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Master Droit de la famille Pratique judiciaire Mort et Science SOMMAIRE INTRODUCTION I- Le combat de la science contre la mort A- La mort comme condition de vie 1- Qu'est ce que le don? 2- Le problème du consentement B- Les progrès de la médecine pour la vie 1- La recherche médicale : instrument du progrès 2- L'acharnement thérapeutique : la vie à tout prix II-La science au service de la mort A'- La volonté d'une mort digne 1/ L'euthanasie ou comment la science donne la mort 2/ Les soins palliatifs ou comment la science accompagne la mort

Mort et Sciencesophiasapiens.chez.com/droit/TD-Droit/Pratiques... · Web viewdans le Dictionnaire de Trévoux (éd. 1771), ce qui atteste de son emploi en français dès ce siècle

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Master Droit de la famillePratique judiciaire

Mort et Science

SOMMAIRE

INTRODUCTION

I- Le combat de la science contre la mort

A- La mort comme condition de vie

1- Qu'est ce que le don?

2- Le problème du consentement

B- Les progrès de la médecine pour la vie

1- La recherche médicale : instrument du progrès

2- L'acharnement thérapeutique : la vie à tout prix

II-La science au service de la mort

A'- La volonté d'une mort digne

1/ L'euthanasie ou comment la science donne la mort 2/ Les soins palliatifs ou comment la science accompagne la mort

B'- La mort avant la vie

1/ IVG 2/ IMG 3/ Eugénisme

BIBLIOGRAPHIE

INTRODUCTION

S'interroger sur la mort c'est s'interroger sur la vie.Or, comme le disait Xavier Bichat, médecin biologiste et physiologiste français, « la vie est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort ».A contrario donc la mort survient quand ces fonctions ont cessé de résister. Autrement dit, la mort correspond tout simplement à la fin de la vie.

Ce qui nous intéresse ici c'est quand et selon quel critère pour la science, entendue comme la science médicale, la vie cesse et donc que la mort survient. Notre étude exclue l'approche de la mort par les autres sciences telles que les sciences humaines. Seule l'approche scientifique de la médecine sera envisagée.De façon traditionnelle la mort médicale correspond à un arrêt cardiaque et respiratoire qui se caractérise par trois critères lesquels sont l'absence totale de conscience et d'activité motrice spontanée, l'abolition de tous les réflexes du tronc cérébral et enfin l'absence totale de ventilation spontanée. Progressivement cette définition s'est élargie, élargissant par la même occasion le concept même de mort. Le problème était celui des personnes assistées par ventilation mécanique et qui ont conservé une fonction hémodynamique. En ce cas la science impose de vérifier le caractère irréversible de la destruction encéphalique par deux électroencéphalogrammes nuls et aéractifs effectués à une heure d'intervalle minimal de quatre heures ou par un angiographe objectivant l'arrêt de la circulation encéphalique. En effet, la communauté scientifique s'accorde à dire que la destruction du système nerveux central est un stade irréversible et à l'heure actuelle aucun médecin n'a jamais pu rétablir une activité cérébrale. Ces personnes ne vivent plus elles survivent artificiellement. Sans la science et ses techniques la mort serait survenue naturellement depuis longtemps.

Et donc, si pendant longtemps la définition médicale de la mort était cardiovasculaire, elle est devenue principalement aujourd'hui cérébrale. En effet, si autrefois c'était le cadavre qui faisait la mort aujourd'hui ce n'est plus le cas. La mort ne se montre plus, elle se démontre scientifiquement par un coma dépassé qui traduit la perte totale et irréversible de l'activité du cerveau et du tronc cérébral. La frontière entre le vivant et le mort s'estompe. Le coeur peut battre, le corps resté chaud, l'homme est pourtant déjà mort pour les médecins comme pour la loi. Le critère de la mort par la destruction du cerveau étant aujourd'hui le critère unique et invariable au sens médicale comme juridique. C'est pourquoi il faut essayer d'appréhender la mort dans son acception médicale et scientifique c'est à dire au regard de la façon dont la médecine s'en préoccupe. A cet égard il faut observer deux courants, deux approches. Une science qui va lutter et combattre cette mort pour la repousser encore et encore et une science qui au contraire va l'aider, l'accompagner voire la provoquer.A ces approches, il faut intégrer nécessairement tous les problèmes moraux posés par l'avancée de la science, sa capacité à repousser les limites du vivant et du mort.C'est toute la question éthique qui s'est traduit par une réaction législative sans précédent en 1994 réitérée en 2004. Ces lois dites lois de bioéthiques sont le fruit de l'ensemble des recherches qui portent sur les problèmes moraux suscités par l'emploi de nouvelles techniques biomédicales. Les interventions sur le patrimoine génétique, l'euthanasie, les soins palliatifs, le prélèvement d'organes et l'expérimentation sur l'être humain sont autant de problèmes, qui nécessite une réflexion pluridisciplinaire, portant sur les pratiques de la biologie et de la médecine, en vu de leur assigner des limites éthique, qui relèvent donc de l'ordre social de la

