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DEUXIÈME ANNÉE i8 SEPTEMBRE 1929 LES ORGANES DES SENS CHEZ LES POISSONS LE SENS VIBRATOIRE Par M LLE MARIE-LOUISE VERRIER Docteur cs-sciencus. Le déplacement brusque d'un Poisson conservé vivant en aquarium à la suite d'un choc produit sur la paroi ou à la suite d'un ébranlement de la masse d'eau ; l'habitude de certains pisciculteurs d'attirer les alevins en un point donné du bassin d'élevage au moment de l'apport de la nour- riture, par un bruit qu'ils répètent, toujours le même ou encore par une agitation de l'eau causée en une partie du bassin ; les observations de pêcheurs selon lesquelles l'absence de bruit et de mouvement sur la berge augmente les chances de capture sont autant de circonstances qui nous font admettre, a priori, l'existence chez les Poissons d'un sens auditif, d'un sens capable de percevoir les vibrations de l'eau, particulièrement développé. Les bruits sont transmis au Poisson par les vibrations de l'eau comme ils sont transmis par les vibrations de l'air dans le cas des Vertébrés ter- restres. Les ébranlements du milieu aqueux, produits en un point éloigné d'eux, leur arrivent grâce aux ébranlements successifs des tranches liquides qui séparent le centre d'émission et le Poisson. Ainsi, bruits et mouvements de l'eau se propagent d'une manière analogue. Leur per- ception détermine chez le Poisson des réactions à peu près identiques. Les organes sensoriels adaptés à cette perception ont-ils une structure et un fonctionnement identiques ? Sont-ils des organes perfectionnés ? Les exci- tations vibratoires ont-elles, dans le comportement du Poisson, un rôle prépondérant ? Ce sont autant de questions que nous allons envisager. Chez la très grande majorité des Poissons, les organes du sens vibra- toire sont de trois sortes ; ce sont : les oreilles, les papilles rhéotacliques et les organes de la ligne latérale. Chez les Vertébrés supérieurs, et particulièrement chez l'Homme, l'oreille comprend trois parties principales : une région externe, le pavil- lon, qui reçoit les sons ; une région inovenne qui les conduit à la région la plus interne, la plus riche en terminaisons nerveuses et dont le rôle est de percevoir les sons qui lui parviennent. ni 11 m\ mnm m; PISCICULTURE Article available at http://www.kmae-journal.org or http://dx.doi.org/10.1051/kmae:1929005

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DEUXIÈME ANNÉE N » i8 SEPTEMBRE 1929

LES ORGANES DES SENS CHEZ LES POISSONS

LE S E N S VIBRATOIRE

Par M L L E M A R I E - L O U I S E V E R R I E R

Docteur cs-sciencus.

Le déplacement brusque d'un Poisson conservé vivant en aquarium à la suite d'un choc produit sur la paroi o u à la suite d'un ébranlement de la masse d'eau ; l 'habitude de certains pisciculteurs d'attirer les alevins en un point donné du bassin d'élevage au m o m e n t de l'apport de la nour­riture, par un bruit qu'i ls répètent, toujours le m ê m e ou encore par une agitation de l'eau causée en une partie du bassin ; les observations de pêcheurs selon lesquelles l 'absence de bruit et de m o u v e m e n t sur la berge augmente les chances de capture sont autant de circonstances qui nous font admettre, a priori, l 'existence chez les Poissons d'un sens auditif, d'un sens capable de percevoir les vibrations de l'eau, particulièrement développé.

Les bruits sont transmis au Poisson par les vibrations de l'eau c o m m e ils sont transmis par les vibrations de l'air dans le cas des Vertébrés ter­restres. Les ébranlements du mi l i eu aqueux, produits en un point é lo igné d'eux, leur arrivent grâce aux ébranlements successifs des tranches l iquides qui séparent le centre d'émission et le Poisson. Ainsi, bruits et mouvements de l 'eau se propagent d'une manière analogue. Leur per­ception détermine chez le Poisson des réactions à peu près identiques. Les organes sensoriels adaptés à cette perception ont-ils une structure et un fonct ionnement identiques ? Sont-ils des organes perfectionnés ? Les exci­tations vibratoires ont-elles, dans le comportement du Poisson, un rôle prépondérant ? Ce sont autant de questions que nous al lons envisager.

