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SAMEDI 26 MARS 2016 72 E  ANNÉE - N O 22144 4,20 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO  Algérie200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 4,20 €, Cameroun 2 000 F CFA,  Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA,  Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Mart inique2,60 €, Guyane 3,00 €, WEEK•END     U     N     I     Q     U     E     M     E     N     T     E     N      F     R     A     N     C     E     M      É     T     R     O     P     O     L     I     T     A     I     N     E  ,     E     N      B     E     L     G     I     Q     U     E     E     T     A     U     L     U     X     E     M     B     O     U     R     G LE MAGAZINE SPORTS – Johan Cruyff, « le Hollandais volant », a inventé le football total. Mort d’une légende L’ancien juge antiterroriste, longtemps aspiré par la lumière médiatique, se fait discret R SISTER APR S L E S ATTENTATS Comment faire face à la peur : vingt artistes, écrivains et intellectuels répondent Boualem Sansal, Robert Guédiguian, Marie Desplechin, Alain Rey, Didier Daeninckx, Annette Wieviorka, Mireille Delmas-Marty, Riss, Jean Claude Ameisen, Serge Tisseron, Pascal Convert, Ismaël Saidi, Ruwen Ogien, Annette Messager, Ludivine Bantigny, Philippe Forest, Jean-Michel Alberola, Geneviève Damas, Marwan Mohammed, T areq Oubrou CAHIER « IDÉES »  – ÉDITION SPÉCIALE Révélations en cascade sur les failles des enquêteurs belges  Les ministres bel- ges de l’intérieur et de la justice ont pré- senté leur démission – refusée –, après les multiples ratés de la lutte antiterroriste   Un policier con- naissait depuis dé- cembre l’adresse où se cachait Salah Ab- deslam, mais la po- lice fédérale n’avait pas été prévenue  Seul rescapé du commando de Paris, Abdeslam n’a été que sommairement interrogé le 19 mars. « Le Monde » révèle le contenu des PV  Un Français, condamné par con- tumace en Belgique, a été interpellé, jeudi, à Argenteuil. Des ex- plosifs ont été saisis FRANCE – LIRE PAGES 6-7 Brésil  La défense de Dilma Rousseff «J e ne suis pas déprimée.  Je dors bien. Po ur m’ ôter le pouvoir, il faudra des  preuves . » Dans un en- tretien accordé à cinq journaux, dont  Le Monde, Dilma Rousseff assure ne pas être impliquée dans le scandale de corruption du pétrolier Petrobras et de plu- sieurs groupes de BTP, qui écla- bousse les dirigeants politiques brésiliens. Très impopulaire, alors que l’économie du pays s’ef- fondre et que la corruption gan- grène le Parti des travailleurs au pouvoir, la présidente est aussi visée par une procédure de desti- tution. Au sujet des manifesta- tions qui se multiplient pour de- mander son départ, elle déclare : « La clameur de la rue ne peut être utilisée pour contraindre des dé-  putés, des ministres. Ce ne sont  pas des méthodes démocr atiques. Ce sont des méthodes fascistes. »  LIRE PAGE 3 Europe Le gaz de schiste américain débarque CAHIER ÉCO – PAGE 2 Musée d’Orsay Les étrangetés du Douanier Rousseau LIRE PAGE 13 Syrie L’armée d’ Assad est entrée dans Palmyre LIRE PAGE 4 Comptes publics Paris en mesure de tenir ses engagements européens KARADZIC : UN VERDICT EXEMPLAIRE LIRE PAGE 17 1 É D I T O R I A L A lors que le moral des ménages est au plus bas et que le chômage est reparti à la hausse en fé- vrier, le gouvernement trou- vera matière à satisfaction dans les chiffres publiés par l’Insee vendredi 25 mars. En effet, le déficit public a atteint, en 2015, 3,5 % du PIB. Soit bien moins que les 3,8 % qui étaient prévus dans la loi de finances. Et une baisse de 0,5 point par rapport à 2014. De quoi rendre crédible l’engagement de Paris, à l’égard de la Commission européenne, de ramener le déficit à 3 % de la richesse nationale en 2017. Quant au taux de prélèvement obligatoire, il est en recul à 44,5 % du PIB. Certes, le repli est modeste, mais c’est le premier depuis 2009. Et François Hol- lande ne manquera pas de le si- gnaler aux Français. CAHIER ÉCO LIRE PAGES 4 ET 5 ERALDO PERES/AP Depuis 1934 FabriquéenNorvège www.stressless.fr Signature  Classic Étoile THE INNOVATORS OF COMFORT™  (1) Imaginer le confort        R        C        S        P      a      u      3      5      1      1      5      0       8      5      9    -        (      1        )        L      e      s        i      n      n      o      v      a       t      e      u      r      s        d      u      c      o      n        f      o      r       t NOUVEAU !  Choisissez votre piétement

Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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SAMEDI 26 MARS 201672E  ANNÉE - NO 22144

4,20 €  - FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR ―

FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

 Algérie200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 4,20 €, Cameroun 2 000 F CFA,  Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €,  Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA,   Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 4,20 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €,  Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €,  Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF,  Tunisie 2,80 DT,  Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA

W E E K • E N D

    U    N    I    Q    U    E    M    E    N    T    E    N     F

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    E    N     B

    E    L    G    I    Q    U    E    E    T    A    U

    L    U    X    E    M    B    O    U    R    G

LE MAGAZINE

SPORTS – Johan Cruyff, « le Hollandaisvolant », a inventé le football total.Mort d’une légende

L’ancien juge antiterroriste,longtemps aspiré par la lumièremédiatique, se fait discret

R SISTER

APR S

LES

ATTENTATS

Comment faire face à la peur : vingt artistes,

écrivains et intellectuels répondent

Boualem Sansal, Robert Guédiguian,Marie Desplechin, Alain Rey,Didier Daeninckx, Annette Wieviorka,Mireille Delmas-Marty, Riss,Jean Claude Ameisen, Serge Tisseron,Pascal Convert, Ismaël Saidi,Ruwen Ogien, Annette Messager,Ludivine Bantigny, Philippe Forest,Jean-Michel Alberola, Geneviève Damas,Marwan Mohammed, Tareq OubrouCAHIER « IDÉES » – ÉDITION SPÉCIALE

Révélations en cascade surles failles des enquêteurs belges

▶ Les ministres bel-ges de l’intérieur etde la justice ont pré-senté leur démission– refusée –, après lesmultiples ratés de

la lutte antiterroriste

 ▶ Un policier con-naissait depuis dé-cembre l’adresse oùse cachait Salah Ab-deslam, mais la po-lice fédérale n’avait

pas été prévenue

▶ Seul rescapé ducommando de Paris,Abdeslam n’a étéque sommairementinterrogé le 19 mars.« Le Monde » révèle

le contenu des PV

▶ Un Français,condamné par con-tumace en Belgique,a été interpellé, jeudi,à Argenteuil. Des ex-plosifs ont été saisisFRANCE  – LI RE PA G ES 6 -7

Brésil La défense de Dilma Rousseff

«Je ne suis pas déprimée.

 Je dors bien. Pour m’ôter le pouvoir, il faudra des

 preuves. »  Dans un en-tretien accordé à cinq journaux,dont  Le Monde, Dilma Rousseff assure ne pas être impliquéedans le scandale de corruptiondu pétrolier Petrobras et de plu-sieurs groupes de BTP, qui écla-bousse les dirigeants politiquesbrésiliens. Très impopulaire,alors que l’économie du pays s’ef-

fondre et que la corruption gan-

grène le Parti des travailleurs aupouvoir, la présidente est aussivisée par une procédure de desti-tution. Au sujet des manifesta-tions qui se multiplient pour de-mander son départ, elle déclare :« La clameur de la rue ne peut êtreutilisée pour contraindre des dé-

 putés, des ministres. Ce ne sont pas des méthodes démocratiques.Ce sont des méthodes fascistes. »

→  LI RE PA G E 3

Europe

Le gaz de schisteaméricaindébarqueCAHIER ÉCO  – PAGE 2

Musée d’OrsayLes étrangetésdu DouanierRousseauLI RE PA G E 1 3

SyrieL’armée d’Assadest entréedans PalmyreLI RE PA G E 4

Comptes publics

Paris en mesurede tenir sesengagementseuropéens

KARADZIC :UN VERDICTEXEMPLAIRE

LIRE P AGE 17

1 É D I T O R I A L

A lors que le moral desménages est au plusbas et que le chômage

est reparti à la hausse en fé-vrier, le gouvernement trou-vera matière à satisfaction dansles chiffres publiés par l’Inseevendredi 25 mars. En effet, ledéficit public a atteint, en 2015,3,5 % du PIB. Soit bien moinsque les 3,8 % qui étaient prévus

dans la loi de finances. Et unebaisse de 0,5 point par rapportà 2014. De quoi rendre crédiblel’engagement de Paris, à l’égardde la Commission européenne,de ramener le déficit à 3 % de larichesse nationale en 2017.Quant au taux de prélèvementobligatoire, il est en recul à44,5 % du PIB. Certes, le repli estmodeste, mais c’est le premierdepuis 2009. Et François Hol-lande ne manquera pas de le si-gnaler aux Français.

CAHIER ÉCO – LIRE PAGES 4 ET 5

ERALDO PERES/AP

Depuis 1934Fabriquéen Norvège www.stressless.fr

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8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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2 | INTERNATIONAL SAMEDI 26 MARS 2016

0123

la haye - correspondance

Q uarante ans ! C’est unesentence de soldat, pasde chef ! », fustige KadaHotic. Comme unecentaine de victimes,

cette veuve de Srebrenica est ve-nue de Bosnie-Herzégovine pourentendre, jeudi 24 mars, le verdictdu Tribunal pénal internationalpour l’ex-Yougoslavie (TPIY) con-tre Radovan Karadzic, prononcévingt et un ans après la guerre.

En octobre 2014, après cinq ansde procès, le procureur avait re-

quis la perpétuité contre l’ancienchef politique des Serbes de Bos-nie. Jeudi, il est apparu vieilli, un

brin bedonnant, et semblait ner-veux puis abattu lors du prononcédu verdict : dix fois coupable.

Coupable de génocide à Srebre-nica, pour le meurtre enjuillet 1995 de plus de 6 000 hom-mes musulmans par les forcesbosno-serbes et la déportation deleurs femmes et de leurs enfantsen territoire « non serbe » de Bos-nie-Herzégovine. Coupable de cri-mes contre l’humanité pour lesiège de Sarajevo, capitale pilon-née par les forces serbes de Bosnieet où, entre avril 1992 et fé-vrier 1996, les civils tombaient

sous les balles de snipers.Coupable de crimes contre l’hu-manité pour les massacres com-mis tout au long de la guerre con-tre les Croates et les Musulmansdans les villages de Bosnie, « desmeurtres à grande échelle assimi-lables à l’extermination »,  écri-vent les juges.

Solidarités ethniques

Coupable aussi de crimes contrel’humanité pour les camps deconcentration où les prisonniersont été battus, « soumis à des con-ditions de vie inhumaines », par-fois tués. Coupable encore de cri-mes de guerre pour la prise enotage, en mai et juin 1995, demembres de l’ONU, pour empê-cher l’intervention de l’OTAN.

Dans cette longue litanie de cri-mes, il en est un pour lequel Rado-

van Karadzic a été acquitté : l’ac-cusation de génocide dans septmunicipalités du pays, que les ju-ges ont finalement qualifiée decrime contre l’humanité. C’était lagrande inconnue de ce verdict.

Beaucoup voyaient dans une se-conde condamnation pour géno-cide un possible levier pour remet-tre en question la structure d’unpays devenu ingouvernable, sé-paré en deux entités, la Républi-que serbe de Bosnie et la Fédéra-tion de Bosnie-Herzégovine, quiregroupe principalement desCroates et des Bosniaques. Peuaprès le verdict, le premier minis-

tre serbe, Aleksandar Vucic, a réagidepuis Belgrade et mis « en gardetous ceux qui penseraient prendre

 pour excuse le verdi ctd’aujourd’hui »  pour mener « uneattaque »  contre la RepublikaSrpska, l’entité des Serbes de Bos-nie. « La Serbie, en vertu des accordsde Dayton [accords de paix de dé-cembre 1995 qui léguaient aux Ser-bes de Bosnie les territoires acquispar la force] , ne peut pas et ne per-mettra pas que cela se produise. »

Membre musulman de la prési-dence collégiale en Bosnie-Herzé-govine, Bakir Izetbegovic a estimé

que le tribunal avait prononcé « le plus important verdict depuis Nu-remberg », où, de novembre 1945 àoctobre 1946, les Alliés avaientjugé les chefs nazis après la se-conde guerre mondiale. Le tribu-nal a beau insister sur le caractèreindividuel des quelque 110 con-damnations prononcées depuis1996 contre des Serbes, des Bos-niaques, des Croates et des Koso-

vars, toutes ont suscité des réac-tions de solidarités ethniques.

Dans l’affaire Karadzic, c’est lechef, l’ex-président de la Repu-blika Srpska et le commandantsuprême, qui est condamné. L’an-cien psychiatre était un élément« central »  de l’entreprise crimi-nelle commune, destinée à « éli-miner de façon permanente les

 Musulmans et les Croates de Bos-nie des territoires serbes de Bos-nie », à« les chasser à jamais par la

 force », a déclaré le juge-présidentO-Gon Kwon.

Dans ce réseau criminel figu-rent ceux qui ont pensé, conçu etmis en œuvre la politique d’épu-ration ethnique. Il y a la « dame defer » bosno-serbe, Biljana Plavsic,qui a plaidé coupable devant le tri-bunal, expliquant ne pas vouloir« faire peser la responsabilité de la

 guerre sur le peuple serbe », l’an-cien chef de l’Assemblée bosno-serbe Momcilo Krajisnik, con-damné à vingt ans de prison etdéjà de retour en Bosnie aprèsavoir purgé les deux tiers de sa

peine. Et parmi d’autres encore,Ratko Mladic, le chef militaire desSerbes de Bosnie, dont le procès àLa Haye touche à sa fin.

Circonstances atténuantes

Mais Karadzic reste l’accusé leplus important condamné par letribunal à ce jour. L’ancien prési-dent yougoslave Slobodan Milo-sevic était décédé dans sa cellule

RadovanKaradzic,au Tribunal pénalinternationalde La Haye,jeudi 24 mars.R. VAN LONKHUIJSEN/AFP

Me Robinson,

l’avocat

de Karadzic,

a annoncé

que son client,

« surpris et déçu »,

fera appel de sa

condamnation

avant le verdict, le 11 mars 2006.Après l’audience, Peter Robinson,l’avocat de Radovan Karadzic, aannoncé que son client, « surpriset déçu », fera appel de sa condam-nation. Il demandera de nouveaul’acquittement.

La procédure pourrait durer dedeux à trois ans. « Les conditionsde prison ici sont meilleures qu’àSrebrenica, où je n’ai plus de fils,

 plus d’enfants, plus de mari », pro-teste une autre victime, HatidzaMehmedovic.

Pourquoi quarante ans de pri-son pour un génocide ? Les juges

ont accordé des circonstances at-ténuantes au chef bosno-serbe,dont le fait qu’il a « renoncé à ses

 fonctions en 1996 ».Au cours de son procès, Rado-

van Karadzic avait affirmé avoirreçu l’assurance du négociateuraméricain Richard Holbrookequ’il ne serait jamais envoyé àLa Haye s’il acceptait de se retirerde la scène politique en Bosnie.Les juges ne se sont pas pronon-cés sur l’existence ou non d’un telaccord, balayé d’un trait de plume,mais le retrait de Radovan Karad-zic après-guerre semble de faitavoir compté.

Arrêté après treize ans de cavale,en juillet 2008 à Belgrade, sous lestraits d’un gourou new age, Karad-zic, 70 ans, a déjà passé huit ans endétention provisoire. Les condam-nés du TPIY ne purgent en général

que les deux tiers de leur peine.Le secrétaire général de l’ONU,

Ban Ki-moon, a salué, jeudi, « un jour historique pour les peuples dela région et au-delà, ainsi que pour la justice internationale ». L’am-bassadrice des Etats-Unis à l’ONU,Samantha Power, a estimé qu’ils’agissait d’un signal contrel’« impunité » des dirigeants dansle monde accusés de crimes deguerre : « Vos crimes ne seront ja-mais oubliés et un jour, vous aussi,vous serez tenus pour responsa-bles des horreurs que vous avez in-

 fligées aux civils. » pstéphanie maupas

deux heures avant de rendre son verdict surRadovan Karadzic, le Tribunal pénal internatio-nal pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a procédé, jeudi24 mars, à l’arrestation de Florence Hartmann.

L’ex-porte-parole du procureur du tribunal, etancienne journaliste au Monde, avait été con-damnée par le TPIY à une peine de 7 000 euros

d’amende, commuée en sept jours de prison ennovembre 2011, pour avoir révélé dans son livre

 Paix et châtiment (Flammarion, 2007) l’exis-tence de décisions confidentielles.

L’ancienne porte-parole se trouvait devant letribunal, aux côtés de victimes venues de Bos-nie-Herzégovine pour entendre le verdict con-tre Radovan Karadzic, lorsque des gardes du tri-bunal, assistés de policiers néerlandais, sont ve-nus l’arrêter. Les victimes ont tentéd’intervenir, provoquant une réaction plusmusclée des gardiens, mais Florence Hartmanna été conduite à la prison de Scheveningen, oùelle a passé sa première nuit en prison.

Son avocat, Me William Bourdon, a demandé à« ceux qui en ont le pouvoir » de permettre sa li-bération immédiate, jugeant « absurde qu’à

l’heure où il rend un verdict historique, le tribu-nal puisse prendre une décision aussi inique » .Paris a toujours refusé de livrer Florence Hart-mann à La Haye, rappelant que ce tribunal a étécréé pour poursuivre les criminels de guerre.

L’ancienne porte-parole s’était rendue auxPays-Bas en 2015, sans que le mandat soit exé-

cuté par les autorités néerlandaises. Dans lescouloirs du tribunal, beaucoup de juristes et demembres du bureau du procureur confiaientleur consternation face à cette arrestation.D’autres lui reprochant néanmoins d’avoir faitun coup d’éclat et « volé aux victimes »  ce jourattendu depuis vingt ans.

Cette arrestation intervient alors que les jugesont accepté que Vojislav Seselj, accusé de c rimescontre l’humanité, ne soit pas reconduit àLa Haye pour entendre son verdict, qui doit êtreprononcé le 31 mars. Libéré en novembre 2014pour raisons de santé, le chef ultranationalisteserbe aurait dû être reconduit à La Haye, maisBelgrade s’y est opposé et le tribunal n’a pas dé-livré de mandat d’arrêt contre lui.p

s. ms

L’ancienne porte-parole du TPIY arrêtée

Karadzic, 40 ans de prison pour génocide

L’ex-chef des Serbes de Bosnie a été condamné pour Srebrenica et son rôle dans le conflit de 1992-1995

LE CONTEXTE

MASSACREAssiégée par les forces des Ser-bes de Bosnie, Srebrenica, ville àmajorité musulmane, tombe le11 juillet 1995. Dans les jours quisuivent, plusieurs milliers depersonnes – 6 600 ont été identi-fiées, en grande majorité deshommes – sont systématique-ment exécutées et enterréesdans des fosses communes.

JUSTICEQuatorze condamnations, dontcinq pour crime de génocide,ont été prononcées par leTribunal pénal internationalpour l’ex-Yougoslavie.La Cour internationale de jus-tice, organe de l’ONU, parleindistinctement d’« actes de génocide » ou de « génocidede Srebrenica ». Un tribunalnéerlandais a par ailleurs jugéles Pays-Bas civilementresponsables de la mort de300 Musulmans qui s’étaientréfugiés sur une base tenue pardes casques bleus néerlandais.

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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0123SAMEDI 26 MARS 2016 international | 3

Dilma Rousseff :« Pour m’ôter le

pouvoir, il faudrades preuves »La présidente du Brésil est viséepar une procédure de destitution

ENTRETIENbrasilia - envoyée spéciale

L’économie s’effondre, lacorruption gangrèneson parti, la rue appelleà sa destitution, le Con-

grès l’empêche de gouverner,mais Dilma Rousseff, présidente

du Brésil, réélue avec une courtemajorité, fait front. Ni abattue, nidéprimée. Dans un entretien à sixjournaux étrangers, dont

 Le Monde, elle assure ne pas êtreimpliquée dans le scandale de l’en-treprise pétrolière Petrobras et degroupes du bâtiment et travauxpublics (BTP), qui éclabousse lesdirigeants politiques brésiliens.

Evoquant la procédure de des-titution (« impeachment »)dont vous faites l’objet, vousparlez d’un « coup d’Etat ».Est-ce approprié ?

En Amérique latine, nous avonsvécu des coups d’Etat militaires.Nous vivons aujourd’hui dans unsystème démocratique, et lescoups d’Etat ont changé de nature.Un coup d’Etat aujourd’hui corres-pond à la violation de la Constitu-

tion qui garantit les droits indivi-duels, institutionnels, l’indépen-dance des pouvoirs et le respectdes droits de l’homme. La loi estclaire : pour qu’il y ait impeach-ment , il faut qu’il y ait un crime deresponsabilité. La motivation de la

procédure en cours est fragile : onme reproche le pédalage fiscal [re-cours à des emprunts aupr ès d’éta-blissements publics pour financerdes dépenses qui seront portées audébit des comptes publics avec undécalage] . Un procédé que, jusqu’àmon premier mandat, tous lesprésidents ont utilisé.

Une procédure de destitutionsans base légale constitue uncoup d’Etat institutionnel. C’estdangereux. La population brési-lienne manifeste. Je suis favorableaux manifestations. Je suis d’unegénération où, quand on ouvraitla bouche, on allait en prison. Ilfaut écouter la rue, mais la cla-meur de la rue ne peut être utili-sée pour contraindre des députés,des ministres. Ce ne sont pas des

méthodes démocratiques. Cesont des méthodes fascistes.

Si la procédure de destitutionvenait à aboutir, quelle seraitvotre réaction ?

Dans une démocratie, on se doitde réagir démocratiquement.Nous aurons donc recours à tousles instruments légaux en notrepouvoir pour mettre en évidencece coup d’Etat. Si on ne répond pasà cette violation constitutionnelle,la vie politique en gardera des cica-trices profondes. Nous devons réa-gir, répondre à l’ordre intimé parles manifestants « Nao vai ter

 golpe ! » (« il n’y aura pas de coupd’Etat »). Notre démocratie est néede luttes, de morts, de tortures, detentatives, d’erreurs, de succès,nous ne devons pas l’affaiblir.

La nomination de l’ex-présidentLula comme ministre de la« Casa Civil », sorte de premierministre ou chef de cabinet, aété vue comme une manœuvrepour lui éviter la prison…

Tout est fait pour fragiliser mongouvernement. La venue de Lulame renforcerait. Lula n’est pas seu-lement un habile négociateur, ilconnaît très bien les problèmes duBrésil. Il est sans l’ombre d’undoute le meilleur leader depuisGetulio Vargas. Nous avons tra-vaillé ensemble, bâti une série deprogrammes sociaux, comme« Minha Casa Minha Vida » [« mamaison, ma vie » pour l’accès à la

 propriété] . Supposer que l’ [ex]-pré-sident viendrait au gouverne-ment pour se protéger ne peutnaître que dans l’esprit de quel-

qu’un qui cherche les problèmes.Quelle protection étrange ! Un

ministre n’échappe pas aux pour-suites. Il dépend de la Cour su-prême, que personne ne peutcontester. La question n’est pasd’être jugé ou pas, mais par qui.Supposer que la Cour suprême estplus légère révèle une méconnais-sance du droit pénal brésilien.L’affaire du « Mensalao »  [scan-dale d’achat de voix au Congrèsen 2005]  a été jugée par la Cour su-prême. Quoi qu’il advienne, Lulaviendra m’épauler, si ce n’est entant que ministre, ce sera en tantque conseiller.

Pourquoi ne pas s’en tenirà ce rôle ?

Lula n’a jamais cessé d’être monconseiller. Je l’ai convié au gouver-nement depuis le début de monsecond mandat. Voyant la crises’installer, il a fini par accepter.

Que répondre à ceux qui voussuggèrent de démissionner ?

Pourquoi démissionner ? Car jesuis une femme fragile, ou pouréviter de m’obliger à partir pour defaux motifs ? On dit, « elle doit êtreépuisée ». Ce n’est pas le cas. J’ai étéemprisonnée trois ans [sous la dic-tature militaire] . La lutte pour ladémocratie de mon pays medonne la force. Je ne suis pas dépri-mée. Je dors bien. Pour m’ôter le

pouvoir, il faudra des preuves.

Convoquer Lula comme pre-mier ministre, n’est-ce pas uneforme de renoncement ?

Lula est mon partenaire. J’ai aidéLula lorsqu’il était confronté àl’adversité. En 2005, j’ai été sonministre de la Casa Civil en pleinecrise du « Mensalao ». J’ai la certi-tude qu’il m’aidera aussi. Enaucun cas il ne s’agit d’une démis-sion, c’est l’union des forces.

Les scandales de corruptionont conduit à une défiance gé-néralisée des politiques. Com-ment restaurer la confiance ?

Quand on commence à remet-tre en question les dirigeants poli-tiques, surgit la quête d’un « sau-veur de la patrie » qui peut mener

à la tentation autoritaire. Le sys-tème brésilien tel qu’il est mènerarégulièrement à des crises. Ungouvernement a besoin de troispartis, cinq au maximum. Au Bré-sil, il en faut une douzaine. Il fautconclure un pacte pour dessinerl’issue démocratique de cettecrise. Nous pouvons modifier leschoses, mêler le présidentialismeau parlementarisme, approfondirle présidentialisme… Mais ceci nepeut être fait sans un accord. Ilfaut un dialogue. Prendre sontemps. Les conquêtes se font àcheval, gouverner se fait à pied.

Que dire de l’économie ?Nous avons dû mener une cure

d’austérité, non pas pour cesser lesprogrammes sociaux mais pourles maintenir. Pour cela, il nous fal-lait des recettes supplémentaires.

Mais il y a eu cette attitude déma-gogique consistant à bloquer leslois visant à les obtenir. Il faut enfinir avec ça. Nous avons lesmoyens de sortir de la crise cetteannée. Le mode de pensée de l’op-

position qui consiste à dire « le pire pour le gouvernement sera lemieux pour nous » est pervers.

Craignez-vous une explosionsociale ?

Le Brésil n’est pas un pays en in-surrection. Mais je déplore la mon-tée de l’intolérance politique, laconfrontation entre les deuxcamps [opposant les défenseurs del’impeachment aux défenseurs du

 PT]. Des amis, des familles se bat-tent, ce n’est pas une bonne basepour la démocratie. A la veille desmanifestations du 13 mars [récla-mant l’« impeachment »] , j’ai parlé

à la télévision pour rappeler ledroit de manifester, pas d’être vio-lent. Je crois en l’esprit pacifique dupeuple brésilien.

Des soupçons planent sur voscampagnes électorales. Avez-vous bénéficié de financementsillégaux ?

Non. Toutes mes campagnesont été approuvées par la Courdes comptes. Toutes. J’aimeraissavoir où sont les financementsillégaux. Joao Santana  [publici-taire de sa campagne soupçonnédans le cadre de l’enquête Lava

 Jato]  et sa femme n’ont rien à con-

fesser à ce sujet.

En tant que ministre de l’éner-gie, vous étiez au conseil d’ad-ministration de Petrobras.Comment pouviez-vous ignorerle scandale ?

Il y a une différence entre direc-teur exécutif et conseil d’adminis-tration. Le conseil reçoit ses infor-mations de directeurs exécutifs. Jen’étais pas seule membre du con-seil d’administration. Nous étionsun groupe. Aucun de nous n’a riensu de ce scandale.p

propos recueillis par

claire gatinois

A Brasilia,le 24 mars.ROBERTO

STUCKHERT

FILHO/PR

« Toutes mes

campagnes ont

été approuvées

par la Cour

des comptes.

Toutes »

LE CONTEXTE

AFFAIRESProcédure de destitution

Dilma Rousseff, du Parti des tra-vailleurs (PT, gauche), au pouvoirdepuis 2010, est menacée parune procédure de destitution(« impeachment ») lancée en dé-cembre 2015 par le président de

la Chambre des députés,Eduardo Cunha, accusé de cor-ruption. Le tribunal supérieurélectoral examine également sescomptes de campagne. En casde fraudes avérées, de nouvellesélections pourraient être pro-grammées.

DÉFIANCEUne présidente mal-aimée

Elue à la suite de Luiz Iñacio Lulada Silva (2003-2010), présidentaussi populaire qu’elle est mal-aimée, Dilma Rousseff a pâti dela crise économique, qui l’a obli-gée à une cure d’austérité à re-bours de ses promesses. Le Con-grès lui est devenu hostile et lesdéveloppements de l’enquêtesur les appels d’offres truqués dugroupe pétrolier Petrobras écla-

boussent les élites politiques.

MANIFESTATIONSLula suspecté de corruption

A cinq reprises, les Brésiliens sesont mobilisés pour dénoncer lacorruption et appeler à la destitu-tion de la présidente, qui a offertun poste de ministre à Lula, sus-pecté de corruption. Des écoutestéléphoniques entre Lula etMme Rousseff laissent entendreque l’ex-président chercheraitl’abri du ministère pour échapperaux poursuites. Une partie desBrésiliens les soutiennent.

« La clameur

de la rue ne peut

pas être utiliséepour contraindre

des députés,des ministres »

FIDÉLITÉ PRÉSENTE

SCÉNARIOET DIALOGUES CÉLINE SCIAMMA ET ANDRÉ TÉCHINÉ

 AVEC ALEXIS LORET JEAN FORNEROD MAMA PRASSINOS JEAN CORSO

!!!!STUDIO CINÉ LIVE

UN FILM DE

    ©    2    0    1    6    F    i    d     é    l    i    t     é    F    i    l    m    s  –    W    i    l    d    B    u    n    c    h  –    F    r    a    n    c    e    2    C    i    n     é    m    a

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8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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4 | international SAMEDI 26 MARS 2016

0123

La déclarationde repentance d’Obamaen ArgentineLes Etats-Unis « ont tardé à défendre

les droits de l’homme » en Amérique latine

buenos aires - correspondante

F ace au mur symbolique duParc de la Mémoire, àBuenos Aires, où sont gra-

vés les noms de milliers de dispa-rus de la dictature militaire (1976-1983), Barack Obama a reconnu,jeudi 24 mars, que les Etats-Unis« avaient tardé à défendre lesdroits de l’homme en Argentine etdans d’autres pays ». Cette recon-naissance implicite du rôle jouépar Washington auprès des dicta-tures militaires latino-américai-nes dans les années 1970 illustrela place centrale qu’a occupée laquestion des droits de l’hommependant la visite du président

américain en Argentine, dans lafoulée de son voyage historique àCuba.

Accompagné du chef d’Etat ar-gentin Mauricio Macri (centredroit), M. Obama a été le premierdirigeant américain à rendrehommage aux victimes desannées de plomb, dont les corpsont été jetés, pour la plupart, dansl’immense fleuve bordant BuenosAires, le rio de la Plata, au coursdes « vols de la mort ».

Des documents déclassifiésPremier président américain à serendre en Argentine depuis vingtans, sa présence a coïncidé avec le40e  anniversaire du coup d’Etatmilitaire du 24 mars 1976. Lavenue de M. Obama a étécondamnée par des organisa-tions de défense des droits de

l’homme. La visite initialementprévue à l’ancienne Ecole de mé-canique de la marine (Esma), leprincipal centre de détention etde tortures de la dictature dans lacapitale, a été annulée à la suite del’avalanche de critiques. Laprésidente de l’association desGrands-mères de la place de Mai,Estela de Carlotto, l’avait jugé« inconvenante ».

Mme Carlotto a cependant quali-fié de « geste de grande huma-nité »  la décision du présidentaméricain de déclassifier de nou-

veaux documents militaires et durenseignement liés à la « sale guerre » en Argentine.

En 2002, Washington avait dé-classifié 4 000 câbles diplomati-ques qui mettaient en évidence lesoutien au régime militaire deplusieurs responsables améri-cains, dont le chef de la diploma-tie de l’époque, Henry Kissinger.

« Je sais qu’il existe des polémi-ques sur les politiques des Etats-Unis pendant ces jours obscurs », adéclaré M. Obama. Ce dernier arevendiqué le virage effectué parWashington, en 1977, sous la prési-dence du démocrate JimmyCarter, qui avait fait de la défensedes droits de l’homme une prio-

rité de sa diplomatie. M. Obama ademandé aux Argentins de rom-pre avec « la méfiance » à l’égarddes Etats-Unis.

M. Macri, au pouvoir depuistrois mois, a présenté cette visitecomme « un geste de soutien » àson gouvernement, alors quel’ancienne présidente péronisteCristina Kirchner entretenait desrelations tendues avecWashington, privilégiant les liensavec la Chine et la Russie.M. Obama a fait de nombreux élo-ges de M. Macri, de sa politiqued’ouverture et de sa volonté denouer de « nouvelles »  relationsavec les Etats-Unis.

La composition de la délégationde 850 personnes qui accompa-gnait le président américain,parmi lesquelles 400 hommesd’affaires, témoigne de l’intérêt

américain. Washington et BuenosAires ont signé plusieurs accordsde coopération, notamment enmatière de sécurité, de luttecontre le narcotrafic et leterrorisme.

Au cours d’un dîner de gala,M. Obama a eu l’occasion de ren-contrer des dirigeants de l’opposi-tion et des syndicalistes. Leprésident américain a fait sensa-tion en ébauchant des pas detango, au bras d’une célèbre dan-seuse argentine.p

christine legrand

Les forces du régime syriensont entrées dans PalmyreL’armée syrienne, soutenue par l’aviation russe, cherche à reprendre

la cité antique contrôlée depuis un an par l’organisation Etat islamique

Les forces du régime syrienprogressaient, vendredi25 mars, dans Palmyre,ville du centre du pays

dont l’organisation Etat islamique(EI) les avait chassées en mai 2015.L’armée et les milices du régime,ainsi que des combattants duHezbollah libanais, appuyés aucours des dernières semaines pardes centaines de frappes aérien-nes russes, ont avancé rapide-ment, cette semaine, depuis lesud et l’ouest de la ville.

Elles ont pris le contrôle de plu-sieurs intersections de routes quirelient Palmyre à Damas et àHoms, puis elles se sont établiesdans des hauteurs d’où elles ont

une vue plongeante sur la ville.Des cameramen de la télévisiond’Etat syrienne accompagnaient,jeudi 24 mars après-midi, descombattants aux alentours del’hôtel Semiramis, près des ruinesantiques, près des ruines antiquesde cette oasis du désert syrien, si-tuées à l’extérieur de la ville mo-derne.

Ces médias présentent, depuismercredi 23 mars, la bataillecomme déjà achevée ou presque :il faudrait « quelques heures »,« une nuit », une autre encore,pour reprendre Palmyre à l’EI, cla-ment-ils – quoique la troupeavance lentement, les djihadistesayant miné les abords de la ville.

L’EI a diffusé des images, jeudi24 mars, d’une ville déserte. Ilavait ordonné au matin aux civilsencore présents de fuir Palmyre,

dans un message diffusé par leshaut-parleurs de la ville, selon

l’Observatoire syrien des droits del’homme (OSDH). Avant-guerre,la ville comptait environ 130 000habitants. L’EI a prouvé, depuis sarésistance sous les bombes amé-ricaines et les assauts des forceskurdes à Kobané, au nord du paysà l’hiver 2014-2015, qu’il était dé-sormais capable d’abandonnerrapidement une ville qu’il jugeperdue. Il pourrait le faire par l’est,

en direction de Deir ez-Zor, dontla route lui demeure ouverte.Quitte à se redéployer pour harce-ler le nouvel occupant.

Frappes aériennesDes tirs intenses d’artillerie vi-saient jeudi les positions djihadis-tes. Le ministère russe de la dé-fense a affirmé que ses avionsavaient frappé 146 cibles dans lesenvirons de Palmyre entre di-manche et mercredi, tuant 320militants, et détruisant cinqtanks, des systèmes d’artillerie etdeux dépôts de munition. Des ro-quettes Grad se sont abattues surdes quartiers civils, faisant unevingtaine de morts durant cestrois jours, selon la Coordinationrebelle de Palmyre – hostile à l’EIcomme au régime –, un bilan quine pouvait être vérifié de sources

indépendantes.  « Les avions rus-ses, ses missiles et son artillerien’ont cessé de bombarder la ville de façon indiscriminée, selon unestratégie de la terre brûlée, sansdifférencier les hommes des pier-res », écrivaient les activistes. Ilsaffirment que la Russie a utilisédes bombes à fragmentation, uneinformation également impossi-ble à vérifier.

La Russie avait multiplié lesfrappes aériennes sur Palmyredès le lendemain de l’annonce duretrait partiel de ses forces de Sy-rie, le lundi 14 mars. Depuis unedizaine de jours, des vidéos de l’EI

et de soldats gouvernementauxpostées sur les réseaux sociauxmontrent des hélicoptères decombat russes Mi-24 attaquantrégulièrement les positions desdjihadistes. Les forces du régimesont soutenues notamment pardes tirs de lance-roquettes multi-ples russes TOS, que la télévisionrusse filme à l’aide de drones.Leurs opérateurs russes ou sy-riens sont inconnus, les forcessyriennes ne disposaient pas detelles armes il y a six mois.

Dans une vidéo diffusée sur In-ternet vendredi 18 mars, l’organi-sation Etat islamique a montré lecorps d’un homme présentécomme un soldat russe, son équi-

pement et des photographies ti-rées de son smartphone, qui met-tent en scène des soldats russesdéployés au sol dans la région.

L’agence Interfax a rapporté,jeudi 24 mars, la mort d’un mem-bre des « Spetsnaz » (forces spé-ciales russes), encerclé par lescombattants de l’EI alors qu’ilétait en train de « guider » les frap-pes aériennes. La veille, le com-mandant du contingent russe enSyrie, le général Alexandre Dvor-nikov, avait reconnu pour la pre-mière fois la présence de tels sol-dats en Syrie, indispensables à desfrappes aériennes. Jeudi, RussiaToday a par ailleurs diffusé desimages de mercenaires afghansde la division Al-Fatimiyoun ausein des Gardiens de la révolutioniraniens, présents à Palmyre.

Les djihadistes de l’EI ne sont pas

couverts par la cessation des hosti-lités qu’ont décrétée le samedi27 février les rebelles syriens et le

régime. Ce dernier a pu profiter dece répit pour concentrer ses forcessur Palmyre.

Alors que la prise de la ville, il y après d’un an, avait mis en lumièrel’épuisement de son armée, et re-lancé les spéculations sur un pos-sible effondrement du système As-sad, le président syrien entenddésormais revenir en gloire dansla ville.

« Une bataille culturelle »Il s’y montre renforcé après sixmois d’intervention russe dans lepays. Dans le même temps, sesnégociateurs étaient accusés defaire traîner les négociations depaix intersyriennes qui se sont

achevées jeudi à Genève sansqu’ait été ouverte la question dela transition politique, prévue parla résolution 2254 des Nationsunies, adoptée au mois dedécembre.

Le régime se présente comme laprincipale force capable de luttercontre les djihadistes, et commele libérateur du site de l’antiquitégréco-romaine que l’EI s’était atta-ché à détruire pièce par pièce, auprintemps et à l’été dernier, saisis-sant l’opinion occidentale. Jeudi,le directeur général des antiquitéset des musées de Syrie, MaamounAbdulkarim, déclarait que labataille de Palmyre était « une ba-taille culturelle pour le mondeentier, et pour tous ceux qui croienten un héritage commun àl’humanité ».

Faire sauter le verrou de Palmyre

permettrait au régime de progres-ser plus à l’est dans le désert syrien,en direction de la frontière avecl’Irak, que contrôle l’EI. Cela luiouvrirait la route de Deir ez-Zor, oùune garnison gouvernementaleassiégée par l’EI n’est plus ravi-taillée que par les airs ; ainsi quecelle de Rakka, la « capitale » de l’EIen Syrie, dont les forces kurdess’approchent au nord. En avançantvers Deir ez-Zor, le régime priveraitégalement l’EI de champs de gaz etde pétrole qu’il exploite.p

 louis imbert

et madjid zerrouky avec

isabelle mandraud (à moscou)

L’Etat islamiquea ordonné

aux dernierscivils de fuir

SYRIE

TURQUIE

IRAK

JORDANIE

LIBAN

Damas

Palmyre

100 km

Kobané

Rakka

Deir ez-Zor

Homs

Une photo de l’agence officielle d’information syrienne SANA montre des soldats du gouvernement à l’entrée de la villede Palmyre, au centre de la Syrie, jeudi 24 mars. SANA/AP

« Les avions etl’artillerie russes

n’ont cesséde bombarderla ville », selonla Coordination

rebellede Palmyre

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8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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0123SAMEDI 26 MARS 2016 international | 5

L’arrestation, en Floride, d’un « golden boy » turc embarrasse ErdoganReza Zarrab, qui commerçait avec l’Iran sous embargo, est à l’origine d’un scandale d’Etat qui avait touché des proches du président

istanbul - correspondante

L’ arrestation à Miami (Flo-ride) de l’homme d’affai-res turco-iranien Reza

Zarrab, acteur clé d’un scandale decorruption qui avait éclaboussé legouvernement turc en 2013, re-lance les spéculations sur lesmœurs de l’élite islamo-conserva-trice en Turquie, quelques joursavant la visite aux Etats-Unis duprésident Recep Tayyip Erdogan.

Arrivé en famille à Miami sa-medi 19 mars pour y passer des va-cances, Reza Zarrab a été inter-pellé et écroué par la justice amé-ricaine, qui l’accuse d’avoir violél’embargo vers l’Iran entre 2010 et2015. L’homme d’affaires ainsi

que deux de ses complices présu-més, Camelia Jamshidy et Hos-sein Najafzadeh, risquent 75 an-nées de prison. « Par leurs opéra-tions de blanchiment d’argent, ilsont enfreint la réglementationaméricaine concernant les sanc-tions imposées à l’Iran, c’est une in- fraction à la loi fédérale », a déclaréPreet Bharara, le procureur deManhattan, dont le compte Twit-ter fait un tabac parmi les détrac-teurs de M. Erdogan. « Il va parlerlà-bas, vous verrez. Tous les lienscachés vont éclater au grand jour »,a prédit le chef de l’opposition ké-maliste, Kemal Kiliçdaroglu.

La mise en examen de l’entrepre-neur n’est pas directement liéeaux affaires de corruption en Tur-

quie, elle concerne avant tout lecontournement de l’embargo versl’Iran. Entre 2010 et 2015, la Tur-quie a réalisé de multiples transac-tions avec la République islami-que, en dépit des sanctions. L’em-bargo interdisant les échanges dedevises, Ankara achetait du gaz etdu pétrole contre des lingots d’or.

Boîtes à chaussures

Bientôt, d’autres transactionscommerciales furent échafau-dées selon ce système. D’où l’en-volée sans précédent des exporta-tions turques du métal précieuxvers l’Iran – passées de 53 millionsde dollars en 2011 (environ 47 mil-lions d’euros) à 6,5 milliardsen 2012, alors que la Turquie était

jadis un pays importateur. Le ré-seau s’est ensuite élargi à la Chine,aux Emirats Arabes unis et à plu-sieurs Etats africains, les trans-ferts étant facilités par la banquepublique turque Halkbank.

A la tête de ce juteux commerce,Reza Zarrab, 33 ans, marié à EbruGündes, une vedette de la chan-son, roulait carrosse à Istanbul etavait ses entrées au gouvernementalors dirigé par Recep Tayyip Erdo-gan, devenu depuis chef de l’Etat.Pour jouir d’une totale liberté demanœuvre, le « golden boy » arro-sait largement ses protecteurs.

En décembre 2013, le venttourne. Des perquisitions sontlancées aux domiciles des minis-tres concernés. Reza Zarrab est ar-

rêté. Révélé par des écoutes télé-phoniques, le scandale compro-met bientôt M. Erdogan et son filscadet, Bilal. Criant au complot, lechef du gouvernement accuseson ancien partenaire, le prédica-teur Fethullah Gülen, d’avoircherché à le renverser.

Le scandale est vite étouffé. Le25 décembre 2013, les ministres Er-dogan Bayraktar (environnementet urbanisme), Zafer Çaglayan(économie), Muammer Güler (in-térieur) et Egemen Bagis (affaireseuropéennes), soupçonnés defraude et de trafic d’influence, sontremerciés. Les autres suspectssont relaxés en octobre 2014 par leprocureur d’Istanbul, dont RezaZarrab et son ami Süleyman Ars-

lan, le directeur de Halkbank, chezqui la police avait trouvé plusieursmillions de dollars, rangés, entreautres, dans des boîtes à chaussu-res. Les procureurs à l’origine del’enquête – Zekeriya Oz, Celal Karaet Mehmet Yuzgec – se sont retrou-vés dans le viseur des autorités. Ilséchapperont de justesse aux man-dats d’arrêt délivrés contre eux enfuyant en Géorgie, en août 2015.

En Iran, le partenaire de M. Zar-rab, le milliardaire Babak Zanjani,a été condamné à mort le 6 marspour corruption. En Turquie, l’af-faire, qui semblait enterrée, risqueà tout le moins d’assombrir la vi-site du président turc aux Etats-Unis du 29 mars au 2 avril. p

marie jégo

Syrie : enlisement à Genève, progrès à MoscouVladimir Poutine et John Kerry se sont mis d’accord pour demander une nouvelle Constitution d’ici août

Le deuxième round de né-gociations de paix inter-

syriennes s’était ouvert àGenève, le 14 mars, sur

l’annonce surprise du retrait par-tiel des troupes russes de Syrie. Ils’est clos, jeudi 24 mars, sansavancée substantielle, les yeuxtournés de nouveau vers Moscou,où le secrétaire d’Etat américain,John Kerry, rencontrait son ho-mologue Sergueï Lavrov et le pré-sident Vladimir Poutine. « Ce n’est peut-être pas une coïncidence (…),a pointé depuis Genève  l’envoyéspécial des Nations unies pour laSyrie, Staffan de Mistura. Nous es-

 pérons, et voulons croire, que [cesdiscussions] nous aideront dans la

 prochaine phase. »Depuis le début des pourparlers

de Genève, fin janvier, Staffan deMistura n’a pas fait mystère deson incapacité à amener le régime

et l’opposition à s’accorder surune transition politique sans unepression coordonnée de leurs par-rains respectifs, Moscou etWashington. Ces dix jours depourparlers indirects n’ont pasfait exception. Dès l’annonce, le15 mars, d’une visite de John Kerryà Moscou, plus aucune avancéen’était enregistrée. « A ce stade, lesdiscussions sont et étaient desti-nées à conserver l’élan », a reconnujeudi M. de Mistura, saluant le suc-cès de la mise en œuvre, depuis unmois, de la cessation des hostilitéset de l’accès à l’aide humanitaireobtenus grâce à l’initiative con-jointe russo-américaine. « Per-sonne n’a claqué la porte, fait undrame ou rejeté la légitimité del’autre partie », s’est-il félicité.

Les pourparlers indirects ontbuté sur le refus de la délégation

gouvernementale d’entrer dansdes discussions sur la transitionpolitique, qu’elle juge prématu-rées. Son chef, Bachar Al-Jaafari, ade nouveau soulevé la question dela représentativité de l’oppositionet fait de la lutte contre le terro-risme – terme dans lequel il intè-gre l’ensemble des groupes armésde l’opposition – une priorité. L’op-

position, dont Staffan de Mistura asalué le travail et les propositions« détaillées et modérées », a dé-noncé une nouvelle tentative durégime de gagner du temps.

Liste des « possibles »

Aux côtés de la chef de la diploma-tie européenne, Federica Moghe-rini, venue mercredi à Genève

souligner l’importance de ces né-gociations pour les Syriens etpour l’Europe, M. de Mistura arappelé la priorité donnée à unesolution politique pour combat-tre le terrorisme. Mme Mogherini adû se défendre d’une nouvelleorientation de la politique del’Union européenne vis-à-vis deDamas, après sa rencontre avec

femmes en politique et le retourdes réfugiés. Il prône aussi la re-construction de l’armée nationale,avec le désarmement et l’intégra-tion des groupes armés, ainsi quela libération des prisonniers, éri-gée en priorité par M. de Mistura.

A Moscou, le secrétaire d’Etataméricain John Kerry s’est lancédans un véritable marathon de

négociations pour rapprocher lespoints de vue avec ses homolo-gues russes : près de quatre heuresd’entretien avec Sergueï Lavrov,suivies de nouveau de près dequatre heures au Kremlin avec leprésident Vladimir Poutine. Peuavant minuit, la liste des « possi-bles » a été dressée lors d’une con-férence de presse commune entre

MM. Kerry et Lavrov. M. Kerry aannoncé qu’il avait convenu, avecle président Poutine, de « peser sur le régime de Damas et l’opposi-tion »  afin de « promouvoir »  latransition politique et « mettre finau chapitre noir de la guerre ».

« Nous sommes d’accord sur le fait qu’il faut un calendrier et un projet de Constitution afin d’éta-

blir un cadre pour une transition politique d’ici aot », a-t-il ajouté.« Nous nous sommes mis d’accord pour obtenir au plus vite le début de négociations directes entre ladélégation gouvernementale ettout le spectre de l’opposition » , arenchéri M. Lavrov. En revanche,aucune position commune n’a,semble-t-il, été trouvée sur le sort

de Bachar Al-Assad, allié de Mos-cou. « Il doit faire ce qu’il faut »  ets’impliquer dans le processus depaix, s’est contenté de déclarer lechef de la diplomatie américaine.« Nous travaillons avec tous plutôtque de mettre la pression sur Assadspécifiquement », a assuré son ho-mologue russe.

Mise à part une plaisanterie

aigre-douce en début de rencontre– accueillant son hôte, M. Poutineavait fait mine de s’interroger surl’attaché-case du secrétaire d’Étataméricain : « quelque chose de pré-cieux, probablement de l’argent pour une meilleure négociation » –,chacun a fait assaut d’amabilités.MM. Kerry et Poutine se sont féli-cités du travail conjoint réalisé parles Etats-Unis et la Russie au seindes « task-forces » destinées à fairerespecter la trêve et la délivranced’aide humanitaire.

Ces efforts, qui ont déjà permis,selon M. de Mistura, d’épargnerprès de « 3 000 vies » et de donnerà 384 000 personnes un accès àl’aide humanitaire dans 12 des18 zones assiégées, seront pour-suivis d’ici à la reprise des négo-ciations. « Le 9 ou 10 avril au plustôt. Si les gens arrivent le 13 ou le 14,

ils seront les bienvenus », a indiquéM. de Mistura, qui a concédé ce re-port au régime pour lui permettred’organiser des élections législati-ves, le 13 avril, dans les zones qu’ilcontrôle. p

isabelle mandraud

(moscou, correspondante)

et hélène sallon

(genève, envoyée spéciale)

John Kerry,secrétaired’Etataméricain,et VladimirPoutine,présidentrusse,à Moscou,le 24 mars.ANDREW HARNIK/AFP

M. Jaafari, la première avec un res-ponsable de haut niveau du ré-gime syrien, sans coordinationpréalable avec les chancelleriesdes pays membres de l’UE.

A l’issue des pourparlers, Staffande Mistura a remis aux deux par-ties un document résumant, endouze points, les principes com-muns acceptés par les deux délé-

gations. Il ne mentionne pas lesort du président Bachar Al-Assadet reste élusif sur « une gouver-nance crédible, inclusive et non sec-taire », principaux points de blo-cage des pourparlers. Il mentionnel’intégrité territoriale et la souve-raineté de la Syrie, le rejet du terro-risme, la réforme des institutionsétatiques, un quota de 30 % de

« Nous travaillons

avec tous plutôtque de mettre

la pression

sur Assad

spécifiquement »

SERGUE Ï LAVROV 

chef de la diplomatie russe

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8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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6 | international SAMEDI 26 MARS 2016

0123

Sur la trace des autres membres du réseauSept personnes ont été arrêtées dans la région bruxelloise, jeudi 24 et vendredi 25 mars, lors d’opérations policières

bruxelles - correspondant

S ept personnes ont été arrê-tées, jeudi 24 et vendredi25 mars, au cours d’une sé-

rie d’opérations policières me-nées dans la région bruxelloise. Lapolice est intervenue en masse,appuyée par l’armée, des blindéset un hélicoptère, à Bruxelles-Ville, Schaerbeek, Jette et Forest.Le parquet fédéral n’a pas révélél’identité des personnes interpel-lées, apparemment liées aux at-tentats de Zaventem et de la sta-tion de métro Maelbeek.

Il devait en dire plus dans lajournée de vendredi et précisernotamment si, comme l’indi-quaient des médias belges, cesopérations étaient ou non liéesaux opérations menées à Argen-teuil, dans le Val-d’Oise.

La journée de jeudi a apporté uneautre information sur laquelle lesautorités devaient livrer des expli-cations. Divers médias ont affirméque les trois hommes retranchésdans la planque de Forest, décou-verte par la police mardi 15 mars,projetaient une fusillade à l’armelourde à Bruxelles. Une attaquecalquée sur celle contre les terras-

ses parisiennes, en novem-bre 2015. Salah Abdeslam devaitopérer en même temps que sesdeux complices, Mohamed Belk-aïd, tué lors de l’assaut de Forest, etAmine Choukri, arrêté en mêmetemps que le dixième membre ducommando de Paris. Le vrai nomde Choukri est inconnu, mais ceTunisien aurait combattu en Syrieet serait revenu en Europe, en sefaufilant parmi les réfugiés arri-vant en Grèce. Il a jusqu’ici invoquéson droit au silence.

Seuil d’alerte abaissé

Ces opérations policières confir-ment que la totalité du réseaubasé à Molenbeek, qui a fomentéles attentats de Paris et Bruxelles,n’est pas démantelée. Plusieursindividus sont encore recherchés,dont un Syrien de 24 ans, Naïm Al-Ahmed, qui n’apparaissait pasdans les dossiers jusqu’ici. Le gou-vernement a toutefois décidé,vendredi, de ramener à 3 (sur uneéchelle de 4) le seuil d’alerte terro-riste, ce qui permet notamment lerétablissement partiel du traficdans le métro de Bruxelles et lasuppression des contrôles systé-matiques à l’entrée des gares. Les

autorités semblent donc convain-cues qu’il n’existe plus de menaceimminente d’un autre attentat.

Après le démantèlement du

groupe de Forest, à l’issue d’uneperquisition de routine qui atourné à la fusillade, et avant lesattentats du 22 mars, les autoritésavaient étrangement maintenu leniveau 3. Une décision qui faitl’objet de critiques, d’autant queplusieurs suspects étaient tou-jours en fuite à ce moment.

Les autorités belges sont con-frontées à une cascade de révéla-tions sur les failles des enquêtesmenées depuis les attentats de Pa-ris jusqu’à ceux de Bruxelles.Outre le cas d’Ibrahim ElBakraoui, l’un des kamikazes du22 mars, identifié comme djiha-

diste par les autorités turques enjuillet 2015 et renvoyé en Europeoù il n’aurait pas été recherché, di-vers éléments jettent le trouble.Comme cette information paruevendredi indiquant qu’un poli-cier de Malines, en Flandre, avaiteu connaissance dès le 7 décem-bre 2015 d’une adresse, à Forest,où aurait pu se trouver Salah Ab-desselam : le 79, rue du Dries,l’adresse où la police est interve-nue le 25 mars… Abdeslam y vivaitavec ses deux complices. La cel-lule antiterrorisme de la police fé-dérale n’aurait pas reçu cette in-

formation capitale, bloquée à Ma-lines. Le Comité P, qui contrôle lesservices policiers, a été saisi.

Information « lacunaire »D’autres failles seront examinéespar la commission d’enquête par-lementaire constituée jeudi. Enjuillet 2014 déjà, une policière avaitreçu un appel évoquant la possibi-lité d’un attentat que commet-traient les frères Salah et BrahimAbdeslam – ce dernier fut l’un deskamikazes de Paris. L’informationfut jugée « trop lacunaire »  par leparquet et la police fédérale. Unpeu plus tard, on découvrira que

les services belges ignoraient lefait que Brahim Abdeslam avait sé-journé en Syrie. C’est un magazinede propagande de l’organisationEtat islamique qui leur apprendraque l’homme faisait partie ducommando de Paris.

Au soir des attentats de Paris, Sa-lah Abdeslam est contrôlé surl’autoroute Paris-Bruxelles, maisla police belge ne l’a pas signalé « àrechercher » alors qu’il figure surla liste des djihadistes belges éta-blie par l’Office central d’analysede la menace.

En décembre 2015, le ministre

de la justice, Koen Geens, déclareque la police a raté l’interpellationde Salah Abdeslam le 16 novem-bre, à Molenbeek. Parce que lesperquisitions sont interdites en-tre 21 heures et 5 heures du matin.Le parquet tentera de nuancer lepropos, mais le suspect semble,effectivement, avoir pu fuir. Enmars 2016, le Comité P met en évi-dence les lacunes des banques dedonnées policières, nombreuseset mal connectées entre elles. Legouvernement de M. Michel es-père que la liste s’arrêtera là. Rienn’est moins sûr.p

j.-p. s.

A T T E N TA T S D E B R U X E L L E S

Ces opérationsconfirment

que la totalitédu réseau basé

à Molenbeek

n’est pas

démantelée

Les faussesconfessionsde Salah Abdeslamaux enquêteursD’après les procès-verbaux de ses auditionsque « Le Monde » a pu consulter, le seul rescapé

des commandos de Paris n’a été interrogéque deux heures depuis son arrestation, le 18 mars

bruxelles - envoyée spéciale

Une semaine aprèsl’interpellationde Salah Abdes-lam,  Le Monde  apu consulter lecontenu de son

audition devant les enquêteurs, enBelgique. Le seul rescapé des com-mandos des attaques de Paris, le13 novembre, est aujourd’huisoupçonné d’avoir été au courant

du double attentat qui se préparaità Bruxelles et de n’avoir rien faitpour l’empêcher. Salah Abdeslama été entendu au lendemain de sonarrestation, le 19 mars, au siège dela police fédérale, à Bruxelles.D’abord par les policiers, puis,quelques heures plus tard, par lajuge d’instruction. Environ uneheure chaque fois. Un temps quisemble bien court compte tenu dela valeur de ce prévenu.

Cette audition, assez sommaire,truffée d’incohérences, montreque les enquêteurs ont peut-êtreraté une occasion d’obtenir desrenseignements qui auraient pupermettre de déjouer les attentatsdu 22 mars. Abdeslam y est surtoutinterrogé sur le déroulé des faits le

13 novembre. Les policiers tententbien d’en savoir plus sur ses com-plicités à Bruxelles, l’aide logisti-que et amicale dont il a pu bénéfi-cier durant ses 125 jours de cavaledans la capitale. Mais l’interroga-toire n’est pas poussé. Abdeslam secontente de répondre aux ques-tions qu’on lui pose, minimisantson rôle, mais ne donne aucun élé-ment qui pourrait éveiller lessoupçons des enquêteurs. Ainsi lajustice belge semble être passée àcôté du drame qui se tramait.

Il est 10 heures, ce samedi. SalahAbdeslam est accompagné d’unavocat commis d’office, et la toutepremière question qu’on lui poseest celle de son rôle lors des atten-tats du 13 novembre. Salah con-firme avoir été celui qui a louévoitures et hôtels. Il assume aussile fait d’avoir été le chauffeur destrois kamikazes jusqu’au Stade deFrance. Mais au lieu d’en endosserl’entière responsabilité, il renvoiela balle sur son frère aîné :« j’ai fait ça suite à la demande de Brahim ».Il ne confirme l’identité que de Bi-lal Hadfi, pas des deux autres ka-mikazes du stade de France dontil dit « ignorer le rôle ». C’est à cemoment-là qu’il précise aussiqu’il devait se rendre au Stade de

France, sans ticket, « pour [se] faire exploser ».

La suite de la soirée sanglante, illa raconte ainsi : « J’ai renoncé lors-que j’ai stationné le véhicule. J’aidéposé mes trois passagers, puis

 j’ai redémarré. J’ai roulé au hasard, je me suis stationné quelque part, j’ignore où. J’ai fermé mon véhi-cule, j’ai pris la clé avec moi et jesuis rentré dans la station Mon-trouge. J’ai fait quelques arrêts demétro, un ou deux. Je suis ensuitedescendu du métro. J’ai marché

 jusqu’à un magasin de téléphone, j’ai acheté un téléphone et j’ai con-tacté une seule personne : Moha-med Amri ».  Celui qui va venir lechercher jusqu’à Paris avecHamza Attou. Là démarrent lespremières omissions de Salah Ab-deslam. On sait depuis qu’il a aumoins tenté d’appeler une de sestantes, qui habite Paris.

UNE SÉRIE D’INCOHÉRENCESSur sa ceinture d’explosif, SalahAbdeslam assure que c’est sonfrère Brahim qui la lui a donnéedans l’appartement loué à Bobi-gny. Après avoir renoncé, dit-il, ill’a « cachée » dans un « endroit dis-cret ». Plus tard, la juge d’instruc-tion tentera de savoir s’il a vrai-

« Chaque foisque j’ai dû payerdes choses pour

préparerces attentats,

l’argent venaitde Brahim »SALAH ABDESLAM

 AUX ENQUÊTEURS, À PROPOS DE SON FRÈRE

ment renoncé à se suicider, ou siil a eu un problème technique. Se-lon nos informations, Abid Aber-kan, le cousin chez qui il s’est ré-fugié à Molenbeek, rue des Qua-tre-Vents, et qui a été interpellé le19 mars, a indiqué de son côté lorsde son audition que Salah lui avaitdit que sa ceinture « manquait deliquide [explosif] ».

L’un des plus gros mensongesde Salah Abdeslam concerne Ab-delhamid Abaaoud, le cerveauprésumé des attentats de Paris. Lejeune homme de 26 ans con-firme : « C’est lui le responsable desattentats ». « Je le sais de mon frère

 Brahim », précise-t-il. Mais au lieude dire qu’ils se connaissent tous

les deux depuis l’enfance, et ontmême été interpellés ensemblepour un braquage de garageen 2010, Salah Abddeslam jure,sans sourciller, que la« seule fois »où il a vu « Abaaoud de [sa] vie »,c’est la veille des attentats, dansune planque à Charleroi.

Sur ces complicités présumées àBruxelles, durant sa cavale, les en-quêteurs ne vont obtenir de SalahAbdeslam que des indicationssommaires. Le djihadiste va expli-quer qu’au lendemain des atten-tats de Paris, il s’est d’abord caché àSchaerbeek, une commune deBruxelles. Chez quelqu’un qu’il ap-pelle Abdel, et qui est en fait Moha-med Belkaid, tué lors d’une inter-pellation ratée à Forest, le 15 mars.Salah indique être allé chez lui car

« je n’avais pas d’autre endroit oùaller ». Mais il indique plus tarddans ses déclarations que Moha-med Belkaid lui a d’emblée assuré,le 14 novembre, qu’il disposaitd’une autre planque, à Forest, où ilva finalement mourir, permettantà Abdeslam de s’enfuir.

DE PLANQUE EN PLANQUEMohamed Belkaid et Salah Abdes-lam se connaissaient car Salahétait allé chercher le premier en Al-lemagne (ou en Hongrie, ses décla-rations divergent), en septem-bre 2015, en voiture de location,une Mercedes. Interrogé sur le fi-nancement de ce voyage, Salah Ab-deslam assure :« l’argent de la loca-tion venait de mon frère Brahim.

 J’ignore la provenance de cet ar- gent, mais je sais que ça n’était pasle sien. Chaque fois que j’ai dû payer 

des choses pour préparer ces atten-tats, l’argent venait de Brahim ». Cequi semble confirmer que Moha-med Belkaid a été ramené en Belgi-que spécifiquement pour assurerle rôle de logisticien à distance dela tuerie du 13 novembre.

« Abdel [Mohamed Belkaid]n’était pas content de me voir reve-nir. Je lui ai expliqué que je ne pou-vais pas me faire sauter. Il m’a con-solé et m’a ensuite dit qu’il allait mecacher le temps que je puisse partirdans un lieu où je serai en sécu-rité », raconte Salah. Ils passerontde la planque de Schaerbeek à Fo-rest en taxi une dizaine de jours

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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0123SAMEDI 26 MARS 2016 international | 7

Le gouvernement belgeébranlépar une succession de ratésAu moins trois erreurs ont été commises dans le suivi judiciaire

d’Ibrahim El Bakraoui, l’un des deux kamikazes de l’aéroport

bruxelles - correspondant

Les ministres belges de l’in-térieur et de la justice, lenationaliste flamand JanJambon et le chrétien-dé-

mocrate flamand Koen Geens,sont dans la tourmente après lesrévélations sur ce qui est devenu« l’affaire Ibrahim El Bakraoui », dunom de l’un des kamikazes de l’aé-roport de Zaventem, où il s’est faitexploser mardi 22 mars. Les minis-tres devaient s’expliquer, ven-dredi, devant deux commissionsde la chambre des députés, surune série de ratages de leurs servi-ces. Des bévues qui ont apparem-

ment permis à cet hommed’échapper aux recherches alorsqu’il était membre du réseau ter-roriste basé à Molenbeek.

Mercredi, le président turc,Recep Tayyip Erdogan, a révélé quecet ancien truand avait été arrêtédans son pays et expulsé vers lesPays-Bas après avoir tenté de ga-gner la Syrie. Il avait sans doutechoisi cette destination pouréchapper à la justice belge : il étaiten libération conditionnelle et nepouvait séjourner à l’étranger du-rant plus d’un mois.

Les autorités belges et néerlan-daises avaient été averties maisn’avaient rien fait alors quel’homme était manifestement uncandidat au djihad armé, a indiquéle président Erdogan. Ses proposont d’abord suscité des explica-tions confuses de la part du minis-

tre belge de la justice. Ils ont aussidéclenché un raz-de-marée qui afailli entraîner la démission deMM. Geens et Jambon. Mercredisoir, ils ont proposé de remettreleur portefeuille au premier mi-nistre Charles Michel, conscientsque les administrations placéessous leurs ordres avaient commisde lourdes erreurs.

Après des réunions tendues avecles intéressés et les présidents deleur parti respectif – Bar t De Weverpour l’Alliance néoflamande(NVA), Wouter Beke pour leschrétiens-démocrates et flamands(CD & V) –, M. Michel a refusé desdémissions qui auraient totale-

ment déstabilisé sa coalition. Sedéfaire de deux responsables-clésalors que le pays tente toujours dedémanteler des réseaux et de res-

taurer ce qui reste de son imageaurait représenté  « une véritablecatastrophe », confie-t-on au seindu Mouvement réformateur, leparti de M. Michel.

Dans la foulée, les partis du gou-vernement ont dû accepter cequ’ils avaient d’abord refusé : lacréation d’une commission d’en-quête parlementaire qui comptebien examiner la manière dont lesservices concernés ont travailléavant les attaques sanglantes deBruxelles mais aussi au cours desdernières années. Les députésd’opposition sont résolus à déter-miner comment le royaume a pudevenir une base djihadiste, dontcertains membres ont été des ac-teurs des attentats de Paris.« Nousdisposerons de pouvoirs étendusmais notre ligne est claire, nous ex-plique le député centriste Georges

Dallemagne, dans l’opposition. Nous n’empiéterons pas sur les en-

quêtes judiciaires en cours, qui doi-vent rester secrètes, mais je croisnécessaire d’enquêter sur le fonc-tionnement des services de rensei-

 gnement et de police, l’affaire Bakraoui, ou le financement desmosquées salafistes. »

A ce stade, on recense au moinstrois erreurs commises par la po-lice fédérale, dont la commissairegénérale, Catherine De Bolle, a étéconvoquée jeudi. Un premiercouac a été relevé du côté de sonofficier de liaison à Istanbul. In-formé par courriel du vol sur le-quel avait été placé Ibrahim ElBakraoui, il en aurait pris connais-sance trop tard, une fois que

l’avion avait atterri. Par la suite, il ainformé ses supérieurs de la policejudiciaire fédérale de Bruxellesmais ceux-ci n’auraient pas réagi.Ou, en tout cas, pas mis en placeles moyens nécessaires pourpister l’intéressé.

Enfin, lorsque le tribunal chargéde l’exécution des peines a annuléla libération conditionnelle dontbénéficiait El Bakraoui – en août2015 seulement, alors qu’il nes’était pas présenté aux rendez-vous obligatoires depuis mai –, onn’a pas immédiatement tenté de leretrouver, a expliqué, jeudi soir,M. Geens. Dans ce cas, c’est la res-ponsabilité d’un service spécifi-que de la police fédérale qui estmise en cause : le Fugitive ActiveSearch Team (FAST).

Il semble toutefois que la policefédérale n’est pas le seul service de

l’Etat dont la responsabilité est en-gagée. Les assistants de justice,

chargés de suivre le détenu libéré,ont-ils réagi trop tard ? Le tribunald’application des peines a-t-il vrai-ment suivi le dossier ? Dès mer-credi matin, Brice De Ruyver, cri-minologue à l’université de Gand,critiquait « la vision trop o pti-miste » de cette instance et sa réac-tion trop tardive. « Je croyais quenous avions tiré les leçons de la libé-ration conditionnelle de Marc

 Dutroux, hélas… »,  expliquait leprofesseur dans le quotidien  De

 Morgen. Dans les années 1990, lecélèbre tueur du royaume avait bé-néficié d’une mesure de clémence,ce qui lui avait permis de commet-tre l’essentiel de ses méfaits.

Révélations en cascadeLa décision du tribunal qui a libéréde manière anticipée Ibrahim ElBakraoui au printemps 2015 estégalement critiquée. L’intéresséavait été condamné à neuf ans deprison en septembre 2011 pourune tentative de braquage quiavait mal tourné. Le truand et sesdeux complices avaient tiré àl’arme lourde sur la police, troisballes atteignant la jambe d’unagent. Deux autres armes de groscalibre avaient été retrouvées dansle véhicule. Le parquet, qui avait ré-clamé treize ans de détention,s’était ensuite opposé à cette libé-ration, tout comme la direction dela prison. El Bakraoui a cependantbénéficié de la clémence du juge.

Jeudi, lors d’une cérémonied’hommage, le premier ministre,

très applaudi, a souligné qu’il nepouvait y avoir, pour son pays, « latentation d’atténuer, de minimiserou de cacher quoi que ce soit ». Ilreste à savoir si la Belgique résis-tera aux révélations en cascadeconnues ou à venir. Car l’affaireBakraoui n’est pas la seule qui luiempoisonne la vie : d’autres lacu-nes ont émaillé les enquêtes surles attentats du 13 novembre enFrance. Et les députés voudrontaussi savoir ce qu’il en est de ces in-formations venues de Tel-Aviv etMoscou dont les services auraient,paraît-il, prévenu les autorités del’imminence d’attentats. p

jean-pierre stroobants

Le premierministre a refusé

les démissions de deux de

ses ministresqui auraientdéstabilisésa coalition

Un proche d’Abaaoud interpelléà ArgenteuilReda K., chez qui des explosifs ontété découverts, a appartenu à une filière djihadiste belge

L a galaxie djihadiste franco-belge a livré un autre de seshommes, jeudi 24 mars. Au

terme d’une opération menée parla Direction générale de la sécuritéintérieure (DGSI) à Argenteuil(Val-d’Oise), un Français de 34 ans,Reda K. a été interpellé et placé engarde à vue.

Ce natif de Courbevoie (Hauts-de-Seine) avait fait l’objet d’unecondamnation par contumace enjuillet 2015 par la justice belge,dans un procès qui avait égale-ment vu la condamnation par

contumace d’AbdelhamidAbaaoud, cerveau présumé des at-tentats du 13 novembre. Le rôle ac-tif de Reda K. auprès d’un des plusgros recruteurs de combattantsdjihadistes syriens, Khalid Zer-kani, lui avait valu une peine dedix ans de prison.

Absent au procès, Reda K. avaitéchappé à l’incarcération : il avaitfait l’objet d’un mandat d’arrêt in-ternational le 4 mars 2014 et auraitrejoint la Syrie au dernier trimes-tre 2014. Son interpellation à Ar-genteuil, deux ans plus tard, inter-roge sur le retour des combattantsdjihadistes.

La perquisition du logementdans lequel Reda K. se trouvaitn’était pas terminée vendredi ma-tin. Un arsenal composé d’explo-sifs et d’armements y a notam-ment été découvert. C’est l’arrivéedes démineurs sur place et l’ins-tauration d’un périmètre de sécu-rité qui a empêché les enquêteursde la DGSI de rester discrets.

Dans la soirée de jeudi, le minis-tre de l’intérieur, Bernard Caze-neuve, s’est publiquement ex-primé et a précisé que l’interpella-tion avait permis « de mettre en

échec un projet d’attentat en France, conduit à un stadeavancé ».

