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FONTAINEBLEAU Les secrets de la forêt Dossier réalisé par Gilles Lockhart et Benjamin Pontis Reportage photo : Stéphane Lagoutte/M. Y. O. P. pour L’Express AVEC

Mise en page 1 rence de complexité administrative et de moyens financiers. « L’idée d’un parc national, c’est de dire que la forêt de Fon-tainebleau n’a pas forcément

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FONTAINEBLEAULes secrets de la forêt

Dossier réalisé par Gilles Lockhart et Benjamin Pontis Reportage photo : Stéphane Lagoutte/M. Y. O. P. pour L’Express

AVEC

N° 3302 / 15 octobre 2014

Fontainebleau /SecretsII /

Une forêt de passionsMillénaire et moderne.Gigantesque et fragile.Surfréquentée mais mystérieuse. La forêt de Fontainebleauest à la merci des hommes,tout en les dépassant debeaucoup. Voyage au cœurde son fonctionnement.

Par Gilles Lockhart

n peut se perdre dans la forêt de Fontai-nebleau. Pas tellement dans ses allées, bien balisées, avecplaques signalétiques aux arbres et cartes minutieuses, maisdans les entrelacs de son fonctionnement. Sous la canopéeséculaire, on découvre un pot-au-feu bouillonnant de pas-

sions françaises et de débats sans fin. Avec ses 20000 hectaresde paysages variés et ses 12000 espèces animales et végétales,Fontainebleau est la plus belle et la plus passionnante desgrandes forêts domaniales françaises. Les axes routiers quila défigurent et les 3 à 4 millions de personnes qui s’y promènent chaque année en font aussi un chaudron à pro-blèmes : trafic infernal de poids lourds, prostitution, érosiondes sols due à la fréquentation, conflits entre les promeneurset les vététistes… Saupoudrons le tout de polémiquesautour de la chasse. Ajoutons-y la surpopulation des sangliers– cette année, ils semblent être particulièrement nombreuxà vouloir s’inviter chez les riverains – et secouons le shakerdu fameux Office national des forêts (ONF), qui gère la

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L’EXPRESS / III

forêt de Fontainebleau depuis 1966. Longtemps seul auxcommandes et réputé un peu… rigide, l’ONF doit aujour -d’hui composer avec toute une série de comités d’usagers,de commissions scientifiques et autres structures qui partagent le pouvoir avec lui. Tout en essayant de continuerà couper son bois : de 30000 à 50000 mètres cubes sortentde la forêt chaque année pour être vendus. Et ce, en dépitdes écologistes qui contestent ceci, des scientifiques quisuggèrent cela, et des centaines de milliers de citadins quiveulent des meubles en bois mais qui pleurent dès qu’oncoupe un arbre. Un vrai casse-tête en bois dur.

Remontons le temps. L’histoire de la forêt de Fontainebleaudémarre avec Robert ii, dit « le Pieux ». Au xe siècle, le fils

d’Hugues Capet et d’Adélaïde d’Aquitaine« constitue la forêt de Bière par l’achat deterres, boisées surtout de chênes », racontele géographe et historien Olivier Nouga-rède (1). Au xvie siècle, François ier « ordonneune série de réformations visant à protégerles forêts royales, ses territoires de chasse,dont Fontainebleau, contre les abus ». Plustard, Hugo, Musset, Nerval, entre autres,ont salué la figure de Charles-François Denecourt, cet ancien soldat de la GrandeArmée, ce visionnaire du tourisme qui atracé plus de 150 kilomètres de promenadesdans la forêt, les fameux « sentiers bleus ».

Le classement en parc national, un projet qui fait débat Dans la deuxième moitié du xixe siècle, lespeintres de Barbizon célèbrent à leur tourla forêt tout en la figeant dans l’aspect quileur plaisait. Leur influence a pesé dans lacréation de « réserves artistiques », sortesde sanctuaires inviolables par l’homme.Celles-ci sont les ancêtres des réserves bio-logiques actuelles qu’on trouve par exemplele long de la route Ronde (voir reportagepages VI à VIII). Entre la première réserveartistique de 1861, courant sur plus de1 000 hectares, et le projet de classementde la forêt de Fontainebleau en parc natio-nal, qui resurgit régulièrement, tel le monstredu Loch Ness, il n’y a finalement qu’une différence de complexité administrative etde moyens financiers. « L’idée d’un parcnational, c’est de dire que la forêt de Fon-tainebleau n’a pas forcément la gestionqu’elle mériterait, ce qui est d’ailleurs discutable, résume un observateur. Cela reviendrait à lui donner des moyens supplémentaires en contrepartie d’une protection accrue de l’environnement. »

Sur ces questions, les antagonismes sont vifs. Fondée en1913, l’Association des naturalistes de la vallée du Loing etdu massif de Fontainebleau (ANvL), qui réunit 400 scien-tifiques et naturalistes, défend l’idée d’un parc national de-puis un siècle. Son actuel président, Jean-Philippe Siblet,qui dirige le service du patrimoine naturel au Muséum national d’histoire naturelle, s’en explique : « Ce que çachangerait? Demandez aux gens s’ils savent ce qu’est une“réserve dirigée”… Un parc national, tout le monde connaît.Le grand public s’approprierait le concept. Et la forêt neserait plus protégée par des “outils” auxquels personne necomprend rien, pas forcément cohérents entre eux, et quiimposent une bureaucratie. »

Aux antipodes de cette vision, Denis Bauchard, le pré-sident de l’Association des amis de la forêt de Fontainebleau(AAFF), plaide pour une « forêt ouverte ». Ce diplomateaux manières policées porte la parole d’un millier •••

Denis Bauchard, présidentde l’association des Amis de la forêt de Fontainebleau.

