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Milad El Jawich « Prends l’enfant et sa mère » Le récit de l’enfance de Jésus chez Matthieu (1–2) le livre et le rouleau

Milad El Jawich

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Milad El Jawich

« Prends l’enfant et sa mère »Le récit de l’enfance de Jésus

chez Matthieu (1–2)

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Milad EL JAWICH

«Prends l’enfant et sa mère»

Le récit de l’enfance de Jésus chez Matthieu

(1–2)

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© 2021 Éditions jésuites 141, avenue de la Reine, 1030 Bruxelles (Belgique)

14, rue d’Assas, 75006 Paris (France) www.editionsjesuites.com

ISBN : 978-2-87299-394-9

Le livre et le rouleau, 58 Une collection dirigée par

Didier Luciani et Jean-Pierre Sonnet s.j.

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AVANT-PROPOS

Le 1er octobre 2015, une page de ma vie s’est tournée, lorsque j’ai clôturé mes études doctorales en théologie biblique à l’Université catholique de Louvain et défendu ma thèse intitulée : La fonction narrative des disciples dans le récit de la Passion chez Marc et Luc. J’ai clôturé ma thèse, mais pas le désir de m’asseoir devant la sainte Écriture, de l’étudier et de scruter ses mystères.

Deux mois plus tard, après un temps de repos et à la veille de Noël, je suis revenu à la parole de Dieu, au « rocher d’où j’ai été taillé et au fond de tranchée d’où j’ai été tiré » (Is 51, 1), pour entamer un projet dont l’idée bouillait en moi depuis un certain temps. C’est ainsi que jaillirent les premiers mots de ce livre sur le récit de Noël (ou de l’en-fance) dans l’évangile de Matthieu (Mt 1–2). À l’époque, je ne me rendais pas compte que j’allais relever un défi aussi savoureux que difficile, comme une nouvelle thèse à écrire.

Pendant trois ans, le temps qu’a pris ce travail, à l’origine en langue arabe, je me suis mis à étudier le récit de Matthieu, à le contempler et à lire ce que les prédécesseurs avaient écrit à ce sujet. Le résultat est ce que vous allez lire. Quel que soit l’objectif de votre lecture — approfondir vos recherches ou vous ressourcer spirituelle-ment —, je souhaite que vous vous laissiez séduire par la parole de Dieu, par sa beauté et son efficacité. Je vous prie également de ne pas lire ces pages en une seule fois mais par étapes, car elles débordent d’informations qui pourraient encombrer la mémoire et de miettes spirituelles qui ne sauraient être consommées en un seul repas. De

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8 Avant-propos

même que l’histoire de la naissance de Jésus ne s’est pas déroulée en une seule nuit et que les mages ont dû faire un long voyage pour arri-ver à Jérusalem, ainsi la lecture de ce livre exige du temps à passer lentement et un périple vers les déserts du cœur. La lecture lente, comme la rosée du matin, irrigue l’âme calmement et rafraîchit l’es-prit en silence.

On lit de moins en moins aujourd’hui, mais toi, mon cher lecteur, résiste au courant dominant. Assieds-toi et lis, car la parole de Dieu chez nous est un « livre » (biblos), comme le dit Matthieu au premier mot du Nouveau Testament (Mt 1, 1), ou des « livres » (biblia), comme en témoigne Jean dans le dernier mot des évangiles (Jn 21, 25). Si l’on écrivait tous ces livres, tu y consacrerais toute ta vie sans arriver à apprendre entièrement ce que Jésus a enseigné et fait.

Pour finir, je voudrais remercier vivement Damienne de Gottal d’avoir lu et corrigé ce texte, ainsi que Michèle Baget pour la seconde lecture. Ma reconnaissance va aussi aux éditions Lessius, surtout à Yves Roullière : merci pour leur soutien et leur sollicitude.

