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Michel BUFFET Designer industriel

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Dix ans entre la première édition de cet ouvrage et maintenant où bien des choses ont changé. Sinon pour dire plus simple que tout et rien sont devenus design… Le qualificatif aurait-il perdu de son sens pour devenir un fourretout abondamment relayé par un abus de communication autant que de représentation menant aujourdʼhui à tout et nʼimporte quoi comme à tout et nʼimporte qui, dans le dire comme dans le faire. Grave, il y va bien semble-t-il de lʼhonnêteté et de la crédibilité dʼune profes

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Dix ans entre la première édition de cet ouvrage et maintenant où bien des choses ont changé. Sinon pour dire plus simple que tout et rien sont devenus design… Le qualificatif aurait-il perdu de son sens pour devenir un fourre-tout abondamment relayé par un abus de communication autant que de représentation menant aujourdʼhui à tout et nʼimporte quoi comme à tout et nʼimporte qui, dans le dire comme dans le faire. Grave, il y va bien semble-t-il de lʼhonnêteté et de la crédibilité dʼune profession devenue à la mode. Et pourtant quel essentiel outil au service de notre quotidien, non sans vouloir rappeler la définition quʼen avait donnée en son temps Thomas Maldonado et dont lʼICSID (International Council of Industrial Design) en a fait sienne : « Le design est une activité créatrice dont le but est de déterminer les qualités formelles des objets produits industriellement. Par qualité formelle, on ne doit pas seulement entendre les qualités extérieures, mais surtout les relations structurelles et fonctionnelles qui font de lʼobjet une unité cohérente ». Celle-ci ne semble pas avoir pris une ride et certains heureusement en ont fait leur, loin dʼeffets éphémères. Innovation, ergonomie, faisabilité, coût industriel et production associés à lʼagréable convainquant de lʼobjet utile, semble plus que jamais dʼactualité à un moment où les vrais besoins se posent face aux enjeux actuels liés à lʼécologie, lʼénergie et

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lʼéconomie avant que ne se produise une probable révolution environnementale face à lʼéchec dʼun consumérisme à tout và. Et demain peut être, les utilisateurs discerneront et apprécieront des objets quʼils pourront sʼapproprier et conserver.

Note de lʼauteur, juin 2011

P.S. avec à celle-ci quelques ajouts, oublis et autres, en complément de la première édition.

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A ma mère

A tous ceux qui m'ont aidé ou m'ont montré la voie...

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« Marcheur, point nʼy a de chemin, le chemin se fait en marchant »

Antonio Machado

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MMon père est né dans la maison de l'académicien Émile Mâle, historien d'art et éminent spécialiste du Moyen Age, que j'ai plus tard souvent rencontré pour m'entendre dire: " Beauté tu es mon seul souci..." Paul Painlevé, le mathématicien, devenu par la suite homme politique fréquentait la maison. Est-ce cette double proximité, qui point de départ, me fit embrasser des études qui suivant le vœu de ma famille, devaient me mener à devenir ingénieur? Néanmoins plus soucieux de la beauté, que jeune adolescent Émile Mâle m'avait fait entendre et regarder, mais aussi grâce à un ami de ma mère - peintre du dimanche - qui m'emmenait régulièrement découvrir le Salon d'Automne ou des Indépendants, et la vague montante des peintres de l'après-guerre. Le musée d'art moderne, les galeries parisiennes qui rouvraient leurs portes, la Maison de la Pensée Française où je découvrais à travers quelques expositions à jamais gravées dans ma mémoire: Picasso, Édouard Pignon et bien d'autres, mettant en moi l'irrésistible envie de devenir peintre à mon tour. La lecture des romans de Giono où les paysages étaient campés comme des toiles peintes directement sur le motif. Puis un voyage en pays d'Aix, ne pouvait que me convaincre

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d'acheter couleurs et pinceaux, tout en plaquant là les ambitions familiales nourries de technique et de mécanique. Un peu de raison me fit malgré tout m'orienter, vers ce qu'à l'époque on appelait encore les arts décoratifs, où j'allais m'engager à dessiner des meubles et autres objets de la vie courante sous la direction des décorateurs en vue qui animaient notre école. Cela ne me suffisait pas, et grâce à un club franco-italien - ALPHA 48 - qui s'était fixé l'échange entre étudiants, je découvrais l'Italie et faisais plusieurs séjours à Florence où pendant un temps, je m'inscrivais même à l'académie des Beaux Arts. Plus occupé néanmoins à courir la campagne toscane pour y dessiner, que d'y suivre l'enseignement d'un Maître. Rentré à Paris, il me fallut bien prendre une décision, envisageant des travaux de plus d'avenir comme lucratifs. Encouragé par mes aînés, je commençais à fréquenter la SAD (Société des Artistes Décorateurs), l'UAM (l'Union des Artistes Modernes), Formes Utiles,... dessinant des meubles, des sièges, des appareils d'éclairage ainsi que des objets pour l'habitat. Je tentais aussi l'édition dʼobjets, qui un temps m'assura avec succès, la diffusion d'assez nombreux dessins. C'est à ce moment que je fis la connaissance de Jacques Viénot, fondateur de TECHNÈS premier bureau de design industriel ouvert en France. J'y rencontrais deux de mes aînés: Jean Parthenay et Roger Tallon, devenant la petite main découpant du carton comme d'autres tâches incombant au

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dernier arrivé et découvrant à cette occasion un métier dont je n'avais pas la moindre idée. On parlait alors d'esthétique industrielle et non comme depuis, de design. Cela au fond ne changeant rien, l'essentiel étant l'élaboration de l'univers des objets de la vie courante, et pour moi d'y participer. Simultanément, je continuais mes propres activités, prenant part à des envois collectifs dans le cadre de participations françaises à la Triennale de Milan en 1954 et 1957 ou encore à l'Exposition Internationale de Bruxelles en 1958 et plus tard à Osaka en 1970. C'est aussi à cette époque, que lors de la construction de l'UNESCO à Paris, les collaborateurs de l'architecte Marcel Breuer, remarquèrent l'un de mes dessins de siège pour équiper le bâtiment des délégations. Finalement mon éditeur me fit faux bon et les choses en restèrent là. Toute cette effervescence me confirmait dans un métier qui m'occupait complètement, ayant oublié qu'il me restait à souscrire à mes obligations militaires. Ce sont elles qui par hasard m'ont confronté à un des aspects essentiel du métier de designer industriel - l'ergonomie - appliquant celle-ci comme Monsieur Jourdain faisait de la prose à des propositions faites à la Direction de la Météorologie Nationale à laquelle j'avais été affecté sur les conseils d'un vieil ami. En effet, instrumentation et autres étant tellement complexes et malaisés d'usage pour le néophyte que j'étais comme d'ailleurs pour un observateur chevronné, la nuit tout particulièrement, quʼil me vint rapidement à l'esprit d'en proposer l'amélioration.

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Ce que je réalisais avec le plus complet accord de mon patron local, pour en suggérer l'extension à l'ensemble des stations françaises. Je vérifiais bien vite qu'il était plus difficile de convaincre un aréopage persuadé de ses prérogatives hiérarchiques, que les gens de ma station d'affectation au coin du désert. J'étais à l'époque à Marrakech, avec Anicet Le Pors qui depuis a fait carrière en politique. Tout a une fin et au printemps 1956 me voilà de retour à Paris où Jacques Viénot ne pouvait plus m'employer. Je fus alors recommandé aux responsables du bureau que Raymond Lœwy venait de fonder: Harold Barnett et Pierre Gautier - Delaye. Quelques temps avant, ma mère, acheteuse pour le compte d'un grand magasin parisien tout à l'écoute de ce qui venait des USA, m'avait donné un livre intitulé "la laideur se vend mal" du même Raymond Lœwy, que j'avais littéralement dévoré... j'allais ainsi entrer dans l'exercice d'un métier que je n'ai plus cessé depuis. Je me souviens encore de mon premier contact avec le maître des lieux qui partageait son temps entre son bureau new-yorkais et la Compagnie Américaine de l'Esthétique Industrielle à Paris. Allure 1930, pardessus cachemire col relevé et chapeau mou assorti, fine moustache et visage hâlé, descendant d'une automobile jamais vue. Ni française, ni américaine, ni italienne... dessinée par lui et construite à l'unité, noire et aérodynamique avec une calandre exagérément chromée à grands fanons qui ne passait pas inaperçue mais qui finalement ne me fit pas grosse impression, plutôt retenu par la jolie jeune femme qui l'accompagnait, Viola son épouse.

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Époque aussi où les objets dessinés et manufacturés faisaient le nom d'un créateur, Raymond Lœwy, comme quelques autres... et non l'inverse, où comme souvent aujourd'hui les objets, coquilles creuses sont rapidement voués à l'oubli au profit des suivants qui ne seront pas mieux traités... Une interruption me sépara pourtant pour quelques temps du bureau de Lœwy, pour tenter une autre aventure avec KNOLL INTERNATIONAL, dont l'intention était de fonder un ambitieux bureau d'études. Finalement il se révéla que cet exemple unique de la création de mobilier contemporain resterait dorénavant figé et j'y commençais rapidement à m'ennuyer. J'avais sans doute laissé un certain souvenir à la Compagnie Américaine de l'Esthétique Industrielle, qui me rappela et qui était devenue entre temps la Compagnie de l'Esthétique Industrielle pour faire face à un vent d'anti-américanisme venant autant des milieux professionnels que des milieux officiels, ministères et autres... ne faisant que descendre en flèche les qualités qui allaient devenir celles d'un des plus exceptionnels bureaux de design industriel en France. Bureau qui a réuni et formé pendant plus d'une vingtaine d'années des professionnels, dont beaucoup ont depuis réalisé avec succès leur propre parcours. Bureau autant occupé par la création d'objets du quotidien, de marques, images de firmes et compagnies prestigieuses comme SHELL et B.P... emballages de produits de la grande distribution, comme LU (les biscuits), à des produits plus spécifiques ou techniques,... l'aménagement de lieux divers: grands magasins, hôtels, administrations, moyens de transport, etc...

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Paradoxe pourtant, puisque l'originalité de l'entreprise était surtout celle du fondateur - Raymond Lœwy - dont la carrière professionnelle était derrière lui, et se consacrait beaucoup plus dorénavant à la culture de son image personnelle pour n'avoir plus de l'exercice du métier, que celui d'un enfant sage découpant et assemblant du papier des jours entiers enfermé dans son bureau. Dont certains - moi et d'autres - franchissions la porte pour nous voir exposer son idée sur un projet en cours. Idée que souvent je m'empressais quant à moi d'oublier pour coller au plus près de la réalité attendue ou recherchée. Néanmoins Lœwy était resté assez pugnace pour démarcher des clients difficiles comme SHELL par exemple ou encore le Ministère de l'Industrie à Moscou et signer patient au bout de quinze ans , un important contrat partagé entre son bureau à New York et la CEI à Paris. Ce qui me marqua et m'engagea à mon tour envers une clientèle qui si pour d'importants contrats comme ceux dont je viens de citer l'exemple "descendaient du ciel", me confronta aussi avec la responsabilité de gérer à mon niveau une petite entreprise interne, dont je devins à la longue, le patron. Ce qui en temps que tel n'était pas pour autant mon problème, puisqu'aujourd'hui encore comme dans d'autres circonstances, tout en exerçant la responsabilité entière, je ne le suis pas devenu. Conservant ce qui m'a paru toujours plus important, l'exercice d'un métier. Par ailleurs, le fait d'évoluer dans une large structure - nous n'étions pas moins de 35 à 40 collaborateurs - m'a été agréable et m'a surtout permis d'être au milieu d'autres créateurs:

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designers, graphistes, décorateurs et autres gens traitant l'environnement. Ce serait aussi de ma part de l'ingratitude, que de ne pas dire que le fait d'évoluer dans un bureau à l'aura internationale n'était pas seulement pour me déplaire, mais reconnaître asseoir aussi, le professionnel que je suis devenu. C'est ainsi que les années passèrent, marquées à la fois d'études spectaculaires et d'anecdotes multiples que je ne manquerai pas de rapporter revenant plus loin et plus en détail sur cette époque. De voyages lointains multipliant ma curiosité, de rencontres et relations nouées,... mais également de difficultés étant allées jusqu'à la rivalité avec un patron vieillissant dont l'obsession était devenue la gestion de l'entreprise dont pourtant il était peu averti en s'entourant de compétences aventurières, jusqu'au moment où il me fallut bien me rendre à l'évidence que la somme des difficultés dépassait largement le reste. Je décidais alors de quitter le bord pour tenter ma propre aventure personnelle. En 1986 je fondais VECTEUR design industriel, qui depuis m'apporte en dehors de mon attitude toujours curieuse, un espace de vie tranchant le quotidien. Cette remarque étant aussi importante pour moi que l'animation des projets comme de ma relation avec ceux qui m'entourent et avec qui je partage VECTEUR. C'est aussi pour moi l'affirmation d'une idée mise en tête il y a pas mal d'années de m'intéresser aux moyens de transports et particulièrement à celui qui me semblait représenter l'avenir: l'avion.

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Durant l'exercice temporaire de mon métier de météorologue, j'étais attaché à une école de pilotage formant des élèves sur T6, avion américain embarqué sur porte-avions de la dernière guerre mondiale. Avec aussi, comme moyen de liaison, quelques JUNKER 52 allemands rescapés de la même époque. Ces derniers étaient en tôle ondulée, tout comme les capots des 2 CV CITROËN qui à partir d'une faible épaisseur de métal offre une rigidité suffisante. Un exercice d'ergonomie technique et surtout d'analyse de la valeur, dont l'observation guida probablement plus tard ma réflexion sur les matériaux, leurs aspects et usages. La rencontre un peu plus tard d'Henry Potez, un vétéran de l'histoire de l'aéronautique, constructeur d'avions, me mit le pied à l'étrier. En effet celui-ci souhaitait construire un des premiers quadri-propulseur français. Hélas son passé de chasseur lui fit dessiner un avion civil dont l'habitabilité n'avait aucun avenir commercial. Des maquettes d'aménagement furent pourtant réalisées, démontrant l'insuffisance d'autonomie qui ne pouvait être palliée sans remplir l'habitacle passagers de carburant... Nous étions en 1960, 1965 et Marcel Dassault peu de temps après jetait sur la table à dessin de ses bureaux d'études, les toutes premières esquisses d'un avion d'affaires qui allait remporter un franc succès sur le marché américain - le FALCON 20 - succès qui se perpétue d'ailleurs à travers la longue famille qui s'en suivit jusqu'à aujourd'hui avec les FALCON 900 et 2000. Appelé à vivre cette nouvelle et complète aventure, j'étais conforté dans mes convictions, qui des FALCON m'amena

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encore chez Dassault à travailler pour un avion moins heureux, le MERCURE. Puis ce fut plusieurs collaborations avec l'AÉROSPATIALE pour un concurrent du FALCON, sans lendemain lui non plus, le CORVETTE, des hélicoptères aussi, CONCORDE et tout récemment le gros AIRBUS A 340 ou encore un projet seulement esquissé pour des aires dʼatterrissage de centre ville, qui me fit mettre à profit lʼexpérience faite quelques années auparavant en utilisant le service quʼoffrait PAN AM pour atterrir sur la plate-forme de son building au centre de New York. Entre temps j'étais redescendu sur terre, prenant conscience que la roue et le rail surtout, ainsi que la route feraient encore long feu. Je m'intéressais aussi aux travaux de l'ingénieur Bertin et à l'AÉROTRAIN que les ingénieurs de la SNCF méprisaient, convaincus que leurs propres travaux étaient bien les seuls à être porteurs d'avenir. Ce qui reste toujours à démontrer... Puis ce fut des projets avec les grandes entreprises de l'État comme la SNCF et la RATP, des constructeurs aussi : GEC ALSTHOM, ANF INDUSTRIES, DE DIETRICH,... des équipementiers et bien d'autres sur lesquels je reviendrai à travers trois époques qui jalonnèrent mon parcours professionnel. De l'apprentissage d'un métier à la collaboration longue avec la CEI et enfin aujourd'hui confronté à la fondation et la poursuite d'une aventure toute personnelle qui refermera cet ouvrage.

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"le dessin est une école

de mesure de soi, de silence actif"

Vivant Denon APPRENTISSAGE D'UN MÉTIER TTemps heureux où seulement responsable de moi-même et des occupations qui retenaient tout mon temps. Le reste, déjà relégué pour n'en avoir d'autre souci que de l'oublier, favorisé que j'étais par un milieu familial qui m'avait donné toute sa confiance, me laissant libre de seulement ce qui me retenait. Ma mère particulièrement, à qui je dois ce qui suivit... terminer mes études comme je l'avais choisi et surtout engager un métier librement décidé. Mais quoi au juste, partagé que j'étais à mes moindres moments libres de noircir ou colorer du papier, des panneaux et de la toile... J'aimais l'odeur de la peinture fraîche. Avec une automobile offerte pour mes vingt ans, j'allais souvent retrouver les paysages de l'Yonne et des confins de la Bourgogne, où un oncle et une tante m'accueillaient. Retenu que j'étais par le premier, qui contribua fortement à me faire découvrir la seule attitude qui m'attire, l'indépendance.

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Quant à la seconde, c'était les extraordinaires desserts quʼelle confectionnait et qui marquaient mes séjours et ces temps insouciants. Tout cela m'éloigne de l'essentiel, qui était d'observer alors qu'il en était encore temps à l'orée du demi siècle : travaux des champs, couleurs des saisons, attitudes encore peinantes des hommes et des animaux... Un peu plus tard je passais nos frontières pour découvrir l'Italie. Et plus particulièrement la Toscane sortie d'une fresque du quattrocento: architecture, paysages, couleurs, lumière, j'ajouterai même personnages au détour d'un chemin creux, telle une volée de jeunes abbés vêtus de bure allant chantant vers quelque chartreuse au fond d'un vallon. Bourgs et villages n'y étaient pas encore ceinturés de laides banlieues qui aujourd'hui les font méconnaissables. Seule Florence s'étirait le long du fleuve avec ses quartiers populaires, ses fabriques et usines entre constructions et terrains vagues qui servirent presque en même temps, de cadre au cinéma réaliste naissant. Au centre: palais, cathédrale, musées et monuments rappelaient toute l'histoire des Médicis, et il faisait bon flâner dans les jardins sur l'autre rive de l'Arno ou place Michel Ange le soir tombant sur la ville. Paris me rappelait aussi que j'avais entrepris des occupations à terme plus sérieuses, qui devaient me mener à participer à l'environnement de notre époque.

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LLes années 1951 à 1953 furent décisives, composition décorative, géométrie, perspective et projets d'atelier devinrent mes compagnons quotidiens, ponctués d'anecdotes comme celles par exemple les plus souvent partagées avec Paul Prévost notre professeur de perspective, à qui volontairement ou non je jouais des tours. En effet, j'avais découvert que la rigueur géométrique du carré ou de toute autre figure étaient soumise à des lois de représentation empêchant toute divagation mettant en relief toute erreur. J'imaginais alors de tourner la difficulté, tout en mettant dans l'embarras le spécialiste compétent et averti qu'était Paul Prévost. N'hésitant pas même, à le mettre à l'épreuve devant des épures relevant plus de formes sans contraintes qui défiaient le contrôle de toute construction. La gratuité n'y étant pas seulement le sujet essentiel, car par ailleurs les travaux de Burle Marx et les formes libres des jardins qu'il dessinait, commençaient à être connus souvent associés aux bâtiments d'Oscar Niemeyer qui eux aussi ne manquaient pas comme on dirait aujourd'hui, de m'interpeller. Qui n'a pas en tête la chapelle Saint François d'Assise à Pampilha ou l'hôtel Imperator à Sao Paulo et la sinuosité de sa silhouette. Ou encore les travaux de Calder, Pevsner, Fontana et plus tard Le Corbusier à Ronchamp en opposition à l'époque, avec l'abstraction géométrique du cadre quotidien. Et enfin Miro qui dix ans après réalisera les trois Bleus de Beaubourg, instaurant ainsi la critique du fonctionnalisme de l'entre deux guerres. C'était non seulement pour moi une découverte et une révélation, mais aussi une référence que je souhaitais introduire dans mes travaux d'école et plus tard dans mes premiers

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projets, m'essayant par exemple à produire une habitation évolutive, toute calquée sur la spirale de certains coquillages. Ou même encore entraîné par mes aînés, je montrais et tentais de faire éditer ou d'éditer moi-même, certains de mes dessins. Il s'agissait au départ d'une vingtaine d'appareils d'éclairage réalisés en prototypes ou commercialisés avec plus ou moins de succès par deux éditeurs, et dont l'un des modèles, depuis, a été acquis par le Musée des Arts Décoratifs à Paris pour entrer dans les collections dues aux créateurs du XXème siècle. Après le musée, drôle de sensation aussi que de se découvrir plus récemment dans l'exposition fourre-tout "les Années 50" à Beaubourg. Exposition qui confiée à Jean Nouvel, en avait fait plutôt qu'un historique thématique, un indescriptible foutoir. Sous les huées du vernissage, je me souviens avoir lancé à Boulez qui faisait partie des autorités satisfaites, qu'il ferait mieux de s'occuper de sa propre musique plutôt que de se lier à ce concert d'auto-louanges, sans objet. Et puis plus récemment, de me retrouver encore une fois sur le long ruban de l'histoire... de l'exposition "Design Miroir du Siècle", dont la critique est loin d'être close... Enfin parenthèse toute récente, me trouvant confronté à quelques luminaires dessinés par Andrea Branzi, reprenant aujourdʼhui la même problématique qui mʼavait à lʼépoque retenu…pour mʼétonner de la part de ce contestataire théoricien devenu chantre du design avancé, gagné beaucoup plus semble-t-il par lʼimmobilisme que par la « vitesse futile » de notre XXème siècle. C'était aussi le temps de travaux plus anarchiques et moins réfléchis qui me firent rencontrer la chanteuse Renée Lebas et

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Eddy Barclay pour qui je dessinais un nouvel appartement. Johnny Halliday qui en était à ses tous débuts au Golf Drouot, haut lieu de la chanson et de la musique branchée, dont j'assurais l'aménagement. Mais restons sérieux, ces quelques égarements me ramenèrent rapidement vers d'autres projets plus consciemment élaborés, comme le dessin d'un mobilier économique pour une maison de vacances sur le bassin d'Arcachon. Dessin directement issu des principes d'industrialisation édictés par René Gabriel qui à l'époque avait établi règles et style arrêtant un moment mes aînés de quelques années, qui à leur tour laissèrent un nom dans ce domaine: René Jean Caillette, Michel Mortier, Pierre Guariche et André Monpoix qui hélas disparut si brutalement, que notre amitié brisée me laissa désemparé... Des sièges aussi mettant en œuvre la technique du contreplaqué moulé et la souplesse de confort due à ce matériau me firent expérimenter des modèles qui intéressèrent les architectes de l'équipe de Marcel Breuer construisant l'UNESCO à Paris. Ou bien encore d'autres modèles qui me firent sélectionner pour participer à plusieurs Triennales de Milan. A l'époque cette manifestation de haute tenue réunissait à travers des envois mondiaux l'expression du design la plus avancée. En tout premier lieu avec les Italiens bien sûr, mais aussi les Japonais qui déjà à travers un artisanat traditionnel fortement ancré laissaient entrevoir le design de demain... Ou bien encore, ailleurs, ma participation à l'Exposition Universelle de Bruxelles en 1958, et des manifestations parisiennes comme Formes Utiles avec des meubles, des sièges, des luminaires ou encore des pièces dédiées aux arts de la table.