Jean-Philippe Siblet,président de l’association

des naturalistes de la vallée du Loing.

Benjamin Beaussant,patron de l’ONF local.

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IV / Fontainebleau /Les secrets de la forêt

d’adhérents, « des promeneurs généralistes » qui aiment se détendre en famille. « Nous sommes très réservéssur le parc national, car la forêt est déjà très protégée »,estime-t-il.

Le débat entre ces deux conceptions a rebondi il y aquelques années à la suite d’une modification législative.« Le 14 avril 2006, la loi relative aux parcs nationaux estmodifiée, ce qui lève des obstacles à la création d’un parcnational à Fontainebleau », rappelle Olivier Nougarède.S’engouffrant dans cette brèche, l’ANvL, le maire de Fontainebleau, Frédéric valletoux, et son homologue d’alorsà Avon, Jean-Pierre Le Poulain, relancent l’idée d’un parcnational. Pour battre le fer quand il est chaud, ils concoctentun comité d’orientation dans lequel ils fourrent toutes lesparties possibles et imaginables : élus, scientifiques, usagers,

représentants des activités économiques… voilà la forêtde Fontainebleau dotée d’une gouvernance contemporaine!De fil en aiguille, le dossier remonte jusqu’au bureau deNathalie Kosciusko-Morizet, alors ministre de l’Ecologiede François Fillon. Las, début 2011, « NKM » enterre leprojet. C’est qu’entre-temps l’Etat a choisi de bombarder« parc national » la brave forêt domaniale de Châtillon, àcheval sur la Bourgogne et la Champagne. Double avantage :elle est moins un « nid à problèmes » que celle de Fontai-nebleau et moins symbolique que celle de verdun, égalementcandidate au titre. Surtout, l’Etat n’a plus d’argent à mettredans le projet bellifontain…

Concilier les intérêts écologiques et économiquessur le long terme En attendant que le projet refasse surface, BenjaminBeaussant, le patron local de l’ONF, a parfaitementconscience que sa mission s’est bougrement complexifiée.Fini le temps où l’Office faisait la pluie et le beau tempsdans les chênaies : « Nous devons rendre compatibles troisobjectifs : l’accueil du public, la préservation de la biodi-versité et la production du bois », explique bien volontiersle responsable. Attendu pour début 2015, le prochain « do-cument d’aménagement » de la forêt de Fontainebleau,que peaufine l’ONF, va fixer les grands objectifs de la ges-tion sylvicole pour les décennies à venir : quelles parcelleséclaircir, où régénérer les peuplements… Un texte à hautrisque, tant il brasse d’intérêts écologiques et économiquessur le long terme. « Cinq projets d’aménagement sur neufont avorté dans cette forêt en cent vingt ans, rappelleOlivier Nougarède, et celui de 1892 fut abrogé seulementdouze ans après sa promulgation. » C’est à Sylvain Ducroux,un ingénieur de l’Office, qu’a été confiée cette belle mission.Bon courage ! • G. L.

(1) « Les Racines des conflits sur le statut du massif forestier bellifontain », colloque « Un parc national à Fontainebleau : quelle faisabilité? », le 7 avril 2010.

En avril 2014, l’assemblée générale de l’Association des amisde la forêt de Fontainebleau a adopté une motion au vitriolpour demander à l’ONF de rappeler que les vététistes n’ontpas le droit d’emprunter les sentiers réservés aux piétons.On les accuse de faire peur aux promeneurs en passant à toute vitesse et d’accentuer l’érosion en creusant des ornières avec leurs pneus. Il y a quelques années, l’ONF aurait fait pleuvoir des PV sur les contrevenants.Désormais, c’est une « offre de service » qu’il va proposeraux amis cyclistes. En concertation avec Némorosa, une association de pratiquants, et la Fédération française de cyclotourisme, l’Office a recensé un certain nombre de circuits possibles à VTT, selon des critères de protectionde l’environnement, de pente, de difficulté et de relationsavec les autres usagers. Ils seront donc « non fragiles, mais accidentés », résume un porte-parole. Mise en ligne prévue pour le premier trimestre 2015.

UN GESTE EN FAVEUR DES VTT

•••

OBSERVATION La tour Denecourtpermet d’avoir une vue d’ensemble de la forêt.

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L’EXPRESS / V

Bâtie sur du sableLa forêt de Fontainebleau tire son originalité de la couche de sable blanc qui recouvre son sol et des grès qui parsèmentses sous-bois. Ce paysage est toute une histoire.

