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MELICERTE Comédie pastorale héroïque de Molière PERSONNAGES : ACANTE, amant de DAPHNE. TYRENE, amant d'EROXENE. DAPHNE, bergère. EROXENE, bergère. LYCARSIS, pâtre, cru père de MYRTIL. MYRTIL, amant de MELICERTE. MELICERTE, nymphe ou bergère, amante de MYRTIL. CORINNE, confidente de MELICERTE. NICANDRE, berger. MOPSE, berger, cru oncle de MELICERTE. La scène est en Thessalie, dans la vallée de Tempé. ACTE PREMIER SCÈNE I TYRENE, DAPHNE, ACANTE, EROXENE ACANTE Ah ! charmante Daphné ! TYRENE Trop aimable Eroxène. DAPHNE Acante, laisse-moi. EROXENE Ne me suis point, Tyrène. ACANTE Pourquoi me chasses-tu ? TYRENE Pourquoi fuis-tu mes pas ? DAPHNE Tu me plais loin de moi. EROXENE Je m'aime où tu n'es pas. ACANTE Ne cesseras-tu point cette rigueur mortelle ? TYRENE Ne cesseras-tu point de m'être si cruelle ? DAPHNE

Moliere Melicerte

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MELICERTEComdie pastorale hroquedeMolirePERSONNAGES :ACANTE, amant de DAPHNE.TYRENE, amant d'EROXENE.DAPHNE, bergre.EROXENE, bergre.LYCARSIS, ptre, cru pre de MYRTIL.MYRTIL, amant de MELICERTE.MELICERTE, nymphe ou bergre, amante de MYRTIL.CORINNE, confidente de MELICERTE.NICANDRE, berger.MOPSE, berger, cru oncle de MELICERTE.La scne est en Thessalie, dans la valle de Temp.ACTE PREMIERSCNE I TYRENE, DAPHNE, ACANTE, EROXENEACANTEAh ! charmante Daphn!TYRENETrop aimable Eroxne.DAPHNEAcante, laisse-moi.EROXENENe me suis point, Tyrne.ACANTEPourquoi me chasses-tu ?TYRENEPourquoi fuis-tu mes pas ?DAPHNETu me plais loin de moi.EROXENEJ e m'aime o tu n'es pas.ACANTENe cesseras-tu point cette rigueur mortelle ? TYRENENe cesseras-tu point de m'tre si cruelle ?DAPHNE{C0A8C59F-6E8F-43c4-8453-65D208276F40}{242379CA-3E36-43A1-A426-D2CA656F CD05}{C0A8C59F- 6E8F-43c4-8453-65D208276F 40}Ne cesseras-tu point tes mutiles vux ?EROXENENe cesseras-tu point de m'tre si fcheux ?ACANTESi tu n'en prends piti, je succombe ma peine.TYRENESi tu ne me secours, ma mort est trop certaine.DAPHNESi tu ne veux partir, je vais quitter ce lieu.EROXENESi tu veux demeurer, je te vais dire adieu.ACANTEH bien! en m'loignant je te vais satisfaire.TYRENEMon dpart va t'ter ce qui peut te dplaire.ACANTEGnreuse Eroxne, en faveur de mes feux Daigne au moins, par piti, lui dire un mot ou deux.TYRENEObligeante Daphn, parle cette inhumaine, Et sache d'opour moi procde tant de haine.SCNE IIDAPHNE, EROXENE EROXENEAcante a du mrite, et t'aime tendrement :D'o vient que tu lui fais un si dur traitement ? DAPHNETyrnevaut beaucoup, et languit pour tes charmes : D'o vient que sans piti tu voiscouler ses larmes ?EROXENEPuisque j'ai fait ici la demande avant toi,La raison te condamne rpondre avant moi.DAPHNEPour tous les soins d'Acante on me voit inflexible,Parce qu' d'autres voeux je me trouve sensible.EROXENEJ e ne fais pour Tyrneclater que rigueur, Parce qu'un autre choix est matre de mon cur.DAPHNEPuis-je savoir de toi ce choix qu'on te voit taire ?EROXENEOui, si tu veux du tien m'apprendre le mystre. DAPHNESans te nommer celui qu'Amour m'a fait choisir, J e puis facilement contenter ton dsir, Et de la main d'Atis, ce peintre inimitable, J 'en garde dans ma poche un portrait admirable, Qui jusqu'au moindre trait lui ressemble si fort Qu'il est sr que tes yeux le connatront d'abord.EROXENEJ e puis te contenter par une mme voie, Et payer ton secret en pareille monnoie : J 'ai de la main aussi de ce peintre fameux, Un aimable portrait de l'objet de mes vux, Si plein de tous ses traits et de sa grce extrme Que tu pourras d'abord te le nommer toi-mme.DAPHNELa bote que le peintre a fait faire pour moi Est tout fait semblable celle que je vois.EROXENEIl est vrai, l'une l'autre entirement ressemble, Et certes il faut qu'Atis les ait fait faire ensemble.DAPHNEFaisons en mme temps, par un peu de couleurs, Confidence nos yeux du secret de nos