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MINISTÈRE DE LA JUSTICE École nationale de protection judiciaire de la jeunesse Roubaix MÉMOIRE DE VALIDATION PROFESSIONNELLE Formation statutaire des éducateurs Promotion 2016/2018 CORNELOUP Lauriane Juin 2018 Sous la guidance de Madame DERIES BEATRICE, Docteure en sociologie. DE LA CULPABILITÉ A LA CAPABILITE Réception de l'intervention de la justice pénale par les parents d'un mineur suivi par la Protection Judiciaire de la Jeunesse.

MÉMOIRE DE VALIDATION PROFESSIONNELLE · Remerciements Je tiens à adresser mes sincères remerciements à Béatrice DERIES, ma directrice de mémoire pour le temps qu'elle a consacré

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MINISTÈRE DE LA JUSTICE

École nationale de protection judiciaire de la jeunesse Roubaix

MÉMOIRE DE VALIDATION PROFESSIONNELLE Formation statutaire des éducateurs

Promotion 2016/2018

CORNELOUP Lauriane

Juin 2018

Sous la guidance de Madame DERIES BEATRICE, Docteure en sociologie.

DE LA CULPABILITÉ A LA CAPABILITE

Réception de l'intervention de la justice pénale par les parents d'un mineur suivi par la Protection Judiciaire de la Jeunesse.

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Remerciements

Je tiens à adresser mes sincères remerciements à Béatrice DERIES, ma directrice de mémoire pour

le temps qu'elle a consacré à me conseiller sur la méthodologie, à m'orienter sur différentes lectures

et à reprendre avec moi chaque étape de l'écriture de ce mémoire.

Je remercie également l'ensemble de l'équipe de l'Unité Éducative de Milieu Ouvert où j'ai effectué

mon stage long, pour leur disponibilité et leur aide dans ma démarche de recherche.

Particulièrement tous les professionnels qui ont accepté de répondre à mes questions.

J'adresse toute ma gratitude aux éducateurs de l'Unité Éducative Auprès du Tribunal, pour leurs

précieux témoignages.

Mais aussi Caroline, pour sa relecture et Éléonore, pour son écoute et sa bienveillance tout au long

de ces mois de stage.

Je tiens à remercier les formateurs de mon Pôle Territorial de Formation et notamment Hakim, pour

sa disponibilité et ses conseils dans la construction de mon expérimentation.

Je souhaite adresser toute ma reconnaissance aux parents rencontrés qui ont gentiment accepté de

répondre à mes questions et de me livrer un peu de leur vécu.

Merci également à mes amis du Pôle Territorial de Formation, Charlotte, Léa, Julien et Marc pour le

soutien apporté au cours de ces derniers mois.

Enfin, je remercie mes amis et ma famille pour leurs encouragements, notamment ma mère pour sa

précieuse relecture.

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SOMMAIRE

Introduction …………………………………………………………………………………..… 3

PARTIE I : Objet du questionnement et contextualisation …………………..………………………….. 7

Chapitre 1. Le cadre de notre intervention, générateur d'un impact violent sur les parents ? ……………..…. 71.1 Qu'est-ce qu'un suivi par la Protection Judiciaire de la Jeunesse ? …………………………………………….. 71.2 « L'aide contrainte », fondement de la rencontre entre l'usager et le professionnel ………………………….. 81.3 Le jeu de la relation institutionnelle ………………………………………………………………………………… 9

Chapitre 2. La mobilisation des parents indispensable au travail éducatif ………………...………………….. 102.1 La loi du 2 janvier 2002 …………………………………………………………………….…………………………. 112.2 Les notes internes à la PJJ ……………………………………………………………………………………………. 132.3 Le projet d'unité de l'UEMO ………………………………………………………………………………………….. 14

Chapitre 3. « Mon fils n'est pas un voyou », la communication verbale et non verbale des parents, preuve qu'ils peuvent être éprouvés par notre accompagnement. ………………………………………….….…… 153.1 Le défèrement de Rayan en octobre 2017 …………………………………………………….……………………. 153.2 L'entretien de présentation de mesure de LSP de Mickaël en décembre 2017 …………………………….…… 16

PARTIE II : …………………………………………………………………………….………. 19La parole donnée aux parents : L'accompagnement par la PJJ, entre soutien et méfiance

Chapitre 1. Récit de l'enquête menée auprès des parents ………………………………………………… 191.1 Le choix des parents rencontrés ……………………………………………………………….…………………..... 191.2 Outil et présentation de la démarche …………………………………………………………………………..….. 201.3 Prise de recul face à la méthode de recueil de données …………………………………………….…………… 211.4 Tableau de présentation de l'échantillon de l'enquête menée auprès des parents ……………………………. 22

Chapitre 2. Le vécu des parents suite à l'intervention de la justice dans leur famille …………………….. 232.1 La violence de l'étape du commissariat et du tribunal ………………………………………...………………… 232.2 Le sentiment de culpabilité des parents ………………………………………………………….………………… 252.3 L'impression d'être jugés sur leur capacité à éduquer leur enfant ………………………….…………………. 262.4 Le suivi éducatif mis en place par la PJJ, un soutien et un espace de confidentialité …………………..…... 27

Chapitre 3. Le regard des professionnels sur le vécu des parents ………………………………………….. 303.1 Présentation de l'échantillon de professionnels interrogés ……………………………….……………………… 303.2 La sidération des parents ……………………………………………………………………………………………… 313.3 La soumission à l'aide contrainte …………………………………….…………………………………………….. 34

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PARTIE III ………………………………………………………….. ………………………….. 37Réflexion sur la posture professionnelle et expérimentation de nouvelles réponses

Chapitre 1. L'accueil, un temps nécessaire à l'apaisement du choc ………………………………………. 371.1 L'accueil, une phase clé en milieu ouvert ……………………………………………………………………..….. 371.2 « Les micro-traces d'hospitalité » de David PUAUD, pour penser l'accueil ………………………………… 381.3 L'importance du premier entretien en milieu ouvert …………………………………………………….………. 39

Chapitre 2. La co-construction de l'accompagnement, pour nuancer l'asymétrie de la relation ………… 412.1 Donner toute leur place aux parents dans l'accompagnement …………………… ………………….………… 412.2 ... En s'appuyant sur leurs propres capacités ……………………………………………………………………. 432.3 La méthode du Développement du Pouvoir d'Agir (DPA) de Yann Le Bossé …………………………..……. 44

Chapitre 3. Expérimentation mise en place en milieu ouvert …………………………………………….. 473.1 Quels apports pour l'expérimentation envisagée? ……………………………………………………………….. 473.2 Les objectifs de l'expérimentation envisagée ……………………………………………………………………… 493.3 Moyens à disposition ………………………………………………………………………………………………..…493.4 Déroulement de l'expérimentation ………………………………………………………………………………..… 503.5 Évaluation ………………………………………………………………………………………………………………52

Conclusion ......................…………………………………………………………………… 55

Bibliographie ……………………………………………………………………………….. 56

Liste des abréviations ………………………………………………………………………. 58

Liste des annexes ……………………………………………………………………………. 59

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Introduction

Actuellement en seconde année de formation d'éducateur de la Protection Judiciaire de la

Jeunesse (PJJ) à l’École Nationale de Protection Judiciaire de la Jeunesse (ENPJJ), j'ai fait le choix

d'effectuer mon stage de professionnalisation en milieu ouvert. Je suis alors affectée depuis

Septembre 2017 sur un Service Territorial Éducatif de Milieu Ouvert (STEMO) de la Direction

Interrégionale Centre-Est.

Il y a sur mon unité d'affectation dix éducateurs, deux psychologues à temps plein, une assistante de

service social et une adjointe administrative, en plus de la Responsable d'Unité Éducative (RUE) et

de la Directrice de Service (DS).

Sa situation géographique nous permet, en tant que professionnels, d'être au plus près des jeunes et

de leurs familles. Cela offre la possibilité aux usagers d'accéder facilement au service grâce aux

transports en commun proches de nos locaux. Aussi, nous pouvons nous mêmes leur rendre visite

rapidement et rencontrer des partenaires de manière régulière grâce à leur proximité géographique.

L'action éducative en milieu ouvert consiste à travailler sur l'infraction commise par le

mineur. Comprendre dans quel contexte celle-ci a eu lieu en s'intéressant à la situation familiale du

jeune, à sa scolarité, sa santé, ses fréquentations … En effet, depuis une circulaire du 11 mars

19931, il existe un principe de responsabilité atténuée selon l'âge. Ainsi, « l'infraction n'est plus

seulement un symptôme d'une causalité dont le mineur serait victime, mais l'acte d'un sujet capable

d'en répondre »2. Cependant mineur, l'auteur de l'infraction est dans un processus de

responsabilisation qui fonde alors l'impératif d'éducation.

Toute l'action éducative mise en place par les éducateurs, psychologues et assistants de service

social de la Protection Judiciaire de la Jeunesse va permettre de comprendre comment le jeune en

est arrivé à passer à l'acte et comment faire pour plus que cela ne se reproduise.

Depuis mon entrée à la Protection Judiciaire de la Jeunesse par le concours externe en

Septembre 2016 et la découverte de mes terrains de stage, je me suis souvent questionnée sur les

ressentis des usagers pris en charge par nos services. Qu'est-ce qu'ils éprouvent lorsqu'ils font notre

rencontre ? Comment je réagirais à leur place si on me posait de telles questions sur ma vie privée ?

Comment se sentent-ils en arrivant au service ? Et après lorsque l'accompagnement se termine ?

1 Circulaire du 11 mars 1993 relative à la mise en œuvre à l'égard des mineurs de la mesure de réparation pénale(article 12-1 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945)2 YOUF Dominique. « Éduquer au pénal », Les Cahiers Dynamiques, vol. 45, no. 3, 2009, pp. 16-22

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Dès mon premier stage de découverte au Tribunal Pour Enfants (TPE) en première année

de formation, j'ai été marquée par certaines audiences difficiles, pesantes, où les larmes coulaient,

où les mots des familles, présentes, manquaient.

J'ai retrouvé cela ensuite lors de mon stage découverte en milieu ouvert, où certains éducateurs

répondaient chaque jour au téléphone à des parents inquiets du suivi de leur enfant, de l'approche de

l'audience, des conséquences de l'acte commis. Les professionnels accueillaient comme ils le

pouvaient la colère, l'incompréhension, la détresse de certains parents au premier entretien.

A chaque étape du suivi, j'ai observé des échanges entre ces familles de mineurs suivis par nos

services et les différents professionnels.

Tous ces moments m'ont parfois touchée, questionnée et j'ai eu l'envie cette année de m'intéresser à

ces parents que j'allais être amenée à rencontrer durant toute ma carrière professionnelle, afin de les

prendre davantage en compte, de leur donner la parole.

Être suivi par une institution judiciaire, telle que la Protection Judiciaire de la Jeunesse, peut être un

passage compliqué et marquant dans la vie d'un parent.

Qu'est-ce que ce suivi par la Protection Judiciaire de la Jeunesse leur fait vire à eux en tant que

parents ? Comment nous en tant que professionnels pouvons-nous les accompagner également alors

que c'est leur enfant qui est mis en cause ?

Le cadre de notre intervention, majoritairement pénal, nous pousse à mobiliser les parents

dans notre accompagnement du mineur, car ils sont détenteurs de l'autorité parentale.

En effet, comme l'indique l'article 371-1 du code civil3 :

« L'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de

l'enfant. Elle appartient aux parents jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le

protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son

développement, dans le respect dû à sa personne. (...) ».

Cela signifie que les parents, en tant que représentants légaux, doivent être informés de chaque

décision prise concernant leur enfant et du travail éducatif mis en place.

J'ai alors débuté mon travail en partant de l'observation que cette mobilisation les

impactait, leur faisait vivre différentes épreuves en tant que parents. Épreuves, que je souhaitais

mieux cerner. En effet, notre suivi est centré sur le mineur destinataire de la mesure pénale, mais

3 Article 371-1 du code civil, modifié par LOI n°2013-404 du 17 mai 2013 - art. 13

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étant donné que nous sollicitons également les parents, nous ne pouvons les nier dans le travail

qu'on entreprend avec les jeunes. Il m'est alors paru intéressant de m'interroger sur leurs ressentis,

les changements que ce suivi pouvaient engendrer chez eux, les réactions qu'il provoquait, afin de

mieux les cerner et les prendre davantage en compte dans notre prise en charge.

Didier FASSIN explique très bien dans son ouvrage « Punir, une passion contemporaine »4, que

lorsqu'on punit pénalement un individu, c'est tout son entourage familial qui est ébranlé. Cela

s'illustre par des complications administratives, des rendez-vous qui s'accumulent, des tensions

émotionnelles qui apparaissent … La sanction ne se limite pas à l'individu seul et c'est encore plus

le cas pour un mineur, qui se trouve encore sous la responsabilité de ses parents.

Il me semble que dans l'intérêt des mineurs que nous accompagnons quotidiennement en

tant qu'éducateur à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, il est indispensable d'être à l'écoute et de

cerner les besoins des parents. Cela permet d'ajuster notre prise en charge et de faire évoluer

positivement le mineur.

J'ai fait le choix de centrer mes recherches sur des parents qui se trouvaient confrontés à la

justice pénale. Opter pour ce volet de la justice me semblait être le plus judicieux au vue de

l'activité de l'unité à laquelle j'étais rattachée cette année. Nous sommes en effet majoritairement

mandatés pour mettre en œuvre des mesures pénales. Cela m'intéressait de me concentrer sur les

parents qui ne sont pas les sujets directs de la mesure, mais qui sont toujours sollicités du fait de

leur autorité parentale.

Il est également à noter que cette notion de « justice pénale », va se préciser suite à mes

recherches. Je suis partie de la prise en charge par la Protection Judiciaire de la Jeunesse, c'est à dire

En interrogeant en son sein ce que vivent les parents quand un suivi éducatif débute.

Il s'agira finalement de considérer pour « intervention de la justice pénale » l'ensemble de la chaîne

pénale, en partant de la garde à vue jusqu'à la mise en place de la mesure par la Protection Judiciaire

de la Jeunesse

J'entends également par la notion « d'impact » l'idée du vécu, de ce que cette intervention

de la justice vient faire vivre aux parents, ce que cela provoque en eux. J'ai pu ensuite, suite à

l'enquête menée sur mon terrain de stage, préciser ce terme par la notion de « réception ». Tout au

long de ce mémoire, il va donc être question de s'interroger sur ce que l'intervention de la justice

pénale vient faire vivre aux parents, comment ils la reçoivent au moment où ils y sont confrontés et

ce que ça provoque chez eux.

4 FASSIN Didier, Punir : une passion contemporaine, Éditions du Seuil, Janvier 2017, 208 pages.

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Il s'agira dans l'ensemble de cet écrit, de se demander dans quelle mesure en tant

qu'éducateur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, nous pouvons permettre aux parents de

passer de la culpabilité induite par l'intervention de la justice pénale à la capabilité5 qui légitimera

leur rôle dans l'accompagnement éducatif mis en place.

Je vais, pour cela, présenter d'une part l'objet de mon questionnement et sa

contextualisation (PARTIE 1). Suite à cela, je présenterai dans un premier temps, les résultats de

mon enquête auprès des parents, puis de différents professionnels afin de préciser ce que cette

intervention de la justice fait vivre aux parents (PARTIE 2). Enfin, j'essaierai dans une troisième

partie de voir ce qu'il est possible de mettre en place en tant que professionnel pour accueillir et

accompagner ce vécu des parents, en menant une expérimentation inspirée de la méthode du

développement du pouvoir d'agir (PARTIE 3).

5 Terme amené par Amartya Sen, signifiant « un ensemble de vecteurs de fonctionnements, qui reflètent la liberté dont dispose actuellement la personne pour mener un type de vie ou un autre »

NAUSSBAUM Martha, Capabilités . Comment créer les conditions d’un monde plus juste ?. , Climats, 2012, 300 p.

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PARTIE I

Objet du questionnement et contextualisation

Il s'agira en premier lieu de contextualiser l'objet de mon questionnement sur l'impact que

peut avoir une intervention de la justice pénale sur les parents des mineurs pris en charge par la

Protection Judiciaire de la Jeunesse. Je présenterai donc d'une part notre cadre d'intervention qui

peut lui-même faire violence aux parents (Chapitre 1). Aussi, en m'appuyant sur les différents textes

appliqués dans les services de la PJJ, je montrerai qu'en sollicitant les parents pour mettre en œuvre

l'accompagnement, nous, éducateurs de la PJJ, pouvons leur faire vivre une épreuve dans leur

parentalité (Chapitre 2). Enfin, grâce aux observations faites durant divers entretiens lors de mon

stage de professionnalisation en milieu ouvert, je tenterai de mettre en exergue plusieurs réactions

observées et d'émettre des hypothèses sur ce que vivent ces parents lorsqu'ils sont confrontés à la

justice pénale (Chapitre 3).

Chapitre 1. Le cadre de notre intervention, lui même générateur d'un impact violent sur lesparents

Il s'agira alors dans ce premier chapitre, de définir le cadre d'intervention de la Protection

Judiciaire de la Jeunesse au sein de la justice des mineur (1.1), en précisant que ce dernier relève de

« l'aide contrainte » (1.2) et qu'il mène à la création d'une relation entre un usager et une institution

(1.3).

1.1 Qu'est-ce qu'un suivi par la Protection Judiciaire de la Jeunesse ?

Notre cadre d'intervention, contraint, peut déjà en lui-même être générateur d'un impact

violent sur les parents des mineurs suivis par la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ).

En effet, la Protection Judiciaire de la Jeunesse, administration de l’État, traite de la justice des

mineurs, en travaillant, principalement, sur le versant pénal.

Définir ce cadre d'intervention, signifie que je souhaite en premier lieu, indiquer en quoi le fait que

la Protection Judiciaire de la Jeunesse appartienne au ministère de la justice et que nous mettions en

œuvre des mesures pénales en étant mandatés par le juge des enfants avant ou après le jugement du

mineur peut venir faire violence aux parents. Ce cadre judiciaire pénal, qui est contraint, délimite

notre intervention. Nous intervenons uniquement sous un mandat judiciaire délivré par un magistrat,

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qu'il soit procureur de la république, juge d'instruction ou juge des enfants.

Comme l'explique Nicolas SALLEE dans son ouvrage « Éduquer sous contrainte, une

sociologie de la justice des mineurs »6, « le travail au pénal » constitue actuellement l'activité

principale des professionnels de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.

Cette justice, spécialisée, qu'est la justice des mineurs, s'appuie aujourd'hui sur l'ordonnance du 2

février 19457, qui offre aux mineurs la primauté de l'éducatif sur le répressif. En effet, dans chaque

sanction appliquée aux mineurs, il y a une part d'éducatif à travailler. La Protection Judiciaire de la

Jeunesse, à l'époque « Éducation surveillée » est alors mandatée, le plus souvent, par le juge des

enfants pour mettre en œuvre des mesures éducatives, des sanctions éducatives ou des peines,

applicables aux mineurs. Un suivi éducatif est alors instauré durant plusieurs mois et mis en place

par un professionnel, qui occupe la fonction d'éducateur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse,

afin de faire la lumière sur ce qui a pu mener ce jeune à passer à l'acte. Cette justice des mineurs

oscille entre la reconnaissance de la responsabilité pénale de l'enfant et la reconnaissance de sa

vulnérabilité et donc le besoin de protection qui en découle.

N'étant pas pénalement responsables des actes commis par leur enfant, les parents sont

néanmoins amenés à nous rencontrer en tant que civilement responsables. Ils détiennent l'autorité

parentale jusqu'à la majorité de leur enfant et sont donc automatiquement convoqués à chaque

niveau de la chaîne pénale : le commissariat suite à la garde à vue, le tribunal pour la mise en

examen, puis la mise en place de la mesure à la Protection Judiciaire de la Jeunesse.

1.2 « L'aide contrainte » , fondement de la rencontre entre l'usager et le professionnel

Le cadre contraint de notre intervention pourrait selon mes observations de départ,

produire un effet violent sur les parents des mineurs pris en charge par la PJJ. En effet, les parents

n'ont pas choisi d'être accompagnés par nos services, de venir nous rencontrer, de répondre à nos

questions, c'est ce qu'on appelle une « aide contrainte ».

Guy Hardy explique dans son ouvrage « S'il te plaît ne m'aide pas »8 que l'aide contrainte est « une

situation infligée faisant entrave à une totale liberté d'action ». Les parents que l'on rencontre

sont donc pris dans un « jeu relationnel » où ils répondent à nos convocations suite au passage à

l'acte de leur enfant, sans en avoir fait le choix.

6 SALLEE Nicolas, Éduquer sous contrainte. Une sociologie de la justice des mineurs, Paris, EHESS, coll. « Cas de figure », 2016, 227 p., ISBN : 978-2-7132-2537-6.

7 Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante. 8 HARDY Guy. 2012. S'il te plaît, ne m'aide pas ! : l'aide sous injonction administrative ou judiciaire, Erès, Coll. Relations, 192 p.

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Je suis donc partie de mes observations, en me demandant si ce contexte de contrainte

pouvait être violent pour les parents qui n'ont pas d'autres choix que de se soumettre à notre

intervention.

Aussi, Guy Hardy précise dans son ouvrage que lorsque nous intervenons dans une situation, tout a

valeur de message et peut induire quelque chose à l'usager. Il explique que nous prenons

automatiquement part à ce système qui se joue devant nous, puisqu'il existe une « impossibilité de

ne pas intervenir »9. Chacune de nos paroles, de nos postures, chacun de nos gestes, de nos silences

a une valeur et va transmettre un message à l'usager que nous rencontrons. Notre simple présence

peut renvoyer des informations à ce dernier et modifier sa façon de se comporter. J'ai donc pris

conscience avec cet ouvrage que j'avais développée dans une fiche de lecture pour mon « étude

approfondie de notions à partir d'un ouvrage » rendue en janvier 2018, que chacun de nos mots, de

nos gestes, mêmes ceux qui peuvent nous paraître anodins en tant que professionnel car ils font

partie de notre quotidien de travail, peuvent avoir un impact sur la famille et peuvent leur renvoyer

des choses sur leur parentalité. Quels mots choisit-on pour leur expliquer la mesure pénale en

cours ? Est-ce qu'on s'attarde assez sur les ressentis de ces usagers ? Quels mots utilise t-on lors de

l'accueil au premier entretien ?

Je me suis alors questionnée sur ce que peuvent ressentir les usagers en nous rencontrant. Il

peut y avoir des conséquences durables sur la vie des jeunes et de leurs familles puisque nous

rendons compte de ce que nous percevons au magistrat. Or, en oubliant que « tout comportement a

la valeur d'un message »10, que nous ne sommes jamais neutres dans notre approche, nous pouvons

baser nos écrits sur des interprétations, sur des perceptions faussées par notre positionnement et le

cadre contraint dans lequel on agit.

Avoir en tête le cadre contraint dans lequel nous intervenons permet donc de contextualiser

mon questionnement. Il s'agira ensuite de venir vérifier ce que peut générer précisément ce cadre

contraint chez les parents que nous rencontrons.

1.3 Le jeu de la relation institutionnelle

Il faut également noter que la relation institutionnelle dans laquelle sont engagés les

parents du mineur pris en charge peut elle-même venir faire violence aux parents. En effet, comme

9 HARDY Guy. 2012. S'il te plaît, ne m'aide pas ! : l'aide sous injonction administrative ou judiciaire, Erès, Coll. Relations, 192 p. Guy Hardy citant ici Paul Watzlawick (page 44)10 HARDY Guy. 2012. S'il te plaît, ne m'aide pas ! : l'aide sous injonction administrative ou judiciaire, Erès, Coll. Relations, 192 p. Guy Hardy citant ici Paul Watzlawick (page 44).

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l'explique Jean-Paul PAYET, Catherine ROSTAING et Frédérique GIULIANI dans « La sociologie

au défi des acteurs faibles »11, la relation institutionnelle est en elle-même asymétrique et génère

une forme de subordination et de domination.

Les sociologues expliquent dans ce texte que l'institution est de nature « unilatérale ». C'est

« l'incarnation de la puissance publique, monopole de la définition et de la mise en œuvre de

l'intérêt général ». Les usagers peuvent donc se sentir extrêmement impuissants face à cette

institution. Il s'agira donc de venir questionner cette relation institutionnelle. Les parents que nous

rencontrons sont-ils pris dans ce jeu relationnel et donc soumis à notre institution ?

L'ensemble de mon enquête de terrain va donc me permettre de venir vérifier que le cadre

contraint de notre intervention pourrait lui même être générateur d'un impact violent sur les parents

du mineur qu'on prend en charge. Le fait qu'ils nous rencontrent sans l'avoir décidé, que chaque

posture que nous prenons a une valeur de message et que les parents sont pris dans une relation

institutionnelle asymétrique pourrait donc t-il leur faire violence ?

Il va être à présent question d'indiquer que dans notre accompagnement des mineurs, il

nous est indispensable de rencontrer les parents. Cela permet de poursuivre la contextualisation de

mon questionnement en tentant de savoir ce que notre intervention va venir faire vivre aux parents

qui ne sont pas directement visés par la mesure.

Chapitre 2. Une mobilisation des parents indispensable au travail éducatif

L'accompagnement contraint opéré par les services de la Protection Judiciaire de la

Jeunesse pour les mineurs sous mains de justice, implique que les parents soient régulièrement

sollicités par les professionnels. Cela s'explique par le fait que les parents détiennent l'autorité

parentale. Mais également, cela a un sens dans l'évolution du mineur. C'est en effet, dans l'intérêt du

mineur que ses parents soient associés à l'accompagnement afin qu'il bénéficie d'un suivi cohérent

et que le travail se poursuive même après notre intervention. La Protection Judiciaire de la Jeunesse

soutient l'importance de la mobilisation des parents et cela se retrouve dans des textes appliqués

dans nos services.

En effet, il est important de noter que plusieurs textes qui s'appliquent dans nos services

évoquent le rôle des parents dans le suivi des mineurs pris en charge par la PJJ. Il y a en premier

11 PAYET Jean-PAUL, ROSTAING Corinne, GIULIANNI Frédérique (dir.), La relation d’enquête. La sociologie au défi des acteurs faibles, Presses universitaires de Rennes, coll. « Didact sociologie », 2010, 248 p.

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lieu la loi du 2 Janvier 200212 sur le droit des usagers qui vient indiquer l'importance de la

mobilisation des parents (2.1). Les notes internes à la PJJ, rédigées par la directrice de la Protection

Judiciaire de la Jeunesse rappellent également cela (2.2). Enfin, au sein même des services et des

unités, les projets rédigés par la direction et l'équipe indiquent que les parents doivent être sollicités

régulièrement tout au long de la prise en charge (2.3).

