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1 Jean Bégoin L E T R A U M A T I S M E D E L A P A S S I O N . C.I.P.A. METZ, octobre 2002 Introduction Je remercie vivement de cette invitation le Collège International de Psychanalyse et d’Anthropologie en la personne de son Secrétaire Régional, Monsieur Jean-Pierre VIDIT, que j’ai plaisir à retrouver ici. Je suis particulièrement heureux de participer à un groupe de travail sur “Les formes actuelles de la souffrance humaine”, car c’est un domaine auquel je m’intéresse depuis de longues années et sur lequel j’ai beaucoup réfléchi. Vous avez choisi plus spécialement le thème du traumatisme, il est vrai que c’est un thème important et tout à fait d’actualité. Je l’aborderai sous un angle qui vous surprendra peut-être, car j’ai finalement donné à mon exposé le titre : “Le traumatisme de la passion”, mais j’espère montrer que c’est une problématique beaucoup plus générale qu’il ne peut sembler à première vue. I - L’énigme de la souffrance psychique : Je voudrais dire d’abord quelques mots sur la façon dont la notion de traumatisme s’est imposée à moi, dans ma pratique de psychanalyste. Pendant de nombreuses années, cette notion ne m’avait paru particulièrement centrale dans mon travail. En

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Jean Bgoin

L E T R A U M A T I S M E D E L A P A S S I O N .

C.I.P.A. METZ, octobre 2002

Introduction Je remercie vivement de cette invitation le Collge International de Psychanalyse et dAnthropologie en la personne de son Secrtaire Rgional, Monsieur Jean-Pierre VIDIT, que jai plaisir retrouver ici. Je suis particulirement heureux de participer un groupe de travail sur Les formes actuelles de la souffrance humaine, car cest un domaine auquel je mintresse depuis de longues annes et sur lequel jai beaucoup rflchi. Vous avez choisi plus spcialement le thme du traumatisme, il est vrai que cest un thme important et tout fait dactualit. Je laborderai sous un angle qui vous surprendra peut-tre, car jai finalement donn mon expos le titre : Le traumatisme de la passion, mais jespre montrer que cest une problmatique beaucoup plus gnrale quil ne peut sembler premire vue.

I - Lnigme de la souffrance psychique :

Je voudrais dire dabord quelques mots sur la faon dont la notion de traumatisme sest impose moi, dans ma pratique de psychanalyste. Pendant de nombreuses annes, cette notion ne mavait paru particulirement centrale dans mon travail. En effet, celui-ci tait, conformment la formation que javais reue, ax essentiellement sur la ralit psychique telle quelle se manifeste dans la situation thrapeutique, dans le hic et nunc, lici et maintenant et dans linteraction transfert-contre-transfert. Les vnements vcus par mes patients, par exemple dans leur enfance, avaient certes beaucoup dimportance et confraient leur histoire son individualit, mais ce qui mimportait avant tout ctait la faon dont ces vnements avaient t vcus et intrioriss travers les fantasmes inconscients du sujet et, en consquence, les obstacles quils avaient ainsi pu crer dans le dveloppement psychoaffectif et psycho-sexuel de celui-ci. Le traumatisme tait alors considr, et ctait la conception psychanalytique officielle conforme la thorie de la libido, comme laissant des points de fixation au niveau de lorganisation fantasmatique de la vie psychique et le travail analytique consistait essentiellement les dpister et les analyser pour faire, en quelque sorte, sauter ces barrages ou ces blocages.

En fait, lexprience ma peu peu montr que les choses taient malheureusement plus compliques, pour deux raisons principales et inattendues. En premier lieu, jai dcouvert que certaines analyses restaient trs difficiles terminer en raison de la persistance ou mme de la rvlation de modes de souffrance psychique qui rsistaient, envers et contre tout, lvolution habituelle du processus analytique vers une plus grande autonomie de lanalysant. En fait, dans certains cas, ctait mme le contraire qui se produisait : lanalysant devenait de plus en plus dpendant de lanalyste et de la situation analytique, comme si plus le lien entre lanalysant et lanalyste devenait puissant, plus les angoisses de sparation saggravaient et plus la sparation finale de la fin de lanalyse apparaissait difficile ou mme dangereuse. La dpendance thrapeutique normale qui permet la croissance psychique peut donc devenir, dans certains cas, une dpendance pathologique qui mne lanalyse dans une impasse, selon la description de H. ROSENFELD qui a reconnu lorigine traumatique de ces formes de rsistance. La dpendance pathologique enchane lun lautre les deux protagonistes et les enferme dans ce que Donald MELTZER a dfini comme un claustrum, cest--dire une situation psychologique demprisonnement qui interdit lautonomie et qui ne permet donc pas le dveloppement. On trouve toujours des traumatismes infantiles lorigine de tels problmes. Dautre part, et en relation directe avec cette situation, les modes didentification du sujet traumatis sont souvent profondment perturbs par certains mcanismes de dfense contre la souffrance psychique, qui sont parfois de vritables dfenses de survie, extrme recours pour contrecarrer des sentiments de dsespoir, mme lorsque ce dsespoir reste latent, je vous en reparlerai tout lheure. Disons dj que ces dfenses de survie correspondent en gros des modes trs primaires et plus ou moins massifs didentification lagresseur. Si bien que la vie psychique de tels sujets reste handicape par des confusions plus ou moins massives et dans diffrents domaines : en particulier, des confusions didentit et des confusions de valeurs ( entre le bon et le mauvais).

Dune faon gnrale, dailleurs, lexprience montre que le prix de lautonomie reste toujours tonnamment lev, toujours plus lev que ce quoi lon sattendait. Freud nous lavait bien dit : au dbut de sa pratique, il craignait de ne pas garder ses patients, par la suite il sest aperu que le plus difficile tait de les amener devenir capables de le quitter. Dans Analyse termine et analyse interminable, Freud rattache les rsistances ultimes lanalyse ce quil considre comme le roc du biologique, cest--dire lenvie du pnis chez la femme et la rvolte contre la position passive chez lhomme. En fait, dans les deux cas, aussi bien chez lhomme que chez la femme, ce roc serait donc en fait celui du refus du fminin. Je pense que cest l un point capital, ayant une valeur trs gnrale et que les cas de traumatisme nous ont aid mieux comprendre. Dans cette communication, je vais tenter de vous prsenter du refus du fminin une interprtation non pas biologique mais psychologique, ou plutt psycho-biologique. En rsum, il mest apparu que le refus du fminin est une dfense contre lhorreur de la dpression, car celle-ci est ressentie dans les deux sexes comme contenue, pas exclusivement mais malgr tout principalement, dans les parties investies comme fminines de la personnalit, cest--dire dans les parties du self construites en identification avec la mre des soins maternels prcoces, dans linterrelation passionne avec elle : jy reviendrai.. Si roc il y a, cest videmment parce quil sagit de dfenses extrmement rigides, constituant un vritable mur. Il a dailleurs t dcrit par H. ROSENFELD dans les tats psychotiques comme le mur du narcissisme pathologique, et il protge en fait ces patients dune souffrance psychique intolrable. Cest pourquoi, lorsque cette souffrance finit par apparatre, par exemple au cours dune analyse, mais ventuellement dans la vie aprs une rupture amoureuse ou mme seulement dans un rve, elle se prsente non pas comme une simple remmoration, mais plutt comme la rvlation dun noyau cliv de souffrance latente. Une telle rvlation devient elle-mme traumatique, car elle est vcue comme une menace dagonie ou de mort psychique, parfois sous la forme de la peur de devenir fou. Cest le cas, par exemple, pour le clbre rve du patient de FREUD, Lhomme aux loups. Lorsque lanalyse atteint cette zone que Michael BALINT a nomm la zone du dfaut fondamental (the basic fault) ces patients peuvent alors se dcompenser, psychiquement ou somatiquement, ils peuvent prouver des phnomnes de dpersonnalisation, faire des chutes soudaines, souffrir de vertiges, et surtout tomber physiquement malades.

