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Martine Rousset & Marc Bernardin MONSIEUR LE CROQUE-MORT

Monsieur le Croque-Mort

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Nouvelle de Martine Rousset et Marc Bernardin

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Page 1: Monsieur le Croque-Mort

Page 1 11/12/2008

Martine Rousset & Marc Bernardin

MONSIEUR LE CROQUE-MORT

Page 2: Monsieur le Croque-Mort

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© 2008, Martine Rousset & Marc Bernardin

© 2008, Tassuad pour le dessin de couverture

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« MONSIEUR LE CROQUE-MORT »

Nouvelle de

Martine Rousset & Marc Bernardin

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L’angle mort

L’homme avait chaud. Très chaud. Jamais de

sa vie il n’avait eu aussi chaud… Cela faisait

des heures qu’il déambulait dans cette ville

fantôme, sous un soleil de plomb que jamais

personne ne changerait en or. Son pas était

lourd… Traînant… Sa sueur s’évaporait sitôt

sortie de ses pores.

Au coin de la rue des Corbières, il aperçut,

dans une brume de « chat leurre » et venant à

sa rencontre, une silhouette vacillante. Tel un

mirage dans le désert… La silhouette prit peu

à peu forme humaine et un détail le frappa.

L’allure de cet inconnu était étrange… Une

démarche qui laissait à penser qu’un caillou

dans sa chaussure droite ou qu’un clou

traversant sa semelle l’obligeait à attaquer le

sol du talon. Il boitait… L’inconnu pestait,

crachait par terre, maugréait, invectivait un

interlocuteur imaginaire, faisant mouliner ses

bras au bout desquels des poings rageurs

simulaient des crochets et des uppercuts.

Prudemment, l’homme traversa l’asphalte

brûlant afin de ne pas croiser cet énergumène.

Il se retint de lui adresser la parole. Il en eut

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été bien incapable d’ailleurs, tant sa gorge

était desséchée. L’inconnu ne prêtât aucune

attention à notre homme et poursuivit son

chemin, cahin-caha, continuant son combat

pathétique. L’homme observa une dernière

fois ce fantasque boxeur s’éloigner jusqu’à

disparaître. Il reprit alors sa route sous la

chaleur accablante.

Il avait soif. Très soif. Jamais de sa vie il

n’avait eu aussi soif… Il aspirait à un peu de

fraîcheur dans ce monde de braises.

Il arriva rue des Maures sans savoir comment.

La seule ombre dans cette rue sans âme était

celle d’une boutique à la devanture aux teintes

mordorées. Elle seule avait baissé son store. Il

s’approcha… enfin de l’ombre !… La tristesse

de la vitrine troubla son regard du nord. Un

minuscule papier était affiché. Le message

disait : « recherche personnel pour service de

bières à toute heure ».

Cela lui tomba dessus d’un coup !

L’homme avait froid. Très froid. Jamais de sa

vie il n’avait eu aussi froid… Il ne pouvait

déjà plus esquisser le moindre geste. A la

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douleur soudaine, succéda une ourse torpeur.

Son esprit s’embuait… Ses yeux

s’imprimaient… personnel… bières… Il allait

céder à l’engourdissement… A quoi bon

lutter ?… La bulle se refermait sur lui… et

soudain, semblant crever le ciel et venant de

nulle part surgit un angle mort…

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Trois jours

Terrasse des Bakikriss, le 28 à 7h32.

Mon toi !

Le catufé n’a pas le même goût ce matin… Tu

as du apprendre la tragédie ? On ne parle que

de ça ! L’événement fait la une de tous les

quotidiens : « Mort d’une ballerine ! » Elle

aurait été égorgée par un écureuil à l’issue de

la représentation de Casse-Noisettes qu’elle

donnait au Timor Oriental… C’est horrible, tu

ne trouves pas ? « Rapatriée à son consulat

par un chauffeur espagnol dans le coffre d’une

Austin Morris (Olé ! Pardon… J’aime te faire

rire…), elle n’a pas survécu. Son pays

d’origine aurait affrété un Morbus spécial afin

de ramener sa dépouille auprès des siens. »

Y’en a qui ont des relations ! Enfin… « La

police locale n’exclut aucune hypothèse ;

représailles d’un faux pas ? Jalousie ? Suicide

? Hallucination ? Chiqué ?!… ». L’article

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n’en dit pas beaucoup plus sinon que

l’entreprise M. s’occuperait des funérailles.