2.1 La loi du 2 Janvier 2002

La loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale est venue fixer de

nouvelles règles concernant le droit des usagers. Cela vient renforcer les droits de ces derniers.

Cette loi s'applique au sein même des services de la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Par

différents points, ce texte demande l'implication des parents dans l'accompagnement des mineurs

suivis par la PJJ. En effet, cette loi va venir placer la personne ou sa famille à une place

décisionnelle s'agissant des différents projets qui la concernent. L'usager a désormais une place

centrale et il en est de même pour ses représentants légaux. L'usager est dans ce texte abordé d'une

façon large. Cela considère en effet la personne accompagnée, mais également son entourage

familial13. Ainsi, les parents disposent eux aussi, d'une place d'acteur dans le suivi qui est mis en

place.

Cela s'illustre par divers outils. Le texte en évoque sept. Séverine Demoustier et Johan

Priou ont repris l'ensemble de ces outils dans un écrit afin de voir quel était leur utilité sur les

structures médico-sociales.14

➢ Le livret d'accueil : Cet outil fonde le premier contact. Il permet de présenter le service et les

personnes qui y travaillent aux usagers, afin qu'ils puissent se repérer. Au sein de nos

services, il est souvent remis au premier entretien.

➢ La charte des droits et libertés de la personne accueillie : Cette charte permet d'énoncer et

de présenter aux usagers les droits dont ils disposent. Là aussi, elle est régulièrement remise

au jeune et à ses parents au premier entretien.

12 Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale13 DEMOUSTIER Séverine, PRIOU Johan « les lois de 2002 et la participation des usagers dix ans après », Contraste 2013/1 (n°37), p 73-9214 DEMOUSTIER Séverine, PRIOU Johan « les lois de 2002 et la participation des usagers dix ans après », Contraste 2013/1 (n°37), p 73-92

11

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➢ Le document individuel de prise en charge (DIPC) : Cet outil vise à individualiser la prise

en charge. Il définit les objectifs de l'accompagnement. Des avenants peuvent être signés

quelques temps après la signature du premier document. Les parents signent ce document et

sont donc associés à sa rédaction. Il est généralement complété à chaque début de prise en

charge au sein des services de la PJJ. Il peut ensuite être modifié tout au long de

l'accompagnement.

➢ La personne qualifiée : C'est la personne à qui peut faire appel l'usager ou sa famille en vue

de l'aider à faire valoir ses droits. Il peut la saisir à tout moment si ses droits ne sont pas

respectés.

➢ Le conseil de la vie sociale : C'est une instance où les usagers questionnent le

fonctionnement de l'institution. Ce conseil peut prendre une toute autre forme de

participation. Sur l'UEMO où j'effectuais mon stage de professionnalisation, un

questionnaire existait et était remis aux familles en fin de prise en charge. Mais cela ne

faisait pas encore partie de toutes les pratiques des professionnels de l'unité.

➢ Le règlement de fonctionnement : Il est institué pour réguler et gérer les rapports entre

l'institution et l'usager mais également entre les différents usagers. Afin que tout le monde

soit soumis aux mêmes règles et qu'il n'y ait pas de place pour l'arbitraire. Il est consultable

par l'ensemble des usagers.

➢ Le projet d'établissement ou de service : Ce projet définit les objectifs de la structure, ses

modalités d'organisation et de fonctionnement. Il est établi pour une durée maximale de 5

ans.

Nous pouvons donc constater par ces différents outils créés par la loi de 2002 et appliqués

dans les structures PJJ, qu'une réelle mobilisation des parents est attendue. En tant que responsables

légaux des mineurs accompagnés, on les place à un rôle central, où ils doivent devenir acteurs de la

prise en charge de leur enfant. Cela va notamment s'illustrer par la participation à la rédaction du

DIPC, par leur présence au moment de la présentation du service et par la possibilité qu'ils ont de

consulter les différents document inhérents au fonctionnement du service et au suivi de leur enfant.

Ainsi de par cette loi et l'amplification des droits des usagers depuis 2002, les parents du

mineur disposent d'un rôle central dans l'accompagnement. Ils sont amenés à rencontrer

12

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régulièrement les professionnels de la PJJ afin de connaître l'évolution du travail mené. Cela

pourrait alors expliquer également que les parents du mineur suivi par la Protection Judiciaire de la

Jeunesse sont réellement impactés par cette prise en charge, car on leur demande d'être acteurs et

de se mobiliser. Il est alors question de se demander qu'est ce que cette place active dans la prise en

charge de leur enfant peut leur fait vivre ?

Il apparaît que la mobilisation des parents est nécessaire sur le plan légal, mais il va être

question à présent d'indiquer que cela a également un sens sur le plan éducatif. C'est ce qui ressort

des notes internes à la Protection judiciaire de la jeunesse.

2.2 Les notes internes à la PJJ

Je vais ici m'appuyer sur deux notes essentielles de la PJJ, mais j'ai en tête qu'il en existe

d'autres qui abordent la mobilisation des parents dans l'accompagnement des mineurs pris en charge

par la PJJ.

En premier lieu, il me paraît important de citer la note d'orientation du 30 septembre

201415 qui vient rappeler l'importance de la continuité des parcours et le milieu ouvert socle.

La note évoque en effet que la Protection Judiciaire de la Jeunesse intervient « auprès des jeunes et

des familles concernés par la justice des mineurs ». Les parents sont donc directement visés par le

travail éducatif mis en place, au même titre que les jeunes. Il est ajouté qu'il faut veiller à mobiliser

« les compétences propres des jeunes et de leurs familles » et qu'il est primordial d'associer « le

mineur et sa famille à l'action d'éducation ». Les parents des jeunes qu'on accompagne sont donc

amenés à se mobiliser dans l'intérêt du mineur. Cette mobilisation peut s'illustrer par des entretiens

au sein de nos locaux, des visites à domicile ... Les professionnels s'appuient sur les parents des

mineurs, ainsi que sur ce dernier, pour construire un projet, pour voir évoluer le mineur

positivement. En effet, rencontrer les parents va permettre aux professionnels de comprendre dans

quel contexte familial le jeune évolue, quelle est la problématique, afin de cerner ce qui a pu le

pousser à passer à l'acte. Le mineur et sa famille sont dans ce texte indissociables, les parents sont

automatiquement cités après le mineur et cela montre qu'ils vont de paire dans la construction du

projet éducatif. C'est un travail à faire ensemble entre le jeune, ses parents et l'éducateur référent.

La note du 22 octobre 201516relative à l'action éducative en milieu ouvert au sein des

15 Note d’orientation du 30 septembre 2014 de la protection judiciaire de la jeunesse, rédigée par Catherine SULTAN. NOR : JUSF1423190N16 Note du 22 octobre 2015 relative à l’action éducative en milieu ouvert au sein des services de la protection

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services de la PJJ évoque elle aussi l'importance de la mobilisation des parents.

Elle explique en effet que bien qu'ils ne soient pas responsables pénalement des faits reprochés à

leur enfant, ils doivent néanmoins être « associés tout au long du processus d'intervention ». Cela

signifie bien qu'ils vont devoir se rendre à notre service, rencontrer les professionnels, répondre à

leurs questions.... Ils ont parfois à nous raconter leur passé, les moments difficiles qu'ils ont vécu, à

se pencher sur l'éducation donnée à leurs enfants afin de donner des éléments de compréhension aux

professionnels sur la problématique à travailler.

La note poursuit en expliquant que « l'identification des ressources et capacités parentales est, en

matière pénale également, un levier déterminant pour accompagner un changement de la part du

mineur ou jeune majeur ». La prise en charge se construit donc avec les parents, on s'appuie sur

leurs ressources, sur leurs compétences pour voir le mineur évoluer. On leur demande d'être

présents, de se mobiliser, bien que la mesure ne les concerne pas directement. Le travail éducatif ne

peut pas se faire sans eux. Cela peut donc montrer que notre intervention pénale provoque quelque

chose chez les parents qui voient des changements s'opérer dans leur quotidien après qu'on ait

reproché à leur enfant la commission d'une infraction.

2.3 Le projet d'unité de l'UEMO

Il m’apparaît important de voir que concrètement au sein des services et dans les pratiques

des professionnels, la mobilisation des parents est nécessaire.

En effet, le projet d'unité de l'UEMO à laquelle j'étais affectée fait référence à la place des parents à

plusieurs reprises.

Il y consacre même une partie, au sein des « modalités de prises en charge », en nommant ce

paragraphe « le travail avec les familles »17.

On apprend alors que « le travail avec les parents est fondamental dans l'intérêt du jeune »

et qu'il a pour objectif de d' « associer les parents à l'action éducative menée auprès de leur

enfant ». C'est ainsi qu'ils sont informés du cadre de la mesure, de son déroulement, de leurs droits,

par le biais de rencontres avec les professionnels du service.

Le projet d'unité ajoute « Il nous semble important que chaque parent détenteur de l'autorité

parentale soit toujours présent lors des rencontres clé dans le service : le premier entretien ,

pendant le déroulement de la mesure ». Cela signifie que les parents peuvent être amenés à venir

rencontrer plusieurs fois le professionnel intervenant dans la mesure, lors d'entretiens individuels,

judiciaire de la jeunesse (PJJ) NOR : JUSF1526137N17 Projet d'unité de l'UEMO actualisé en novembre 2017.

14

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ou en commun avec leur enfant. Ces rendez-vous vont alors permettre au travailleur social de

déceler la problématique familiale, de comprendre ce qu'il se passe au domicile qui pourrait causer

le passage à l'acte du jeune et ainsi permettre une évolution concrète du jeune.

Ces différents textes mentionnent l'importance du travail partenarial entre les parents du

mineur et le professionnel. Les parents sont en effet perçus comme de véritables acteurs dans la

prise en charge de leur enfant, en étant présent aux moments clés de l'accompagnement et en ayant

réellement leur mot à dire sur le projet éducatif grâce à divers outils.

Il sera alors question dans la recherche menée de préciser la place des parents dans cet

accompagnement et la façon dont eux-mêmes la perçoivent.

Chapitre 3. « Mon fils n'est pas un voyou », la communication verbale et non verbale desparents, preuve qu'ils peuvent être éprouvés par notre accompagnement

L'impact de notre prise en charge sur les parents du mineur suivi m'est également apparu

en assistant à des entretiens menés par des éducateurs de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.

En tant qu'observatrice, j'ai pu percevoir la honte, la culpabilité ou parfois la colère de certains

parents, confrontés ici pour la première fois à l'intervention de la justice dans leur famille. J'ai choisi

de présenter ici deux de ces moments. En premier lieu le défèrement de Rayan18, qui s'est déroulé

en octobre 2017 (3.1). Et dans un second temps, le premier entretien de présentation de la mesure de

liberté surveillée préjudicielle de Mickaël en décembre 2017 (3.2).

3.1 Le défèrement de Rayan en octobre 2017

Lors d'un défèrement au mois d'octobre 2017, j'assiste à un échange entre la mère d'un

mineur et une éducatrice de l'Unité Éducative Auprès du Tribunal (UEAT) de Lyon. Le jeune de

dix-sept ans patiente dans les geôles du tribunal lorsque nous rencontrons sa mère. Il est suspecté

d'être mêlé à un trafic de stupéfiants. Dans ce petit bureau du TGI, nous accueillons une dame en

pleurs, nous répétant à plusieurs reprises qu'elle ne « comprend pas ce qu'il s'est passé ... ». Inquiète

des conséquences de l'acte commis par son fils, Madame est dévastée et a du mal à formuler ses

phrases. L'entretien dure près de quarante-cinq minutes, entrecoupé par de longs silences et des

pleurs. Madame nous assure que « son fils n'est pas un délinquant ».

Plus tard, la mère du jeune attend dans le couloir l'audience de mise en examen de son fils. Elle le

voit passer, menotté et nous explique que c'est compliqué de voir « son bébé menotté ». Ils se

18 Tous les noms figurant dans le rapport ont été changés, de façon à protéger l'anonymat et la vie privée des personnes citées.

15

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serrent dans les bras avant de rentrer dans le bureau de la juge des enfants.

Dans le cadre de mon stage, j'ai pu assister à l'audience de mise en examen. C'est une

audience rapide, la juge des enfants s'appuie sur le rapport rédigé par l'éducatrice de l'UEAT et suit

ses propositions. Madame a la parole un court instant, mais elle est une nouvelle fois submergée par

son émotion et ne parvient pas à s'exprimer. La juge prononcera une Mesure Judiciaire

d'Investigation Éducative (MJIE) pénale et une Liberté Surveillée Préjudicielle (LSP). A la sortie de

l'audience, Madame est sonnée et demande à son fils de « ne plus jamais recommencer un truc

pareil ».

Le défèrement est un moment particulier à vivre pour les parents. Le mineur est présenté à un

magistrat à l'issue de sa garde à vue. Il est mis en examen rapidement. Tout va donc très vite, pour

le mineur, mais aussi pour les parents du jeune qui sont appelés pour venir échanger avec les

éducateurs de l'UEAT et pour assister à l'audience de mise en examen. Cela peut participer à la

violence ressentie par les parents, pour qui cette confrontation à la justice peut être très brusque.

Assister à cet entretien lors du défèrement du mineur, à l'audience de mise en examen m'a

permis de m'interroger sur ce que pouvaient ressentir les parents contraints de vivre de tels

moments. Surtout, comment nous éducateurs en milieu ouvert pouvons-nous accueillir cela ensuite

lors de la mise en place de notre mesure et notre accompagnement éducatif ?

3.2 L'entretien de présentation de mesure de liberté surveillée préjudicielle de Mickaël en

décembre 2017

Cette question m'est revenue lors d'un premier entretien de présentation d'une mesure de

Liberté Surveillée Préjudicielle (LSP) dans les locaux de l'UEMO en Décembre 2017. Ce jour-là, je

reçois le jeune Mickaël19 et sa maman, seule, avec ma responsable. Nous nous installons en salle de

réunion, autour d'une table. Je suis positionnée à côté de ma responsable, Mickaël et sa maman se

trouvent face à nous. Ma responsable débute l'entretien en présentant le service, en reprenant

l'ordonnance de LSP. Tous deux connaissent déjà l'UEMO, ayant déjà été suivis par notre unité pour

une MJIE civile deux ans auparavant.

Je présente ensuite le cadre de notre intervention, pénale cette fois-ci, en expliquant la spécificité de

la justice des mineurs et en leur présentant quel va être notre travail avec Mickaël, quel est le but de

cette mesure et ce qu'on attend de lui et de Madame. Nous poursuivons l'entretien en questionnant

Mickaël et sa maman sur leur situation depuis leur rencontre avec l'éducateur de l'UEAT quelques

19 Tous les noms figurant dans le rapport ont été changés, de façon à protéger l'anonymat et la vie privée des personnes citées.

16

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semaines plus tôt. La mère de Mickaël est assez agitée durant cet entretien, elle nous coupe

régulièrement la parole, parle beaucoup, répond à nos questions à la place de son fils et paraît très

enjouée par cette mesure « C'est super, vous allez lui faire comprendre qu'il ne doit plus

recommencer ! ». Plusieurs points vont alors apparaître durant cette première rencontre.

En effet, lorsque nous demandons à Mickaël où il vit actuellement et si son placement est

toujours effectif, c'est Madame qui répond « Il est revenu à la maison maintenant, et tout se passe

pour le mieux ! », le jeune ne dit pas un mot. Quand nous interrogeons Mickaël sur sa scolarité

depuis sa rencontre avec l'UEAT, c'est Madame qui répond à sa place « Il ne va plus à l'école, mais

là il veut y retourner, j'ai pris des rendez-vous, ça va se faire rapidement, je mets de choses en

place ! ». Aussi, quand j'aborde les faits de vol avec le jeune, en lui demandant ce qu'il en pense,

comment il se positionne face à ceux-ci, Madame me dit « Il a fait ça parce qu'il ne supporte pas

d'être loin de moi, vous savez c'est mon premier bébé, il ne voulait pas être placé, il a fait ça pour

revenir vivre avec moi, on ne peut pas vivre loin de l'un de l'autre! ».

Il en est de même lorsque je questionne le jeune sur ses centres d'intérêts, sur un métier qui

l'intéresse, Madame prend la parole en expliquant que son fils est passionné par la menuiserie, qu'il

répare beaucoup de meubles à son domicile et qu'il devrait s'orienter dans cette voie là. Mickaël

acquiesce et sourit mais n'en parle pas de lui même.

Durant cet entretien, Madame prend donc beaucoup de place. Nous entendons très peu la voix de

Mickaël. Je le sollicite alors en lui expliquant que j'aimerais qu'il s'exprime. Il me répond

difficilement que sa mère a raison, qu'il a fait tout ça pour arrêter son placement et retourner vivre

au domicile maternel, mais que maintenant que c'est le cas, tout est rentré dans l'ordre.

Madame parle donc énormément durant toute cette rencontre. Elle exprime beaucoup de

choses. Nous sommes obligées à plusieurs reprises de demander à Madame de nous laisser terminer

nos phrases. Nous terminons la rencontre en expliquant à Mickaël qu'il viendra seul à notre

prochain rendez-vous, mais que Madame sera tenue au courant du suivi mis en place avec son fils.

La mère de Mickaël exprime qu'il est compliqué pour elle de le laisser nous rencontrer seul.

Madame nous sollicite une dernière fois en nous demandant ce qu'elle doit faire en attendant, en

nous remerciant beaucoup de ce qu'on va faire pour son fils. L'entretien aura duré près d'une heure,

et nous n'aurons que très peu entendu Mickaël.

De mon point de vue, cet entretien a démontré tout l'aspect violent qu'une confrontation à la justice

pénale pouvait avoir pour les parents du mineur. Dans cette situation, Madame avait pour la

première fois affaire à la justice pénale. Son comportement durant cette rencontre a démontré que

cette intervention, pouvait lui faire vivre des choses compliquées, car elle a pris beaucoup de place,

17

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a livré un grand nombre de d'éléments, de manière verbale et non verbale, comme pour nous

montrer qu'elle s'investissait énormément dans l'éducation de son fils et qu'elle était une bonne

mère.

Cela a pu être compliqué pour elle d'être présente au premier entretien, de nous rencontrer, de

répondre à nos questions puis de laisser venir son fils tout seul, en ayant peut-être l'impression d'être

tenue à l'écart du travail qui allait se mettre en place.

Ces différents éléments viennent contextualiser mon questionnement et amorcer le fait que

lorsque les parents ont affaire à la justice pénale suite à une infraction commise par leur enfant, ils

vivent une épreuve dans leur parentalité.

Or, nous avons besoin d'eux, de leur mobilisation dans l'accompagnement que l'on met en place à la

Protection Judiciaire de la Jeunesse pour voir évoluer positivement leur enfant.

Notre cadre d'intervention met en effet en avant le parent comme un acteur à part entière de la

mesure au moment même où il peut parfois être habité du sentiment d'avoir échoué avec son enfant.

Il est donc nécessaire pour nous professionnels, de prendre en compte les ressentis de ces parents

afin de les associer de la meilleure manière à l'accompagnement de leur enfant.

Il s'agira donc de décrire et de tenter d'expliquer ce que notre prise en charge peut faire

vivre aux parents des mineurs suivis par la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Et ainsi, dans quelle

mesure pouvons-nous en tant qu'éducateur à la Protection Judiciaire de la Jeunesse intégrer cette

épreuve que peut être une intervention de la justice pénale pour les parents, à notre

accompagnement du mineur ?

18

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PARTIE II

La parole donnée aux parents : L'accompagnement par la PJJ, entre soutien et méfiance.

Dans cette seconde partie, j'ai voulu donner la parole aux parents des mineurs

accompagnés par la Protection Judiciaire de la Jeunesse afin qu'ils m'expriment ce qu'ils ont ressenti

en rencontrant les professionnels de nos services. Qu'est-ce que cette intervention de la justice

pénale dans leur famille a modifié ? Comment l'ont-ils vécu ? Quelle place leur a-t-on donnée ?

Ainsi cela pourrait m'éclairer pour avoir une vision plus précise du ressenti des parents, afin

d'adapter notre prise en charge du mineur et de sa famille.

Je présenterai donc d'une part l'enquête que j'ai menée avec plusieurs parents de mineurs

accompagnés par la PJJ (Chapitre 1). Ensuite, j'analyserai ce qu'il ressort de ces échanges en

évoquant les différentes expériences expliquées par les parents (Chapitre 2). Enfin, je ferai

apparaître le regard des professionnels de mon service sur les ressentis des parents en mettant en

lien l'ensemble de mes données avec quelques apports théoriques (Chapitre 3).

Chapitre 1. Récit de l'enquête menée auprès des parents

Pour mener cette enquête, j'ai fait le choix de rencontrer six parents de mineurs suivis par

mon unité. Je les ai donc choisis en variant les mesures, le genre, la temporalité de

l'accompagnement (1.1). J'ai ensuite construit un outil pour recueillir leur témoignage, que je leur

présentais en amont (1.2). Grâce au recul que j'ai pu prendre suite à cette enquête, il m'est possible

d'indiquer ce que cette méthode de recueil de données a pu engendrer chez les parents rencontrés

(1.3). Le tableau récapitulatif des parents interrogés permet d'avoir un regard plus clair sur cette

enquête menée (1.4).

1.1 Le choix des parents rencontrés

Pour préciser ce que pouvaient vivre ces parents des mineurs suivis par la Protection

Judiciaire de la Jeunesse lorsqu'ils sont confrontés à l'intervention de nos services. J'ai fait le choix

d'interroger directement des parents de mineurs pris en charge par la PJJ.

J'ai donc rencontré six parents de mineurs suivis. J'ai choisi de ne pas viser une mesure particulière

mais d'avoir un regard global sur l'expérience des parents quelle que soit la mesure que mettait en

place notre service. Ce qui m'intéressait était davantage ce que notre accompagnement pénal en

19

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général fait vivre aux parents, sans distinguer les mesures. Car chacune des mesures mises en place

demande la mobilisation des parents à un moment donné du suivi.

J'ai également choisi de ne pas interroger uniquement des familles qui se trouvaient en

début de prise en charge pour leur enfant, ou au contraire en fin de prise en charge. Je souhaitais

recevoir des témoignages d'usagers pour qui l'intervention de la justice pénale était très récente et

donc qui étaient en plein dans cette épreuve, mais aussi de gens qui avaient un peu plus de recul sur

ce qu'ils avaient vécu, afin de voir ce qu'ils en tiraient.

De même, j'ai choisi de mélanger les pères et les mères, sans faire de distinction, afin

d'avoir l'avis des deux parents et d'avoir là encore un regard global sur leur ressenti quelque soit le

genre.

1.2 Outil et présentation de la démarche

J'ai construit un guide d'entretien, présent en annexe n°2, afin d'interroger les parents sur ce

qu'ils avaient pu ressentir lorsqu'ils ont été confrontés à la justice pénale pour la première fois. Le

but étant de comprendre ce que cette rencontre leur avait fait vivre pour ensuite en échanger avec

les professionnels de mon unité et de savoir comment on pouvait intégrer cela à notre prise en

charge des mineurs.

Ce sont mes collègues de l'UEMO qui m'ont présenté des situations susceptibles d'être

intéressantes et d'apporter un étayage à ma réflexion. J'ai fait le choix de ne pas interroger les

parents des mineurs que j'avais en co-référence pour qu'ils puissent me parler plus librement.

Souvent, le professionnel en charge de la mesure présentait mon projet de mémoire lors d'un

entretien et me sollicitait ensuite pour que je vienne directement décrire ma démarche. Le père ou la

mère me donnaient ensuite son accord ou non. J'ai essuyé qu'un seul refus de la part d'un parent. Je

pense qu'échanger sur leur ressenti suite à l'intervention de la justice pénale dans leur famille

pouvait leur permettre de verbaliser certaines choses, mais aussi de se sentir valorisés et réellement

inclus dans l'accompagnement de leur enfant. En effet, lorsque je présentais ma démarche de

mémoire, j'expliquais aux parents qu'il était important pour moi de leur donner la parole directement

par le biais de cette grille d'entretien, afin de savoir ce qu'ils vivaient, pour ensuite en échanger avec

les professionnels et réfléchir à ce qu'on pouvait améliorer dans nos prises en charge. Les écouter

dans le cadre de ce projet de mémoire valoriserait donc leur rôle et leur place dans

l'accompagnement des mineurs.

20

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1. 3 Prise de recul face à la méthode de recueil de données

Il est à noter que les entretiens menés ont été souvent très courts, mais également parfois

très pauvres en éléments. En effet, comme cela est illustré par trois des six entretiens menés

présents en annexe20, les réponses apportées par les parents sont souvent très brèves. Pour certains

d'entre eux, il était compliqué d'élaborer sur la question de leurs ressentis, de se remémorer ce qu'ils

avaient vécu lors de la mise en examen de leur enfant, du premier entretien dans le service …

Surtout lorsque tout cela était très récent. Ils pouvaient se laisser emporter par leurs émotions de

colère ou de tristesse. Néanmoins, comme dit précédemment, être écoutés sur ce vécu a pu leur

permettre de verbaliser ce poids qu'ils avaient en eux.

Il apparaît aussi de mon point de vue que s'il était compliqué pour eux d'élaborer, de mettre en

réflexion ce qu'ils avaient pu vivre en étant confrontés à la justice pénale, c'est peut-être qu'ils

étaient en train de traverser une épreuve complexe sur laquelle il est difficile de mettre des mots.

Cela contraste avec l'entretien d'un papa, Monsieur Villon21 qui a duré près d'une heure. Le

fils de ce Monsieur avait été pris en charge à l'UEMO pour une mesure de contrôle judiciaire durant

trois ans. Le suivi était terminé depuis plusieurs mois et Monsieur Villon, contacté par l'éducateur

référent de la mesure, avait accepté de me rencontrer pour qu'on échange. Il avait pu prendre du

recul sur ce qu'il avait vécu, pouvait mettre en réflexion ses ressentis car du temps était passé.

Il est à noter que la femme de Monsieur Villon, n'a elle, pas souhaité venir répondre à mes

questions. Monsieur m'indiquera lors de nos échanges que Madame fût très éprouvée par ces années

de suivi pour son fils et qu'il était compliqué pour elle de revenir dans les locaux de l'UEMO. Cela

montre bien là aussi, à quel point il peut être éprouvant pour les parents d'être mobilisés dans la

prise en charge pénale de leur enfant, de venir répondre à nos questions, d'assister aux audiences

etc.

Il va donc être question à présent de voir ce qu'il ressort de ces différents échanges et du

vécu de ces familles qui ont été confrontées pour la première fois à la justice pénale suite au passage

à l'acte de leur enfant.

