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Micromégas La Princesse de Babylone Voltaire Livret pédagogique correspondant au livre élève n° 48 établi par Véronique Le Quintrec, agrégée de Lettres modernes, professeur en lycée

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Micromégas – La Princesse de Babylone

Voltaire

L i v r e t p é d a g o g i q u e correspondant au livre élève n° 48

établi par Véronique Le Quintrec,

agrégée de Lettres modernes, professeur en lycée

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Sommaire – 2

S O M M A I R E

A V A N T - P R O P O S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

T A B L E D E S C O R P U S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

RÉ P O N S E S A U X Q U E S T I O N S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

Bilan de première lecture (p. 186) ..................................................................................................................................................................5

Chapitres VI et VII de Micromégas (pp. 25 à 35).............................................................................................................................................6 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 36 à 38) ..............................................................................................................................6 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 39 à 48) ...............................................................................................................10

Chapitre III de La Princesse de Babylone (pp. 65 à 75) .................................................................................................................................15 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 76 à 78) ............................................................................................................................15 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 79 à 90) ...............................................................................................................17

Chapitre XI de La Princesse de Babylone (pp. 143 à 157) .............................................................................................................................22 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 158 à 160)........................................................................................................................22 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 161 à 169) ...........................................................................................................26

C O M P L É M E N T S A U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32

Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2008. 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15. www.hachette-education.com

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Micromégas & La Princesse de Babylone – 3

A V A N T - P R O P O S

Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…). Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Micromégas et La Princesse de Babylone permettent d’étudier l’argumentation, d’une part, au programme des classes de Seconde et de première, et le mouvement des philosophes des Lumières, d’autre part. C’est aussi le moyen d’aborder la question du genre du conte philosophique et d’illustrer le récit qui doit être revu en Seconde. Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois : – motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ; – vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture. Cette double perspective a présidé aux choix suivants : • Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine compréhension. • Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe, notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus. • En fin d’ouvrage, le « dossier Bibliolycée » propose des études synthétiques et des tableaux qui donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte… • Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc), il comprend : – Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre. – Des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder en classe à une correction du questionnaire ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte. – Des corpus de textes (accompagnés le plus souvent d’un document iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse des textes (et éventuellement de lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires. Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.

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Table des corpus – 4

T A B L E D E S C O R P U S

Corpus Composition du corpus Objet(s) d’étude et niveau(x)

Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques

Voltaire, l’apôtre de la tolérance (p. 39)

Texte A : Extrait des chapitres VI et VII de Micromégas de Voltaire (p. 29, l. 448, à p. 33, l. 532). Texte B : Extrait de la lettre I des Lettres philosophiques de Voltaire (pp. 39-40). Texte C : Extrait du chapitre VI du Discours sur l’homme de Voltaire (pp. 40-42). Texte D : Extrait du chapitre I du Traité sur la tolérance de Voltaire (pp. 42-44). Texte E : Extrait du chapitre XXIII du Traité sur la tolérance de Voltaire (pp. 44-45). Document : « Plus jamais ça ! », affiche de 1945 (pp. 45-46).

Le récit. (Seconde) Démontrer, convaincre et persuader. (Seconde et Première) Un mouvement littéraire et culturel du XVIIIe siècle. (Première)

Question préliminaire Repérez et reformulez de manière synthétique les arguments en faveur de la tolérance, avancés de manière explicite ou implicite dans chacun des documents. Commentaire Vous ferez le commentaire du texte E en montrant que Voltaire emprunte des caractéristiques d’une prière religieuse. Puis, vous dégagerez quels sont les enjeux philosophiques de cette prière.

Une utopie orientale (p. 79)

Texte A : Extrait du chapitre III de La Princesse de Babylone de Voltaire (p. 72, l. 551, à p. 74, l. 604). Texte B : Extrait du livre second de l’Utopie de Thomas More (pp. 79-81). Texte C : Extrait du chapitre LVII de Gargantua de François Rabelais (pp. 81-82). Texte D : Extrait de la scène 2 de L’Île des esclaves de Marivaux (pp. 82-83). Texte E : Extrait du chapitre XVIII de Candide de Voltaire (pp. 83-84). Texte F : Extrait du Fragment sur les institutions républicaines de Saint-Just (pp. 85-86). Texte G : Extrait du chapitre X des Cinq Cents Millions de la Bégum de Jules Verne (pp. 86-87). Document : Vue générale de la ville de Chaux par Claude-Nicolas Ledoux (p. 88).

Le récit. (Seconde) Démontrer, convaincre et persuader. (Seconde et Première) Un mouvement littéraire et culturel du XVIIIe siècle. (Première)

Question préliminaire Relevez et classez les éléments qui font de chaque document une utopie. Commentaire Vous montrerez quelles sont les caractéristiques du récit et en quoi il est au service de l’argumentation. Puis vous mettrez en évidence les traits particuliers qui font de l’Eldorado une utopie.

Polémique (p. 161)

Texte A : Extrait du chapitre XI de La Princesse de Babylone de Voltaire (p. 155, l. 2318, à p. 157, l. 2378). Texte B : Extrait du chapitre XVIII du Traité sur la tolérance de Voltaire (pp. 161-163). Texte C : Extrait de l’Histoire du romantisme de Théophile Gautier (p. 163-164). Texte D : « Protestation contre la tour de M. Eiffel », extrait de l’article paru dans Le Temps (pp. 164-165). Texte E : Extrait de « J’accuse… ! » d’Émile Zola (pp. 165-167). Document : « Les Romantiques à la représentation d’Hernani », d’après un dessin de Stop (pp. 167-168).

L’éloge et le blâme. (Seconde) Démontrer, convaincre, persuader. (Seconde et Première)

Question préliminaire À l’aide de quelques arguments s’appuyant sur les procédés utilisés dans les documents, définissez le registre polémique. Commentaire Le texte étant celui proposé en lecture analytique, il suffit de choisir les deux ou trois questions qui sembleront les plus pertinentes.

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Micromégas & La Princesse de Babylone – 5

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e ( p . 1 8 6 )

Sur Micromégas u Micromégas mesure « huit lieues de haut » ou « vingt-quatre mille pas géométriques ». Ces deux mesures diffèrent, mais peu importe : Micromégas est un géant de plus de trente kilomètres de hauteur. v Il est banni de son pays pour avoir fait des recherches scientifiques et écrit un ouvrage sur un sujet pourtant peu subversif : « il s’agissait de savoir si la taille des puces de Sirius était de même nature que celle des colimaçons ». w Micromégas rencontre ce savant sur Saturne. x La Terre leur paraît minuscule et ils ne s’y arrêtent que parce qu’ils craignent de ne pas trouver d’autre gîte. Notre planète se distingue par « une petite lueur » et leur fait « pitié ». C’est un « petit pays » (début du chapitre IV). y Le premier être vivant qu’ils voient et qui est pourtant « imperceptible » est une « baleine ». U Ils finissent par découvrir des hommes qui font partie d’une expédition scientifique qui a vraiment eu lieu. Menée par Maupertuis en 1736-1737, elle avait pour but de confirmer les calculs de Newton sur l’aplatissement de la Terre aux Pôles (voir note 2, p. 23). V Les hommes, « ces mites » pour les géants, les étonnent car ils « parl[ent] d’assez bon sens » et, surtout, ils sont capables de faire des mesures justes et précises : « Il ne se trompe pas d’un pouce ; quoi ! cet atome m’a mesuré ! » s’écrie le Saturnien. W La terre est nommée « taupinière » (p. 20 – plus loin, il sera aussi question de « tas de boue » et de « fourmilière »), ce qui est une manière de souligner sa petite taille et de suggérer l’animalité des hommes quand ils se comportent de manière indigne de leur intelligence. Il s’agit de « rabaisser leur orgueil infiniment grand ». X Micromégas laisse aux hommes « un livre tout blanc » dans lequel ils sont censés voir « le bout des choses ». Plusieurs interprétations sont possibles, mais il faut au moins voir dans ce cadeau une réponse aux débats métaphysiques qui ont divisé les philosophes : contrairement à la Bible, ce livre ne préconise aucune croyance ; comme le derviche de Candide, interrogé sur le même sujet, il invite plutôt au silence.

Sur La Princesse de Babylone at L’action commence et se termine à Babylone, dernier mot du texte, celui-ci s’ouvrant par « Le vieux Bélus, roi de Babylone ». La construction est donc cyclique. Au contraire de Candide, la narration ramène les personnages au point de départ. ak Formosante, comme son nom l’indique (cf. note 7, p. 50), est d’une grande beauté. Elle représente une image de toutes les perfections. al Le roi Bélus veut départager les prétendants à la main de sa fille en leur faisant subir deux épreuves : tendre l’arc de Nembrod et vaincre un terrible lion. Ces prétendants devront, eux aussi, avoir par ailleurs toutes les qualités. am Le jeune inconnu laisse son oiseau à Formosante. Cet oiseau – un phénix – joue un rôle essentiel dans le récit. an Le pays des Gangarides est une utopie : la terre y est nourricière, les hommes sont égaux entre eux et sont végétariens. C’est un peuple riche et pacifique, qui n’a pas de culte religieux. ao Amazan fuit les pays dans lesquels il est reçu, car il est victime de son charme : il se trouve toujours une grande et belle dame pour lui faire des avances et il ne veut pas être infidèle à Formosante. ap Plusieurs pays réels apparaissent comme des modèles politiques : la Chine, où l’empereur n’hésite pas à travailler la terre de ses mains, prêche la vertu et la tolérance ; la Russie est également remarquée grâce à son impératrice qui fait embellir les villes, va à la rencontre de ses sujets pour essayer de

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Réponses aux questions – 6

résoudre leurs problèmes et s’efforce de les faire instruire (c’est aussi une souveraine tolérante et pacifique) ; le « Nord », c’est-à-dire la Scandinavie, se distingue par sa tolérance, son instruction et le fait que le clergé ne soit pas voué à la chasteté ; la Hollande se caractérise par « la liberté, l’égalité, la propreté, l’abondance, la tolérance », mais possède quelques défauts ; l’Angleterre est aussi un « pays […] recommandable » par sa « constitution », ses « mœurs », ses « lois », ses « arts », etc. aq Il n’en va pas de même dans les pays les plus au sud de l’Europe : la France est frivole, mais surtout l’Italie et l’Espagne sont perverties par les ravages de la religion. La fonction papale paraît absurde et surestimée ; les rites sont grotesques et le clergé homosexuel. L’Espagne est dévastée par l’Inquisition et les habitants sont souvent à la solde des « druides rechercheurs anthropokaies », c’est-à-dire des inquisiteurs. Là encore, les rites sont absurdes et les pratiques cruelles et guidées par l’intérêt.

C h a p i t r e s V I e t V I I d e M i c r o m é g a s ( p p . 2 5 à 3 5 )

◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 36 à 38)

L’art du récit u Le récit progresse par une alternance de discours, qui correspond au dialogue de Micromégas avec les Terriens, et de passages narratifs, articulés par des connecteurs logiques temporels nombreux : « Alors » (l. 448), « Peu à peu » (l. 465), « À ce discours » (l. 472), « aussitôt » (l. 515) et « Enfin » (l. 527). Ces articulateurs rendent compte du caractère alerte du récit, de la vivacité de l’enchaînement des actions, des paroles et des réactions. On est face à une société choisie, à l’esprit rapide : les meilleurs des Terriens, les philosophes, et Micromégas, le philosophe idéal. v Les personnages présents dans le texte sont Micromégas, d’une part, accompagné du Saturnien (peu actif ici), et « la volée de philosophes » qui fait partie de l’expédition de Maupertuis, d’autre part. Par ailleurs, les « hommes », en général, sont évoqués.

Micromégas Le Saturnien Les philosophes terriens Les autres hommes

(absents du texte mais pas de la conversation)

« Micromégas » (l. 448, 466, 528) « le Sirien » (l. 462, 495, 516)

le « Saturnien » (l. 516) « Le petit nain de Saturne » (l. 525)

« des substances qui paraissent si méprisables » (l. 450-451) « Un des philosophes » (l. 456) « Ô atomes intelligents » (l. 467) « tous les philosophes » (l. 473) « l’un d’eux » (l. 473) « le philosophe » (l. 486, 512) « Un petit nombre d’habitants fort peu considérés » (l. 474-475) « malheureux » (l. 495) « petit nombre des sages » (l. 509) « ces atomes pensants » (l. 516) « des sorciers » (l. 526) « Les philosophes » (l. 531)

« l’homme » (l. 462) « un assemblage de fous, de méchants et de malheureux » (l. 476) « cent mille fous de notre espèce » (l. 480) « cent mille autres animaux » (l. 481) « si chétifs animaux » (l. 485) « ces animaux qui s’égorgent mutuellement » (l. 492-493) « un certain homme » (l. 489) « ces barbares sédentaires » (l. 503) « l’animal pour lequel ils s’égorgent » (l. 493-494) « cette fourmilière d’assassins ridicules » (l. 497-498) « ces misérables » (l. 500) « un million d’hommes » (l. 505) « la petite race humaine » (l. 507)

Deux groupes s’opposent : les deux géants, fort peu nommés car ce sont les observateurs, et les hommes, dont les désignations révèlent en général le point de vue des visiteurs – une exception pour la périphrase de la ligne 475, qui renvoie au regard des hommes sur les philosophes et a une valeur informative pour les géants. Micromégas, par la manière dont il nomme les hommes, relève à la fois leur petite taille et leur aptitude à la réflexion. Ce contraste est là pour donner une leçon de

