4
Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2008) 7, 195—198 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com 14 e CONGRÈS NATIONAL DE LA SFAP Métamorphoses de la douleur. Du dolorisme à l’algophobie Metamorphoses of pain. From dolorism to algophobia Jean-Claude Fondras Service douleur et soins palliatifs, centre hospitalier Jacques-Cœur, 145, avenue Franc ¸ois-Mitterrand, 18020 Bourges, France Rec ¸u le 28 mai 2008 ; accepté le 28 mai 2008 Disponible sur Internet le 3 août 2008 MOTS CLÉS Dolorisme ; Douleur ; Médecine ; Modernité ; Philosophie Résumé La notion de « dolorisme » rassemble des idées diverses, qui donnent une valeur faible ou forte à la douleur et qui justifient des comportements opposés, passifs ou réactifs. Les comparaisons entre des auteurs chrétiens, comme Blaise Pascal ou Simone Weil, et des auteurs antiques comme Cicéron ou modernes comme Nietzsche mettent en évidence ces oppositions. Le rejet moderne de toute forme de « dolorisme » est devenu une véritable « algophobie » ; il se manifeste dans la médicalisation de la douleur. Mais si la médecine peut mettre en œuvre ses moyens propres, elle ne peut pas éliminer la confrontation aux souffrances corporelles ; elle ne peut se substituer aux ressources mobilisées par la personne malade pour supporter ou, mieux, surmonter la douleur. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Dolorism; Pain; Medicine; Modernity; Philosophy Summary The concept of ‘‘dolorism’’ gathers various ideas, which give a weak or strong value to pain and which justify opposed behaviors, passive or reactive. The comparisons bet- ween Christian authors, like Blaise Pascal or Simone Weil, and ancient authors, like Cicéron or modern authors like Nietzsche highlight these oppositions. The modern rejection of any form of ‘‘dolorism’’ is true ‘‘algophobia’’; it appears in the medicalisation of pain. Medicine improve means against pain, but cannot eliminate confrontation with the body sufferings; medicine cannot replace the resources of sick people to support or, better, to overcome the pain. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 14 e Congrès de la SFAP. Nantes, 19, 20 et 21 juin 2008. Cultures et soin: diversité des approches, complexité des réponses. Adresse e-mail : [email protected]. 1636-6522/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medpal.2008.05.014

Métamorphoses de la douleur

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Métamorphoses de la douleur

Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2008) 7, 195—198

Disponib le en l igne sur www.sc iencedi rec t .com

14e CONGRÈS NATIONAL DE LA SFAP

Métamorphoses de la douleur. Du dolorisme àl’algophobie�

Metamorphoses of pain. From dolorism to algophobia

Jean-Claude Fondras

Service douleur et soins palliatifs, centre hospitalier Jacques-Cœur,145, avenue Francois-Mitterrand, 18020 Bourges, France

Recu le 28 mai 2008 ; accepté le 28 mai 2008Disponible sur Internet le 3 août 2008

MOTS CLÉSDolorisme ;Douleur ;Médecine ;Modernité ;Philosophie

Résumé La notion de « dolorisme » rassemble des idées diverses, qui donnent une valeurfaible ou forte à la douleur et qui justifient des comportements opposés, passifs ou réactifs. Lescomparaisons entre des auteurs chrétiens, comme Blaise Pascal ou Simone Weil, et des auteursantiques comme Cicéron ou modernes comme Nietzsche mettent en évidence ces oppositions.Le rejet moderne de toute forme de « dolorisme » est devenu une véritable « algophobie » ; il semanifeste dans la médicalisation de la douleur. Mais si la médecine peut mettre en œuvre sesmoyens propres, elle ne peut pas éliminer la confrontation aux souffrances corporelles ; elle nepeut se substituer aux ressources mobilisées par la personne malade pour supporter ou, mieux,surmonter la douleur.© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Summary The concept of ‘‘dolorism’’ gathers various ideas, which give a weak or strongvalue to pain and which justify opposed behaviors, passive or reactive. The comparisons bet-

Dolorism;

Pain;Medicine;

ween Christian authors, like Blaise Pascal or Simone Weil, and ancient authors, like Cicéron ormodern authors like Nietzsche highlight these oppositions. The modern rejection of any form of‘‘dolorism’’ is true ‘‘algophobia’’; it appears in the medicalisation of pain. Medicine improve

Modernity;

Philosophy means against pain, but cannotcannot replace the resources of© 2008 Elsevier Masson SAS. Tou

� 14e Congrès de la SFAP. Nantes, 19, 20 et 21 juin 2008. Cultures et soAdresse e-mail : [email protected].