20 Trois des six entretiens menés se trouvent en annexe n°4, n°5, n°6.21 Tous les noms figurant dans le rapport ont été changés, de façon à protéger l'anonymat et la vie privée des personnes citées.

21

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1.4 Tableau de présentation de l'échantillon de l'enquête menée auprès des parents :

Parents Acte commispar l'enfant

Mesure miseen œuvre par

l'UEMOAncienneté de la

mesureContexte de l'entretien

Servicesintervenus dansla chaîne pénale

Monsieur Villon,père de

Corentin22

18 ansIncendie d'une

résidenceContrôlejudiciaire

ContrôleJudiciaire qui aduré 3 ans, plusde suivi depuisplusieurs mois.

Un éducateur de mon unité m'aproposé cette situation et s'est misen lien avec Monsieur Villon pour

savoir si lui et sa femme étaientintéressés pour me rencontrer.

Entretien proposé aux deux parentsau sein de l'UEMO, mais Madame

n'a pas souhaité me rencontrer.

- Policiers - Éducateurs de

l'UEAT endéfèrement

- Juge des enfants- UEMO

Madame FLO,mère d'Adem,

16 ans

Violences surun camarade de

classe

Réparationordonnée par le

juge desenfants

Mesure de 6 moisqui se termine

Dans le cadre de ma phased'observation j'ai présenté mon

sujet de mémoire à ce jeune qu'uneéducatrice de mon unité suivait, il

m'a expliqué que sa mère seraitintéressée pour me rencontrer. Je

l'ai reçue à l'UEMO.

- Policiers - Éducateurs de

l'UEAT- Juge des enfants

- UEMO

Monsieur etMadameVILKAN,parents deValentin17 ans

Projection decolis dans unemaison d'arrêt

LibertéSurveillée

Préjudicielle

Mesure qui adébuté il y a 5

mois

Lors de ma phase d'observationj'avais participé à plusieurs

entretiens entre une éducatrice demon service et les parents de

Valentin. Je leur ai donc parlé demon sujet de mémoire en leur

demandant s'ils étaient intéresséspour participer. Nous nous sommes

rencontrés à l'UEMO suite à unentretien qu'ils avaient avecl'éducatrice de mon service.

- Policiers

- Éducateurs del'UEAT

- Juge des enfants

- UEMO

Madame OPA,mère de Lilian

16 ans

Attouchementssexuels

ContrôleJudiciaire

MJIE pénale

Les deux mesuresont débuté il y a 2

mois

Un éducateur de mon servicem'avait proposé cette situation. Il a

exposé à Madame mon sujet demémoire qui était d'accord pour

me rencontrer. On a donc échangésuite à un entretien qu'elle avait

dans le cadre de la mesure de MJIEà l'UEMO.

- Policiers

- Éducateurs del'UEAT

- Juge des enfants

- UEMO

MadameCHUDI, mèred'Alexandre

17 ans

Publicationd'une vidéo debagarre sur les

réseaux sociaux

Réparation ordonnée par leProcureur de la

République

Mesure qui adébuté il y a 1

mois

Situation proposée par unéducateur de mon unité. Il m'a

présenté à Madame CHUDI et ellea accepté de répondre à mes

questions un jour où elle attendaitson fils qui rencontrait l'éducateur

à l'UEMO.

- Policiers

- Procureur de laRépublique

- UEMO

22 Tous les noms figurant dans le rapport ont été changés, de façon à protéger l'anonymat et la vie privée des personnes citées.

22

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Monsieur OIA,père de Yann

16 ans

Vol LibertéSurveillée

Préjudicielle

Mesure qui adébuté il y a 6

mois

Je suis venue présenter mon thèmede mémoire à Monsieur OIA unjour où il était en entretien avec

une éducatrice de mon service. Jelui ai laissé le temps de réfléchir etlorsqu'il a accompagné son fils lasemaine d'après, il a accepté derépondre à mes questions, nous

nous sommes rencontrés dans unbureau de l'UEMO.

- Policiers

- Éducateurs del'UEAT

- Juge des enfants

- UEMO

Chapitre 2. Le témoignage du vécu des familles suite à l'intervention de la justice pénale dansleur famille

Plusieurs réactions apparaissent dans ces six entretiens. Je vais donc aborder dans ce

chapitre les différents éléments sur lesquels j'ai décidé de me pencher en essayant d'expliquer ce que

pouvait donc faire vivre aux parents l'intervention de la justice pénale dans leur famille.

Il apparaît d'une part que les parents sont parfois remués par la violence de l'étape du commissariat

et de la mise en examen au tribunal (2.1). Les témoignages relèvent également régulièrement un

sentiment de culpabilité des parents (2.2) et l'impression d'être jugés sur leurs capacités parentales

(2.3) suite à l'intervention de la justice dans leur famille. Cependant, d'autres parents vont également

pointer du doigt l'écoute et le soutien que leur a offert l'accompagnement éducatif de la PJJ (2.4).

2.1 La violence de l'étape du commissariat et du tribunal

On retrouve dans plusieurs témoignages des parents la difficulté qu'ils ont à évoquer le

souvenir de leur passage au commissariat après la garde à vue de leur enfant, ou de l'audience de

mise en examen de ce dernier. Chacun a pu expliquer que c'était un moment pénible, où ils ont pu

sentir par exemple le regard méprisant des policiers. Certains ont mal vécu les mots parfois

moralisateurs de ces derniers qui les considéraient coupables de l'acte de leur enfant.

Monsieur VILLON m'expliquera par exemple qu'en me reparlant de ce moment, il a « l'adrénaline

qui monte »23. Le vécu douloureux de ce passage devant les forces de police vient pour lui du fait

qu'ils ne l'ont « pas du tout écouté ». En plus du choc d'apprendre ce jour-là que son fils est accusé

d'avoir mis le feu à une maison, il est confronté à des professionnels peu à l'écoute et peu

compréhensifs de ce qu'il est en train de vivre.

C'est ce que m'expliquera également la maman d'Adem, suivi dans le cadre d'une mesure de

réparation ordonnée par le juge des enfants lors de la mise en examen : « Je n' étais pas contente de

23 Le témoignage de Monsieur VILLON est présent en Annexe n°4.

23

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passer devant les policiers, ils ne m'ont même pas écoutée (…) j'étais pas bien après ça (…) le

policier n'a même pas pris le temps de m'écouter ». Là encore Madame a rencontré des

professionnels qui parfois pris par le temps, la pression, ne prennent pas le soin d'écouter les

parents. Ils ont une place particulière dans la chaîne pénale et n'ont donc pas forcément le rôle d'être

à l'écoute et de rassurer les parents sur ce qu'il va se passer ensuite. Cependant, c'est important pour

nous, éducateurs à la PJJ, d'avoir cela en tête lorsqu'on reçoit pour la première fois les familles des

mineurs qu'on accompagne.

Certains parents que j'ai rencontrés ont également mal vécu le passage devant le juge des

enfants lors de la mise en examen. Si Monsieur VILLON par exemple se souvient lui de deux juges

très humaines et à l'écoute « Je pense qu’elles avaient un regard bienveillant. Elles ont su être

fermes, mais humaines. Elles nous mettaient pas sur le banc des accusés. » Certains déplorent le

fait que tout est allé très vite. Les parents de Valentin, suivi par nos services dans le cadre d'une

Liberté Surveillée Préjudicielle depuis 6 mois m'expliquent : « Tout allait très vite (…) on n'a pas

compris ce qu'il se passait sur le coup (…) on a eu qu'un tout petit temps de parole (…) on a eu

l'impression que c'était nous qu'on mettait en cause ». On constate donc ici que le passage devant le

juge des enfants peut également être un moment pénible pour les parents, qui peuvent encore être

sous le choc de ce qui se passe et ne pas comprendre la teneur des propos du juge.

Il est possible de mettre cela en lien avec la maman rencontrée au début de mon stage au

Tribunal, à l'UEAT, lors du défèrement que j'ai évoqué en première partie. Cette maman s'est

trouvée tellement abattue par ce qui se passait pour son fils, qu'elle n'est pas parvenue à prendre la

parole à l'audience et n'a pas vraiment compris la teneur de la mesure éducative ordonnée.

Didier FASSIN explique dans son ouvrage « Juger, réprimer, accompagner: essai sur la

morale de l'État »24, qu'aujourd'hui les juges font face à une telle augmentation du nombre d'affaires

à juger, qu'ils font des audiences de plus en plus rapides et ne prennent plus forcément le temps qu'il

faudrait pour écouter les usagers en leur laissant le temps de parole nécessaire.

Cela pourrait expliquer que nous rencontrons alors des parents pour qui ce passage devant le juge a

été violent, par sa rapidité et le manque de temps accordé pour s'exprimer.

24 Collectif, FASSIN DIDIER, MAZOUZ Sarah, MAKAREMI Chowra, KOBELINSKY Carolina ... « Juger, réprimer, accompagner : essai sur la morale de l'Etat », Première édition, Paris : Seuil, 2013, 416p.

24

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2.2 Le sentiment de culpabilité des parents

Plusieurs parents m'ont fait part lors de ces rencontres de la culpabilité qu'ils avaient

ressenti en étant confrontés à l'intervention de la justice pénale dans leur famille.

Monsieur VILLON m'expliquera par exemple :

«(…) On culpabilisait beaucoup sur comment Corentin en était arrivé là … Pourquoi cela nous

arrivait à nous (…) on ne savait pas si c'était un problème éducatif qui venait de nous, on se posait

plein de questions (...) ».

Cet extrait montre très bien ce que cette intervention de la justice peut venir soulever chez

les parents du mineur pris en charge un sentiment de honte, de culpabilité. Les parents que l'on

rencontre ont parfois l'impression que le passage à l'acte de leur enfant est dû à une carence

éducative, à un manque de vigilance de leur part … Il n'est pas rare lors d'un premier entretien

d'entendre un parent nous dire par exemple « je ne sais pas ce que j'ai raté avec lui/elle ... ». Le

parent remet alors en question sa propre capacité à tenir son rôle de père ou de mère.

J'ai rencontré les deux parents de Valentin, qui m'ont eux expliqué à quel point ils avaient

été « choqués » d'apprendre le passage à l'acte de leur fils : « On a été choqué en apprenant tout ça

(…) ça a été un choc total parce qu'on a jamais eu de soucis avant avec la justice (...) ». Chacun

d'eux évoquera même un « choc total ». Ce choc là a fait naître en eux un sentiment de culpabilité

sur l'éducation qu'ils ont donné à leur fils. Ils me décriront d'ailleurs que depuis cette affaire ils font

« plus attention à lui et aux autres enfants, car ça pouvait leur arriver aussi. », Ils sont à ce jour

« beaucoup plus vigilants qu'avant », avec Valentin mais également avec leurs autres enfants.

Cela montre qu'ils ont remis en question leur éducation, la façon dont ils se sont occupés de

Valentin mais également des autres enfants pour éviter que cela se produise pour eux aussi. On peut

donc voir ici une forme de culpabilité chez ces parents, qui vont faire alors beaucoup plus attention

à ce que font leurs enfants. Ils donnent en effet l'impression de se sentir responsables de ce qu'il s'est

passé pour leur fils en faisant davantage attention à présent à leur fils et à leurs autres enfants.

Ces sentiments doivent également être pris en compte lorsque nous rencontrons les

familles. Afin de travailler avec les parents du mineur, il me paraît important de les rassurer sur

leurs capacités à être parents.

25

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2.3 L'impression d'être jugés sur leur capacité à éduquer leur enfant

Il ressort également de cette enquête, que plusieurs parents ont l'impression d'être jugés ou

évalués sur leurs capacités à s'occuper et à élever leur enfant.

La mère d'Adem, suivi dans le cadre d'une mesure de réparation m'a expliqué :

« (…) J'éduque bien mon enfant (…) mon fils n'est pas quelqu'un qui traîne dehors. C'est pas

quelqu'un qui fume. C'est pas comme les autres qui font n'importe quoi dans la rue, lui ça n'a rien à

voir (…) tout le monde a dit ici qu'il était adorable (…) je voulais qu'on voit que mon fils n'est pas

un méchant garçon, un voyou (...) ».

Madame montre ici que de par cette intervention de la justice pénale au sein de sa famille,

elle se sent évaluée sur le cadre éducatif existant à son domicile. Elle a la sensation de devoir

démontrer qu'elle élève bien son fils, que c'est « un garçon bien »25.

C'est également ce que me dira la maman d'Alexandre également suivi dans le cadre d'une

mesure de réparation :

« (…) Nous sommes une famille normale, nous n'avons pas besoin de suivi éducatif (…) mon fils

n'est pas un délinquant (…) rien a changé dans mon rôle de mère car il y avait assez de cadre à la

maison avant cela et il y en aura tout autant après (…) Je n'ai pas besoin de recevoir des conseils

ou des leçons sur comment élever mon fils (…) j'ai hâte que ça se termine, la justice a d'autres

choses à traiter que ça ».26

Une certaine colère apparaît dans le discours de cette dame. On peut percevoir par les mots

et les tournures de phrases utilisés qu'elle se sent elle aussi jugée et évaluée par notre intervention.

Cela paraît venir lui signifier qu'on la remet en cause en tant que mère, qu'on vient elle-même la

pointer du doigt. « La justice a d'autres choses à traiter que ça » dénote aussi qu'elle a une certaine

représentation de la justice faite pour les « cas sociaux » à l'opposé d'une justice des mineurs conçue

comme un service public au bénéfice de tous.

Cela ressort aussi dans les mots du père de Yann, suivi par nos services dans le cadre d'une mesure

de contrôle judiciaire. Monsieur me décrit :

25 Le témoignage de la mère d'Adem se trouve en annexe n° 6. 26 Le témoignage de la mère d'Alexandre se trouve en annexe n° 5.

26

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« (…) on est dans un cadre familial qui va bien (…) ils ont vu qu'on est assez équilibré (…) ils sont

venus voir chez nous le cadre de vie de notre fils, ils ont vu que c'était bien ».

Là encore Monsieur a la sensation que l'intervention judiciaire vient évaluer le cadre

familial. Il a eu le besoin de me dire que les professionnels intervenant dans la mesure ont vu que la

famille était équilibrée, que leur lieu de vie était correct … Cela peut montrer que Monsieur a été

éprouvé par l'immixtion de la justice dans son quotidien, car cela a réveillé en lui ce besoin de

justifier la convenance du cadre de vie offert à son fils.

Cela peut être mis en lien avec l'entretien de présentation de mesure de Liberté Surveillée

Préjudicielle décrit en première partie. Madame avait ici pris beaucoup de place et répondu à

chacune des questions à la place de son fils comme pour nous prouver qu'elle était une bonne mère,

qui connaissait bien son fils et qui offrait un cadre de vie adapté à son enfant. Cela peut donc laisser

penser qu'elle se sentait jugée et évaluée dans son rôle de mère et qu'elle avait la sensation que notre

intervention venait vérifier la façon dont elle élevait son enfant.

Les différents témoignages viennent pointer ce sentiment d'être évalué et jugé par notre intervention

de par l'intrusion qu'elle peut impliquer dans la vie des parents. Il est donc encore une fois

intéressant d'avoir cela en tête lorsque nous recevons des familles, menons une mesure afin de

désamorcer ces ressentis.

2.4 Le suivi éducatif mis en place par la PJJ, un soutien et un espace de confidentialité

Il est à noter que pour plusieurs parents rencontrés, l'accompagnement de leur enfant par la

Protection Judiciaire de la Jeunesse a permis d'offrir un soutien aux familles du mineur, mais

également un espace de confidentialité où ils pouvaient verbaliser leur culpabilité, leur honte, leurs

questions …

Monsieur VILLON par exemple, a eu son fils pris en charge durant trois années. Le suivi étant

aujourd'hui terminé, il avait le recul nécessaire pour me dire que :

«Le fait de pouvoir parler à quelqu’un de notre problématique c’était important, car on ne peut

pas parler de tout ça à tout le monde, ça peut rajouter de la peine à Corentin, ou aux gens qui nous

entourent … au moins on pouvait parler librement de tout ça avec l'éducateur . Il a été un vrai

soutien à certains moments. (…) Il gardait un œil bienveillant et optimiste sur Corentin ça a été un

27

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vrai soutien. Il était toujours étonné des qualités de Corentin, de ses prédispositions, qu’il était

intelligent, pertinent dans certaines de ses réponses. Alors que nous tout ça on le voyait pas. (…)

Le fait de pouvoir parler avec quelqu'un de notre problématique c'était important. On pouvait

parler librement de ça ici (…) Grâce à l'UEMO on est passé sur un autre registre en considérant

Corentin différemment (…) on a eu un soutien durant tout ce temps où c'était difficile pour nous

(…) l'éducateur était très investi (…) l'éducateur ne met pas tout de suite en avant l'étiquette

justice »

Les mots ici de Monsieur VILLON montre que les entretiens effectués par l'éducateur ont

permis de verbaliser les difficultés, d'avoir un espace confidentiel dédié à cela, car il peut être

compliqué d'échanger sur cela à l'extérieur. Aussi, Monsieur explique très bien que le travail

éducatif mis en œuvre a été un réel soutien pour les parents. Cela leur a permis de voir leur fils

autrement que par l'acte commis et de travailler de manière cohérente dans l'intérêt du mineur. Bien

que Monsieur VILLON me décrive également comme présenté plus haut, toute la violence de son

passage au commissariat, le travail éducatif effectué a permis à ce père de se rassurer sur son rôle,

de voir son fils différemment et d'être soutenu. Le fait qu'il précise que l'éducateur n'ait pas mis en

avant directement l'étiquette justice est intéressante. Cette approche proposée par l'éducateur montre

qu'il est possible de désamorcer le choc subi par l'intervention de la justice. Le lien se crée donc

autrement qu'en avançant le cadre contraint de notre intervention.

La mère de Adem m'a également évoqué, qu'elle avait été « soutenue » par l'éducatrice qui

prenait en charge son fils.

C'est également le cas de Madame OPA, mère de Lilian, qui m'expliquera :

« J’ai l’impression qu’on m’a bien prise en compte ici (à l'UEMO). Je trouve qu’ils m’ont plus

écoutée qu’à la police ou au tribunal. Ici au moins ils comprennent que mon fils n’est peut être pas

coupable. »

Madame pointe donc ici une nouvelle fois la difficulté qu'elle a eue à être confrontée aux

forces de police. Elle décrit en revanche, l'écoute qu'elle a reçue de la part des professionnels de

l'UEMO lors de la mise en place de la mesure et le respect de la présomption d'innocence.

L'intervention éducative au sein de la justice pénale peut donc également permettre aux parents des

mineurs suivis d'avoir un espace confidentiel pour verbaliser leurs difficultés, mais également

d'obtenir un soutien des professionnels.

28

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Ces entretiens viennent donc pointer divers ressentis que peuvent traverser les parents en

étant confrontés à l'intervention de la justice pénale : La violence du passage devant les forces de

police, le choc de la mise en examen, la culpabilité, la honte de se sentir jugés sur leurs capacités à

être parents, la quête d'un espace de reconnaissance de leurs compétences parentales, le soutien

offert par les services de la PJJ …

Le père de Yann le confirme : « avoir affaire à la justice a été très contraignant pour

nous ». Il apparaît dans ces différents témoignages que ce n'est pas spécifiquement notre

intervention à nous, Protection Judiciaire de la Jeunesse, qui vient faire violence aux parents, mais

plus l'ensemble du système judiciaire en amont qui peut provoquer un choc aux parents : la garde à

vue, la mise en examen. A la PJJ, nous ne sommes qu'un qu'un maillon de la chaîne pénale et notre

but est de mettre en place la mesure demandée par le magistrat. Nous avons donc un rôle d'interface

entre le juge et les usagers, qui vont devoir répondre avec notre travail à la demande du magistrat.

Le père de Yann me disait également : « On ne peut pas lutter contre la justice, on est

impuissant ». Cela peut vouloir dire que les familles ont tendance à se soumettre à cette institution

qu'est la justice en se disant qu'on ne peut pas faire autrement et qu'ils n'ont pas la possibilité d'agir.

Le témoignage de Monsieur VILLON, dont le fils a été suivi de longues années par la PJJ, montre

lui que cet accompagnement a pu leur être bénéfique, qu'ils en ont tiré des éléments positifs,

notamment un soutien et un nouveau regard sur leur fils.

Recueillir la parole de ces parents m'a permis de venir préciser ma pensée. Partant au début

de l'hypothèse que c'était notre intervention qui pouvait être violente pour ces parents, je réalise

qu'il y a finalement tout ce qui se passe avant notre rencontre qui peut venir faire violence aux

parents. Au contraire, certaines de ces familles soulèvent l'écoute et la confidentialité qu'elles ont

apprécié trouver au sein de nos services. Il faut donc envisager à présent l'intervention de la justice

pénale au sens large, en incluant le passage devant les forces de police et devant le juge des enfants

lors de la mise en examen.

Aussi, cette notion « d'impact » se précise davantage et s'apparente à de la culpabilité, un sentiment

de dévalorisation et d'impuissance face à l'institution judiciaire.

Dans quelle mesure alors de notre place d'éducateur à la protection judiciaire de la jeunesse

pouvons-nous aider les parents à dépasser ce choc vécu lors de l'intervention de la justice pénale et

les encourager à agir afin d'accompagner au mieux le mineur et le voir évoluer positivement ?

Il s'agira donc à présent de recueillir le regard des professionnels sur le vécu des parents.

29

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Chapitre 3. Le Regard des professionnels sur le vécu des parents confrontés à la justice pénale

Afin de compléter mon enquête, il était intéressant pour moi de recueillir le regard des

professionnels, qui observent chaque jour les usagers pris en charge par nos services.

Ainsi, je présenterai donc dans ce chapitre l'échantillon de professionnels interrogés pour ma

recherche (3.1). Ces derniers ont pu me faire part de la sidération qu'ils observent chez ces parents

(3.2), mais aussi de leur soumission très aisée à l'aide contrainte (3.3).

3. 1 Présentation de l'échantillon de professionnels interrogés

Suite à ces rencontres avec les familles, j'ai fait le choix d'interroger plusieurs

professionnels, en contact, chaque jour avec ces parents de mineurs pris en charge par la PJJ.

J'ai donc rencontré trois éducateurs de mon UEMO, une éducatrice de mon UEMO, les deux

psychologues de mon UEMO, la secrétaire de l'UEMO et deux éducatrices de l'UEAT. Il me

paraissait intéressant de compléter les témoignages des parents par les observations des

professionnels. Cela me permettait de comparer leurs points de vue.

Prénoms Fonction Ancienneté en milieuouvert

Contexte de l'entretien

Bruno Éducateur titulaire enUEMO

10 ans Entretien réalisé à l'UEMOen Février 2018

Marc Éducateur titulaire enUEMO

10 ans Entretien réalisé à l'UEMOen Février 2018

Stéphane Éducateur titulaire enUEMO

1 an Entretien réalisé à l'UEMOen Mars 2018

Charlotte Éducatrice titulaire enUEMO

12 ans Entretien réalisé à l'UEMOen Mars 2018

Géraldine Éducatrice titulaire àl'UEAT

2 ans Entretien réalisé au tribunalen Avril 2018

Valentine Educatrice titulaire àl'UEAT

5 ans Entretien réalisé à l'UEATen Avril 2018

Clotilde Psychologue titulaire àl'UEMO

2 ans Entretien réalisé à l'UEMOen Avril 2018

Marie Psychologue titulaire àl'UEMO

8 ans Entretien réalisé à l'UEMOen mars 2018

Sophie Secrétaire titulaire àl'UEMO

17 ans Entretien réalisé à l'UEMOen avril 2018

De l'ensemble de ces entretiens menés, j'ai pu dégager plusieurs aspects soulevés par les

professionnels concernant le regard qu'ils portent sur le vécu des parents suite à une intervention

pénale au sein de leur famille :

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3.2 La sidération des parents

Plusieurs des professionnels rencontrés soulignent le choc que peut causer une intervention

de la justice et la « sidération » des parents qu'il peut entraîner.

Géraldine, éducatrice à l'UEAT, qui rencontre les parents suite au défèrement de leur enfant avant

de transmettre ses propositions éducatives au juge des enfants pour la mise en examen m'explique :

« Souvent c'est nous qui informons les parents du détail des faits, c'est souvent par nous aussi qu'ils

apprennent les réquisitions du Procureur, donc s'il va y avoir une demande de placement,

d'incarcération. C'est donc souvent très violent. On leur dit tout ça et en même temps on a besoin

qu'ils nous donnent plein d'informations. Comment ça se passe à la maison ? Quel genre

d'adolescent c'est ? Et quel genre d'enfant c'était ? Et l'école ? Et la santé ? Donc on attend

beaucoup d'eux, on leur laisse pas le temps pour mentaliser ce qu'il s'est passé. »27

Géraldine décrit bien ici la violence que peut représenter l'intervention de la justice et la

difficulté pour les parents d'avoir à assimiler ce choc, tout en étant mobilisés et en livrant des

informations aux professionnels qu'ils rencontrent. Frédérique GIULIANI l'explique très bien dans

son article « Les nouveaux visages du travail social – Pactes et arrangements dans

l'accompagnement »28. En effet, quand un accompagnement est mis en place, lorsque l'usager

rencontre un travailleur social, cela implique de se livrer, de tout dire et de révéler des éléments de

sa vie intime, ce qui peut donc être douloureux pour l'usager. Géraldine soulève ici cette difficulté,

d'autant plus que les parents se trouvent dans « un état souvent qui relève de la sidération ».

Accepter de se livrer sur son vécu peut donc être pénible pour les parents. C'est ce que

remarquent également certains professionnels travaillant en milieu ouvert. Les parents sont

effectivement amenés à venir répondre aux questions, parfois très intrusives, des professionnels, à

travailler sur leur passé pour comprendre ce qui a pu se jouer pour leur enfant.

Marc explique :

« C'est souvent eux qui nous le disent, mais ils ont honte … c'est la honte, c'est une manière d'être

discrédités dans leur fonction parentale, ils ont l'impression de ne plus y arriver. On leur fait ouvrir

leur intimité et je pense que ça c'est hyper dur pour eux »

27 Le témoigne de Géraldine, éducatrice titulaire à l'UEAT, se trouve à l'annexe n°9. 28 Soulet, M.-H. (Ed.) (2015). Les nouveaux visages du travail social. Fribourg : Presses universitaires de Fribourg.