Par Benjamin Pontis

il y a trente-cinq millions d’années, laforêt de Fontainebleau était recouvertepar une mer, « dont les fossiles indiquentque la profondeur de l’eau était de l’or-dre de 10 mètres », explique le géologueJean-Claude Plaziat. « Elle était aussichaude que le sud de la Méditerranéeactuelle », précise-t-il. Depuis, les eauxse sont retirées, laissant sur le sol uneimportante couche de sable blanc d’uneépaisseur pouvant atteindre 60 mètres.Au-dessus de ces sables marins, ontrouve une couche de sable dit « éolien »,d’une dizaine de mètres d’épaisseur. Cedépôt forme des dunes parallèles, à lamanière de celles du désert de Simpson,en Australie, souligne le scientifique.

Mais ce sable ne possède alors pasencore la pureté qu’on lui accorde au-jourd’hui. « Une nappe d’eau souter-raine acide chargée en silice et prove-nant du Massif central va lessiver cesable », détaille Jean-Claude Plaziat.Elle va dissoudre la matière organiquedu sable de Fontainebleau, le rendantainsi d’une pureté stupéfiante comptetenu de sa teneur très élevée en silice,

pouvant atteindre 99 %. Ce phénomènegéologique a également contribué à cimenter les grains, donnant naissanceaux blocs de grès, les fameux rochersde Fontainebleau.

Le grès, utilisé pour restaurer les monuments historiquesCes derniers prennent parfois desformes étranges, comme le curieux bilboquet des sables du Cul-du-Chien,dans le massif des Trois-Pignons. D’au-tres arborent des gravures préhisto-riques, dont « certaines sont gardéessecrètes volontairement, pour éviterleur dégradation », explique AntoineMelchior, président du Comité de dé-fense des sites et des roches (Cosiroc).

Dès le xie siècle, la finesse et la puretédu sable de Fontainebleau ont intéresséles artisans verriers. Avec deux carrières– l’une située à Bourron-Marlotte, l’au-tre à Nemours –, le groupe Sibelco ex-trait et traite aujourd’hui près de 1,5 mil-lion de tonnes de sable chaque année.« Nous le vendons à des entreprises dubâtiment et à des fonderies. il sert aussipour l’industrie du verre », explique ladirectrice générale, Corinne Cuisinier.

Le grès de Fontainebleau a longtempsété exploité lui aussi. il y avait des milliers de carrières en forêt jusqu’audébut du xxe siècle. Aujourd’hui, celledes Grès de Fontainebleau, située àMoigny-sur-Ecole, est la dernière enactivité. Cette entreprise familiale etartisanale, dirigée par Francisco deOliveira, exploite le grès pour la voirieainsi que pour la restauration de mo-numents historiques. En 2008, lui et sesouvriers ont restauré le pavage de lacour Royale du château de versailles.

Ces blocs de grès ont été utilisés dèsle xiie siècle, sous le règne de Philippe-Auguste, pour le pavage des rues pari-siennes. ils ont aussi servi à la construc-tion du château de Fontainebleau etde son escalier extérieur. « Ce mineraia été choisi car il ne s’use pas, et sa proximité avec la Seine permettait unacheminement rapide », explique Fran-cisco de Oliveira. En 1907, l’exploitationde cette pierre a été interdite pour mé-nager l’environnement. L’arrêt de cetteactivité s’explique aussi par la concur-rence brutale d’« autres matériaux deconstruction, tels que le ciment et legoudron ». •

CÉLÈBRITÉ Devant « bilboquet », bloc en grès dans les sables du Cul-du-Chien, au cœur du massif des Trois-Pignons.

LE ROCHER CANONParking entre le carrefour du Berceau

et celui des Longues-Vallées.En quittant la table du Roi, une pre-mière halte sur le site du rocher Canonen compagnie de Sylvain Ducroux,l’aménagiste de l’Office national desforêts, aide à comprendre la géologie :« Nous sommes ici à l’endroit où l’ex-trémité sud de la Brie et la partie norddu plateau de Beauce se rencontrent.La transition s’opère avec quelquechose que l’on ne trouve dans aucunede ces deux régions : les fameux sablesde Fontainebleau, caractérisés par leurpureté en silice. On voit très bien, d’uncôté, une belle futaie de chênes, carac-téristique de la Brie fertile ; de l’autre,des pins, des fougères, des sables et desgrès, car le sol est ingrat pour les feuillus,comme celui qu’on trouve un peu plusau sud, à Franchard et à Apremont. »

Effectivement, lorsqu’on monte en-suite sur le plateau de Beauce, en di-rection du carrefour du Grand-veneur,ce ne sont que hêtres déplumés etchênes en bout de course sur la pla-tière… « Même les jeunes peuplementsde 1975 souffrent, constate Sylvain Ducroux, à cause du manque de ferti-lité du sol et du déficit hydrique. Lesfeuillus sont stressés ! »

LES CHÊNES BICENTENAIRESParcelle 235 (carte IGN),

entre la table du Grand-Maître et la grotte aux Cristaux.