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Cette dernière expérience me fit d'ailleurs fortement douter de l'honnêteté comme de la probité en matière de propriété industrielle de certains fabriquants français peu scrupuleux... et pourtant nous n'étions seulement qu'à la veille d'une époque qui allait voir l'art et l'argent s'unir en des noces souvent obscènes. Je ne m'attarderais pourtant pas à ce triste constat, pour plutôt faire part d'un grand bonheur qui me combla en découvrant dans une revue la maison d'André Wogensky, architecte adjoint pendant de longues années de Le Corbusier, où lʼun de mes sièges occupait comme unique objet un espace intérieur aux plans rigoureux. J'ai gardé longtemps silencieux ce souvenir précieux, sans rien en dire, jusqu'à il y a quelques années où écrivant un petit livre marquant sa longue liaison avec Le Corbusier, Wogensky faisait le bilan de sa vie professionnelle. Je ne résistais pas alors à lui écrire pour lui faire part de ce grand moment de joie et lui témoigner de ma gratitude. Il me répondit échangeant ainsi, bien des années ayant passé, un plaisir partagé. C'est alors que je rencontrais Jacques Viénot qui venait de fonder, le premier bureau de design industriel ouvert en France - à l'époque on disait esthétique industrielle - inventant en quelque sorte la profession de ce côté de l'Atlantique ou tout au moins dans l'hexagone. Parcours atypique de cette figure issue d'une famille de grands bourgeois, ayant dirigé pendant plusieurs années le bureau de style d'un grand magasin parisien où il avait probablement senti que les objets du quotidien et peut-être même déjà les biens d'équipement, étaient passibles de formes mieux élaborées et plus adaptées à l'usage... Air du temps, besoin de la relance

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industrielle comme de la consommation après une guerre qui avait tout arrêté. Le visage de la France commençait à changer avec l'attirance des États-Unis. On était là-bas en plein "american way of life" et le design avait déjà démontré l'activation commerciale qu'il pouvait susciter, par un dessin savamment renouvelé. "Le rêve américain", cʼest aussi sans doute mon premier et inconscient contact avec le design… tout carrossé quʼil était alors de formes fluides à lʼapogée de la Streamline chère à Lœwy, et dont lʼessentielle caractéristique était beaucoup moins visuelle quʼelle pouvait paraître, pour virtuellement proposer un quotidien présentant zéro défaut. Quʼil sʼagisse des sentiments, relations humaines, mode de vie,… ce qui semblait représenter pour moi au sortir de lʼadolescence une société paradisiaque pour affronter la suite dʼévènements qui mʼattendaient, nous sortions de la guerre… Jʼoubliais Faulkner et Steinbeck, ou plutôt je nʼen avais encore fait une lecture bien consciente, tout empêtré dans une éducation conformiste pour pouvoir nʼen retenir, venues de là-bas, que figures stéréotypées, ayant pour beaucoup, trop largement contribué à la construction du mythe américain. De Cary Grant à Rita Hayworth, en passant un peu plus tard par la trop belle Grace Kelly ou encore Marilyn, et ainsi ne présenter quʼune vision parfaite où tout instant nʼétait réglé quʼavec la volonté dʼêtre un modèle résumant lʼétonnant destin de la magie hollywoodienne qui enchantait le monde, pour une réalité aujourdʼhui encore bien ailleurs.

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A l'époque le bureau de Viénot était constitué avec lui, de deux collaborateurs qui laisseront trace dans la profession. Surtout l'un d'eux, qui a attaché depuis son nom à pas mal de créations connues, il s'agit de Jean Parthenay et de Roger Tallon. Deux personnalités fort différentes. Le premier méthodique, il quittera d'ailleurs rapidement l'exercice du métier pour se consacrer à son enseignement. Et Roger Tallon, je dirais: latin, brillant, et déjà professionnellement provoquant. Ses propositions pour des objets comme jʼen ai le souvenir : une moto, des caméras ou des machines outils, montraient un créateur né, qui marquera lʼexercice de la profession. Me voilà donc propulsé au milieu de ces trois personnages, aidant plutôt l'un ou l'autre que me voyant confier un projet. Je réservais néanmoins cela pour ailleurs, tout content de découper du carton, d'assembler des couleurs ou reproduire à l'échelle leurs propres idées. Leurs clients étaient alors: CALOR, POCLAIN, ERNAULT-SOMUA et quelques autres. L'ambiance y était détendue et sympathique, j'ajouterai même assez insouciante, à part Jacques Viénot qui me semblait déjà un vieux monsieur. Son appartement rue Michel Ange où nous occupions une grande pièce/atelier devant laquelle chaque matins, au même étage, une jolie jeune femme évoluait nue... nous laissait sans doute à tous une émotion attendue et renouvelée. Autant dire que le rendement s'en ressentait, plus attentifs que nous étions aux charmes dévoilés de la dame qu'à nos planches à dessin. Le soir, Tallon souvent me déposait place de la Concorde après un rapide retour cheveux au vent dans une petite Singer rouge vif. Quelques mois en somme agréables pour me confronter à

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mes aînés, les regarder faire, les entendre, sans doute apprendre... Tout a une fin et il me fallut bien alors songer à faire mon temps militaire, j'étais arrivé au bout de mon sursis. Un beau jour de juin 1954, j'embarquais pour le Maroc, en tenue bleue de l'armée de l'air. Des classes rapidement expédiées et je me retrouvais élève météo sur la base de Maison Blanche près d'Alger, me coltinant avec l'apprentissage des nuages et autres phénomènes naturels rapportés à l'usage de la navigation aérienne ou autres qui commençaient à poindre. Beaucoup de mes camarades pieds noirs, les stages terminés - brevetés météos - souhaitaient rester sur place ou rentrer pour d'autres en métropole. Je choisis le contraire, l'affectation la plus lointaine et probablement la plus exotique qui m'était offerte: Marrakech et le sud marocain. Entre temps les événements d'Algérie avaient débuté, mais néanmoins on pouvait encore circuler librement et j'avais traversé l'Atlas et abordé les confins sahariens du côté des monts Ouled Naïl. Surprenante beauté des paysages pré-désertiques, palmeraies immenses, villages et populations accueillantes. La tribu des Ouled Naïl présentant l'habitude que les mères et les filles depuis la nuit des temps se prostituaient pour constituer leur dot. Les femmes y étaient belles, attirantes, habillées et parées de bijoux - toute leur fortune amassée - comme des reines de Saba. Et puis le grand soleil, l'air limpide d'un bleu fixe, la végétation exotique et luxuriante, grâce à l'eau qui sourdait abondante de partout.

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Qu'exiger de plus, sinon de se laisser vivre, aimer et se laisser aimer. Il fallait bien songer pourtant à ma nouvelle affectation et gagner Marrakech, je mis tellement de temps, qu'arrivant enfin, j'étais porté là-bas pratiquement disparu. Heureusement, les autorités civiles dont je dépendais étaient coulantes et l'affaire n'alla pas plus loin. Qu'avais-je fait entre-temps sinon visiter Casablanca, Rabat, Fez et Meknès,... Ces dernières me marquèrent à jamais. Villes impériales, la vie s'y déroulait sans plus de modernisme qu'au temps de la conquête. J'étais subjugué par l'architecture, les médinas, les corporations occupant chacune leur quartier: tanneurs, repousseurs de cuir ou de cuivre, etc... Celui des teinturiers et des tanneurs surtout où régnaient une odeur à vous lever le cœur et pour les yeux une débauche de couleurs jamais vues assemblées. Et tout cela dans un indescriptible désordre populaire allant, venant et joyeux, s'apostrophant pour se saluer ou familièrement se taquiner. A Marrakech où je m'installais enfin, entouré de quelques autres appelés et d'un chaouch, je m'aperçus vite que l'observation météo et la prévision n'étaient pas mon fort. Par contre c'est bien là que je pris ma première leçon d'ergonomie, tout attentif à l'impossible combinatoire que l'observation de nuit obligeait: gonfler un ballon, y attacher un lampion et l'allumer (bougie et allumettes...), le suivre dans sa course plus ou moins rapide ou désordonnée à partir d'un théodolite tout en marquant dans le noir s'aidant d'une lampe de poche sur un carnet prévu à cet effet: ordonnée et abscisse du ballon, chaque minute. En

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ayant bien évidemment recours, j'allais l'oublier, à un chronomètre manuel... Beaucoup de choses pour un seul homme, surtout quand le vent était impétueux et qu'il déroutait en permanence ballon et lampion ! Je me mis donc à réfléchir pour faire des propositions qui probablement me firent découvrir ce que représentaient: tenir, lâcher, voir, suivre et poursuivre,... tout en étant handicapé des yeux, de la tête et des mains par la périphérie des tâches à accomplir, étant aussi encombré d'objets néanmoins très utiles: lampe électrique, carnet, crayon et gomme, chronomètre, dont l'usage simultané était impératif et aussi nécessaire. Une vraie leçon d'ergonomie sur le tas en somme. Épuisant, sinon prêt le lendemain à proposer à mon chef de station des aménagements me semblant indispensables. J'oublie la journée, où sous ces climats, le grand soleil de midi nécessitait aussi une protection "transparente". Pas facile à réaliser, pour le reste je mis à contribution les gars qui entretenaient les avions de l'école, tout contents de former de la tôle, souder, ... pour soutenir confortablement le théodolite, poser le carnet et être éclairé en permanence. Je n'en restais pas là, encouragé d'ailleurs par le même qui m'ouvrant la voie hiérarchique passant par Casablanca où était à l'époque la Direction locale, pour faire aboutir mes cogitations jusqu'à Trappes, siège de la Direction des Instrumentations de la Météo Nationale. Je n'avais pas compté avec les pesanteurs de l'administration, les prérogatives dues aux spécialistes, etc... pour m'apercevoir bien vite que je bousculais les habitudes comme la hiérarchie, qui revenant en sens inverse sous forme de rapports

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circonstanciés où il m'était indiqué, qu'avant moi, le colonel Papillon - c'était bien son nom - avait pensé à la même chose, etc... Tout cela n'était pas pour me décourager et au moins à Marrakech je laissais à disposition des suivants un outil plus pratique. J'y passais aussi pourquoi pas, les abaques du QGO renseignant sur les indices de visibilité, qui au pied de l'Atlas, prenaient de l'importance vu la rapidité d'occultation de l'horizon et la force imprévue des phénomènes observés qui devaient être immédiatement répercutés aux responsables de la tour de contrôle, comme aux instructeurs de l'école. Voir plus loin, si les phénomènes prenaient une ampleur passible d'être diffusée à une autre échelle. Tissant ainsi des liens avec mes camarades appelés, engagés ou civils, les élèves et même les pilotes d'AIR MAROC - Air Couscous - dans le jargon de la station comme de la tour de contrôle, qui deux fois par jour se posaient et redécollaient vers Casa ou Agadir. J'allais bientôt en faire autant pour un grand tour dans le sud ou passer quelques mois à Ouarzazate, terrain de dégagement à l'époque où la piste n'était que terre et pierres. Pas encore l'ombre d'un Club Méditerranée où autres organismes de vacances disciplinées. J'adorais ce pays. Je n'y suis pourtant, depuis, jamais revenu. Sinon en Algérie où il y a quelques années je fus appelé à l'université, pour faire quelques communications sur un éveil à l'environnement. Je n'en garde qu'une grande tristesse pour les paysages redevenus friches et la présence à l'époque d'enseignants

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russes qui plus que les mathématiques, inculquaient des préceptes politiques qui probablement représentent encore aujourd'hui les séquelles d'une installation difficile de la démocratie. Je n'en oublierai pas pour autant, notre long passage et installation à nous Français, pour notre propre satisfaction, sans souci particulier de l'autochtone... Tout a une fin et au bout de quatorze mois bien remplis, j'arrivais à Marseille, nostalgique à la fois de ce que je venais de quitter et m'avait attaché, mais impatient surtout d'une autre aventure, qui celle-ci allait durer beaucoup plus longtemps.

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Couverts, acier inoxydable Photo Roger SCHALL.

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Lampe à poser, métal laqué et rodhoïd.

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Projet de siège empilable, contreplaqué moulé.

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Prototype de chaise, contreplaqué moulé

pour le Pavillon des ambassades - UNESCO, Paris.

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Siège de repos en fibre végétale, dans lʼhabitation de lʼarchitecte André Wogenscky photo Gérard IFERT.

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Meuble de séjour, avec lampe orientable.

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"le petit nombre des élus subsistera toujours, il est

probable qu'il ne sera jamais puissant, mais il sera indestructible"

Voltaire COLLABORATION APPORTÉE À LA CEI (Compagnie de l'Esthétique Industrielle fondée par Raymond Lœwy fin 1952) pendant près de 30 ans... JJ'appelais Jacques Viénot dès mon retour, mais malheureusement les affaires semblaient plus difficiles et moins nombreuses, et momentanément tout au moins il ne pouvait me reprendre. C'était à la fois une déception sans en être une, puisque m'adressant à mon ancien directeur d'école avec qui j'avais conservé d'excellents contacts, celui-ci m'indiqua que la Compagnie Américaine de l'Esthétique Industrielle, que Raymond Lœwy venait de créer à Paris, recherchait des collaborateurs. Pour mémoire j'ai déjà indiqué avoir lu avec avidité "la laideur se vend mal", je ne pouvais donc mieux tomber. Je pris donc rapidement rendez-vous et arrivais quelques jours plus tard au fond de la cour intérieure d'un immeuble bourgeois

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de l'avenue Victor Hugo, près du bois, impressionné par une porte laquée bleu foncé se détachant sur un fond finement ligné, avec gravé sur un disque de laiton les trois lettres CEI. Le tout éclairé pour se détacher de l'univers banal de l'endroit et dramatiser la mise en scène. Il était peu commun à l'époque qu'un bureau ou même une agence, se signale de façon si singulière. Cela n'a, dans beaucoup de cas, pas foncièrement changé... Je ne savais pas non plus qu'en franchissant cette porte, pratiquement sans interruption, trente ans de collaboration professionnelle, commençaient ! J'étais doublement sous le charme, puisqu'une jolie secrétaire blonde - Catherine Laurin - se détachant sur une maquette de la fameuse Studbaker Champion, m'accueillit... Rien aux murs, sinon un panneau regroupant encadrés d'une fine baguette dorée, les nombreux diplômes et distinctions attribués au maître des lieux. J'avais vraiment mis le pied sur un autre continent. Quelques sièges en cuir beige clair sur une épaisse moquette bleu foncé, complétaient l'ensemble. Bientôt introduit dans un bureau où seul l'éclairage électrique contribuait à créer toute la magie du lieu, dont l'atmosphère sans liens avec l'habituel mettait en valeur quelques objets exposés, dessinés par l'agence. Une grande table oblongue en bois foncé et encore des sièges beiges... pour un peu j'oubliais celui qui m'attendait, assis derrière. Harold Barnett, directeur de la compagnie en France, pourtant lui aussi inhabituel, de par sa taille, comme par le chaleureux de son accueil. Un cow-boy à Paris en quelque sorte !

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Impressionné certes, le courant passait, puisque quelques minutes après je me trouvais engagé pour le lendemain. Trois activités faisaient alors le fonds de commerce de la compagnie: en premier l'architecture commerciale comme on l'appelle maintenant, puis le packaging et enfin presque pour mémoire, le produit industriel... Avec Barnett, une autre personne dirigeait l'agence, Pierre Gautier-Delaye qui bientôt devait la quitter pour ouvrir son propre bureau, emmenant avec lui le meilleur client à l'époque: AIR FRANCE. Avec eux plusieurs anciens des Arts Déco: Michel Péplé, Marie Claire Grandjean, Nany Guth, Brigitte Fourrier, Noël, Péchenart, Schlachter,... Venant d'un autre horizon Jacques Cooper, qui plus tard dessinera la première version du TGV de la SNCF, Jacques Marty, Patrick Espel et bien d'autres moins sédentaires ou venant pour quelques temps des États Unis et ayant travaillé au bureau de New York. Rappelant que l'architecture commerciale était de loin l'activité la plus bénéfique, demandant le plus de collaborateurs avec des clients comme: AIR FRANCE, IBM, les GALERIES LAFAYETTE, le BHV,... auxquels viendra bientôt s'ajouter BP - BRITISH PETROLEUM - ainsi qu'une représentation en Belgique animée par un charmant vieux monsieur - Max Lejeune - je me retrouvais donc à la planche à dessin pour m'initier au "space planning"... Quant à Raymond Lœwy, partageant sa vie personnelle et professionnelle entre les États Unis et la France, il venait y

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passer six mois de l'année, en été, sans particulièrement semble-t-il se préoccuper de nos activités. Celles-ci devaient bien fonctionner puisqu'il fut rapidement question de déménager pour nous agrandir. Notre nouvelle adresse nous transporta au 39 de l'avenue d'Iéna dans un immeuble dont la construction était à peine terminée et dont nous investîmes la totalité du 5ème étage, avec ailleurs une annexe pour réaliser des maquettes. Ce qui était bien évidemment interdit avenue d'Iéna, alors que malgré les récriminations de voisins grincheux nous bricolions précédemment avec les moyens du bord. Il faut dire que l'assez petit espace que nous venions de quitter, ingénieusement agencé, avait accueilli jusqu'à plus de 15 collaborateurs... LLa CEI, puisqu'elle s'appelait dorénavant ainsi, prenait une nouvelle dimension, se dotant aussi de nouvelles structures. Néanmoins sur un coup de tête je la quittais. Un camarade d'école m'avait convaincu que la célèbre maison KNOLL - éditeur de mobiliers dessinés à lʼépoque par les plus prestigieux et talentueux "designers" - souhaitait se doter d'un bureau d'études devant couvrir les besoins de sa clientèle européenne, voire plus lointaine. L'Iran par exemple et le Moyen-Orient qui étaient épris de modernité à travers les architectes occidentaux qui y œuvraient, comme le français André Bloch, fondateur de la revue Architecture dʼAujourdʼhui, et bien dʼautres... Sans plus m'informer, je quittais la CEI pour m'apercevoir rapidement que la volonté des dirigeants n'était pas là, mais en fait et seulement de négocier les modèles du catalogue. Néanmoins nous réussîmes à réaliser plusieurs projets

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intéressants pour Agnelli à Turin ou la famille du Shah à Téhéran. Cette expérience dura peu de temps, me projetant dans un milieu social, qui me fit découvrir des amateurs d'objets et œuvres d'art dont je n'avais pas idée, des excentriques et quelques homosexuels fortunés ou aventuriers. Une expérience en quelque sorte... comme une ouverture qui probablement contribua à m'éclairer sur ma relation avec l'art en général. Je ne m'étendrai pas plus sur ce temps où déjà en quête d'un nouveau rebondissement je commençai à tendre l'oreille, quand Harold Barnett m'appela pour me proposer de prendre la direction à la CEI du département architecture commerciale. Cette responsabilité me laissa en premier lieu assez froid, sinon dubitatif sur mes qualités à venir de meneur d'hommes... et je mis trois mois pour répondre, enfin positivement. Me voilà donc de retour à la CEI, content tout compte fait de ce nouveau temps qui s'ouvrait devant moi, cette fois pour vingt cinq années...

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NNous étions début 1960 et les projets qui m'attendaient représentaient à la fois un passage obligé, gage de mes nouvelles responsabilités qu'il me fallait assurer avec une petite équipe, que rapidement dʼailleurs je devais remodeler. Les affaires n'étaient pas non plus aussi extraordinaires qu'elles semblaient l'être de l'extérieur et l'esprit des projets qui m'étaient proposés me fit bientôt réfléchir à une prise de position plus conforme avec mes aspirations personnelles, autant que professionnelles. Harold Barnett partit rapidement lui aussi, pour fonder sa propre agence, et commença alors un défilé de responsables cooptés par Lœwy, dont la plupart ne firent que passer sans laisser trace, sinon sans doute coûter beaucoup d'argent... Enfin arriva un américain, Douglas Kelley qui prit pour plusieurs années la direction générale de la compagnie, avec une singularité, il ne parla jamais un mot de français... Ce qui n'était pas sans problème pour les échanges et contacts avec notre clientèle, qui bien évidemment dans sa plus grande majorité, était française. Le rencontrant quelques années après à Londres, ou plutôt je crois même au Japon, lors d'un congrès professionnel, c'est en français qu'il m'adressa la parole et que nous conversâmes ! La vie est jalonnée de paradoxes, celui-là en est un parmi tant d'autres, comme d'anecdotes que j'aurai l'occasion de rapporter. Pendant ce temps les projets se succédaient occupant tout mon temps, quelquefois au grand dam de mon entourage familial, arrivant même à soustraire du temps au temps, pour en fin de compte faire la même chose...

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Comme un genre de passion qui existe dans toute profession. Seules les sujets changent, et l'on pourrait dire sans excessive actualité de langage, une façon de se réaliser. C'était mon cas. RRevenant aux projets, et sans vouloir conserver seulement en mémoire les plus brillants. Je citerai la BRITISH PETROLEUM, avec toutefois une très relative participation de ma part, si ce n'est l'inattendu d'une anecdote où un soir descendant de l'avion Paris Lisbonne, une Rolls type années 30 m'attendait. Sortie d'un film hollywoodien du Sunset Boulevard ou plutôt de la cour de je ne sais quelle couronne et qui n'était autre que la voiture personnelle du directeur local de la compagnie ! Directeur vers lequel j'étais envoyé pour traiter de problèmes de design concernant la compagnie au Portugal. Des chaînes européennes avaient aussi recours à l'expérience de la CEI comme INNOVATION à Bruxelles, DE BIJENKORF en Hollande, HORTEN en Allemagne et même LA RINASCENTE par le biais de sa filiale STANDA en Italie. Des industriels également, des groupes bancaires et hôteliers nous proposaient des études: CLAUDE PAZ le fabricant de lampes, NORTHROP l'avionneur américain, LEFÈVRE - UTILE du célèbre petit beurre, pour qui Lœwy modernisa le logo bien connu qui a parcouru le monde. L'agence, pendant des années a conçu d'ailleurs les emballages de toutes les productions de la firme. Un musée avait même été envisagé, mais s'annonçaient déjà les absorptions, les regroupements et LU comme d'autres céda du terrain pour ne plus être aujourd'hui qu'une marque appartenant à je ne sais quel groupe mondial ?