M. !?… Ce n’est pas à lui que nous avons eu à

faire pour l’enterrement de Maître J. ?!…

Je rentre dans 3 jours. Je n’ai encore rien reçu

de toi ! Tu me manques…

Ton toi

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Monsieur

Le magasin de Monsieur, l’entreprise M.,

faisait l’angle de la rue des Maures et de celle

des Comores.

Un rayon de soleil estival transperçait la

vitrine, caressant au passage une petite plaque

de marbre noir où l’on pouvait lire « A Bob

Morley - Mort fine, mort bleue mais mort sûre

– Regrets éternels », et finissait sa course sur

la poignée en cuivre d’un cercueil en noyer.

Monsieur, assis à son bureau, lisait le journal,

rubrique « nécrologie ». La cinquantaine, les

yeux légèrement gonflés par un abus de

Mojito la veille au soir, le visage oblong,

c’était un grand gaillard maigrichon. Depuis

dix ans qu’il tenait son magasin de pompes

funèbres, combien de fois avait-il eu affaire à

la mort ? Des clients arrivaient chaque jour,

accablés par leur mauvaise nouvelle, la mine

défaite. Et chaque mort, une fois passée par

son tiroir caisse, prenait alors l’augure de la

meilleure des nouvelles. L’assurance de son

lendemain. Et son commerce marchait bien.

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On mourait toujours et cela n’était pas près de

s’arrêter.

Mais depuis quelques temps, il se sentait las.

Il en avait assez de tout faire lui-même.

Comptabilité, accueil, service après-vente,

esthétique, manucure, coiffure…

Monsieur était fatigué. Très fatigué. Jamais de

sa vie il n’avait été aussi fatigué.

Il était temps pour lui d’être secondé et trois

jours plus tôt, il avait affiché une petite

annonce sur sa vitrine afin de recruter un

assistant. Dans la morgue attenante à sa

boutique, ce jour-là, il n’avait qu’un mort.

Une morte plutôt. Une très belle morte même.

Une ballerine, lui avait-on précisé, qui avait

été égorgée sauvagement par un écureuil au

Timor Oriental après une représentation de

Casse-Noisettes. Un écureuil ! « Etrange »

avait-il pensé. Il aurait soutenu mordicus qu’il

ne pouvait s’agir que de la réaction d’un

pauvre animal mort de peur, mais ce n’était

pas son affaire.

Quoiqu’il en soit, il lui fallait la préparer et la

faire belle. Il posa son journal sur le bureau,

se leva et se dirigea vers le funérarium.

Lorsqu’il recevait un mort, c’était là tout un

rituel. Tout d’abord, il vérifiait que son hôte

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faisait bien partie du royaume des disparus par

un petit jeu qui l’amusait toujours autant après

toutes ces années de métier. Il prenait

délicatement le pied de son protégé et après

avoir déclaré solennellement à haute voix « Je

te croque, je te mords, je suis le croque-mort

», d’un petit coup de mâchoire professionnel,

il lui mordait le gros orteil. Il attendait ensuite

quelques instants une réaction éventuelle et

une fois qu’il s’était assuré de la mort

définitive du propriétaire de l’orteil, il se

redressait et concluait, un petit sourire

narquois aux lèvres : « Plus mort que toi, tu

meurs ! ». A chaque fois, il était mort de rire.

La préparation de son hôte et sa mise en bière

pouvaient enfin commencer...