1636-6522/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droitsdoi:10.1016/j.medpal.2008.05.014

eliminate confrontation with the body sufferings; medicinesick people to support or, better, to overcome the pain.s droits réservés.

in : diversité des approches, complexité des réponses.

réservés.

Page 2: Métamorphoses de la douleur

1

Dltpoj‘[Lcqvqmr

L

Pcrv«

arnlqrbdrdtsWmen

adcIdpdMpvnlaad[

PlplpsdPslcM

dqvfebmspdmpih[

dle«sd«cu[

qdsrdsÀlq[

tlpra

96

ouleur et souffrance se donnent à la conscience avant quea médecine ne s’en empare. Les attitudes et les représen-ations échafaudent une stratégie de défense ou de détourour celui qui souffre : « Il ‘‘crâne’’ devant la douleur [. . .]u la ‘‘supporte’’ patiemment, la ‘‘subit’’ en révolté, enouit, ‘‘s’y abandonne’’ avec désespoir, la nargue, s’en‘détache’’, l’‘‘accepte’’ avec joie », écrit Marcel Conche1], opposant la douleur de l’adulte à celle de l’enfant.e remède médical viendra ensuite, de surcroît. Partant dee constat, notre propos est de tenter de répondre à troisuestions. En premier lieu : qu’en est-il d’une hypothétiquealeur de la douleur, négative ou positive ? Puis ces deuxuestions indissociables : comment le savoir et la pratiqueédicale sont-ils concernés et en quoi la médecine peut-elle

épondre de la douleur ?

a douleur et la question de sa valeur

armi les poncifs relatifs à la douleur, le plus répandu estelui-ci : la grande victoire de la modernité serait d’avoirompu avec toute conception qui donnerait une quelconquealeur positive à la douleur, rejetée sous la dénomination dedolorisme ».

La notion de « dolorisme » est réductrice etrecouvre des conceptions très différentes.

Nous proposons de les distinguer selon deux axes : unxe allant de faible à fort et un axe allant de passif àéactif. On peut appeler dolorisme faible toute pensée quious demande de ne pas repousser négativement la dou-eur lorsqu’elle se présente et dolorisme fort toute penséeui nous demande d’aller au-devant de la douleur. On peuteconnaître des formes passives de dolorisme, qui attri-uent une valeur positive à l’état de fragilité qui résultee la douleur et dolorisme réactif, les conceptions quievendiquent comme positive la capacité à surmonter laouleur. Les deux axes se combinent pour donner quatreypes de conceptions : faible et passive, où on peut clas-er des penseurs chrétiens comme Blaise Pascal ou Simoneeil, forte et passive, évidente chez certains mystiquesoyenâgeux, faible et réactive, comme dans le stoïcisme

t enfin, forte et réactive, caractéristique de la penséeietzschéenne.

En dehors d’un courant littéraire un peu décadent, quipopularisé le mot « dolorisme » [2], c’est le dolorisme

’origine religieuse qui vient immédiatement à l’esprit. Maise terme générique cache des différentiations importantes.l existe un dolorisme authentique demandant au croyante rechercher la douleur, concue comme une préparationhysique à la vie spirituelle. Cette conception a pu prendrees formes quasi pathologiques chez certains mystiques duoyen-Âge, tel l’ascétisme extrême de Heinrich Suso, quiorte une chaîne de fer, une chemise de crin et des sous-êtements garnis de pointes de laiton limées. Plus près deous, au début du xxe siècle, on trouve, en la personne de

’écrivain D.-V Fumet, un dolorisme chrétien affirmé. Cetuteur voit dans la douleur le moment privilégié du lienvec Dieu : « Nous pouvons encore certifier que le momente la douleur est vraiment l’heure où Dieu nous visite »3].

d

J.-C. Fondras

À côté de ces formes morbides, nous trouvons chezascal ou Simone Weil des conceptions plus subtiles dea valeur positive de la douleur. Pour Pascal [4], qui nerône pas le masochisme, la douleur « physique » génèrea « douleur intérieure », c’est-à-dire la conscience duéché. Il n’appelle pas les souffrances, mais se repré-ente néanmoins l’état de souffrance comme supérieur,u point de vue de la conversion, à l’état de santé.ascal juge inacceptable l’idée que les hommes puissenturmonter la souffrance par leurs propres moyens, sanse secours de la grâce. Il ne supporte ni l’orgueil stoï-ien d’Épictète, ni le scepticisme teinté d’épicurisme deontaigne.