Chez la très grande majorité des Poissons , les organes du sens vibra­toire sont de trois sortes ; ce sont : les oreilles, les papilles rhéotacliques et les organes de la l igne latérale.

Chez les Vertébrés supérieurs, et particulièrement chez l 'Homme, l'oreille comprend trois parties principales : une région externe, le pavil­lon, qui reçoit les sons ; une région inovenne qui les conduit à la région la plus interne, la plus riche en terminaisons nerveuses et dont le rôle est de percevoir les sons qui lui parviennent.

ni 11 m \ mnm m; P I S C I C U L T U R E

Article available at http://www.kmae-journal.org or http://dx.doi.org/10.1051/kmae:1929005

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L'oreil le des Poissons est beaucoup plus s imple , les régions externe et m o y e n n e font défaut ; seule existe l 'oreille interne placée latéralement, «le chaque côté de la tète, immédiatment sous la peau. Encore cette oreille interne est-elle m o i n s compliquée, elle aussi, que l'oreille interne des autres Vertébrés ; elle se compose de deux sacs membraneux , l 'utricule et le saccule , séparés l 'un de l'autre par un étranglement, et de trois canaux en demi-cercle qui surmontent l'utricule ; ce sont les canaux semi-circu­laires (voir fi g. ',{). Le l imaçon qui, chez l 'Homme, par exemple , est la région la plus riche en é léments sensoriels et joue un rôle très important dans l 'audition, l'ait, ici, complètement défaut.

/V l ' intérieur du saccule est un liquide transparent, presque gélat ineux, dans lequel baignent un ou deux corpuscules blanchâtres, solides : les

otolithes. Des é léments sensoriels sont répar­tis dans les parois des différentes régions de l'oreille. Leur abondance et leur mode de répartition sont très variables suivant les espèces. Dans tous les cas, cependant, les éléments sensoriels, cellules étroites et hau­tes, en rapport par leur partie profonde avec des ramifications du nerf acoustique, sont groupés par faisceaux de d ix à douze au moins et entourés de cellules banales de sou­tien. L'ensemble de ces cellules sensorielles et de soutien a reçu le n o m de crête acous­tique.

Je rappelle qu'un assez grand nombre de Poissons possèdent une vessie natatoire, sac membraneux uni o u plurilobé, rempli

de gaz et, parfois, en communicat ion avec la partie antérieure d u tube digestif. Certains auteurs ont attribué à la vessie natatoire un rôle dans le sens de l 'équil ibre du Poisson. Cette opinion a été discutée, mais il m e paraît intéressant de signaler qu'il existe, dans bien des cas, un contact entre la vessie natatoire et l'organe auditif. Il y a tantôt contact direct, les parois de la vessie et celles de l'oreille sont accolées en un point ; tantôt contact indirect, les deux organes étant reliés par une chaîne d'osselets. L'anatomiste W E B R R , le premier, e n 1820, découvrit l 'existence de cette chaîne qui, depuis , porte le nom d'organe de WIÏBKR, chez les Cyprins, les Silures, les Loches.

F10. X — Organe auditif du Hrochel (d'ilprès BHHSCHKT). — es : canal semi-circulaire ; s : saccule ; u : utriculc.