Lhistoire de lune des premires patientes qui a attir mon attention sur ces problmes correspondrait trs bien au drame de lenfant dou (ou : comment on devient psychanalyste !) dcrit par Alice MILLER, qui fut lune des premires psychanalystes contemporaines souligner fortement le rle parfois trs pathogne que peut jouer lenvironnement familial de lenfant . Cette patiente avait termin au bout de six ans et demi son analyse, avec un rsultat apparemment trs satisfaisant, mais elle revint ensuite me voir assez rapidement en me demandant de reprendre son analyse car elle navait pas le sentiment davoir acquis une autonomie et une scurit suffisantes. Cela se traduisait par des sentiments dinsatisfaction et des troubles du caractre dans sa vie conjugale et dans sa vie professionnelle. La souffrance psychique de cette personne est vite devenue considrable, beaucoup plus intense et plus difficile soulager analytiquement que dans la priode danalyse prcdente. Cest cette patiente qui ma fait raliser que sa souffrance actuelle ntait pas une simple rptition dune souffrance vcue dans lenfance, ctait plutt la rvlation de la profondeur dune souffrance latente qui avait toujours t refoule ou clive, mais qui clatait maintenant au grand jour et dans toute sa violence, face au dsespoir de jamais trouver dans sa vie adulte une satisfaction vitale suffisante, bien quelle soit marie et quelle ait eu des enfants quelle aimait beaucoup. Depuis, jai vu dautres cas de trs graves tats dpressifs chez des personnes qui avaient pourtant fait preuve de beaucoup de courage face aux traumas familiaux de leur vie denfant mais qui sombraient dans la dpression mlancolique lorsque leur vie adulte se rvlait, la longue, trop dcevante en ne leur permettant pas de se raliser vitalement en tant que personne propre. Le terme de conflit conjugal peut, en vrit, banaliser et dulcorer une situation de frustration affective trs profonde et trs grave, proprement dit vitale.Dans le cas de la premire patiente, la deuxime partie de lanalyse a mis jour le noyau cliv de la personnalit qui contenait le traumatisme subi par lenfant dans son dveloppement premier. Il correspondait tout fait la description des cas dAlice MILLER : elle tait la fille ane dune mre ayant une attitude trs possessive et mme intrusive, mais qui tait en ralit une femme trs dpressive dpit de son mariage et de la venue de deux autres enfants, des garons dont la patiente sest beaucoup occupe. Cette dame est devenue de plus en plus hypocondriaque et de plus en plus dpendante de sa fille, qui devait lui servir de mre et de mdecin. La patiente sest marie le plus tt possible pour tenter dchapper lenfermement dans la relation avec sa mre, mais elle sest sentie oblige de confier son premier enfant, un garon, sa mre qui lleva compltement pendant deux ans, ma patiente stant ensuite amrement reproch davoir abandonn et livr son enfant sa mre. Cest l une situation frquente de relation mre-fille rate qui comporte de multiples aspects conscients et inconscients, tels que ceux dcrits dans le trs bon livre de Caroline ELIACHEFF et Nathalie HEINICH, Mres - filles, une relation trois. Il est apparu, dans lanalyse, que la dpression de la mre tait survenue aprs la mort de son propre pre, alors que la patiente avait entre 2 et 3 ans. Cest un ge crucial, celui de la prise de conscience, chez lenfant, de la diffrence des sexes. Jy reviendrai, mais je signale dj que cette prise de conscience peut faire clater la scurit de base de lenfant, si lenvironnement familial nest pas suffisamment bon, en particulier suffisamment attentif aux fortes angoisses de lenfant cet ge qui est celui des terreurs nocturnes. La prise de conscience de son identit sexuelle survient entre 1 an et demi et 2 ans, elle lance ce que FREUD a nomm, mon avis dun trs mauvais terme, le complexe dOedipe, en fait le dbut de lvolution du sentiment didentit sexuelle du sujet. Cest un processus qui se poursuivra non seulement pendant lenfance et ladolescence, mais aussi travers les vicissitudes de la vie adulte. Je vois les conflits rituellement appels oedipiens comme essentiellement fonds sur langoisse souvent norme de lenfant que son orientation sexuelle lui fasse perdre lamour et la protection de lun ou de lautre de ses deux parents : lui fasse perdre ce que je nomme sa relation narcissique de scurit identitaire ncessaire sa croissance psychique. Dans le cas de ma patiente, il est apparu que la mort du pre de la mre, en dclenchant la dpression de celle-ci, a entran une rupture brutale dun lien mre-fille qui tait si profondment fusionnel que cette rupture a laiss subsister, dans lesprit de lenfant, une faille telle quelle restera ensuite ouverte jamais, envers et contre tout, dans sa personnalit. Le noyau dpressif de la patiente avait, lors de la premire analyse, t reprsent dans un trs impressionnant rve de Mer Morte, survenu lapproche de vacances de Pques et qui exprimait langoisse de la dpression - mort psychique contenue par sa mre et que celle-ci vacuait rgulirement en elle.

A propos du rve, je voudrais faire remarquer que, pour FREUD, le moteur du rve est le dsir et la mise en images visuelles du fantasme de ralisation de dsir. Lune des seules modifications significatives apporte, depuis un sicle, la thorie freudienne du rve a t celle dAngel GARMA, excellent analyste argentin, pour lequel la fonction du rve est de rsoudre le traumatisme, plutt que de satisfaire purement et simplement le dsir. Pour GARMA, tout rve est un cauchemar en puissance, car le contenu latent du rve ne contient que des lments douloureux. Certes, la satisfaction du dsir fait partie du rve, mais elle nen est pas toujours le seul ou mme le principal moteur. Dailleurs, le rve peut aussi bien tre lagent perturbateur du sommeil que son gardien. BION a dcrit le cauchemar comme une indigestion mentale, autrement dit un chec du rve laborer son contenu traumatique.