morale constituant des règles d'action et des valeurs qui fonctionnent comme normes dans une société1. A cet égard a été crée un comité national consultatif éthique pour les sciences de la vie et de la santé composé de personnalité éminentes des mondes médical, scientifique, philosophique et religieux qui émettent des recommandations qui font autorité. La question qui se pose est alors de comprendre comment la science utilise la mort et plus précisément comment elle essaie de la combattre pour repousser l'inéluctable (I). Pour ensuite, voir comment la mort se sert de la science, autrement dit comment la science peut devenir le bras armé de la mort (II).

I- Le combat de la science contre la mort Grâce à la science, la mort a pu devenir un allié pour la vie (A) tout en restant l'ennemi de toujours qu'il faut vaincre (B).

A- La mort comme condition de vie

Par nature la vie n'est pas conditionnée par la mort. La vie procède d'elle-même, même si à l'origine un matériel biologique est nécessaire, elle n'a besoin que d'elle même pour se maintenir par la suite. De sa poursuite ne nécessite pas en principe la perte d'une autre vie. C'est l'homme qui a introduit un tel « échange » en dehors de tout devoir de responsabilité d'un individu envers un autre. Et si la nature n'exige pas de payer une vie d'une mort, l'homme a introduit cet enchevêtrement de situations. Ainsi la mort se met au service de la vie au travers du don d'organes qui a pu se développer grâce aux avancées de la science quant à la technique de la greffe. Le don ici envisagé est celui qui procède d'une personne décédée pour une personne dont la vie est en sursis. La mort devenant alors condition de vie grâce à la science2.

1- Qu'est-ce que le don?

D'un point de vu juridique, le droit associe don et donation qu'il définit comme étant un contrat par lequel une personne (le donateur) transfère la propriété d'un bien à une autre (le donataire) qui l'accepte sans contrepartie et avec intention libérale. De ce point de vu la donation peut se faire entre vif, elle est alors conventionnelle et irrévocable ou par testament, elle est alors unilatérale et librement révocable.Mais la question qui se pose est comment le droit appréhende cette notion lorsqu’elle l'envisage dans la sphère de la médecine et de la recherche.A cet égard le terme de don désigne l'acte de prélèvement d'une partie du corps humain sur une personne en vue de le transplanter sur une autre. Le don constitue alors un prélèvement. L'organe étant indispensable à la vie le don d'organe est conditionné par la mort d'un autre individu. Il était donc indispensable que la société pose un cadre à cette pratique.

1 « A quoi sert la bioéthique ? » Jean-Paul Thomas. Les petites pommes du savoir.2 « Les éléments du corps humain, la personne et la médecine » Emmanuelle Grand, Christian Hervé, Grégoire Moutel. L'harmattan.

Gratuité, volontariat, anonymat sont les trois caractéristiques revendiquées par les lois dites bioéthiques de 1994 pour rendre possible le don d'organe.La gratuité tout d'abord, qui traduit la volonté de soustraire les pratiques de transplantation du domaine économique. Il est clair que sont évités ainsi les dérives et les abus entrainé par l'appât du gain ou l'exploitation de la misère d'individu qui n'aurait comme unique ressource que leur propre corps.L'anonymat, ensuite, qui protège les individus de tout abus et tout génération de situation pathologique consécutive à la douleur d'avoir perdu un proche pour les familles des donneurs ou à la culpabilité d'avoir bénéficié de la mort d'une personne pour le receveur.Et pour finir, le volontariat qui pose la reconnaissance de la liberté d'un individu à déterminer par lui même ce qu'il choisit de faire ou de ne pas faire. C'est ce que certains auteurs appellent le respect de l'autodétermination du sujet3.Mais, sur ce point la loi se contredit dans ses principes lorsqu'elle substitue à la volonté non exprimée d'une personne décédée le consentement présumé.