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L’ongle noir

Le réveil de l’homme fut brutal ! Une douleur

fulgurante au gros orteil droit le fit sortir de

son coma. Il était allongé dans ce qui lui

sembla être un lit aux draps de soie blanche,

un peu à l’étroit… La luminosité de l’endroit

semblait celle d’une cave… Une senteur

indéfinissable, aigre amère et pourtant

doucereuse submergeait son système

olfactif… Il perçut tout cela en l’espace d’une

nano seconde… Il avait mal ! Très mal… Ses

yeux s’habituant peu à peu à la semi-

obscurité, il finit par se rendre compte qu’une

ombre partageait sa présence… Une ombre

passablement surprise au demeurant…

L’ombre se pencha sur lui et bafouilla

d’incompréhensibles paroles… L’homme se

tut… Il réfléchissait aussi vite que possible,

mais son cerveau n’obéissait qu’à sa

douleur… L’ombre virevoltait tel un papillon

de nuit autour d’une ampoule électrique…

L’homme était l’ampoule… Et toujours ces

mêmes mots énigmatiques auxquels il ne

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comprenait rien… Il eut envie de se rendormir

pour sortir de ce cauchemar mais cette

lancinante douleur à son pied droit le lui

interdisait et le ramenait peu à peu à la

réalité…

Il se souvint alors de son cheminement dans

cette ville fantôme, ces rues sans âme, sous

une chaleur caniculaire, sa rencontre avec le

boiteux, son désir de fraîcheur, son approche

de cette vitrine aux teintes mordorées, seule

ombre depuis des heures… la petite

annonce…

L’affaire fut rondement menée. Il commençait

de suite pour un salaire de misère, mais obtint

une « prime de tongs » pour son orteil meurtri

dont l’ongle commençait à noircir…

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L’ange noir

Monsieur appelait son funérarium « Le

cottage ». Il trouvait l’expression plus

conviviale et bien plus accueillante même si

les trois premières lettres du mot « funérarium

» semblaient pleines de promesses. Il avait

même camouflé dans un coin de la pièce, un

lecteur de CD qu’il utilisait lorsqu’il n’y avait

personne d’autre que ces visages figés, les

traits passés à la poudre rose pour leur donner

meilleure mine. Il appréciait tout

particulièrement la musique classique et

écoutait souvent Mort Shuman. Paix à son

âme.

La ballerine, allongée dans son cercueil et

recouverte de tulle rose pâle, était l’une des

plus belles mortes à laquelle il avait eu affaire.

Fine, longue, gracieuse même dans ce dernier

ballet, il la contempla longuement avant

d’entreprendre son rituel habituel. « Quel

gâchis » pensa-t-il tristement en observant

cette beauté au jasmin.

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Chassant d’un geste bref de la tête ces pensées

saugrenues, mais cette fois-ci peut-être un peu

plus tendrement qu’à l’accoutumée, il se

pencha sur le pied gracile de la jeune femme

et après avoir déclamé son « Je te croque, je te

mords, je suis le croque-mort », il lui mordilla

délicatement l’orteil.

L’instant qui suivit fut inconcevable.

Invraisemblable. Inouï. Inattendu. Tel un inuit

à dos de morse qui surgirait soudain dans le

défilé de l’Inzecca au cœur du Fiumorbu…

La ballerine ouvrit les yeux dans un battement

de cils divin et là, semblant crever le ciel et

venant de nulle part surgit un ange mort.

Monsieur eut un mouvement de recul et

spontanément, il s’écria :

« Je crois bien qu’il y a une poule dans Le

Cottage !… ».

La danseuse était à présent assise en tailleur

dans la bière brune en châtaignier. La tête

penchée sur le côté, elle lui souriait. Monsieur

recula craintivement de trois pas, lesquels,

ajoutés au mouvement de recul précédent le

situait, à vol de cormoran, à environ deux

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mètres de la jeune femme. Deux mètres dix,

tout au plus.

- Vous n’êtes pas morte ? Balbutia le croque-

mort, les nerfs prêts à craquer.

- Vous le voyez bien mi amore, répondit la

danseuse.

- Me… ah mords… moi l’orteil ?… encore ?

!…

- Mais non… Dieu que les mortels vivants

manquent de clairvoyance !

- Clairvoyance ? Il fait si chaud que j'ai été

dans l'obligation de baisser le store…

- Là n’est pas la question tendre ami… Je ne

suis pas morte et pire ! Je vous aime ! Je suis

revenue pour vous le dire… Remontez le store

que je vous entende !

- Euh… m'aimer ?! Mais même si ce que vous

dîtes est vrai, cela n'a aucun sens ! Vous avez

été égorgée ! Par un écureuil de surcroît.