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Micromégas & La Princesse de Babylone – 7

relativisme. Quant au seul jugement que porte le Saturnien, il révèle au moins autant ses propres faiblesses que celles des hommes. Le plus intéressant est peut-être la manière dont est désigné l’ensemble des hommes qui font l’objet d’une bonne partie du débat : on insiste sur leur nombre (importance des chiffres et des calculs dans Micromégas), sur leur inhumanité (« animal ») précisément, qui réside peut-être dans leur absence d’âme, sur leur faiblesse et leurs travers qui font d’eux des êtres méprisables. Dans chaque groupe humain, on alterne pluriel et singulier : les philosophes parlent d’une voix et se ressemblent, mais, parfois, l’un d’entre eux est isolé et leur sert de porte-parole quand il s’agit vraiment de se faire entendre. Quant à l’humanité, on relève l’opposition entre le grand nombre d’exécutants victimes et quelques décideurs sans scrupule. Mais, au bout du compte, les deux ensembles sont renvoyés dos à dos, partageant la méchanceté et la folie, les uns étant, toutefois, peut-être plus responsables que les autres. w Relevé des verbes de parole : « prononça » (l. 448), « répondit » (l. 456, 499), « conta » (l. 458), « apprit » (l. 460), « parlait » (l. 463), « parla » (l. 466), « avoua » (l. 474), « dit » (l. 477, 486, 509, 518, 528), « parle » (l. 480), « demanda » (l. 484), « s’écria » (l. 495), « dites-moi » (l. 510, 530), « interroger » (l. 516), « répondirent » (l. 519), « dirent » (l. 522), « parlèrent » (l. 531). Les verbes de parole sont nombreux et variés ; le plus souvent utilisés au passé simple, ils servent à introduire les passages de discours, direct ou indirect (l. 456-465), qui constituent la majeure partie du texte. Ils insistent fréquemment sur la volonté d’échange et évoquent parfois des émotions. x Les passages de discours sont multiples : – Discours direct : une première tirade de Micromégas (l. 448 à 455) s’apparente à un monologue dans la mesure où il évoque les hommes à la 3e personne et les prend pour point de départ d’une méditation sur le relativisme. Néanmoins, l’un des philosophes lui répond. La deuxième tirade de Micromégas (l. 467 à 472), emphatique comme la première, s’adresse cependant aux hommes que le géant apostrophe : « Ô atomes intelligents » (l. 467). Le philosophe humain se voit ensuite confier deux passages assez longs au style direct, dans lesquels il évoque le sujet de la guerre et se fait le porte-parole des idées de Voltaire. De la ligne 495 à la ligne 522, un vrai dialogue s’installe, qui fait se succéder les répliques de l’un et de l’autre, parfois interrompu par de courts passages de récit. Plus le texte progresse, plus les personnages échangent véritablement. – Discours indirect : la réponse du philosophe à Micromégas (l. 458-465). Le discours indirect, qui accumule les subordonnées, traduit le côté un peu pesant de la démonstration. La réponse à la deuxième intervention de Micromégas est aussi au style indirect (l. 474-476), comme si, dans un premier temps, Voltaire voulait mettre en avant la réaction de Micromégas et présenter les réactions des hommes comme de simples échos, assourdis, face au grand homme. La suite du chapitre VII inverse la situation en attribuant le style indirect à Micromégas jusqu’à la ligne 485. Aux hommes, de nouveau, le style indirect, pour traduire leur cacophonie dès lors qu’est abordée la métaphysique. y Les dialogues participent à l’évolution du récit dans la mesure où ils permettent la communication entre les voyageurs et les hommes. Ces derniers apprennent des choses aux géants, tandis que Micromégas s’étonne, réfléchit et veut pousser plus avant son étude des Terriens. La richesse des échanges témoigne de la curiosité des visiteurs. Par ailleurs, les dialogues apportent de la vivacité à la narration, même si certaines répliques sont assez longues. Ils apparentent le texte au dialogue philosophique, genre fort prisé au Siècle des lumières. U Les sentiments de Micromégas s’expriment par des tournures exclamatives nombreuses et des apostrophes qui prennent à témoin Dieu et les hommes de révélations incroyables. Il utilise aussi à deux reprises un vocatif (« Ô Dieu », « ô atomes intelligents »), traduisant ainsi sa surprise et un certain désarroi. Les modalisateurs montrent que le géant est déstabilisé et que, en philosophe, il remet en question ses certitudes (l. 468 et 472 : « sans doute »). Micromégas peut encore ressentir de l’horreur devant les comportements des hommes, sentiment qui s’exprime par une réaction physique : « frémit » (l. 484). Le sentiment est parfois explicitement nommé par le conteur : « indignation » (l. 495) ou encore « Le voyageur se sentait ému de pitié » (l. 506-507).

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Réponses aux questions – 8

La caricature au service de la satire V

Micromégas Le philosophe Le Saturnien

Périphrases

« des substances qui paraissent si méprisables » (l. 450-451) « atomes intelligents » (l. 467) « si chétifs animaux » (l. 485) « assassins ridicules » (l. 498) « la petite race humaine » (l. 507) « ces atomes pensants » (l. 516)

« un petit nombre d’habitants fort peu considérés » (l. 474-475) « un assemblage de fous, de méchants et de malheureux » (l. 475-476) « cent mille fous de notre espèce, couverts de chapeaux » (l. 480-481) « cent mille autres animaux, couverts d’un turban » (l. 481-482) « ces barbares sédentaires » (l. 503-504)

Approximations

« tout le reste » (l. 475) « un certain homme qu’on nomme Sultan, ou à un autre qu’on nomme, je ne sais pourquoi, César » (l. 489-490) « ces animaux » (l. 492) « l’animal » (l. 493)

« des sorciers » (l. 526)

Ne pas appeler les hommes par leur nom témoigne de l’ignorance de l’existence de cette espèce pour le Sirien. C’est une leçon de modestie pour les hommes et l’occasion de sourire pour le lecteur, car toutes ces périphrases ont une valeur ironique. Mais, pour le philosophe, il s’agit plutôt de refuser de faire crédit à l’homme de sa prétendue humanité, démentie par les faits, d’où l’utilisation du terme « animal ». Les sens opposés des différentes périphrases de Micromégas montrent les contrastes qui caractérisent l’homme et qui font envisager le relativisme non pas seulement entre des êtres différents, mais à l’intérieur d’une même espèce. Les philosophes sont évoqués de manière légère par le Terrien, ce qui correspond à leur absence de reconnaissance. Les approximations sont là pour montrer l’arbitraire des situations. Quant au mot « sorciers », il sert surtout à ridiculiser le Saturnien plus impulsif que réfléchi. L’ironie voltairienne repose beaucoup sur cette manière détournée de désigner les êtres ou les choses : la périphrase, peu économe en mots, ajoute aussi du sens. W Micromégas décrit les hommes avec beaucoup de sévérité justifiée par son « indignation », elle-même expliquée par l’évocation de la guerre que vient de faire le Terrien. Il utilise ainsi des hyperboles à l’appui de sa colère : « cet excès de rage forcenée ! » ou « assassins ridicules ». Il en déduit que la race humaine devrait être détruite, ce qui est un jeu d’enfant pour un géant comme lui : « Il me prend envie […] d’écraser de trois coups de pied toute cette fourmilière d’assassins ridicules. » X Un autre des procédés de l’ironie de Voltaire est l’exagération. Les hommes sont ainsi caricaturés : « si méprisables » (l. 451) , « si chétifs animaux » (l. 485) – on notera l’utilisation de l’adverbe d’intensité « si » –, « un assemblage de fous, de méchants et de malheureux » » (l. 476), « cent mille fous » (l. 480). Enfin, il s’agit de « la petite race humaine » (l. 507), dans tous les sens de l’adjectif. Les exagérations entraînent aussi un effet d’humour : les hommes ont « si peu de matière » (l. 469-470) et sont des « assassins ridicules » (l. 498) ; ainsi la gravité de la guerre est-elle réduite à une faute de goût et de jugement. Les exagérations servent à critiquer l’orgueil et l’assurance des hommes : ils croient à leur puissance et au bien-fondé de leurs actions, mais toutes leurs certitudes sont à reconsidérer. Pour y voir plus clair, il suffit de prendre de la hauteur, que l’on soit un géant, comme Micromégas, ou un philosophe, comme celui qui prend la parole. at L’absurdité du comportement des hommes apparaît surtout dans la manière dont le philosophe évoque la guerre : totalement vus de l’extérieur, les conflits se réduisent à une opposition non pas de chefs mais de couvre-chefs : « chapeaux » contre « turban ». Les raisons avancées par les belligérants semblent vénielles en regard du massacre qu’elles entraînent : une lutte pour un « tas de boue » (l. 486) dont personne, du reste, ne veut vraiment la possession. La guerre est de surface, plus affaire de

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Micromégas & La Princesse de Babylone – 9

langage que de réalité : un « César » contre un « Sultan » (l. 490) ; bref, l’attitude des hommes est contraire à la raison, valeur fondamentale du Siècle des lumières. ak Le monde des hommes est miniaturisé de plusieurs manières : – l’espace se réduit à un « tas de boue », « une fourmilière », un « petit coin de terre » ; – les hommes sont des « atomes », faits de « si peu de matière », une « substance ». Ils constituent donc la « petite race humaine » ; – les décisions politiques sont prises à la légère et dépendent peut-être des lourdeurs d’estomac des monarques : « […] ordonnent, dans le temps de leur digestion, le massacre d’un million d’hommes » (l. 504-505) ; – même les philosophes semblent n’être occupés qu’à des tâches infimes : « nous disséquons des mouches » (l. 511-512). Il s’agit, bien sûr, de ridiculiser les hommes mais, surtout, de les remettre à leur juste place : au regard de l’univers, ils sont fort peu de chose et feraient bien d’en avoir conscience ; cela limiterait leur présomption et, partant, leur potentiel de nuisance. al L’humour du texte, outre sur les procédés de réduction ou d’amplification, repose aussi sur les décalages induits par la difficulté à se mettre à la place de l’autre : en quoi les voyageurs, venus d’autres planètes, sont-ils intéressés par le minutieux compte rendu des travaux des entomologistes locaux ? Disproportion aussi, selon Micromégas, entre « ces horribles querelles » et « de si chétifs animaux » (l. 485). L’enchaînement des lignes 460 à 465, qui joue sur des effets de répétition, a aussi une valeur comique : tout en faisant passer un message qui lui tient à cœur (le relativisme), Voltaire se moque des lourdeurs de la didactique. La grandiloquence de Micromégas est également amusante : « Ô atomes intelligents, dans qui l’Être éternel s’est plu à vous manifester son adresse et sa puissance » (l. 467-468). Les réactions collectives des philosophes ne manquent pas de produire un effet comique, à la fois visuel et sonore : « À ce discours, tous les philosophes secouèrent la tête » (l. 472-473), « Ils répondirent tous à la fois » (l. 519), « Les philosophes parlèrent tous à la fois comme auparavant » (l. 531-532). Enfin, tous les procédés de répétition (des activités des philosophes-scientifiques, de la formulation des questions des voyageurs) font sourire par l’effet d’accumulation, en l’absence d’un discours construit qui s’adapte à l’autre. am Micromégas apparaît, dans l’extrait, comme un philosophe, dans la mesure où il se montre curieux des Terriens et prêt à remettre en question ses préjugés : il reconnaît sans hésitation l’intelligence des hommes à partir du moment où ceux-ci lui en ont donné la preuve. Il pense de manière raisonnable, comme le montrent sa condamnation de la guerre ou la pertinence des questions qu’il pose. Cependant, sa naïveté (sûrement due à sa jeunesse : Voltaire aime choisir pour ses contes de jeunes héros voyageurs) est perceptible dans ses réactions impulsives, son enthousiasme, certes sympathique mais quelque peu démesuré, qui s’exprime surtout par sa foi excessive en l’homme : « Je n’ai vu nulle part le vrai bonheur ; mais il est ici, sans doute » (l. 471-472). Ses illusions seront de courte durée.

La leçon philosophique

an Les philosophes des Lumières sont enthousiasmés par les découvertes scientifiques de leur époque et s’efforcent d’adopter eux-mêmes des méthodes rationnelles et scientifiques. Cet enthousiasme intervient à deux reprises : d’abord, lorsque l’« un des philosophes » rend compte des travaux des scientifiques Swammerdam et Réaumur et, ensuite, lors de l’interrogatoire que le « Sirien » et le « Saturnien » font subir aux hommes, après que ces derniers leur ont décrit leurs recherches (l. 511-522). Le vocabulaire utilisé dans l’extrait a largement recours au langage scientifique : « atomes », « substances », « matière », « disséquer », « mesurer », « lignes », « nombres », « compter », « peser », « volume », etc. ao « Peu à peu la conversation devint intéressante » (l. 465) car, progressivement, le philosophe terrien a mis en évidence les différents rapports de proportion (l. 460 à 465) qui permettent d’aller de « l’infiniment petit » (l. 451) à « l’infiniment grand » (l. 452). Le problème posé est celui du relativisme.

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ap L’intolérance se trouve critiquée quand sont évoquées les raisons des guerres : des différences religieuses réduites à leur aspect le plus dérisoire mais le plus visible (des « chapeaux » contre des « turban[s] »). aq La guerre est dénoncée d’abord parce qu’elle fait de très nombreuses victimes (l. 482 : des innocents « massacrés » ; l. 487-488 : « ces millions d’hommes qui se font égorger » ; l. 505 : « le massacre d’un million d’hommes »). Ses causes sont dérisoires : on se bat pour un « tas de boue » (l. 486). Ceux qui décident de la guerre le font de manière désinvolte et irresponsable (« pendant le temps de leur digestion ») et les soldats ne les connaissent pas : « presque aucun de ces animaux qui s’égorgent mutuellement n’a jamais vu l’animal pour lequel ils s’égorgent » (l. 492 à 494). Enfin, la religion, qui est censée prêcher l’amour entre les hommes, cautionne la guerre : « et qui ensuite en font remercier Dieu solennellement » (l. 506). ar La vision de l’homme est très pessimiste : seuls les philosophes et les scientifiques échappent à cette condamnation, mais nul ne reconnaît leurs mérites (l. 474-475 : ils forment « un petit nombre d’habitants fort peu considérés »). Les autres sont « un assemblage de fous, de méchants et de malheureux » (l. 476), avides de combat, intolérants, enclins au fanatisme religieux, peu soucieux de dialogue ni de réflexion. Leurs conditions de vie sont mauvaises et, si elles ne le sont pas, ils sont incapables de se régler eux-mêmes : « […] quand même ils n’auraient pas tiré l’épée, la faim, la fatigue ou l’intempérance les emportent presque tous » (l. 501-502). Enfin, même les philosophes se disputent dès qu’il s’agit de métaphysique. as On se reportera à la définition du relativisme qui se trouve dans le lexique. C’est le début de l’extrait, c’est-à-dire la fin du chapitre VI, qui aborde le sujet. Micromégas énonce la théorie sous forme d’hypothèse et le Terrien la confirme en résumant les travaux récents de scientifiques. bt Le mot « métaphysique » est brièvement expliqué dans le lexique. Les problèmes métaphysiques sont introduits par la question de Micromégas : « Dites-moi ce que c’est que votre âme, et comment vous formez vos idées » (l. 530-531). La cacophonie qui s’ensuit et le désaccord des philosophes sont significatifs. Les questions métaphysiques sont la cause des problèmes des hommes : ne pouvant être résolues par la raison, elles entraînent inévitablement des opinions opposées (l. 532 : « mais ils furent tous de différents avis ») et souvent l’intolérance. Si même les philosophes se disputent à ce sujet, qu’en est-il des autres hommes ? Ils se déclarent la guerre ou se persécutent les uns les autres.

◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 39 à 48)

Examen des textes et de l’image u Le quaker utilise trois arguments pour justifier les pratiques religieuses de la secte à laquelle il appartient et, ici, l’absence de baptême. Le baptême est d’abord présenté comme un rite absurde, dénué de tout sens (« nous ne pensons pas que le christianisme consiste à jeter de l’eau froide sur la tête, avec un peu de sel »), puis ce n’est pas une pratique justifiée historiquement par des actes du Christ (« Le Christ reçut le baptême de Jean, mais il ne baptisa jamais personne ») et, enfin, ce rite remonte aux anciens Hébreux, persécuteurs du Christ (« Jean ne fit que renouveler cette pratique, laquelle était en usage longtemps avant lui parmi les Hébreux »). v Le genre est celui de la lettre, lettre censée être écrite d’Angleterre où Voltaire a longuement séjourné. Sans qu’il ait une valeur autobiographique, on peut considérer que le « je » représente le philosophe. Celui-ci a d’abord l’attitude philosophique type en faisant preuve de curiosité et en posant des questions (« je me mis à interroger mon homme », « Je débutai par la question »). Ensuite, apprenant que le quaker n’est pas baptisé, il laisse éclater une (feinte) colère, exprimée maladroitement par des jurons (« morbleu », « ventrebleu »). Puis, touché par la douceur de l’homme et par la justesse de l’argumentation, il fait preuve de compassion (« pauvre homme ») et dénonce l’Inquisition. L’étonnement final du « je » n’est là que pour permettre au quaker d’éclairer un paradoxe. Ce « je » représente donc le philosophe, mais exprime aussi les réactions de l’homme ordinaire, ce qui permet de vulgariser le point de vue défendu. w Dans le texte C, Voltaire énumère plusieurs conditions du bonheur ; les trois premiers arguments sont prêtés à sa « Muse » : il s’agit de borner ses désirs à ce que l’on possède déjà (« Contentons-nous des

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biens qui nous sont destinés »), de ne pas se soucier de métaphysique (v. 4 et 5) et de profiter du monde tel qu’il est (« […] et recueillons le fruit / Des trésors qu’il renferme et des biens qu’il produit »). Pour Voltaire, si paradis il y a, il est sur Terre, à notre portée. Il ajoute qu’il faut « suivre la nature » et s’efforcer d’avoir une attitude juste, pleine de curiosité intellectuelle (« Amant de tous les arts et de tout grand génie », « à l’étude appliquée »), de sens de la justice (v. 24 et 25), de franchise et de bonne foi. Il convient aussi de reconnaître – et là, Voltaire reprend l’argument initial – que le bonheur ne peut être parfait : « […] ici-bas la félicité pure / Ne fut jamais permise à l’humaine nature ». x Les procédés littéraires qui présentent le texte D comme une enquête se trouvent dans le premier paragraphe et sont les suivants : le texte part d’un postulat (« Il paraissait impossible que Jean Calas […] ») qu’il va s’agir de démontrer. Voltaire a recours à une hypothèse (« cette supposition ») dont il va montrer le caractère irrecevable par une accumulation de questions rhétoriques. Les conclusions sont alors mises en relief par l’anaphore « Il était évident que […] ». y Le point de vue critique de Voltaire est visible dans l’ensemble du texte, puisqu’il est la raison d’être de ce dernier. Cependant, à partir du second paragraphe, Voltaire pointe clairement l’erreur judiciaire et les dysfonctionnements de la justice : enquête sommaire et donc mal menée (c’est l’objet du premier paragraphe) qui aboutit à une erreur judiciaire (« Le motif de l’arrêt était aussi inconcevable que tout le reste »), incohérence des décisions concernant les autres membres de la famille (« ce bannissement semblait aussi inconséquent, aussi absurde que tout le reste ») prises uniquement par intérêt personnel (« […] les juges […] imaginèrent de sauver leur honneur »), duperie (« en laissant croire »), légèreté (« n’était pas une grande injustice ») et, au bout du compte, malhonnêteté. À cela s’ajoutent les conversions forcées des survivants de la famille. Une accumulation dresse la liste des dommages subis par la veuve Calas. U Le texte E épouse la forme de la prière, car il met en évidence le destinataire, « Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps », qui est ainsi apostrophé. Apostrophe reprise par l’anaphore de « à toi » et par l’utilisation du pronom personnel « tu ». Enfin, Voltaire utilise la modalité injonctive, par l’usage soit de l’impératif (« daigne »), soit du subjonctif à valeur d’impératif (exemple : « que toutes ces petites nuances […] »). À la fin du texte, la prière s’adresse aux hommes, comme le montre l’impératif utilisé à la 1re personne du pluriel : « […] ne nous haïssons pas […] ». V « Ça » renvoie bien évidemment à l’image qui frappe et, secondairement, au texte qui l’accompagne. On voit un homme d’une extrême maigreur, peut-être mort. Son vêtement est celui des prisonniers (« internés et déportés politiques ») des camps de concentration en Allemagne, pendant la Seconde Guerre mondiale. L’écuelle vide, comme négligemment jetée au sol, est un indice de plus de l’inhumanité des conditions de vie dans les camps. Cette affiche peut être rapprochée du combat de Voltaire contre l’intolérance, car les victimes des bourreaux nazis n’ont commis que le seul crime de ne pas se conformer à la religion, aux opinions politiques ou aux mœurs considérées par le régime comme les seules acceptables.

Travaux d’écriture

Question préliminaire Si les élèves répondent à cette question pour s’entraîner au bac, il convient de leur faire présenter brièvement les différents documents proposés et reprendre la question posée sous forme de problématique. La variété des textes illustre la diversité des talents de Voltaire, mise ici au service d’une cause qu’il a défendue toute sa vie : la lutte contre l’intolérance et le fanatisme. La pensée de Voltaire prend généralement appui sur des éléments concrets et les formes proposées n’ont rien de l’essai théorique et aride. C’est la raison pour laquelle les éléments de l’affaire Calas, nombreux et d’une rigoureuse précision, servent d’appui à la dénonciation de l’injustice fondée sur l’intolérance religieuse. C’est une démonstration par l’exemple, ce qui donne beaucoup de vivacité au réquisitoire de Voltaire. Rythme très alerte aussi pour la remise en cause du baptême, qui est une façon implicite de dénoncer l’intolérance catholique. Le rythme vif est créé par l’utilisation du style direct qui fait se succéder de courtes répliques. Le philosophe se présente aussi comme un témoin de bonne foi, qui réagit comme réagirait le lecteur de son temps. Les Lettres philosophiques utilisent également le paradoxe pour montrer que ceux qui suivent le plus rigoureusement la religion ne sont pas ceux que l’on croit et suggèrent que les catholiques ont oublié les textes fondateurs de leur religion. C’est une manière

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d’inviter le lecteur à revoir ses certitudes. Le poème dénonce l’intolérance de manière plus discrète en préconisant le rejet de la métaphysique et en posant l’auteur comme un ennemi du fanatisme. C’est bien évidemment la fameuse « Prière à Dieu » qui offre la plus limpide dénonciation de l’intolérance, puisque c’est son objet même, clairement revendiqué : « Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! » Dans ce texte, Voltaire donne des exemples de pratiques et de coutumes différentes (évoquées de manière significative sous forme de périphrases et d’euphémismes) qu’il qualifie de « petites nuances », qu’il relativise donc pour mieux montrer l’importance de la tolérance nécessaire à un monde de prospérité, de solidarité, de « paix » et d’amour : « Tu ne nous a point donné un cœur pour nous haïr », « ne nous haïssons pas ». Quant au document iconographique, il dénonce l’intolérance par un slogan qui la condamne et une image poignante qui donne à voir ses conséquences. Pour tous, aujourd’hui encore, le contexte est évident sans qu’il soit besoin de l’expliciter. Les agissements nazis pendant la Seconde Guerre mondiale illustrent pour toujours ce que produit l’intolérance lorsqu’elle est érigée en système.

Commentaire

Introduction Le Traité sur la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas (1763) présente à la fois une enquête précise sur l’affaire Calas et un plaidoyer pour la liberté de penser dont Voltaire exprime la conclusion philosophique dans l’extrait proposé, souvent intitulé « Prière à Dieu ». Que Voltaire formule une « prière » est surprenant car il était hostile à toute forme de culte, dont la prière, comme le montre cet extrait du Dictionnaire philosophique : « L’Éternel a ses desseins de toute éternité. Si la prière est d’accord avec ses volontés immuables, il est très inutile de lui demander ce qu’il a résolu de faire. Si on le prie de faire le contraire de ce qu’il a résolu, c’est le prier d’être faible, léger, inconstant ; c’est croire qu’il soit tel, c’est se moquer de lui. » On cherchera en quoi ce texte constitue une prière, quel sens lui donne le philosophe des Lumières et enfin de quelle manière il porte la marque de la vision du monde de son auteur.

1. Une prière chrétienne ? A. La forme de la prière (Ces éléments peuvent compléter la réponse à la question n° 6, p. 11.) • Le mouvement d’ensemble : le texte se présente comme une prière dans laquelle on peut distinguer trois mouvements : l’élévation de l’âme vers Dieu et la soumission (« […] c’est à toi, Dieu […] »), une supplication (« Fais que […] »), un souhait final (« Puissent tous les hommes […] »). • Un ton solennel : la prière revêt une certaine ampleur produite par son déroulement en larges périodes et l’utilisation régulière des mêmes procédés, comme l’association d’un adjectif et d’un nom : « entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos opinions insensées ». B. Un lexique connoté • La prière paraît pénétrée d’humilité et du souci de faire pardonner l’audace de l’imploration : « […] s’il est permis […] d’oser te demander quelque chose ». • L’utilisation du mot « créature », emprunté au lexique religieux, rappelle l’impuissance des hommes et leur gratitude infinie envers Dieu. • Voltaire souligne aussi la corruption de la nature humaine liée au péché originel : « les erreurs de notre nature ». C. Des sentiments chrétiens • La fraternité : « Tu ne nous a point donné un cœur pour nous haïr et des mains pour nous égorger. » • Le sentiment de la misère de notre condition « pénible et passagère ». • L’insignifiance des différences et des inégalités, qui doit condamner toute vanité « chez les atomes appelés hommes ». On est bien, en apparence, en présence d’une prière chrétienne. C’est pourtant, là, la prière d’un philosophe des Lumières qui s’adresse à la raison des hommes.

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2. Une prière de philosophe A. Le Dieu des déistes Cette prière ne vise pas un Dieu précis, comme celui des chrétiens, mais un Dieu indéterminé qui n’appartient à aucune religion en particulier, « Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps ». C’est le Dieu des déistes comme Voltaire : il ne doit être l’objet d’aucun culte mais réunir tous les hommes. B. Une remise en question de la légitimité de la prière Le texte, tout en se présentant comme une prière, rappelle l’inefficacité de cette pratique car la divinité est inaccessible : ses « décrets sont immuables comme éternels ». C. L’artifice de la prière Cette « prière » n’est en rien motivée par un jaillissement spontané de la foi ; elle se contente d’utiliser ce qu’il pourrait y avoir de commun entre un christianisme bien compris et les droits de l’homme. Elle n’est qu’un moyen, solennel et frappant, de faire passer une idée des philosophes des Lumières : l’éloge de la tolérance. D. Pour un paradis terrestre Cette prière vise les hommes à qui elle ne demande pas d’espérer des faveurs célestes mais de créer tout de suite le bien social : la raison doit conduire à la tolérance, seule capable d’établir la paix entre les hommes.

3. Un texte signé Voltaire Malgré les apparences – prière chrétienne, exhortation somme toute consensuelle –, il est facile de découvrir derrière ce texte, couronnement du Traité sur la tolérance, la marque de ce qu’il y a de plus personnel dans la pensée voltairienne. A. La critique de la religion et du clergé catholiques • La satire des rites : Voltaire ironise sur la diversité et la puérilité des rites en les réduisant à des apparences sans signification, ce qui les rend absurdes. • Il dresse le procès des hauts dignitaires de la hiérarchie catholique : un « habit teint de rouge et de violet » traduit un orgueil qui fait fi de l’égalité chrétienne entre les hommes. Le philosophe rappelle que la domination des princes de l’Église s’exerce seulement « sur une petite parcelle d’un petit tas de la boue de ce monde », périphrase qui désigne le Vatican. B. Le problème du Mal • Voltaire a toujours été ému par le problème du Mal dans le monde qui remet en cause les idées de Providence et d’Optimisme. • C’est pourquoi il condamne la tyrannie politique et économique qui « ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible ». • Il stigmatise aussi la tyrannie morale « exercée sur les âmes », pire encore aux yeux du philosophe, car le fanatisme religieux interdit la liberté de penser. • Enfin, il renouvelle sa dénonciation de la guerre, fléau atroce et inévitable. C. L’appel à la fraternité humaine Voltaire, dans les Épîtres à Horace, écrit : « J’ai fait un peu de bien ; c’est mon meilleur ouvrage. » Dans cet extrait aussi, il appelle à de généreux idéaux : la réconciliation entre tous les hommes et toutes les religions qui doit être rendue possible par une prise de conscience de la brièveté de l’existence et par la pratique de la bonté.

Conclusion Loin de se renier dans ce texte, Voltaire réaffirme, au contraire, sous une forme pas aussi inattendue que cela chez un philosophe qui n’est pas athée, les idées rationnelles et humanistes auxquelles il a toujours cru.