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Le moment du défèrement est encore plus particulier, car tout se passe très vite. L'éducateur doit

rencontrer le jeune dans les geôles du tribunal, les parents, contacter des partenaires intervenant

dans la situation s'il y en a et rédiger ses propositions au magistrat en fonction de tout cela avant

l'audience de mise en examen. Cette rapidité peut alors expliquer que les parents puissent ne pas se

sentir écoutés, puisque tout doit aller très vite. On retrouve ici l'analyse de Didier FASSIN dans son

ouvrage collectif « Juger, réprimer accompagner, essai sur la morale de l'état »29. Il explique en

effet que les audiences sont de plus en plus courtes du fait de l'engorgement des tribunaux. Les

magistrats ont plus de travail et prennent donc moins de temps pour chaque affaire, ce qui peut se

ressentir du côté des usagers.

Géraldine poursuit :

« Mais moi je dirai que ce qui est dur pour les parents c'est qu'à la fois on leur demande

d’appréhender plein de choses, on leur donne plein d'infos. Et à la fois on leur en demande

beaucoup. Et encore il faut prendre en compte le fait que souvent ils n'ont pas dormi parce que leur

gosse est en garde à vue depuis deux jours, ils ne connaissent pas les locaux, ils ne connaissent pas

le fonctionnement, ils nous connaissent pas … tout va vite. Et en même temps ils sont dans quelque

chose de l'ordre de la sidération, ils sont effarés. Souvent on est obligé de répéter les choses, ils

vont nous poser cinq ou six fois la même question mais parce qu'ils sont hébétés. Et puis les

parents, ils ont tendance à vouloir nous donner les bonnes réponses, pour éviter le jugement qu'ils

pensent qu'on va poser sur eux. »

On retrouve donc là aussi dans le regard de Géraldine, la peur des parents de se faire juger et la

volonté de donner la bonne réponse pour ne pas être remis en cause dans son rôle de parents. Cela

peut être mis en lien avec la situation présentée précédemment, où la maman de Mickaël avait pris

beaucoup de place lors de l'entretien de présentation de la mesure de LSP en voulant absolument

répondre à l'ensemble de nos questions à la place de son fils.

Charlotte, de sa place d'éducatrice en milieu ouvert explique cet effondrement qu'elle perçoit

également :

« (…) souvent ils le vivent comme étant un mauvais parent. (…) C'est vrai que beaucoup arrivent

29 Collectif, FASSIN DIDIER, MAZOUZ Sarah, MAKAREMI Chowra, KOBELINSKY Carolina ... « Juger, réprimer, accompagner : essai sur la morale de l'Etat », Première édition, Paris : Seuil, 2013, 416p.

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avec un fonctionnement. Une prise de parole prépondérante sur le jeune car ils sont inquiets, sur la

défensive. Ils sont hyper angoissés, c'est des rendez-vous très stressants ».30

On retrouve donc là encore ce fort sentiment de culpabilité des parents, qui se sentent perçus

comme étant de « mauvais parents » et donc réagissent en fonction de cela. Bruno, éducateur en

UEMO le confirme :

« Ils ont l'impression d'avoir raté quelque chose. Le choc d'une intervention de la justice qui est vue

comme un défaut de leur part. Et par conséquent une attitude, où ils vont se soumettre. »

Les professionnels perçoivent donc bien cet effondrement et cette culpabilité dont

plusieurs parents me faisaient part.

Clotilde, psychologue en UEMO me confirme qu'une intervention de la justice pénale

« peut venir faire violence car elle implique un effondrement et la remise en cause de toute la

cellule familiale. Cette intervention soulève la dimension de la honte. » Les parents ont honte

puisque cette intervention vient toucher leur propre « narcissisme » en tant que parents, « d'être

réduits à l'acte de leur enfant » et d'être mis « dans le même panier » que des gens à qui ils ne

veulent surtout pas ressembler. Ils craignent donc d'être d'une part assimilés à d'autres parents, eux-

mêmes confrontés à la justice à cause de leurs enfants et d'autres parts à l'acte commis par leur

enfant.

Sophie, adjointe administrative à l'UEMO, accueille le public chaque jour et répond au

téléphone. Elle me décrit qu'elle doit régulièrement rassurer des parents inquiets au téléphone.

Inquiets de savoir comment le suivi va se dérouler, s'ils vont devoir venir à chaque fois, qu'est-ce

que la PJJ, qu'est-ce qui va être mis en place… Cela montre bien que lors de la mise en examen ils

sont dans un tel état de sidération, qu'il peut être compliqué pour eux de penser, d'élaborer. Ils

peuvent être dans l'appréhension de leur rencontre avec les professionnels de l'UEMO et ont donc

besoin qu'on leur explique de nouveau ce qu'il va se passer pour eux et pour leur enfant.

30 Le témoignage de Charlotte, éducatrice titulaire à l'UEMO, se trouve à l'annexe n°8.

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3.3 La soumission à l'aide contrainte

Chacun des professionnels interrogés s'accorde à dire que les parents des mineurs pris en

charge par la Protection Judiciaire de la Jeunesse ont tendance à se soumettre facilement à la

contrainte de l'institution et à être très dociles. Les parents acceptent sans difficultés de se livrer et

d'amener des éléments de leur passé.

Charlotte m'explique par exemple :

« C'est important de dédiaboliser. À la fois, faire comprendre à la famille l'ordonnance avec des

mots adaptés, se rendre compte si la personne comprend ou pas. La plupart des gens ne peuvent

pas dire qu'ils ne comprennent pas. Moi j'ai rencontré des parents qui au début du suivi avaient

vraiment une posture de soumission, ils baissaient la tête, ils me disaient oui à tout, ils étaient

abattus, désolés … »

Charlotte souligne ici la difficulté que peuvent avoir les parents à questionner, à s'autoriser à dire

qu'ils ne comprennent pas, car ils peuvent craindre ce que cela va renvoyer au professionnel et les

conséquences judiciaires que leur parole pourrait avoir.

Géraldine me décrit, elle, par exemple :

« Les parents ne s'autorisent pas du tout en plus à ne pas répondre, ils se soumettent à tout ce qu'on

peut dire, même face à nous. (…) Mais je ne suis pas sûre que les parents pensent avoir le choix, ils

sont la plupart du temps dociles et ils prennent ce qu'on leur dit comme si c'était établi. Mais ça

c'est dans tous les suivis judiciaires. Pas uniquement que pour les défèrements, je trouve, où les

parents se disent que la justice elle décide pour nous et qu'ils n'ont pas à en dire grand-chose. »

Bruno rejoint cet avis en m'expliquant :

« D'abord, cette intervention de la justice met les parents dans une position un peu subordonnée

auto-soumise ».31

C'est ce qu'observe également Sophie, adjointe administrative à l'UEMO. Elle a pu

m'expliquer lors d'un de nos échanges, qu'elle observait régulièrement en salle d'attente des parents

31 Le témoignage de Bruno, éducateur titulaire à l'UEMO, se trouve à l'annexe n°7.

34

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« un peu soumis, tête baissée (...) ». Qu'il y a souvent peu de discussions entre les parents et les

jeunes dans la salle d'attente et elle l'explique par le fait qu' « on sent que ça peut être un moment

angoissant, tendu ... ».

Cela peut rejoindre la description de la relation institutionnelle asymétrique faite

précédemment. L'institution est en effet dominatrice et peu à l'écoute de la voix « des faibles ».

Jean-Paul PAYET, Denis LAFORGUE et Frédérique GIULIANI évoquent dans leur ouvrage « La

voix des acteurs faibles, de l'indignité à la reconnaissance »32, le concept d' « acteurs faibles ». Ils

expliquent qu'en effet, la relation entre l'institution et l'usager est asymétrique et que ce dernier a

tendance à se soumettre très facilement et à être peu écouté. Mais qu'avec ce concept, on peut voir

un mouvement dans cette place qu'a l'usager. Le « faible » devient acteur. Il peut alors faire valoir

des demandes, solliciter l'institution pour atteindre tel ou tel objectif, faire des choix. Les

sociologues développent dans cet ouvrage l'idée d'une institution plus compréhensive, plus à

l'écoute de ces « voix des faibles ». Il apparaît donc que ce changement de la place de l'usager même

s'il existe également dans les textes s'appliquant à la PJJ, est parfois difficile à mettre en place sur

les terrains. De par le choc ressenti, la culpabilité, parfois la sidération, la complexité de la

procédure certains parents se laissent guider par les professionnels sans vraiment devenir acteurs du

projet éducatif de leur enfant.

L'ensemble de ce travail d'enquête m'a alors permis de venir préciser ce qu'une

intervention de la justice pénale pouvait venir faire vivre aux parents des mineurs suivis.

D'une part, il apparaît clairement dans les divers témoignages des parents qu'il y a différentes étapes

de la chaîne pénale, évoquées par ces derniers : le commissariat suite à la garde-à-vue, le passage

devant le juge des enfants pour la mise en examen, puis la rencontre avec les professionnels de la

Protection Judiciaire de la Jeunesse.

Si j'ai pu penser lors de mes premières observations, que l'intervention de la PJJ venait faire

violence aux parents, il m'est à présent possible d'envisager les étapes qui précèdent notre

accompagnement participent à cette épreuve. La violence de cette première confrontation avec la

justice pénale éprouvée lors des étapes précédentes semble se diffuser ou se répandre pour certains

jusque dans la mesure éducative qui s’en suit, comme si celle-ci était chez certains parents

amalgamée avec les étapes précédentes.

Je peux donc retenir de cette enquête auprès des parents que plusieurs ont ressenti de la honte, de la

32 GIULIANI, Frédérique (dir.) ; LAFORGUE, Denis (dir.) ; et PAYET, Jean-Paul (dir.). La voix des acteurs faibles : De l'indignité à la reconnaissance. Nouvelle édition. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2008, 246p

35

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culpabilité en étant confrontés aux forces de police et au magistrat, beaucoup se sont sentis jugés

dans leurs capacités parentales. Cependant, plusieurs des parents ont relevé l'importance qu'avait eu

le suivi mis en place par la PJJ, de par l'écoute que cela leur avait apporté et le nouveau regard

envers leur enfant.

L'ensemble des professionnels relèvent également qu'ils sont amenés à rencontrer des

parents régulièrement sidérés par ce qu'ils viennent de vivre, mais qu'ils tentent d'accueillir cela

comme ils le peuvent pour construire la relation éducative. La relation asymétrique entre les

professionnels et l'usager est également pointée du doigt, car elle met les parents dans une posture

de soumission à l'institution.

Cela me permet donc de préciser la notion d'impact utilisée tout au long de cet écrit. Il s'agirait

finalement de décrire la façon dont les parents « réceptionnent » cette intervention judiciaire. La

notion d'impact s'observerait, elle, davantage sur du long terme. Or, ici, je me suis intéressée à ce

que les parents vivaient sur le moment, à l'instant même où ils étaient confrontés à l'institution

judiciaire. « La réception » permet également d'observer une dynamique, c'est-à-dire les

interactions entre les usagers et les professionnels de la PJJ.

Les parents des mineurs pris en charge réceptionneraient donc l'intervention de la justice

pénale en étant durant un temps en état de sidération, tout en culpabilisant des faits commis par leur

enfant et en se subordonnant donc à l'institution.

Il sera donc question dans une troisième partie de réfléchir à comment nous en tant que

professionnels nous pouvons accueillir cette culpabilité, ce choc décrit par les familles interrogées

afin de nuancer l'asymétrie de la relation et de rendre les parents davantage acteurs de la prise en

charge de leur enfant. Nous avons, en effet, un rôle d'interface entre le magistrat et l'usager qui nous

pousse à poursuivre le travail débuté par le magistrat lors de la mise en examen, tout en faisant en

sorte que les usagers puissent répondre à la demande de ce dernier.

36

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Partie III

Réflexion sur la posture professionnelle et expérimentation de nouvelles réponses

Suite à ce travail d'enquête, j'ai dégagé deux hypothèses d'action. L'une permettant de

réduire le choc ressenti par les parents suite à la prise en charge de leur enfant par la justice pénale,

que j'ai mise en lien avec la notion d'accueil (Chapitre 1). La seconde, permettant d'atténuer

l'asymétrie de la relation entre le parent et le professionnel, en limitant le sentiment d'impuissance et

en donnant toute la place d'agir aux parents rencontrés. Il s'agira ici d'aborder la co-construction de

la relation, en s'appuyant directement sur les ressources des parents afin de leur redonner le pouvoir

d'agir (Chapitre 2). Enfin, je présenterai l'expérimentation que j'ai imaginée pour permettre aux

parents de passer de ce sentiment de culpabilité à la capabilité en m'inspirant de la méthode du

développement du pouvoir d'agir (Chapitre 3).

Chapitre 1. L'accueil, un temps nécessaire à l'apaisement du choc ressenti par les parents

Il ressort de l'enquête réalisée que les parents des mineurs qu'on prend en charge ont pu

être éprouvés par leur passage devant les forces de police suite à l'infraction de leur enfant, ou par la

mise en examen de ce dernier et donc l'audience devant le juge des enfants. Ce chapitre vise donc à

venir appuyer l'importance de la phase d'accueil en milieu ouvert (1.1). Accueil, qu'il est possible de

penser grâce aux « micro-traces d'hospitalité » proposées par David PUAUD (1.2), mais également

grâce au premier entretien effectué au sein de l'UEMO (1.3).

1.1 L'accueil, une phase clé en milieu ouvert

Il m’apparaît primordial de travailler l'accueil qui est offert aux parents lorsqu'ils viennent

nous rencontrer pour la première fois à l'UEMO, afin d'apaiser le choc qu'ils ont pu ressentir et de

leur donner toute leur place dans la prise en charge. Il est alors nécessaire de se demander ce que

signifie accueillir ? Le dictionnaire Larousse définit le terme « accueillir » comme tel : « Être

présent, venir pour recevoir quelqu'un à son arrivée quelque part. »33

Au sein d'un service de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, accueillir signifierait donc

être présent à l'arrivée des usagers dans nos locaux et les recevoir.

33 Accueillir. (v.t). Dans Dictionnaire Larousse en ligne. Repéré à http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/accueillir/571

37

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Sophie, adjointe administrative en milieu ouvert, accueille chaque jour les parents des

mineurs qu'on prend en charge à l'entrée des locaux. Elle m'explique l'importance qu'elle donne à se

lever à chaque arrivée pour accueillir les jeunes et les familles qu'elle ne connaît pas, leur sourire et

les apaiser parfois en utilisant l'humour lorsqu'elle sent qu'ils sont angoissés. Elle les oriente en salle

d'attente et les fait patienter en prévenant l'éducateur référent. De sa place, elle participe à accueillir

les usagers, à désamorcer peut-être l'angoisse qu'ils ont de se rendre dans des locaux du ministère de

la justice.

La note du 22 octobre 201534 rappelle l'importance de cette phase d'accueil : « Accueillir

dans les meilleures conditions le jeune et sa famille constitue la première étape d’une action

éducative bienveillante ».

Cet accueil peut donc permettre d'apaiser les familles, de dédiaboliser le suivi éducatif au pénal afin

de débuter une relation où les parents sortent de ce sentiment de culpabilité et trouvent toute la

place d'agir dans l'accompagnement.

Charlotte, éducatrice titulaire en milieu ouvert décrit :

« Souvent le sentiment d'intrusion, il est là au premier entretien et après ça y est, ça part … c'est

pour ça que l'accueil est hyper important, il faut vraiment dédramatiser le truc ! »

1.2 « Les micro-traces d'hospitalité » de David PUAUD, pour penser l'accueil

David PUAUD a démontré dans son ouvrage « Le travail social ou l'art de l'ordinaire »35,

qu'il est indispensable de « réfléchir aux aspects informels de notre métier » car ces derniers

peuvent modifier toute l'action éducative. Ces « aspects informels » peuvent participer à la phase

d'accueil. Il les nomme comme étant « des micro-traces d'hospitalité ». Cette hospitalité nous paraît

banale dans notre métier et nous n'y faisons plus vraiment attention, car l'accueil des usagers fait

partie de notre quotidien. Or, grâce à celles-ci, par exemple avec un sourire marqué, un verre d'eau,

un regard encourageant, un ton de voix différent, on instaure une présence rassurante et empathique.

Cette posture va alors permettre de réellement prendre en compte ses interlocuteurs et que ces

derniers le ressentent. Ainsi, l'usager va se sentir rassurer et pourra s'apaiser lors de la rencontre.

« Les micro-traces d'hospitalité » permettent alors une prise en compte du jeune et de ses parents,

en prenant le temps, en s'attardant sur leurs ressentis. Si j'avais davantage pris le temps d'accueillir

34 Note du 22 octobre 2015 relative à l’action éducative en milieu ouvert au sein des services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) NOR : JUSF1526137N35 PUAUD David. 2013. Le travail social ou l'"art de l'ordinaire", Yapaka - Fabert, Coll. Temps d’arrêt, 57 p

38

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la maman de Mickaël, présentée en première partie de ce mémoire, peut-être que celle-ci aurait été

plus apaisée durant l'entretien, en ne souhaitant pas forcément montrer à tout prix qu'elle était

impliquée dans l'éducation de son fils de peur qu'on la juge mal.

Aussi, la façon dont nous ouvrons la porte, nous nous adressons aux usagers à leur arrivée

au service, nous les accompagnons en salle d'entretien ont alors toute leur importance pour les

usagers. Comme expliqué en première partie en m'appuyant sur l'ouvrage de Guy Hardy, « S'il te

plaît ne m'aide pas »36, cela va alors former une « intervention » sur les usagers et donc leur induire

un message.

Il en est de même lors du premier entretien dans la façon dont nous tournons nos phrases, dont nous

nous adressons aux jeunes et aux familles.

1.3 L'importance du premier entretien en milieu ouvert

Il m’apparaît donc important que de notre place d'éducateur de la Protection Judiciaire de

la Jeunesse, nous pensions cette phase d'accueil, en ayant en tête l'importance qu'elle a pour les

usagers et pour la relation éducative qui va se construire avec le jeune et sa famille. C'est ce que

Charlotte, éducatrice titulaire, souligne en m'expliquant qu'il faut « dédramatiser le truc ». Non pas

en banalisant les faits commis par le mineur, mais en nuançant la responsabilité des parents dans ce

passage à l'acte, en expliquant qu'il y a du positif à tirer du travail éducatif qui va être mis en place

durant quelques mois. Charlotte donne toute sa place à cette phase d'accueil du jeune et de ses

parents :

« Pour moi, une chose évidente à penser avec le temps c'est le premier entretien, l'accueil, la façon

dont on va s'exprimer, dont on va verbaliser la suite de la mise en examen … c'est une autre étape

pour la famille. C'est important de dédiaboliser. »

Cette phase d'accueil se formaliserait donc également lors du premier entretien à l'UEMO

avec le jeune et les parents. Ce premier entretien vise à présenter le service, les professionnels qui y

travaillent et la mesure que nous allons mettre en place et la façon dont nous allons accompagner le

jeune et sa famille.

Le projet d'unité de l'UEMO présente par exemple le premier entretien de cette façon :

36 HARDY Guy. 2012. S'il te plaît, ne m'aide pas ! : l'aide sous injonction administrative ou judiciaire, Erès, Coll. Relations, 192 p

39

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« Le premier entretien va engager les différentes étapes de la mesure et de l'action éducative. Il

permet de situer l'action des professionnels dans le cadre institutionnel. Il a lieu à chaque début de

suivi. Il est suivi dans les quinze jours qui suivent l'attribution de la mesure . Il se déroule au

service en présence du responsable et du/des professionnels concernés par la mesure.

Durant la première partie de l'entretien, le responsable :

- Présente le service, l'équipe pluridisciplinaire

- explique la mesure, ses modalités, ses objectifs (DIPC)

- Informe des droits et devoirs de l'institution et de la famille.

La deuxième partie de l'entretien se déroule sans le responsable. Le(s) professionnels échange(nt)

sur la situation singulière du jeune et de sa famille : famille, scolarité, passage à l'acte, horaires de

travail et d'école du jeune et des parents afin d'adapter autant que possible, les heures de rendez-

vous. Une attention particulière est donnée pour permettre l'expression libre du jeune et de sa

famille. A l'issue de ce premier entretien, si plusieurs professionnels sont concernés par la mesure,

un temps d'échange est prévu afin de déterminer les premières pistes de travail. »37

Ce premier entretien participe donc à cette phase d'accueil. C'est en effet le premier contact

qu'auront les usagers avec le professionnel intervenant dans le suivi éducatif et cela peut venir

influer sur la relation éducative.

Charlotte souligne par exemple l'importance de « dédiaboliser » le suivi pénal lors de cette

rencontre. Elle oriente donc le premier entretien en ce sens, en formulant des phrases qui viennent

apaiser les jeunes et les familles et non pas les pointer du doigt en les faisant culpabiliser.

Géraldine m'explique qu'elle aussi à l'UEAT, lorsqu'elle reçoit des parents, elle s'applique à bien les

accueillir :

« Moi je donne beaucoup d'importance à l'accueil. Systématiquement avant même de commencer je

leur demande s'ils ont des questions. »

Leur demander s'ils ont des questions, s'intéresser aux interrogations et inquiétudes des

usagers est sa façon à elle de les accueillir et de leur montrer qu'elle est à leur écoute, qu'elle est

présente pour eux.

Cette phase d'accueil présente donc toute son importance pour l'éducateur, qui doit penser

37 Extrait tiré du projet d'unité de l'UEMO V. II.4 Les modalités de prises en charge – II.4.1 L'accueil, page 52. Janvier 2018.

40

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ce moment, mais également pour le jeune et sa famille qui viennent rencontrer pour la première fois

le professionnel qui va mettre en œuvre la mesure demandée par le juge.

Nous avons un rôle d'interface entre le magistrat et l'usager et toute cette phase d'accueil va

permettre de faire le lien avec ce qui a pu être dit lors de la mise en examen. Aussi, c'est une phase

clé de la construction de la relation et il peut être important d'y inclure des « micro-traces

d'hospitalité » pour montrer au jeune et à ses parents qu'on est présent pour eux et qu'on s'investit

dans la relation afin de répondre à la demande du magistrat.

Cette phase d'accueil a également toute son importance pour « dédramatiser » la situation et ainsi

déculpabiliser les parents. Cela ne signifie pas pour autant de minimiser les faits commis, mais

d'expliquer aux parents le travail qui va être fait durant les prochains mois et d'apaiser leur

culpabilité.

Ma seconde hypothèse d'action en tant qu'éducateur de la PJJ, sera de penser la relation

avec les parents autrement, afin de leur redonner concrètement la possibilité d'agir, dans l'intérêt de

leur enfant et de son évolution positive.

Chapitre 2. L'importance de s'appuyer sur les ressources des parents, pour nuancer

l'asymétrie de la relation

Suite à l'enquête menée auprès des parents, le regard des professionnels et mes différentes

lectures, il m'est apparu qu'il était important d'agir, de ma place d'éducatrice de la PJJ, pour donner

aux parents confiance en leurs propres capacités en atténuant cette asymétrie de la relation. Il sera

alors question ici rappeler la nécessité de donner toute leur place aux parents dans

l'accompagnement du mineur (2.1), en s'appuyant sur leurs propres capacités (2.2). Ce chapitre sera

également l'occasion de présenter une méthodologie, le développement du pouvoir d'agir,

permettant peut-être de donner cette place aux parents (2.3).

2.1 Donner toute leur place aux parents dans l'accompagnement ...

Il a été vu que l'institution était perçue comme dominatrice, l'un des parents a pu me dire,

lui, qu'il se sentait « impuissant » face à la justice.

Or, il est dans l'intérêt du mineur accompagné, que les parents soient mobilisés et s'autorisent à

prendre part au projet éducatif mené, puisque notre suivi au pénal ne dure qu'un temps. Il est amené

à s'arrêter, au bout de quelques mois, ou quelques années et les usagers se trouveront alors face à

41

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leurs propres ressources. Il est donc nécessaire qu'ils prennent conscience lors de notre intervention

judiciaire des propres ressources qu'ils possèdent afin de les utiliser dans l'accompagnement de leur

enfant.

C'est ce que soulève Stéphane, éducateur titulaire en UEMO :

« C'est important de dire aux gens qu'ils ont des ressources, qu'on peut les aider, les accompagner

avec leurs ressources. Comment on peut malgré toutes leurs difficultés, cette violence de

l'intervention, se dire le seul moyen pour qu'on y arrive c'est d'y arriver ensemble. Faire sens avec

les parents pour l'enfant. Ça c'est opérant. Il faut leur laisser une place, leur montrer que leur

place est importante qu'on peut pas faire sans eux ».

Marc, éducateur titulaire en UEMO depuis dix ans confirme :

« Moi je leur dis souvent aux parents, que je ne suis pas là pour les juger et que je n'ai pas de

solution toute faite. Par contre que je suis là pour qu'on réfléchisse ensemble. Ça peut m'arriver de

proposer des idées mais de dire que c'est mon idée à moi et de voir ce que de leur place à eux ils

peuvent mettre en place … on n'est pas là pour les juger ça c'est important. »

Ces deux professionnels de la PJJ font donc en sorte de donner aux parents autant de place

dans l'accompagnement qu'on peut leur attribuer dans les différents textes appliqués au sein de la

Protection Judiciaire de la Jeunesse. Cela pourrait participer à rendre la relation institutionnelle

moins violente.

Divers sociologues se sont penchés sur cette question de donner davantage de place à l'usager dans

le travail social. Cette idée a été notamment développée dans l 'ouvrage « La voix des acteurs

faibles »38 ou plusieurs sociologues, dont Jean-Pierre PAYET, viennent expliquer comment certains

usagers sortent de cette conditions de « faibles » face à l'institution pour « faire valoir leurs

prétentions, configurer des actions, en mobilisant des ressources, en contournant des contraintes au

cours d'un travail tant individuel que collectif », notamment en réfléchissant à comment donner

plus d'autonomie à ces usagers de différentes institutions : l'école, la prison, les centres sociaux, le

logement … Ils affirment à travers leurs différents écrits, que les institutions tentent d'être plus

compréhensives, plus à l'écoute des usagers en accordant davantage de crédits à leurs demandes.

38 GIULIANI, Frédérique (dir.) ; LAFORGUE, Denis (dir.) ; et PAYET, Jean-Paul (dir.). La voix des acteurs faibles : De l'indignité à la reconnaissance. Nouvelle édition. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2008

42

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2. 1 … En s'appuyant sur leurs propres capacités

Frédérique GIULIANI explique dans son article « Les nouveaux visages du travail social

– Pactes et arrangements dans l'accompagnement - Qualités sociales et tensions d'un schème

relationnel »39 en se penchant sur l'aide contrainte en assistance éducative que dans la notion

d'accompagnement « l'enjeu est moins de transmettre à un individu perçu comme défaillant les

principes éducatifs nécessaires à son intégration, que de développer les capacités d'action des

individus confrontés à ces situations durablement problématiques ». Elle explique donc que le rôle

du travailleur social n'est pas de donner ses propres solutions aux parents pour parvenir à mieux s'en

sortir dans l'éducation de leur enfant, mais davantage de partir de ce que nous amènent ces parents,

de leurs propres capacités, pour les développer. Cela demande alors selon elle, une « grande

souplesse de la part des professionnels appelés à construire leur intervention autour des demandes

et des problèmes tels qu'ils émergent dans l'expérience quotidienne des usages rencontrés ». Il

s'agirait donc de travailler sur notre posture professionnelle d'éducateur pour redonner clairement

toute cette place aux parents et partir de ce qu'ils nous amènent.