Rôle déterminant

Le parquet a de son côté ajouté quedes complices étaient recherchéset n’a pas confirmé l’identité deReda K. compte tenu de l’« impé-rieuse nécessité de préserver lesopérations en cours ». Il précisetoutefois que ces investigationssont conduites sous l’autorité d’unjuge d’instruction antiterroristedans le cadre d’une procédureouverte en novembre 2015. Uneprocédure dont le point de départ

n’est ni les attentats du 13 novem-bre, ni Reda K. lui-même.

L’interpellation de Reda K. vientune nouvelle fois rappeler les liensétroits entre la France et la Belgi-que sur la scène djihadiste. C’estlorsqu’il vivait en Belgique, dans lacommune bruxelloise d’Ixelles,que Reda K. a pris part à l’une desplus grosses filières de recrute-ment et d’acheminement de com-battants vers la Syrie, en assumantun rôle logistique.

Selon ses proches, il pratiquait la« ghanima » (« butin de guerre ») 

pour financer des départs. Consi-déré comme un délinquant,auteur notamment de braquages,Reda K. est accusé d’avoir donné12 000 euros pour financer lacause du djihad ou encore d’avoirmis à disposition sa Mercedesauprès de la filière dite « Zerkani ».

Le procès de la filière de KhalidZerkani s’est tenu en Belgique enmai 2015. Ce Bruxellois de 42 ans,originaire de Molenbeek, a étécondamné en juillet 2015 à douzeans de prison ferme et placé en dé-tention pour avoir encouragé desdizaines de garçons belges et quel-ques Français, à partir combattre

dans les rangs de l’Etat islamique.Parmi la trentaine de prévenus

au procès – mais absent àl’audience – figurait AbdelhamidAbaaoud, tué dans l’assaut des for-ces de l’ordre, le 18 novembre, àSaint-Denis. Il avait alors été con-damné à vingt ans de prison parcontumace.

Condamné également en sonabsence à cinq ans de prison, etmort lors de l’assaut du RAID àSaint-Denis, Chakib Akrouh, unBelgo-Marocain de 25 ans, consi-déré comme l’un des tueurs des

terrasses parisiennes. Zerkani, lementor d’Abaaoud et d’Akrouh,apparaît aussi comme ayant eurôle déterminant dans le rallie-ment de Najim Laachraoui à lacause djihadiste. Celui qui estaujourd’hui considéré commel’artificier des attentats du 13 no-vembre et le second kamikaze del’aéroport de Zaventem apparais-sait dans un second procès Zer-kani qui s’est tenu en février enBelgique. Quinze ans de prisonavait étaient requis contre Laa-chraoui. Le jugement était at-tendu pour début mai.p

julia pascual et e. v.

plus tard, selon ses déclarations.Interrogé sur le deuxième

homme avec qui il a été interpelléle 19 mars, Salah Abdeslam estbeaucoup moins loquace. Celui-cia divers pseudonymes dont« Amine Choukri ». Mais son vraipatronyme, selon nos informa-tions, est Ayari, et il est d’originetunisienne. Un homme que SalahAbdeslam confirme être allé cher-cher en Hongrie et avoir ramenéjusqu’à Schaerbeek où il s’est fina-lement caché, mais dont il dit « tout ignorer ».  A travers ses dé-clarations, Salah Abdeslam con-firme toutefois sa dangerosité.

Comme Mohamed Belkaid, Ayaris’était « rendu en Syrie ».

Le moment où les enquêteursmanquent sans doute le plus l’oc-casion de déjouer les attaques enpréparation à Bruxelles vientquand Salah Abdeslam est inter-rogé sur Ibrahim et Khalid ElBakraoui, deux des kamikazes dudouble attentat du 22 mars. On luiprésente une planche photo repré-sentant les deux frères et, commeil le fera avec la juge d’instructionun peu plus tard, il assure sans hé-siter : « Je ne [les] connais pas ».  Il nesera jamais relancé sur ce point.p

élise vincent

Arrestation de SalahAbdeslam, à Molenbeek(Belgique), le 18 mars.REUTERS TV/REUTERS

Réunion des ministres de l’intérieurLors d’une réunion de crise, les ministres européens de l’intérieurse sont contentés, jeudi 24 mars à Bruxelles, de rappeler qu’ilsavaient l’intention d’adopter le plus vite possible l’agenda poussépar la France après les attentats en 2015. Une fois de plus, il a étéquestion du « PNR », le fichier européen des passagers aériens,un projet sur la table depuis 2011, mais longtemps freiné parle Parlement européen, qui a fini par lever son blocage. Le but,

 jeudi, était de faire pression sur les députés européens pour qu’ilsdonnent leur feu vert définitif, lors d’un vote en plénière en avril.Le ministre de l’intérieur français, Bernard Cazeneuve, a aussi rap-pelé « l’urgence » d’adopter une nouvelle directive sur les armesà feu, afin d’interdire l’utilisation des armes semi-automatiques.

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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8 | FRANCE SAMEDI 26 MARS 2016

0123

Notre-Dame-des-Landes, une vie « hors la loi »Malgré les décisions de justice, deux cents opposants au projet d’aéroport défendront la ZAD jusqu’au bout

Adèle, au lieu-dit les Vraies Rouges, sur la ZAD,le 18 mars. PHOTOS : ROMAIN ÉTIENNE/ITEM POUR « LE MONDE »

PROFILSnotre-dame-des-landes

(loire-atlantique) - envoyé spécial

Annoncée par la justicepour le 26 mars, l’ex-pulsion des onze fa-milles d’opposants his-

toriques de leurs maisons et deleurs fermes à Notre-Dame-des-Landes peut désormaisêtre exécu-tée. Mais le calendrier judiciaire necorrespond plus à l’agenda politi-que. Le gouvernement a en effetannoncé la tenue d’une consulta-tion sur le futur aéroport, prévusur 1 650 ha de bocage, au nord deNantes, avant l’été. Mais jugementou pas, référendum ou non, cesopposants ne sont pas près dequitter les lieux, pas plus que les

quelque 200 occupants de la zoneà défendre (ZAD).Depuis l’été 2009, un an après la

déclaration d’utilité publique dunouvel aéroport, ces derniers ontessaimé la ZAD de cabanes et debarricades. Nouveaux agricul-teurs, militants écologistes, antica-pitalistes, « hors-la-loi » aussi, ilscombattent le projet d’aéroport etlutteront jusqu’au bout pour enempêcher le chantier. Fuyant lesmédias, ils se réfugient la plupartdu temps derrière un prénom gé-nérique, « Camille », « tant parsouci d’anonymat que par refus de

 personnalisation de la lutte », di-sent-ils. Certains ont accepté de ra-conter leur engagement, de parlerà visage découvert. Leurs portraitssont autant de morceaux dupuzzle que constitue la ZAD, unecommunauté de lutte faite de di-

zaines de lieux de vie, des maisonset des fermes squattées autourdesquelles les opposants ont cons-truit leurs cabanes et installé leurscaravanes.

Adèle, la passionnéeJean noir, sweat rouge à capuche

de laquelle dépassent les mèchesnoires d’une chevelure rebelle,Adèle nous attend assise sur l’unedes nombreuses tables meublantl’espace devant sa « maison ». Acôté, un petit transistor diffuse lesinformations du jour. A portée demain aussi, le téléphone mobile etl’ordinateur portable. La jeunefemme joue un peu les « relationsmédia » pour la zone.

Bretonne de 34 ans, « Adèle » –elle a choisi ce prénom en réfé-

rence au film d’Abdellatif Kechiche–, rejoint la ZAD en juillet 2011, àl’occasion de la tenue du « CampNoG » (contre les sommets du G8et du G20, réunissant les diri-geants des grandes puissances).« Venue ici pour trois semaines, je

 pensais en repartir. J’ai trouvé le lieuintrigant, plein de libertés. C’étaitune période où je m’ennuyais dansla vie. Il faisait beau et je suis res-tée », se rappelle-t-elle, évoquantaussi ses études de langues à Ren-nes et ses cours de théâtre à Paris.

Adèle construit alors une mai-son avec des copines, à l’est de lazone. La maison est aussitôt dé-truite par les gendarmes lors de

l’opération « César » d’évacuationde la zone, en octobre 2012. Aprèsun séjour au camp éphémère« Hors contrôle », accueillant lesmilitants venus réoccuper la ZAD,fin novembre, Adèle s’installe der-rière la ferme des Fosses noires.Elle récupère un dôme géodésique

 [une sphère dont la structure estautoporteuse] , une grosse boulequ’elle dresse contre une cabaneen bois. Le lieu, situé entre les Fos-ses noires et les Vraies rouges, estbaptisé le Dôme. Un panneau« Bollywood » y proclame le jume-lage avec la lutte du quartier desLentillères à Dijon.

La vie n’est pas toujours simple.Cette « communauté de lutte » estfaite de plusieurs collectifs, declans même. « Les véganes sontcontre l’exploitation animale, ne

veulent pas de lait ou de viande, àcôté d’éleveurs qui s’installent pour

 produire. Il y a des gens prêts à par-ler à la presse, d’autres ne veulent rien lâcher », raconte-t-elle. Il fautlutter aussi contre le sexisme sur laZAD. « Vivre ici son homosexualité,ce n’est pas possible, tout commeavoir plusieurs relations en mêmetemps »,  confie Adèle, évoquantses relations avec des femmes.

Adèle aurait voulu être actrice,ou faire du cinéma, du théâtreaussi. Vivant du RSA, elle suit descours de danse à Nantes, mais sapassion, c’est la ZAD. « Avec elle, onaura fait chier le pouvoir pendantcinq ans. Cette forme de violence lesa conduits à faire un référendum.S’ils veulent nous virer, ce sera san-

 glant, dramatique », prévient lajeune femme.

Willem, l’éleveurElever des vaches, faire du lait,

Willem, jeune Breton de 28 ans, sa-lopette en jean sur pull en lainemarron, l’a toujours voulu.Aujourd’hui, dans la ferme deSaint-Jean-du-Tertre, au sud-ouestde la ZAD, qu’il a occupée enavril 2014, le jeune homme pos-sède vingt-trois bovins, dont lamoitié de vaches laitières.

Après avoir travaillé dans le sudde la Loire, près du lac de Grand-Lieu, à proximité du site de l’actuelaéroport nantais, Willem suit uneformation au Centre de formation

professionnelle et de promotionagricole au Rheu (Ile-et-Vilaine).« A l’automne 2012, on entend à laradio l’annonce des expulsions del’opération “César ” et avec les collè-

 gues, on décide de rejoindre la ma-nifestation de réoccupation, le

 23 novembre », raconte-t-il.La suite ? Un stage chez les

Fresneau, une famille d’agricul-teurs au Liminbout, sur la ZAD, quidoit être expulsée et, en parallèle,le travail des vingt hectares de« sa » ferme, à Saint-Jean-du-Ter-tre, qu’il voudrait convertir en bio.Willem aimerait s’étendre sur cin-quante hectares. « Ici, je squattemais je suis exploitant agricole. En

 fait, je préfère le mot de paysan. J’aimerais vendre directement maviande. » Car Willem e n est sûr :l’aéroport ne se fera pas. « On est

 plus têtu que le pouvoir ! »Dans la maison, les ouvrages en

breton et sur l’histoire paysanneaffirment son identité. Les disquesindiquent un éclectisme musical

certain, des musiques d’EnnioMorricone aux mélodies de deuxmusiciens maliens, Ali FarkaTouré et Toumani Diabaté, ma-riage du blues et de kora mandin-gue. L’engagement de Willem, c’estle Copain ou Collectif des organisa-tions professionnelles agricolesindignées par le projet d’aéroport.

Les réseaux paysans en Loire-At-lantique, une longue histoire deluttes.

Le jeune homme goûte peu lespartis politiques : « Ils datent etsont inadaptés au changement so-cial. Pour comprendre ces luttes, onne peut pas penser en termes de

 gauche, d’extrême gauche. C’estquoi la gauche ? Le PS ? Mélenchon?Sur la ZAD, on fait bouger les lignes,on ne se cantonne pas à des identi-tés forcées : social-démocrate, liber-taire… cela ne veut rien dire. »

A quelques mètres de la ferme,une roulotte en bois aux portes etfenêtres bleu céleste propose,deux fois par semaine et sur réser-

vation, une table d’hôtes. C’est la« black plouc kitchen ». On y vientà une petite dizaine déguster lesmenus végétariens, végétaliensou « omnivores ». Le prix est libre.Esprit ZAD garanti.

Claude, l’aubergiste

Ils sont quatre à se retrouverdans la chaleur de la cuisine, au Li-minbout : Claude, le père, et Chris-tiane, la mère, la cinquantaine cha-cun, et leurs enfants, Théo etLoula, 23 et 21 ans. C’est ici le cœurde la maison, car Claude est cuisi-nier. Une quinzaine d’années à tra-vailler dans des restaurants, deshôtels, pour œuvrer aujourd’huidans un institut pour jeunes endifficulté, à Treillières, à une di-zaine de kilomètres de Notre-Da-me-des-Landes. Il espère un jourouvrir une auberge dans la ZAD.

La famille Herbin fait partie desrésistants historiques, habitant de-puis vingt ans au Liminbout. Les

enfants ont été à l’école du village,les parents s’impliquant dans lavie associative. A leur arrivée, lepropriétaire de la maison leur aparlé du projet d’aéroport, maissans trop y croire. Puis la résistancea pris forme. « En 2007, on a crééavec d’autres familles une associa-tion, “Des habitants qui résistent”,dissoute en 2011, une partie des fa-milles étant parties », dit Claude.

Aujourd’hui squatteurs dansleur maison, ils sont un peu les dis-sidents de l’Association citoyenneintercommunale des populationsconcernées par le projet d’aéro-port (Acipa), créée en novem-bre 2000. « On les trouvait tropmous, pas assez actifs sur le terrain.Quand les géomètres sont venus,on leur courait après. On était plusradical sur les modes d’action »,s’amuse Claude, visage rond,barbe grise et bonnet noir enfoncésur le crâne. Claude cuisine les pro-duits naturels et confectionne desplats traditionnels : cassoulet,poulet basquaise… alimentant ré-gulièrement la ZAD. Pour un week-end de mobilisation, fin janvier, ila préparé un pot-au-feu de cochonet des tripes au muscadet.

«On est plus intime avec la ZAD et 

on fait la charnière avec les associa-tions comme l’Acipa », explique lerobuste cuisinier. Il connaît les di-vergences entre militants sur lesmodes d’action. « Il y a des litigesentre les zadistes radicaux et les as-sociations plus légalistes qui crai-

 gnent les retombées médiatiquesdes incidents, exploités par le préfet et les pro-aéroport. » Comme par-tout, dit-il, il y a des gens« à la ra-masse qui font n’importe quoi ».« Mais, témoigne Christiane, sacompagne , je me sentirais plus àl’aise de marcher dans la ZAD à

 3 heures du matin que dans unquartier sensible de Nantes. » p

rémi barroux

le gouvernement  reverra-t-il sa co-pie s’agissant du projet de référendumsur la construction du nouvel aéroportà Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlan-tique), une proposition faite par Fran-çois Hollande le 11 février ? Le Conseilnational de la transition écologique(CNTE) a émis, jeudi 24 mars, un avis ju-geant insatisfaisant le projet d’ordon-nance « relative à la consultation localesur un projet relevant de la compétencede l’Etat ayant une incidence sur l’envi-ronnement », qui lui était soumis par leministère de l’environnement.

Composé de cinquante membres re-présentant les associations, environne-mentales notamment, les syndicats, les

employeurs, les collectivités territoria-les et les parlementaires, le CNTE « es-time que le projet d’ordonnance néces-site des travaux complémentaires ».

L’avis a été assez consensuel, pour desmotifs parfois différents. Cette nou-velle procédure autorisant des consul-tations locales par l’Etat sur des projetsd’intérêt national, comme un aéroport,n’est pas légitime pour certains, toutcomme le périmètre de la consultationretenu, celui de la déclaration d’utilitépublique – en l’occurrence le départe-ment de Loire-Atlantique. « Cette limi-tation du périmètre est une sérieuse ré-

 gression par rapport à la précédente or-donnance soumise au CNTE qui pré-

voyait un périmètre plus large “en fonction de l’étendue géographique desimpacts” », ont écrit au premier minis-tre, Manuel Valls, mercredi 23 mars, lesreprésentants de huit organisations en-vironnementales, dont la FondationNicolas Hulot, France nature environ-nement, les Amis de la Terre, le WWF, leRéseau Action Climat…

« Déni du dialogue environnemental »Est aussi contesté le choix d’une ques-tion binaire, à laquelle répondre paroui ou par non, laissant peu de place àla discussion d’alternatives. Selon lesorganisations environnementales, latenue de cette consultation « dans de

telles conditions constituerait un dénidu dialogue environnemental, des prin-cipes constitutionnels de participationdu public (…) ».

L’avis du CNTE n’est certes qu’indica-tif. Mais on voit mal le gouvernementqui voyait cette consultation localecomme le moyen de légitimer le trans-fert de l’actuel aéroport de Nantes-At-lantique vers Notre-Dame-des-Landes,ne pas le prendre en compte. Pro-blème : le gouvernement, sans attendrel’avis du CNTE, a déjà transmis son pro-jet d’ordonnance au Conseil d’Etat, quidoit l’étudier dans un délai d’un mois.

La ministre de l’environnement, Sé-golène Royal, devait s’entretenir avec

Manuel Valls, dès vendredi 25 mars,pour envisager la suite à donner àl’avis du CNTE, et à ce nouveau possi-ble contretemps. Car, dans le scénarioidéal imaginé par le gouvernement,venait ensuite le temps de l’informa-tion des électeurs, celui de la consulta-tion – courant juin –, toutes ces étapesdevant se dérouler avant l’été afin depouvoir débuter les travaux àl’automne, ainsi que l’a déjà annoncéle premier ministre. Ce calendriersemble maintenant compromis, sauf àpasser en force, au risque d’amplifierune contestation, locale comme natio-nale, toujours vive. p

r. bx.

Le projet de référendum n’est « pas satisfaisant en l’état »

Au Liminbout,le 17 mars.La famille

Herbin,« résistante

historique », vitavec les zadistes.

Willem, paysan« zadiste »à Saint-Jean-du-Tertre,le 17 mars.

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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0123SAMEDI 26 MARS 2016 france | 9

La surenchère sécuritaire de la droiteLes responsables de LR avancent en ordre dispersé leurs propositions de lutte antiterroriste

Après chaque attentat,le scénario commence

à devenir classique.Sans attendre la fin de

la période de deuil et d’enquête,les micros et les caméras se tour-nent vers le monde politique, ja-mais avare de propositions enmatière d’antiterrorisme.

Depuis les explosions de Bruxel-les, mardi 22 mars, les dirigeantsde la droite se sont lancés dans unenouvelle surenchère sécuritaire.Jeudi 24, Xavier Bertrand a relancésur BFM-TV un débat d’une autreépoque.  «Si j’avais été député [en 1981] , je crois que je n’aurais pasvoté l’abolition de la peine de mort.

 Aujourd’hui, avec le recul, je penseque supprimer la peine de mort adu sens à une condition : ceux quiétaient susceptibles de relever de la peine de mort ne doivent jamaissortir de prison », a déclaré le prési-

dent de la région Nord-Pas-de-Ca-lais-Picardie. Et d’employer destermes guerriers : «Ça sera eux ounous, alors c’est eux qu’il fautexterminer. »

Une perpétuité « irrévocable »M. Bertrand n’est pas le seul à sepositionner sur cette ligne trèsdure. Lors de la séance de ques-tions au gouvernement, retrans-mise en direct à la télévision,mardi 22 mars, Nathalie Koscius-ko-Morizet (NKM) a demandé àManuel Valls de mettre en place« une perpétuité effective et irrévo-cable », avant d’être invitée par denombreux médias et de lancerune pétition sur son site Internet.

La candidate à la primaire aréussi à émerger avec son idéelors de la réunion de groupe desdéputés du parti Les Républicains

(LR). Une réunion très concurren-tielle, où Laurent Wauquiez a, lui,répété sa volonté d’enfermer lesindividus fichés « S », et où cha-cun a poussé ses idées. « On frôlait 

l’hystérie, ce n’est surtout pas lemoment d’être raisonnable », iro-nise Patrick Devedjian, député desHauts-de-Seine.

Autre candidat à la primaire,Bruno Le Maire s’est, lui, pro-noncé pour l’expulsion des étran-gers fichés « S » et un enferme-ment des Français f ichés « S »,

« qui représentent une menace im-minente ». Des solutions radica-les totalement inapplicables enl’état du droit, puisque les fiches« S » concernent aussi des indivi-

douze propositions pour luttercontre le terrorisme islamique.Cette fois-ci, aucune initiativen’est prévue par le parti.

« Il faut garder la tête froide »Le bureau politique de mardi22 mars a été annulé à cause desattentats, alors qu’il aurait juste-

ment été l’occasion d’échangersur ces questions. Convaincuequ’elle n’a pas été assez écoutéedepuis le mois de janvier 2015, ladroite espère aussi faire pression

sur le gouvernement. « Après lesattentats, la gauche nous a dit :“Proposez, proposez…” Et ils n’ontstrictement rien retenu », estimeFrédéric Péchenard, directeur gé-néral du parti Les Républicains,qui ne comprend toujours paspourquoi la pénalisation de laconsultation de sites djihadistes

n’a pas été ajoutée à l’arsenal juri-dique. En répondant à NKM,mardi, Manuel Valls s’est pour-tant dit prêt à avancer sur sa pro-position et n’avoir « aucun pro-

blème à examiner toutes les mesu-res efficaces ».

Loin de ces échos médiatiques,le travail parlementaire se pour-suit. Et la gauche a semblé récem-ment plus ouverte aux proposi-tions de la droite. Lors de la pre-mière lecture du projet de loi surla procédure pénale et la luttecontre le terrorisme début mars,plusieurs amendements cosignéspar les spécialistes LR de la ques-tion (Eric Ciotti, Guillaume Lar-rivé, Pierre Lellouche, Georges Fe-

nech) ont été retenus. Notam-ment celui qui propose soit deporter la période de sûreté àtrente ans, soit de déciderqu’aucune mesure d’aménage-ment de peine ne pourra être ac-cordée. Un amendement queNKM n’avait pas signé à l’époque.

Et cette course aux idées, très in-tense au moment des attentats,commence à irriter, même àdroite.  « L’heure est trop grave pour réagir dans l’émotion. Il faut garder la tête froide et ne pas im- proviser sur un coin de table. Horsde question d’assister à un con-cours Lépine ou à un concours debeauté entre les candidats à la pri-maire », analyse le député del’Yonne Guillaume Larrivé.

Alors que ce texte sera examinépar le Sénat à partir du 29 mars,Roger Karoutchi (Paris) a déjà an-

noncé son intention de déposerun amendement visant à aug-menter la durée minimale d’in-carcération à… cinquante ans.p

matthieu goar

Xavier Bertrand, président Les Républicains du conseil régional de Nord-Pas-de-Calais-Picardie, jeudi 24 mars. HAMILTON/REA

Le Maire bouscule la hiérarchiedes candidats à la primaireEn s’installant à la troisième place dans les sondages, l’ancienministre de Sarkozy s’affirme de plus en plus dans la course à droite

C’est l’homme qui monteà droite. Un mois aprèsson annonce de candi-

dature à la primaire à droite pourl’élection présidentielle, BrunoLe Maire effectue une percée dansles sondages. Si Alain Juppé sur-classe toujours ses rivaux dans lesintentions de vote pour le scrutindes 20 et 27 novembre, avec 38 %contre 27 % à Nicolas Sarkozy, le dé-puté de l’Eure progresse de5 points à 16 %, selon un sondageIFOP-Fiducial pour i-Télé, ParisMatch et Sud Radio publié mer-credi 23 mars et réalisé auprès d’unéchantillon de 8 090 personnes.

M. Le Maire s’inst alle à la troi-sième place, creusant l’écart avecFrançois Fillon, relégué loin der-rière, avec seulement 8 %. Surtout,il se rapproche de M. Sarkozy, enforte baisse. Jamais l’espace n’a été

aussi réduit entre eux : 11 points lesséparent, alors que l’écart était en-core de 21 points en février.

Plusieurs autres enquêtes d’opi-nion confirment cette tendance :Bruno Le Maire est porté par unedynamique positive depuis sonentrée en campagne, le 23 février,et l’écart se resserre avecM. Sarkozy pour la seconde place,synonyme de qualification pour lesecond tour de la primaire.

L’ex-ministre de l’agriculturemarque des points car le ressort desa popularité s’appuie sur un sen-timent puissant dans l’opinion : lerejet de la classe politique en place.

L’ambitieux quadra, qui apréempté le thème du « renou-veau », prospère en portant unmessage flirtant avec le populismeet ressemblant à celui de Jean-LucMélenchon. « Qu’ils s’en aillenttous ! », tonnait le leader du Frontde gauche. « Vous butez contre lesmêmes visages ? Nous allons vousen offrir de nouveaux », scande l’ex-directeur de cabinet de Domini-que de Villepin. Son but ? Ringardi-ser Nicolas Sarkozy, Alain Juppé etFrançois Fillon qu’il dépeint en« hommes du passé ». « Mon intui-tion, c’est qu’un vieux systèmemeurt et que les Français veulentune nouvelle offre politique », ex-plique-t-il au Monde.

« Se montrer moins arrogant »Le discours peut paraître simplistemais il s’avère porteur. « La force

de Bruno Le Maire, c’est qu’il entreen résonance avec une attente fortedes Français sur le thème : “les sor-tants ont échoué depuis trente anset on a envie de gens neufs” », ob-serve Frédéric Dabi, directeur gé-néral adjoint de l’IFOP. « Il y a unedynamique que je sens sur le ter-rain et c’est vrai que j’ai franchi uncap », se félicite le député de l’Eure,avant de temporiser :  « Ne nousemballons pas. Il faut continuer à garder la tête froide car je mesuretout le chemin qu’il me reste à par-courir. » Critiqué pour son man-que d’humilité, l’ambitieux a doncdécidé de se montrer moins arro-

gant. « Il faut savoir évoluer… »,dit-il dans un sourire.Ce changement de ton vise en

réalité à moins prêter le flanc à lacritique. Récemment, il a été ciblépar ses rivaux, qui tentent de le ra-baisser au statut de jeune poussede la droite. « Il faut un peu d’expé-rience » pour occuper l’Elysée, iro-nise M. Sarkozy. De leur côté,MM. Juppé et Fillon goûtent peuses appels à un coup de balai. « Lerenouvellement, il est dans la tête »,s’agace le premier. « Sa ligne, quiconsiste à dire “mettez dehors tousceux qui ont gouverné”, n’est pas un projet », raille le second.

C’est le principal point faible dudéputé de l’Eure, qui se repose surson slogan du « renouveau » sansavoir réussi à rendre audible sonprojet. « Le Maire, ce n’est qu’un produit marketing, assène un

sarkozyste.  Il répète son messageen boucle sans l’incarner. » L’ex-mi-nistre a conscience de cet écueil.« Mon offre doit s’appuyer sur des propositions de fond et pas seule-ment sur un slogan. Il me faut en-core donner de la substance au re-nouveau pour montrer que j’ai unevraie vision pour le pays et pas seu-lement une bonne intuition », ad-met-il. Malgré cet éclair de lucidité,son ambition reste intacte : « Laseule question qui se pose pourmoi, c’est comment gagner la pri-maire pour porter un projet d’alter-nance crédible pour la France. »p

alexandre lemarié

dus qui ne sont pas passés à l’acte.Beaucoup plus modéré, AlainJuppé a plaidé pour unemeilleure coopération des servi-ces de renseignement français eteuropéens.

Soucieux de critiquer le gouver-nement, les personnalités de ladroite interprètent chacune leur

propre partition tant ces ques-tions font l’objet d’un enjeu in-terne en vue de la primaire. Aprèsles attentats de janvier 2015,l’UMP de l’époque avait formulé

Une course

aux idéesqui commence

à irriter,

même à droite

Montebourg veut« ubériser » la politiqueL’ex-ministre était au Club de l’économie

L a France ne va pas bien dutout. Elle est en fracturation,elle va très mal dans sa tête. »

Invité vendredi 25 mars du Club del’économie du journal Le Monde,Arnaud Montebourg est sorti de sacure d’abstinence médiatique. Enprivé, l’ancien ministre de Fran-çois Hollande, entré en dissidencedepuis août 2014, pointe le risqued’une montée continue du Frontnational qui pourrait créer unséisme en 2017. En public, il dé-nonce « un système politiquetombé dans le formol et qui mérite-rait d’être ubérisé ».

Pour le reste, il se garde de dévoi-ler ses intentions politiques. Sansdoute parce qu’il estime que leprocessus de décomposition n’estpas arrivé à son terme. Retranchéderrière l’étiquette de « citoyen en- gagé », l’ancien avocat devenu dé-puté, puis président du conseil gé-néral (Saône-et-Loire) puis minis-tre préfère se ressourcer dans sa

«troisième vie», celle d’hommed’entreprise. « La politique ne peut plus fonctionner telle qu’elle estaujourd’hui organisée et désorga-nisée», se contente-t-il de lâcher.

Formé à l’Institut européen d’ad-ministration des affaires après sondépart du gouvernement, devenuvice-président du groupe d’ameu-blement Habitat, conseil pour legroupe informatique Talan puisinvestisseur dans l’éolien, l’ancienministre du redressement produc-tif et de l’économie (2012-2014) sedécrit comme «un innovateurdéçu dans l’action publique ». A cestade, il a pour l’entreprise les yeux

de Chimène parce qu’« elle a le pouvoir à travers l’argent et la ca- pacité de mettre en œuvre à travers

l’innovation ».  Dès qu’il parle del’entreprise, sa vision du pays de-vient plus positive. « La France esten train de changer, une générationd’entrepreneurs est là comme unerivière souterraine », assure-t-il.

Au passage, Arnaud Montebourgdéconstruit le discours en voguedans les organisations patronales.Le coût du travail ?« Je relativise ; cequi pèse lourd c’est le coût du fon-cier. » Les relocalisations ? « Ellessont parfaitement possibles. D’ailleurs depuis que les coûts chi-nois se sont envolés, c’est ce qu’il se passe. » La flexibilité ? Un faux pro-blème : « dans les petites entrepri-ses, on discute et on s’entend. » Quant aux grandes, « elles sont parfaitement en mesure de payerles droits sociaux ». 

Au passage, l’ancien ministreégratigne, sans le nommer, son

successeur Emmanuel Macron,qui avait plaidé pour la barémisa-tion des indemnités prud’homales« on ne réussira pas à bâtir en enle-vant des protections».

Tout cela ne fait pas encore undiscours, mais Arnaud Monte-bourg observe et amasse des bri-ques, en vue d’un livre qui serapeut-être le point de départ d’unenouvelle aventure politique. Cars’il se garde de prendre à partirFrançois Hollande, il n’en démordpas : « De mauvais choix ont été faits en 2012 ».p

nicolas chapuis

et françoise fressoz

TRANSPORTSAccident morteldans l’AllierDouze Portugais sont mortsdans un accident de la routesurvenu dans la nuit de jeudi24 mars à vendredi 25 marssur la commune de Mont-beugny (Allier), près de Mou-lins. Le véhicule a dévié desa route et a percuté un poidslourd venant en sens inverse.L’accident a eu lieu sur la

route nationale 79, uneportion de la Route Centre-Europe Atlantique (RCEA)réputée pour sa dangerosité.

COLLECT I VI T ÉSBaroin met la pressionsur HollandeFrançois Baroin, président del’Association des maires deFrance (AMF), a critiqué, jeudi24 mars, la baisse de 3,7 mil-liards d’euros de dotations del’Etat aux collectivités localesprogrammée pour 2017. « Latranche 2017 est juste intena-ble », a déclaré M. Baroin (LR)qui dit attendre un arbitragedu chef de l’Etat avant le con-grès de l’AMF qui se tiendradu 31 mai au 2 juin.

MIGRANTS

Les intrusions portuairesplus sévèrementsanctionnéesAprès l’Assemblée, le Sénat avoté, jeudi 24 mars, un amen-dement qui prévoit six moisde prison contre les auteursd’intrusions dans les zonesportuaires. Cette dispositiona été ajoutée à une proposi-tion de loi sur les bénéficestirés de l’activité maritime.« Il ne faut pas que ces amen-dements donnent un droit à lachasse aux migrants », a souli-gné Evelyne Didier, sénatricePC de Meurthe-et-Moselle.

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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10 | france SAMEDI 26 MARS 2016

0123

Les dérives de la croisade « antigenre »à la barreFarida Belghoul, initiatrice des « journées de retrait de l’école », était jugée jeudi dans un procès en diffamation

tours - envoyée spéciale

Dire d’une enseignantequ’elle déshabille danssa classe un enfant, un

 petit gar çon puis une petite fille, et qu’elle leur demandede se toucher les parties génitales,reconnaissez-vous [en cela] un ca-ractère diffamatoi re ? »  La ques-tion, posée jeudi 24 mars parChristine Blancher, présidente dutribunal correctionnel de Tours,résonne quelques secondes sousle haut plafond de la 19e chambre.

La militante Farida Belghoul,poursuivie pour complicité dediffamation, prend son tempsavant de répondre : « Ça dépend…si elle l’a fait ou pas. » « Est-ce queça porte atteinte à son honneur, àsa considération ? », la relance lajuge. « Ça dépend », répète sansciller l’ancienne figure de la Mar-

che des beurs partie en croisade, àl’aube de l’année 2014, contre l’en-seignement d’une supposée« théorie du genre », en appelantdes familles musulmanes à parti-ciper à des « Journées de retrait del’école »  (JRE). « Et si l’enseignantene l’a pas fait ? », la réinterrogeChristine Blancher. « Ça l’est », re-connaît Farida Belghoul.

On ne l’avait guère entendue de-puis qu’elle a écopé d’un blâme durectorat de Versailles, à l’automne2014. Le procès à Tours a permis àcelle qui se présente comme pro-fesseure en lycée professionnel« en disponibili té » de revenir surson «combat  » : « J’ai proposé de janvier à juin 2014, une fois parmois, que nous retirions les en- fants de l’école pour protester con-tre l’introduction, sans concerta-tion avec les familles, de l’idéologie

du genre », martèle-t-elle à labarre. A l’époque, l’expérimenta-tion dans 600 classes – mais pas àTours – des « ABCD de l’égalité »,dispositif de lutte contre lesexisme que le gouvernement re-noncera à généraliser, concentreles attaques des « antigenre » –ceux de La Manif pour touscomme ceux de la mouvance Bel-

ghoul. « La mise en œuvre [de la« théorie du genre »]allait au-delà

de ces expérimentations », sou-tient Farida Belghoul.

Pas un regard de la prévenue endirection de Céline (l’ensei-gnante, qui a déposé plainte avecconstitution de partie civile pourdiffamation envers un fonction-naire public, a tenu à rester ano-nyme dans la presse), pourtantassise à quelques mètres à sadroite. Il y a deux ans presque jourpour jour, cette professeure dematernelle devenait la cible prin-cipale des JRE dans la petite villede Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire).Sans qu’elle voie venir le coup, a-t-elle expliqué aux juges.

Récit accablantC’est dans une vidéo mise en lignesur YouTube, le 29 mars 2014,qu’elle s’était vu accuser du pire :

des attouchements sur un élèvede 4 ans. Dans cet enregistrementamateur, Dalila Hassan – mise enexamen pour diffamation, et quicomparaissait aux côtés de FaridaBelghoul – livrait un récit acca-blant, mêlant le sordide au grotes-que. Se présentant comme la por-te-parole du mouvement JREdans le département, Dalila Has-san, mère de trois enfants, pré-tend toujours s’être simplementfait l’écho des inquiétudes d’unemaman d’origine tchétchène,confrontée au comportementpeu compréhensible de son petitgarçon. A la fin de la vidéo, un slo-gan : « Vaincre ou mourir. »

Le temps d’un week-end, 54 000personnes visionnaient le film.Le nom de Céline n’y était pas li-vré mais celui de son école, si, cequi la rendait identifiable. Un

week-end particulier : celui del’entre-deux-tours des électionsmunicipales. Candidat de ladroite à la mairie de Joué-lès-Tours – qu’il a remportée de 200voix sur l’ex-maire socialiste –,Frédéric Augis n’avait pas caché,durant la campagne, son opposi-tion à la « théorie du genre » et aumariage homosexuel. Cité, jeudi,comme témoin par la défense,

l’édile n’a pas nié :« On a le droit dedonner son opinion », a-t-il sim-plement lâché.

Céline, elle, a terminé en 2014son année scolaire puis obtenu samutation dans une autre écolepour, expliquait-elle à la veille deson procès, « prendre un nouveaudépart ». Mais difficile, mêmebien entourée durant l’audience

par ses collègues, son syndicat –Sud Education – et sa hiérarchie,de revivre dans le détail la diffu-sion de cette folle rumeur. Sur-tout quand, plusieurs heures du-rant, les avocats de la partie ad-verse ont assuré que leurs clientesn’étaient responsables ni dumontage ni de la mise en ligne dela vidéo choc.

« Rideau de fumée »Face aux juges, aucune n’a pour-tant nié y avoir participé. « Je l’ai fait pour aider la mère tchétchèneà être entendue », n’a cessé de ré-péter Dalila Hassan. « Je filme tout, je garde trace de tout, j’archivetout, a reconnu Farida Belghoul. Jeme déplace partout en France, sys-tématiquement, avec mon came-

raman. » C’est sur cet homme, quia quitté le territoire, que la mili-tante se défausse aujourd’hui, l’ac-cusant d’avoir diffusé, de son pro-pre chef, la vidéo sur les réseauxsociaux. « Il m’a volé mes papiers,de l’argent… J’ai fini par déposer plainte », assure Farida Belghoul.Un dépôt de plainte non con-firmé, fait valoir la présidente dutribunal. Pas de plainte, non plus,

du côté de la maman tchétchène,note le procureur de la Républi-que, sans cacher son irritation de-vant un « rideau de fumée ».

Face aux peines d’amende re-quises contre les prévenues – lesseules qui s’appliquent à la diffa-mation, a regretté le procureur –,leurs avocats, Gérard Chautempset Claire Allain, ont plaidé la

bonne foi et demandé la relaxe deleurs clientes. Les avocats de Cé-line ont réclamé 20 000 eurospour préjudice moral et5 000 euros pour les frais enga-gés, ainsi que la publication du ju-gement dans deux organes depresse. Du côté de son ex-école,des tracts en faveur de Mme Bel-ghoul ont circulé ces derniersjours. « A la rentrée 201 4, l’école

avait perdu 27 élèves, partis soitdans le privé, soit pour suivre leurscolarité à la maison, expliqueFrançois Boulay, inspecteur d’aca-démie. Quinze d’entre eux sont re-venus en septembre. La crise est derrière nous », espère-t-il. Le ju-gement a été mis en délibéré jus-qu’au 19 mai.p

mattea battaglia

Troupes clairsemées et montée des violences contre la « loi travail »Environ 43 000 personnes ont défilé, jeudi 24 mars, dans toute la France. Une mobilisation en baisse avant la manifestation du 31 mars

Des troupes moins nom-breuses et des incidentsqui se multiplient : les

manifestations de lycéens, d’étu-diants et de salariés, jeudi 24 mars,contre le projet de « loi travail »,censées préparer la mobilisationdu 31 mars, ont montré des signesde faiblesse. Certes, ils étaient en-core des milliers à défiler dans lesgrandes villes de France. Mais lesmanifestants étaient nettementmoins nombreux que les deux se-maines précédentes. Environ43 000 personnes ont manifesté,dont environ 5 000 à Paris, selon le

ministère de l’intérieur. Dans lasoirée, l’UNEF a cependant estiméque « le nombre de manifestants semaintient » au niveau national.

La journée a en outre été mar-quée par une forte montée de ten-sions. Des échauffourées ontémaillé les défilés à Paris, Mar-seille, Nantes et Rouen. Une qua-rantaine de personnes ont été in-terpellées, des voitures brûlées,deux policiers blessés. Le parquetde Paris a également ouvert uneenquête judiciaire, confiée à l’ins-pection générale de la police natio-nale (IGPN), après la diffusion

d’une vidéo montrant un CRS as-sénant un violent coup de poing àun lycéen de 15 ans devant le lycéeBergson (Paris 19e). « Ces imagessont choquantes et m’ont choqué »,a réagi le ministre de l’intérieur,Bernard Cazeneuve.

Risques de divisionPourquoi cette dérive du mouve-ment ? L’engouement des réseauxsociaux, qui avaient porté le mou-vement au début, est en partie re-tombé depuis, relégué au secondplan par les attentats en Belgique.Les syndicats réformistes comme

la FAGE ne sont finalement pas en-trés dans le combat. Et, poursui-vant leur propre agenda, les mou-vements « autonomes » et anar-chistes se glissent dans les univer-sités et dans les défilés. Lors d’uneAG dite « interluttes », le 21 mars àla fac de Tolbiac, l’UNEF a été cons-puée, les casseurs ovationnés.

Cette ambiance a visiblement in-fluencé la journée du 24 mars. Ca-mouflés voire cagoulés, des jeunesont affronté à plusieurs reprisesdes CRS, leur jetant bouteilles deverres et pierres. Des commerceset des équipements publics ont été

dégradés. A la fin de la manifesta-tion parisienne, des cocktails Mo-lotov ont été lancés sur la police.Ces événements, déplorés par denombreux jeunes, risquent de di-viser davantage le mouvement.

Beaucoup continuaient toute-fois à croire à la force de la mobi-lisation :  « C’est une loi dégueu-lasse sur nos conditions de travail,expliquait Rémi, étudiant à Pa-ris-IV. Myriam El Khomri et Ma-nuel Valls n’ont pas à me dire àquel point il est facile de négocieravec mon patron. Donc je conti-nue à me mobiliser contre cette

loi, et je pense qu’elle va tomber. »A Paris, à la fin de la manifesta-tion, devant les Invalides, Elodie,étudiante à Nanterre et membredu NPA, lançait, juchée sur un ca-mion : « Nous, les étudiants de Nanterre, on est a llé voir les che-minots, les postiers, les ouvriersde PSA Poissy, parce qu’il n’y aqu’eux qui peuvent bloquer l’éco-nomie du pays. » La journée degrèves et de manifestation inter-professionnelle du 31 mars ferafigure de test. p

adrien de tricornot

et benoît floc'h

Farida Belghoul, lors d’une manifestation àl’appel de l’association catholique intégristeCivitas, le 11 mai 2014. ALAIN GUILHOT/DIVERGENCE

Elle accusait

une enseignante

d’attouchements

sur un élève

de 4 ans

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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0123SAMEDI 26 MARS 2016 enquête | 11

Un jour de septembre 2015, Mazhen Al-Dhalaeïn,député jordanien, a appris que son fils de 23 ansavait commis un attentat-suicide. Le petitroyaume sunnite totaliserait 8 000 djihadistes,enrôlés en majorité par l’organisation Etat islamique

hélène sallon

amman, maan - envoyée spéciale

L’

organisation Etat islamique (EI)n’a pas pris la peine d’un coupde fil à Mazhen Al-Dhalaeïnpour le prévenir que son fils ve-nait de mourir en« martyr ». Ledéputé jordanien a appris la

nouvelle, le 30 septembre 2015, par les réseauxdjihadistes, où circulait la photo de Mohamed,posant en treillis militaire, chevelure longueet barbe fournie. Abou Baraa Al-Ourdouni, lenom de guerre qu’avait adopté l’étudiant de23 ans, venait de perpétrer un attentat-suicideau nord de Fallouja, en Irak, contre des com-battants chiites des forces progouvernemen-tales irakiennes.

Dans la vidéo de revendication diffusée troismois plus tard, M. Dhalaeïn était qualifié de« traître » par son fils et le « martyre » de Mo-hamed brandi comme un trophée par l’EI.Quelle meilleure recrue le groupe djihadistepouvait-il trouver que le fils d’un député, pouralimenter sa propagande contre le royaumehonni ? De surcroît, un représentant de Karak.Cette ville jordanienne, près des terres du pi-lote Moaz Al-Kassasbeh, dont l’EI a revendiquél’exécution par le feu dans une cage, en fé-vrier 2015, un mois après sa capture près deRakka, en Syrie, où il s’était écrasé lors d’unemission pour la coalition internationale.

Dans son bureau au Parlement d’Amman,Mazhen Al-Dhalaeïn, coiffé du traditionnelkeffieh rouge sur un costume à chevrons mar-ron, est intarissable sur « l’ignominie » de cegroupe « qui se prétend musulman mais n’uti-lise l’islam que  pour déchiqueter le Moyen-Orient  ». Ce père a été le témoin impuissantd’une machine de propagande qui, en quel-ques mois, a « lavé le cerveau » de son fils.

Quand il vient le voir à Kharkiv, en Ukraine,le 16 juin 2015, où Mohamed étudie en troi-sième année de médecine, il le trouve mécon-naissable.  « Il s’était fait pousser la barbe. Ils’isolait des autres étudiants. Il m’a parlé de Daech. J’ai essayé de le convaincre que ce n’était  pas l’islam, mais lui me répondait que c’était levéritable califat islamique et que les médias enmontraient une image déformée », se sou-vient-il. En février, ils avaient pourtant défilé àKarak contre l’exécution de Moaz Al-Kassas-beh. Ses diatribes enflammées ont pu déciderl’EI à approcher son fils, pense-t-il, par le biais

de la jeune femme ukrainienne tout juste con-vertie à l’islam qu’il venait d’épouser, et de sesrelations tchétchènes ou tunisiennes.

UNE LONGUE TRADITION

Mohamed n’a laissé à son père aucune chancede le convaincre. Après leurs retrouvailles, ils’envole avec son épouse pour la Turquie etcoupe son téléphone. Deux semaines plustard, il le prévient par messagerie instantanéeWhatsApp qu’il est à Mossoul, le fief irakien del’EI.« J’ai compris que je n’arriverais pas à le sor-tir de là. J’ai essayé d’appeler des amis là-bas pour qu’ils le capturent et le forcent à rentrer, oule tuent s’il résistait », explique son père.

Une longue descente aux enfers débute pourle député, sa femme et leurs cinq autres en-fants. « Il avait toujours été très affecté par lescrimes de Bachar Al-Assad et les attaques deschiites contre les sunnites en Irak. Là, il disait àsa mère qu’il tuerait les “rawafid” (appellationpéjorative des chiites) et irait au paradis. Il metraitait de “kafir” (mécréant) pour avoir voté

des lois contraires à l’islam », se désole M. Dha-laeïn. Le dernier contact sur WhatsApp a lieu le20 août. « Il a demandé à sa mère de l’excuser. Ils’était porté volontaire pour être kamikaze. »

L’histoire de Mazhen Al-Dhalaeïn rejointcelle de centaines de familles jordaniennes.Depuis 2011, le petit royaume de 6,5 millionsd’habitants, conservateur et à 95 % sunnite, vitau rythme des conflits en Syrie et en Irak. Lesliens tribaux transfrontaliers, la haine desautorités chiites de Damas et de Bagdad, lesoutien populaire et étatique à la rébellion sy-rienne et le désœuvrement de la jeunesse ali-mentent les départs.

La Jordanie a déjà une longue tradition dedjihad. Terre d’accueil du père du djihadisme,Abdallah Azzam, le mentor de Ben Laden, et

des théoriciens d’Al-Qaida Abou MohammedAl-Maqdissi et Abou Qatada Al-Filistini, toustrois Palestiniens, elle a vu naître Abou Mous-sab Al-Zarkaoui, le fondateur d’Al-Qaida enIrak en 2006. « De 250 djihadistes rentrésd’Afghanistan dans les années 1990, on parleaujourd’hui de 8 000 djihadistes, dont 2 000 partis se battre en Syrie et 80 % au sein de l’Etatislamique », estime l’expert jordanien HassanAbou Haniyé.

Amman n’a d’abord mis aucun frein aux dé-parts. Les frontières étaient ouvertes aux réfu-giés comme aux combattants. L’EI n’existaitpas encore officiellement et le Front Al-Nosra,

la branche syrienne d’Al-Qaida, n’a été dési-gnée organisation terroriste qu’en mai 2014.Aujourd’hui encore, « l’EI est considéré dange-reux pour la Jordanie, pas le Front Al-Nosra quia pour priorité le combat en Syrie. Il est instru-mentalisé et sa branche modérée, infiltrée parles services », indique M. Haniyé.

Dans l’affaire Kassasbeh, les autorités jorda-niennes ont utilisé la dispute entre idéologuesd’Al-Qaida et de l’EI. Fin janvier 2015, Abou Mo-hammed Al-Maqdissi a pu sortir de prisonpour s’épancher dans les médias contre les ex-cès de l’EI, après une tentative d’intercessionauprès du groupe pour faire libérer le pilote. Lethéologien de 56 ans goûte aujourd’hui uneretraite paisible – sous surveillance – dans samaison d’Al-Rouseifa, près de Zarka, où vit son

compère Abou Qatada, l’ancien représentantde Ben Laden à Londres, encore plus véhé-ment contre « l’imposture » EI.

Les deux idéologues ont peu de prise sur unejeunesse que le discours d’Al-Qaida n’attireplus. « L’EI propose un djihad d’action concrète,qui plaît aux jeunes cherchant une réponse àl’échec des “printemps arabes” contre les dicta-tures », analyse M. Haniyé. Beaucoup de sessympathisants ont entre 16 et 25 ans et sont is-sus de villes marginalisées et contestatairescomme Irbid, Zarka et surtout le Sud défavo-risé – Karak, Maan ou Salt. Ces jeunes, souventsans passé islamiste, ont pour certains parti-

cipé au mouvement en faveur des réformesintitulé Herak, en 2011-2012.

Ce n’est qu’en avril 2014 qu’Amman a ren-forcé son arsenal répressif. L’expansion de l’EIen Syrie et en Irak a ravivé le spectre des atten-tats de novembre 2005 menés par Al-Qaida enIrak contre trois hôtels luxueux d’Amman,dans lesquels 57 personnes ont péri. La margede manœuvre des services de renseignement,déjà omniprésents, a été accrue. Les défen-seurs des droits dénoncent une justice d’ex-ception, qui pénalise non plus les actes maisaussi l’intention, et permet de museler l’oppo-sition et les médias.

Plusieurs centaines de Jordaniens ont étécondamnés pour appartenance à une organi-sation terroriste. « 80 % des cas concernent la

 promotion de l’extrémisme sur les réseaux so-ciaux. La plupart sont des jeunes, qui ne sont pas extrémistes, mais soutiennent la lutte con-tre l’oppression et l’injustice du régime syrien »,déplore l’avocat Abdelkader Al-Khattib. A sesyeux, la réponse sécuritaire est un leurre et laprison, un incubateur de radicalisation.

Le gouvernement défend l’efficacité de cesmesures. Une seule attaque a été perpétrée, le9 novembre 2015, jour anniversaire des atten-tats de 2005, par un policier qui a tué cinq per-

sonnes, dans un camp d’entraînement mili-taire près d’Amman. D’autres attaques contredes sites civils et militaires étaient planifiéespar une cellule de l’EI à Irbid, ont assuré lesautorités jordaniennes après un coup de fi let,le 2 mars, lors duquel sept djihadistes et un of-ficier jordanien ont été tués, et 22 djihadistesarrêtés. Mais, pour Hassan Abou Haniyé, l’EIn’a pas encore appelé à cibler la Jordanie, unearrière-cour qu’il projette de conquérir sanss’aliéner la population.

PARCOURS D’OBSTACLES

Les déçus du djihad frappent aux portes de laJordanie, qui leur sont fermées depuis la mortdu pilote Kassasbeh. « La Jordanie craint queles candidats au retour ne soient une bombe àretardement », explique Mazhen Al-Dhalaeïn.Le député use de son expérience et de ses ré-seaux pour empêcher les départs : « Presquechaque jour, des parents me contactent après ladisparition de leur enfant. » Il a déjà récupérédeux jeunes femmes de Karak : l’une à l’aéro-

port d’Amman, la seconde à Istanbul. Il a fallude longues discussions sur WhatsApp et beau-coup de persuasion pour convaincre la jeunefemme de 25 ans de s’enfuir de l’appartementoù elle attendait son transfert vers Rakka, aveccinquante autres femmes surveillées par desgardiennes de l’EI.

Le retour est un parcours d’obstacles. Des di-zaines de repentants de Maan, une ville de70 000 habitants, à 70 kilomètres au sud deKarak, subissent l’intransigeance des autori-tés. Plus d’une centaine de jeunes ont rejointla Syrie. Une trentaine y sont morts. Dans celieu de contestation, travaillé par le salafismeet le chômage, des dizaines d’autres ont étécondamnés pour avoir brandi des drapeauxde l’EI pendant les émeutes d’avril 2014 ou ex-primé leur soutien sur les réseaux sociaux.

Mohamed Saleh n’a jamais laissé tomber sesdeux fils, partis combattre avec le Front Al-Nosra en Syrie. Il avoue leur avoir envoyé del’argent « pour qu’ils n’aient pas à mendier ».

Dans le salon cossu de la villa où il reçoit, leprésident de la chambre de commerce deMaan justifie leur démarche.« Ce sont des jeu-nes hommes normaux, éduqués, pas religieux,qui pensaient qu’il était noble d’aller combattreen Syrie. Même les responsables jordaniens etles médias du roi se sont indignés contre les tue-ries de Bachar Al-Assad, dit-il, enchaînant lescigarettes. Jusqu’il y a un an, les combattantsdu Front Al-Nosra rentraient après un interro- gatoire de deux semaines. »

Le notable n’a rien pu faire pour Ali, mort aucombat à 18 ans dans le sud de la Syrie, mi-2013. Il a fait jouer ses réseaux tribaux pour ra-mener Mohamed, 31 ans et père de quatre en-fants. « Mon fils n’était pas parti pour tuer desSyriens car c’est un péché de tuer un musul-man », assène le sexagénaire. Après une entre-vue avec le roi Abdallah II, il a obtenu son re-tour, début 2015, contre une année en prison.

Le feu vert n’a, en revanche, pas été donné àChaaban. Dans le salon familial, près de l’hôpi-tal de Maan, sa mère étale la dizaine de médi-

caments qu’elle prend depuis son départ. « Ilnous a rendus malades. Quand je vois ses en- fants… On ne sait pas qui a joué avec sa tête »,dit-elle. En mai 2014, le trentenaire à la barbefournie est parti sans rien dire, laissant femmeet enfants, et son emploi à la compagnie dephosphates. « Il a vu l’injustice, les tueries etcela a touché sa fibre musulmane. Il a voulu al-ler défendre les Syriens », explique un proche.

Il raconte que Chaaban se cache depuis un anchez une famille syrienne à la frontière, crai-gnant d’être capturé par ses anciens compa-gnons d’armes. Il supplie qu’on l’aide à rentrer,quitte à passer de longs mois en prison. Cesjeunes pourraient parler de leur expérienceavec l’EI, plaide M. Khattib. Il juge que ce seraitla meilleure contre-propagande qui soit.p

EN AVRIL 2014,AMMAN A RENFORCÉ

SON ARSENALRÉPRESSIF.

L’EXPANSION DE L’EIEN SYRIE ET EN IRAK

A RAVIVÉLE SPECTRE DES

ATTENTATS DE 2005

Engloutispar le djihad

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0123SAMEDI 26 MARS 2016 CULTURE   | 13

Le Douanier Rousseau et sa brigade bizarreAprès Venise, le Musée d’Orsay, à Paris, consacre une exposition au peintre naïf et à ses adeptes

ARTS

AVenise, où elle étaitmontrée en 2015, l’ex-position « Le DouanierRousseau, l’innocence

archaïque »  surprenait par sa ri-chesse et sa diversité. Loin de s’entenir à la pieuse commémorationde l’artiste, elle s’attachait à mon-trer combien son œuvre a été dé-couverte et interprétée par lesavant-gardes dans les premièresdécennies du XXe siècle.

La version parisienne a les mê-mes qualités, amplifiées par laprésence d’une vingtained’œuvres qui n’étaient pas au pa-lais des Doges. La présentation estaussi différente. A Venise, ellejouait assez habilement avec lessomptuosités et les contraintes

de l’architecture et des orne-ments. A Paris, elle bénéficied’une scénographie qui évite àpeu près la grandiloquence. On seserait passé de quelques murscourbes peints en bleu canard,mais du moins échappe-t-on auxvelours rouges de Robert Carsen.

Les toiles sont disposées pargenres : portraits, natures mortes,paysages, allégories, jungles.Cette organisation thématique sejustifie par la brièveté de l’œuvre.Né en 1844, Henri Julien FélixRousseau commence à peindrerégulièrement à la fin des années1880 et meurt en 1910. Soit àpeine un quart de siècle de pein-ture. Moins même : Rousseaun’abandonne ses fonctions d’em-ployé à l’octroi qu’en 1893 et seconsacre aussi à l’écriture de piè-ces de théâtre, dont l’obscure Ven-

 geance d’une orpheline russe, quine fut éditée qu’en 1947, mais parTristan Tzara.

Boîte à surprises et à questions

Une autre raison en faveur decette organisation est qu’il est ma-laisé de distinguer une évolutionstylistique. Les contours dessinésont la même netteté dans  LaGuerre, en 1894, que dans La For êttropicale avec singes, ouCheval at-taqué par un jaguar , toiles de 1910,année de sa mort. Les dispropor-tions ne sont pas moindres dansle Portrait de femme, de 1895, qui aappartenu à Picasso, que dans Les Pêcheurs à la ligne, de 1908-1909.Et les étrangetés graphiques et pic-turales abondent du début à la fin.

Par étrangetés, on désigne deséléments qui, du point de vue du

réalisme banal, sont injustifia-bles. Que ses singes se tiennent enéquilibre sur des palmes ou des ti-ges infiniment trop légères pourles supporter, ce détail simplesaute aux yeux. Mais il faut s’at-tarder pour s’apercevoir, parexemple, que dans le paysage Maison de banlieue, l’allée, qui pa-raît s’enfoncer dans un bois, estbordée d’un liséré continu qui setermine en boucle, si bien que l’al-lée cesse d’en être une pour res-sembler à une longue langue quiaurait capturé deux promeneurscomme celle du tamanoir les in-sectes.

On jugera la comparaison elle-même bizarre, mais c’est là legrand intérêt du Douanier car sesbizarreries changent le motif leplus commun – pavillon de ban-lieue ou enfant avec poupée – enboîte à surprises et à questions.Celles-ci font voir les sujets diffé-remment, d’une façon non con-forme aux bonnes manières. L’En- fant à la poupée est bien trop groset épais, et crispe son bras droitautour du jouet – un homme sansjambes du reste – dans un ges te depropriété qui n’a rien de puéril etannonce fort bien l’homme qu’ilest appelé à devenir.

En ne tenant que faiblementcompte de la vraisemblance,Rousseau est bien plus completdans ses représentations qu’il ne

le serait s’il respectait les appa-rences. Il n’est « naïf » que dans lamesure où il prend ces libertéstout seul et sans chercher à obéiraux règles artistiques habituellesde l’époque, celles du réalisme vi-suel le plus perfectionné confortépar la photographie.

De même, tout aussi nette-ment, il refuse le symbolisme àgrands effets monumentaux quitriomphe dans les années 1890.Sa Guerre n’a rien à voir aveccette école. Avoir accroché, dansla même salle que La Guerre, Bou-guereau et Ensor le rappelle àleurs dépens. Pour Bouguereau,

ce n’est pas grave. Pour Ensor, re-présenté ici par des œuvres mi-neures, ce n’est guère juste. Ilaurait été plus judicieux de con-fronter à la toile macabre deRousseau ses Squelettes se dispu-tant un hareng saur  et nécessaired’ajouter La Peste, de Böcklin, de1898, qui répond à Rousseau.

C’est donc parce qu’il s’écarteainsi des solutions picturales qui

dominent son époque qu’il attired’abord l’attention de quelquespeintres et écrivains eux-mêmesà la marge. L’un des premiers estVallotton, dès 1891. Suit Jarry, queRousseau héberge en 1898. Puis,dans la dernière décennie de savie, Apollinaire, Picasso, Delau-nay. Au banquet que Picassodonne en son honneur, en 1908,viennent aussi Gertrude Stein et

son frère Leo, Braque, Max Jacobet, avec eux, tout le groupe desamies et amis de Picasso. De pas-sage à Paris avec Gabriele Mün-ter, Kandinsky s’éprend de sonœuvre. Il achète deux toiles etconvertit ses camarades dugroupe Der Blaue Reiter au cultedu Douanier.

Après la première guerre mon-diale, celui-ci a gagné des adeptes

Henri Rousseau, dit Le Douanier Rousseau, « Forêt tropicale avec singes » (1910). NATIONAL GALLERY OF ART / IMAGE COURTESY NATIONAL GALLERY OF ART

en Italie, dont Carlo Carra, TullioGarbari ou Antonio Donghi. Toussont présents dans l’exposition,représentés par celles de leurstoiles où la marque du Douanierest la plus sensible. Elle l’est tropparfois, car imiter la simplicité,

ce n’est plus être simple, maispasticher.

Fantaisie exotique

Kandinsky ou Picasso ne tombentpas dans ces facilités : de Rous-seau, ils tirent les conséquences,bien au-delà de ce qu’il a conçului-même. Il a prouvé, à sa ma-nière, qu’il n’est pas besoin d’imi-ter le réel pour le donner à com-prendre en peinture. Ils le prou-vent à leurs manières, qui n’ontrien de commun avec la sienne.

L’exposition visitée, il ne resteplus qu’à revenir un moment de-vant  Le Rêve, de 1910. C’est, pêle-mêle, une fantaisie exotique etbotanique, la transposition tro-picale de l’Olympia, de Manet, unhommage à Gauguin, le premiertableau surréaliste quatorze ansavant le  Manifeste de Breton, et

l’une des toiles inépuisables duXXe siècle. p

philippe dagen

« Le Douanier Rousseau. L’innocence archaïque », jusqu’au 17 juillet au Musée d’Orsay, 1, ruede la Légion-d’honneur, Paris VII e.

 Du mardi au dimanche de 9 h 30à 18 heures, le jeudi jusqu’à 21 h 45.

 Entrée : de 9 € à 12 €. Musee-orsay. fr 

A sa manière,le Douanier

a prouvé qu’il

n’est pas besoin

d’imiter le réel

pour le donner

à comprendre

en peinture

FE STIVAL

Radiohead et Patin Libre

aux Nuits de FourvièreRaccord avec l’affiche de sa 71e édition, montrant une marinetrompetant devant le large,Dominique Delorme a an-noncé jeudi 24 mars, non sansfierté, l’impressionnant pro-gramme des prochaines Nuitsde Fourvière. Le festival lyon-nais sera la seule manifesta-tion franaise, cet été, à comp-ter sur la présence deRadiohead, qui fera l’ouver-ture, le 1er juin. PJ Harvey,Tame Impala, William Sheller,Michel Polnareff ou The LastShadow Puppets complètent

la programmation musicale.Du côté du spectacle vivant,

Serge Valletti reprendra sonspectacle autour du footbal-leur brésilien Garrincha. Enpremière franaise, RobertWilson mettra en scène lescarnets de Nijinsky avecMikhaïl Baryshnikov. SimonMcBurney, Robert Lepage etDidier Bezace présenterontleur créations théâtrales. LesQuébécois du Patin Libre dan-seront sur la glace de la pati-noire Charlemagne. Les com-pagnies Bête de Foire ouCircus Ronaldo assureront levolet circassien du festival, quis’achèvera le 31 juillet.

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14 | culture SAMEDI 26 MARS 2016

0123

C’est sous un sceaubien particulier

qu’Olivier Py, le di-recteur du Festival

d’Avignon, a choisi de placer la 70e

édition, qui aura lieu du 6 au24 juillet, et dont il a annoncé leprogramme jeudi 24 mars dans laCité des papes, avant de le faire àParis, à l’Institut du monde arabe,vendredi 25. A l’image de l’affichedu Festival, créée par le plasticienAdel Abdessemed, qui montre uncheval attaché en train de ruerpour se libérer, sur un fondorange vif évoquant, au choix, « ledalaï-lama ou la vitamine C », se-lon Py, Avignon 2016 sera celui dela « révolte »  et de l’« amour des possibles ».

« Comment vivre quand la politi-que est sans espoir, oublieuse del’avenir ?, se demande Olivier Py.Comment vivre quand les idées

n’ont plus de valeur, quand le corpssocial est écartelé, apeuré, réduit au silence ? Comment vivre une viedigne quand la politique n’est plusque manigances politiciennes ?Quand la révolution est impossi-ble, il reste le théâtre » , poursuit ledirecteur du Festival, toujours ly-rique.

Et donc, pour cette troisième édi-tion sous sa direction, Py creuse lesillon tracé dès le début. Ce Festivalsera politique, plus que jamais,avec des axes forts : un focus surles créateurs du Moyen-Orient,une présence jamais atteinte jus-que-là d’artistes femmes, qui re-présentent un tiers de la program-mation, et nombre de spectaclestournant autour de la question del’impuissance politique et de lamontée des populismes et des na-tionalismes. Sans compter, bien

sûr, la poursuite du travail effectuésur le jeune public et sur la« décen-tralisation des trois kilomètres ».

De nombreuses découvertesOlivier Py lui-même, en tant qu’ar-tiste, se fait discret dans cette édi-tion : il ne signera qu’un seul spec-tacle, une version de  Prométhéeenchaîné, d’Eschyle, sous forme despectacle itinérant qui voyageratout au long du Festival.

Comme Py l’avait annoncé à lafin du Festival 2015, c’est au met-teur en scène flamand Ivo vanHove que reviendra l’honneur del’ouverture dans la Cour du Palaisdes papes. Le directeur du Toneel-

groep d’Amsterdam y créera, enfrançais,  Les Damnés, d’après lefilm de Visconti, avec la troupe dela Comédie-Française, qui revientjouer dans la Cité des papes aprèsvingt-trois ans d’absence. La distri-bution réunira Denis Podalydès et

Guillaume Gallienne, entre autres.Autres temps forts :  2666,  le ro-

man monstre de Roberto Bolaño,adapté en un marathon de douzeheures par Julien Gosselin ; ¿ Quéharé yo con esta espada ?, la nou-velle création d’Angélica Liddell ;  Karamazov, d’après Dostoïevski,monté par Jean Bellorini dans lacarrière de Boulbon, rouvertepour l’occasion ; Place des héros, deThomas Bernhard, mis en scèneen lituanien par le Polonais Krys-tian Lupa ; enfin, Sidi Larbi Cher-kaoui dans la Cour d’honneur,avec Babel 7.16.

Après le succès en 2015 de La Ré- publique, le feuilleton théâtral

c’est un programme  éclecti-que qu’a annoncé, le 24 mars, ledirecteur des Rencontres d’Arles,dans les locaux du ministère de laculture, à Paris. Pour sa deuxièmeédition à la tête du festival dephotographie, prévu du 4 juilletau 25 septembre, Sam Stourdzé aprévu une quarantaine d’exposi-tions qui donneront à voir aussibien de grands classiques de l’his-toire de la photographie que descuriosités bien moins balisées.

Sans choisir un thème général,le festival regroupe les exposi-tions en plusieurs « séquences »qui s’entrecroisent. Ainsi, plu-sieurs espaces seront consacrés àla photographie de rue « revisi-tée », avec des artistes qui vont deGarry Winogrand à Peter Mitchell

en passant par Christian Marclay.Une autre séquence, intitulée« Après la guerre », présentera lestravaux sur les champs de ba-taille de Yan Morvan, les imagesdu reporter de guerre Don Mc-Cullin ou un retour sur les imagesdu 11-Septembre.

Western camarguaisD’autres thématiques s’aventure-ront sur des terrains plus ludi-ques : une séquence sera consa-crée au western et en particulier àsa version camarguaise, qui feral’objet d’une exposition à l’églisedes Frères-Prêcheurs, tandis

qu’une autre fera la part belle auxmonstres – extraterrestres, vam-pires ou morts-vivants – avec plu-sieurs expositions qui plongerontdans l’histoire du cinéma autantque de la photographie.

Dans son programme foison-nant, le directeur des Rencontresa conservé des éléments de l’anpassé : les prix découvertes, con-sacrés à des artistes émergents,l’espace Cosmos consacré à l’édi-tion de livres de photographie, lavisite de collections singulièresou les expositions liées à de nou-velles approches documentaires.S’y ajoute en 2016 une séquenceintutilée « Africa Pop », avec desregards historiques ou contem-porains portés sur le continent.

Chaque année aux Rencontres

d’Arles, la question des lieux d’ex-position se pose, et la 47e éditionne fait pas exception à la règle : lefestival, qui occupera en 2016 unepartie des ateliers SNCF apparte-nant à la Fondation Luma, profi-tera aussi de nouveaux espaces,comme une ancienne friche prèsde l’actuelle gare SNCF, rebaptisée« Ground Control », et un anciencollège, appelé « Mistral », oùs’établiront les éditeurs de livresphoto. Le programme des soiréesprévues pendant la semaine pro-fessionnelle, du 4 au 10 juillet, n’apas encore été annoncé.p

claire guillot

Rencontres monstres à Arles

Py mène la révolte en AvignonProgramme politique, féminin et rajeuni pour la 70e édition du Festival

concocté par Alain Badiou, OlivierPy a décidé de renouveler l’expé-rience, en confiant un nouveauvoyage au long cours à la PiccolaFamilia, la compagnie de ThomasJolly, qui proposera Le Ciel, la nuitet la pierre glorieuse, des chroni-ques fictives ou réelles du Festivalde 1947 à… 2086. Thomas Jolly, lui,sera présent avec Le Radeau de laméduse, de Georg Kaiser, créé avecles élèves de l’Ecole du Théâtre na-tional de Strasbourg.

Les artistes moyen-orientaux se-ront libanais, iranien, égyptiensou même israélien (Amos Gitaïavec une version théâtrale de Ra-bin : chronique d’un assassinat ) etsyrien (Omar Abusaada avec Alorsque j’attendais). Le bataillon fémi-

nin compte de nombreuses dé-couvertes, comme Maëlle Poésy,Bérangère Vantusso, la Belge An-ne-Cécile Vandalem, l’Autri-chienne Cornelia Rainer, la Sué-doise Sofia Jupither… Et ce sont en-core des femmes, Marie Choui-nard et Lisbeth Gruwez, quiprésenteront les autres créationsdanse en vue.

Mais il y aura aussi AurélienBory, Marie Vialle et Pascal Qui-gnard, Nicolas Truong (responsa-ble des pages Débats au  Monde),Arnaud Meunier, le Raoul collec-tif… Un Avignon jeune et féminin.Que demande le peuple ?p

fabienne darge

Le directeur,en tant qu’artiste,

se fait discret danscette édition :

il ne signeraqu’un seulspectacle

Olivier Py, lors de l’annonce du programme du Festival, le 24 mars, en Avignon. B. LANGLOIS/AFP

Post nutrimentum,animal tristeAu Forum des images, à Paris, un cyclede films et de séries, intitulé « Manger ! »,illustre les revers du plaisir culinaire

CINÉMA

M on repas ne se termine pas lorsque je n’ai plus faim, explique l’humo-

riste américain Louis C.K. dans unsketch. Il se termine quand je medéteste. » « Manger ! » : c’est le titrede la foisonnante programmationde films et de séries que propose leForum des images, à Paris, jus-qu’au 14 avril. Certes, elle illustreabondamment les joies du bien-manger (Tampopo), l’initiation augrand art culinaire ( Julie & Julia) etl’utopie sociale autour d’une table( Le Festin de Babette). Mais, au re-vers du plaisir, on trouve plus d’uncas où la chère est triste, le repas si-

nistre, l’après-repas marqué d’unemorosité post-coïtale voire suici-daire : c’est plus inattendu et, bienqu’un peu amer, peut-être plus in-téressant.

René pourrait reprendre à soncompte la maxime de Louis C.K.Au début du film d’Alain Cavalierqui porte son nom, on le voit choi-sir amoureusement un plateau defromages assez garni pour subju-guer une quinzaine de gour-mands, auquel il s’attaque ensuiteen solitaire, avant de dégainer, enguise de digestif, la lettre de rup-ture laissée par sa compagne.

Trompe-la-mortD’autres troubles alimentairesagitent  Les Soprano. Le 11 mars,lors d’une conférence intitulée« Dans le ventre de Tony So-prano », le critique Emmanuel

Burdeau relisait la série dans unedouble perspective nourricière etdigestive : chez le parrain du NewJersey, la nécessité d’éliminer untraître de ses rangs est traduitecomme un transit douloureuxconsécutif à un mauvais repas.

Au-delà de la sphère mafieuse, lanourriture et les repas mettentsouvent en exergue des relationsdifficiles avec le pouvoir. Présen-tant un double programme Cha-brol, le critique Jean Douchet rap-pelait que le repas, chez le réalisa-teur, était l’occasion d’étaler toutle rêve de la bourgeoisie sur unbrillant couvert. Le détestableparvenu de Que la bête meure lan-

çant : « Ce ragoût est tout simple-ment dégueulasse ! » à sa femmene pourrait mieux exhiber son in-satiable faim de décorum. Le casde l’épouse trop parfaite incarnéepar Isabelle Huppert dans  Merci pour le chocolat   est plus com-plexe. L’appartenance à une fa-mille l’obsède, mais c’est dans unrapport de classes que cette ob-session se révèle : elle seule, etnon la cuisinière, prépare le cho-colat chaud qu’elle administrecomme un philtre d’amour.