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Dissertation

1. Beaucoup de progrès ont été faits en matière de tolérance C’est surtout vrai dans les pays démocratiques mais il est vrai aussi que de plus en plus de pays se dirigent vers la démocratie. Il y a donc des raisons d’être optimiste. Dans cette partie, nous considérerons les seuls pays d’Europe. A. Le débat démocratique est possible dans tous les États On peut créer librement un parti politique ; le citoyen a une place active et vote. Les médias, même s’ils ne sont pas à l’abri des pressions, sont libres et peuvent dénoncer toute pratique qui leur semblerait critiquable. B. La tolérance religieuse est établie Du moins en théorie et le plus souvent dans les faits. La laïcité est prônée comme une valeur d’État, ce qui renvoie la religion à une pratique privée. C. L’égalité des sexes La place de la femme a beaucoup évolué ; de nouvelles lois continuent à parfaire l’égalité des sexes et à donner à la femme exactement les mêmes droits qu’aux hommes. D. D’une manière générale, politiques et associations agissent pour que l’on accepte mieux la différence Toutes les différences : la race, bien sûr, mais aussi l’âge, le handicap et la maladie, les pratiques sexuelles.

2. Cependant, beaucoup reste encore à accomplir A. Des génocides continuent de se produire B. Dans beaucoup de pays du monde, les droits les plus élémentaires, d’expression ou de culte, sont bafoués Des opposants politiques sont emprisonnés et rares sont ceux qui peuvent se permettre d’ignorer la religion dans certains pays musulmans. C. Les plus faibles, les femmes et les enfants, sont souvent victimes d’abus dans les pays du tiers monde : liberté volée, travail forcé, prostitution Il ne faudrait cependant pas croire que l’intolérance s’est seulement déplacée, qu’elle est plus loin de notre univers favorisé, donc invisible. D’abord, les traces d’intolérance, qui peuvent être fort marquées, sont à combattre chaque jour près de chez nous ; ensuite, les médias et la démocratisation des voyages ont fait du monde « un village » et nous nous sentons concernés par toutes les injustices, où qu’elles se situent géographiquement. En témoigne la récente et massive mobilisation pour libérer l’otage des FARC, Ingrid Betancourt.

3. Comment agir pour faire progresser la tolérance ? (Au bac, désormais, on n’exige plus de troisième partie dans la dissertation et, en effet, rares sont les candidats qui en proposent une.) A. L’écrit, comme à l’époque de Voltaire, est encore un moyen fort efficace De nombreux articles de presse, témoignages, essais vulgarisent les injustices commises partout dans le monde. B. Cependant, d’autres médias touchent un public plus vaste encore Télévision, radio, cinéma. C. Enfin, l’engagement est une affaire qui concerne tous les citoyens Et pas seulement les écrivains, les journalistes ou les artistes, que cet engagement soit vécu au quotidien, à l’occasion de situations dont nous avons connaissance, ou qu’il prenne la forme plus spectaculaire de l’adhésion à une association ou du voyage humanitaire.

Écriture d’invention Comme toujours pour ce sujet, les éléments de correction sont limités et pour cause ! On se bornera à rappeler qu’il est impératif que l’élève respecte les consignes et donc qu’il n’oublie pas, par exemple, les réactions de la Cour. Évidemment, une excellente maîtrise de Micromégas est exigée. On s’attachera aussi à la cohérence du récit et à la manière dont il est mené. On attendra peut-être une certaine

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variété des registres, l’alternance de passages narratifs et de discours. On valorisera tout effort pour rendre l’expression claire et correcte, voire soignée.

C h a p i t r e I I I d e L a P r i n c e s s e d e B a b y l o n e ( p p . 6 5 à 7 5 )

◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 76 à 78)

L’utopie orientale : les éléments du merveilleux

u Le peuple des Gangarides « habite la rive orientale du Gange » (l. 552) : cette première localisation fournit les deux éléments essentiels. Le nom du fleuve est répété trois fois dans l’extrait et donne son nom aux habitants du pays d’Amazan. L’adjectif « oriental » décline le nom « Orient », deux fois repris dans notre texte. Le fleuve est gage de fertilité des terres et l’Orient symbolise, depuis toujours, un idéal à la fois de luxe et de spiritualité. Par ailleurs, on utilisera la note 3, p. 72. v Il y a peu d’indications temporelles dans le texte. L’écoulement du temps n’est pas une préoccupation (l. 562 : « éternellement ») ; le phénix lui-même est immortel. Les quelques précisions chronologiques restent très floues : « Il y a environ deux siècles » (l. 572), « depuis ce temps » (l. 593). À la ligne 587, « six mois » représente une durée, mais n’a pas la fonction de repère chronologique. Le brouillage temporel est une caractéristique de l’utopie, à la fois hors du temps et hors de l’espace. w Les différents animaux mentionnés sont les « moutons » (l. 557), dont la laine leur procure une supériorité sur les « lambeaux déchirés » des bergers de Babylone. D’autre part, cette laine est rare et précieuse, puisqu’il s’agit du cachemire, et elle contribue à la prospérité de la région : « Leur laine, plus fine et plus brillante que la plus belle soie, est le plus grand commerce de l’Orient » (l. 563 à 565). Les Gangarides ont aussi des animaux merveilleux comme les « licornes » aux qualités à la fois féminines et guerrières. Leur éloge se traduit par des superlatifs accumulés : « C’est le plus bel animal, le plus fier, le plus terrible, et le plus doux qui orne la terre » (l. 569-570). Leur efficacité en temps de guerre est prodigieuse. Les massifs « éléphants » des ennemis ne peuvent rien contre le pouvoir offensif de leur corne unique. Les licornes parlent et réfléchissent : « ayant pris l’avis des licornes » (l. 591). Les animaux sont donc les égaux des hommes (le phénix leur est même supérieur par sa capacité à renaître et ses dons sont hors du commun) ; en témoignent les lieux qui leur sont réservés, particulièrement lors des « cérémonies » religieuses, exactement comme pour les humains : « tous les oiseaux dans un bocage, les quadrupèdes sur une belle pelouse » (l. 601-602). Ce sont même des « perroquets » (l. 603) – fantaisie malicieuse de Voltaire – qui sont chargés de transmettre la parole divine. Les animaux sont donc les « semblable[s] » (l. 563) des hommes. C’est pourquoi ils ne peuvent être mangés par le peuple gangaride, végétarien, et, de ce fait, « on ne les tue jamais » (l. 562). Au contraire, les Babyloniens se régalent de « mauviettes » en « brochettes » (l. 576). x Les animaux participent à cette utopie dont ils constituent un élément important de merveilleux, puisqu’ils sont dotés de qualités humaines, voire surhumaines, comme les licornes ou le phénix à qui est confiée cette description du pays des Gangarides. y Les chiffres et les quantités indiquent, en général, des proportions considérables, ce qui est l’une des caractéristiques de l’utopie : tout y est démultiplié, qu’il s’agisse des richesses agricoles des Gangarides (l. 561 : « des troupeaux innombrables ») ou de l’importance démesurée des armées qui osent s’attaquer à eux (l. 572 : « armées innombrables » ; l. 574 : « dix mille éléphants », « un million de guerriers » ; l. 579-580 : « plus de six cent mille hommes »). La supériorité des Gangarides s’exprime, par contraste, par la modestie des moyens qu’ils déploient pour contrer une telle attaque : « cent Gangarides » et « cent licornes » (l. 571). On remarque que l’adjectif numéral « cent » est utilisé encore une fois mais, alors, pour signifier les très nombreuses formes que peut prendre la folie des hommes : « en cent manières différentes » (l. 585). U Les Gangarides sont un « peuple vertueux et invincible » (l. 551-552) ; cette dernière qualité est confirmée par l’infime nombre de Gangarides qu’il faut pour contrer une armée démesurée d’hommes

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ordinaires. Une métaphore hyperbolique suggère leur courage au combat : « Les guerriers tombaient sous le sabre des Gangarides comme les moissons de riz sont coupées par les mains des peuples de l’Orient » (l. 576 à 579). La « vertu » exceptionnelle des Gangarides réside dans l’absence de hiérarchie (l. 560 : les Gangarides sont « nés tous égaux ») et dans leur générosité à l’égard de l’ennemi (ils prennent soin de « guérir le roi des Indes », l. 588, puis de le « renvoy[er] humainement », l. 591). Ces qualités surhumaines, qui les rendent impossibles à « égaler » (l. 596), sont souvent mises en évidence, par contraste avec l’attitude des autres hommes.

Les valeurs sur lesquelles repose la société des Gangarides V Les passages qui font allusion aux richesses matérielles sont les suivants : – « Leur laine, plus fine et plus brillante que la plus belle soie, est le plus grand commerce de l’Orient » (l. 563 à 565) ; – « des troupeaux innombrables » (l. 561), « la terre des Gangarides produit tout ce qui peut flatter les désirs de l’homme » (l. 565-566), « les moissons de riz » (l. 578), « végétaux prodigués par la nature » (l. 582) ; – « Ces gros diamants […] sont d’une mine » (l. 566 à 568). On remarque que la place des richesses matérielles est importante : il y est régulièrement fait allusion. La place de l’agriculture est essentielle car elle est nourricière, mais le commerce et le luxe, évoqué par les diamants, montrent que les Gangarides ne sont pas seulement un peuple d’agriculteurs et d’éleveurs. Leur civilisation est avancée et raffinée. Pour Voltaire, c’est la condition du perfectionnement moral des hommes. Comblés dans leurs besoins matériels, ils peuvent se consacrer à être vertueux, comme les Gangarides. Cette conception s’oppose totalement à celle de Rousseau pour qui la vie du « bon sauvage » constitue l’idéal. W Le fait que les Gangarides soient végétariens suggère leur pacifisme. Ce sont pourtant de grands guerriers s’il le faut, mais ils savent surtout obéir à la nature, profiter de ses ressources. Ne tuant pas les animaux, ils ne tuent pas non plus, bien sûr, les hommes, contrairement aux autres peuples dont « la principale démence est la fureur de verser le sang de leurs frères » (l. 585-586). Voltaire a toujours violemment dénoncé la guerre et les massacres qu’elle occasionne, malheur dont les hommes eux-mêmes sont les seuls responsables. X Le pronom « on », souvent répété des lignes 572 à 592, désigne l’ensemble des Gangarides. Peut-être que tous n’ont pas participé à la « rééducation » du roi des Indes mais tous étaient d’accord. Cela met en évidence les valeurs collectives des Gangarides : ils sont égaux, solidaires, unis. On peut relever d’autres expressions qui vont dans le même sens : « [Amazan] aime trop ses compatriotes » (l. 554), « nés tous égaux » (l. 560), « son semblable » (l. 563), « leurs frères » (l. 586), le « conseil des Gangarides » (l. 590). C’est évidemment l’égalité entre les hommes qui est prônée, valeur des philosophes des Lumières, puis de la Révolution. Cette égalité doit entraîner la fraternité qui évite les conflits. at La question de Formosante est importante, car elle porte sur la religion, point le plus sensible dans la philosophie de Voltaire. L’utopie des Gangarides n’en serait pas une s’il y avait un clergé et un culte. La haine de Voltaire à l’égard de la religion s’explique par sa condamnation implacable du fanatisme, à l’origine des guerres et des persécutions. Cependant, Voltaire n’est pas athée, les Gangarides non plus : leur Dieu ressemble à celui des déistes. Il a organisé le monde et il convient de l’en remercier : « rendre grâces à Dieu » (l. 598-599), « Nous remercions Dieu de tous les biens qu’il nous a faits » (l. 602-603). ak La tolérance, liée aux questions précédemment évoquées, est un idéal auquel Voltaire est extrêmement attaché (cf. le premier corpus). Ici, la notion tient une place centrale : inutile pour les Gangarides entre eux qui sont tous égaux et d’accord (c’est là d’ailleurs le sommet de la tolérance que de n’avoir plus à se poser le problème ; elle s’exerce à l’égard des animaux – on l’a vu – mais aussi des ennemis vaincus qu’il convient de gagner à cet idéal de tolérance et de paix : « On employa six mois entiers à guérir le roi des Indes de sa maladie », l. 587-588). Les défauts des hommes sont d’ailleurs pudiquement nommés « maladie » ou « démence », ce qui est une manière, en rendant les hommes irresponsables, de ne pas les accabler et donc de les respecter.