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INTRODUCTION

C’est avec amour que l’on écrit : on consulte l’Esprit de Dieu auparavant, on trempe sa plume dans l’encre de la grâce et on se met à transcrire ce que le Seigneur inspire. Sinon, les mots ne sont que des lettres placées l’une à côté de l’autre, sans goût, sans vie. Écrire, c’est laisser deux cœurs se parler, chuchoter : le cœur de l’auteur et celui du lecteur. Tous les deux boivent à la même coupe et se livrent à la même ivresse dans l’Esprit. Leur vin n’est que paroles et si ces paroles sont bien conservées dans les caves du cœur et de l’esprit, l’ivresse sera plus subtile.

Que dire alors si l’on écrit sur la parole de Dieu ? Des livres sans fin et des commentaires innombrables ont été rédigés sur les évan-giles. Certains nous enivrent par la profondeur du contenu ; d’autres nous empêchent de continuer au-delà de la première page. Certains sont de purs commentaires, souvent secs et difficiles à lire, faisant entrer dans un labyrinthe d’avis et de contre-avis ; d’autres, au contraire, ne visent qu’à cueillir quelques roses spirituelles. Dans les deux cas, il y a exagération. Je suis souvent tombé sur des com-mentaires qui adoptent envers l’Écriture une approche purement historique ou purement littéraire, en oubliant volontairement qu’elle est avant tout « la parole de Dieu », une parole dont le but extrême est « de croire et d’avoir la vie en son nom » (Jn 20, 31). L’évangile ne devient, dans ce cas-là, qu’un texte à exploiter avec une objectivité extrême, voire à disséquer de manière scientifique,

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10 Introduction

loin de tout souci spirituel ou pastoral. Les « pauvres d’esprit » ne lisent pas de tels livres, car ils sont dépourvus de toute nourriture spirituelle.

En revanche, il existe d’autres types de livres qui adoptent une approche spirituelle tellement extrême que le contenu paraît tota-lement étranger au texte biblique lui-même. Dans ce cas-là, le texte se retrouve au service d’idées gratuites, vides, sans racines ni bases. Par exemple, certains livres spéculent exagérément sur la pauvreté de Jésus, né dans une grotte entre les animaux, sous la neige, victime d’un froid impitoyable, alors que le texte évangélique ne parle ni de grotte, ni d’animaux, ni de froid impitoyable, ni de neige ! Cette manière de commenter le texte évangélique n’est pas moins nuisible que la première. « Gardez-vous de ne pas faire dire au texte ce que le texte ne dit pas » : tel est l’avertissement répété par nos maîtres d’exégèse.

Ce que je cherche souvent dans mes lectures, c’est à lire l’évan-gile, à l’interpréter, mais aussi le contempler. L’évangile, pour moi, est une parole de Dieu — une parole à scruter, car elle nous arrive de l’histoire ; une parole à interpréter, car elle dévoile une littérature fascinante ; une parole à contempler, car elle est pour l’âme « esprit et vie » (Jn 6, 63), pour le cœur feu et lumière et pour la bouche « plus douce que le miel » (Ps 119, 103). Pas de rupture entre la rai-son et l’esprit. La première peut être au service du second, qui lui-même peut adoucir la première. Je désire écrire avec mon esprit scientifique, mais aussi avec mon esprit spirituel pour toucher un maximum de lecteurs. J’écris pour l’expert et pour le moins expert. Tous trouveront de quoi manger à ma table.

Commenter l’Écriture n’est pas une tâche facile, car nous nous tenons sur une terre sainte. D’où la prudence. Plus difficile encore est de partager ses récoltes avec des lecteurs dont certains sont étran-gers au monde biblique. La première difficulté réside dans le souci de transmettre ce que l’hébreu et le grec, les deux langues originales de la Bible, portent de richesse et ce que leurs tournures, parfois compliquées, cachent de sens. Il va sans dire que nous suivons les textes originaux dans notre commentaire, car les traductions cou-rantes manquent d’exactitude et trahissent parfois le sens. Pour cette raison, une traduction littérale s’avère nécessaire afin de révéler

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1.¥Normalement, c’est nous qui traduisons littéralement les textes originaux. Sinon, nous suivons tantôt la TOB et tantôt l’ancienne traduction de Darby (1885), la plus fidèle à notre avis au texte original. Pour la partie qui concerne Abraham, la traduction du texte hébreu est tirée de Wénin, Abraham ou l’apprentissage du dépouillement. (Tous les détails des références des ouvrages se trouvent dans la Bibliographie en fin de volume.)