Dans une orientation proche, Simone Weil défend l’idée’une souffrance expiatrice et rédemptrice, sous réserveu’elle ne soit pas dégradante pour celui qui la subit. Celaaut, aux yeux de Simone Weil, pour toute forme de souf-rance, y compris celle qui précède la mort : « L’agoniest la suprême nuit obscure dont même les parfaits ontesoin pour la pauvreté absolue, et pour cela il vautieux qu’elle soit amère » [5]. Cette souffrance doit être

ubie plutôt qu’assumée et encore moins servir de trem-lin à une autre forme de force : « [. . .] Que je les subisse’une manière entièrement passive. Quoi qu’il arrive, com-ent pourrais-je jamais trouver le malheur trop grand,uisque la morsure du malheur et l’abaissement auquell condamne permettent la connaissance de la misèreumaine, connaissance qui est la porte de toute sagesse ? »5].

La force de ces représentations de la douleur semble rési-er dans leur capacité à donner un sens à la souffrance ; àa souffrance en général et à la souffrance d’une personnen particulier, c’est-à-dire de répondre à deux questions :Pourquoi ? » et « Pourquoi moi ? ». Le dolorisme religieux seitue en général du côté d’un dolorisme passif, pour lequel laouleur est positive par la remise en question qu’elle induit :L’extrême grandeur du christianisme vient de ce qu’il neherche pas un remède surnaturel à la souffrance, maisn usage surnaturel de la souffrance », écrit Simone Weil5].

Le monde antique offre un autre type de dolorisme,ue nous proposons d’appeler réactif, où la valeur de laouleur tient à la mobilisation de l’aptitude à se domineroi-même ; il s’agit principalement du stoïcisme. Ainsi Cicé-on réfute l’épicurisme, selon lequel la douleur est le pirees maux, car, dit-il, dans ce cas, la vertu et le courageeraient secondaires et la lâcheté deviendrait une vertu.

l’inverse, écrit-il : « Il faut tenir tête à la douleur ; cara question n’est pas tant de savoir si elle est un malue de s’affermir moralement pour pouvoir la supporter »6].

Il établit alors une distinction importante entre lesermes latins dolor et labor. Labor se reconnaît :« [. . .] dans’accomplissement d’un travail ou d’une fonction plutôténibles sur le plan physique ou moral » et dolor « dans laudesse d’un ébranlement ressenti dans le corps comme unegression » [6]. Mais il y a une notion commune à labor et

olor, qui est celle d’endurance.

Pour les stoïciens, l’entraînement à l’effortaide à surmonter la douleur.

Page 3: Métamorphoses de la douleur

àe

Ld

Ilasnqltepol

cldp

asmlsrccblp

lalsphsalqd[dlsrl«t

Métamorphoses de la douleur

Ce n’est pas le fait d’avoir à supporter de manière pas-sive, qui est mis en avant, mais la capacité de l’individuà dépasser et surmonter l’épreuve physique, qu’elle soitchoisie, par l’athlète ou le soldat ou subie, par lemalade.

Une dernière forme particulière de dolorisme se trouvechez un auteur moderne, à savoir Nietzsche, qui mêle unelutte féroce contre le dolorisme chrétien, associée à unecélébration d’un dolorisme réactif. Cet auteur, en géné-ral si mal lu, nous servira de transition entre l’examen dudolorisme passé et celui de l’attitude moderne. En effet,l’avancée d’un certain scepticisme, au moins, à l’égard desconceptions religieuses associé au développement technos-cientifique ont terni le dolorisme et favorisé son inverse,l’algophobie.

Pour Nietzsche, c’est pour lui donner un sens, que cer-tains hommes cherchent à retourner la douleur contreeux-mêmes, par ce qu’il caractérise comme un « ascétismenégatif » : « la douleur transformée en sentiment de faute,de crainte, de châtiment ; partout la discipline, le corpsémacié, la contrition ; partout le pécheur qui se torturelui-même, partout le cri désespéré vers le ‘‘salut’’ » [7].Pour ce philosophe, cette intégration négative de la dou-leur est le produit d’une incapacité à la transformer enpuissance.

Le monde moderne, qui a pris quelques distances aveccette représentation, va résoudre autrement la question,en opposant le progrès à la douleur : « On déteste main-tenant la douleur, bien plus que ne faisaient les hommesanciens, on dit d’elle plus de mal que jamais, on trouvemême presque insupportable l’existence d’une douleur, nefût-ce que comme idée » [8].