Les papilles rhéotactiques sont des dépendances des téguments qui recouvrent la surface du corps. Près des bourgeons gustatifs, il est fré-«juent d'observer, à la surface de la peau d'un grand nombre de Poissons osseux, particulièrement vers l'extrémité antérieure du museau, l 'exis­tence de bourgeons sensoriels , plus vo lumineux que les bourgeons du goût . Ils sont formés d'un faisceau de cellules à bâtonnets et de cellules

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de soutien. Selon qu' i l s font saillie à la surface de la peau ou qu'i ls sont logés au fond d'une dépression des téguments , on leur donne le n o m de mamelons ou de fossettes. Leur abondance est très variable suivant les espèces. Les Silures en sont les plus abondamment pourvus.

II est aisé de voir, sur la tète d'un Poisson, un ensemble de perforations superficielles de la peau, disposées suivant des l ignes plus ou m o i n s courbes et, sur les flancs de l 'animal , une série d'écaillés disposées sur une l igne à peu près droite, à distance égale entre la nageoire dorsale et les nageoires abdominales et présentant un orifice circulaire, réduit, en tin point voisin du centre. Ces perforations et ces orifices sont les parties les plus externes des organes de la l igne latérale. (Voir lig. 4L

Ces perforations sont en rapport avec un système de canaux qui par­courent la tète et le corps de l 'animal ; à l' intérieur de ces canaux sont

Fl(i. 4. — Les écailles <le la ligne latérale chez la Truite (d'après l l ( i i )K) .

des organes sensoriels sur lesquels viennent se porter les ramifications de nerfs spéciaux. Les organes de la lète sont innervés par plusieurs nerfs crâniens (particulièrement, par le nerf vague et le trijumeau). Les organes du tronc reçoivent des ramifications du nerf vagm-, dont une brandie , le nerf latéral, s'étend sur toute la longueur du corps. Tantôt il se trouve au m ô m e niveau que la l igne de perforai ion des écailles ou l igne latérale, c'est le cas de la Truite ; tantôt il est placé entre la l igne latérale et la nageoire dorsale, c'est ce qu'on peut observer chez la Perche ; ou bien encore il est situé entre la l igne latérale et les nageoires abdominales , ce dernier cas est réalisé par le Cardon, d'après Lom. qui, récemment , a fourni une bonne étude de cet organe. Quelle (pie soit la situation du nerf latéral, ses ramifications se portent sur des organes sensoriels de morphologie semblable.

Ces organes sont toujours constitués par la réunion de quatre à cinq cellules, au moins , de grande taille, pourvues d'un cil à leur extrémité libre, en rapport, par leur partie profonde, avec les filets nerveux et sépa­rées les unes des autres par des cellules de soutien. La position de ces organes varie selon qu'il s'agit de Poissons à écailles ou de Poissons dépourvus d'écaillés, au m o i n s dans les régions du corps qui corres-

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p o n d e n t à celles où sont répartis les organes que nous venons de décrire. Dans le premier cas, réalisé chez la Truite par exemple, les organes

sensorie ls sont logés à l ' intérieur de canaux qui traversent l'écaillé plus o u m o i n s ob l iquement (voir fig. 5).

Par ail leurs, chez l 'Epinoche, par exemple , les organes sensoriels sont logés au fond de dépressions du tégument, où ils reposent directement, sans l ' intermédiaire de cel lules de soutien (voir fig. 6) .

Après ces descriptions sommaires et rapides de la structure des organes d u sens vibratoire, il nous reste à savoir quel est leur mode de fonctionne­m e n t , leur degré d'acuité.

Se lon MANNING, un des premiers physiologistes qui étudièrent la per­cept ion des vibrations chez les Poissons, les sons, selon leur hauteur,

FIG. 5. — Organe sensoriel latéral de la Truite adulte (d'après RonF.). es : cellule sensorielle ; e : écaille.

seraient perçus soit par l 'oreil le, soit par la l igne latérale. Plaçant dans l 'eau d'un aquarium un récepteur té léphonique auquel il transmet des vibrations à l 'aide d'un moteur, MANMXÏÏ a observé le comportement de Poissons auxquels il avait enlevé soit l 'utricule, soit le saccule, soit les canaux semi-circulaires, ou même l 'organe auditif tout entier. Il a cons­taté que le saccule sert à la perception des sons aigus , l 'utricule à la per­cept ion des sons m o y e n s , et que la l igne latérale est sensible aux sons bas.