2- Le problème du consentement

En effet, les donneurs d'organes les plus nombreux sont des personnes en état de mort cérébrale. C'est de leur état que se trouve la source principale de difficultés puisque ces personnes ne peuvent par essence exprimer aucun consentement. Cependant, il est un principe posé par la loi Caillavet de 1976 qui veut que toute personne non inscrite sur le registre national automatisé des refus de prélèvement d'organe est potentiellement donneurs dés lors que sa mort cérébrale est constatée. Et ce au nom du principe de solidarité. Ce principe vient empiéter sur les droits fondamentaux de chacun en déclarant toute personne en état de mort cérébrale consentante.Mais, il faut noter que la pratique médicale a du mal à se résoudre à prélever sans l'accord de la famille à défaut de pouvoir obtenir celui du défunt. Mais si ce recours à la famille paraît le plus direct pour obtenir la position du défunt à l'égard du prélèvement, il n'est pas toujours le plus légitime, les relations de la personne avec sa famille n'étant pas toujours facile à appréhender.Par ailleurs, la famille se trouve dans une situation délicate. En effet, qu'elle refuse ou accepte le prélèvement elle prend le risque d'aller à l'encontre de la volonté du défunt; et si elle refuse elle prive un individu d'une chance de survie. Rappelons que cette décision se prend dans un contexte de douleur et de deuil.Le problème majeur vient de la définition même de la mort cérébrale, en effet, si elle a comme principal intérêt de pouvoir prélever des organes pour rendre possible des greffes et donc pouvoir sauver d'autre vie, elle remet en cause la vision traditionnelle de la mort puisque la personne respire toujours, son cœur bat encore!!Des questions éthiques se posent alors : à partir de quand est-il moralement possible au médecin de mettre un terme à la vie du patient dont le cœur bat encore mais dont le cerveau est définitivement mort ? A partir de quand est-il moralement acceptable de prélever des organes ?C’est pourquoi, il semble nécessaire d'informer dans le but non pas d'obtenir des organes à tout prix mais d'alimenter une réflexion suffisamment documentée pour permettre une prise de décision face aux dons d'organes bien antérieure au décès. Ainsi, le choix qui serait pris en amont permettrait aux soignants comme aux familles de se libérer d'un choix à faire en lieu et place de l'intéressé.

3 « Les éléments du corps humain, la personne et la médecine » Emmanuelle Grand, Chritian Hervé, Grégoire Moutel . L'harmattan.

Ce qu'il faut comprendre c'est que pour la famille du donneur admettre le prélèvement revient alors au sens le plus fort du terme accepter la mort de l'être aimé, ce qui expliquerait les réticences des familles qui viennent d'apprendre le décès d'un proche qui pourtant respire encore grâce à la technique de la ventilation artificielle mais dont le cerveau est définitivement mort sans aucun espoir d'amélioration avec le temps.La difficulté est là, la science permet de maintenir en vie des personnes qui naturellement sans l'intervention de l'homme serait mort. La science repousse ainsi les limites du vivant mais cela pose d'innombrable question sur le devenir de ces Hommes. En effet, car même si la personne est médicalement considérée comme morte, son cœur ne cessera de battre qu'une fois que son assistance respiratoire sera débranchée. Dans ce cas « débranché quelqu'un » est-ce lui ôter la vie ? Quelle signification ce geste prend t-il alors ? Tout simplement cela revient à se demander si maintenir en vie c'est maintenir la vie ? Ainsi, la science par ces progrès créée de nouvelles situations qui posent des problèmes auxquels chacun peut avoir sa propre réponse en fonction de ses convictions personnelles.

Mais, il reste indéniable que la mort grâce aux progrès de la science est devenu un moyen de sauver des vies tout en posant le problème de savoir ce qu'est la vie et quand cesse t-elle ? Mais la science médicale ne s'est pas arrêté là, elle continue encore et toujours à vouloir reculer le plus possible le moment de la mort par le biais de la recherche.

B- Les progrès de la médecine pour la vie

Ils sont l'outil premier de l'augmentation de notre espérance de vie. Ils nous permettent de vivre plus longtemps dans de meilleure condition physique. Mais jusqu'où peut aller la recherche pour nous sauver chaque jour un peu plus ? Jusqu'où ira t-on ? Jusqu'où avons-nous le droit d'aller ?