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Micromégas & La Princesse de Babylone – 17

La critique implicite de la société française

al L’allusion aux bergers de Babylone renvoie de manière transparente à la France. Se trouve dénoncée la misère du peuple qui est couvert « à peine de lambeaux déchirés » (l. 556-557), plus démuni encore que les animaux (cette idée revient souvent chez Voltaire. Cf. chap. 19 de Candide : « Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous », dit l’esclave), « gémiss[ant] sous le fardeau de la pauvreté » (l. 558). Cette pauvreté est due à la fois aux salaires de misère et aux excès de l’impôt (l. 559). En effet, les ruraux, sous l’Ancien Régime, sont accablés d’impôts (cf. La Fontaine, « La mort et le bûcheron »). am La possibilité de se nourrir abondamment est au centre de l’utopie des Gangarides. Le Gange fertilise la « terre des Gangarides » qui « produit » en abondance des « végétaux prodigués par la nature pour nourrir tout ce qui respire ». Misère et famine sont écartées. Voltaire montre que, pour sa survie, son confort et son progrès, il est fondamental qu’un peuple soit correctement alimenté. La première moitié du XVIIIe siècle qui voit, en France, une diminution de la famine, due à de meilleures récoltes, est aussi une période où la mortalité diminue. an Le roi des Indes représente l’orgueil, à l’origine de bien des guerres, l’irresponsabilité, la démesure : il « fut assez fou pour vouloir conquérir cette nation » (l. 573). ao Voltaire justifie la folie des hommes par leur alimentation, riche en viande et en alcool. Cette mauvaise hygiène de vie aurait, selon lui, des conséquences sur leurs comportements : « Les hommes alimentés de carnage et abreuvés de liqueurs fortes ont tous un sang aigri et aduste qui les rend fous en cent manières différentes » (l. 583 à 585). Plusieurs termes péjoratifs stigmatisent leur manque de bon sens : « fous » (l. 584), « démence » (l. 585), « fureur » (l. 586), auxquels il faut ajouter « verser le sang de leurs frères » (l. 586) et « dévaster des plaines fertiles pour régner sur des cimetières » (l. 587). ap La guerre est très meurtrière (l. 577 : « Les guerriers tombaient sous le sabre des Gangarides » ; l. 586 : « verser le sang de leurs frères » ; l. 587 : « cimetières ») ; rien ne la justifie sauf l’orgueil. C’est pour cela qu’elle témoigne surtout de la bêtise des hommes (l. 592 : « sotte cour », « imbéciles guerriers »). De plus, la guerre provoque des dégâts matériels aux graves conséquences (l. 586-587 : « dévaster des plaines fertiles »). Voltaire développera et diversifiera souvent cette critique ailleurs. aq La monarchie est critiquée, car elle est fondée sur la hiérarchie. Le philosophe propose un renversement des valeurs en présentant l’égalité entre les hommes comme supérieure à une hiérarchie que rien ne justifie : « Il n’est pas roi, et je ne sais même s’il voudrait s’abaisser à l’être » (l. 553-554). De manière implicite sont également suggérées la distance, voire l’indifférence qui éloignent le roi de ses sujets : Amazan refuserait d’être roi, car « il aime trop ses compatriotes » (l. 554). ar L’image finale des « perroquets » est une critique que Voltaire adresse aux prêtres, tout juste dignes d’être représentés par des « perroquets » chez les Gangarides. En effet, ils ne font que répéter mécaniquement des paroles et des textes dont ils ne comprennent pas le sens. L’Église catholique, au contraire des protestants et des jansénistes, s’appuyait sur la tradition plus que sur le retour aux textes fondateurs. as Tout cet extrait qui décrit l’utopie des Gangarides est un long discours du phénix. Celui-ci transmet les idées de Voltaire en matière de tolérance, de paix, de religion et d’économie. Par ailleurs, cet oiseau, tout au long du conte, est une figure de la sagesse. La longueur de son discours est peut-être une mise en abyme du rôle de l’écrivain et son immortalité renvoie à celle des textes littéraires.

◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 79 à 90)

Examen des textes et de l’image u L’utopie de Thomas More repose avant tout sur la liberté individuelle (« libre », « libérés », « de leur choix », « librement », « choisissant », « ses heures libres », « préfère »), l’étude (« étude », « leçons », « lettres », « science », « spéculation ») ou le travail professionnel (« métier », « zèle à servir l’État »). La vie y est collective (« tous », « hommes et femmes », « on », « les Utopiens », « ils »), en particulier les divertissements. Idée très novatrice pour son époque : More propose de réduire le temps de travail en

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le partageant entre tous et en recrutant ceux qui sont habituellement oisifs (femmes et religieux, en particulier). Les valeurs sont donc à la fois le travail, dont la structure est totalement rénovée, et les activités personnelles, librement consenties. v « Fais ce que voudras » renvoie à la conception humaniste de l’homme qui lui accorde toute confiance, car, dans de bonnes conditions, comme c’est le cas à Thélème, il a « par nature un instinct et aiguillon, qui toujours [le] pousse à faits vertueux et retire de vice ». Ainsi, sa liberté peut-elle être totale sans risque pour lui-même ni pour la société. w L’idéal exposé par Trivelin apparaît clairement à la fin de l’extrait : les maîtres s’étant montrés cruels et injustes, c’est-à-dire inhumains, il s’agit de les « rendre sains, c’est-à-dire humains, raisonnables, et généreux […] ». Il ne s’agit donc plus de modifier la société mais d’opérer une profonde réforme de l’homme, sur lequel on est plus pessimiste au XVIIIe qu’au XVIe siècle. Cela passe, comme pour le roi des Indes, par une sorte de rééducation dans laquelle le principe pédagogique essentiel est l’inversion des rôles. C’est en se mettant à la place de l’autre que les maîtres comprendront réellement ce qu’ils lui ont fait subir. x L’Eldorado, dont l’évocation s’étend sur deux chapitres de Candide (chap. XVII et XVIII), est une utopie très élaborée et de nombreux aspects de la société et des institutions sont abordés pour être corrigés de manière idéale. D’abord, c’est une société où règne le luxe, base de la vertu et du bonheur, selon Voltaire. À celui-ci sont associées l’hygiène et la propreté (« bains », « une odeur semblable à celle du gérofle et de la cannelle ») qui renvoient à la saleté des villes françaises au XVIIIe siècle, et particulièrement de Paris. La ville est organisée selon un urbanisme pensé : « édifices publics », « marchés », « fontaines », « grandes places », « palais des sciences ». Dans cette société, il n’y a pas non plus d’inégalité entre les sexes (« Vingt belles filles de la garde »), ni de hiérarchie (« les grands officiers et les grandes officières »). Il est facile d’approcher du roi ; il n’est nul besoin de respecter une étiquette particulière pour cela (fin du deuxième paragraphe). On est bien loin de ce qui se passe à Versailles, où tout est codifié de manière compliquée et absurde et où il est très difficile d’être présenté au roi. Dans un pays où les gens sont heureux, justice et prison sont inutiles. Un autre aspect idéal d’Eldorado est la grande place accordée aux sciences. Dans un tel paradis, les habitants sont naturellement accueillants et généreux. y Les institutions doivent à la fois modifier les relations entre les hommes et leur rendre leur bonté naturelle. Du point de vue politique et social, elles sont gages de justice, d’égalité et de liberté. Le point de vue de Saint-Just est idéaliste, car il accorde une toute-puissance aux institutions qu’elles ne peuvent avoir. Si, du point de vue politique, elles garantissent la démocratie, il est beaucoup plus illusoire de prétendre qu’elles peuvent jouer un rôle sur le plan privé, comme la régulation des passions ou la paix des familles. Saint-Just part du postulat que, dans un pays parfaitement et justement gouverné par les institutions, l’homme retrouve sa bonté naturelle (« rendre la nature et l’innocence »). On ne manquera pas de penser à Rousseau : « L’homme naît bon ; c’est la société qui le pervertit. » U L’utopie proposée par Jules Verne est ambivalente. Ses points positifs résident dans son urbanisme rationnel, pratique et laissant une place aux espaces verts, la liberté du travail, le respect de la loi, la propreté « rigoureuse » et l’hygiène parfaite, obtenues par des moyens modernes et efficaces. Cependant, cet univers est inquiétant car tout y est sous contrôle, aucune place n’est accordée à l’expression individuelle ni à la fantaisie. Les habitants doivent faire allégeance aux règles de la ville. Et surtout, le désir de propreté devient une obsession très coercitive et, pour tout dire, folle et dangereuse. Les habitants sont formatés dans le même moule qui leur enlève toute humanité. Une telle société fait peur. V La perfection de l’urbanisme de la ville de Chaux est d’abord suggérée par son emplacement en pleine campagne : il s’agit de réaliser l’idéal rousseauiste de l’alliance entre nature et progrès. Ensuite, la forme du cercle est la figure traditionnelle de la perfection. On remarque aussi tous les effets de symétrie, qui indiquent une répartition rationnelle de l’espace, et le partage des zones du pourtour, qui délimitent des emplacements d’égales dimensions. Le plan est aéré, particulièrement si l’on considère l’espace important à l’arrière de chaque bâtiment et la vaste place centrale. Des routes mènent à la ville et des allées sont ménagées : tout a été pensé pour une circulation facile. L’endroit, bien clos pourtant par sa structure en cercle, semble ainsi rayonner sur l’extérieur.

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Travaux d’écriture

Question préliminaire Le corpus présente des textes appartenant à des genres différents. Compte tenu de la portée politique d’une utopie, on s’attendrait à ce que de tels extraits trouvent leur place dans un essai ; or ce n’est pas le cas le plus fréquent. À cela, on peut avancer au moins deux explications : la fantaisie du genre, qui laisse au moins autant de place à l’imagination qu’à la prospective politique, et le recours prudent à la fiction pour éviter tout ennui avec la monarchie. Seul Saint-Just écrit un texte théorique, mais c’est un homme politique, pas un écrivain, et son texte n’est publié qu’à titre posthume. De toute manière, il s’était suffisamment engagé dans l’Histoire pour être guillotiné. L’essai a l’avantage d’être très explicite et ouvertement argumentatif. Pourtant, le texte de Saint-Just présente davantage des assertions qu’une argumentation. Le révolutionnaire semble enflammé par sa pensée qu’il veut communiquer sans la remettre en question. Aucune prudence dans le raisonnement chez Saint-Just pour un système qu’il ne semble pourtant pas envisager comme utopique. Le caractère didactique et enthousiaste de la démonstration l’emporte sur son réalisme. Thomas More qui eut, lui aussi, un rôle politique important passe par un genre hybride pour présenter son utopie : un essai qui prendrait la forme du roman mais pas assez pour ne pas inquiéter les autorités qui perçoivent sous le projet utopique une critique politique et sociale. Il est vrai que l’allusion aux femmes, au clergé et à ses valets renvoie aux réalités de l’époque. L’écrivain sera décapité. Il peut être dangereux de proposer une utopie tant le genre est autant la présentation d’un idéal que la dénonciation d’un modèle déjà existant. En témoignent les perspectives présentées par Voltaire dans l’Eldorado, pays merveilleux dont l’évocation est placée au centre du conte philosophique de Candide pour mieux en servir la démonstration : toutes les formes du mal que rencontre le héros y trouvent leur contrepoint, comme autant de pistes politiques pour un monde meilleur. Pourtant, avec les contes de Voltaire, nous sommes totalement entraînés dans un monde de fantaisie dont l’humour n’est pas absent. Dans Gargantua, chronique sérieuse et bouffonne à la fois, le passage de l’abbaye de Thélème contraste avec les aventures habituelles des géants de Rabelais. Les personnages sont issus de la bonne société, saisie dans les activités qu’elle pouvait avoir à l’époque. Bref, cette vie utopique paraît moins irréalisable que d’autres, moins loin de la réalité. Plutôt que dans les faits décrits, l’idéal réside alors dans la vision du monde humaniste de Rabelais. L’homme est bon ; il peut construire une utopie. C’est la démarche inverse d’un Voltaire ou d’un Saint-Just : l’homme est mauvais ; construisons-lui une utopie pour qu’il devienne meilleur. Quant au roman de Jules Verne, il présente l’avantage d’ancrer dans un cadre en apparence réaliste des réalisations qui paraissent d’autant plus folles qu’elles sont possibles. Le dessin de Ledoux frappe l’esprit évidemment par la netteté des lignes et la clarté de l’interprétation que l’on peut en faire : « Un bon dessin vaut mieux que long discours », a écrit Napoléon. Cependant, ce dessin, s’il donne clairement à voir l’urbanisme, est moins efficace qu’un texte – et pour cause – sur le fonctionnement des institutions. Enfin, l’extrait de L’Île des esclaves de Marivaux présente avec originalité une utopie au théâtre. La double énonciation illustre clairement la double fonction d’une utopie : fiction, elle permet de libérer l’imagination et, s’adressant au lecteur/spectateur, elle fait passer un message politique.

Commentaire

1. Le récit au service de l’argumentation Voltaire est resté fidèle à l’esthétique classique selon laquelle il faut instruire et plaire à la fois, ce que fait admirablement le conte philosophique. Ainsi cet extrait de Candide est-il le seul passage narratif de notre corpus. Il convient ainsi de voir comment ce choix de la narration se met au service de l’argumentation. A. Un texte narratif • Le texte met en relief les personnages principaux : Candide, le héros éponyme, et son valet Cacambo. Leur visite à l’Eldorado s’inscrit dans la continuité des aventures du héros. Au chapitre suivant, c’est tout aussi naturellement qu’il rencontrera un esclave à Surinam. De manière plaisante, les deux personnages sont souvent sujets des mêmes verbes, ce qui produit un effet de redoublement comique : ils semblent former une paire indissociable. Pourtant, la qualité de valet de Cacambo semble le préposer aux questions les plus triviales (« si on se jetait à genoux ou ventre à terre ; si on mettait

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les mains sur la tête ou sur le derrière »), tandis que c’est Candide qui pose les questions politiques et s’émerveille devant « le palais des sciences ». • Des personnages secondaires sont aussi présents ; un seul se détache brièvement : le roi. Les autres appartiennent à des groupes plus ou moins importants (« Vingt belles filles », « deux files chacune de mille musiciens »). Ils restent anonymes (répétition de « on »). • Le point de vue est celui de Candide, émerveillé, ce qui contribue à expliquer le gigantisme de la cité et à justifier les nombreuses hyperboles. Eldorado est merveilleux et Candide plus décidé que quiconque à le penser. • Les temps sont ceux du récit : alternance de passé simple pour les actions de premier plan (verbes d’action essentiellement) et d’imparfait pour les éléments de second plan qui ne relèvent pas de la chronologie. Cependant, on note l’utilisation du présent : présent de narration (« montent en carrosse) ou interventions, à valeur générale, du conteur (« Il est impossible d’exprimer », « On voit assez »). B. Le rythme du récit Il est vif et alerte, comme l’annonçait la rapidité du vol des moutons (« en moins de quatre heures on arriva au palais du roi ») : en particulier grâce à l’accumulation des verbes d’action au passé simple, à la brièveté de la plupart des phrases, aux accumulations et à la construction en parataxe. Le rythme est celui d’une visite guidée menée au pas de charge. C. La fantaisie et l’humour La réussite du texte, comme celle du conte tout entier, tient évidemment à l’humour et à l’imagination débridée de Voltaire : on sourit des comportements mécaniques, encore accentués par l’effet de redoublement, de Candide et Cacambo, des différentes formes de rituels bouffons suggérés par Cacambo pour saluer le roi. Néanmoins, le but essentiel de ce récit parfaitement maîtrisé est la mise en scène de l’utopie.