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Je ne résisterai pourtant pas à recommander le livre fort bien illustré que vient d'écrire l'arrière petit fils du fondateur, Patrick Lefèvre - Utile avec qui nous avons partagé tous ces travaux et qui relate d'ailleurs très élogieusement la collaboration avec la CEI. Il ne reste plus aujourd'hui en descendant à la gare de Nantes, que la nostalgie du souvenir et l'odeur qu'exhalait la cuisson des fameux biscuits. Les usines s'y trouvaient à deux pas. Quant aux hôtels, ce fut l'expérience de construire, aménager et équiper jusqu'à la petite cuiller, HILTON INTERNATIONAL s'installant à Orly et Paris avec respectivement deux cent cinquante et cinq cents chambres. Du mobilier aussi, puisque la CEI dessina plusieurs lignes de meubles à l'usage de l'habitat privé et du bureau, ainsi qu'un équipement de cuisine dont je fus tout particulièrement chargé. Rien de plus banal au demeurant, sinon que la réflexion souvent attentive et simplificatrice de tout problème posé, amène à des solutions, sinon à la solution. De plus ne sachant cuisiner, j'avais l'œil neuf sur ce que l'on attendait. Je posais donc simplement l'équation qu'il m'était demandé de résoudre: industrialisation, modularité, accessibilité aisée des rangements et stockage, autres usages envisageables, installation et démontage en vue d'extension ou déménagement, etc... Ce qui donna dans le même ordre, la réponse suivante: éléments hauts et bas, mais aussi toute hauteur suivant deux profondeurs pour faciliter et multiplier rangements et stockage, suppression des portes traditionnelles au bénéfice de rideaux roulants évitant la valse incessante d'ouverture et fermeture des

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portes habituelles. Plans de travail largement rayonnés pour en faciliter l'entretien et enfin indépendance des murs pour retenir un montage - démontage, sans fixations. Un produit en somme tout à fait neuf, innovant et surtout tout en réponses aux attentes de l'utilisateur... je nʼavais pas compté, malgré lʼengagement de lʼindustriel dans ce projet avec la tradition bien ancrée des négociants dont ma proposition bousculait les habitudes et qui freinant des quatre fers firent quasiment échouer sa commercialisation. Je reste pourtant persuadé, aujourd'hui encore, du bien fondé de ma proposition. J'éprouvais pourtant à cette occasion l'un des plus grands plaisirs de "ma carrière professionnelle", en effet la prestigieuse revue italienne DOMUS me fit l'honneur d'un article avec reportage photographique, mais surtout de la couverture pleine page de son numéro 479 d'octobre 1969. Je suis ainsi à ma connaissance, le seul professionnel français à ce jour ayant eu cet honneur, qui me valut quelques années plus tard où la revue fêtant son cinquantenaire, d'être mentionné sur la couverture d'un numéro spécial parmi les nombreux créateurs ayant fait l'objet d'articles depuis son origine.

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AAvant d'en arriver à ce qui bouge - les trains, les métros, les avions, les bateaux - et ainsi à l'univers du transport qui a fixé plus tard toute mon attention professionnelle, je ferai part d'un projet unique et l'étant resté. La cause en fut la prise de pouvoir des colonels un beau matin en Grèce, pour une bonne dizaine d'années. En effet, devançant le Club Méditerranée, et pour clients néanmoins plus aisés propriétaires de bateaux, un ami de Raymond Lœwy, armateur de son état - Andy Embiricos - propriétaire au large du Péloponnèse de onze îles et îlots, avait le projet de construire un village avec maisons individuelles, club d'accueil et port de plaisance. Me voilà donc prenant l'avion un soir de novembre pour Athènes où m'attendaient les représentants de ce dernier. Après une nuit sur place et le bateau régulier jusqu'à Karistos, en mer Égée, un marin nous prit en caïque à moteur pour traverser jusqu'à Petalli, nom des îles en question. Heureusement, malgré l'automne entamé, la mer était clémente. Arrivé je découvrais une île vierge de toute habitation, sinon de chèvres comme d'une nature sauvage plantée d'oliviers et pistachiers. Un rêve. Je restais là plusieurs jours à étudier le paysage, prendre des photos et déterminer le site le mieux approprié. Essayant même avec une chaîne d'arpenteur dont je m'étais muni, de faire un relevé topographique qui rentré à Paris s'avéra non pas faux, mais totalement aplati comme l'étaient les cartes de nos anciens, à l'époque ou le théodolite n'existait pas encore pour restituer la troisième dimension. Une bonne leçon pratique en

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quelque sorte à laquelle je donnais une plus juste réalité en envoyant sur place un géomètre qui nous fournit le bon relevé topographique des lieux. Le projet fut établi. Des maquettes d'ensemble et de détail des différentes constructions furent réalisées: port, jetée et phare compris, mais l'on en resta là. CC'est à cette même époque que nous fûmes sollicités pour nous préoccuper d'engins volants. Quelques années auparavant Jacques Cooper que j'ai déjà mentionné, avait travaillé dans le cadre de la compagnie pour un hélicoptère de l'AÉROSPATIALE - l'Alouette. Ce fut donc l'aventure déjà relatée du POTEZ 840, puis du NORD 261 en version civile, d'un monomoteur pour la SOCATA et surtout la mise en chantier par DASSAULT AVIATION du premier FALCON qui allait ajouter à la renommée des avions militaires de la société, une longue lignée d'avions privés dont le succès dure toujours. Il s'agissait de prendre pied aux États Unis avec un appareil dont le créneau était vacant et pour lequel Marcel Dassault et ses collaborateurs jetaient les bases, à l'usine de Mérignac en Gironde. J'avoue avoir été médusé par la façon de travailler de Marcel Dassault qui de son bureau parisien et sans jamais se déplacer entretenait une collaboration téléphonique des heures durant, plusieurs fois par jour, avec les principaux responsables de son bureau d'études... J'eus donc, rare occasion il faut bien le reconnaître, le plaisir de vivre cette aventure dès les premiers coups de crayon et de règle à calcul, en participant à la définition simultanée des

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aménagements qui étaient mon lot, comme des œuvres vives de l'avion et des nombreux problèmes qui se posaient pour la première fois à des techniciens et des ingénieurs habitués à réaliser des avions militaires. Mais qu'est-ce que l'aménagement d'avions privés, sinon d'élaborer des standards - une plateforme commune dirait-on en construction automobile - permettant de proposer à des clients fort divers et exigeants, une base pouvant envisager sans modifications fondamentales des différences et des configurations, répondant à leurs attentes et besoins. Pour cela un catalogue fut réalisé, envisageant équipements, matériaux, couleurs,... qui combinés différemment apportaient une réponse satisfaisante ne remettant tout en question pour chaque nouvel appareil. Un succès, où en 1967, la commande record de la légendaire PAN AM, ne représentait pas moins de 169 achats fermes, alors que depuis, les ventes ne furent jusquʼà lʼan dernier que de 30 à 35 avions, année où une fois encore l'avionneur renoua avec le succès en enregistrant près de 100 commandes. Le poids, le bruit et son élimination, le rayon d'action, les volumes utiles, etc… avaient une importance que les futurs licenciés de la firme aux USA étaient là pour faire remarquer, créant un climat qui quelquefois frisait la rupture de contrat. Un directeur parisien du projet en fit d'ailleurs les frais et fut congédié sur le champ pour être remplacé, rien de moins, que par le Directeur Général de DASSAULT AVIATION, Benno Vallières qui sans doute fin négociateur, n'était pas moins redoutable dans son rôle froid de machine à réussir, pour mener l'entreprise.

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Il en était d'ailleurs de même de Marcel Dassault que je n'ai jamais rencontré sinon une fois " par téléphone " pour décider des couleurs de l'avion 001. Tout était différent à Mérignac où mon travail se développait avec plus de sérénité professionnelle: dessin de la cabine, sièges, éclairage... tout était à inventer. Non seulement suivant les standards édictés par le FAA - Federal Aviation Agency - mais aussi les équipements, les matériaux qui n'existaient pas et devaient répondre aux mêmes spécifications. C'était à l'époque le premier jet civil de cette catégorie construit en France. Ce qui ne fut pas sans difficultés pour la recherche de solutions comme de savoir-faire. Je découvris à cet effet par l'intermédiaire d'un vieil ami qui avait conçu l'aménagement du fameux hydravion mis en service sur les lignes d'Amérique du Sud en 1936 - le lieutenant de Vaisseau Paris - de LATÉCOÈRE, lʼentreprise qui en avait assuré la réalisation. Celle-ci était animée par le père d'un garçon, Clément Rousseau, qui plusieurs années après a fait partie de mon équipe à la CEI. Les Américains étaient attentifs à tout et particulièrement aux performances annoncées de l'avion qui s'alourdissait par ailleurs pour évacuer les décibels en trop dans la cellule... Ce qui ne fut pas sans sueurs froides, malgré tout le jour arriva où en bout de piste les premiers essais de roulage au sol commencèrent. Ce fut ensuite les premiers vols, qui furent un immédiat succès. Présentation au salon du Bourget, premiers clients, mise en chaîne de fabrication et envol vers les États-Unis Cellules vides

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ou équipées suivant les standards proposés ayant fait l'objet du catalogue répertoriant plusieurs types d'aménagements, matériaux et couleurs. Des machines d'exception aussi, pour lesquelles il fallut étudier des équipements spécifiques à chaque client: Karim Kahn et le docteur X... son associé allemand pour l'achat d'un avion, représentant lʼun des plus intéressant aménagements. Niarchos aussi, l'armateur grec que je rencontrais dans son hôtel particulier parisien où s'étalaient sur les murs des Gréco - je n'en avais vu que dans les musées - des Renoir, Bonnard et autres maîtres impressionnistes... Qu'avaient de particulier ces aménagements originaux, sinon que même si l'avion de Karim Khan était comme la plupart un appareil en "temps partagé", ce dernier avait une idée précise de son besoin: sièges, tables, galley de service, ... comme de la nécessité de travailler à bord avec multiples équipements qui se devaient dʼêtre discrets. Pas forcément facile dans une petite cellule où néanmoins les normes édictées par le FAA étaient des plus strictes. Un second avion suivit, d'un tout autre type, puisqu'il s'agissait cette fois d'un court courrier - le MERCURE - qui fut seulement construit à onze exemplaires et que l'on obligea AIR INTER à acheter car aucune compagnie ne s'intéressait à lui. Lʼavionneur était cette fois à côté de la plaque. Je choisirai ce moment pour évoquer la mémoire d'un garçon trop vite disparu - Pierre Bance - qui à l'agence avait la responsabilité de tout ce que représentait graphisme et packaging, talent et cœur en plus.

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C'est lui qui donna corps au catalogue d'aménagements indiqué, et je me rappelle un long déjeuner passé ensemble à évoquer l'avenir... C'était un vendredi, nous rentrions de chez DASSAULT. Pendant le week-end il se tuait en automobile. Pour conclure, je me souviens aussi lors de mes voyages à Mérignac, mʼêtre souvent assis dans lʼavion à côté de Joséphine Baker rentrant aux Milandes, son château, les bras chargés de livres dʼimages pour ses nombreux enfants adoptés, de toutes couleurs et horizons. Elle qui avait fasciné le music-hall parisien avec " la Revue nègre ", et qui quelques années plus tard remonta sur les planches pour tenter de sauver une œuvre toute dédiée à lʼenfance. Sa gentillesse de dame au grand cœur, ne nécessitait aucune présentation pour quʼon la reconnaisse sans lʼavoir pourtant jamais vue sur scène. SSimultanément à ces travaux, j'entrepris des études pour l'ingénieur Bertin, bien connu pour ses travaux sur la sustentation sur coussins d'air. Tout particulièrement l'AÉROTRAIN ayant fait l'objet de la construction d'une voie d'essais près d'Orléans, en vue de relier Paris à une ville nouvelle en cours de construction, Orléans - La Source. Néanmoins son développement stagnait au niveau de la propulsion qui était à la fois bruyante et dont on maîtrisait mal accélération et décélération pour en envisager l'exploitation commerciale.

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Pourtant ROHR aux États-Unis s'intéressait à l'engin et la desserte Orly-Roissy et Cergy-La Défense qui étaient d'actualité. C'est à cette dernière que je fus appelé à collaborer avec un véhicule de faible gabarit vu le tissu urbain traversé, gabarit révélant néanmoins une capacité insuffisante. Aussi devint-il question d'atteler deux véhicules ! Ce qui bien évidemment était loin d'être résolu, nos maquettes passées en soufflerie chez EIFFEL à Paris, faisant apparaître des phénomènes de galop nuisibles à la stabilité de l'engin. Il n'était pas non plus question de retenir la propulsion par tuyère, dont les nuisances auraient rendu invivable l'environnement traversé, pour au contraire promouvoir un moteur électrique linéaire dont par ailleurs on ne maîtrisait pas non plus la montée en puissance, comme l'inverse. Au Ministère des Transports, paradoxal pourtant, il semblait bien que le stylo était déjà levé pour signer la mise en chantier du projet. Au dernier moment, je ne sais quelle main avisée arrêta à temps la construction inutile d'une infrastructure qui aurait encombré pour la seconde fois le paysage, d'une barre de béton. Et il faut bien reconnaître que même si les ingénieurs de la SNCF faisaient tout ce qu'il fallait pour mettre des bâtons dans les roues, il y avait encore long à parcourir entre prototype et réalité... Les Japonais comme les Allemands, encore aujourd'hui, ne semblent pas être sortis d'essais, tout en ayant déjà engagé des sommes considérables faisant réfléchir le contribuable sur la suite à donner à de tels projets. Néanmoins il subsiste encore aujourd'hui un bien grand vide entre Orly et Roissy pour le passager en transit ayant recours à deux modes de transport que sont le VAL et la ligne B du RER -

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Réseau Express Régional - pour rallier l'un où l'autre des aéroports. Rien d'étonnant puisque comme toujours en France, à l'inverse de nos voisins, on construit des équipements sans se soucier de la façon dont ceux-ci seront desservis… D'autres travaux, semblant mieux maîtrisés étaient aussi en cours d'étude, comme un véhicule à parcours hectométrique, dénommé TRIDIM. On était en plein moment où multiples industriels de part le monde planchaient sur ce type de mode de transport à courte distance, dénommés " people movers ", auxquels on accordait crédit pour la desserte locale d'un aéroport ou d'un quartier neuf. Comme par exemple à La Défense que l'on voyait déjà équipée comme sur un dessin futuriste de Robida... La crise de 1974 fit capoter ou simplement abandonner chez BERTIN et ailleurs, tous ces projets qui précédèrent les études entreprises plus tard concernant ARAMIS - système de transport urbain automatisé composé de cabines seccables, qui à la demande des voyageurs transportés, devaient se détacher et s'aiguiller vers la destination choisie - déchaînant bien des passions tout en démontrant qu'un objet technique n'est qu'utopie devant ses détracteurs, décideurs et politiques de l'époque. Nous réalisâmes un projet pour MATRA Transport et la RATP, projet préfigurant le VAL qui lui, vit le jour avec le succès qu'on lui connaît aujourd'hui: Lille, Orly, Chicago, Toulouse, etc... Et ARAMIS fut bien le banc d'essai qui permit la mise au point de nombreux automatismes tels que le système de conduite dont dérive SACEM pour le RER, ou MAGGALY appliqué plus tard à Lyon.

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Le TRIDIM fit par contre l'objet d'un développement, comme de la construction d'un véhicule sur une voie d'essais construite sur un site EDF du sud de la région parisienne. Cent cinquante mètres avec boucle et pente permettant de tester un minimum d'automatismes l'ouverture et la fermeture des panneaux donnant accès à six places assises en face à face, la marche et l'arrêt de l'engin mu par quatre moteurs à roues pressées sur un rail avec aiguillage, etc... Engin réalisé à partir d'économiques coques en polyester moulé sur un châssis rigide intégrant la motorisation. PPendant ce temps, la direction de la CEI s'était musclée en vue de répondre à un important contrat signé à la veille des événements de mai 68, par Raymond Lœwy lui-même. Belle performance et ce pour un durée de sept ans. Pour moi cela ne changeait pas fondamentalement ma façon d'entreprendre les choses dont on me chargeait, puisque la responsabilité qui m'incombait était de participer activement à leur conception, comme à leur réalisation. Il ne s'agissait rien de moins que l'actualisation de l'image mondiale du réseau routier de SHELL INTERNATIONAL. La difficulté comme la prudence pour rallier sous de mêmes critères des intérêts bien divergents entre les Européens, Américains et autres... fit que les responsables de la compagnie, attentistes comme souvent en pareil cas, laissèrent à priori la bride sur le cou à ceux qui étaient passibles de réflexion comme de propositions. Étant le premier à me pencher sur le sujet, j'envisageais de traiter l'automobiliste, ses

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passagers, et son véhicule, plutôt sous forme dʼun service global nécessitant de protéger la quasi totalité d'une aire de services devant satisfaire par tous les temps et latitudes, le confort optima de la clientèle ainsi identifiée. Concurremment, un second projet fut aussi développé, s'appuyant sur des principes plus conformes à l'environnement traditionnel, où les bâtiments des stations services ne marquent en général que peu de rupture vis à vis des constructions voisines. Ce projet fut confié à mon collègue René Labaune pour lequel malgré des différends d'artistes, je conserve le souvenir d'un professionnel comme il en existe peu. Après tout c'est sans doute bien des différences qui s'opposent que naissent les choses les plus intéressantes ? Revenant à mon projet, je compris vite que la modernité et peut-être même l'audace présentées allaient devenir la base philosophique dont Lœwy et le staff de direction qui l'entourait s'emparèrent. Lui trouvant même un qualificatif conceptuel dénommé pour la circonstance - MAYA - Most Advanced Yet Acceptable, ou littéralement traduit: "le projet le plus avancé dans l'état actuel des possibilités de la technologie". De quoi s'agissait-il au juste, sinon de couvrir une surface libre maximum, pouvant accueillir automobilistes et passagers, tout en ravitaillant et entretenant à l'abri leurs véhicules. Et ce, en voulant faire abstraction des supports contraignants dʼune construction traditionnelle, pour envisager au contraire des solutions beaucoup plus proches des travaux de chercheurs comme : Le Ricollais, Fuller, Prouvé, Otto Frei et bien dʼautres, mettant en œuvre des structures

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tridimensionnelles ou encore prétendues, à partir dʼun voile sous tension comme sous la Grande Arche de La Défense aujourdʼhui… Ou bien encore les travaux dʼARCHIZOOM, qui eux envisageaient des enveloppes souples, gonflables. Proposant ainsi, les uns comme les autres, une architecture du " non poids ", correspondant en tout point à la mobilité représentée par mon projet. Jʼoptais finalement pour la première, semblant la plus adéquate comme probablement la plus sécurisante pour être acceptée et mise sur route. Ces deux concepts furent développés sous forme de dessins et maquettes pour être présentés à la Direction Générale du groupe à Londres, en présence des directions d'opération en Europe, Amérique du Nord et du Sud, et autres continents. Comme il se doit, rien ne fut tranché à cette occasion et décision fut prise de réaliser grandeur les deux concepts. Nous entreprîmes donc de construire à Paris et dans la proche banlieue, deux stations services toutes semblables à la réalité pour pouvoir y faire évoluer de véritables automobiles. Simultanément les graphistes de l'agence planchaient sur l'image, et la coquille emblème de la marque, les couleurs et leur organisation, ainsi que sur les uniformes des pompistes. Plus tard il fut même entrepris de travailler sur les pompes, comme sur les emballages des bidons d'huile et autres produits automobiles commercialisés. La charpente tridimentionnelle de mon projet fut réalisée en Angleterre par un constructeur qui oublia, rien de moins

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élémentaire, que de donner une contre-flèche pour qu'une fois en place, son propre poids ne donne pas à la toiture, les qualités d'une cuvette ! Nous étions au début de l'été et l'on pouvait espérer que le beau temps qui nous accompagnait, persiste. Il n'en fut rien et la veille au soir de la présentation un violent orage éclata, mettant sérieusement en péril celle-ci. Notre consternation était à son comble et il fallu monter à l'intérieur de la charpente pour ménager des trous d'évacuation pour l'eau qui ruisselait comme d'une passoire, menaçant équipements et bâtiments disposés en dessous. Nous terminâmes avec des lampes de poches... Le lendemain un grand soleil apparut dès l'aurore, séchant l'ensemble des dégâts qui ne furent remarqués heureusement de personne. Ouf, on avait frisé la catastrophe. Le projet fut jugé développable par l'ensemble de l'aréopage réuni, sauf des Américains du Nord qui étaient à cette époque dans un telle situation quant à la vente sans bénéfice des carburants, que seule la nouvelle coquille proposée au haut d'un mât, leur suffisait. Quatre pays se portèrent néanmoins volontaires pour réaliser, chacun à partir d'une technologie différente, quatre stations prototypes. L'Angleterre en utilisant le contre-plaqué, l'Allemagne et l'Italie le métal, et la France en étant la plus prospective, proposant le polyester moulé. J'étais donc embarqué pour un long moment à mettre au point avec chacun le prototype décidé, à rechercher des industriels appropriés, à suivre la réalisation des plans et dessins, l'industrialisation et le montage sur sites: à Birmingham,

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Hambourg, Turin et Dijon. Une belle et nouvelle aventure comme je les aime puisque notre métier n'est tout compte fait pas seulement de vendre des images communicantes, mais bien des objets et environnements qui fonctionnent et remplissent leur rôle. Pas toujours facile de tenir le cap, mais quand on y parvient, quelle satisfaction. L'expérimentation développée en France était de loin la plus complète, à la fois de par l'importance du site choisi, près de 3000 m2 couverts, supportés seulement par 6 poteaux. Mais aussi par le moulage de pièces en résine armée de très grandes dimensions des cellules multi-services sous auvent dont la stabilité mécanique posait divers problèmes, dus à la nouveauté de lʼentreprise, heureusement rapidement surmontés. Cette expérimentation ouvrait aussi la voie à des utilisations toutes autres qui me donnèrent l'idée d'une extension pour l'habitat, voyant déjà proliféré celles-ci horizontalement et verticalement, pour créer à partir de charpentes spatiales dans lesquelles sʼinscriraient des unités standards intégrant des fonctions alliant aussi : commerces, travail, loisirs… Utopie ou réalité, je décidais donc de tenter ce débouché pour me tourner vers des promoteurs immobiliers, jusqu'au jour ou l'un d'eux me mit avec juste raison, devant le choix: "voulez-vous devenir industriel ou rester designer." C'était bien là sans doute la voix de la raison, et je pris vite conscience que je ne souhaitais pas rééditer le pas presque franchi vingt ans auparavant, en voulant industrialiser et commercialiser moi-même, l'un de mes appareils d'éclairage dessiné à l'époque.