Dans un autre article, Frédérique GIULIANI s'appuie sur ce qu'elle a observé du travail de

soutien à la parentalité effectué en Maison d'Enfants à Caractère Social (MECS)40, où elle explique

que le soutien mis en œuvre valorise les compétences de chaque parent. Les parents rencontrés sont

alors considérés comme des individus responsables, avec de grandes capacités qu'il suffit de

développer. Ainsi, elle présente la méthode d'entretien de « Carls Rogers » où les travailleurs

sociaux adoptent une « attitude de considération positive ». Cela signifie qu'ils témoignent de

marques de respect et d'empathie à l'égard du parent et ils sollicitent chez eux l'expression libre de

sentiments. Cette méthode peut alors prendre la forme de longs entretiens individualisés avec les

parents. Frédérique GIULIANI souligne l'importance qu'il y a, à ce que ces travailleurs sociaux

soient disposés à ne pas juger à priori les parents qu'ils rencontrent.

Cette absence de jugement des usagers que l'on rencontre m’apparaît primordiale pour

redonner toute leur place aux parents et est revenue à plusieurs reprises lors de mes entretiens avec

les professionnels, éducateurs de la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Ne pas juger les parents

rencontrés va de paire avec une posture éducative bienveillante.

39 Soulet, M.-H. (Ed.) (2015). Les nouveaux visages du travail social. Fribourg : Presses universitaires de Fribourg.40 GIULIANI Frédérique. « Éduquer les parents ? Les pratiques de soutien à la parentalité auprès des familles socialement disqualifiées », Revue française de pédagogie, vol. 168, no. 3, 2009, pp. 83-92.

43

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Guy Hardy aborde tout au long de son ouvrage « S'il te plait ne m'aide pas »41, le paradoxe

de l'aide contrainte en dépliant une méthodologie pour parvenir à dépasser cette contrainte et

permettre un changement de l'usager tout en s'appuyant sur ses propres ressources.

Cette nouvelle trame méthodologique va mettre en valeur l'usager, en s'appuyant essentiellement sur

ses capacités à lui et en démystifiant ce qui se joue autour de l' « l'envoyeur », qui est le magistrat,

en retravaillant notamment sur les attentes de ce dernier.

Il s'appuie par exemple sur la systémie en expliquant qu'elle peut permettre à l'usager d'élaborer

davantage et de trouver en lui même ce qu'il peut mettre en place pour répondre aux demandes du

magistrat. Par le biais de questions circulaires, cette méthode permet de s'appuyer sur les propres

ressources de l'usager en avançant par petits objectifs, pour atteindre plus facilement le changement

et répondre aux attentes de « l'envoyeur » qui est le magistrat : « A votre avis, qu'est-ce que le

magistrat attend de vous ? Qu'est-ce que vous pourriez faire de votre place pour atteindre cet

objectif ? ». Cette méthode permet donc d'interroger l'usager sur ce qu'il pense des attentes du

magistrat, s'il les partage, s'il a une idée de comment il va pouvoir les atteindre. Guy Hardy part du

principe dans la trame méthodologique présentée que les usagers ont eux-mêmes les solutions pour

sortir de leur situation. Il explique en effet, qu'il est impossible de faire changer quelqu'un sans son

consentement et que tout notre travail va alors consister à faire prendre conscience à l'usager qu'il

veut lui-même évoluer et qu'il en a lui-même les capacités pour le faire. Notre rôle d' «

intervenant » va alors permettre à l'usager de prendre conscience de ses propres ressources pour

parvenir à répondre aux attentes du magistrat.

Il s'agira donc à présent de me questionner, sur comment je pourrais agir moi, en tant

qu'éducatrice de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, pour que cette place d'acteurs donnée aux

parents soit effective dans l'accompagnement du mineur ?

2.3 La méthode du Développement du Pouvoir d'Agir (DPA) de Yann Le Bossé

Après avoir été initiée durant plusieurs séances au « Développement du Pouvoir d'Agir »

(DPA), par un formateur du Pôle Territorial de Formation (PTF), je me suis renseignée sur cette

pratique qui est aujourd'hui de plus en plus utilisée dans le travail social.

Le DPA est une approche du travail social élaborée par Yann le Bossé, Québecois, qui

permet de « remettre les personnes en mouvement et leur faire comprendre qu'elles peuvent

41 HARDY Guy. 2012. S'il te plaît, ne m'aide pas ! : l'aide sous injonction administrative ou judiciaire, Erès, Coll. Relations, 192 p

44

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changer les choses »42.

Cette pratique est une déclinaison de la notion « d'empowerment ». Yann le Bossé définit tout

d'abord dans son ouvrage « Sortir de l'impuissance, invitation à soutenir le développement du

pouvoir d'agir des personnes et des collectivités »43 l' « d'empowerment ».

Ce dernier, composé du préfixe « em », signifiant le mouvement, de « power » qui énonce le

pouvoir et de « ment » impliquant l'idée d'un résultat, est venu signifier le fait de « rendre capable,

permettre ». Ce terme technique « d'empowerment » est apparu dans le domaine social au début du

XXe siècle aux Etats-Unis dans un contexte de revendication générale des femmes. Aujourd'hui

assez répandue, cette notion reste assez floue et contient plusieurs sens, s'appuyant sur divers

courants théoriques.

Michel PARAZELLI et Mathieu BOURBONNAIS expliquent dans leur article « L'empowerment

en travail social. Perspectives, enseignements et limites »44, que beaucoup de littératures existent

sur cette notion qui est régulièrement éclairée par divers angles théoriques. Cependant, chacune de

ces illustrations théoriques montre comment « une personne vivant une situation limitant ses

possibilités d’accomplissement (...) peut parvenir à lutter contre les obstacles à l’origine de cette

limitation de façon à obtenir un changement concret. C’est alors un processus d’accompagnement

spécifique qui rendrait possible une certaine appropriation de son pouvoir ». Ainsi, il y a par

exemple la théorie de l'habilitation apparue dans les années quatre-vingt qui vient expliquer que

« l'empowerment » permettrait à la personne qui accompagne l'usager, « d'écouter et reconnaître

des capacités personnelles et non seulement des faiblesses ». En tant qu'intervenant, nous agissons

donc comme un « facilitateur qui croit aux capacités des personnes », afin de redonner aux usagers

le contrôle sur leur vie.

Yann le BOSSE présente donc dans son ouvrage, une conception complémentaire de cette

notion d' «empowerment » en la nommant comme le « Développement du pouvoir d'agir ». Ce DPA

vient alors, selon lui, donner un cadre de pratiques professionnelles à la notion « d'empowerment ».

Il le définit comme tel : « Une démarche de développement d'un pouvoir d'agir à l'égard

d'obstacles aux changements importants pour soi, ses proches ou la collectivité à laquelle on

s'identifie »45. En tant qu'accompagnant, nous devons aider les usagers à déterminer ce qui leur pose

42 LE BOSSE Yann, « Le pouvoir d’agir à la rescousse », Revue Projet, vol. 363, no. 2, 2018, pp. 68-73. 43 LE BOSSE Yann, « Sortir de l'impuissance, invitation à soutenir le développement du pouvoir d'agir des personnes

et des collectivités, tome 1 aspects conceptuels», 1ère édition, ARDIS, 2015, 327p. 44 Michel Parazelli, Mathieu Bourbonnais, "L’empowerment en travail social. Perspectives, enseignements et limites",

Sciences et actions sociales [en ligne], N°6 | année 2017, mis en ligne le date 31 janvier 2017, consulté le 18 avril 2018, URL : http://www.sas-revue.org/index.php/34-n-6/dossiers-n-6/87-l-empowerment-en-travail-social-perspectives-enseignements-et-limites

45 LE BOSSE Yann, « Sortir de l'impuissance, invitation à soutenir le développement du pouvoir d'agir des personnes

45

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problème, quel est l'obstacle dont ils veulent s'affranchir et réfléchir ensemble à ce qu'ils peuvent

mettre en place pour aller vers ce changement, ce mouvement. Yann le Bossé résume ce

développement du pouvoir d'agir en expliquant que les usagers « ne savent pas qu'ils savent »46. Et

que c'est à nous, intervenant, de les aiguiller de par notre posture professionnelle, nos questions à

trouver la solution qu'ils ont dans leurs propres ressources pour aller vers ce changement, en sortant

donc de ce sentiment d'impuissance.

Nous allons alors, en tant que travailleur social « créer les conditions pour que les gens retrouvent

leur rôle d'acteurs dans leur vie »47 .

Cette méthode a été utilisée dans différents contextes et notamment en protection de l'enfance,

comme l'explique Bernard VALLERIE dans l'ouvrage « Interventions sociales et empowerment,

(développement du pouvoir d'agir)»48, rédigé avec plusieurs travailleurs sociaux. Ils ont notamment

travaillé avec des parents sur comment parvenir à un changement dans la dynamique familiale pour

éviter le placement des enfants. Cela se joue en plusieurs étapes, en identifiant tout d'abord quel est

le problème qui viendrait causer le placement de l'enfant. Le travailleur social part de la demande de

l'usager : changer de logement pour éviter le placement de son fils. L'intervention vise à travailler

en prenant en compte la demande et les priorités de l'usager. Le travailleur social après avoir définit

le problème à surmonter avec l'usager, va alors réfléchir avec lui aux enjeux qu'il y a autour de ce

problème et les différents acteurs qu'il concerne. Comment ces différents acteurs sont-ils impliqués

dans la résolution du problème ? Il s'agira alors de déterminer ce que peut faire chacun des acteurs,

de sa place, dans le contexte dans lequel il se trouve. On prend ainsi conscience des ressources de

chacun et de ce qu'il est possible de mettre en place pour vaincre l'obstacle définit au début de la

démarche. L'intervention se base alors sur ce qui est important pour les personnes rencontrées et ce

point de vue est recueilli dès le début de la mesure. Le but étant de sortir les usagers de ce sentiment

d'impuissance et de leur résignation face aux travailleurs sociaux.

Il m'est apparu que ces diverses notions « d'empowerment », de « développement du

pouvoir d'agir », pouvaient venir inspirer une posture professionnelle à adopter face aux parents,

afin qu'ils prennent conscience qu'ils peuvent agir, que malgré la contrainte, ils peuvent avoir le

et des collectivités, tome 1 aspects conceptuels», 1ère édition, ARDIS, 2015, 327p. 46 CENTRESOCIAUX, « ils ne savent pas qu'ils savent – Rencontre publique avec Yann Le Bosse », Conférence

organisée par la Fédération des centres sociaux de France et le collectif du pouvoir d'agir, [vidéo en ligne], Youtube,le 20/10/2015, consultée le 10 avril 2018. https://www.youtube.com/watch?v=f3dOEDL60P0

47 CENTRESOCIAUX, « ils ne savent pas qu'ils savent – Rencontre publique avec Yann Le Bosse », Conférence organisée par la Fédération des centres sociaux de France et le collectif du pouvoir d'agir, [vidéo en ligne], Youtube,le 20/10/2015, consultée le 10 avril 2018. https://www.youtube.com/watch?v=f3dOEDL60P0

48 VALLERIE Bernard, Interventions sociales et empowerment (développement du pouvoir d'agir), Paris : L'harmattan, 2012, 194 pages.

46

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contrôle sur leur situation, sur l'évolution de leur enfant. C'est à nous professionnels, de mettre ces

usagers en position de réussir, afin de répondre au sentiment de culpabilité et d'impuissance qu'ils

ressentent lorsqu'ils se trouvent confrontés à la justice pénale.

Il va donc être question à présent de mettre en place une expérimentation qui viendrait

s'inspirer de ces différents apports tout en répondant aux hypothèses d'action suivantes :

• Associer les parents à notre accompagnement est indispensable pour voir évoluer

positivement et durablement le mineur pris en charge.

• Les parents peuvent avoir été éprouvés par leur passage devant les forces de police et le

magistrat lorsqu'ils nous rencontrent (choc, peur d'être jugés, culpabilité).

• Les parents peuvent se sentir impuissants face à l'institution judiciaire et les professionnels

qui interviennent dans leur situation.

Chapitre 3. Expérimentation mise en place en milieu ouvert

Le but de cette expérimentation sera alors de répondre aux hypothèses d'action citées

précédemment. En tant qu'éducatrice de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, comment est-ce que

je peux agir pour apaiser le choc subi par les parents lors de la confrontation à la justice pénale, sans

les placer dans une posture de soumission et en leur donnant toute la place pour agir et s'intégrer à

l'accompagnement de leur enfant ?

J'ai pu précédemment présenter l'importance qu'avait la phase d'accueil et le lien fait entre la place

des parents dans l’accompagnement et la notion « d'empowerment » (et plus particulièrement du

DPA). J'ai donc choisi de m'inspirer de ces notions et de la posture professionnelle qui en découle

pour construire mon expérimentation autour du premier entretien d'accueil du jeune et des familles.

Je présenterai donc d'une part ce qui existe déjà en milieu ouvert afin de voir ce que mon

expérimentation pourra apporter (3.1), puis les objectifs fixés pour la mise en place de cette

expérimentation (3.2). Je poursuivrai en évoquant les moyens que j'ai à disposition pour cette mise

en œuvre (3.3). Ensuite, j'évoquerai comment j'imagine le déroulement de cette expérimentation

(3.4), avant d'aborder comment j'envisage de l'évaluer (3.5).

3.1 Quels apports pour l'expérimentation envisagée?

J'ai fait le choix de répondre aux éléments obtenus dans mon enquête par un travail autour

de l'entretien d'accueil en milieu ouvert. Or, il apparaît qu'à ce jour cet entretien d'accueil existe

47

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dans chaque UEMO sur le territoire. La façon dont il est mené sur mon lieu de stage est décrite dans

le projet d'unité, cité au Chapitre 1 (1.3) de la troisième partie de ce mémoire. Que vais-je donc

pouvoir apporter grâce à mon expérimentation ?

Le but de mon expérimentation ne sera alors pas de révolutionner cet entretien d'accueil et

de nier ce qui existe déjà, mais davantage de réfléchir à ce que le raisonnement présenté dans ce

mémoire va pouvoir apporter, dans la manière d'accueillir les familles et de formuler les questions

lors de cette première rencontre. J'ai eu l'occasion sur mon lieu de stage d'observer plusieurs

entretiens d'accueil. Chacun se déroule différemment dans les échanges avec les familles, selon le

professionnel présent. Mais on retrouve toujours : La Responsable d'Unité Éducative, une des

psychologues du service et l'éducateur référent de la mesure, présents autour de la table d'entretien

située en salle de réunion.

Lors de chacun d'eux, c'est la Responsable d'Unité qui prend la parole en premier pour

présenter le service, ses missions, les professionnels qui y travaillent et la mesure qui va être mise

en place en reprenant l'ordonnance du magistrat. Elle quitte ensuite la pièce et le professionnel ainsi

que la psychologue restent en compagnie du jeune et de sa famille.

L'entretien se poursuit sans réellement suivre une grille d'entretien fixe, chaque

professionnel a sa pratique, en interrogeant le jeune et sa famille sur comment cela se passe au

domicile, sur les faits, la scolarité, la compréhension de la mesure … Mais aborder ce qu'il s'est

passé précédemment dans le bureau du magistrat n'est pas systématique. L'étape du commissariat

l'est encore moins. Il s'agira alors de savoir comment ils ont traversé ces moments.

Un échange a lieu entre les professionnels et les parents concernant le jeune, mais il n'y a pas non

plus systématiquement une discussion autour de la place qu'ils auront dans le travail qui va débuter.

Le but de cette expérimentation, sera donc de tenter de travailler autour de cet entretien

d'accueil, en créant un support de quelques questions à destination des parents que les

professionnels pourront poser au cours de l'entretien afin de pouvoir aborder les étapes précédentes

de la chaîne pénale et que les parents puissent repartir de là en ayant en tête qu'ils seront également

acteurs de cette prise en charge. Pour cela, je me suis inspirée des lectures sur le DPA présenté

précédemment pour construire une grille d'entretien.

Il est à noter que les questions proposées ne respectent pas formellement les différentes étapes de la

méthode du Développement du Pouvoir d'Agir, cela en est davantage une inspiration, afin de ne pas

m'enfermer dans un processus que je ne maîtrise pas en totalité à ce jour.

Aussi, il m’apparaît opportun d'ajouter des « micro-traces d'hospitalité » décrites plus haut

par David PUAUD49 à ce premier entretien. C'est à dire de réfléchir à la posture prise durant ce

49 PUAUD David. 2013. Le travail social ou l'"art de l'ordinaire", Yapaka - Fabert, Coll. Temps d’arrêt, 57 p

48

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temps d'accueil, le ton de voix utilisé, le sourire, la façon dont on ouvre la porte …

3.2 Objectifs de l'expérimentation envisagée

Les objectifs principaux pour mon expérimentation seront :

• Apaiser le choc ressenti par les parents lors de la confrontation à la justice pénale.

• Apaiser leur sentiment de honte et de culpabilité.

• Nuancer l'asymétrie de la relation entre le professionnel et les parents.

• Sortir de leur posture d'auto-soumission et leur redonner toute leur place d'acteurs du projet

et des changement opérés.

Tout en ayant en tête que l'objectif sur du long terme est le travail en partenariat avec les parents,

dans l'intérêt du mineur pris en charge et de son évolution.

3.3 Moyens à disposition

Pour mettre en place cette expérimentation, je vais devoir attendre qu'une mesure débute.

L'idéal serait que ce premier entretien soit celui d'une mesure où je suis en co-référence. Durant ce

stage de professionnalisation j'ai cinq mesures en co-référence, que l'on m'a attribué entre fin

novembre et début janvier. Le dernier entretien d'accueil que j'ai mené a eu lieu début janvier et je

n'avais pas encore en tête mon expérimentation.

Cependant, une nouvelle mesure m'a été attribuée au début du mois de mai. Le premier entretien

pour une mesure de contrôle judiciaire est prévu le 17 mai 2018. Je pourrai donc mettre en place

cette démarche d'entretien à ce moment-là.

Aussi, cet entretien d'accueil doit se dérouler dans un bureau d'entretien. J'ai donc réservé un bureau

d'entretien pour le 17 mai 2018.

La communication est importante pour cette expérimentation, car il y a une possibilité que les

usagers ne viennent pas. Il est donc nécessaire de leur transmettre une convocation claire du jour et

de l'horaire où ils sont attendus, ainsi que du lieu. Un plan leur sera transmis, ainsi que le numéro de

téléphone du service pour qu'ils nous contactent s'il y a un souci.

Cette convocation sera envoyée au nom du jeune, mais également à celui des parents, afin qu'ils

aient bien en tête l'importance de leur présence.

Le premier entretien se déroulant en présence de la responsable et d'une psychologue, nous avons

fixé une date ensemble afin que tout le monde se rendent disponibles pour cet accueil.

Mon expérimentation va permettre de mettre en lien la phase d'accueil avec la relation

49

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institutionnelle qui débute entre le professionnel et les usagers. Aussi, comme dit précédemment

l'accueil peut se formaliser par des « micro-traces d'hospitalité ». J'entends par là, qu'il sera

nécessaire d'avoir à ma disposition une salle d'attente accueillante dans les locaux, de quoi proposer

un verre d'eau aux usagers.

Au sein de l'UEMO où je vais mettre en place cette expérimentation, nous disposons d'une salle

d'attente propre et colorée, avec plusieurs canapés et diverses revues à consulter en patientant, ainsi

qu'une fontaine à eau.

Je dispose donc de suffisamment de moyens pour mettre en place cet entretien d'accueil.

3.4 Déroulement de cette expérimentation

J'ai imaginé mettre en place mon expérimentation sur le temps du premier entretien. Cela

permettrait d'allier la phase d'accueil, au fait de redonner toute leur place aux parents.

J'ai alors construit une grille de six questions, que je poserai au cours de l'entretien afin que les

parents aient conscience que l'on va s'appuyer sur leurs propres ressources durant tout

l'accompagnement de leur enfant. Aussi, c'est grâce à ce travail sur leurs propres ressources, leurs

propres solutions pour amener au changement, que nous parviendrons à faire évoluer positivement

leur enfant et à répondre aux demandes du magistrat.

« Madame, ou Monsieur, je souhaite dans l'intérêt de votre enfant, pour que

l'accompagnement soit le plus efficace possible et que votre enfant évolue positivement, que nous

travaillions ensemble. C'est à dire que je ne souhaite pas que ça soit à moi, travailleur social, de

venir vous dire quel projet va être le plus opportun pour votre enfant, ce qu'il faut mettre en place

pour lui, comment vous vous devez agir en tant que parents. Ce n'est pas mon rôle. Je veux partir de

vous, ce que vous vous souhaitez changer dans la situation, afin qu'on parvienne ensemble à

répondre aux attentes du magistrat. (Je leur explique que je prends des notes, afin de garder une

trace de notre échange et qu'on puisse s'appuyer dessus lors de l'ensemble de la mesure

d'accompagnement de leur enfant.)

• Comment vivez-vous cette situation depuis le passage à l'acte de votre enfant?

Je viens ainsi questionner la volonté des parents à accéder à un mouvement, à un

changement, en m'expliquant s'ils souhaitent que des choses changent. Pour débuter un

accompagnement et parvenir à une évolution il est important que les parents soient d'accords pour

qu'un changement s'opère. Cette question permet également d'être à l'écoute du ressenti des parents,

50

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ils pourront ainsi verbaliser si besoin la difficulté du passage au commissariat, ou de la mise en

examen.

• Partagez-vous l'avis du magistrat sur la situation ?

Cela permet de replacer notre rôle d'interface et de voir ce qu'il ressort de la

compréhension de la famille des attentes du magistrat. Cette question va pouvoir introduire l'idée

que nous allons travailler ensemble pour répondre aux attentes du magistrat, qui est un des acteurs

de la situation.

• A quel moment la situation s'est dégradée pour votre enfant, selon vous ?

Ainsi, je viens constater si les parents parviennent à percevoir ce qui a fait nœud dans la

situation de leur enfant. Arrivent-ils à percevoir les éléments qui ont pu faire qu'il passe à l'acte,

comment l'interprètent-ils ? Aussi, si à ce moment-là ils me répondent que c'est de leur faute,

« qu'ils ont raté quelque chose », qu'ils ne sont sûrement pas de bons parents, je peux m'autoriser à

leur dire que non, qu'ils n'ont pas à culpabiliser et qu'on n'est pas ici pour les juger et juger leur

éducation. Mais au contraire, qu'on échange pour voir comment on peut travailler ensemble dans

l'intérêt de leur enfant en s'appuyant sur ce qu'eux ont pu remarquer de la situation de leur enfant.

Car en tant que parents, c'est eux qui connaissent le mieux leur enfant et que je peux m'appuyer sur

eux, sur leurs observations, en ce sens. C'est ce que Yann LE BOSSE appelle « l'expertise

experientielle », je pars de leur expérience à eux pour construire le travail éducatif.

• Avez-vous déjà essayé de mettre en place des choses pour améliorer la situation ?

Qu'en avez-vous retiré ?

Cette question permet aux parents de prendre conscience qu'ils ont toute leur place et qu'ils

ont déjà par le passé peut-être déjà agi dans l'intérêt de leur enfant. Ainsi, cet accompagnement bien

que contraint, va permettre de poursuivre cela et d'être étayé dans cette démarche. Cela permet

également de voir quelles ressources ont les parents, s'ils ont déjà sollicité des partenaires, de la

famille, ou autre, et ainsi les interpellés là dessus au cours du suivi lorsqu'ils auront l'impression de

ne pas avoir de solution. Cette question leur donne enfin, toute leur place de parents, puisqu'ils

conscientisent le fait qu'ils ont déjà mis en place des choses pour leur enfant.

• Qu'attendez-vous de l'accompagnement, du travail que va mettre en place le service

pour votre enfant ?

Cela permet alors de poser les bases de l'accompagnement, ce qui est opportun dès le

51

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premier entretien. Afin que les attentes de chacun soient claires. Ainsi, je peux clarifier les places de

chacun et exposer le fait que nous allons travailler ensemble, mains dans la mains, pour leur enfant

et que le travail sera beaucoup plus difficile sans eux. Cette question permettra alors pour les

prochaines fois de décliner des objectifs à atteindre ensemble en ayant en tête leurs attentes pour

leur enfant.

• Qu'est-ce qui va faire selon vous qu'on va pouvoir travailler ensemble ? Quel est votre

atout en tant que parent sur lequel je peux compter dans cet accompagnement ?

Cette question permet d'une part de valoriser le parent en l'obligeant à me donner une de

ses qualités et ainsi le sortir du sentiment de culpabilité, ou de l'impression d'être un mauvais parent.

Aussi, cela permet de terminer en montrant qu'on fait vraiment équipe pour leur enfant, que moi je

compte m'appuyer sur eux et inversement s'ils en ont besoin, je peux les épauler dans

l'accompagnement de leur enfant dans le cadre du suivi judiciaire.

Il est à noter que je trouve pertinent que le jeune soit présent lors de ces échanges.

D'une part, car la mesure le concerne directement et que c'est pour lui que nous sommes réunis.

Ainsi, il verra que nous entamons un travail « d'équipe » cohérent dans le seul but de le voir évoluer

positivement. Sa présence permet également de le faire réagir s'il en a l'envie, de voir comment lui

se situe par rapport aux propos de ses parents, ce qu'il en dit, s'il partage leur avis.

3.5 L'évaluation

L'évaluation de l'accueil apporté aux familles et du premier entretien ne pourra se faire

qu'après le 17 mai. Il s'agira d'évaluer si cette grille élaborée pour échanger au cours du premier

entretien a permis de répondre aux objectifs fixés.

J'envisage de l'évaluer à plusieurs niveaux : celui des professionnels, des parents, mais aussi du

jeune accompagné.

Et sur plusieurs temps : la seconde fois où je verrai la famille et six mois après le début de la mesure

afin de percevoir ce que cela a modifié dans le positionnement des parents.

Concernant la posture professionnelle :

Une fois que le premier entretien sera passé, je pourrai voir comment moi-même je me suis sentie

en utilisant cette démarche d'entretien et en réfléchissant aux « micro-traces d'hospitalité »50 :

50 PUAUD David. 2013. Le travail social ou l'"art de l'ordinaire", Yapaka - Fabert, Coll. Temps d’arrêt, 57 p

52

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➢ L'accueil a t-il pu se faire en utilisant les « micro-traces d'hospitalité » ?