On connaît la diatribe de Nietzsche à l’encontre des uti-litaristes anglais : « Le bien-être, tel que vous l’entendez,n’est pas pour nous une fin ; c’est la fin de tout, un étatqui rend aussitôt l’homme ridicule et méprisable » [9]. Unsiècle plus tard, on observe que la santé est définie par latrès officielle OMS comme « un état global de bien-être ».Lisons encore une fois Nietzsche, décrivant la vie étriquéedu « dernier homme », adepte du « bien-être » : « Un peu depoison de-ci de-là, pour se procurer des rêves agréables, etbeaucoup de poison enfin, pour mourir agréablement » [10].À la solution du confort, de l’anesthésie, Nietzsche opposela métamorphose de la douleur en puissance : « La blessurestimule et redonne courage » et « Ce qui ne me tue pas merend plus fort » [11].

Pour Nietzsche, il y a place pour un ascétisme positif,non d’affaiblissement, mais de « renforcement, une gym-nastique de la volonté » [12], qui ne se retourne pas contrela vie, laquelle est « ce qui doit toujours se surmonter soi-même » [10]. La représentation moderne de la douleur est àl’inverse ; elle est ce qui devrait disparaître dans un mondedominé par la technique, où toute « peine de vivre » seraitéliminée. Cette marche au progrès, vers un « meilleur desmondes », s’accompagne de plus d’une confusion entre bon-heur, joie et plaisir, oublieuse de ce qui fait l’hétérogénéitéde nos expériences : « Que du bonheur » clament les publi-

cités.

Nous sommes passés d’une sagesse sansmédecine à une médecine sans sagesse.

dnlf[

197

On voit croître aujourd’hui la revendication d’un « droitla santé, voire d’un « droit au bonheur » où la médecine

st la première sollicitée.

a médecine devant la question de laouleur

l est possible de repérer, dans l’histoire de la médecine,es traces d’un dolorisme médical. Une des sources de cettettitude est la propension à considérer la douleur commeusceptible de favoriser la guérison, qui serait proportion-elle à la bravoure du patient. Une autre posture est, plutôtu’un dolorisme, une indifférence médicale à la douleur ;’intérêt pour la plainte est limité à sa valeur de symp-ôme. Chacun connaît la célèbre interrogation de Magendien 1847, lors d’une dispute sévère avec Velpeau à propos desremiers essais d’anesthésie : « Qu’un malade souffre, plusu moins, est-ce là une chose qui offre de l’intérêt pour’Académie ? ».

Dans le mouvement de pensée inauguré par la méde-ine moderne, l’analyse du fait pathologique entraînea disparition de toute référence à l’expérience indivi-uelle du malade pour faire place au savoir relatif à laathologie.

Le retour d’un intérêt pour la douleur s’effectueujourd’hui dans le cadre d’une fascination pour l’idéalcientifique de l’objectivité, qui pousse à théoriser sur unême plan des « composants » de la douleur : le sensoriel,

’émotionnel, le cognitif et le comportemental, catégoriesupposées homogènes envers lesquelles la médecine pour-ait viser une action. Étudiant la théorie de la douleurhez Leriche, Canguilhem écrit : « L’homme fait sa douleuromme il fait une maladie ou comme il fait son deuil,ien plutôt qu’il ne la recoit ou ne la subit » [13] ; désors, la douleur doit être vue comme une construction bio-sychosociale.

Trop souvent, pour le dire avec Jean-Francois Malherbe,e médecin, face à la douleur de l’autre « ne rencontrelors qu’une abstraction objectivée désinvestie de toutea signification subjective que pourrait lui conférer unujet souffrant » [14]. C’est pourquoi nous ne pouvonsas contourner notre première approche, exposée plusaut, qui mettait en avant la question de la valeur et duens. « La médicalisation de la douleur a simultanémenttténué ou déraciné le sens qu’elle pouvait avoir pour’individu. [. . .] La médecine a ainsi crée une demandeu’elle peine à satisfaire et qui l’amène à être l’objete maintes critiques sur ses insuffisances en la matière »15]. Cet énoncé n’est ni celui d’un philosophe, ni celui’un sociologue, mais provient d’un groupe de spécia-istes de la douleur. Nous devons en effet nous interrogerur les effets pervers que génère cette focalisation géné-euse mais souvent naïve : le droit de ne plus souffrir,’hôpital sans douleur, la douleur n’est pas une fatalité, lapompe » à morphine érigée en symbole de la techniqueriomphante. . . Ces auteurs reprennent ici la problématique

u sociologue Ivan Illich, qui oppose la souffrance auto-ome à la souffrance hétéronome : « Au fur et à mesure que’analgésie domine, le comportement et la consommationont décliner toute capacité de faire face à la douleur »16].
Page 4: Métamorphoses de la douleur