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On déposa les modèles et l'on prit des brevets, couvrant l'ensemble des possibilités recensées, pour toutefois en rester là. Ce que j'écris malgré tout avec quelque regret, constatant quʼon est encore loin aujourdʼhui dʼune industrialisation de la construction, sinon toujours réservée à des usages plus techniques. La crise dite du pétrole se profilait déjà à l'horizon, et tout particulièrement la récession chez les pétroliers. Néanmoins la plus grande partie des travaux développés furent appliqués de par le monde à l'ensemble du réseau SHELL, précédés d'une charte graphique mise à disposition des opérateurs locaux. Le contrat SHELL nʼa pas non plus échappé à lʼhistoire, traversé quʼil fut par les évènements de mai 1968, dont je ne peux faire autrement que relater ce quʼils furent pour nous à la CEI. Une tranche de vie, qui même si elle fut un peu tardive autant que confuse, nous amena nous aussi à tenir nos assises. Ce fut même le grand moment qui réunit tout le monde - nous étions plus dʼune quarantaine à lʼépoque - pour échanger nous livrer, parler,… ce qui nʼavait jamais eu lieu auparavant. Et pour cause, tous absorbés par multiples projets autant quʼun contrat important qui monopolisait lʼensemble des forces vives de lʼagence. Que voulions-nous au fond en nous réunissant, probablement aussi et comme tout le monde, en découdre avec le pouvoir et la hiérarchie représentée ici par un triumvirat quʼil faut bien le dire, sʼétait approprié toute manœuvre autour de Raymond Lœwy. Faisant quʼil nous était seulement laissé, dʼavoir des

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idées et de les réaliser, pour que celles-ci soient habilement récupérées ensuite et manipulées par les mêmes. Lœwy eut vent de cette agitation et un beau soir nous le vîmes débarquer où nous nous réunissions hors de lʼagence, pour à la fois écouter, prendre la température, mais surtout reprendre en mains une situation quʼau fond nous nʼavions pas imaginé lui faire perdre. Là, nʼétant pas notre objectif. Néanmoins manipulé lui aussi, la confrontation faillit tourner mal, caractérisée de sa part par une sensation de perdre pieds, et nous faisant savoir quʼil était et resterait le patron. Quelques jours plus tard une liste de revendications lui fut soumise, coupée entre temps par le 30 mai et la remontée historique des Champs-Élysées, à laquelle, pour la photo, il participa… Je me rappelle être rentré ce soir-là, traversant en Solex le bois de Boulogne où de nombreuses voitures arborant des drapeaux tricolores me doublaient… Un certain malaise empoisonnait lʼatmosphère. Jʼen fus glacé. Le lendemain lʼessence nʼétait plus rare et tout le monde pu partir en week end…

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UUn nouveau projet, passant de l'univers fixe du transport à ce qui bouge et même cette fois évoluant dans les airs, allait bientôt m'occuper. Il s'agit de CONCORDE pour lequel la compagnie fut sollicitée en concurrence avec d'autres bureaux de design parisiens, concernant la mise en service commercial de l'avion par AIR FRANCE. Nous étions en 1972. Passionnant projet qui me confortait dans mes certitudes faisant de l'avion, l'avenir du transport... Néanmoins projet difficile à mener de l'intérieur, car Raymond Lœwy en personne souhaitait y participer. L'avion étant construit tout particulièrement pour assurer la liaison Paris - New York et Washington, et en tant que Franco-Américain habitué de cette traversée transatlantique, avait-il quelque idée sur la chose. Autant dire qu'entre nous la situation devint rapidement difficile, sinon quelquefois même conflictuelle, et je ne résisterai pas à rapporter une anecdote montrant bien le climat durant ce projet. Où au comble sans doute de l'exaspération devant mon attitude contradictoire, rentrant de quelques jours de vacances une lettre épaisse écrite à l'encre rouge ne contenant pas moins de quinze à vingt pages m'attendait. La lisant je m'aperçus vite que les trois premières pages y étaient peu ou prou répétées cinq fois... Le différend en était néanmoins sérieux puisque devant mon entêtement à ne pas partager un autre point de vue que le mien, il regrettait que ma longue collaboration à l'agence et l'appréciation qu'il faisait personnellement de mes qualités

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professionnelles l'amenait à envisager d'en demander mon départ... L'alerte avait été chaude mais cependant pas beaucoup plus sérieuse que d'autres passées ou à venir... qui me firent rester encore longtemps collaborateur de la compagnie. Le projet vit le jour, engageant même pour la circonstance un designer d'exceptionnel talent, Syd Mead, avec qui j'en assurais le développement dans la meilleure entente et tout particulièrement l'appréciation de modestie d'un grand créateur sachant être à la disposition des autres, pour seulement dans le cas présent, représenter un projet dont il n'était pas l'auteur. Je tiens tout particulièrement à souligner cette exceptionnelle qualité, si peu rencontrée dans le métier ou la modestie est rarement de mise, particulièrement même quand ceux qui se conduisent à l'inverse ne sont que prétentieux et vides, y compris de discours. Syd est depuis devenu un ami avec qui j'ai conservé la meilleure des relations, autant personnelle que professionnelle. Nous avons par la suite travaillé ensemble pour bien d'autres projets. Un grand plaisir, je crois partagé. Revenant à CONCORDE, la présentation de notre projet eut lieu, et nous fûmes déclarés lauréats. L'enjeu en était important et complexe à maîtriser. L'avion étant à la fois construit à Toulouse et Bristol en Angleterre, pour le compte de deux compagnies concurrentes - AIR FRANCE et BRITISH AIRWAYS - ne partageant bien entendu, ni les mêmes points de vue, comme les mêmes standards d'aménagements. Pour BRITISH AIRWAYS, notre alter ego était Américain avec une longue expérience des aménagements d'avions.

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Par ailleurs les Anglais, lors du découpage industriel, avaient été désignés leaders pour l'aménagement commercial de la cellule, les ingénieurs de l'AEROSPATIALE ne s'intéressant eux qu'à la partie noble du projet, la construction de l'avion et ses performances. Les choses ont évolué depuis, mais il a quand même fallu créer AIRBUS INDUSTRIE pour réellement participer à la construction d'avions commerciaux en France, sinon que les aménagements sont toujours aujourdʼhui dévolus aux Allemands... Quand je découvris la maquette grandeur construite à Bristol, je fus stupéfié entre autres, par les porte-bagages des cabines qui étaient "ouverts" comme il n'en existait déjà plus sur un jet classique. Première bataille à livrer avec AIR FRANCE qui bagarrait depuis longtemps sans succès. Pour entreprendre ensuite le dessin de la double cabine et de ses habillages, des sièges pour lesquels s'engagea aussi un rude assaut donné à l'excès de kilos handicapant sérieusement poids et performances de l'avion. L'ensemble des constructeurs sollicités, pour la plupart américains, proposant un siège avoisinant vingt kilos, alors qu'il n'était question d'en accepter à peine plus de la moitié, tout en conservant évidemment pour le passager un attrait visant l'exceptionnel. Le siège étant bien la seule chose que celui-ci pourrait s'approprier à bord. Vitesse exclue, bien entendu. Il fut donc décidé de construire en France une seconde maquette pour améliorer tous ces constats, qui bien évidemment ne pouvaient rester en l'état.

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Pour le siège, nous arrivâmes finalement avec un constructeur français à douze kilos la place, ce qui était plus qu'honorable. Dans la globalité du projet, le siège fut une étude importante, menée parallèlement à l'ensemble des sujets plus ou moins complexes mobilisant notre attention, pour apporter à celui-ci les plus, qu'un passager exigeant pouvait en attendre. Je militais personnellement pour un confort original qui au niveau de la tête assurerait à la fois un appui et "une isolation" apportant à chacun un meilleur repos. Idem en ce qui concerne l'accoudoir largement dimensionné entre chaque passager, ainsi que pour l'intégration au dos du siège de tablettes se fractionnant pour assurer hors des repas servis à bord, un encombrement minimum de l'espace relativement exigu à cet endroit. Aménités diverses étaient aussi présentes, derrière un petit abattant découvrant miroir de courtoisie, consignes de sécurité, etc... Nombreux dessins, tracés et maquettes grandeur réelle s'en suivirent pour vérifier et tester la réalité la plus objective avant décision finale prise par la Direction en vol ayant la responsabilité du service à bord. Quant aux matériaux de revêtements, c'est aux États-Unis seuls capables à l'époque de réaliser nos besoins, que nous eûmes recours. Notre contrat portait également sur le commissariat à bord, c'est-à-dire sur l'ensemble du matériel de table pour traiter les passagers en vol, et pour la Direction Générale d'AIR FRANCE, la tradition française ne pouvait admettre que des matériaux

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nobles comme: la porcelaine, le cristal, l'argent sinon à la rigueur le plus bel inox. Tous ces matériaux, apportant du poids, alors que l'on faisait la chasse au moindre gramme... Nous nous étions aussi aperçus lors des premiers vols d'essais, que l'angle d'attaque de lʼavion au décollage faisait que la vaisselle conventionnelle glissait dans les galleys, et qu'ainsi toute nourriture devenait imprésentable. Nos dessins durent donc en tenir compte pour proposer des formes carrées beaucoup plus difficiles à réaliser, vu les faibles épaisseurs admissibles pour répondre à un gain de poids appréciable. Des déformations semblant insurmontables apparaissaient alors, et les industriels sollicités, déclinaient les uns après les autres. Seuls les Allemands semblaient relever le défi, un comble vis-à-vis du cocorico lancé. Poussé néanmoins dans ses derniers retranchements, un porcelainier de Limoges enleva honorablement le marché. Parenthèse, le service CONCORDE eut dès les premiers vols commerciaux de lʼavion un tel succès auprès des passagers - ce qui ne fut pas sans poser problème dʼapprovisionnement et surtout de remplacement de la part de la Direction en vol, chargée de ces aspects au sein de la Compagnie - quʼAIR FRANCE nous demanda une adaptation de nos dessins pour une application de ceux-ci à lʼensemble de la flotte. Ainsi les couverts se présentèrent-ils avec des manches habillés de plastique assortis aux plateaux repas offerts aux passagers, comme dʼailleurs la déclinaison des différents articles de table qui les accompagnaient et autres impedimenta.

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La construction avançait et le premier avion de série allait bientôt sortir de chaîne pour être remis à AIR FRANCE et entreprendre ses premiers vols commerciaux. Il se trouvait que j'étais à Toulouse la veille de ce jour inaugural qui pour avoir l'autorisation officielle, nécessitait que la facture témoignant de la négociation entre constructeur et transporteur soit en main des services juridiques ad hoc. On me demanda donc si je voulais bien me charger de celle-ci pour la rapporter à Orly. Je faisais remarquer que je n'avais qu'un simple porte-documents, et ainsi de bien vouloir prévoir ce qu'il était nécessaire pour acheminer ce que devait représenter à mes yeux cette exceptionnelle facture de 1 400 000 000 et quelques francs. Quand je vis arriver en fin d'après-midi une charmante secrétaire qui me remit sans plus de formalités, une simple enveloppe ouverte, contenant, je ne résistais pas à regarder, une seule feuille à entête de l'AÉROSPATIALE avec deux lignes de texte et la somme indiquée. J'étais époustouflé, m'étant imaginé bien autre chose... Au sol à Roissy entre autres, nous devions aussi nous préoccuper de l'accueil et de la personnalisation du parcours du passager CONCORDE depuis son arrivée à l'aéroport jusqu'à son embarquement. Je proposais un chemin de lumière bleu, blanc et rouge qui avait la vertu de ne pas interférer avec l'existant, tout en ayant l'avantage d'apparaître et de disparaître sans laisser trace hors des horaires dʼembarquement. Paul Andreu le polytechnicien-architecte de l'ouvrage, méprisa ma suggestion, au profit de quelques boules, seules admises par lui comme supports publicitaires à l'extérieur comme à l'intérieur de Roissy.

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Tout cela a disparu, vu l'inadaptation présentée pour un annonceur. Quant à la lumière, celle-ci est devenue depuis un matériau courant de l'architecture comme de notre environnement... J'étais sans doute en avance. Entre-temps j'avais effectué sur l'avion 001, j'allais oublier de le mentionner, un vol de 2 heures 30 au départ de Paris, qui nous amena au milieu de l'Atlantique avec retour à Toulouse. Impressionnant, surtout au décollage et à l'atterrissage où un fort vent de travers n'aurait jamais permis à un autre appareil d'atterrir sans l'extraordinaire poussée des réacteurs, et de nous poser sans encombre. En vol beaucoup moins impressionnant, même lorsque MAC 2,2 s'affichait au machmètre de cabine, pas plus d'ailleurs de sensation particulière de la vitesse, sinon le souvenir d'un ciel bleu foncé jamais vu auparavant. L'avion volant à 18 000 mètres d'altitude. Rentrant à Paris en Caravelle, nous nous traînions, couvrant en moitié plus de temps, le quart du parcours atlantique... PPresque simultanément un autre projet m'occupa entièrement, nouveau lui aussi, s'agissant d'un engin évoluant sur l'eau, concurrent à venir des fameux hydroglisseurs anglais assurant le trafic transmanche entre Calais, Boulogne et Douvres. Le NAVIPLANE N 500 projeté par BERTIN et la SEDAM, construit sur la Gironde à Pauillac. Paradoxe fatal pour une exploitation qui se ferait ailleurs, mais politique et influences obligent, sans plus de logique.

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Magnifique projet ayant nécessité la construction sur un site approprié d'un immense hangar pouvant recevoir deux engins durant leur construction, aire d'essais pour leur mise à l'eau, etc... Machine impressionnante puisque son ambition était d'accueillir, quatre cents passagers et près de soixante véhicules. Sustentée sur coussins d'air et propulsée par trois moteurs entraînant des hélices quadripales de grande dimension. Un poste de pilotage digne d'un navire de ligne, tenant à la fois de l'avion comme d'un bateau de cinquante mètres de long, vingt trois de large et dix sept de haut au fait du portique supportant moteurs et hélices. Malgré son allure de gigantesque fer à repasser, tout allait bien jusque-là. Le plus surprenant pour le passager à venir, l'attendait à l'intérieur, où les deux immenses cabines tenaient plutôt du hangar que de l'univers habituel à bord d'un train, d'un bateau ou d'un avion de ligne. Ma première intervention fut donc de convaincre les constructeurs, du bien fondé de ma remarque, ce qui ne se passa pas si je me souviens bien sans difficulté, car aucun budget ou presque, hormis les sièges, n'avait été prévu pour cela. Nous dessinâmes cependant des aménagements dignes d'un 747: parois et entourages des baies, plafond et éclairages diffus, toilettes et grands racks à bagages. Le tout modulé de couleurs harmonieuses brisant la vague de sièges (deux cents par cabine) qui les envahissaient. Quant à ces derniers, avec le budget initialement prévu et largement entamé par les aménagements décrits, il fallait faire

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pourtant confortable. Heureusement nous n'avions pas tout à fait les mêmes contraintes à observer que pour un avion et un constructeur de sièges pour bus et cars de la région lyonnaise nous tira d'affaire. Le siège avait belle allure, il était confortable et répondait au maintien observé pour ce genre d'engin qui a tendance à taper sur la crête des vagues et nécessiter un accueil spécifique. Un tissu réalisé spécialement dans plusieurs coloris fut même proposé, au même titre que les autres revêtements. A l'extérieur le graphisme imaginé, allié aux couleurs de l'armateur SEALINK - le bleu et le rouge - affinait considérablement la silhouette, donnant même à cette énorme machine une certaine et élégante dynamique. Les essais avaient commencé sur la Gironde et il était impressionnant de la voir évoluer glissant avec aisance de la dalle de béton à la surface de l'eau tout entourée de gerbes jaillissantes qui n'étaient pas sans rappeler Neptune sur le grand bassin de Versailles... L'euphorie d'un projet réussi ainsi que d'une exploitation commerciale qui malgré la concurrence farouche que les Anglais s'apprêtaient à livrer fut de courte durée, puisqu'un soir rentrant de Pauillac, j'entendis aux dernières nouvelles, que le NAVIPLANE 01 avait été totalement détruit par un incendie dû au non respect des plus élémentaires règles de sécurité. Incroyable, une lampe baladeuse non protégée, était tombée lors d'un collage de réparation dans un récipient contenant une matière volatile qui s'était immédiatement embrasée, propageant rapidement le feu à l'ensemble de la machine.

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Le service de sécurité aidé par les pompiers de la ville non équipés pour ce type d'incendie, activèrent plutôt celui-ci. En effet, aluminium et combiné chimique de l'eau sont utilisés en aluminothermie pour activer la fusion et en quelques minutes il ne restait plus qu'une carcasse informe. Le 02 fut terminé et envoyé à Boulogne où sans alternance possible d'exploitation entre les deux machines prévues, le trafic était beaucoup trop souvent à la limite de la rupture de charge. Les mauvaises langues allèrent jusqu'à faire courir le bruit d'un manque de fiabilité de l'engin, argument repris par les Anglais qui bien évidemment avec leurs hydroglisseurs conservèrent la suprématie sur la traversée: Douvres, Boulogne - Calais. PPendant ce temps les études concernant le TGV Paris Sud Est avançaient - nous étions en 1975 - avec les inévitables aléas dus aux grands projets. Aléas économiques, laissant planer beaucoup d'incertitudes quant à son développement industriel par ALSTHOM, face à une SNCF semblant à l'époque plus consciente de la meilleure utilisation des deniers publics. Simultanément pourtant un concours fut lancé entre trois designers: Tallon, MBD et la CEI. Certes la rame avait été dessinée par Cooper maintenant designer chez ALSTHOM, pour qui il n'était pas question d'apporter de modifications au projet établi. Par contre, les aménagements intérieurs, émanation du même, étaient tout à coup remis en doute nécessitant la présentation de nouveaux projets. Aucun des trois finalement ne fut

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considéré, le nôtre comme celui des autres concurrents. Il fut même qualifié par la SNCF, en ce qui nous concerne, de trop aéronautique ? Pas étonnant, notre projet proposant des aspects modulaires nullement usités à ce jour dans le ferroviaire, comme par exemple la modularité des panneaux d'habillage autour des baies, tout en y intégrant éclairage et stores d'occultation en matériau composite recouvert dʼun film décor, qui favorisait déjà dans les avions : montage, démontage et échange rapide. Mais aussi des porte-bagages et des cloisons proposant la même chose, sinon même un allègement non négligeable. Et au plancher des rails permettant des configurations adaptables aux besoins comme au trafic, tout en reprenant une idée précédemment imaginée autant pour sʼisoler, lire, ou consulter un dossier à lʼécart des déplacements quasi-incessants dans un train. Je ne m'en tenais pas là, proposant aussi des sièges réversibles, qui au choix du voyageur pouvaient se faire face à face ou rester en ligne dans le sens comme dos à la marche... Une grande première qui mettra plus de vingt ans pour faire son chemin à la SNCF et chez les constructeurs européens tout au moins, puisque appelé il y a quelques mois pour concourir à l'étude d'un futur TGV pour Taiwan, cette idée y sera retenue comme option envisageable... Néanmoins notre projet dut marquer certains, puisque repentir ou non - va-t-on savoir - quelques jours après la prise de cette décision, j'étais appelé sous le sceau du secret pour développer à nouveau celui-ci avec force questions faisant bien penser que

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l'affaire n'était pas définitivement classée et qu'une hésitation subsistait. Mystère et mystère subsiste, puisqu'on me rappela rapidement, pour me signifier d'oublier complètement ce qui venait de se passer... Lutte d'influence, politique, pression du constructeur,... Le TGV sortit de chaîne en fin de compte tel que le designer d'ALSTHOM l'avait projeté. Pour quel constat aujourdʼhui, sinon que constructeurs et réseaux commencent seulement à porter intérêt à des techniques similaires - 23 ans exactement après que ces propositions furent jugées à lʼépoque sans objet pour une utilisation ferroviaire - et que débute seulement des essais en ligne pour tester les premiers tronçons de voitures deux niveaux en fibre de carbone… DD'autres projets sans doute moins importants, tout au moins dans mon esprit m'occupèrent aussi avec les collaborateurs qui mʼentouraient - pour SAINT GOBAIN et des stands d'exposition - PIONEER et une ligne de points de vente grand public franchisant la marque distributrice de hi-fi et radio - TAVARO - ELNA qui déjà client de la CEI pour le dessin des machines à coudre fabriquées par la firme, se dotait maintenant d'une nouvelle unité de fabrication, nous demandant d'inscrire celle-ci dans la même rigueur de couleurs et graphisme ayant présidé à la création de l'image - CNIM et un projet de bateau de croisière qui resta dans nos cartons - MARLBORO pour qui nous dessinâmes un tracteur routier et sa remorque aménagée, pour

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la formule 1 - SABLÉ et des projets de sièges pour camions, tracteurs,... et même LA POSTE pour laquelle nous mîmes sur pieds un programme d'image et de signalétique des bureaux ouverts au public. Anecdote là encore, souhaitant doter ceux-ci d'une image forte et populaire, les responsables n'ayant pas conscience qu'ils en possédaient déjà une, véhiculée par les petites voitures jaunes marquées de l'oiseau bleu, sillonnant villes et campagnes... Ce qui un peu plus tard fut institué comme identité visuelle, développée et appliquée, par d'autres que nous. Nous étions en 1974, période où les affaires comme les projets commençaient à se faire moroses, marqués à la fois par ce que l'on appela la crise du pétrole, autant que celle-ci exista vraiment, et qu'il aurait mieux valu qualifier de crise de l'énergie, profitable néanmoins à EDF, pour enfoncer avec écho, le tout nucléaire. On approchait, on le sait maintenant, de ce que l'on appelle la fin "des trente glorieuses" et d'un certain épuisement qui se manifestait dans multiples domaines... économiques et autres. Pour en revenir au nucléaire, un projet nous attacha à son développement, retenus par BERTIN pour participer à la réalisation d'une usine automatisée pour EUROCÉRAL, filiale du pôle nucléaire français chargé de fabriquer des tubes en céramique utilisés dans les piles des centrales atomiques. En soi, produit banal, ne s'agissant que dʼune barre creuse de très relatives dimensions dont la fabrication devait être réalisée sous atmosphère neutre, sans manipulation, de la réception de la matière première, à son moulage, séchage, cuisson et