2.¥Akl, préface à Michel Trad, Jilnar. 3.¥Khodr, « Qu’est-ce que l’homme, que tu te souviennes de lui ? », Annahar,

20 juin 2015.

autant que possible les richesses du texte original ainsi que ses mystères1.

Il est tellement difficile également de faire sortir du texte — par-fois sec dans son apparence — une vie pour le lecteur. « Untel engendra untel » : quelle vie tirer d’une formule aussi sèche ? La vie, même dans l’interprétation, ne sort qu’après un douloureux enfan-tement, qu’après une tragédie que le penseur libanais Saïd Akl appelle « la tragédie de la création artistique », quand « le créateur souffre pour qu’il se perpétue en ses splendides éclats et que cette victoire soit suivie une victoire d’une autre, sans se laisser aller à la facilité ni se laisser attirer par un repos paresseux2 ». La parole ne sort de l’écrivain, comme le dit bien Mgr Georges Khodr, que comme une blessure3. Le véritable écrivain est donc coincé entre deux rails : le texte qu’il a la charge de sortir de son sommeil et le lecteur qui ne se satisfait pas de n’importe quelle idée. Le lecteur est un client exigeant : il a toujours droit à la qualité.

1. POURQUOI LE RÉCIT DE L’ENFANCE CHEZ MATTHIEU ?

a. Parce que c’est le prélude de l’évangile de Matthieu

Le lecteur du Nouveau Testament tombe d’abord sur la préface de la « Bonne Nouvelle ». Une préface doit toujours être écrite avec grand soin. Sa première fonction est de séduire le lecteur pour

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4.¥Brown, p. 49.

l’inciter à continuer la lecture, en lui offrant un projet d’intrigue qui pourrait l’accrocher. Ceci étant, la préface doit dire et ne pas dire, révéler et en même temps dissimuler, faire allusion plutôt qu’annoncer, nourrir sans pour autant satisfaire l’appétit. Elle ne doit pas tout dire, sinon elle tue le suspense. Son devoir est de laisser le lecteur affamé, en recherche de ce qui suit.

Imaginons un nouveau lecteur du Nouveau Testament. Sera-t-il séduit par les premières lignes de l’évangile de Matthieu ? Cette généalogie de Jésus, avec ses noms étranges et difficiles à prononcer parfois, l’incitera-t-elle à continuer la lecture de l’évangile ? Sera-t-il séduit par l’histoire des mages qui viennent de l’Orient, en suivant un astre, pour adorer « le roi des Juifs » ? Sera-t-il satisfait par l’histoire de cet enfant « roi », à cause duquel des enfants inno-cents sont massacrés à Bethléem ? Éprouvera-t-il de l’empathie envers cet enfant ou envers son père, qui en fait n’est pas son géni-teur, ou bien envers sa mère qui reste sans voix dans le récit ?

L’affaire se complique davantage lorsque le lecteur découvre que la plupart des personnages de cette préface (Joseph, Hérode, les mages, Archélaüs) ne dépasseront pas les limites des deux premiers chapitres de Matthieu : ou bien ils disparaîtront complètement dans les chapitres suivants (Mt 3–28), ou bien ils jouiront d’un rôle réduit au minimum (Marie). Seul Jésus continuera sa marche dans le récit au-delà des deux premiers chapitres. Et s’il le fait, c’est indépen-damment des événements qui y sont relatés : ni la conception vir-ginale ne sera mentionnée par la suite, ni la naissance à Bethléem, ni le massacre des enfants, ni l’émigration vers l’Égypte. La préface apparaît ainsi comme une île isolée sans lien explicite avec la vaste étendue du récit : « Si les deux premiers chapitres disparaissaient, et si l’évangile de Matthieu nous était parvenu en commençant par 3, 1, personne n’aurait suspecté la présence de deux chapitres per-dus4. » De quel type de préface s’agit-il alors ? Qu’est-ce qui nous séduit en elle ? Telles sont les questions qui m’ont poussé à écrire.