2. Les caractéristiques de l’utopie A. Un urbanisme idéal La caractéristique principale des lieux est le gigantisme, traduit par l’abondance des nombres et particulièrement la répétition de « mille », l’usage systématique du pluriel et les hyperboles (« chacune de mille musiciens », « élevées jusqu’aux nues »). L’espace est parfaitement organisé et se divise de manière précise (« les édifices publics », les « grandes places », les « marchés »). L’ensemble est d’une parfaite propreté (« répandaient une odeur semblable à celle du gérofle et de la cannelle ») et comble avec abondance les besoins des habitants : « les fontaines d’eau pure, les fontaines d’eau rose, celles de liqueurs de canne de sucre ». Le souci esthétique n’est pas oublié : « ornés de mille colonnes », « pavées d’une espèce de pierreries ». B. La politique et les institutions • On remarque l’absence de hiérarchie (dans l’armée, tous ont le même grade) et l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes (« les grands officiers et les grandes officières »). Le roi est très accessible et se comporte avec des inconnus comme avec des familiers : « Candide et Cacambo sautèrent au cou de Sa Majesté, qui les reçut avec toute la grâce imaginable, et qui les pria poliment à souper. » • La justice est inutile, de même que les prisons : puisque les désirs de l’homme sont comblés, il n’a aucune raison de mal se comporter. Il est donc inutile de légiférer : pas de « parlement » non plus. • La culture tient une grande place, comme en témoignent la taille et la richesse du « palais des sciences, dans lequel il vit une galerie de deux mille pas, toute pleine d’instruments de mathématique et de physique ». Les nombreux « musiciens » sont également une preuve de l’importance accordée à l’art. C. Un idéal humain Dans de telles conditions, les hommes sont bons et vertueux : ils ne commettent donc aucune infraction, mais se comportent avec une générosité spontanée. Candide et Cacambo sont littéralement pris en main dès leur arrivée. Ils sont d’ailleurs objets des verbes : « Vingt belles filles de la garde reçurent Candide et Cacambo à la descente du carrosse, les conduisirent aux bains, les vêtirent de robes d’un tissu de duvet de colibri. » Jamais les deux visiteurs ne sont laissés seuls : on leur fait visiter la ville et on répond gracieusement à leurs questions. Cette hospitalité de tous est à l’image de celle du roi lui-même.

3. Un miroir en creux de la France du XVIIIe siècle Cette utopie, très lointaine et difficile d’accès, protégée par les montagnes et une rivière souterraine, est en vérité une image inversée de la France de Voltaire.

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A. L’enthousiasme scientifique L’immensité du Palais des sciences renvoie à l’enthousiasme de Voltaire et de ses contemporains pour les sciences et particulièrement pour les instruments de mesure (« toute pleine d’instruments de mathématique et de physique ») dont on allait jusqu’à orner les salons, comme chez Mme du Châtelet, par exemple. B. La dénonciation de la misère Les termes renvoyant à la richesse sont nombreux : « quelle supériorité prodigieuse elle devait avoir sur ces cailloux et sur ce sable que nous nommons or et pierreries », « un tissu de duvet de colibri » (comble du luxe), « pavées d’une espèce de pierreries ». Ce luxe est le quotidien des habitants qui ne semblent pas y prêter attention. Tout cela renvoie à la pauvreté de la plupart des Français, aux conditions misérables et inhumaines dans lesquelles ils vivent, soumis à l’impôt et aux famines. Or, Voltaire, au contraire de Rousseau, pense que la richesse est la condition du perfectionnement moral de l’homme. C. La critique politique • De la même manière, il faut lire dans le deuxième paragraphe la satire de l’étiquette absurde qui règne à Versailles et des fonctions hautement hiérarchisées qui sous-tendent le petit monde des courtisans. • Un monarque doit être proche de ses sujets et accessible. À Eldorado, Sa Majesté est accessible et le héros de La Princesse de Babylone, Amazan, est un berger comme eux, par exemple. Tandis que le monarque français a le statut le plus éloigné qui soit de son peuple, puisqu’il est de « droit divin » et vit sans contact réel avec ses sujets. • Voltaire critique également le fonctionnement inique de la justice française qui pratique les jugements sommaires, la torture, qui ne recule devant aucune injustice, pourvu qu’elle soit conforme aux intérêts des puissants, et qui met au cachot sur simple dénonciation et lettre de cachet.

Dissertation

1. Dans quelle mesure les utopies sont-elles visionnaires ? A. Dans la mesure où elles se fondent sur de possibles progrès de l’humanité Bon an, mal an, l’humanité avance tout de même dans le bon sens, au moins dans les domaines les plus rationnels comme les sciences et techniques. Reste à ne pas jouer à l’apprenti sorcier ou, pire encore, ne pas en faire un usage immoral et volontairement meurtrier, comme l’ont fait, par exemple, les nazis. B. Elles annoncent souvent des progrès fondés sur le bon sens et mettent en place des cités à l’urbanisme parfait Or ce qui est matériel est aussi ce qui est le plus facile à mettre en place. Nul ne peut contester que des progrès en matière d’aménagement de la ville, de logement, d’hygiène ont été accomplis et continuent de se perfectionner. C. Elles étonnent parfois par leur caractère visionnaire précisément Ainsi le texte de Jules Verne semble dénoncer par avance des dérives de notre société qui, dans un souci de bien faire, exerce contrôles et pressions qui peuvent être inquiétants et réduire la liberté individuelle. Mais elles annoncent aussi les progrès de la démocratie et les projets de Thomas More (partage du temps de travail, développement d’une société de loisir[s]) paraissent étonnamment modernes.

2. Quelles sont leurs limites ? A. La fantaisie revendiquée dans laquelle elles s’inscrivent Le genre de l’utopie est par nature, et souvent par nécessité – pour échapper à la censure –, un genre qui cultive la fantaisie, comme dans les contes de Voltaire, par exemple, où intervient le merveilleux. Dès lors, impossible d’adapter de telles données à des sociétés réelles. Autre exemple : la situation imaginée par Marivaux dont le radicalisme est plus un cas d’école qu’une possibilité envisageable. B. L’idée que les hommes et la réalité qu’ils peuvent créer vont toujours au-delà de l’imagination de l’écrivain Par ailleurs, l’écrivain ne peut pas deviner totalement l’avenir. Sa sensibilité, son intuition, son intelligence en font un observateur privilégié de la société de son époque et, par là, un prophète de l’avenir dont il fait une projection à partir de ce qu’il sait déjà. Mais de nombreuses découvertes n’ont

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pas été anticipées et les horreurs dont l’homme est capable, utilisant pour cela les nouvelles ressources offertes par le progrès, n’ont été envisagées par aucun écrivain. Tous les utopistes croient à l’avènement, un jour, d’un monde parfait. C. L’idéalisme sur lequel elles reposent forcément et qui postule la bonté de l’homme • Mais, pour cela, il faut que l’homme se perfectionne moralement, ce qui est le plus difficile à obtenir, car, contrairement à ce que pense Saint-Just, cela ne dépend évidemment pas des décisions politiques. C’est aussi individuellement que l’homme doit progresser. • L’Histoire a montré que l’optimisme de Rabelais n’était pas toujours justifié et qu’il ne suffisait pas de combler les besoins matériels de l’homme pour le rendre meilleur. L’utopie est toujours à réaliser.

3. N’ont-elles pas d’autres fonctions qu’annoncer « des vérités prématurées » ? A. Les utopies divertissent et font rêver Et c’est là l’une des fonctions essentielles de la littérature. Ce sont avant tout des fictions et des fictions particulièrement libres, puisque dégagées des contraintes du réel. Tout est permis dans l’utopie et c’est réjouissant pour l’écrivain comme pour le lecteur. B. Les utopies ont plutôt une force de proposition que de prédiction Aucune utopie n’a prétendu annoncé l’avenir. Elles lancent des idées, ouvrent des pistes. Elles fonctionnent comme autant d’hypothèses et il peut y avoir de fausses pistes. C. Elles ont surtout pour but de faire passer un message Les écrivains désirent faire passer un message politique qui non seulement se fonde sur des propositions pour une meilleure organisation de la société, mais aussi sur une critique, souvent virulente, même si elle est voilée, des institutions et de la société de l’époque où elles ont été imaginées. Les utopies sont donc à envisager autant du point de vue du présent dans lequel elles sont nées que de l’avenir dont elles font un tableau à la fois sérieux et fantaisiste, ressemblant et improbable.

Écriture d’invention Il s’agit de bien répondre à la question posée et de décrire clairement la ville utopique d’aujourd’hui envisagée sous des aspects divers. On pourra s’inspirer des points abordés dans les textes ou suggérés par le dessin de Ledoux. Ainsi, on pourra s’attacher à l’environnement, l’urbanisme, puis à l’organisation politique et sociale de la ville et, enfin, aux valeurs qu’elle représente. Il ne semble pas utile d’animer ce tableau de personnages individualisés ou prenant la parole, mais toute liberté est permise, pourvu que l’ensemble soit cohérent et fasse sens. Bien sûr, il faut respecter les caractéristiques formelles de la lettre ouverte et prendre en compte le destinataire.

C h a p i t r e X I d e L a P r i n c e s s e d e B a b y l o n e ( p p . 1 4 3 à 1 5 7 )

◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 158 à 160)

La défense u L’extrait proposé appartient au discours. Il fait apparaître un « je » qui est celui de Voltaire, l’homme et l’écrivain, qui se met en scène dans le contexte littéraire de son époque. Exemple : « protégez-moi contre maître Larcher » (l. 2358) ou « vous ferez grand plaisir à mon libraire, à qui j’ai donné cette petite histoire pour ses étrennes » (l. 2377-2378). Autre marque de l’énonciation, la 2e personne ; divers personnages réels ou fictifs sont apostrophés : d’abord les Muses (l. 2319, 2330 : « Ô muses ! » ; l. 2353 : « Muses » ; l. 2357 : « Nobles et chastes muses »), puis l’ennemi de Voltaire, Fréron. L’extrait proposé est en rupture avec ce qui précède, parce que l’on passe du récit au discours, de la narration à la 3e personne au discours à la 1re personne et, enfin, parce qu’on était dans le temps incertain mais

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éloigné d’un Orient utopique et que nous voici transportés, comme sur un canapé volant, ici et maintenant, c’est-à-dire dans le XVIIIe siècle de Voltaire. v Voltaire s’adresse aux Muses en les interpellant par des apostrophes, rendues plus solennelles encore par le vocatif « Ô » ou par des adjectifs valorisants (« nobles et chastes »), ou encore par des périphrases (« filles du ciel »). Ce faisant, Voltaire prétend se situer dans une tradition poétique (« Ô Muses ! qu’on invoque toujours au commencement de son ouvrage, je ne vous implore qu’à la fin »), contrairement aux hommes de lettres qu’il évoque ensuite et qui sont des imposteurs malfaisants. L’ensemble est assez grandiloquent, Voltaire le sait et met cette emphase au service de l’humour. w Voltaire demande aux Muses leur protection (l. 2321 : « vous n’en serez pas moins mes protectrices »). La liste de ses demandes est à l’impératif : « Empêchez que des continuateurs téméraires » (l. 2321-2322), « imposez silence au détestable Coger » (l. 2330), « Mettez un bâillon au pédant Larcher » (l. 2335), « protégez-moi contre maître Larcher ! » (l. 2358). Ainsi Voltaire se présente donc comme une victime, persécutée par ses ennemis qui attaquent sans vergogne et à tort ses œuvres. Une protection divine s’avère nécessaire devant autant d’injustice à l’égard du faible écrivain ! x D’abord, l’écrivain proteste contre les suites ou les reprises de ses œuvres qui en déforment le sens. Au XVIIIe siècle, c’est pratique courante : « des continuateurs téméraires […] gâtent par leurs fables les vérités que j’ai enseignées aux mortels dans ce fidèle récit » (l. 2321-2323). Voltaire se dit aussi victime de calomnie et d’interprétation tendancieuse de ses œuvres ; ainsi la vertueuse Formosante aurait-elle été traitée de libertine. Ses ennemis sont de faux érudits et de véritables ignorants qui multiplient les erreurs en tout genre. Il reproche aussi à Fréron les critiques acerbes de ses œuvres et celle, en particulier, qui consiste à les présenter comme des menaces pour la religion. Il reproche aussi à ses ennemis, proches des catholiques puissants, de faire censurer ses œuvres. Mais tout cela n’est pas grave au fond, puisque, au bout du compte, cela fait une grande publicité aux ouvrages ainsi critiqués par des sots (l. 2370 : « dites-en bien du mal afin qu’on la lise »). Cette défense de l’écrivain est aussi celle de son « libraire », c’est-à-dire de son imprimeur et éditeur. Tous deux prennent des risques et sont attaqués, mais, paradoxalement, tous deux ont à y gagner. y Le passage le plus pathétique se situe à la fin du premier paragraphe (l. 2318 à 2329) et concerne le « typographe » de Voltaire, autrement dit son « libraire », présenté comme « chargé d’une nombreuse famille, et qui possède à peine de quoi avoir des caractères, du papier et de l’encre » (l. 2327 à 2329). Il est possible que l’allusion ait une part de vérité mais elle s’inscrit aussi dans la parodie des romans (ou du théâtre) larmoyants, en vogue à l’époque. La dernière allusion au « libraire » le présente comme acceptant une aumône (l. 2378 : « à qui j’ai donné cette petite histoire pour ses étrennes »). Ainsi, ces allusions pathétiques renforcent-elles le côté emphatique du passage et placent Voltaire, au contraire de ses ennemis, du côté de l’émotion, de la bonté et de la générosité.

Une attaque en règle U Le texte progresse de la défensive à l’offensive. Cette attaque commence dès la deuxième partie du premier paragraphe et va en s’amplifiant jusqu’à la fin. Le pauvre poète soi-disant malmené se révèle un combattant pugnace et un adversaire impitoyable et cruel. N’a-t-il pas écrit une comédie tout entière, L’Écossaise, pour se gausser de Fréron, qu’il n’hésite pas ici à insulter : « mon cher aliboron […] qui m’avez fait rire un mois de suite du temps de cette Écossaise […] » (l. 2267 à 2269) ? Toutes ces attaques rendent Voltaire peu crédible dans le rôle de victime et il est le premier à s’en amuser. V Le texte a l’allure d’un règlement de comptes en raison de tous les noms cités sans précaution. Car, au départ, si Voltaire s’en prend à des ennemis anonymes (« des continuateurs téméraires »), cette prudence ne dure pas ; une première allusion est transparente pour le monde littéraire de l’époque (l. 2325 : « un ex-capucin »), puis des noms sont cités : « Coger », « Larcher », « Fréron ». Toutes ces attaques sont justifiées par les méfaits, rapportés parfois de manière fantaisiste, des uns et des autres. Il s’agit là d’un véritable réquisitoire contre ces hommes de lettres sans talent ni scrupule. Ces arguments qui mettent en cause nommément quelqu’un sont appelés « arguments ad hominem ». W Le vocabulaire péjoratif sert à accuser les ennemis de l’auteur. Il est tellement virulent et spirituel qu’il ne leur laisse aucune chance : Voltaire met les rieurs de son côté.