En outre, pour FREUD, le rve ne cre rien, alors que MELTZER , dans son trs beau livre Dream - life (1984, traduit : Le monde vivant du rve), prcise les modalits du travail dlaboration psychique luvre dans le rve : le rve est le creuset de lactivit inconsciente de la pense qui y dploie son aptitude remarquable symboliser lexprience motionnelle. On pourrait dire que laptitude rver prmunit ainsi la personnalit contre un tat psychotique virtuel, bien que je naime pas ce terme alinant de psychotique et que je prfre parler des noyaux de dsespoir que recle toute personne, avec les dfenses plus ou moins rigides que cela entrane et qui peuvent faire toute la gravit de tels tats. Comme je lindiquais tout lheure, le clbre rve de lHomme aux loups tait, en fait, un cauchemar, lenfant stait rveill en proie la terreur et il lui fallut un bon moment et la prsence rassurante de sa bonne pour se convaincre quil ne sagissait que dun rve, se calmer et ne se rendormir quaprs stre senti dlivr dun danger, ainsi quil la rapport FREUD : Je crois, lui dit-il, que ce fut l mon premier rve dangoisse. Javais alors 3, 4, tout au plus 5 ans. De ce jour, jusqu ma 11e ou12e anne, jeus toujours peur de voir quelque chose de terrible en rve. II - Les angoisses primaires :

FREUD avait trs tt soulign le caractre nigmatique de lintensit de la douleur psychique du deuil mlancolique. Il avait commenc lucider cette nigme en tablissant le caractre dit narcissique de lidentification lobjet perdu, qui indique que cet objet perdu tait investi comme une partie vitale et quasi intgrante de soi, sans laquelle le sujet perd totalement le got de vivre. Il est donc parfaitement lgitime de se demander quels sont les aspects du tout premier dveloppement et de la relation de lenfant avec son entourage susceptibles davoir un impact aussi radicalement traumatique lui, dans limmdiat ou lors de son dveloppement ultrieur, et pour quelles raisons et selon quel processus.

Ce nest que peu peu que jai mieux compris les raisons pour lesquelles lexpression de souffrance psychique mtait venue sous la plume, plutt que celle dangoisse, pour voquer le vcu que me faisaient partager ces patients. Il y a, bien sr, de langoisse, et combien, dans les situations que jvoque ici. Mais cest une angoisse primaire, danantissement psychique provoquant la terreur, qui est une modalit extrme dangoisse perscutrice. Mais cette angoisse est essentiellement un signal, comme Freud la indiqu, le signal de la souffrance la plus douloureuse et la plus intolrable que ltre puisse ressentir, le dsespoir, le sentiment dabandon total et de rejet de la drliction, qui est donc la modalit dpressive, mme si elle reste en partie latente, qui accompagne lexistence dun noyau de terreur menaant la vie psychique elle-mme. Jai fait lhypothse que le niveau le plus profond de la souffrance psychique est le dsespoir de ne pouvoir se dvelopper, de passer ct de la vie sans pouvoir y pntrer, de ne pouvoir que survivre au lieu de vivre, comme Joyce McDOUGALL la dcrit la premire. Je pense dailleurs quen fait nous avons tous, cach au plus profond de nous-mme, un noyau plus ou moins important, bien entendu, et trs secret de dsespoir que nous nous dissimulons soigneusement et qui est en relation avec les parties de notre self qui nont pu trouver les conditions suffisamment bonnes, dans lenfance mais aussi plus tard lge adulte, qui auraient pu leur permettre de sexprimer.

Ce sont les travaux psychanalytiques sur lautisme, en particulier ceux de D. MELTZER et de F. TUSTIN qui mont apport laide la plus consistante pour comprendre ces tats. F. TUSTIN a eu le mrite dlucider la nature traumatique de langoisse fondamentale des enfants autistes, qui est celle dun anantissement du sentiment dtre, du sentiment didentit existentielle. Elle lassimile au sentiment dcrit par Winnicott de going-on being, continuer se sentir exister. Cette angoisse est traumatique dans la mesure o ces enfants nont pas pu tre suffisamment bien investis par leur mre et o la conscience dtre spars du corps maternel est alors intolrable et provoque des angoisses primaires danantissement : comme des angoisses de chute sans fin ou des angoisses de dissolution ou de liqufaction, ou de mourir de faim. Dans ses dernires formulations, F. TUSTIN insiste sur laspect hautement pathologique des tats autistiques et rfute dfinitivement lide dun stade autistique normal du dveloppement. Les dfenses autistiques sont des barrires contre langoisse du trou noir de la dpression primaire et contre le nant. Ces concepts mont permis de mieux comprendre la souffrance de mes patients comme rsultant dangoisses de sparation catastrophiques (Bion) entranant une menace danantissement psychique (Tustin). Jai compris par la suite que de nouvelles parties du self taient nes dans lanalyse, en particulier de nouvelles capacits daimer, et quelles se sentaient lagonie sous la menace de la perte de la relation analytique investie par elles comme ayant la fonction maternelle primaire contenante et dtoxicante de langoisse, dcrite par Bion, et dont les enfants autistes se sont sentis privs.

Il est bien connu que la situation dite de perte dobjet est susceptible de provoquer des ractions dpressives plus ou moins profondes. FREUD a rattach la profondeur de la dpression mlancolique au caractre narcissique de la relation avec lobjet perdu : Lombre de lobjet retombe sur le moi. Mlanie KLEIN a dcrit sous le nom de position dpressive le stade de dveloppement, jamais dfinitivement labor, qui marque le passage de la relation dobjet partiel (narcissique, dont le type est lidentification projective) la relation dobjet total (reconnaissance de la diffrenciation entre Soi et lAutre, et prvalence de lidentification introjective). BION a opr un dbut de rvolution en dcrivant la naissance de la pense comme rsultant de processus didentification projective mutuelle mais normale entre la mre et le bb. Il rintroduisait ainsi dans la thorie du dveloppement le rle de lobjet, pour la premire fois depuis labandon par FREUD de la thorie de la sduction. En fait, il apportait aussi une thorisation lobservation tonnante de WINNICOTT que la mre suffisamment bonne devait passer par une sorte de folie normale, pour viter au bb des angoisses inimaginables risquant dentraver son dveloppement normal. Cest Donald MELTZER qui a provoqu une deuxime rvolution, au moins aussi importante que celle de BION, en dcrivant le conflit esthtique et la mre suffisamment belle. WINNICOTT et MELTZER ont donc, chacun leur manire, pos les bases de la description de la passion qui, mon avis, est la source de la vie psychique. Je rejoins l tout fait le biologiste Jean-Didier VINCENT pour lequel la passion est le propre de lhomme. Je pense, en effet, actuellement, que le vritable prototype de la passion humaine est linterrelation damour au sein de laquelle nat la vie psychique du bb, pendant la Priode Primaire dfinie comme celle qui va de la conception lge dun an.

III - Aspects historiques et cliniques de la passion : Le terme de passiondrive du verbe latin pati : souffrir, puis, plus gnralement, il a dsign le fait de subir, de souffrir, dprouver (Le Robert, dictionnaire historique de la langue franaise). Dabord dsignant des souffrances physiques, le terme de passion a t tendu partir du 13e sicle aux affections de lme.

A partir du 16e sicle, et avec Ronsard, le mot de passion a dsign plus particulirement la souffrance torturante provoque par lamour. En se gnralisant, le terme sest affaibli pour dsigner seulement une vive affection pour quelquun et, par mtonymie, la sensibilit qui peut animer une oeuvre dart. En franais moderne, le terme sest affranchi de la notion de passivit, pour prendre une valeur plus active et positive et dsigner une affection intense ou violente, comme dans lamour-passion.