Votre cœur ne peut plus battre ! (aparté : ce

mojito me donne des hallucinations c'est juré,

craché, demain j'arrête ! Voyons cependant

jusqu'où mon esprit est prêt à vagabonder.)

- Et pourtant mon cœur bat. Sentez ses

battements… Donnez-moi votre main

Monsieur ! Mon cœur ne bat que pour vous…

Mais donnez-moi votre main, que diable ! Ne

soyez pas timoré ! Ayez confiance…

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L’écureuil est un animal inoffensif et bien

incapable d’égorger quelconque créature.

Connaissez-vous la Confrérie des Adorateurs

d'Ecureuils ? Vous devriez vous rapprocher de

quelques-uns de leurs membres. Vous

apprendrez que l’écureuil épargne toujours…

- (sa main adroite sur son sein gauche) Mais

c'est vrai !? Votre cœur bat ! Par quel sortilège

?! (Il tombe à genoux) Par pitié, expliquez-

moi ! Qui êtes-vous ? Que voulez-vous de

moi ? Je ne suis qu'un humble croque-mort.

Toutes celles que j'ai connues avant vous

avaient un comportement conforme à leur

état. Oui… j'avoue que parfois j'ai eu des

pensées impures à leur encontre, mais jamais

je n’ai cédé à cette monstrueuse décadence…

je vous le jure !… et puis, mon compte en

banque est au Crédit du Père Lachaise… Ne

faites-vous pas erreur ? (aparté : demain, je

me remets au Jack Daniel’s…).

- Des pensées impures ! Mais qui n’a pas eu

une seule fois dans sa vie des pensées impures

? Vous êtes séduisant Monsieur… Vous me

tentez…

Vous être croque-mort dans la vie et

j’aimerais tant que vous deveniez pour moi, et

pour moi seule… croque-vie dans la mort…

Je vous en conjure, venez avec moi, j’habite

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un endroit merveilleux. Où vous n’aurez plus

jamais ni chaud, ni froid, ni faim, ni soif (très

bon pour votre foie d’ailleurs)… Un endroit

où nous n’aurons d’autre souci que de faire la

mort jour et nuit… Vous venez ?

- Je suis troublé belle danseuse… Jamais on

ne m’a parlé ainsi. Tant de mansuétude… de

délicatesse… et d’intérêt pour mon foie… Ma

vie durant, je n’ai aspiré qu’à rendre le dernier

service à mes contemporains et vous

apparaissez… Une ombre lumineuse…Un

désavœunir (Note) qui me laisse pantois et

pantin de vos désirs… Qui que vous soyez,

vous avez su parler à mon cœur d’homme

orchestre des dernières œuvres et …

- Alors, vous venez ?!…

- J’arrive !… (aparté : demain, je me mets à

l’eau…)

Note : ?...

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L’homme

Bien qu’il ait passé peu de temps au service

de Monsieur, l’homme avait découvert un

monde extravagant, source d’inépuisables

observations. Tel ce clerc de notaire pleurant à

chaudes larmes sur le corps billard (Note) de

sa défunte épouse et qui exhalait une forte

odeur d’oignon... Ou encore cette zeune et

zolie veuve zozotante qui pressait Monsieur

de fermer d’un zeste prompt le cercueil de son

feu follet d’époux. Elle avait un rendez-vous

sur l’heure avec une équipe de zoueurs de

base-ball pour un match amical…

Monsieur avait lui aussi une attitude

extravagante lorsqu’il s’occupait de ses

clients. Un rituel macabre rythmé

d’incantations et de phrases sibyllines. Le tout

ponctué par un gigantesque rire sonore après

qu’il eut mordillé le gros orteil de ces patients

éternels.

Mais, étrangement, à l’arrivée du dernier

corps, Monsieur lui demanda de quitter le

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cottage. Intrigué, l’homme espionna… Et ce

qu’il vut (oh la faute !… Ha ha ha)… et ce

qu’il vit le sidéra (Note). Monsieur était à

genoux devant sa dernière livraison. Vêtue de

tulle rose (Note), d’ailleurs (Note), elle était

assise en tailleur, la main de Monsieur sur son

sein gauche en forme de poire et de scoubidou

bidou... Woaw ! Ils échangeaient. Des

regards… Des phrases… Des larmes… Et

peut-être même quelque secrète recette de

blanquette de veau ou de bœuf bourguignon.