1- La recherche médicale : instrument du progrès

Tout d'abord, il convient de définir exactement ce qu'il faut entendre par recherche médicale.La recherche médicale est un travail scientifique qui permet à l'homme d'améliorer ses connaissances dans le domaine de la santé. Mais, ce qui nous intéresse plus particulièrement c'est surtout la recherche biomédicale qui recouvre tout essai ou expérimentation organisé ou pratiqué sur l'être humain en vu du développement des connaissances biologiques et médicales. Le plus souvent cela consiste à observer les effets d'un nouveau traitement par comparaison avec un traitement classique ou une absence de traitement.Bien entendu ces essais sont réalisés par l'homme sur l'homme. Dès lors, il faut poser les limites de ce qu'il peut se faire. Et il semble nécessaire de trouver un juste équilibre entre la liberté de la recherche, les droits des malades et le respect des valeurs essentielles de notre société4.C'est ce qui a été recherché dés 1947 avec le code de Nuremberg issus du procès des médecins nazis qui a introduit la nécessité d'affirmer des principes éthiques clairs qui doivent s'imposer à tous chercheurs et médecins lors de recherches et ceci en réaction aux expérimentations faites par les nazis dans les camps qui ont profité de la « chair humaine disponible à volonté » pour procéder à toutes sortes d'expériences au gré de leurs fantaisies souvent sadiques qui ont aboutit à la mort ou bien ont fait de la vie de « ces cobayes humain » un véritable enfer. L’une des premières règles affirmées et réaffirmées depuis est le consentement volontaire, libre et éclairé du sujet humain. Ce principe bien qu'affirmé depuis 1947, réaffirmé par la

4 Http://www.inserm.fr Institut national de la santé et de la recherche médicale.

déclaration d'Helsinki de 1964 formulée par l'association médicale mondiale, a dû être rappelé avec force en 1966 date à laquelle sont révélées au Etats-Unis une série d'expérience réalisée au mépris de toutes règles éthiques.Par exemple, l'injection de cellules cancéreuses vivantes sur des personnes âgées et séniles placées en institution pour analyser les résistances immunologique ou encore l'injection du virus de l'hépatite B à de jeunes résidents d'une institution psychiatrique de l'état de new-york pour voir comment se développe la maladie..La recherche ne peut se permettre au nom du progrès de dénigrer la vie de certaine personne. Elle se doit de protéger au maximum la santé des participants bien avant les intérêts de la science.L'éthique doit s'imposer à tous chercheurs et permettre d'assurer la protection des personnes tout en permettant des découvertes scientifiques essentielles pour faire reculer la mort.Il faut préciser qu'une fois de plus, c'est la loi qui en 1988 a fixé des règles pour ces essais et qui a surtout mis en place des comités devenus depuis 2004 des comités de protection des personnes qui ont pour mission de protéger les personnes en s'appuyant sur l'analyse et la validation des procédures d'information et de consentement puis sur les critères de sécurité et d'indemnisation des personnes se prêtant à la recherche sans avoir à se prononcer sur l'intérêt scientifique de la recherche envisagée.

Il faut bien comprendre que si les personnes sont autant protégées c'est qu'incontestablement la recherche comporte des risques non négligeables rappelés par l'accident londonien de 2006. En effet, au cours d'un essai médicamenteux mené dans un service de recherche clinique, six des huit volontaires ont présentés d'intense douleur (céphalée et douleurs abdominales) puis rapidement des vomissements suivis d'une perte de connaissance nécessitant des transferts en réanimation et soins intensifs. Les deux personnes indemnes sont celles ayant reçu le placebo. Des risques existent.Mais ils sont, cependant, mis en balance avec le bénéfice retiré par l'expérience. Autrement dit, l'importance de l'objectif recherché doit être médicalement et humainement supérieure aux contraintes et risques encourus par le sujet.

En conclusion, la recherche ne peut pas tout se permettre mais reste indispensable aux progrès de la médecine, c'est elle qui aujourd'hui nous permet de vivre plus longtemps, c'est elle qui sans doute nous permettra de vaincre des maladies aujourd'hui incurable et qui nous a permis de trouver les remèdes aux maladies autrefois mortelles. Et qui pourquoi pas pourrait nous offrir un jour l'immortalité grâce à la cryonie, procédé de cryoconservation (conservation à très basse température) d'humains ou d'animaux dont la subsistance ne peut plus être médicalement assurée, dans l'espoir de pouvoir les ressusciter ultérieurement. Dans l'état actuel du savoir-faire médical, le procédé n'est pas réversible. Mais aux Etats-Unis des sociétés commerciales proposent très légalement à leurs clients cette nouvelle forme d'embaumement par congélation en caisson pour une résurrection dans un futur capable de n’assurer rien de moins que l'immortalité. Parmi les militants, se trouvent bon nombre de chercheurs qui espèrent de grandes avancées dans la médecine, notamment dans les nanotechnologies, qui pourraient permettre la régénération des tissus et des organes au niveau moléculaire, voire inverser les effets du vieillissement ou des maladies.L'argument de base en faveur de la cryonie est que la mémoire, la personnalité et l'identité sont stockées dans la structure chimique du cerveau. Mais bien que cette hypothèse soit communément acceptée en médecine, et que l'on sait que l'activité cérébrale peut rester un moment à l'arrêt et reprendre ensuite, l'idée de pouvoir conserver un cerveau avec les méthodes actuelles de façon suffisamment satisfaisante pour permettre sa résurrection reste