curs.EROXENEVoyons qui plus vite entendra ce langage,Et qui parle le mieux, de l'un ou l'autre ouvrage.DAPHNELa mprise est plaisante, et tu te brouilles bien : Au lieu de ton portrait, tu m'as rendu le mien.EROXENEIl est vrai, je ne sais comme j'ai fait la chose.DAPHNEDonne. De cette erreur ta rverie est cause.EROXENEQue veut dire ceci ? Nous nous jouons, je crois :Tu fais de ces portraits mme chose que moi.DAPHNECertes, c'est pour en rire, et tu peux me le rendre.EROXENEVoici le vrai moyen de ne se point mprendre.DAPHNEDe mes sens prvenus est-ce une illusion ?EROXENEMon me sur mes yeux fait-elle impression ?DAPHNEMyrtil mes regards s'offre dans cet ouvrage.EROXENEDe Myrtil dans ces traits je rencontre l'image,,DAPHNEC'est le jeune Myrtil qui fait natre mes feux.EROXENEC'est au jeune Myrtil que tendent tous mes vux.DAPHNEJ e venais aujourd'hui te prier de lui direLes soins que pour son sort son mrite m'inspire.EROXENEJ e venais te chercher pour servir mon ardeur. Dans le dessein que j'ai de m'assurer son cur.DAPHNECette ardeur qu'il t'inspire est-elle si puissante ?EROXENEL'aimes-tu d'une amour qui soit si violente ?DAPHNEIl n'est point de froideur qu'il ne puisse enflammer, Et sa grce naissante a de quoi tout charmer.EROXENEIl n'est Nymphe en l'aimant qui ne se tnt heureuse, Et Diane, sans honte, en serait amoureuse.DAPHNERien que son air charmant ne me touche aujourd'hui, Et si j'avais cent curs, ils seraient tous pour lui.EROXENEIl efface mes yeux tout ce qu'on voit paratre; Et si j'avais un sceptre, il en serait le matre.DAPHNECe serait donc en vain qu' chacune, en ce jour, On nous voudrait du sein arracher cet amour : Nos mes dans leurs vux sont trop bien affermies. Ne tchons, s'il se peut, qu' demeurer amies; Et puisque, en mme temps, pour le mme sujet, Nous avons toutes deux form mme projet, Mettons dans ce dbat la franchise en usage, Ne prenons l'une et l'autre aucun lche avantage, Et courons nous ouvrir ensemble Lycarsis Des tendres sentiments o nous jette son fils.EROXENEJ 'ai peine concevoir, tant la surprise est forte, Comme un tel fils est n d'un pre de la sorte; Et sa taille, son air, sa parole et ses yeux Feraient croire qu'il est issu du sang des Dieux; Mais enfin j'y souscris, courons trouver ce pre, Allons lui de nos curs dcouvrir le mystre, Et consentons qu'aprs Myrtil entre nous deux Dcide par son choix ce combat de nos vux.DAPHNESoit. Je vois Lycarsis avec Mopse et Nicandre; Ils pourrons le quitter : cachons-nous pour attendre.SCNE IIILYCARSIS, MOPSE, NICANDRENICANDREDis-nous donc ta nouvelle.LYCARSISAh! que vous me pressez! Cela ne se dit pas comme vous le pensez.MOPSEQue de sottes faons, et que de badinage ! Mnalque pour chanter n'en fait pas davantage.LYCARSISParmi les curieux des affaires d'tat, Une nouvelle dire est d'un puissant clat. J e me veux mettre un peu sur l'homme d'importance, Et jouir quelque temps de votre impatience.NICANDREVeux-tu par tes dlais nous fatiguer tous deux ?MOPSEPrends-tu quelque plaisir te rendre fcheux ?NICANDREDe grce, parle, et mets ces mines en arrire.LYCARSISPriez-moi donc tous deux de la bonne manire, Et me dites chacun quel don vous me ferez, Pour obtenir de moi ce que vous dsirez.MOPSELa peste soit du fat ! Laissons-le l, Nicandre. Il brle de parler, bien plus que nous d'entendre; Sa nouvelle lui pse, il veut s'en dcharger; Et ne l'couter pas est le faire enrager.LYCARSISEh !NICANDRETe voil puni de tes faons de faire.LYCARSISJ e m'en vais vous le dire, coutez.MOPSEPoint d'affaire.LYCARSISQuoi ? vous ne voulez pas m'entendre ? NICANDRENonLYCARSISEh bien! J e ne dirai donc mot, et vous ne saurez rien. MOPSESoit.LYCARSISVous ne saurez pas qu'avec magnificence Le Roi vient d'honorer Tempde sa prsence; Qu'il entra dans Larisse hier sur le haut du jour; Qu' l'aise je l'y vis avec toute sa cour; Que ces bois vont jouir aujourd'hui de sa vue,Et qu'on