Même lorsque l’on joue avec lanourriture, ce n’est pas vraimentdrôle. Pourquoi Charlot ferait-ildanser les petits pains dans  La Ruée vers l’or  sinon parce qu’il n’a

aucun compagnon avec qui lesrompre ? Quant à Roscoe (Fatty)Arbuckle, c’est pour tromper l’en-nui de ses journées laborieusesqu’il improvise avec son comparseBuster Keaton des chorégraphiesinsensées en cuisine dans  Fattycuisinier,   en 1918. Le tableau nes’adoucit guère à l’autre bout dusiècle, dans le dérangeant court-métrage  Food, de l’animateurtchèque Jan Svankmajer, où la so-ciété s’est réduite à une chaîne ali-mentaire à deux maillons : chacuns’y transforme en distributeur denourriture, actionné à l’identiquede la machine.

Peut-être ne trompe-t-on pastant la faim qu’un appétit demort, semblent nous dire entredeux rires les demoiselles espiè-gles des  Petites Marguerites  deVera Chytilova (1966), qui ouvrent

le gaz entre les heures de repas.On mange comme on respirequand on peine à respirer toutcourt, pour rester vivant le tempsd’un dernier gueuleton, sans tropsavoir pourquoi. On joue le pleincontre le rien, en somme, résumeMichel Duchaussoy dans Que labête meure :« Moi aussi, j’essaie de faire le vide. Jusqu’à présent, ça nem’a pas coupé l’appétit. Au con-traire même. » p

noémie luciani

 Manger !, jusqu’au 14 avril, au Forum des images, Forum des Halles, 2, rue du Cinéma, 75001 Paris. www.forumdesimages.fr 

LUCAS DEBARGUECONCOURS TCHAÏKOVSKI 2015

P R E MI E R E N R E G I S TR E ME NT

« Jamais depuis Gould,

un artiste étranger 

n’a suscité un tel 

émoi à Moscou »

HUFFINGTON POST

Scarlatti Sonates en la majeur, do majeur& ré mineur

Chopin 4e Ballade

Liszt  Mephisto-Valse n°1

Ravel  Gaspard de la Nuit

Grieg Pièces lyriques : Mélodie op.47 n°3

Schubert  Moment musical D.780, n°3

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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0123SAMEDI 26 MARS 2016 télévisions | 15

HORIZONTALEMENT 

I. Echange de propos quand on ne la

croque pas. II. Quand le passage au

rouge fait peur. III. Promenade pleine

d’illusions. Console informatique.

IV. Engloutie à la fin. Traverse la Silé-

sie en Pologne. Titre chez Elizabeth.

 V. Personnel. Entre deux. Pour les

amateurs de toiles venues d’ailleurs.

 VI. Approches amoureuses. Ses fils

ont donné de beaux cordages.

 VII. Belle Moldave. Personnel. La val-

lée de Lucy. VIII. En creux. Suivit à dis-

tance. Golfe de l’océan Indien.

IX. Passe à Tarbes et Bayonne. Arrivé

pas très cuit d’Italie. X. Risque de frap-

per très fort.

 VERTI CALE MENT

1. Atteste une réussite. 2. Equipée

comme une lapine. 3. Alimente leglacier. Canton de la Côte-d’Or.

Conjonction. 4. La première peut être

la bonne. Fait des choix à votre place.

5. Un peu juste. Excellent dans son

travail.6. Pas très souples. 7. Un peu

trop excité. Ramassé dans son coin.

8. Interjection. A conserver en cas de

réclamation. Un point sur le dé.

9. Trouve sans la rue. Possessif. Plein

de bons mots. 10. Sacré sur les bords

du Nil. A laissé tout son travail à l’hô-

tel Biron. 11. Sans vraiment se fati-

guer. 12. Palpitations et autres

désagréments.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 072

HORIZONTALEMENT  I.  Sauve-qui-peut. II. Ivres. Tripla. III. Nanisme. Eivr

(viré). IV. Irène. Râ. Léa. V. Sise. Situé. VI. Tc. Usent. Ubu. VII. Rias. Reîtres.

 VIII. Œdème. Ru. Lt. IX. SUD. Aimantée. X. Examinateurs.

 VERTICALEMENT  1. Sinistrose. 2. Avaricieux. 3. Urnes. Adda.

4. Veineuse. 5. Esse. Mai. 6. Serein. 7. Utérine. Ma. 8. Ir. Attirât. 9. Pie.

Tune. 10. Epileur. Tu. 11. Ulve. Bêler. 12. Tarabustés.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 1 0 11 12

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

GRILLE N° 16 - 073

PAR PHILIPPE DUPUIS

0123 estédté parla Socétéédtrce

du«Monde»SADuréede lasocété: 99ansàcompterdu 15décembre2000.Captalsocal : 94.610.348,70¤.Actonnare prncpal: LeMonde Lbre(SCS).

Rédaction80,boulevardAuguste-Blanqu,75707ParsCedex 13Tél. : 01-57-28-20-00

Abonnementspartéléphone:deFrance3289 (Servce0,30e/mn+prxappel);del’étranger: (33)1-76-26-32-89;parcourrerélectronque:[email protected] an: Francemétropoltane: 399¤

Courrier des lecteurs

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Médiateur : [email protected]

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La reproduction de tout article est interditesans l’accord de l’administration. Commissionparitaire des publications et agences de pressen°0717C 81975 ISSN0395-2037

L’Imprmere,79rue deRossy,93290Tremblay-en-France

Toulouse(OcctaneImprmere)

Montpeller («MdLbre»)

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Tél : 01-57-28-39-00Fax : 01-57-28-39-26

PRINTEDIN FRANCE

Présidente :

Corinne Mrejen

SUDOKUN°16-073

Chaquejeudi, l’essentiel 

delapresseétrangère

CHEZVOTREMARCHAND

DE JOURNAUX 

 BRÉSILDILMA ETLULA: LADESCENTE AUXENFERS ISRAËL—BOYCOTTNERIMEPASAVECPAIX 

TRAVAIL LESRECETTESDENOSVOISINS

  PortfolioFantômesd’Afrique

         A          f        r          i       q       u        e         C          F         A         3         2         0         0           F           C           F           A

         A          l        g          é        r          i        e         4           8         0           D           A

         A          l          l        e       m       a       g       n        e         4  ,         5

         0         €

         A       n         d       o        r        r        e         4  ,         5

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         A       u          t        r          i        c         h        e         4  ,         5         0

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         C       a       n       a         d       a           6  ,         9

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         D         O         M         4  ,         9

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         E        s       p       a       g       n        e         4  ,         5

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         G      -         B         3  ,           8         0         £           G        r          è        c        e         4  ,         5         0

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          I        r          l        a       n         d        e         4  ,         5         0

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          I          t        a          l          i        e         4  ,         5         0

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          J       a       p       o       n           8         0         0         ¥

         M       a        r       o        c         3           8           D           H

         P       a        y        s      -         B       a        s         4  ,         5

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         P       o        r          t       u       g       a          l        c       o       n          t    .         4  ,         5

         0         €

          S       u          i        s        s        e           6  ,         2

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          T       u       n          i        s          i        e           6  ,         5

         0           D           T           U

N° 1325 du 24 au 30 mars 2016courrierinternational.comFrance: 3,90€

LABELGIQUEENÉTATDECHOC

Uneséried’attentatsafrappéBruxellesquatre joursaprèsl’arrestation

deSalahAbdeslam

3           ’         :           H          I          K          N          L          I          =           X          U          X          ^          U          \          :           ?         b          @           d          @           m          @           f          @           q            "; 

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                 D

S A M E D I 2 6 M A R S

TF120.55 The Voice, la plus belle voix

Divertissement présentépar Nikos Aliagas.23.20 The Voice

Divertissement présentépar Nikos Aliagas et Karine Ferri.

France 2

20.55 Les Années bonheurDivertissement animépar Patrick Sébastien.23.10 On n’est pas couchéTalk-show animépar Laurent Ruquier.

France 320.55 MongevilleTéléfilm policier françaisd’Hervé Brami. Avec Francis Perrin,Gaëlle Bona, Pierre Aussedat(Fr., 2015, 79 min).22.55

 Au nom des fils

Téléfilm de Christian Faure.Avec Isabelle Gélinas, Léa Drucker,Lionel Abelanski (Fr., 2013, 90 min).

Canal+20.55 MI-5 : InfiltrationFilm d’action de Bharat Nalluri.Avec Kit Harington, TuppenceMiddleton, Peter Firth(GB, 2015, 104 min).22.35 Imitation GameFilm de Morten Tyldum.Avec Benedict Cumberbatch,Keira Knightley(GB-EU, 2014, 114 min).

France 520.40 Echappées belles« La Corrèze, une terre d’élection ».Magazine présenté par Raphaëlde Casabianca.22.10 Echappées belles

« Ballades irlandaises ». Magazineprésenté par Sophie Jovillard.

Arte20.50 Les Romanov Documentaire d’Eva Gerberdinget André Schäfer (All., 2013, 88 min).22.20 Ivan le TerribleDocumentaire de Peter Moers.(All., 2013, 52 min).

M620.55 Hawa ï 5.0

Série créée par Bryan SpicerAvec Alex O’Loughlin, Scott Caanet Daniel Dae Kim(EU, S6, ép. 5 et 6/24 ; S4, ép. 19/22 ;S1, ép. 5 et 6/24).

Raton et marmiton aux fourneauxA travers les tribulations d’un rongeur passionné de cuisine, une célébration drolatique de la gastronomie française

M6DIMANCHE 27 - 20 H 55

FILM

La vue d’un rongeur dansune cuisine provoque ra-rement l’enthousiasme.Au mieux, si l’on en fait

une petite souris aux grands yeuxliquides qui tente d’échapperà unchat, on obtient les poursuites fré-nétiques de Tom et Jerry. Mais unrat ? Et un rat qui insiste pour tripo-ter la nourriture ? Beurk !

Il a fallu de l’assurance à la mai-son Pixar, fournisseur de rêves nu-mériques depuis 1995, pour déci-der de consacrer tant de ressour-ces à cette idée : le rat devenu chef.Ce concept a été confié à Brad Birdqui en a fait un fi lm d’une richesseincroyable – l’un des grands filmsgastronomiques de l’histoire du ci-néma, une comédie burlesquesouvent drôle, et surtout une apo-

logie de la création individuelled’une vigueur inattendue.Ici, le super-héros qui doit faire

prévaloir sa singularité sur sespairs et ses ennemis s’appelleRémi. Son appartenance au genre Rattus  handicape lourdementl’aspiration qui le tenaille de deve-nir un grand cuisinier. Rémi vitavec sa nombreuse famille dansune maison de campagne. Pen-dant que ses congénères font lespoubelles pour se régaler de dé-chets putrides, Rémi recherche

les ingrédients les plus fins, fai-sant fi de la discrétion qu’exigenormalement la vie de rat. La na-ture l’a doué d’un goût et d’unodorat d’une acuité hors du com-mun (voilà pour l’inné) qui l’ontpoussé à apprendre à lire (et voilàpour l’acquis), dans les pages d’unlivre de recettes, œuvre du pro-phète culinaire disparu EmileGusteau.

Les escapades gastronomiquesde Rémi finissent par provoquerla catastrophe attendue : sa tribuest contrainte à l’exode. Emportépar les flots du réseau fluvial fran-çais, puis par les égouts d’une mé-tropole, Rémi échoue dans la cui-sine d’un restaurant parisien quifut celui de Gusteau et est désor-mais aux mains de Skinner, unmercenaire qui dilapide l’héritage

du fondateur en multipliant lesproduits dérivés – chips, tacos etautres variations sur le thème dela junk food.

En même temps que Rémi, unjeune homme qui aspire à devenircuisinier fait irruption dans la cui-sine du restaurant. Aux casseroles,Emile ne montre aucun talent etprofite, d’abord à son insu, des ta-lents de l’Escoffier des rongeurs. La

façon dont est scellée leur alliancefait une pirouette scénaristiqueéblouissante, mise en scène avec

délicatesse. Ratatouille témoigne,pour notre capitale et pour l’ima-gerie française, de l’affection sin-cère, nourrie à la fois de culture etdes fantasmes, qui était celle decertaines productions hollywoo-diennes il y a un demi-siècle.

Symbiose et manigances

La symbiose entre l’homme et labête redonne à la cuisine nobletous ses droits dans le vieux res-taurant de Gusteau. Mais Rémi etEmile doivent affronter les mani-gances de Skinner et le jugementimpitoyable du critique gastrono-mique Anton Ego. Ces obstaclesjustifieront les poursuites écheve-lées dans les rues d’un Paris oniri-que, qui alternent avec de specta-culaires séquences culinaires.

Pour savoir comment concilier

la présence d’un rat en cuisine etles règles des services de l’hygiène,pour découvrir comment Emileconciliera son amour de la restau-ration et son incapacité à fairecuire un œuf au plat, commentRémi assumera sa double condi-tion de rongeur parasite et d’ar-tiste, et pour bien d’autres bonnesraisons, il faut voir Ratatouille. p

thomas sotinel

 Ratatouille, de Brad Bird(EU, 2007, 130 min).

Rémi, l’Escoffier des rongeurs, dans « Ratatouille ».DISNEY/PIXAR

Pulpe frictionsDans son nouveau magazine, Guy Lagache enquête sur l’alimentation de demain. Estomacs sensibles s’abstenir…

D8DIMANCHE 27 - 20 H 50

MAGAZINE

C ontrairement à ce quebeaucoup peuvent penser,l’antenne de D8 n’est pas

entièrement occupée par Cyril Ha-nouna ! On y trouve aussi Guy La-gache qui, déjà aux commandesd’ « En quête d’actualité », proposeun nouveau magazine dominicalbaptisé « Déjà demain », à base degrands reportages et d’enquêtes.

Se mettant en scène sur le ter-rain, au bureau, en voiture, en

avion, Lagache perpétue la tradi-tion lancée par d’autres magazinestélévisés. On peut trouver le pro-cédé légèrement agaçant, mais lecontenu de ce premier numéro in-titulé Qu’allons-nous bient ôt man- ger?vaut tout de même le détour.Seule précaution à prendre : man-ger léger avant de le visionner, carsi cette enquête étalée sur un an(de Boulogne-sur-Mer à Chicago,en passant par le Vietnam ou leGhana) se révèle édifiante, des scè-nes décortiquant des procédés in-dustriels peuvent chambouler lesestomacs les plus solides.

Trop riche, trop grasse, trop su-crée, la bouffe d’aujourd’hui in-quiète, à juste titre. Le prix du pois-son frais étant ce qu’il est, c’est-à-dire trop élevé pour beaucoup, lesrecettes industrielles préparées àbase de poisson, trois fois moinschères, font un tabac. Mais lorsquel’on découvre que la pulpe de pois-son utilisée dans ces plats est pré-parée à partir d’arêtes broyées etque les chats en raffolent, on sesent soudain beaucoup moinsd’appétit pour ces belles rillettesde saumon ou ces prometteusesterrines de la mer…

Outre la problématique du pois-son, Guy Lagache est parti à la re-cherche des hamburgers biengrillés, bien juteux et… sans ungramme de viande ! Même goût,même texture, ces produits fontun triomphe. Dans la banlieue deVancouver, le pionnier de cettenourriture « moins grasse et doncmeilleure pour la santé », à savoir lepatron de Garden Protein , retracel’expansion de son entreprise.

La viande sans viande, c’est500 millions de dollars (450 mil-lions d’euros) de chiffre d’affairespar an, et les recettes pour amélio-

rer la texture et le goût des pro-duits sont l’objet de travaux méti-culeux réalisés par des armées descientifiques, avec à la clé des en-jeux industriels considérables.Hot-dogs sans porc (mais avecsoja), boulettes sans bœuf, crabesans crabe, la révolution végétaledans la cuisine n’en est qu’à ses dé-buts. Au goût ? Il paraît que c’estaussi bon…p

alain constant

Qu’allons-nous bient ôt manger ?, présenté par Guy Lagache(France, 2016, 120 minutes).

V O T R ES O I R É E

T É L É

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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16 |styles SAMEDI 26 MARS 2016

0123

HORLOGERIE

Le secteur de l’horlogerieest constitué d’une dou-zaine de marques puis-santes et internationale-

ment connues, et de centaines depetits noms. Les premières sontprotégées des aléas économiquesactuels par leur taille, leur force fi-nancière et leur statut. Elles s’im-posent grâce à leur force de frappepublicitaire et en boutique. Pour

faire face aux difficultés, ellespeuvent se permettre de rognersur leurs marges.

Les seconds possèdent une fai-ble notoriété, sauf dans les cerclesd’amateurs. Ils sont fragiles, ima-ginatifs et doivent trouver unevoie en dehors des grands circuitsde distribution et de communica-tion. Avec des budgets modesteset des rentabilités précaires, ilstravaillent leur identité autour deconcepts horlogers forts, quitte às’en retrouver prisonniers ou ver-ser dans les excès de design. Le Sa-lon international d’horlogerieBaselworld, qui a fermé ses portesle 24 mars, est par excellence lelieu où se côtoient les institu-tions, d’une part, les spécialisteset les étoiles montantes, del’autre.

Look décalé et jeu de couleursTous se disputent les faveurs d’unpublic qui récompense les valeurssûres, les approches originales etle rapport qualité-prix. Ainsi, lesmontres au design archétypiquese multiplient. Rondes, de diamè-tre moyen, sobres, elles sont la so-lution de repli d’une industrie quiles produit, à quelques détailsprès, depuis un siècle. Mme desmarques à l’approche design

montre au mouvementajouré (squeletté dans le

jargon) et visible carsans cadran. Son ar-

chitecture est uni-que, spectaculaire

et joue sur unesymétrie pluri-axiale poussée.

La version enacier se négocie aux

alentours des13 000 euros, alors

qu’il faut bien débour-ser plus du triple pourtout autre équivalent en

termes d’impact visuel,de qualité d’exécution et

de contenu horloger pur. Ladémarche est sophistiquée,mais dans les franges hautes de

l’horlogerie, concernant plu-sieurs dizaines de milliers

d’unités produites par an au to-tal, la bataille est rude pour sefaire reconnatre.

Une solution simple consiste occuper un créneau très clair,voire unique, comme celui qu’achoisi Vulcain. La marque est spé-cialisée dans la montre réveil mé-canique. Elle vit de l’esthétiquevintage rééditée de sa grande épo-que, où elle fournissait les prési-dents des Etats-Unis. La 50s Presi-dents’Watch sort du design danslequel elle était coincée depuiscinq ans et évolue grâce à un nou-veau mouvement. Cette nouvelle

version se nomme Heritage, quiest certainement le mot le plusgalvaudé de la nomenclature hor-logère, à égalité avec tradition.Mais elle redynamise la marquepar un cadran équilibré, moderneet mat. Cette qualité visible aupremier regard est essentielle carelle conditionne le contact entreun client et la montre.

Substance invisibleLa science du cadran a donc con-

sidérablement progressé et enparticulier sur le blanc. Couleurexigeante, le blanc pur n’a jamaisété aussi présent et lumineux.Carl F. Bucherer l’a choisie pour saManero Peripheral, animée parun mouvement pensé et fabriquéen interne, un coup de force pourune si petite production. La mar-que veut séduire l’Europe, foyer

de croissance, avec cette montrechic, pas exorbitante et au con-tenu horloger insouponnabletant il est qualitatif.

L’horlogerie est ainsi faite : ellecache dans son botier ce qui faitle plus souvent sa valeur. La mar-que a plus que partout ailleurs lamission de représenter cettesubstance invisible et de l’incar-ner. Quand son outil est la publi-cité, il faut avoir les moyens et lataille de se l’offrir. Quand elle sebase sur la différenciation, lechoix des tarifs et de la portabilitéest plus que jamais essentiel.p

david chokron

RONDES, DE DIAMÈTREMOYEN, SOBRES… MÊME

DES MARQUES ÀL’APPROCHE DESIGN

AUDACIEUSE COMME RADOMETTENT EN PLACE DESLIGNES INDÉMODABLES

Rolex Oyster PerpetualAir-King, réf. 116900.CLAUDE BOSSEL/ROLEX

à baselworld, on croise le raisonnable,le sophistiqué, mais aussi des conceptsfous, invraisemblables ou simplement at-tachants. Ils s’adressent cette clientèlequi aime s’aventurer en dehors des sen-

tiers battus. Elle récompense le conceptpur et pionnier. Elle vénère la mécanique,soit pour son exclusivité, soit pour rendrehommage à l’effort intellectuel et manuelqu’elle nécessite.

Ainsi, Bell & Ross a beautre une marquehorlogère, elle est codirigée et a été cofon-dée par son PDG et par son designer. Cedernier a dessiné une automobile pourdonner un ancrage à de nouveaux princi-pes esthétiques. Elle reprend certains co-des de l’aviation de chasse, à laquelle lamarque est étroitement associée. L’AeroGTest ainsi le chronographe sportif extrmequi découle de l’hypercar du mme nom.

Autre domaine, autre concept, Hublot afait appel à Berluti, le chausseur franco-

italien, pour une collection capsule uni-que en son genre. Le premier fournit lamontre et le mouvement. Le second restedans son domaine d’expertise et livre lecuir qui recouvre le cadran et le magnifi-

que coffret de la Classic Fusion Berluti.Cette peau patinée et brandée fait de l’ef-fet, mais il n’est pas que visuel. Il existeune réelle complexité à faire entrer unematière vivante et humide dans unemontre soumise à des contraintes techni-ques fortes.

Une aiguille comme un mât

Dans un Salon horloger commeBaselworld, les grandes complicationstiennent le haut du pavé.

Harry Winston y a lancé le septième vo-let de sa gamme « Histoire de tourbillon ».Il s’agit de son fer de lance, de créations ex-ceptionnelles et souvent de premièresmondiales. Dotée de deux tourbillons bi-

axiaux désynchronisés, la montre pos-sède un design tridimensionnel hors nor-mes. Ses dimensions colossales, 51 mm dediamètre pour 17,3 mm d’épaisseur, nesont dictées que par la mécanique qu’elle

abrite. Le prix est à l’unisson et largementmotivé par la qualité des finitions.

Plus conceptuel, Ulysse Nardin a décidéde se passer d’engrenages. L’aiguille desminutes de sa montre Grand Deck MarineTourbillon ressemble à un mât de vais-seau. Elle est animée par un incroyablesystème de câbles et de poulies microsco-piques. Ensemble, ils rappellent le grée-ment d’un voilier. Bien présents sur le ca-dran, ils volent la vedette au reste de lamontre. Surtout, ils rappellent l’ancragemarin de la marque. Car peu importe sonoriginalité, un concept ne tient que s’il netrahit ni l’identité ni l’intégrité de la mai-son qui le propose.p

d. ch.

L’imagination au pouvoir

Vulcain 50s Presidents’Watch Tradition. DR

Arnold & Son Nebula. DR

la valse à

deux tempsComment les grands noms del’horlogerie peuvent-ils encore

surprendre ? Et les petites marquess’imposer dans un climat tendu ? Réponses au Salon mondial de Bâle, qui s’est achevé le 24 mars

Bell & Ross BR 03-94AeroGT. DR

Patek Philippe,chronographe àheuresuniverselles,réf. 5930. DR

audacieuse comme Rado mettenten place des lignes indémodablescomme la Grande Coupole, et àdes tarifs agressifs en prime.

D’autres avancent dans une di-rection immuable depuis des dé-cennies. Tel est le cas de Patek Phi-lippe. Référence absolue desgrands collectionneurs, la mar-que travaille une horlogerie touten retenue, mécaniquement trèsaboutie et à des tarifs élevés. Ilssont justifiés par une production

qui ne suit pas la demande et unematrise des mécaniques les plusincroyables. Elle présente pour2016 un chronographe remon-tage automatique et heures uni-verselles, la référence 5930, qui ra-vira les aficionados de la marque.

Par ailleurs, la capacité sur-prendre est devenue aussi impor-tante que la force de séduction.Une marque forte comme Rolextire son épingle du jeu car elle necesse de dire quelque chose surelle-mme (la fiabilité) et sur sesclients (la réussite). Mais lesgrands noms savent égalementjouer la carte de l’originalité,comme en témoignent le look dé-calé de sa nouvelle Air-King etson amusant jeu de couleurs.

A l’inverse, les propositions lesplus intéressantes économique-

ment ne sont pas toutes le fruitde grands acteurs, qui s’appuientsur les volumes de production in-dustriels pour tirer leurs coûtsvers le bas. La logique vaut danstous les segments de prix. C’estainsi qu’opère Arnold & Son.Cette minuscule marque proposedes modèles à complication so-phistiqués à des tarifs bas, que lesplus grands ne pourraient attein-dre s’ils le voulaient. Dernierexemple en date, la Nebula, une

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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0123SAMEDI 26 MARS 2016   0123 | 17

Après les attentats deBruxelles, on penseaux mots de l’acteurbelge Benoît Poel-

voorde, en 2007, à la Sorbonne. Ils’était lancé dans une comparai-son entre cinéma français et ci-néma belge. Ce qui donne :« Quand vous tournez en Belgique,tout est permis. Il n’y a pas de hié-rarchie, tout le monde est logédans le même htel pourri. L’avan-tage, c’est que c’est de l’artisanat.Vous avez une vraie libert é. En

 France, c’est pas possible. En France, si vous avez un problèmeavec un connard qui a laissé unebagnole dans le cadre, tout lemonde va commencer à hurler :“Qui a mis cette putain de bagnole

dans le cadre !” Alors que, cheznous, plutt que de chercher quiest responsable, on la bouge. »

On revoit ce petit bijou sur You-Tube et on pense à l’expositionconsacrée à l’artiste américainAndres Serrano, à Bruxelles. Elleest dans la tourmente. Elle a étéinaugurée le 18 mars, jour de l’ar-restation du terroriste Salah Ab-deslam à Molenbeek. Elle a viteété fermée à la suite des attentatssanglants. Elle a rouvert vendredi25 mars. Dans quel climat ? Il y al’ambiance de mort, et il y a le con-tenu de l’exposition. Serrano estun photographe sulfureux. Alorsque le lieu qui l’accueille n’est pasvraiment alternatif : les Muséesroyaux des beaux-arts de Belgi-que. Ce bâtiment néoclassiqueréunit, place Royale, six muséesd’Etat et plus de 20 000 œuvres,

de Bruegel à Jan Fabre en passantpar Magritte. Comme si le Louvre,Orsay et le Centre Pompidou navi-guaient sous même pavillon.

« Malade mental »

Exposer Serrano, c’est s’exposeraux ennuis. Vous risquez d’avoirsur le dos les ligues de vertu, lesreligions de tous voiles, les com-munautés en tout genre, les chefsde tous les partis et du Tea Party.Ça ne veut pas dire que Serranoest un génie, juste que vous pre-nez un risque, d’autant qu’il s’agitde la rétrospective la plus impor-tante jamais montée (plus de 150photos sur 1 800 m2).

L’homme, 65 ans, est un peuparticulier. En 1994, ce New-Yor-kais catholique noir au teint pâlenous avait invités chez lui, à Broo-

klyn. On croyait entrer dans lamaison du diable. Murs recou-verts de velours violet, lit de Dra-cula aux draps noirs, crânes sur lacommode, bestioles dans le for-mol, une trentaine de crucifixdans les toilettes. Son chien dal-matien s’appelait Luther. Ses ima-ges déjà heurtaient par leur sujetet apaisaient par leur forme. Ser-rano marie les contraires, le sacréet le profane. Il photographie desvieux nus, des SDF, des morts, dusexe, des membres du Ku KluxKlan, mais avec noblesse et moultréférences à la peinture classique.

L’indignation naît en 1989,quand Serrano expose aux Etats-Unis une photo d’un crucifix im-mergé dans l’urine. Un sénateurle traite de « malade mental », l’image fera débat jusqu’au Sénat.Deux autres séries teintées de

pornographie provoqueront cetteformule de son galeriste parisien,Yvon La mbert : « J’aime être dé-

rangé, mais là… » Ses images ontété détruites à coups de marteau àMelbourne en 1997, tailladées àLund, en Suède, en 2007, abîméesà Avignon en 2011.

Ne décrivons pas ce que l’onvoit. Allez à Bruxelles. Tout y est :religion, sexe, mort. Soit un cock-

tail qui saigne la planète en ce mo-ment. Ce musée fait mieux. Avecun sens du spectacle, mais aussiune liberté incroyable, il a appelél’exposition « Serrano, Uncenso-red Photographs », ce qui est unefaçon d’attirer le client, mais aussid’interroger le rôle d’un musée.L’affiche de l’exposition, que l’onvoit un peu partout dans Bruxel-les ? La vierge en habits de Super-man et Jésus joué par un Noir.

Cette exposition est l’affaire deMichel Draguet, le directeur desMusées royaux des beaux-arts deBelgique. Il est aussi historiend’art. Par les temps qui courent,où l’expertise n’est pas vuecomme une qualité, un hommede l’art à la tête d’un lieu de l’art,ce n’est pas évident. « Faire Ser-rano est une responsabilité que je

 partage avec moi-même. »  Il a

monté l’exposition en moins dedeux ans. On repense aux motsde Poelvoorde. Impression confir-mée par Constance Dumas, la di-rectrice de la galerie NathalieObadia à Bruxelles, celle de Ser-rano : « Cette exposition a étémontée super vite ! C’est à la foisun pays à la bureaucratie compli-quée, mais si pragmatique…»

On demande à Michel Draguets’il a subi des pressions pour an-nuler l’exposition. « Partout enOccident, on peut moins montrerqu’avant, à cause des communau-tés, d’une opinion publique qui est

 plus forte. Un film comme RabbiJacob , on ne le ferait plus. Serrano,on me dit qu’on ne le ferait pas à

 Paris. On peut le faire à Bruxelles, parce que la Belgique a une tr ès forte tradition libertaire et notre

Constitution de 1831 est la plus libé-rale d’Europe. » Il déplace la ques-tion : « D’ici à 2019, nos muséesvont perdre 30 % de subventions.

 Donc le contr le est énorme mais iln’est pas scientifique, esthétiqueou moral. Il est financier. Si l’expo-sition peut faire des entrées et sielle a des sponsors, elle se fait. »

Mais Michel Draguet a bien ca-dré son affaire. L’exposition est« déconseillée aux moins de16 ans ». Les images les plus sensi-bles sont regroupées dans unepièce séparée. On les voit dansleur état vandalisé. Une vidéomontre même les casseurs àl’œuvre en Suède. Si vous prenezl’audioguide, vous entendez lavoix de Serrano qui explique seschoix. Un gros dossier pédagogi-que est proposé aux enseignants.

Reste à savoir comment le pu-

blic va réagir dans ce contextelourd post-attentats. La sécuritédu musée a été renforcée. Mais lepersonnel est inquiet, avoue Mi-chel Draguet. Le 25 mars, dans lamatinée, avant l’ouverture, An-dres Serrano devait passer unlong moment avec la soixantainede gardiens. Pour leur dire qui ilest, ce qu’il veut dire à travers sesœuvres, et qu’eux sont plus quedes gardiens. Belle idée. Là encorePoelvoorde n’est pas loin. p

[email protected]

P lus de 600 témoins interrogés à labarre, à La Haye, 48 000 pages deprocès-verbaux, huit ans de procé-

dure, une condamnation : quarante ans deprison pour l’ancien chef des Serbes de Bos-nie, Radovan Karadzic. En infligeant cettepeine, jeudi 24 mars, à l’un des hommes res-ponsables des pires crimes commis en Eu-rope depuis la fin de la seconde guerremondiale, le Tribunal pénal internationalpour l’ex-Yougoslavie (TPIY) n’a pas seule-ment rendu un verdict salutaire et à la hau-teur des forfaits de Karadzic. Il a montré quela justice internationale, ça peut marcher.

Peu d’observateurs de bonne foi conteste-ront le rôle-clé joué par l’ex-psychiatre, poèteen ses heures d’insomnie, dans les horreursperpétrées lors des guerres qui ont accom-

pagné l’explosion de la fédération yougos-lave à la fin des années 1980. L’heure est auxrevendications nationalistes dans cette You-goslavie orpheline de Tito : les républiquesles plus riches, Slovénie et Croatie, sont lespremières à vouloir quitter la fédération,mais les plus pauvres aussi, comme la Bos-

nie et la province autonome du Kosovo.L’homme fort de Belgrade, Slobodan Mi-

losecic (mort en 2006 dans sa cellule avantla fin de son procès devant le TPIY), veutréunir les Serbes, disséminés dans l’ex-fé-dération, en une seule Grande Serbie, d’oùles autres, tous les non-Serbes, doivent êtrechassés par la force. Chef politique des Ser-bes de Bosnie, le docteur Karadzic, spécia-liste de la paranoïa (ça ne s’invente pas),mène une campagne d’épuration ethniqueparticulièrement féroce dans cette républi-que pluriethnique et pluriconfessionnelle.

Pour chasser les musulmans de Bosnie deleurs maisons, de leurs terres ancestrales,on tue, on viole, on interne, on jette des di-zaines de milliers de malheureux sur lesroutes – exode sanglant qui fait plus de100 000 morts et déplace 2 millions de per-sonnes au nom du projet de Grande Serbie.Il faut éliminer physiquement : en 1995, àSrebrenica, plus de 6 000 hommes et gar-

çons musulmans de cette bourgade prisepar les miliciens bosno-serbes sont abat-tus, mains liées derrière le dos. Il faut terro-riser : durant plus de quatre ans, la capitale

de la Bosnie, Sarajevo, subira un siège impi-toyable, qui fera plus de 11 000 morts.

Des onze chefs d’inculpation pesant surKaradzic, notamment pour crimes contrel’humanité, le président du TPIY, le Sud-Co-réen O-Gon Kwon, en a retenu dix. Agé de70 ans, capturé en 2008 à Belgrade sous les

traits d’un naturopathe new age, Karadzicn’a cessé de nier les faits.

On dira qu’ils sont jugés trop tard, plus devingt ans après qu’ils se sont produits. Atort. Le TPIY, en l’espèce, a bien fait son tra-vail, quand la mémoire de ces années deplomb est encore vive. On dira qu’àd’autres occasions, dans tel ou tel procèsdes guerres balkaniques, le tribunal a étémoins bien inspiré. Peut-être. Il reste qu’il amagistralement instruit celui de Karadzic.

La mauvaise nouvelle est que l’ONU, quicrée le TPIY en 1993, ne le ferait plusaujourd’hui. Cette idée d’une justice inter-nationale, quasi supra-nationale, s’impo-sant aux Etats, est née dans l’immédiataprès-guerre froide. C’est le bref momentde l’illusion d’un ordre international mar-qué par un droit d’ingérence dans les affai-res des Etats. Sous la pression notammentdes nouvelles puissances émergentes, lebalancier est revenu en arrière : le principe

de souveraineté des Etats l’emporte de nou-veau sur toute autre considération.Pourtant, le verdict rendu ce 24 mars 2016

aurait mérité de faire jurisprudence.p

EXPOSERLE PHOTOGRAPHE

SULFUREUXANDRES SERRANO,C’EST S’EXPOSER

AUX ENNUIS

 

RADOVANKARADZIC :UN VERDICTEXEMPLAIRE

CULTURE |  CHRONIQUEpar michel guerrin

A Bruxelles, uneexpo à risques

RESTE À SAVOIR

COMMENT

LE PUBLIC VA

RÉAGIR DANS CE

LOURD CONTEXTE

POST-ATTENTATS

Tirage du Monde daté vendredi 25 mars : 256 976 exemplaires

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8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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18 | pub pleine page quo SAMEDI 26 MARS 2016

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Marc

TrévidicUn juge très médiatique

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26 mars 2016  — M Le magazine du Monde

The Intersection Series   : « Two Persons Dancing »/« Beach Scene », 2002.

c a r t e b l a n c h e à

 John Baldessari.L’artiste américain présente queLques-unes de ses compositionsjusqu’à mi-avriL dans “m”. une œuvre tout en ironie qui, à coups

de coLLages et de découpages, interroge Le pouvoir des images.

5

     C    o    u    r    t    e    s    y    o     f    t     h    e    a    r    t     i    s    t    a    n     d     M    a    r     i    a    n     G    o    o     d

    m    a    n     G    a     l     l    e    r    y

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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26 mars 2016  — M Le magazine du Monde

Si lecontexten’était paSSidramatique,on pourrait parlerd’un drôle de hasardou mêmed’un télescopage.Il y a déjà quelques semaines que M Le magazine du Monde avait prévu defaire sa couverture sur l’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic. Et d’instruire, en quelquesorte, son omniprésence dans les médias, notamment au lendemain des attentats du13 novembre 2015 à Paris. Mais pas que. Cela fait quelques années que Trévidic est une per-sonnalité médiatique. Il s’est d’ailleurs si bien pris au jeu qu’il s’est mis à aborder différentssujets, commesa passion du rock.Une présenceque décrypte la journaliste Vanessa Schneider.Dans ces périodes d’accélération de l’information, les radios, les télévisions et la presse écriteont tant besoin d’experts, de bons clients… Le bon client,Trévidic l’a campé de bonne grâce,car, deson propre aveu, il a eu dumal à «décrocher» de son précédent poste et de l’adrénalinequeprocurent lesenquêtesterroristes. Il se compare d’ailleursà un droguéen manque. Il y eutmême une pétition pour demander sa réintégration au pôle antiterroriste.Il l’a jugée« contre- productive », comme il le cone à notre journaliste. Mais cela ne lui a sans doute pas tout à faitdéplu. En début d’année, il a également publié un roman d’amour sur fond de multicultura-lisme. Puis a eu lieu l’arrestation de Salah Abdeslam, le 18 mars, à Bruxelles. Et, quatre joursplus tard, se sont produits les attentats à l’aéroport de Zaventem et à la station de métro Mael-beek.La séquence terrorisme islamiste s’est donc rouverte avec son cortège de douleur,d’im-puissance et de peur. Comme la suite, attendue, d’un interminable cauchemar. Cette fois,Trévidic s’est fait plus discret dans les médias. « Parfois, je ne peux plus », avoue-t-il. Il estsans doute osé de le dire,mais c’est peut-être le signe de quelque chose.Cette paralysie,cette

forme de lassitude qui nous saisit tous. Et qui saisit même un spécialiste comme lui. Le cau-chemar, hélas, n’est pas prêt de se terminer.   Marie-Pierre LanneLongue

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     I     l     l    u    s    t    r    a    t     i    o    n     S    a    t    o    s     h     i     H    a    s     h     i    m    o    t    o    p    o    u    r     M

     L    e    m    a    g    a    z     i    n    e     d    u     M    o    n     d    e

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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     ©

     2     0     1     6     C     H     L     O     E .

     A     L     L     R     I     G     H     T     S     R     E     S     E     R     V     E     D .

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8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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00 mois 2016  — M Le magazine du Monde26 mars 2016  — M Le magazine du Monde

26 mars 2016

La semaine

17

Super Moro, le jugequi fait pleurer Lula.

20

Sydney serre la visaux cyclistes.

21

Qui est vraiment ?  Jean-Pierre Bemba.

22

Riyad lance une opérationséduction en France.

24

Au Mexique,le machisme se porte bien.

25

 L’histoire se répète.Une pucelle très convoitée.

26

Tirage à part.Concordance des temps.

Les chroniques

28

 Le grand délé Anne Hidalgo.

29

 Revu et… corrigé.Candidat au verbe.

 Il fallait oser.République fromagère.

30

 J’y étais.Comptes d’auteurs.

17

99

     F    e    r    n    a    n     d    o     B     i    z    e    r    r    a     J     R     /     E     P     A     /     M    a    x     P     P     P

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M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

Le portfolio

56

 La tête de l’émoi.Depuis 2009, le photo-

graphe slovène JureKastelic saisit les visagesdes présentateurs télé àl’annonce d’un drame.

Selon lui, leur manque denaturel coupe le téléspecta-

teur de ses émotions.

Le magazine

33

Toute la lumière  sur Trévidic.

Malgré l’arrestationde Salah Abdeslam et

les attentats de Bruxelles,l’ex-juge antiterroriste

a été moins présent sur lesplateaux télé. Surprenantpour cet accro des médias.

40

 Il y a vingt ans,à l’église Saint-Bernard.

En 1996, les Françaiss’étaient émus du sort des300 sans-papiers réfugiés

dans l’église Saint-Bernardpour obtenir leur régularisa-

tion. Retour sur cinq moisde bras de fer avec le

gouvernement Juppé.46

 Le voile en beauté.Musulmanes, voilées et

branchées, les “hijabistas”dispensent sur le Web leursconseils mode et beauté àdes milliers d’abonnées…

y compris les plus rigoristes.50

 Le Noma au goût du bush.Le René Redzepi, chef 

danois du “meilleurrestaurant du monde”, a

installé une cuisine éphé-mère à Sydney. Au menu :des produits du cru pour

réconcilier l’Australie avecses racines aborigènes.

56

    I    l    l   u   s    t   r   a    t    i   o   n    S   a    t   o   s    h    i    H   a   s    h    i   m   o    t   o   p   o   u   r    M

    L   e   m   a   g   a   z    i   n   e    d   u    M   o   n    d   e .

    J   u   r   e    K   a   s    t   e    l    i   c .

    N    i    k    i    C    h   a   n    W   y    l    i   e    /    R    E    A   p   o   u   r

    M    L   e   m   a   g   a   z    i   n   e    d   u    M   o   n    d   e

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La culture

86

 Musique Keren Ann,

chanteuse de l’intime.Et aussi: théâtre, hip-hop,

art, polar, BD.95

 Le DVDde Samuel Blumenfeld.

L’érotomane des Carpates96

 Jeux98

TotemLe galet

de Didier Pourquery.

Le style

65

Après le sele, le dronie.67

 Le goût des autresLe sens de l’absurde.

68

L’invité mystère.69

VariationsA mots couverts.

70

 A quoi ça sert? Les boosters cosmétiques.

71

Fétiche L’or des thés.

72

 3 questions àKean Etro, directeur

artistique d’Etro.73

 Ligne de mire 

Heure de pointe.74

Un peu de tenuesSo british.

80

Une ville, deux possibilitésSalt Lake City.

82

Ceci n’est pas…un nettoyant pour vitres.

83

Une affaire de goût En grande pompe.

84

 Dessous de table 

Succulente Amarante.85

 Deuxième rideauAdieu veau,

vache, cochon…

Coordonnées de la série Un peu de tenues « So british », P. 74

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la photo-illustration de

couverture a été réaliséepar Jean-Baptiste

Talbourdet-Napoleone/MLe magazine du Monde(d’après Witi De Tera/

Opale/Leemage etDSGpro/Getty).

80

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

     I     l     l    u    s    t    r    a    t     i    o    n     S    a    t    o    s     h     i     H    a    s     h     i    m    o    t    o    p    o    u    r     M     L

    e    m    a    g    a    z     i    n    e     d    u     M    o    n     d    e

 Marie-Pierre Lannelongue 

 Eric Pillault 

’ Jean-Baptiste Talbourdet-Napoleone 

 Agnès Gautheron, Camille Seeuws

Christine Doreau

Carine Bizet, Samuel Blumenfeld, Louise Couvelaire,

 Emilie Grangeray, Pierre Jaxel-Truer, Laurent Telo, Vanessa Schneider 

Vicky Chahine  (chef de section), Fiona Khalifa (styliste),avec la collaboration de Lili Barbery-Coulon

 Aleksandra Woroniecka, assistée d’ Aline de Beauclaire 

 Marc Beaugé, Guillemette Faure, Lucien Jedwab,

 Jean-Michel Normand, François Simon

 Audrey Ravelli  (chef de studio), Marielle Vandamme  (adjointe). Avec Jean-Baptiste Parré 

 Lucy Conticello (directrice), Cathy Remy (adjointe),

 Laurence Lagrange, Federica Rossi. Avec Hélène Bénard 

Françoise Dutech

 Anne Hazard   (chef d’édition), avec Corinne Callebaut  (adjointe)et Paula Ravaux (adjoint numérique).

 Béatrice Boisserie, Valérie Gannon-Leclair, Catarina Mercuri,Olivier Aubrée, Stéphanie Grin, Agnès Rastouil , avec Hélène Colau.

Et Thouria Adouani, Valérie Lépine-Henarejos, Maud Obelset Ide Parenty (édition numérique).

 Ninon Rosell et Adélaïde Ducreux-Picon. Avec Françoise Hérold 

 Marlène Duretz, François Bostnavaron, Thomas Doustaly,

 Pascale Kremer, Véronique Lorelle, Jean-Michel Normand, Catherine Rollot 

 Marie-France Willaume 

Fadi Fayed, Philippe Laure 

 Sébastien Carganico (chef de service), Muriel Godeau et  Vincent Nouvet 

 Le Monde 

 Hervé Bonnaud 

 Eric Carle  (directeur industriel)

 Jean-Marc Moreau (chef de fabrication), Alex Monnet 

 Edouard Andrieu

 José Bolufer 

 Emmanuel Griveau

 Samy Chéri, Christian Clerc, Igor Flamain,

 Emmanuel de Matos, Pascal Riguel — —

Christophe Chantrel 

 Pascale Latour 

’ Marie-Dominique Renaud 

[email protected] 

De France, 32-89 (0,30 €/min + prix appel) ;de l’étranger (33) 1-76-26-32-89

 Brigitte Billiard, Marianne Bredard, Marlène Godet et Elisabeth Tretiack

 Hervé Lavergne 

 Philippe BasmaisonModication de service, réassorts pour marchands de journaux : 0 805 05 01 47

— —

Corinne Mrejen

 Michaëlle Goffaux, Tél. 01-57-28-38-98(michaëlle.goffaux @mpublicite.fr)

et Valérie Lafont , Tél.01-57-28-39-21([email protected])

-  Arnaud de Saint Pastou, Tél.01-57-28-37-53

([email protected])

M Le magazine du Monde est édité par

la Société éditrice du Monde (SA). Imprimé en France: Maury imprimeur SA,45330

Malesherbes. Dépôt légal à parution. ISSN 0395-2037 Commission paritaire

0712C81975.Distribution Presstalis. Routage France routage.

Dans ce numéro, un encart « Relance abonnement » destiné à la vente au numéro

France métropolitaine.; un encart «Sélection hebdomadaire» destiné aux abonnés

France métropolitaine.

80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 —Tél.: 01-57-28-20-00/25-61Courriel de la rédaction:  [email protected]  —

Courriel des lecteurs :  [email protected]  —Courriel des abonnements :  [email protected] 

, —  Louis Dreyfus , , —  Jérôme Fenoglio

— Luc Bronner  ’ — Françoise Tovo

’ — NabilWakim —  BenoîtHopquin,VirginieMalingre, Cécile Prieur 

— Catherine Joly —  Christine Laget 

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Le M

de la semaine.« M en front de mer à La Baule. »

agathe souquet

Pour nous écrire ou envoyer vos photographies de M (sans oublierde télécharger l’autorisation de publication sur w ww.lemonde.fr/m-le-mag):M Le magazine du Monde, courrier des lecteurs, 80, bd Auguste-Blanqui,75707 Paris Cedex 13, ou par mail : [email protected]     I     l     l    u

    s    t    r    a    t     i    o    n     S    a    t    o    s     h     i     H    a    s     h     i    m    o    t    o    p    o    u    r     M     L

    e    m    a    g    a    z     i    n    e     d    u     M    o    n     d    e .

     A    g    a    t     h    e     S    o    u    q    u    e    t

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26 mars 2016  — M Le magazine du Monde

Sérgio Moro, « petit jugede proximité », est devenu

au fil de l’enquête surl’affaire Petrobras l’idoledes Brésiliens exaspéréspar l’impunité des élites.

(PT, gauche). Lors des grandes manifesta-

tions du 13 mars appelant à la destitution

de la présidente, Dilma Rousse (PT),et réclamant la prison pour Lula, suspecté

de corruption, le juge était représenté en

« Superman-Super Moro », justicier d’un

pays à la dérive. Moins d’une semaine plus

tard, le vendredi 18 mars, la foule venue

soutenir un Lula humilié et sali par les

scandales représentait le juge de Curitiba

en épouvantail étiqueté « Judas ».

Messie ou traître ? Professionnel ou

1 — Super Moro,

le juge qui faitpleurer Lula.

SouS leS fenêtreS de Son bureau, à Curitiba,

danS le Sud du bréSil, une panCarte « nóS

apoiamoS lava Jato » Jouxte un arbre

enrubanné d’un nœud vert et Jaune. « Nous

soutenons Lava Jato » (lavage rapide),

cette enquête tentaculaire qui a mis au

 jour le scandale de corruption impliquant

le groupe pétrolier Petrobras, des entre-prises du BTP et des dirigeants politiques.

Lava Jato, c’est lui : Sérgio Moro. Un

« petit juge de province » quadragénaire,

à l’allure sobre. Un entêté, méthodique

et froid. Idole des Brésiliens exaspérés par

l’impunité des élites, l’homme est devenu

l’ennemi juré de Luiz Inácio Lula da Silva,

dit Lula, président iconique du pays entre

2003 et 2010, issu du Parti des travailleurs   •••

7

    B   r   a   z     i     l    P     h   o    t   o    P   r      s   s     /    Z   u   m   a     /    R    e    A

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M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

fanfaron? Courageux ou arriviste? Ce

père de famille qui a fait une partie de ses

classes à Harvard, aux Etats-Unis, reste un

mystère. Alors qu’il était inconnu du grand

public il y a deux ans, cet habitué des dos-

siers nanciers a vu sa notoriété grandir.

A l’origine, il s’agissait de pister un malfrat,

Alberto Youssef, impliqué dans une vul-

gaire aaire de blanchiment d’argent. La

mise sur écoute du gangster allait dévoiler

un scandale bien plus vaste, à même de

faire trembler Brasília.

Sérgio Moro est conscient d’être au cœur

d’une version brésilienne de l’opération

« Mani pulite » (« mains propres ») qui a

bouleversé l’Italie au début des années

1990, et dont il a pris soin d’étudier les

succès et les faux pas. Mais sa grande ins-

piration est américaine: il use et abuse du

dispositif brésilien de la  delação pre-

miada : la collaboration avec la justice

contre une remise de peine. Il joue ausside la détention préventive et provisoire

pour  « attendrir la viande », disent les

magistrats. D’aveux en trahisons, les pré-

venus ont soulagé leur conscience en bri-

sant le copinage entre politiques et

hommes d’aaires. « Il est extrêmement 

intelligent », reconnaît l’avocat d’une som-

mité impliquée dans l’aaire.

L’enquête de M. Moro s’inscrit dans une

crise politique qu’elle a nourrie, levant

le voile sur les circuits nanciers occultes

organisés de façon quasi institutionnalisée

au sein des principales sphères du pou-

voir. Ecœurés, une partie des Brésiliens

ont trouvé dans ce scandale un argument

en faveur de la destitution de Dilma

Rousse, faisant de Sérgio Moro leur

héros. Mais en prenant la lumière, le juge

s’est attiré les critiques. En particulier

chez les proches du PT qui interrogent

son impartialité, soulignant que l’enquête

se concentre sur les membres de la

coalition au pouvoir, le PT et son allié, le

Parti du mouvement démocratique brési-

lien (PMDB). Ils dénoncent ses méthodes

cavalières et sa tendance à la « pyrotech-

nie médiatique », faisant habilement fuiter

des éléments de l’enquête dans la presse

pour s’attirer la sympathie de l’opinion.

Le ton est monté Lorsque sérgio moro

s’en est pris frontalement à Lula,

ordonnant, le 4 mars, l’arrestation et

l’interrogatoire de l’ex-président ainsi

que la perquisition de son domicile, sous

l’œil des caméras. L’ancien syndicaliste,

candidat à la présidentielle de 2018,

est ressorti de l’épreuve en pleurs. S’en

prendre à celui qui reste un symbole au

Brésil était dangereux. Le faire sans

s’assurer de son droit, une imprudence.

Les experts ont reconnu que la dépositionencadrée par deux cents policiers ne

se justiait pas. Lula, qui entend devenir

ministre du gouvernement de Dilma

Rousse, a pu facilement endosser le

rôle de persécuté. Un duel s’est engagé.

Attaqué, le juge est sorti de sa réserve.

Se déclarant « touché » par le soutien des

manifestants du 13 mars, pro-destitution,

il a fait fuiter, sans même s’en cacher, des

écoutes de conversations entre Lula et

Dilma Rousse. Dans ces enregistre-

ments, l’ancien président s’eraie de

la  « République de Curitiba »,   laissant

entendre qu’il tente d’échapper à la justice

en devenant ministre.  « Moro a perdu

le contrôle »,   estime Celso Marcondes,

de l’ Institut Lula. Aux yeux des militants

du PT, le juge s’est laissé griser par sa

soudaine renommée. Mais l’opinion reste

derrière lui. Il a presque envoûté une

partie des classes aisées et charmé les

plus modestes, qui voient en lui l’homme

enn capable de mettre des riches en

prison.   Claire Gatinois

De Belo Horizonte à Curitiba (de gauche à droite),ils étaient des milliers à manifester le 13 mars pour

“Lava Jato”, version brésilienne de l’opération“mains propres” menée en Italie dans les années 1990.

•••

La première fois que“Le monde” a écrit…

CDI. c j’h l v î.

c’ l 25 vb 1952 l « -

vl à »

Le Monde, à l’ l’ vl

l ’-: « Vive discussion

à propos de l’article 38. […]M. Caillavet (radical) […]

insistait pour que le contrat 

de travail à durée indétermi-

 née pût cesser, sous réserve

de préavis, par la volonté 

de l’une des parties. Au

contraire, MM. Moisan (MRP)

et Con (socialiste) […] invi-

taient l’Assemblée à mainte-

 nir sa thèse selon laquelle

le contrat ne pouvait être

 rompu sans motif légitime

 par l’employeur  […]. Finale-

 ment, M. Caillavet l’em-

 porta. »  a l’, ’ cdi. L’y

l l 17 b

1988: « Les entreprises des

 secteurs de la distribution et 

des assurances sont les plus

dynamiques en matière de

 recrutement à des postes

 stables, pour des contrats

à durée indéterminée (CDI). »

e l l14 b 1998 ’l

l h ’ :« Vingt mille employés de la

fonction publique vont obte-

 nir des CDI ». L’ cdd l l.a v l l11 j 1983 à l v ’v à fr3, l

l 13 j 1990: « Intérim

et CDD ». u l ’ j

.

    I     l     l   u   s    t   r   a    t     i   o   n    S   a    t   o   s     h     i    H   a   s     h     i   m   o    t   o   p   o   u   r    M

    L   e   m   a   g   a   z     i   n   e     d   u    M   o   n     d   e .    D   o   u   g     l   a   s    M   a   g   n   o     /    A    F    P .    H   e   u     l   e   r    A   n     d   r   e   y     /    A    F    P

18

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M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

2 — Sydneyserre la vis

aux cyclistes.Mieux vaut faire du surf quedu vélo à sydney. la

nouvelle législation progressiveMent en vigueur

depuis début Mars en Nouvelle-Galles du Sud

(l’Etat dans lequel se trouve la ville austra-lienne) risque de coûter cher aux cyclistes. Le

casque était déjà obligatoire et ceux qui

refusaient de sacrier leur style pour rouler

avec leurs deux-roues encouraient une

amende de 71 dollars australiens (48 euros).

Ils rééchiront désormais à deux fois car la

pénalité vient de passer à 319 dollars

(215 euros). Et qu’ils ne se risquent pas à

griller un feu rouge, car cela leur en coûtera

425 dollars (286 euros)! De même s’ils ne s’ar-

rêtent pas à un passage piéton ou si leur

conduite est jugée dangereuse par la police.

Ces amendes ont augmenté de 500%. Le

cycliste interpellé sans papier d’identité devra

s’acquitter de 106 dollars (71 euros). Dans la

nouvelle loi, une seule concession est faite

aux deux-roues: les voitures devront s’écarter

au minimum d’un mètre pour les doubler.

Le ministre des routes et des transports

de la Nouvelle-Galles du Sud, le conservateur

Duncan Gay, arme que cette nouvelle

législation vise à  «améliorer la sécurité de

tous les usagers de la route». « Tous doivent 

se montrer respectueux quand ils sont sur la

route, aussi bien les cyclistes que les motards

et les piétons.» Mais le ministre est accusé

d’aller à contre-courant en défendant à tous

crins les automobilistes, au détriment notam-

ment des adeptes de la petite reine. Il s’estd’ailleurs décrit comme  «le membre le plus

sceptique du gouvernement au sujet des

 pistes cyclables ». De fait, certaines ont dis-

paru dans le centre-ville. Duncan Gay est

également critiqué parce qu’il privilégie le

développement des routes plutôt que celui

des transports en commun. Pour une élue

Verte, Mehreen Faruqi,  « une augmentation

des amendes aussi énorme n’améliore pas

la sécurité des cyclistes. En réalité,

ça décourage les gens de faire du vélo».

L’association Bicycle NSW critique des

mesures qu’elle qualie de «punitives» et

«régressives». «Avec des routes embou-

teillées en Nouvelle-Galles du Sud et des

niveaux élevés d’obésité dans la population,

le gouvernement devrait encourager le vélo

comme transport », plaide le président de

l’association, Ray Rice. Une pétition contre

les nouvelles mesures a recueilli plus de

10000 signatures, et la loi est contestée au

sein du Parlement. Les Verts et l’opposition

travailliste continuent de militer pour qu’elle

soit annulée.   Caroline Taïx

Le montant des amendes pourabsence de casque, feu grillé ouconduite jugée dangereuse a été

relevé (ci-dessous, une cyclistedevant la plage de Bondi, à Sydney).

le podiuM.

1 — daneMark

2 — suisse3 — islande

Ces trois pays européens

sont les plus heureux du

monde, selon un classement

publié par l’ONU, le 16 mars.

Critères principaux retenus :

le PIB par habitant,

l’espérance de vie, ou

encore l’absence de corrup-

tion. La France se classe

32e tandis que le 157e et

dernier rang est occupé

par le Burundi, qui traverse

depuis près d’un an unegrave crise politique.

0

    I     l     l   u   s

    t   r   a    t     i   o   n

    S   a

    t   o   s

     h     i    H   a   s

     h     i   m

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    L   e   m   a   g   a   z

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     i     d    M   a   u   r

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    S   m

     i    t     h     /    O   c   u

     l     i     /    A   g   e   n   c   e

    V    U

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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q u i e s t v r a i m e n t

3 — Jean-Pierre Bemba.la Cour pénale internationale vient de reConnaître l’anCien

viCe-président de la république démoCratique du Congo, devenu Chefrebelle Coupable de Crimes Contre l’humanité et de Crimes de guerre.

pa r   Cyril Bensimon

un businessman de l’ère mobutu.

Fils de Jeannot Bemba

Saolana, patron des patrons

du temps de Sese Seko

Mobutu, Jean-Pierre Bemba,

53 ans, est un pur produit

de la grande bourgeoisie

de Kinshasa,la capitale

de l’actuelle République

démocratique du Congo

(RDC). Entrepreneur actif

dans les domaines de latéléphonie mobile, du fret

aérien et des médias, sa

fortune s’est construite grâce

aux accointances politiques

de son père, mais elle est

aussi le fruit du pillage

des matières premières dont

regorge son pays.

un sinistre Chef de guerre.

Il fuit son pays lorsque les

rebelles de Laurent-Désiré

Kabila prennent le pouvoir

en 1997. Aidé par l’Ouganda,

il fonde un an plus tard le

Mouvement de libération

du Congo (MLC), l’un des

principaux groupes politico-

militaires du pays. Ses miliciens

sont accusés d’exactions

multiples en RDC mais aussien Centrafrique où, d’octobre

2002 à mars 2003, ils ont sou-

tenu le président de l’époque

alors confronté à une rébellion.

Ce sont les crimes commis lors

de cette intervention qui lui

ont valu d’être poursuivi par

la Cour pénale internationale.

un politique Contrarié.

Le « chairman » – comme le

surnomment ses partisans –,

qui se veut l’héritier politique

de feu Sese Seko Mobutu,

accède à la vice-présidence

de la RDC en 2003, à la suite

d’un accord de partage du

pouvoir entre belligérants.

Trois ans plus tard, lors de

l’élection présidentielle, il

arrive en deuxième position,derrière Joseph Kabila.

Populaire dans la capitale et

dans l’ouest du pays, il est élu

sénateur en 2007 mais prend

le chemin de l’exil, sous le

coup d’un mandat d’arrêt pour

haute trahison après des com-

bats entre sa garde et l’armée.

un « Commandant » Condamné.

Jean-Pierre Bemba, qui n’a

 jamais abdiqué ses ambitions

présidentielles, espérait être

innocenté à l’issue de son

procès devant la CPI. Lundi

21 mars, il est nalement

condamné en tant que « com-

mandant militaire », n’ayant rien

fait pour empêcher les crimes

de ses hommes en République

centrafricaine. Alors que lasentence ne sera connue que

dans quelques mois, et que

la CPI le poursuit aussi dans

une aaire de subornation de

témoins, sa participation à

l’élection présidentielle, prévue

pour la n 2016, semble d’ores

et déjà compromise.

    J   e   r   r   y    L   a   m   p   e   n     /    A    F    P

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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M Le magazine du Monde — 26 mars 2016 

Image Sept, reine de « l’inuence », a pour tâche de

gérer l’image du vice-prince héritier, l’ambitieux Moham-

med Ben Salmane, ls du roi et ministre de la défense.

A cet eet, l’une de ses responsables a accompagné

durant la deuxième semaine de mars deux équipes de

télévision françaises, venues couvrir la phase nale

de « tonnerre du nord», un gigantesque exercice militaire

organisé dans le nord-est du pays. Le rôle de l’agence

consistait à lever les obstacles bureaucratiques qui

encombrent souvent le travail des reporters en Arabie et

à leur faciliter l’accès aux hauts dirigeants, commeMohammed Ben Salmane. Quasiment inconnu à son

arrivée au pouvoir début 2015, ce jeune trentenaire, sur-

nommé « MBS », s’est imposé en quelques mois comme

l’homme le plus puissant du royaume après le roi

Salman. Sa mainmise sur la diplomatie, les aaires de

défense ou les questions économiques est telle que

certains analystes l’imaginent déjà succéder à son père,

au détriment du prince héritier ociel, le ministre de

l’intérieur Mohammed Ben Nayef.

Sihem Souid, qui avait fait sensation en 2010 en publiant

Omerta dans la police, dans lequel elle dénonçait le

sexisme et le racisme en vigueur, selon elle, dans les

rangs de la police française, a récemment signé un

contrat avec la représentation saoudienne à Paris. Son

rôle consiste à faire le lien entre l’ambassadeur et les

patrons de presse français ainsi que les journalistes en

charge du Proche-Orient. Une fonction qu’elle assure

depuis quelque temps déjà auprès de l’ambassade du

Qatar, un pays dont elle gère l’image en France. Au

début des années 2010, le petit émirat gazier s’était

retrouvé dans l’œil du cyclone. Quelques initiatives mala-

droites, comme son plan d’investissement dans les ban-

lieues, les doutes pesant sur les conditions d’attribution

de la Coupe du monde de football 2022 et les conditions

de travail réservées aux ouvriers asiatiques sur place, lui

avaient valu une série d’articles incendiaires. Ce tir de

barrage l’avait conduit à recruter des experts en com-

munication en France, mais aussi en Grande-Bretagne.

Les autorités saoudiennes tentent à Leurtour de rompre

avec la frilosité médiatique. Jusqu’à présent, elles s’en

remettaient à de discrets cabinets de lobbying, principa-

lement américains, qui les dispensaient de s’exposer.

Mais le virus de la communication les rattrape. L’exemple

vient d’en haut puisque le ministre des aaires étran-

gères, Adel Al-Joubeir, 54 ans, apparaît beaucoup plus

sur les télévisions étrangères que son prédécesseur,

Saoud Al-Fayçal, le vétéran de la diplomatie saoudienne,

décédé en juillet dernier. Le nouveau ministre de l’infor-

mation, Adel Al-Torai, 36 ans, qui dirigeait jusqu’alors la

chaîne de télévision Al-Arabiya, s’est engagé à accueillir

un plus grand nombre de journalistes internationaux

dans le pays. « C’est le résultat d’un changement de

 génération », se félicite Hoda Al-Helaissi, membre

du Majlis Al-Choura, l’assemblée consultative saou-

dienne, qui s’est récemment alarmé de la mauvaise

image de la monarchie à l’étranger. « Nous n’avions rienà cacher, insiste Mme Al-Helaissi. Il est grand temps

que nous soyons plus visibles. »

Le chemin sera long. L’opacité est une seconde nature

dans la maison des Saoud. Vendredi 11 mars, à la sortie

de la parade militaire clôturant «tonnerre du nord»,

l’une des journalistes guidées par Image Sept achait

une mine dépitée. En quatre jours de tournage, elle

n’avait pas réussi à lmer « MBS » plus que quelques

secondes.   Benjamin Barthe 

4 — Riyad lance uneopération séduction

en France.L’arabie saoudite a décidé d’améLiorerson image peu

fLatteuse dans L’opinion pubLique française. Confronté à

une avalanche de critiques sur son bilan en matière

de droits de l’homme, son intervention militaire au

Yémen – la dernière frappe de la coalition arabe le

15 mars a tué de nombreux civils – ou encore son rôle

supposé dans l’essor du djihadisme, le royaume a

décidé de réagir. Plutôt que faire le gros dos comme

d’habitude, les dirigeants saoudiens ont coné à deux

agences de relations publiques françaises le soin

de redorer leur blason: la société Image Sept, leader

de la communication d’entreprise dans l’Hexagone,

dont le portefeuille de clients comprend la ne eur

du CAC 40; et le cabinet Edile Consulting, nouveau

venu dans ce secteur, fondé par Sihem Souid,

une ancienne fonctionnaire de police, qui tient une

chronique dans l’hebdomadaire Le Point. Selon

un connaisseur de ce milieu, une troisième agence

de com’ française aurait été contactée.

« Il existe un ras-le-bol des campagnes de dénigrement 

en France, cone un diplomate en poste à Riyad.  Les

Saoudiens veulent améliorer leur image. Le tollé suscité

 par les exécutions de masse du mois de janvier a servi de

déclencheur », ajoute-t-il en référence à la mise à mort

de 47 personnes, accusées de terrorisme, dont un

célèbre opposant chiite. La dernière polémique en date

remonte au début du mois: il s’agit de l’attribution par

l’Elysée de la médaille de la Légion d’honneur à Moham-

med Ben Nayef, le ministre de l’intérieur, aussi déterminé

dans la répression des dissidents politiques que dans la

lutte contre les djihadistes. Une décoration qui a généré

une cascade de commentaires outragés, sur les réseaux

sociaux et dans la classe politique. C’est dire que la mis-

sion des spin doctors français sera ardue.

François Hollandeaccueille à l’Elysée

le prince MohammedBen Nayef, ministre

de l’intérieurd’Arabie saoudite,le 4 mars, pour luiremettre la Légion

d’honneur.

22

    I    l    l   u   s    t   r   a    t    i   o   n    S   a    t   o   s    h    i    H   a   s    h    i   m   o    t   o   p   o   u   r    M    L

   e   m   a   g   a   z    i   n   e    d   u    M   o   n    d   e .

    P    h    l    i   p   p   e    W   o    j   a   z   e   r    /    R   e   u    t   e   r   s

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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Posté par Antoine C. le 13 mars 2016

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8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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l’histoire. La date du 8 mars, le déroulement des faits, la

victime journaliste…, autant de faits laissant penser, selon

eux, à une mise en scène. Einer Juarez, éditorialiste à

SDPnoticias.com, va jusqu’à traiter Andrea Noel de

« feminazi » l’associant à des militantes féministes radi-

cales. La Toile s’embrase. La jeune femme reçoit des

messages nuit et jour sur les réseaux sociaux. Beaucoupla soutiennent. Certains l’insultent ou la menacent :

« J’aurais aimé qu’il te viole, s***** de blonde »,

« Le patron a donné l’ordre, et malheureusement 

tu vas mourir aujourd’hui ». Ce dernier tweet étant

assorti d’une photo avec une arme et des cartouches.

De virtuelle, la menace Devient réelle. Quelqu’un près de

chez elle la reconnaît et communique ses coordonnées

GPS sur le Web, invitant les internautes à la « nir ». Un

message similaire est posté sur Twitter avec la photo du

restaurant, où elle est en train de se restaurer. Le soir du

15 mars, alors qu’elle travaille dans son appartement, elle

sent un rayon sur son front. Elle aperçoit par la fenêtre

une BMW blanche garée devant son immeuble avec à

son bord plusieurs individus, dont l’un pointe un laser sur

elle. Elle appelle la police, mais aucun agent ne viendra.

« Je n’aurais jamais pensé être menacée de mort alors

que je défends seulement mon droit à marcher dans la

rue en sécurité », a coné Andrea Noel à des médias

mexicains en dénonçant les failles de la justice en

matière d’abus sexuels. Selon la Commission exécutive

d’aide aux victimes (CEAV), les deux tiers des

Mexicaines de plus de 15 ans ont subi une agression à

connotation sexuelle. La plupart des victimes ne portent

pas plainte, car seulement 2% des délits sont jugés. Et

toujours selon la CEAV, chaque jour, 7 femmes sont

assassinées au Mexique. Les crimes de genre sont si

répandus que la population les a baptisés « féminicides ».

Mi-mars, SDPnoticias.com, après avoir condamné ses

propos misogynes, a licencié l’éditorialiste, Einer Juarez.

Son directeur, Federico Arreola, a également posté un

tweet d’excuse sur la page d’Andrea Noel. Son lynchagemédiatique a ouvert un débat. Une victoire douce-

amère pour cette collaboratrice du magazine Vice,

qui la soutient dans sa dénonciation de l’impunité des

violences faites aux femmes au Mexique. Le 19 mars, la

Californienne annonçait sur Twitter qu’elle était rentrée

aux Etats-Unis.   Frédéric Saliba

5 — Au Mexique,le machisme

se porte bien.le 8 mars, journée internationale Des Droits Des femmes,

anDreanoelmarche Dansune rue De mexico quanD une main

se glisse sous sajupeet baisse saculotte. L’Américaine

de 27 ans tombe au sol, tentant de dissimuler son

intimité. L’agresseur s’enfuit. Cette journaliste free-lance,

qui vit depuis trois ans dans la capitale mexicaine,

récupère la vidéo d’une des caméras de surveillance

plantées un peu partout dans le quartier branché

de Condesa. Bien décidée à humilier publiquement son

agresseur, elle poste les images sur son compte Twitter.

« Si quelqu’un reconnaît cet imbécile, merci de l’identier.

Les femmes doivent pouvoir se promener en sécurité. »,

écrit-elle avant de se rendre au commissariat pour

porter plainte.

La vidéo est vue des milliers de fois. Au début, les réac-tions auent pour condamner cet acte machiste. Puis la

tendance s’inverse, laissant place à une hostilité crois-

sante. La victime se retrouve alors en position d’accusée.

Des internautes mettent en cause sa tenue légère,

d’autres félicitent l’agresseur. Certains sites Web d’actua-

lité, tel La Silla Rota, doutent même de la véracité de

« Si quelqu’unreconnaît cet 

imbécile, merci de l’identier. Les

femmes doivent 

 pouvoir se pro-mener en sécu-rité. »   Ce tweet,

posté par une journaliste améri-

caine agresséedans une rue

de Mexico, lui avalu un lynchage

médiatique.

aux mots près.

le scanDale petrobras au brésil, Dans lequel seraient impliqués lula et Dilma rousseff, met à la

« une » le terme De corruption. ses voisins De Dictionnaire éclairent étrangement sa signification.

corroyer :  action du corroyeur qui apprête et assouplit le cuir tanné.

corruption : action de soudoyer quelqu’un, l’inciter à agir contre son devoir, sa conscience,

en échange de promesses, d’argent.

corsage : vêtement féminin qui recouvre le buste ou habille le haut du corps.

    I    l    l   u   s    t   r   a    t    i   o   n    S   a    t   o   s    h    i    H   a   s    h    i   m   o    t   o   p   o   u   r    M

    L   e   m   a   g   a   z    i   n   e    d   u    M   o   n    d   e .