mal acceptée et surtout impossible. Les partisans de la cryonie mettent pourtant en avant des études qui laisseraient à penser que les fortes concentrations en cryoconservateurs circulant dans le cerveau avant son refroidissement peuvent empêcher son endommagement et feraient se conserver la structure fine des cellules qui seraient le siège supposé de la mémoire et de l'identité. Pour les opposants, la pratique actuelle de la cryonie ne devrait pas pouvoir se justifier, compte tenu des limitations actuelles de la technologie: à l'heure actuelle, on n'arrive à cryoconserver de façon réversible que les cellules, les tissus, les vaisseaux sanguins et de petits organes d'animaux. Ce procédé impossible aujourd'hui et sans doute jamais réalisable poserait néanmoins de grave questionnement quant à la définition même de la mort et quant aux statuts de « ces ressuscités »5.

En attendant la mort est toujours inéluctable et passe nécessairement par la vieillesse qui grâce à la médecine est une période de la vie de plus en plus longue. En effet, avec les progrès de la médecine, l'utilisation des antibiotiques pour combattre les infections l'espérance de vie rallonge. Le vieillissement massif de la population est le témoin de la faculté pour la science à repousser le moment de la mort. Mais si la vie est allongée il faut se demander à quel prix. La vieillesse est le témoin d'une dégradation lente et irrémédiable de la vie qui se traduit par une perte d'autonomie et d'indépendance. Ainsi, il faut prendre en considération cette réalité scientifiquement possible dans notre société pour une meilleure considération et prise en charge de « nos vieux ».Si comme il a été dit, il est évident que la science par ses progrès a repoussé et repousse encore la mort, cette dernière reste inéluctable. Se pose alors la question de ce qui est appelé la fin de vie qui renvoie au caractère incurable d'une maladie dont la mort sera quoiqu'il sera fait l'issue finale.La problématique est de savoir s'il faut maintenir la vie à tout prix ? Le débat ici est celui de l'acharnement thérapeutique.

2- L'acharnement thérapeutique : la vie à tout prix

L'acharnement thérapeutique consiste à utiliser systématiquement tous les moyens médicaux dont on dispose pour maintenir une personne en vie. L'expression a d'abord désigné des tentatives de réanimation dans les cas de coma dépassé, c'est à dire un état dans lequel se surajoute à l'abolition totale des fonctions de vie relationnelle (conscience, mobilité, sensibilité, réflexes), une totale absence des fonctions de la vie végétative. L'emploi s'est étendu aux traitements appliqués dans le seul but de prolonger la vie, mais sans améliorer la qualité de celle-ci : on peut ainsi obtenir une rémission, mais au prix d'une souffrance qui n'a rien apportée de positif. Le caractère agressif de ces traitements explique la présence du terme acharnement, qui décrit habituellement l'ardeur de l'animal sur sa proie. L'acharnement thérapeutique désigne une action qui n'a en réalité plus rien de thérapeutique. Il n'existe plus de moyen d'améliorer l'état du patient, dont on prolonge la vie de manière artificielle au prix de souffrances pour le patient et son entourage accompagné souvent d'une perte de conscience et d'une vie végétative pour un résultat médiocre ou nul si l'on intègre durée et qualité de survie. En d'autres termes, l'acharnement thérapeutique constitue le fait de poursuivre un traitement lourd qui devient disproportionné par rapport au bénéfice du patient. Mais, dans le monde médical on rencontre souvent la notion d'obstination ou de persévérance thérapeutique. C'est là, la difficulté du pronostic qui rend fragile la frontière entre l'acharnement répréhensible et l'obstination louable. Dans bien des cas c'est seulement a posteriori que l'on sait ce que l'on aurait dû faire. En effet, l'acharnement thérapeutique ne pose de problème que parce que parfois cet acharnement peut devenir sur le long terme bénéfique pour le patient. 5 « L'espoir qui venait du froid »Documentaire ARTE Connaissance et découvertes.