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Réponses aux questions – 24

Ce lexique renvoie à différents reproches que Voltaire fait à ses adversaires.

Imposture Outrecuidance Manque

de talent et d’honnêteté

Reproches généraux

Atteinte à la morale Ignorance

« ne gâtent par leurs fables » (l. 2322) « a défigurées » (l. 2325) « soi-disant jésuite » (l. 2359-2360)

« téméraires » (l. 2322) « ils ont osé falsifier » (l. 2323-2324) « l’imprudence » (l. 2337)

« bavarderie » (l. 2331) « vilains libelles diffamatoires » (l. 2333) « pédant » (l. 2335) « pédantisme » (l. 2357) « Bicêtre » (l. 2360)

« détestable » (l. 2330) « ennemi » (l. 2342, 2353) « infamie » (l. 2355) « aliboron » (l. 2359, 2367)

« Ce libertin de collège » (l. 2342) « ennemi […] de la pudeur » (l. 2342-2343) « il se répand en éloges sur la pédérastie » (l. 2353-2354) « pédérastie » (l. 2358) « cabaret du coin » (l. 2361)

« sans savoir un mot » (l. 2335) « Il ne connaît pas plus le moderne que l’antique » (l. 2346) « Il n’a jamais entendu parler de » (l. 2350) « il prend pour » (l. 2351) « Il croit se sauver » (l. 2355)

X On trouve également, dans ces pages, du vocabulaire laudatif, particulièrement à la fin, quand il s’agit de Fréron : « maître […] » (l. 2359), « tant de justice » (l. 2361), « digne fils » (l. 2363), « mon cher […] » (l. 2367), « tant de tendresse » (l. 2367-2368), et encore « Je ne vous oublierai point » (l. 2371), « illustre » (l. 2371), « aussi pieuses qu’éloquentes et sensées » (l. 2374). Le rôle de ce vocabulaire laudatif n’est en rien différent de celui du vocabulaire péjoratif : il a une valeur ironique et c’est le contraire de ce qu’il dit qui doit être compris. Cette figure de style est l’antiphrase dont l’auteur est coutumier, car elle est efficace et drôle. Elle fonde l’ironie, marque de fabrique de l’œuvre de Voltaire. at Voltaire ridiculise ses adversaires en leur prêtant des réactions puériles et peu appropriées (« qui n’a pas été content des discours moraux de Bélisaire et de l’empereur Justinien »), soulignées par le décalage entre les « grands hommes » (l. 2333-2334) qu’ils jugent et leur propre médiocrité. Décalage aussi entre les ambitions littéraires de Fréron, symbolisées par le « Parnasse » (l. 2360), et les lieux réels qu’il fréquente : « Bicêtre » (l. 2360), le « cabaret du coin » (l. 2361). Cette trivialité se retrouve dans la comparaison des enfants ramoneurs au dieu mythologique Cupidon. Il prête à ses ennemis une vie amoureuse et sexuelle inexistante : « pour avoir enfin de bonnes aventures » (l. 2345), « dans l’espérance de s’introduire auprès de quelques vieilles » (l. 2347) ou, pire, perverse (pédophilie). Voltaire ne cache pas son mépris (l. 2368 : « […] et qui m’avez fait rire un mois de suite »), encore amplifié par le défi final. ak Les ennemis de Voltaire se sont rendus coupables envers lui de malhonnêteté en ne respectant pas la propriété littéraire et en poursuivant et déformant ses œuvres. Ils se sont aussi livrés à des interprétations volontairement erronées et malveillantes de La Princesse de Babylone. Ils l’ont également accusé d’être hérétique – reproche très grave au XVIIIe siècle – et ont fait censurer ses œuvres. Voltaire se bat ici pour la liberté d’expression et, ce faisant, il montre que, dans une certaine mesure, il en jouit. al D’une manière plus générale, il leur reproche leur malhonnêteté, leur ignorance, leur sottise et leur manque de jugement. Ce sont des reproches d’ordre intellectuel. Mais Voltaire ajoute des reproches moraux : ils n’hésitent pas à dénoncer et à faire condamner l’écrivain et son libraire et se livrent à des désordres sexuels abjects – à la pédophilie, tout particulièrement. am Voltaire est calomnieux lorsqu’il porte atteinte à la vie privée, soit qu’il dénonce l’absence de vie sexuelle – ce qui est véniel –, soit qu’il accuse de pédophilie : « Il croit se sauver en augmentant le nombre des coupables » (l. 2355-2356). De même lorsqu’il reproche à Fréron sa bâtardise : « digne fils du prêtre Desfontaines, qui naquîtes de ses amours avec un de ces beaux enfants […] » (l. 2363-2364). Ici, Voltaire opère en quelque sorte une brachylogie (sentence abrégée) en dénonçant à la fois la bâtardise et la pédophilie. L’impossibilité (qu’un prêtre puisse engendrer un enfant avec un petit ramoneur) invite peut-être à évaluer la part de fantaisie dans le réquisitoire de Voltaire, même si ses ennemis ne sont pas des saints, loin de là.

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Le triomphe du philosophe : rira bien qui rira le dernier an Ce final est une provocation, car Voltaire, plutôt que de supplier ses ennemis de ménager son œuvre, leur demande au contraire de ne pas l’épargner. Il montre aussi que, loin d’avoir peur de leurs manœuvres, il les espère, celles-ci lui faisant de la publicité. Par ailleurs, le philosophe se paie le luxe de n’attendre aucun intérêt personnel de son texte, puisqu’il l’offre à son « libraire ». Voltaire donne ici une leçon de désinvolture et de générosité à ses détracteurs. ao Voltaire a bien entendu été victime d’attaques contre son œuvre et sa personne mais, au moment où il fait paraître La Princesse de Babylone, il ne redoute plus grand-chose : c’est un homme qui a dominé son siècle dans tous les genres littéraires (ses tragédies sont de grands succès) et qui s’est considérablement enrichi. Dans son domaine de Ferney, il est inaccessible ; sa réputation est immense ; il pourra même se permettre le luxe de revenir à Paris quelques mois avant sa mort en y étant accueilli triomphalement et sans être inquiété. Publier une telle diatribe en citant des noms, y compris de ceux qui sont aux côtés des tout-puissants jésuites et de la Sorbonne, c’est faire la preuve éclatante de son immunité littéraire. Voltaire, en 1768, n’a plus rien à prouver ni à craindre. ap La première allusion à la religion se trouve à la ligne 2320 (« dire grâces sans avoir dit benedicite ») ; le choix de ce lexique pour parler de lui-même, qui a les rituels en horreur, est une première provocation humoristique. Ensuite, Voltaire nomme différentes sortes de religieux : « un ex-capucin » (l. 2325), « des capucins » (l. 2325-2326), « l’abbé Gédoin » (l. 2349), « l’abbé de Châteauneuf » (l. 2351), « jésuite » (l. 2360), « prêtre » (l. 2363), « ecclésiastique » (l. 2371), « père de l’Église » (l. 2372), « l’abbé Bécherand » (l. 2372-2373). À cette liste, il faut ajouter un adjectif qui qualifie les productions de tout ce petit monde : « pieuses » (l. 2374). Enfin, il énumère les manquements à la religion catholique que l’on pourrait reprocher à son conte : « hérétique, déiste et athée » (l. 2375). Voltaire évoque un XVIIIe siècle écrasé par le poids de la religion et qui donne à ses représentants un pouvoir considérable ; pourtant, beaucoup d’entre eux sont loin de respecter les principes qu’ils professent. Cette page de Voltaire dénonce, comme il l’a fait ailleurs (cf. « De l’horrible danger de la lecture »), la pression que la religion exerce sur la littérature dans les pays privés de liberté d’expression. aq Ce texte critique l’absence de liberté d’expression, la nécessité de publier souvent à l’étranger, en particulier en Hollande (l. 2326 : « des éditions bataves »), la pression de la censure, les mensonges et la corruption qui mènent à l’injuste sort fait à la littérature des Lumières en France. ar Voltaire se fait crédit de pas mal de choses : d’abord, il est l’élu des Muses, puisqu’il s’adresse à elles ; ensuite, il délivre dans ses œuvres un message juste qui a une valeur didactique et morale pour les lecteurs : « […] les vérités que j’ai enseignées aux mortels dans ce fidèle récit » (l. 2322-2323). Il se pose en défenseur des Anciens : « Bélisaire » et « Justinien » (l. 2332). Il prétend avoir fait un voyage qu’il n’a pas fait ailleurs que dans la littérature – mais peut-être est-ce ce qu’il veut dire (l. 2336-2337 : « sans avoir voyagé comme moi sur les bords de l’Euphrate et du Tigre ») ? – et qui lui a apporté des connaissances que ses détracteurs n’ont pas. Il se montre aussi respectueux des femmes, de celles de l’Orient comme de « notre incomparable Ninon » (l. 2348 : dans cette dernière citation, l’ironie est, bien sûr, perceptible). Bien sûr, il dénonce la pédophilie. Il se vante aussi de ses succès théâtraux dans « tous les théâtres de l’Europe » (l. 2361-2362). C’est donc à un Voltaire sûr de lui en tant qu’homme et en tant qu’écrivain que nous avons affaire ici. as Beaucoup de jeu et d’autodérision dans ce texte somme toute totalement gratuit, comme un appendice inutile au conte qui précède, une sorte d’hyperbate qui en redoublerait le caractère à la fois fantaisiste et combatif. Voltaire s’amuse en jouant sur l’outrance des accusations (deux passages surtout : les mœurs des femmes orientales et les petits ramoneurs) et du style volontairement emphatique. On peut relever la grandiloquence du redoublement de l’adjectif dans « les chastes aventures de la chaste Jeanne » (l. 2324-2325), le néologisme « bavarderie » (l. 2331), le lexique enfantin (l. 2331 : « qui n’a pas été content » ; l. 2333 : « de vilains libelles »), l’hyperbole et l’adjectif possessif « notre incomparable Ninon » (l. 2348), comme s’il s’agissait d’une gloire nationale. Ainsi, si son propre esprit l’avait « fait rire un mois de suite du temps de cette Écossaise » (l. 2368-2369), il ne boude pas ici non plus son plaisir. Voltaire a gardé jusqu’à la fin de sa vie un esprit insolent et farceur, ce qui a réjoui ses nombreux amis et déplu à beaucoup.

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◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 161 à 169)

Examen des textes et de l’image u L’ironie du texte de Voltaire repose sur plusieurs points : – le décalage entre le ton obséquieux de la lettre (« j’obéis aux ordres que votre révérence m’a donnés », « voici mon avis, que je soumets très humblement au vôtre », etc.) et les horreurs qu’elle contient (« les pendre tous à la fois dans une même place », « Je ferai assassiner dans leur lit tous les pères et mères », etc.) ; – l’opposition entre la tournure restrictive « ne […] que » et le nombre élevé qui lui succède : « il ne reste plus que cinq cent mille huguenots dans le royaume, quelques-uns disent un million […] » ; – le mélange bouffon des motivations : « non seulement pour l’édification publique mais pour la beauté du spectacle », etc. ; – des justifications absurdes : « si on les tuait dans les rues, cela pourrait causer quelque tumulte » ; – les allusions sexuelles : « il ne faut pas dépeupler trop l’État après la dernière guerre », « il faut les châtrer tous afin que cette engeance ne soit jamais reproduite » ; – les ouvrages des jésuites présentés comme tellement repoussants que l’on ne peut les assimiler que sous les coups : « et on les fouettera jusqu’à ce qu’ils sachent par cœur les ouvrages de Sanchez et de Molina » ; – l’anecdote bouffonne, là encore motif dérisoire à d’autres massacres : « dans l’année 1704, j’aperçus deux vieilles de ce pays-là qui riaient le jour de la bataille d’Hochstedt ». v Dans le texte de Gautier, ceux qui soutiennent le théâtre classique s’opposent à ceux qui viennent assister à la représentation d’Hernani pour défendre le jeune théâtre romantique. Gautier soutient les seconds. Voici les marques de jugement qui le prouvent :

Jugements mélioratifs en faveur des romantiques Jugements péjoratifs défavorables aux classiques

« un sang-froid parfait », « un sauvage désir », « un jeune sculpteur de beaucoup d’esprit et de talent », « cette jeunesse ardente » À propos du texte d’Hugo : « Ce mot rejeté sans façon », « cet enjambement audacieux, impertinent même »

« larves du passé et de la routine », « débiles mains tremblotantes », « une collection de têtes chauves », « ces moignons glabres », « beurre rance », « les vieilles et les laides », « pavés de crânes académiques et classiques »

w L’argumentation du texte D repose sur l’opposition des champs lexicaux de la beauté, d’une part, qui qualifie le Paris d’avant l’érection de la tour Eiffel, rempli des chefs-d’œuvre du passé, et de la laideur, d’autre part, qui caractérise le projet de Gustave Eiffel. Ainsi, la situation est vue de manière manichéenne : le bien, l’état ancien de la ville, s’oppose au mal, la tour, totalement diabolisée. Le débat dépasse l’esthétique : c’est une vision du monde qui est en jeu, qui a à voir avec le patriotisme dans cette France de la fin du XIXe siècle, c’est le conservatisme contre l’avant-garde. Un tableau rendra compte de ce système d’opposition :

Le Paris traditionnel : la beauté et le bien La tour Eiffel : la laideur et le mal

« la beauté, jusqu’ici intacte, de Paris », « goût français », « l’art et l’histoire français menacés », « Paris est la ville sans rivale dans le monde », « boulevards élargis », « magnifiques promenades », « les plus nobles monuments que le genre humain ait enfantés », « L’âme de la France, créatrice de chefs-d’œuvre », « cette floraison auguste de pierre », « Paris attire les curiosités et les admirations », le « goût [des Français] si fort vanté », « les gothiques sublimes », « le Paris de Jean Goujon […] », « monuments humiliés », « architectures rapetissées »

« l’inutile et monstrueuse tour Eiffel », « Tour de Babel », « profaner », « baroques » et « mercantiles imaginations d’un constructeur de machines », « s’enlaidir irréparablement et se déshonorer », « le déshonneur de Paris », « chacun s’en afflige », « l’opinion universelle, si légitimement alarmée », « cette horreur », « se moquer de nous », « le Paris de M. Eiffel », « une tour vertigineusement ridicule dominant Paris », « gigantesque cheminée d’usine », « masse barbare », « rêve stupéfiant », « tache d’encre », « l’ombre odieuse de l’odieuse colonne de tôle boulonnée »

x La fin du célèbre article de Zola se présente clairement comme un défi, car il revendique son geste. Il vient d’accuser, en les nommant, une série de personnes puissantes. Cette accusation est publique et publiée. Elle est adressée solennellement au président de la République. Or Zola assume totalement son engagement et en connaît les risques : « Et c’est volontairement que je m’expose ». Il fait courageusement le sacrifice de sa liberté pour que l’enquête soit relancée de manière transparente : « Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour ! » Bref, sûr de lui, l’écrivain met au défi les autorités de prouver qu’il a tort.