raisonne fort touchant cette venue.NICANDRENous n'avons pas envie aussi de rien savoir.LYCARSISJ e vis cent choses l ravissantes voir.Ce ne sont que seigneurs, qui, des pieds la tte,Sont brillants et pars comme au jour d'une fte;Ils surprennent la vue; et nos prs au printemps,Avec toutes les fleurs, sont bien moins clatants.Pour le Prince, entre tous sans peine on le remarque;Et d'une stade loin il sent son grand monarque :Dans toute sa personne il a je ne sais quoi Qui d'abord fait juger que c'est un matre roi;Il le fait d'une grce nulle autre seconde,Et cela, sans mentir, lui sied le mieux du monde.On ne croirait jamais comme de toutes partsToute sa cour s'empresse chercher ses regards :Ce sont autour de lui confusions plaisantes;Et l'on dirait d'un tas de mouches reluisantesQui suivent en tous lieux un doux rayon de miel.Enfin l'on ne voit rien de si beau sous le ciel;Et la fte de Pan, parmi nous si chrie, Auprs de ce spectacle est une gueuserie. Mais puisque sur le fier vous vous tenez si bien, J e garde ma nouvelle, et ne veux dire rien.MOPSEEt nous ne te voulons aucunement entendre.LYCARSISAllez vous promener.MOPSEVa-t'en te faire pendre.SCNE IVEROXENE, DAPHNE, LYCARSISLYCARSISC'est de cette faon que l'on punit les gens, Quand ils font les bents et les impertinents.DAPHNELe Ciel tienne, pasteur, vos brebis toujours saines !EROXENECrs tienne de grains vos granges toujours pleines!LYCARSISEt le grand Pan vous donne chacune un poux Qui vous aime beaucoup, et soit dignede vous !DAPHNEAh ! Lycarsis, nos vux mme but aspirent.EROXENEC'est pour le mme objet que nos deux curs soupirent.DAPHNEEt l'Amour, cet enfant qui cause nos langueurs, A pris chez vous le trait dont il blesse nos curs.EROXENEEt nous venons ici chercher votre alliance, Et voir qui de nous deux aura la prfrence.LYCARSISNymphes...DAPHNEPour ce bien seul nous poussons des soupirs.LYCARSISJ e suis...EROXENEA ce bonheur tendent tous nos dsirs.DAPHNEC'est un peu librement expliquer sa pense. LYCARSISPourquoi ?EROXENELa biensance y semble un peu blesse.LYCARSISAh! point.DAPHNEMais quand le cur brle d'un noble feu, On peut sans nulle honte en faire un libre aveu.LYCARSISJ e...EROXENECette libert nous peut tre permise, Et du choix de nos curs la beaut l'autorise.LYCARSISC'est blesser ma pudeur que me flatter ainsi.EROXENENon, non, n'affectez point de modestie ici.DAPHNEEnfin tout notre bien est en votre puissance.EROXENEC'est de vous que dpend notre unique esprance.DAPHNETrouverons-nous en vous quelques difficults ?LYCARSISAh!EROXENENos vux, dites-moi, seront-ils rejets ?LYCARSISNon : j'ai reu du Ciel une me peu cruelle; J e tiens de feu ma femme, et je me sens comme elle Pour les dsirs d'autrui beaucoup d'humanit, Et je ne suis point homme garder de fiert.DAPHNEAccordez donc Myrtil notre amoureux zle.EROXENEEt souffrez que son choix rgle notre querelle.LYCARSISMyrtil ?DAPHNEOui, c'est Myrtil que de vous nous voulons.EROXENEDe qui pensez-vous donc qu'ici nous vous parlons ?LYCARSISJ e ne sais ; mais Myrtil n'est gure dans un ge Qui soit propre ranger au joug du mariage.DAPHNESon mrite naissant peut frapper d'autres yeux; Et l'on veut s'engager un bien si prcieux, Prvenir d'autres curs, et braver la Fortune Sous les fermes liens d'une chane commune.EROXENEComme par son esprit et ses autres brillants Il rompt l'ordre communet devance le temps, Notre flamme pour lui veut en faire de mme, Et rgler tous ses vux sur son mrite extrme.LYCARSISIl est vrai qu' son ge il surprend quelquefois;Et cet Athnien qui fut chez moi vingt mois,Qui, le trouvant joli, se mit en fantaisieDe lui remplir l'esprit de sa philosophie,Sur de certains discours l'a rendu si profondQue, tout grand que je suis, souvent il me confond.Mais, avec tout cela, ce n'est encor qu'enfance,Et son fait est ml de beaucoup d'innocence.DAPHNEIl n'est point tant enfant qu' le voir chaque jour,J