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"Mon Maitre Pierre Huard " * par J.L PLESSIS ** En me confiant le soin d'évoquer l'image que ses élèves ont pu garder de M. Huard, le Bureau de notre Société m'a fait là un honneur redoutable et bien peu mérité. « Redoutable » parce qu'il est toujours à craindre en de telles circons- tances de faire référence à trop de souvenirs ou d'anecdotes personnelles. « Bien peu mérité » parce que si j'ai beaucoup appris du Pr Huard, je n'ai eu l'honneur de me présenter à lui qu'en 1967, au retour d'un séjour outre-Mer, alors que lui-même était affecté depuis peu à Paris. Cependant je l'avais, comme mes camarades, rencontré bien avant, en 1949, au détour d'un traité d'anatomie où ses travaux, notamment sur l'artère fessière ou les lymphatiques du rectum, étaient largement cités : et cités par Testut, ce qui n'était pas une mince marque de considération. Un peu plus tard, au laboratoire d'anatomie de Bordeaux, le Pr Fernand Villemin, alors à la fin de sa vie, évoquait devant ses jeunes collaborateurs les recherches faites en commun avec M. Huard (ainsi que son ami M. Mon- tagne) et vantait son esprit scientifique et son ardeur au travail. Que de fois ensuite, dans la préparation de concours, n'avons-nous pas, les uns et les autres, eu recours à l'extraordinaire documentation que repré- sente l'ensemble de ses travaux. Mais, servant actuellement en Afrique, je voudrais d'abord, tentant d'évo- quer le Maître disparu, m'efforcer de faire apparaître le rayonnement qu'il a eu dans les pays d'outre-Mer. Je demanderai l'autorisation de citer un article de presse qui retrace les grandes lignes de sa vie. « Le Pr Huard était d'une vieille famille lorraine très patriote et le désir de servir son pays lui fit choisir la médecine et l'armée. Elève de l'Ecole de santé navale de Bordeaux, c'est durant ses propres études qu'il commença à enseigner et fut le dernier prosecteur du célèbre Robert-Picqué dont l'Hôpital militaire de Bordeaux porte le nom. Sa thèse consacrée au sinus costo-diaphragmatique, sou- tenue en 1924, demeure un ouvrage de référence pour la chirurgie de cette région. * Séance du 10 décembre 1983 de la Société française d'histoire de la médecine. ** Faculté de médecine, B.P. 3352, Lomé (Togo). 383

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"Mon Maitre Pierre Huard " *

par J.L PLESSIS **

En me confiant le soin d 'évoquer l ' image que ses élèves ont pu garder de M. Huard , le Bureau de no t re Société m'a fait là un honneur redoutable et bien peu mér i té .

« Redoutable » parce qu'i l est toujours à c ra indre en de telles circons­tances de faire référence à t rop de souvenirs ou d 'anecdotes personnel les .

« Bien peu mér i té » parce que si j ' a i beaucoup appr i s du Pr Huard , je n 'ai eu l 'honneur de me p résen te r à lui qu 'en 1967, au r e tour d 'un séjour outre-Mer, alors que lui-même était affecté depuis peu à Paris . Cependant je l 'avais, comme mes camarades , rencont ré bien avant, en 1949, au dé tour d 'un t ra i té d 'anatomie où ses t ravaux, n o t a m m e n t sur l 'a r tère fessière ou les lymphat iques du rec tum, étaient la rgement cités : et cités par Testut , ce qui n 'étai t pas une mince m a r q u e de considérat ion.

Un peu plus ta rd , au labora toi re d 'anatomie de Bordeaux, le Pr Fe rnand Villemin, a lors à la fin de sa vie, évoquait devant ses j eunes col labora teurs les recherches faites en c o m m u n avec M. Hua rd (ainsi que son ami M. Mon­tagne) et vantai t son espri t scientifique et son a rdeur au travail .

Que de fois ensuite, dans la p répara t ion de concours , n 'avons-nous pas , les uns et les au t res , eu recours à l 'extraordinaire documenta t ion que repré­sente l 'ensemble de ses t ravaux.