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b. Parce qu’il est le récit de « Noël »

Pourquoi le récit de Matthieu? Parce que c’est le récit de l’enfance de Jésus. Il n’est pas étonnant que ce récit occupe, avec celui de Luc (Lc 1–2), une place importante dans le cœur du lecteur chrétien. C’est le récit de Noël, la fête la plus chère au cœur de tous. Ce récit, qui fait désormais partie de l’héritage humain, est bien enraciné dans notre mémoire collective au-delà de nos différences culturelles et de nos convictions religieuses. En ceci, Matthieu réussit à relater un «conte» qui a survécu au travers des siècles, tout comme les autres grands contes classiques. Certains chercheurs ont essayé de disséquer l’histoire de l’enfance chez Matthieu et d’y pointer les caractéristiques qui distinguent généralement les contes folkloriques. Ainsi procède Robert Couffignal par exemple, avec l’histoire d’Hérode et les mages (Mt 2, 1-12), en se basant sur l’étude des structures du conte que le savant russe Vladimir Propp avait développée dans son livre Morphologie du conte.

Ces facteurs, dont je mets ici les mots techniques en italique, mon-trent le parcours que le roi Hérode et les mages suivent dans leur recherche de Jésus. Jésus est né. C’est la situation initiale. Et avant qu’il ne se dissimule dans le petit village de Bethléem, il laisse l’astre comme une trace éclatante qui renvoie à sa naissance. Cette trace suscite la curiosité de quelques-uns — ici les mages — et crée chez eux un manque qu’ils essaient de combler. Pour ce faire, ils devien-nent des quêteurs, qui prennent le départ à la recherche de rensei-gnements. Face à cette recherche, il en est une autre, celle d’Hérode, qui résulte elle aussi d’un manque, qui produit des questions et qui enflamme le désir d’atteindre le but. Hérode essaie d’être persuasif, mais il utilise en fait la tromperie. Aux mages, il emprunte le discours et le désir d’aller à Bethléem en vue d’adorer l’enfant qui devient, pour lui aussi, l’objet de la quête. Les mages partagent la complicité du trompeur, par obligation ou par ignorance, et contribuent, sans le savoir, aux actes abominables qu’il s’apprête à accomplir. Au terme de l’histoire, les quêteurs sérieux atteignent leur objet. Mais au lieu d’être récompensés pour leur réussite et reconnus comme héros (c’est comme cela que se concluent généralement les contes populaires), c’est Jésus, objet de leur quête, qui est déclaré héros et récompensé.

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5.¥Cf. Couffignal, p. 97-104.

Une fois leur quête réussie, les mages retournent chez eux, tandis que la quête d’Hérode reste insatisfaite. Ce manque crée chez lui un sentiment de déception qu’il essaie aussitôt de surmonter par une campagne de poursuite et de persécution, dans laquelle il y a déséqui-libre entre la force du persécuteur et la faiblesse du persécuté. Ce dernier devient ainsi le héros-victime et cherche à se dissimuler ou à s’enfuir pour un certain temps. Hérode le persécuteur commet alors un méfait en tuant les enfants de Bethléem, confirmant ainsi l’échec de sa quête. Ce méfait ne tarde pas à être divulgué et à devenir un motif de plainte et de pleurs versés par le frère du héros ou par sa mère (ici Rachel qui pleure ses enfants). Comment la quête s’achève-t-elle en fin de compte? Par le décès du persécuteur et la délivrance du héros. Il se peut que cette délivrance soit annoncée en même temps que la persécution elle-même, comme ici lorsque l’ange révèle à Joseph l’ordre de partir en Égypte et l’intention d’Hérode de faire périr l’enfant. Cette conclusion peut être mise en relief par une marque qui montre bien la victoire du héros. Cette marque pourrait être le retour du héros à la maison ou bien son départ incognito vers un autre lieu, comme c’est le cas de Jésus qui retourne à Nazareth et non pas à Bethléem5.