Encerclés de solides grillages, 8 hectaresde chênes vous contemplent. Moyenned’âge : environ 210 ans. « ils commen-cent à accuser leur âge et ont vocationà être récoltés, explique Sylvain Du-croux. Auparavant, on leur demandeun dernier service : assurer leur des-

cendance. » Aux pieds de ces vénéra-bles, le sol a été débroussaillé pour offrirun terrain favorable aux glands. Leshêtres ont été coupés par les forestierspour faire de la place. La parcelle estgrillagée pour protéger les jeuneschênes de la dent du cerf. Progressive-ment, leurs aînés seront abattus ;600 hectares ont été régénérés de lasorte depuis vingt ans dans la forêt deFontainebleau.

LA GROTTE AUX CRISTAUXJuste avant le carrefour

de Belle-Croix.Comme beaucoup de sites recélant descuriosités, celui-ci hébergeait une buvette-guinguette. Elle a fermé au dé-but des années 1980, peu après le décèsdes derniers propriétaires, Germaineet Léon Edelé, dont le nom est gravésur un rocher. La grotte elle-même doitson nom au fait que le calcaire qui sesituait au-dessus du grès s’est dissous.il a ensuite percolé à travers la rocheavant de se précipiter sous la forme decristaux de calcite qui ont recouvert leplafond de la grotte. Cette dernière adû être grillagée pour protéger les cris-taux des coups de burin indélicats. Autour se dressent de gros monticulescouverts de végétation. En enlevant lamousse et la terre, on s’apercevraitqu’ils sont constitués d’écales de grès :les débris de taille des carriers. Les chemins qui les contournent permet-tent d’imaginer le réseau par lequel lesouvriers débardaient leurs pierres àl’aide de wagonnets ou de mulets.

LA RÉSERVE BIOLOGIQUEINTÉGRALE DE LA TILLAIE

Entre le carrefour de la Tillaie et le carrefour des Cépées.

Ces 78 hectares ne sont pas clôturés,mais des panneaux dissuadent d’y ac-céder. La réserve biologique intégrale

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VI / Fontainebleau /Les secrets de la forêt

En suivant la route RondeElle part du carrefour de la Table-du-Roi et contourne Fontainebleau avant de remonter vers la Seine : cette voie, longue de 25 kilomètres, fut construite par Henri IV pour relier les postes de chasse à courre. En la suivant, on plonge au cœur de la vie de la forêt.

PISTE Sur le sentier qui mène à la grotte (fermée pour protéger les critaux de calcite

des coups de burin indélicats), on peut observer des rochers coupés par des tailleurs de pierre.

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L’EXPRESS / VII

(RBi) de la Tillaie date de 1861. C’estla plus ancienne de la forêt. Depuis centcinquante ans, elle n’a pas subi d’inter-ventions humaines autres que des actions de chasse – pour éviter qu’ellene serve de sanctuaire aux animaux –et des recherches scientifiques. L’intérêtd’une RBi est de comprendre commentl’écosystème évolue librement et d’étu-dier la biodiversité dans les arbres âgéset le bois mort. insectes, nids, champi-gnons, un arbre mort grouille de vie !Le fatras qui règne au sol procure uneimpression de forêt vierge, renforcéepar de multiples chants d’oiseaux. Qua-tre RBi se succèdent le long de la routeRonde : celles de la Tillaie (78 ha), duChêne Brûlé (61 ha), du Rocher de laCombe (119 ha) et de la Gorge auxLoups (80 ha). Mais la plus grande dela forêt est celle du Gros Fouteau(303 ha), au nord de Fontainebleau.

LE SITE ARBOR & SENSPrès du carrefour

de la Croix-de-Franchard.Sur l’emplacement de l’ancien arbore-tum de Franchard, le site Arbor & Sensrecèle une collection d’arbres exotiquesidentifiés par des plaques pédagogiques :un genévrier de virginie, un épicéa duColorado, un pin de l’Himalaya… Dis-cret et cosy, le site est comme protégéde l’affluence par son petit parking in-tégré d’une vingtaine de places. il a enfait été réhabilité pour servir de supportphysique à l’application pour smart-phone « Forêt de Fontainebleau », lan-cée par l’ONF cet été. L’un des buts decette application, qu’on déclenche parun Flashcode à l’entrée du site, est d’in-citer les visiteurs à découvrir de nou-veaux endroits dans la forêt plutôt queles sites ultrafréquentés.

LES PINS LARICIO GREFFÉSEn bordure des parcelles 611 et 620 (carte IGN),

au niveau du carrefour d’Achères.Sur le bord de la route, le fût des grandspins donne l’impression d’être posé surune base… Explication : dans une forêtdont le seul résineux autochtone étaitle genévrier, les reboiseurs forcenés dela fin du xviiie siècle ont tenté d’accli-mater des pins. Si le pin maritime, oupin de Bordeaux, craignant le gel, a eudu mal, le pin sylvestre (aussi appelé

pin de Riga, pin de Courlande ou pinde Russie) s’est tout de suite plu. « C’està lui qu’on doit la couverture complètede la forêt de Fontainebleau, son aspectactuel », remarque Sylvain Ducroux.Succès mitigé, en revanche, pour le pinlaricio, malgré ses racines corses, commel’Empereur. « il pousse bien, mais il neboucle pas son cycle de vie : ses grainessont stériles. » D’où ces drôles de fuséesà deux étages : des pins laricio greffés

sur de jeunes pousses de pins sylvestresqui forment désormais la souche.