Pour le médecin, la position est délicate, s'il ne fait rien on lui reprochera son inaction mais s'il fait quelque chose et qu'au final l'état du patient n'est pas améliorée voir pire encore on lui reprochera aussi. Et tout le débat oppose caractère sacré de la vie et respect de la personne.En effet, il paraît évident que le caractère sacré de la vie motive et justifie le maintien de la vie a tout prix. Le code pénal n'enjoint-il pas de porter assistance à une personne en péril. Et les termes de l'article 2 du code de déontologie médical n'imposent-il pas le principe selon lequel le médecin est au service de l'individu et exerce sa mission dans le respect de la vie et de la personne humaine. La mission du médecin est de guérir par tous les moyens dont il dispose, il travaille à maintenir en vie son patient. Et aujourd'hui il le peut plus que jamais grâce aux progrès de la médecine dans le combat des maladies. On détient les moyens de maintenir en vie les malades en état végétatif chronique, on peut soigner des infections nouvelles qui surviennent dans une agonie due à une autre cause. Cesser d'agir n'est ce pas capituler devant la mort alors qu'on peut encore faire quelque chose pour la vie ? Cependant peut-on réduire le respect du malade au respect de la vie ? En effet mieux vaut-il assurer un confort de vie qui vaille la peine d'être vécue ou de survivre plus longtemps mais dans des souffrances intolérables. Francis Bacon (1561-1626) homme d'état et philosophe anglais charge le médecin d'accorder la bonne mort « J'estime que c'est la fonction du médecin de rendre la santé et d'adoucir les peines et les douleurs, et non seulement lorsque cet adoucissement peut conduire à la guérison mais aussi lorsqu’il peut servir à procurer une mort calme et facile »Ainsi, une fois affirmer l'irréversibilité du processus de mort imminente il paraît inutile de continuer les traitements en vu d'une amélioration impossible ou en vu de lutter contre les maladies grave qui pourraient survenir6.C'est au regard de ce débat sur le refus de l'acharnement thérapeutique que sont apparues les revendications au profit de l'euthanasie qui s'inscrit dans une autre logique, ce n'est plus la vie qu'on cherche à protéger mais la mort qu'on cherche à provoquer.

II-La science au service de la mort

Le théâtre de la mort s’est profondément modifié le siècle dernier. Dans les années soixante-dix, la mort, de plus en plus médicalisée, a ouvert un débat passionné sur la puissance de la médecine, l’acharnement thérapeutique, l’euthanasie…Aujourd’hui, le développement du concept d’accompagnement et de soins palliatifs ne manque pas soulever de nouvelles questions quant à la possibilité de mourir dans des conditions dignes. (A’)La question de l’avortement, bien qu’apparemment entré dans les mœurs, créé aussi la polémique et ce, même hors de nos frontières où certains Etats l’a prohibe toujours ; c’est tout le problème d’une « mort » avant la vie. (B’)

A- La volonté d’une mort digne

Dès lors que les progrès de la médecine dans la préservation et le prolongement de la vie ont connu des avancées décisives, s'est posée la question des limites à poser aux pratiques de

6 « Ethiques de la fin de vie » Paula La Marne. Ellipses.1999.

«maintien de la vie». Le débat public sur ce sujet a amené la profession médicale, les philosophes et les théologiens à débattre du sujet de la qualité de la vie, et des droits pour un être humain de déterminer le moment où cette qualité s’est dégradée tant qu'il devient acceptable et licite de mettre un terme à son agonie et sa souffrance, et in fine amené les États à légiférer en ces matières, dans le cadre de l'arsenal législatif connu en France comme lois de bioéthique. Il est à noter que ce qui n’est pas éthique aujourd’hui pourrait l’être dans un futur proche, et inversement, puisque les lois bioéthiques sont appelées à être modifiées en 2009.

La volonté d’une mort digne se pose principalement au travers la pratique de l’euthanasie et des soins palliatifs.

1. L’euthanasie ou comment la science « donne » la mort

• Histoire et définition

Le mot euthanasie (gr: ευθανασία - ευ, bonne, θανατος, mort) est formé de deux éléments tirés du grec, le préfixe eu, « bien », et le mot thanatos, « mort »; il signifie donc littéralement bonne mort, c'est-à-dire mort dans de bonnes conditions. À l'origine, l'euthanasie désigne donc l'ensemble des moyens et recours permettant de soulager, d'abréger ou d'éviter l'agonie à une personne en fin de vie7. Ainsi, il apparaît que dès l’Antiquité, le terme oscille entre deux significations opposées, celle de mort douce8 et celle de suicide9, c’est-à-dire mort bonne sans être douce, jugé préférable à une mort plus pénible10.