c. Parce qu’il est le récit de Joseph, de Marie et de Jésus

Matthieu réussit surtout à susciter notre empathie envers Joseph, ce « pauvre » Joseph qui n’est introduit dans le récit, nous semble-t-il, que pour obéir en silence, pour « se lever et prendre l’enfant et sa mère », du nord au sud et du sud au nord. Matthieu réussit également à provoquer notre étonnement envers ce fiancé « trompé », qui avait résolu de renvoyer sa future femme, pour l’avoir trouvée enceinte, avant qu’ils ne cohabitent. Matthieu réussit également à nous intriguer non seulement grâce à l’histoire de la conception virginale de Marie, mais aussi grâce à son sort après la naissance de Jésus : Joseph l’a-t-il connue après coup ou ne s’est-il plus approché d’elle ? Quant aux mages qui viennent de l’Orient,

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Matthieu les grave sur les pierres de nos cœurs, nous qui aspirons, comme eux, à vénérer l’enfant de Bethléem. Matthieu réussit sur-tout à relater une enfance digne de Jésus, le héros de son récit, une enfance qui commence par l’histoire de sa conception miraculeuse grâce à la force de l’Esprit saint, qui passe par l’intervention répétée de l’ange du Seigneur en sa faveur, et qui se conclut par l’histoire de cet enfant persécuté et contraint de quitter sa maison pour la simple raison qu’il constitue un danger éventuel pour Hérode, le roi fort qui réside dans son palais. Ce ne sont là que des étincelles de la beauté de ce récit. Le reste apparaîtra sans doute.

Joseph est le personnage qui m’a le plus poussé à écrire. C’est peut-être son silence qui parle à mon cœur. Un homme d’action, mais sans paroles. Un homme revêtu de splendeur ! Joseph a beau-coup de choses à nous dire, à nous qui vivons aujourd’hui dans le bruit et la lumière. Je vais suivre sa trace, pas à pas, et guider mon lecteur pour savourer la bonté de cet homme dont le rôle se limite aux deux premiers chapitres de l’évangile.

Je parle de Joseph, certes, mais sans oublier Marie. Même si l’évangile de Matthieu ne lui accorde pas la même importance que l’évangile de Luc, Marie reste la « première dame » de l’évangile. Il suffit que « l’enfant et sa mère » soient ces deux personnages inséparables, dont le lien ne se brise pas tout au long du récit de l’enfance, dans un refrain qui se répète à maintes reprises. Marie reste silencieuse elle aussi, comme son mari et son enfant. Chose étrange ! Les héros du récit restent silencieux, tandis que tous les personnages autour d’eux parlent. Par ce silence, Matthieu aura probablement voulu, au début de son récit, faire passer ce message à son lecteur : si tu désires entrer vraiment dans le monde du récit évangélique, tu n’auras qu’à y entrer en silence, à l’instar des trois héros de mon récit et non pas agités, comme Hérode et sa ville de Jérusalem (2, 3).

Quant au petit Enfant Jésus, il reste l’axe central de tout le récit et le personnage dominant par excellence. Le récit lui-même est « le livre de sa genèse » (1, 1) : il débute par son nom (1, 1) et se clôture par son titre (2, 23). Que le lecteur sache donc que le récit de l’enfance n’est pas un récit « marial » ni un éloge de Joseph « le juste », mais avant tout le récit de Jésus. À Jésus est consacrée la

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16 Introduction

6.¥Cf. par exemple : Keener, p. 73-115 ; Meier, p. 127-152.

généalogie inaugurale ; la naissance relatée n’est autre que la sienne ; la Judée lui appartient ; les mages s’inclinent devant lui seul ; il est la raison du voyage vers l’Égypte ; le sang des enfants de Bethléem est versé pour lui ; l’ange du Seigneur s’infiltre dans les rêves en sa faveur, etc. Cela dit, il incombe au lecteur de voyager lui aussi très loin, de se laisser guider par l’astre céleste pour venir rencontrer l’enfant de Bethléem, l’adorer, pour rentrer après coup chez lui par un autre chemin. Et ce livre n’est autre que le compagnon de son pèlerinage à Bethléem pour son enfant miraculeux.