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refroidissement, jusqu'à son stockage en containers d'expédition, isolés. Beau programme mécanique où chaque élément de la chaîne devait être identifié pour en faciliter la surveillance comme les interventions éventuelles, et où couleurs et peinture avaient leur importance. Aussi je rapporterai un fait qui faillit bien dépasser l'anecdote, puisque la peinture et les couleurs livrées, une fois appliquées ne séchaient pas. Ce qui faillit mal tourner, vu les perturbations engendrées lors d'une fin de chantier des plus tendue, où le fournisseur de lʼune des plus prestigieuses marques française nʼapportait pas dʼexplication. Encore une fois, voici bien les préoccupations du designer industriel dans leur trivialité quotidienne, éloignées des affirmations de refaire le monde en situant le design bien en deçà de ce qu'il représente réellement. CCe fut aussi le moment où la SNCF et la RATP décidèrent de faire route ensemble, pour lancer un matériel commun à leurs deux réseaux pour en assurer l'Interconnexion. En premier lieu sur les lignes A et B du RER parisien et à plus long terme vers d'autres lignes de la grande banlieue. Un concours fut lancé et si mes souvenirs sont bons, pas moins de treize projets furent proposés. J'avais le sentiment que nous pouvions gagner, et réunis mon énergie pour mettre sur pied un projet, entraînant à l'agence toutes les bonnes volontés pour y participer. Je souhaitais que notre réponse soit non seulement l'attendue, mais qu'elle

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bouscule lʼhabituel métro et train de banlieue, puisque telle était la vocation comme les attentes du matériel projeté. Ce n'était donc pas seulement l'architecture du matériel lui-même qui en était le sujet, comme son formalisme, mais fondamentalement ses aspects grand public ratissant large, de Paris intra-muros à des banlieues proches comme plus éloignées. Peu de temps avant, un projet pour les Chemins de Fer Néerlandais m'avait mis le pied à l'étrier, sinon la roue sur les rails, en tentant de formaliser une réponse en rupture avec l'habituel, comme par exemple, la proposition de composants standards, prêts à monter, intégrant : sièges, porte-bagages, et éclairage idem à ce que fournissent les équipementiers de lʼautomobile aux constructeurs. Malheureusement appelés trop tardivement, le constructeur allemand - TALBOT - fit valoir des dépenses et des délais supplémentaires vu l'avancement de se s propres études. Celui-ci retourna donc dans nos cartons, mais m'ouvrit l'esprit au design ferroviaire. Revenant à l'Interconnexion des réseaux SNCF et RATP, j'étais attentif à tout ce qui pouvait représenter un plus, sans pour autant devenir industriellement coûteux. Je me mis à l'écoute du besoin et tentais d'apporter au projet la synthèse fonctionnelle du confort, comme de l'image. En effet pour le voyageur, appréhender un mode de transport public, c'est identifier rapidement les espaces d'échange, comme les portes. Mais cʼest aussi proposer une animation cinétique participant à l'environnement, l'exploitation du réseau nʼétant pas seulement souterraine. Et à l'intérieur, en différenciant les lieux d'échanges comme les plates-formes et les espaces assis, tout en renforçant cette

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caractéristique pour y traiter différemment l'éclairage accentué sur celles-ci, pour devenir "plus intime" au-dessus des sièges. Tout en proposant également des poignées de maintien et non des barres qui obstruent l'espace, ainsi quʼune signalétique expressive, qui fut reprise ensuite par multiples matériels. De nombreux dessins accompagnés d'une maquette en volume, constituaient le projet remis à la SNCF et à la RATP avec un bout avant signifiant, présentant un pare-brise asymétrique dont la plus grande surface favorisait la visibilité. A l'intérieur, aménagements dessinés avec la même volonté, comme par exemple, les plateformes au plafond surbaissé pour y intégrer une surface lumineuse adaptée à un lieu d'échanges fréquents, et au contraire des compartiments intégrant porte-bagages et éclairages plus diffus. Ce double niveau proposant aussi, une surface d'information bienvenue pour le voyageur assis, ainsi que deux espaces volontairement bien distincts. Et des sièges, qui subirent par la suite un renouvellement de leur dessin en 1984, suite à la mise au point d'une nappe d'assise quasi inattaquable devant un vandalisme recrudescent. Un projet conçu entre rigueur privilégiant des qualités fonctionnelles et de confort dus au voyageur, et un support dʼimaginaire suffisamment attrayant pour transporter lʼensemble des publics parisiens comme dʼIle de France. Projet également conçu suivant un design "suffisamment classique" pour absorber les phénomènes de mode trop souvent confondus entre fugitifs biens privés totalement dépendants de notre société de consommation et biens d'équipements collectifs devant répondre dans le temps à un service pérenne.

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Quelques semaines passèrent avant dʼêtre convoqué devant un aréopage d'ingénieurs des deux entreprises, pour présenter et défendre le projet. Je le rappelle en concurrence avec treize autres. J'avais ce jour-là l'énergie d'un convaincu, à qui il restait bien entendu de convaincre, et j'eus le sentiment en sortant que cela pouvait être le cas. J'ai souvent observé m'être rarement trompé, du succès dʼailleurs comme du contraire. Un ou deux jours après, on m'appelait pour m'annoncer la bonne nouvelle. C'était pourtant bien là que tout allait commencer, par tout d'abord un arrêt brutal du projet, qui dura près d'une année pour raisons économiques. Des réunions avaient cependant lieu, et je compris vite qu'un client était difficile à gérer, mais que deux ayant bien entendu l'un comme l'autre un credo différent, allant jusqu'à s'opposer, l'est encore beaucoup plus. L'un d'eux voulut même remettre le projet en question, non pas vis-à-vis de la réponse que nous avions faite, mais du diagramme initialement retenu. C'est-à-dire des options fondamentalement prises. J'étais aux cent coups et je crois que j'aurai sauté à la gorge du jeune polytechnicien de la RATP, qui en était l'instigateur et avait sans aucun doute raison... Personnellement je ne voyais que ma proposition et non le développement futur, comme l'explosion à venir du trafic, particulièrement sur la ligne A. Moins de dix ans après sa mise en service, cela se vérifia, et aujourd'hui on est à la veille de mettre en ligne des trains à deux niveaux avec portes d'accès en moins grand nombre, mais beaucoup plus larges...

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Enfin tout reprit, et la mise au point comme le développement du projet avec les bureaux d'études du constructeur et des fournisseurs commença. Ce fut une lutte pied à pied pour conserver le cap, qui dura trois ans fort enrichissants et formateurs pour la suite de mon parcours professionnel. Des dessins, des maquettes et prototypages furent réalisés, jusqu'à une maquette grandeur qui nous apprit beaucoup. Le plus difficile ne fut pas ce parcours du combattant, mais curieusement comment on allait peindre l'extérieur des motrices et des voitures ? Grand dilemme. Je tenais bien évidemment au très fort et original marquage signalétique proposé, repris depuis sans vergogne par plusieurs réseaux européens, en admettant que c'est bien souvent le lot du novateur d'être copié. Au passage je rappellerai aussi le pare-brise du poste de conduite, qui proposé avec un montant décalé a fait largement école pour être en vogue aujourd'hui sur bien des matériels de la SNCF. J'avais néanmoins quelques alliés, mais beaucoup plus d'opposants qui ne pouvaient semble-t-il envisager qu'un train soit autrement marqué que dans le sens de son déplacement, comme cela est l'habitude. A ce problème de fond, s'ajoutait aussi celui des couleurs. Combien avons-nous dû produire de dessins qui ne réunissaient jamais tout le monde. Quand un jour le moral au plus bas, je vis passer devant moi un bus parisien portant une affichette "Votre région l'Ile de France" avec en bleu, blanc et rouge la fleur symbolisant Paris et ses départements périphériques. Ma réaction fut immédiate, pensant bien que le train que nous dessinions allait circuler sur le Réseau Express

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Régional, en Ile de France, et que les décideurs de cette campagne ne pouvaient être que les mêmes qui avaient aussi décrété du bien fondé de ce réseau, comme du besoin en matériel pour le desservir. Il était donc clair que tout cela relevait bien de la même problématique et que le point d'ancrage manquant, inopinément s'offrait à moi. Je rentrais au bureau tout en me procurant une des affichettes entrevue, pour confectionner sur le champ une planche y appliquant du bleu, blanc et rouge. Ce qui non seulement me parut évident, mais où la force de mon idée s'en trouvait décuplée. Je convoquais dans les plus brefs délais une réunion qui rassemblait quinze à vingt représentants des deux entreprises, leur découvrant affichette et nouveau dessin en exposant la fédératrice évidence... Il y eut un silence dans la salle, laissant sans paroles l'ensemble des participants. Au bout de quelques instants, le président de séance me demanda, emportant le tout, quelques jours de réflexion. Je rentrais au bureau ne sachant cette fois, si j'avais gagné ou perdu, mais certain en tous cas d'avoir provoqué l'inattendu. Quelques jours plus tard décision était prise de peindre la maquette grandeur en bleu, blanc et rouge, pour finalement voir et décider. Ce qui fut, à mon grand plaisir, définitivement ratifié un peu plus tard. Non seulement le matériel construit serait bleu, blanc et rouge, mais le premier matériel RATP datant d'environ dix ans ainsi que les matériels SNCF deux niveaux s'inscrivant dans le cadre de l'Interconnexion présente et à venir, le seraient aussi.

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Quant aux matériels inox de banlieue beaucoup plus anciens, la SNCF retint aussi de peindre portes et bout avant en rouge. Image dʼailleurs récemment reconduite par la RATP lors de la rénovation des premiers matériels roulants de la ligne A du RER, et tout récemment appliquée sur celui de lʼInterconnexion, sur la ligne D et H du RER réseau nord-ouest parisien de la SNCF. Ce qui peut donc être toujours observé aujourd'hui, où je crois pouvoir affirmer avoir proposé une image originale et cohérente de l'ensemble des transports en commun de la région parisienne et Île de France. Claude Gressier qui était alors patron des Transports terrestres au ministère, envisagea même la mise aux couleurs des bus et autobus hors Paris, et un projet fut réalisé. Malheureusement la multiplicité des transporteurs privés et la difficulté d'une entente resta sans effet. Curieusement le bleu, blanc et rouge devinrent à partir de ce moment, une conséquence structurante de multiples projets. Non pas comme un réflexe conditionné ou inconscient, mais répondant à une réflexion étayant ceux-ci comme d'un vocabulaire qui peu à peu s'impose, marquant ainsi un territoire de l'imaginaire..., tout comme "una cosa mentale". AAvant de refermer ce chapitre, je rapporterai un tout autre type dʼétude réalisée un peu par hasard durant le développement de ce projet, pendant lequel la SNCF nous déclara quʼelle était à la recherche dʼun matériau de plancher lui posant moins de problèmes de nettoyage, que les revêtements appliqués dans la plupart des trains.

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Banal en soi, difficile néanmoins puisquʼen dehors des qualités requises par un tel matériau ou de sa couleur plus ou moins adaptée à la salissure, lʼaspect sécurité - cʼest-à-dire anti-dérapant - est primordial. La demande étant des plus informelle je dois dire quʼelle ne nous préoccupa pas immédiatement, ayant à lʼépoque bien dʼautres chats à fouetter, néanmoins celle-ci fit son chemin dans nos esprits mettant à plat ce que représentait lʼimportant problème de nettoyage dʼun parc ferroviaire. Quʼinventer donc, sinon ce qui un beau matin me parut évident en proposant un léger arrondi réunissant les deux plans dʼun même relief. Nous réalisâmes des maquettes pour en tester ce qui nous sembla dʼune efficace réalité… Gagné, puisquʼeffectivement dʼun seul coup de balai - nʼayant que ce moyen à notre disposition - le revêtement souillé présentait immédiatement une surface parfaitement propre. Nos clients communs - SNCF et RATP - reconnurent quʼil y avait sans doute là remède à leurs préoccupations quotidiennes tout en acceptant la réalisation dʼun prototype. Il fallut rechercher un fabricant spécialisé dans les élastomères moulés ou déroulés, GERLAND fut finalement retenu pour fournir une première livraison destinée aux planchers du nouveau RER que nous venions de dessiner. A parti de là, le bien fondé de ce nouveau dessin, le fit exploiter sur de nombreux et autres matériels, plus tard jusquʼà Caracas, et ailleurs. Sur le fond, notre bénéfique étude était restée gratuite, ce que je ne manquais pas de faire remarquer, au fabricant qui nous

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proposa en échange un dédommagement et surtout lʼaccès à lʼune de ses filiales - GERFLOR - spécialisée dans les revêtements de sols pour lʼhabitat, pour laquelle nous étudiâmes divers produits originaux rompant avec les sempiternelles imitations en vogue à lʼépoque comme encore aujourdʼhui… Le goût ne sʼinstaure pas aussi facilement et la laideur est malheureusement toujours dʼactualité. Nous avions instauré ainsi lʼidée de gamme de produits coordonnés et adaptés à différents usages : lieux humides (cuisines, salles de bains), séjour, chambres dʼenfants, etc… Ce qui pouvait être considéré alors comme une grande première, et qui fait la une aujourdʼhui des collections. EEntre-temps le Ministère des Transports, lança un concours européen ayant pour thème "l'autobus du futur". Nous y répondîmes par un projet proposant multiples solutions tant au plan de l'appréhension, l'information et la signalétique alors fortement déficiente sur la plupart des réseaux urbains, mais aussi la sécurité passive, et la circulation intérieure, comme également le poste de conduite et son environnement. A elle seule la signalétique était représentée par un bandeau situé à la base du pavillon - au-dessus de tout véhicule la masquant, comme c'est souvent le cas en ville - tout en proposant une couleur par ligne. Et pour tous points remarquables ou monuments, un dessin symbolique à l'usage du voyageur occasionnel et du touriste. Différentes idées, qui mises en images, nous valurent d'être déclarés troisième lauréat derrière le docteur X... qui n'était

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autre que le patron des transports publics de la ville de Hambourg et HEULIEZ, le carrossier. Pas mal pour un début sur la route... mais sans lendemain non plus, car RENAULT Véhicules Industriels, fit rapidement savoir à la RATP que ses bureaux d'études étaient assez grands pour savoir ce qu'ils avaient à faire. On peut cependant observer sur l'autobus R 312 dernier sorti des chaînes d'Annonay, différents détails, options ou équipements, qui ne sont pas sans rappeler des propositions venues d'ailleurs, y compris de notre projet. Restant dans les transports collectifs routiers, industriels et agricoles, nous avons à cette même époque abordé avec SABLÉ - constructeur spécialiste dans ces domaines - des études pour un siège de tracteur, ainsi quʼun siège pour véhicules utilitaires intégrant en position assise lʼensemble des commandes dʼassujettissement telles que: monter, descendre, incliner, renverser assise et dossier mobiles. Y compris accoudoirs réglables et appui-tête. Le dossier de celui-ci pouvant aussi se positionner à lʼhorizontale pour faire table, tout comme on le trouve depuis dans de nombreux véhicules familiaux de multiples constructeurs automobile. TTéhéran souhaitait aussi à l'époque s'équiper d'un métro, et les Français bien implantés en Iran, avaient réussi un magnifique coup double en remportant non seulement le marché du génie civil et des équipements de voies, stations comprises, mais aussi celui du matériel roulant.

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Interrogés par SOFRETU qui n'était autre que la branche ingénierie de la RATP pour commercialiser les métros français à l'étranger, notre avant-projet fut considéré et retenu. Non seulement pour collaborer au développement du matériel roulant, mais aussi à l'image du réseau et sa signalétique. Notre dossier était impressionnant, représentant sur très grand format : inscription dans le site, dessins du matériel - pour lequel un bleu ciel avait été retenu - et des aménagements avec plafond intégrant éclairage et ventilation, sièges, ... mais aussi équipement des quais et signalétique globale à l'usage du voyageur. Des maquettes, accompagnaient aussi nos intentions. Malheureusement, c'est ce moment que Khomeyni choisit pour rentrer en Iran avec la destitution du Shah qui s'en suivit et tout ce que l'on en connaît qui dure et perdure encore aujourd'hui. Notre seule consolation fut de fêter notre exploit en nous offrant du caviar au Golestan, le restaurant iranien des Champs-Élysées. LLes transports devenaient ainsi notre occupation favorite puisque la SNCF chargea à peu près à la même époque, la Division Ferroviaire de l'un de nos excellents clients : DE DIETRICH, pour lesquels différents de mes collègues travaillaient déjà, soit à la mise à jour de l'image du groupe, soit d'une façon plus permanente pour la Division Électro - Ménager, de la construction d'une rame automotrice qui devait à l'éclatement du TGV à Lyon, comme dans différentes régions,

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offrir aux voyageurs un matériel plus digne que ceux qui circulaient alors. Ce matériel devait néanmoins répondre à des conditions économiques des plus drastiques, car beaucoup d'argent avait été investi dans le TGV Sud Est, et il s'agissait maintenant de faire bien, mais bon marché. Défi relevé, puisque nous présentâmes un projet dont l'originalité portait essentiellement sur le bout avant de la machine, en lui apportant une dynamique s'accrochant sur une caisse conventionnelle. La cabine de conduite étant matérialisée par une bande de couleur neutre, oblique, entre un bout avant rouge vif et une caisse bleu foncé, avec portes d'accès voyageurs également rouges. Ce qui dès sa sortie en ligne fut qualifié par les journalistes spécialisés, de livrée en tranches de cake ! Un qualificatif qui subsistera. Nous avions inventé une présentation qui marqua et marque encore aujourd'hui profondément le paysage SNCF. Voir par exemple les dernières locomotives en cours d'essais, ou déjà sur le réseau aujourdʼhui. Et par ailleurs lors de sa mise en ligne, les voyageurs à l'heure de passage du train attendu, hésitant à monter, pensant que celui-ci n'était pas le leur. Je ne sais si à la SNCF on médita cette remarque éloquente, mais il semble bien qu'aujourd'hui encore beaucoup de problèmes de qualité ou d'accueil subsistent toujours hors des grands lignes ou du TGV...

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Quant à l'aménagement intérieur, nous réussîmes à lui donner un standard équivalent aux voitures Corail sorties quelques années plus tôt, elles aussi pour remplacer des matériels plus anciens. Standard représenté par d'économiques porte-bagages intégrant l'éclairage, réduisant ainsi les coûts industriels, mais aussi des sièges qui à partir d'une structure des plus conventionnelle proposait une assise confortable et un design n'ayant rien à envier au siège le plus marquant du moment.

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AAllait débuter à la même époque un projet qui me fit traverser l'Atlantique Sud pour nous occuper du Métro de Caracas, dont la construction avançait à grands pas. Œuvre d'architectes italiens conduits par un remarquable animateur de l'ensemble, Max Pedemonte, architecte lui-même. Caracas reste pour moi le projet, comme la réalisation exemplaire à laquelle il m'a été donné de collaborer dans des conditions jamais rencontrées ni avant, ni depuis. En effet charger un homme de l'art responsable au plus haut niveau de la totalité d'un projet, de son infrastructure au matériel roulant, comme de l'image, fut pour moi un fait unique qui m'autorise à écrire aujourd'hui comme je l'ai entendu dans l'ensemble des milieux ferroviaires fréquentés, comme dʼun exemple non seulement de totale réussite, mais aussi de totale adaptation à la ville. Preuve en est qu'aujourd'hui, les travaux d'une troisième ligne sont bien avancés, sinon terminés, et que la quatrième doit suivre. Comment sommes-nous arrivés à Caracas, tout simplement cooptés par le groupe d'industriels français - FRAMECA - constitué plusieurs années auparavant pour soumissionner à la fourniture du matériel roulant, aux courants faibles, aux signaux et automatismes, etc... Pari tenu, pari gagné, les tractations durèrent près de treize ans, beaucoup moins pour moi représentant la CEI, mais néanmoins assez pour me laisser décourager, quelquefois même lâcher prise. C'est d'ailleurs toujours à de tels moments que se produit l'événement attendu.

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Travaillant maintenant en Asie du Sud Est, il faut du temps, beaucoup de temps, pour créer la confiance entre futurs clients et consultant... Pour en revenir à Caracas, un premier voyage me fit prendre conscience d'un contexte assez difficile à ce moment, les Vénézuéliens venant de se séparer de leur consultant technique, et la place laissée vide faisant cruellement défaut pour l'avancement du projet. A nouveau, les Français profitèrent de la brèche ainsi ouverte et c'est SOFRETU qui remplaça le précédent. Dʼailleurs quelques années plus tard, s'étalaient, sur les quatre étages des couloirs de l'immeuble occupé par SOFRETU à Paris, de magnifiques agrandissements photographiques représentant uniquement la réalisation du projet. Inutile de faire un dessin. Quel était le projet, sinon construire un métro au gabarit américain dont les voitures devaient présenter un très bon standard, le poste de conduite faisant aussi partie intégrante de notre prestation. Quand on sait que les Sud-Américains sont sensibles à l'architecture contemporaine, voir pour exemple les nombreux émules de Le Corbusier et leurs œuvres à Brasilia, Sao Paulo et ailleurs, Niemeyer déjà cité, etc... on comprend d'emblée comment notre travail était guidé et apprécié. Grande sobriété de l'ensemble: rames en aluminium brossé, avec bouts en polyester noir, animés de quatre couleurs: bleu, rouge, jaune et vert. Le noir symbolisant le réseau et les quatre autres qualifiant chacune des lignes prévues à terme. Chaque rame étant marquée d'un grand M, comme METROCARACAS.

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A l'intérieur, comme pour le poste de conduite des tons sourds, beiges et ocres habillent parois et plancher. Climat tropical oblige. Satisfaits de nos projets, les Vénézuéliens nous chargèrent également de développer l'image et la signalétique, associant aux stations des carrelages céramique flamboyants, comme le rouge pour Pro Patria, le jaune pour Cano Amarillo, etc... A la signalétique s'associait aussi le mobilier urbain marquant en ville la présence des stations. Stations pour la plupart semi-enterrées ou à ciel ouvert, présentant non seulement en elles-mêmes un petit chef d'œuvre d'architecture associé pour certaines à une luxuriante végétation, mais aussi le concours d'artistes locaux de renom mondial, comme SOTO par exemple. Enfin, DASSAULT ÉLECTRONIQUE pour lequel je travaillais depuis plusieurs années fut adjudicataire du marché des automates de distribution et de contrôle que nous avions dessinés. Ainsi tout ce qui est vu et utilisé par le voyageur à Caracas, est passé entre nos mains, créant un environnement présentant une cohérence rarement observable ailleurs. Autre caractéristique quand on connaît Caracas, ses quartiers, favelas ou autres dont la diversité ne brille pas particulièrement par l'entretien et même pour certains où le vandalisme est plus que présent, il est étonnant d'observer, quelques années après la qualité du service comme l'impeccable entretien du réseau.