LA MARE DU PARC-AUX-BŒUFS

Entre le carrefour de la Croix-de-Souvray et celui de Recloses.

Comme un tableau de Diaz de la Peña,la mare du Parc-aux-Bœufs conserve latrace d’une époque où les bovins •••

ABREUVOIR La mare du Parc-aux-bœuf,où étaient parqués les bovins pour la nuit,

durant les foires aux bestiaux.

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VIII / Fontainebleau /Les secrets de la forêt

paissaient par milliers dans la forêt.Un droit que les rois accordaient auxpaysans en compensation des dégâtsoccasionnés à leurs cultures par le gibieret les chasses. C’est autour d’une marecomme celle-ci que l’on parquait lesanimaux pour la nuit quand il y avaitdes ventes de bovins. « Ces mares nesont pas complètement naturelles, ex-plique Sylvain Ducroux. Au bout d’unmoment, la végétation et les matièresorganiques les envahissent, forment desradeaux, puis les comblent. Elles sontmaintenues volontairement en eau librepour perpétuer le milieu aquatique. »

UNE COUPE D’AMÉLIORATIONRoute du Chevreuil,

en face du poste des Erables et Déluge.Dans la parcelle 179 (carte iGN), une« coupe d’amélioration » se termine.L’idée est de favoriser les chênes pro-metteurs en coupant les arbres qui leurferaient de l’ombre. « Le jeune chênene file pas droit comme le frêne, ex-plique Sylvain Ducroux. Jusqu’à l’âgede 20 ou 30 ans, il “hésite” entre un destin d’arbre champêtre, avec desbranches basses formant boule, et undestin d’arbre forestier. Lorsqu’il “dé-cide” d’être forestier, il se met à filervers le haut et forme son fût très droit,n’hésitant pas à laisser mourir sesgrosses branches basses. » Autour dechênes encore frêles, mais déjà droitscomme un i, on trouve les souches deleurs « concurrents », battus dans laconquête du ciel puis éliminés parl’ONF. vae victis. Malheur aux vaincus.

LE POSTE FORESTIER DES ÉRABLES ET DÉLUGE

Juste avant le carrefour de la Croix-de-Saint-Hérem.

A une époque où les vols de bois et lebraconnage étaient importants, le maillage des maisons forestières dansla forêt affirmait la permanence de l’au-torité. Le poste forestier des Erableset Déluge servait de cantonnementnocturne aux patrouilleurs à cheval.

On y trouvait une écurie pour les che-vaux, des paillasses pour les hommeset un râtelier pour les armes. il doitpeut-être son nom à un ancien chef debrigands, Olivier des Erables. inhabité,il sert aujourd’hui de refuge pour leschasseurs. Comme d’autres maisonsforestières isolées, il n’a pas l’eau courante, mais une citerne.

LE PORT DE THOMERYDans le village,

au bout de la rue du Port.Après avoir coupé la RD 606 (ex-N 6)au carrefour de la Croix-de-Montmo-rin, la route Ronde se termine à Tho-mery. Une commune où le chasselasétait cultivé en treilles dans la premièremoitié du xixe siècle. Pavé en 1843 (pardes pierres de la forêt de Fontaine-bleau, bien sûr), le très joli port d’Ef-fondré – c’est son nom – servait auxvie siècle à embarquer des briquesvers Paris. « Au xviiie, les pommes desvergers de Thomery étaient venduessur le port aux Fruits, actuel quai de laTournelle, en face du chevet de Notre-Dame », précise Michel Pons, historiende la ville. Les dernières caisses duchasselas local ont été vendues chezFauchon dans les années 1970. • G. L.

Soixante-douze heures pour parcourir 200 kilomètres. C’est le trajetqu’accomplissent les eaux des sources les plus lointaines de la Vanne et du Loingpour arriver dans les usines de traitement de la capitale. Collectées d’abord dans de petits conduits, elles convergent ensuite dans deux tuyaux parallèles à l’intérieurde l’aqueduc de la Vanne et du Loing. Celui-ci traverse la forêt de Fontainebleau,enjambant à deux reprises la route Ronde. Les eaux coulent lentement vers Paris en profitant d’une déclivité naturelle de l’ordre de 1 centimètre par kilomètre. Quand on remonte les arches blanches de l’ouvrage à la hauteur de la route du Rocher-des-Princes(parcelle 435), on tombe vite sur une petite guérite en hauteur. L’endroitn’a pas l’air hautementsécurisé. Erreur !Derrière la petite porteanodine se cachentune grosse porteblindée et dessystèmes de sécuritésophistiqués.Impossible d’avoiraccès à l’eau !

UN AQUEDUC SOUS LES ARBRES

•••

ABRI L’ancien poste forestier des Erables et Déluge sert aujourd’hui

de refuge pour les chasseurs.