e ne le croie atteint dj d'un peu d'amour;Et plus d'une aventure mes yeux s'est offerte O j'ai connu qu'il suit la jeune Mlicerte.EROXENEIls pourraient bien s'aimer; et je vois...LYCARSISFranc abus.Pour elle, passe encore : elle a deux ans de plus; Et deux ans, dans son sexe, est une grande avance. Mais pour lui, le jeu seul l'occupe tout, je pense, Et les petits dsirs de se voir ajust Ainsi que les bergers de haute qualit.DAPHNEEnfin nous dsirons par le nud d'hymne Attacher sa fortune notre destine.EROXENENous voulons, l'une et l'autre, avec pareille ardeur, Nous assurer de loin l'empire de son cur.LYCARSISJ e m'en tiens honor autant qu'on saurait croire.J e suis un pauvre ptre; et ce m'est trop de gloireQue deux Nymphes d'un rang le plus haut du paysDisputent se faire un poux de mon fils. Puisqu'il vous plat qu'ainsi la chose s'excute.J e consens que son choix rgle votre dispute;Et celle qu' l'cart laissera cet arrtPourra, pour son secours, m'pouser, s'il lui plat,C'est toujours mme sang, et presque mme chose. Mais le voici. Souffrez qu'un peu je le dispose.Il tient quelque moineau qu'il a pris frachement,Et voilses amours et son attachement.SCNE VMYRTIL, LYCARSIS, EROXENE, DAPHNEMYRTILInnocente petite bte,Qui contre ce qui vous arrte Vous dbattez tant mes yeux, De votre libert ne plaignez point la perte : Votre destin est glorieux. J e vous ai pris pour Mlicerte.Elle vous baisera, vous prenant dans sa main,Et de vous mettre en son sein Elle vous fera la grce.Est-il un sort au monde et plus doux et plus beau ? Et qui des rois, hlas ! heureux petit moineau,Ne voudrait tre en votre place ?LYCARSISMyrtil, Myrtil, un mot. Laissons l ces joyaux : Il s'agit d'autre chose ici que de moineaux. Ces deux Nymphes, Myrtil, la fois te prtendent, Et, tout jeune, dj, pour poux te demandent. J e dois, pour un hymen, t'engager leurs vux,Et c'est toi que l'on veut qui choisisse des deux.MYRTILCes Nymphes...LYCARSISOui. Des deux tu peux en choisir une : Vois quel est ton bonheur, et bnis la Fortune.MYRTILCe choix qui m'est offert peut-il m'tre un bonheur, S'il n'est aucunement souhait de mon cur ?LYCARSISEnfin qu'on la reoive, et que, sans le confondre, A l'honneur qu'elles font on songe bien rpondre.EROXENEMalgr cette fiert qui rgne parmi nous, Deux Nymphes, Myrtil, viennent s'offrir vous;Et de vos qualits les merveilles closes Font que nous renversons ici l'ordre des choses.DAPHNENous vous laissons, Myrtil, pour l'avis le meilleur, Consulter sur ce choix vos yeux et votre cur; Et nous n'en voulons point prvenir les suffrages Par un rcit par de tous nos avantages.MYRTILC'est me faire un honneur dont l'clat me surprend; Mais cet honneur, pour moi, je l'avoue, est trop grand. A vos rares bonts il faut que je m'oppose; Pour mriter ce sort je suis trop peu de chose; Et je serais fch, quels qu'en soient les appas, Qu'on vous blmt pour moi de faire un choix trop bas.EROXENEContentez nos dsirs, quoi qu'on en puisse croire, Et ne vous chargez point du soin de notre gloire.DAPHNENon, ne descendez point dans ces humilits, Et laissez-nous juger ce que vous mritez.MYRTILLe choix qui m'est offert s'oppose votre attente, Et peut seul empcher que mon cur vous contente. Le moyen de choisir de deux grandes beauts, gales en naissance et rares qualits ? Rejeter l'une ou l'autre est un crime effroyable,Et n'en choisir aucune est bien plus raisonnable.EROXENEMais en faisant refus de rpondre nos vux, Au lieu d'une, Myrtil, vous en outragez deux.DAPHNEPuisque nous consentons l'arrt qu'on peut rendre, Ces raisons ne font rien vouloir s'en dfendre. MYRTILEh bien ! si ces raisons ne vous satisfont pas,Celle-ci le fera : j'aime d'autres appas;Et je sens bien qu'un cur qu'un bel objet engageEst insensible et sourd tout autre avantage.LYCARSISComment donc ? Qu'est-ce ci ? Qui l'et pu prsumer ? Et savez-vous, morveux, ce que c'est que d'aimer ?MYRTILSans savoir ce que c'est, mon cur a su le faire.LYCARSISMais cet amour me choque, et n'est pas ncessaire.MYRTILVous ne deviez donc pas, si cela vous dplat, Me faire un cur sensible et tendre comme il est.LYCARSISMais ce cur que j'ai fait me doit obissance.MYRTILOui, lorsque d'obir il est en sa puissance.LYCARSISMais enfin, sans mon ordre il ne doit point aimer.MYRTILQue n'empchiez-vous donc que l'on pt le charmer ?LYCARSISEh bien! je vous dfends que cela continue. MYRTILLa dfense, j'ai peur, sera trop tard venue.LYCARSISQuoi ? les pres n'ont pas des droits suprieurs ?MYRTILLes Dieux, qui sont bien plus, ne forcent point les curs.LYCARSISLes Dieux... Paix, petit sot! Cette philosophieMe...DAPHNENe vous mettez point en courroux, je vous prie. LYCARSISNon : je veux qu'il se donne l'une pour poux, Ou je vais lui donner le fouet tout devant vous : Ah! ah! je vous ferai sentir que je suis pre.DAPHNETraitons, de grce, ici les choses sans colre.EROXENEPeut-on savoir de vous cet objet si charmant Dont la beaut, Myrtil, vous a fait son amant ?MYRTILMlicerte, Madame. Elle en peut faire d'autres.EROXENEVous comparez, Myrtil, ses qualits aux ntres ?DAPHNELe choix d'elle et de nous est assez ingal.MYRTILNymphes, au nom des Dieux, n'en dites point de mal : Daignez considrer, de grce, que je l'aime.Et ne me jetez point dans un dsordre extrme.Si j'outrage en l'aimant vos clestes attraits,Elle n'a point de part au crime que je fais :C'est de moi, s'il vous plat, que vient toute l'offense. Il est vrai, d'elle vous je sais la diffrence;Mais par sa destine on se trouve enchan :Et je sens bien enfin que le Ciel m'a donnPour vous tout le respect, Nymphes, imaginable,Pour elle tout l'amour dont une me est capable.J e vois, la rougeur qui vient de vous saisir,Que ce que je vous dis ne vous fait pas plaisir,Si vous parlez, mon cur apprhende d'entendreCe qui peut le blesser par l'endroit le plus tendre;Et pour me drober de semblables coups,Nymphes, j'aime bien mieux prendre cong de vous.LYCARSISMyrtil, hol ! Myrtil ! Veux-tu revenir, tratre ? Il fuit; mais on verra qui de nous est le matre. Ne vous effrayez point de tous ces vains transports : Vous l'aurez pour poux; j'en rponds corps pour corps.ACTE IISCNE I MELICERTE, CORINNEMELICERTEAh! Corinne, tu viens de l'apprendre de Stelle, Et c'est de Lycarsis qu'elle tient la nouvelle.CORINNEOui.MELICERTEQue les qualits dont Myrtil est orn Ont su toucher d'amour Eroxne et Daphn ?CORINNEOui.MELICERTEQue pour l'obtenir leur ardeur est si grande Qu'ensemble elles en ont dj fait la demande ? Et que, dans ce dbat, elles ont fait dessein De passer, ds cette heure, recevoir sa main ? Ah ! que tes mots ont peine sortir de ta bouche ! Et que c'est faiblement que mon souci te touche! CORINNEMais quoi ? que voulez-vous ? C'est l la vrit, Et vous redites tout comme je l'ai cont.MELICERTEMais comment Lycarsis reoit-il cette affaire ?CORINNEComme un honneur, je crois, qui doit beaucoup lui plaire.MELICERTEEt ne vois-tu pas bien, toi qui sais mon ardeur,Qu'avec ce mot, hlas ! tu me perces le cur ?CORINNEComment ?MELICERTEMe mettre aux yeux que le sort implacable Auprs d'elles me rend trop peu considrable, Et qu' moi, par leur rang, on les va prfrer, N'est-ce pas une ide me dsesprer ?CORINNEMais quoi ? je vous rponds, et dis ce que je pense.MELICERTEAh ! tu me fais mourir par ton indiffrence. Mais dis, quels sentiments Myrtil a-t-il fait voir ?CORINNEJ e ne sais.MELICERTEEt c'est l ce qu'il fallait savoir, Cruelle!CORINNEEn vrit, je ne sais comment faire, Et de tous les cts je trouve vous dplaire.MELICERTEC'est que tu n'entres point dans tous les mouvements D'un cur, hlas! rempli de tendres sentiments. Va-t'en : laisse-moi seule en cette solitude Passer quelques moments de mon inquitude. SCNE IIMELICERTEVous le voyez, mon cur, ce que c'est que d'aimer,Et Belise avait su trop bien m'en informer.Cette