➢ Cela a t-il permis d'apaiser la famille ?

➢ Les questions étaient-elles assez claires ? Ai-je du reformuler ?

➢ La présence du jeune a-t-elle modifié quelque chose ?

Au bout de six mois, je pourrai ainsi me requestionner :

➢ La place donnée aux parents durant ce premier entretien a-t-elle permis de les intégrer

efficacement au suivi de leur enfant ?

➢ Cela a-t-il permis qu'ils sortent de leur posture de soumission ?

➢ Quelles conséquences sur l'évolution du mineur ?

Concernant les parents :

➢ Lors de la deuxième rencontre je pourrai les questionner :

• Comment ont-ils vécu leur arrivée à l'UEMO ?

Le but est de savoir si cet accueil et premier entretien ont permis d'apaiser le choc

ressenti auparavant, la culpabilité et la honte, la peur d'être jugés.

• Comment se sont-ils sentis lors de ce premier entretien ?

Le but est de savoir si de par la formulation des questions, ils ont perçu que nous

n'allions pas les juger, les pointer du doigt, mais qu'il s'agit davantage de les mettre en

confiance pour leur donner toute la place d'agir durant le suivi.

• Qu'en ont-ils retenu ?

Il s'agit de percevoir s'ils ont bien saisi la place qui leur était donnée, d'un travail

ensemble dans l'intérêt de leur enfant.

➢ Au bout de six mois, je pourrai de nouveau les questionner :

• Quelle place ont-ils eu dans l'accompagnement ?

Afin de percevoir si cette asymétrie de la relation s'est nuancée et a laissé la place aux

parents d'agir, de faire des propositions, de développer leurs propres capacités.

• Est-ce qu'ils ont l'impression que l'entretien d'accueil a joué un rôle là dedans ?

Le but est de savoir si c'est grâce à l'entretien d'accueil et à la grille d'entretien que les

parents ont pu saisir la place qu'on leur donnait, ou si cela s'est davantage joué avec le

temps, en créant plus de lien.

Si l'évaluation se situe en deux temps, il me semble tout de même opportun de revenir à chaque

53

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rencontre sur le contexte dans lequel ils se trouvent, comment ils se sentent dans

l’accompagnement, comment ils vivent la situation actuelle.

Concernant le jeune :

➢ Lors de la deuxième rencontre je pourrai le questionner :

◦ Comment a t-il vécu cet échange avec ses parents lors du premier entretien ?

Afin de savoir si pour lui c'était approprié de rassurer ses parents, s'il pense que ça a

permis de les inclure davantage dans l'accompagnement.

◦ Est-ce qu'il aurait préféré être absent lors de cette discussion ?

Afin de savoir si c'était compliqué pour lui d'assister à ces échanges et d'entendre ses

parents parler de lui.

➢ Au bout de six mois d'accompagnement, je pourrai de nouveau le questionner :

◦ Qu'a t-il à me dire sur l'accompagnement mis en place par le service ?

Afin de voir comment il situe notre travail et celui de ses parents. Avons-nous été assez

en lien avec ses parents, trop, pas assez ? Le travail était-il selon lui complémentaire ?

◦ Pense t-il que cette place donnée à ses parents a permis son évolution ?

Le but est de percevoir comment il situe la place donnée à ses parents et ce que ça a

permis.

◦ Comment perçoit-il ce premier entretien avec le recul ?

Est-ce que selon lui le premier entretien a permis de débuter une relation où chacun

trouve sa place, ou non ? Est-ce qu'il a la sensation que des choses ont pu se dire à ce

moment là où c'est venu après ?

◦ Aurait-il quelque chose à proposer ?

S'il voit d'autres choses qu'on pourrait essayer pour travailler avec ses parents ?

L'idéal serait de pouvoir mener ce premier entretien avec plusieurs familles afin de pouvoir

comparer les interactions et les conséquences de cet entretien d'accueil sur les différents suivis mis

en place.

54

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CONCLUSION

L'ensemble de ce travail m'a réellement donné les moyens de réfléchir en profondeur à ma

posture professionnelle. En effet, l'implication des parents dans l'accompagnement éducatif

m’apparaît primordial pour parvenir à comprendre la problématique familiale et ainsi voir évoluer

positivement le jeune.

Aussi, avoir en tête qu'ils peuvent ressentir de la culpabilité, de l'impuissance, de la crainte

d'être jugés lorsqu'ils nous rencontrent permet d'ajuster sa posture professionnelle et les

interprétations que l'on peut faire en observant les interactions au sein de la famille en entretien.

Grâce au travail de recherche effectué sur les enjeux de la relation institutionnelle, je garderai à

l'esprit l'importance de s'appuyer sur les ressources des usagers que nous rencontrons, notamment

avec le travail de Guy HARDY ou de Yann LE BOSSE. Car chaque personne dispose de capacités

et notre travail consiste alors à les développer, pour qu'avant tout, les usagers retrouvent toute leur

place d'agir et sortent de leur sentiment « d'impuissance ». Ainsi, plus tard, lorsque notre

accompagnement s'arrête, ils parviennent à poursuivre leur évolution et le travail amorcé.

Il m’apparaît opportun de préciser que la démarche effectuée ici en rencontrant ces six

parents peut avoir un écueil : celui d'avoir utilisé une grille d'entretien qui ne permettait pas

d'obtenir des informations complètes sur le passé de ces parents.

Comment recueillir une connaissance sur le passé et la trajectoire sociale et familiale sans

réintroduire la posture de l’enquête policière ? Sans mettre mal à l’aise et provoquer sinon des

silences, au moins du mal être ? Aussi, il est nécessaire de se demander comment cela se passe,

dans les familles très habituées aux services sociaux, ancrée dans la délinquance sur plusieurs

générations ? J'ai alors tenté de construire une grille utilisable à l'entretien d'accueil qui ne répète

pas cet écueil que possédait la grille de recherche auprès des parents.

Ce travail de mémoire a été effectué suite à une recherche menée en milieu ouvert, mais il

est à noter que le partenariat avec les parents s'effectue également lorsque nous travaillons en

hébergement, en détention, ou en accueil de jour. Il est nécessaire de laisser, dans chaque prise en

charge, une large place aux parents. Plusieurs des professionnels rencontrés, se sont accordés à dire

que cette culpabilité ressentie, cette impuissance, était démultipliée lorsque le mineur se trouve

placé ou incarcéré suite à son acte. En effet, ils ont à ce moment là encore plus la sensation d'avoir

raté quelque chose et d'avoir failli dans leurs fonctions parentales. D'où l'importance de les associer

à l'accompagnement, de valoriser leurs capacités et leurs ressources, lorsque nous rencontrons les

parents dans ce cadre là.

55

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BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

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✔ GIULIANI Frédérique. « Éduquer les parents ? Les pratiques de soutien à la parentalité auprès des familles socialement disqualifiées », Revue française de pédagogie, vol. 168, no. 3, 2009, pp. 83-92.

✔ LE BOSSE Yann, « Le pouvoir d’agir à la rescousse », Revue Projet, vol. 363, no. 2, 2018, pp.

✔ PARAZELLI Michel, BOUBONNAIS Mathieu, "L’empowerment en travail social. Perspectives,enseignements et limites", Sciences et actions sociales [en ligne], N°6 | année 2017, mis en lignele date 31 janvier 2017, consulté le 18 avril 2018, URL : http://www.sas-revue.org/index.php/34-

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n-6/dossiers-n-6/87-l-empowerment-en-travail-social-perspectives-enseignements-et-limites

✔ SCELLES Régines, « faire des membres de la famille des acteurs et des auteurs de leur devenir », Contraste 2013/1 (n°37), p 223-243

✔ SOULET, M. -H. (Ed.) (2015). Les nouveaux visages du travail social. Fribourg : Presses universitaires de Fribourg.

✔ YOUF Dominique. « Éduquer au pénal », Les Cahiers Dynamiques, vol. 45, no. 3, 2009, pp. 16-22

Textes de lois/Circulaires/Notes

✔ Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.

✔ Circulaire du 11 mars 1993 relative à la mise en œuvre à l'égard des mineurs de la mesure de réparation pénale (article 12-1 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945)

✔ Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale

✔ Note d’orientation du 30 septembre 2014 de la protection judiciaire de la jeunesse, rédigée par Catherine SULTAN. NOR : JUSF1423190N

✔ Note du 22 octobre 2015 relative à l’action éducative en milieu ouvert au sein des services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) NOR : JUSF1526137N

✔ Article 371-1 du code civil, modifié par LOI n°2013-404 du 17 mai 2013 – art.

Vidéos

✔ CENTRESOCIAUX, « ils ne savent pas qu'ils savent – Rencontre publique avec Yann Le Bosse », Conférence organisée par la Fédération des centres sociaux de France et le collectif du pouvoir d'agir, [vidéo en ligne], Youtube, le 20/10/2015, consultée le 10 avril 2018. https://www.youtube.com/watch?v=f3dOEDL60P0

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LISTE DES ABRÉVIATIONS

COPJ Convocation par Officier de Police Judiciaire

DIPC Document Individuel de Prise en Charge

DPA Développement du Pouvoir d'Agir

DS Directeur de Service

ENPJJ École Nationale de Protection Judiciaire de la Jeunesse

LSP Liberté Surveillée Préjudicielle

MJIE Mesure Judiciaire d'Investigation Éducative

MJD Maison de la Justice et du Droit

PJJ Protection Judiciaire de la Jeunesse

PTF Pôle Territorial de Formation

RUE Responsable d'Unité Éducative

STEMO Service Territorial Éducatif de Milieu Ouvert

TGI Tribunal de Grande Instance

TPE Tribunal Pour Enfants

UEAT Unité Éducative Auprès du Tribunal

UEMO Unité Éducative de Milieu Ouvert

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LISTE DES ANNEXES

Annexe n°1 : Encart méthodologique …………………………………………………… 60

Annexe n°2 : Guide d'entretien à destination des parents ………………………..…….. 70

Annexe n°3 : Guide d'entretien à destination des professionnels ……………………….. 71

Annexe n°4 : Entretien de Monsieur Villon51, père de Corentin, 18 ans ……………….. 72

Annexe n°5 : Entretien de Madame CHUDI, mère d'Alexandre, 17 ans ……………..… 75

Annexe n°6 : Entretien de Madame FLO, mère d'Adem, 16 ans ………………………. 76

Annexe n°7 : Entretien de Bruno , éducateur titulaire à l'UEMO ……………………….. 78

Annexe n°8 : Entretien de Charlotte, éducatrice titulaire à l'UEMO ……………………. 82

Annexe n°9 : Entretien de Géraldine, éducatrice titulaire à l'UEAT …………………….. 85

51 Tous les noms figurant dans le rapport ont été changés, de façon à protéger l'anonymat et la vie privée des personnes citées.

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Encart méthodologique

A/ De la question de départ à la problématique

Après mon stage découverte effectué en milieu ouvert en Janvier 2017, où j'avais déjà pu

observer la détresse de certains parents, leur difficulté parfois à venir rencontrer les travailleurs

sociaux et à répondre à leurs questions, c'est finalement en arrivant sur mon terrain de stage long en

septembre 2017, que j'ai choisi de travailler sur ce que notre intervention pénale pouvait faire vivre

aux parents. J'ai en effet, assisté à différents entretiens avec des familles et des éducateurs de la

Protection Judiciaire de la Jeunesse qui m'ont permis de me questionner en ce sens. Lors de ces

différents moments d'observation, je les ai vus parfois gênés par nos questions, en colère d'avoir à

se rendre dans nos locaux, honteux, ou dévastés lorsqu'ils évoquaient leur incompréhension face

aux faits commis par leur enfant.

J'ai donc eu envie de m'intéresser à eux, à ce qu'ils vivaient lorsqu'ils étaient amenés à nous

rencontrer. C'est pour cela que j'ai au début, assisté à plusieurs premiers entretiens afin de percevoir

ce que pouvaient ressentir les parents, je suis ensuite allée passer plusieurs journées à l'UEAT de

Lyon afin d'observer des entretiens entre éducateurs et parents suite à un défèrement ou lors d'une

COPJ. J'ai également eu l'occasion de me rendre à une permanence en Maison de Justice et du

Droit (MJD), où les éducateurs rencontrent la première fois les jeunes devant effectuer une mesure

de réparation. Ils doivent dans ce cadre, être accompagnés par leurs parents. J'ai pu ainsi percevoir

leurs réactions et voir comment les professionnels accueillaient leurs ressentis.

Aussi, j'ai consulté plusieurs dossiers de mesures pénales afin de voir si le vécu des parents étaient

abordés, s'il était indiqué comment ils ressentaient l'intervention de la justice pénale dans leur

famille.

J'ai donc eu l'envie de travailler sur les ressentis de ces parents, en formulant l'hypothèse qu'être

confrontés à la justice, était un passage compliqué et marquant pour eux.

Je suis partie de la question de départ suivante : Quel impact peut avoir intervention judiciaire

pénale sur les parents du mineur pris en charge ?

En échangeant ensuite avec mes collègues, en présentant mon projet de mémoire en

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ANNEXE n° 1

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réunion d'équipe j'ai eu des propositions de diverses situations susceptibles de venir étayer ma

réflexion.

J'ai donc choisi de formuler mon hypothèse de recherches de la façon suivante :

Dans quelle mesure pouvons-nous en tant qu'éducateur à la Protection Judiciaire de la Jeunesse

intégrer cette épreuve que peut être une intervention de la justice pénale pour les parents, à notre

accompagnement du mineur en leur permettant de passer de la culpabilité à la capabilité ?

B/ L'élaboration des hypothèse(s) de recherches

En m'appuyant sur cette hypothèse de recherches, j'ai dégagé plusieurs questions.

J'avais donc en tête de répondre à ces questionnements avant de débuter ma phase d'enquête.

• Qu'est-ce qu'une intervention pénale peut faire vivre aux parents ?

• Quels ressentis ont-ils lorsqu'ils font notre rencontre ?

• Comment en tant que professionnels pouvons-nous intégrer cela à l'accompagnement des

mineurs ?

• Quels regards portent les professionnels sur les ressentis des parents ? Ont-il

• Ont-ils déjà mis en place des outils pour travailler cela ?

C/ Méthodes et de recueil et d'analyse des données

J'ai tout d'abord assisté à divers entretiens, notamment des entretiens d'accueil, ce qui me

permettait de voir dans quel état d'esprit étaient les parents lorsqu'ils nous rencontraient pour la

première fois. J'ai également assisté à des entretiens à l'UEAT lors de défèrements ou de COPJ afin

d'avoir un regard plus précis sur ce qui se jouait juste avant la mise en examen. Lors de tous ces

entretiens, j'ai eu une place d'observatrice, où je prenais des notes de ce que je percevais.

Puis, grâce à la présentation de mon projet en réunion, j'ai eu la possibilité d'interroger des

parents suivis par des collègues éducateurs de l'UEMO. J'ai fait le choix de ne pas questionner de

parents que je rencontrais dans le cadre des mesures que j'ai en co-référence, afin qu'ils se sentent

plus libres d'échanger.

J'ai donc eu la possibilité de rencontre six parents. J'ai choisi de ne pas viser une mesure particulière

mais d'avoir un regard global sur l'expérience des parents quelle que soit la mesure que mettait en

place notre service. Ce qui m'intéressait était davantage ce que notre accompagnement pénal en

général fait vivre aux parent, sans distinguer les mesures. Car chacune des mesures mises en place

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demande la mobilisation des parents à un moment donné du suivi.

J'ai également choisi de ne pas interroger uniquement des familles qui se trouvaient en début de

prise en charge pour leur enfant, ou au contraire en fin de prise en charge. Je souhaitais recevoir des

témoignages d'usagers pour qui l'intervention de la justice pénale était très récente et donc qui

étaient en plein dans cette épreuve, mais aussi de gens qui avaient un peu plus de recul sur ce qu'ils

avaient vécu, afin de voir ce qu'ils en tiraient.

De même, j'ai choisi de mélanger les pères et les mères, sans faire de distinction, afin

d'avoir l'avis des deux parents et d'avoir là encore un regard global sur leur ressenti quelque soit le

sexe. J'ai donc rencontré : deux pères venus seuls, trois mères venues seules et un couple.

Il est à noter que j'ai fait le choix de ne pas consulter les dossiers des jeunes concernés par la mesure

pénale, afin de ne pas orienter mes questions et de partir vraiment des propos des parents.

J'ai construit une grille d'entretien, présente en Annexe n°1. Celle-ci a été construire de

manière à laisser le plus possible élaborer les parents sur leurs ressentis, sans trop les aiguiller.

Elle me permettait également de rebondir sur certains mots, ou phrases des parents. Le but était de

créer un échange avec ces parents sur ce qu'ils avaient vécu.

J'ai ensuite construit une grille d'entretien à destination des éducateurs de mon UEMO.

Celle-ci se trouve en annexe n°2. Ces échanges m'ont permis de compléter les témoignages des

parents par le regard des professionnels sur la question. En tant qu'observateur de ces familles

chaque jour, que pouvaient-ils me dire sur ces parents et sur leur expérience de la justice des

mineurs ?

Cette grille d'entretien permettait également de créer un échange, sans que les questions ne soient

trop fermées.

Il est à noter que j'ai fait le choix de ne pas forcément interroger les professionnels intervenant dans

la situation des parents que j'avais rencontrés auparavant. Je ne souhaitais pas que les éducateurs

interrogés reviennent spécifiquement sur les suivis des parents que j'avais rencontrés, mais qu'ils me

parlent davantage de leurs expériences, de leur regard sur cette question.

Ma directrice de service a ensuite fait le lien avec des éducateurs de l'UEAT pour que certains se

portent volontaires pour venir répondre à mes questions. J'ai donc pu ainsi rencontrer deux

professionnels de l'UEAT.

J'ai ensuite recueilli le regard des deux psychologues de mon unité et de l'adjointe

administrative en leur présentant mon mémoire et en leur demandant leur avis sur cette question.

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Ces différents échanges m'ont permis de recueillir un certain nombre de données. Il était important

pour moi d'amener un regard pluridisciplinaire sur cette question.

J'ai ensuite mis en lien les témoignages des parents avec ceux des différents professionnels,

afin de construire des hypothèses d'action.

D/ L'élaboration des hypothèse (s) d'action

Cette enquête m'a alors permis de définir plusieurs hypothèses d'action que j'allais alors

mettre au travail pour construire mon expérimentation :

• Travailler autour de l'accueil pour apaiser la sidération ressentie par les parents lors de la

garde à vue et de la mise en examen

• Nuancer l'aspect asymétrique de la relation institutionnelle

• Dépasser le sentiment de culpabilité des parents pour leur redonner toute leur place dans

l'accompagnement du jeune

E/ Description de la phase d'expérimentation et évaluation

• Expérimentation

J'ai imaginé mettre en place mon expérimentation sur le temps du premier entretien en

m'inspirant de mes lectures sur le Développement du Pouvoir d'Agir. Cela permettrait d'allier la

phase d'accueil, au fait de redonner toute leur place aux parents.

J'ai alors construit une grille de six questions, que je poserai au cours de l'entretien afin que les

parents aient conscience que l'on va s'appuyer sur leurs propres ressources durant tout

l'accompagnement de leur enfant. Aussi, c'est grâce à ce travail sur leurs propres ressources, leurs

propres solutions pour amener au changement, que nous parviendrons à faire évoluer positivement

leur enfant et à répondre aux demandes du magistrat.

« Madame, ou Monsieur, je souhaite dans l'intérêt de votre enfant, pour que

l'accompagnement soit le plus efficace possible et que votre enfant évolue positivement, que nous

travaillions ensemble. C'est à dire que je ne souhaite pas que ça soit à moi, travailleur social, de

venir vous dire quel projet va être le plus opportun pour votre enfant, ce qu'il faut mettre en place

pour lui, comment vous vous devez agir en tant que parents. Je veux partir de vous, ce que vous

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vous souhaitez changer dans la situation. (Je leur explique que je prends des notes, afin de garder

une trace de notre échange et qu'on puisse s'appuyer dessus lors de l'ensemble de la mesure

d'accompagnement de leur enfant.)

• Comment vivez-vous cette situation depuis le passage à l'acte de votre enfant ?

Je viens ainsi questionner la volonté des parents à accéder à un mouvement, à un

changement, en m'expliquant s'ils souhaitent que des choses changent. Pour débuter un

accompagnement et parvenir à une évolution il est important que les parents soient d'accords pour

qu'un changement s'opère et modifier des choses.

Cette question permet également d'être à l'écoute du ressenti des parents, ils pourront ainsi

verbaliser si besoin la difficulté du passage au commissariat, ou de la mise en examen.

• Partagez-vous l'avis du magistrat sur la situation ?

Cela permet de replacer notre rôle d'interface et de voir ce qu'il ressort de la

compréhension de la famille des attentes du magistrat. Cette question va pouvoir introduire l'idée

que nous allons travailler ensemble pour répondre aux attentes du magistrat.

• A quel moment la situation s'est dégradée pour votre enfant, selon vous ?

Ainsi, je viens constater si les parents parviennent à percevoir ce qui a fait nœud dans la

situation e leur enfant. Arrivent-ils à percevoir les éléments qui ont pu faire qu'il passe à l'acte,

comment eux l'interprètent. Aussi, si à ce moment-là ils me répondent que c'est de leur faute,

« qu'ils ont raté quelque chose », qu'ils ne sont sûrement pas de bons parents, je peux m'autoriser à

leur dire que non, qu'ils n'ont pas à culpabiliser et qu'on n'est pas ici pour les juger et juger leur

éducation. Mais au contraire, qu'on échange là pour voir comment on peut travailler ensemble dans

l'intérêt de leur enfant en s'appuyant sur ce qu'eux ont pu remarquer de la situation de leur enfant.

Car en tant que parents, c'est eux qui connaissent le mieux leur enfant et que je peux m'appuyer sur

eux en ce sens. C'est ce que Yann Le Bosse appelle « l'expertise experientielle ». Je pars de leur

expérience à eux pour construire le travail éducatif.

• Avez-vous déjà essayé de mettre en place des choses pour améliorer la situation ?

Qu'en avez-vous retiré ?

Cette question permet aux parents qu'ils prennent conscience qu'ils ont toute leur place et

qu'ils ont déjà par le passé peut-être déjà agi dans l'intérêt de leur enfant. Ainsi, cet

accompagnement bien que contraint, va permettre de poursuivre cela et d'être étayé dans cette

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démarche. Cela permet également de voir quelles ressources ont les parents, s'ils ont déjà sollicité

des partenaires, de la famille, ou autre, et ainsi les interpellés là dessus au cours du suivi lorsqu'ils

auront l'impression de ne pas avoir de solution.

Cette question leur donne enfin, toute leur place de parents, puisqu'ils conscientisent le fait qu'ils

ont déjà mis en place des choses pour leur enfant.

• Qu'attendez-vous de l'accompagnement, du travail que va mettre en place le service

pour votre enfant ?

Cela permet alors de poser les bases de l'accompagnement, ce qui est opportun dès le

premier entretien. Afin que les attentes de chacun soient claires. Ainsi, je peux clarifier les places de

chacun et exposer le fait que nous allons travailler ensemble, mains dans la mains, pour leur enfant

et que le travail sera beaucoup plus difficile sans eux.

Cette question permettra alors pour les prochaines fois de décliner des objectifs à atteindre

ensemble en ayant en tête leurs attentes pour leur enfant.

• Qu'est-ce qui va faire selon vous qu'on va pouvoir travailler ensemble ? Quel est votre

atout en tant que parent sur lequel je peux compter dans cet accompagnement ?

Cette question permet d'une part de valoriser le parent en l'obligeant à me donner une de

ses qualités et ainsi le sortir du sentiment de culpabilité, ou de l'impression d'être un mauvais parent.

Aussi, cela permet de terminer en montrant qu'on fait vraiment équipe pour leur enfant, que moi je

compte m'appuyer sur eux et inversement s'ils en ont besoin, je peux les épauler dans

l'accompagnement de leur enfant dans le cadre de mon suivi judiciaire.

Il est à noter que je trouve pertinent que le jeune soit présent lors de ces échanges.

D'une part, car la mesure le concerne directement et que c'est pour lui que nous sommes réunis.

Ainsi, il verra que nous entamons un travail « d'équipe » cohérent dans le seul but de le voir évoluer

positivement. Sa présence permet également de le faire réagir s'il en a l'envie, de voir comment lui

se situe par rapport aux propos de ses parents, ce qu'il en dit, s'il partage leur avis.

• L'évaluation

L'évaluation de l'accueil apporté aux familles et du premier entretien ne pourra se faire

qu'après le 17 mai. Il s'agira d'évaluer si cette grille élaborée pour échanger au cours du premier

entretien a permis de répondre aux objectifs fixés.

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J'envisage de l'évaluer à plusieurs niveaux : celui des professionnels, des parents, mais aussi du

jeune accompagné.

Et sur plusieurs temps : la seconde fois où je verrai la famille et six mois après le début de la mesure

afin de percevoir ce que cela a modifié dans le positionnement des parents.

Concernant la posture professionnelle :

Une fois que le premier entretien sera passé, je pourrai voir comment moi-même je me suis sentie

en utilisant cette démarche d'entretien et en réfléchissant aux « micro-traces d'hospitalité » :

• L'accueil a t-il pu se faire en utilisant des « micro-traces d'hospitalité » ?

• Cela a t-il permis de d'apaiser la famille?

• Les questions étaient-elles assez claires ? Ai-je du reformuler ?

• La présence du jeune a-t-elle modifié quelque chose ?

Au bout de six mois, je pourrai ainsi me requestionner :

• La place donnée aux parents durant ce premier entretien a-t-elle permis de les intégrer

efficacement au suivi de leur enfant ?

• Cela a-t-il permis qu'ils sortent de leur posture de soumission ?

• Quelles conséquences sur l'évolution du mineur ?

Concernant les parents :

➢ Lors de la deuxième rencontre je pourrai les questionner :

• Comment ont-ils vécu leur arrivée à l'UEMO ?

Le but est de savoir si cet accueil et premier entretien ont permis d'apaiser le choc

ressenti auparavant, la culpabilité et la honte, la peur d'être jugés.

• Comment se sont-ils sentis lors de ce premier entretien ?

Le but est de savoir si de par la formulation des questions, ils ont perçu que nous

n'allions pas les juger, les pointer du doigt, mais qu'il s'agit davantage de les mettre en

confiance pour leur donner toute la place d'agir durant le suivi.

• Qu'en ont-ils retenu ?