Le mot a été inventé par l’homme d’Etat et philosophe anglais Francis Bacon11 (1561-1626), et apparaît dans un texte de 1605, The Advancement of Learning dont la forme

7 Le Trésor de la Langue Française (TLF) la définit comme une «mort douce, de laquelle la souffrance est absente, soit naturellement, soit par l'effet d'une thérapeutique dans un sommeil provoqué» et, presque dans les mêmes termes ; le Grand Robert de la langue française (GRLF) comme une «mort douce et sans souffrance, survenant naturellement ou grâce à l'emploi de substances calmantes ou stupéfiantes» ; Le Petit Larousse 2007 (PL07) enfin, s'attachant plutôt à une définition légale, la donne comme l’«acte d'un médecin qui provoque la mort d'un malade incurable pour abréger ses souffrances ou son agonie», et précise qu'il est «illégal dans la plupart des pays».

8 Le poète grec Cratinos (Ve s. av. J.-C.) emploie l’adverbe euthanatôs pour désigner aussi bien une belle mort qu’une mort douce. Chez Posidippe (vers 300 av. J.-C.), euthanasia signifie autant bonne mort que mort douce : l’homme ne désire rien de mieux qu’une mort douce » (Fragment 16). Suétone (63 av. J.-C., 14 apr. J.-C., Vie des douze Césars, « Auguste », 99) rapporte que l’empereur Auguste, expirant dans les bras de Livie, eut l’euthanasia (mort rapide et sans souffrance) qu’il avait toujours souhaitée. V. N. AUMONIER, B. BEIGNIER et P. LETELLIER, L’euthanasie, Que sais-je, PUF, 2006.9 L’historien grec Polybe prête au roi de Sparte Cléomène, après son échec militaire, le désir de se suicider pour trouver une mort belle et honorable (euthanatesai) plutôt que de tomber entre les mains de ses ennemis (Polybe(202-120 av. J.-C.), Histoires, V, 38, 9). Cicéron (106-43 av. J.-C.) paraît avoir souhaité une bonne mort (euthanasian) dont Atticus lui écrit qu’elle ressemblerait à une désertion (Lettres à Atticus, XVI, 7, 3). Flavius Joseph raconte l’histoire de ces quatre lépreux qui préfèrent avoir une mort « plus douce » en se rendant à l’ennemi pour périr égorgés, plutôt qu’en mourant d’inanition hors de la ville (Antiquités juives, IX, 4, 5). V. N. AUMONIER, B. BEIGNIER et P. LETELLIER, L’euthanasie, Que sais-je, PUF, 2006.10 N. AUMONIER, B. BEIGNIER et P. LETELLIER, L’euthanasie, Que sais-je, PUF, 2006. 11 On trouve cependant la première allusion à une « eu-thanasie » dans la Vie des douze Césars (cf. note 2) ; la seconde allusion est Thomas More.

définitive a été donnée en 162312. Il constate chez les médecins du XVIIème siècle, un total manque d’intérêt pour le traitement de la douleur. Il les invite à un effort de recherche en ce domaine, afin de permettre au malade d’échapper aux affres des derniers moments de la vie et de s’éteindre, l’heure venue, de manière « douce et paisible »13. On voit là la difficulté de cerner les notions puisque les frontières de l’euthanasie embrassent les contours de soins palliatifs.

« L'office du médecin n'est pas seulement de rétablir la santé, mais aussi d'adoucir les douleurs et souffrances attachées aux maladies ; et cela non pas seulement en tant que cet adoucissement de la douleur, considérée comme un symptôme périlleux, contribue et conduit à la convalescence, mais encore afin de procurer au malade, lorsqu'il n'y a plus d'espérance, une mort douce et paisible ; car ce n'est pas la moindre partie du bonheur que cette euthanasie [...]. Mais de notre temps les médecins [...], s'ils étaient jaloux de ne point manquer à leur devoir, ni par conséquent à l'humanité, et même d'apprendre leur art plus à fond, ils n'épargneraient aucun soin pour aider les agonisants à sortir de ce monde avec plus de douceur et de facilité14. Or, cette recherche sur l’euthanasie extérieure distincte de cette autre euthanasie, l’euthanasie intérieure qui a pour objet la préparation de l’âme, fait partie de ce qu’il faut souhaiter. »

Il est défini comme «mort heureuse» dans le Dictionnaire de Trévoux (éd. 1771), ce qui atteste de son emploi en français dès ce siècle.

Jusqu'à la fin du XIXe siècle, il garde ce sens d' « adoucissement de la mort », « mort arrivant en milieu de sommeil provoqué afin d’éviter une agonie douloureuse »15.

Dans une acception plus contemporaine et plus restreinte, celle retenue par le Petit Larousse, l'euthanasie est décrite comme une pratique visant à provoquer la mort d'un individu atteint d'une maladie incurable qui lui inflige des souffrances morales et/ou physiques intolérables, spécialement par un médecin ou sous son contrôle16.