    C   a   p    t   u   r   e    é   c   r   a   n    W   e    b

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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26 mars 2016  — M Le magazine du Monde

l ’ h i s t o i r e s e r é p è t e

6 —Une pucelle très convoitée.sous la houlette de philippe de villiers, le puy-du-fou vient d’acquérir un anneauayant prétendument appartenu à jeanne d’arc. une récupération de la guerrière

devenue icône de l’extrême droite. ce qui n’a pas toujours été le cas.pa r   Louise CouveLaire

v

20 mars 2016.vénérée

par philippe de villiers

5000 personnes se

pressent au Puy-du-Fou

pour suivre le cortège

rapportant l’anneau

qui aurait appartenu à

Jeanne et qu’a racheté

le parc de loisirs à une

vente aux enchères à

Londres pour 377000

euros. Une cérémonie

orchestrée par Philippe

de Villiers: «C’est un petit 

bout de France qui 

revient, une parcelle de

nos grandeurs déchues.»

iv

20 mars 2016.récupérée

par jean-marie le pen

Jean-Marie Le Pen,

exclu du Front national,

annonce sur France 3

vouloir lancer des

comités baptisés

«Jeanne d’Arc, au

secours!», dont l’objec-

tif serait d’«inuencer 

autant que faire se peut 

la marche du Front 

national». Une référence

à l’appel lancé le 1er mai

2015 lors de la manifes-

tation du FN, place des

Pyramides, à Paris.

iii

années 1970.confisquée

par l’extrême droite

Même si les partis dits

traditionnels tentent

régulièrement de se

réapproprier la sainte,

l’extrême droite a mis la

main sur le symbole dès

la n des années 1970.

Le FN a commencé par

participer aux délés

créés en son honneur

par l’Action française

(extrême droite roya-

liste) avant d’organiser

dès le 1er-Mai 1988 sa

propre manifestation.

ii

début du xx siècle:écartelée

entre de gaulle et pétain

Jeanne d’Arc est béati-

ée en 1909 et canoni-

sée en 1920. Pendant la

seconde guerre mon-

diale, le général de

Gaulle ne cesse d’utiliser

son souvenir tandis que

Vichy veut la récupérer

en la substituant à

Marianne. La gure est

peu à peu délaissée par

la gauche, puis, à la n

des années 1970, par

tous les républicains.

Avant d’être rattrapée

par le Front national.

i

xix siècle :adulée à droite

et à gauche

La pucelle d’Orléans a

longtemps été ignorée.

C’est après la défaite de

la France contre la

Prusse que naît son

culte, avec l’apparition

du concept politique de

«nation». Deux camps

s’arrachent l’icône : il y

a, d’un côté, la Jeanne

de droite – guerrière,

monarchiste et pieuse,

et de l’autre, celle de

gauche, issue du

peuple, trahie par le roi

et brûlée par l’Eglise.

ii

iv

i iii

v

25

    J   e   a   n   -    S     é     b   a   s    t     i   e   n    E   v   r   a   r     d     /    A    F    P .

    S     i     l   v   e   r   e    G   e

   r   a   r     d     /    R   e   s   e   r   v   o     i   r    P     h   o    t   o     /    G   a   m   m   a   -    R   a   p     h   o .

    K   e   y   s    t   o   n   e   -    F   r   a   n   c   e .

    J   a   c   q   u   e   s    D   e   m   a   r    t     h   o   n     /    A    F    P .

    D   e   r   r     i   c     k    C   e   y   r   a   c     /    A    F    P

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

t i r a g e à p a r t

7 — Concordance des temps.p a r   martin parr   a ve c l e s a r c h i v e s d e  magnum photos

Il y a quarante ans, crIsepétrolIère oblIge,  la France de Giscard d’Estaing renouait

avec celle de 1923 en réinstaurant le passage à l’heure d’été. L’idée était, etreste, même si elle fait l’objet de controverses, de faire des économies d’énergie.

Depuis 1988, les dates du changement d’heure sont harmonisées au sein de

l’Union européenne. Il a donc désormais lieu le dernier week-end de mars, qui

correspond également, cette année, au week-end de Pâques. Deux «actualités»

réunies dans une seule et même photo, grâce à l’œil acéré de Martin Parr.

26

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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ICI TOUT TOURNE AUTOUR DE VOUSSoyez au centre de toutes nos attentions : bienvenue dans notre classe Business.

AIRFRANCE.FR

France is in the air : La France est dans l’air.

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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I

En 2001, paréE aucombat.

E cetre-ville? E pleie campage, pltôt. A 41 as,

la mce Ae Hidalg, cadidate à la mairie d 15e,bat le pav e ête de srages. Pr ce faire, elle a el

matea de circstace, stesiblemet ispir parla M 51, la parka à ee de piss prte par les sldats

amricais lrs de la campage de Cre. Chacsa campage, chac s adversaire. E l’ccrrece,

celi d’Ae Hidalg ’est atre ’Edard Balladr.

III

En2013,un lookpoIntu.

C’est la d match et Ae Hidalg, cadidateax micipales à Paris, a rgais pie-ie

ax Bttes-Chamt pr ses spprters. L’ccasiidale de lever le pied eles istats, et dviler

les semelles pites de ses chassres. Pr dsigerce gere de mdèle, les Aglais t terme

bie à ex: « wiklepicker », « pic à bigreax ».Drôle de pie-ie, ad même.

 V 

En 2016,prIsEdE court.

Ties, stemet, matchamical. Ss les drres de

l’Hôtel de ville, Ae Hidalgchage eles balles avec

le prsidet cbai, Raúl Castr.

Mais le « bas » blesse vraimet.Sr le crt, seles les chas-

sres plates st atrises.Et à la ville, les clers de

ts les cirs d’e même teedivet être rigresemet

crdes. Cmme i, lesrègles de l’lgace st assi

prcises e celles d teis.

IV 

En2015, plEInElIgnE.

Bigreax pas, le pie-ie est très bie pass.

Dsrmais maire de Paris, AeHidalg semble à s aise das

s vea rôle et prête à ttpr atter ses iterlcters.

Ici, pr arpeter les alles

de Rlad-Garrs, elle amême el la sele rbe i

s’impsait, parcre de liges

blaches. Après s’être mis à ds

le mde d ftball, prie pas se refaire das le teis?

II

En 2006,uncou pEndablE.

La campage d 15e s’est

sldepar e dfaite, mais

l’ex-ispectrice d travaila srapidemet retrver pste.

Dsrmais première adite amaire de Paris,elle e icia

ft e stie à IgridBeta-crt,retee e tage parles

FARC. L’iteti est lablemais dtail clche. Ae

Hidalg prte cllier alrsmême ele règlemetde la

FIFA iterditstrictemet le prt

de bixpedat match.Cette grave errer crme a

mis e chse: elle ’a aclie avec l’acie slectier

des Bles, Michel Hidalg.

l e g r a n d d é f i l é

8 — AnneHidalgo.

LA MAIRE DE PARIS EST ACTuELLEMEnTATTAquéE PAR DES HABITAnTS Du

16e ARRonDISSEMEnT. MAIS un jouR,CE SERonT LES TEnAnTS Du Bon GoûT

quI LuI ToMBERonT SuR LE PALEToT.pa r   marc beaugé

    I     l     l   u   s    t   r   a    t     i   o   n    S   a    t   o   s     h     i    H   a   s     h     i   m   o    t   o   p   o   u   r    M    L

   e   m   a   g   a   z     i   n   e     d   u    M   o   n     d   e .

    P   a    t   r     i   c     k    K   o   v   a   r     i     k     /    A    F    P .

    A     l   a     i   n    B   e   n   a     i   n   o   u   s     /    G   a   m

   m   a .

    K   r     i   s    t   y    S   p   a   r   o   w     /    G   e    t    t   y .

    R     i   n     d   o     f     f     /    C     h   a   r   r     i   a   u     /    G   e    t    t   y .

    M     i   c     h   e     l    E   u     l   e   r     /    E

    P    A     /    A    P

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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26 mars 2016  — M Le magazine du Monde

i l f a l l a i t o s e r

République fromagère.pa r   jean-michel normand

Comme s’il était néCessaire de diviser davantage un pays en souffranCe,

les débatssur la dénomination desnouvelles entitésrégionales donnentlieu à des empoignades assez baroques. On ne se lasse pas d’égrenercertaines propositionsofciellement soumises à la consultation, sorties,semble-t-il, du cerveau fatigué d’un responsable d’ofce du tourisme.A l’Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, il est notamment suggéréd’opter pour « Nouvelle-Austrasie », que l’on aurait envie de situer ducôté des Nouvelles-Hébrides, ou « Alcalie », un acronyme qui nemanque pas de sel.Auvergne-Rhône-Alpesenvisage« Hautes-Chaînes-de-France », qui fait un peu sado-masochiste, ou « Aurhoal », qui nedonne pas franchement envie. La région Nord-Pas-de-Calais-Picardiea déjà décidé; ce sera « Hauts-de-France ». Soupir : la terre des Ch’tiset associés opte pour unedénomination chichiteuse, froide et aseptisée.Surnagent quelques propositions intéressantes telles « Burgondie »pourBourgogne-Franche-Comté,« Alinéor » pourAquitaine-Limousin-Poitou-Charentes ou « Occitanie » pour Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées. An d’éviter la cacophonie, il aurait fallu cadrer le débat.Faute de pouvoir choisir des noms de boissons alcoolisées (pratique,mais politiquement incorrect),on aurait pu désigner chaque région parun fromage. « Hauts-de-Maroilles », « Terres-de-Chabichou », « Pays-de-Camembert », « Val-de-Chavignol », « Fourme-et-Reblochon »,« Monts-de-Brie », « Grand-Pélardon », « Rivages-du-Gros-Lait »,« Brie-Capitale»...Inévitablement,les empoignadesauraient été vigou-reuses – entre pâtes molles et fromages en croûte, soumaintrain et can-

coillotte, ossau-iraty et pougne cendré – mais cette approche, outrequ’elle eût euré bon la France, aurait mis un peu d’ordre sur le grandplateau régional. L’occasion, aussi, de tourner pour de bon la page ducentralisme gaullien en démentant la prophétie du Général, selonlaquelle un pays qui produit autant de fromages est ingouvernable.

r e v u e t …   c o r r i g é

Candidat au verbe.pa r  lucien jedwab

Ça postule à tour de bras chez Les Républicains (deux majuscules).La primaire (notez bien le singulier) de la droite et du centre en vuede l’élection présidentielle (notez également le singulier) de 2017 ex-cite les appétits. Une dizaine de candidatures ofcielles, des poidslourds et des poids plumes, un suspense insoutenable (« MAM » va-t-elle se déclarer? Sarkozy va-t-il renoncer an d’éviter l’humilia-tion?) : la compétitionest ouverte,les coups bas se préparent,les pro-nostiqueurs prennent les paris. Cette description apocalyptiquepourrait laisser entendre que je suis de parti pris. Eh bien, non! La

preuve, je voudrais sincèrement féliciter tous les candidats (y comprisdonc Nadine Morano) pour n’avoir pas employé, lors de leur déclara-tion de candidature,l’exécrable verbe « candidater ».Car ce n’était pasgagné d’avance.Entré dans le Petit Larousse seulementen 2015,avecla dénition: « Postuler à un emploi, une fonction, etc. », il ne guraitpas dans l’édition 2013 du Petit Robert. Le Trésor de la langue fran-çaise du CNRS l’ignore. Quant à l’Académie française, elle lecondamne sans appel.Examinons sesarguments.« Candidat » estem-prunté au latin candidatus, qui signiait « vêtu d’une toge blanche »pour solliciter une charge publique. Formés de même : « avocat » ou« lauréat ». Avocate-t-on ? Lauréate-t-on? Ça se saurait. Maisl’ Alma mater , l’Université (notez la majuscule), ne recule devantaucun barbarisme : il n’est pasune université (notez la minuscule),pasune UFR, une IFR, un PRES ou une FCS (je n’ai rien inventé) quin’emploie ce vilain « candidater ». Jusqu’à un certain education.gouv.

fr qui invite à « candidater aux postes d’enseignants de collège et de lycée » ! Dans le métro, c’est légèrement pire :  « Candidatez aux Innovact Awards ». Serait-il possible queles unset lesautres consen-tent à briguer un emploi, faire acte de candidature, concourir, êtrecandidat, poser ou présenter sa candidature, postuler, s’inscrire, voirese présenter tout court? Please.

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     I     l     l    u    s    t    r    a    t     i    o    n     S    a    t    o    s     h     i     H    a    s     h     i    m    o    t    o    p    o    u    r     M

     L    e    m    a    g    a    z     i    n    e     d    u     M    o    n     d    e

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M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

j ’ y é t a i s

Comptes d’auteurs.pa r   Guillemette Faure

pas ses livres à 2,99 €. Un prix beaucoup moins dérisoire qu’il n’yparaît.  « Amazon nous laisse 70 % des droits, ça fait deux euros. Sur un livre jeunesse avec 5 % de droits, ça faisait 50 centimes par livre. »« Sur Amazon, on voit ses ventes en temps réel », renchérit SandraNelson, une auteure jeunesse.Amazon n’est pas pour autant un apôtre de la transparence. Si vousposez desquestions sur leschiffres, on vous répondsouvent: « Cela ne  fait pas partie de ceux que l’on donne. » Tout juste apprend-on que lesventes de livres forment une catégorie  « qui n’est pas majoritaire ».C’est donc par habitude que l’on pense à Amazon comme à unee-librairie: c’est un e-tout. « Nous sommes heureux de veiller à la promotion de la culture française »,  répète Frédéric Duval, France country manager. Il y a des chiffres que le directeur français donne

volontiers. Premier exportateur de livres français dans le monde.Premier clientde La Poste.7 000employés en France, dont 3000 CDI,l’unité de reconnaissance politique.Pendant qu’on parle, François Hollande sillonne le Parc des exposi-tions. « Je suis guéri, je suis guéri, il a touché mes écrouelles »,  crie unhomme quand le président quitte le stand de La Documentationfrançaise.Hollande s’arrête partout, fait durer le plaisir de ne pas êtreau Salon de l’agriculture. Mais le cortège opère un virage sur l’ailedevant le carré d’Amazon.Sur les grands stands sont déjà afchées les heures de présence desgrandes stars de la littérature.Amélie Nothomb. Emmanuel Carrère. Jean-François Copé…Alice Quinn n’est pas jalousedescentaines d’au-teurs annoncés en dédicace. « Quand on reste une heure à attendre le lecteur, c’est déprimant.» Depuis qu’elle s’est affranchie de ses maisonsd’édition, elle se sent prête à larguer leurs secrets: la plupart des écri-

vains ne vendent pas de livres et n’en vivent pas… « Vous avez toutesles informations dont vous avez besoin? » C’est Amélie de BourbonParme qui vient me poser la question. La grande jeune femme blondetravaille pour Havas Worldwide, l’agence chargée de la communicationd’Amazon. Elle aussi vient d’écrire un roman, Le Secret de l’empereur.Il est publié chez Gallimard.

Mercredi 16Mars, à l’inaugurationde livre paris,ex-salondulivre, portedeversailles

La soirée d’inauguration de Livre Paris voitdepuisquelques années lesstandsdes grandes maisonsd’édition s’entourer d’un cordonrouge pourpouvoir ltrer leurs invités et organiser un cocktail dans le cocktail. Surle standd’Amazon,les petits foursne sont pas les meilleurs, mais tout lemonde y a accès.A l’image de son service d’auto-édition.Le stand de l’«uberisateur» de l’édition est tapissé d’un papier peintimpriméde faussesbibliothèques portantde faux livres.Pas deMathiasEnard, de Dany Laferrière ou d’autresgrands noms de la littérature surleur stand. La vedette, c’est Alice Quinn. « Vous la reconnaîtrez, elle  s’habille toujours en rose. » Alice Quinn n’est pas tous les jours AliceQuinn, pseudo bricolé à partirde l’héroïne de ses livresd’enfance et de

sa créatrice Caroline Quine. Longtemps, elle a écrit sous son nom,qu’elle préfère garder pourelle,combinantl’écritureavecd’autres petitsboulots.Ce soir, « AliceQuinn a le droitde s’amuser», dit-elleaprès s’êtrefait passerpour uneemployée d’Amazon auprès de trois pique-assiette.L’avantage de l’auto-éditionnumérique,m’expliquent les auteurssur lestand,c’est qu’on peut réviser sonlivreà volonté.Ainsi,quandun lecteura fait remarquer à Alice Quinn qu’il était étrange qu’un garçon de caféapporte un jus de tomateà son personnage qui avaitcommandé un caféquelques pages plus tôt,elle en a faitun rebondissement.Entre auteursauto-édités, on s’échange des tuyaux pour entrer dans le top 100 desventes de livres numériques.On ditd’AmélieAntoine,autreauteure dee-best-sellers,qu’elle allaitplanquer dans les livresde bibliothèques desmarque-pages imprimés des références de son livre à commander.« T’aspasde cartes! »,s’indigne Alice Quinn auprès d’une auteure. Surla sienne, il estécritUn palace en enfer. Audos: « Numéro un des ventes

de livres électroniques en 2013. »Un palace en enfer avait été refusé sous un autre titre par trois éditeursquand Alice Quinn l’a rebaptisé pour le poster sur Amazon. Elle en avendu cinq le premier mois. 200 le suivant.Puis 2000. Elle a donc ninuméro un des ventes numériques, « devant Stephen King, devant Cinquante Nuances de Grey ». Evidemment, Stephen King ne vend

     I     l     l    u    s    t    r    a    t     i    o    n     S    a    t    o    s     h     i     H    a    s     h     i    m    o    t    o    p    o    u    r     M

     L    e    m    a    g    a    z     i    n    e     d    u     M    o    n     d    e

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26 mars 2016  — M Le magazine du Monde

Toute la lumière sur Trévidic.  Aurait-il tiréles leçons de sa surexposition médiatique aux lendemains du 13 novembre? Après

l’arrestation de Salah Abdeslam et les attentats de Bruxelles, le juge Marc Trévidic s’est faitplus discret sur les chaînes d’info. Pourtant, l’ex-star de l’antiterrorisme aime les médias.Qui le lui rendent bien. Il devise aussi bien du salafisme que de sa passion pour le rockou de son premier roman.Un mélange des genres qui ne lui vaut pas que des amis.pa r   Vanessa schneider

    P    h   o    t   o  -    i    l    l   u   s    t   r   a    t    i   o   n    J   e   a   n  -    B   a   p    t    i   s    t   e    t   a    l    b   o   u   r    d   e    t  -    N   a   p   o    l   e   o   n   e    /    M    L   e   m   a   g   a   z    i   n   e    d   u    M   o   n    d   e    d    ’   a   p   r    è   s    W    i    t    i    D   e    T   e   r   a    /    O

   p   a    l   e    /    L   e   e   m   a   g   e   e    t    D    S    G   p   r   o    /    G   e    t    t   y

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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Patrick riou est un homme

discret. Ila consacrésa vie

professionnelle à la sécu-rité des Français, a gravitous leséchelons, de com-missaire de base à direc-teurde la police judiciaire.Il est aujourd’hui à la

retraite et s’occupe de ses petits-enfants avec un plaisir gour-mand. Les « affaires parisiennes », il suit ça de loin. PatrickRiou n’est pas du genre à critiquer ses anciens collègues ou àdaubersur ses successeurs.Pas du style nonplus à donner sonopinion sur un magistrat, quel qu’il soit. Mais là, le retraitétranquilleen a eu ras la casquette.Au lendemain desattentatsdu 13 novembre, comme tous les Français, il a les yeux bra-qués sur leschaînes d’infoet lesoreillescollées à la radio.Sousle choc, bouleversé, inquiet. Il suit le déroulement de l’en-

quête, la traque des terroristes, écoute les experts. Au l des jours,une gêne s’insinue,une irritation, comme le crissementd’une craie sur un tableau noir. Patrick Riou se dit quequelque chose ne tourne pas rond. Quelqu’un, plutôt: MarcTrévidic, ce juge qu’il a bien connu et qui occupe désormaistous lesécrans.A moins d’êtreséquestré dans unegrotte céve-nole, impossible d’échapper à la voix rassurante de ce magis-trat devenu, en quelques heures, le consultant numéro 1 desmédias sur l’air de « Je vous l’avais bien dit ». La Francedécouvre cet homme brun et sec qui parle sans détour, quandtant d’autres abusent de précautions.Lecurriculumvitae dujugeenvoie du bois: à 50 ans,il a passédix ans à l’antiterrorisme, option islam radical. Alors que sescollègues se réfugient derrièrel’obligation de réserveà laquelleils sont statutairement soumis, il raconte ce qu’il a entendu,cequ’il a vu dans les yeux des terroristes assis dans son bureau.

Les journalistes frétillent devant ce « bon client »: « Il a une belle gueule et a fait le choix d’une franchise totale en recon-naissant que la menace à laquelle le pays doit faire face est terrible, souligne HervéBéroud, directeur de l’information deBFMTV, qui l’a reçu à de nombreuses reprises sur sonantenne. Il fait de bonnes audiences car les auditeurs sentent qu’il ne les enfume pas. »  L’opinion s’entiche de ce magistratqui semble allier à merveille compétence et courage.Même sic’est lui qui a choisi cette affectation, elle s’indigne qu’il soitdésormais reléguéà Lille,à régler les divorces, loindes dossiersbouillants quiembrasentle pays. Peu importeque son transfertsoit inscrit dans lesrègles intangibles du ministère(pas plus dedix ans au même poste) et que le juge ait bénécié d’une pro-motion hiérarchique,les Français crient à l’injustice.Une péti-tion estlancée surles réseaux sociaux (38000signataires) pour

exiger sa réintégration.MarcTrévidicjubile,acquiesceet s’em-balle: bien sûr qu’il est prêt à mettre à nouveau son talent auservice de la collectivité! La chancellerie s’étrangle. Ainsiqu’une bonne partie du monde judiciaire et policier, où lestêtes qui dépassent deviennent vite des nuques à trancher.Patrick Riou n’est pas un sanguinaire.Il n’a rien contreTrévi-dic,il garde plutôt de lui le souvenir d’un « honnête homme »,mais sa « dérive »  l’inquiète. Dans une lettre ouverte qu’ilnous a conée, il s’adresse à lui sans agressivité,sans orituresnonplus: « Monsieur le juge, je vous ai connu et j’ai travaillé 

 sous votre autorité. J’ai toujours apprécié votre indépen-dance, votre puissance de travail et votre recherche perma-

nente de la vérité, mais… votre médiatisation actuelle me fait  peur. […] Nous représentons des institutions, nous ne sommes pas en représentation. » L’ancien ic appuie là où ça fait malet pose tout haut la question qui commence à monter çà et là:est-ce vraiment le rôle d’un haut fonctionnaire, aussi douésoit-il, de se faire mousser comme un magnumde champagnequi auraitpris le Concorde? « Pensez-vous que vos successeursn’aient pas d’encéphale et ne puissent pas comprendre une  situation qui, d’ailleurs, change chaque jour ?,  demandePatrick Riou. Pensez-vous que les femmes divorcées et lesenfants en souffrance de Lille ne seront pas heureux de proter de vos talents ? » Et l’ex-patron de la PJ de conclure: « S’il vous plaît, restez le magistrat que j’ai connu. »Patrick Riou n’a pas envoyé sa lettre à son ancien collègue.Parce que c’est « trop tard »,  parce que Marc Trévidic s’est

envolé trop loin. Le juge poursuit sa course folle sous lesprojecteurs et rien ne semble pouvoir l’arrêter. Il cone désor-mais sa passion pour le rock’n’roll,Bob Dylan,Keith Richards,Bashung et The Velvet Underground, on ressort des imagesd’archives le montrant guitare à la main, il raconte qu’il nepeut passe balader sans sonharmonica et annonce la parutiond’un roman. Il s’afche sur une pleine page du  Point, posede rockeur et sourire arrogant, avec cette phrase qui mérite-rait la Palme d’or dans la catégorie pétage de plombs : « Je  peux me permettre des choses qui m’attireraient des ennuis si   je n’étais que moyen. » Fin 2015, il est consacré « GrandeGueule de l’année » par RMC. « Il est passé de la médiatisa-tion à la “dévoration”, analyse Christian Salmon, auteur de Storytelling . A force d’être sollicité, l’individu médiatisé perd de sa pudeur, livre ses goûts, sa vie personnelle et ses penséesintimes. Il sort alors du registre du débat pour glisser dans le 

 spectacle et la mise en scène de soi. Pour continuer à intéresser,il transgresse. Et sombre dans une économie de l’attention hyperconcurrentielle, où tout le monde transgresse et où il faut aller de plus en plus loin. »

à LiLLe, oùL’on vient Lechercher à Lasortiedu tribunaL

de grande instance, Marc Trévidic commence par se plaindre:« A Paris, j’avais ma famille, mes gardes du corps, toute la structure antiterroriste, et je me retrouve d’un coup dans un studio, tout seul comme un étudiant. Ça fragilise psychologique-ment. » Il râle contre le temps pluvieux, la vie provinciale, lanourriture du Nord un peu trop épaisse à son goût. Le juge ena sa claque du maroilles, ce fromage fabriqué en Avesnois àl’odeur marquée, et soupire devant la carte que lui tend leserveur: « Steak au maroilles, tartine au maroilles, salade au

maroilles, magret au maroilles, vous voyez, ils en mettent par-tout. » On ne pourra pas dire qu’on a affaire à un vendeur decravates qui essaie de nous faire avaler que sa nouvelle vie estfantastique. « On croit que lorsqu’on vient de l’antiterro-risme, on va avoir le tapis rouge. Eh bien non!,  s’exclame-t-il, avec une forme de candeur qui le rend sympathique.Quand je suis arrivé ici et que le président du tribunal m’adit que seuls des postes de juge aux affaires familiales étaient vacants, même si je savais qu’il n’y était pour rien, j’ai tiré la tête. » C’est un euphémisme. D’ailleurs, pour décrire la   •••

M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

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    J   o     h   a   n   n   a    G   u   e   r   r   a     /    P     h   o    t   o   p   q   r     /    L   e   p   a   r     i   s     i   e   n     /

    M    A    X    P    P    P .    M   a   r   c    C     h   a   u   m   e     i     l     /    D     i   v   e   r   g   e   n   c   e

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Le juge ne se cantonnepas à donner son avis sur

le terrorisme, il parle ausside sa passion pour le rock

(ci-contre, en mai 2014, lorsd’un concert à la Maison

de la poésie, à Paris).En 2011, il participe

aux manifestations desprofessionnels de la justice

(en bas) mis en causepar Nicolas Sarkozy qu’il

qualifie sur France Infode   « multirécidiviste ».

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Pour justifier ses prisesde parole, le juge

invoque la méconnais-sance du grand public

sur le salafisme.« Les gens ont besoin

de comprendrece qui leur arrive. »

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26 mars 2016  — M Le magazine du Monde

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“C’était commesi j’étais en curede désintoxica-tion et que, tout

d’un coup, le

13 novembre,il y avait cin-quante dealers

d’héroïne en basde chez moi.”

frénésie médiatique dans laquelle il s’est jeté après lesattentats, il emploie curieusement la même métaphore quel’essayiste Christian Salmon: « C’était comme si j’étais en cure de désintoxication et que tout d’un coup, le 13 novembre, il yavait cinquante dealers d’héroïne en bas de chez moi. » Biensûr, il aurait pu fermer la porte, la boucler à double tour aunez des journalistes, ne pas prendre sa dose. Mais « la frus-tration de ne pas être actif a été la plus forte. J’étais sous le 

choc, comme tout le monde, et j’avais envie de parler ».

LegoûtdeMarc trévidicpour LesMédiasne date pasd’hier. Cela fait des années qu’il se laisse griser par le désirdes autres. Pourtant, ceux qui l’ont vu débuter en « bébétoque », comme on appelle les jeunes frais émoulus del’Ecole nationale de la magistrature, se souviennent d’un« garçon timide, pâlichon, lisse, sans aspérité, qui prenait ses permanences comme les autres ». Il fait parler de lui pour lapremière fois en 2009.Alors président de l’Association fran-çaisedes magistratsinstructeurs, il s’opposeavec vigueur auprojet de Nicolas Sarkozy, quisouhaite supprimer la fonctionde juge d’instruction. Son carnet d’adresses se remplit des06 des journalistes spécialisés, il distribue généreusementles interviews,publie un premier livre, Au cœur de l’antiter-

rorisme (Lattès,2011), informe la presse surles dossiers dontil a hérité du juge Bruguière (moines de Tibhirine, attentatde la ruedes Rosiers)… et commence à donner de l’urticaireà sa hiérarchie. En 2011, il dérape en direct sur France Infoen qualiant Sarkozy de « multirécidiviste » qui mériteraitla « peine plancher ». Son téléphone sonne dès la sortie dustudioet il se prend une hurlantede sonsupérieur.L’ancien juge Thiel, son ami, dont la discrétion n’est pas vraiment lamarque de fabrique, lui dit alors: « Tu m’as fait rire mais,

 putain, fais gaffe. » Lui le classe dans la catégorie des cou-rageux. D’autres l’enferment dans la case des prétentieux,qui soignent davantage leur image que leurs dossiers.« Quelle affaire a-t-il sortie en dix ans à l’antiterro? », faitmine de s’interroger un de ses anciens collègues.Trévidicn’est pasle premierjuge à faire parler de lui.Jean-Louis Bruguière, Gilbert Thiel, les juges Jean-Pierre,

Halphen,Joly, Courroye,Van Ruymbeke,ils sontnombreuxà avoirbrisé la sacro-sainte règle du silence.Et à s’être atti-rés la détestation de leurs pairs. La médiatisation des jugesa commencé dans les années 1990 avec l’explosion desaffaires politico-nancières, dans lesquelles les magistratsdevaient souvent prendre l’opinion à témoin pour ne pasvoir leurs enquêtes entravées.Certains juges antiterroristesont également choisi de s’exposer publiquement.  « La

 grande nouveauté avec Trévidic,  note le sociologue desmédias Jean-Marie Charon, c’est que, jusque-là, les jugescommuniquaient sur leurs dossiers. Lui n’est plus en charge d’aucune instruction et il parle de lui. » Pourquoi un magis-trat n’aurait-il pasle droit de lever le voile surl’homme qu’ilest? « J’ai bien dit que j’étais supporteur du FC Metz, et alors? » le défend GilbertThiel.Par le passé,d’autres sont

allés bien plus loin. Comme le juge Lambert, en charge del’affaire du petit Grégory, qui conaitdans Elle avoireu desproblèmes sexuels… Marc Trévidic voit dans l’interdictiontacite de parler de soi un signe de plus de la ringardise dela magistrature: « Si j’avais dit que j’écoutais du Schubert,que je jouais du piano et que je donnais des interviews sur l’architecture du  xviii 

e  siècle, ça n’aurait posé de problème à personne. » Pourfendeur de « l’institution rétrograde » quientend le corseter, il ajoute, provocateur:  « Est-ce que je donne une bonne image du juge d’instruction, oui ou non? 

C’est la seule question qui vaille. On n’est plus au tempsde Balzac où le juge restait dans sa tour d’ivoire! »Marc Trévidic était-il prédisposé au dérapage? Il admet,sans fausse pudeur : « J’ai besoin d’être aimé. » Il évoquedes parents trop tôt disparus. Ils n’ont pas eu le temps dele voir prendre cette lumièrequ’il reconnaît adorer. Ilavoue aussi avoir mal digéré

un certain nombre de frus-trations. En 2012, il se voitécarté de l’affaire Merah, letueur de Toulouse. « Ils ont nommé quatre juges mais pas moi, alors que j’étais le  seul à travailler sur le sala- fism e. Je l’ai vécu comme une humiliation. »  Le pou-voir sarkozyste s’est vengéde l’insolent qui n’appar-t i e n t p o u r t a n t à a u c u ncamp politique. Mais il ne selaisse pas impressionner.Puisqu’on veut l’écarter, il

s e r a p a r t o u t . I l s o r t u ndeuxième livre,  Terroristes. Les 7 Piliers de la déraison(Lattès, 2013),   qui fait untabac. Puis, un an plus tard,un troisième : Qui a peur du petit méchant juge ?   (Lattès,2014). Il installe son rond deserviette sur tous les pla-teaux. De L’Huma à Valeursactuelles,  d e  Libération  auFigaro, de la presse régio-nale aux grands hebdoma-d a i r e s , o n s e l ’ a r r a c h e . L’Express  va même jusqu’àlui coner, en 2014, une interview du chanteur Bryan

Ferry. Début, déjà, d’un grand mélange des genres.Lorsque sa décennie à l’antiterrorisme se termine, Trévidicpanique. Il appelle les journalistes dont il est proche :« Tu faisquoisurmoi? »,supplie-t-il au téléphone. La peurdu vide le saisitavant même de faire sescartons. Il s’imagineun temps être utile au ministère de la justice. Quelquescontacts sont pris, mais, très vite, ses déclarations au vitriolcontre la loi sur le renseignement le placent sur la liste deshommes à écarter. « Il est devenu amer »,  tranche uneancienne magistrate du parquet. La même souligne qu’ilprésente « les stigmates classiques de l’enfermement du juge d’instruction ». Ces magistrats comme on en voit dans lesséries télévisées, enfermés dans des bureaux poussiéreuxavec leurs grefers, contraints d’extorquer la vérité lors deface-à-face sans n avec des individus hostiles. « Ils sont 

détestés par les gens qu’ils interrogent,ajoute-t-elle,c’estpour cela que certains recherchent un regard bienveillant grâce auxmédias. Ils veulent prendre l’opinion à témoin pour s’en-tendre dire : “Vous êtes un bon juge”. »  Un phénomèneamplié à la galerie Saint-Eloi, siège de l’« antiterro » auPalais de justice de Paris, où les ego se bousculent et oùrègne le chacun pour soi. Une poignée de juges menacés,archiprotégés, que la présence continuelle de gardes ducorps et de voituresblindéesn’aide pasà se raccrocher à unevie normale. « Leur pouvoir et leur importance sont   •••

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     L    a    u    r    e    n     t     H    a    z    g    u     i      /     D     i    v    e    r    g    e    n    c    e

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M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

démesurés,  souligne l’ancien patron de la PJ PatrickRiou. Si on ajoute leur mode de vie, les escortes, certains ont tendance à se prendre pour des ministres. »  Ou des héros.Des héros, l’époque en a besoin. « Dans notre société caractérisée par le discrédit de toutes les gures d’autorité – les hommes politiques, les institutions religieuses, les

  journalistes, les enseignants, les médecins –, le citoyen est àla recherche d’émetteurs crédibles,  analyse Christian Sal-mon. Le climat de terreur provoqué par les attentats du13 novembre a fragilisé le corps social. Le terrorisme pro-voque un effet de sidération, de stupeur et de mutisme qui crée un besoin de mots. Cette demande de réassurance fait 

apparaître des gures qui ont l’air d’être informées. Le  procu reur, le juge antiterroriste jouen t parfa itement ce rôle, comme le feraient des chercheurs en période de grave épidémie, par exemple. » Pour Hervé Béroud, de BFMTV,« Trévidic est dans l’air du temps et l’air du temps est terroriste ». « Il a rencontré l’histoire »,  abonde Jean-Marie Charon. En d’autres termes,Marc Trévidic est « the right man in the right place ». Le juge ne s’est pasretrouvédans cette position par hasard. A peine arrivé à Lille, enseptembre 2015, il a continué à marteler son credo,jouantle rôle de Cassandre dans les colonnes des journaux. Le1er octobre, il prophétisait dans Paris Match : « Le pire est à venir. » C’est forcément vers lui que se sont tournés lesmédias le 13 novembre.Marc Trévidic estun homme intelligent.Il sait que tout le

battage auquel il n’a pas su résister ne lui apportera riende bon en termes de carrière: « J’ai trouvé sympathique la pétition demandant mon retour, mais c’est contre-pro-ductif. » « Il va couler beaucoup d’eau sous les ponts avant  son retour à la galerie Saint-Eloi, où une bande d’ano-nymes doivent passer leurs journées à lui tailler des cos-tards. Il n’y aura pas de dérogation pour lui »,  assèneGilbert Thiel.Le juge a la retraitemet lui aussi son ami engarde contre le « trop-plein » : «   L’homme providentiel n’existe pas en justice, pas plus qu’en politique. A force de 

recevoir des tonnes de compliments, on nit par perdre sesrepères. Il doit sortir de cette spirale et apprendre à faire davantage le tri dans les sollicitations. »Comme tous les hommes ers, MarcTrévidic regrette touten expliquant qu’il n’y a nalement rien à regretter. « A posteriori, je me rends compte que j’ai donné aux collèguesle sentiment qu’ils n’étaient pas capables de faire le boulot,alors que je voulais juste dire que l’on a besoin de tout le monde. » Mais il ne peut s’empêcher d’ajouter: « Le sys-tème est stupide, la chancellerie ne tient pas compte des pro- ls dans les nominations. » Il n’entend pas se ageller pouravoir aidé l’opinion à y voir plus clair : « Les gens voient 

débouler un phénomène pour lequel ils n’ont aucune clé de décryptage. Ils ne possèdent pas le vocabulaire salaste, ilsne savent pas ce que c’est, d’où ça vient, ils ont besoin de comprendre ce qui leur arrive. »

Le juge aux affaires famiLiaLes a encore des tonnesde projets, de choses à dire, de livres à écrire pour occuperses soirées dans son studio du centre-ville.Il a tout comprisau système et comment alimenter sa notoriété pour ne passe faire oublier.« J’ai quelques cordes à mon arc. Regardez,

  j’écr is un livre,  [son roman  Ahlam,  26 000 exemplairesécoulés en trois semaines] et boum, j’existe à nouveau ! » Ilinsiste,avec un sourire en coin: « Ma parenthèse lilloise ne  sera pas une traversée du désert. »  On le croit. Lors del’arrestation le 18 mars de Salah Abdeslam, l’un des terro-

ristes présumés des attentats de Paris, il a reçu une quaran-taine d’appels de journalistes. Mais il a préféré éteindre sonportable. Tout juste a-t-il donné quelques citations auFigaro et promis à BFMTV de se rendre sur leur plateauune semaine plus tard. Le juge avait mieux à faire ceweek-end-là: une émission sur France Inter consacrée à lamusique et des rencontres avec ses lecteurs au Salon dulivre. « J’y ai passé un paquet d’heures, je préférais garder mon énergie pour ça. »  Il ajoute:  « Et puis, il y a desmoments où je ne peux plus. C’était le cas. »

Durant sesdix années à l’anti-

terrorisme, MarcTrévidic a toujours

commenté dansles médias les

dossiers qu’il suivait(ici, en avril 2012,après une audition

devant le Sénat).

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     V     i    n    c    e    n     t     I    s    o    r    e     /     I     P     3     P    r    e    s    s     /     M     A     X     P     P     P

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Le 14 août 1996, dix sans-papiers grévistes de la faimont, depuis l’avant-veille, repris leur place derrière

l’autel de l’église Saint-Bernard, dont ils avaientété délogés pour être hospitalisés de force.   M

     i    c     h    e     l     B    a    r    e     t     /     R    a    p     h    o

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26 mars 2016  — M Le magazine du Monde

Il y a vingt ans,à l’église

 Saint-Bernard.C’était en mars 1996. Las d’attendre leur régularisation, des travailleurs

immigrés décidaient d’occuper une église. Ce sera d’abord Saint-Ambroise,puis Saint-Bernard dont ils seront délogés manu militari sur ordre du gouverne-ment Juppé. Une fermeté en décalage avec le soutien que l’opinion publique

apporte alors au mouvement. “M” a retrouvé les témoins de l’époque.par   François Krug

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e cette histoire, il

reste uneimage, celle de gendarmes enfonçantla porte d’une église, et un terme entré dans lelangage courant,« sans-papiers ». C’estune his-toire d’une autreépoque.Uneseule chaîned’in-formationen continu,unInternetbalbutiant,pasde réseaux sociaux. Pourtant,300 inconnus ontpendant cinq mois fasciné les médias et déél’Etat. Unehistoire ancienne,les sans-papiers del’église Saint-Bernard? Vingt ans plus tard, son

souvenir ressurgit dans la jungle de Calais,et undeses principaux acteurs,Alain Juppé,esten têtedes sondages politiques.

lundi 18 mars 1996. L’histoire de Saint-Bernard commence chez un autre saint.Demandes d’asile ou de régularisation quin’aboutissent jamais, contrôles d’identité etexpulsions qui se multiplient: la colèremontedepuis plusieurs semaines dans les foyers detravailleurs immigrés de Montreuil. Elle asuivi la ligne 9 du métro,et s’échappemainte-nant dela bouchede la stationSaint-Ambroise,dans le 11e arrondissement, pour envahirl’église du même nom.A 9 heures, ilssont unecinquantaine. Très vite, près de six fois plus.

Des Maliens, des Sénégalais, des Maurita-niens. Des hommes célibataires en majorité,les plus menacés, mais aussi des femmes etdes enfants, et une seule revendication: despapiers.Personne ne les a vu venir, pasmêmeles associations.« On voulaitmener une actionen mai, on avait pensé à une ou deux églises oucarrément une préfecture, raconte Jean-ClaudeAmara, porte-parole de l’association Droitsdevant!!. Sauf qu’ils ne nous ont pas atten-dus! » Uneéglise estun bâtiment public,maisla police n’yinterviendra quesi le curé estimene plus pouvoir y organiser la messe et ledemande expressément : le soir même, aprèsavoir tenté de négocier le départ des occu-pants,le prêtre remet discrètementà la police

les clés de l’édice et un courrier requérant« la force publique pour évacuer l’église Saint- Ambroise et pour y permettre le libre exercice duculte ». Une première nuit passe.

mardi19 mars. « Il y avait unmonde foudans l’église », se souvient Madjiguène Cissé,qui s’y rend « pour voir» et devientquelquesheures plus tard une des meneuses de lacontestation. A l’époque, elle a 45 ans et déjà

une longue expérience du militantisme auSénégal,à l’extrême gauche. Cetteprofesseured’allemand a accompagné sa lle étudiante enFrance,est restéeaprès l’expirationde son visade tourisme et travaille pour une société detélémarketing. La militante comprend que,pour durer, ce mouvement spontané doit s’or-ganiser. « Le plus âgé avait été nommé chef mais il ne savait ni lire ni écrire, c’était compli-qué. Il fallait que tous les foyerssoient représen-

tés et qu’il y ait des femmes. »  Dix déléguéssont désignés.

Vendredi 22 mars. Quatrième nuit dansl’église, interrompue à 6 heures par la police.Les immigrés sont évacués malgré les pro-testations de l’abbé Pierre. Les camérasimmortalisent la colère de la personnalitépréférée des Français. Le fait divers devientune polémique médiatique,partie pour durer:à 14 heures, les sans-papiers pénètrent dansungymnase municipal, toujours dans le11e arrondissement.

dimanche 24 mars.  Nouveau réveil à6 heures, nouvelle évacuation. A la radio, le

ministre de l’intérieur, Jean-Louis Debré,résume la ligne dont il ne déviera pas: « Accep-ter que la loi soit bafouée, c’est refuser l’Etat de droit. »  Quelques jours plus tard, huit desoccupants de Saint-Ambroise sont expulsésvers le Mali.

Vendredi 29 mars.   « J’ai 300 sans- papiers sur les bras, je ne sais pas où lesmettre »:  le cancérologue et ancien ministreLéon Schwartzenberg, soutien des sans-papiers et cofondateur de Droits devant!!, quileur apportait un soutien logistique, alerte sonamie Ariane Mnouchkine. La metteuse enscène leur ouvre la Cartoucherie, à Vincennes.A l’époque, son Tartuffe afchecomplet.« I l y

avait une lede 200 spectateurs quiattendaient le spectacle, dessans-papiers à côté, et cesgens-là se parlaient », raconte-t-elle. Le soir, une foisvidée de ses spectateurs,le théâtre se remplitde matelas. La journée, on débat. « C’était comme une petite utopie. »  D’autres sans-papiers afuent,comme HamadyCamara.Il aalors 34 ans et a déjà effectué plusieurs allers-retours entre la France et la Mauritanie,comme son père avant lui.En 1996, il vit delaplonge et du nettoyage, « le truc le plus facile  pour les sans-papiers qui arrivent ici ». Sademande d’asile a étérejetée.« C’est làque turentres dans la catégorie “immigré clandestin”. Nous ne sommes pas des clandestins, nous sommes des exclus de la société. Et nous ne 

 sommes pas des “sans-papiers” : des papiers,on en a, puisqu’on en a déposé à la Préfecture et qu’on a des ches de paie. »

Vendredi5 aVril. L’Etat n’entend pas lessans-papiers mais ceux-là, il les prendra ausérieux: Ariane Mnouchkine crée le « Collègedes médiateurs », 26 sages qui défendront lesdossiers des sans-papiers réfugiés chez elles.Aujourd’hui,l’uned’elle, Monique Chemillier-

Gendreau,professeurede droitpublic,raconte:« L’idée géniale, ça a été d’aller chercher des guresincontournables de la Résistance.» Dansla liste, Lucie et Raymond Aubrac, le philo-sophe Edgar Morin, l’ethnologue GermaineTillion ou Stéphane Hessel. Elle se souvientdes rendez-vous à Matignon avec l’anciendiplomate:  « Les gens qui nous recevaient étaient très aimables, car on ne peut pas ne pasêtre aimable avec Stéphane Hessel. Mais ils ne 

nous laissaient guère d’espoir. »

mercredi 10 aVril. Départ de la Cartou-cherie vers la halle Pajol, dans le 18e arrondis-sement.C’estalors un hangar abandonné de laSNCF, dans un quartier pas encore boboïsé.Un syndicat de cheminots a fourni la clé, unautre offre du matérielinformatique, la Confé-dération paysanne des fruits et légumes,Agnès b. des tee-shirts à vendre pour remplirla cagnotte. On observe les manifestations etles occupations se multiplier dans toute laFrance. On se divise, aussi.Une tension incar-née par les deux gures médiatiques du mou-vement, Madjiguène Cissé et Ababacar Diop,un informaticien sénégalais de 27 ans –  « la

 pasionaria et le caméléon », comme les pré-sente Le Monde à l’époque. Doit-on accepterde nouveaux arrivants, pour donner del’ampleur au mouvement,ou limiterles reven-dications aux300historiques? Faut-ilréclamerla régularisationen blocdu groupe, ou accepterl’examen au cas par cas? « Pas mal de sans- papiers se disaient qu’une position trop radicale  pourrait mettre en danger leur propre régula-risation », se souvient Jean-Pierre Alaux, quisuit les débats pour le Gisti, le Groupe d’infor-mationet de soutien desimmigré-e-s.La situa-tion semble bloquée.

mercredi 26 juin. « Nous avons été roulésdans la farine. » StéphaneHessel a perdu son

calme.A midi, il est reçu à Matignon. En sor-tant,il découvre le communiqué publié par leministère de l’intérieur pendant son rendez-vous, annonçant que le dossier est clos :48 sans-papiers recevront un titre de séjourd’un an, les autres ont un mois pour quitter laFrance. Les efforts des médiateurs n’ont paspayé. Sauf auprès de l’opinion publique, ana-lyse Jean-Pierre Alaux: « C’était des gens pré- sentables, pas des excités. Ils ont contribué àlaisser penser que le gouvernement était sur une position particulièrement dure. »

Vendredi 28 juin. Comme chaque jour enn d’après-midi, les sans-papiers quittent la

halle Pajol pour manifester place de la Répu-blique, et traversent le quartier de la Goutte-d’Or.A la surprise des policiers, ils bifurquentvers l’église Saint-Bernard. Ils ont discrète-ment repéré le lieu les jours précédents. « Ils sont arrivés tous ensemble, se souvient le curé,Henri Coindé. Madjiguène Cissé a désigné le chœur et m’a dit : “On respectera l’espace  sacré”. Vingt minutes après, le commissariat m’a demandé si je voulaisl’intervention de   •••

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26 mars 2016  — M Le magazine du Monde

“Ils sont arrivés tous ensemble.Le commissarait m’a demandé

si je voulais l’interventionde la police. J’ai dit non.”

Henri Coindé, à l’époque curé de l’église Saint-Bernard

La cause des sans-papiers, portée par des figures du

mouvement comme le Sénégalais Ababacar Diop (4),rencontre rapidement un écho médiatique. Des

personnalités comme l’abbé Pierre (5) et la comédienneEmmanuelle Béart (3) prennent ouvertement position

en leur faveur. Le 23 août 1996, l’évacuation des lieux (1)ordonnée par le premier ministre Alain Juppé (2)

se déroule dans une ambiance tendue. Elle susciteémotion et incompréhension dans la population.

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Les sans-papiers réfugiés dans l’église (2) écriventce dont ils ont besoin sur des pancartes placées

à l’extérieur (3). Des associations pour l’égalité desdroits, comme Droits devant!!, cofondée, notamment,

par le généticien Albert Jacquard (5, le 23 août,

lors de la manifestation qui suivit l’expulsion), etle cancérologue Léon Schwartzenberg, soutiennentles clandestins face au gouvernement d’Alain Juppé

(4, avec, de gauche à droite, Yves Galland,ministre délégué aux finances et au commerce

extérieur, Jean-Pierre Raffarin, ministre du commerce,et Jean-Louis Debré, ministre de l’intérieur).

Un Français sur deux soutientalors les sans-papiers. Place de

la République, on manifesteaux cris de “C’est Debré qu’ilfaut virer, pas les immigrés”.

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Le voileen beauté.

De certaines, on ne

v o it q u e l ’ œ i l ,

soigneusementsouligné de noir.Piercings au nez

et jeans moulants,d’autres jouent les manne-quins, présentant des tenues résolumentpointues. Qu’elles viennent de Djakarta,Londres ou Riyad,les « hijabistas » – contrac-tion du mot hijab  qui désigne le voile et defashionista – ont fait de YouTube leur terrainde jeux favori.Leurs chaînes y sont autant deboudoirs virtuels, d’antres consacrés à labeauté, à la mode, au bien-être. Dans leurs

vidéos, elles reproduisent à l’envi les gestesde la connivence féminine, s’adressant àleurs milliers d’abonnées comme à autantd’amies intimes auxquelles elles coneraientle secret de leurs yeux charbonneux ou deleurs teints parfaits.Avec près de 125 000 abonnées, la chaîned’AsmaFarèscompte parmi lesplus populairesde cette sphère en France. Cette Marseillaisede36 ans y montrecomment semaquiller pour

un mariage,une fêtereligieuseou une journéede travail, mais aussi comment nouer son fou-lardà lamode deDubaïou enturban.« Esthé-ticienne et maquilleuse de formation, je connaisbien l’univers de la beauté. Avant de devenir  youtubeuse, j’ai moi-même été une grande consommatrice de vidéos. Plus j’en regardais, plus je me disais que j’avais quelque chose àapporter », se souvient Asma. Enthousiaste,elle se lance en 2012. « C’est parfois sportif!  Entre le tournage, le montageet la publication,cela m’occupe pratiquement tous les jours »,s’amuseAsma. « Mes abonnées sont friandes de lookbooks, ces vidéos dans lesquelles on présente 

nos tenues du moment », renchérit Hasna,32 ans, de la chaîne Hasna.B. Blouses vapo-reuses portées sur un pantalon ample, robeslongues ceinturées à la taille ou tuniques eu-riesmanches trois-quarts associées à un jean…Les hijabistas optent pour des vêtementsuides mais branchés, qui les couvrent, deschevilles aux avant-bras, sans être informes.Pourse démarquer,les youtubeuses se profes-sionnalisent, faisant de leurs vidéos des

Comme n’importe quelle blogueuse de mode,

elles arborent des tenues branchées et partagentsur le Web leurs secrets de beauté. Leur particu-larité : ces jeunes musulmanes portent le voile.Paradoxal ? Certaines de leurs abonnées, adeptesd’une vision rigoriste de l’islam, ne se priventpas de le souligner… tout en continuant à lessuivre. Pas de quoi décourager ces “hijabistas”bien décidées à conjuguer foi et féminité.par   LesLie Rezzoug  —   i l lustrat ion   Toni HaLonen

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écrins toujours plus girly et de leurschaînes la vitrine éclatante de leur popularité.« Il faut trouver des lieux originaux où lmer, choisir la musique adéquate, référencer 

chaque article présenté. On peut travailler des heu res pou r pro duire une vid éo de cinq minutes », souligne Hasna, installée depuispeuà Singapouravec sonmari et sesjumelles.A 28 ans, Mouna, dela chaîneMuslim Queens,est elle aussi très active sur la plateforme departage. Entre présentation de ses favoris dumois, swap – échange de cadeaux-surprises –avec d’autres youtubeuses et recettes de cui-sine, cette jeune femme d’origine algériennetitulaire d’un master en informatique gère sachaîne comme une chef d’entreprise.Pourtant, avec une rémunération d’un dollar(environ 90 centimes d’euro) pour mille vuesde la part de YouTube, vivre de sa passion

reste une gageure. Mouna, Hasna et Asmasont loin de se verserun salaire.« Cela permet de remplir un Caddie par semaine, tout au plus », résume Hasna. « Gagner de l’argent n’est clairement pas leur première motiva-tion. La logique entrepreneuriale des hijabis-tas révèle avant tout une volonté d’afrma-tion de soi, loin du cliché de la musulmane  soumise, rappelle Faïza Zerouala, journalisteet auteure de   Des voix derrière le voile (éd. Premier Parallèle). Certaines évoquent même la gure de Khadija, la première épouse du prophète Mahomet. C’était une entrepre-neuse, qui dirigeait son commerce d’une mainde maître, malgré le qu’en-dira-t-on. »

Pour continuer de susciter la

curiosité, leshijabistas seplientà un cahier des charges précis,semettant en scène en traindese maquiller, de tester des pro-

duits, ou dans des vlogs, ces journaux intimeslmés où l’on dévoile son quotidien. « On yvoit leurs appartements, leurs familles. On al’impression de faire partie de leurs vies, d’être leurs amies », s’emballe Assia, comptable de28 ans et fan de la première heure d’Asma.« Les hijabistas sont parfaitement représenta-tives de notre société mondialisée, où chacun s’expose à grands coups de sele. Il est toutefois

intéressant de constater qu’elles produisent une  opée d’images tout en se revendiquant d’une religion qui fuit la représentation », analyseBruno-Nassim Aboudrar, professeur d’esthé-tique à la Sorbonne Nouvelle et auteur deComment le voile est devenu musulman(éd. Flammarion). Un paradoxe d’autant plusétonnant que ces jeunes femmes, qui s’expo-sent ainsi en un clic, ont souvent longuementmûri leur décisionde porter le voile.En quête

de sens après un divorce douloureux, Asma afait ce choix en juin 2010.Mouna afrme avoirtrouvé dans le port du voile un profond apaise-ment. « Je me suis posé beaucoup de questions. Je me suis mise à prier, à lire, à vouloir en

 savoir plus sur ma religion. Finalement, j’ai compris quec’est ce quime manquait pour vivre  pleinement ma foi », explique-t-elle.Mais le principe de pudeur qui sous-tendle port du voile islamique n’est-il pasen contra-diction avec la mise de scène de soi sur You-Tube ? « Absolument pas, répond Mouna.Une  femme peut prendre soin d’elle tout en étant croyante. La pudeur ne se réduit pas à un rouge à lèvres, c’est avant tout une façon d’être, unrespect de soi et des autres. »  Conjuguer fémi-nité et modestie, s’épanouir dans son travailcomme dans sa vie de famille… Pour nombrede leurs abonnées, les hijabistas du Web sontl’image même de la femme accomplie. « J’ai 

longtemps douté que l’on puisse tout mener de  front. Je pensaisqu’il fallait choisir entre mode de vie moderne et respect des traditions.Décou-vrir ces lles m’a ouvert les yeux. Pour moi, ce  sont de véritables exemples », confie Safia,secrétaire de direction de 33 ans.Si les éloges eurissent sous leurs vidéos, leshijabistas s’exposent aussi à une litanie deremarques acerbes.« Onm’adéjà écrit “tu vasaller en enfer” ou “tu salis notre religion” » ,

lance Hasna. « Je surnomme celles qui postent ces réexions les “imamettes”! , s’exclame desoncôté Asma. Elles ont un message très culpa-bilisant. Elles afrment que nous égarons celles

qui nous regardent, que nous les pervertissons. Elles ont l’œil sur tout. Récemment, on m’avertement fait remarquer que l’on apercevait quelques-uns de mes cheveux dans l’une de mesvidéos. Avant, c’était l’épilation des sourcilsqui posait problème », égrène-t-elle, un peulasse. Hypocrisie ou mauvais esprit ? Cesinternautes rigoristes continuent de regardermassivement les vidéos des hijabistas, encherchant peut-être des conseils beauté sansoser l’assumer. Cette parenthèse frivole seraitalors un plaisir coupable dont elles se défen-dent.Alimenter la polémique, nourrir le débatpar des messages bien sentis leur permettraitde se dédouaner, de maintenir à distance ce

monde de paillettes qui les fascine autantqu’elles le rejettent. « Le ressentiment de ces lles est à comprendre comme une désillusion. Elles considèrent qu’en arborant “l’emblème”du volet féminin de l’islam, il convient de se comporter en conséquence. Or, elles estiment que les hijabistas ne sont pas à la hauteur desresponsabilités morales et de la réserve que l’usage du voile implique », souligne MaryamBorghée,chercheuse au GroupeSociétés,Reli-gions,Laïcités(GSRL) et auteure deVoile inté- gral en France. Sociologie d’un paradoxe (éd. Michalon). « Il ne faut pas se leurrer, cette “police 2.0”, on la retrouve partout sur le Web,tempère Faïza Zerouala. Et dans l’islam, lescroyants ont le devoir d’alerter leurs coreli-

 gionnaires quand ils sont dans le “faux”. Cela s’appelle un “rappel ”. Il doit néanmoins se  faire en privé et avec tact pour ne pas blesser l’autre. Rien à voir, donc, avec ces blâmes publics destinés à afrmer une hypothétique  supériorité religieuse. »Confrontées à une défiance récurrente àchacune de leurs publications,Mouna,AsmaetHasna optent toutes pour la même ligne deconduite : elles effacent le message et enbloquent l’auteur. « Je suis habituée à ces atta-ques, elles me laissent indifférentes. Je ne vois pas pourqu oi je devrais y répondre et me   justier auprès de gens que je ne connais pas »,rétorque Mouna. Pour Maryam Borghée, « le 

détachement des hijabistas est le signe de la prise en main de leur pratique religieuse. Ellesrefusent de se laisser dicter leurs conduites car elles ne se sentent pas conditionnées par un sys-tème normatif absolu. »   Faïza Zeroualaconrme : « Pour ces femmes, le voile repré- sente une pudeur qui ne contrevient pas à l’idée qu’elles se sentent pleinement occidentales. Loind’être antinomiques, ces deux identités se rejoignent, se superposent. »

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“Une femmepeut prendre

soin d’elle

tout en étantcroyante. Lapudeur ne se

réduit pas à unrouge à lèvres,c’est une façon

d’être, unrespect de soiet des autres.”

Mouna,de la chaîne Muslim Queens

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     C     A     S     D     E     N

     B   a   n   q   u   e     P   o   p   u     l   a     i   r   e  -     S   o   c     i     é    t     é     A   n   o   n   y   m   e     C   o   o   p     é   r   a    t     i   v   e     d   e     B   a   n   q   u   e     P   o   p   u     l   a     i   r   e     à   c   a   p     i    t   a     l   v   a   r     i   a     b     l   e .     S

     i     è   g   e   s   o   c     i   a     l   :     9     1     C   o   u

   r   s     d   e   s     R   o   c     h   e   s  -     7     7     1     8     6     N   o     i   s     i   e     l .

     S     i   r   e    t   n     °     7     8     4     2     7     5     7     7     8     0     0     8     4     2  -     R     C

     S     M   e   a   u   x .     I   m   m   a    t   r     i   c   u     l   a    t     i   o   n     O     R     I     A     S   n     °     0     7     0     2     7     1     3     8  -     B     P     C     E  -     S   o   c     i     é    t     é   a   n   o   n   y   m   e     à     d     i   r   e   c    t   o     i   r

   e   e    t   c   o   n   s   e     i     l     d   e   s   u   r   v   e     i     l     l   a   n   c   e

   a   u   c   a   p     i    t   a     l     d   e     1     5     5     7     4     2     3     2     0     ¤ .     S

     i     è   g   e   s   o   c     i   a     l   :     5     0   a   v   e   n   u   e     P     i   e   r   r   e     M   e   n     d     è   s     F   r   a   n   c   e  -     7     5     2     0     1     P   a   r     i   s     C   e     d   e   x     1     3 .     R

     C     S     P     A     R     I     S   n     °     4     9     3     4     5     5     0     4     2 .     I   m   m   a    t   r     i   c   u     l   a    t     i   o   n     O     R     I     A     S   n     °     0     8     0     4     5     1     0     0 .

     I     l     l   u   s    t   r   a    t     i   o   n   :     K     i     l     l   o     f     f   e   r .

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8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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IMAGINE”. DoréE Et MAssIvE, lA sculpturE EN sEpt lEttrEs sE DrEssE

sur l’EsplANADE DE BArANGAroo,  devant la baie du DarlingHarbour, en plein cœur de Sydney. A quelques pas de cetteinjonction clinquante, l’enseigne « Noma» s’afche bien plussobrement,sur une façade de ciment,à moitié masquée par un

arbuste ébouriffé – une xanthorrhoea endémique. Mais c’estderrière ces murs que se déroule l’événement de l’année enAustralie: le célébrissime Noma de Copenhague, consacré«meilleur restaurant du monde» à maintes reprises,a pris rési-dence pour dix semaines au pays des kangourous. RenéRedzepi, son non moins célèbre chef, a embarqué toute son

équipe pour venir mitonner à Sydney un menu élaboré uniquement à based’ingrédients locaux.Ultramédiatisé,ce « pop-up » extravagant se joue à gui-chets fermés depuis la n janvier, au prix de 495 dollars australiens (334 €) parpersonne, sans compter les boissons. C’est plus cher que n’importe quel res-taurant en Australie, mais cela n’a pas empêché les quelque 700 couverts dese pré-vendre en moins de sept minutes, sur Internet, au début de l’année.L’immense succès de ce Noma nomade (deuxième escapade de l’équipedanoise qui s’était délocalisée au Japon l’année dernière) est en grande partiel’œuvre de Tourism Australia, l’ofce du tourisme national australien. Depuis

mai 2014, ce dernier a lancé un ambitieux programme de valorisation de sagastronomie – dans un pays jusqu’ici réputé davantage pour sa faune et sesrécifsde corail quepour sa cuisine. «Nous voulons montrer à quel point l’Aus-tralie est un lieu exceptionnel, et sa nourriture et ses vins uniques et délicieux»,clame une représentante de l’agence, qui se félicite déjà, sur son site ofciel,d’une hausse de 21% en dépenses touristiques liées à la gastronomie depuisle début de la campagne. Le restaurant éphémère de René Redzepi est sansconteste le point d’orgue de cette opération. Finançant largement les fraisd’implantation de l’équipe danoise pendant près de cinq mois, TourismAustralia a également convié une multitude de journalistes du monde

Le Nomaau goût

du bush.C’est l’événement de ce début d’annéeà Sydney : René Redzepi, chef danoisdu “meilleur restaurant du monde”,s’est délocalisé pour quelques semainesen Australie. Coup de génie ou opérationde communication, cette expérience s’est,en tout cas, transformée en thérapie culinairepour ce pays coupé de ses racines aborigènes.pa r   Camille labro

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26 mars 2016 —MLemagazine duMonde

Pendant plusieurs mois, René Redzepi (2, en blanc, avec,à sa gauche, Elijah Holland, son cueilleur, et James Viles, l’undes rares chefs australiens à proposer une cuisine locale, 4)

a arpenté forêts, littoral et déserts australiens, à la découvertedes plantes et des animaux (1, huîtres de la côte sud ; 3 et 5,truites en papillote) qui lui ont permis d’élaborer son menu.

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M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

entier à venir dîner au Noma, leur propo-sant par la même occasion d’aller explorer lereste de l’île-continentà leur guise. « C’est trèsmalin de leur part,  commente la journalisteirlandaise Orla Dukes. Se servir de l’inuence de cet homme, capitaliser sur sa présence ici  pour faire découvr ir au monde toutes lesrichesses de l’Australie : c’est une opportunité 

unique et une approche commerciale aussi géné-reuse qu’ingénieuse.» Sans doute. Et on pro-tera du voyage et du festin comme tout lemonde. Mais cela peut sembler un brin iro-nique, toutde même, que lesAustraliens choi-sissent de promouvoir leur gastronomie parl’entremise d’une enseigne européenne. Onpeutégalement s’interrogersur les motivationsdu chef danois, apôtre scandinave du «kilo-mètre zéro», d’une cuisine de «l’iciet mainte-nant», pure et radicale,à base deproduits ultra-locaux. «Nous ne sommes pas venus ici pour cuisiner des carottes. Nous sommes venus pour apprendre »,   décoche Redzepi avec unsourire.

L’homme est charismatique,

sympathique, accessible. Entee-shirt et jeanslim noirquandil n’arbore passa vestede cuisinier.Il parle volontiers, abondamment et cha-leureusement, à qui veut l’entendre. Un peu commeun Australien. De toute évidence, il est ravi d’être là.

«C’est génial de pouvoir prendre son sac à dos et de partir ainsi faire le routard culinaire. C’est ce que tous mes amis ont fait entre 17 et 20 ansquand j’étais, moi, coincé en cuisine!» A 38 ans, l’ambassadeur de la« nouvelle cuisine nordique» peut tout se permettre: faire six fois letour de la Terre pour préparer son séjour; passer près d’un trimestre àbarouder dans l’outback (arrière-pays désertique) et le bush australiens;

fermer son restaurant pendant quatre mois pour l’ouvrir à l’autre boutdu monde avec tous les membres de son équipe ainsi que leursfamilles; et s’assurer le soutien de dizaines de chefs, de célébrités etd’organismes locaux.Il est venu apprendre, donc, dans une contrée où la nature est auxantipodes du biotope scandinave. « Nous avons d’abordbeaucoup lu,explique Redzepi, puis énormément voyagé à travers tout le pays, pour découvrir et choisir les produits que nous allions utiliser. Nousavons sillonné les déserts, les forêts tropicales, rencontré des commu-nautés aborigènes, échangé et mangé avec eux. Nous avons goûté de 

la tortue grillée, de la queue de kangouroucuite dans sa peau, des herbes sauvages et desbaies du bush, des dizaines de coquillages et crustacés inconnus.»Résultat de mois de recherches culinaires, sonmenu en douze platsse compose donc exclu-sivement de produits australiens, surtoutvégétaux et marins, cuisinés «à la Noma», de

manière épurée, tantôt brute, tantôt rafnée,savante et toujours surprenante.Fruits de mersurmontés d’un craquelin de graisse de croco-dile,canaroie semipalméeen dumpling,crabeblanc desgrands fonds au bouillonde kangou-rou, ou encore wattleseeds  (graines d’acaciasauvage) enroulées dans de tendres feuillesde saltbush (variété de chénopode). Ce der-nier plat est sans doute l’un des plus emblé-matiques du travail de Redzepi et sonéquipe :trois petites bouchées vertes dont les saveurs,puissantes et inédites, vous transportent ins-tantanément au cœur du bush.« Jamais je n’aurais imaginé que les wattle-seeds puissent avoir ce goût et cette texture,s’exclamait Maggie Beer, célébrité culinaire

nationale, lors de sa dégustation au Noma. Nous, nous torréons les graines, ce qui leur donne un goût de café et, nalement, les déna-ture. Mais avec son œil neuf, sa curiosité et  son inventivité, René redécouvre ces produits

que nous avons trop souvent négligés.» Car contrairement à l’Europe,où l’essentiel de ce que nous mangeons a été importé, l’Australierecèle des milliers d’espèces comestibles, délicieuses et nutritives– quine se retrouvent pourtant quetrès rarement au menu desrestau-rants. C’est là le coup de génie du chef locavore de Copenhague:remettre au cœur de l’assiette, et des débats, la question même desproduits « natifs » et de l’identité culinaire australienne.«Notre ADN, c’est le melting-pot,  assure la critique gastronomique Joanna Savill. Notre cuisine est un mélange de traditions européennes et asiatiques, mais nous n’avons pas, à proprement parler, de cuisine 

 populaire austra lienne. »  C’est, évidemment, sans compter les50 000 années de présence aborigène qui ont précédé la colonisationdu territoire il y a à peine deux siècles par les Européens, et la quasi-éradication de ces peuples et cultures qui s’en est suivie. « En impor-tant leur nourriture et leur agriculture, qui étaient complètement ina-daptées au pays, lescolons ont anéanti les systèmes nutritifs et vitaux descommunautés indigènes», écrivait le journaliste John Newton dans unrécent ouvrage, The Oldest foods on earth (« les plus vieux aliments dumonde. Une histoire des produits endémiques australiens et leursrecettes », Ed. NewSouth, en anglais, non traduit). « Certains

“Se servirde l’influencede Redzepi,

capitaliser

sur sa présencepour faire

découvrir aumonde les

richesses del’Australie: c’est

une approchecommerciale

aussi généreusequ’ingénieuse.”

Orla Dukes, journaliste irlandaise

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8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

“Les Australiensne mangent pas leur

propre paysage, parce

qu’il est assimilé auxAborigènes, et que

les Australiens blancspréfèrent rester

tournés vers l’Europe.C’est une histoire

complexe, et cen’est pas la mienne.”

René Redzepi, chef du Noma

disent que les Australiens ne mangent pas leur propre paysage,avance Redzepi, parce qu’il est assimilé aux Aborigènes, et que les Australiens blancs préfèrent rester tournés vers l’Europe. C’est une  histoire complexe, et ce n’est pas la mienne. » Ce qui intéresse le cui-sinier, c’est justement d’aller fouiller cette impressionnante nature, lagoûter et,peut-être, fairedécouvrir auxAustraliens toutce qu’ils n’ont jamais voulu connaître.« Parfois, il faut quelqu’un d’extérieur pour nous révéler ce que nousavons à l’intérieur », afrme Kylie Kwong, chef-star du restaurantBilly Kwong à Sydney. En octobre2010, fraîchementcouronnénuméroun du « 50 Best » de Restaurant Magazine, René Redzepi était venudonner une conférence à l’Opera House de Sydney, devant plus de

2000 personnes. Son thème: la cuisine de l’ici et maintenant. «J’étais si nerveux,  se souvient-il, que j’ai voulu impressionner le public en posant sur chaque chaise une brassée de plantes pérennes. » PourKylieKwong,le discours de Redzepi a changé la donne.«Il nous a tous fait rééchir. Je suis sortie en me disant : “Mais que faisons-nous? Pour-quoi n’utilisons-nous pas plus nos produits, plutôt que toutes ceschoses exotiques comme le foie gras ou la truffe ?” René Redzepi a été le premier à nous ouvrir les yeux sur l’importance d’utiliser des ingré-dients d’ici. » Depuis lors, Kylie Kwong a réinventé sa cuisine, où lesspécialités chinoises (ses origines) intègrent désormais le bush tucker,l’éventail comestible naturel du bush. Les raviolis sont fourrés au saltbush, le porc caramélisé est servi avec des  muntries et lilly pillies(petites baies sauvages), et des fourmis vivantes sontparfois proposéesà la dégustation – comme unclind’œil à celui qui,le premier, enservità sa table danoise avant-gardiste.

Le changement est en marche. Certains chefs mettentaujourd’hui du wallaby (petit kangourou), de l’émeuou des œufs de crocodile à leur carte. Ben Shewry àMelbourne, James Viles à Bowral ou Jock Zonfrillo àAdélaïde se sont fait connaître il y a déjà plusieursannées pour leur cuisine ultralocale, tournée vers les

produits sauvages et indigènes. Pour eux, le travail de Redzepi est un«mégaphone». La cueillette sauvage ( foraging ) est tendance commepartout ailleurs, et quelques agriculteurs, comme Mark et GayleQuarmby (ferme Outback Pride à Adélaïde),s’emploient désormais àcultiver toutes sortes de plantes «natives» pour répondreà la demandedes restaurateurs, mais aussi pour «réhabiliter le territoire australienet rendre leur erté à ses habitants originels ».« Qu’est-ce que la cuisine australienne? Personne ne peut répondre à

cette question pour l’instant,  conclut Matt Stone, jeune chef dyna-mique de Melbourne. Mais nous avons sous la main un éventail inni de produits extraordinaires, propres à l’Australie, et nous béné- cions de techniques venues de France, d’Italie, du Japon, de Corée… Nous pouvons appliquer ces savoir-faire culinaires hérités d’ailleursà tous les ingrédients qui sont ici depuis toujours. C’est ce que fait  Nom a, et c’e st ce que bea ucoup d’entr e nous aspi ron s à fai re aujourd’hui.» Et qu’importe, dans le fond, si c’est un cuisinier venude loin qui aide les Australiens à dénir leur identité et à imaginer, engrandes lettres dorées, leur cuisine de demain.

Certains agriculteurscultivent désormaisdes plantes du crupour   « réhabiliter 

le territoire australienet rendre leur fierté à

 ses habita nts origi nels »(ici, des baies d’hibiscus,odorantes et acidulées).

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8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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Sur la chaînechinoise CCTVNews le 2 août2014 : 69 per-

sonnes sontmortes dans

l’explosiond’une usineà Kunshan,

dans l’estde la Chine.

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26 mars 2016  — M Le magazine du Monde

La têtedel’émoi.