Il ne pouvait pas savoir tant ils parlaient bas.

Chut…

Soudain, les choses s’accélérèrent. Le tas de

chiffon rose s’extirpa de sa bière, prit la main

de Monsieur et l’entraîna hors du champ de

vision de notre homme. Curieux à mort, celui-

ci réintégra les lieux en catimini et là, sa

surprise fut totale : il n’y trouva âme qui

vive...

...Il n’y avait plus de poule dans le cottage

!!!...

--------------------------------------------------------

Note : Billard : terme affectueux quoique

affectant donné à une moitié de trois quarts.

Ça fait lourd…

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Note : Sidéra. Et riz des rats et tralala. On peut

se faire plaisir non ?

Note : NDLR : ça tue le rose ! Ça boudine

NDLR, c’est nous ! Et on dit ce qu’on veut !

Note : de Corfou ; en corse (sous réserve) :

corfu ; en clair : corps fou ; en crypté : corps

fou aussi mais en pire (Note).

Note de la note : Non, rien… Wow, c’est

chaud (Note) !

Note de la note de la note : Chut, c’est trop

chaud (Note).

Note de la note de la note de la note : Notez

que c’est clair. Crypté mais clair. Mais crypté.

Oui, mais clair… Oui mais… crypté ? Ah ?

Cet éclair est crypté ? Quel éclair ? Il pleut ?

Abritons-nous tous ensemble dans la crypte,

nous y serons à l’abri de l’orage. Ô déesse

poire ! (Note)

Note de la note de la note de la note de la

note : non, rien… (Note)

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Note de la note de la note de la note de la note

de la note : Si (Note).

Note de la note de la note de la note de la note

de la note de la note : Mettons un bémol

(Note).

Note de la note de la note de la note de la note

de la note de la note de la note : Faisons

court…

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Le laid gueux noir

Et soudain, semblant crever la ruelle, surgit un

laid gueux noir… Le type boitait. Il n’avait

jamais autant boité de sa vie. La douleur était

intense et depuis quelques heures était

devenue insoutenable. La morsure d’écureuil

est cruelle, il l’avait appris à ses dépends…

Quelques jours plus tôt, il s’était enfui de la

Confrérie des Adorateurs d’Ecureuils… Par

milliers, les empanachés l’avaient poursuivi,

mordu, pour finalement rebrousser chemin,

pensant probablement que l’infection causée

par leurs blessures ferait office… Quand il eut

compris le sombre dessein de cette horde

d’animaux adulés béatement par une foule de

fidèles éthérés, il tenta d’en faire part à Maître

J., Grand Ordonnateur de la Confrérie, un

mauritanien né à St Maur par hasard. Le

gueux lui avait pourtant dit qu’il supputait que

les écureuils voulaient s’emparer du Monde

en éliminant méthodiquement toute forme

humaine, mais Maître J. n’avait rien voulu

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entendre, trop préoccupé par ses

transcendantes méditations.

Le gueux l’avait alors secoué pour tenter de

l’en faire sortir… C’est là que Maître J. était

tombé, se heurtant violemment la tête

pensante contre le coin de la table basse. Tout

le monde avait cru à un malaise…

On l’avait enterré en grandes pompes,

funèbres à (vos) souhait(s). Sur sa tombe, on

avait gravé une plaque : Ici, Maître J. gît.

Mais l’un des écureuils de la Confrérie avait

tout croqué de ses yeux malades… Tout

entendu… Se sachant en danger, le gueux

quitta les lieux…

Il avait erré, revivant douloureusement son

combat, seconde par seconde, se méfiant de

tout et de tous, bien conscient que parmi les

âmes qu’il croisait, certaines, possédées,

étaient en mission… Il se souvenait tout

particulièrement de cette étrange ballerine en

mystérieuse visite à la Confrérie…

Elle avait rencontré le porte-parole des

écureuils, également éminent professeur

d’éloquence-noisette, pratique verbale

marivaudant entre le café noir et la demi-

pointe de lait…

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Garçon ! Un peu de sucre et l’addition s'il

vous plait !