Le terme de passion a toujours conserv son lien dorigine avec la notion de souffrance, dabord selon un modle physique puis tendu la souffrance psychique. Mais pourquoi ce lien entre la souffrance et lamour et, depuis Ronsard, pourquoi la passion amoureuse est-elle associe une torture ? Je pense que cest non seulement en raison de lattente, des doutes et de la frustration qui accompagnent si souvent ltat amoureux, mais aussi parce que le terme de passion connote implicitement lavnement dun sentiment puissant et essentiellement nouveau, jusquici inconnu, et par consquent quelque chose de lordre dune naissance psychique, qui ncessite ds lors une laboration plus ou moins difficile ou douloureuse, en tout cas un considrable travail dassimilation psychique. Dans ces conditions, il nest pas tonnant quun certain degr de confusion se produise aussi entre lintensit toute nouvelle du sentiment amoureux et la violence relle ou fantasme de sa nature et / ou de son apparition. Depuis une trentaine dannes, je me suis particulirement intress aux travaux de Donald MELTZER, qui a dvelopp des conceptions originales et une rflexion particulirement profonde sur le dveloppement et lvolution historique de la pense psychanalytique. Par ailleurs, javais auparavant commenc mes recherches psychanalytiques dans le domaine de la mdecine psychosomatique, prcisment sur les aspects psychosomatiques de la tuberculose pulmonaire. Depuis, jai toujours gard prsente lesprit la clbre formule du fondateur de la phtisiologie, LAENNEC, qui a dit de cette maladie : EIle na pas de cause plus frquente que les passions tristes, profondes et de longue dure. Ds 1964, javais soulign les relations entre la tuberculose pulmonaire et la dpression, dans ses formes les plus profondes, car lobservation psychologique des patients tuberculeux confirme totalement lintuition remarquable de LAENNEC sur certaines conditions dclosion de la phtisie. Cette intuition sest trouve ensuite trs largement confirme par de nombreux travaux, comme ceux de Paul-Claude RACAMIER .

Je veux prciser que, dun point de vue dynamique et pas seulement descriptif, la dpression doit, mon avis, tre comprise non pas comme un tat en soi, mais comme le signal, lindice dune situation globale de souffrance psychique, ou mieux psychosomatique. Une telle situation est en gnral mal reconnue comme telle par le sujet lui-mme qui ne la comprend pas clairement, car la comprhension qui lui serait ncessaire pour trouver une solution ses problmes est obscurcie par les mcanismes de dfense contre la douleur psychique, qui bloquent et paralysent plus ou moins ses capacits de pense. Il sagit donc dune situation psychologique extrmement complexe, qui peut tout fait tre comprise comme une passion, dans le sens le plus large du terme.

Cas clinique.

Je voudrais donner lexemple dun cas dtat dpressif trs passionnel dclench par une rupture amoureuse. Une ancienne patiente, que javais eue en analyse pendant son divorce, et qui avait termin son analyse deux ans auparavant, est revenue me voir rcemment, sous le coup dune rupture brutale dcide par lami quelle avait rencontr depuis. Cette rupture survenait alors quelle avait termin le deuil de son mariage et au moment o elle se dcidait sengager plus compltement avec cet ami. Elle plongea alors dans un dsespoir brutal et total, caractris par une douleur psychique permanente et dune intensit intolrable, la vie lui tait devenue un supplice de chaque instant. Elle ne pouvait plus rien manger ni rien boire. Elle tait devenue quasiment incapable dprouver des sentiments pour ses deux filles quelle adorait, sauf le devoir de continuer de sen occuper et la culpabilit de leur imposer sa dpression quelle sefforait de ne pas trop leur montrer, sans prtendre la nier. Car ses filles, qui avaient lhabitude de voir son ami et qui avaient appris lestimer, comprirent vite ce qui stait pass et, pour lpargner, elles vitaient de prononcer son nom. La patiente maigrit trs rapidement et elle prouvait une sensation constante de froid. Elle avait littralement perdu toute capacit de jouir du sentiment dtre en vie, ce qui caractrise la dpression primaire.

Je reparlerai tout lheure de cette personne, mais je voudrais dabord faire quelques remarques. La recherche psychanalytique a commenc par lexploration des tats pathologiques, essentiellement des nvroses. La psychopathologie a donc t le modle partir duquel ont t esquisss des essais de reconstruction du dveloppement psychique normal. Ce nest que trs rcemment que ltude directe du nourrisson a apport des lments qui remettent en question certains dogmes analytiques sur la pulsion et la relation dobjet et qui permettent aujourdhui de se rendre compte que lon a pu prendre des tableaux psychopathologiques pour des modles de dveloppement normal et universel. Jai commenc en voquant la pathologie et les passions tristes de LAENNEC. Mais ny aurait-il pas aussi des passions joyeuses ? Certainement, et lon pense videmment aussitt la passion amoureuse, en particulier quand elle est partage et quelle correspond alors la dcouverte enivrante non seulement de lautre mais aussi de soi, dans le sens dune nouvelle faon de ressentir sa propre existence et celle de lautre. Lexaltation joyeuse qui accompagne cette dcouverte signe laccs un niveau meilleur et plus lev dintgration et de ralisation de soi.

Il me semble que les caractres de la passion, joyeuse ou triste, quel que soit le domaine dans lequel elle se manifeste et le niveau auquel elle se situe, refltent toujours, de faon plus ou moins vidente, les conditions originelles et trs particulires de la naissance de la vie psychique. Ltre humain, au niveau de la connaissance de soi, est, en effet, essentiellement un tre en devenir et les diffrentes tapes de son dveloppement portent toujours la marque de ses origines. IV - La naissance de la passion : la rencontre primaire.

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La vie psychique ne va pas de soi. Pour tre, elle doit tre cre, et elle ne peut tre cre quau sein d une relation possdant des caractres trs particuliers : cest, en effet, une relation de croissance psychique, une relation que lon peut nommer narcissique dans le sens o elle est fondatrice du narcissisme normal considr comme linvestissement minimal de soi assurant le sentiment dexistence et de continuit voqu plus haut ( Jutilise ce terme de narcissisme malgr son ambigut et sa connotation parfois pjorative en relation avec la pathologie du narcissisme, car je pense quil est ncessaire de redonner toute sa place au dveloppement normal ct de ses aspects trop souvent pathologiques). Or, cest au sein de ce que le langage adulte appellera plus tard un climat de passion que se dveloppe la relation narcissique primaire : je nomme ainsi la relation, ou mieux linterrelation qui permet la naissance et le dveloppement de la vie psychique. Quels en sont les lments ?

1 - Altrit, rciprocit et exprience esthtique :FREUD avait pos que lidentification tait la premire manifestation dun attachement affectif une autre personne. Mais nous avons appris que cette identification doit saccompagner de la reconnaissance de lexistence distincte de lAutre, du respect de laltrit, pour poser des bases suffisamment stables pour le dveloppement de la vie psychique. Ltat fusionnel provoqu par une identification trop massive saccompagne dune appropriation et dune emprise sur lautre.

Par ailleurs, la reconnaissance de laltrit exige quait t suffisamment vcue lexprience de la rciprocit qui est lun des aspects centraux de la relation narcissique primaire. Tout le monde sait que la rciprocit est un facteur dont il est difficile de se passer, mme dans les formes les plus adultes de lamour. Au dbut de la vie, cest un facteur tout simplement vital pour la vie psychique. Il conditionne, en particulier, la russite de la toute premire rencontre entre le bb et son environnement humain.