A force de surjouer l’émotion ou l’impassibilité, les présentateursde journaux télévisés nous rendent-ils insensibles? C’est la théorie,discutable, du photographe Jure Kastelic. Depuis 2009, ce jeune

Slovène saisit, par captures d’écran, les visages des journalistesaméricains, anglais ou chinois annonçant un drame.photos   Jure kastelic  —   t exte   louise couvelaire

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Sur la chaîneaméricaine

CNN le28 janvier2013 : 233personnes

ont péridans l’incendied’une boîte denuit au Brésil.

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M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

Sur la chaînechinoise CCTV

News, le26 décembre2012 : 27 per-

sonnes sontdisparues dans

un accidentd’avion

militaire auKazakhstan.

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      J    u    r    e

      K    a    s     t    e      l      i    c

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M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

Sur la chaînechinoise

CCTV Newsle 26 janvier

2015 : au moins43 policiersont été tués

aux Philippinesdans des

affrontements.

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      J    u    r    e

      K    a    s     t    e      l      i    c

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Sur la chaîneanglaise BBCWorld News,le 9 octobre

2012 : une jeune militante

pakistanaisede 14 ans afait l’objet

d’une tentatived’assassinat.

Elle a survécu àses blessures.

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     I     l     l    u    s    t    r    a    t     i    o    n     S    a    t    o    s     h     i     H    a    s     h     i    m    o    t    o    p    o    u    r     M     L

    e    m    a    g    a    z     i    n    e     d    u     M    o    n     d    e

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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Après le selfe, le dronie.La foLie du seLfie prend de La hauteur. dotés de caméras de pLus en pLus

sophistiquées, Les drones permettent désormais d’immortaLiser LesexpLoits en pLein air de tous Les aventuriers. même ceux du dimanche.

pa r   Jean-Michel norMand

Le modèle Hexo +de Squadrone

System nese pilote pas.

Apparié àun smartphone,

il suit et filmeson propriétaire.

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     S    q    u    a     d    r    o    n    e     S    y    s    t    e    m

26 mars 2016  — M Le magazine du Monde

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rapproche l’appareil de sa cible

avec un mouvement ascen-

dant ou descendant. Quant au

Parrot Bebop 2 (549 euros), il

sait relier tout seul des points

de passage préalablement

enregistrés an d’opérer un

travelling. Sur la plupart des

drones haut de gamme, on

peut activer une fonction dite

Follow Me (« suis-moi »). L’œil

électronique suit alors le

déplacement de son maître,

pas à pas, comme un animal

tenu en laisse.

Ces fonctionnalités s’inscrivent

dans le prolongement de

l’étrange manie qui, depuis

plusieurs années, voit des

adeptes des sports de plein air

— voire des pêcheurs à la

ligne — se déplacer avec une

caméra portable vissée sur la

tête ou la poitrine. Dans les

prochains mois, GoPro lancera

d’ailleurs son propre drone.

L’ampleur prise par ce phéno-

mène a incité la start-up

grenobloise Squadrone

System à imaginer un drone

spécialement conçu pour ces

usages narcissiques. Hexo+

(999 euros sans la caméra) ne

se pilote pas. Il sut de

l’apparier à son smartphone ou

sa tablette, par l’intermédiaire

d’une application, pour qu’il

vous suive automatiquement à

la distance souhaitée pendant

un quart d’heure. «  Nous avons

conçu Hexo+ comme la suite

logique du succès du dronie. Il 

s’agit plus d’une caméra

volante que d’un drone à pro-

 prement parler  », souligne

Antoine Level, cofondateur de

la société qui a déjà vendu plus

de 2500 unités de ce produit

nancé en un temps record sur

Kickstarter, le site de crowd-

funding. «  Nos clients sont des

skieurs, des surfeurs, des cou-

reurs à pied, des amateurs de

cyclo-cross ou de moto, tous

friands de vidéos aériennes les

mettant en scène », poursuit-il.

Programmer unecaméraPour

qu’ellevous colleauxbasques

n’ore pas seulement l’occa-

sion de se contempler dans un

miroir numérique. Il faut aussi

que le monde entier en prote:

à peine enregistrée, la vidéo

pourra donc être partagée sur

les réseaux sociaux. Hexo+

songe, à l’avenir, à se démo-

cratiser avec une caméra

volante autonome moins

élaborée mais plus abordable.

Tout entier dévoué à la théâ-

tralisation des exploits de son

propriétaire, ce type de drone

exige cependant quelques

précautions. Outre que la loiinterdit de le faire voler

au-dessus des lieux publics

fréquentés, il faudra s’assurer

qu’il opère en terrain dégagé.

Sous peine de le voir nir sa

course dans un arbre, ou

même entrer en collision avec

un de ses congénères occupé

lui aussi à lmer son maître.

 V ousavez aimé

leselfie?

Vous allez

adorer le

« dronie ».

Alors que se conrme

l’engouement pour les drones

de loisirs, les constructeurs

n’ont de cesse de perfection-

ner leurs appareils an qu’ils

permettent au pilote de se

photographier ou se lmer

lui-même. Le dronie est ainsi

une sorte de sele qui aurait

pris de la hauteur. Une fonction

devenue un argument de

vente à part entière car elle est

aujourd’hui d’une facilité

d’utilisation déconcertante.

Faire voler un drone n’est plus

une n en soi, c’est désormais,

aussi, un moyen de voir le

monde d’en haut. Dans une

société hyperindividualiste, la

pente naturelle est de faire de

cette technologie un instru-

ment d’autocélébration. Les

constructeurs mettent donc

tout en œuvre pour faciliter

cette mise en scène de soi.

Ainsi, sur les derniers modèles

DJI, le leader chinois du

marché, le pilote peut se lmer

sans l’aide de quiconque. La

gamme des Phantom (à partir

de 599 euros) dispose d’un

mode « point of interest »permettant au drone de

décrire un cercle autour de son

pilote en gardant la caméra

pointée dans sa direction. Le

Solo de la marque américaine

3D Robotics (1 298 euros sans

la caméra, facturée entre 100

et 300 euros) propose une

option « sele » qui éloigne ou

Les drones proposent de nombreuses options vidéo automatiques :travelling programmable avec le Parrot Bebop 2 (à gauche), vol circulaire

autour de la cible pour le DJI Phantom 4 (au centre) ou élargissementdu champ avec mouvement vertical pour le Solo de 3D Robotics (à droite).

66

     P    a    r    r    o     t .

     A    q    u    a    s     t    u      d     i    o .    c    o .    n    z .

     3     D     R

M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

http://slidepdf.com/reader/full/monde-5-en-1-du-samedi-26-mars-2016 85/142

Quand la mode ne sait

plus trop Quoi faire, elle décons-truit puis rastole, jusqu’à obte-nir des pièces « asymétriques »,un code pseudo-technique pourannoncer l’arrivée de vêtementsplissés d’un côté, équipés d’unef e n t e d e l ’ a u t r e , a v e c u n emanche ici et une épaule décou-v e r t e p a r l à … D e q u o i s ecomposer une silhouette deprintemps aux aspirationsintello-arty. Se promener avec une

allure de sculpture cubistico-déconstructiviste comporte unvrai avantage : tout le monde al’air d’une œuvre abstraite,grosse ou maigre, grande oupetite,c’est la démocratie textilenivelée par le bas. Enn, encorefaut-il avoir réussi à enfiler satenue. L’asymétrie ne s’expéri-mente qu’avec une sérieusedose de caféine dans le sang,indispensable pour trouver dansquel trou mettre le bras, dansquel repli passerla cuisse,le toutdebout, dans une salle de bainstoujours trop étroite ou encom-brée, sans perdre l’équilibre.C’est comme un cours de yogasans les voisins de tapis dont les

l e g o û t d e s a u t r e s

Le sensde l’absurde.par   Carine Bizet —   i l lustrat ion   Kristian hammerstad

pieds nus sentent le tofu fumé.Même une fois habillée, pasq u e st i o n d e r e l â c he r s o nattention, car non, ce repli n’estpas une poche. D’ailleurs, cegling, ce sont vos clés sur lachaussée, merci de les ramassersous peine de passer par la cases erru rier, q u i d éverrou illesérieusement le porte-monnaie.Pour être juste, il faut préciserque cette tenue, grâce à ses pliset recoins, peut tout de même

retenir des choses: les miettesdu déjeuner, les peluches degomme, un peu de poussièreaussi au passage. Tout ce qui estpetit et qui s’accroche sournoise-ment. Il ne faudra donc pasoublier de se secouer régulière-ment comme une nappe ou uneserviette de table.La situationse complique au l dela journée, quand cette silhouetteabstraite prend de nouveaux fauxplis anarchiques qui se créent dèsqu’on s’assied ou qu’on plie unbras. Vous voilà avec un « épi defesses », comme un accident decoiffuremais insoluble à coups delaque-qui-sent-bon. Réorganiserla mise enasymétrie dece hautet

de cette jupe estune activité hon-teuse, qui se pratique dans lestoilettes, avec épingles et trom-bones volés dans le placard à four-nitures. Piquer ici, assembler là,c’est un véritable puzzle textilefastidieux qui se rappellera à votrebon souvenir chaque fois quevotre postérieur touchera unechaise ou que votre épaule cher-chera le confort d’un dossier. Enbon fakir fashion, il vous faudra

aussi expliquer au monsieur de las écu rité q u i vou s p as s e audétecteur de métaux pourquoivous sonnez comme les clochesd’une église à un mariage. Lecoup de grâce, tout corps qui estentrédans cette tenue doit en sor-tir, et cette ultime épreuve peut

être fatale: un vêtement va nirdéchiré sur le sol. La bonne nou-velle? Avec toutes ces asymétries,on ne verra pas la différence.

h o r l o g e r i e

A l’heure des profondeurs.

s v px srp655K1, sk b é b

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(50 ê) q c c

bî h q ccè q j. ach b qé-x, Bby t échéé jq’à 200 è,

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q ’ v.  D. Ch.

Seiko Prospex SRP655K1.Boîtier en acier avec revêtement titane et céramique de 50 mm, étanche 200 m.Mouvement à remontage automatique avec heures,minutes, secondes, date. 629 €. www.seiko.fr

       S     e       i       k     o

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

http://slidepdf.com/reader/full/monde-5-en-1-du-samedi-26-mars-2016 86/142

LA CHAÎNE HI-FI.Ghettoblaster,Auna, 108 €.www.auna.fr

LE SWEAT-SHIRT.En coton etpolyester, SweetRosee, 93 €.www.yoox.com

LES GUÊTRES.En Lurex,Domyos, 7 €.www.decathlon.fr

LA CHAISE.Stoljan, en simili-cuir, Ikea, 35 €.www.ikea.com

    R   é   p   o   n  s  e  :   J  e   n   n  i   f  e   r    B  e   a  l  s    d   a   n  s     F  l   a   s    h    d   a    n   c    e

L’invité mystère.ACTEUR, CHANTEUSE, ROMANCIER, HÉROÏNE DE FICTION…

QUI SE CACHE DERRIÈRE CES QUATRE INDICES ?

PA R   FIONA KHALIFA

V U S U R L E N E T

Pigeons voyageurs.Installé dans un studio de la côte écossaise, le duo de designersPete et Kirsty Thomas, alias Tom Pigeon, collabore avec de prestigieuxmusées londoniens. Comme le Science Museum, pour lequel ils ontimaginé une collection exclusive de bijoux et papeterie, ou laTate Modern, qui a sélectionné certaines de leurs pièces à l’occasionde l’exposition Calder. Leur interprétation ranée et contemporainede la géométrie est déclinée dans des aches, bijoux et articles de

papeterie, désormais vendus sur leur site. Un mélange de rigueurmoderniste et de couleurs caractérise cette collection très abordable– bracelets (photo) à partir de 40 euros, carnet à 6 euros, lithographiesà partir de 40 euros… Assez personnel, le site est également l’occasionpour les deux designers de proposer une courte sélection d’objetsartisanaux et d’alimenter un blog sur leur univers et leurs voyages.Une façon de mieux appréhender leur processus créatif.  M.Go.

www.tompigeon.com

L I B R E M E N T I N S P I R É

 Jus d’Arrakis.

C’EST EN PENSANT À “L’ÉPICE” DU

CÉLÈBRE FILM DE SCIENCE-FICTION

“DUNE” QUE NICOLAS CHABOT A IMAGINÉ

SON NOUVEAU PARFUM, UNE SENTEUR

AUX ACCENTS FUTURISTES.

En 1984, David Lynch adapte Dune,

chef-d’œuvre de la littérature SF

écrit par Frank Herbert. Le film

propulse le spectateur en l’an 10191,

dans un univers convoitant « l’épice»,

une substance capable de décupler

les capacités psychiques et qui

n’existe que sur Arrakis, la planète

des sables. L’histoire a marqué

Nicolas Chabot, créateur de la

nouvelle ligne de fragrances synthé-

tiques Aether. « Après avoir relancé

la marque Le Galion, qui rend 

hommage aux matières naturelles, je

cherchais à faire radicalement autre

chose. Je voulais m’inspirer du

cosmos et de senteurs inconnues,

explique-t-il.  J’ai immédiatement  pensé au film Dune et à l’odeur que

 pourrait avoir la fameuse épice.»

Il confie alors ses envies de «sirocco

souant sur une dune de sable

métallique» aux nez Amélie

Bourgeois et Anne-Sophie Behaghel.

«Pour évoquer l’espace, elles ont tra-

vaillé avec la damascénone, à l’odeur 

de liqueur, l’oxyde de rose et la mus-

cone, qui rappelle un coton duveteux,

explique Nicolas Chabot. Les élé-

ments naturels comme l’immortelle

ou l’extrait de davana mettent en

valeur ces molécules de synthèse.»

Une démarche étonnante dans un

contexte où les marques se vantent

peu des ingrédients artificiels

contenus dans leurs formules.  L. B.-C .

Muskethanol,Aether,90 € les 50 ml,en avril chez L’Eclaireur. www.aetherparfums.com

    M

    L   e   m   a   g   a   z     i   n   e     d   u    M   o   n     d   e .    T   o   m

    P     i   g   e   o   n

 .    P   r   o     d    D    B     /    U   n     i   v   e   r   s   a     l .    A   e    t     h   e   r    P   a   r     f   u   m   s

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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26 mars 2016  — Photo Jonas Marguet pour M Le magazine du Monde. Stylisme Fiona Khalifa

v a r i a t i o n s

A mots couverts.Dans la veine du grand retour de l’écriture, la papeterie renaît

à travers des marques de niche, mais aussi des maisons

de luxe qui développent des lignes d’accessoires. La nouvelle

version du carnet? Toujours en cuir, mais rehaussé de couleurs

et de motifs. Les smartphones n’ont qu’à bien se tenir.  F. Kh.

De haut en bas et De gauche à Droite, carnet en cuir crème De La crème,

smythson × Vahram muratyan, 65 €. www.Lebonmarche.comcarnet De baL en c uir et toiLe écaiLLe, Fauré Le Page, 230 €. téL. : 01-49-27-99-36.

couVerture De carnet en cuir tauriLLon, motiF Voiture ancienne,moynat, 430 €. www.moynat.com

carnet Lucky en cuir VégétaL Peint à La main Par rita roque,Fine & canDy. 99 €. www.FineanDcanDy.com

69

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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r é é d i t i o n

A pleins tubes.

A cheval entre deux mondes, la desserte Steel Pipe opère la synthèse entre un usage

occidental et des lignes japonaises. Car si son éditeur est italien, son designer, lui, est

nippon. Shiro Kuramata (1934-1991) est devenu un créateur-phare des années 1970-1980

grâce à ses recherches sur l’esthétique des intérieurs occidentaux qui le conduisent à

dessiner des meubles poétiques et minimalistes. En 1968, il livre une desserte en bois

puis en Plexiglas pour le restaurant Supper Club Cazador de Tokyo. Dans la foulée,

il la revisite en métal noir et stratié blanc pour la maison d’un particulier… mais il ne

garde aucune trace de ses recherches. Pourtant, cet objet donnera ensuite naissance

aux courbes voluptueuses du Sofa with Arms (1980), un fauteuil pour lequel il utilisele même système de tubes en acier ( steel pipe en anglais). Giulio Cappellini, qui a

édité Kuramata de son vivant, poursuit son travail d’archéologue avec le lancement

de cette console qui n’avait jamais été produite en série. « Le trolley a été reconstruit 

à l’identique après un long travail avec le Studio Kuramata car les dessins origi-

 naux n’existent plus, raconte-t-il. Par chance, la desserte avait été photographiée

devant un mur carrelé, ce qui a permis de retrouver ses dimensions.»  M.Go.

Steel Pipe de Shiro Kuramata,Cappellini, 1400 €. www.cappellini.it

Le secteur du soin gagne encore en

complexité. Un nouveau geste vient

d’apparaître: l’ajout d’un «booster»

dans son soin habituel. Sa particula-

rité? Contrairement au sérum, qui

s’applique sous la crème, ce nouveau

soin doit se mélanger à un autre

produit. Dicile pourtant de les

diérencier car chaque marque leur

donne une dénition propre. «Chez 

Clarins, les sérums ciblent les fonc-

tions vitales de la peau – hydratation

ou fermeté, par exemple – tandis que

nos boosters s’utilisent comme des

shoots de vitamines, répondant aux 

déséquilibres de nos styles de vie :

excès, manque de sommeil, surcroît 

de travail… », explique Marie-Hélène

Lair, directrice de la communication

scientique de Clarins. Sephora vient

de lancer trois boosters, tout comme

Bernard Cassière qui propose des

«additifs» décuplant les propriétés

nourrissantes ou hydratantes de ses

crèmes; ou encore la marque natu-

relle Odacité, qui vend des sérums à

mélanger. « Ces produits sont inspirés

 par la tendance du Do It Yourself,

ajoute Marie-Hélène Lair.  Les femmes

 peuvent personnaliser la formule

selon leurs besoins. » Attention,

cependant, aux réactions – mieux

vaut mélanger des produits d’une

même marque.   L.B.-C.

Additif Perles Nutritives, Bernard Cassière,35,50 € les 30 ml. www.bcparis.com

Booster Repair,Clarins, 39 € les 15 ml,à partir du 28 mars. www.clarins.fr

Booster défatigant, Sephora,12,95 € les 20 ml. www.sephora.fr

à q u o i ç a s e r t   ?

Les boosters cosmétiques.

     M

     L    e    m    a    g    a    z     i    n    e     d    u     M    o    n     d    e .

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     C    a    p    p    e     l     l     i    n     i

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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f é t i c h e

L’ordes thés.Surfant sur l’engouement

autour du thé, de nombreuses

marques de parfums lui rendent

hommage dans leurs créations.

Intriguée par les qualités mécon-

nues de thés rares, la maison

Jo Malone a sélectionné les

six variétés les plus précieuses

du monde et les a conées

au parfumeur Serge Majoullier,qui les a métamorphosées en

six fragrances. « La diculté de

l’exercice a consisté à composer 

un parfum et non une odeur 

gurative, explique le nez. Pour 

chaque qualité – Oolong, thé

aux Aiguilles d’or du Yunnan,

Sencha Ariake de l’île de

Kyushu… –, j’ai choisi les aspects

olfactifs les plus délicats et y ai 

 greé des eurs, des agrumes

et même du cacao amer. »

Evoquant la cérémonie du thé

sencha au Japon, Jade Leaf Tea

diuse l’amertume du pample-mousse, le vert cru du lentisque

et la saveur du sésame. Une

formule altière réussie. L. B.-C.

Jade Leaf Tea, Jo MaLone,CoLLeCTion RaRe Teas,

300 € Les 175 ML, en venTe dès avRiL,www.JoMaLone.fR

26 mars 2016  — Photo Jonas Marguet pour M Le magazine du Monde. Stylisme Fiona Khalifa

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8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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l i g n e d e m i r e

Heure de pointe.l ’ a n n i v e r s a i r e d e s i r e l t o n j o h n v u p a r   jean-michel tixier

73

    I    l    l   u   s    t   r   a    t    i   o   n    J   e   a   n  -    M    i   c    h   e    l    T    i   x    i   e   r    /    T   a    l    k    i   e    W   a    l    k    i   e   p   o   u   r    M    L   e   m   a   g   a   z    i   n   e    d   u    M   o   n    d   e

26 mars 2016  — M Le magazine du Monde

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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pantalon cintré, bomber léger, trench froissé,foulard noué, l’esprit anglais souffle sur le printemps.

par   Marine ChauMien —   photos   Suffo MonCloa

So

british.

u n p e u d e t e n u e s

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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page de gauche,chemise en cotonet foulard ensoie,  margarethowell.

ci-contre, trenchen coton froissé,kenzo. veste decostume en laineet cravate ensoie,  ikks.pantalon encoton et laine,salvatore

ferragamo.

chemise enpopeline decoton,  alain

figaret. sandalesen cuir,  sandro.

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26 mars 2016  — M Le magazine du Monde

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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ci-contre,veste en coton,gant. chemiseen coton,marc o’polo.

page de droite,manteau encoton avec colcontrasté,givenchy par

riccardo tisci.

tee-shirt etpantalon encoton,   canali.

baskets encuir,   camper.

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M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

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page de gauche,chemise en soie,pantalon encoton,   sandro.

ci-contre,blousondéperlant,vilebrequin.

tee-shirt, chemise,et pantalonen coton,  zadig

& voltaire.

sandales en cuir,sandro.

mannequin :elijah @tomorrow isanother daymaquillage :sergio corvachocoiffure :sébastienle coroller@airport agencyassistantestyliste :

maeva danezandirectricede casting :shelley durkanproductionminititle

79

26 mars 2016  — M Le magazine du Monde

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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Salt Lake City.créée en 1847 par les mormons, la capitale

de l’Utah mUltiplie les sites historiqUes liésaUx pionniers fondateUrs. mais les montagnes

rocheUses, face à la ville, ont imposé Un artde vivre : randonnées en été, ski en hiver.

pa r   Pascale desclos

En 1966, Alice Buehner,« Mrs. America »,

devant le Capitole.

     K    e    y    s    t    o    n    e    v     i    a     G    e    t    t    y     I    m    a    g    e    s

80

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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halte rétro

au Peery hotel.

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26 mars 2016  — Photos Niki Chan Wylie/REA pour M Le magazine du Monde

     i     l     l    u    s    t    r    a    t         o    n     S    a    t    o    s     h          H    a    s     h         m    o    t    o    p    o    u    r     M     L

    e    m    a    g    a    z         n    e     d    u     M    o    n     d    e .

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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c e c i n ’ e s t p a s . . .

un nettoyantpour vitres.

Avec son logo rouge, sa couleur bleue, son acon vaporisateur surmonté d’un pistolet et

sa typographie, Fresh Couture reprend tous les codes du nettoyant pour vitres. Pourtant, il

s’agit du dernier parfum Moschino. Adeptes des détournements, la marque de prêt-à-porter

italien et son directeur artistique, Jeremy Scott, sont connus pour leur sens de l’humour.

Après s’être inspiré pour ses vêtements de l’univers de la poupée Barbie, du fast-food

McDonald’s et, plus récemment, des paquets de cigarettes, Moschino pulvérise les codes du

parfum de luxe en employant ceux des produits ménagers. Sur la peau, on ne retrouve aucun

lien olfactif avec les vapeurs alcooliques du spray pour les vitres, mais un bouquet oral

pétillant, aussi fruité qu’onctueux. Une manière de dénoncer la dérive actuelle du parfum

dit « de luxe », qui se confond parfois avec des senteurs d’adoucissants pour le linge?  L. B.-C.

Eau dE ToilETTE FrEsh CouTurE, MosChino, 72 € lEs 100 Ml ChEz ColETTE. www.ColETTE.Fr

82

M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

     M    o    s    c     h     i    n    o

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u n e a f f a i r e d e g o û t

En grandepompe.

auteure prolifique, féministe engagée,maguelonne toussaint-samat a signéune cinquantaine d’ouvrages, dontplusieurs recueils de cuisine. très

gourmande, elle avoue un faible pourla pompe à l’huile, brioche provençale

aux douces saveurs d’enfance.

pa r   Camille labro

monhistoireest imbriquée

surcelle de la provence.

Je suis née en 1926 à Paris,

mais j’ai passé toute mon

enfance dans le Sud, et mon

prénom est celui d’une héroïne

provençale médiévale. J’écris

depuis toujours. A 11 ans, je

publiais déjà des nouvelles

dans  La Semaine de Suzette.

J’ai toujours été gourmande et

on a toujours très bien mangé

chez nous. Mes grands-

parents, riches Marseillais,

avaient une cuisinière formi-

dable. Nous habitions à

l’époque dans un château à

Martigues, sur l’étang de Berre.

Toute mon enfance, j’ai mangé

des plats provençaux : daubes,

ratatouille, petits farcis,

bouillabaisses ou bourrides,

pissaladières, soupe au

pistou… Mais aussi toutes

sortes de spécialités sucrées.

J’avoue que j’aime particulière-

ment les desserts. La pompe

à l’huile, c’est l’un des plats

emblématiques de ma jeu-

nesse. C’est aussi le gâteau

de la tradition provençale des

« treize desserts », représen-

tant les douze apôtres et

le Messie : dattes, amandes,

noix, gues sèches, raisins frais

et secs, nougat noir et nougat

blanc, fruits tapés (abricots,pêches, pommes ou poires),

agrumes frais, calissons, fruits

conts, papillotes et, surtout,

cette grosse et dense brioche.

La eur de farine s’y mêle à la

eur d’oranger, au sucre cas-

sonade et à l’huile – d’olive,

bien sûr. On l’appelle « gibas-

sié » à Aix, « fougasso » à

Manosque, « poumpo » à Mar-

seille, « pogne » en Haute-Pro-

vence – les formes varientavec les noms. Nous l’ache-

tions souvent chez le boulan-

ger, et quand nous la faisions à

la maison, c’était toujours en

trois exemplaires. Ne me

demandez pas pourquoi…

c’est une pâtisserie ancienne et

sacrée,  symbole d’orande

pour les dieux depuis l’Anti-

quité. Les « poumpetto »,

pompettes marseillaises, sont

plus petits et d’invention

plus récente, et le beurre y

remplace l’huile. Je préfère moi

aussi faire ma pompe aubeurre (cela la rend plus moel-

leuse), mais j’ajoute un peu

d’huile d’olive, pour le goût. On

y met une fève et elle devient

gâteau des rois. Dans mon

enfance, nous mangions la

pompe n’importe quand, en

dessert, au goûter, au petit

déjeuner.

Avec la guerre, tous ces plai-

sirs ont cessé – et mon

enfance avec. Notre château a

été réquisitionné puis détruit,

nous avons dû partir à Aix,

nous étions privés de tout,

nous avons souert de la faim

et de la nostalgie des bonnes

choses d’autrefois. A partir de

là, j’ai été obnubilée par la

nourriture. Je me suis mariée à

18 ans, le surlendemain du

bac. Et je me suis mise à écrire

des recettes pour   Les Veillées

des chaumières. Mon père

est mort en 1944, le jour de la

Libération. J’ai terminé son

manuscrit, un roman policier

qui s’appelle   Le Mort et sa flle.

J’ai, par la suite, écrit beau-

coup d’ouvrages, historiques

ou autres, mais la cuisine

est toujours restée au cœur

de mes intérêts et de mes

recherches. C’est quelque

chose de très féminin, doux et

généreux, la cuisine. A presque

90 ans, j’ai mangé et confec-tionné beaucoup de pompes

au cours de ma vie, pour Noël,

mais aussi à mille autres

moments, pour mes enfants et

mes petits-enfants. Ce dessert

incarne toute la dou-

ceur de mon enfance.

 Le Sexe des gâteaux,Editions de l’Epure

l a r e c e t t e

l a p o m p e

d e m a g u e l o n n e

IngrédIents(pou 8 à 12 po)

1 a à caf ’au u’oa, 25 lvu

boula, 1 k fai,1 z ’oa fai,m âp, 300 uc ou caoa,5 œuf i, 1 jau

’œuf, 200 bupomma, 1 c. à . ’huil

’oliv, 50 aii c(mp a l’au), 150

fui co, 1 oaco, 100 uc bi.

i

dlay la lvu boula- a la a ’au

u ’oa, pui l’ico-po à 250 fai.

Fai lv a u alaicouv ’u ocho,

a l’oi l plu iè la maio.

ii

dux hu plu a,ipo l la fai

(750 ) foai u laabl. e o miliu, m

l uc , 3 œuf bau l z ’oa è .

Pi icopo po-ivm l 2 au œufi, pui la pâ lv.

Coiu à pi juqu’à cqu la pâ fm ach

oi. Il impoa l fai à la mai, cala chalu la paum ao ôl à jou a la

la pâ. Ajoupu à pu l bu, pui

l’huil, a c pi, l fui co

l aii c o.iii

Qua ou la maièa icopo a

la pâ, i cll-ci poufom u boyau l

fm couo. Pola pâ aii fom uu plaqu cuio

couv ’u papi huil.Lai lv co 1h30.

iv

Baio la pomp avcl jau ’œuf, ac

pi iciio ou auou la pâ fou à

180°C pa 30 à 40 mi.Loqu l âau paiqum cui, l

aupou uc bi, ipo ci oa co u

l u, l foçau pu. rfou 5 mi,

oi, plac la biochu u ill u

iè ou foi.

Photos Julie Balagué pour M Le magazine du Monde

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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p a s s a g e à l ’ a c t e

L’Amarante, 4, rue Biscornet,

Paris 12e. Tél.: 09-50-80-93-80.

Fermé mercredi et jeudi.

Décibels

78 dB clapotis du midi.

Mercure21 °C, lorsque la salle est pleine.

Addition

Il s’agit là de beaux produits

et de vraie belle cuisine,

donc comptez 50 € à la carte.

Minimum syndical

Formule au déjeuner dans le cadre

du menu du travailleur à 22 €;

19 € avec deux plats.

Verdict

Ah oui!

à e m p o r t e r

Si cela était possible,

la recette de la mousse

au chocolat de Sao Tomé-

et-Príncipe, assez culottée

dans son rentre-dedans.

d o m m a g e

Le cadre et l’éclairage.

Vraiment, Christophe,

un petit eort! Quoique…

p l a c e d e c h o i x

Sans doute dans l’entrée

à gauche vers la vitrine.

Sinon, on s’enferme

au fond avec une bonne

bouteille de vin.

d e s s o u s d e t a b l e

Succulente Amarante.p ar   françois simon

guère sexy dans sa présentation (anquée d’allumettes de pois

chiches), se révèle grandiose dans son épure, son jus, sa déni-

tion. Il faudra donc venir ici le cœur en habit et débarrassé de

l’air du temps. La cuisine de Christophe Philippe ne donne pas

seulement dans le poisson, elle est surtout réputée pour être

fortiche dans les plats dodus (limite grassouillets): canard de

Challans, gigot d’agnelle du Limousin « cuit très longtemps »,

cochon des Aldudes (échine poêlée, mousseline de céleri-rave),

bœuf gras « d’exception ». La clientèle est au diapason et ne

semble pas s’y être fourvoyée, ce qui garantit la belle énergie de

cette adresse, délicatement activée par un maître d’hôtel horspair, subtil et facétieux, Mouloud Haddaden. Bien joué.

Christophe philippe tenait un bistrot délicieux sur

la Montagne sainte-geneviève, dans le 5e arrondis-

sement de Paris. Délicieux, mais sinistre d’accueil.

Il fallait presque remonter le moral du serveur.

En déménageant, le chef n’a pas oublié sa formi-

dable cuisine, mais il a cependant tenu à garder, par coquetterie,

une petite touche tristounette avec un non-décor accablant.

La vitrine est austère et revendique en toutes lettres une cuisine

« de France ». Certes. Il est fort possible de passer à côté de

cette cuisine, qui ne procède pas de l’eet, ça non! Ses plats

 jouent l e minimali sme, du st yle « qui m’aime me suive ». Ne vousattendez donc pas à des assiettes en ronds de jambe et cour-

bettes poudrées. Non, c’est du brut. Mais, en même temps,

d’une incroyable nesse. Voici donc la sole de petit bateau. Elle

est étêtée, ébarbée, équeutée puis rôtie. La cuisson est d’une

incroyable précision et cette assiette, qui ne nous apparaissait

La cuisine fine de

Christophe Philippe estservie sans tralala, comme

la pintade de Dordogneet petits pois ou la sole

petit bateau et panisses.

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     I     l     l    u    s    t    r    a    t     i    o    n     S    a    t    o    s     h     i     H    a    s     h     i    m    o    t    o    p    o    u    r     M

     L    e    m    a    g    a    z     i    n    e     d    u     M    o    n     d    e .

     L     ’     A    m    a    r    a    n    t    e .

     F    r    a    n    ç    o     i    s     S     i    m    o    n .

     G    e    t    t    y     I    m    a    g    e

    s

M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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 Pages réalisées par Vicky Chahine et Fiona Khalifa (stylisme). Et aussi Lili Barbery-Coulon, Jérôme Badie, Carine Bizet, Marine Chaumien, David Chokron,

 Pascale Desclos, Laure Gasparotto, Marie Godfrain, Camille Labro, Jean-Michel Normand, François Simon et Jean-Michel Tixier.

u n i o n l i b r e

Un bon rapport avec la choucroute.

Domaine TrapeT alsace

cuvée BeBlenheim riesling 2011

Sec, franc et minéral, ce

riesling possède une simplicité

élégante: ses saveurs

orales adoucissent le gras

du plat, et son aspect

de terroir désaltérant permet

de bien digérer la spécialité

alsacienne.  L. G.

12 €. Tél. : 03-80-34-30-40.

Bière D’hiver arTisanale

la gorge Fraîche

Bien ambrée, parce que forte

en houblon et hautement

fermentée, cette mousse est

aromatisée avec de la cannelle

et des écorces d’orange. Des

notes parfaites, aux saveurs

légèrement amères, pour

accompagner la force du chou.

7,20 €. Tél. : 04-67-31-57-59.

d e u x i è m e r i d e a u

Adieu

veau, vache,cochon…lq’ t d tt d tt d qtd rbq, ’ d’t d d tt d t. p d’t q, d ttt b, d tf, b,q, t à tt-. D t, ’d, t t t t à -t, t d x d b x ft

tt : y q, t x b t t, t dt, dkk, td j… c’t f tt dx, b q’ ft d t, bttt -d d’ b,d’ tf yx. m , d , bd d -dbt d t d h.  Fr. S.

Soya, 20, rue de la Pierre-Levée,Paris 11e.Tél. : 01-48-06-33-02. Fermé le lundi.

Formules à partir de 15 €.

Illustrations Gilles & Cecilie et Broll & Pascida/Agence Karine Garnier pour M Le magazine du Monde

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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26 mars 2016  — M Le magazine du Monde

•••

m u s i q u e

Keren Ann,

chanteusede l’intime.SeS texteS évoquent avec émotion leS épiSodeS

doux-amerS de la vie. aprèS cinq anS SanS album etune maternité, l’auteure-compoSitrice-interprèteSort “You’re gonna get love”. elle Y célèbre SeSretrouvailleS avec leS motS d’une voix affirmée.

par  Stéphane Davet  —   photos   Rebekka DeubneR

DeS brownStoneS

de brooklYn

aux ruelles de

Montmartre,

Keren Ann

a su préserver l’élégance d’une

bohème, conciliant humeur

artistique et responsabilité

parentale. Mère d’une petite

lle depuis juillet 2012, la

plus française des chanteusesisraélo-néerlandaises a

d’abord promené sa poussette

dans les allées arborées de

Prospect Park, à Brooklyn. Elle

accompagne désormais sa

llette à une école maternelle

proche des vignes qui voisi-

nent avec le Sacré-Cœur. Tout

en réactivant une production

discographique longtemps

mise en sommeil. Car si son

septième album, You’re Gonna

Get Love (sorti le 25 mars),

conrme la constance qualita-

tive et stylistique de cette

brune esthète de l’intime,

cinq ans séparent ce disque de

son précédent opus, 101. Une

paye pour celle qui, depuis

La Biographie de Luka Philipsen(2000), a livré avec régularité

des albums qu’elle considère

comme autant d’épisodes

d’une autobiographie.

De New York, où elle a vécu

avec son époux américain

– après Tel-Aviv, le temps

d’un premier mariage –, au

déménagement parisien de

Keren Ann,le 3 mars, à Paris.

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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Photos Rebekka Deubner pour M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

“Je suis incapable d’écrire surce que je suis en train de vivre.

 Je dois avoir assimilé une expé-rience pour pouvoir en parler.”

la famille, début 2014,

l’auteure-compositrice-

interprète, née Keren Ann

Zeidel, à Césarée (Israël),

en 1974, n’a jamais cessé ses

activités artistiques. Mais la

tête n’était plus au songwri-

ting.  «Grossesse et maternité

ne m’ont pas empêché de

donner des concerts ou de

composer pour le cinéma, la

danse, le théâtre…», explique

Keren Ann qui, en 2013, a par-

ticipé à la bande-son du lm

Yossi,  réalisé par Eytan Fox.

« Je pouvais me consacrer sans

 problème à un instrumental 

de vingt minutes, mais je blo-

quais complètement quand il 

s’agissait d’écrire une chanson.

 A croire que textes et musique

ne proviennent pas du même

endroit dans le cerveau ! »

Les exemples de certaines de

ses héroïnes – Kate Bush,

Ricky Lee Jones… – ayant

longtemps interrompu leur

carrière pour cause de mater-

nité commençaient même à

l’angoisser. Car, non contente

de placer l’artisanat du

couplet-refrain au sommet de

l’expression artistique – «pour 

moi, Joni Mitchell est aussi 

essentielle que la poétesse

Sylvia Plath» –, Keren Ann y

voit également un besoin vital.

«Ecrire des chansons a une

fonction semblable à celle d’un

 journal intime », analyse la

musicienne, forgée à l’écoute

du folk littéraire de Bob Dylan,

Leonard Cohen ou Françoise

Hardy. « Cela me débarrasse de

quelque chose, assure-t-elle.

Le songwriting me correspond 

tellement que, sans lui, je

manquais de l’essentiel. »

Ses retrouvailles avec les mots

passaient par une discipline

inédite.  « Avant d’avoir un

enfant, ma vie d’artiste était 

 grande ouverte à l’inspiration.

 Je pouvais travailler deux 

heures ou vingt heures de suite,

quand et comme je le voulais»,

remarque celle qui, depuisses débuts, revendique son

goût du nomadisme.

«Aujourd’hui, j’enle mon

costume de musicienne le

matin comme on met un bleu

de chaue, avec des horaires

xes comme pour aller au

bureau.»  Cette contrainte lui

permet, selon elle, d’être plus

ecace, d’aller «droit au but».

Uneméthode appliqUéed’abord

à brooklyn, où la chanteuse et

guitariste (naturalisée fran-

çaise en 2012) s’était trouvé

une pièce vouée à la pratiquemusicale et poétique; puis

à Paris, où elle a loué un petit

espace au sein des studios

Ferber, vastes et mythiques

lieux d’enregistrement créés

en 1973 dans le 20e arrondisse-

ment. C’est ici, près de la porte

de Bagnolet, qu’elle a avancé,

avec une studieuse régularité,

dans l’écriture des chansons

qui composent You’re Gonna

Get Love. C’est aussi là qu’elle

a croisé l’un des piliers de l’en-

droit, le réalisateur artistique

Renaud Letang, occupant à

demeure du grand studio B où

il s’est taillé une réputation de

producteur rané et sensible

à l’instrumentation live. Parmi

les multiples références de ce

quadra, des succès avec

Manu Chao, Feist, Alain

Souchon, Gonzales, Katerine,

Micky Green, ainsi qu’avec

plusieurs artistes ayant chanté

des compositions de Keren

Ann (Luz Casal, Jane Birkin,

Françoise Hardy…).

« Control freak » de son propre

son, elle n’avait jamais délégué

la réalisation artistique de ses

disques depuis son premier

opus, coproduit par Benjamin

Biolay. « Cette fois, j’avais envie

de rythmiques organiques

et directes, à la façon de

vieux disques de soul», se

souvient-elle. Seule, elle tourne

d’abord en rond, avant de

demander un coup de main à

Renaud Letang. « Il s’est tout 

de suite passé quelque chose

et nous avons décidé de faire

l’album ensemble. »

Tout en basse ronde et

habitée, batterie subtilementrêche, guitares oscillant entre

rudesse et uidité, clavier

hanté et classieux nuages de

cordes,  You’re Gonna Get Love

s’ancre dans le folk crépuscu-

laire et dans des blues

ténébreux pouvant côtoyer

sex-appeal  (My Man is Wanted 

but I Ain’t Gonna Turn Him in)

et humour noir (Easy Money).

Fidèles à une mélancolie à la

fois pudique et confession-

nelle, ses textes évoquent avec

émotion, mais sans pathos, la

disparition d’un père  (Where

Did You Go), l’usure du temps

et des relations amoureuses

(The Separated Twin, You Knew 

Me Then). Dans Bring Back  (lié

au souvenir d’un de ses séjours

récents en Israël), elle s’identi-

e à une mère guettant ses

ls sur la ligne de front.

A l’en croire, sa maternité ne luiaurait pas directement inspiré

de chansons. «De manière

 générale, je suis incapable

d’écrire sur ce que je suis en

train de vivre,  analyse-t-elle.

 Je dois avoir assimilé une expé-

rience pour pouvoir en parler. »

Celle qui fut pourtant long-

temps la reine de l’évanes-

cence et des langueurs chante

cette fois avec une assurance

inédite, un timbre moins

éthéré, comme renforcé par

la confrontation à une autre

réalité que celle de l’imagina-tion artistique.

You’re Gonna Get Love,

Keren Ann, 1 CD PolyDor/UniversAl.en ConCert le 17 jUillet,

AUx FrAnCoFolies De lA roChelle,et le 15 oCtobre, à l’olymPiA,28, bD Des CAPUCines, PAris 9 .

De 44 à 55 €. tél. : 08-92-68-33-68.

•••

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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Pour son nouvel album,Keren Ann a souhaité retrouver les

« rythmiques organiques et directes,à la façon des vieux disques de soul ».

89

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

Que représente pour vous le

théâtre de Marguerite duras?

C’est la première fois que je

m’y aventure. Jusqu’à présent,

 j’avais une image très cl assique

de son théâtre. Au cinéma, le

côté éthéré et inaccessible de

ses héroïnes m’impressionnait.

Lorsqu’on m’a proposé le rôle

d’Anne-Marie Roche, l’héroïne

de  La Musica, j’avais en tête

les immenses actrices que

sont Delphine Seyrig et

Jeanne Moreau… Je me disais

qu’incarner une gure duras-

sienne ne me correspondait

pas. Mais dès que nous avons

abordé le travail sur le texte

avec le metteur en scène

Anatoli Vassiliev, je me suis

aperçu que Marguerite Duras

parle à toutes les femmes.

“la Musica, la Musica deuxièMe”

raconte, en deux épisodes,

l’histoire d’un couple divorcé…

Se séparer de son conjoint est

le lot commun de nombreux

couples aujourd’hui. Ici,

l’histoire commence le jour

même où s’achève leur vie à

deux. La pièce de Marguerite

Duras révèle la douleur de

quitter l’autre. Alors qu’ils

vivent la n de leur amour,

la tentation est grande, pour

elle comme pour lui, d’en faire

un début pour inventer une

nouvelle manière de s’aimer.

“la Musica” date de 1965.

“la Musica deuxièMe” lui donne

une suite. coMMent articuler

ces deux époQues?

Une séparation ne se joue

 jamais en une seule fois. Alors

qu’il s’agit quasiment du même

texte, le comédien Thierry

Hancisse et moi abordons les

deux pièces de manière très

diérente. Pour la «première»

Musica, nous restons proches

d’un théâtre réaliste, qui

s’appuie sur les ressorts de la

psychologie. Notre jeu est bienplus ludique dans  La Musica

deuxième. Comme si nos

personnages se pensaient

assez forts pour s’amuser à

rejouer la scène originelle.

Quand ils s’aperçoivent qu’ils

sont débordés par l’émotion

d’être ensemble, ils sont à

nouveau assaillis par le doute

de s’aimer encore. Et, enn, ils

pourront envisager une façon

de vivre l’un sans l’autre dans

un addenda que Marguerite

Duras a ajouté à la dernière

partie de la pièce.

cette pièce MarQue vos retrou-

vailles avec anatoli vassiliev, Qui

vous a dirigée dans “aMphitryon”,

de Molière, en 2002.

Pour Thierry Hancisse comme

pour moi, c’est un immense

plaisir de retravailler avec Ana-

toli Vassiliev. Il est ce que l’on

appelle un maître du théâtre.

Près de quinze ans ont passé

depuis Amphitryon, mais le

temps semble n’avoir pas de

prise sur Anatoli. Il me donnel’impression d’être encore plus

exigeant qu’il ne l’était dans

mon souvenir. Il nous mène un

train d’enfer. S’il nous est

arrivé de travailler huit heures

sans prendre de pause, lui ne

s’arrête jamais, mais se

contente de boire du thé et de

manger du chocolat noir (rires).

t h é â t re

“Marguerite Duras parle

à toutes les femmes.”la coMédienne Florence viala suit les traces de delphine seyrig et

jeanne Moreau dans “la Musica, la Musica deuxièMe”, deux pièces écritesà vingt ans d’intervalle par l’auteure de “l’aMant”. une variationsur le thèMe de la séparation Mise en scène par anatoli vassiliev.

p r o p o s r e c u e i l l i s p a r  Patrick Sourd

coMMent les répétitions

se sont-elles déroulées?

L’équipe formait un cercle

autour de nous. Thierry

Hancisse et moi avons alterné

des lectures et des improvi-

sations, liées aux situationsde la pièce, où nous n’avions

pas le droit d’utiliser les mots

du texte. Anatoli Vassiliev

nous avait même interdit de

l’apprendre. Il fait tout pour

nous permettre de lâcher prise

et nous arracher à nos habi-

tudes d’acteur. Son but est de

mettre en jeu ce qu’on recèle

au plus profond de nous.

Quel est votre sentiMent

à l’approche de la preMière?

Je fais entièrement conance

au travail d’Anatoli, l’expé-rience qu’il nous ore est

extraordinaire… Mais elle est

liée à une prise de risques

maximale. Certains jours, j’ai le

sentiment qu’il me demande

de me jeter dans la piscine en

me disant :  « Tu sais nager, tout 

va bien se passer. »  Le soir de la

première, je vais donc me jeter

à l’eau, j’espère juste ne pas

couler au fond  (rires).

La Musica, La Musica DeuxièMe (1965-1985), de Marguerite duras,Mise en scène anatoli VassilieV.

aVec thierry hancisse, Florence Vialaet agnès adaM. théâtre du

Vieux-coloMbier, 21, rue du Vieux-coloMbier, Paris 6. Jusqu’au 30 aVril.

tél. : 01-44-58-15-15.www.coMedie-Francaise.Fr

« La pièce révèlela douleur de

quitter l’autre »,explique

Florence Viala.(Ici, en répétition

avec ThierryHancisse).

    l   a   u   r   e   n        i   n   e    l   o    t     /      o             e       t     i   o   n    c   o   m     é     d     i   e   -    F   r   a

   n   ç   a     i   s   e

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h i p - h o p

La crèmede la crème.

pa r   Rosita Boisseau

S’intituler Golden Stage

(« scène en or ») exige d’avoir

pas mal de munitions et du

répondant en toutes circons-

tances. Sous ce nom, dans le

cadre de 100 %, le nouveau

festival de La Villette, à Paris,

se cache le rendez-vous le plus

hype de la planète hip-hop du

moment. Autrement dit, le

gratin des danseurs et des per-

formeurs, les formes les plus

oensives et les plus nova-

trices du genre, réunis l’espace

d’une soirée spéciale belle

comme une pièce montée. Au

programme, cinq groupes de

choc qui réinventent chacun

son style en se confrontant à

d’autres interprètes. Dixit Meets

Bandidas,  par exemple, met en

scène l’arontement de cinq

experts masculins en popping

(la danse qui fait exploser les

muscles comme du pop-corn)

et cinq performeuses roboti-

sées, les bien nommées Bandi-

das. En vedette,  Freemindz 

rassemble huit danseurs de

b-boying (break acrobatique

au sol) sous la houlette de

Yaman Okur. Et, comme le

voguing appartient désormais

au hip-hop, voilà la fameuse

House of Ninja et ses perfor-

meurs français, sous la hou-lette de la somptueuse reine

du mouvement parisien

Lasseindra Ninja, dans le

spectacle  Coming Out .

Petits formats, intensité maxi,

ambiance en rapport.

Chaud bouillant, Golden à tous

les niveaux.

Golden StaGe, FeStival 100 %.Grande Halle de la villette,211, av. Jean-JaurèS, PariS 19.

du 31 marS au 2 avril. de 18 à 26 €.lavillette.com

A découvrirlors du Golden

Stage deLa Villette,le hip-hop

conceptuel deTentacle Tribe

(à gauche)et le spectacle

de b-boying,Freemindz 

(à droite).

     d     r .

     G    u     i     l     l    a    u    m    e     c    a    s    t    a    n

91

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M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

a r t

Hommage

à l’âgede pierre.

par  Roxana azimi

Il serait tentant d’aborder

l’œuvre de Dove Allouche à

travers le prisme de la virtuo-

sité technique, tant l’artiste

français a réactivé des procé-

dés de reproduction photogra-

phique ou mécanique du

xixe siècle. Ce serait une erreur.

Pas de nostalgie vintage ni de

fétichisme rétro chez cet

ancien physicien, qui expose

actuellement à la Fondation

d’entreprise Ricard, à Paris.

Chez Dove Allouche, le sujet

prime sur la méthode. Et il

en est un qui le taraude

depuis deux ans: l’art pariétal.

Ou, plus exactement, les

recherches menées par

l’abbé Breuil et Emile

Cartailhac an de réhabiliter

un art préhistorique qui, lors

de sa découverte au  xixe siècle,

avait suscité un profond

scepticisme. Etait-ce vraimentpossible qu’en ces temps

reculés on ait produit des

œuvres d’une telle fraîcheur?

La réponse ne fait aujourd’hui

plus aucun doute.

Dove Allouche prolonge la

réexion de ses aînés, en

prenant comme point de

départ un morceau de calcite

issu de la grotte Chauvet. Avec

le temps, l’artiste a appris à

déchirer cette pierre, dont la

ne résille de lignes évoque

les cernes des troncs d’arbre.

«Une pierre, explique-t-il, c’est 

un enregistreur qui raconte

l’histoire des climats et des

hommes.»  Une histoire qu’il

tente de traduire en images,

en transformant les échan-

tillons de calcite en négatifs

photographiques.

Comme toujours, Dove

Allouche se plaît à fourrager

dans le passé, à déterrer le

refoulé. Il avait déjà exploré

l’envers de la ville et son

réseau d’égouts, ou les revers

de la première guerre mon-

diale. Il fore cette fois dans des

temps géologiques enfouis.

«Je m’empare de vérités

historiques passées parce que,

 profondément, je ne pense pas

que l’art soit le lieu où l’on

expose des vérités nouvelles,

indique-t-il.  Je ne crois pas à la

question du dépassement, à la

 production de formes inédites.»

Lorsqu’il se réapproprie l’atlasde photographie solaire de

Jules Janssen, il ne prétend

guère rivaliser avec le fonda-

teur de l’Observatoire d’astro-

nomie de Paris.  «Vous

m’imaginez moi, Dove Allouche,

sorti de Sarcelles, prétendre

faire mieux que des photos de

 granulation solaire qui ont été

inégalées?», sourit-il. Ses

liations, le jeune homme les

puise tant dans l’art que dans

la science, chez l’artiste méta-

physique Barnett Newman ou

auprès du docteur Hippolyte

Baraduc qui, à la n du

xixe siècle, s’était mis en tête de

photographier l’âme humaine.

Dans cette droite lignée, il se

passionne pour l’invisible, l’ap-

parition des images et leur éva-

nescence. Aussi ses dessins et

photographies semblent-ils tou-

 jours fugaces, voilés, traversés

par le doute, à l’image du per-

sonnage.

Ni son exposition, en 2013 au

Centre Pompidou, ni la rampe

de lancement américaine que

lui ore son galeriste new-

yorkais Peter Freeman n’ont

entamé sa modestie. Aux

mondanités et à l’hystérie du

marché, Dove Allouche préfère

toujours l’apnée en atelier.

« La position de l’artiste, c’est 

ça : un lent travail de recherche,

de la patience et de l’obstina-

tion, résume-t-il.  Etre artiste,

c’est se poser à chaque fois la

question de la nécessité de

l’œuvre. Pourquoi saturer un

monde qui l’est déjà?»

«Dove Allouche, MeA culpAD’un sceptique»,

FonDAtion D’entreprise ricArD,

12, rue Boissy-D’AnglAs, pAris 8 .tél. : 01-53-30-88-00. Jusqu’Au 7 MAi.

www. FonDAtion-entreprise-ricArD.coM

Mea Culpa d’un sceptiqu e  ou l’art

pariétal selon DoveAllouche : ci-dessus,

L’Enfance de l’art,ensemble de 7 dessins

(2015); à droite,série  Sunflower .

    c   o   u       t   e   s   y     d   e     l    ’   a       t        s    t   e   e    t     d   e     l   a   g   a     l   e           e    p   e    t   e       F      e   e   m   a   n    i   n    .    A   u        é     l        e   n    M   o     l   e     /    F   o   n     d   a    t        o   n     d    ’   e   n    t      e              s   e    r           a        d

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iggy pop

Nouvel album évènement “Post Pop Depression’’

 Avec Joshua Homme (Queens Of The Stone Age),

Dean Fertita (Queens Of The Stone Age, The Dead Weather)& Matt Helders (Arctic Monkeys)

Vinyle spécial FNAC édition deluxe avec livret exclusif

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p o l a r

Magie noireà Lagos.

par   Yann Plougastel

Drôle d’endroit pour une ren-

contre. Surtout à Lagos, la nuit.

Où tous les chats sont loin

d’être gris. C’est ce que se dit

le journaliste britannique Guy

Collins – chargé, un peu par

hasard, de couvrir la prochaine

élection présidentielle au

Nigeria – lorsqu’il découvre en

face du Ronnie’s, une boîte

remplie d’accortes donzelles,

le corps d’une jeune femme

dont on a coupé les seins. Un

meurtre rituel, bien sûr. En tout

cas, une nouvelle manifesta-tion de magie noire et de

sorcellerie juju, pratiquée à

haute dose par les hommes

puissants du cru pour asseoir

leur pouvoir… On le lui avait

pourtant dit: «A Lagos, tu ne

te promènes jamais seul.» Un

Blanc, de surcroît journaliste,

qui se trouve confronté à cette

réalité, que les hautes sphères

et la police veulent occulter à

tout prix, a toutes les chances

de passer un mauvais quart

d’heure. C’est ce qui va lui

arriver. N’en disons pas plus…

Sachez seulement qu’une

créature comme seule l’Afrique

est capable d’en enfanter,

nommée Amaka, va le tirer des

pattes des notables pervers

et des hommes de main à leur

service. Ah, Amaka, qui a

monté une organisation de

protection des lles de joie,

mérite à elle seule la lecture

de ce roman frénétique, où l’on

passe des lupanars vibrants

de high-life aux embou-

teillages bruyants des mauvais

quartiers! Lagos est une ville

tentaculaire, aolante, dingue,

charmeuse, destructrice, où

tout va trop vite. Leye Adenle

y est né en 1975. Là-bas, il

est considéré comme la

réincarnation d’un roi vaudou.

Aujourd’hui, il vit à Londres.

C’est son premier roman.

Charnel, violent, bourré de

swing et d’humour, qui vousdonne une furieuse envie de

découvrir la ville de Fela. Bonté

divine, on n’a pas ni d’enten-

dre parler de ce type…

Lagos Lady,  de Leye AdenLe.trAduit de L’AngLAis (nigeriA)

pAr dAvid FAuquemberg,métAiLié noir éd. 336 p. 20 €.

93

     m      é     t    a     i     l     i      é

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M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

b d

Cessation d’activité.pa r   Frédéric Potet

C’est l’histoire d’une menuiseriedans le n fond de l’Ardèche

qui va bientôt devoir fermer,

faute de repreneur. L’histoire,

somme toute banale, d’une

PME dont l’activité s’arrêtera

d’elle-même avec la retraite

annoncée de son patron. Cette

histoire, c’est celle d’Arnaud

Froment, un ingénieur des

Arts et Métiers ayant décidé à

l’âge de 18 ans, à la mort de

son père, de diriger l’entreprise

familiale an de  « vivre et 

travailler au pays ».

Mais cette histoire est aussi

celle de son ls, Aurel, dessina-teur de presse bien connu des

lecteurs des pages politique

et société du Monde. Quatre

générations se sont succédé

à la tête de la menuiserie.

La transmission s’arrêtera là.

« Je suis le fls qui ne reprendra

 pas », écrit Aurel en préambule

de ce long reportage dessiné,

qui se déroule au milieu de

l’atelier et sur les chantiers,

ainsi que dans la cuisine de

la grand-mère de l’auteur

pendant les rituels repas du

midi, là où les langues se

délient. Longtemps évoqué, unprojet de SCOP (Société coo-

pérative et participative) ne

verra nalement pas le jour, les

salariés étant soit insusam-

ment motivés soit trop âgés

pour assurer la succession. Il

faut dire aussi que le métier

n’est plus le même, à l’heure du

tout-PVC et de la mondialisa-

tion, avec ces normes chaque

année plus contraignantes

et cette standardisation dans

les exigences qui donne

aux ouvriers l’impression d’être

dépossédés de leur savoir-

faire. Aurel a réussi à mêlerharmonieusement rigueur

 journalistique et empathie de

circonstance dans ce tableau

de la France qui travaille. Et qui

s’inquiète des lendemains.

La menuiserie - chronique 

d’une fermeture annoncée , d’Aurel,

Futuropolis, 136 p., 19,90 €.

94

      F     u      t     u     r     o     p     o       l       i     s

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sexuelle, expédié dans un autre espace-temps,

plus jamais à sa place dans les Carpates tant

son comportement, ses désirs, ses pulsions,

sa liberté, en porte-à-faux avec les lms où il

apparaît, le rapprochent davantage de la rock

star que d’une créature erayée par la lumière

et les crucix. Du coup, les villages transylvains

de  Dracula et les Femmes, avec leurs paysans

prêts au lynchage, deviennent anachroniques

tout comme les archevêques, les grottes, les

auberges. Le cadre victorien d’Une messe

 pour Dracula,  l’est tout autant, lorsqu’un père

de famille, sévère avec sa lle, pénètre l’en-

ceinte d’une maison close pour participer à

une cérémonie macabre et ressusciter le

célèbre comte. Christopher Lee se perd enhurlements hystériques, gesticule sans mesure,

use de sa cape noire à la manière d’un dandy,

et terrie son entourage par des moyens

grossiers qui, s’ils font rire aujourd’hui, ne

pouvaient déjà espérer faire peur en 1968.

Les spectateurs se ruaient pourtant en masse

pour retrouver Le comte vampire.  Les raisons

sont simples. D’abord, l’érotomanie de Christo-

pher Lee qui devient un homme qui aime les

femmes et leur court après. Et surtout les

femmes en question, emblématiques des

canons esthétiques dénis par la Hammer, la

maison de production britannique qui nançait

les lms fantastiques de l’époque: blondes aux

formes aolantes, pulpeuses et faussement

ingénues. Elles ne sont pas des victimes, mais

des tentatrices. Christopher Lee n’incarne

plus un prédateur, mais une victime de l’amour;

son vampirisme est une manie, un tic, pas

une malédiction. Il est un homme incapable

de maîtriser ses pulsions, qui a perdu la tête

à force de naviguer de harem en harem.

Dracula et les femmes , de freddie francis et Une messe 

pour Dracula, de peter sasdy en BlU-ray chez Warner.

des différentes incarnations de dracuLa par

christopher Lee, la première, en 1957, est la plus

marquante: Le Cauchemar de Dracula,  de

Terence Fisher, adapté du roman de Bram

Stoker. Les autres, mineures, oubliables, dispen-

sables, étrangères à l’ouvrage de Stoker, sont

produites sur la lancée du succès phénoménal

du lm de Fisher. Elles prennent un tout autre

relief, revues dans le contexte des années 1960.

Christopher Lee devient un

miroir tendu par son époque,

moins un vampire qu’un dandy.

Il sut de regarder Dracula

et les Femmes (1968), de

Freddie Francis, et  Une messe

 pour Dracula (1969), de PeterSasdy, pour comprendre que

le vampire n’est plus tant une

créature gothique qu’un arte-

fact du Swinging London,

un personnage à la mode et

plus du tout le mythe intem-

porel ancré dans un folklore.

Les caractéristiques du per-

sonnage xées par Lee étaient

présentes dès  Le Cauchemar 

de Dracula : une silhouette

longiligne, une taille élancée,

un talent d’acteur limité, jouant

davantage sur son corps, et

un mutisme du personnage

qui grandit au l des lms.

Rien à voir avec Bela Lugosi,

son glorieux ancêtre, le

Dracula emblématique du

Hollywood des années 1930 qui campait

un vampire cérébral, subtil, volubile. Dans les

années 1960, Lee s’en écarte radicalement et,

en roue libre, joue de manière caricaturale sur

l’érotisme. Il devient un symbole de la révolution

Christopher Leedevient un miroir

tendu parson époque,

les années 1960.Il n’est plus tant une

créature gothiquequ’un artefact du

“swinging London”.

l e d v d d e s a m u e l b l u m e n f e l d

L’érotomane des Carpates.

 Pages

coordonnées

 par Emilie 

Grangeray

Le succès d’Une messe pour Dracula(ci-dessous) et   Dracula et 

les Femmes   (ci-contre) tient autantà l’érotisme de Christopher Lee

qu’à ces femmes blondes aux formesaffolantes qui sont ses victimes.

    i           u       t   r   a    t       o   n    s   a    t   o               h   a              m   o    t   o   p   o   u   r    M

    l      m   a   g   a   z       n       d   u    M   o   n    d    .

    W   a   r   n      r    B   r   o       e   n    t      r    t   a       n   m      n    t    i   n   c .

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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BridgeFédération Françaisede bridge

Sudoku

no 2 36

Mots croisésPhiliPPe duPuis

g r i l l e no 23 6

Complétertoutela grille avec deschiffresallant de 1à 9.Chacun nedoitêtreutilisé qu’une

seule fois parligne,parcolonne et parcarré de neuf cases.

yan georget

no 2 36   -   d i f f i c i l e

Horizontalement 1 A toujours un compte à régler. A lui aussi toujours des comptes à régler.

2 Miseà nu. Soufe du sud. 3 Difcile de s’en débarrasser.Perdais des forces. 4 Metn. Loue

chèrement. Conviendra. 5 Nécessaire à la mégisserie et à l’ofcine. Grand amoureux de Béa-

trice.Diane y attendait son amoureux. 6 Deux poches pour faire un sac. Le titane. Elisabeth

de Wittelsbach. 7 Plateau élevé de Madagascar.Déclin quotidien. Au centre du bassin. 8 Ar-ticle. Navire à un mât. Point de départ. Conduit au chœur. 9 Homme du Nord. Bidasse ordi-

naire. Port nippon. 10 En piste. Ses écrits en prison le renvoyaient en prison. Détériorer.

Grecque. 11 Belge sur la mer du Nord. Riches chez le poète. 12 Epuisé. Apporte sa part

d’ombre. Miten place.13 Restes de moutures.Déplacement ouvrier. Tour complet. 14 Accu-

mulation de produits azotés. Prenait le client pour un pigeon. 15 Mettent tout le monde en

retard.

 Verticalement 1 Risque de tout faire capoter. 2 Assure un bon soutien. Divin porteur de

disque. 3 Un rien la dérange et la met en colère. Encorbellement en façade. 4 Point au large.

Trop grand attachement à soi-même. 5 Avance avecprudence. Canton des Bouches-du-Rhône.

Dieu Lune vénéré à Ur. 6 Mettent à plat. Plus dans nos habitudes. 7 Arturo pour ses proches.

Démonstratif.Richementrecouvert. 8 Finissent les gros cigares.Piégé. Doivent être respectées

pour être bonnes. 9 Bien pourvus. Se donner de la peine. Points opposés. 10 Un peu defran-

chise. Ouvre des possibilités.La famille commence avecHercule.11 Foutu.Serpenterchemin

faisant.Oncle d’Amérique. 12 Lesplus beaux iront au musée.De plus en plus pollué. Bretelle

de portage. 13 Donnent de bons fonds. Négation.Possessif.Au bout du palan. 14 Edile ou ladame de l’édile. Rééchissait avant d’agir. 15 Ne feront que des mécontents.

 Solutionde la grillen° 235

Horizontalement 1 Incontournables. 2 Nouveauté.Irisé. 3 Silence.Cirer. 4 Têt.Iodées. Lacs. 5 Ilet. Rp.La.Râ. 6 Vis. Mot.Inuit. 7 Méat.Tisane.Rai. 8 Essieux.Corsé. 9 Np.Emballé. Nn. 10 Téorbe. OE. Luron.11 Arrée.Rusticité. 12. TAI.Tuer. Ogival. 13 Ingres.Doré. Ail. 14 Otai.Egalitaire. 15 Non-spécialistes.

 Verticalement 1 Instrumentation. 2 Noie.Espéranto.3 Cultivas.Origan.4 Ove.Litière.Ris. 5 Nénies.Embêté.6Tacot.Tube. Usée. 7 Oued.Mixa.Ré.Gc.8 Ut.Eros. Lourdai.9 Réceptacles.Ola. 10Is.Noé. Toril.11Air.Lier.Ligeti. 12 Brelan.Souci. As. 13 Lira. Ure.Rivait. 14 Es.Cria.Notaire. 15 Sensationnelles.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14

15

Solution de la grille

précédente

96

M Lemagazine du Monde— 26 mars 2016 

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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Le galetde Didier Pourquery.Après Avoir dirigé plusieurs rédActions, dont celles de “libérAtion” et

du “Monde”, le journAliste est Aujourd’hui à lA tête du site d’inforMAtionthe conversAtion frAnce. “l’été d’AgAthe” rAconte sA fille, décédée d’une Muco-viscidose à 23 Ans. dAns ses poches, un gAlet qui le relie à son enfAnt dispArue.

pa r   Jérôme Badie

J’ai toujours ce galet en forme de

cœur avec moi. Il vient d’une plage

de l’île d’Oléron, près de la maison

de vacances où nous sommes allés avec

ma femme et mes enfants de nombreuses

années. Sur cette plage ont été dispersées

les cendres d’une jeune lle de 23 ans,

une lle épatante, ma lle Agathe, décédée

en 2007 de la mucoviscidose après une

seconde gree de poumon qui n’a pas

fonctionné. J’ai trouvé cette pierre un an

après, par hasard, certainement attiré par

sa forme qui me fait penser à un cœur.

Agathe aimait beaucoup cette île et la

plage de son enfance. On pourrait penser

que c’est étrange de garder un cœur de

pierre avec soi. Mais ce galet est l’inversed’un cœur de pierre. C’est une façon pour

moi d’être toujours ici et là-bas. Agathe

avait dit à son médecin: « Tu me diras quand 

ça sera fni car je ne veux pas d’acharne-

ment. » Le 21 juin 2007, son médecin lui a

dit que c’était ni et à partir de ce moment,

Agathe a voulu sortir, aller au restaurant…

Elle savait que sa mère et moi souhaitions

que nos cendres soient dispersées sur

cette plage et elle a voulu être sur la même

plage que nous, sur les dunes, parmi les

immortelles. Ce galet me rappelle la n.

La mienne. Moi aussi, un jour, mes

cendres seront là-bas. Cette plage est

aussi une image de ce qu’est la mort.

Quand on regarde le soleil se coucher, on

voit la ligne d’horizon puis, petit à petit, le

soleil disparaître. Pourtant, le soleil continue

d’être présent : on ne peut simplement

plus le voir. Cela peut sembler bête, mais

c’est exactement ainsi que je vois la mort.

Ce galet est de cet ordre. Par ailleurs,

 j’adore les jardins zen qui ont toujo urs en

leur centre trois pierres : une grande, une

moyenne et une troisième, plate, au sol.Elles sont entourées de sable ratissé qui

représente la mer, l’onde qui tourne autour

des rochers. Je crois que ce galet porte

aussi en lui la sécheresse et l’humidité.

Si je devais le perdre, j’irais en chercher

un autre. Il est le symbole minimal. Grâce

à sa taille, je sais que je peux l’avoir

partout avec moi.

à l i r e

 L’été d ’AgAthe ,Grasset.198 P. 17 €.

www.theconversation.

com/fr

98

     J     é    r    o    m    e     B    a     d     i    e

M Le magazine du Monde —  26 mars 2016 

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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Cahier du « Monde » No 22144 daté Samedi 26 mars 2016 - Ne peut être vendu séparément

HÔPITAL

LES MÉDICAMENTS

TRÈS ONÉREUX DANSLE COLLIMATEUR→LIRE PAGE 6

TRANSPORT

LA ROUTE SE DÉGAGEPOUR LES VOITURESAUTONOMES→LIRE PAGE 3

PERTES & PROFITS | EMPLOI

Les jeunes et les jobs

Cela n’a pas été une surprise pour legouvernement, mais les jeunes n’onttoujours pas digéré le projet de loi dela ministre du travail, Myriam

El Khomri. Même s’ils étaient moins nom-breux à battre le pavé ce jeudi 24 mars, ils conti-nuent à être massivement opposés à un textepourtant supposé leur faciliter l’accès à un job.Eux y voient plutôt une précarisation plusgrande de leur situation. Celle-ci n’est pas trèsenviable, avec un taux de chômage à plus de25 %, plus de deux fois supérieur à celui de lamoyenne nationale, et une précarité plusgrande encore. Que faire ?

Une note de la banque Natixis parue mardi22 mars apporte un éclairage intéressant à cedébat. L’économiste Patrick Artus y pose unequestion simple : dans les grands pays dévelop-pés, quels sont les facteurs qui, sur une longue

période, affectent le plus ce fléau national ?Sur la période 2002-2016, plusieurs hypothè-

ses y sont testées qui constituent les argumentsle plus souvent avancés pour expliquer le sous-emploi chez les moins de 25 ans. D’abord la qua-lité du système éducatif. Puis le niveau du sa-laire minimum. Un montant très élevé décou-rage-t-il l’embauche ? Ensuite le taux d’emploides seniors. Les 55-65 ans prennent-ils le travailde leurs enfants ? Autre sujet sensible, le degréde protection de l’emploi qui découragerait lesentreprises de faire appel à des jeunes. Un argu-ment avancé pour justifier la loi El Khomri.

Les données dans les grands pays dévelop-pés montrent des résultats surprenants et

parfois contre-intuitifs. Ainsi, la protection del’emploi telle qu’elle est mesurée par l’OCDEinflue relativement peu sur la participationdes jeunes au travail. L’Allemagne, avec un ni-veau de protection similaire à la France, affi-che, de loin, le taux de chômage des jeunes leplus faible de tous les grands pays sur une lon-gue période. Les Etats-Unis, où l’emploi est lemoins encadré, ne font pas mieux que lesPays-Bas ou l’Autriche, bien plus protecteurs.De même, le niveau d’emploi des seniors n’estpas lié à celui des jeunes.

Formation continue

Seuls deux critères montrent finalement unecorrélation claire : le niveau du salaire mini-mum – et donc le coût du travail – et la qualitéde l’appareil éducatif. Ce dernier critère est leplus spectaculaire. De l’Allemagne, qui compte

parmi les meilleurs pays selon les enquêtesPISA de l’OCDE, à l’Italie, le moins performantsur les deux dimensions, la relation est étroite.

Une grande réforme de l’emploi des jeunesne peut donc se concevoir sans une remise àplat du système éducatif. Avec un corollaire :comme le souligne le démographe HervéLe Bras, le diplôme initial est de moins enmoins une protection pour trouver ou re-trouver un travail, d’où la peur du déclas-sement des classes moyennes. Et donc lanécessité impérieuse de repenser la forma-tion tout au long de la vie dès que l’on veuts’attaquer au chômage.p

philippe escande

J CAC 40 | 4 329 PTS  – 2,13 %

j DOW JONES | 17 515 PTS   + 0,08 %

J EURO-DOLLAR  | 1,1163J PÉTROLE | 40,44 $  LE BARIL

K TAUX FRANÇAIS À 10 ANS  | 0,53 %VALEURS AU 25 MARS À 9 H 30

Une faillede l’iPhoneà la rescousse

du FBI ?

L e 21 mars, le FBI a annoncéqu’il n’aurait peut-être pasbesoin d’Apple pour déver-

rouiller l’iPhone de l’un des deuxterroristes qui ont attaqué uncentre social à San Bernardino(Californie), le 2 décembre 2015.

Une « tierce partie » a en effetoffert ses services. Mais son iden-tité reste secrète. Il pourrait s’agird’une société spécialisée dans ladécouverte et la vente de « zerodays » –  des vul nérabilités quipermettent de pirater un logicielà coup sûr.

Quand un hackeur découvreune faille dans un programme, il a

le choix entre plusieurs options :l’exploiter lui-même, céder l’infor-mation à un autre hackeur, la ven-dre à une officine spécialisée ou àun service de renseignement. S’ilest honnête, il peut contacter l’édi-teur du logiciel, qui va le rémuné-rer pour sa trouvaille.