Mais, servant ac tuel lement en Afrique, je voudrais d 'abord, t en tan t d'évo­quer le Maître d isparu , m'efforcer de faire appara î t r e le rayonnement qu'il a eu dans les pays d'outre-Mer.

Je demandera i l 'autor isat ion de citer un art icle de presse qui re t race les grandes lignes de sa vie.

« Le Pr Huard était d'une vieille famille lorraine très patriote et le désir de servir son pays lui fit choisir la médecine et l'armée. Elève de l'Ecole de santé navale de Bordeaux, c'est durant ses propres études qu'il commença à enseigner et fut le dernier prosecteur du célèbre Robert-Picqué dont l'Hôpital militaire de Bordeaux porte le nom. Sa thèse consacrée au sinus costo-diaphragmatique, sou­tenue en 1924, demeure un ouvrage de référence pour la chirurgie de cette région.

* Séance du 10 décembre 1983 de la Société française d'histoire de la médecine. ** Faculté de médecine, B.P. 3352, Lomé (Togo).

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Sa carrière l'amènera d'abord en Syrie où, jeune médecin-lieutenant, il crée de toutes pièces un hôpital de campagne et sauve ainsi la vie de nombreux blessés en opérant dans des conditions difficiles.

Puis il est affecté en Indochine et, d'emblée, il est conquis par ce pays auquel il demeurera toute sa vie attaché. Comprenant les besoins locaux et la nécessité d'ouvrir des perspectives d'avenir aux élites vietnamiennes, il prendra une parc déterminante dans la fondation de l'Ecole de médecine de Hanoï.

Durant les deux années de guerre et d'occupation japonaise, son labeur ne s'interrompt jamais ; en 1940 paraît son Etudes des amputations et désarticulations des membres, qui fait toujours autorité en la matière, et dans laquelle il est l'un des tout premiers à montrer l'intérêt de l'anesthésie loco-régionale, même dans des interventions majeures.

Il crée une véritable école de chirurgie vietnamienne au sein de laquelle il dispense un enseignement théorique, mais aussi très pratique ; chaque étudiant en sort sachant mener à bien les interventions chirurgicales les plus courantes. Ses élèves sont innombrables et aux heures les plus sombres de la guerre d'Indo chine lui resteront fidèles ; ainsi Ton-That-Tong avec lequel il a été le promoteur de la délicate chirurgie hépatique et qui, devenu chirurgien en chef de l'armée vietnamienne, ne fera jamais paraître un livre sans en adresser un exemplaire dédicacé à son Maître Huard.

Les événements que l'on sait vont l'éloigner du Vietnam mais, auparavant, il accomplit un dernier exploit en négociant avec habileté et dignité la libération des soldats de l'armée française prisonniers et blessés à Dien-Bien-Phu ; seul le prestige qu'il avait su acquérir par sa science et son dévouement lui ont permis d'obtenir un tel résultat. »

Nous ne ci terons pas ce qui concerne le passé plus récent , mais ce qui nous semble r emarquab le c'est que cet art icle, qui suit si fidèlement les grandes é tapes de la vie de no t re Maître, est signé d 'une personnal i té afri­caine : son ancien Vice-Recteur à Abidjan, actuel lement no t re Recteur à Lomé, le Pr Ampah Johnson qui, dans l 'hommage qu'il a p rononcé lors des obsèques , a dit tout ce qu'il devait au Recteur H u a r d dans sa format ion universi ta i re et sa p répara t ion aux hautes fonctions qu'il occupe.

Pour ceux qui ont- eu le privilège de l 'approcher , quelles sont donc les qual i tés qui peuvent expliquer u n tel respect et de si touchantes manifesta­t ions de gra t i tude ?

Tout d 'abord, bien sûr, la t rès g rande valeur scientifique, résul ta t non seulement d 'une r emarquab le intelligence, mais aussi d 'une insatiable curiosi té d 'espri t et d'un travail constant .

Des voix plus autor isées que la mienne se feront en tendre quan t à son œuvre h is tor ique et à sa connaissance des pays d'Asie. Pour nous, anato-mis tes , il sera tou jours un modèle et il l'a été dès le début de sa carr ière . En effet, ayant été à la fois l'élève de Robert-Picqué et de Fernand Villemin, il avait su p rend re du p remier les quali tés pédagogiques d'élégance du geste et de finesse de ré locut ion.