SOURCES L’ouvrage permet d’acheminer l’eau de la Vanne et du Loing jusqu’à la capitale.

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L’EXPRESS / IX

Attention, traversée de voitures!Trafic intense, vitesse excessive, carrefours à hauts risques : le massif présente un sacré passif en matière de sécurité routière.

« Le premier bilan fait état de trois vic-times grièvement blessées dont deuxétaient incarcérées »… Cet extrait d’unarticle paru sur le site internet de LaRépublique de Seine-et-Marne, le lundi8 septembre, fait froid dans le dos. Laveille au soir, deux voitures étaient entrées en collision sur la RD 607,

entraînant des évacuations par héli-coptère. Auparavant, dans l’après-midi,une collision entre une voiture et unemoto faisait deux blessés sur la triste-ment renommée route de l’Escargot.Sur ses lacets entre Fontainebleau etMontigny-sur-Loing, des concentra-tions de motards donnent lieu à des démonstrations de pilotage, filmées etpostées ensuite sur internet.

Des mesures pour inciter les automobilistes à ralentirDès le début des années 2000, le conseilgénéral de Seine-et-Marne a pourtantlancé le programme «  Conduite apaisée » pour faire face à un nombredramatique d’accidents routiers dans

le massif. Entre 1998 et 2000, quelque300 accidents corporels y sont survenus,causant 57  morts et 440  blessés.En 2000, sur les 18 « points noirs » (1)du département, 12 étaient situés dansla forêt de Fontainebleau. Comme le résume Claude Lashermes, le directeurdes routes au conseil général : « A

l’époque, le constat montrait que lesex-Nationale 6 et Nationale 7 étaientdevenues des voies expresses, très chargées en trafic à grande vitesse, etqu’il était très difficile pour les conduc-teurs d’automobiles venant de voiessecondaires de les traverser ou de s’yinsérer. »

Au cours des années suivantes, unesérie de mesures vont être prises. Surla route de l’Escargot, on a balisé lesvirages dangereux et posé un revête-ment granuleux et des bandes sonorespour rendre le pilotage moins attrayant.A trois endroits de la forêt ont été amé-nagés des passages piétons expérimen-taux, qui visent à donner l’illusion d’unrétrécissement de la chaussée, dans

l’espoir que l’automobiliste ralentisse.A d’autres endroits, mais de façon ho-méopathique – 12,5 kilomètres en 2010,7,5 en 2012 – on incite les conducteursà rouler à 70 km/h au moyen de grandspanneaux explicatifs, auxquels les habitués ne font plus guère attention.

Les carrefours les plus dangereux ontété éradiqués, à commencerpar celui du Grand-veneur,transformé en rond-point ma-jestueux. Sur les 30 carrefoursde la forêt, on n’en compte plusque 12 en croix, contre 16 en2000. Et le nombre de gira-toires est passé de 8 à 13. Resteà régler le point noir du carre-four de la Table-du-Roi, une« paille » à 25 000 véhiculespar jour.

Pas de déboisement sansdécret du Conseil d’EtatUne étude d’aménagementprévoit d’y construire deuxronds-points, l’un au niveau del’ancienne maison forestièrepour relier la RD 606 (ex-N 6)et la RD 142, l’autre à Brolles,reliant ces deux mêmes routesavec la RD 115 qui pénètredans Bois-le-Roi. Problème :

cela suppose de déboiser 8800 mètrescarrés de forêt domaniale. Or, pour toucher à un cheveu d’une « forêt deprotection », statut dont bénéficie cellede Fontainebleau, il faut un décret duConseil d’Etat. il y en a pour des annéesde procédures administratives. En attendant, il faut trouver une solutionpour la D 115, qui, en quelques dizainesde mètres, croise successivementla route Ronde et la RD 606. Sueursfroides garanties… il serait envisagéde fermer la petite départementaledans sa partie provenant de Faÿ et deChailly-en-Bière. • G. L.

(1) Tronçon routier de 500 mètres sur lequel on dénombre plus de 10 victimes corporelles en cinq ans.

POINT NOIR Le carrefour de la Table-du-Roi est l’un des derniers à ne pas être encore transformé en rond-point.

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X /

Une chasse très planifiée Du sport des rois à la lutte contre la prolifération du grand gibier, sur le massif forestier, la pratiqueest une nécessité.

Avec 4 fléchettes hypodermiques plan-tées dans son arrière-train, leurs longuesseringues jaune fluo dansant sur soncorps comme des banderilles, Mauriceavait sa dose. Et pourtant, ce sangliermâle de 100 kilos résistait aux somni-fères. « On le voyait s’appuyer contreun arbre, il tremblait de tout son corps,comme pour expulser le produit... etil a fini par regagner la forêt vers21 heures », se souvient Jean-Marc Cacouault, directeur de la chasse del’ONF dans la forêt de Fontainebleau.Ce jour de mars 2014, l’animal avaitété signalé, une fois de plus, au piedd’une barre d’immeubles de la ville.Certains de ses congénères s’invitentrégulièrement au boulodrome de laroute Louise, où ils viennent « prendrel’apéro » avant de repartir dormir enforêt. De son côté, la population desgrands cervidés (cerfs, biches et faons)est estimée entre 600 et 800 animaux.« Elle s’accroîtrait naturellement d’unpetit tiers par an s’il n’y avait pas lachasse », indique Jean-Marc Cacouault.