P lus récemment , CHARVOZ constate, par l 'expérimentation, que « les Poissons perçoivent fort bien les vibrations sonores ; qu'i ls ne paraissent pas faci lement reconnaître l 'origine des sons ni leur direction ; que les réactions acoustiques présentent de grandes différences individuelles ». Quant aux fonct ions de la l igne latérale, le m ê m e auteur les reconnaît c o m m e intervenant dans la sensibilité au courant, à la température, à la sal inité du mi l i eu , l 'équil ibre du Poisson, les variations chromatiques des t éguments .

Enfin, d'après les travaux de RODE, les plus complets et les plus récents sur le rôle de la l igne latérale, il y aurait l ieu de dist inguer le cas des

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Poissons à écailles, chez lesquels les o rganes sont à l ' i n t é r i e u r de perfo­

ra t ions des écailles, et les Poissons à peau p lus ou m o i n s nue o ù les o r g a n e s

sont en contact d i rect , pa r l eu r r ég ion ex te rne , avec le m i l i e u a m b i a n t .

Les seconds sont de b e a u c o u p p lus sensibles a u x v ib ra t ions que les p r e ­

m i e r s . En a u c u n cas Roi>i: n ' a cons ta té d ' in f luence de la l igne la téra le s u r

l ' équ i l i b r e du Poisson .

Les papi l les rhéo tac t iques n ' o n t pas fait encore l 'obje t d ' é tudes p h y s i o ­

log iques spéciales. Seule, l eur s t r u c t u r e , bien c o n n u e , p e r m e t de l e u r s u p ­

poser u n rôle sensoriel , bien in fé r ieur en acui té à celui de l ' o r g a n e aud i ­

tif et des o rganes de la l igne la téra le .

Ainsi , l ' ensemble des o rganes audi t i fs , des o rganes de la l igne la té ra le ,

des papil les rhéo tac t iques p e r m e t au Poisson u n e pe rcep t ion sûre et éten­

due des m o u v e m e n t s et des b ru i t s d u mi l i eu a m b i a n t . Ce sens v ib ra to i r e

v ien t complé t e r ou m ê m e supp lée r le sens visuel , le sens gustat if souven t

défectueux. C'est a ins i que chez cer ta ins Poissons cavern icoles pr ivés

d ' y e u x le c o m p o r t e m e n t est d o m i n é p a r le sens v ib ra to i r e : l ' a n i m a l ,

aveugle , saisit au passage, avec sûre té et u n e cer ta ine rap id i té , les proies

v ivantes qu i , sans le loucher , s ' ag i t en t aup rès de lui ; de m ê m e il sait

évi ter le filet ou la m a i n q u i , p longés dans l 'eau où il vi t , c h e r c h e n t à le

saisir .

Il est év iden t que l 'on a, ici, u n cas de p e r f e c t i o n n e m e n t excep t ionne l

d u sys tème v ib ra to i r e ; c e p e n d a n t , chez la t rès g r a n d e ma jo r i t é des

Poissons , ce sys tème est encore bien déve loppé . La l igne la téra le est l 'apa­

n a g e des Poissons ; el le existe, en d e h o r s de ce g r o u p e , chez que lques

larves de Batraciens et a l 'é tat r u d i m e n t a i r e s eu lemen t . Les Po issons sont

d o n c , p a r m i les a n i m a u x a q u a t i q u e s , les m i e u x doués sous le r a p p o r t de

la sensibi l i té aux v ib ra t ions .

t. 6

Vie. G. - O r g a n e s e n s o r ù ' l latéral tic r E p i n o c h e (d 'après R o m : ) . — es : c r l l u l r M'iisorii'lli* ; n : nerf.