charmante mre, avant sa destine,Me disait une fois, sur le bord du Pne : Ma fille, songe toi : l'amour aux jeunes curs Se prsente toujours entour de douceurs ;D'abord il n'offre aux yeux que choses agrables;Mais il trane aprs lui des troubles effroyables;Et si tu veux passer tes jours dans quelque paix,Toujours, comme d'un mal, dfends-toi de ses traits. De ces leons, mon cur, je m'tais souvenue;Et quand Myrtil venait s'offrir ma vue,Quand il jouait avec moi, qu'il me rendait des soins,J e vous disais toujours de vous y plaire moins.Vous ne me crtes point; et votre complaisance Se vit bientt change en trop de bienveillance;Dans ce naissant amour qui flattait vos dsirs,Vous ne vous figuriez que joie et que plaisirs :Cependant vous voyez la cruelle disgrceDont, en ce triste jour, le destin vous menace, Et la peine mortelle o vous voil rduit !Ah, mon cur! ah, mon cur! je vous l'avais bien dit.Mais tenons, s'il se peut, notre douleur couverte :Voici...SCNE III MYRTIL, MELICERTEMYRTILJ 'ai fait tantt, charmante Mlicerte, Un petit prisonnier que je garde pour vous, Et dont peut-tre un jour je deviendrai jaloux : C'est un jeune moineau, qu'avec un soin extrme J e veux, pour vous l'offrir, apprivoiser moi-mme. Le prsent n'est pas grand; mais les divinits Ne jettent leurs regards que sur les volonts :C'est le cur qui fait tout; et jamais la richesse Des prsents que... Mais, Ciel! d'o vient cette tristesse ? Qu'avez-vous, Mlicerte, et quel sombre chagrin Serait dans vos beaux yeux rpandu ce matin! Vous ne rpondez point ? et ce morne silence Redouble encor ma peine et mon impatience. Parlez : de quel ennui ressentez-vous les coups ? Qu'est-ce donc ?MELICERTECe n'est rien.MYRTILCe n'est rien, dites-vous ?Et je vois cependant vos yeux couverts de larmes : Cela s'accorde-t-il, beaut pleine de charmes? Ah! ne me faites point un secret dont je meurs, Et m'expliquez, hlas ! ce que disent ces pleurs.MELICERTERien ne me servirait de vous le faire entendre.MYRTILDevez-vous rien avoir que je ne doive apprendre ? Et ne blessez-vous pas notre amour aujourd'hui, De vouloir me voler ma part de votre ennui ? Ah ! ne le cachez point l'ardeur qui m'inspire.MELICERTEH bien, Myrtil, h bien ! il faut donc vous le dire :J 'ai su que, par un choix plein de gloire pour vous,Eroxne et Daphn vous veulent pour poux; Et je vous avouerai que j'ai cette faiblesseDe n'avoir pu, Myrtil, le savoir sans tristesse,Sans accuser du sort la rigoureuse loi,Qui les rend dans leurs vux prfrables moi.MYRTILEt vous pouvez l'avoir, cette injuste tristesse! Vous pouvez souponner mon amour de faiblesse. Et croire qu'engag par des charmes si doux, J e puisse tre jamais quelque autre qu' vous ? Que je puisse accepter une autre main offerte ? H! que vous ai-je fait, cruelle Mlicerte, Pour traiter ma tendresse avec tant de rigueur, Et faire un jugement si mauvais de mon cur ? Quoi ? faut-il que de lui vous ayez quelque crainte ? J e suis bien malheureux de souffrir cette atteinte; Et que me sert d'aimer comme je fais, hlas ! Si vous tes si prte ne le croire pas ?MELICERTEJ e pourrais moins, Myrtil, redouter ces rivales, Si les choses taient de part et d'autres gales, Et dans un rang pareil j'oserais esprer Que peut-tre l'amour me ferait prfrer; Mais l'ingalit de bien et de naissance, Qui peut d'elles moi faire la diffrence...MYRTILAh ! leur rang de mon cur ne viendra point bout, Et vos divins appas vous tiennent lieu de tout. J e vous aime, il suffit; et dans votre personne J e vois rang, biens, trsors, tats, sceptres, couronne : Et des rois les plus grands m'offrt-on le pouvoir, J e n'y changerais pas le bien de vous avoir. C'est une vrit toute sincre et pure, Et pouvoir en douter est me faire une injure. MELICERTEH bien! je crois, Myrtil, puisque vous le voulez, Que vos vux par leur rang ne sont point branls; Et que, bien qu'elles soient nobles, riches et