Il est largement prouv qu la naissance le bb connat dj la voix et lodeur de sa mre et quil recherche tout de suite le sein nourricier. Pendant la tte, la relation doeil oeil est intense et les yeux de la mre sont identifis aux mamelons des seins. Mais cette relation sensorielle (cognitive) avec le corps de la mre est, en mme temps, investie (affectivement) trs puissamment et de part et dautre. Elle saccompagne, en outre, dun vcu trs forte tonalit esthtique, qui a t rcemment dcrit par MELTZER. Toutes les mres le savent, qui trouvent toujours que leur bb est le plus beau qui ait jamais exist. Mais lobservation et la reconstruction analytiques donnent des indications suffisamment concordantes pour que lon soit aussi certain que les premiers investissements du bb envers le sein maternel, mais trs vite aussi envers le pre, en font pour lui des objets dimmense admiration. Ces affects, extrmement puissants, et qui subsistent la vie durant, tmoignent, selon moi, de la beaut vcue de la rencontre entre les capacits damour ltat naissant du bb et celles de ses deux parents, bien sr en tout premier de sa mre, mais elle-mme contenue par lamour du pre pour elle et pour lenfant. Une telle rencontre saccompagne de ce sentiment dmerveillement de ltat amoureux qui inspire aussi les contes et les mythes, et dont la cration semble aussi ncessaire la vie psychique des bbs humains qu lme collective des peuples.

Le plus bel exemple de la possibilit de revivre cette exprience esthtique primaire qui fonde la vie psychique est certainement, dans la littrature franaise, le fameux souvenir de la madeleine de Marcel PROUST. Permettez-moi de vous rappeler les quelques phrases dune confondante pntration dans lesquelles il analyse les effets de la trace mnsique qui avait t veille en lui, limproviste, par le got dune madeleine trempe dans une tasse de th. Il crit : Mais linstant o la gorge mle de miettes de gteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif ce qui se passait dextraordinaire en moi. Un plaisir dlicieux mavait envahi, isol, sans la notion de sa cause. Il mavait aussitt rendu les vicissitudes de la vie indiffrentes, ses dsastres inoffensifs, sa brivet illusoire, de la mme faon dont opre lamour, en me remplissant dune essence prcieuse : ou plutt cette essence ntait pas en moi, elle tait moi. Javais cess de me sentir mdiocre, contingent, mortel. Do avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais quelle tait lie au got du th et du gteau, mais quelle le dpassait infiniment, ne devait pas tre de mme nature. PROUST russit en quelques phrases cerner lessentiel : la renaissance, proprement parler, de son sentiment dexistence, travers la force inoue de la joie de vivre qui accompagne le souvenir de lamour mutuel ressenti dans la rencontre avec lAutre. Il indique mme la diffrenciation entre la sensation elle-mme et son investissement affectif, et le moment o opre le mystre de la cration de ce quelque chose qui donne un sens la vie, et sans lequel le Soi peut tre envahi par le sentiment dagonie psychique et de totale solitude de la dpression primaire, car une telle passion est insoutenable quand elle nest pas partage.2 - La notion dinterrelation :

Le besoin, plus ou moins intense ou exigeant, de rciprocit fait toujours partie des tats passionnels. En cas de manque de rciprocit dans les relations prcoces mre-enfant, lobservation montre quil devient trs vite impossible de dterminer do ce manque est provenu en premier lieu : est-il venu des parents, de la mre ou du pre ou de leur interaction, ou bien du bb lui-mme ? Ce fait est trs remarquable et il semble tenir la nature mme de ce que lon en venu dsigner couramment sous le nom dinteractions prcoces, ou mieux dinterrelations prcoces, dans lesquelles il devient trs vite impossible de diffrencier le rle spcifique de chacun, tant les investissements et les identifications primaires revtent un caractre prdominant de mutualit et de rciprocit. Le concept dinteraction ou dinterrelation apparat donc comme trs diffrent de la notion classique de relation dobjet, essentiellement gouverne par le jeu des pulsions et des dfenses, car il implique des actions rciproques entre un sujet et son environnement. Cest ainsi que, si les parents sont bien lorigine de lexistence de lenfant, celui-ci est aussi, selon la formule connue, le pre de lhomme - la fois en tant que matrice des potentialits de ltre - mais aussi comme celui qui pourra ou non faire advenir les potentialits parentales de chacun de ses deux parents. Nous savons, par exemple, combien une mre peut tre profondment blesse dans le dveloppement et lpanouissement de ses capacits maternelles si elle ne ressent pas son enfant linvestir avec assez dintensit. Il en est videmment de mme en ce qui concerne le pre, bien que cela reste souvent beaucoup plus dissimul. Cest aussi la raison pour laquelle il reste si difficile de pntrer et de modifier la pathologie des interrelations prcoces. Cest particulirement vident dans le traitement des troubles de la personnalit aujourdhui les plus frquents et qui, sous le nom dtats- limites ou borderline, expriment en fait des dfaillances et des dfauts dans les assises narcissiques et structurales de la personne.

Ce sont de telles considrations qui mont fait crire que la russite des interrelations prcoces nest due finalement ni lamour seul de lenfant, si admiratif soit-il, ni seulement lamour de sa mre, si dvoue soit-elle et si bien contenue soit-elle par lamour du pre, mais leur interaction suffisamment harmonieuse. Tout, autant en clinique que dans lobservation directe, semble bien confirmer que telles sont les conditions qui prsident vritablement la naissance de la vie psychique. Le point de fixation pour les maladies psychosomatiques se situe sans doute ce niveau, dans les dfaillances de la cration de capacits psychiques suffisamment capables de contenir les angoisses de la dpression primaire, lie, comme F. TUSTIN la montr, un sentiment de sparation catastrophique davec le corps de la mre.

3 - La scurit de base et la joie de vivre :

Les conditions de la naissance de la vie psychique que je viens de dcrire comportent un aspect double. Le premier aspect concerne une fonction dfensive et anti-traumatique correspondant au pare-excitation de FREUD. Elle rsulte de lintriorisation des fonctions parentales contenantes et permet ltablissement dune scurit de base : celle-ci est faite de la confiance de se sentir en gnral suffisamment protg contre les angoisses primordiales dannihilation. Elle est constitutive de la toute premire tape du sentiment didentit existentielle.

Mais nous pouvons maintenant complter la dfinition de cette scurit de base, car son aspect dfensif est en ralit secondaire laspect primaire plus directement libidinal , qui dcoule de la beaut de la rencontre entre le bb et ses parents : la beaut de cette rencontre apparat clairement comme la base indispensable ltablissement de la joie de vivre, base sur linvestissement esthtique rciproque entre lenfant et son environnement . Il est facile de concevoir que cest ainsi que peut stablir trs tt chez lenfant la confiance que la vie vaut vraiment la peine dtre vcue. D. STERN a dcrit cet investissement rciproque sous le nom dattunement (traduit par accordage affectif), tout en soulignant combien, au tout dbut de la vie post-natale, les dveloppements cognitif et affectif sont en troite interaction et presque impossibles diffrencier. De mme, scurit de base et joie de vivre sont les deux faces dun mme processus de naissance de la vie psychique.

V - Lvolution de la passion : Lamour au pril de la violence.