Le second, M. Villemin, était peu conformiste et avait l ' apparence exté-

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r ieure « plutôt d 'un vieil é tudiant un peu bohème que d'un professeur agrégé », ainsi que l'a écrit M. H u a r d lui-même.

Ce personnage original, « pa t r i a rche chevelu et b a r b u à la voix caver­neuse », comme a pu le dire André Gouaze, devenait dans son labora to i re le plus r igoureux des chercheurs , é tabl issant des protocoles minut ieux, dissé­quant lui-même, relevant soigneusement des mensura t ions .

Il a passé une grande par t ie de sa vie à établ ir des corrélat ions en t re le contenant et le contenu des cavités sp lanchniques . De cette grande idée découle une œuvre immense poursuivie pa r l'école bordelaise avec notam­men t les Prs Rober t Dufour, Albert Rigaud, Henr i Cabanie, André Gouaze, Michel Caix et bien d'autres. . . et aussi à Hanoï p a r le Pr Pierre Huard , en par t icul ier en ce qui concerne la topographie et la s t ruc tu re du foie des Vietnamiens considérés sous l'angle des hépatec tomies et des angiographies .

Nous nous garderons bien de vouloir rappeler ici les résul ta ts ob tenus p a r ses t ravaux de recherche ana tomiques ; la seule énuméra t ion de leurs t i t res p rendra i t tout no t re t emps .

Cependant , je voudrais à ce p ropos citer un t ra i t dominan t du carac tè re de M. H u a r d qui est la fidélité ; fidélité à ses maî t res , à ses amis , à ses élèves, et j ' en donnera i quelques exemples :

— fidélité à ses maî t res : en 1975 et 1977, il a tenu à r endre hommage dans deux art icles du Bordeaux Médical, à MM. Robert-Picqué et Villemin, m a r q u a n t ainsi son a t t achement au vieux laboratoi re de la place de la Victoire et tenant à po r t e r témoignage avant la fin de sa vie ;

— fidélité à ses amis : il prenai t peu de vacances, mais bien souvent nous l 'avons vu les décaler ou m ê m e y renoncer pour aider un vieux camarade souffrant ou un collègue affligé.

Donc, en résumé, fidélité à ses origines et, sans ê t re le « miles gloriosus » qui na r r e ses campagnes , il a imait à par ler du t emps passé sous l 'uniforme et demeura i t t rès a t t aché aux t radi t ions mil i taires et aux valeurs morales qu'elles symbolisent .

Enfin également, fidélité à ses élèves et ses col laborateurs ; nous savions tous pouvoir lui confier nos préoccupat ions aussi bien personnel les que p ro fessionnelles, et t rouver auprès de lui le geste bienveillant et le m o t jus te qui réconforte . Ceci était valable pour le plus modes te de ses collabora­teurs et, nous l 'avons bien souvent vu, cer ta ins diraient « pe rd re son t emps » à conseiller techniciens de laboratoi re ou secréta i res et p r en d re lui-même rendez-vous avec le service compétent . Cette disponibil i té était l 'expression d 'une réelle bon té naturel le , mais elle n 'étai t possible que p a r son a r d e u r au travail ; s'il fallait le lendemain commencer une heure plus tôt ou ter­miner une heure plus tard, ce n 'étai t v ra iment pas un p rob lème p o u r M. H u a r d ! Infatigable, j u squ ' à la fin de sa vie il étai t tou jours de t rès bonne heure dans son pet i t bu reau de Cochin et gagnait beaucoup de t emps au cours de ses déplacements , non seulement en analysant et méd i t an t s'il

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était seul, mais aussi en échangeant des idées avec un compagnon. Il n'est pas possible d 'oublier ces véri tables t raversées de Paris à un pas plus digne des chasseurs à pied que des t roupes de mar ine .

La conversat ion ne s ' in ter rompai t j amais ; à chaque minu te l'idée étai t lancée, la référence bibl iographique était donnée.

Il arr ivai t que le soir, sur le simple t rajet de la rue du Faubourg-Saint-Jacques à la gare d'Austerlitz, le plan de travail soit fixé et, b ien en tendu, il étai t en t repr i s dès le lendemain mat in .