Une seule grande société refusede participer à ce système qu’ellejuge immoral : Apple. L’existenced’une faille a pu être communi-quée au FBI avant que celle-ci neperde sa valeur marchande. Celaaurait été le cas si la justice avaitcontraint la marque à la pommede créer un logiciel capable de cas-ser ses propres sécurités. Selon lapresse israélienne, c’est la sociétéCellebrite qui aurait fourni au FBIune solution pour accéderà l’iPhone de San Bernardino.p

→  L I R E PAGE 8

1,8MILLIARD D’EUROS

LA DÉPENSE DE GOOGLE EN 2015

POUR « ACHETER » LES FAILLES

DÉCOUVERTES SUR SES LOGICIELS

L’ « Intrepid »au terminalde Rafnes (Norvège),le 23 mars. ILJA C. HENDEL

POUR « LE MONDE »

Première livraison

en Europe de gazde schiste américain

▶Les Etats-Unisexportentleur productiondans le mondeentier▶ Le paysageénergétiques’en trouvebouleversé

  →L I R E PAGE 2

Déficit public : la France

plus vertueuse en 2015▶ Le déficit des dépensespubliques a été ramenéà 3,5 % du produitintérieur brut (PIB) en 2015,en dessous des 3,8 % antici-pés. Il était de 4 % en 2014

▶ La progressionde la dette retrouveson niveau d’avant la crise.Mais elle continued’augmenter et atteintdésormais 95,7 % du PIB

▶ L’embellie a été permisepar la baisse des prixdu pétrole et les faiblestaux d’intérêt, mais aussipar une modérationdes dépenses publiques

▶ Le chômage est repartifortement à la hausseen février, avec 38 400demandeurs d’emploisupplémentaires→  L I R E PAGES 4- 5

& CI VILISATIONS

    &

    C    I     V    I    L    I    S    A     T    I    O     N    S

N° 1 6

A VRIL 2016

L ’EMPEREUR AKB ARL ’INDERÊ VÉEDUGR ANDMOGHOL

S AIN TM AR TIN TOU TCEQUEL AG AULELUI DOI T

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8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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2 | plein cadre SAMEDI 26 MARS 2016

0123

LA PRODUCTIOND’HYDROCARBURES

A FAIT UN BONDGIGANTESQUE

OUTRE-ATLANTIQUEDEPUIS UNE DIZAINE

D’ANNÉES,

ENTRAÎNANTUN EFFONDREMENTDES PRIX

rafnes (norvège) - envoyé spécial

La scène était parfaite pour l’arri-vée de l’ Intrepid.  Dans un fjordnorvégien aux eaux translucides,sous un ciel bleu immaculé, levaisseau de 180 mètres de long aterminé, mercredi 23 mars, sa t ra-

versée de l’Atlantique. En accostant au termi-nal de Rafnes, au sud de la Norvège, où setrouve une grande usine pétrochimique, il amarqué un moment historique : la toute pre-mière importation de gaz de schiste améri-cain en Europe. Une véritable révolutiondans le monde de l’énergie. A l’intérieur del’immense bateau flambant neuf, construitpour l’occasion, se trouvaient 27 500 mètrescubes d’éthane liquéfié par - 90 degrés Cel-sius. Le gaz va maintenant être chauffé à trèshaute te mpérature dans le « cracker » de

l’usine de Rafnes, pour en faire de l’éthylène,qui deviendra ensuite du plastique utilisédans les emballages alimentaires ou encoredans les gaines de câbles électriques.

« Quand on a commencé à réfléchir à impor-ter de l’éthane des Etats-Unis, en 2010, ça pa-raissait une idée folle, on nous a dit qu’on n’yarriverait pas », se rappelle David Thompson,un dirigeant d’Ineos, une grosse entreprisede pétrochimie britannique.

Le projet semblait aller à l’encontre de toutbon sens, alors que l’usine de Rafnes est aubord de la mer du Nord, où se trouvent degrosses réserves de gaz. Imaginer qu’il puisseêtre moins cher de faire venir cette matièrepremière de l’autre côté de la planète étaitdifficile à croire. « J’ai commencé ma carrièreici, en 1988, explique Magnar Bakke, qui estaujourd’hui le directeur du site.  Personnen’aurait jamais même imaginé importer des

 Etats-Unis. »

CHAMBOULEMENT MAJEUR

La révolution du gaz de schiste a pourtanttout bousculé sur son passage. Grâce à la trèscontroversée et polluante technique de lafracturation hydraulique, ainsi qu’à la maî-trise du creusement de puits horizontaux, laproduction d’hydrocarbures a fait un bondgigantesque outre-Atlantique depuis une di-zaine d’années. Cela a entraîné un effondre-ment des prix.

En parallèle, la mer du Nord a connu une si-tuation absolument inverse. Ainsi après qua-rante ans d’exploitation, les gisementss’épuisent. Aujourd’hui, 80 % des réserves ducôté britannique ont été vidées, et 60 % ducôté norvégien.

Pour la société Ineos – elle compte 65 usi-nes dans 16 pays, avec 17 000 employés –, la

situation devenait tendue. Le groupe pos-sède deux immenses complexes industrielsdans le nord de l’Europe : celui de Rafnes, etun autre à Grangemouth, en Ecosse. Tous lesdeux ont été installés là pour profiter de l’ap-provisionnement de la mer du Nord, maiscette ère touche à sa fin.

L’éthane, en particulier, se fait rare côté bri-tannique. Depuis une décennie, l’usine deGrangemouth ne fonctionne plus qu’à lamoitié de sa capacité, faute de matières pre-mières. Le cas de Rafnes est moins urgent,avec des approvisionnements garantis jus-qu’à la fin de la décennie, mais le même pro-blème se profile à l’horizon.

La décision d’investir s’est précipitéeen 2013. Une grande grève à Grangemoutha contraint alors à la fermeture temporairedu complexe. Jim Ratcliffe, le fondateurd’Ineos – et un homme connu pour sonagressivité dans les affaires –, met le pistoletsur la tempe des employés : il ne rallumerapas l’usine si ceux-ci n’acceptent pas unebaisse de leur salaire. En cas d’accord, en re-vanche, il se lancera dans ce pari fou d’im-porter du gaz de schiste.

Les salariés ont accepté un gel de leur ré-munération et aussi une baisse de leur re-traite. Ils se sont également engagés à ne pasfaire grève pendant trois ans. En échange, la

société Ineos a procédé à un investissementde 2 milliards de dollars (1 ,8 milliard d’euros).« Nous avons apporté une nouvelle ligne devie à Grangemouth », s’enorgueillitaujourd’hui M. Ratcliffe.

En 2013, pourtant, tout reste à faire. LesEtats-Unis sont certes importateurs d’hydro-carbures depuis des décennies, mais aucunéquipement n’est prévu… pour exporter. Lesports sont conçus pour recevoir des métha-niers ou des pétroliers d’Afrique ou duMoyen-Orient. Les pipelines envoient le gazou le pétrole vers l’intérieur des terres. Il fautentièrement inverser le flux.

Ineos décide pourtant de se lancer, agis-sant comme coordinateur entre les diffé-rents acteurs. En Pennsylvanie, un nouveau

L’aventure d’Ineos contient pourtant engerme un sérieux avertissement. QuandM. Ratcliffe avait pris la décision d’importerdu gaz de schiste en Europe, le baril de pé-trole était à 120 dollars le baril. Prudent, ila fait tourner ses modèles économiques, pré-voyant, dans le pire des scénarios, une chuteà 40 dollars. La suite est connue : le pétroleest tombé à 28 dollars, avant de rebondir de-puis quelques semaines.

Ce krach pétrolier est une mauvaise nou-velle pour Ineos. Dans l’industrie chimique,ses concurrents européens font tourner leur« cracker » avec un dérivé de pétrole. Plus l’ornoir est cher, plus cela augmente leurs coûts,et plus les produits d’Ineos sont comparati-vement concurrentiels.

M. Ratcliffe regrette-t-il son investisse-ment ? « Absolument pas, c’était la bonne dé-cision. Le plancher de notre rentabilité est à un

baril autour de 30 dollars. Mais c’est sûr quec’est moins rentable que s’il était resté à 100 dollars. »

RELANCER L’INDUSTRIE EN EUROPE

Le patron d’Ineos ne jure de toute façon quepar le gaz de schiste, qui est, d’après lui, laseule façon de relancer l’industrie en Europe.« Aux Etats-Unis, 150 milliards de dollars d’in-vestissement dans l’industrie chimique sont déjà prévus d’ici à 2022, grâce au coût del’énergie qui est très bas. Dans le même temps,sur le Vieux Continent, on voit fermetured’usine après fermeture d’usine. Personnen’investit ici. »

C’est dans cette logique qu’il a décidé d’ac-quérir plusieurs licences d’exploration de gazde schiste dans le nord de l’Angleterre et enEcosse. Mais son projet fait face à un tollé po-pulaire. Depuis qu’un puits d’exploration deCuadrilla, une entreprise concurrente, a pro-voqué une petite secousse sismique près deBlackpool, en 2011, aucun forage n’est en cours

au Royaume-Uni. Plusieurs projets ont no-tamment buté depuis sur de grandes mani-festations. Le gouvernement britannique faittout son possible pour lancer cette industriemais pour l’instant sans succès.

Fidèle à sa réputation abrasive, M. Ratclifferépond par une logique financière. Il proposed’offrir 6 % des bénéfices de la productionaux personnes qui accepteraient de vivreprès de ses puits. Son espoir : que l’hydrocar-bure situé dans le sous-sol britanniquepuisse progressivement remplacer celui de lamer du Nord. Ses usines pourraient alors bé-néficier de cette production locale. La dépen-dance au gaz de schiste américain ne seraitalors plus de mise.p

eric albert

gisement a été trouvé, Marcellus Shale, con-tenant une forte teneur en éthane. L’entre-prise signe un accord d’approvisionnementde quinze ans, pour s’assurer un flot régulier.Cinquante kilomètres de nouveaux pipeli-nes sont alors construits, pour rejoindreceux qui étaient déjà en place pour l’impor-tation de gaz. Il faut ensuite inverser leur di-rection, ce qui n’est pas aussi simple qu’il n’yparaît. Le port de Marcus Hook, à Philadel-phie, jusque-là menacé de fermeture, estadapté pour l’exportation.

Il faut aussi construire des bateaux suffi-samment grands pour emporter l’éthane del’autre côté de l’Atlantique. Jusqu’alors, ce gazn’était transporté que sur de petits naviressur de courtes distances. Quatre méthaniersspécialement conçus sont fabriqués enChine – leur nombre sera bientôt porté àhuit. Enfin, au Royaume-Uni et en Norvège,

d’immenses réservoirs d’éthane sont cons-truits pour recevoir chaque cargaison.Six ans après avoir été pensé, et trois ans

après avoir été effectivement engagé, le pro-jet se concrétise enfin. Après Rafnes, les pre-miers bateaux arriveront à Grangemouthdans la deuxième partie de 2016.

Si Ineos a été parmi les premières entrepri-ses à envisager de faire venir du gaz deschiste américain, elle est cependant loind’être la seule. Face à l’immense productionaux Etats-Unis, l’exportation s’est imposéecomme la solution logique. Résultat, les in-vestissements se multiplient : de nombreuxports sont en cours de transformation, prêtsà envoyer le gaz américain à l’assaut du restedu monde.

Le 15 mars, la première exportation de gaznaturel liquéfié (GNL) est ainsi arrivée au Bré-sil depuis la Louisiane. Et ce n’est qu’un dé-but. « Les Etats-Unis vont avoir une capacitéd’exportation de 57 millions de tonnes de gaz

 par an d’ici à 2020 », dit Stephen O’Rourke, di-

recteur de la recherche à Wood Mackenzie,une société de consultants. En comparaison,la production mondiale annuelle est actuel-lement de 250 millions de tonnes. Le gaz deschiste américain apporte donc 25 % supplé-mentaires sur le marché mondial.

Selon M. O’Rourke, le débouché le plus évi-dent pour ces tonnes de GNL est l’Europe, oùle marché est ouvert et liquide, permettantd’écouler le gaz au jour le jour, sans avoir decontrat de long terme en place. « Les importa-tions de GNL sur le Vieux Continent devraienttripler d’ici à 2020 », analyse cet expert.

Le chamboulement est majeur. L’impactpourrait être important sur la Russie, grosfournisseur de gaz en Europe, avec de pro-fondes ramifications géopolitiques.

Le 23 mars,l’« Intrepid »a livré sacargaisonau terminalde Rafnes(Norvège).ILJA C. HENDEL

Le gaz de schiste américain débarqueL’usine pétrochimique d’Ineos,

à Rafnes (Norvège), a reçu,mercredi 23 mars, sa première

livraison d’éthane liquéfiéen provenance des Etats-Unis

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0123SAMEDI 26 MARS 2016 économie & entreprise | 3

L’industrie du gaz naturel liquéfié est en crisePlusieurs projets sont annulés ou reportés, en Australie notamment, à cause des surcapacités et des prix bas

Il y a quelques années, le gaznaturel liquéfié (GNL) était

promis à un bel avenir, no-tamment en Australie. Ce

pays prévoyait d’en devenir le pre-mier producteur mondialen 2018-2020, une placeaujourd’hui occupée par le Qatar.La chute des prix de l’or bleu enAsie dans le sillage de ceux du pé-trole, le ralentissement économi-que de la Chine et l’incertitude surla demande future ont sonné leglas – momentanément sansdoute – de cette ambition, commeen témoigne l’abandon ou le re-port de plusieurs projets majeursau cours des derniers mois.

Browse est la dernière victime decette crise mondiale. Le groupeaustralien Woodside a annoncé,jeudi 24 mars, la suspension de ceprojet de 26 milliards d’eurosauquel participaient aussi Shell,

BP, Petrochina et deux groupes ja-ponais. A la grande « déception » du gouvernement Canberra, quia pourtant reconnu « le  contextetr ès difficile dans le secteur del’énergie ». Pour Peter Coleman, ledirecteur général du groupe,« l’en-vironnement économique n’est ence moment pas favorable aux in-vestissements dans le GNL ».

C’est le moins qu’on puisse dire.Dès juin 2014, toujours en Austra-lie, le français Engie et son parte-naire local Santos avaient annoncél’abandon du projet Bonaparte,une usine flottante de liquéfactionde gaz, en raison d’une rentabilitéprévisionnelle trop faible. Si Totala chargé sa première cargaison enoctobre 2015, depuis son siteGladstone LNG (Queensland), unévénement présenté comme « uneétape majeure dans le développe-

ment de l’activité en Australie », il adû déprécier cet actif dans sescomptes 2015. Shell a renoncé àdes projets en Amérique du Nordet Woodside au développementdu gisement israélien de Lévia-than en Méditerranée orientale.

Dans les années 2000, ce sontles vendeurs de gaz qui avaient la

main sur un marché tendu où lesprix étaient élevés, surtout enAsie, importatrice de 70 % du GNLmondial. En forte surcapacité, cemarché est désormais dominépar les acheteurs, qui cherchentà imposer leurs conditions : desprix plus bas et plus de flexibilitédans la destination des cargai-sons (sans demander l’accord duvendeur) ou les dates de livraison.Les exemples abondent.

Le groupe indien Petroneta ainsi âprement renégocié à labaisse ses contrats avec le QatariRasGas, qui aurait perdu 1 milliardde dollars (894 millions d’euros)dans l’affaire. D’autres ont obtenud’acheter des cargaisons au prix

au jour le jour (spot), sans tenircompte des clauses de leurs con-trats à long terme. Les acheteurscherchent à obtenir des contratsplus courts (5 à 10 ans) pour ne pastrop se lier les mains avec leursfournisseurs.

Tous les prix sont tirés vers lebas. Les producteurs essayent de

trouver des acheteurs dans les zo-nes les plus proches de leurs usi-nes, même si le coût de l’affrète-ment a aussi baissé. Jusqu’à pré-sent absents de cette activité, desacteurs comme Glencore, Vitol ouTrafigura se sont lancés dans lenégoce au jour le jour du GNL, quidevient une matière première(commodity) comme le pétrole.Des experts n’hésitent pas à pré-dire qu’à la fin de la décennie, prèsde la moitié du gaz liquéfié s’écou-lera sur le marché spot.

Pas de visibilité

Cette situation, plus chaotique etimprévisible qu’auparavant, nefait pas l’affaire de Total, Shell,

ExxonMobil ou BP. Les majors ontbesoin de visibilité et de stabilitéavant d’engager la construction detrains de liquéfaction du gaz quicoûtent 3 à 4 milliards de dollarsl’unité. Cela passe par la prévented’une grande partie de leur futureproduction dans le cadre de con-trats à long terme. Des projets

comme ceux de l’américain Ana-darko ou de l’italien Eni au Mo-zambique, où ils ont découvertd’énormes réserves gazières offs-hore depuis 2010, sont en attenteet il n’est pas sûr qu’ils prennent

leur décision finale d’investisse-ment comme prévu en 2016.

En dépit de prix très bas, tous lesprojets n’ont donc pas été arrêtés.Après avoir investi 54 milliards dedollars avec plusieurs partenairesdepuis 2009 en Australie, Chevrona mis en production son site Gor-gon et chargé un premier métha-

nier mi-mars. ExxonMobil a misen service son usine de Papouasie-Nouvelle-Guinée en mai 2015.

Et pour son projet australien Pré-lude, Shell n’a pas arrêté la cons-truction en Corée du Sud de sa pla-te-forme d’extraction et de liqué-faction de gaz, qui sera le plusgrand objet flottant au monde.Aux trente-sept usines de liquéfac-tion fonctionnant dans le mondes’en ajouteront douze d’ici à 2020.Une vingtaine d’autres sont plani-fiées et trente restent au stade desétudes préliminaires.

Total n’a pas pour autant arrêtéle développement d’Ichthys, sonautre projet australien dont le dé-marrage est « prévu pour 2017 », in-

dique le groupe. Dans le GrandNord russe, il n’a pas davantage re-noncé à Yamal LNG. Pas plus queGazprom à ses projets d’usine deliquéfaction sur la Baltique et àVladivostok (orient russe) ; niRosneft au développement deSakhaline. Tous ont prévendu l’es-sentiel de leur production. Aux

Etats-Unis, qui vont bousculer lemarché en exportant leur gaz deschiste, l’administration fédérale adéjà autorisé cinq usines, dont cel-les de Cheniere Energy et de Sem-pra associé à Engie. En 2020, l’offrede GNL s’accroîtra de 30 % par an,alors qu’un quart de la productionne trouvera pas preneur, prévien-nent de nombreux analystes.

Reste que le GNL est prometteurà moyen-long terme. Il offre unediversification des sources d’ap-provisionnement, et donc plus desécurité aux pays consomma-teurs. En Europe, il ne pèse que10 % de la demande alors que l’es-sentiel arrive encore par gazoduc.Dans sa stratégie énergétique, pré-

sentée mi-février, la Commissionde Bruxelles a décidé de soutenirla construction de terminaux deregazéification. Objectif : limiter ladépendance à la Russie, qui four-nit 19 % du gaz utilisé sur le VieuxContinent. Une part qui, quoi qu’ilen soit, devrait augmenter.p

jean-michel bezat

Premier feu vert réglementaire pour les véhicules autonomesLes conventions mondiales évoluent, mais des obstacles techniques, économiques et juridiques freinent l’essor de la voiture sans pilote

Première étape réglemen-

taire franchie pour les voi-tures autonomes. Mer-credi 23 mars, la commission éco-nomique pour l’Europe des Na-tions unies (Unece) a annoncéune révision de la Convention deVienne, le texte qui régule la circu-lation routière depuis 1968. « Lessystèmes de conduite automatiséeseront explicitement autorisés sur les routes, à condition qu’ils soientconformes aux règlements des Na-tions unies [ONU] sur les véhicules,ou qu’ils puissent être contrôlésvoire désactivés par le conduc-teur », indique un communiquéde cette organisation.

Dans un second temps, la régle-mentation de l’ONU sur les véhi-cules dressera plus précisément laliste des systèmes autorisés, « no-tamment ceux qui, dans certainescirconstances, pourront prendre la

main sur le véhicule, sous le con-trôle permanent du conducteur,comme les systèmes veillant aumaintien de la trajectoire (pour empêcher un changement de voieaccidentel), les fonctions d’assis-tance au stationnement ainsi quela fonction autopilote sur auto-route (le véhicule se déplaçant demanière automatisée à haute vi-tesse sur ces axes) ».Pour l’instant,le véhicule totalement autonomen’est pas autorisé…

Les modifications réglementai-res annoncées mercredi complè-tent une mesure phare prise à lami-mars aux Etats-Unis, où les

constructeurs se sont mis d’ac-

cord pour adopter d’ici à 2022, demanière standard, le freinageautomatique d’urgence.

Avant la décision du 23 mars,certains véhicules étaient déjàtestés sur route, comme les voitu-res de Google ou les prototypesd’équipementiers (Bosch, Conti-nental, Valeo, etc.) ou de construc-teurs (Ford, General Motors,Toyota, PSA, Renault, etc.).

Qui paiera en cas d’accident ?

En Europe, l’Allemagne, la France,le Royaume-Uni ou la Suède sesont lancés dans des expérimen-tations. Ils ont autorisé les essaissur route ouverte ou sur auto-route à certains véhicules dotésd’une plaque spéciale, ou les pro-jets pilotes dans certaines collec-tivités.

Des véhicules autonomes vont

être déployés dans le quartier lon-donien de Greenwich, ainsi qu’àGöteborg (Suède) où Volvo feracirculer une centaine de voitures.La présidence néerlandaise del’Union européennes (UE) sou-haite faire avancer la question,mi-avril, lors d’un sommet infor-mel des ministres des transportsà Amsterdam. Bref, les pouvoirspublics se mobilisent. La régle-mentation mondiale évolue pouraccélérer la transition vers des vé-hicules autonomes, jugés plussûrs et permettant de faire baisserde manière substantielle la mor-talité sur les routes.

Certains constructeurs sont

déjà en phase de commercialisa-tion. Ainsi, Tesla propose unefonction d’autopilotage, dontsemblent d’ailleurs abuser cer-tains conducteurs vu les vidéospostées sur YouTube ou d’autresplateformes vidéo. BMW, Merce-des ou Audi offrent aussi des sys-tèmes semi-automatiques àmoins de 50 km/h ou, au con-traire, sur autoroute.

Pour autant, tous les freins audéveloppement ne sont pas en-core levés. La cohabitation avecdes voitures classiques, la fiabilitéde l’électronique et des caméras etleur sécurisation vis-à-vis de po-tentiels « hackers » s’améliorent,mais restent sujets à caution. Entémoignent les récentes tentati-ves de prise du volant à distanceou l’accident, en février, d’uneGoogle Car, en Californie. Cette

dernière avait bien évité un obsta-cle, mais n’avait pas anticipé l’arri-vée d’un bus déjà engagé sur lavoie attenante…

De même, si les coûts d’équipe-

ment des véhicules baissent, latechnologie a un prix, et les voitu-res autopilotées pourraient coû-ter d’ici à dix ans de 5 000 à 10 000euros de plus qu’un véhicule« normal ». A cela s’ajoute l’accep-tabilité des fonctions d’autopilo-tage. En 2012, une enquête de JDPower assurait que seulement20 % des conducteurs seraientprêts à acheter un tel véhicule s’ilreprésentait un surcoût de2 000 euros…

En 2015, 55 % des Européens sedisaient intéressés par l’utilisationd’une voiture autonome, selonl’Observatoire Cetelem de l’auto-mobile. Un score en hausse maissans que l’on puisse parler d’en-gouement.

Enfin, il y a un casse-tête à régler :qui paiera en cas d’accident, no-tamment lors de la période de

transition et de coexistence entrevoitures autonomes et voituresclassiques ? Le constructeur, l’équi-pementier, les informaticiens quiont développé les logiciels, les as-sureurs… ou le propriétaire ?

« Pour les véhicules semi-autono-mes, c’est le conducteur qui est res-

 ponsable, sauf quand le véhiculeva se garer tout seul, auquel casc’est l’équipementier qui sera misen cause, jugent les expertsd’Exane BNP Paribas. Cependant,on peut imaginer un fonds d’assu-rance abondé par l’ensemble de la

 profession afin de financer lescompensations en cas d’accident. »

D’autres envisagent que cons-

tructeurs et équipementiers s’as-surent auprès de grandes compa-gnies avec des contrats couvranttoute leur flotte autopilotée.

Ce coût serait en partie transféréaux clients, mais ces derniersn’auraient plus à gérer leur police

Les voitures

autopilotées

pourraient

coûter 5 000 à

10 000 euros

de plus qu’un

véhicule normal

« Gorgon »,le terminal gazierde Chevronen Australie.CHEVRON/HANDOUT/REUTERS

Le marché

de l’« or bleu »

est dominé

par les acheteurs

qui cherchent

à imposer

leurs conditions

en direct ; la responsabilité de tout

accrochage reviendrait au cons-tructeur… Quel que soit le systèmeretenu, il n’a pas encore été trouvé.Et sans ce préalable, le véhicule to-talement autonome n’est pas prèsd’encombrer les routes.p

philippe jacqué

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avec

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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4 | économie & entreprise SAMEDI 26 MARS 2016

0123

La France réduitses dépensespubliques plus

vite que prévuLe déficit public a atteint 3,5 % en 2015,en dessous des 3,8 % anticipés, en grandepartie grâce à la baisse des taux d’intérêt.Cette modération rend crédible l’objectifde 3 % imposé par Bruxelles pour 2017

C’

est la bonne surprise at-tendue. Depuis plusieursjours, le gouvernementlaissait entendre que lescomptes publics 2015 se-raient meilleurs que

prévu. Les chiffres publiés vendredi 25 mars

par l’Insee le confirment : le déficit publics’est élevé à 3,5 % du produit intérieur brut(PIB) en 2015, alors que la loi de finances et leprogramme de stabilité transmis à la Com-mission européenne prévoyaient 3,8 %.

L’amélioration du déficit de l’Etat, qui di-minue de 4 milliards d’euros par rapport àl’année précédente, ainsi que la réduction decelui des administrations de Sécurité sociale,en recul de 2,2 milliards d’euros, laissaientprésager cette embellie des comptes natio-naux. Demeurait une incertitude sur ceuxdes administrations publiques locales(APUL).

Or les collectivités territoriales font beau-coup mieux qu’anticipé : elles affichent unléger excédent de 700 millions d’euros, aprèsun déficit de 4,6 milliards en 2014. C’est lepremier excédent depuis 2003. Cette amélio-ration, toutefois, est largement due au reculdes investissements des collectivités, qui di-minuent de 4,6 milliards d’euros, en raison

notamment du cycle électoral communal(baisse des investissements, l’année des élec-tions municipales), même si elles ont aussifreiné leurs dépenses de fonctionnement.

Dans ces premiers résultats fournis parl’Insee, ce n’est pas le seul indicateur témoi-gnant d’un redressement des finances publi-ques de la France. La dette publique s’est eneffet quasiment stabilisée, passant de 95,3 %à 95,7 % du PIB. Entre 2012 et 2014, elle avait

progressé de près de 6 points, après une aug-mentation de l’ordre de 25 points sous le pré-cédent quinquennat.

Le taux de prélèvements obligatoires,quant à lui, est en recul pour la première foisdepuis 2009 : il passe de 44,8 % à 44,5 %. En-fin, la progression des dépenses publiques

en pourcentage du PIB est stoppée : elles pas-sent à 56,8 %, contre 57,3 % en 2014.

MONTÉE EN CHARGE DU CICE« Ce qui est réconfortant, c’est la cohérencedes chiffres, se félicite le ministre des finan-ces, Michel Sapin. Une diminution de0,5 point du déficit public, ce n’est quandmême pas rien et on obtient ce résultat enbaissant de 17 milliards d’euros les impôts surles entreprises et les ménages, tout en ayanteu à faire face à 7 ou 8 milliards d’économiesnécessaires, soit pour financer des dépensesnouvelles, soit pour compenser les effetsd’une inflation nulle. Tout ça sans massacrer le niveau des dépenses par ailleurs, c’est-à-diresans compromettre le redémarrage de lacroissance. »

L’amélioration nette du déficit public estd’autant plus significative que l’Insee a rééva-lué le chiffre de 2014, qui est rétabli à 4,0 % aulieu de 3,9 %. Cela signifie que la France aura

réussi à réduire son déficit public – aussi bienle déficit nominal que le déficit structurel(hors effets de la conjoncture) de 0,5 point,conformément aux obligations imposéesaux pays en déficit excessif. Peu, parmi leséconomistes comme à la Commission euro-péenne, qui n’a cessé de multiplier les misesen garde, jugeaient cet objectif réalisable.

En dépit des dépenses nouvelles auxquel-les il a eu à faire face en cours d’année, no-

tamment celles consacrées à la lutte contrele terrorisme, le gouvernement a réussià contenir la dépense publique, en pourcen-tage du PIB. Cela est dû en grande partie à labaisse de la charge des intérêts de la dette,qui a diminué de 4,5 % en 2015, après avoir re-culé de 1,4 % en 2014, sous l’effet de la chute

des taux d’intérêt.Hors charge des intérêts, les dépenses aug-mentent néanmoins de 1,6 %, par consé-quent nettement plus vite que l’inflation,nulle en 2015, et les dépenses de fonctionne-ment progressent de 1,2 %, au même rythmequ’en 2014, bien que les rémunérations ra-lentissent (+ 1,0 % contre + 2,0 %).

Cette année a notamment vu monter encharge le crédit d’impôt compétitivité em-

ploi (CICE), dont le coût a atteint 16,5 mil-liards d’euros (+ 6,3 milliards par rapport à2014). Hors crédits d’impôt, la dépense publi-que ne croît « que » de 0,9 %.

GAGES À L’UNION EUROPÉENNECes chiffres vont donner des arguments au

gouvernement français, qui tente de con-vaincre ses partenaires européens de sa dé-termination à tenir ses engagements de ré-duction du déficit, après avoir obtenu un dé-lai supplémentaire de deux ans pour le ra-mener sous la barre des 3 % en 2017.Beaucoup considéraient que passer de 3,9 %en 2014 (avant la réévaluation de ce chiffre à4 %) à 3,8 %, comme le prévoyait la loi de fi-nances initiale, ne constituait qu’une maigre

Quasi-stabilisation de la dette publique en 2015L’endettement de la France a atteint 2 096,9 milliards d’euros en 2015. Mais le seuil symbolique des 100 % du produit intérieur brut s’éloigne

L a dette publique de laFrance – toutes administra-tions confondues – s’élevait

à 2 096,9 milliards d’euros à la fin

de l’année 2015, selon les chiffrespubliés vendredi 25 mars parl’Insee. Soit un accroissement de56,6 milliards d’euros, après +85,9 milliards en 2014. Elle atteint95,7 % du produit intérieur brut(PIB), contre 95,3 % fin 2014, soitune quasi-stabilisation (+0,4 point) après des années dehausse.

Entre 2012 et 2013, elle était pas-sée de 89,6 % à 92,4 % (+2,8 points) du PIB et avait encoreprogressé de 2,9 points l’annéesuivante. Depuis le début du quin-quennat de François Hollande,elle a crû de 6,1 points. Sous celui

de Nicolas Sarkozy, marqué par lacrise financière de 2008 et une ré-cession mondiale, elle avait enre-gistré une progression de

25 points. Elle représentait 64,2 %du PIB en 2007.

Un léger excédentLa dette publique nette (dont sontdéduits les dépôts, les crédits etles titres de créances négociablespar les administrations publiquessur les autres secteurs) enregistreune hausse similaire : elle s’établitdésormais à 86,9 % du PIB(1 904,1 mi lliards d’euros) après86,5 % en 2014 (1 850,6 milliards).Mais c’est toutefois la dette brute,au sens de Maastricht, qui sera no-tifiée à la Commission euro-péenne.

L’Etat, à lui seul, participe pour1 661,2 milliards d’euros au creu-sement de la dette publique. Sacontribution s’est accrue de

49,8 milliards d’euros. En revan-che, la dette des organismes di-vers d’administration centrale(18,9 milliards d’euros) a diminuéde 3,8 milliards d’euros, en grandepartie du fait de la sortie du Fondsde garantie des dépôts et de réso-lution (FGDR) du périmètre desadministrations publiques.

Malgré le léger excédent qu’ellesenregistrent en 2015, les collectivi-tés territoriales ont vu leur detteatteindre 196,5 milliards d’euros àla fin de l’année, contre 189,5 mil-liards fin 2014, soit une hausse de7 milliards d’euros. Elles ont accrude 5,1 milliards d’euros leurs place-

ments sous forme de dépôts auTrésor. Enfin, la contribution desadministrations de Sécurité so-ciale à la dette publique augmente

de 3,6 milliards d’euros, pour s’éta-blir à 220,3 milliards fin 2015.

Alors que de nombreuses voixse demandaient si le seuil symbo-lique des 100 % de dette publiqueserait franchi pendant le quin-quennat de François Hollande,l’année 2016 pourrait-elle mar-quer au contraire la fin de l’ac-croissement de la dette ? Les résul-tats publiés vendredi donnent undébut de réponse. « J’ai toujoursdit que nous ne franchirions pas cecap des 100 %, rappelle le ministredes finances, Michel Sapin. Noussommes vraiment dans la stabili-sation. »

Cette tendance devrait se pro-longer en 2016. La combinaisond’un niveau de déficit en diminu-tion, d’une croissance en progres-

sion – la loi de finances table surune progression du PIB de 1,5 % –et de taux bas – ils évitent d’avoirà refinancer, donc à réemprunter,pour payer la charge des intérêts –aboutissent à ce que le ratio de ladette n’augmente plus.

Gare à la remontée des tauxEn cours d’année, des mouve-ments de yo-yo peuvent subvenir.Mais pas dans une amplitude quirapproche le montant de la dettepublique des 100 % du PIB.

La France, comme l’ensembledes pays européens, reste toute-fois à la merci d’une remontée des

taux d’intérêt. Cette perspective,pour l’heure, ne semble pas d’ac-tualité immédiate mais il est évi-dent que la persistance de taux

bas a un effet anesthésiant qui at-ténue l’impact budgétaire.

Quoi qu’il en soit, la dette conti-nue de représenter le deuxièmeposte de dépenses de l’Etat. LaFrance reste dans le peloton detête des pays européens les plusendettés. Elle se situe au huitièmerang, devancée par la Grèce, l’Ita-lie, le Portugal, Chypre, l’Irlande, laBelgique et l’Espagne. Sur lesvingt-huit pays de l’Union euro-péenne, seuls huit sont parvenusà réduire leur endettementen 2014. La France ne fait pas par-tie de ce club très fermé.p

p. rr

Le déficit public s’améliore mais le chômage n’est toujours pas enrayé

 Sous la présidence de François Hollande, une évolution du chômage toujours en hausse

Total des demandeurs d’emploi,

en millions de personnes Variation mensuelle du nombre de chômeurs,

en milliers de personnes

2,8

3,0

3,2

3,6

3,4

Mai2012

Sept.2012

Janv.2013

Mai2013

Sept.2013

Janv.2014

Mai2014

2,9

30,3

20,8

3937,7

33,6

37,8

26,9

12,5

52,1

14,1

18,7

34,7

4,1

10,512,8

– 32,7

53,2

– 21,6

21,1

9,3

19,521,8

2,1

10,5

25

8,6

22,3

DEMANDEURS D’EMPLOI DE CATÉGORIE A EN FRANCE MÉTROPOLITAINE (HORS OUTRE-MER)

Promesse faite,

le 9 septembre,

par François Hollande

d’inverser la courbedu chômage

« d’ici un an »

Baisse puis

hausse, liées à

un problème

de comptagepar SMS, dit

« bug de SFR »

L’engagement

d’inverser

la courbe

du chômage,repoussé à fin 2013,

n’est pas tenu

3

DÉFICIT, EN % DU PIB DETTE PUBLIQUE, EN % DU PIB CROISSANCE DU PIB,EN %

201420132012 2015

201420132012 20152015

T1 T2 T3 T4

1 Des comptes publics qui s’améliorent

– 3,5

– 6,8

0,6

0,0

0,4

89,6 92,4 95,3

– 4,0 – 4,0

95,7

0,3

LE TAUXDE PRÉLÈVEMENT

OBLIGATOIRE EST

EN RECUL POUR

LA PREMIÈRE FOISDEPUIS 2009

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

http://slidepdf.com/reader/full/monde-5-en-1-du-samedi-26-mars-2016 123/142

0123SAMEDI 26 MARS 2016 économie & entreprise | 5

progression et que, à ce rythme-là, les 3 %n’étaient pas près d’être atteints. A fortiori àl’approche de l’élection présidentielle, où legouvernement peut être tenté de desserrerles cordons de la bourse et de ne plus faire dela maîtrise du déficit un objectif prioritaire.

En passant de 4 % à 3,5 % de déficit public,

l’effort est plus significatif et cela change sin-gulièrement la nature de la discussion avecBruxelles. L’objectif de 3,3 % fixé dans la loide finances pour 2016 – alors que les recom-mandations de la Commission, elles, tablentsur 3,4 % – apparaît largement à portée.

« C’est la première fois depuis longtempsque la France, non seulement atteint les objec-tifs qu’elle s’était fixés mais, même, les amé-liore, souligne M. Sapin. Pour 2016 et 2017, cesont des chiffres qui crédibilisent la positionde la France. »

Le gouvernement ne cesse de répéter, urbiet orbi, que toutes les dépenses nouvelles quiont été annoncées pour 2016 – elles sont éva-luées à près de 3 milliards d’euros –, seront fi-nancées par des économies supplémentai-res. Il y a notamment le plan pour l’emploi etla formation, les aides aux agriculteurs, la re-valorisation des salaires des fonctionnaires,l’extension de la garantie jeunes. Sans comp-ter l’éventualité d’un geste en faveur des col-lectivités territoriales – même si, à ce stade,

aucune décision n’est prise sur ce point.« Nous n’ouvrons pas les vannes, se défend M.Sapin.  Nous répondons à des besoins légiti-mes, sans remettre en cause les objectifs de ré-duction du déficit. »

C’est ce que le premier ministre, ManuelValls, a encore redit à Bruxelles, mercredi23 mars, lors de sa rencontre avec le collègedes commissaires européens présidé par leLuxembourgeois Jean-Claude Juncker.

Sa parole prend un peu plus de crédit avecles résultats qui viennent d’être publiés etqui seront notifiés à la Commission euro-péenne. Celle-ci devrait en tenir comptedans son appréciation de la politique budgé-taire de la France. p

patrick roger

Les entreprises tricolores renouentprudemment avec l’investissementLe redressement du taux de marge des entreprises devrait se poursuivre en 2016,selon l’Insee. Mais le moral des patrons reste très moyen

D oucement mais sûre-ment, les entreprisesfrançaises voient la lu-

mière au bout du tunnel. Selon ledétail des comptes nationaux pu-bliés vendredi 25 mars par l’Insee,leur taux de marge a grimpé à31,4 % au quatrième trimestre2015, soit leur plus haut niveau de-puis début 2011. Sur l’ensemble del’année, il ressort à 31 %, contre29,5 % en 2014. « C’est un redresse-ment spectaculaire : il a retrouvéson niveau d’avant-crise »,  noteMathieu Plane, économiste à l’Of-fice français des conjonctureséconomiques (OFCE).

L’Insee confirme également quele produit intérieur brut (PIB) aprogressé de 0,3 % sur les trois der-niers mois de 2015. Cela porte lacroissance sur l’année à 1,2 %, con-tre 1,1 % estimé en janvier, « en rai-son de légères révisions », précisel’Insee. L’année 2015 est donc belet bien celle de la reprise française,malgré une consommation desménages poussive (+ 0,6 %) : lesexportations ont bondi de 6,1 %, etl’investissement des entreprisesnon financières a gonflé de 2 %.

Le taux de marge des sociétésnon financières s’est redresséprincipalement du fait de la

baisse des cours du pétrole et del’euro enregistrée ces derniersmois. Mais aussi grâce aux mesu-res gouvernementales, comme lepacte de responsabilité et le créditd’impôt pour la compétitivité etl’emploi (CICE). L’instauration dela mesure du suramortissementen avril 2015, qui devrait être pro-longée jusqu’à fin 2016, a égale-ment contribué à gonfler l’inves-tissement tricolore en machines.

Résultat ? « Le cercle vertueuxd’une reprise autoentretenue s’estenfin enclenché en 2015 », estimeHélène Baudchon, chez BNP Pari-bas. Un peu plus confiantes, les

entreprises ont prudemmentaugmenté investissements et em-bauches, au profit de l’activité.« L’ennui, c’est que c e cercle ver-tueux reste d’une ampleur mo-deste », précise Mme Baudchon.

Il n’est pas exclu que cette em-bellie retombe en 2016, même sil’Insee prévoit que le taux demarge poursuive sa remontée.Bien qu’encourageante, la reprisede l’investissement reste en effetfragile : en moyenne, il a aug-menté de 0,8 % par trimestreen 2015, contre 1,2 % lors des pré-cédentes reprises, entre 1993 et2000 et entre 2003 et 2007. « De

 plus, les entreprises ont investi es-sentiellement pour remplacer del’équipement obsolète, et non pourconstruire de nouvelles capacitésde production », s’inquiète GillesMoec, économiste chez Bank of America ML.

« Nécessaire mais pas suffisant »

Un pessimisme que ne partagepas l’OFCE. Selon M. Plane, les en-treprises ont avant tout profité del’éclaircie de 2015 pour consoliderleur situation financière : « les vé-ritables projets d’investissementsuivront en 2016 ». De même, si lahausse du pouvoir d’achat des

ménages (+ 1,8 % en 2015, après+ 1,1 % en 2014) s’est, jusqu’ici, sur-tout traduite par une hausse dutaux d’épargne (15,9 % fin 2015),elle pourrait désormais profiter àla consommation.

D’autant que les bonnes fées quiont porté l’activité ces douze der-niers mois seront encore présen-tes en 2016 : bas coûts du pétrole,euro faible, taux d’intérêt avanta-geux. D’après l’Insee, ces deuxderniers facteurs ont soutenu lacroissance à hauteur de 0,4 pointde PIB en 2015. « Ce cocktail favo-rable est une condition nécessaire,mais pas suffisante », prévient

néanmoins Philippe Waechter,chez Natixis AM.

De fait, l’élément déterminantpour l’accélération de l’investisse-ment reste la confiance des chefsd’entreprise. Et, surtout, leur con-viction que leurs carnets de com-mande vont gonfler . Or, l’horizons’est plutôt obscurci en la matière :ralentissement du commercemondial, inquiétudes sur l’écono-mie chinoise, doutes sur celle desEtats-Unis… « Cela risque de peser sur le moral des patrons », redouteAxelle Lacan, chez Coe-Rexecode.Selon elle, l’investissement des en-treprises ne devrait guère croître

de plus de 2,9 % en 2016.Cela permettra-t-il à la crois-

sance française d’atteindre 1,5 %cette année, comme tablent legouvernement et l’Insee ? Oui,juge le camp des optimistes. Pro-bablement pas, estiment les pes-simistes, rappelant que l’investis-sement des ménages et celui desadministrations publiques, quiont respectivement reculé de2,8 % et 3 % l’an dernier, devraientrester dans le rouge. En somme, lareprise 2016 s’annonce à l’imagede celle de 2015 : pas mauvaise,mais pas brillante non plus… p

marie charrel

SOURCES : DARES ; INSEE

Sept.2014

Janvier2015

Mai2015

Sept.2015

Févr.2016

Déc.2015

3,59

30,1

– 17,7

– 27,9

38,4

– 2,7– 4,4

0,4

28,7

13

17

26,8

9,3

13,7 12,310,9

21,1

– 3,9

– 10,5

19,2

CONSOMMATION DES MÉNAGES,VARIATION, EN %

INVESTISSEMENT DES ENTREPRISES,EN %

2015T1 T2 T3

T4 2015T1 T2 T3 T4

2 Dans un contexte de croissance molle

0,6

0,9

0,5 0,5

0,4

0,0

1,2

– 0,1

Le chômage repart à la hausse en février,avec 38 400 demandeurs d’emploi de plusAprès une forte baisse en janvier, la situation sur le marché du travail s’est de nouveaudégradée. L’exécutif reste convaincu que le repli du chômage va s’amorcer rapidement

L’ éclaircie n’aura duré qu’unmois, une fois de plus.Après avoir nettement

baissé en janvier, le nombre de de-mandeurs d’emploi sans aucuneactivité (catégorie A) est reparti –encore plus vivement – à la hausseen février. Il s’élève désormais à3,591 millions de personnes enmétropole (un peu plus de3,852 millions en incluant l’outre-

mer). Un nouveau record.En un mois, les chiffres ont pro-gressé de 38 400 (+ 1,1 %), soit lequatrième plus mauvais résultatdepuis le début du quinquennatde François Hollande. Il faut re-monter à septembre 2013 pour re-trouver une progression plus sou-tenue (+ 53 200). Les données ontété dévoilées jeudi 24 mars quel-ques heures après la présentationen conseil des ministres du projetde « loi travail », dont l’un des ob-jectifs est précisément de s’atta-quer aux causes structurelles duchômage. Cruel télescopage pourle gouvernement.

Autre coup dur : les moins de25 ans sans aucune activité et quirecherchent du travail ont été unpeu plus nombreux en février (+0,5 %), alors que leurs effectifs dé-croissaient depuis des mois.

« [Cela] ne remet pas en cause labaisse que nous observons depuis plus d’un an [– 4,5 %] », a toutefoisestimé la ministre du travail, My-riam El Khomri, dans un commu-niqué. Les autres tranches d’âgesont, elles aussi, touchées (+ 1,3 %pour les 25-49 ans et + 0,9 % pourles plus de 50 ans, sur un mois).

Enfin, la situation des chômeursde longue durée continue de sedégrader : le nombre de person-nes à la recherche d’un emploi de-puis au moins un an augmenteencore (+ 0,3 % en un mois dansl’Hexagone ; + 8,5 % sur un an) .L’envolée est encore plus fortepour celles qui sont au chômagedepuis au moins trois ans (+ 0,5 %en un mois ; + 14,1 % sur un an).

Vases communicants

« Nous sommes toujours dans uncontexte d’approfondissement duchômage, avec un enchaînement de quinze semestres durant les-quels le marché du travail se dété-riore, commente Yannick L’Horty,professeur à l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée. Il n’y a pas de si- gne laissant entrevoir un renverse-ment, à court terme, de cette évolu-tion. » En 2015, les créations d’em-plois dans le secteur privé (horsagriculture) ont, certes, été supé-rieures aux destructions de pos-

tes (une première depuis 2011),mais cela n’a pas suffi pour don-ner une activité aux nouveauxentrants dans le monde du tra-vail, ajoute M. L’Horty.

La contre-performance obser-vée en février doit toutefois êtrerelativisée. Car dans le mêmetemps, le nombre de personnes àla recherche d’un poste maisayant travaillé en février (catégo-

ries B et C) a reflué. Ces évolutionsdivergentes peuvent laisser sup-poser qu’un mouvement de vasescommunicants s’est produit entrejanvier et février. Mme El Khomria d’ailleurs mis en avant cetteexplication : l’augmentation de38 400 résulte« en très grande par-tie par la bascule en catégorie A »de demandeurs d’emploi jus-qu’alors alors comptabilisés dansles catégories B et C, lorsqu’ilsexerçaient une activité réduite,« les mois précédents ». Mais la ten-dance reste à la hausse, quellesque soient la catégorie retenue et

la période de référence (+ 0,6 %sur les trois derniers mois et +2,5 % en un an pour les inscrits àPôle emploi sans aucune activité,dans l’Hexagone).

L’exécutif reste malgré tout con-vaincu que le repli du chômage vaprochainement s’amorcer. Depuisla fin du printemps 2015, les don-nées de Pôle emploi évoluent endents de scie : un mois, elles bais-

sent, le mois d’après, elles s’ac-croissent. « On a atteint une phasede plateau, estime une source ausein de l’exécutif.Toute la questionmaintenant est de savoir à quelmoment ça va redescendre dura-blement. » D’après ce conseiller, lafameuse inversion de la courbe,promise en septembre 2012 parM. Hollande pour la fin 2013, de-vrait se dessiner « avant l’été » grâce, en particulier, aux effetsconjugués de la reprise économi-que et du plan pour l’emploi dé-voilé le 18 janvier par le présidentde la République (500 000 forma-tions supplémentaires en fa-veur des chômeurs, primes àl’embauche, etc.).

M. L’Horty, lui, table sur une in-flexion un peu plus tardive : « On peut raisonnablement anticiperune stabilisation, voire une amé-

lioration, à la fin de l’année. »L’Insee, de son côté, prévoit que letaux de chômage devrait s’établirà 9,9 % en métropole à la mi-2016,contre 10 % au dernier trimestre2015. Le gouvernement touchepeut-être au but mais il lui fautencore patienter.p

bertrand bissuel

Croissance ralentie dans l’intérim

L’emploi intérimaire, considéré comme un indicateur permettantd’anticiper l’évolution générale du marché du travail, a vu sa crois-sance ralentir pour le deuxième mois consécutif en février, selon le

baromètre mensuel Prism’emploi publié jeudi 24 mars : + 4,3 %(sur un an), contre + 5,6 % en janvier et + 9,7 % en décembre 2015.L’augmentation du nombre d’intérimaires a ralenti dans l’industrie(+ 2,6 % en février après + 4,4 % en janvier), dans le commerce(+ 4,9 % contre + 6,3 %) et dans les services (+ 4,1 %, contre+ 6,1 %). Le secteur du BTP a, lui, enregistré une croissance plusforte : + 7,1 % en février, contre + 3,1 % en janvier. Prism’emploi yvoit « un signe positif après un très fort ralentissement l’année der-nière », annonciateur d’une reprise de l’activité dans le bâtiment.

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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6 | économie & entreprise SAMEDI 26 MARS 2016

0123

Les médicamentsles plus onéreux

devront prouverleur intérêtUn décret fixe les règles deremboursement des moléculesles plus chères prescrites à l’hôpital

Le décret paru vendredi25 mars au Journal officiela clarifié les règles de rem-boursement des médica-

ments les plus chers prescrits àl’hôpital. Jusque-là, leur prise encharge dépendait des recomman-dations du conseil de l’hospitalisa-

tion, une commission compre-nant principalement des adminis-trations de l’Etat et l’Assurance-maladie. Désormais, elles’appuiera exclusivement sur descritères scientifiques et médicaux.

Le remboursement sera condi-tionné par la « note » délivrée parla Haute Autorité de santé (HAS),reflétant l’intérêt thérapeutiqued’un médicament par rapportaux traitements existants. Cette« amélioration du service médicalrendu » (ASMR) s’échelonne de I(progrès majeur) à V (absence deprogrès thérapeutique) et condi-tionne en partie le prix du médi-cament : en 2014, 90 % des médi-caments examinés par la HAS ontobtenu un V et seulement 7 % uneASMR de I, II ou III.

Seuls les médicaments ayant ob-tenu une « bonne » note (ASMR I à

III) auront a priori droit de cité surla liste. Associations de patients,médecins, industriels… s’inquiè-tent que certaines moléculesmoins bien notées, mais qui leursemblent malgré tout indispensa-bles, ne soient plus remboursées.

« Avant, on pouvait déroger auxrègles, pour recommander ou nonà la ministre l’inscription ou la ra-diation. La ministre avait aussi lelibre choix de suivre ou non la re-commandation du conseil del’hospitalisation », explique Yva-nie Caillé, présidente de l’associa-

tion Renaloo. Ce mécanisme ex-plique que certains médicamentsmal notés (ASMR IV ou V) figurentmalgré tout sur la liste. Désor-mais, cette dérogation ne devraitplus être possible.

« Le prix doit être juste »

L’accès à ces molécules sera-t-ilremis en cause ? Le ministère seveut rassurant : « Le décret n’a pasvocation à sortir de la liste des mé-dicaments qui y auraient été ins-crits précédemment, explique-t-on. Il ne devrait pas y avoir de res-trictions pour l’accès aux traite-ments innovants et coûteux. »

Certaines associations de pa-tients en sont moins convaincues.Renaloo, qui bataille depuis des an-nées pour que le belatacept (Nulo-jix) soit inscrit sur cette liste, craintainsi que la barrière à l’entrée soit

trop élevée. Ce médicament, auto-risé depuis 2011 en Europe et auxEtats-Unis en prévention du rejetdu greffon rénal, a en France uneASMR VI, ce qui « risque de priver les patients de l’accès à des médica-ments innovants », explique Yvanie

ments de santé dans la prescrip-tion des médicaments qui se-raient radiés de la liste en sus :« Laligne doit être claire : soit ils ont unintérêt, et ils doivent être pris encharge de la même façon partout,soit ils n’en ont pas, et il n’y a pas deraison pour que les établissementsles mieux dotés continuent à les prescrire ».

L’enjeu pour le ministre est eneffet aussi de réduire la facture demédicaments : la liste de ces molé-cules onéreuses, dite liste en sus,créée en 2004, comporte désor-mais une centaine de médica-ments (de nombreux anticancé-

reux et des molécules destinées àtraiter des maladies rares). Soncoût est de plus en plus élevé : plusde 3 milliards d’euros en 2014, con-tre 2,6 milliards en 2012.

Au-delà, le sujet de la prise encharge des médicaments onéreux

reste entier. Nombreux sont ceuxqui s’inquiètent de la prise encharge des traitements anticancé-reux. Dans une tribune publiéedans Le Figaro  du 14 mars, deuxcancérologues, Dominique Mara-ninchi et Jean-Paul Vernant, ap-puyés par 110 signataires, tirent lasonnette d’alarme :« Face à l’infla-tion des prix pratiqués par des la-boratoires pharmaceutiques en-clins à optimiser leurs gains, desmenaces réelles pèsent sur l’équitéd’accès des patients aux traite-ments innovants des cancers,comme sur la pérennité de notresystème de santé solidaire ».

« Les prix des médicaments inno-vants sont excessifs, ils ne tiennent compte que du “service médicalrendu” au lieu de prendre encompte la réalité des coûts. Aujourd’hui, les traitements de-viennent de plus en plus ciblés, un

médicament peut être efficace pour un tout petit nombre de per-sonnes malades », explique Cathe-rine Simonin, présidente de la Li-gue contre le cancer du Tarn-et-Garonne et administratrice de laLigue contre le cancer.

Cette dernière ne cesse de de-mander de plus de transparencedans la fixation des prix et dans leremboursement des médica-ments innovants. « Le prix doit être juste, pertinent, équitable. Avant ilétait basé sur la recherche et déve-loppement, maintenant il est fonc-tion de l’ASMR, sans réflexion éthi-que ni citoyenne, mais avec le seul

enjeu économique, des laboratoiresqui prennent en otage les mala-des », dénonce l’avocate GiovannaMarsico, directrice de l’associationCancer Contribution.p

pascale santi

et chloé hecketsweiler

L’anticancéreux Avastin. BRUGER/PHANIE

Caillé. Christian Saout, secrétairegénéral délégué du Collectif inte-rassociatif sur la santé (CISS), se ditlui aussi « inquiet » et« furieux de la façon dont les acteurs n’ont pas étéconcertés en temps voulu, c’est-à-dire avant la transmission du décret au Conseil d’Etat ».

Les médecins sont eux aussiperplexes. « Nous sommes bienconscients que la prescription desmolécules onéreuses doit être en-cadrée et la clarification des règlesd’inscription sur la liste en sus estune bonne chose, indique le DrJean-Yves Pierga, oncologue àl’Institut Curie. Le débat porte da-

vantage sur l’évaluation des médi-caments : sur quels critères scienti- fiques et médicaux se fonde-t-elle ?Comment prendre en compte lesdonnées d’efficacité en vie réelle ? »

Le médecin s’interroge aussi surla latitude laissée aux établisse-

AMEUBLEMENTUn portugais candidatà la reprise de CauvalLe fabricant de literies etcanapés portugais Aquinosa annoncé, jeudi 24 mars,son intention de déposerune offre de reprise globaledu matelassier français Cau-val (Dunlopillo, Simmons,Tréca), placé en redresse-

ment judiciaire le 29 février.Avant cette date, Aquinos,qui négociait un rachat deCauval, avait jeté l’éponge àcause de la situation finan-cière du français. D’autresrepreneurs potentiels sontsur les rangs, dont le spécia-liste français de la literie PEGet le suédois Hilding Anders,ainsi que des fonds de re-tournement. La date limitede dépôt des offres a étéfixée au 4 avril. – (AFP.)

RÉSULTATSLe groupe Bolloréenregistre des bénéficesen forte hausseLe groupe Bolloré a publié,jeudi 24 mars, un bénéficenet part en hausse de 157 %,à 564 millions d’euros. Le ré-

sultat opérationnel atteint701 millions d’euros, enhausse de 8 % sur un an,tiré par « les résultats des acti-vités transport et logistique,qui bénéficient de la bonnemarche des activités decommission de transportdans le monde et des termi-naux portuaires en Afrique »,précise la holding.L’endettement net passe de1,771 milliard d’euros en 2014à 4,281 milliards en 2015,alors que le groupe a portésa participation dans Vivendide 5,1 % à 14,4 %. – (AFP.)

Paris dénonce la « privatisation » de la gouvernance d’InternetLa France craint la mainmise des géants américains du Web sur l’Icann, l’organisme de régulation de la Toile

L a réforme se voulait histori-que. Deux semaines aprèsla validation, lors de la réu-

nion de Marrakech, du plan de

transition de l’Internet Corpora-tion for Assigned Names andNumbers (Icann – la société pourl’attribution des noms de do-maine et des numéros sur Inter-net) censé mettre fin à la tutelledes Etats-Unis sur ses activités, lespremières fissurent apparaissent.

Le Quai d’Orsay se dit aujourd’huidéçu par les modalités de la futureorganisation et dénonce notam-ment la mainmise des géants

américains du Net, Google etAmazon en tête, sur la gouver-nance d’Internet. En cause, lepoids des lobbys des « GAFA »(Google, Apple, Facebook, Ama-zon) lors des discussions sur la ré-forme. Ces derniers sont ainsi par-venus à réduire l’influence des

Etats au sein de l’organisation.«  Les intérêts privés vont mainte-nant écraser les intérêts représen-tés par les gouvernements », com-

mentait-on, mercredi 23 mars, auministère des affaires étrangères.Depuis 1998, date de sa création,

l’Icann administre le réseau Inter-net, gérant notamment l’attribu-tion des noms de domaine à tra-vers le monde. C’est grâce à luique les internautes accèdent àune adresse Internet en tapantdes noms de domaines plutôtqu’une longue série de chiffres(adresse IP).

« Eau tiède »

Peu connue du grand public, cetteorganisation a fait parler d’elleen 2014 lorsque la secrétaire d’Etatfrançaise chargée du numérique,Axelle Lemaire, avait menacé àgrands cris de la quitter après quecelle-ci avait mis en vente les ex-tensions «.vin » et «.wine ». Al’époque, déjà, la question de l’in-

dépendance de l’Icann agitait lesgouvernements. Car l’organisa-tion, implantée à Los Angeles etqui relève du droit californien, estsous la supervision du départe-ment du commerce américain.« Cela signif ie concrète ment que pour les paramétrages du “.fr”, il faut l’accord du gouvernementaméricain », souligne-t-on auQuai d’Orsay.

La réforme a mis du temps à voirle jour. C’est le scandale des écou-tes de la NSA, révélé par EdouardSnowden en juin 2013, qui a dé-clenché le processus. Face à laperte de confiance des utilisa-

teurs dans le réseau des réseaux,et sous la pression du président del’Icann de l’époque, Fadi Chehadé,les Etats-Unis se sont finalementdéclarés prêts, en mars 2014, àabandonner leur rôle central dansl’organisation au profit d’une gou-vernance mondiale. Une décisionsaluée en son temps par la France.

Deux ans plus tard, la transitionentamée pour se défaire de la tu-telle américaine est presque termi-née, mais Paris se sent floué. « Onest dans la privatisation de l’Icann,

 pas dans son internationalisation. Les Etats-Unis reprennent d’unemain ce qu’ils donnent de l’autre »,selon l’analyse du Quai d’Orsay.Pour la France, l’un des problèmesmajeurs de la future organisationtient aux modalités relatives auGAC (pour Governmental Advi-sory Committee), le comité con-sultatif des gouvernements, un or-gane de l’Icann qui réunit les repré-sentants des Etats du monde en-tier. Désormais, ce dernier devra seprononcer à l’unanimité. « C’estune condition insatisfaisante. L’obligation de consensus ne pro-duit que de l’eau tiède. »

Une position partagée parMme Lemaire. « Certains élémentsde ce projet de réforme auront pour conséquence de marginaliser les

 Etats dans les processus de décisionde l’Icann, notamment en compa-raison du rôle accordé au secteur privé », a-t-elle précisé dans uncommuniqué jeudi 24 mars.

Pour justifier cette décision, lesEtats-Unis invoquent le spectred’une prise de contrôle d’Etatsnon démocratiques sur l’Internet.Dans sa ligne de mire : la Russie etla Chine. Le candidat républicain àla présidentielle américaine, TedCruz, soutient notamment cettethèse. Un non-sens d’après le Quaid’Orsay : «Ces pays ont joué le rôled’épouvantail. D’autant que le GAC[dont font partie la Russie et laChine] n’a pas de voix délibérative. Il ne fait que produire un avis. »

Si la France a pu bénéficier dusoutien d’une majorité des paysd’Amérique latine, comme le Bré-sil ou l’Argentine, et des pays afri-

cains, les opinions étaient cepen-dant plus tranchées en Europe. LeRoyaume-Uni et les pays nordi-ques, comme la Suède et le Dane-mark, ont ainsi préféré se rallier àla position américaine, illustrantle manque d’unité européennesur la question. Avant d’être effec-tive, cette réforme de la gouver-nance d’Internet devra d’abordêtre adoptée par le Congrès amé-ricain, une probable formalité.L’Icann devrait ainsi officielle-ment quitter le giron américain àla fin septembre pour devenir unbien commun mondial.p

zeliha chaffin

La structure

est jusqu’à fin

septembre sous

la supervision

du département

du commerce

américain

Paris1er : 19 Rue des Halles - tél. : 01 42 33 41 57 - les-halles.home-contemporain.com

Paris6 ème : 27 rue Mazarine-  tél. : 01 43 25 55 00 - mazarine.home-contemporain.com

Lille : 18 rue de Pas - tél. : 03 20 30 08 92 - lille.home-contemporain.com

JOURNEES

DECOUVERTES jusqu’au 23 avri l 2 0 1 6

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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0123SAMEDI 26 MARS 2016 idées | 7

MA VIE EN BOÎTE | CHRONIQUEpar annie kahn

Les modestes font de bons chefs, mais de piètres carrières

Les personnes ayant tendance àse sous-estimer m’ont tou-

jours inspiré bien davantageconfiance que les hâbleurs. J’écoutaisdonc, perplexe, les coachs et autresspécialistes des ressources humai-nes qui incitent les candidats à l’em-bauche à se survendre, pour mieuxconvaincre de leurs capacités. Uneattitude que les femmes – réputéespour douter davantage d’elles-mê-mes – adoptent plus difficilement, cequi expliquerait, en partie, dit-on,qu’elles aient plus de mal à faire car-rière et perçoivent des rémunéra-tions inférieures à celles de leurs col-lègues masculins, pour des fonctionséquivalentes.

Une étude vient de me donner rai-son. Sur le premier point du moins.A savoir qu’il est sain de préférer lesmodestes, car les dirigeants qui sesous-estiment sont les meilleurs, ontprouvé Jack Zenger et Joseph Folk-

man, respectivement directeur géné-ral et président du cabinet de conseilen ressources humaines Zenger Folk-man. Les résultats de leurs travauxont été publiés dans la Harvard Busi-ness Review de novembre 2015.

Ils ont compilé les résultats des« analyses 360 degrés » de

69 000 manageurs, eux-mêmes jugéspar un total de 750 000 salariés decentaines d’entreprises. Pour les béo-tiens, « le 360 degrés » est une mé-thode très prisée des directions desressources humaines. Elle consiste àfaire évaluer les comportements d’unindividu par son supérieur hiérarchi-que, ses collaborateurs, ses subor-donnés, ses clients internes ou exter-nes, ses fournisseurs et partenaires.L’évalué sélectionne les participantsà son évaluation. Il se note égale-ment lui-même.

Première constatation : les mana-geurs se voient rarement tels qu’ilssont. Le « connais-toi toi-même » so-cratique serait donc une pratique ex-ceptionnelle – ce qui explique certesle succès de la méthode en question,qui permet de cerner ses forces et sesfaiblesses.

Deuxième constatation : plusl’écart entre la note que s’attribue unmanageur et celle que lui ont attri-buée en moyenne ses collègues detravail est important, plus ces der-niers le jugent positivement si le

chef s’est sous-estimé, et vice versa.La règle est formelle.

Troisième constatation : les colla-borateurs et partenaires de ces diri-geants antigonflette s’impliquent da-vantage dans leur travail.

Il en serait ainsi « parce que les diri- geants qui se sous-estiment sont mo-destes, mais qu’ils se fixent néan-moins des objectifs élevés, ce qui lesincite à s’améliorer en permanence »,  expliquent les auteurs de l’étude. Lemanque de confiance en soi incite àtravailler davantage.

NUISIBLE EFFET DE SURCONFIANCEDeux psychologues, David Dunninget Justin Kruger, avaient déjà identi-fié les dégâts causés par l’« effet desurconfiance » dès la fin des années1990, mettant en évidence le fait queles plus compétents ont tendance àse sous-estimer et inversement. Maisils n’en avaient pas étudié les réper-

cussions auprès des réseaux de colla-borateurs en entreprise.Pour que la règle se confirme, il

faut néanmoins que le modeste soitambitieux, prêt à se battre pour sur-monter les obstacles. Ce qui n’est pas

le cas du commun des mortels. Selonune recherche menée en 1995 par

Claude Savard, président de la Com-mission des études de l’université La-val de Québec (Canada), « sous-esti-mer son habileté a des conséquencessur la motivation à réaliser une future

 performance ». Un constat certes éta-bli dans un domaine éloigné de l’en-treprise, à savoir celui des joueurs devolley-ball de haut niveau. Lesjoueurs qui se sous-estiment se dé-couragent plus facilement et ris-quent de se cantonner à des tâchestrop faciles, eu égard à leur potentiel.Et de ce fait de manquer égalementd’ambition pour leurs camarades,peut-on en déduire.

Tout est encore une question de do-sage. Il faut douter de soi avec modé-ration, pour préserver ses ambitions,sans céder au découragement. Alorsqu’un être arrogant, sûr de lui, est plusfacilement ambitieux. Mais il n’est

pas un bon dirigeant pour autant.Bien au contraire. Car, s’il estime déjàtout savoir, s’il ne doute jamais de lui-même, il ne peut être à l’écoute desautres. Les patrons narcissiques fontdes employés malheureux.

Là où le bât blesse, c’est que les chefsde chefs modestes, qui, pour la plu-part, n’ont pas lu les travaux de Zen-ger Folkman, se laissent prendre aupiège, de fait sous-estiment celui-làmême qui se sous-estime, le privanteffectivement de promotion et d’aug-mentation, donnant ainsi raison auxcoachs mentionnés plus haut.

Moralité : le manageur idéal seracelui qui, naturellement modeste,saura jouer les prétentieux devantles plus gradés, ou tous ceux qui ont

le pouvoir de lui en donner. Sans ycroire. Bonimenteur de lui-même.Avec lucidité. p

[email protected] : @anniekahn2

IL FAUT DOUTER DE SOI

AVEC MODÉRATION,POUR PRÉSERVER SES

AMBITIONS, SANS CÉDERAU DÉCOURAGEMENT

Comme en Espagne, la « loitravail » est vouée à l’échec

S’inspirer de la réformeespagnole du marchédu travail est une erreur,

selon un collectifd’économistes menépar Josep Borrell

Dans le débat qui a lieu enFrance actuellement à pro-pos du projet de « loi tra-vail », le gouvernement dit

s’être inspiré de la réforme du gouver-nement conservateur espagnol dumarché du travail  [adoptée en fé-vrier 2012] , et ses défenseurs citent leseffets prétendument positifs que cel-le-ci aurait eus sur l’augmentation desembauches et des emplois stables.

Ainsi, dans l’article publié dans Le Monde du 5 mars (« Cette réformeest une avancée pour les plus fragi-les »), Olivier Blanchard, Jean Tirole,

Philippe Aghion et d’autres économis-tes distingués font valoir que, durantl’année 2012, sa première année d’ap-plication, la réforme espagnole a créé300 000 contrats à durée indétermi-née (CDI). Mais il s’agit d’une donnéepartielle et biaisée, qui ne décrit pascorrectement les effets de la réformeespagnole du travail. En effet, l’aug-mentation de 300 000 CDI en 2012 aété suivie, en 2013, d’une réduction de298 000 CDI. Le rebond dû à la ré-forme ne s’est donc pas maintenu.

Par ailleurs, entre 2012 et 2015, lenombre d’emplois en CDI a augmentéde 400 000, mais les contrats tempo-raires (CDD) ont atteint les 3,7 mil-lions. La situation ne s’est donc pasaméliorée, en particulier pour les tra-vailleurs les plus fragiles. Le taux deCDD a augmenté, passant de 24,8 % à25,7 %, d’une part, parce que la réformen’a pas modifié le fait que l’augmenta-

tion de l’emploi provoquée par l’amé-lioration économique est essentielle-

ment fondée sur un emploi précaireet, d’autre part, parce que persiste unusage frauduleux des CDD.

Les défenseurs de la réforme espa-

gnole du marché du travail estimentque cette dernière aurait contenu lacroissance du chômage (en 2012 et2013) et contribué à sa réduction mo-deste en 2014 et 2015 – moins de1,5 point de pourcentage par an. Lesévaluations de la réforme, même enlui attribuant tous les effets sur l’em-ploi, y compris ceux issus du change-ment de cycle économique, et malgrél’importance des mesures adoptéespar la réforme – parmi elles, la réduc-tion jusqu’à 42 % des indemnités de li-cenciement –, montrent une améliora-tion peu sensible de l’emploi durable.

Certes, on enregistre une légèrecroissance des sorties du chômagevers l’emploi durable, qui pourrait at-teindre les 24 000 cas par an, mais, enmême temps, on observe la subsis-tance d’un flux presque cinq fois supé-rieur de sortie du chômage vers l’em-

ploi temporaire. Toutefois, le fait si-gnificatif n’est pas tant le flux d’em-bauches que le stock (différences entreentrées et sorties), c’est-à-dire le nom-bre d’emplois, qui a diminué entre2011 et 2015 de 59 000, malgré la ten-dance à la reprise économique.

AUGMENTATION DES INÉGALITÉSDe plus, la réforme espagnole de 2012a eu des effets pervers sur d’autres as-pects du marché du travail – commeles salaires –, parmi lesquels une forteaugmentation de l’inégalité et de lapauvreté. La tribune du  Monde netient pas compte d’autres aspects duprojet de loi du gouvernement fran-çais, que l’on retrouve dans la réformedu gouvernement espagnol, commel’affaiblissement de la négociation col-lective [suppression de la négociationde branche] , avec un impact très im-portant sur les travailleurs touchant

les plus bas salaires.Finalement, nous croyons que la re-

prise de l’économie espagnole à partirdu second semestre 2013 ne s’expli-que pas par la politique d’austérité etla réforme, mais plutôt par l’impactde facteurs externes, comme la flexi-bilité dans la réduction du déficit pu-blic, la chute des taux d’intérêt, labaisse des prix du pétrole et la dépré-ciation de l’euro. Le projet de loiEl Khomri débouchera, sans aucundoute, comme en Espagne, sur unéchec, s’il est inspiré par les mêmescritères de réussite et de bien-fondéde la réforme menée par le gouverne-ment conservateur espagnol.p

par danièle blondel

Sous couvert de commiséra-tion à l’égard des nombreusesPME écrasées par la concur-rence internationale, le patro-

nat français presse le gouvernementde flexibiliser le marché du travailpour diminuer les coûts salariaux pe-sant sur la compétitivité, afin de re-lancer la création d’emplois.

N’entraîne-t-il pas ainsi les salariéset les chefs d’entreprise dans une spi-rale suicidaire plutôt que vers le nir-vana du gagnant-gagnant ?

Flexibiliser la relation salariale pour

gagner des marchés et relancer lacroissance et l’emploi, c’est, en effet,supposer que : sur les marchés mon-diaux, l’avantage concurrentiel déci-sif est le prix de vente, quels quesoient le produit, le secteur, le lieu dela production, le type de clientèle, lataille du marché ou la réputation dela firme ; les prix sont principalementfonction du coût direct ou indirect dutravail, peu importe le coût du capitalou le coût des autres entrants (l’éner-gie par exemple) ; les profits des en-treprises qui procèdent des succèscommerciaux sont largement réin-vestis sur place dans des activitéscréatrices d’emplois.