Pause !

Bon, d’accord, à cet instant précis, vous

entrevoyez probablement une légère

incohérence dans nos propos... Que nenni !

Que nenni du tout. Souffrez ce moment

d’égarement comme une brève récréation.

Mais, reprenons.

Donc, nous disions que la danseuse avait

rencontré le porte-écureuil, professeur

d’élégante-nuisette… Non, ce n’est pas ça…

Concentration… Respiration… Relaxation…

etc…

Elle avait donc égaré sa nuisette par souci

d’élégance… Euh… Non, ce n’est pas ça non

plus… C’est la prochaine histoire, ça...

(heureux de l’apprendre ou inquiets ?)…

Et puis zut. Relisez quelques lignes plus haut,

nous n’allons pas répéter… répéter…

répéter… répéter... répéter… répéter…

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répéter... Encore ? Bon allez, d’accord, encore

une fois… Nooooon ! On rigoooooooooole !

Bref. Nous retiendrons simplement que la

danseuse était missionnée par la Confrérie des

Adorateurs d’Ecureuils afin d’alléger leur

emploi du temps surchargé, leur dessein étant

l’anéantissement de la gent humaine…

Page 27: Monsieur le Croque-Mort

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Les ombres-queue

Les sciurus vulgaris... Sciurus... mot

provenant de deux mots, l'un latin et l'autre

pas latin (grec) : ombre et queue... Ombre...

Homme... Ah... Cette manie qu’a l'humain de

chercher des symboles partout, des raisons

aux choses...

Les ombres-queue avaient faim. Très faim.

Jamais de leur vie ils n'avaient eu aussi faim.

Dans leur communauté, les femelles s'étaient

soulevées les premières, se plaignant que les

humains manipulaient insidieusement les

OGM (Org. Génétiquement Modifiés) jusqu'à

les loger dans les glands et les noisettes qui en

avaient perdu toute leur saveur.

Elles avaient caché leur stock de graines

intactes en des lieux de plus en plus secrets

mais il avait fini par s’épuiser. La faim et la

colère les avaient alors submergées.

Les mâles, à leur tour, avaient exprimé leur

courroux à la fin de l’hiver dernier et dans un

Page 28: Monsieur le Croque-Mort

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effet papillon, s’étaient révoltés... Tenaillés

par la faim et du coup, de mauvais poil, ils

refusaient soudain d'être bannis de leur nid

dès que leurs femelles étaient fécondées...

Plus question d'être des ombres-objets !

Désertant forêts, bois et parcs, les mâles,

femelles et jeunes envieux s'étaient alors tous

réunis pour demander conseil à Maître J..., un

vieil ermite qu'ils côtoyaient souvent au

détour de quelque chêne centenaire sous

lequel il méditait à compte d’auteur...

Il les avait écoutés... avait réfléchi... avait eu

l’IDÉE... et leur avait prescrit, une délicieuse

lueur maligne dans les yeux : " Réduisez les

hommes à l’état de désavœunir… "

C'est ainsi que la plupart d'entre eux se

cachèrent afin de faire croire à leur extinction

(comme l’avaient fait les lucioles en réponse à

l’apparition de la lampe de poche…). Cela

avait marché : la spéciosité de l'être humain,

toujours sur le qui-vive lorsqu'il s'agit de faire

preuve d’illusion de grandeur, avait protégé

les écureuils... De cette volonté est née la

Confrérie des Adorateurs d’Ecureuils...

Les ombres-queue n'avaient plus qu'à mettre

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en pratique le plan échafaudé quelques temps

plus tôt... Se débarrasser de toutes ces

créatures sans panache et retrouver la saveur

des glands et des noisettes. Pour qu'ils n'aient

plus faim. Pour que tout rentre dans l'ordre…

Comme ils n’étaient pas en ombres

suffisantes, ils n'hésitèrent pas à décortiquer

quelques terriens de leur âme, telle celle de

cette danseuse à la noix les menaçant de leur

casser les fruits secs. Elle était devenue l’une

des multiples âmes chargées d’en attirer

d’autres au pays où les OGM deviennent des

Organismes Génétiquement Morts…

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Trois jours de plus

Terrasse du Bakifil, le 31 à la même heure.