Sangliers qui entrent en ville, cervidésqui grignotent les jeunes pousses etécorcent les arbres, contraignant l’ONFà clôturer les parcelles en régénération :la surpopulation animale est patentedans la forêt de Fontainebleau. Contrai-rement à ce que croient les touristesqui n’y passent que le week-end ou lemercredi, cette forêt est intensémentchassée, les lundis, mardis et certainsvendredis, de novembre à février.Chaque année, l’ONF soumet des plansde chasse à la préfecture de Seine-et-Marne, indiquant les objectifs d’ani-maux à « prélever » (euphémismed’« abattre »), par espèces et par zones.Lors de la saison 2013-2014, 221 grandscervidés, 67 chevreuils et 606 sangliersont été prélevés. Les objectifs 2014-2015 seraient en hausse de 10 à 15 %

pour les cervidés. Entre 600 et 700 san-gliers sont dans le collimateur. Une nécessité tout autant qu’une tradition.

Des milliers de visiteursconfrontés à un loisir dangereux« La forêt de Fontainebleau a toujoursété un territoire de chasse pour les souverains qui s’y sont installés dès lexe siècle », rappelle Gérard Tendron,l’ancien directeur général de l’Officenational de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Le massif forestier,qui portait alors le nom de « Bière »,« a été choisi par les rois de Francepour son immensité, son caractère giboyeux et sa proximité avec Paris,continue-t-il. C’était leur loisir, maisils considéraient aussi la chasse à courrecomme un excellent entraînement àla guerre. » Aujourd’hui, deux rallyespratiquent encore ce sport ancestral.Celui de Fontainebleau chasse les cerfsmâles de plus de 1 an tandis que le ral-lye Tempête traque les chevreuils.Confronté aux critiques récurrentes,Charles Fougea, président et maîtred’équipage du rallye de Fontainebleau,développe un argumentaire bien rodé :« Beaucoup considèrent cette chassecomme un acte cruel voire barbare, cequi n’est pas du tout le cas. La chasseà courre – vénerie – est une disciplinequi consiste à prendre un animal sau-vage par les chiens. Ceux-ci poursuiventla bête jusqu’à l’épuisement. Et, quandla proie est aux abois, le veneur l’abat.La quasi-totalité du gibier est donnéeaux chiens, car ce sont eux qui ont réa-lisé 99 % de la chasse. L’homme n’aqu’un rôle d’encadrement. »

La chasse à tir, elle, se déroule de deuxmanières. Dans les 12 500 hectares périphériques de la forêt, là où il y a lemoins de monde, six lots de chasse sontloués à l’année – après adjudication –

à des associations de chasseurs qui prennent ensuite en charge l’organisa-tion sur le terrain. L’ONF a actuellementdu mal à commercialiser tous ses lots,et les conditions d’attribution sont encours de modification. « D’ici à 2016,ces lots seront loués avec des baux d’unedurée de douze ans », explique Jean-Marc Cacouault. Dans les 9500 hectarescentraux du massif, où les visiteurs sontomniprésents, c’est l’ONF qui gère di-rectement la chasse, pour des raisonsde sécurité, avec ses équipes et son ma-tériel (rabatteurs, panneauteurs, véhi-cules équipés de rampes de projecteurs)et en demandant aux chasseurs de payerà la journée. Mais la sécurité des pro-meneurs ne serait pas parfaite, si l’onen croit Pierre Athanaze, directeurde l’Association pour la protection des

RALLYE La vénerie, pratiquée par les rois de France à Fontainebleau, a toujours ses adeptes.

Fontainebleau /Les secrets de la forêt

N° 3302 / 15 octobre 2014

animaux sauvages (Aspas) : « Fontai-nebleau est une forêt périurbaine oùdes milliers de personnes passentchaque jour et se retrouvent confrontéesà un loisir dangereux qui fait chaqueannée plusieurs morts en France. »

Des chasseurs qui ne chassentplus suffisamment A terme, le principal souci pour l’équi-libre entre arbres et animaux de la forêtde Fontainebleau pourrait venir del’étiolement des associations de chas-seurs, qui perdent des adhérents chaqueannée. Certains observateurs trouventaussi que les chasseurs en prennent àleur aise avec les objectifs du plan dechasse, qu’ils sont censés respecter. ilsauraient tendance à laisser proliférerle gibier. De fait, le tableau final d’une

journée de chasse peut ne comporterqu’une demi-douzaine d’animaux pourdeux douzaines de chasseurs. Unebonne partie d’entre eux ne tire pas.Pour réguler le nombre d’animaux, ilpourrait être fait appel à des lieutenants

de louveterie (habilités à tirer de nuitsur du gibier immobilisé par des pro-jecteurs) ou à des battues administra-tives. En attendant, l’ONF aimerait bienque les chasseurs jouent à fond leur rôlede prédateurs. • G. L. et B. P.