Le concept daltrit exprime les capacits dinvestissement de soi et de lautre reconnu comme une personne distincte de soi. Au tout dbut de la vie, il a pos les bases de la sant psychique, car le respect de laltrit doit accompagner les interrelations prcoces, si passionnes soient-elles, pour quelles restent suffisamment saines. En effet, lorsque les circonstances sont suffisamment favorables ( ce qui ne se produit que dans 2 cas sur 3 seulement, selon Boris CYRULNIK), le destin habituel de la passion originaire est de sapaiser grce aux identifications introjectives qui accompagnent ltablissement de la scurit de base et de la joie de vivre de lenfant. Ce sont sans doute l les conditions qui permettent le passage des relations dobjet partielles qui sont projectives, aux relations dobjet total et introjectives, passage que Mlanie KLEIN a dcrit sous le nome de position dpressive et que je considre comme la dcouverte mutuelle de lAutre et de Soi. Il me semble que cette conception permet de mieux comprendre la nature du changement crucial survenant la fin de la Priode Primaire, vers lge dun an. Il correspond la consolidation du sentiment didentit propre de lenfant : celui-ci devient alors capable dapprcier de mieux en mieux laltrit, dans la mesure o se trouve suffisamment consolid son propre sentiment dexistence grce aux expriences positives de partage et dintersubjectivit.

Au contraire, lorsque le sentiment daltrit nest pas suffisamment bien tabli (ce qui semble survenir 1 fois sur 3 selon Boris CYRULNIK, ce qui est norme), lenfant reste emprisonn dans divers tats dalination psychique et psychosomatique qui sont lexpression des dfenses de survie contre le dsespoir de ne pas pouvoir dvelopper sa vie psychique propre. Cette situation est la base de toute la pathologie, mentale et somatique.

1 - La souffrance psychique de base :

En effet, lorsque les conditions de la naissance de la vie psychique ne sont pas suffisamment bonnes, et que lattraction irrsistible exerce par la dcouverte merveille de la BEAUTE de lAMOUR et de la VIE PSYCHIQUE ne se produit pas, cest son ngatif qui apparat : le sentiment dHORREUR, que lon peut analyser comme tant la plus extrme rpulsion qui se puisse prouver, face la vision terrifiante dune menace de mort psychique. Telle tait, dans lAntiquit, la figure de Mduse, laquelle tait attribu un pouvoir paralysant et mortel, car son visage tait si horrible voir quil ptrifiait de terreur ceux qui avaient la malchance de la rencontrer. Le dsespoir de sentir une impossibilit de natre soi-mme saccompagne dun sentiment dhorreur et constitue, selon moi, la souffrance psychique de base.

Suite du cas clinique.

La patiente trs passionne et trs dprime dont jai parl tout lheure ma apport des illustrations saisissantes de ces sentiments dhorreur et dagonie psychique. La seule accalmie relative de sa douleur psychique quelle pouvait trouver tait dans le sommeil, en dpit du fait quelle avait terriblement froid et que son sommeil tait toujours peupl de rves quelle trouvait bizarres.

Maintenant, il sagissait de vritables cauchemars, tous remplis de visions dhorreur, souvent plusieurs par nuit. Mais, en six semaines, la production et lanalyse de ces rves, aides de quelques mdicaments antidpresseurs et tranquillisants, lui permirent de commencer merger de son dsespoir. Voici quelques exemples de ces rves :

- elle retirait de la boue de son propre ventre, la pelle, et sans arrt (les sentiments dpressifs sont imags comme de la boue-caca qui lui remplit le ventre- tte et quelle sefforce dexpulser) son petit chien tait mort, il navait plus de peau et ntait plus quune boule de sang, ctait horrible voir ( elle assimile son petit chien sa partie infantile dsespre, qui a perdu son contenant-peau et qui se vide de son sang-vie)- elle tait enferme dans sa voiture, je cognais sa vitre pour lui ordonner de sortir, mais elle ne le pouvait pas; ses filles aussi lappelaient, mais elle ne pouvait toujours pas sortir de la voiture ( elle se ressent emprisonne dans le claustrum de sa voiture-dpression, qui est utilise comme un contenant substitutif pour ne pas se vider totalement, car, en perdant son ami, elle a le sentiment d avoir perdu sa peau, en tant que contenant de sa vie psychique).

2 - Quelques dfenses contre la souffrance psychique:La seule dfense rellement efficace contre la souffrance psychique est le dveloppement lui-mme. Mais un certain degr de souffrance est videmment invitable et le dveloppement ne peut se faire que si certaines dfenses sont mises en place contre lexcs de souffrance qui, sinon, entraverait plus ou moins compltement la croissance psychique.

Il faut donc distinguer les dfenses qui peuvent sappuyer sur un noyau suffisamment sain et qui sont compatibles avec le dveloppement, de celles qui restent essentiellement diriges contre un noyau de dsespoir annihilant et qui sont des dfenses de survie.

a) - Les dfenses compatibles avec le dveloppement : Bien entendu, je ne puis ici toutes les nommer, mme trs brivement. Je dsire seulement rhabiliter dans ce cadre les dfenses maniaques, car elles jouent un rle central dans la lutte contre la dpression. En effet, elles avaient acquis une trs mauvaise presse dans la littrature analytique, kleinienne en particulier. Et pourtant, M. KLEIN avait bien vu que, si elles ne sont pas trop massives et si elles restent temporaires, les dfenses maniaques font partie des mcanismes normaux de la croissance psychique, car elles sont tout fait ncessaires pour protger le self infantile contre des sentiments dpressifs excessifs, susceptibles dentraver gravement le dveloppement. Ces dfenses ne doivent pas tre confondues avec les tats maniaques aigus qui sont videmment pathologiques, et qui constituent une dfense dsespre contre la dpression suicidaire. Des dfenses maniaques modres sont, en fait, bel et bien ncessaires la constitution et la protection dun espace mental qui puisse tre utilis pour llaboration progressive des affects dpressifs qui sont contenus dans dautres secteurs de la personnalit : en gnral, dans les identifications qui paraissent plus fminines, car elles sont en relation avec les aspects plus vulnrables de limago maternelle lorsque celle-ci nest pas suffisamment bien combine avec celle du pre. Or, les dfenses maniaques, avec leurs aspects projectifs, sappuient sur les aspects masculins ou phalliques des identifications aux objets internes. Il faut remarquer que, de cette faon, la bisexualit psychique est trs tt implique, par le jeu des identifications primaires, dans la lutte contre la souffrance psychique. Lintgration du masculin et du fminin continue, dailleurs, jouer un rle central dans les processus dintgration et de dveloppement psychique, la vie durant. Le refus du fminin, dont jai parl tout lheure, est au contraire, chez lhomme comme chez la femme, un obstacle majeur au dveloppement. Par contre, une part centrale du plaisir amoureux est lie ce sentiment dintgration de soi qui saccompagne dune exaltation joyeuse, pouvant aller jusqu lextase.

b) - Les dfenses de survie :

Lorsque le dveloppement psychique ne se ralise pas suffisamment bien, les dfenses mises en place contre lexcs de souffrance deviennent une entrave contre le dveloppement ultrieur : elles protgent la survie mais elles entravent la vie. Le concept de dfenses de survie en tant que dfenses dsespres contre une menace dannihilation totale permet de mieux comprendre les aspects paradoxaux et souvent nigmatiques de la violence et de la tyrannie, en psychologie individuelle mais peut-tre aussi en psychologie sociale et politique.