Il aura i t pu faire sienne la formule de Broca pour lequel il avait d 'ail leurs une grande admira t ion : « Le surmenage c'est la vie. » Il compta i t beaucoup sur ces randonnées à pied pour s 'aérer et se main ten i r en bonne forme phy­sique et, ma foi, y réussissai t fort bien.

Cependant , il ne prenai t pas un soin ex t rême de sa santé et il nous sou­vient, du ran t le dernier hiver de sa vie, un jour de froid par t icu l iè rement r igoureux, d'avoir reçu un appel té léphonique prévenant qu'il devait décaler un rendez-vous car il fallait abso lument qu'il soit à Varsovie le lendemain ; les conseils de p rudence de son entourage ne furent pas écoutés. Il est cer­tain qu'il faisait dans ce domaine, comme dans d 'aut res , preuve d 'une g rande confiance en soi. Peut-être est-ce pour cela que d 'aucuns l 'ont taxé d 'un certain orgueil. Je ne crois pas que M. H u a r d ait été orgueilleux, mais il étai t fier ; il ressentai t une légitime fierté du chemin pa rcouru et du travail accompli .

D'ailleurs, il étai t souvent beaucoup plus fier de ses élèves que de lui-m ê m e et de voir ainsi son œuvre se cont inuer .

Il y met ta i t a lors beaucoup d ' humour : visi tant un laboratoi re où l'on travaillait convenablement et en témoignant une réelle satisfaction, lorsqu' i l s 'entendait dire que c 'étaient ses idées qui é taient appl iquées et ses direc­tives suivies, il clignait mal ic ieusement de l'œil en disant : « D'accord nous avons bien travaillé, mais vous continuez donc comme cela. », et le p ropos s 'accompagnai t d 'une tape amicale sur l 'épaule. Car M. Huard , qui dans les c i rconstances officielles était toujours t rès digne sans ê t re j amais figé ni compassé , pr isai t peu la morgue mandar ina le .

Il savait ê t re dé tendu et dé tendre les au t res pa r ses t ra i t s d 'espri t et sa conversat ion toujours a t t r ayan te et imagée. Faisant preuve d 'érudit ion, il n 'en faisait pas étalage et ne souhai tai t j amais imposer , mais bien p lu tô t convaincre, voire séduire .

Il savait ê t re ex t r êmement a t ten t ionné .

Quelle que soit la sollicitude qu 'a pu me témoigner ce ma î t r e affectionné, il ne me para î t ra i t pas convenable de par le r de faits personnels .

Mais je ci terai une pet i te anecdote : au cours d 'un récent congrès, le Pa t ron avait pr ié à déjeuner dans un é tabl issement célèbre p roche de l 'Ecole de médecine, un his tor ien é t ranger de grand renom qu'il es t imai t et appré-

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ciait. Lui qui faisait habi tue l lement peu de cas des quest ions d ' in tendance ne voulut confier à personne le soin de la réservat ion et s'en chargea Im­m ê m e : « C'est, dit-il, que je veux que nous ayons la table qui était celle de Humbold t , je sais que cela lui fera plaisir . »

Mesdames, Messieurs, j ' e n ai t e rminé après avoir essayé de m o n t r e r quel était mon ma î t r e Huard . J 'aurais pu, bien sûr, par ler beaucoup plus longue­men t de ce personnage hors du commun , « hors-s t ruc tures », dirait-on aujourd 'hui .

Peut-être aussi aurais-je pu en par ler d 'une maniè re plus affective, mais la fidélité de m o n a t t achement et le respect que j ' a i de sa mémoi re me faisaient un devoir d 'une cer ta ine réserve.

J 'achèverai mon propos en ci tant la conclusion de l 'article du journa l togolais : « Nous avons pe rdu avec lui non seulement un exemple et un Maître, mais sur tou t un Ami généreux et fidèle. »

*

**

M m e Imbault -Huart

Je remercie le Pr Plessis d'avoir évoqué l 'œuvre du bât isseur que fut celle du rec teur Pierre Huard . Ses nombreux et br i l lants élèves vie tnamiens et le rayonnement qui fut le sien en Afrique por ten t témoignage de l ' importance de son action et ses liens qu'il sut susci ter en t re l 'Occident et le Tiers Monde, dans un cl imat de compréhens ion et d 'est ime réc iproques . Il n'y avait chez lui aucune t race de racisme, chacun était tou jours jugé à l 'aune de ses capaci tés et de ses réal isat ions.