2. QUELLE MÉTHODOLOGIE ADOPTER ?

À chaque recherche sa méthodologie. En cherchant Jésus, nous ne prêtons pas attention à l’histoire, c’est-à-dire à ce qui s’est réel-lement passé ni à distinguer dans le récit de l’enfance ce qui est historique de ce qui est légendaire. L’astre est-il réellement apparu cette nuit-là dans le ciel de Bethléem ? Les mages sont-ils réellement venus à Jérusalem pour adorer le roi des Juifs ? Hérode a-t-il vrai-ment massacré les enfants de Bethléem pour se débarrasser de Jésus ? Jésus a-t-il historiquement émigré en Égypte pour revenir après coup en Israël ? À aucune de ces questions nous ne répon-drons. Il suffit au lecteur d’aller consulter les nombreux livres qui étudient les faits du point de vue historique et essaient de répondre à de telles questions6. Quant à nous, nous en restons au récit. Nous n’aspirons qu’à suivre son parcours et l’évolution de son intrigue.

a. Le récit et le narrateur

Qu’est-ce que le «récit» en fait? C’est tout simplement le «com-ment» de l’histoire, c’est-à-dire la manière dont l’histoire est racontée. Toute histoire peut être racontée de différentes manières, suivant les

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TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos ……………………………………………… 7

Introduction ………………………………………………… 9 1. Pourquoi le récit de l’enfance chez Matthieu ? ………… 11

a. Parce que c’est le prélude de l’évangile de Matthieu … 11 b. Parce qu’il est le récit de « Noël » ………………… 13 c. Parce qu’il est le récit de Joseph, de Marie et de Jésus 14

2. Quelle méthodologie adopter ? ……………………… 16 a. Le récit et le narrateur …………………………… 16 b. La parole de Dieu ………………………………… 18

Chapitre Ier. «Livre d’engendrement de Jésus Christ» (Mt 1, 1) … 21 1. « Livre d’engendrement » …………………………… 22

a. Une genèse face à une autre ……………………… 23 b. Livre de la genèse du lecteur ……………………… 25

2. « Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham » ………… 26 a. « Le Christ » ……………………………………… 27 b. « Le fils de David » ………………………………… 31 c. « Fils d’Abraham » ………………………………… 34

Chapitre II. D’Abraham au roi David (Mt 1, 2-6a) ………… 37 1. Notes préliminaires ………………………………… 37

a. « Untel engendra untel » …………………………… 37 b. De simples noms ou plutôt des modèles ? ………… 40

2. D’Abraham au roi David …………………………… 42 a. « Abraham engendra Isaac » (v. 2) ………………… 42 b. « Et Isaac engendra Jacob » (v. 2) ………………… 49

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332 Table des matières

c. « Et Jacob engendra Juda et ses frères » (v. 2) ……… 52 d. « Juda engendra Pharès et Zara de Tamar » (v. 3) …… 57 e. «Et Pharès engendra Esrom et Esrom engendra Aram et

Aram engendra Aminadab et Aminadab engendra Naassôn, et Naassôn engendra Salmon, et Salmon engendra Boes de Rahab » (v. 3-5) ………………………………… 59

f. « Et Boes engendra Obed de Ruth » (v. 5) …………… 64 g. « Et Obed engendra Jessé » (v. 5) …………………… 67 h. « Et Jessé engendra David le roi » (v. 6a) …………… 68

Chapitre III. De David à la déportation de Babylone (Mt 1, 6b-11) … 79 a. «Et David engendra Salomon de celle d’Urie» (v. 6b) … 79 b. « Et Salomon engendra Roboam » (v. 7) …………… 84 c. « Et Roboam engendra Abia » (v. 7) ………………… 87 d. « Et Abia engendra Asaf » (v. 7) …………………… 88 e. « Et Asaf engendra Josaphat » (v. 8) ………………… 90 f. « Et Josaphat engendra Joram » (v. 8) ……………… 91 g. « Et Joram engendra Ozia » (v. 8) ………………… 92 h. « Et Ozia engendra Yoatham » (v. 9) ……………… 95 i. « Et Yoatham engendra Akhaz » (v. 9) ……………… 96 j. « Et Akhaz engendra Ezékias » (v. 9) ……………… 96 k. « Et Ézékias engendra Manassé » (v. 10) …………… 99 l. « Et Manassé engendra Amos » (v. 10) ……………… 100 m. « Et Amos engendra Josias » (v. 10) ……………… 100 n. « Et Josias engendra Jéchonias et ses frères lors de la