Le Medef serait-il le dernier élève deMarx ? Ce modèle n’est-il pas en effetcelui qui servit de base à Marx pouraffirmer, dans Le Capital, que la règle

d’or de l’accumulation capitaliste estla compression des coûts du travailphysique et pour conclure que cettedynamique conduit inéluctablementau dépérissement du profit et à l’im-plosion du capitalisme ?

Aujourd’hui, oubliant les odes di-thyrambiques qu’ils adressèrent na-guère au capital humain et les mil-liers de pages et d’heures de forma-tion consacrés au managementstratégique de la ressource humaine,le gouvernement et le Medef, toutcomme au XIXe  siècle, considèrent letravail comme un gisement ordinairede ressources productives exploitableau jour le jour.

PROJET DE LOI DOUBLEMENT PERVERSIgnorent-ils donc que la prévisionpessimiste de Marx a été déjouée parla métamorphose du capitalisme ? Depurement productiviste, après avoirexpérimenté le taylorisme, le for-disme et le toyotisme, il est devenucognitif en investissant désormaisdans la connaissance et l’intelligence,sources inépuisables d’innovationsde toutes sortes, éliminant au pas-sage les entreprises routinières.

Cette transformation invalide clai-rement les hypothèses implicites duprojet de loi sur le travail qui ne cor-respondent plus aux caractéristiquesde la compétition économique.

Les champions de la compétitivitéinternationale, y compris certainesentreprises françaises, comptentmoins sur la productivité de leur

force de travail que sur la matièregrise qu’elles peuvent mobiliser pourse créer, au moins provisoirement,des positions monopolistiques fon-dées sur des innovations. Ils usentpour ce faire de toute une paletted’instruments pour attirer les cer-veaux.

Les prix de vente sont largement dé-connectés des coûts de production :bénéficiant de rentes de monopole,les innovateurs efficaces ont la maî-trise totale de leurs prix. A l’autre boutdu spectre, les PME se voient souventimposer leur prix de vente par lesgrandes firmes dont elles sont lessous-traitantes sans aucune référence

à un marché de concurrence parfaite ;enfin tout un pan de l’économie, celuides réseaux caractérisés souvent parla gratuité, tire ses bénéfices de sour-

ces qui n’ont pas grand-chose à voiravec les coûts de production.

Loin d’être affectés systématique-ment à l’investissement réel, les pro-fits, largement distribués aux action-naires (près de 50 % pour le CAC 40cette année), se dispersent souventen placements spéculatifs sur lesmarchés financiers (éventuellementdans les paradis fiscaux), en place-ments immobiliers à l’étranger ou enthésaurisation.

Lutter avec le sabre émoussé de labaisse du coût salarial contre lalourde artillerie des multinationalesqui tirent actuellement profit de lapoule aux œufs d’or de l’intelligence,c’est appliquer à la France une politi-que productiviste ringarde que lespays émergents ont d’ores et déjà in-validée.

Au risque de régression de l’écono-

mie et d’accélération des destruc-tions d’emplois, faute d’investisse-ment dans les secteurs d’avenir,s’ajoute le risque de gaspillage etd’émigration définitive de nos « cer-veaux » découragés par un traite-ment statutaire inadapté à leur po-tentiel et par les injonctions para-doxales qui leur sont adressées.

L’avant-projet de loi sur le travail estainsi doublement pervers : lamain-d’œuvre peu ou mal qualifiéeest condamnée au chômage et à la pré-carité, tandis que l’adaptation de notreéconomie aux normes internationa-les de l’économie de l’intelligence estirréversiblement handicapée.

Alors si, de bonne foi, le patronatfrançais veut répondre au besoin demodernisation, accélérer la crois-sance et créer des emplois, ne de-vrait-il pas, au moins, remettre savieille montre marxiste à l’heure de

Schumpeter et de la destruction créa-trice avant de chercher à influencer legouvernement ? p

¶Danièle Blondel

est professeure émérited’économie à l’universitéParis-Dauphineet membre fondateur de l’Académiedes technologies

Le patronat entraîne salariés et chefsd’entreprise dans une spirale suicidaire

Lutter avec le sabre émoussé de la baissedu coût salarial contre la lourde artilleriedes multinationales, c’est appliquer à la France

une politique productiviste ringarde que les paysémergents ont d’ores et déjà invalidée

AU RISQUEDE RÉGRESSIONDE L’ÉCONOMIE

ET D’ACCÉLÉRATIONDES DESTRUCTIONS

D’EMPLOISS’AJOUTE LE RISQUEDE GASPILLAGE ET

D’ÉMIGRATION DÉFINITIVEDE NOS « CERVEAUX »

¶Josep Borrell estéconomiste, ancien ministreet président du Parlementeuropéen (2004-2007)

 Antonio Gonzalez,

 Alfonso Prieto,

Ignacio Pérez Infante,

Borja Suarez et Alberto

del Pozo sont économisteset juristes, membresd’Economistas Frentea la Crisis

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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8 | MÉDIAS&PIXELS SAMEDI 26 MARS 2016

0123

Banques piratées : les Etats-Unisinculpent sept IraniensEntre 2011 et 2013, une quarantaine d’établissements avaient été visés

D es dizaines de millions dedollars »  : c’est ce qu’au-raient coûté les attaques

informatiques menées entre 2011et 2013 aux Etats-Unis contre desinstitutions financières, selon leministère de la justice américain.Celui-ci a annoncé, jeudi 24 mars,l’inculpation, dans ce dossier, desept Iraniens, spécialistes de la sé-curité informatique et tous liés,

selon lui, aux gardiens de la révo-lution, l’armée d’élite du régimede Téhéran.

Selon le document d’inculpa-tion, ces personnes ont lancé desattaques informatiques contreune quarantaine de d’institu-tions financières et de groupesbancaires américains, commeBank of America, ING Bank, leNasdaq ou encore le New YorkStock Exchange. Il s’agissait d’at-taques « DDoS », ou « par déni deservice », qui consistent à saturerun serveur de requêtes afin de lerendre inaccessible. Une « cam-

 pagne coordonnée et de grandeéchelle (…) visant à nuire aux affai-res de ces organisations », selon lajustice des Etats-Unis.

Ces personnes « ont mis horsd’usage et tenté de mettrehors d’usage des serveurs appar-

tenant à ces organisations afinde les empêcher de mener leurstransactions avec leurs clientsen ligne », est-il précisé. Les at-taques ont commencé à la finde l’année 2011, se sont inten-sifiées fin 2012 jusqu’à une fré-quence « quasi hebdomadaire », estime la justice américaine. Ellesont pris fin courant 2013. « Cer-tains jours, des centaines demilliers de clients n’ont pas pu ac-céder à leurs comptes en ligne »,ajoute Washington.

Pour la ministre de la jus-tice américaine, Loretta Lynch,« ces attaques ont menacé notre

intér êt économique et notrecompétitivité sur le marché mon-dial, qui sont directement liésà notre sécurité nationale ».  Unde ces pirates est aussi accuséd’avoir pénétré à plusieurs re-prises dans le système d’un petitbarrage de Rye Brook, situé à unetrentaine de kilomètres au nordde New York.

Si la justice américaine ne men-

tionne pas directement l’Irancomme commanditaire de ces at-taques, elle souligne que les entre-prises pour lesquelles tra-vaillaient les sept inculpés, ITSecTeam et Mersad, ont « effectué desmissions pour le compte du gou-vernement iranien ».

« Nous les traquerons »Néanmoins, il est peu probableque les autorités américainesréussissent à mettre la main surces sept personnes. Ces inculpa-tions ont surtout valeur de sym-bole, afin de décourager d’autrespirates informatiques de s’atta-quer aux infrastructures améri-caines. « Les cybercriminelscroient souvent qu’ils peuvent s’en

 prendre aux Etats-Unis sans ris-que,  a souligné le directeur duFBI, James Comey, lors d’une con-

férence de presse, jeudià Washington.  Le message decette affaire est que nous les tra-querons dans le monde entier et

Les attaquessur les

infrastructuresnationales

sont prises très

au sérieux

par Washington

les ferons payer ; où qu’ils se trou-vent, nous les atteindrons. »

La menace des attaques infor-matiques d’ampleur sur les in-frastructures nationales sont pri-ses très au sérieux par les Etats-Unis. Une inquiétude ravivée endécembre 2015 après qu’une cen-trale électrique ukrainienne a étévisée, privant d’électricité plus de200 000 foyers. Le patron de la

National Security Agency (NSA),Michael Rogers, a insisté sur cedanger au début du mois, affir-mant que la question n’était pasde savoir « si »  cela arriverait,« mais quand » cela se produirait.

Ce n’est pas la première fois queles Etats-Unis s’en prennent à desressortissants étrangers dans lecas d’attaques informatiques. Enmai 2014, la justice américaineavait inculpé cinq militaires chi-nois, accusés de s’être infiltrésdans des réseaux informatiquesd’entreprises à des fins d’espion-nage et de vol de secrets écono-miques. En mai 2014, le FBI avait,quant à lui, accusé la Coréedu Nord d’être responsable del’attaque dont avait été victimeSony Pictures.

Les Etats-Unis ne sont pas nonplus exempts de tout reproche

dans ce domaine. Ils sont, parexemple, soupçonnés, avec Israël,d’avoir lancé le virus Stuxnet, quiavait visé des installations nu-cléaires iraniennes en 2010. Lavaste opération contre les ban-ques américaines pourrait êtreune revanche.

En février, le documentaire Zero Days  a par ailleurs révélé queWashington avait préparé une gi-gantesque attaque informatiquecontre l’Iran au cas où les négocia-tions destinées à stopper son pro-gramme nucléaire militaireauraient échoué.p

morgane tual

Faceà Apple, des hackeurs ont-ils aidé le FBI ?Une faille du système de l’iPhone pourrait avoir été vendue à la police

Le 21 mars, le FBI a an-noncé qu’il n’aurait peut-

être pas besoin d’Applepour déverrouiller

l’iPhone du terroriste présumé deSan Bernardino tué par la policele 2 décembre 2015, car une« tierce partie »  lui a proposé uneméthode pour réaliser cet ex-ploit. L’identité de ce mystérieuxfournisseur est restée secrète,mais il pourrait s’agir d’une so-ciété spécialisée dans la décou-verte et la vente de zero days – desvulnérabilités originales, encoreinconnues, qui permettent de pi-rater un logiciel à coup sûr, car iln’existe pas encore de parade.

Quand un hackeur découvreune faille zero day  dans un logi-ciel, il a le choix entre plusieursoptions. Il peut l’exploiter lui-même, la céder à un autre hac-keur, la vendre à une officine spé-

cialisée ou à un service de rensei-gnement… S’il est honnête, ilpeut aussi contacter l’éditeur dulogiciel, qui va le rémunérer poursa trouvaille et pourra ainsi met-tre au point un correctif.

Depuis quelques années, lesgrands éditeurs et services en li-gne distribuent des récompensesimportantes à ces « hackeurs éthi-ques », directement ou par l’inter-médiaire de sous-traitants spécia-lisés dans ce type de transactions.

A lui seul, Google a dépenséen 2015 plus de 2 millions de dol-lars (1,8 million d’euros) pouracheter des failles découvertesdans ses logiciels. En mars 2016, ila augmenté sa récompensemaximale de 50 000 à 100 000

dollars, et incité les hackeurs àtravailler sur de nouveaux typesde vulnérabilités.

Aux Etats-Unis, une seulegrande société refuse de partici-per à ce système : Apple. Quand unhackeur lui envoie une faille zeroday, elle se contente de lui adres-ser un remerciement, et d’afficherson nom sur un tableau d’hon-

neur, quelque part sur son site…Officiellement, Apple considèrece système de récompensecomme immoral, car il enclen-che un cercle vicieux, un peucomme le paiement d’une ran-çon. Par ailleurs, sa culture d’en-treprise valorise fortement le se-cret et la discrétion – la firme dé-teste voir des gens de l’extérieurs’emparer de ses logiciels pourles décortiquer.

Dans ces conditions, peu depossesseurs de zero days  s’adres-sent à Apple – à part les cher-cheurs universitaires, déjà payéspour leur travail et qui font dondes failles qu’ils découvrent. Lessociétés commerciales, détentri-ces de zero days iront, elles, cher-

cher des débouchés plus lucratifs,dans le secteur privé ou dans l’ad-

ministration.Il y a des précédents connus. En

septembre 2015, la société Zero-dium, créée par l’homme d’affai-res français Chaouki Bekrar etinstallée près de Washington,avait lancé un concours : elle pro-mettait de payer un million dedollars à quiconque réussirait àdéjouer à distance les systèmesde sécurité du tout nouveau sys-tème d’exploitation OS 9 d’Apple.

Le 2 novembre, Chaouki Bekraravait annoncé sur Twitter qu’uneéquipe de hackeurs anonymesavait réussi l’exploit. Depuis, il re-fuse de dire ce qu’il en a fait – s’il apar exemple réussi à rentrer dansses frais en trouvant un acheteurfortuné.

Plusieurs scénarios possibles

Ce zero day de novembre 2015 necorrespond toutefois pas aux be-soins du FBI dans l’affaire de SanBernardino, mais Zerodium restetrès active dans ce domaine. Ellevient de publier des offres d’em-plois pour trois spécialistes del’exploitation des failles sursmartphones : un pour Androidde Google, un pour WindowsPhone de Microsoft et un pouriOS d’Apple.

Certains espèrent que, à la suitede l’affaire de San Bernardino, Ap-ple changera de politique en ma-tière d’achats de zero days.

En ce qui concerne le procédécité par le FBI pour suspendre saprocédure contre Apple, la com-munauté des experts informati-

ques a déjà produit plusieurs scé-narios possibles. Sean Sullivan,

un chercheur américain tra-vaillant pour la société de sécu-rité européenne F-Secure, ré-sume la théorie qui lui semble laplus plausible : « Quelqu’un, quel-que part, possédait une faille zeroday  capable de déverrouiller lesiPhone comme celui de San Ber-nardino, et le gardait en attendant de trouver un acheteur au prix fort. En temps normal, pas d’ur- gence, le temps travaille pour levendeur. Le prix augmente toutseul, car tous les jours, les policesdu monde entier saisissent denouveaux iPhone qu’elles ne peu-vent pas débloquer. »

Mais l’action judiciaire menéeafin d’obliger Apple à collaboreravec le FBI a brutalement changéla donne : « Le possesseur de lavulnérabilité zero day  a sans

doute pris peur : si le FBI obtient gain de cause et qu’Apple crée unlogiciel capable de casser ses pro- pres sécurités, sa méthode perdra

toute valeur marchande. Soumisà cette pression commerciale

inattendue, il a peut-être acceptéde le vendre au FBI rapidement, pour un prix inférieur à ce qu’il es- pérait. »

Il y a aussi une autre théorie,moins probable : en apprenantqu’Apple refusait d’aider le FBI,des hackeurs surdoués et entre-prenants auraient lancé en ur-gence leurs propres recherches,et réussi à créer un outil en untemps record.

Le FBI ne dit pas avec qui il a faitaffaire, mais on sait qu’il traite ré-gulièrement avec des sociétés dece type. En août 2013, il a signé uncontrat de fourniture exclusiveavec Cellebrite, une société israé-lienne désormais contrôlée parun groupe japonais.

Cellebrite, qui est égalementprésente en France, produit un

appareil baptisé UFED Touch, ca-pable d’extraire automatique-ment toutes les données conte-nues dans de nombreux types desmartphones verrouillés, maispas l’iPhone doté de l’iOS9 – dumoins pas officiellement.

Selon la presse israélienne, leprocédé fourni au FBI pour déver-rouiller l’iPhone de San Bernar-dino proviendrait de Cellebrite,mais cette information n’a pasété confirmée.

Avant le 5 avril, le FBI devra direà la justice californienne s’il avraiment réussi à débloquer le fa-meux iPhone. Dans le cas con-traire, la procédure contre Applepourrait reprendre.p

yves eudes

En 2015, Google

a dépensé plusde 2 millions

de dollars

pour acheter

des failles

découvertes

dans ses logiciels

Selon la presse

israélienne,

le procédé fourni

au FBI pour

déverrouiller

l’iPhone de San

Bernardino

proviendrait de la

société Cellebrite

INTERNET

La CNIL condamneGoogle à 100 000 eurosd’amendeLa Commission nationale del’informatique et des libertés(CNIL) a annoncé, jeudi24 mars, une sanction d’unmontant de 100 000 euros àl’encontre de l’américain pourn’avoir appliqué que partielle-

ment le droit à l’oubli. Googleavait été accusé par la CNIL,car, lorsqu’il acceptait de dé-référencer des informationsconcernant des particuliers, ilne le faisait que sur les ver-sions européennes de sonmoteur de recherche et nonpas sur l’ensemble de sesadresses. Selon Google,qui veut faire appel de cettedécision, 52 % des plus de86 600 demandes de déréfé-rencement émises par laFrance auraient abouti.

EDITION

Mondadori doit céderla maison BompianiL’autorité italienne de la con-currence a fixé, mercredi23 mars, « dix mesures correc-

tives » pour autoriser la re-prise de l’éditeur transalpinRCS Libri par son concurrentMondadori. Parmi elles fi-gure notamment la cessionde la maison Bompiani et saparticipation dans Marsilio.Sans ces mesures, le groupené du rachat de RCS Libri parMondadori aurait représentéprès de 40 % du marché ita-lien de l’édition généralisteet un quart du marché des li-vres scolaires. Mondadori amis sur la table 127,5 millionsd’euros pour acquérir RCS Li-bri. Les deux sociétés avaientsigné un accord en octo-bre 2015 après neuf mois denégociations. – (AFP.)

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8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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Cahier du « Monde » No 22144 daté Samedi 26 mars 2016 - Ne peut être vendu séparément

PIERRE LAHALLE/PRESSE SPORTS

IMAGO SPORTFOTODIENST/IMAGO/PANORAMIC

ON A RETROUVÉ…

JOHNNY REP,

ET SA VIE AGITÉE→PAGE 8

EURO

DIDIER DESCHAMPS ET

LE PARI DE LA JEUNESSE→PAGE 5

RIO 2016

LE PATRON DU CIO CONTRE

UNE SUSPENSION DE LA RUSSIE→PAGE 3

Une affaire d’Etat

Karim Benzema peut-il porter les couleurs de la France à l’Euro ?

L’autre question qui oppose François Hollande et Manuel Valls

Les Bleus attaquent la dernière ligne droite avantl’Euro avec deux matchs amicaux aux Pays-Bas,vendredi 25 mars, puis au Stade de France quatrejours plus tard face à la Russie. Mis en examen

dans le cadre de l’affaire dite du chantage à la « sextape » àl’encontre de son partenaire Mathieu Valbuena, KarimBenzema n’a pas été retenu par le sélectionneur DidierDeschamps pour ces deux rencontres.

Il n’empêche, une question agite la France jusqu’au som-met de l’Etat : Karim Benzema peut-il participer à l’Euro or-ganisé en France du 10 juin au 10 juillet ? Pour le premier mi-nistre Manuel Valls, malgré la levée du contrôle judiciaire

de l’attaquant du Real Madrid, les conditions ne sont pasréunies pour un retour du meilleur buteur en activité de lasélection. Une position que ne partage pas FrançoisHollande, qui se range désormais derrière la position dupatron de la Fédération, Noël Le Graët, qui a lancé la grandeopération réhabilitation. « Le président a confiance en LeGraët et le soutient, quelle que soit sa décision. Mais c’est àla fédération de prendre sa décision, pas au gouvernement.

 Il n’y a pas d’ingérence », assure-t-on aujourd’hui dans l’en-tourage du chef de l’Etat, qui, il y a deux mois, ne voyait« pas comment Karim Benzema pourrait disputer l’Euro ».p PAGES 4-5

LE

FOOTBALLEURTOTALJohan Cruyff avait inventé « le football total » comme

Wagner avait conceptualisé l’art total. « Le Hollandais

volant » est mort le 24 mars, veille de Pays-Bas - France,

à Barcelone, où ses héritiers s’appellent Messi et Suarez.

PAGE S 6-7  

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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2 | 0123Samedi 26 mars 2016 | SPORTS | À V O S M A R Q U E S

Agenda

Lettre à mes amis allemands

Petite demande de dernière minutede la part de la fondation culturelledu football allemand (si, si, çaexiste) : on venait de se rendre

compte que la très grande majorité des fansde la Nationalmannschaft qui allaient

parcourir la France cet été entre Lilleet Marseille ne connaissaient rien aufootball français, à son histoire, sa culture,ses particularités. Ne faudrait-il pas prépa-rer, un peu à la hâte mais quand même,

un petit guide de voyage footballistiqueà leur intention ?

Bien vu ! Car, effectivement, les Allemandsfans de football n’ont aucune idée de ce quipasse de l’autre côté du Rhin. Ils ignorententièrement ce que le football international

doit à tous ces dirigeants et journalistes fran-çais qui sont à l’origine des grandes compéti-tions internationales. Ils s’amusent biendes caprices récurrents de l’équipe de France,capable de sortir d’une Coupe du monde sansmarquer un but après avoir gagné la précé-dente ou de faire grève dans un autocar. Et ilsse moquent éperdument du championnatfrançais − comme l’ont montré les enquêtes duprojet de recherche FREE. Si 64 % des amateursde football allemands déclarent suivre lesrésultats d’autres championnats européens« souvent » ou « quotidiennement », ils ne sontque 4,4 % à s’intéresser à la Ligue 1.

Le comble du méprisLes ingrats ! C’était bien la peine de leur

proposer tout un processus de réconciliation,avec jumelages et échanges de jeunes, visitesde fanfares populaires et disques en allemandde Mireille Mathieu. Sur le plan du football,c’est le règne de l’indifférence. C’est tout juste

s’ils prennent note du renouveau du PSG, avecles précautions d’usage sur l’origine de sesfonds apparemment sans limites. Mais del’intérêt, de la curiosité, voire de l’apprécia-tion ? Ne rêvons pas plus grand.

Le comble du mépris : même quand le foot-ball français les touche directement, ils fei-gnent de l’ignorer. Si, selon la même enquête,l’expression « Séville 82 » rappelle quelquechose à 71,4 % des « footeux » français, quel quesoit leur âge, les Allemands sont deux fois

moins nombreux à s’en souvenir.Eh oui, le football français ne passionne pas

les foules outre-Rhin. Pourtant, il y en a eu, desambassadeurs de renom dans les deux pays.Que ce soit Jürgen Klinsmann, Rudi Völler,Karl-Heinz Förster et Klaus Allofs en France,ou Bixente Lizarazu, Willy Sagnol, Jean-PierrePapin et Franck Ribéry en Allemagne. Aucund’entre eux n’est parvenu à susciter dans ledomaine du football ce que Bienvenue chez les Ch’tis, Les Choristes et Intouchables ont réussi àfaire sur le grand écran : un vrai respect pourun savoir-faire et une qualité reconnus.

On s’y collera donc, pour la bonne cause, à ceguide de voyage pour les ignares germaniques.Ils seront obligés de reconnaître que le footballfrançais possède des atouts qu’ils n’ont paschez eux. Un stade d’une architecture remar-quable délicatement posé sur un boulevardpériphérique ; des poteaux carrés commedestination de pèlerinage à Saint-Etienne ;ou encore le voisinage détonnant d’un temple

du foot avec un Louvre flambant neuf dansune vieille cité minière.Comme aurait pu le dire Valéry Giscard

d’Estaing : « Vous n’avez pas, messieurs leschampions du monde, le monopole du foot ! » p

Bacà sable

Quitte à avoir les pieds dans le sable, JordanSpieth aurait très bien pu utiliser le râteauposé non loin. Mais avec un zèle qui l’ho-nore, le jeune Américain reste concentré sur

son club de golf. A 22 ans, le numéro unmondial, ancien pensionnaire de l’universitédu Texas, revient sur le pré de ses débuts.

C’est en effet à Austin que se dispute, jus-qu’au dimanche 27 mars, l’édition 2016 deschampionnats du monde de « match-play ».L’occasion de faire de l’ombre, si son swing

et les conditions météorologiques s’yprêtent, au tenant du titre, le Nord-IrlandaisRory McIlroy. p

adrien pécout

Dans le langage des musiciens, celas’appelle une fausse note. Depuisun mois, les membres du Concert de

la loge olympique publient une pétition en li-gne. Lancé en 2015, l’ensemble clame sa vo-lonté de « conserver le nom historique lié àson identité artistique » auquel il adû renoncer en février, sous la pressiondu Comité national olympique et sportif

français (CNOSF).Lorsque le violoniste Julien Chauvin a fondé

cet orchestre d’une vingtaine d’instrumentis-tes professionnels, il souhaitait faire référenceà l’ancienne formation de musique classiquede la fin du XVIIIe siècle, « l’une des (…) préfé-rées de la reine Marie-Antoinette », selon le siteInternet de l’ensemble. Le Comité nationalolympique ne l’a pas entendu de cette oreille.Dès la fin du mois de décembre 2014, ses mo-teurs de recherche clignotent pour l’alertersur le projet des musiciens qui veulent dépo-ser leur marque auprès de l’Institut nationalde la propriété industrielle.

Par courrier, ses services juridiques rappel-lent d’abord la loi qui fait du CNOSF, depuis1984, « le propriétaire des emblèmes olympiques

nationaux et dépositaire de la devise, del’hymne, du symbole olympique et des termes“Jeux olympiques” et “Olympiade”. » Face aurefus initial des musiciens, l’avocate du comitérevient à la charge, onze mois plus tard, dansune lettre que Le Canard enchaîné a médiatiséeen février 2016. Fabienne Fajgenbaum y évo-que « les partenariats (…) noués par le Concertde la loge olympique avec la Fondation Orangeet Swiss Life, qui seraient, selon elle, de natureà créer une confusion préjudiciable avec les

 partenaires du mouvement olympique, dontl’assureur Allianz ».

Tolérance pour certainsAu début de l’année 2016, sans qu’aucune

procédure judiciaire soit lancée, les concertis-tes se résignent finalement. Ils abandonnentà la fois leur projet de dépôt de marque etleur nom de domaine sur Internet. Pour lestrouver, tapez désormais : « Concertdela-loge.com ». Soupir de l’administratrice dugroupe, Emmanuelle Vassal : « Nous avionschoisi ce nom en référence artistique àla formation qui avait été créée à la fin du

 XVIII e siècle par des francs-maçons et qui avaitété l’une des premières à introduire la musiquede Haydn en France. » Tonalité que partage

l’avocat des musiciens, Emmanuel Pierrat :« Le Concert n’a pas l’intention de monter des

 jeux sportifs ni d’aller chercher des sponsorsqui seraient ceux du CIO. Et, sincèrement, iln’est pas prévu de lancer un concert au Stadede France en parallèle des Jeux olympiques… »

S’il estime la pétition« respectable », le pré-sident du CNOSF, Denis Masseglia, se dit dé-terminé à protéger le « territoire olympique ».En 2004, l’enseigne Leclerc avait ainsi dû ver-ser un million d’euros d’indemnités pour son

slogan publicitaire « Olymprix ».Certaines marques extrasportives, elles,

font l’objet de davantage de mansuétude. El-les peuvent avoir l’autorisation de conserverle radical olymp- dans leur appellation, préci-sent les juristes du CNOSF, mais« à conditionqu’elles s’engagent à ne pas entrer en concur-rence avec le mouvement sportif français ».Même tolérance à l’égard des footballeursde l’Olympique de Marseille ou encore de lastation de métro parisienne Olympiades,qui bénéficient d’« accords à l’amiable ».

Rien de tel, donc, pour le Concert de la logeolympique dont le principal initiateur, auXVIIIe siècle, le chevalier de Saint-George,était pourtant connu pour ses talents devioloniste… et d’escrimeur.p

140C’est, en euros, le prix qu’il faudra débourser pourobtenir le nouveau maillot que porteront les Bleus,

vendredi 25 mars, face aux Pays-Bas et pendant toutl’Euro de football, qui aura lieu en France du 10 juin au10 juillet. Si la tunique, fabriquée à partir de bouteilles enplastique recyclées, vous semble trop chère, vous pourrezvous rabattre sur le maillot « réplica », fait dans unematière moins performante mais dont le coût est plusraisonnable : 80 euros.

Samedi 26 marsJudo Le temps presse et les JO approchent à grands pas.Il ne reste plus beaucoup d’épreuves pour départager lesjudokas dans certaines catégories encore indécises. Nonsélectionné pour les championnats d’Europe à Kazan (Rus-sie) fin avril, le léger (– 60 kg) Sofiane Milous doit s’imposer

au Grand Prix de Tbilissi (Géorgie) pour espérer rester dansla course et faire changer d’avis les entraîneurs qui, pourl’instant, lui préfèrent Vincent Limare et Walide Khyar.(14 heures, BeIN Sports 1.)Rugby Au stade Pierre-Mauroy de Villeneuve-d’Ascq, çava castagner entre le Racing 92 et le Rugby club toulonnais.Les deux prétendants au Bouclier de Brennus n’ont pas ledroit de se louper dans cette épreuve de force capitale pourle titre du Top 14. Le champion du monde néo-zélandaisDan Carter mettra toutes ses forces dans la bataille,de même que le Sud-Africain Bryan Habana, qui aimeraitrapporter une nouvelle fois le trophée dans la rade.(14 h 45, Canal+.)Football (1) On sort de l’actu et on prend un peude hauteur avec un documentaire édifiant sur le systèmemis en place par Sepp Blatter depuis son arrivée en 1998à la tête de la FIFA. Le journaliste et réalisateur AndrewJennings, qui enquête sur la corruption dans le mondedu football depuis quinze ans, révèle les dessous d’unepuissante machine dont l’image est aujourd’hui salie.(18 h 05, Canal+.)Football (2) Retour sur les terrains avec une rencontre deprestige entre la Mannschaft et les Three Lions. A un peu

plus de deux mois du coup d’envoi de l’Euro, les Allemands,champions du monde en titre, ont une belle occasion pours’ajuster face à une formation anglaise solide qui compterabeaucoup sur ses jeunes talents Harry Kane, RaheemSterling ou encore John Stones. (20 h 40, BeIN Sports 1.)

Dimanche 27Cyclisme Le Tour de Catalogne 2016 a des allures de Tourde France avec ses stars en pagaille au départ de la 7e étapeà Barcelone. Christopher Froome, Alberto Contador etNairo Quintana effectueront une boucle de 136 km pour unfinish trépidant dans la cité catalane. (13 h 30, Eurosport.)Tennis Qui peut arrêter Novak Djokovic (photo) ? Per-sonne pour l’instant. Le Serbe, numéro 1 mondial, a dé-marré la saison sur les chapeaux de roue en gagnant l’Opend’Australie. Et Indian Wells la semaine dernière. Au Masters1000 de Miami, on voit mal qui pourrait l’empêcher deremporter un sixième titre. (14 h 30, BeIN Sports.)(PHOTO : AFP)

Rugby Après le choc de samedi entre le Racing 92 etToulon, voilà une affiche tout aussi alléchante. Cinquièmedu Top 14, l’Union Bordeaux-Bègles accueille le leaderClermont. Les Girondins de Raphaël Ibanez parviendront-ils à faire tomber les Jaunards ? Une chose est sûre : le per-dant vendra chèrement sa peau. (15 heures, BeIN Sports.)Volley-ball On fonce au stade Pierre-de-Coubertinpour un début de soirée 100 % volley. Les Caennaises et lesNantaises s’affrontent dans la mythique salle parisiennepour décrocher le titre de championnes de France. (18 heu-res, L’Equipe 21.) Deux heures plus tard, c’est au tour des

garçons d’Ajaccio et de Rennes d’investir les parquets pourdéterminer qui, des deux équipes, domine l’Hexagone.(20 h 30, L’Equipe 21.)Football On termine le week-end avec un match toujoursintéressant entre la Roumanie et l’Espagne. Au fin fond dela Transylvanie, à Cluj Arena, les vainqueurs de l’Euro 2012vont pouvoir se roder contre l’équipe des Tricolorii avantde remettre leur titre en jeu à partir du 10 juin, en France.(20 h 40, BeIN Sports 1.)

l ’ h i s t o i r e

« Olympique » ne rime pas avec musique

TOM PENNINGTON/AFP

c h r o n i q u e

Albrecht Sonntag Enseignant-chercheur.

 ESSCA Ecole de management 

PRÉCISION La photographie illustrant l’article « Têtu comme un cheval », paru dans le supplément « Sports » daté samedi 19 mars,n’a pas été prise par Frédéric Chéhu, comme l’indiquait lalégende, mais par Jessica Rodrigues/RB Presse.

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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E N T R E T I E N  | SPORTS | Samedi 26 mars 2016

0123 | 3

Thomas Bach

« A la Russie de faire le ménage »r i o 2 0 1 6   | A cinq mois des Jeux, le président du Comité international olympique

se dit opposé à une sanction collective des athlètes russes pour dopage et prône une « justice individuelle »

Thomas Bach, à Lausanne, en mars. FABRICE COFFRINI/AFP

propos recueillis par yann bouchez

 Lausanne (Suisse), envoyé spécial

Le bureau du président du Comitéinternational olympique (CIO),Thomas Bach, à Lausanne, offreune vue imprenable sur le lacLéman. Pour la Fédération russed’athlétisme, en revanche, l’hori-

zon des Jeux olympiques de Rio, du 5 au21 août, semble bien bouché. Le patron alle-mand du CIO plaide, lui, pour une « justice in-dividuelle », afin de préserver les athlètes quin’ont rien à se reprocher.

Les Jeux de Rio débutent dans moinsde cinq mois. Certains travaux ont prisdu retard. A propos de la ligne de métroqui doit relier les sites olympiques,le maire de Rio a dit qu’elle « sera pr êteen juin, peut-être en juillet »…

En ce qui concerne le parc olympique, pres-que toutes les installations ont été délivréesau comité d’organisation ou ont été testées. Levélodrome est encore en construction, il resteà régler quelques détails, avec la piste à poser.Mais nous avons maintenu la tenue d’unévénement test au mois d’avril. En ce quiconcerne le métro, le nouveau responsable del’Etat de Rio a confirmé que tout avançait dansles temps, et selon le budget. Nous avons éga-lement envoyé là-bas notre expert, qui aconfirmé que tout allait bien.

Quel impact peut avoir le virus Zikasur la compétition ?

J’ai parlé avec la directrice générale de l’Orga-nisation mondiale de la santé, qui m’a dit que

Rio n’est pas un « hotspot ». Au mois de mai,l’hiver commence au Brésil et la populationdes moustiques baisse très sensiblement. Elles’est dite très impressionnée par le travail queles autorités brésiliennes effectuent en ce quiconcerne la prévention, l’information, maisaussi l’éradication des moustiques.

La qualité de l’eau est un autre sujetde préoccupation. En août 2015, vous avieztesté l’eau d’une plage de Rio. Au-delde gestes symboliques, que répondez-vous ceux qui estiment qu’après Sotchi,en 2014, où des dégâts environnementauxavaient déjà été pointés, les Jeux ne s ontpas assez écologiques ?

A Rio, la qualité de l’eau est un défi. Lorsqu’il aété choisi, le Brésil a promis de nettoyer l’eau à100 %, après des dizaines d’années où rienn’avait été fait. J’étais le président de lacommission d’évaluation de la candidature deRio pour les Jeux 2004 et déjà, à l’époque, nous

avions ce problème. La qualité de l’eau était ter-rible. Les Brésiliens ont pris conscience qu’ilsne pouvaient pas rattraper comme ça toutes

ces années d’inaction. Ils ont nettoyé 60 % del’eau dans la région où les compétitions vontse dérouler. On peut dire deux choses. D’unepart, ce ne sont pas les 100 % qu’ils avaient pro-mis. Mais sans les Jeux, rien n’aurait été fait.Des contrôles de qualité de l’eau ont été mis enplace. Nous avons confiance dans le fait que le

site de compétition sera nettoyé.

Pour la première fois, il y aura une équipede réfugiés. Lors de Jeux précédents, desathlètes ont déjà défilé sous la bannière duCIO. Quelle sera la différence cette fois-ci ?

Dans le passé, il s’agissait notamment d’athlè-tes de comités nationaux olympiques suspen-dus. Nous ne voulions pas punir les athlètespour les fautes de leurs officiels. C’est pourquoinous leur permettions de participer commeathlètes indépendants. Il y a eu plusieurs exem-ples, comme après la dissolution de l’Union so-viétique. Là, la différence, c’est qu’il y aura uneéquipe de plus. Il y aura les 206 comités natio-naux olympiques et une équipe supplémen-taire pour les athlètes olympiques réfugiés, qui

aura les mêmes droits que les autres. Nous leurdonnons tous les moyens pour participer : unchef de mission, un entraîneur…

Combien seront-ils ? Quels sont les critèresde sélection ?

Nous ne savons pas encore combien, entrecinq et dix. Il doit s’agir d’athlètes qualifiés.Nous voulons envoyer ce message au monde :

on peut être réfugié et athlète de haut niveau.

La coureuse russe Julia Stepanova,lanceuse d’alerte qui a dénoncé le dopageinstitutionnalisé dans son pays et a dûle fuir pour sa sécurité, fera-t-elle partiede cette équipe ?

Elle ne figure pas parmi les 43 [sportifs présé-lectionnés] . Elle n’est pas reconnue commeréfugiée par les Nations unies, alors si elle faitpartie de cette équipe, ce sera sur d’autres cri-tères. C’est désormais à l’IAAF  [la Fédérationinternationale d’athlétisme]  de résoudre cettequestion. Nous allons discuter avec l’IAAF dela participation de Stepanova.

A titre personnel, y êtes-vous favorable ?Que j’y sois favorable ou non n’est pas la

question. C’est l’IAAF qui doit régler ce sujet.

L’IAAF doit décider en mai si la Fédérationrusse d’athlétisme est réintégrée ou sisa suspension est maintenue. Verriez-vous

d’un bon œil la réintégration des athlètesrusses ?

Notre politique a toujours été très claire : ils’agit de protéger les athlètes propres. Pourcela, il faut sanctionner tous les athlètesdopés, et ceux qui sont impliqués dans le do-page : les entraîneurs, les officiels, les trafi -quants… Et de l’autre côté, il faut appliquer lajustice individuelle.

Le principe d’une suspension de la fédé-ration russe serait pourtant justementde priver de participation aux Jeuxtous les athlètes de ce pays, même ceuxqui n’ont jamais été contrôlés positifs…

Il y a deux choses différentes. L ’Agence mon-diale antidopage [AMA]  et l’IAAF ont pris les

mesures appropriées parce qu’il y avait desfautes de la part de l’agence antidopage russe,qui a été suspendue. La Fédération russed’athlétisme a également commis des fautes,et elle a été suspendue. En ce qui concerne laparticipation des athlètes, il faut sanctionnertous ceux qui se sont dopés. De l’autre côté,s’il y a des athlètes propres, il faut appliquer lajustice individuelle.

Pour être plus clair, je vais vous donnerd’autres exemples. Prenez mon pays, l’Alle-magne. En cyclisme, il y a eu l’affaire del’équipe Telekom et de l’université de Fri-bourg. Qu’a-t-on fait ? A l’époque, l’universitéde Fribourg et le centre médical ont été sus-pendus, comme tous les cyclistes qui se sontdopés. Mais les autres ont eu le droit de parti-ciper au Tour de France, aux championnatsdu monde. Au CIO, nous avons eu des comi-tés nationaux olympiques suspendus pourdes cas de mauvaise gouvernance – parexemple l’Inde aux Jeux de Sotchi –, mais lesathlètes ont participé.

Il pourrait donc y avoir des athlètes russesqui participent à Rio, même si l’IAAFdécide de ne pas réintégrer la fédérationrusse avant les Jeux ?

Ce n’est pas un problème russe. De nou-veau, je vous rappelle les deux principes : ilfaut protéger les athlètes propres et respec-ter le droit de chaque athlète dans le monde

pour que s’applique la justice individuelle.Je ne fais pas de spéculation. Pour l’instant

le dossier est entre les mains de l’AMA et del’IAAF, qui font un grand travail. Peut-êtreavez-vous entendu les déclarations de laRussie, aujourd’hui  [mercredi 16 mars],  quiest très claire : il faut sanctionner tous ceuxqui se sont dopés, et les Russes vont toutfaire pour nettoyer la maison et pour coopé-rer avec l’AMA et l’IAAF. A eux de faire le mé-nage, et ensuite ce sera à nous d’appliquernos principes.

Vous êtes proche de Vladimir Poutine,qui est l’un des premiers présidentsà vous avoir appelé après votreélection à la tête du CIO, en 2013. Avez-

vous évoqué ces problèmes de dopageavec lui ?

J’ai rencontré, dès mon élection [en septem-bre 2013],  à peu près 150 chefs d’Etat et degouvernement. Nous discutons toujours lesquestions qui concernent les Jeux olympi-ques. La déclaration du président Poutine esttrès claire et il a donné un ordre très fort àson gouvernement de coopérer avec les ins-

tances internationales pour nettoyer la mai-son. Il revient maintenant au gouvernementd’exécuter les ordres du président.

Le « Guardian » a publié des extraits d’unmail selon lequel plusieurs membresdu CIO auraient demandé des « colis » enéchange de leur vote. En France, le parquetnational financier a ouvert une enquêtepréliminaire sur l’attribution des Jeux2016 et 2020. Le CIO a-t-il lancé uneenquête en interne sur ces allégations ?

Nous avons demandé au Guardian  de nousdonner cette information [le mail], ce qu’il n’apas fait. Nous avons demandé à être partiecivile dans cette enquête [du parquet national

 financier]. Nous voulons être proactifs et avoirtoutes les informations nécessaires. En ce quiconcerne Lamine Diack  [ancien président del’IAAF et ex-membre du CIO, mis en examen

 pour « corruption » et « blanchiment aggravé »dans le cadre de l’enquête sur l’IAAF], notre com-mission d’éthique a recommandé sa suspen-

sion au lendemain de la publication des infor-mations concernant le dopage et la corruption.Et il s’est retiré de toutes ses fonctions au CIO.

Après plusieurs échecs, Paris està nouveau candidate à l’organisationdes Jeux 2024. En quoi cette nouvelletentative est-elle, à vos yeux, différentedes précédentes ?

Elle l’est du fait de la grande unité dans lemonde sportif et le monde politique. Lesanciennes candidatures ne disposaientmême pas de l’unanimité dans le mondesportif, sans parler de la politique. Pour la pre-mière fois, nous voyons une grande unité etune grande détermination, ce qui en fait unecandidature solide. p

« La déclaration du président

Poutine est très claire et il a

donné un ordre très fort à son

gouvernement de coopérer »

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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rémi dupré

Au cours de sa longuecarrière de joueurpuis d’entraîneur,Didier Deschampss’est mué en un re-doutable communi-cant. Roi de l’esquive,éternel chambreur,

expert dans l’art d’étouffer les incendiesnaissants, le sélectionneur de l’équipe deFrance a tout le loisir d’exercer ses talentsà moins de trois mois de l’Euro 2016, or-ganisé dans l’Hexagone du 10 juin au10 juillet. D’autant que la préparation desBleus – sommés par Noël Le Graët, le pré-sident de la Fédération française de foot-ball (FFF), d’atteindre au minimum ledernier carré de la compétition – est pol-luée depuis plusieurs mois par l’affairedite du chantage à la « sextape » dont aété victime le milieu internationalMathieu Valbuena. Une affaire qui vaut àKarim Benzema, l’attaquant star et

meilleur buteur en activité des Tricolores(27 réalisations), une mise en examenpour « complicité de tentat ive de chan-tage » et « participation à une associationde malfaiteurs ». Elle lui a surtout coûtéprovisoirement sa place en sélection. Lecanonnier du Real Madrid participera-t-ilà l’Euro ? La question enténèbre la France,et pas seulement celle du foot.

Il faut dire que Noël Le Graët ne l’avaitpas vraiment tranchée, lors de sa confé-rence de presse du 10 décembre 2015, endéclarant que la fine gâchette des Bleusn’était  « plus sélectionnable »… tant que « la situation »  n’évoluait pas. L’horizonde Benzema s’est éclairci le 11 mars, lors-que son contrôle judiciaire a été définiti-

vement levé. Le patron de la FFF envisagedésormais de réunir Karim Benzema etMathieu Valbuena dans son bureau dé-but avril. Didier Deschamps, lui, n’a con-voqué aucun des deux protagonistes del’affaire pour les rencontres amicales

contre les Pays-Bas, vendredi 25 mars, àAmsterdam, et face à la Russie, quatrejours plus tard, au Stade de France.

Blessé à la cuisse, en méforme avecl’Olympique lyonnais, Mathieu Valbuenaa été écarté pour des raisons sportives.Flamboyant depuis janvier et la nomina-tion de Zinédine Zidane à la tête des Me-rengue, Karim Benzema était, lui, en déli-catesse avec sa hanche dans les semainesqui ont précédé l’annonce de la liste des23 joueurs appelés pour ces matchs pré-paratoires. Mais, avant de donner soncasting, le sélectionneur a clairement af-fiché son désir de retenir l’attaquant ma-drilène pour l’Euro dans un entretien à 

 L’Equipe. « Mon but est d’avoir la meilleureéquipe et donc les meilleurs joueurs », martèle le Bayonnais, tout en défendantla « présomption d’innocence »et en assu-rant que « l’opinion publique n’a aucuneinfluence sur  [ses]décisions ». Le capitainedes Bleus champions du monde en 1998

et d’Europe en 2000 semble vouloir fairefi des sondages réprobateurs. Selon uneétude réalisée en décembre par l’institutElabe pour RMC-BFMTV, 82 % des Fran-çais étaient opposés à un retour enéquipe de France de l’ex-pépite de l’OL.Fin février, une étude établie par Odoxapour RTL donnait un résultat quasi simi-laire avec 70 % de sondés hostiles.

Engagé dans une campagne de réhabi-litation du buteur des Tricolores, enclin àdénoncer les « courriers racistes »  qu’il areçus à la FFF à l’automne 2015 en réac-tion à la fameuse affaire, Noël Le Graët seretrouve en position d’arbitre. C’est dé-sormais au dirigeant breton de donner lefeu vert à son sélectionneur. « Il faut 

qu’on prenne une décision avant le 15 avrilcar Didier Deschamps doit donner sa listedéfinitive le 12 mai. On ne peut pas restercomme ça », a-t-il déclaré, mercredi23 mars, à l’AFP. Lui qui, cinq jours aprèsla mise en examen du buteur des Bleus,

le 5 novembre 2015, glissait au  Mondeque « la vraie question est de savoir si Ben- zema est l’avant-centre type de l’équipe de France ».  « Il faut que je passe encore un petit peu de temps sur le dossier », insisteaujourd’hui le septuagénaire alors que laFFF, qui s’est constituée partie civile, a pudepuis avoir accès au dossier.

Le 17 mars, le patron de la fédération estresté de marbre lorsque Libération a ré-vélé que le joueur du Real Madrid avaitété entendu, en janvier, comme témoinpar le magistrat financier Renaud VanRuymbeke dans le cadre d’une informa-tion judiciaire ouverte en septem-bre 2015 par le parquet de Paris pourblanchiment en bande organisée et blan-chiment de trafic de stupéfiants. Un dos-sier qui concerne cette fois l’entreprisede restauration BH Event’s, dont l’atta-quant était le principal actionnaire lors-que cette société a racheté un fonds de

commerce établi dans le 8e  arrondisse-ment de Paris. « Benzema n’est pas visé

 par la procédure judiciaire. C’est un non-événement », souffle-t-on aux portes dela FFF. « Il n’y a rien, que dalle dans le dos-sier », insiste le très médiatique avocat

Eric Dupond-Moretti, qui vient tout justede remplacer Alain Jakubowicz aux che-vets du goleador du Real.

Sauf que ce nouvel épisode alimenteune affaire sportivo-judiciaire dont lessecousses sont ressenties jusqu’au plushaut sommet de l’Etat. Soucieux de nepas prendre réellement position, Fran-çois Hollande a pourtant évoqué le casBenzema, entre la poire et le fromage,lors d’un déjeuner organisé mi-janvier, àl’Elysée, avec plusieurs journalistes. « Jene vois pas comment Karim Benzema

 pourrait disputer l’Euro », s’est interrogé,à voix haute, le chef de l’Etat avant l’an-nonce de la levée du contrôle judiciairedu joueur. Dès que l’affaire de la sextape aéclaté, le ministre des sports Patrick Kan-ner avait, lui, milité pour l’ouverture d’undébat sur l’éventuelle mise à l’écart desinternationaux français mis en examensur le modèle de la « jurisprudence Balla-dur », qui veut qu’un ministre impliqué

dans une procédure judiciaire démis-sionne. La mise en examen de Benzemadans le cadre de l’affaire Zahia, en 2010,ne l’avait pas empêché d’être sélectionnépar Laurent Blanc puis par Didier Des-champs avant qu’il soit blanchi en 2014, àl’instar de son coéquipier Franck Ribéry.

Le 14 mars, Patrick Kanner a estimé surRTL que  « les conditions » n’étaient  « pasréunies » pour un retour du buteur chezles Bleus. Il a notamment invoqué la« charte de déontologie », affichée depuisjuin 2013 dans les chambres des joueursau « château » de Clairefontaine, le QGde l’équipe de France. Dans la foulée,Manuel Valls a tenu le même discours surRMC. « Karim Benzema est toujours mis

« Je n’imagine pas Deschamps comme

chef du gouvernement, je n’imagine

pas non plus Valls comme

sélectionneur de l’équipe de France.

Que chacun reste à sa placeet les moutons seront bien gardés »

éric dupond-moretti

avocat de Karim Benzema

Didier Deschamps et FrançoisHollande, en mars 2015,

au Stade de France.FRANCK FIFE/AFP

Un pressing

très hautLe cas Benzema, mis en examen dans l’affaire

de la « sextape », divise l’exécutif. Valls ne veut pasde l’attaquant à l’Euro ; Hollande se range derrière

le patron de la fédération, qui y est favorable

f o o t b a l l

4 | 0123Samedi 26 mars 2016 | SPORTS | E N Q U Ê T E

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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en examen. Par rapport à la jeunesse, un grand sportif se doit d’être exemplaire », adéclaré le premier ministre tout en préci-sant bien, comme son ministre dessports, que la décision finale reviendraità la FFF et à Didier Deschamps.

Ces sorties gouvernementales à répéti-tion ont eu le don d’irriter Karim Ben-zema. « Douze saisons que je suis profes-sionnel : 541 matchs joués, zéro cartonrouge, onze cartons jaunes !!! Et certains

 parle  [sic] de mon exemplarité ??? »,  a-t-ilriposté sur son compte Twitter. « Jetrouve l’intervention du premier ministrescandaleuse, tonne son avocat Eric Du-pond-Moretti.  Je rappelle que, dans sonéquipe gouvernementale, il y a deux con-damnés, Jean-Marc Ayrault [condamné,en 1997, à six mois avec sursis et30 000 francs d’amende pour favori-tisme avant d’être réhabilité en 2007] et

 Harlem Désir [condamné à dix-huit moisde prison avec su rsis et 30 000 francsd’amende pour recel d’abus de biens so-ciaux en 1998]. Je ne pense pas que Didier

 Deschamps serait intervenu pour lui de-mander de remanier son équipe ou de lesexclure. De quoi se mêle-t-on ? Cette af-

 faire est en instruction. Karim Benzema

est présumé innocent. »Le ténor du barreau, qui avait défendu

notamment les frères Karabatic, mis enexamen en 2012 dans l’affaire des parissuspects à Montpellier mais sélection-nés en équipe de France de handball, dé-nonce « l’incursion de plus en plus pres-sante des politiques dans le sport ». « Les

 politiques, quels qu’ils soient, ont telle-ment pris l’habitude d’utiliser le sport 

 pour leur image !, grince-t-il.  Je me sou-viens de Jacques Chirac qui portait lemaillot 23 de l’équipe de France en 1998. Jen’imagine pas Didier Deschamps commechef du gouvernement, je n’imagine pasnon plus Valls comme sélectionneur del’équipe de France. Que chacun reste à sa

 place, et les moutons seront bien gardés. En quoi un Euro organisé en France auto-rise-t-il Manuel Valls à devenir, ensomme, le sélectionneur de l’équipe de

 France ? C’est Didier Deschamps qui va prendre la décision. Le football est telle-ment populaire qu’on s’autorise des in-cursions. On en espère un bénéfice. Ma-

nuel Valls ne fait pas ça pour rien quand il parle d’exemplarité. »

Pour Laurence Arribagé, députée deHaute-Garonne et secrétaire nationaledes Républicains en charge des sports,« l’affaire Benzema ne relève en rien dudomaine politique mais de celui de la

 justice ». «  Les sélectionneurs, les prési-dents de club, de fédération, les entraî-neurs sont suffisamment compétents

 pour faire des choix justes et éclairés. Unmédecin n’a pas besoin qu’un ministre dela santé lui explique comment vacciner un patient .  Dans le sport, c’est pareil »,ajoute-t-elle. Ancien agent de MathieuValbuena, Christophe Hutteau dénonce,lui, le « double discours » tenu par lesresponsables politiques. « Je constate

 juste qu’ils clament tous que, lorsque l’undes leurs est mis en examen dans une af-

 faire, il convient d’être prudent et de res- pecter le droit à la présomption d’inno-

cence », assure-t-il.

En vertu du lien de délégation de pou-voirs entre le ministère des sports et lafédération, le gouvernement est-il dansson rôle en rappelant l’importance de lanotion d’exemplarité dans cette affaire ?Pour la députée communiste (Seine-Saint-Denis) et ex-ministre des sports(1997-2002) Marie-George Buffet, « leboulot du ministre, c’est de veiller à la mis-sion fédérale de service public et non

d’être le sélectionneur ou le président de la FFF ». « Cela ne me choque pas du tout queValls et Kanner interviennent , estime Ré-gis Juanico, député (PS) de la Loire et vice-président de l’Agence pour l’éducationpar le sport. Ce qui ne serait pas accepta-ble, ce serait l’ingérence du politique dansle fonctionnement interne des fédéra-tions, notamment sur les critères de sélec-tion. Mais là, on est sur un modèle fran-çais d’organisation du sport, qui fonc-tionne à partir d’une délégation de

 pouvoirs de l’Etat aux fédérations. Il nes’agit pas des ligues professionnelles. Ils’agit de sportifs français sélectionnés. Onest en droit de demander un certain nom-bre de choses. Le comportement en fait 

 partie. »  Pour le parlementaire, égale-ment rapporteur du budget sport, « il se-rait dommageable, pendant l’Euro 2016,de se mettre à la merci d’une nouvellerévélation concernant Benzema qui soit

téléguidée afin de ternir l’image des Bleus,ou de désorganiser complètement la pré- paration ou le déroulement de l’Euro pour l’équipe de France ». « Personne n’est ir-remplaçable chez les Bleus », tranche-t-il.

Noël Le Graët se serait prévalu du sou-tien de François Hollande pour étein-dre une fronde naissante au sein de soncomité exécutif, croit savoir  Libération.Ancien maire (PS) de Guingamp (1995-2008), le patron de la FFF est un proche delongue date du chef de l’Etat. « Mon lienavec le foot français, mon référent, c’est LeGraët », a glissé le président de la Républi-que à ses convives, mi-janvier, lors du dé-jeuner organisé à l’Elysée. « Le président aconfiance en Le Graët et le soutient quelleque soit sa décision. Mais c’est à la fédéra-tion de prendre sa décision, pas au gouver-nement. Il n’y a pas d’ingérence », indique-t-on dans l’entourage du président. Lechef de l’Etat aurait peu goûté les sortiesde Manuel Valls et Patrick Kanner sur

Benzema. « Maintenant, vous arrêtez vosconneries », aurait-il asséné devant lesmembres du gouvernement. Une décla-ration publiée par  Le Canard enchaîné dans son édition du 23 mars, et démentiepar Patrick Kanner.

Dans son bureau parisien, Noël Le Graëtsemble hermétique au brouhaha politi-que. A la FFF, on dépeint un dirigeant obs-tiné qui « ne se laisse ni impressionner nidicter sa position par qui que ce soit ». Onrappelle comment le Breton, alors prési-dent de la Ligue professionnelle, s’étaitopposé à Bernard Tapie, favori de Fran-çois Mitterrand, après l’affaire « OM-VA »de 1993. Une position qu’il avait tenue,déjà, « contre vents et marées ». p

Souvent en quête de nou-veaux talents, Didier Des-champs est réputé pour

avoir le nez creux. Prospectanten permanence, le sélection-neur de l’équipe de Francedonne l’impression de toujoursprendre un temps d’avance.Avant le Mondial 2014 au Brésil,le Bayonnais avait pris soind’incorporer dans son effectif

une flopée de jeunes prodigesafin de faire d’eux des cadresdans l’optique de l’Euro 2016.Dès mars 2013, il avait convo-qué le défenseur du RealMadrid Raphaël Varane et lemilieu de la Juventus TurinPaul Pogba, nés tous les deuxen 1993. Un an plus tard, ce sontl’ailier Antoine Griezmann, lestoppeur Eliaquim Mangala,23 printemps chacun, et l’ar-rière gauche Lucas Digne, dedeux ans leur cadet, qui avaientgrimpé dans le train tricolore.

A moins de trois mois del’Euro en France (du 10 juin au10 juillet), Didier Deschamps aconfirmé son désir de se proje-ter vers l’avenir en convoquantà nouveau l’attaquant de Man-chester United AnthonyMartial (six apparitions à ce

jour sous le maillot bleu), néen 1995, et le milieu offensif duBayern Munich Kingsley Co-man (deux sélections), néen 1996, dans l’optique desdeux matchs amicaux prévus,le 25 mars contre les Pays-Bas, àAmsterdam, et quatre joursplus tard face à la Russie, auStade de France. Ancien ap-prenti de l’Olympique lyonnais(2009-2013), passé par Monacodurant deux saisons, AnthonyMartial avait défrayé la chroni-que en août 2015, lors de sontransfert record (50 millionsd’euros et 30 millions de bo-

nus) chez les Red Devils, dont ilest le co-meilleur buteur (avec7 réalisations) en Premier Leagueanglaise.

Pur produit du centre de for-mation du Paris-Saint-Germain(2005-2013), discret lors de soncrochet par la Juventus (2014-2015), Kingsley Coman est de-venu, le 13 novembre 2015, lors dela victoire (2-0) face à l’Allema-

gne, le plus jeune joueur à avoirdébuté avec l’équipe de France,à 19 ans et cinq mois, depuis…Karim Benzema, âgé de 19 ans etdeux mois le 28 mars 2007, lorsde son baptême du feu. L’ab-sence prolongée de soncompatriote Franck Ribéry a per-mis au dribbleur aux cheveuxperoxydés de briller dans l’entre-jeu du Bayern. Au point de seglisser dans les petits papiers deson entraîneur, Pep Guardiola.« Je crois en son potentiel », a dé-claré à propos du prodige DidierDeschamps le 17 mars, au lende-main de sa performance remar-quée lors de la qualificationpour les quarts de finale de laLigue des champions acquisepar les Bavarois (4-2) face àses ex-coéquipiers de la Juve.

« Le talent n’a pas d’âge »L’arrivée de cette « nouvelle va-

gue bleue » est de bon auguredans l’optique du Mondial 2018,en Russie, au terme duquel lecontrat de Deschamps est censéexpirer. Et c’est peu dire quel’émergence de ces pépites com-ble d’aise les cadres de la Fédéra-tion française de football. « Le

 foot français continue à fournirdes joueurs de grand talent, no-tamment des attaquants, c’estune excellente nouvelle, souritPierre Mankowski, manageur dessélections de jeunes qui a eu letandem Martial-Coman sous ses

ordres en équipe de Franceespoirs. On a eu les Henry,Trezeguet et Anelka. On aaujourd’hui Martial et Coman. Aeux de garder la tête froide désor-mais. On savait qu’ils commence-raient tôt en A. On discute réguliè-rement avec Didier des jeunesen espoirs. Je lui donne mon senti-ment. Didier les observe et les suit.

 Il a une vision verticale. C’est lui

qui décide. »Alors que la présence à l’Euro2016 de Karim Benzema et deMathieu Valbuena demeure in-certaine, le patron des Bleus atrès clairement laissé entendreque Coman et Martial devraientfigurer, le 12 mai, dans sa listedes 23 joueurs retenus pour letournoi. La jeune paire posed’ailleurs dans le cadre de lacampagne publicitaire de Nikepour le lancement du nouveaumaillot tricolore. « Le talent n’a

 pas d’âge. Je n’hésiterai pas à prendre un jeune de 20 ans s’il est plus utile à l’équipe, déclare lesélectionneur, qui a par ailleursconvoqué pour la première foisN’Golo Kanté, 24 ans, infatigablemilieu de Leicester, bluffantleader de la Premier League. Celam’a toujours énervé, pendant ma

carrière de joueur, qu’on me dise :“Tu as le temps.” Non, tu n’as pasle temps. »

« Notre intérêt est d’amener unmaximum de joueurs en A etde ne pas les faire trop traîner ,renchérit Pierre Mankowski,alors que l’attaquant rennaisOusmane Dembélé, 18 ans et déjàdix buts inscrits en Ligue 1 cettesaison, tape déjà à la porte desBleus. Il y a un renouvellement

 permanent des jeunes. C’est inté-ressant pour le public français.

 Mais le plus intéressant pour lui,c’est que les Bleus gagnentl’Euro. » p

La nouvelle vague bleue

« Mon lien avec le foot

français, mon référent,c’est Le Graët »

françois hollande

président de la République

L’attaquant Kingsley Coman (chasuble jaune) à Clairefontaine, le 22 mars. FRANCK FIFE/AFP

E N Q U Ê T E  | SPORTS | Samedi 26 mars 20160123 | 5

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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Une classeà part

f o o t b a l l

Johan Cruyff, mort le 24 mars, ne remporta pas la Coupedu monde. Mais « le Hollandais volant » est, comme joueur

puis entraîneur, celui dont l’impact restera le plus fortsur le football, dans sa dimension tactique et ludique

bruno lesprit

On l’appelait « LeHollandais volant ».Un surnom bateau,pourtant parfai-tement appropriépour ce joueur qui,avec la complicitéde l’entraîneur Ri-

nus Michels, avait inventé le « footballtotal », comme Wagner avait conceptua-lisé l’art total. Avant Johan Cruyff, mort68 ans jeudi 24 mars Barcelone d’uncancer des poumons, la veille d’unPays-Bas - France Amsterdam, le foot-ball n’était qu’un sport.

Il le transforma en discipline protéi-forme, empruntant aussi bien aux ma-thématiques et aux échecs qu’ l’archi-tecture et l’urbanisme, dont l’enjeu pre-mier était vital pour un Néerlandais :l’occupation de l’espace. Polyvalence ab-solue des joueurs, les défenseurs pou-vant se muer en attaquants, et récipro-quement ; pression sur l’adversaire pourle pousser la faute ; prise en charge duballon. Ces principes, qui définissent lefootball moderne, furent élaborés parCruyff et Michels l’Ajax Amsterdam lafin des années 1960 puis exportés en Ca-talogne, le numéro 14 rejoignant Barce-lone en 1973. Sans permettre le triomphede sa sélection orange, battue en 1974 enfinale de la Coupe du monde par la Répu-blique fédérale d’Allemagne (RFA) Mu-nich. Maudit, le vaisseau fantôme desNéerlandais et son flamboyant capitaineseraient condamnés errer sans trésor

dans la légende du football.L’Europe découvrit le phénomène auprintemps 1969, lors de la quatorzièmeédition de la Coupe d’Europe des clubschampions, ancêtre de la Ligue deschampions. En quarts de finale, l’Ajax faittrembler le Vieux Monde en éliminant leBenfica Lisbonne, double vainqueur ettriple finaliste, l’issue d’un scénarioaussi rocambolesque qu’interminable :défaite 3-1 domicile, victoire sur lemême score l’Estadio da Luz, puis esto-cade Colombes (3-0… après prolonga-tions). A 21 ans, Cruyff, beau gosse fluetdont la fausse nonchalance est brutale-ment rompue par des accélérations fou-droyantes, est décisif en inscrivant troisbuts sur l’ensemble des confrontations,dont le premier du match d’appui. Le28 mai, dans l’enceinte madrilène deSantiago-Bernabeu, l’Ajax, premier clubnéerlandais disputer une finale euro-péenne, mise sur sa jeunesse insolente

face au Milan AC de Gianni Rivera, déjcouronné en 1963. La leçon de réalismeest rude : 4-1 pour les Lombards. Les com-mentaires vanteront pourtant le beaujeu des perdants, si élégants dans leurtenue blanche au maillot barré d’unebande latérale rouge. Et trop « romanti-ques », comme le regrettera Cruyff.

Deux ans plus tard, la leçon a été rete-nue : l’Ajax rafle le trophée le 2 juin 1971en s’imposant 2-0 face au Panathinaikosd’Athènes, Wembley, et Cruyff est ré-compensé cette année-l de son premierBallon d’or. La phalange ne devient paspour autant la première des Pays-Bas s’imposer sur la scène européenne, sonennemi juré, le Feyenoord Rotterdam lui

ayant brûlé la politesse lors de l’éditionprécédente. C’est dire que le footballnéerlandais brille alors de tous ses feuxavec ces deux ambassadeurs qui domi-neront sans partage le championnat na-tional pendant une décennie, de 1965 1974, et s’affrontent sur fond de lutte desclasses. D’un côté, le Feyenoord, le clubdes ouvriers de la cité portuaire dévastéepar la seconde guerre mondiale. Del’autre, l’Ajax, avec l’effigie du héros de laguerre de Troie sur son blason et sesguerriers surnommés Godenzonen (« lesfils de Dieu »), perçu comme « bour-geois » et même comme « juif », une lé-gende urbaine encore tenace. Seulementparce que son Stadion de Meer est im-

planté Amstelveen, un des quartiers decette communauté dont 20 % des mem-bres estimés avant-guerre Amsterdamont survécu la Shoah.

Né le 25 avri l 1947, Hendrik Johanne sCruyff est un enfant des lendemains dudésastre. Ce fils de marchands de fruits etlégumes grandit l’est de la ville, dans unbastion de gauche, le quartier de Beton-dorp, quelques encablures du stade del’Ajax. A l’école, le gamin est un cancre in-discipliné, déj arrogant, le ballon tou-jours portée de semelle, dont le hérosest Faas Wilkes, un attaquant rotterda-mois qui a brillé en Italie puis en Espagnedans les années 1950. Son destin sembletout tracé d’autant que son père, un fande foot, vend ses produits l’Ajax et l’en-courage pratiquer cette activité.

A 10 ans, Johan l’espiègle intègre le clubde ses rêves et se fond dans le jeu offensif maison, modelé par un Anglais, Jack

Reynolds, arrivé Amsterdam dès 1915.Un drame achève de transformer l’Ajaxen famille : la perte du père, victime

d’une crise cardiaque. L’échoppe fami-liale doit être revendue et la mère de-vient femme de ménage et blanchis-seuse au club. Le responsable des ter-rains devient le beau-père de Cruyff.

« Au service de l’équipe »Les prouesses du prodige chez les jeunes

lui permettent de signer son premiercontrat professionnel dès 16 ans. Un anplus tard, il fait ses débuts en champion-nat. Une défaite, mais il inscrit l’uniquebut de son équipe, le premier d’une inter-minable série. Pour sa première saisonpleine, 1965-1966, Cruyff marque 25 foisen 23 apparitions et devient championdes Pays-Bas. Il s’est trouvé un nouveaupère de substitution en Rinus Michels, unancien du club appelé sur le banc en jan-vier 1965 alors que l’Ajax luttait pour lemaintien. L’un est chef d’orchestre, l’autrepremier violon, Michels décrivant sonprotégé par une belle formule :« un indivi-dualiste au service de l’équipe ». Malgré saconsommation excessive de cigarettes,

Cruyff parcourt le terrain sur toute la lon-gueur, vient chercher le ballon au cœur desa défense pour organiser des offensivesméthodiques et meurtrières. Rien ne ré-

siste au tandem : en 1967, l’Ajax réalise sonpremier doublé championnat-coupe na-tionale. Meilleur buteur de l’Eredivisieavec 33 réalisations, Cruyff est nomméjoueur de l’année aux Pays-Bas.

Le phénomène a fait ses débuts offi-ciels sous le maillot national contre laHongrie (2-2) en septembre 1966, Rot-terdam, pour les éliminatoires du cham-pionnat d’Europe, en marquant un but.Mais les choses se gâtent dès le rendez-vous suivant, un amical contre la Tché-coslovaquie au Stade olympique d’Ams-terdam : Cruyff entre da ns l’histoirecomme le premier international néer-landais expulsé, ce qui lui vaudra unesuspension de huit mois de la sélection.S’estimant victime d’une injustice, ilaura toujours des rapports tendus avec lafédération et distants avec les « Oranje »(l’équipe des Pays-Bas), qu’il envisagecomme une option. Il refuse ainsi de serendre Sofia en octobre 1968, faute

d’avoir obtenu une revalorisation desprimes des joueurs. Sans leur stratège, lesNéerlandais s’inclinent 2-0 face la Bul-garie. Cette défaite leur coûtera la partici-pation la Coupe du monde 1970.

Quatre ans plus tard, le pays parvientenfin se qualifier pour le Mondial,après quarante ans d’absence. Les « Oran-ges mécaniques », comme on les sur-nomme en référence au film de StanleyKubrick sorti en 1971, débarquent en RFAavec la réputation de terreurs. L’Ajaxa conservé son titre européen au prin-temps 1972, Rotterdam, grâce Cruyff,auteur d’un doublé en finale contrel’Inter Milan (2-0), et un an plus tard Belgrade face la Juventus Turin. Le

totaalvoetbal  a fait sauter le catenaccio,le « verrou » italien. La domination del’Ajax n’a même pas été affectée par le dé-part Barcelone de Michels, remplacé

par le Roumain Stefan Kovacs en 1971.A l’été 1973, Cruyff, qui a tout remportéavec l’Ajax (y compris la Coupe inter-continentale en 1972 face aux Argentinsd’Independiente d’Avellaneda), et plutôtde trois six fois qu’une, choisit sontour de quitter les basses terres et leurscieux lourds pour rejoindre son mentorsous le soleil de Catalogne. Son transfert,qui établit un record mondial 60 mil-lions de pesetas, symbolise la renais-sance du club blaugrana, qui n’a plusremporté le championnat depuis 1960 etvégète dans l’ombre de l’ennemi, le RealMadrid. Les socios n’ont pas été peu fiersd’apprendre que leur recrue a déclinéune offre de la maison blanche castillane,assimilée au franquisme finissant. Unelégende voudrait que Cruyff ait refusé dejouer pour des « fascistes ». La réalité estautre : le rebelle n’a guère apprécié quel’Ajax s’entende avec le Real, sans le solli-citer. Il a opté pour le rival par esprit de

contradiction. Et n’aura pas le regretter :le Barça est enfin sacré après avoir faitsubir aux Madrilènes une humiliationhistorique (5-0) Santiago-Bernabeu enfévrier 1974. Le Hollandais devient roi deCatalogne et donne son fils un prénomdu cru, Jordi. Il récupère son Ballon d’orfin 1973 et le conservera l’année suivante.

Sans lui, et comme un mauvais pré-sage, l’Ajax, éliminé dès le deuxième tourpar le CSKA Sofia, a perdu sa couronneeuropéenne au profit du Bayern Munich.Champions d’Europe en 1972, les Ouest-Allemands misent sur l’expérience deleur capitaine bavarois, Franz Becken-bauer. Le « Kaiser » a révolutionné leposte de libero par son audace offensive.

Sapé comme un Milord de Carnaby,

cheveux mi-longs, fan des Beatles,

cet anticonformiste fume en cachette

pendant les mi-temps

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Il n’en incarne pas moins, pour les ama-teurs de stéréotypes, un esprit allemandcensément laborieux et rigoureux. Toutsemble l’opposer à son adversaire, qui

passe pour le footballeur le plus « cool »du monde. Derrière ses Ray-Ban, Cruyff aen effet accédé au statut réservé aux rockstars. Son mariage en décembre 1968avec Danny Coster a localement été « unévénement people considérable, aussiretentissant que le mariage en France de

 Johnny Hallyday et Sylvie Vartanen 1965 », écrit Chérif Ghemmour dans

 Johan Cruyff, génie et despote  (HugoSport, 2015). Son épouse l’a métamor-phosé en gravure de mode. Sapé commeun milord de Carnaby, cheveux mi-longs,fan des Beatles, cet anticonformistefume en cachette pendant les mi-temps.Sur la pelouse, il signe sa singularité parson numéro 14, d’ordinaire réservé auxremplaçants, dont il a hérité accidentelle-ment. Et, en Allemagne, il se distingue deses coéquipiers en portant un maillot àdeux bandes alors qu’eux en arborenttrois. Aurait-il refusé de se plier aux exi-gences de l’équipementier Adidas ? L’ex-

plication est prosaïque : Cruyff était déjàsous contrat avec Puma.