Il s'agit de percevoir s'ils ont bien saisi la place qui leur était donnée, d'un travail

ensemble dans l'intérêt de leur enfant.

➢ Au bout de six mois, je pourrai de nouveau les questionner :

• Quelle place ont-ils eu dans l'accompagnement ?

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Afin de percevoir si cette asymétrie de la relation s'est nuancée et a laissé la place aux

parents d'agir, de faire des propositions, de développer leurs propres capacités.

• Est-ce qu'ils ont l'impression que l'entretien d'accueil a joué un rôle là dedans ?

Le but est de savoir si c'est grâce à l'entretien d'accueil et à la grille d'entretien que les

parents ont pu saisir la place qu'on leur donnait, ou si cela s'est davantage joué avec le

temps, en créant plus de lien.

Si l'évaluation se situe en deux temps, il me semble tout de même opportun de revenir à chaque

rencontre sur le contexte dans lequel ils se trouvent, comment ils se sentent dans

l’accompagnement, comment ils vivent la situation actuelle.

Concernant le jeune :

➢ Lors de la deuxième rencontre je pourrai le questionner :

◦ Comment a t-il vécu cet échange avec ses parents lors du premier entretien ?

Afin de savoir si pour lui c'était approprié de rassurer ses parents, s'il pense que ça a

permis de les inclure davantage dans l'accompagnement.

◦ Est-ce qu'il aurait préféré être absent lors de cette discussion ?

Afin de savoir si c'était compliqué pour lui d'assister à ces échanges et d'entendre ses

parents parler de lui.

➢ Au bout de six mois d'accompagnement, je pourrai de nouveau le questionner :

◦ Qu'a t-il à me dire sur l'accompagnement mis en place par le service ?

Afin de voir comment il situe notre travail et celui de ses parents. Avons-nous été assez

en lien avec ses parents, trop, pas assez ? Le travail était-il selon lui complémentaire ?

◦ Pense t-il que cette place donnée à ses parents a permis son évolution ?

Le but est de percevoir comment il situe la place donnée à ses parents et ce que ça a

permis.

◦ Comment perçoit-il ce premier entretien avec le recul ?

Est-ce que selon lui le premier entretien a permis de débuter une relation où chacun

trouve sa place, ou non ? Est-ce qu'il a la sensation que des choses ont pu se dire à ce

moment là où c'est venu après ?

◦ Aurait-il quelque chose à proposer ?

S'il voit d'autres choses qu'on pourrait essayer pour travailler avec ses parents ?

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L'idéal serait de pouvoir mener ce premier entretien avec plusieurs familles afin de pouvoir

comparer les interactions et les conséquences de cet entretien d'accueil sur les différents suivis mis

en place.

F/ /Points forts et limites de la démarche

Avec le peu de recul que j'ai actuellement, je peux dire que la méthode d'observation en

début de stage m'a permis d'obtenir beaucoup d'informations sur les réactions des parents. J'ai pu à

ces moments là, prendre des notes assez précises afin de retranscrire ces moments dans mon écrits

et illustrer mes propos avec des situations réelles, qui permettaient de s'imaginer ce que vivent ces

parents.

Le guide d'entretien créé pour recueillir mes données a eu certes l'avantage de laisser les

échanges libres et de ne pas trop aiguiller les réponses des parents. Ces derniers avaient le choix de

me faire des réponses très courtes ou d'élaborer davantage. J'avais choisi afin de ne pas créer de la

violence en entrant trop dans les détails de leur vie privée alors que je ne les reverrai pas et qu'on ne

mettrait pas cela au travail ensemble. Cette méthode a selon moi permis à certains parents de se

« vider d'un poids » qu'ils avaient en eux, en abordant la police, le juge et donc peut-être de les

réconcilier avec l'institution judiciaire en voyant qu'on pouvait être à leur écoute.

Cependant cette grille d'entretien n'a pas permis d'avoir des informations toujours très

précises sur le vécu des parents. Comme j'avais fait le choix de ne pas consulter les dossiers et de

m'appuyer uniquement sur les dires des parents, on peut manquer d'informations quant aux familles

rencontrées. Ces parents avaient-ils été eux même suivis en tant que mineur ? Connaissent-ils la

justice civile ? Ces renseignements auraient pu préciser mon raisonnement.

Aussi, il peut paraître difficile de fonder toute ma réflexion sur les six parents que j'ai

rencontrés. C'est un petit échantillon des familles reçues à la Protection Judiciaire de la Jeunesse et

on ne peut pas affirmer que leur vécu se retrouve chez toutes les familles de mineurs suivis par la

PJJ. Peut-être d'autres parents auraient eu une toute autre approche.

Concernant les entretiens avec les professionnels, j'ai trouvé intéressant que leurs regards

viennent compléter les témoignages des parents. Cela me permettait de les interpeller directement

en reprenant des propos des parents, pour savoir s'ils avaient déjà été confrontés à ça, s'ils avaient

conscience que les parents pouvaient ressentir cela …

Cette grille d'entretien était construite de manière à créer un réel échange avec les professionnels et

non pas à remettre en question leurs pratiques professionnelles. Il s'agissait réellement de me baser

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sur ce qu'ils remarquaient chez ces parents de par leur expérience. Cette trame a permis de parvenir

à obtenir des exemples concrets de situation qui illustraient parfaitement mes propos.

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Guide d'entretien à destination des parents

• Quelle situation a été à l'origine de cette mesure ?

• Était-ce la première fois que la justice pénale intervenait dans votre famille ?

• Pouvez-vous me raconter comment vous avez vécu cette intervention de la justice ?

• Est-ce que cela a changé quelque chose dans votre vie ?

• Quelles relations avez-vous eues avec notre service depuis que la mesure a commencé ?

• Auriez-vous aimé être davantage pris en compte dans le suivi ?

• Qu'est-ce que vous aimeriez améliorer dans la relation avec le service ?

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ANNEXE n° 2

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Guide d'entretien à destination des professionnels

• Depuis combien de temps travailles-tu à la PJJ ?

• Et en milieu ouvert ?

• Comment toi, tu décrirais le rôle de l'éducateur en milieu ouvert ?

• Comment perçois-tu ce qu’une intervention de la justice peut faire vivre aux parents d’un mineur pris en charge ?

• Peux-tu me donner des exemples de situation ?

• Peux-tu m’expliquer si tu intègres cette réception de la mesure par les parents dans ta prise en charge ?

• Utilises-tu des outils spécifiquement destinés aux parents du mineur ?

• As-tu quelque chose à rajouter ?

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ANNEXE n° 3

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Entretien Monsieur VILLON, père de Corentin, suivi par l'UEMO. Suivi clos depuis plusieurs mois.

Je me présente en tant qu'éducatrice en formation. Je lui explique mon projet de mémoire, endécrivant ma recherche sur l'impact que peut avoir une intervention pénale sur les parents du mineurpris en charge par notre service. J'explique à Monsieur que cet entretien sera retranscrit enrespectant son anonymat et celui de son fils.

• Quelle situation a été à l'origine de ce suivi ?

Alors le suivi de Corentin a commencé en avril 2012 euh, c’était suite à des … Corentin est unenfant autiste. Il a assez vite été perçu comme un garçon ayant des difficultés sociales. Donc il a étéen scolarité jusqu’en 5e, ensuite il a été orienté vers un ITEP, où il a fait sa 4e et sa 3e. Il a étéséparé de nous. Il a ensuite été confronté à une cinquantaine de jeunes tous avec desproblématiques différentes. Il a subi des violences verbales, physiques. Il ne nous en parlait pas.Tout cela , je dirai, dans la mesure où il ne sait pas trop décoder les relations entre les autres et lui,ça a créé beaucoup d’animosité. Ensuite il a tenté un CAP après sa 3e, en 2011-2012, c’est pendantcette année qu’il a commencé à faire des dégradations dans la ville. Il s’est acoquiné avec un jeunequi vit vers chez nous. Il a détérioré des abris bus. Il a été pris un jour en flagrant délit. Il a étéprésenté devant un juge qui l’a mis en examen pour ces faits. Ce qui nous a emmené à être suivi parl’UEMO et l’éducateur M.B. Et à la suite ...

• Était-ce la première fois que la justice pénale intervenait dans votre famille ?

Oui c’est la première fois qu’on avait un vrai suivi, avant il avait eu un rappel à la loi. Mais làc’était le premier suivi important.

• Je vous laisse poursuivre, excusez-moi.

A la suite de ce suivi, moi je suis à mon compte, je me suis organisé pour être plus présent auprèsde Corentin, être toujours derrière lui, pour éviter qu’il recommence. Donc on l’a bien contenu.

• Ça veut dire que vous travailliez moins ?

A l’époque oui je travaillais moins. Mais quand ma femme était présente, je carburais. On essayaitde compenser. Mais c’est vrai que tout ça a eu un impact sur mes revenus, sur mon activité.

Euh, ensuite … l’été s’est passé, plus ou moins difficilement. Il a de nouveau subi des violencesd’autres jeunes. Il a plus fait de dégradation, car sinon il savait que ça se passerait mal. On lesurveillait de très près. En Septembre 2012, nous avons été convoqués par les enquêteurs quienquêtaient sur l’incendie d’une maison. Il a d’abord nié et ensuite sous la pression il a avoué. Il aété mis en examen, il est parti directement au CEF. Il est resté 3 mois, il a perdu 5 kilos, il a trèsmal vécu ce passage. En même temps ça lui a fait un électrochoc. Il a touché du doigt laprison.Pour nous ça a été dur aussi de le voir comme ça. Ensuite, en sortie de ce CEF il est partidans un ITEP, pendant un an ½. Ça a été compliqué, ils ont peu de moyens, donc il est revenu à lamaison en 2014. On attendait le procès. Il y avait toujours des rendez-vous avec l’éducateur de l’UEMO, qui a fait un travail

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ANNEXE n° 4

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d’accompagnement que j’estime très important. Corentin s’est assagi, on était toujours trèsvigilants. Il n’y avais plus d’actes commis. Le procès a été reporté deux fois. Il a été jugé en 2016pour des faits de 2012. L’éducateur a donc suivi Corentin pendant quatre ans, ce qui est assezremarquable je trouve. Au moment du procès, les arguments qu’on avait étaient très disculpants, etont été acceptés par le procureur général et le juge. Puisque Corentin au moment où les faits ontété commis était chez nous en compagnie d’un voisin qu’on avait invité à manger ce jour là, qui atémoigné en sa faveur. Il n’y avait aucun élément matériel dans ce dossier contre mon fils. Il n’yavait que des déclarations de gamins qui disaientt que c’était mon fils.Donc ça ça a permis de passer à autre chose. Il y a eu une relaxe, immédiate. Et donc ça a mis finau suivi par l’UEMO.

• Pouvez-vous me raconter comment vous avez vécu cette intervention de la justice ?

Au niveau de ma famille, euh, ça nous a … Comment dire … On culpabilisait beaucoup surcomment Corentin en était arrivé là. Pourquoi cela nous arrivait à nous ... A l’époque on ne savaitpas encore qu’il était autiste. On l’a su après son séjour en CEF. Donc jusque là tant qu’il n’yavait pas de diagnostic posé, on ne savait pas si c’était un problème éducatif qui venait de nous, onse posait plein de questions …. M. B, l’éducateur nous disait que le milieu familial était contenant, qu’on n’avait rien à sereprocher, cela nous a rassuré. Ça nous a donné une légitimité.On s’est mis au travail ensemble pour Corentin, parfois c’était difficile parce qu’on devait mettrede côté notre affect. Et puis faire office de gardien de Corentin, on le surveillait beaucoup. Il n’yavait plus d’affect, il en est venu aux mains avec moi … par chance je n’ai jamais répondu par lescoups moi aussi, car ce n’est pas ma nature. L’éducateur a été un vrai soutien dans ces moment là. On travaillait ensemble. On ne venait pas àtous les rendez-vous avec Corentin, peut-être une fois sur quatre. Corentin il entendait que ce quirecevait de M. B, l’éducateur, c’était en accord avec ce qu’on lui disait nous. Le fait de pouvoir parler à quelqu’un de notre problématique c’était important, car on ne peut pasparler de tout ça à tout le monde, ça peut rajouter de la peine à Corentin, ou aux gens qui nousentourent … au moins on pouvait parler librement de tout ça avec M. B. ça faisait une personne avec qui échanger sérieusement sur ce sujet, c’était réconfortant. Nous on était très pessimistes à cette période sur l’avenir de Corentin. C’est l’aîné de nos troisenfants. Il n’y a jamais eu de souci avec eux. M.B gardait un œil bienveillant et optimiste pour Corentin. Il était toujours étonné des qualités deCorentin, de ses prédispositions, qu’il était intelligent, pertinent dans certaines de ses réponses.Alors que nous tout ça on le voyait pas.Moi je me souviens quand il était petit j’avais l’impression qu’il n’avait pas de prédispositions pourquoi que ce soit et je culpabilisais. M.B il avait un regard positif, bienveillant et il a su nous fairedécouvrir cette part là de notre fils.

• Donc diriez-vous que certaines choses ont changé dans votre vie avec ce suivi ?

Tout est un peu mêlé … Mais oui c’est sur. Grâce à l’UEMO on est passé sur un autre registre, enconsidérant Corentin différemment. On a modifié notre regard sur notre fils. On a eu un soutiendurant tout ce temps où c’était difficile pour nous.

• Est-ce que le regard de l’UEMO sur votre situation était différent que celui que vousaviez eu auparavant à d’autres moments de la procédure qui concerne votre fils ?

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Ah complètement, oui oui c’est certain … surtout la police. En arrivant ici je ne savais pas trop à quoi m’attendre. Mais vous voyez, et là le fait de vous enreparler j’ai l’adrénaline qui monte même si c’était il y a longtemps … c’est les enquêteurs ducommissariat. Ils ont été vicieux vis à vis de moi … Pour pas que je n’ai d’avocat pendant la gardeà vue de mon fils. Ils étaient sûrs que c’était mon fils. Quand j’ai relu les rapports d’audition, jeleur en voulais. Ils avaient pas tenu compte de mes explications, ne m’avaient pas du tout écouté. Pour les juges ensuite, c’était deux femmes, je ne sais pas si ça joue. Je pense qu’elles avaient unregard bienveillant. Elles ont su être fermes, mais humaines. Elles nous mettaient pas sur le bancdes accusés. Sachant que c’est grâce à une d’elles que Corentin n’a pas été incarcéré, car le procureur voulaitqu’il aille en prison. Je pense que s’il avait été en prison, son état aurait été bien pire aujourd’hui.

• Auriez-vous aimé être davantage pris en compte dans le suivi ?

Monsieur B. nous téléphonait très souvent, on venait de temps en temps. Il était toujours à l’écoute,toujours disponible. Pour un des jugements, il a pris une journée sur ses congés. Tout ça ça nous abeaucoup touchés, beaucoup aidés. Il était très investi. La personnalité de Corentin le touchait, çanous mettait du baume au cœur. Ça a été quelqu’un de très important à cette période, c’était unsoutien.

• Qu'est-ce que vous aimeriez améliorer dans la relation avec le service ?

Il y a eu pour nous un niveau d’accueil déjà élevé, qui n’avait rien à voir avec l’accueil de lapolice.

• Il existe à certains endroits des rencontres spécifiques entre les parents et un/unepsychologue, ou des groupes de paroles « parents ». Est-ce que ce sont des choses dontvous vous seriez saisis à l’époque ? Qui auraient pu vous aider ?

Ah oui oui certainement. Alors un groupe de paroles avec d’autres parents je ne sais pas, peut-êtreque dans ce genre de choses, la majorité des parents ont des choses à déverser, qu’on ne serait pasà l’écoute forcément des uns des autres … Mais alors un rendez-vous avec un psychologue, ou unbinôme éducateur-psychologue ça peut être intéressant, ça aurait pu nous aider ma femme et moi àun moment.

• Il y a des choses que vous voulez rajouter ?

C’est vrai que c’est un parcours particulier, avec la relaxe en plus. Même si Corentin n’était pascoupable, le suivi a été bénéfique. M. B fait partie du milieu de la justice, mais ce n’est pasl’étiquette qu’il met en avant, il essaie d’abord de créer du lien avec le jeune pour voir ce qu’il sepasse, pour l’ouvrir vers l’avenir. Sans sortir forcément sa casquette justice. J’ai pas hésité un instant avant de venir répondre à vos questions, j’ai pris du recul avec tout ça.Pour mon épouse c’est plus compliqué, elle n’aurait pas pu revenir ici, c’est encore tropdouloureux pour elle. Moi j’ai essayé d’analyser tout ça depuis.

Merci beaucoup d’avoir pris de votre temps en tous cas. Je vous raccompagne.

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Entretien Madame CHUDI, mère d'Alexandre, 17 ans suivi par l'UEMO pour une mesure deréparation encore en cours

Je me présente en tant qu'éducatrice en formation. Je lui explique mon projet de mémoire, en décrivant ma recherche sur l'impact que peut avoir une intervention pénale sur les parents du mineur pris en charge par notre service. J'explique à Madame que cet entretien sera retranscrit en respectant son anonymat et celui de son fils.

• Quelle situation a été à l'origine de cette mesure ?

Mon fil est suivi ici depuis deux mois, à cause d'une histoire de réseaux sociaux …. Mon fils a filmé unebagarre au lycée, a posté sa vidéo …. et on se retrouve ici avec une mesure de réparation, on vient tous lesquinze jours/trois semaines, je l'accompagne et j'attends qu'il ait fini son rendez-vous.

• Était-ce la première fois que la justice pénale intervenait dans votre famille ?

Oui évidemment …

• Pouvez-vous me raconter comment vous avez vécu cette intervention de la justice ?

Ça ne passe pas … Nous sommes une famille normale, nous n'avons pas besoin de suivi éducatif, mon filsn'est pas un délinquant. Un simple rappel à l'ordre à la police aurait suffi. Là on se retrouve à venir tout letemps ici, on perd notre temps, pour une bêtise d'adolescent …

• Est-ce que cela a changé quelque chose dans votre vie ?

Rien du tout. Rien a changé dans ma vie, mis à part que je perds mon temps à l'accompagner ici … Je suis lamême maman. Il y avait assez de cadre à la maison avant cela, il y en aura autant après … ça ne changerarien pour moi et pour mon fils.

• Quelles relations avez-vous eues avec notre service depuis que la mesure a commencé ?

Bonnes relations, je n'ai pas mal été accueillie, ça aurait été la meilleure … On m'a écoutée. L'éducateurm'explique après chaque rendez-vous ce qu'ils ont fait. Mais vraiment, l'éducateur perd son temps, je perdsmon temps, vous perdez votre temps à m'interroger … On n'avait pas besoin de tout ça. Je n'ai pas besoin derecevoir des conseils, ou des leçons pour élever mon fils.

• Auriez-vous aimé être davantage prise en compte dans le suivi ?

Non pas spécialement. Je ne ressens pas ce besoin.

• Qu'est-ce que vous aimeriez améliorer dans la relation avec le service ?

Rien. J'ai juste hâte que ça se termine. Je le répète mais c'est vraiment une perte de temps. La justice ad'autres choses à traiter, quand je vois des terroristes qui sont dehors … et là on fait tout un suivi pour unepauvre vidéo sur les réseaux sociaux … Cette mesure n'est pas justifiée, c'était vraiment trop, il a comprisque c'était pas bien ce qu'il a fait, il n'y avait pas besoin de faire tout ça.

J'ai terminé avec mes questions. Merci d'avoir répondu à cette recherche. Je vous raccompagne vers lasalle d'attente.

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ANNEXE n° 5

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Entretien avec Madame FLO, mère d'Adem, 16ans, suivi par l'UEMO pour une mesure deréparation qui se termine ce jour

Je me présente en tant qu'éducatrice en formation. Je lui explique mon projet de mémoire, en décrivant ma recherche sur l'impact que peut avoir une intervention pénale sur les parents du mineur pris en charge par notre service. J'explique à Madame que cet entretien sera retranscrit en respectant son anonymat et celui de son fils.

• Quelle situation a été à l'origine de ce suivi ?

On a vu il me semble un juge au mois de Juin, après on est venu ici en Juillet. Ça a été une surprisepour nous, car à la base c'est mon fils qui était victime, c'est lui qui aurait du porter plainte et enfait ça s'est retourné contre lui, car c'est l'autre garçon qui est allé porter plainte … C'est unehistoire un peu compliquée … Il y avait une fille au milieu de tout ça, mon fils était amoureux d'unefille et l'autre aimait aussi cette fille. Donc il s'est vengé sur mon fils, car la fille aimait mon fils, ilsse sont battus et il est allé porter plainte contre mon fils.

• Était-ce la première fois que la justice pénale intervenait dans votre famille ?

Oui c'est la première fois.

• Pouvez-vous me raconter comment vous avez vécu cette intervention de la justice ?

Le juge a bien fait son travail, je suis contente d'avoir été entendue par le juge. Mais par contre jen'étais pas contente de passer devant les policiers, ils ne m'ont même pas écoutée … J'étais pasbien après ça. Ici le service, je suis contente, je me suis sentie accompagnée, conseillée … la dame que j'airencontrée ici était gentille. Elle a bien fait son travail. J'ai été soutenue.

• Est-ce que cela a changé quelque chose dans votre vie ?

J'étais stricte avant et je suis toujours stricte. Mon fils n'est pas quelqu'un qui traîne dehors, c'estpas quelqu'un qui fume. Il rentre à la maison après l'école. C'est pas comme les autres qui fontn'importe quoi dans la rue, lui ça n'a rien à voir. Même quand j'étais devant le juge il a biencompris ça. Je n'ai jamais laissé traîner mon fils dehors. J'éduque bien mon enfant, il ne manque de rien,j'achète tout ce qu'il veut avec mes moyens, il travaille bien à l'école. Il me respecte.

• Quelles relations avez-vous eues avec notre service depuis que la mesure a commencé ?

J'ai bien compris le rôle du service. J'ai eu de bonnes relations, mon fils a pu faire des sorties avecdes éducateurs ici. Tout le monde a dit qu'il était adorable, poli. Il ne méritait pas ça. C'est lui quiétait victime au début. Il inventait des rumeurs sur mon fils. Donc mon fils s'est défendu. A cause deça il a fait une garde à vue, alors que c'était une victime.

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ANNEXE n° 6

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• Auriez-vous aimé être davantage prise en compte dans le suivi ?

Non pas spécialement, je ne me rends pas trop compte.

• Qu'est-ce que vous aimeriez améliorer dans la relation avec le service ?

Rien de plus, je voulais juste qu'on voit que mon fils n'est pas un méchant garçon, un voyou. C'estmoi qui ai demandé un éducateur pour mon fils au juge, pour que vous voyez qu'il est bien, qu'onest une famille solide, et même la juge et l'éducatrice a vu ça. Alors que le policier n'a même paspris le temps de m'écouter. Là au moins vous voyez que mon fils est bien, que c'est un bon garçon.

• J'ai terminé avec mes questions. Merci d'avoir répondu à cette recherche. Je vousraccompagne vers la salle d'attente.

Je suis désolée je suis un peu bavarde, mais je suis contente que la mesure soit terminée et que vousayez vu que mon fils est un bon garçon …

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Entretien avec Bruno, éducateur titulaire à l'UEMO

Moi : Est-ce que tu peux m'indiquer depuis combien de temps tu travailles à la PJJ ?

B : Euh .. 14 ans, 15 ans …

Moi : Et en milieu ouvert ?

B : 10 ans 1/2 à peu près ...

Moi : Comment toi tu me décrirais le rôle de l'éducateur en milieu ouvert ?

B : Euh aujourd'hui, assez classiquement, enfin pas aujourd'hui, mais assez classiquement,l'éducateur de milieu ouvert travaille sur des problématiques. Il a un rôle dans la prise en chargedes mineurs. J'indique pas la bienveillance, l'écoute qui pour moi va de soi … On accueille pas lesgens ici n'importe comment, on doit être bienveillant parce qu'on fait partie d'un service public. Enplus là c'est contraint. Notre cadre contraint est spécial, on doit bien l'expliquer aux gens. Maiseuh, notre rôle c'est vraiment de les informer des règles du jeu. Et notre rôle c'est travailler desproblématiques, au long, court. Voilà, et les problématiques sont des problématiques qu'on traited'un positionnement éducatif. Pour éduquer on doit repérer un certain nombre de choses. Dont laproblématique familiale. Moi j'aime bien travailler comme ça. Voir le faisceau de problèmes danslequel se débat le jeune, et qui n'appartiennent pas à lui seul mais à l'ensemble de la famille. Ontravaille là dessus et sur le rapport entre ce que le jeune nous emmène de son contexte de vie et cequ'il veut en faire. C'est un processus où le jeune va transformer ces éléments là de façonfinalement à pouvoir mettre fin à l'intervention qui n'est pas une chose souhaitable au long court.C'est un étayage qui à un moment donné doit disparaître pour qu'il se débrouille, soit autonome.C'est le but, essayer d'acquérir une maturation psychique. Donc pour ça il s'agit de repérer deséléments de la vie familiale, pour voir quels sont les empêchements, mais aussi les ressources. Lesfaire jouer ensemble dans un rapport à la justice, à la contrainte.

Moi : Cette contrainte tu l'abordes comment toi ?

B : Dès le premier entretien. J'ai cette vieille habitude de lire l'ordonnance pour leur dire voilà,vous êtes là pour ça, c'est dans ce cadre qu'on se voit. C'est la seule raison pour laquelle vous êtesici, sinon on ne se rencontrerait pas. C'est ce qui fonde l'intervention. Mais c'est pas forcémentquelque chose sur laquelle je vais passer beaucoup de temps. Le travail éducatif c'est pas forcémentde répéter tout le temps de faire attention, qu'il faut respecter les obligations. J'y veille toujours,mais je propose d'instaurer autre chose. Mais les obligations sont toujours là. On prépare unjugement aussi, ça c'est important.

Moi : et par rapport aux parents, comment tu perçois ce qu'une intervention de la justicepénale peut faire vivre aux parents ?

B : D'abord, ça met les parents dans une position un peu subordonnée auto-soumis. Souvent on voitça pour les classes sociales plus défavorisées. Notre enfant ayant fait ça, ce qui les choque laplupart du temps, qu'ils se retrouvent dans cette situation. Ils ont l'impression d'avoir raté quelque

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ANNEXE n° 7

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chose. Le choc d'une intervention de la justice qui est vue comme un défaut de leur part. Et parconséquent une attitude, où ils vont se soumettre.

Moi : Là tu me parles des parents d'une classe sociale plus défavorisée, c'est parce que tu voisune différence par rapport au travail fait avec les parents d'une classe sociale supérieure ?