La violence est le commun dnominateur des dfenses de survie. Je suis tout fait oppos la notion dune violence originaire, instinctuelle et sans signification, comme la violence fondamentale de Jean BERGERET. Celui-ci crit, je le cite : La violence reprsente un instinct de vie, de survie, une attitude de lgitime dfense. Un tel instinct peut tre considr comme tout fait naturel, paralllement linstinct sexuel et il se manifeste galement ds la naissance. Je pense que cest l une position philosophique dualiste, une simple variante de linstinct de mort de FREUD. Jai trs longtemps travaill moi-mme avec le concept de la soi-disant bipolarit des pulsions, que M. KLEIN avait totalement adopt de FREUD. Je lai maintenant compltement abandonn, rejoignant ainsi beaucoup dautres auteurs, comme par exemple BALINT et WINNICOTT. Je pense, en effet, que le dualisme instinctuel ne rend pas compte de la clinique lorsque lon prend vraiment en compte la nature et le mtabolisme de la souffrance psychique. Il est clair, contrairement ce que dit BERGERET, que la vie et la survie ne sont pas du tout la mme chose, et elles correspondent des tableaux cliniques trs diffrents. En fait, je pense, tant donn que les conditions denvironnement ne sont jamais parfaites, quil existe toujours un noyau de dsespoir plus ou moins cach mais permanent au fond de tout tre humain. La lutte contre ce noyau de dsespoir sera, elle aussi, permanente et alimentera toutes les formes de la violence.

Le prototype de la violence consiste typiquement vacuer lexcs de souffrance psychique dans un objet avec lequel un lien damour et de rciprocit na pas t suffisamment tabli : cest le modle de lidentification projective pathologique telle que M. KLEIN la dcrit en premier en tant que mcanisme schizo-paranode. Cest, en effet, une identification intrusive et qui saccompagne dun fantasme trs concret demprise et de contrle omnipotent exerc sur lobjet. Ce dernier devient alors doublement perscuteur, du fait non seulement de la haine quil inspire en tant que mauvais objet, non rceptif et abandonnant, mais aussi parce quil est ressenti comme attaqu et endommag par lexcs de souffrance projete en lui avec violence, ce qui le rend susceptible dattaquer en retour selon la loi du talion.

Il faut distinguer nettement la violence de la force et de lagressivit. Lanalyse montre que la force est le second des deux principaux critres de valeur des objets, dans la ralit psychique, car le premier critre des bons objets ( les objets aims) semble tre leur beaut. La force reconnue des objets leur confre une consistance et une stabilit qui sont rassurantes et gages de fiabilit, donc de confiance. Si les bons objets sont trop faibles, ils sont ressentis comme trop vulnrables et par consquent non fiables, ce qui vient saper ltablissement de la scurit de base.

Mais la force se veut tranquille pour ne pas tre confondue avec lagressivit, qui implique lexistence de processus dattaque et de fuite. Attaquer saccompagne toujours de culpabilit, dans la vie psychique, en raison des processus didentification lautre que jai dsigns comme tant la source des sentiments vrais d altrit. Lanalyse montre avec vidence que les enfants trs jeunes ont de trs fortes tendances dpressives et ils ont normment de peine intgrer leur agressivit et dvelopper leur force, car ils se sentent paralyss par la culpabilit et incapables de se dfendre lorsquils sont eux-mmes attaqus. Or, cela se produit chaque fois que linvestissement de lenfant par son entourage est plus narcissique quobjectal. Dans ce cas, les rles sont en quelque sorte inverss, dans le sens o cest lenfant qui devient, de faon prdominante, un contenant et, pire, un lieu privilgi dvacuation pour les mauvais contenus des parents. Lenfant subit alors, sans tre capable de se dfendre, la violence de lidentification projective intrusive de lun ou lautre de ses parents. Le self infantile reste plus ou moins cras par ces projections et ces vacuations et prouve les plus grandes difficults tablir ses propres limites. Il en rsulte des confusions de toute sorte qui interfrent gravement avec les possibilits de dveloppement de lenfant.

Cest l, mon avis, la structure des plus profonds traumatismes et abus subis par les enfants de la part des adultes, abus qui peuvent aller jusquau meurtre comme jen donnerai plus loin, propos de la paranoa, une illustration exceptionnellement impressionnante qui souligne aussi combien la violence a toujours un sens fondamentalement suicidaire, car elle a dsespr de lavenir et, ce faisant, elle la par avance dtruit.

Suite du cas clinique :

Un rve de fantasme suicidaire, pour mettre fin lexcs intolrable de la souffrance psychique: Impossible. IMPOSSIBLE - de manger, juste boire du th trop bouillant, presque douloureux. Serez-vous content de moi quand je vous dirai le rve pnible qui me tient maintenant veille. Jai emmen le chien se faire euthanasier. Ctait la seule solution. Il souffrait trop et jai eu le cur en vrille. Car la mort fut lente venir et aprs des regards de tendresse, son regard exprimait une tristesse infinie - la trahison comprise - et, bien sr, vous tiez le vtrinaire responsable de linjection mortelle (Lobjet aim, lorsquil est envahi et submerg par la dpression et la dception, devient lui-mme mauvais : cest la base du ngativisme). Bon, le chien est bien vivant mais je suis cure par ce que nous avons accompli VOUS et MOI.Les sentiments dabandon vcus dans la ralit par cette patienteont t si violents et si douloureux parce quils rveillaient le souvenir refoul et dautant plus intense de profonds sentiments dabandon de lenfance, qui se trouvent ractivs et ractualiss aussi dans lanalyse. La mre de la patiente est une femme obsessionnelle, froide et trs peu affectueuse, qui ne sest jamais vraiment intresse sa fille laquelle elle prfrait trs clairement une autre fille plus jeune. Ma patiente a toujours normment souffert de lattitude de sa mre envers elle, tout en russissant lui garder son amour bien quil ft rgulirement trs cruellement du. Elle a ainsi intrioris une mre interne qui correspond ce que Joyce McDOUGALL a trs bien dcrit comme un objet sourd , on pourrait ajouter : aveugle et sourd, lamour de sa fille et celui que celle-ci lui demandait. La prsence, au cur de la vie psychique, dun objet interne aveugle et sourd aux souffrances du sujet, est la principale cause des angoisses de sparation qui peuvent persister la vie durant. Ces angoisses taient tout fait massives chez ma patiente.