déportation de Babylone » (v. 11) ………………… 103

Chapitre IV. De la déportation de Babylone au Christ (Mt 1,12-16) … 111 a. «Et après la déportation de Babylone, Jéchonias engendra

Salathiel » (v. 12) ………………………………… 111 b. « Et Salathiel engendra Zorobabel » (v. 12) ………… 113 c. « Et Zorobabel engendra Abioud, et Abioud engendra

Éliakim, et Éliakim engendra Azor, et Azor engendra Sadok, et Sadok engendra Akhim, et Akhim engendra Élioud, et Élioud engendra Éléazar, et Éléazar engendra Mathan, et Mathan engendra Jacob » (v. 13-15) …… 116

d. «Et Jacob engendra Joseph, l’homme de Marie, de laquelle fut engendré Jésus, appelé Christ » (v. 16) ………… 119

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Chapitre V. « Quatorze générations » (Mt 1, 17) …………… 125 a. « Génération » …………………………………… 125 b. « Quatorze » ……………………………………… 128 c. Trois parties, trois « scènes » ……………………… 133

Chapitre VI. Sur les ailes de l’Esprit (1) …………………… 139 a. Un périple dans l’histoire ………………………… 140 b. Un voyage dans les profondeurs …………………… 141 c. À celui qui prie la généalogie… …………………… 143

Chapitre VII. L’engendrement de Jésus Christ (Mt 1, 18-25) … 149 1. L’introduction et le nœud : la conception de Marie et la

réaction de Joseph (v. 18-19) ………………………… 151 a. Que sait Joseph ? ………………………………… 153 b. Comment Joseph réagit-il ? ……………………… 157 c. Marie adultère ? …………………………………… 159 d. Pourquoi « secrètement » ? ………………………… 161 e. Dans quel sens Joseph est-il « juste » ? ……………… 164

2. L’action transformatrice: l’intervention de l’ange (v. 20-21) … 165 a. L’ange du Seigneur ……………………………… 165 b. D’un « engendré » à un « fils » ……………………… 167 c. « Son nom Jésus » ………………………………… 170

3. L’interprétation-dénouement : la vierge enfantera « l’Emmanuel » (v. 22-23) …………………………… 174 a. « Le point de vue » de Joseph ……………………… 174 b. Joseph endormi ? ………………………………… 177

4. L’exécution: Joseph exécute l’ordre de l’ange (v. 24-25) … 178 a. « Et il ne la connaissait pas… » …………………… 179 b. Joseph et Marie ? ………………………………… 181

5. Lecture de loin ……………………………………… 183 a. Le « qui » et le « comment » ………………………… 183 b. Marie et les autres femmes de la généalogie ……… 185 c. Justice « à la Joseph » ……………………………… 188 d. Le « où » et le « quand » ………………………… 190

Chapitre VIII. Sur les ailes de l’Esprit (2) ………………… 193 a. L’engendré du silence et de l’écoute ……………… 194 b. L’engendré de la volonté ………………………… 195 c. Noël, la fête de la proximité ……………………… 196 d. Un Noël sans amour ! …………………………… 200

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Chapitre IX. Les mages et Hérode (Mt 2, 1-12) …………… 203 Introduction …………………………………………… 203

a. Deux parcours vers Bethléem ……………………… 204 b. Le temps et le lieu ………………………………… 206

1. Le parcours des mages (v. 1b-2) ……………………… 207 a. Qui sont les mages ? ……………………………… 207 b. Que disent les mages ? …………………………… 209 c. Des personnages sortis du néant …………………… 211