Je voudrais ma in tenan t demande r à M. le Médecin-Général de la Marine Adrien Carré, m e m b r e de l 'Académie de Marine, d 'évoquer le souvenir du rec teur Huard , Médecin-Général des Troupes de Marine, au nom des anciens élèves de l 'Ecole de santé navale de Bordeaux où il fut élève après l 'Ecole annexe de médecine navale de Bres t où il commença ses é tudes médicales . J 'a joute que le Médecin-Général Carré se fait également l ' in terprète de l 'hom­mage de no t re Président honora i re , le doyen Jean-Pierre Kernéis , ancien Prés ident de l 'Université de Nantes , lui-même ancien élève de l 'Ecole annexe de Brest , in t imement lié depuis p rès de t r en te ans à Pier re Huard , et qui regre t te infiniment de ne pouvoir ê t re au jourd 'hu i pa rmi nous .

E T U D E S D E P I E R R E H U A R D

M. le Médecin-Général Carré

Si j ' a i choisi de vous par le r de la jeunesse et des p remières é tudes médi­cales de Pierre Huard , c'est parce que la format ion initiale qu'il reçut dans les Ecoles de médecine navale m a r q u e r a toute sa vie et tou te son œuvre

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Né le 16 oc tobre 1901, à Bastia, où son père Alphonse H u a r d était Direc­teur des Douanes, il fit ses é tudes secondaires aux lycées de Montpell ier, puis de Nantes où son père avait été mu té . C'est à Nantes qu'i l commença son « P.C.N. », cet te p remiè re année de sciences « Physiques, Chimiques et Naturel les » qui étai t a lors l ' an t ichambre des é tudes médicales à la Facul té des sciences. En fait, déjà, il aura i t voulu ê t re historien, mais cet te car r iè re ne plaisait pas à son père , qui était un h o m m e de carac tère assez entier, un Lorrain énergique imposant ses volontés : le mo t « H u a r d » veut dire « h o m m e robus te » en vieux germain ! Alors il fait cet te p remière année scientifique, qui se passai t dans ce temps-là dans des condit ions assez fol­klor iques à Nantes . Puis il par t i t à Bres t pour suivre les cours de l 'Ecole annexe de médecine navale, hér i t ière d 'un passé prest igieux depuis 1690, pour p r épa re r le concours de Bordeaux. Cet aiguillage non volontaire, ce t te vocation imposée peuvent faire médi te r le b iographe sur la voie singulière du destin, et évoquer d 'aut res exemples i l lustres co mme celui d'Albert Calmet te qui , d 'abord, ne fut médecin que pour ê t re mar in , alors que les suites d 'une typhoïde grave lui avaient fait dépasser la l imite d'âge pour le concours de l 'Ecole navale.

L'Ecole annexe de Brest , co mme ses sœurs de Rochefort et de Toulon, é taient les hér i t ières des Ecoles de chirurgie navale qui depuis le XVI IL siècle jouissaient d 'une t rès g rande réputa t ion . Leur prest ige étai t justifié p a r la valeur de l 'enseignement clinique dispensé au lit du malade, et des cours théor iques d ' instruct ion, faits pa r des médecins de la Marine, pro­fesseurs et agrégés reconnus comme enseignants p a r l 'Université. Depuis 1890, ces Ecoles, qui ne furent « suspendues » qu 'en 1963, p répara ien t les é tud ian t s à la l r e année de Médecine, et au concours de l 'Ecole pr incipale de Bordeaux, di te « Santé Navale ». A Brest , plus encore peut-être que dans les au t re s Ecoles, la vie des élèves baignai t dans une a tmosphè re mar i t ime et coloniale par t icu l iè rement forte et évocatrice, avec ses t radi t ions , ses cou tumes et m ê m e ses chansons . Ce fut, pour ce Lorra in d'origine, une r emarquab le p répara t ion psychologique.