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Zola fut, effectivement, lourdement condamné par la cour d’assises et dut fuir en Angleterre pour échapper à la prison. Cependant, il avait livré là un courageux combat pour la vérité et la justice. Tous ceux qui furent mêlés à l’affaire Dreyfus furent amnistiés en 1900. En 1906, la Cour de cassation rendit officiellement justice à Dreyfus. Peu après, les cendres de Zola, mort en 1902, furent transférées au Panthéon. y Dans le document iconographique, on remarquera la division de l’espace qui laisse peu de place à l’unique défenseur du classicisme représenté, tandis que les romantiques dominent en occupant les trois quarts du dessin. Ils sont aussi nombreux, debout, véhéments et agitent les bras et les mains. Ils forment une troupe légèrement effrayante pour l’homme assis, qui les regarde, muet et immobile. Les visages sont grossis et laissent apparaître nettement leurs expressions ; cela permet aussi d’opposer un crâne chauve à l’abondance de la chevelure des jeunes gens (signe de force ?). Le texte titré Hernani, mis en évidence devant eux, permet de donner un nouvel indice, si besoin était, de leur appartenance au clan des romantiques. Pour cette première représentation, donnée le 25 février 1830 à la Comédie-Française, Victor Hugo a supprimé la claque officielle, troupe d’applaudisseurs forcés, acquise aux classiques. Pour le soutenir, il a fait appel à ses amis, du Cénacle pour la plupart, déjà célèbres ou qui le deviendront : Balzac, Nerval, Pétrus Borel, Hector Berlioz, Alexandre Dumas, Théophile Gautier… U La caricature est certainement inspirée du texte de Gautier, puisque le dessinateur est trop jeune pour avoir pu assister lui-même à la première d’Hernani. Elle est donc fidèle à ce que dit le texte : les classiques sont chauves, les romantiques chevelus. C’est le conflit de la vieillesse et de la jeunesse qui se presse pour imposer une nouvelle esthétique. On voit également le « col triangulaire » de l’homme à gauche qui renvoie à la description que Gautier fait des costumes des classiques. L’agitation des romantiques illustre ces remarques du chroniqueur : « On en serait peut-être venu aux mains », « l’animosité était grande de part et d’autre ». L’artiste choisit de ne pas représenter l’attitude vindicative des défenseurs du classicisme. En donnant l’avantage aux romantiques, il choisit son camp.

Travaux d’écriture

Question préliminaire Les polémiques, ces combats de plume, se gagnent avec la pertinence de l’argumentation, bien sûr, mais au moins autant avec la manière d’écrire, avec le style. Plusieurs procédés sont utilisés pour convaincre et persuader le lecteur : – Les procédés qui visent à rendre l’argumentation plus claire : opposition des champs lexicaux (texte D), figures d’insistance comme les accumulations dans le texte D (« Nous venons, écrivains, peintres, sculpteurs, architectes amateurs […] »), ou anaphores (texte D et surtout texte E : « J’accuse »), répétitions (« l’ombre odieuse de l’odieuse colonne » – notons, au passage, le chiasme qui enferme dans un avenir inévitablement sombre) ; ou encore les connecteurs logiques qui soulignent la structure de l’argumentation (texte E), la numérotation des arguments dans le texte de Voltaire (même si cet élément ajoute aussi à la bouffonnerie du texte), le découpage en paragraphes courts comme pour les articles d’une loi (textes B et E). – Les procédés qui visent à discréditer l’adversaire : emploi d’un vocabulaire péjoratif et d’images dégradantes (texte C : « larves du passé et de la routine » ; texte D également ; texte E : « Quand on enferme la vérité sous terre »). – Les procédés qui visent à amuser : ironie, décalages et exagérations dans le texte de Voltaire. Le philosophe met sans peine les rieurs de son côté. – Ceux qui visent à frapper l’imagination du lecteur : images (texte C : « l’orchestre et le balcon étaient pavés de crânes académiques » ; texte D : « floraison auguste de pierre »), personnification (texte D : « nos monuments humiliés ») ou hyperboles (texte D : « gigantesque cheminée d’usine » ; texte E : « une des plus grandes iniquités du siècle », « une enquête de la plus monstrueuse partialité »). – Arguments ad hominem qui, grâce aux noms propres, évoquent un tribunal (texte de Zola), attaques personnelles fantaisistes (texte E : « à moins qu’un examen médical ne les déclare atteints d’une maladie de la vue et du jugement »). – L’appel au jugement du lecteur avec les questions rhétoriques (texte D) ou des adresses directes (texte D : « n’en doutez point », et la lettre au président de la République – texte E – qui l’interpelle nommément).

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– Le recours au style direct qui anime l’argumentation (le texte C rapporte deux vers d’Hernani, le texte D imagine la réaction des visiteurs étrangers). – Le registre lyrique, voire épique qui émeut le lecteur : « Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme » (texte E). Bien évidemment, ces différents éléments devraient être rédigés le jour du bac et organisés à l’aide de connecteurs logiques et de paragraphes.

Commentaire On reprendra le plan et les réponses aux questions de la lecture analytique.

Dissertation Les polémiques sont – et pour cause – toujours très datées, comme nous allons le montrer dans une première partie. On se demandera ensuite à quelles conditions elles peuvent rester dans l’Histoire et, enfin, on verra ce qui fait l’immortalité, du moins littéraire, des polémiques.

1. Les polémiques, d’une manière générale, n’ont vocation à rester dans aucune histoire A. Elles sont liées à un contexte précis Un lieu, une époque souvent limitée dans le temps. Une polémique ne peut dépasser l’anecdote que si elle est durable. B. Les avis exprimés ne rendent pas forcément compte d’une opinion largement partagée Ils peuvent être le fait d’une personne ou d’une poignée de personnes, qu’elles soient sincères ou simplement avides de publicité. C. Enfin, le sujet de la polémique peut être de faible envergure Il ne modifie pas le cours des choses. Ou, comme dans le cas de la tour Eiffel, la suite de l’Histoire, en faisant radicalement triompher un parti, fait sombrer la polémique initiale dans l’oubli.

2. Cependant, à quelles conditions font-elles partie de l’Histoire ? A. Si l’histoire littéraire est elle-même, d’une manière plus large, le reflet de l’évolution des mentalités Ainsi la querelle des Anciens et des Modernes à la fin du XVIIe siècle, outre qu’elle pose un problème d’esthétique, ouvre surtout la voie à une nouvelle conception de l’homme et à la naissance de l’individu, notion qui triomphera au XVIIIe siècle. B. Si la polémique oblige les auteurs à s’engager dans un problème qui n’est pas littéraire, mais plus vaste, politique, comme c’est le cas pour l’affaire Dreyfus C. La force polémique d’une œuvre tient à sa valeur révolutionnaire C’est elle qui la fera entrer dans l’Histoire. L’histoire des idées précède souvent l’Histoire factuelle.

3. La primauté du style Mais ce qui grave une polémique dans l’Histoire, c’est la valeur littéraire des textes qui y participent. A. C’est elle qui leur donne un écho Le texte qui défend Dreyfus aurait-il eu autant de retentissement rédigé par un écrivain obscur et sans talent ? Quand un écrivain met son style au service de l’Histoire, il y entre. Le texte sur la tour Eiffel, aux effets assez grossiers, ne fait pas partie du patrimoine. B. Ainsi se rejoignent histoire littéraire et Histoire L’histoire littéraire fait partie de l’Histoire quand elle est servie par des textes inoubliables. Elle a alors une valeur fondatrice. C. Cependant, il est vrai que le terrain polémique n’est pas le meilleur pour permettre à l’écrivain d’exprimer son art Seuls, peut-être, les philosophes des Lumières ont réussi à faire de leurs combats des chefs-d’œuvre de style.

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Micromégas & La Princesse de Babylone – 29

Écriture d’invention • Là encore, il s’agit de bien respecter les contraintes de l’article de presse : énonciation, information, format, etc. • Mais le texte doit donner un avis, éventuellement entrer dans la polémique : les marques de jugement sont donc essentielles. • Les procédés utilisés dans le texte D sont facilement repérables ; il devrait donc être possible que les élèves les identifient et réussissent à les imiter. • Concernant le sujet choisi, il est variable en fonction de l’actualité, mais il peut s’agir : du dopage dans le monde du sport ; du règne de l’argent dans certains sports comme le football ; de projets architecturaux, comme le projet d’aménagement du Mont-Saint-Michel ; de la sortie d’un film ; d’une mise en scène au théâtre (le sujet peut être donné à l’occasion d’une sortie de la classe) ; d’une œuvre en art plastique (mais on évitera de dénoncer l’art abstrait, controverse aujourd’hui un peu dépassée).

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Compléments aux lectures d’images – 30

C O M P L É M E N T S A U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S

◆ Voltaire en négligé (p. 4) Travaux proposés – Quel visage inattendu de Voltaire nous est donné par cette gravure ? – À quel moment de sa vie est-il saisi, à votre avis ?

◆ Gravure pour Micromégas (p. 5) Travaux proposés – Quel moment du conte cette gravure illustre-t-elle ? Justifiez votre réponse. – Quelles remarques vous inspire cette représentation du géant ?

◆ Voltaire à la table de Frédéric II (p. 8) Travaux proposés – À quel moment de la vie de Voltaire cette gravure renvoie-t-elle ? – Commentez le décor. Qu’est-ce que cela nous apprend sur le personnage de Voltaire ? – Où est représenté Voltaire ? Comment est-il mis en valeur ?

◆ Fontenelle par Louis Galloche (p. 26) Travaux proposés – Rédigez une biographie de Fontenelle. – La biographie du peintre qui a exécuté ce portait nous apprend qu’il était un homme exceptionnellement vertueux. Quels éléments reflètent ce regard bienveillant du peintre sur son modèle ? – Spécialisé dans la peinture religieuse, Louis Galloche a fait peu de portraits mais admirait les grands maîtres. Vous pourrez rechercher quelques portraits de Rembrandt et les comparer à celui-ci.

◆ « Plus jamais ça ! », affiche de 1945 (p. 46) Travaux proposés – Cherchez d’autres exemples, plus récents, d’affiches engagées. – Essayez d’établir un corpus de textes et d’images actuels prônant la tolérance. (C’est aussi une manière de préparer la dissertation.)

◆ Vue du château de Ferney (p. 48) Travail proposé – En quoi cette gravure montre-t-elle que Voltaire a voulu faire de Ferney une « utopie réelle » ?

◆ La Princesse de Babylone, gravure de Villerey (p. 58) Travail proposé – Quels procédés contribuent à l’idéalisation du décor et des personnages ?

◆ La Princesse de Babylone, gravure de Monceau (p. 70) Travail proposé – Quelles caractéristiques physiques et morales de Formosante sont mises en évidence par cette représentation ?

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Micromégas & La Princesse de Babylone – 31

◆ Émilie du Châtelet par Marianne Loir (p. 75) Travaux proposés – Faites une biographie de cette femme d’exception. – Quels aspects de sa personnalité ce portrait veut-il mettre en valeur ?

◆ Vue générale de la ville de Chaux (p. 88) On pourra lire, dans la collection « Découvertes Gallimard », Les Architectes de la liberté, qui traite de l’utopie en architecture. Plusieurs pages sont consacrées à Ledoux.

◆ Arrestation de Voltaire à Francfort (p. 160) Travaux proposés – En quoi ce tableau est-il un témoignage de la vie quotidienne au XVIIIe siècle ? – On pourra lire avec profit Vivre dans la rue à Paris au XVIIIe siècle d’Arlette Farge (« Folio Histoire », Gallimard). À partir de ces documents, on peut imaginer un travail d’invention à proposer aux élèves. – On peut également, à titre d’exercice, entraîner les élèves à l’argumentation en les faisant réfléchir sur les fonctions de la rue aujourd’hui.

◆ « Les Romantiques à la représentation d’Hernani », d’après un dessin de Stop (p. 168) Travail proposé – Cherchez d’autres évocations iconographiques de cette fameuse représentation.

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Bibliographie complémentaire – 32

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E

– Jean Goulemot, André Magnan et Didier Masseau, Inventaire Voltaire, coll. « Quarto », Gallimard, 1995. – Ghislain Waterlot, Voltaire, Le Procureur des Lumières, Michalon, 1986. – L’Affaire Calas et autres affaires, coll. « Folio Classiques », Gallimard, 1975 (recueil de textes de Voltaire à propos d’affaires dans lesquelles il s’est battu). – Les élèves peuvent éventuellement lire une contre-utopie comme 1984 de George Orwell, ainsi que Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift. – Il est aussi intéressant de lire d’autres types de contes comme ceux de Charles Perrault (1697) ou des extraits des contes des Mille et Une Nuits (1704-1717).