Cest ainsi que jai d mabsenter toute une semaine, et la patiente continua noter ses rves quelle mapporta mon retour. Lun deux exprime les sentiments dagonie ressentis face aux trois sances de la semaine perdues, qui nont pas pu tre vcues et qui sont alors assimiles des bbs morts. Elle crit :

Mardi. Rve atroce. Je rentre la maison (de la maternit ?). Je tiens dans mes bras trois bbs minuscules - peine quelques centimtres - ils sont nus et emmaillots dans des linges blancs. Bertrand ( son ex-mari) maccompagne. Je sais que les trois bbs sont morts. Je monte directement dans la chambre dAmlie (sa fille cadette). La chambre est telle quelle, sauf que sur le tapis est pose une pierre tombale avec les trois noms gravs. Je soulve la pierre et range les trois petits morts dans le sens de la largeur. Pour bien les installer, je bourre tous les espaces de papier de soie blanc. Je referme la tombe. Je prends loreiller du lit dAmlie et je mallonge sur la pierre. Bertrand pense que cest ridicule. Il dit a avec douceur. Il a peur que la pierre soit trop dure et que jaie froid. Mais je refuse. Je reste allonge l, obstine. Je pense quil sera impossible douvrir nouveau la tombe. Il reste tellement de place et je sais que jai peur de voir les bbs dcomposs, pourris. Aprs le rve, je me suis rveille, cure, jai vomi beaucoup deau. Toute la journe, je suis obsde par ces trois cadavres dcomposs...Jattends le soir avec impatience pour pouvoir me coucher. Je ne trouve de soulagement que dans mon lit - malgr ces rves que je vomis toutes les nuits. Et si je ne me rveillais pas ? Je ralise que les enfants ne me manquent pas (ses filles sont en vacances cette semaine-l chez ses parents, la montagne). Japprhende mme leur retour. Je ne sais pas si je serai capable de vivre une vie normale.

FREUD avait soulev la question du renversement de la pulsion en son contraire propos du sado-masochisme. BION a dcrit un mcanisme plus primitif, qui est sans doute luvre dans la ngativation primaire de la pulsion : cest le renversement de la fonction alpha, cest--dire de la fonction psychique fondamentale de reprsentation et de symbolisation. Lorsque les conditions sont dfavorables, celle-ci fonctionnerait lenvers : au lieu de fabriquer les symboles qui sont en quelque sorte les aliments de la vie psychique, ses nourritures affectives selon la belle expression de Boris CYRULNIK, ou lments alpha, ceux-ci sont dtruits et rduits des lments bruts (lments bta), non utilisables par la pense et qui ne peuvent qutre expulss hors de soi.

Le renversement des valeurs, dans la vie psychique, est la consquence dun renversement entre les aspects bons et mauvais des objets didentification narcissique. Il sexprime par le ngativisme qui, en labsence dobjets rellement bons, rige comme bons les mauvais objets et les mauvaises parties du self. Le renversement des valeurs et le ngativisme se rencontrent tout spcialement la base de la pathologie dans les perversions et les addictions. A lanalyse, ces structures apparaissent en fait comme des formations plus ou moins explicitement dlirantes, dans le sens o le dlire - tel celui du Prsident SCHREBER - peut tre considr comme une no-formation auto-construite pour contrecarrer le vide terrifiant dun sentiment de destruction catastrophique du monde psychique interne et de labsence de toute bonne nourriture affective.

La clinique montre que les sujets qui nont pas trouv un objet suffisamment bon, cest--dire suffisamment rceptif et contenant pour crer linteraction harmonieuse dont dpend la croissance psychique, gardent en eux des aspects non dvelopps que jai nommes des parties non nes du self. (comme les trois bbs morts de ma patiente). Or, ces aspects non dvelopps de la personnalit apparaissent au sujet comme trs dangereux, en raison des affects de dsespoir total qui leur sont lis. Je pense donc quil est tout fait erron de les considrer purement et simplement comme des pulsions destructrices drives dune pulsion de mort constitutionnelle, comme on a gnralement tendance le faire. Tout se passe, plutt, comme si le sujet, confront un objet qui na ni reu ni contenu ses tats motionnels naissants, les a ds lors lui-mme condamns et rejets comme mauvais par un mcanisme primaire didentification au mauvais objet qui est une technique de survie pour contrecarrer une dpression suicidaire. La dangerosit des parties non nes du self est, dailleurs, lie au fait que leur naissance ou leur re-naissance saccompagne toujours de trs violentes douleurs dpressives.

Dans lidentification au mauvais objet, le sujet rejette donc son propre self, il a horreur de lui-mme. La paranoa est le rsultat dun tel avortement de linvestissement de soi. Le sujet paranoaque ne se sent pas seulement perscut par le monde extrieur, il se sent aussi et mme surtout perscut par son propre self, non n, et dont il a horreur : il se sent tranger lui-mme, forme la plus radicale dalination. Dans ce cas, la haine de lautre drive de la haine de soi qui est premire.

Cas clinique . Un collgue ma rapport lhorrible histoire dun homme qui avait tent de faire une thrapie cause des difficults causes dans son couple par son caractre jaloux et tyrannique mais qui, ne pouvant pas supporter le divorce demand par sa femme, finit par la tuer coups de revolver. Mais, avant de tenter ensuite de se suicider, il tua aussi leurs deux garons dune manire particulirement horrible : coups de marteau sur la tte ! Comme sil avait essay ainsi dcraser concrtement sa propre douleur psychique intolrable projete sur eux !

Dans le cas de ma patiente dprime, cette haine de Soi primordiale la base de la haine et de la paranoa, a trouv une expression directe dans un rve rcent. Dans ce rve, elle se sentait dabord trs en colre contre moi, car je ne lui donnais que des vidos pour bbs, appeles des tl tubbies, pour des petits bbs, mme pas pour des enfants ! Elle se sentait trs humilie. Elle stait installe mon bureau et dans mon fauteuil. Je voulais reprendre ma place, mais elle refusait de quitter mon fauteuil car, disait-elle, elle avait encore beaucoup de travail faire ! Soudain, la dispute se calmait et elle disait en anglais (la langue du pays o vit maintenant son ex-mari) : I would love to have someone to hate ! Je lui rpondais : You dont need to hate someone. Elle rpliquait alors : I HATE MYSELF AND I WOULD LOVE TO HATE SOMEONE ELSE !

CONCLUSION

Javais commenc en voquant les passions tristes et les passions joyeuses. Je terminerai en citant une phrase crite par BAUDELAIRE dans les notes runies sous le titre : Mon cur mis nu. Il y crit : Tout enfant, jai senti dans mon coeur deux sentiments contradictoires, lhorreur de la vie et lextase de la vie.

Pour ne pas tre dvors par les sentiments dhorreur, les sentiments dextase et damour de la vie doivent tre protgs, et ils le sont par encore une autre dfense de survie : le clivage, qui maintient la coexistence de ces sentiments contradictoires au prix dune division du moi, que FREUD a dcouverte et dcrite tout la fin de sa vie, en 1938, dans le manuscrit inachev intitul Le clivage du moi dans le processus de dfense. Il dcrit ce clivage comme une dchirure dans le moi, dchirure qui ne gurira jamais plus, mais grandira avec le temps.

Aprs tout ce que nous avons dit, je pense que lon peut en conclure que le clivage apparat maintenant comme le mcanisme de survie utilis lorsque le manque de rciprocit dans les interactions prcoces na pas permis que se dveloppe suffisamment prcocement et suffisamment profondment le concept daltrit. Le clivage est donc le signe de la rencontre manque. Ladolescence en tant qutape de la vie et, dune faon gnrale, la rencontre amoureuse et, plus gnralement encore, les activits cratrices, constituent de nouvelles chances de rencontres plus heureuses et peut-tre mme passionnes, susceptibles de permettre de nouvelles intgrations et une plus complte et plus harmonieuse ralisation de soi.

Jean Bgoin

7, rue dAnjou

75008 PARIS