B : Oui, oui vraiment … on a l'impression que dans ces cas là, c'est complètement incongru. Lesparents qui sont pas parmi les plus défavorisés sont un peu choqués, ils marquent bien dans leurattitude et leur discours que c'est tout à fait anormal. Or c'est la même chose. La transgression d'unjeune est souvent là pour résoudre une difficulté d'ordre familial. Ça vient souvent interroger lafamille sur des points sensibles. Là on a des pistes de travail qui sont ouvertes par la considérationseule de la nature des délits. Les familles plus favorisées se sentent moins concernées, ils ont l'impression de savoir sedébrouiller sans cela, c'est vraiment un poids pour eux, une incongruité. Ce qu'on retrouvevraiment pas chez les parents plus défavorisés, eux ils endossent la transgression de l'enfant assezfacilement, dans les autres cas non, hein, ils renvoient cela à un scandale de comment on vient leurdonner des leçons. Pour eux, c'est vraiment un truc privé. C'est choquant pour eux, qu'on vienneleur dire comment il faut faire. En même temps ils sont confrontés à la réalité de la justice, qui estimpérative. Cette contrainte peut fausser la relation. C'est important d'évacuer ça en disant que çane sera pas le principal, mais on va en tenir compte. On ne doit pas mentir sur les règles du jeu.Néanmoins, en disant que tout cela n'est pas le principal. Comment on peut remanier le jeune ou la famille pour qu'ils trouvent eux mêmes les solutions poursortir de cette situation. Souvent la transgression est le symptôme de ce qu'il se passe dans la famille.

Moi : tu as des exemples de situation où tu as été confronté à cet impact qu'avait la justicepénale sur les parents ? Tu intégrais ça à l’accompagnement au mineur ?

B : D'ordinaire je le fais comme je te l'ai dit là.

Moi : ça veut dire que tu reçois systématiquement les parents sans le mineur ?

B : oui, au moins une fois en début de prise en charge. En même temps j'indique que la prise encharge concerne le mineur ce qui est une manière de dire aux parents que ce n'est pas eux. Enmême temps la personnalité d'un jeune, peut être influencée par les parents, le milieu social … On va faire un travail avec le jeune, qui peut les concerner. Ils sont responsables civilement, maispas pénalement. Quand les jeunes viennent pas, ça laisse la possibilité de travailler avec les parents. Ils ontl'attitude où ils viennent à la place de leur fils ou fille pour montrer qu'ils sont impliqués. Le travailque tu fais avec les parents il aura toujours des répercussions sur l'enfant. D'où l'idée d'êtreaccueillant, pas se tenir à un rôle que de contrôle. Avec cette posture t'as peu de chance de changerles choses. On a un travail d'influence. Pour ça il faut se tenir un peu dans un lieu intermédiaire, nila pure contrainte, ni trop de proximité à dire qu'il n'y a aucun cadre.

Moi : Tu as des exemples de situation où tu as mis en place ce travail là ?

B : Un jeune oui qui ne venait pas du tout. Donc toute la mesure ça a été un travail avec sa mère.Faire jouer cela c'est plutôt intéressant. C'était une première mesure pénale, de contrôle judiciaire.

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Moi : Il se mettait en place comment ce travail ?

B : Quand j'ai vu qu'il venait pas j'ai contacté sa mère et je me suis rendu compte que elle mêmen'arrivait pas à le voir que c'était un garçon dans l'errance. Dans une problématique de fugue. Ilétait absent concrètement, mais très présent parce que son absence se faisait remarquer. Ontravaillait avec sa mère sur qu'est ce qu'on pouvait faire. Je rassurais la mère, pour pas qu'elle soitdans une position à être tout le temps inquiète des conséquences de l'absence de son fils. On vise decette manière là à ce qu'ils soient acteurs de la prise en charge.

Moi : Tu as déjà mis en place des outils uniquement à destination des parents ?

B : Euh alors j'utilise plutôt la relation directe avec un parent ou les deux. Je les invite à un travailde réflexion, d'interrogation, c'est à dire de revenir sur ce qu'on fait, ce qu'on pense et l'interrogermais à partir de leurs propres critères. Je ne crois pas qu'on bouge beaucoup à partir des critèresdes autres, on peut en tenir compte mais ça nous fait pas fondamentalement bouger. Alors que si çavient d'eux directement … Repérer des choses à partir de ses propres critères ça c'est un travailintéressant. Ça s'appuie sur toute une attitude qui consiste à les valoriser en tant que parents. Çac'est vraiment important, de voir tout ce qu'ils savent faire. Alors que bien souvent l'attitude qu'onva avoir c'est de chercher les défauts, où sont les défauts, où sont les défauts alors que non… Sinonon en trouve toujours, parfois trop, de notre vision extérieure à nous. Il faut voir de leur vision àeux qu'est ce qu'ils peuvent interroger. Il y a du conseil aussi mais en veillant à ce qu'on travailleensemble. Je veille à dire que j'ai pas une position d'expertise mais extérieure, je ne suis pas prisdans la situation. Cela suppose tout le travail familial. Sur la filiation. Les parents sont en positionde s'occuper de l'autre mais on travaille sur qu'est ce qui les empêche de réaliser ça. Comment on peut remarquer des choses dans son histoire qui peut nous éclairer ?

Moi : Il peut t'arriver de faire intervenir une psychologue du service dans tes suivis au pénalalors ?

B : Oui. Quand des gens sont vraiment dans un état qui rend pas possible la réflexion, le travail.Ou quand c'est l'inverse, que les parents oublient qu'on travaille pour les jeunes, et qu'ils nousenvahissent de demande. Il faut pouvoir passer suffisamment de temps avec eux. Comment on peut travailler avec ce qu'ils nous emmènent ? Souvent il n'y a pas besoin debeaucoup de paroles. C'est différent d'arriver en étant accusé, et tout d'un coup de voir au traversde ce travail là de voir un intérêt pour son histoire, ça prend un peu de vie, on peut voir unelogique, ça valorise.

Moi : Dans les familles que j'ai interrogées, quand je les questionnais justement sur ce que çaleur faisait vivre cette intervention de la justice, plusieurs familles sont revenues sur ladifficulté de vivre la garde à vue, le regard des policiers, le regard du juge pendant la mise enexamen … Quand ils arrivent ici ils ont déjà vécu tout ça. Est-ce que toi quand tu reçois desparents pour la première fois tu as ça en tête ? Tu le perçois ?

B : Oui, oui, oui. Je le perçois parce que des fois ils le disent … sans le dire des fois on va sentir leseffets de ça, mais pas toujours c'est vrai … là on est plus dans la continuité. On peut associer le juge comme un partenaire. Ça ça peut être important, de montrer qu'il y a unecontinuité. On va ramener la position du juge quand il a pris une position adéquate, ça peutmarcher. Mais je trouve récemment que la rencontre des parents avec la justice se fait souvent dansde très mauvaises conditions, parce que les juges sont pressés, ils sont dans des attitudes beaucoup

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plus normatives. Donc les parents on ne leur donne pas un message auquel ils sont associés, on lesenjoint, et c'est ça qui fait violence je pense. On leur donne une injonction de surveiller et surveillerça rend stupide. On essaie plus forcément de comprendre. Les parents se heurtent de plus en plus àça. Le service éducatif a à sa charge d'apaiser ça. Accueillir cela et le travailler. Il y a unetendance normative actuelle et ça c'est plus dur pour les parents. Avant les choses étaient peut êtremieux ordonnées. Là j'ai l'impression que c'est la totale responsabilité des gens, c'est reportédirectement sur eux. Ça marque les interventions, y compris la notre. Faire écran aussi avecl'intervention judiciaire. Ne pas s'empresser de mettre en avant la contrainte. La contrainte existemais il y a d'autres choses à côté.

Moi : j'ai terminé avec mes questions, est-ce que toi il y a des choses que tu aimeraisrajouter ?

B : ouais il faudrait avoir beaucoup plus de temps pour travailler longuement avec les parents.J'avais envisagé d'autres choses pour travailler avec les parents.

Moi : Comme quoi ?

B : Faire travailler les parents sur un support qu'on aurait plus utiliser pour des jeunes, un atelierde philo, un atelier de contes … il y a des choses qui peuvent se travailler comme ça. Des chosesvont se dire et on leur dit pas direct on va tout vous apprendre, vous êtes des nazes … On n'a pasgrand-chose à leur apprendre en faite. Ils ont été confrontés à l'autorité un peu rudement, ça a étéemmené par leur enfant, mais il faut mettre ça au travail.

Merci !

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Entretien avec Charlotte, éducatrice titulaire en UEMO.

Moi : Depuis combien de temps toi tu travailles à la PJJ ?

Charlotte : Depuis 1999, donc c'est ma 19e année.

M : et en milieu ouvert ?

C : Euh, ça fait 12 ans.

M : Comment toi tu décrirais le rôle de l'éducateur de milieu ouvert ?

C : Euh … Alors je dirais la mission première c'est qu'à travers le suivi éducatif que je vais mettreen place et le lien qu'il y aura avec le jeune dans le temps, euh, ça puisse permettre à ce qu'il nerécidive pas. Ça c'est l'objectif. Mais c'est pas juste ça. C'est surtout qu'il comprenne pourquoi il enest arrivé là, à cet instant T. Ça il ne peut pas le comprendre seul, faut aussi qu'on travaille avec lesparents puisqu'en fonction de certains actes, du moment où il le pose, et comme c'est un adolescentavant tout. C'est pas que des délinquants, c'est un adolescent qui a posé un acte. Donc essayer decomprendre avec ses parents, dans son histoire de vie, qu'est ce qui a fait qu'à un moment donné ila posé cet acte. Donc après il y a différentes choses, ça peut être quelque chose liée aufonctionnement parental, sans culpabiliser les parents. C'est aussi de s'intéresser à l'histoire desparents, quelle que soit la mesure, et l'histoire des grands-parents aussi. Ça va dépendre de lasituation, je ne vais pas aller de manière intrusive comme ça. Mais finalement les parents parlent,souvent ils le vivent comme étant un mauvais parent. C'est important de relever auprès des parentsce que l'adolescent peut faire de positif. On doit pouvoir témoigner auprès des parents de l'avancéeou de l'évolution. Il y a toujours une évolution. La justice est longue, les jugements sont longs, on adu temps pour travailler cette évolution. On dit souvent que les adolescents ont plusieurs facettes,quelques fois il faut rassurer les parents sur les stades de l'adolescence. Il y a des comportements,des attitudes qui sont classiques. Parfois ils sont carrément dans le rejet de leur enfant après l'actedonc il faut aussi les rassurer, et rester humble, on n'a pas de solution magique. Nous on ne peut rien faire sans eux, les associer, c'est nos partenaires. Je rencontre toujours lejeune seul et après je rencontre les parents seuls. Puis je fais des entretiens communs, pourpercevoir ce qu'il se dit. On peut reprendre un moment donné ce qu'il s'est dit. Faire des allersretours et qu'à un moment donné le parent il aura son regard sur son enfant qui va bouger. Le temps c'est très important, il y a le temps judiciaire et le temps de l'adolescent. Parfois c'est endécalage.

M : et comment toi tu perçois de ta place ce qu'une intervention pénale peut faire vivre auxparents des mineurs qu'on prend en charge ?

C: Pour moi, une chose évidente avec le temps c'est le premier entretien, l'accueil, la façon dont onva s'exprimer, dont on va verbaliser la suite de la mise en examen … c'est une autre étape pour lafamille. C'est important de dédiaboliser. À la fois, faire comprendre à la famille l'ordonnance avecdes mots adaptés, se rendre compte si la personne comprend ou pas. La plupart des gens peuventpas dire qu'ils ne comprennent pas.

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ANNEXE n° 8

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M : c'est ce que m'ont renvoyé les familles que j'ai rencontrées, souvent la mise en examen vatrès vite et ils ont peu la parole.

C : oui c'est ça il y a le moment où on doit reprendre le cadre, pourquoi ils sont là car bien souventça n'a pas été compris. Et l'écoute, c'est très important, pour qu'ils se sentent suffisamment enconfiance et qu'ils puissent parler. C'est vrai que beaucoup arrivent avec un fonctionnement. Uneprise de parole prépondérante sur le jeune car ils sont inquiets, sur la défensive. Ils sont hyperangoissés, c'est des rendez-vous très stressants. Moi j'essaie de donner la parole aux jeunes aussi.Et puis les laisser parler, observer. C'est pour ça que c'est intéressant d'être deux en entretien.Répondre à toutes les questions, vraiment prendre le temps. Leur dire qu'on peut pas faire leschoses sans eux, sans les parents. La mise en confiance c'est aussi proposer aux parents de se voirseuls, s'ils ont des questions. Essayer de les écouter, ils ont besoin de parler de leur histoire. Pourcertaines familles, ils sont tellement démunis que ça arrive aussi de les accompagner eux surd'autres orientations.

M : toi t'as des exemples de situation où t'as pu voir que ça avait été violent pour les parentsd'être confrontés à la justice ?

C : Plein ! Plein plein plein ! Parce que quelques fois lors de longs contrôles judiciaires où il y aune relaxe au bout, où dès le départ les parents sont en colère et il faut écouter cette colère.Quelques fois c'est pas la justice qui fait violence, c'est la France, c'est les institutions. Là parexemple, les parents ils vivaient la déchéance sociale, le gamin a posé beaucoup de délits et audébut les parents ils avaient une posture de soumission, ils baissaient la tête, ils me disaient oui àtout, ils étaient abattus, désolés … et j'ai appris que Monsieur il était avocat en Algérie, et Madamehuissier en Algérie et ils ont du venir en France dans les années 90, à cause de la terreur enAlgérie. Ils ont décidé de fuir, et là alors la déchéance sociale … Et quand il y a une déchéancesociale très forte, on a un enfant dans la fratrie qui révèle tout ça. L'enfant il ne le savait pas toutça. Quand il y a une forte opposition à la justice, c'est qu'il y a eu derrière une faille. Parfois c'est ça, c'est les institutions en général, un sentiment d'injustice … des fois ça met desannées pour pouvoir désamorcer tout ça, le temps qu'un lien de confiance se crée.

M : tu vois une différence entre les classes sociales dans cet impact ?

C : Les personnes qui sont en précarité c'est plus facile de voir leur fonctionnement parce qu'ellesamènent des choses, les personnes qui sont dans des ancrages, dans la bourgeoisie, des familles oùil y a une lignée comme ça où la réputation est importante là c'est un traumatisme. Et puis des foisnon, des fois on a des surprises … des fois j'ai super bien travaillé avec des gens d'une classesociale supérieure, avec la psycho du service.

M : Là le fait qu'il y ait une psychologue au premier entretien tu trouves que ça changequelque chose ?

C: Ah ben oui. Même s'il n'y a pas de suivi pour elle après, elle peut dans le débriefing nous donnerdes choses qu'elle aura observé sur le psychisme. En fonction de sa grille de lecture, elle va nousamener d'autres choses. Il faut que cette intrusion puisse se transformer, que ça devienne quelque chose de positif. Moi jedis ça souvent aux jeunes de voir ce qu'on peut travailler ensemble pour que ce qui leur arrive setransforme en quelque chose de positif.C'est important qu'ils comprennent qu'on n'est pas toujours d'accord avec eux, on peut comprendre

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mais ne pas être d'accord.

M : Tu as des outils que tu utilises qu'avec les parents ?

C : Non il y avait un temps où j'utilisais le génogramme mais j'ai arrêté.

M : et les entretiens qu'avec les parents ?

C : Ah moi je le fais avec tous, dans chaque mesure ! C'est hyper important, pour moi ! Je trouveque les gens se livrent facilement ! Après moi je sur-investis des fois, mais je sais que je suis commeça, que ça peut être une faille ! C'est pour ça que moi j'aime bien les longs suivis parce que je saisqu'il peut y avoir une vraie évolution, j'y crois vraiment ! Mais souvent le sentiment d'intrusion, ilest là au premier entretien et après ça y est, ça part … c'est pour ça que l'accueil est hyperimportant, il faut vraiment dédramatiser le truc !

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Entretien avec Géraldine,Éducatrice à l'UEAT

Moi : Comment toi tu perçois ce que l'intervention de la justice peut faire vivre aux parents ? Quelles expériences tu as toi ici à l'UEAT ?

G : C'est vrai que moi je suis sur ce poste là depuis 2 ans. J'espère que ça sera quand mêmereprésentatif. Je suis très sensible à ne pas être dans l'intrusion trop vive avec les familles. Après ladifférence qu'on a entre l'UEAT et les autres services c'est qu'on n'a pas le temps. Dans les autresservices, on sait qu'on va les revoir. On peut différer, remettre à un autre entretien. Là ce qui estparticulier, c'est que c'est une rencontre, on a besoin d'informations précises. Souvent c'est nous quiinformons les parents du détail des faits, c'est souvent par nous aussi qu'ils apprennent lesréquisitions. C'est donc souvent très violent. On leur dit tout ça et en même temps on a besoinqu'ils nous donnent plein d'informations. Comment ça se passe à la maison ? Quel genred'adolescent c'est ? Et quel genre d'enfant c'était ? Et à l’école comment ça se passe ? Et la santé ?Donc on attend beaucoup d'eux, on leur laisse pas le temps pour mentaliser ce qu'il s'est passé.Donc moi de ma place j'essaie de faire au mieux et je me dis toujours qu'il va y avoir un travailaprès, que ça sera repris. Soit parce qu'il y a une mesure au civil, soit parce qu'il y aura du milieuouvert au pénal. Aujourd'hui j'en demande moins, je préfère juste écouter ce qu'ils sont en capacitéde donner, prendre plus de temps aussi pour leur parler de la procédure, pour leur parler de ce quej'ai vu de leur enfant en bas au petit dépôt. Et les détails de leur enfance, l'histoire du coupleparental ça sera vu en milieu ouvert. Je pense vraiment qu'on essaie de brusquer le moins possible.Après il y a une différence je trouve entre les parents qui connaissent les institutions et ceux qui n'ysont pas du tout familiers, ni de la justice, ni des institutions. Pour les premiers, ceux qui sontfamiliers, on gagne en temps, on a moins d'informations à donner. Malheureusement c'est desparents qui connaissent aussi la réalité des mises en danger de leur enfant, donc on peut aller plussur ce qu'il se passe à l'instant T. l'enjeu c'est surtout pour ce que j'appelle les familles primo, c'estbeaucoup de temps pour expliquer la procédure, du temps pour que les parents se détachent du faitde leur enfant. Beaucoup de parents vont me dire « mais moi mon fils je ne le connais plus, jepensais pas qu'il était capable de ça ». Essayer de leur dire de ne pas réduire leur enfant à l'acteparce que souvent ça peut susciter du rejet. On est parfois face à des parents qui sont très rejetantface à leur enfant parce qu'il y a de l'incompréhension ou du choc. Ça peut arriver que des parentsnous demandent le placement par exemple. Ils peuvent nous dire « je ne me vois plus vivre avecmon enfant après ça ». Après ça s'apaise. Mais moi je dirai que ce qui est dur pour les parents c'estqu'à la fois on leur demande d’appréhender plein de choses, on leur donne plein d'infos. Et à la foison leur en demande beaucoup. Et encore il faut prendre en compte le fait que souvent ils n'ont pasdormi parce que leur gosse est en garde à vue depuis 2 jours, ils ne connaissent pas les locaux, ilsne connaissent pas le fonctionnement, ils nous connaissent pas … tout va vite. Et en même temps ilssont dans quelque chose de l'ordre de la sidération, ils sont effarés. Souvent on est obligé de répéterles choses, ils vont nous pose 5/6 fois la même question mais parce qu'ils sont hébétés. Et puis lesparents, ils ont tendance à vouloir nous donner les bonnes réponses, pour éviter le jugement qu'ilspensent qu'on va poser sur eux. Soit pour parfois essayer de protéger leur enfant. C'est importantde préserver le fait de ne surtout pas les juger. Souvent on leur dit, enfin moi je leur dis, que ce qu'il

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ANNEXE n° 9

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s'est passé ça n'a pas à voir avec leur éducation. Parce qu'ils sont dans une grosse culpabilité.Souvent ils nous le disent « je ne lui ai pas suffisamment dit non ». C'est pas forcément faux cequ'ils disent mais nous on essaie de faire redescendre ce sentiment de culpabilité qui est làexacerbé par leur inquiétude. On leur dit que ce n'est pas eux, c'est pas leur parentalité qui estjugée. Mais on peut être un bon parent tout en ayant besoin d'aide. Mais c'est très dur à entendreça, car ils ont l'impression que l'éducateur va prendre leur place. On leur demande beaucoup etmoi je suis étonnée du fait que les parents nous donnent beaucoup et se confient facilement sur leurhistoire, des événements de leur passé. On est très rarement confrontés à des parents qui refusentd'échanger sur leur passé, des parents mutiques. On est face à des gens qui essaient de prendre unpeu la responsabilité. Le travail éducatif est intrusif. C'est compliqué de les préserver de cela. Moij'essaie vraiment de relativiser au maximum par rapport aux faits. Quand je vois qu'ils sont troppris dans leur culpabilité ou leur angoisse je décale, je vais plus parler de la petite enfance, là oùc'était mieux. Quand vraiment quand c'est trop difficile, je leur propose de rentrer chez eux et qu'ilsm'appellent pour faire ça au téléphone. Je ne fais pas de la violence sur de la violence, parfois c'estplus facile de dire des choses par téléphone, sans le face à face. Ça ça marche assez bien. Laculpabilité restreint beaucoup mais vraiment moi je souligne que les parents ils donnent beaucoup,ils sont souvent dans l'impuissance, mais ils sont là, et ils se livrent. Ces moments de défèrementsont très spéciaux, ça fait vivre des choses très fortes aux parents.

Moi : Du coup les parents peuvent se livrer plus aussi du fait que tu les vois qu'une seule fois ?

G : Oui ça permet vraiment de dire des choses qu'ils ne s'autorisent pas à développer dans lessuivis plus long au civil ou au pénal. On a ce petit intérêt là d'avoir des émergences de choses quisortent qu'on transmet ensuite au milieu ouvert.

M : Et par rapport au COPJ ou ils ont eu plus de temps entre la garde à vue et la mise enexamen ?

G : Ce qui est différent dans la COPJ c'est qu'on a un temps où on voit le jeune en même temps queses parents. Ce temps en commun peut faire la différence. Ici on a pas de temps commun pour lesdéfèrements. Et oui on n'est pas à chaud. Les entretiens sont plus construits. Ils ont eu le temps depenser. Il y a moins d'éclats. Ça se rapproche plus du milieu ouvert car c'est prévu et anticipé.

M : Et quand j'ai rencontré les familles, ce qui revient parfois c'est le passage compliquédevant la police ou le magistrat. Tu as un regard là dessus ?

G : C'est vrai que ça revient beaucoup et notamment les policiers disent rarement vraiment lesdétails des faits aux parents. Donc souvent quand ils arrivent ici les parents se demandent ce qu'il afait vraiment. Ils ne connaissent pas les faits. Ensuite on a pas mal de parents qui évoquent despoliciers qui sont peu professionnels. Donc oui on est face à des parents qui ont été très fragiliséspar ce passage devant la police et notamment quand il y a eu une perquisition dans les affaires destups ou de recels de vols, c'est des moments extrêmement violents. L'enfant est menotté. Les parents ne s'autorisent pas du tout en plus à répondre, ils se soumettent à tout ce qu'on peutdire, même face à nous.

M : Toi dans ta posture, tu as des choses particulières que tu mets en place ?

G : Moi je donne beaucoup d'importance à l'accueil. Systématiquement avant même de commencerje leur demande s'ils ont des questions. Je leur repose à la fin de l'entretien.

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Je prends le temps de leur expliquer où est leur enfant, comment ça va se passer pour lui, commentil est physiquement, j'essaie de rendre concret ce qu'il se passe pour leur enfant.

M : C'est des entretiens qui sont longs ?

G : Je dirai entre 30 minutes et une heure après parfois ça peut être 1h30 quand c'est des famillesqui ne sont pas du tout connues. On fait au mieux en sachant qu'on ne maîtrise pas grand-chosel'heure de l'audience, l'heure où on va aller voir le jeune, l'heure où les parents arrivent …

M : C'est régulier qu'après les audiences les parents viennent demander quand ils n'ont pascompris quelque chose ?

G : Nous ça nous arrive très peu, c'est plutôt rare et au bout de deux jours d'inquiétude souvent ilsont juste envie de rentrer chez eux. Et sur l'audience c'est ça que je voulais te dire aussi, je fais lelien mais je ne suis pas sure que les parents pensent avoir le choix, ils sont la plupart du tempsdociles et ils prennent ce qu'on leur dit comme si c'était établi. Mais ça c'est dans tous les suivisjudiciaires je trouve pas que les défèrements, où les parents se disent que la justice elle décide pournous et qu'ils n'ont pas à en dire grand-chose. On a beaucoup de parents qui ne se sentent pasécoutés, ils ont l'impression que le juge se pose en censeur de la situation, certains n'ont pas laparole en audience. Ou que ça se passe tellement vite qu'ils n'ont pas le temps de dire tout ce qu'ilsont envie. Ils sont destinataires de la décision, de l'injonction mais ils sont autant impactés par ladécision que l'enfant.

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Résumé

L'action éducative en milieu ouvert demande à nous, professionnels de la Protection

Judiciaire de la Jeunesse, de tenter de comprendre comment un mineur a pu commettre une

infraction et de travailler avec lui pour que cela ne se reproduise pas.

Ce travail avec le mineur exige de travailler en lien avec ses parents. D'une part, car ils détiennent

l'autorité parentale et doivent être associés à chacune des décisions concernant leur enfant, mais

d'une autre part car c'est en comprenant la problématique familiale que nous parviendrons à voir

évoluer positivement le mineur.

C'est ainsi que régulièrement nous rencontrons les parents des mineurs pris en charge, dans

nos locaux, lors de visites à domicile, au tribunal … Mais alors qu'est-ce que cela leur fait vivre à

eux, parents, qui ne sont pas directement visés par la mesure pénale mais qui sont amenés à

rencontrer l'institution judiciaire ?

Ce mémoire vise à donner la parole à ces parents pour tenter de comprendre comment ils

vivent l'intervention de la justice pénale dans leur famille, ce qu'ils ressentent en étant confrontés

aux travailleurs sociaux que nous sommes, mais également aux forces de police, au magistrat.

Il s'agira ici de tenter de comprendre dans quelle mesure, nous, professionnels de la Protection

Judiciaire de la Jeunesse nous pouvons permettre aux parents de surmonter les sentiments de

culpabilité et d'impuissance qui les animent lorsqu'ils nous rencontrent, pour qu'ils prennent

conscience de leurs ressources et de leurs capacités à agir.

Mots clés : Parents – relation institutionnelle – culpabilité – capabilité - empowerment

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