belles, Votre cur m'aime assez pour me mieux aimer qu'elles. Mais ce n'est pas l'amour dont vous suivez la voix;Votre pre, Myrtil, rglera votre choix; Et de mme qu' vous je ne lui suis pas chre, Pour prfrer tout une simple bergre.MYRTILNon, chre Mlicerte, il n'est pre ni Dieux Qui me puissent forcer quitter vos beaux yeux; Et toujours de mes vux reine comme vous tes...MELICERTEAh ! Myrtil, prenez garde ce qu'ici vous faites : N'allez point prsenter un espoir mon cur, Qu'il recevrait peut-tre avec trop de douceur, Et qui, tombant aprs comme un clair qui passe, Me rendrait plus cruel le coup de ma disgrce.MYRTILQuoi ? faut-il des serments appeler le secours, Lorsque l'on vous promet de vous aimer toujours ? Que vous vous faites tort par de telles alarmes, Et connaissez bien peule pouvoir de vos charmes ! H bien! puisqu'il le faut, je jure par les Dieux, Et si ce n'est assez, je jure par vos yeux, Qu'on me tuera plutt que je vous abandonne. Recevez-en ici la foi que je vous donne, Et souffrez que ma bouche avec ravissement Sur cette belle main en signe le serment.MELICERTEAh! Myrtil, levez-vous, de peur qu'on ne vous voie.MYRTILEst-il rien... ? Mais, Ciel! on vient troubler ma joie.SCNE IV LYCARSIS, MYRTIL, MELICERTELYCARSISNe vous contraignez pas pour moi.MELICERTEQuel sort fcheux!LYCARSISCela ne va pas mal : continuez tous deux. Peste ! mon petit fils, que vous avez l'air tendre, Et qu'en matre dj vous savez vous y prendre! Vous a-t-il, ce savant qu'Athnes exila, Dans sa philosophie appris ces choses-l ? Et vous, qui lui donnez de si douce manire Votre main baiser, la gentille bergre, L'honneur vous apprend-il ces mignardes douceurs, Par qui vous dbauchez ainsi les jeunes curs ?MYRTILAh ! quittez de ces mots l'outrageante bassesse, Et ne m'accablez point d'un discours qui la blesse.LYCARSISJ e veux lui parler, moi. Toutes ces amitis...MYRTILJ e ne souffrirai point que vous la maltraitiez.A du respect pour vous la naissance m'engage;Mais je saurai sur moi vous punir de l'outrage.Oui, j'atteste le Ciel que si, contre mes vux, Vous lui dites encor le moindre mot fcheux,J e vais avec ce fer, qui m'en fera justice,Au milieu de mon sein vous chercher un supplice,Et par mon sang vers lui marquer promptementL'clatant dsaveu de votre emportement. MELICERTENon, non, ne croyez pas qu'avec art je l'enflamme,Et que mon dessein soit de sduire son me.S'il s'attache me voir, et me veut quelque bien,C'est de son mouvement : je ne l'y force en rien.Ce n'est pas que mon cur veuille ici se dfendreDe rpondre ses vux d'une ardeur assez tendre :J e l'aime, je l'avoue, autant qu'on puisse aimer;Mais cet amour n'a rien qui vous doive alarmer;Et pour vous arracher toute injuste crance,J e vous promets ici d'viter sa prsence,De faire place au choix o vous vous rsoudrez,Et ne souffrir ses vux que quand vous le voudrez.SCNE V LYCARSIS, MYRTILMYRTILEh bien ! vous triomphez avec cette retraite. Et dans ces mots votre me a ce qu'elle souhaite; Mais apprenez qu'en vain vous vous rjouissez, Que vous serez tromp dans ce que vous pensez, Et qu'avec tous vos soins, toute votre puissance, Vous ne gagnerez rien sur ma persvrance.LYCARSISComment ? quel orgueil, fripon, vous vois-je aller ? Est-ce de la faon que l'on me doit parler ?MYRTILOui, j'ai tort, il est vrai, mon transport n'est pas sage : Pour rentrer au devoir, je change de langage, Et je vous prie ici, mon pre, au nom des Dieux, Et par tout ce qui peut vous tre prcieux, De ne vous point servir, dans cette conjoncture, Des fiers droits que sur moi vous donne la nature :Ne m'empoisonnez point vos bienfaits les plus doux. Le jour est un prsent que j'ai reu de vous; Mais de quoi vous serai-je aujourd'hui redevable, Si vous me l'allez rendre, hlas ! insupportable ? Il est, sans Mlicerte, un supplice mes yeux : Sans ses divins appas rien ne m'est prcieux; Ils font tout mon bonheur et toute