Mon toi !

Le catufé a aujourd’hui un goût de noisette

rance … Une tragédie ? Pfff… Cette garce de

danseuse a probablement mérité son sort ! Ici,

nous avons bien d’autres soucis. Des écureuils

? Parle m’en ! Non, plutôt, ne m’en parle pas.

Ils ont envahi la ville, ravageant tout sur leur

passage. Ils ont pris possession des banques.

Le compte de l’épargnant n’a jamais autant

senti la coque de noisette vide. Ils ont

réquisitionné les meilleurs glands. C’est la

débandade. Même l’équipe de joueurs de

base-ball a déguerpi.

Les morts se comptent par milliers. Les rues

sont jonchées de corps sans glands. Les

autorités ont fui, laissant la ville dans

l’anarchie la plus complète. Je t’avais dit que

la Confrérie perdait tout sens commun…

Comme un seul homme.

Page 31: Monsieur le Croque-Mort

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Imagine mon amour que je vais peut-être

mourir ! J’ai enterré mon laid mari pour

mieux t’aimer et je mourirai (Note) sans

t’avoir revoyu (Note). La vie est ainsi faite…

Ceci est probablement mon dernier message.

Si tu le reçois, dis-le moi en retour.

J’ai entendu dire que l’entreprise M., celle qui

s’était occupé de l’enterrement de Maître J.,

n’avait plus de patron. Il aurait été lui aussi

victime de cette invasion… Il ne resterait plus

dans son magasin qu’un homme au regard du

nord, errant à demi nu, passant d’une bière

brune à une bière blonde et criant à qui ne

veut plus l’entendre :

« Fou. Je suis fou. Jamais de ma vie je n’ai été

aussi fou… A présent, je le sais… ».

Mais, selon ce qu’on en dit en ville, cet

homme serait mort. Mort en déclamant :

« Mort ! Je suis mort ! Jamais de ma vie je

n’ai été aussi mort… ».

Ne prends pas le pain. C’est inutile. Ze t’aime.

Ta zeune et zolie souris.

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Note : Du verbe « mourirer » ne se conjuguant

qu’au futur le plus éloigné.

Note : Du verbe « revoyurer » ne se

conjuguant qu’en cas de peine intense.

Presque FIN…

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Mort alitée

Croque-mort fou ?… Homme fou ?… Monde

fou ?… Corfou ?… Et nous !? Allez savoir…

Martine : le secret pour la blanquette de veau

–mais chuuuut, c’est un secret…- réside en un

filet de citron ajouté juste avant de servir…

Marc : le secret pour le bœuf bourguignon –

mais chuuuut, c’est du sucré…-, réside en un

carré de chocolat ajouté juste quand il faut…

FIN

Page 34: Monsieur le Croque-Mort

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Mise en ligne réalisée sous la

direction de John Rigobertson pour

le compte de la collection digitale

Nuages noirs, éditée par

www.corsicapolar.eu

© 2008, Martine Rousset & Marc Bernardin

© 2008, Tassuad pour le dessin de couverture

Page 35: Monsieur le Croque-Mort

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Lancée en octobre 2008, à l’initiative du blog multi-

auteurs corsicapolar.eu, la collection Nuages noir est un

nouvel espace, exclusivement consacré à la mise en

ligne de textes offerts aux lecteurs internautes. Il est

dans les nuages, un peu comme dans nos esprits, une

part de rêve. Un nouvel espace de liberté ? Une île,

sans doute, où tout est possible, loin des contraintes de

l'édition classique, riche de ces proximités nouvelles

que la révolution numérique rend possible.

C’est une expérience qui commence. Elle est digitale et

c’est à vous de voir.

Déjà publié en 2008

L’Affaire Ida Renerel, premier cyberpolar d’en Corse

paru en web feuilleton durant l’année 2007

A paraître en 2009

U Cosu de Michel Moretti

Page 36: Monsieur le Croque-Mort

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…ces nuages noirs, dont le

pays s'enténèbre pour nous

apparaître…