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LLa chronologie des projets abordés n'offre pas toujours une filiation évidente, sinon même de caractéristiques identitaires, mais au contraire une diversité qui peut surprendre. Pourtant, expérience aidant, j'ai pu vérifier à de nombreuses occasions le bénéfice qu'un projet précédent, qui n'a rien à voir à priori avec le suivant, pouvait lui apporter. J'ajouterai même que c'est pour moi la somme des acquis les plus divers qui fait la différence obligeant ainsi à se remettre en cause tout en enrichissant la réponse attendue. C'est ce qui fait aussi l'intérêt du métier, loin d'un quotidien routinier et à ce sujet j'allais oublier une tranche de vie, ou plutôt "de client"... Jacky Setton, le Président de PIONEER France qui nous avait sollicité par l'intermédiaire de son agence de publicité pour proposer un concept de magasins franchisés hi-fi et autoradio. L'originalité du propos était intéressante, le budget aussi. Un projet fut rapidement élaboré, maquetté et présenté, remportant d'emblée l'enthousiasme d'un personnage pour le moins original et surtout totalement mégalo. Son bureau personnel tenant plutôt de la salle de représentation puisque le propriétaire des lieux s'y produisait rien de moins, qu'assis dans une voiture de formule 1 qui en occupait le centre... sa secrétaire, comme ses interlocuteurs autour. Il faut dire aussi que Jacky Setton, en dehors de l'homme d'affaires avisé, est également collectionneur d'automobiles prestigieuses. Pas moins de quelques dizaines de modèles rangés sagement dans les dépendances de son château en région parisienne. Lequel château est aussi flanqué d'un

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anneau de vitesse, pour y faire évoluer tous ces bolides en état de marche... Tout allait bien jusque là, sinon que je m'aperçus après avoir entrepris d'autres projets, stands et autres, pour le Salon de l'Automobile ou de la Hi-Fi, ... que pour lui régler ses consultants était toute autre. Étant tout particulièrement intéressé par les automobiles originales dessinées par Raymond Lœwy dont il rêvait de posséder certains modèles, en pensant que j'étais sans doute le meilleur intermédiaire. Il me parut en conséquence nécessaire de rapidement rentrer dans les frais engagés et d'en rester là. Ce qui était dommage, gestion oblige... sinon que nos projets auraient faits dʼ intéressantes références dans un domaine que nous n'avions plus depuis longtemps abordé. EEntre tous ces projets, un troisième pétrolier s'était déclaré pour proposer à la CEI l'étude de son réseau routier, TOTAL, le groupe français. Néanmoins on était loin des ambitions précédentes de BP ou plus encore de SHELL INTERNATIONAL. Les Boutiques et autres diversifications sur stations services furent envisagées les premières, mais malgré l'intérêt que cela pouvait susciter, nous nous trouvions devant un groupe typiquement français où les problèmes d'image comme de marketing sont traités un peu au petit bonheur, par des ingénieurs pétris de recherches ou d'exploitation pétrolière, ou

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bien encore par des responsables éloignés du marketing comme de la communication. L'un d'eux était même écrivain, écrivain catholique. Inutile de dépeindre les relations, comme la compréhension des problèmes posés et des solutions retenues. Enfin sortit malgré tout une étude de fond, portant sur la refonte de la marque et du logo précédemment qualifié dans le jargon maison de "savonnette" que nous réussîmes à dynamiser en proposant un dessin à lʼimpact beaucoup plus accrocheur. Quant aux couleurs elles-mêmes, conservant le bleu et le rouge originels de la Société Française des Pétroles, notre but fut d'évacuer sinon fortement minimiser lʼimpact dʼune troisième, l'orange. Couleur chargée d'un fort relent années 60 - 70 ou en matière d'image comme de décoration tout objet et environnement passaient immanquablement à l'orange ! Pour au contraire proposer un environnement blanc - pompes, auvent, bâtiments - marquant ainsi la distribution d'un produit propre. J'avais engagé depuis quelques temps une graphiste s'intéressant au construit, à la couleur et aux matériaux. Persuadé que j'étais, de la nécessité de traiter par l'intérieur du groupe que j'animais, les problèmes permanents que posaient: signalétique, couleurs, matériaux... L'expérience m'ayant démontré que le recours à des collaborateurs extérieurs n'apportait que des réponses imparfaites sinon incomplètes - C'est donc avec elle que j'entrepris la remise en forme de la marque et de son

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application. Malheureusement il n'était pas question d'aller plus loin, sinon que de s'inscrire dans l'existant. Notre réponse en tant que telle était sans doute bonne, puisque dix ans après, l'agence qui vient de donner un look nouveau à l'ensemble du réseau TOTAL, l'a conservée, néanmoins je trouve un peu mince de tout badigeonner en orange et de clamer haut, à une nouvelle image. C'C'est aussi à ce moment que la SNCF par l'entremise d'ALSTHOM nous demanda de proposer en concurrence avec d'autres bureaux de design, des projets pour une nouvelle locomotive électrique, la BB 26000 dont il nous fut rapporté plus tard que nos propositions furent considérées comme "trop futuristes". Quand on pense que ces machines circulent au moins pendant trente ans... Nous ne fûmes pas retenus, mais que représentaient au juste nos propositions pour avoir été ainsi qualifiées, sinon que malgré le diagramme extrêmement contraint de la SNCF, nous avions réussi à allonger visuellement un volume dont les proportions ne représentaient pas à priori la puissance contenue d'un pur-sang ferroviaire. Et ce tout en incarnant par ailleurs le lancement de la technologie des moteurs asynchrones. Une certaine souplesse du dessin de châssis s'abaissant aux deux extrémités sous la cabine de conduite, accentuait cette sensation. Et au plan du pare-brise, des retours latéraux saillants devaient favoriser l'écoulement aérodynamique, tel que par exemple aujourd'hui, un autre constructeur l'a proposé pour

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les nouvelles locomotives dont viennent de se doter la DEUTSCHE BAHN. Etions-nous encore une fois en avance, plus de 10 ans avant ce récent constat? BBeaucoup d'autres projets nous occupèrent également, peut-être moins significatifs à mes yeux... Mais aussi un Raymond Lœwy vieillissant, ne faisant plus très souvent les bons choix quant aux gestionnaires engagés, comme de certains collaborateurs qui avaient curieusement son oreille, y passant sans doute plus de temps, que je ne le souhaitais le faire moi-même. Période plus difficile et prises de position ou même spéculations hasardeuses... tout un climat que je ne sentais pas très bien, perdant même foi dans ce qui m'avait longtemps retenu. Je décidais donc de partir. Nous étions en milieu d'année 1985.

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DASSAULT AVIATION, aménagements VIP de la gamme Falcon photo BURDIN.

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DF 2000, cuisine modulaire.

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BERTIN, véhicule Tridim à parcours hectométrique.

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SHELL INTERNATIONAL, stations servies pour le réseau automobile mondial photo Sergio DRUETTO.

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Autour des maquettes MI 79 du Réseau Express Régional parisien, de gauche à droite lʼauteur, Marie Cardon et Clément Rousseau. photo Guy Pascal – ELLE.

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SNCF – RATP, signalétique " bleu, blanc et rouge "

du Réseau Expresse Régional parisien .

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AIR FRANCE, avion Concorde, matériel de service à bord photo AIR FRANCE

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METROCARACAS, rame entrant en station photo Esteban BIANCHI

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"...Au transport

...qui m'entraîne." Jean Racine

FONDATION DE VECTEUR design industriel II l n'est pas facile de quitter un point fixe de trente ans sans se retrouver sonné et même à vif tout comme une figure de Francis Bacon, même si quelques mains se tendent pour semble-t-il vous tirer d'affaire. J'ai vite compris, expériences limitées aidant, que ce n'était pas à moi que l'on tendait la main, mais à ce que représentaient expérience et surtout références professionnelles acquises. J'en pris donc rapidement distance et entre temps créais VECTEUR, voilà dix ans maintenant. J'en profitai pour souffler aussi et revenir, à la peinture et au dessin - pas celui de la planche devant laquelle je m'assieds exerçant toujours mon métier à plein temps - ayant quelque peu négligé musées, nature ou même voyages personnels. Découvrant ou redécouvrant Bacon, Balthus, Hopper, Joan

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Mitchell,... ou encore Poussin plus vrai que nature, pour admirer sur le motif, dans la campagne aixoise le fond d'un paysage où l'intrigue se noue... Déclencher en moi la flamme de lʼamateur, et me lier avec quelques autres: Lanneau, Bermond, Hubaut, Babierz,... Ou bien tout simplement m'asseoir dans l'herbe et m'essayer à quelques crayonnages coloriés. Tout cela sans oublier de devenir entrepreneur, l'ayant certes toujours été, peu ou prou, à l'intérieur d'une structure dont j'ai abondamment parlé. Aussi rendrais-je hommage, avant de raconter VECTEUR, à quelqu'un qui m'a accompagné et assisté - Marie Cardon - qui en plus de ses qualités professionnelles a pris en charge ce que nécessite une petite entreprise, gestion comptable, administration, etc... CCes préambules établis quelles sont les études et réalisations qui nous ont d'emblée occupés. La toute première fut d'aller faire un tour dans les étoiles... Oui, rien de moins. Cela faisait cinq ans que je suivais la lente maturation du dernier projet réalisé à la Cité des Sciences et Techniques de la Villette, le planétarium. Exemple type du projet auquel j'ai cru, comme l'inverse, mais Jean-François Delorme son responsable m'avait promis qu'il le ferait avec moi. Il faut bien dire que beaucoup de projets réalisés à la Villette relevaient de pratiques qui n'étaient pas les miennes, je pouvais donc avoir des doutes.

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Projet minimal, puisqu'il s'agissait de dessiner un siège et mettre en scène la lumière précédant et terminant chaque spectacle, où le pisteur d'étoiles, énorme sphère toute hérissée de points lumineux telle une sculpture de Pomodoro ou de Pol Bury, en est la vedette silencieuse. Chaque siège devant permettre au spectateur, quelle que soit sa position, de suivre aisément les projections sur la voûte céleste du plafond. C'est-à-dire monter, descendre, tourner avec le meilleur des conforts, tout comme un cosmonaute dans l'espace, la lumière contribuant sous l'horizon, à dramatiser la salle. Environnement inhabituel en quelque sorte puisque l'essentiel était bien de mettre en valeur l'histoire du ciel autant que son actualité aujourd'hui, mais aussi anticiper le temps à venir... Beaucoup d'humilité donc pour présider à tout cela, en proposant un aménagement donnant au spectateur un confort intemporel, me permettant au passage de rendre hommage à un grand cinéaste - Stanley Kubrick - et tout particulièrement le film phare que représente pour moi 2001 - lʼOdyssée de lʼEspace. Film qui, peut-être inconsciemment mʼinspira pour initier ce projet. Notre expérience, en matière dʼaménagement dʼavions, nous fit appeler aussi par AIRBUS INDUSTRIE à Toulouse pour nous voir confier une étude toute nouvelle, puisquʼil ne sʼagissait rien de moins que de traiter de lʼamélioration du confort des pilotes du futur long courrier A 340/350. Dans cet univers technologique de pointe, tout semblait néanmoins rester ouvert, mais surtout extrêmement contraint. Point positif sinon dʼavenir, ce projet nous fit pour la première

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fois nous confronter à lʼutilisation de lʼordinateur commençant, dans les immenses bureaux dʼétudes de la firme, à remplacer les tables à dessin. Expérience donc bénéfique pour entrevoir à notre tour, comme on le verra plus loin, de laisser définitivement la table à dessin au profit de la console informatique. Apprenant et soupçonnant surtout tous les avantages en temps réel quʼapporterait celle-ci à nos études futures. Nous fûmes aussi appelés plus tard, ayant conservé le contact, comme ayant laissé sans doute un souvenir professionnel honorable, pour participer à un appel dʼoffres concernant le dessin du siège des pilotes du futur gros porteur A 380 et du futur A 400 dont la presse est remplie aujourdʼhui comme dʼun projet militaire difficile, réunissant plusieurs états. La concurrence devenant " moins quʼhonnête " puisque certains pratiquaient le dumping proposant en même temps quʼétats de service, déjà des avant-projets… Aussi avons-nous préféré baisser les bras, restant dans nos convictions dʼéthique professionnelle. CC'est à ce moment aussi quʼANF INDUSTRIES, groupe qui , quelques années auparavant, nous avait demandé de participer à un appel d'offres pour fournir un nouveau métro à Singapour, me sollicita pour me demander si j'étais intéressé par une nouvelle étude. Il s'agissait de devancer à Chicago, la nécessité à court terme de passer commande d'un matériel devant s'inscrire dans la continuité de ceux déjà en ligne.

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ANF semblait bien placé, ayant déjà remporté peu avant, une importante commande pour le métro de New York. Cette fois le projet était totalement ouvert et libre de propositions, intégrant à la fois design et construction. J'acceptais avec enthousiasme pour monter en quelques semaines un dossier. Je m'envolais avec deux collaborateurs du groupe pour exposer celui-ci à Chicago, accueillis avec cordialité et l'humour caractérisant le pragmatisme local, où tout ce qui fonctionne et éprouvé, est rarement passible de modification. En effet, étions-nous à peine arrivés, que l'ingénieur principal chargé du projet, lança par-dessus la table: " Ah, voilà les Français, ces éternels inventeurs "... Il faut bien dire que cette réputation nous colle à la peau, ne prenant pour exemple que le TGV, qui est: Sud Est, Atlantique, Réseau, Est maintenant, et je ne sais quoi encore. Ce qui pour un Américain n'est pas à priori un gage de fiabilité, mais plutôt de complexité dans lequel il se perd, pour finalement se détourner pendant un long moment du produit vedette, que nous souhaitons vendre à l'exportation. Je ne sais d'ailleurs encore si à ce jour, les ingénieurs de la SNCF et d'ALSTHOM réunis ont bien compris? Il semblerait aujourd'hui. Mais revenons à Chicago, où notre projet accepté dans ses grandes lignes, a fait un peu plus tard l'objet de la construction d'une double maquette grandeur, montrant la caisse, le poste de conduite et les aménagements intérieurs. Mais aussi les équipements sous châssis qui intéressaient beaucoup plus les gens du métro, plutôt pétris de rationalité technique.

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D'ailleurs pendant ce voyage faisant un tour en ligne pour me pétrir à mon tour de culture locale, je découvrais par exemple, que le frein de secours en cabine, n'était autre qu'un simple câble muni d'une poignée en bois tourné, comme en possédaient les chasses d'eau de nos grands parents... J'étais venu plusieurs années auparavant à Chicago et la ville m'avait déjà impressionné, autant par son histoire où il suffit de lever le nez pour découvrir les premiers buildings de Sullivan et autres architectes pionniers, comme les toutes dernières constructions les plus hautes du monde. Mais ce n'est pas seulement cela l'Amérique, c'est aussi un soir poussant la porte d'un bar où se produisait Miles Davis, avec cette fois le nez sur la trompette. Je profitais d'ailleurs de ce même voyage pour filer jusqu'à Vancouver où se tenait alors une exposition universelle ayant pour thème, le transport. J'ai beaucoup voyagé, traversé à de multiples occasions: mers, océans et continents, dans le cadre de mes activités professionnelles et des besoins qu'elles représentaient. Que ce soit les États Unis, l'Amérique du Sud, même les îles sous le vent pour y travailler, le Japon, la Chine, l'Afrique et l'Europe dans tous les sens et jusqu'à ses confins. Pour moi le voyage n'ayant de sens que s'il est utile ou pour y rencontrer des gens avec lesquels je travaille et échange.

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CC'est aussi à ce moment que j'ai eu le plaisir de collaborer avec un jeune ingénieur - Hervé Domenget - à la conception de deux produits, dont l'un paradoxe de la fonction, le fut entre ciel et montagne du côté des Alpes de Haute Provence et qui n'est rien moins qu'un parcmètre jalonnant les trottoirs de nos villes. Celui-ci a fait le succès d'une filiale de SCHLUMBERGER, y ayant introduit en dehors de la fiabilité due à l'industriel, la notion signalétique qui nécessitait précédemment la mise en place d'un panneau indicateur. Résultat, économie et bon débarras pour la rue... Faire du design, c'est réfléchir aux problèmes plus simplement et les résoudre de même. Sans compter que nous avons travaillé pour tout le monde, puisque depuis, les concurrents de SCHLUMBERGER se sont empressés d'en faire autant. Je préférerais savoir que les cahiers des charges des acheteurs leur ont imposé... sait-on jamais ? Plus tard SCHLUMBERGER me confia un second projet, abandonné et pourtant porteur d'avenir puisqu'il se présentait sous la forme d'une colonne n'encombrant que très peu la rue. Réalisé depuis par beaucoup, et en fin de compte par eux aussi. Ce projet me rappelle quʼautour des années 1965, je fis la connaissance dʼune charmante dame - Annette Dole - de la famille Schlumberger et mécène de surcroît, qui souhaitait créer une institution pour enfants " la joie par les livres ", dont le premier maillon serait la construction dʼune bibliothèque à Clamart dont la réalisation était confiée à lʼexcellent maître dʼœuvre quʼest Paul Andrault. Pour ma part jʼassurai la conception de lʼaménagement intérieur.

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Le parti choisi par lʼarchitecte était un ensemble de bâtiments circulaires en béton brut, matériau qui lui est resté cher, où équipements et autres devaient discrètement sʼintégrer. Lʼhomme était chaleureux et pétri de principes architectoniques généreux que lʼon retrouve autant dans les nombreux programmes sociaux réalisés à lʼépoque, que plus tard dans des équipements comme Bercy par exemple. Il me fallait quant à moi mʼinscrire dans cette problématique rigoureuse, tout en appréhendant lʼunivers des tout petits avec lʼœil près du plancher et lʼexpression donnée à des couleurs franches. Cʼétait aussi composer avec le rôle social du projet à lʼintérieur des murs, comme à lʼépoque, avec les terrains vagues qui lʼentouraient et les cités vers lesquelles les bibliothécaires emporteraient les albums colorés des premiers livres dʼimages ou de lecture… Jʼaimais aussi me retrouver avec Annette et ses collaboratrices pour élaborer dans son appartement parisien ce programme au demeurant ambitieux. Appartement dont les murs étaient couverts des plus belles toiles de Marx Ernst que je connaisse, mécénat oblige. Un beau souvenir. Quant à l'autre produit, il s'agit de roues pour l'industrie automobile qui, bien qu'elles aussi destinées à la rue étaient un tout autre sujet qui pendant quelques mois déplaça ma vision, cette fois à hauteur des trottoirs… En effet aussi peu courant que soit le sujet, celui-ci sʼinscrit dans une problématique de marketing nécessitant de prendre la température de la rue comme du moment vis-à-vis des

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tendances et des constructeurs des plus divers, en lʼoccurrence RENAULT pour la circonstance. CCe fut aussi lʼoccasion de se pencher sur des produits de billettique pour DASSAULT ÉLECTRONIQUE, distributeurs pour la RATP et la SNCF, compagnies aériennes, Chemins de Fer Suédois, etc... Cette nouvelle aventure fut exemplaire commencée en 1976, elle nous occupait encore 10 ans après. Avec pour les premiers une proposition développant une machine interactive dont la façade se préoccupait sans doute pour la première fois du client-voyageur en lʼaccueillant en plusieurs langues. Tout le contraire des rébarbatifs automates de la SNCF où le regard errait alors sur une multitude de boutons correspondants à chaque destination. Notre proposition mettant cette fois en scène, une façade totalement interactive où par l'intermédiaire d'un écran et d'un sélecteur, les destinations les plus demandées s'affichaient immédiatement, les autres venant ensuite, tout comme commencent à le proposer aujourdʼhui de nouvelles machines à lʼaide dʼune boule roulante dans les stations du métro. Simultanément d'autres machines suivirent, débordant vers le bancaire - autre activité vers laquelle DASSAULT souhaitait se diversifier - distributeurs de billets de banque et premiers terminaux de télépaiement, ainsi que des machines d'enregistrement de dépôt, etc, ...

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Peu à peu une image s'institua presque à notre insu, des couleurs également ainsi quʼun besoin d'apporter à la marque, comme lʼon dit, beaucoup plus d'institutionnel. Aussi nous parût-il indispensable que le sujet soit abordé par la grande porte. Ce qu'Alain Pailler avec qui nous avons mené l'ensemble de ces travaux tenta de faire passer auprès du directeur de la division électronique. Mal lui en prit, cela se passant lors d'un voyage, choisissant ce moment pour en débattre, il nous rapporta qu'il crut bien choir au milieu de l'Atlantique, tant le sujet était tabou, paraissant même inopportun et inutile... comme trop souvent en France de la part dʼindustriels. Cela ne nous empêcha pas néanmoins de poursuivre, la société étant en pleine phase de recherche et développement pour inaugurer aujourd'hui une période industrielle, où il n'est plus question maintenant de provoquer le client, mais au contraire de répondre à des appels d'offres. Ces projets concernaient aussi l'univers du transport aérien pour y développer les premiers automates faisant quʼun passager pouvait acheter et enregistrer son billet d'avion, mais aussi ses bagages en obtenant même les étiquettes de destination. AIR FRANCE et SWISSAIR se portèrent volontaires et quelques appareils furent ainsi mis en service à Roissy, Genève et Zurich.

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UUne aventure difficile m'occupa simultanément, avec des industriels qui mirent les uns après les autres la clef sous la porte, en France et en Autriche, ainsi que par la suite en Suisse et en Italie. Il s'agit d'un funiculaire à Val d'Isère, réunissant le bas de la station à Bellevarde et "l'Espace Killy". Choisissant pour réaliser deux véhicules identiques, non pas l'habituel polyester moulé recouvrant aujourd'hui le bout avant de n'importe quel engin, mais un sandwich d'aluminium. Et ce tout en ayant contre nous, l'ingénieur-conseil qui voyait les choses autrement, ayant surtout espéré un autre designer avec lequel il travaillait habituellement. Malgré ces embûches, pas aussi inhabituelles qu'on ne le pense, et les difficultés dues à toute mise en route, le résultat donna entière satisfaction aux responsables de la station, comme aux skieurs. AA ce même moment, la RATP nous chargea de mettre sur rails le prototype du futur métro parisien appelé BOA, dont les voitures reliées entre elles devaient permettre le libre passage du voyageur, dʼun bout à lʼautre de la rame. Pour cela quatre intercirculations entre voitures furent expérimentées, un éclairage nouveau fut aussi proposé, intégrant les plans de ligne, ainsi rendus lumineux. Étude que l'on nous demande de poursuivre aujourd'hui par la recherche et la proposition d'autres types d'éclairages moins coûteux et plus fiables, comme la fibre optique par exemple. Affaire à suivre dont nous pourrons peut-être reparler un peu plus tard...