Kidnapping à son domicileIl prête à tous les fantasmes. Les gau-

chistes aimeraient voir en lui un héritiersportif du mouvement des provos, ceslibertaires écolos présoixante-huitards.Mais Cruyff est surtout un libéral quientretient un rapport parfaitement dé-complexé à l’argent. Doublé désormaisd’un entrepreneur, une disposition qui apu éclore auprès de son nouveau beau-père, l’homme d’aff aires Cor Coster :ayant fait fortune dans le négoce de bi-jouterie et de joaillerie, il a vite saisi lepotentiel commercial du football.

Les « Oranje » sont gonflés de confiancequand débute le Mondial 1974, emmenésnon seulement par leur glorieux expa-trié mais aussi par Rinus Michels, déta-

ché par le Barça. Ils écartent les tenantsdu titre brésiliens mais leur rêve se brisele 7 juillet à Munich face à Beckenbaueret ses hommes (2-1). Cruyff s’illustre dèsles premières secondes de la finale enprovoquant un penalty, puis s’éteint, mu-selé par son chaperon Berti Vogts. Ce serasa seule Coupe du monde. Il dispute lechampionnat d’Europe 1976 en tombantface aux futurs vainqueurs tchécoslova-ques, puis contribue à l’automne 1977 à laqualification des Pays-Bas pour le Mon-dial argentin.

Dans la foulée, il annonce à la stupeurgénérale son retrait de la sélection sansfournir d’explication. Ce geste est sitôtinterprété comme un boycottage de lacompétition, pour protester contre lajunte militaire au pouvoir à BuenosAires. Trente ans plus tard, il révélera à laradio publique catalane avoir été victimeavec sa famille d’un kidnapping à son do-micile barcelonais. Il parvint à s’échapper

mais fut placé avec les siens sous sur-veillance policière. Il n’avait plus l’espritau football. On ignore si cet incident pré-cipita son départ du Barça à la fin de lasaison après la conquête de la Coupe duRoi, le club échouant régulièrement aupied du podium en championnat.

A 32 ans, Cruyff, comme les autres starsde sa génération, cède en 1979 aux sirè-nes de la jeune Ligue nord-américaine.Le crépuscule de sa carrière prend untour chaotique : il ne reste qu’une saisonchez les Los Angeles Aztecs, dont l’undes propriétaires est Elton John et qui as-pire à devenir le New York Cosmos (quia débauché Pelé et Beckenbauer) de laCôte ouest. C’est encore une fois Rinus

Michels qui l’a convaincu de le rejoindre.Il ne s’éternise pas plus aux WashingtonDiplomats. Son compte en banquebien garni, il retourne en Europe en

faisant le choix surprenant de Levante,une équipe espagnole de deuxièmedivision, signe qu’il est temps de raccro-cher les crampons.

Mais le vétéran ne l’entend pas ainsi.Cruyff se retire après une apothéose enrentrant dans son pays natal pour rem-porter à trois reprises le championnatnéerlandais. Deux fois avec l’Ajax (1981 et1982), puis avec… Feyenoord. Furieux queson contrat n’ait pas été renouvelé avecle club d’Amsterdam, il n’a pas hésité àpasser chez l’ennemi, bras d’honneur àl’appui. Bien lui en prend puisqu’il re-ferme son palmarès de compétiteur parun titre de champion national et uneCoupe des Pays-Bas.

Sa carrière de joueur est déjà bien rem-plie quand il y met fin à 37 ans. Maispour lui une deuxième vie commence.Cruyff va s’employer avec force à fairementir l’adage selon lequel les meilleursfootballeurs ne font pas de grands

entraîneurs. Sa brouille avec l’Ajax auraété de courte durée puisque c’est dans ceclub qu’il connaît mieux que personnequ’il endosse le survêtement du techni-cien en 1985. Il impose évidemment sesidées, primat de la jeunesse et miseau point d’un système révolutionnaireultra-offensif avec trois défenseurs,autant de milieux, deux ailiers et deuxattaquants d’axe.

La philosophie ? Peu importe que l’onprenne des buts tant qu’on en marquedavantage. Dès la première saison, celase traduit par une avalanche, avec120 buts, soit une moyenne supérieure à3,5 buts par match – et un goal average fi-nal de + 85 ! Les spectateurs du Stadion

de Meer se régalent, le titre nationaléchappe pourtant à l’Ajax, devancé par lePSV Eindhoven, un scénario qui se répé-tera les deux saisons suivantes. Cruyffétait le lieutenant sur la pelouse deRinus Michels. Il trouve son équivalentchez un attaquant, jeune vingtenaire

aussi rayonnant et photogénique quelui, qui lui voue une admiration sansbornes, Marco Van Basten. Avec lui, touteune génération se révèle, celle qui s’ap-prête à remporter le seul trophée inter-national jamais conquis par les Pays-Bas,l’Euro 1988 : Frank Rijkaard, ArnoldMühren, Aron Winter ou John Bosman.L’Ajax rafle trois coupes, deux des Pays-Bas, et la Coupe d’Europe des vainqueursde coupe, à Athènes, en mai 1987, grâce àun unique but de Van Basten face auLokomotive Leipzig.

Décidément, l’exemple de Rinus Mi-chels le poursuit. Comme son mentor,Cruyff quitte en 1988 l’Ajax pour Barce-lone, où le retour du plus Catalan desNéerlandais est salué dans la liesse. Il yrestera huit saisons et, en conséquence,ne décevra pas, prenant sous son aileson disciple (et futur successeur) auposte d’entraîneur, Pep Guardiola. De

nouveaux trophées s’ajoutent dans lavitrine du Barça, qui aligne quatre Ligaentre 1991 et 1994.

Pendant son règne, les Blaugranaremportent la Coupe d’Europe des vain-queurs de coupes en 1989 (2-0 contre laSampdoria Gênes à Berne), puis ils re-trouvent ces mêmes Gênois à Wembleyen 1992 pour la dernière édition de laCoupe des clubs champions, qui se trans-formera en Ligue des champions. Nou-velle victoire, acquise cette fois dans ladouleur et les prolongations grâce à unbut de Ronald Koeman. La Catalogne esten fête, Cruyff a accompli ce que mêmeMichels n’avait pu faire : rapporter à Bar-celone la « Coupe aux grandes oreilles »,le plus prestigieux des trophées euro-péens. L’année précédente, Barcelones’était incliné en finale à Rotterdam faceà Manchester United. Et échouera à cemême stade en 1994 face au Milan AC.Une déculottée (4-0) qui, additionnée à

des résultats domestiques en baisse, pro-voquera son départ en 1996 – non sansfâcherie, comme il se doit – avec le prési-dent Josep Lluis Nuñez.

Mauvaises habitudesSon héritage est pérenne en Catalo-

gne, et même au-delà. C’est Cruyff qui aentièrement repensé, en s’inspirant decelui de l’Ajax Amsterdam, la Masia, lefameux centre de formation du clubdont sont sortis Lionel Messi et lesfuturs champions du monde espagnolsde 2010 et doubles champions d’Europe(2008 et 2012), les Xavi, Iniesta et autresFabregas. Il a ainsi sans doute préparé ladomination écrasante de la « Roja » pen-dant cette période, hérissant ses compa-triotes en 2010 (les Pays-Bas perdirentune troisième fois une finale de Mon-dial, 1-0), en affirmant « être hollandaismais soutenir le football pratiqué par 

l’Espagne » parce que « le style de l’Espa- gne est celui de Barcelone » et que « c’estla meilleure publicité que l’on puisse faire

 pour le football ».Le tabagique paie ses mauvaises habitu-

des en 1991 d’un double pontage corona-rien. Il doit renoncer à son addiction,suçotant désormais des Chupa Chupsdepuis le banc de touche pour calmer sanervosité. Après quoi, il apparut dans unepublicité pour une campagne antitabacen Catalogne. Contrairement à Michels,Cruyff ne sera jamais coach des « Oranje » ,malgré des contacts en vue du Mondial1994. Il aura pourtant entraîné une sélec-tion, celle de Catalogne, à partir de 2009.

Même s’il ne remporta jamais la Coupedu monde, Johan Cruyff est peut-être, àla fois comme joueur puis entraîneur,celui dont l’impact restera le plus fort surle football, dans sa dimension tactique etludique, plus encore que deux autres su-perstars comme Pelé et Maradona. On le

vit encore récemment, en février, lors-que Lionel Messi et Luis Suarez, les deuxattaquants de Barcelone tirèrent unpnalty à deux – passe de l’Argentin àl’Uruguayen – lors du martyre du CeltaVigo (6-1) au Camp Nou. Ce geste, qui af-fola les réseaux sociaux, n’avait pas étéinventé par Cruyff (le Belge Rik Coppensen est le « père », en 1957) mais c’est bienlui qui l’avait immortalisé en 1982 sous lemaillot de l’Ajax avec la complicité duDanois Jesper Olsen. Malade, le retraité a,dit-on, apprécié cet hommage du quintu-ple Ballon d’or à son génie. Il n’aura pugoûter celui de Michel Platini, qui s’estincliné devant « le meilleur joueur de tousles temps ». p

Parcours

1947 Johan Cruyff naîtà Amsterdam, le 25 avril.

1966 Premier de ses huittitres de championdes Pays-Bas avec l’Ajax.

1971 Premier de ses troissacres en Coupe des clubschampions avec l’Ajax.

1974 Championd’Espagne sous le maillotdu FC Barcelone.Finaliste de la Coupe dumonde contre l’Allemagne.

1984 Il remporte un ultimetitre de champion avecFeyenoord et achèvesa carrière de joueur.

1985 Champion

des Pays-Bas avec l’Ajaxen tant qu’entraîneur.

1992 Il remporte la Coupedes clubs championscomme entraîneur du Barça.

2016 Mort à Barcelone,le 24 mars.

Johan Cruyff,au Camp Nou,

à Barcelone, en 1978.JEAN CLAUDE PICHON/

PRESSE SPORTS

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bruno lesprit

 Krommenie (Pays-Bas), envoyé spécial

Décidément, en matière de football, lesPays-Bas, qui ont pourtant remportéen 1988 leur unique trophée grâce àcette compétition, sont fâchés avecl’Euro dès qu’il se dispute en France.Ils manquèrent la première édition

de 1960, qui n’opposait certes que quatre nations.Rebelote en 1984, avec huit participants. Le passage à24 compétiteurs pour le quinzième cru, du 10 juin au10 juillet, ne leur a pas plus porté chance. Les fina-listes du Mondial 2010 ont été incapables d’arracherleur billet, distancés par la République tchèque,l’Islande et la Turquie. Voilà les terreurs continentalesd’hier réduites à jouer les utilités, servir de sparring-

partners aux qualifiés pour leurs matchs de prépara-tion. C’est le cas, vendredi 25 mars, avec la réceptiondes Bleus de Didier Deschamps à Amsterdam.

Il est un homme que l’absence des Oranje enFrance désole plus que d’autres : Johnny Rep, le plusfrancophile des footballeurs bataves. L’ancienattaquant, qui fit les beaux jours du grand AjaxAmsterdam puis chavira les cœurs des supporteurs– et des supportrices – lors de ses six années pas-sées en France (à Bastia de 1977 à 1979, à Saint-Etienne jusqu’en 1983), aurait été sollicité pour saconnaissance du pays hôte et la maîtrise de sa lan-gue. A 64 ans, Rep devra se contenter de continuer àdistribuer des notes aux joueurs de l’Eredivisiepour le quotidien De Telegraaf.

Il a fixé rendez-vous au milieu de nulle part pourruminer son désarroi. « De Krokodil », un bar à tapassitué à Krommenie, localité de la Hollande sep-tentrionale, à 25 km au nord-ouest d’Amsterdam. Ledécor espagnol lui rappelle peut-être ses deux sai-sons à Valence (1975-1977) et ses dernières vacancesen Andalousie. Il recommande pourtant l’omelettelocale. Plate comme le Waterland qui apparaît

depuis la fenêtre, avec ses terres gorgées d’eau  et« son ciel si bas qu’un canal s’est pendu », ainsi quechantait Brel, le voisin belge.

Rep sourit sans que cette élégance masque ses fêlu-res. Car il y a plus grave que la « catastrophe » qu’est de-venue, selon lui, la sélection nationale. En 2010, lefootballeur s’était confié au journaliste Mik Schotsdans le livre Rep, Een Roerig (voetbal) leven (éd. De Ar-beiderspers) pour ne rien cacher de sa « vie agitée », enlivrant de lui une image très éloignée de la flam-boyance et du glamour. Deux divorces, le second rui-neux, l’avaient contraint à vendre sa maison. Il parlaitde son isolement et de son combat contre l’alcool.

Aujourd’hui, il cherche un job. « J’ai demandé envain à être recruteur de l’Ajax mais ils ne me veulent

 pas », grince-t-il, amer. Les ingrats. Ont-ils oubliél’unique buteur de la finale de la Coupe d’Europe des

clubs champions 1973 contre la Juventus Turin, et cecoup de tête qui permit aux Amstellodamois deremporter à Belgrade le trophée pour la troisième

année consécutive ? A 21 ans, Rep, cheveux longs etjoues mangées par des rouflaquettes, avait charmél’Europe par sa fraîcheur.

Tout était allé très – trop – vite pour ce fils de gros-sistes en fruits de Zaandam, commune immortali-sée par le séjour et les tableaux de Monet : « J’ai tra-vaillé avec mes parents jusqu’ à 19 ans, mais dès 15 ans

 j’ai su que ma vie serait consacrée au football. »  A16 ans, il émarge déjà en troisième division avecZaandam. Un oncle disquaire fait la publicité duprodige auprès du président de l’Ajax. Après deux sai-sons dans la réserve, Rep débute en équipe premièreà 19 ans. Deux ans plus tard, il est titulaire au détri-ment du vétéran Sjaak Swart, héros des triomphescontinentaux de 1971 et 1972.

Le voilà benjamin de cette équipe de génie, déposi-taire d’un « football total » marqué par la polyvalenceabsolue de joueurs. Ceux-ci ont pour noms Wim Suur-bier, Ruud Krol, Barry Hulshoff, Arie Haan et, bien sûr,les deux Johan, « le Second » (Neeskens) et « le Pre-mier » (Cruyff ), mor t jeudi 24 mars à Barcelone.« Cruyff se comportait comme un professeur,  se sou-

vient Rep, en mimant l’icône avec gesticulations desbras et ordres donnés aux quatre coins de la pelouse.On ne s’entendait pas bien, sauf sur le terrain. S’il tedonnait un mauvais ballon, c’était ta faute. Et quand ilne t’aime pas, tu peux aller chercher un autre club… »

Les demi-dieux de l’AjaxPour la Coupe du monde 1974, les « Oranges méca-

niques » de Rinus Michels débarquent en Rhénaniecomme favoris et en rock stars. « On planait sur unnuage, mais moi je n’étais pas bien dans ma tête »,observe Rep. Il dispute le Mondial un an après sesdébuts internationaux et n’a pas été préparé àdéjouer les pièges du vedettariat. Le 7 juillet, il perd àMunich sa première finale contre la RFA, la premièred’une funeste série. Quatre ans plus tard, à BuenosAires, les Pays-Bas échouent à nouveau sur la der-nière marche, toujours devant le pays hôte. En lot deconsolation, le beau blond devient le meilleur bu-teur néerlandais en Coupe du monde avec sept réa-lisations, un titre qui tient encore malgré les effortsde Robin Van Persie, Wesley Sneijder et Arjen Robben,tous à une unité derrière.

Entre-temps, l’assemblée de demi-dieux de l’Ajaxs’est disloquée. Cruyff a anticipé le mouvement enrejoignant Michels à Barcelone dès 1973, suivi parNeeskens. Haan a opté pour Anderlecht, Blankenburgpour Hambourg et Rep pour Valence. Après deuxsaisons, il se brouille avec le président et se retrouvesur le marché des transferts pour faire un choix révo-lutionnaire : « Alkmaar était sur les rangs – mais

 j’étais trop cher pour eux –, et Cologne. On parlait du Real Madrid dans les journaux mais je n’ai jamais reude proposition. Finalement, j’ai signé à Bastia, et c’estla meilleure affaire que j’ai faite. Je ne l’ai jamais re-

 gretté même s’ils se sont gardés de me montrer lestade… Quand le Torino est venu à Furiani, les joueursont cru qu’il s’agissait du terrain d’entraînement ! En-

 fin, 6 000 spectateurs là-bas font plus de bruit que 40 000 ailleurs. J’ai toujours des amis en Corse, chez

qui je peux dormir. La dernière fois, c’était en 2013 pour l’hommageà Claude Papi, à Porto-Vecchio. »

Rep évoque avec émotion la mémoire du meneur

de jeu bastiais avec lequel il fut le héros de l’épiquecampagne de 1977-1978 en Coupe de l’UEFA, qui sesolda par une défaite face à ses compatriotes du PSVEindhoven – « on était cuits ». Avec un copain, le Hol-landais a fait en 2013 une virée latine pendant deuxmois en camping-car, en s’arrêtant sur les lieux deses exploits. Le véhicule a stationné devant le stadeGeoffroy-Guichard, où Rep est souvent retourné de-puis ses débuts sous le maillot vert en 1979. Il y alaissé un souvenir impérissable, ravivé en 2004 parla chanson de Mickey 3D en hommage à celui qui« évite les croche-pieds »  et « n’en peut plus de drib-bler ». Lui-même a commis un 45-tours en 1980, Hey

 Johnny (Singing in the Morning), et il le regrette : « Jeme souviens d’un match à Montpellier, je ne touchais

 pas un ballon, et tout le stade se foutait de moi enréclamant : “Johnny, une chanson !” »  Sur la pochettetransparaît sa ressemblance avec Rober t Redford : « On l’a souvent dit. Peut-être un petit peu, pour lescheveux blonds… Mais plus maintenant, hein ! »

A Saint-Etienne, Rep est recruté avec le NancéienPlatini. Leur association doit produire des étincelles :

« Avec Michel et moi, on avait une super-attaque, maisla défense était fragile. Curkovic et Farison étaient en fin de carrière, Lopez et Santini étaient bons mais pastrès rapides. » Si le championnat est remportéen 1981, Rep perd encore deux finales, de Coupe deFrance cette fois. L’annus 1982 est horribilis. Les Pays-Bas sont privés de Mondial par la faute des Français.L’ailier droit a disputé en novembre 1981 son derniermatch sous le maillot orange au Parc des Princes,crucifié par son coéquipier Platini. Au printemps sui-vant éclate l’affaire de la caisse noire, qui contraintSaint-Etienne à vendre ses meilleurs éléments : « Jene voulais pas partir. On était bien à Sorbiers. Mesenfants parlaient français entre eux. »

Le coup d’arrêt précède la chute. La star rentre aupays pour errer de Zwolle à Haarlem, en passant parl’ennemi de l’Ajax, Rotterdam et son Feyenoord.Enfin, retour au bercail. Rep joue les prolongations àZaandam jusqu’à l’â ge canonique de 41 ans. Sa re-conversion comme entraîneur débute avec les ama-teurs des Zwarte Schapen (« les moutons noir s »)d’Almere, une ville nouvelle dans l’agglomérationd’Amsterdam. Il prend ensuite les commandes

d’Omniworld (rebaptisé Almere City), un satellite del’Ajax évoluant en deuxième division. Ses dérives– « Ma femme trouvait que je buvais trop » – l’écartentdu banc pour le confiner au recrutement.

Son honnêteté pose problème. Johnny dit les cho-ses cash, un défaut dans ce milieu. En 2013, sur le pla-teau de la chaîne RTV Noord-Holland, il avoue s’êtredopé aux amphétamines pendant sa carrière, etajoute que cette pratique était répandue, notammentchez les Sud-Américains. Il donne des exemples : lesArgentins de l’Independiente Avellaneda, battus parl’Ajax en 1972 en finale de la Coupe Intercontinentale,ou le Brésil et l’Uruguay en 1974. Avec cette sortie, il asans doute achevé de se rendre indésirable. Sauf pour parrainer la Johnny Rep Classic, une course devélo dans l’île de Texel (mer du Nord) organisée finmai au profit de la lutte contre le cancer.p

Johnny Rep a fait les beaux jours des Verts

et des Pays-Bas version football total. A 64 ans,il cherche toujoursà vaincre ses démons

« Cruyff

se comportaitcomme unprofesseur. S’ilte donnait un

mauvais ballon,c’était ta faute.Et quand il ne

t’aime pas,tu peux allerchercher un

autre club… »

Johnny Rep, à Krommenie,aux Pays-Bas, en juin 2015.BRAM BUDEL POUR « LE MONDE »

Oranje amer

Parcours

1951 Johnny Repnaît le 25 novembreà Zaandam (Pays-Bas).

1973 Il inscrit,le 30 mai, l’uniquebut de la victoire del’Ajax Amsterdamcontre la JuventusTurin, à Belgrade,en finale de la

Coupe d’Europe desclubs champions.

1974 Finaliste dela Coupe du mondeen RFA. Il le serade nouveau enArgentine en 1978.

1978 Finalistede la Coupe del’UEFA avec Bastia.

1979 Il est transféréà l’été à Saint-Etienne. Championde France en 1981.

1992 Il terminesa carrière dejoueur à Zaandam,à l’âge de 41 ans.

2016 Recruteursans emploi.

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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Cah ie r du « M o n de » N o 2 2 1 44 · N e pe u t ê tr e v e n du s é par é m e n t

g S AM E DI 2 6 M AR S 2 01 6 f

RÉSISTERCOMMENT FAIRE FACE À LA TERREUR ?

ARTISTES, ÉCRIVAINS ET INTELLECTUELS RÉPONDENT

LUC BRONNER

Paris, Tunis, Bamako,

Ouagadougou, Ankara, Grand-

Bassam, Bruxelles… Les atten-

tats se suivent, la liste des villes touchées

s’allonge, avec son cortège de morts et

de blessés. Avec son cortège de blessures

invisibles, aussi, dans la mesure où les

attaques terroristes ont ceci de particulier

qu’elles font des milliers de victimes

directes et des millions de victimes indi-

rectes. Car la peur est l’arme de destruc-

tion massive des terroristes. Elle ronge les

fondements de notre maison commune.

Elle nous amène à remettre en question

des principes fondamentaux de la vie

collective. Elle conduit au repli sur soi,

à une forme d’apathie pour les uns, à de

la haine ou de la colère pour d’autres.

Comment résister ? Comment ne pascéder à cette stratégie de la peur ?

Comment vivre avec le terrorisme – vivre

contre, devrait-on dire ? Où chercher

les ressources pour ne pas céder

à l’amalgame ? Combien de temps des

sociétés soumises à ce type d’attaques

peuvent-elles tenir sans se fracturer ?

Dans la tectonique des plaques d’une

société, l’onde de choc de la peur n’est

pas la moins dangereuse. L’Histoire,

seule, dira ce que ces années ont

bousculé, et quelle place elles prendront

dans le récit mouvementé des crises

qui ont fait/défait la France et l’Europe.

Nous sommes entrés dans une période

où la société française se sent en guerre,

ce que les générations nées après

la guerre d’Algérie – 44 millions d’habi-

tants sur les 66 millions de Français –

n’ont jamais connu.

La résilience d’une communauté reste

un mystère. Pourquoi une société tient-elle

malgré les chocs ? A quel moment,

et pourquoi, craque-t-elle ? Face à la peur,

il n’y a pas de réponse unique. Il y a des

réponses collectives, politiques, associa-

tives. Il y a des réponses très personnelles,

intimes, banales, quotidiennes. Il y a des

cris de colère et des messages d’espoir.

Il y a des actions concrètes et des projets

utopiques. Résistons, car notre apathie

serait leur victoire. h

2-3Marie Desplechin,

Pascal Convert,Ismaël Saidi,

Annette Wieviorka,Jean Claude Ameisen,

Ruwen Ogien,Alain Rey,

Annette Messager

4-5 

Boualem Sansal,Ludivine Bantigny,

Philippe Forest, Serge Tisseron,

Jean-Michel Alberola,Tareq Oubrou,

Riss 

6-7Didier Daeninckx,Geneviève Damas,

Marwan Mohammed,Robert Guédiguian,

Mireille Delmas-Marty

5 3 A V E N U E M O N T A I G N E P A R I S

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F O R U M L E M O N D E g S AM E DI 2 6 M AR S 2 01 6 2

UN RIEN POUVAITNOUS SAUVER

 PAR ISMAËL SAIDI

Résiste… prouve que tu existes ! »  Cette phrase

déclamée par France Gall résonnait fort tout au

long de mes années d’errance, au fin fond de

mon adolescence. Prouver qu’on existe quand on n’est

« statistiquement » rien. Exister, unique leitmotiv pour

toute une génération. C’était une réelle gageure que d’exis-ter, tout au long de mon adolescence. Cette adolescence

passée à Schaerbeek, le quartier perdu au nord de Bruxel-

les dont on parle tellement, ces derniers temps. A l’époque,

pour survivre, il fallait résister à tout : résister aux « co-

pains » qui nous proposaient de gagner de l’argent facile

en vendant un « pacson » d’héroïne. Résister aux propo-

sitions douteuses d’un « grand » – c’est comme ça qu’on

appelait alors les aînés – qui voulait qu’on vole pour lui des

CD à la Fnac, pour les revendre plus tard au marché noir.

Résister aussi aux appels solennels de l’imam, qui nous

proposait de donner un but à nos vies, mais pas ici, plutôt

là-bas, au pays des Pachtounes et des burkas.

Tout était résistance.

Et un rien pouvait nous sauver : une phrase retenue d’une

chanson de France Gall, un livre trouvé au détour d’une

brocante, un professeur engagé qui voyait plus loin que le

bout de notre origine.

Tout était résistance.

Et cette résistance m’a sauvé. Aujourd’hui encore, il va

falloir résister : résister à la ha ine de l’autre, résister à

déshumaniser l’autre en le vouant à l’enfer à cause de sa

différence, résister à l’appel de la marge qui veut nous voir

enfouis en elle, résister au dépit et à l’abandon. Encore une

fois, il va falloir résister… pour prouver qu’on existe.h

Ismaël Saidi est réalisateur, scénariste et dramaturge.

Belge francophone d’origine marocaine, il est l’auteur

de la pièce Djihad (2014).

COMPRENDRE CE MONDENOUVEAU ET MOUVANTPAR ANNETTE WIEVIORKA

La résistance pourrait être définie comme elle

l’est en physique : une rétroaction. On résiste à

quelque chose. Ainsi, certains historiens consi-

dèrent que, pendant la seconde guerre mondiale, tout acte

s’opposant à la destruction des juifs d’Europe était un acte

de résistance. Le camaïeu de ces actes est large : des insurgés

du ghetto de Varsovie aux jeunes filles qui organisèrent le

passage d’enfants en Suisse ; du policier qui prévint de l’im-

minence des rafles aux familles qui cachèrent, au mépris de

leur vie en Pologne, des juifs. Encore fallait-il être informé

du sort des juifs dans les divers pays d’Europe ; encore fal-

lait-il comprendre qu’ils étaient voués à la mort.

Jean-Louis Crémieux-Brilhac qui, à Londres, dirigea le ser-

vice de diffusion de la France libre expliquait qu’aucune

information ne leur parvint, à lui et ses camarades, sur la

rafle du Vél’d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942. En revanche, ils fu-

rent renseignés sur celles qui se déroulèrent le mois suivant

en zone libre, et Radio Londres s’en fit l’écho. Mais, comme

pour Raymond Aron et tant d’autres, les informations

reçues ne faisaient pas sens : « Les chambres à gaz, l’assassi-

nat industriel d’êtres humains, non je l’avoue, je ne les ai pas

imaginés, et parce que je ne pouvais pas les imaginer, je ne lesai pas sus. » Soixante-dix ans après la fin de la guerre, nous

comprenons ce qui restait opaque aux contemporains.

Un souvenir me hante depuis janvier 2015. Celui de l’atten-

tat devant la synagogue de la rue Copernic, le 3 octobre 1980.

Je me souviens de la mobilisation au lycée Jules-Siegfried, à

Paris, où j’enseignais alors ; je me souviens du flot humain

de la manifestation Nation-République où, pour la pre-

mière fois, des francs-maçons défilèrent en tenue ; je me

souviens de la violence de nos émotions et de notre déter-

mination absolue à résister à l’extrême droite qui avait,

pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale,

tué des juifs sur le territoire de notre pays. Nous nous som-

mes alors trompés de cible. Les très rares voix – celle d’An-

nie Kriegel notamment – qui affirmaient que l’attentat

n’était pas le fait de l’extrême droite, mais que la bonne piste

était la piste moyen-orientale, furent étouffées. Il serait in-

téressant de relire ce que Le Monde  écrivait alors. Ainsi,

nous ne résistâmes pas contre le bon ennemi.

On peut vouloir résister pour être en paix, en accord avec

soi-même. Mais résister à quoi ? Car le plus difficile, dans les

jours que nous vivons, entre terrorisme et réseaux

islamistes, crise des migrants, détricotage de l’Europe, c’est

bien de comprendre ce monde nouveau et mouvant dans

lequel nous vivons. En ce sens, la responsabilité de nous

aider à comprendre incombe d’abord aux médias et aux po-

litiques, à leur capacité d’écouter ceux qui ont la meilleure

connaissance des situations, à leur capacité d’imaginer

dans la lucidité et le respect de la vérité, et de nous faire

connaître ce qu’ils ont compris.h

Annette Wieviorka, historienne, spécialiste

de la Shoah, est notamment l’auteure de 1945.

 La Découverte (Seuil, 2015).

DIRE « NOUS »AVANT DE DIRE « JE »PAR PASCAL CONVERT

Résister aujourd’hui, c’est d’abord se méfier du

terme inapproprié de guerre pour définir un

conflit complexe et asymétrique aux racines à la

fois globales et locales. Ce que m’a appris Raymond Aubrac,

c’est aussi que l’on ne résiste pas seul. Pour vaincre un en-

nemi, l’union est nécessaire : il faut savoir ce qui nous unit,

et qui est l’ennemi. Que la place de la République, à Paris,

soit devenue le lieu emblématique d’une résistance à la

peur, au racisme, au fanatisme dit bien que ce qui nous

unit est ce simple « Vive la République ! » écrit par Charles

Baudelaire en « une » de la gazette qu’il avait fondée, Le

Salut public. Et que l’ennemi est ce qui mettrait en danger

la République et ses valeurs.

Résister pour un artiste, c’est ne pas se soumettre au

diktat de la solitude voulue par le marché, c’est dire

« nous » avant de dire « je ». Mille et un artistes plasticiens

ont su le faire en adressant une lettre ouverte à Marine Le

Pen, en novembre 2015. Une lettre est peu de chose, mais

elle ouvre la possibilité à d’autres paroles, d’autres actes.

Résister pour un artiste, c’est transmettre sans peur aux

jeunes générations la complexité du monde, s’opposer à la

déshistoricisation et, loin des story-tellings, tenter de voir

les microfissures de l’histoire. C’est rendre visible la dispa-

rition des bouddhas géants à Bamiyan, en Afghanistan,

détruits par les talibans il y a quinze ans et, dans le même

mouvement, en révéler la mémoire. Montrer qu’ils sont

toujours là, fantomatiques, à fleur de peau, à fleur de

pierre, et que, si l’histoire est souvent tragique, la mémoire

garde la lumière du vivant malgré tout.h

Pascal Convert, plasticien et auteur de documentaires,

a notamment créé, en 2002, le monument aux fusillés

du Mont Valérien, à Suresnes (Hauts-de-Seine).

CE PRÉSENT OBSCURET IMPÉRATIFPAR MARIE DESPLECHIN

Un petit garçon qui s’enfuit un soir de la fabrique

de tapis où il est esclave. Une adolescente devant

son miroir qui défie Dieu de se manifester. Un

homme seul, sur une place déserte, face à une colonne de

chars. Iqbal Masih, Taslima Nasreen, l’inconnu de la place

Tiananmen. Des gens tout seuls, sans influence, fortune,

réputation, assemblée pour les défendre ou les protéger.

Des fous. La plupart d’entre eux sont broyés et jamais nous

ne saurons rien de leur histoire. Seuls quelques-uns

parviennent à s’agréger à un groupe plus vaste, à faire en-

tendre leurs raisons, peut-être à les faire progresser dans la

conscience de tous. La légitimité de leur action n’apparaît

de toute façon qu’a posteriori. Elle sert à alimenter le bazar

poussiéreux des honneurs, des hommages, des distinc-

tions. Tout est fini alors. Résister ne se conçoit que dans

l’incertitude, et au présent.

Ce présent obscur et impératif, c’est celui de Germaine

Tillion, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Stéphane Hessel,

incapables de s’endormir sur une gloire qu’ils n’avaient pas

demandée. Retrouvant leur détermination là où ils l’avaient

laissée la dernière fois, ils se remettent en jeu, tout seuls à

nouveau, au risque de l’insulte et de la déconsidération

quand ce n’était plus au risque de leur vie.

Résister est individuel, asocial, déraisonnable et presque

enfantin. Il faut une confiance risible dans l’idée qu’on se fait

de soi et du monde pour opposer sa force minuscule à la

force extraordinaire qui entend vous déplacer, vous forcer et

vous assigner. Pour estimer dans sa solitude que céder, ce ne

serait plus vivre, pas dans ces conditions.

Pour moi, c’est la voix de Germaine Tillion, mais ce pourrait

être celles d’Anise Postel-Vinay ou encore de Simone Iff, qui

me servent de boussole. Germaine Tillion racontant son

émotion à l’écoute du discours de Pétain (elle vomit) et sa re-

cherche, le jour même, « des gens qui ont la même réaction » .

La simplicité, le caractère d’évidence de son récit, et cet élan

de vie tellement audible qu’il ressemble à de la joie. Rien ne

lui est impensable des épreuves qu’elle devra affronter. Ce

qui peut passer dans l’instant pour de l’inconscience se ré-

vèle une forme supérieure de conscience.

Résister a tellement servi, aux commémorations martia-

les, aux légendes nationales, que le mot devrait s’être usé. On

pourrait n’en percevoir que le bruit, une grosse caisse dans

une fanfare. C’est tout l’inverse. Résister est un murmure en

dedans, une injonction de soi à soi, qui se manifeste en tout

lieu indépendamment des déterminismes de l’âge, du sa-

voir ou de la fortune. Voilà sans doute ce qui préserve ce petit

verbe de l’effacement du sens, et lui conserve une puissance

d’émotion qui éveille toujours le courage, le désir et la joie,

pour l’adolescente comme pour le vieil homme, à égalité.h

Marie Desplechin, écrivaine, est notamment l’auteure

du discours « Aux enfants », in Du souffle dans les mots.

 30 écrivains s’engagent pour le climat (Arthaud, 2015).

E X I S« Opposer sa force minuscule

à la force extraordinaire

qui entend vous déplacer,

vous forcer et vous assigner »

b

« A l’époque, pour

survivre, il fallait résister

à tout : aux copains,

aux grands, à l’imam »Isamël Saidi

b

« On peut vouloir résister

pour être en paix,

en accord avec soi-même.

Mais résister à quoi ? »

b

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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F O R U M L E M O N D E g S AM E DI 2 6 M AR S 2 01 6 4Riss pour « Le Monde »

En ces temps de terrorisme,

qu’évoque, pour vous, le mot

« résister » ?

Il faut d’abord résister, en tant

que citoyen, à cette émotion

négative qu’est la peur : le

terrorisme cherche à semer

l’effroi, le désordre et le chaos.

Mais il faut aussi résister

intellectuellement à la tentation

de l’essentialisme ou de la

simplification. Et là, je convoque

un mot important en islam qui

est le mot ijtihad. Ce terme est

le superlatif du terme « djihad »

– il comprend d’ailleurs la même

racine – et il désigne un effort

intellectuel, mené jusqu’à l’épui-

sement, afin de comprendre les

choses. C’est le propre du théo-

logien et de l’homme de spiri-

tualité d’accomplir cet effort

de recul, qui permet de se sous-

traire à la tyrannie émotionnelle

de l’immédiateté, et donc de

mieux voir et de mieux agir.

L’ijtihad permet de ne pas subir

l’orthodoxie de masse et la

tyrannie communautariste,

mais aussi de réagir avec un

optimisme énergique.

La résistance intellectuelle,

théologique, herméneutique

est centrale. Il faut refuser

de succomber à la paresse qui

consiste à essentialiser les

religions, éviter la facilité

de mettre tout le monde dans

des cases, initier notre esprit

à la complexité parce que

le « présentisme » est devenu le

paradigme structurant de notre

mentalité. Résister, c’est faire

entrer de la nuance dans nos

esprits. Restaurer la raison

pour lutter contre les pensées

inadéquates, incohérentes et

simplistes. Chasser les préjugés

et les idées toutes faites car

ce sont des prisons mentales qui

nous empêchent de comprendre

la complexité des phénomènes.

Il ne suffit pas de prononcer

les mots « djihad », « Coran »

ou « califat » pour expliquer

la violence : le terrorisme est le

produit de notre postmodernité,

caractérisée par la technique

dans une main, et l’émotion

dans l’autre. Le terrorisme

consacre la défaite de la raison,

mais, tout comme la douleur

nous signale une pathologie

physiologique, il nous informe

sur un dysfonctionnement.

Quel est-il ?

Le dysfonctionnement que nous

signale le terrorisme, c’est

une lecture instrumentalisée

du Coran. Le texte devient un

prétexte qui est mis au service

d’objectifs qui n’ont évidemment

rien à voir avec la spiritualité

musulmane. Il faut donc résister

en diffusant une lecture

de l’islam appropriée à notre

monde, refuser l’importation

d’une lecture religieuse

médiévale qui était peut-être

valable au Moyen Age mais

qui ne l’est plus aujourd’hui.

C’est le littéralisme qui aboutit

à la violence terroriste. Le califat,

c’est un vocable médiéval qui

a été sacralisé au fil de notre his-

toire, mais notre histoire, ce n’est

v ENTRETIEN TAREQ OUBROU, GRAND IMAM DE BORDEAUX

UNE PAROLE D’APAISEMENTpas notre code : en islam, l’his-

toire n’a ni un statut théologique

ni un statut canonique. Il appar-

tient donc aujourd’hui à chaque

communauté musulmane

d’inventer des formes de prati-

ques et d’intégration qui sont

adaptées au monde dans lequel

elle vit. Il faut donner une bonne

lecture de l’islam à nos jeunes,

pour qu’ils puissent vivre une

spiritualité en phase avec leur

époque. Il faut aussi résister par

l’action, par une morale active.

Partir de la spécificité musul-

mane pour faire de l’universel

dans une société plurielle. Ma

fonction, en tant que théologien

et imam, c’est d’avoir une parole

d’apaisement : je rappelle

en cette occasion que le mot

« islam » dérive du mot salam,

qui veut dire « paix ».

PROPOS RECUEILLIS PAR

ANNE CHEM IN

Dernier ouvrage paru : Ce que

vous ne savez pas sur l’Islam

(Fayard, 2016)

PAR BOUALEM SANSAL

Si, aujourd’hui, il est un mot à bannir du lan-

gage, c’est le mot « résister ». Résister, c’est don-

ner l’avantage à l’ennemi, lui offrir l’honneur

de porter le dernier coup, c’est capituler et mourir.

Résister c’est quoi, quand l’ennemi est déjà dans la forte-

resse et dispose alentour de réserves fraîches qui ne

demandent qu’à passer à l’action ? C’est quoi, quand on a si

peur de lui qu’on l’appelle ami, qu’on lui trouve toutes les

excuses, quand en vérité l’ennemi c’est nous-même ? Il ne

faut quand même pas oublier le début de l’histoire : cet

ami qui égorge nos femmes et nos enfants et saccage nos

demeures, nous l’avons accueilli, couvé, choyé et même, à

tout dire, créé. Ben Laden était le fils de qui, le protégé de

quelle compagnie ? Khomeiny habitait où, Bouteflika se

soigne où et à l’œil, où Kadhafi a-t-il planté sa tente, etc.,

etc., etc., etc., etc. ? Ces hommes ne sont-ils pas, n’étaient-

ils pas des ennemis de l’humanité, de peuples entiers à

tout le moins ?

Résister c’est quoi, quand on travaille à faire taire toute

contestation dans le pays et empêcher les citoyens de se

mobiliser et de monter au front ? Priver un peuple du

combat pour sa vie et son honneur, c’est le tuer et le dés-

honorer, ses enfants ne le lui pardonneront jamais. C’est

un génocide. Ce combat, on le mène soi-même, il ne se

délègue pas, ne se reporte pas, le sang du peuple doit cou-

ler héroïquement pour que les chants de gloire à venir

soient de vrais chants.

Ce n’est pas tout. Contre qui et quoi veut-on résister ? Les

Chinois, les Martiens, la fièvre jaune, la pollution ? Qui

veut-on éliminer : des lampistes, des poseurs de bombes

occasionnels, la finance internationale, une religion, une

organisation secrète, une secte, des émirs ?

Nommez l’ennemi, nommez le mal, parlez haut et clair,

tout est là, le reste est détail, il relève de la technique.

Si les autorités manquent de mots, je peux leur prêterles miens : l’islam radical, l’islam modéré comme son

appoint, le salafisme, l’Arabie, le Qatar, les dictatures

arabes malfaisantes.

Au stade où en est l’affaire, le seul mot valable est

« attaquer ».

Et là se posent deux questions cruciales. La première :

sommes-nous capables de nous battre et de verser notre

sang si on ne croit pas à nos valeurs, si on les a déjà trahies

mille fois ? La seconde : quel est ce brillant et courageux

chef qui va nous conduire à la victoire ?

Il faut y répondre avant tout ordre de marche, car

s’apercevoir en chemin de l’inutilité de son combat et de

l’incompétence de son commandant en chef, c’est offrir

gratuitement son cou au couteau de l’ennemi.

Quand on sait cela, on sait se battre et on sait aussi être

magnanime. La victoire n’est pas tuer mais sauver, aider,

accueillir, construire.

« Aux arrrrmes citoyens, for meeeeez vos bataillons… »

est-il toujours l’hymne de ce pays ?h

Boualem Sansal, écrivain algérien, a reçu

le Grand prix du roman de l’Académie française 2015

pour 2084 : la fin du monde (Gallimard).

NOMMEZ L’ENNEMI,NOMMEZ LE MAL,

PARLEZ HAUT ET CLAIR

R É S I

« Cet ami qui égorge nos

femmes et nos enfants

et saccage nos demeures,

nous l’avons accueilli,couvé, choyé et même,

à tout dire, créé »Boualem Sansal, écrivain

b

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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  L E M O N D E g S AM E DI 2 6 M AR S 2 01 6 5

PAR PHILIPPE FOREST

Résister » : je crois qu’on ne devrait user de c e mot

qu’avec quelques scrupules. Il a une histoire.

Pour nous : elle est liée à la lutte autrefois livrée

contre le nazisme dans la France occupée. Les écrivains

d’aujourd’hui présentent volontiers leurs essais, leurs

romans, leurs poèmes comme des « actes de résistance ».

Cela prête parfois un peu à sourire. Et à juste titre. Car on

ne peut se prévaloir que du prestige des combats que

l’on a soi-même menés – au risque de sa vie. De même,

seuls ceux qui furent les victimes de l’horreur seraient,

dans l’absolu, en droit de dire ce qu’elle fut et de porter

témoignage. Je ne l’oublie pas.

C’est avec des armes, et non avec des mots que l’on

affronte et que l’on défait la sauvagerie dès lors qu’elle se

déchaîne. Au mieux, les mots servent à comprendre la

nécessité qu’il y a à prendre les armes contre la barbarie, le

devoir qui incombe à tous de ne pas collaborer avec elle.

Mais, sous la forme qu’elle revêt désormais, la guerre est

partout parmi nous. Elle fait de chacun d’entre nous une

victime en puissance qui, pour ne pas devenir la victime

impuissante du mal qui la menace, se doit de combattre,

dans la mesure de ses moyens, avec toute l’humilité qui

sied en de telles circonstances, l’horreur qui sévit. C’est

pourquoi, malgré tout, le mot « résistance » retrouve

aujourd’hui son sens. Il veut dire « tenir tête ». Il suppose

une certaine forme de fidélité à soi-même et à ce que l’on

estime juste. Ne pas se laisser terroriser, chacun l’a bien

compris, est la première manière de triompher du terro-

risme. Cela ne suffit pas. Mais, si modeste qu’elle soit, il

s’agit déjà d’une victoire.

« Résister » signifie, je crois, ne renoncer ni à la raison ni

même au sens de la mesure – qui sont deux vertus émi-

nemment démocratiques – à l’heure même où la déraison

et la démesure paraissent l’emporter. Cela veut dire aussi :

ne faire preuve d’aucune forme de complaisance à l’égard

de tous les discours qui, esthétisant la violence, lui trouvant

des explications, sinon des excuses, reviennent au fond à la

justifier. Comme tout le monde, j’ai été frappé par l’espèce

de jubilation malsaine qu’ont suscitée chez certains les

attentats du 11-Septembre et ceux qui ont suivi : même lors-

qu’on les condamne, comme s’il s’agissait d’exploits, on hé-

roïse des actes qui ne méritent pas d’autres qualificatifs que

celui de « méprisables ». Il faut le dire. Ce n’est pas l’affaire

des seuls intellectuels mais celle de tous. Accessoirement,

la guerre qui se déroule aujourd’hui est aussi une guerre de

mots se disputant sur un champ de bataille mental. Et c’est

aussi avec des mots justes qu’elle sera gagnée.h

Philippe Forest est écrivain. Dernier ouvrage paru :

Une fatalit é de bonheur  (Grasset, 2016).

NE RENONCER NI ÀLA RAISON NI MÊMEAU SENS DE LA MESURE

PAR JEAN -MICHEL ALBEROLA

Franz Kafka, en 1917 à Zürau : « Tu peux t’abstenir 

des souffrances du monde, tu es libre de le faire et 

c’est selon ta nature, mais cette abstention est 

 peut-être l’unique souffrance que tu pourras éviter. »

Donc, nous prononçons un mot : résistance.

Evidemment, nous pensons à la résistance du « petit

peuple vietnamien » dans les années 1960, ou encore à

Gilles Deleuze lors de sa conférence à la Femis : « Résis-

tance… Résistance ! », reprenant les mots d’André Mal-

raux : « L’art, c’est ce qui résiste à la mort. »  Mais là,

aujourd’hui, après la sauvagerie incroyable de novem-

bre 2015 puis celle de Bruxelles avant-hier, sans oublier

celles d’Istanbul, de Tunis… Je ne sais pas si le mot

convient. Hélas, puisque la vraie question est qu’il a bien

fallu un commencement à cette barbarie. D’où vient-

elle ? Dès lors, ce que nous devons faire, ce serait plutôt

de réfléchir à cette terrible décision pour ces guerriers à

l’envers de s’attaquer aux terrasses, à la musique, au

sport et à la circulation des individus, donc également à

leurs frères et à leurs sœurs.

La réponse la plus juste serait alors : comment faire avec

notre peur qui commence à peine ?

Lire, marcher, écouter, parler et voir, coûte que coûte. h

Jean-Michel Alberola, plasticien, expose

au Palais de Tokyo, à Paris (« L’Aventure des détails »,

jusqu’au 16 mai).

COMMENT FAIREAVEC NOTRE PEUR QUICOMMENCE À PEINE ?

PAR SERGE TISSERON

Si Molenbeek n’existait pas, il faudrait l’inventer.

De la même façon que Daech avait trouvé avec

le 11e arrondissement de Paris l’épicentre de la

perversion occidentale, le monde civilisé semble avoir

découvert avec ce quartier de Bruxelles l’épicentre de la

barbarie islamiste. Les descriptions de la terreur conju-

guée de la charia et de la mafia font oublier les jeunes

chrétiens convertis qui rêvent de djihad, les adolescentes

idéalistes parties en Syrie et la crise complexe qui pousse,

partout en Europe, des jeunes à préférer mourir à l’âge ten-

dre pour une cause qui les fascine plutôt que de vivre une

vie qu’ils anticipent tristement comme « sans histoire ».

Bien sûr, j’ai peur, comme beaucoup, mais j’essaie de

résister à la tentation de laisser mon esprit être envahi par

le poison de la pensée radicale, celui qui pousse Eric

Zemmour à déclarer sur un ton qu’il veut humoristique :

« Ce n’est pas Rakka qu’il faut bombarder, mais Molenbeek. »Et j’essaie aussi de résister à la tentation de chercher des

coupables désignés : le gouvernement belge accusé

d’aveuglement, les autorités judiciaires accusées d’excès

de tolérance, les sociologues coupables de  chercher à

comprendre, ou encore Angela Merkel qui « va sans doute

 permettre à des tueurs de s’installer chez nous », comme

l’écrit Pascal Bruckner dans une tribune du Figaro.

Oui j’ai peur, mais je résiste à la tentation de ce racisme

nouveau qui ne se réclame plus de la « différence des

races », mais des nécessités économiques, des habitudes

sociales, de la protection des acquis, bref du « réalisme ».

Oui j’ai peur, car cette guerre est asymétrique, et si nos

troupes visent les combattants ennemis, eux nous visent

nous, nos familles et nos amis. Mais je résiste à la tentation

d’oublier que les chances de trouver un emploi en France

sont elles aussi asymétriques, selon que l’on porte un nom

à consonance musulmane ou chrétienne.

Oui j’ai peur, peur de ne pas parvenir à résister à la tenta-

tion de séparer le monde en deux, entre ceux dont je sais

que je peux attendre quelque chose, et ceux dont je ne sais

pas quoi attendre, et dont je préfère décider, par principe

de précaution, que je ne peux rien en attendre de bon.

J’ai peur, comme le héros du Rhinocéros de Ionesco, de ne

pas parvenir à résister à la radicalisation ambiante. Chaque

jour, je résiste contre mes ennemis de l’intérieur. h

Serge Tisseron est psychiatre et psychanalyste.

Dernier ouvrage paru : Le jour où mon robot m’aimera.

Vers l’empathie artificielle (Albin Michel, 2015).

LE POISON DE LAPENSE RADICALE

S T E R

PAR LUDIVINE B ANTIGNY

Résister » ? Peut-être d’abord aux évidences sup-

posées. Parmi elles, les préceptes selon lesquels

il faudrait s’adapter au monde tel qu’il est, être

plus flexible, plus précaire, travailler plus, être corvéable et

finalement jetable. Ou bien encore que nous devrions

« être en guerre » et nous y résigner, que bombarder là-bas

nous permettrait d’être, ici, en sécurité. Résister à ces

grands mots qui cachent mal leur violence sociale sous lecache-sexe de leur « sagesse », c’est rappeler sans cesse que

non, tout cela ne va pas de soi : la violence d’un système où

l’argent, le profit et la concurrence devraient être les pivots

de nos existences appelle de fait nos résistances. C’est as-

sumer d’évoquer des « classes sociales » qu’on a préten-

dues disparues. C’est revendiquer, dans une société où les

inégalités se creusent de manière vertigineuse, que ce sys-

tème-là a bien trop duré déjà.

Actuellement, ces résistances quotidiennes passent par

des actes de solidarité avec les réfugiés, les sans-papiers, les

personnes stigmatisées en raison de leur religion, face au

racisme tout à la fois banalisé et dissimulé sous ses dehors

islamophobes. Elles s’illustrent dans les rassemblements

contre les mesures qui, sous couvert de sécurité, empiè-

tent sur les libertés et renforcent les discriminations, les

contrôles au faciès, l’arbitraire des interpellations. Elles

s’incarnent dans les grèves et les manifestations, dans les

assemblées, quand le temps est en suspens et que nous

pouvons le prendre enfin, ce temps, pour réfléchir à nos

métiers, à nos vies et à ce qu’elles pourraient être aussi,

moins étriquées par les assauts de la publicité et de la ren-

tabilité. Multiples, nombreuses et parfois dispersées, ces

résistances ont plus que jamais besoin de convergence. h

Ludivine Bantigny, historienne, est notamment

l’auteure de La France à l’heure du monde (Seuil, 2013).

BESOIN DECONVERGENCE

« J’ai peur, comme le héros du “Rhinocéros”

de Ionesco, de ne pas parvenir à résister

à la radicalisation ambiante »Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste

b

« Ne pas se laisser terroriser,

chacun l’a bien compris,

est la première manière

de triompher du terrorisme »

b

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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F O R U M L E M O N D E g S AM E DI 2 6 M AR S 2 01 6 6

PAR GENEVIÈVE DAMAS

Je vis rue Max-Roos, à Bruxelles. Une petite

maison, avec pelouse riquiqui, à deux pas d’une

voie ferrée. « Si tu quittais Bruxelles, disent mes

amis, tu te trouverais un endroit spacieux, avec un vrai

 jardin. » Je dis : « Non, c’est à Bruxelles que cela se passe. Il est 

ici, le lieu de résistance. »   Au début, je parlais de notre

désastreux conflit linguistique. A Bruxelles, on ne

m’oblige pas à choisir mon camp. A Bruxelles, je ne suis ni

wallonne ni flamande.

Mais il y a plus. Je suis arrivée là, il y a dix ans, non par

choix mais par nécessité. Au premier abord, la rue est sans

charme. A deux pas de l’autoroute et de la décharge,

survolée par les avions, peu de vert et beaucoup de gris,

personne ne rêve d’habiter là. Avec les enfants, au début,

nous nous sentions étrangers, mal à l’aise, quasiment les

seuls Belges – « Alors que, tous, nous sommes belges,  dit

Mounir,  la différence, c’est qu’il y a les “cheveux blonds”,

comme toi, et les “cheveux noirs”, comme moi ».  La rue

nous restait hermétique.

Et puis, quelque chose s’est dénoué. C’est un jour de

neige où le voisin dégage notre trottoir et dit : « Normal,

madame, vous avez des enfants. » C’est un soir où il n’y aplus de place de parking, et Jean-Marie hèle Ali : « Cela ne

t’ennuierait pas de déplacer ta camionnette pour que

Geneviève se gare ? »  Les meubles Ikea qu’on m’aide à

décharger, mon chat perdu que le quartier recherche, les

gâteaux reçus les soirs de ramadan… Je ne quitterais ma

rue pour rien au monde.

Ce 22 mars, pourtant, je n’ai pu y revenir. La police y a

trouvé des explosifs ainsi qu’un drapeau de Daech. Les

responsables des attentats de mardi auraient brièvement

vécu chez nous. Cette nuit-là, je n’ai pas trouvé le som-

meil. Cette nuit-là, j’ai eu peur. Peur que ce qui se cons-

truit, ici, jour après jour, s’envole en fumée. Peur de ne

plus accorder à mon voisin le droit à la page blanche, le

bénéfice du doute, mais de le cataloguer d’emblée comme

un ennemi potentiel.

Depuis plusieurs mois, Mounir caresse un rêve : créer

une association avec moi. Celle de la rue Max-Roos.

Comme première activité, je propose qu’on mette des

fleurs aux fenêtres. Il a l’air déçu. Les fleurs, c’est un truc

de bonne femme. Il préférerait un voyage au Maroc pour

tous ceux de la rue : « Les cheveux blonds comme toi, les

cheveux noirs comme moi. » Sur le moment, je trouve

cela farfelu. J’annonce que je vais réfléchir. Réfléchir est

parfois la meilleure manière d’enterrer les choses.

Mardi, tout change. Ce voyage est l’idée la plus sensée

que nous puissions avoir. Faire quelque chose ensemble,

partager l’infime – ce qu’il nous reste –, la route, l’at-

tente, un repas, le coucher du soleil, le bleu de la mer, le

vent sur les visages, la v ie. Notre voyage pour crier que le

rêve n’est pas mort. Cheveux noirs, cheveux blonds. Res-

ter debout, ensemble. h

Geneviève Damas est écrivaine. Dernier roman paru : 

 Histoire d’un bonheur  (Arléa, 2014).

PARTAGER L’INFIME

PAR MARWAN MOHAMMED

Si l’on doit résister à une chose aujourd’hui, c’est

à la tentation séparatiste qui traverse la société

française. Un séparatisme qui n’a rien à voir

avec celui que nous connaissons : il ne vient pas de minori-

tés qui souhaitent l’indépendance ou une plus large auto-

nomie, il émane d’une partie du groupe majoritaire qui

cherche à éloigner des minorités définies par leur religion,

leur origine ou leur couleur de peau – les Roms, les Noirs

ou les présumés musulmans. Ce séparatisme ignore la

question sociale, comme il ignore nos responsabilités

dans le chaos proche-oriental : il cherche à établir et main-

tenir une frontière symbolique, juridique, politique et

médiatique entre les « vrais Français » ou les minorités ac-

ceptables jugées assimilées, d’une part, et ceux dont les

croyances ou les modes de vie sont jugés inadaptés, inassi-

milables ou inintégrables, d’autre part.

Ce séparatisme a toujours existé, il a même été organisé

juridiquement pendant la période coloniale, mais il a pris,

depuis les années 1980, une autre dimension. Ce qui estnouveau, c’est qu’il est aujourd’hui proclamé au nom de

valeurs progressistes. A côté ou à rebours d’un sépara-

tisme d’extrême droite, s’affirme désormais un sépara-

tisme républicaniste qui se veut de gauche et qui tend à

atrophier et étouffer le débat public : ces discours d’exclu-

sion et de délégitimation, parfois prononcés au plus haut

du gouvernement, sont relayés par une petite armée d’es-

sayistes-éditorialistes hypermédiatisés qui tentent d’inti-

mider tous ceux qui considèrent que les désaccords n’em-

pêchent pas d’assumer un destin commun.

Ils fonctionnent un peu comme si la République était unclub privé dont ils seraient les videurs : postés à l’entrée, ils

désignent ceux qui peuvent entrer et ceux qui doivent res-

ter dehors. Ils agissent comme s’ils étaient les douaniers

de l’identité nationale, comme si la République était une

chasse gardée qui leur appartenait en propre. L’espace

public est saturé de ces séparatistes ; les voies et les idées

hétérodoxes disparaissent peu à peu.

Il faut résister à ce mouvement, car il devient très com-

pliqué, dans ces conditions, de faire société. Ce sépara-

tisme légitime en effet, jour après jour, des discrimina-

tions massives sur le marché du travail ou du logement

qui fragilisent le corps social et ont des conséquences

dans la vie quotidienne des minorités. Le ressentiment

ainsi produit servira de carburant à une autre propagande

séparatiste. Non pas celle qui se fonde sur l’idée de pureté

républicaine mais celle des terroristes, qui se fonde sur

l’idée de la pureté théologique. Au fond, ces deux sépara-

tismes n’envisagent pas d’avenir commun en dehors

d’une soumission de leurs cibles. Ils partagent l’idée,

sous-jacente, que ces dernières sont expulsables. Résister,

c’est choisir un avenir commun. h

Marwan Mohammed, sociologue au CNRS,

est l’auteur, avec Abdellali Hajjat, d’ Islamophobie.

Comment les élites françaises fabriquent le « problème »

musulman (La Découverte, 2013).

LA TENTATIONSÉPARATISTE

PAR DIDIER DAENINCKX

Je vis, dans mon quartier, avec le sentiment

d’être pris en étau : d’un côté, la menace mor-

telle des nihilistes ; de l’autre, la faillite des

institutions.

Dans les jours qui ont suivi le massacre des terrasses et

du Bataclan, le chef djihadiste Abdelhamid Abaaoud s’est

caché dans un terrain vague, à Aubervilliers, à quelques

centaines de mètres de l’endroit où j’habite. Puis il a

rejoint la rue du Corbillon, à Saint-Denis, pour y mourir, là

où j’ai passé une par tie de mon enfance. La proximité avec

les tueurs n’est pas que géographique. Pour la première

fois dans ma vie, un ami, Tignous, est tombé, fauché par

une rafale de kalachnikov.

Nous sommes ainsi une multitude à voir l’ombre portée

des fossoyeurs du Néant s’étendre sur nos existences. Les

choses les plus insignifiantes sont aujourd’hui gorgées de

sens et de sang. Un kiosque où l’on achète le journal du

mercredi, une table ronde et deux chaises cannées posées

sur un trottoir de Paris, la réservation d’une place pour un

concert, le frottement du passe Navigo sur le lecteur avant

de descendre dans le labyrinthe du métro.

Les signes avant-coureurs de la catastrophe étaient visi-

bles. En ce qui me concerne, depuis trois ans, ici, j’ai vu les

corps s’éloigner, les embrassades se raréfier, les barbes et

les voiles pousser, les regards s’aiguiser, les murs s’élever. Il

a fallu s’habituer à croiser des imams rétrogrades installés

dès le petit matin dans les commerces, pour y faire pres-

sion sur les fidèles.

Et ce n’est pas par hasard que l’accélération a coïncidé

avec les dernières élections municipales. Par son impor-

tance à Aubervilliers, la communauté musulmane a été

l’une des clés et l’un des enjeux du scrutin. Le Parti de

gauche local n’a pas hésité, par exemple, à placer sur les

rangs un futur maire adjoint qui engageait le dialogue

avec les troupes d’Alain Soral sur le site conspirationniste

MetaTV, la Palestine servant de ciment. Un autre futur

maire adjoint, membre du Parti communiste, s’amusait

à relayer les messages de La Manif pour tous afin d’inci-ter les « frères » à se détourner des socialistes, vecteurs de

décadence. La réalité n’a pas tardé à leur rendre la mon-

naie de leur pièce.

La semaine dernière, l’un des principaux agents électo-

raux du Front de gauche local, promu responsable d’un

des services municipaux les plus importants au mépris de

toutes les règles administratives, a été condamné à six

mois de prison. Il avait menacé de mort un voisin, lui pro-

mettant de l’égorger, tout en brandissant un bonnet siglé

Daech. Une perquisition à son domicile a permis de trou-

ver des drapeaux de la même organisation djihadiste.

Dans une telle situation, chacun cherche à conjurer le

désespoir, se met en quête de solidarités. De plus en plus,

l’écriture m’apparaît comme un espace de résistance, de

ré-existence. Continuer à interroger l’Histoire au moyen

de la fiction, immerger des personnages dans les villes

chancelantes, aller à la rencontre des habitants provisoires

des décharges de Calais pour y entendre les traumatismes

centenaires nés des tracés franco-anglais des frontières…

Ramasser les éclats du temps un à un. Une écriture qui

ambitionnait de changer le monde et qui peine,

aujourd’hui, à simplement le dire. h

Didier Daeninckx est écrivain. Dernier ouvrage,

à paraître en mai : Un parfum de bonheur , sur

les photographies de France Demay (Gallimard).

LE SENTIMENTD’ÊTRE PRIS EN ÉTAU

R I P O« Cette nuit-là, j’ai eu peur.

Peur que ce qui se construit,

ici, jour après jour,

s’envole en fume »

b

« J’ai vu les corps s’loigner,

les embrassades se rarfier,

les barbes et les voiles

pousser, les regardss’aiguiser, les murs s’lever »Didier Daeninckx, écrivain

b

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

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  L E M O N D E g S AM E DI 2 6 M AR S 2 01 6 7

PAR ROBERT GUÉDIGUIAN

Face à toutes ces victimes innocentes, résister

bien sûr, mais à quoi ? A cette abjecte négocia-

tion avec la Turquie, au tragique débat sur la

déchéance de nationalité, au débat naissant sur la perpé-

tuité réelle ? Ou encore à la condamnation des syndicalis-

tes vaincus, à la cupidité des actionnaires, à la réforme du

code du travail ? Ou encore aux régressions nationalistes,

aux explications racistes, aux querelles stériles ?

Bien sûr qu’il faut se recueillir, se réunir, se souvenir,

mais il faut surtout cesser de penser que voter une fois de

temps en temps suffit à exiger de tous les hommes politi-

ques que des sommes considérables soient investies en

matière d’encadrement scolaire, culturel, sportif. Seule la

culture peut combattre les dogmes, quels qu’ils soient,

en les précipitant dans des réalités mouvantes, en les his-

toricisant. Bâtissons des écoles, des maisons de la cul-

ture, des salles de concert, des théâtres… En prenant l’ar-gent des jeunes entrepreneurs« pigeons », des joueurs de

football, des gens qui gagnent plus d’un million d’euros,

et celui des revenus du capital, pour citer de récents

débats obscènes… Les moyens existent. C’est un choix

politique que de les collecter et de les affecter ici ou là.

Pérennisons cette politique afin qu’elle ne puisse être

remise en cause à chaque changement de majorité, car le

temps de la renaissance de la république sera aussi long

que le temps de sa faillite. Pour aujourd’hui, cessons l’op-

position vaine entre les rêveurs et les réalistes, les mous

et les durs, les laxistes et les autoritaires…Il faut augmenter considérablement les moyens du ren-

seignement et de la répression face aux menaces réelles,

et non pas contre les voleurs de poules. Nous savons les

risques d’une surveillance accrue, mais nous sommes

suffisamment vieux en démocratie pour surveiller ceux

qui nous protègent. Nous avons des associations, des

syndicats, des journaux, des observatoires pour veiller

aux débordements inévitables.

Un dernier point : cessons de penser que la compréhen-

sion de cette sauvagerie s’apparente à sa justification. On

ne doit pas s’attaquer aux seuls effets mais aussi aux cau-

ses en Syrie, à l’intérieur du monde musulman, et, pour

cela, dire que c’est notre politique occidentale de vain-

queurs de la première guerre mondiale, puis notre politi-

que coloniale, puis néocoloniale qui a depuis un siècle créé

le chaos. Nous avons taillé les territoires, vendu des armes

et des centrales nucléaires, acheté du pétrole et du gaz, fait

et défait des gouvernements jusqu’à cette dernière guerre

en Irak et l’occupation du pays, d’où est né c e prétendu Etat

islamique. Et nous sommes des amis de l’Arabie saoudite

et du Qatar, qui financent les intégristes de tout acabit.

N’aurait-il pas fallu manifester contre la récente vente

d’armes à l’Arabie ou boycotter le PSG, propriété du Qatar ?

Rassemblons-nous donc, pas seulement pour nous con-

soler mais pour résister à tout ce qui nous empêche de vi-

vre mieux et plus longtemps, pour faire de la politique

par tous les moyens possibles et sur tous les fronts, et

tous les jours sans délégation.h

Robert Guédiguian est réalisateur, producteur et

scénariste. Son dernier film en date, Une histoire de fou,

est sorti en 2015.

SEULE LA CULTUREPEUT COMBATTRELES DOGMES

PAR MIREILLE DELMAS -MARTY

Résister, c’est non seulement combattre un terro-

risme qui tente de détruire la démocratie, mais

aussi lutter contre les dérives de l’Etat de droit.

La première dérive est de conduire vers un « Etat de sur-

veillance », si la sécurité devient, comme on le dit parfois,

le « premier des droits ». Rappelons que c’est le droit à la

« sûreté » qui est inscrit dans la Déclaration de 1789 au

titre des droits« naturels et imprescriptibles » de l’homme,à côté de la liberté, de la propriété et de la résistance à l’op-

pression. La sûreté est à la fois opposable aux Etats, dont

elle peut limiter l’arbitraire pour protéger les individus, et

aux individus, dont elle peut limiter les libertés pour pro-

téger les personnes et les biens. A la différence de la sécu-

rité, le droit à la sûreté, par son ambivalence, fait le lien

entre sécurité et liberté.

Cette dérive sécuritaire facilite en outre la confusion des

pouvoirs et la marginalisation du juge. D’autant que les

nouvelles technologies ont vocation à élargir la préven-

tion, traditionnellement attachée aux opérations de po-lice administrative, à une fonction de prédiction qui mar-

que l’entrée dans la sphère inconnue d’une justice et d’une

police par anticipation. La loi renseignement de 2015 ren-

force en effet les possibilités d’utiliser les données massi-

ves (big data) pour établir des profils de suspects grâce aux

« algorithmes de prédiction ».

Le paradoxe est que les mesures de surveillance devien-

nent de moins en moins contrôlables à mesure que leur

sphère s’étend, comme si l’Etat de surveillance devait lais-

ser la place à une seconde dérive, celle d’une surveillance

sans Etat. Tantôt la surveillance est privatisée, confiée à

des agents privés dont le nombre et les pouvoirs, en cons-

tante augmentation, relèvent de régimes diversifiés et

éclatés fort peu contrôlables ; tantôt elle est « mondiali-

sée », transférée par « paquets de données » à des services

de police et de renseignement étrangers qui peuvent en

faire un usage encore plus incontrôlable.

S’il est vrai, selon le général de Villiers, que « gagner la

 guerre ne suffit pas à gagner la paix », j’ajouterai que la paix

ne se gagnera pas en engageant le monde dans une suren-

chère répressive sans fin, mais en soumettant les prati-

ques de surveillance à un contrôle impartial et indépen-

dant. Résister aux dérives n’est pas faire de l’Etat de droit

un Etat impuissant, c’est refuser de le détruire au motif de

le défendre et s’attacher à le consolider comme garant de

la sûreté dans les deux sens du terme.h

Mireille Delmas-Marty, juriste, est notamment l’auteure

de Résister, responsabiliser, anticiper  (Seuil, 2013).

DÉRIVE SÉCURITAIRE

S T E R

V U D U W E B

b

DAMIEN LELOUP

I l est encore tôt, mardi matin, lorsque

les premiers messages faisant état de

« deux explosions à l’aéroport de Bruxelles » 

sont publiés sur les réseaux sociaux par des

voyageurs présents dans l’aéroport. En quelques

minutes, sur Twitter puis sur Periscope – un

service de diffusion de vidéo en temps réel –, les

premières images tombent : une foule compacte

qui s’enfuit de l’aéroport ; une photo du sol du

terminal, jonché de panneaux tombés du faux

plafond ; le portrait d’un homme blessé à la

jambe qui regarde dans le vide ; du sang un

peu partout. Les photos se diffusent quasi

instantanément dans le monde entier.Difficile, donc, de ne pas voir ces images, qui

apparaissent automatiquement dans les flux

des applications des réseaux sociaux. Les

propager, en revanche, demeure une question

de responsabilité individuelle. « Ne diffusez

 pas les photos des corps. (…) Ne soyez pas

les vautours de ces terroristes », exhortent

de nombreux messages. Mais les photos

choquantes, rappellent des internautes dès

les premières minutes suivant les explosions, ne

sont pas les seules données qu’il faut éviter de

diffuser. Il y a aussi la rumeur, le faux grossier,

autant d’éléments qui ajoutent à la panique.

Tout au long de la journée, des messages

faisant état de fusillades dans différents

quartiers de Bruxelles ont ainsi circulé

sur Facebook et Twitter. Tous étaient faux,

et on découvrira rapidement qu’une bonne

partie d’entre eux émanaient de comptes

pro-djihadistes cherchant à provoquer des

mouvements de panique. Mais, comme après

le 13 novembre, de nombreux internautes les re-

prirent de bonne foi, « au cas où ».

Le retour du chat

En ce mardi d’horreur, alors que le bilan humain

est encore inconnu mais supposé très lourd,

refuser de relayer les rumeurs et les photos de

corps est quasiment le seul acte de résistance

que des centaines de milliers de Belges peuvent

faire : les autorités déconseillent en effet de

sortir de chez soi, et les rassemblements

spontanés de commémoration n’auront lieu

que le soir. D’un autre côté, la tentation est forte

de lire et diffuser toute bribe d’information,

d’autant que les réseaux sociaux sont, avec les

médias, le seul lien de très nombreux Bruxellois

avec l’extérieur. Ce 22 mars, même si les

autorités ont demandé à la presse de ne pasdiffuser d’informations sur l’enquête en cours,

la capitale belge se retrouve néanmoins dans

une situation assez différente de celle qu’elle

avait connue fin novembre 2015.

La ville avait alors été placée en surveillance

maximale, après une alerte évoquant un risque

imminent d’attentat. Le dimanche 22 novembre,

la police avait instamment demandé aux

médias et aux Bruxellois de ne diffuser aucune

information qui pourrait renseigner des

suspects sur les opérations de police en cours.

Avec un humour rafraîchissant, et pour noyer

les quelques messages publiés sur Twitter ou

Facebook révélant la position des forces de

l’ordre, de très nombreux Belges – et quelques

Français – avaient alors décidé de diffuser sur les

réseaux sociaux une multitude de photos… de

chats. Mardi 22 mars dans l’après-midi, avant

même que le public apprenne qu’un des

suspects des attentats était toujours recherché,

les photos de chats avaient largement dépassé,

en volume, celles des corps publiées le matin.h

RÉACTIONS

EN CHA ÎNE

Dans Résister à la terreur , Nicolas Truong,

responsable des pages « Débats » du Monde ,

a rassemblé une vingtaine de textes publiés dans

le quotidien après les attentats du 13 novembre

2015, à Paris. De Gilles Kepel à Olivier Roy, de

Marcel Gauchet à Frédéric Gros, de Serge Hefez à

Pascal Ory, des intellectuels français et étrangers

nous aident à penser la « terreur post-moderne »  

(Le Monde /Les éditions de l’Aube, 184 p., 15 €).

« Cessons l’opposition vaine

entre les rêveurs et les

réalistes, les mous et les durs,

les laxistes et les autoritaires »Robert Guédiguian, cinéaste

b

8/19/2019 Monde 5 en 1 Du Samedi 26 Mars 2016

http://slidepdf.com/reader/full/monde-5-en-1-du-samedi-26-mars-2016 142/142

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