mon envie ; Et si vous me l'tez, vous m'arrachez la vie.LYCARSISAux douleurs de son me il me fait prendre part. Qui l'aurait jamais cru de ce petit pendard ? Quel amour ! quels transports ! quels discours pour son ge ! J 'en suis confus, et sens que cet amour m'engage.MYRTILVoyez, me voulez-vous ordonner de mourir ? Vous n'avez qu' parler, je suis prt d'obir. LYCARSISJ e ne puis plus tenir : il m'arrache des larmes, Et ces tendres propos me font rendre les armes.MYRTILQue si dans votre cur un reste d'amiti Vous peut de mon destin donner quelque piti, Accordez Mlicerte mon ardente envie. Et vous ferez bien plus que me donner la vie.LYCARSISLve-toi.MYRTILSerez-vous sensible mes soupirs ?LYCARSISOui.MYRTILJ 'obtiendrai de vous l'objet de mes dsirs ?LYCARSISOui.MYRTILVous ferez pour moi que son oncle l'obligeA me donner sa main ?LYCARSISOui. Lve-toi, te dis-je.MYRTILO pre, le meilleur qui jamais ait t, Que je baise vos mains aprs tant de bont !LYCARSISAh! que pour ses enfants un pre a de faiblesse! Peut-on rien refuser leurs mots de tendresse ? Et ne se sent-on pas certains mouvements doux, Quand on vient songer que cela sort de vous ?MYRTILMe tiendrez-vous au moins la parole avance ? Ne changerez-vous point, dites-moi, de pense ?LYCARSISNon.MYRTILMe permettez-vous de vous dsobir, Si de ces sentiments on vous fait revenir ? Prononcez le mot.LYCARSISOui. Ha, nature, nature!J e m'en vais trouver Mopse, et lui faire ouverture De l'amour que sa nice et toi vous vous portez.MYRTILAh ! que ne dois-je point vos rares bonts ? Quelle heureuse nouvelle dire Mlicerte ! J e n'accepterais pas une couronne offerte, Pour le plaisir que j'ai de courir lui porter Ce merveilleux succs qui la doit contenter.SCNE VIACANTE, TYRENE, MYRTILACANTEAh ! Myrtil, vous avez du Ciel reu des charmes Qui nous ont prpar des matires de larmes,Et leur naissant clat, fatal nos ardeurs, De ce que nous aimons nous enlve les curs.TYRENEPeut-on savoir, Myrtil, vers qui de ces deux belles Vous tournerez ce choix dont courent les nouvelles, Et sur qui doit de nous tomber ce coup affreux Dont se voit foudroy tout l'espoir de nos vux ?ACANTENe faites point languir deux amants davantage, Et nous dites quel sort votre cur nous partage.TYRENEIl vaut mieux, quand on craint ces malheurs clatants, En mourir tout d'un coup, que traner si longtemps.MYRTILRendez, nobles bergers, le calme votre flamme : La belle Mlicerte a captiv mon me : Auprs de cet objet mon sort est assez douxPour ne pas consentir rien prendre sur vous; Et si vos vux enfin n'ont que les miens craindre, Vous n'aurez, l'un ni l'autre, aucun lieu de vous plaindre.ACANTEAh! Myrtil, se peut-il que deux tristes amants... ?TYRENEEst-il vrai que le Ciel, sensible nos tourments... ?MYRTILOui, content de mes fers comme d'une victoire, J e me suis excus de ce choix plein de gloire; J 'ai de mon pre encor chang les volonts, Et l'ai fait consentir mes flicits.ACANTEAh ! que cette aventure est un charmant miracle, Et qu' notre poursuite elle te un grand obstacle!TYRENEElle peut renvoyer ces Nymphes nos vux, Et nous donner moyen d'tre contents tous deux.SCNE VIINICANDRE, MYRTIL, ACANTE, TYRENENICANDRESavez-vous en quel lieu Mlicerteest cache ?MYRTILComment ?NICANDREEn diligence elle est partout cherche.MYRTILEt pourquoi ?NICANDRENous allons perdre cette beaut. C'est pour elle qu'ici le Roi s'est transport : Avec un grand seigneur on dit qu'il la marie. MYRTILO Ciel ! Expliquez-moi ce discours, je vous prie.NICANDRECe sont des incidents grands et mystrieux. Oui, le Roi vient chercher Mlicerte en ces lieux;Et l'on dit qu'autrefois feu Belise, sa mre,Dont tout Temp croyait que Mopse tait le frre... Mais je me suis charg de la chercher partout :Vous saurez tout cela tantt, de bout en bout.MYRTILAh, Dieux! quelle rigueur! H! Nicandre, Nicandre!ACANTESuivons aussi ses pas, afin de tout apprendre.(Pice inacheve)