Entre la forêt des Trois-Pignons et celle de Fontainebleau, des passages souterrainsainsi que trois ponts permettent à la petite faune de traverser l’autoroute. Mais le grand gibier ne les emprunte pas et il ne dispose d’aucun passage consacré.De fait, la forêt des Trois-Pignons est pauvre en grands cervidés, contrairement à sa voisine. Une étude récente de l’Office de génie écologique (OGE) porte sur la« connectivité du grand gibier ». Avec l’aide de la vénerie, les itinéraires habituelsdes cerfs ont été repérés. Un passage pour la grande faune serait à l’étude sur l’A 6.Et des cellules photoélectriques pourraient être installées sur leurs cheminsde prédilection, aux endroits où ils traversent les routes. Elles déclencheraient ainsiune alerte lumineuse prévenant les automobilistes que du gibier s’apprête à passer.

VERS DES RADARS À CERFS?

A. LORGNIER/ONLYFR

ANCE/AFP

N° 3302 / 15 octobre 2014

L’EXPRESSXII / Fontainebleau /Les secrets de la forêt

« Il faudrait fairepayer les Parisiens »

Le géographe Paul Arnould a fait son mémoire de maîtrise sur le massif forestier de Fontainebleau. Devenu un spécialiste reconnu (1),

il revient sur le terrain de ses premières amours.Propos recueillis par Gilles Lochkart

En quoi la forêt de Fontainebleau est-elle unique?aElle l’est par la variété deses paysages, par sa proximitéavec Paris, par le fait que sonhistoire est couplée à la grandehistoire : château de Fontai-nebleau, visite du pape en1804, rois de France chas-seurs… C’est celle où il y a leplus d’usages différents : pro-meneurs, vététistes, natura-listes, grimpeurs, chasseurs…tout le monde connaît cette forêt à travers son prisme. C’est l’une decelles où la gestion forestière est la plusintégrée : on y accueille des millions detouristes, c’est une vitrine de la protec-tion de la nature et on continue à y produire du bois.

Louis XIV la reconnaîtrait-ilaujourd’hui?a Louis xiv l’appelait « mes chersdéserts »… A son époque, elle était engrande partie constituée de landes etde chaos rocheux. Aujourd’hui, pleinde paysages se sont refermés du fait dela pousse des arbres. Les réserves bio-logiques intégrales ressemblent à de laforêt sauvage. Si Louis xiv y revenait,il aurait bien du mal à y chasser ! Enrevanche, je pense qu’il s’y retrouveraitdu côté des grandes plaines de Cham-froy, vers Arbonne-la-Forêt, dansl’ouest, près de Macherin…

Cette « victoire » des arbresest-elle une bonne chose?

a En France, la forêt s’est accrue de5 millions d’hectares depuis la SecondeGuerre mondiale. Elle gagne constam-ment sur les espaces agricoles. En mêmetemps, le tout forêt peut être perçucomme une forme de régression en matière de biodiversité. Sous la hêtraie,il n’y a pas grand-chose : de la feuillemorte, quelques plantes qui fleurissentau printemps. Alors que dans une pelouse sèche, il peut y avoir 40 ou 50 es-pèces différentes au mètre carré. La forêt n’est pas un remède miracle : ilfaut des clairières, des espaces nus…comme dans les siècles passés. Les so-ciétés rurales créaient des paysages enéquilibre, où vivaient des milliers d’ani-maux domestiques. Les paysans, les re-ligieux savaient négocier avec la forêt.

Les meilleure et pire décisionsjamais prises en forêt de Fontainebleau?a Je dirais la création des réserves artistiques, sous l’action des peintresde Barbizon au xixe siècle. C’est la

première décision de protectionde la nature au monde, avantcelles de Yellowstone. C’est à Fon-tainebleau que fut fondée, en1948, l’Union internationale pourla conservation de la nature, l’unedes premières associations d’en-vergure mondiale. Donc, coco-rico! D’un autre côté, cela momi-fie. A un moment, ce culte desréserves écologiques a pu allercontre une gestion harmonieusede la forêt, elle revenait à nier lafréquentation et la production.

Si vous aviez les pleins pouvoirs,que changeriez-vous?a Je ferais un parc national et j’impli-querais Paris sur le plan financier ! Laforêt de Fontainebleau est le centreaéré gratuit des Parisiens. Or rien n’estjamais gratuit : l’accueil entraîne descoûts importants qui sont à la chargede l’ONF, donc de la collectivité natio-nale. Dans une forêt privée, près de Toulouse, le propriétaire a créé descartes de cueillette des champignons,payantes, comme il y a des cartes depêche. Du coup, les gens pratiquent l’au-torégulation, ils font attention à ce quela ressource subsiste d’une année surl’autre. Et un parc national, parce quec’est le top de la protection de la nature.Mais pas un dispositif sous cloche – unparc pour inventer de nouvelles formesde dialogue et de fréquentation. Je feraisun parc expérimental. •

(1) Auteur de Au plaisir des forêts : promenadesous les feuillages du monde (Fayard).