2. Le parcours d’Hérode (v. 3-6) ………………………… 213 a. Un roi troublé …………………………………… 213 b. Une prophétie falsifiée …………………………… 214

3. La rencontre des deux parcours (v. 7-8) ……………… 221 4. À nouveau : le parcours des mages (v. 9-11) …………… 223

a. Entre les Livres et l’astre ………………………… 223 b. La rencontre ……………………………………… 225 c. « L’enfant et sa mère » …………………………… 226 d. Où est Bethléem ? ………………………………… 229 e. Adoration et cadeaux ……………………………… 229

5. La séparation des deux parcours ……………………… 231

Chapitre X. Sur les ailes de l’Esprit (3) …………………… 237 a. L’éloge de la quête ………………………………… 237 b. L’astre et les Livres ……………………………… 239 c. Pauvres interprètes ! ……………………………… 241 d. « Où est né le Christ ? » …………………………… 243 e. L’enfant et sa mère ……………………………… 246

Chapitre XI. Un roi face à un enfant. (Mt 2, 13-15) ……… 249 a. « Et s’étant retirés… » …………………………… 250 b. L’ordre de partir ………………………………… 251 d. Un langage de filiation …………………………… 255 e. « Égypte » ………………………………………… 257

Chapitre XII. Un roi face à des enfants (Mt 2, 16-18) ……… 263 a. Hérode seul ……………………………………… 264 b. Hérode meurtrier ………………………………… 265 c. Rama ou Bethléem ? ……………………………… 267

Chapitre XIII. Le retour et le non-retour (Mt 2, 19-23) …… 275 a. Hérode fini ……………………………………… 275 b. L’ordre de revenir ………………………………… 277 c. Exécution libre …………………………………… 279

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d. « Nazaréen il sera appelé » ………………………… 283 e. Citation unique …………………………………… 286 f. Un Christ galiléen ………………………………… 287 g. Topographie contradictoire ……………………… 289 h. Nazareth, lieu de la parole ………………………… 290 i. Nazaréen au-dessus des Livres …………………… 291

Chapitre XIV. Sur les ailes de l’Esprit (4) ………………… 293 a. Prends tes cadeaux avec toi ! ……………………… 293 b. Noël est-il un mensonge ? ………………………… 295 c. Le parcours du salut ……………………………… 297

Récapitulation. Jésus, enfant d’« identités meurtrières » ? … 303 a. Identité à appartenances multiples ………………… 303 b. Jésus, enfant à appartenances multiples ………… 305 c. Finalement, c’est celui-ci, Jésus ! ………………… 309

Index biblique ……………………………………………… 311

Sigles et abréviations ……………………………………… 323 Sigles des livres, des revues et des collections ………… 323 Sigles des États américains cités dans la bibliographie …… 324

Bibliographie ……………………………………………… 325

Table des matières ………………………………………… 331

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J ésus, « personne frontière » ou « personne-relais » ?Tour à tour « Christ » ou « celui qu’on appelle Christ »

« fils de David » puis « Nazaréen » ; « roi des Juifs » ou « enfant avec sa mère ». Autant d’appartenances multiples, opposées souvent, qui tissent une généalogie dont les incidences sont considérables.Telle est l’hypothèse audacieuse de Milad El Jawich, dont la lecture narrative et spirituelle des premiers chapitres de l’évangile selon Matthieu pose ceci : si, d’entrée, sont énumérés les noms des ancêtres de Jésus, c’est pour nous inviter à nous identifier à ces personnages bibliques ou, selon les cas, à nous en distancier. Voilà pourquoi l’auteur relit et analyse le récit de ces personnages tantôt célèbres comme les patriarches et David, tantôt discrets comme Thamar, Rahab ou Ruth.Car c’est bien dans cette humanité-là, éminemment com-plexe, lumineuse et ambiguë, que Dieu s’est incarné.

Milad El Jawich, moine libanais de l’ordre basilien du Saint Sauveur, docteur en théologie biblique à l’Université catho-lique de Louvain, enseigne en différents instituts et universités au Liban.

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isbn : 978-2-87299-394-9 22 €

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