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Un siège "assis/debout" fut également développé, pour répondre au problème habituellement rencontré dans la plupart des modes de transports urbains souvent figés, aux heures dites de pointe, comme aux autres qualifiées dʼheures creuses. Avec COMPIN, avec qui nous avions déjà développé divers autres sièges, nous avons mis au point un siège palliant à cet inconvénient. Celui-ci présentant une assise relevable permettant d'accueillir beaucoup plus de voyageurs aux heures de pointe, tout en proposant, "en libre-service" un siège confortable, et en intermédiaire un appui appréciable. Et ce sans support au sol, pour en libérer la surface à l'usage d'un bagage, et surtout en faciliter l'entretien. Ce siège nous valut d'ailleurs une distinction - un Janus de l'Industrie - qui ne décida pour autant la RATP. Trop cher... Sinon les Japonais ont pourtant fait une expérience similaire avec des sièges rendus utilisables à la discrétion du conducteur, décidant l'usage ou non de ceux-ci. Ce qui conforte ma conviction. Mais comme on le sait nul n'est prophète en son pays, et COMPIN a une filiale au Japon... Pour continuer avec les singularités de ce projet qualifié de BOA, je le rappelle, autant pour l'aisance de s'y déplacer, que pour en faciliter la circulation sur les courbes serrées du réseau parisien. Toujours en ce qui concerne les sièges, nous avons enfin réussi à faire sauter le verrou des habitudes, en proposant comme dans beaucoup de métros du monde, de sʼasseoir en long, facilitant ainsi le flux des voyageurs pour monter, descendre et surtout circuler, marquant ainsi un point à venir,

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MÉTÉOR et autres métros présentant aujourdʼhui un tel diagramme. BBeaucoup d'autres projets moins marquants, nous occupaient aussi comme par exemple du petit appareillage électrique pour une filiale de LEGRAND, pour laquelle nous dessinons fidèlement depuis plusieurs années des appareils de contrôle électriques. Objets qui au contraire de nos habitudes tiennent dans la main et relèvent plus de l'instrument de mesure avec toutes les contingences de la grande série, ses aspects industriels et économiques face aux marchés concurrents. Pour les mêmes, nous avons également dessiné une lampe qui devrait à terme remplacer les bonnes vieilles lanternes, à bord des cabines de conduite des métros parisiens et peut-être dʼailleurs. Pour dʼautres, du matériel hautement technique, comme une console d'enregistrement pour studios professionnels qui nous fit connaître la Corse, où la petite PME qui tentait de développer ce projet original, avait ses bureaux face à la Méditerranée et aux Îles Sanguinaires... Projet intéressant à bien d'autres titres, autant pour ses ambitions technologiques que pour ses aspects de modularité, qui à partir d'une base intégrant un ordinateur, proposait des évolutions donnant toute la singularité à son design. Trop ambitieux néanmoins, pour un marché très étroit où les Anglais sont les maîtres, talonnés aujourd'hui par les Japonais.

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Il fallut un jour se résigner et abandonner avec regret ce projet qui en plus de son "exotisme", nous avait fait pénétrer un monde alliant la magie complexe d'un tableau de bord de Boeing à celui de la musique… Quoi de plus divers finalement que nos occupations. JJ'allais oublier un projet pour la RATP qui m'a beaucoup meurtri, vu l'incompréhension manifeste, c'était en effet bien la première fois que je ressentais une opposition de principe, non pas envers le projet, mais de l'équipe et plus particulièrement de son animateur, au bénéfice d'un choix qui n'était probablement pas fait d'avance, mais fixé à priori sur quelqu'un d'autre. Cet état de fait s'étant depuis reproduit pour des raisons analogues, je crois pouvoir m'autoriser à déclarer à quel point j'émettrai les plus expresses réserves au bénéfice de plus d'objectivité. Nʼallant néanmoins pas plus loin, pour m'éviter de penser quʼentre vedettariat et exercice dʼun métier, il faut choisir. Ce qui pour moi est fait depuis longtemps, non pas sans risques. Revenant au projet, qui en fait en comprenait deux, puisque d'un premier matériel issu du BOA auquel nous avions collaboré, un second en émanait, avec la différence que l'un est conventionnel et l'autre automatique, sans conducteur.

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La RATP ayant proposé pour la première fois à ma connaissance, un cahier des charges où à l'empreinte technique des ingénieurs se superposait celle des gens de marketing. Ainsi cette ambition inhabituelle me fit joindre à l'équipe, un homme de communication, lié au design. Il me semblait en effet indispensable de proposer une réponse qui soit à la hauteur, sinon même la dépassant. Le matériel automatique considéré ne pouvant être qu'inscrit dans une problématique globale de communication en ce qui concerne non seulement le mode lui-même, mais également infrastructures fixes sur les quais des stations. Le cahier des charges faisait d'ailleurs fortement remarquer la nécessité d'établir un dialogue avec le voyageur, en mettant à sa disposition tous les moyens audiovisuels existants. Notre projet en était pénétré, sinon qu'il me fut objecté par une personne ayant quitté la Régie depuis, que sa formalisation reprenait trop le langage de l'émetteur, qui n'attendait finalement qu'un dessin... Nous étions bien évidemment tombés à côté, et à partir de là pour le second projet, tout semblable au premier, le même dialogue de sourd s'engagea. Entre temps MÉTÉOR était né, voulant être bien autre chose qu'un simple mode, et sans vouloir entamer de polémique particulière, beaucoup d'arguments de notre projet initial étaient ainsi devenus des évidences. Pas de chance.

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Il en fut d'ailleurs tout autant pour le funiculaire de Montmartre, dont la RATP souhaitait changer les cabines obsolètes faisant la navette entre le bas de la butte et le Sacré Cœur. Montant un projet répondant à la demande, tout en examinant les lieux comme le contexte, il me sauta aux yeux qu'il paraissait aussi nécessaire de s'attaquer aux deux bâtiments les accueillant. Particulièrement celui situé en haut qui masquait totalement la vue vers le Sacré Cœur. Voyant cela comme une évidence, je proposais simultanément au projet demandé, un dessin totalement transparent de ceux-ci, accueillant deux cabines d'acier poli pour en refléter l'immédiat environnement, sans pour autant s'imposer comme un objet supplémentaire. Mon projet avec ce plus, autant que ceux de mes concurrents ne fut pourtant pas considéré, pour mettre en œuvre des cabines en inox qui tiennent plutôt d'un agressif TGV... et à contrario deux terminaux transparents superbement dessinés par un architecte de talent, François Deslaugiers. De ce côté, une réussite adaptée en tous points à ce lieu si typiquement parisien. CC'est aussi le moment où GEC fusionna avec ALSTHOM ce qui pour certains collaborateurs espérant ainsi un groupe commercialement beaucoup plus offensif, il nous fut demandé de réfléchir à l'usage de caisses deux niveaux autres qu'affectées à la desserte habituelle de banlieue, et ce juste avant semble-t-il que la SNCF lance à son tour des études pour un TGV, lui aussi à deux niveaux.

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Nous entreprîmes une pré-étude qui devait faire l'inventaire d'une utilisation maxima du gabarit, et des nombreuses contraintes d'espace pour un confort long parcours, avec des volumes néanmoins acceptables. Inclus le problème des bagages, toujours aussi mal résolu, du moins en suffisance comme accessible. Une belle étude, elle aussi restée dans nos cartons, car devenant concurrente du client presque unique qu'était encore la Société Nationale. VVenait aussi le temps où le projet du tunnel sous la Manche prenait corps, chantier avançant de part et d'autre des côtes anglaises et françaises pour se rejoindre quelque part à soixante mètres sous la mer... C'est à ce moment que fut lancé par les trois réseaux: BRITISH RAIL, la SNCF et la SNCB, un concours pour le design d'un TGV Transmanche. Trois Anglais, trois Français et trois Belges furent retenus pour présenter un projet. Pensant que nous étions bien nombreux pour répondre et que la réponse était sans aucun doute au milieu de la Manche, nous nous mîmes en tête d'intéresser un de nos concurrents plutôt anglais pour faire projet commun. David Carter de DCA, bureau de design spécialisé dans l'univers du transport ferroviaire en Angleterre, trouva l'idée séduisante et il fut conclu de faire équipe ensemble. DCA est un bureau de design, comme il en existe quelques uns en Angleterre, tenant beaucoup plus d'une multi-entreprise avec

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cellule de création, bureau d'études, ateliers de maquettes et de développement de prototypes. Pas moins de soixante collaborateurs: designers, ingénieurs, maquettistes,... avec des équipements dignes d'une PME bien équipée. Un bon choix tout compte fait et surtout un excellent support pour nous qui n'étions que deux pour prendre en charge une étude dont les délais s'étalaient sur les traditionnels deux à trois mois, pour répondre. Il fut décidé qu'en ce qui nous concernait, nous aurions la charge de la conception du train, aménagements, matériaux et couleurs compris, et que DCA en réaliserait la mise au point, ainsi que le dossier de présentation et les maquettes. S'établit alors entre Paris et Birmingham un véritable pont aérien où les échanges allaient "bon train", pour monter le projet dans les délais impartis. L'entente fut excellente et les réponses apportées prirent rapidement corps. Un peu trop même à mon point de vue, trouvant que nos propositions méritaient sans doute plus de concertation qu'une immédiate réalisation... Retenant pour l'extérieur de la rame, de pas moins de sept cent cinquante mètres de longueur: le rouge et le bleu. Couleurs nationales des deux principaux protagonistes, ce qui tenait pour moi de l'évidence, pensant même que la machine devait présenter pour son passage sous marin, une dynamique dégageant plutôt un excès de puissance rassurant, traduit dans l'immédiat par des dessins et une maquette évocatrice. Quant aux aménagements intérieurs, il me tenait aussi à cœur de proposer un équipement, qui ne crée pas de rupture avec l'avion dont la clientèle du Transmanche était coutumière, et d'autre part un confort faisant par exemple que tout voyageur quelle que soit sa taille, puisse aisément mettre en place ses

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bagages sans que cela ne devienne un exercice de force, tout en indisposant les voyageurs déjà assis. Une vieille idée que j'avais en tête dont j'attendais l'opportunité pour être proposée. Les moyens de DCA m'en donnèrent la possibilité, en réalisant une maquette fonctionnelle qui démontra le bien fondé du propos. Un important travail de dessin, matériaux, couleurs,... fut aussi réalisé, allant même jusqu'à des propositions plus globales intégrant: le service à bord du train, la billettique, les uniformes des agents d'accompagnement, etc... Nous étions en charrette permanente comme on dit dans le métier, l'entente cordiale en plus. Le jour de la présentation à Londres arriva, réunissant les représentants des trois réseaux. David et moi nous partageant les deux langages pour exposer le projet proposé. Je dois dire qu'en sortant, je n'avais aucune idée de l'appréciation qui en avait été faite. Français, Anglais et Belges étant restés de marbre. Était-ce voulu, ou l'enthousiasme nous concernait-il seulement ? Quelques jours plus tard nous en avions la clef, il n'y avait pas de lauréat déclaré, mais un chef de projet qui serait Français - Roger Tallon - chargé plus particulièrement des aménagements intérieurs, un Anglais retenu pour le dessin de la rame - Garrard - et un Belge pour le reste. Un cocktail qui nous fit rapidement comprendre qu'en nous alliant, nous avions faussé le jeu faisant que si l'on choisissait l'un, l'autre devait l'être aussi. Ce qui avait heurté semble-t-il, la

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façon de voir de la SNCF et de BRITISH RAIL réunis. Une grande déception. EEn ce qui me concerne m'étant mis en tête de participer coûte que coûte "au plus grand chantier du monde" et ayant perdu cette première manche - sans mauvais jeu de mots - j'étais à l'écoute pour faire quoi d'autre... Quand j'appris que le tunnel de service devait être doté d'engins routiers filo-guidés devant assurer l'entretien, la sécurité, et les premiers secours en cas d'incident majeur. Je contactais à Londres les responsables de ce système pour le moins paradoxal en milieu ferroviaire, afin d'en savoir plus. J'appris qu'un cahier de spécifications était en cours de rédaction, et qu'il y était stipulé que les industriels sollicités devaient faire appel à des designers. On me promit de me tenir informé et quelques temps après jʼappris que ce lot avait été directement attribué à MERCEDES, qui a comme on le sait, ses propres bureaux de style. Deuxième déception. Pendant ce temps les travaux avançaient à grands pas, quand fin 1991, je rencontrai un ingénieur de SPIE BATIGNOLLES avec lequel j'avais lié connaissance à Caracas, qui me dit que les gens chargés du Contrôle et des Communications recherchaient un designer pour mettre en forme cet important programme.

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MMais avant de venir à ce qui va me prendre pas mal de pages, je voudrais faire part d'une idée mise à exécution, voyant passer sous mes yeux un article dans une revue mentionnant que la Région Île de France organisait une manifestation à Pékin, auxquels nombreux industriels français devaient participer, et que cela ne s'adressait pas seulement à de grands groupes, mais aussi à des PME-PMI. Je décidais donc d'être du voyage, non pas pour tenter de travailler en Chine, ce qui me paraissait difficile ou prématuré, mais avec l'idée que sur place j'aurai le loisir et la facilité de rencontrer tous les Français présents réunis, plus facilement qu'en sonnant à leur porte. Chose dite, chose faite, après quelques réunions préparatoires ce fut l'envol pour Pékin, via Hong Kong et quinze jours sur place, où effectivement je pus lier connaissance avec les représentants de BOUYGUES, GAZ de FRANCE, ALCATEL, MATRA,... mais aussi d'architectes, d'industriels du milieu médical et même d'un fabricant de paratonnerres! L'occasion dépaysante de visiter Pékin, de rencontrer quelques industriels et entrepreneurs locaux, et même de visiter l'école des Beaux Arts pour faire la connaissance de ses responsables. Celle-ci comprenait, une section d'arts décoratifs, de textiles,... et même de design... Un tour sur la Grande Muraille, imposante, et au retour un arrêt à Hong Kong, nez en l'air pour découvrir les impressionnants buildings de Foster et de Pei, ainsi qu'un exceptionnel métro, qui déjà présentait l'originalité fonctionnelle que la RATP devait mettre en ligne à Paris dans les cinq ans à venir...

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Enrichissant, non pas comme je l'avais imaginé, car une fois rentrés à Paris, tous les contacts établis en restèrent là. Un voyage d'études somme toute, sans plus. CCe fut aussi le début d'une longue collaboration avec la Marine Nationale, pour en premier lieu nous préoccuper des zones de vie à bord des sous-marins nucléaires de nouvelle génération, en construction à Cherbourg. Univers contraint et confiné où plus de cent hommes vivent pendant soixante-dix jours sans refaire surface. Espaces restreints devant être optimisés, où par exemple, je ne pense pas trahir un grand secret militaire en indiquant que le carré proposé est tout semblable à celui du capitaine Nemo de Jules Vernes, avec vue sur les profondeurs,... remplacée là par une grande verrière éclairée artificiellement. Le pari était audacieux, sous réserve de satisfaire aux essais balistiques auxquels en seraient soumis les différents éléments. Pari tenu, sinon pour l'anecdote, que le transporteur qui en assurait la livraison fit de la casse en descendant les caisses de son camion ! A propos de secret militaire, une enquête administrative fut diligentée par les autorités concernant deux collaborateurs de VECTEUR devant accéder à différents documents indispensables à nos études, comme à des lieux du chantier naval classés "secret ou confidentiel défense" et ainsi de nous permettre de circuler à bord durant la construction du premier de la série des SNLE "Le Triomphant" (4 étant projetés à

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lʼépoque, et 3 étant finalement construits, économie oblige tout comme le Charles De Gaulle qui faillit bien un moment et pour les mêmes raisons, prendre le même chemin malgré lʼinsistance des militaires et les nécessités de remplacement dʼunités devenues obsolètes). Moi-même et un autre collaborateur de notre équipe fûmes ainsi classés "Confidentiel Défense". Recherches également sur les couleurs et leur perception en lieux clos, ainsi quʼune certaine mobilité donnée à des espaces jusqu'à présent figés, disposition appréciée qu'il est prévu de reconduire sur dʼautres bâtiments. Pour les mêmes, nous menons aussi d'autres études, dans le but d'améliorer le cadre de vie et l'habitabilité sur porte-avions et frégates en construction. Tels des projets dʼaménagements pour le porte-avions Charles De Gaulle, pour lequel nous avons finalement été retenus en ce qui concerne la mise en place dʼune signalétique de sécurité concernant lʼensemble du navire comprenant pas moins de 16 ponts, dont certains quartiers ne correspondent pas directement ensemble par évidente sécurité. Bête noire en cas dʼincendie à bord et de nécessité dʼévacuation urgente, comme de cantonnements de protection mobilisant toute lʼattention des autorités à lʼécoute de lʼexpérience américaine ou anglaise, bien souvent partenaires dʼétudes communes. Rappelant également que sur un navire de ce type, pas moins de 2000 hommes à bord, et ainsi plusieurs populations aux activités diverses se côtoient. Ne serait-ce que marins et aviateurs dont la culture comme les occupations sont lointaines. Mise en place faisant également lʼobjet dʼune réflexion plus globale représentant un futur en vue de son application sur des

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bâtiments à venir… comme de rencontres avec des hommes dʼexception, avec lesquels le dialogue est ouvert vers d'autres et lointains horizons. MMais également, ce qui allait devenir prémonitoire, en ayant toujours le plus ferme espoir de participer coûte que coûte au projet du tunnel sous la Manche, pour entre temps aborder des études de mobiliers de contrôle aérien assurant la surveillance et le guidage des avions en vol, ainsi que lʼéquipement de tours de contrôle avec la SEEE et le Ministère de lʼAviation Civile. JJ ʼai aussi entamé dans le même temps pour le compte de la RATP, une étude dont les paramètres étaient nouveaux, puisqu'il s'agissait non pas de construire, mais de rénover un matériel datant des années 60 (1959 exactement). Rénovation ne signifie pas de tout remettre à plat, mais proposer des signifiants ergonomiques et esthétiques suffisamment forts pour être capables à la fois de s'inscrire dans une actualité industrielle renouvelée pour les quinze ans à venir, comme dans une réalité économique obligatoirement concurrentielle. Projet réussi, puisqu'il me fut rapporté que peu de temps après sa mise en service, les parisiens avaient cru à un nouveau matériel. Il faut dire que sans budget exceptionnel, nous avons repris des aspects techniques fondamentaux comme l'éclairage et la ventilation qui faisaient date. Éclairage, remplacé par un module dont le dessin largement rayonné

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donne aujourd'hui une ambiance lumineuse attendue, tant au plan du confort qu'à celui de la sécurité. Quant à la ventilation, celle-ci avait été initialement complètement ratée, on pourrait même dire sans jeu de mots, qu'elle était "décoiffante". Ce qui nous amena à concevoir, un ensemble de fanons laissant passer beaucoup plus modérément l'air capté à l'extérieur. Je passe sur le dessin des sièges qui deviendra un standard RATP, les couleurs et les matériaux choisis également en conséquence de l'usage, comme pour le simple agrément du voyageur. A l'extérieur, caisse et surtout bout avant marquaient bien leur époque, ce qui après une légère reprise de tôlerie et l'application d'un demi jonc métallique de grand diamètre à sa périphérie, tout en ayant recours à une couleur augmentant visuellement le pare brise, on se trouve bien en présence d'un tout autre et nouveau design. Ce matériel circule d'ailleurs avec succès sur la ligne 1, depuis sa prolongation jusqu'à La Défense. TToujours dans le même univers, je fus appelé, à Rouen, où un projet de tramway était dans l'air. Je rencontrais le secrétaire général du SIVOM qui m'indiqua que bien évidemment à Rouen comme ailleurs, le climat politique était loin d'être serein sur le projet, avec non seulement l'opposition habituelle mais aussi de clivages à l'intérieur d'une même tendance. C'était la première fois que j'affrontais une telle situation, ce qui me stimula, candide que je pouvais être alors...

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Le secrétaire général fut remplacé quelques temps après, et sans me laisser décontenancer, je repris mon bâton de pèlerin et en toute innocence je fis à nouveau le tour des personnalités impliquées. Après quelques mois, et multiples allers et retours, je compris que pour certains le profil et l'expérience de VECTEUR convenait. Quant à d'autres ils y étaient résolument hostiles, avec probablement dʼautres idées. On me demanda pourtant de faire non seulement une proposition, mais également d'indiquer comment j'envisageais de conduire le projet. Il ne s'agissait rien de moins que de prendre la responsabilité globale de l'opération pour lui donner une image, réaliser le mode lui-même appelé métro pour sa traversée souterraine sous la ville historique, tout en vertébrant l'ensemble des transports de l'agglomération. Mais aussi de concevoir lʼaménagement des stations et les haltes, l'environnement de la ligne dans l'urbain traversé, l'information et le repérage, etc... Une magnifique étude, probablement difficile à mener dans sa nécessité de coordonner maîtres d'œuvre et d'ouvrage, de composer avec les politiques, l'exploitant, etc... J'exposais quelques temps après ma proposition devant un aréopage attentif et intéressé, le coût global avancé ne faisant pas l'objet de commentaires. On éprouva toutefois ma compétence et ma pugnacité devant tout événement...