1

rsdàvdrcepolcLd

spc

tssltcssdll

dqs«lqpso

R

[

[[[[

[

98

Le discours algophobe, miroir du dolorisme, prônant laecherche du degré zéro de la douleur, accrédite la thèseelon laquelle la « lutte contre la douleur » est une questione moyens. La maîtrise fantasmée de la douleur va conduiredes déceptions et à des malentendus lorsque le malade se

erra proposé des méthodes thérapeutiques qui l’impliquentirectement comme acteur : programmes de rééducation,elaxation, psychothérapie. De plus, et surtout, si la méde-ine peut lutter contre telle ou telle douleur particulière,lle ne peut éliminer la possibilité d’avoir à souffrir et neeut, à elle seule, aider la personne malade à vivre malgré,u avec, la douleur. Elle ne peut pas, car ce n’est pas sa fina-ité, découvrir, à la place de la personne malade, le sens queelle-ci pourra trouver dans sa traversée de la souffrance.a médecine abaisse le niveau de la douleur, mais n’agit pasirectement sur les raisons qui font qu’elle est surmontée.

La douleur est aussi métaphore, elle évoquela « peine de vivre ».

Les maladies font surgir la cruauté du réel ; elles sont,elon le mot de Canguilhem : « les instruments de la viear lesquels le vivant, lorsqu’il s’agit de l’homme, se voitontraint de s’avouer mortel » [17].

Cet usage métaphorique est audible dans la superposi-ion sémantique des mots de la douleur et des mots de laouffrance. C’est pourquoi la distinction entre douleur etouffrance nous paraît une distinction à usage pédagogiqueimité, dont il faut se méfier lorsqu’elle devient une distinc-ion forcée, conduisant à une illusion dualiste, qui sépare leorps et l’esprit. La médecine contribue à soulager celui qui

ouffre, elle permet d’avoir moins à supporter ou de mieuxurmonter la douleur, mais elle ne supprime pas la nécessité’avoir à supporter ou à surmonter. Cultiver l’algophobie etaisser entendre que le progrès peut aboutir au degré zéro dea douleur est une illusion dangereuse, non seulement pour

[

[

J.-C. Fondras

es raisons factuelles, mais aussi parce que cela présupposeue la douleur, réduite à un processus « nociceptif », seraiteulement un objet « biomédical » et non une constructionbio-psychosociale ». C’est précisément parce que le rôle de

a médecine est délimité par son champ d’action principal,ui est le corps, qu’il est possible et nécessaire de laisserlace, dans la métamorphose humaine de la souffrance, etelon les orientations de chacun, à la sagesse, à la religionu à la philosophie.

éférences

[1] Conche M. Orientation philosophique. Paris: PUF; 1990.[2] Teppe J. Apologie pour l’anormal ou Manifeste du Dolorisme

[1935]. Paris: Vrin; 1973.[3] Fumet DV. Notre Sœur la douleur. Paris: Seuil; 1937.[4] Pascal B. Prière pour demander à Dieu le bon usage des mala-

dies. In: Œuvres complètes. Paris: Seuil; 1963.[5] Weil S. La Pesanteur et la Grâce. Paris: Pocket; 1993.[6] Cicéron. Devant la souffrance. Tusculanes II et III. Paris: Arléa;

1991.[7] Nietzsche F. Généalogie de la morale. Paris: Gallimard; 1985.[8] Nietzsche F. Le Gai savoir. Paris: Gallimard; 1989.[9] Nietzsche F. Par-delà le bien et le mal. Paris: Gallimard; 1987.10] Nietzsche F. Ainsi parlait Zarathoustra. Paris: LGF Livre de

Poche; 1972.11] Nietzsche F. Le Crépuscule des idoles. Paris: Gallimard; 1988.12] Nietzsche F. La Volonté de puissance. Paris: Gallimard; 1995.13] Canguilhem G. Le Normal et le pathologique. Paris: PUF; 1999.14] Malherbe JF. Médecine, souffrance et philosophie. Annales

d’histoire et de philosophie du vivant 1999;2:143—51.15] Laurent M, Bourreau F, Krakowski I. Les structures d’évaluation

et de traitement de la douleur rebelled. Quelles perspectives ?Douleurs 2002;3:267—75.

16] Illich I. Némésis médicale, l’expropriation de la santé. Paris:Seuil; 1975.

17] Canguilhem G. Écrits sur la médecine. Paris: Seuil; 2002.