étaient livrés avec l’assistancede Bordier & Cie en mars 2011. L’ar-gent nécessaire à cette opération horsdu commun avait été spécialement li-vré par UBS, à la demande de Bordier,en fourgon blindé. Découvrant dansnos colonnes l’usage qui avait été faitde ses fonds, UBS avait dénoncé labanque privée pour soupçon de blan-chiment aux autorités fédérales. Lajustice genevoise s’était alors con-tentée des explications données par labanque Bordier, et la dénonciation estrestée sans suite.
C’est que, sur la place genevoise,l’histoire haute en couleur des troisRusses et de leurs millions en cash n’apas fait rire tout le monde. Commel’établit le jugement rendu cette se-maine à Londres, ce qui s’est déroulédans les coffres de Bordier & Cie re-présente précisément ce que toute laplace bancaire suisse avait juré, de-puis des années, ne plus tolérer.
Après-midi shoppingA la lecture du jugement, il devient trèsdifficile de comprendre comment, enoctobre 2011, alors que la Suisse s’en-gageait avec force auprès de l’OCDE à«renforcer l’intégrité et la réputa-tion» de sa place financière, un destrois escrocs russes, Ruslan Pinaev, estparvenu à vider des millions de dollarsde ses comptes chez Bordier en usantdes techniques de blanchiment les pluscaractéristiques: virements vers dessociétés offshore, retraits en liquide eten chèques. Et, surtout, par l’achatpour plus de 4 millions de dollars dediamants en deux jours.
L’associé de Ruslan Pinaev, GeorgyUrumov, considéré comme le cerveaude la fraude et lui aussi client de Bor-dier, avait fait l’objet d’un blocage deses comptes bancaires par un juge deLondres quatre jours avant ces re-traits suspects. La banque avait tou-tes les raisons de se méfier, mais ellen’a pas réagi. Ou trop tard.
Le juge Eder le résume: «Se sa-chant découvert, Ruslan Pinaev a en-trepris de convertir le fruit de lafraude en actifs portables et liquidespour les parquer en lieu sûr.» Pour cefaire, le 11 octobre, le Russe s’estrendu dans la prestigieuse joaillerieChatila, sur la rue du Rhône, pour yacheter un diamant 10 carats à1 501 500 francs. L’ordre de paiementa été envoyé par fax à Bordier, direc-tement depuis le magasin.
Ruslan Pinaev est revenu deuxjours plus tard, accompagné par sonépouse pour emporter sa commande.Cette seconde visite a débouché surl’achat de deux diamants supplémen-taires, un rose et un jaune, pour un to-tal de 1 796 500 francs.
Le même jour, lestés de l’équiva-lent de 4 millions de dollars de gem-mes, les époux Pinaev se sont renduschez Bordier pour y retirer500 000 francs en liquide ainsi qu’unchèque de deux millions de dollars.Une employée de la banque, CamilleBordier, s’est souvenue plus tard que
Madame Pinaev portait ce jour-là«une bague avec un très gros dia-mant». Le couple s’est ensuite rapi-dement envolé vers Israël, où il vit au-jourd’hui sous de nouvelles identités.
Seulement la moitiéUn élément évoqué dans le jugementlaisse entendre que les agissementsdu couple ont bien inquiété leurs ban-quiers privés. «Bordier n’était pasprête à laisser les Pinaev retirer toutleur argent en liquide», indique le ju-gement de Sir Bernard Eder. Finale-ment, poursuit-il, l’associé GrégoireBordier a convenu avec l’avocat ge-nevois des Pinaev, Alexis Meleshko,que le couple pourrait transférer desavoirs vers d’autres banques s’ils enlaissaient au moins la moitié chezBordier. «Selon Me Meleshko, indi-que encore le jugement, GrégoireBordier serait parvenu à ce compro-mis en menaçant son client de le dé-noncer aux autorités pour blanchi-ment s’il tentait de retirer plus de50% de ses avoirs.» Ruslan Pinaevserait parvenu à contourner cet ac-cord par l’achat des diamants. Labanque n’a dénoncé ses anciensclients qu’un mois plus tard.
«Indéfiniment responsable»Bordier n’a pas souhaité faire de com-mentaires, estimant que la procédurede Londres ne la «concerne pas». Pasplus qu’Alexis Meleshko, qui repré-sente toujours le couple Pinaev. Auparquet de Genève, le procureur MarcTappolet invoque le secret de fonction.Outre un jeune employé subalterne deBordier, ni la banque ni sa directionn’ont été inquiétées. Le gendarmesuisse des banques, la FINMA, n’a pasnon plus ouvert d’enquête formelle.
Depuis le passage de Pictet, de Mi-rabaud et de Lombard Odier en socié-tés anonymes, Bordier est la dernièremaison genevoise, avec Gonet etMourgue d’Algue, à revendiquer lestatut de banquier privé «indéfini-ment responsable» des activités deleur établissement. x
Alors qu’il savait sa fraude découverte, Ruslan Pinaev a acheté pour plus de 4 millions de dollars de diamants en deux jourschez le bijoutier Chatila. Avant de fuir. La banque Bordier n’a réagi qu’un mois plus tard. Yvain Genevay
«SelonMe Meleshko,Grégoire Bordieraurait menacé sonclient de le dénoncerpour blanchiment s’iltentait de retirer plusde 50% de ses avoirs»
SIR BERNARD EDERJuge à la Haute Cour de justice de Londres