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Je rentrais à Paris, à attendre les délibérations, comme mes concurrents qui n'étaient autres que Tallon et Philippe Nermann. Je fus convié quinze jours après, en présence de l'architecte chargé des infrastructures, ainsi que du responsable des transports au SIVOM, Pierre Bourguignon, qui me dit d'emblée qu'il souhaitait travailler avec moi et me confiait la mission qui m'avait été proposée. Il y a des moments on ne revient pas immédiatement de ce qui vous est annoncé, mais il fallait néanmoins commencer très vite, choisir un constructeur qui n'était pas encore tout à fait décidé. Ce qui me fit oublier qu'autour de moi le terrain était déjà miné. Pendant plusieurs mois les choses avancèrent normalement. Au plan technique, comme au plan des intervenants représentants élus et autres responsables. L'entente était même assez cordiale, et ce jusqu'à la présentation publique de la maquette du véhicule. Là l'hostilité de l'architecte se révéla, les représentants du SIVOM semblèrent prendre quelque distance et même les techniciens de base commençaient à nous éviter... Rien de plus désagréable, là ou ailleurs, surtout lorsque rien ne vous est dit en face, mais où l'on sent très bien que quelque chose se passe à votre insu. J'appelais et rencontrais les personnes perçues comme étant les plus proches de notre projet et à qui je pouvais m'ouvrir en toute franchise. On me conseilla de continuer ma mission

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comme prévue. Quand enfin le responsable technique du projet me fit part d'un changement d'idée émanant des plus hautes instances, qui sans mettre en doute les qualités de VECTEUR, avaient l'intention de faire entrer dans le projet d'autres partenaires, garantissant néanmoins que certaines de nos propositions seraient conservées et appliquées. Cela dura six mois pendant lesquels les relations devinrent de plus en plus difficiles, rencontres reportées ou différées,... pour m'apercevoir enfin que nous étions totalement doublés et mis progressivement sur la touche. Continuant néanmoins nos travaux, puisque personne n'avait eu le courage de venir ouvertement me faire part de quoique ce soit. Pendant ce temps sʼinstaurait et se réalisait un projet parallèle... Je pris alors conseil, pour la première fois de ma vie professionnelle, auprès d'un avocat qui me recommanda d'honorer nos prestations, puisque rien ne nous avait été signifié officiellement. Ce n'est que six mois encore plus tard, qu'un courrier me parvint pour m'indiquer que le maître d'ouvrage - étranger comme il se doit à cette manipulation - avait émis le désir de changer de consultant, bien qu'aucun reproche ne nous soit fait, et qu'en conséquence nos comptes seraient soldés sans autre recours pour les prestations et travaux réalisés depuis que décision fut prise. Sans oublier non plus que nous étions venus troubler les ambitions provinciales du cabinet dʼarchitecture local chargé de la réalisation des stations, qui vraisemblablement avait une tout autre idée de celles-ci en regard de ce que nous proposions…

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Seul dʼailleurs, le député-maire de Sotteville, avait une idée moderne et adéquate dʼun réseau de transport public, en imposant un architecte italien - Alessandro Anselmi - pour dessiner le terminus du métro dans sa ville. Terminus lié dʼailleurs à une opération dʼaménagement global qui devrait réunir plus tard, celui-ci à la place devant lʼhôtel de ville, seule chose réussie dʼailleurs, comme originale du réseau. Pour le reste, Rouen nʼa retenu quʼun environnement urbain bien neutre : stations, etc… tout comme les dernières vitrines du Louvre… L'affaire est aujourd'hui dans les mains de la justice, inutile d'ajouter que c'est aussi la première fois de ma vie professionnelle comme personnelle que j'intente un procès. Il a fallu six ans avant que celle-ci sʼen empare, en nommant un expert qui rapidement semble démontrer du bien fondé de notre réclamation. Cela, sans évidemment compter le trou créé dans les finances de VECTEUR, la référence qui nous échappe… Et par ailleurs, le surcoût de l'opération comme l'ont écrit deux responsables du projet dans un ouvrage qui vient de paraître. Mais comme à l'habitude les contribuables sont là pour payer, le savent-ils d'ailleurs ? JJ 'en arrive enfin au tunnel sous la Manche qui pour VECTEUR fut un projet des plus importants comme exemplaire, tout à la mesure de l'entreprise. S'agissant de la surveillance comme du bon fonctionnement du système, mais aussi pour l'essentiel de

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la circulation des trains, du chargement des navettes aux deux terminaux, et de la sécurité. A cette occasion nous allions sans doute mettre de nouvelles cordes à notre arc, complémentaires à celles de designer industriel et prendre le virage pour laisser définitivement la table à dessin au profit de la console informatique. Comme je le disais plus avant, il me semblait important de participer au "plus grand chantier du monde", ou du moins donné comme tel. Me voilà donc débarquant un beau matin près de Londres au siège d'EUROTUNNEL et de TML son contractant. Le projet que l'on m'exposa était complexe, dépassant ce qui nous était habituellement proposé, passionnant et allant même au-delà des compétences d'un designer industriel de bon niveau puisqu'il s'agissait entre autres, de faire rouler des trains... Passionnant, c'était bien le bon qualificatif, et nouveau, totalement nouveau, s'agissant de pénétrer au cœur d'un système, l'imaginer et en réaliser l'étude en vue de son exécution. Les négociations durèrent plusieurs mois, avec multiples voyages et propositions qui étaient minutieusement disséquées et amendées de nouvelles demandes. Ce qui finit par me faire rendre compte que l'aventure comportait un tel risque, qu'il était temps de trouver un partenaire ou d'abandonner. Et pourtant entre-temps nous avions largué notre concurrent et restions seuls en lisse.

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Quand, rentrant une nouvelle fois de Londres, où mes interlocuteurs n'avaient pas manqué de me convaincre que si j'acceptais de prendre en charge la conception et la réalisation de l'ouvrage à Folkestone, ils étaient prêts à signer immédiatement un contrat. Le lendemain matin le téléphone sonna avec au bout du fil un garçon que j'avais connu à Caracas - Serge Soler - de SOFRETU, qui ayant appris mon intérêt pour ce projet, me proposait de faire route ensemble. Il ne pouvait bien évidemment pas mieux tomber, j'avais ainsi l'exploitant ferroviaire qui faisait défaut aux compétences de VECTEUR, et ensemble nous pouvions réaliser ce autour de quoi je tournais depuis un moment, sans solution satisfaisante. J'appelais immédiatement les gens du tunnel pour leur faire part de cette proposition. Convaincus sur le champ, ils me proposèrent un rendez-vous commun au cours duquel nous devions faire une offre définitive. En quelques jours, celle-ci fut établie et dans l'aller-retour d'une longue journée, nous signâmes la promesse d'un contrat commun, avec une exigence qui me fit un énorme plaisir, marquant ainsi toute la confiance que j'avais établie au cours des mois qui venaient de s'écouler. Particulièrement avec un Français - Jean Michel Erbin - qui depuis est devenu lʼun des directeurs du métro à Lyon. C'était tout simplement que le contrat soit signé au nom de VECTEUR comme responsable en titre du projet auquel SOFRETU serait associé. La fin des travaux et l'inauguration du Centre de Contrôle Principal à Folkestone a d'ailleurs scellé au mur un panneau où toutes les entreprises, internationales et importantes pour la plupart, ayant participé à ce projet sont mentionnées:

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CEGELEC, BOUYGUES, WIMPEY, BALFOUR BEATTY, CSEE, MOTOROLA, SOFRETU... et VECTEUR en dernier, par ordre alphabétique. Mais revenons au projet, qui reste à faire, et nous occupa trois ans pleins. Il fallut d'abord définir et écrire l'ensemble des spécifications qualifiant le projet et sa réalisation, les soumettre à TML et EUROTUNNEL et rentrer ainsi de plein pied dans la complexité d'un monde technique où représentants de la SNCF, de BRITISH RAIL, les autorités françaises et anglaises,... s'opposaient, bien qu'il s'agisse de réaliser un projet commun, qui chez chacun n'auraient posé problème. Mais nous étions sous la Manche et même si l'effort concourrait au même but, les subtilités nationales réapparaissaient au galop. Épuisant certains jours. Sans compter le nombre de traversées effectuées dans les deux sens à toutes époques, et pour ma part n'ayant pas le pied marin avec la plus grande appréhension... Je n'ai pourtant jamais éprouvé le mal de mer. Des spécifications, nous passâmes ensuite aux avant-projets qui revêtaient trois aspects. L'architecture et l'aménagement des salles à Calais et Folkestone, concernant à la fois le fonctionnement technique du tunnel et la conduite des trains depuis la salle principale en Angleterre, le chargement des véhicules sur les navettes, et la sécurité en cas de gros pépin, avec accueil des autorités.

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La définition et l'ergonomie des pupitres des opérateurs, comme l'intégration des équipements techniques au plan fonctionnel, tenant compte que le tunnel fonctionne vingt quatre heures sur vingt quatre.

Le tableau de contrôle optique de vingt-quatre mètres sur trois mètres cinquante de hauteur à Folkestone, qui était aussi sous notre responsabilité, avec le dessin de sa face active, comme des signes et symboles qui l'animent. Et plus tard les images sur écrans des opérateurs, en accord avec le tableau mentionné. Les réunions à Paris, Londres et Folkestone ou Calais se succédaient à un rythme soutenu pour concevoir, organiser et suivre cet important chantier qui développa entre VECTEUR et SOFRETU des liens professionnels et amicaux créant une véritable estime de complémentarité. Ce fut ensuite la mise au point des projets, qui comprenaient rien de moins que :

Les salles elles-mêmes et leurs aménagements, compte tenu qu'à Folkestone par exemple, le bâtiment de contrôle était construit sur la boucle permettant aux trains arrivant de France de repartir dans le bon sens. Ce qui nécessita des études acoustiques, aucune étude nʼayant été menée au préalable...

Les pupitres et leurs équipements, initialement conçus dans nos premières études, pour être métalliques et qui pour des raisons qui nous échappent encore, furent réalisés en bois, ce qui nécessita de multiples adaptations...

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Le tableau de contrôle et l'imagerie sur écrans pour

lequel il fallut décider d'une technologie, mais aussi concevoir le dimensionnement, le dessin de la face active et la définition des pictogrammes, comme des symboles. Son paramétrage, c'est-à-dire la définition des équations logiques incluses au logiciel informatique de fonctionnement du tunnel et du suivi des trains. Ces travaux n'auraient pu s'initier, se développer et se finaliser sans avoir recours de notre part à une forte informatisation de nos moyens de production, dont la finalité représente multiples dossiers, ce projet étant de loin pour VECTEUR, le plus complet abordé à ce jour, tant au plan conceptuel, qu'à celui des technologies assemblées. Projet qui nous propulsa aussi dans une équipe internationale multiple. Occasion de rencontres nouvelles comme de pousser la porte de professionnels auxquels notre participation à des travaux précédents ne nous avait encore donné accès. Multiplicité également de tâches partagées avec des hommes dont il a fallu assimiler les nouveaux besoins, comme avec lesquels pour certains, au moment de "tourner la page", nous ressentîmes plus quʼà lʼhabitude une certaine nostalgie de fin de voyage, lors de la dispersion des amitiés nouées ici.

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DDe facto, cette reconnaissance de compétences nous vaut d'utiliser maintenant ce nouveau savoir-faire pour des projets présentant des similitudes, comme par exemple récemment pour la RATP l'étude d'un programme certes moins ambitieux, mais néanmoins d'importance puisqu'il s'agit de la Permanence Générale des Réseaux Fer (métro, RER, tramway) et Routier (autobus) aménagée lors de la construction du nouveau siège à Bercy, qui gère et observe l'ensemble du trafic parisien et de la région. Ou bien encore avec plus d'équivalence aujourd'hui à Hong Kong, où sous la conduite de THOMSON - SYSECA, nous développons actuellement un projet pour la nouvelle ligne ferroviaire entre la ville et l'aéroport en construction de Chek Lap Kok. En envisageant cette fois, l'assimilation d'une toute autre culture représentée par l'ingénierie sud asiatique locale, soumise à une forte influence anglaise loin de s'être éteinte au lendemain, l'an dernier, de la remise du territoire aux autorités chinoises. Projet ambitieux, tout à l'image des nouvelles métropoles asiatiques, représentant une salle de contrôle en hémicycle de pas moins de cinquante mètres de diamètre et près de dix mètres sous plafond. Salle intégrant un tableau de contrôle - immense écran panoramique à disposition des opérateurs chargés du fonctionnement du système - de vingt mètres de longueur..., mais aussi de sept autres salles jalonnant les trente-quatre kilomètres du parcours. Architecture, aménagements, éclairage, acoustique, mobiliers spéciaux et équipements, telles sont nos préoccupations dans ce projet qui intègre aussi la conception de l'imagerie, du dessin du réseau et des symboles qui l'animent.

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De Hong Kong, nous faisons maintenant un bond pour une nouvelle aventure du même type à Singapour, où également l'extension du réseau existant nécessite constructions et aménagements nouveaux permettant de réguler un système lui aussi en expansion. Le métro de Lyon s'est aussi attaché récemment notre compétence pour reprendre les opérations de contrôle du réseau dont les extensions et prolongations nécessitent des aménagements nouveaux, devenus fondamentaux. Les technologies se modifiant, ceux-ci sont amenés à se transformer comme à s'adapter en permanence. LL'ensemble de ces travaux nous amenant à développer des réponses qui intègrent celles de l'expertise et de l'ingénierie internationale, ne nous empêchant pas bien évidemment d'entreprendre et de suivre des projets plus traditionnels, comme par exemple l'étude de futures voitures lits pour la SNCF. Et même plus cosmétiques, où la sensibilité du métier n'est pas exclue, en y exerçant des qualités graphiques, comme pour les nouvelles couvertures des trains de nuit, qui emmèneront le voyageur parmi les étoiles d'une constellation... Rêve ou progrès, en tout cas changement de look séducteur. En ce qui concerne l'étude de voitures lits, nos propositions comprenaient des aménagements beaucoup plus près des attentes du client-voyageur, comme de plus d'intimité représentée par une douche et des toilettes privées, mais aussi

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dʼun confort comprenant diverses aménités peu répandues pour une clientèle difficile à cerner, sinon encore existante? A ce jour la SNCF n'a toujours pas su répondre et le projet est resté dans ses cartons comme dans les nôtres dʼailleurs et c'est peut-être finalement mieux que BRITISH RAIL qui ayant construit un certain nombre de ces mêmes voitures qui n'ont jamais roulé, cherche maintenant à les vendre… Ou bien encore l'image spécifique des TGV assurant la liaison entre Paris, Lausanne, Berne et Zurich au sein d'un GIE Franco-Suisse réunissant Chemins de Fer Français et Suisses, pour créer un produit ciblant une clientèle internationale. Ni française, ni suisse mais au contraire de touristes faisant un tour d'Europe. En dehors de l'image, c'est surtout aux aménagements intérieurs qu'il nous sembla nécessaire d'apporter un confort rapprochant les deux classes habituelles, pour en atténuer sensiblement la différence. En effet est-il souhaitable de tirer d'un côté par le haut, pour faire l'inverse par ailleurs, même si le prix du billet reste différent. Surtout aujourd'hui, où plus personne ne voyage aux mêmes tarifs, "tour-opérateurs" obligent, puisque souvent un billet fait partie d'un tout, séjour compris. Et demain autres projets, des trains pour un pays de l'Est, la Pologne, qui souhaite amener ses propres matériels à des standards identiques à ceux de la plupart des réseaux occidentaux, Taïwan aussi, si le projet français pour un TGV reliant le nord au sud de lʼîle est définitivement entériné, etc…

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VVoilà donc notre quotidien, avec les projets qui nous sont proposés, imaginés et prospectés. Sans doute le moins facile, mais cela fait aussi partie du métier... S'agissant de prendre ceux-ci suivant leur spécificité et leur originalité toujours renouvelée, d'en assurer conception et développement jusqu'à une réalité que je qualifierai de virtuelle... Ce qui n'est pas foncièrement nouveau, tous les métiers de création nécessitant une représentation de l'avant réalité. D'autres étapes suivent, je crois les avoir abondamment relatées pour ne pas y revenir, et puis un jour les projets nous échappent pour vivre par eux-mêmes... devenus produits de consommation, biens dʼéquipements ou autres... UUn mot encore, sinon une expérience toute nouvelle, faisant la rencontre par lʼintermédiaire dʼun ami commun, des responsables et animateurs du "Pôle Universitaire Metz, Nancy, Strasbourg", confronté cette fois à un monde étudiant envisageant des études de design et dʼingénieur. Pénétrant ainsi un univers dʼintérêt, de questionnement et autre… devant de futurs professionnels avides dʼen savoir plus sur lʼinconnu ou même les mystères dʼun métier. Jʼy fis pendant quelques petites années dʼintervenant épisodique, multiples interventions, noircissant même du papier pour une revue nouvellement créée.

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CITÉ DES SCIENCES ET TECHNIQUES DE LA VILLETTE, le planétarium.

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DASSAULT ÉLECTRONIQUE, automates dʼachat et enregistrement de billets dʼavion photo DASSAULT ÉLECTRONIQUE.

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RATP, projet "MÉTÉOR" ligne 14 et MP 89 ligne 1 du métro parisien.

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COMPIN, siège assis / debout, pour matériel de transport public.

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TML - EUROTUNNEL, salle de contrôle du tunnel sous la Manche à Folkestone.

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SNCF, couvertures pour les trains de nuit..

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"Ecrire est aussi un voyage…" Jean Duvignaud

TTout ouvrage nécessite une conclusion, je n'échapperai donc pas à la règle pour répondre à la question, c'est quoi au juste la profession de designer industriel ? Sinon, gérer la retassure d'une pièce moulée, donner du grain à la même pour palier à un défaut d'aspect... ou bien encore donner son consentement à une couleur pas exactement respectée, qui entraînerait dans le cas d'un refus ou d'un ajournement, des conséquences industrielles et économiques devant lesquelles il faut avec regret plier... et non pas comme on le croit trop souvent ou encore l'écrire: réinventer le monde... Le voilà le vrai quotidien, recommencé chaque jour. Prenant néanmoins un peu plus de recul, j'ajouterai, "le design... plutôt que le définir, il faut le vivre". Pour ma part, cela représente d'essayer de donner des habitudes de pensée aux clients et entreprises avec lesquelles je travaille. C'est aussi donner forme à un process industriel autant qu'à une idée, tout en conservant à l'esprit que l'on est rarement seul à décider et que l'on ne représente jamais qu'un tout partagé avec d'autres, quelquefois beaucoup d'autres, formant équipe.

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Enfin sans vouloir dresser un tableau exhaustif du design, je rappellerai des moments qui m'ont paru les plus marquants, comme par exemple l'Italie des années 60 où l'industrie s'est mobilisée pour faire un effort considérable de conception, comme de présentation des produits industriels et grand public. Pourtant, observée de l'intérieur, la rue et les Italiens sont comme ailleurs et n'a-t-on pas trop souvent confondu palais et autres représentations de la Renaissance avec design, pour accorder à ce pays une qualité particulière. Sinon, l'observation d'une volonté de s'inscrire dans l'époque et d'en faire part, à travers une industrie créatrice où le design a su faire valoir ses lettres de noblesse pour ne pas seulement n'en dépasser que l'apparence. Le Japon aussi, où les efforts conjugués des industriels à ceux du MITI - Ministry of Trade and Industry - ont réalisé des produits qui courent le monde, de l'appareil photo en passant par SONY, etc... Et depuis, en dépit de ses problèmes, le Japon est, toujours et de loin, la première économie asiatique et sans doute le restera-t-elle. Et la France, qui marque encore aujourd'hui une absence presque totale de stratégie industrielle, en s'éveillant à peine au design. Même si beaucoup trop pourtant en parlent... Qu'il s'agisse en premier lieu de l'État, des industriels eux-mêmes qui commencent seulement à ressentir la nécessité d'un besoin face à la concurrence. Europe oblige... et pourtant déjà en danger malgré le bruit fait ici, comme lʼintérêt quʼy portent ministères, para-institutionnels ou encore organismes de promotion revendiquant de leurs bons services autour du couple industriel/designer. Tous relayés quʼils sont aussi, par

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certains dans nos rangs, dont lʼobsession de faire seulement du vent alors que tout ronronne, aggrave encore une situation dont lʼavenir est probablement bien aléatoire face aux directives, lois et autres arrêtés européens, exacerbant une concurrence de plus en plus sauvage comme étendue, sans avoir pris soin de garantir un métier dans des conditions normales dʼexercice dues à toute profession. Notre combat est sur ce front, alors quʼil en est tout juste encore temps avant que tout soit bouclé sans nous, pour sortir de la crise institutionnelle qui marque encore en France le design, et que déboulent toujours sur le marché des objets aux formes improbables. Ce nʼest pas en effet, phénomène de mode essentiellement, si ceux-ci passent pour un temps des formes molles aux plus géométriques, pour devenir ensuite "bio" et aujourdʼhui "new edge design",… parées de surcroît de tous les adjectifs de convivialité, sympathie,… prenant le pas cette fois sur la technique à nouveau camouflée et dont chacun se moque. Il semble temps de redonner aux produits des codes identitaires, car ce nʼest pas non plus la couleur ou la non couleur, qui jouant présence ou disparition, donne une qualité à ceux-ci. Quʼest-ce qui frappe plutôt aujourdʼhui, sinon la découverte et lʼénorme potentialité de matériaux originaux comme inédits, dotés de propriétés nouvelles : électriques, magnétiques ou mécaniques, capables de produire industriellement des objets destinés au marché et dont lʼusage à venir ne peut laisser le design indifférent au profit de choix restés encore trop souvent esthétiques. Qui de la mémoire pour certains reprenant forme, se réparent pour dʼautres en étant auto-cicatrisants, ou bien encore sensibles avec la vertu de modifier leur apparence…

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Je crois le design bien à côté, et sans nostalgie aucune, je saluerai la rétrospective récente de lʼépopée PRISUNIC dans les années soixante, dynamique et protéiforme. Certes lʼépoque nʼest plus la même, mais PRISUNIC avait bien approché du but, craignant bien quʼaujourdʼhui on ait raté la cible… Et aussi bien entendu de l'enseignement public ou privé et de la rue, qui cède à la mode, dont tout au plus le design est affublé. Plus récemment la remarquable exposition, passée sans doute trop inaperçue : "JOE COLOMBO, lʼinvention du futur" Quel bel hommage, rien nʼest à ajouter. Avons-nous encore longtemps droit à l'erreur, et allons-nous enfin planter le décor... pour répondre à l'imaginaire du consommateur, tout en admettant une logique de production industrielle pas obligatoirement liée d'ailleurs à celle de la consommation et du consommateur tout irrationnel quʼil puisse être.. J'en suis convaincu, quel beau métier... Pour terminer, je rapporterai une anecdote où François Mathey, le merveilleux conservateur qui a ouvert le Musée des Arts Décoratifs à l'objet quotidien comme au design, et qui allant de sa malice habituelle, lors d'un colloque organisé par notre Société Nationale des Chemins de Fer, posa candidement la question: "Quel est l'éminent cheminot qui a imaginé la mise en garde marquant chaque passage à niveau - ATTENTION, UN TRAIN PEUT EN CACHER UN AUTRE" ?

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1997-1998 nouvelle édition 2011

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