Reçu major à « Santé Navale » où il en t re le 27 novembre 1920, il en sor­t ira en 1925 ayant acquis à la Facul té le t i t re de p rosec teur d 'anatomie . L 'ambiance de « Santé Navale » prolongeai t celle de Brest , et elle restai t l 'hér i t ière des vieilles t radi t ions des Ecoles des por t s , au t emps où un corps un ique de médecins et de pharmac iens de la Marine assura i t seul le service des Colonies. Le souvenir de ces grands anciens, d 'un dévouement sans l imites, restai t d 'au tant plus vivant que cer ta ins d 'ent re eux s 'étaient illus­t rés p a r leur science, en par t icul ier comme ethnologues et na tura l i s tes , tandis que d 'au t res avaient fondé outre-Mer de nombreuses écoles de méde­cine. Et Bordeaux, en 1920, étai t encore une por te de l'Afrique. La sépara t ion de 1901, qui avait ins tauré u n Corps de santé colonial dis t inct du Corps de santé naval, avait laissé à l 'Ecole de Bordeaux le soin de former jusqu ' à la thèse les médecins coloniaux. L'esprit de communau té , sous le signe de l 'ancre, est res té si fort que, si les Directeurs ont toujours é té « mar in s », le chant de l'école est la Coloniale dont les s t rophes et les refrains associent é t ro i tement m e r et outre-Mer :

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« Quel que soit le cadre, l'Afrique ou l'Escadre, Dans un régiment, ou à bord d'un bâtiment,

Devant ceux-là qui prennent la Coloniale, Fœtus* inclinez-vous !

Ils s'en iront dans les sphères tropicales Porter la Science au pays des bambous ! »

Ne trouve-t-on pas , dans les paroles de ce chant de carabins , une sor te de r é sumé symbol ique de la car r iè re mil i taire , savante et univers i ta i re de Pierre H u a r d ? Il fallait un cer ta in courage, à cet te époque, pour choisir la Coloniale, dont les médecins payaient un t r ibu t t rès lourd aux condi t ions encore pr imit ives dans lesquelles ils exerçaient, et la mor ta l i t é des m e m b r e s du Corps de santé était considérable . Or, Pierre Hua rd , br i l lant élève d'Arnazan et de Pierre Mauriac, et classé dans les p remie r s de sa promo­tion, aura i t pu sans doute choisir la Marine...

Un au t r e fait qui m o n t r e son courage et son obs t ina t ion fut le choix qu' i l fit d 'une car r iè re de chirurgien : la p remière fois qu'i l en t ra c o m m e é tudiant dans une salle d 'opérat ion, il fut saisi d 'un choc émotif et c ru t d 'abord ne pouvoir t en i r le coup. Alors, pour ne pas céder « à la caresse », comme disait Liautey, il décida au cont ra i re de devenir chirurgien.

Qu'on nous pe rmet t e , en conclusion, de ci ter la devise de l 'Ecole de Bordeaux : Mari transvemari semper hominibus praedesse. C'est-à-dire : « A la m e r ou outre-Mer, toujours ê t re au service des h o m m e s . »

L'Ecole de santé navale a le droi t d 'ê tre fière de Pierre Huard , qui a été le symbole m ê m e de cet te devise.

* Dans le langage pittoresque de l'Ecole, les élèves de l r e année sont appelés « les fœtus ».

M m e Imbault -Huart

Je remerc ie vivement M. le Médecin-Général Carré p o u r cet te évocation de l 'Ecole de médecine navale et coloniale de Bordeaux, qui fut une é tape dé te rminan te dans la vie de Pierre Hua rd . Out re la qual i té professionnelle de ceux qui en sont sort is , l 'Ecole de Bordeaux favorisait chez ses élèves un non-conformisme, une curiosi té scientifique, un goût de l 'aventure, que Pierre H u a r d fit siens. Tout na ture l lement , cela le conduisi t à commencer à s ' intéresser aux au t re s civilisations et à décider de les mieux connaî t re .

Je vais ma in tenan t donner la parole à M. le Médecin-Général Pierre Niaussat , qui va nous t racer les grandes lignes de la car r iè re de « Pierre Huard , Médecin-Général des Troupes de Mar ine ».

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