On emploie aussi le mot pour désigner l'acte d'aider une personne qui le souhaite, et quelles que soient ses motivations, à mourir. Dans ce cas, les termes plus appropriés seraient plutôt l'aide au suicide ou le suicide assisté. Un autre usage abusif du mot est son application aux soins palliatifs, qui ne visent jamais à hâter le décès ou éviter le prolongement de l'agonie des patients même si, pour soulager la douleur, il arrive aux soignants d'user de doses d'analgésiques ou d'antalgiques risquant d'anticiper la mort.

Longtemps appliqué à des pratiques destinées aux seuls humains, le mot est désormais employé pour les autres espèces, et l'on parle alors d'euthanasie animale, effectuée dans

12 V. Patrick VERSPIEREN, « Euthanasie », in Encyclopedia universalis, t. 9, p. 113; N. AUMONIER, B. BEIGNIER et P. LETELLIER, L’euthanasie, Que sais-je, PUF, 2006.

13 T. MARMET (sous la coordination de.), Ethique et fin de vie, Pratiques du champ social, Eres, 1997.14 V. Francis Bacon, Du progrès et de la promotion des savoirs, livre II, partie 3, p. 150. Gallimard, 1991.15 C. AMBROSELLI, L’éthique médicale, « Que sais-je ? », n°2422, PUF, 1988, p.49.16 TLF : «Fait de donner délibérément la mort à un malade (généralement incurable ou qui souffre atrocement). Euthanasie agonique»; PL07 : «Euthanasie passive : acte d'un médecin qui laisse venir la mort d'un malade incurable sans acharnement thérapeutique» ; GRLF : «Usage des procédés qui permettent de hâter ou de provoquer la mort pour délivrer un malade incurable de souffrances extrêmes, ou pour tout motif d'ordre éthique».

l'intérêt supposé d'un animal ou de l'un groupe d'animaux, par opposition à l'abattage, effectué dans l'intérêt des humains17.

Le terme d'euthanasie a aussi été utilisé dans le cadre de certaine théories eugéniques de la première moitié du XXe siècle pour désigner le fait d'éliminer certaines populations jugées inaptes à la vie en société ou défavorables à la destinée du groupe social (malades mentaux, handicapés), notamment dans le programme nazi Aktion T4 mis en place par le national-socialiste du Troisième Reich en 1939, et qui s'inscrit dans le programme plus large d'hygiène raciale des nazis, dont l'achèvement est la «solution finale», l'élimination planifiée des juifs au premier chef, mais aussi des tsiganes et autres populations considérées indésirables à qui on donne la « grâce de la mort ».

Après la seconde guerre mondiale, le mot est principalement associé à son emploi de la première moitié du siècle, et à ce titre connoté négativement.

Ce n'est que dans la décennie 1970, et dans le cadre de la lutte contre ce qu'on commence à nommer acharnement thérapeutique que l'on revient à un emploi plus proche du sens initial, tout en lui ajoutant des acceptions nouvelles.

Le concept et la pratique de l'euthanasie ne sont pas un problème nouveau et ils ne sont pas aussi liés qu'on le croit souvent aux développements de la médecine moderne. Il suffit en effet d'être gravement malade pour que se pose cette question. L'euthanasie est donc un problème persistant dans lequel s'affrontent des idéologies de différents horizons.

En Grèce antique, le principe ne posait généralement pas de problèmes moraux : la conception dominante était qu'une mauvaise vie n'est pas digne d'être vécue, c'est pourquoi eugénisme (par exposition) et euthanasie ne pouvaient en général pas choquer.

Cependant certains, tel Hippocrate, avaient une conception autre des choses et, dans le serment qui porte son nom, il est interdit aux médecins toutes les formes d'aides au suicide:

« Je m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion ; semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif18. »

L'euthanasie a en outre été pratiquée par les Celtes, chez les Gaulois c'est "le dieu au maillet", Sucellos qui, semble-t-il, était le patron de ces pratiques. En Bretagne armoricaine, surtout dans le Vannetais, un « maillet bénit» (Mel Béniguet) a été utilisé jusqu'au début du XXème siècle pour achever ceux dont la mort s'éternisait sur la demande de la famille et sous l'autorité du prêtre et de quelques notables de la paroisse. L'utilisation du "Mel Béniguet" a été attesté à Guénin, Locmariaquer, Carnac, Guern ou encore Brec'h.

17 GRLF: «Le mot ne s'est employé qu'à propos des humains. Il s'est étendu aux animaux que l'on s'applique à faire mourir sans souffrance, ce qu'autorise l'étymologie»; PL07: «Acte comparable pratiqué par un vétérinaire sur un chien, un chat, etc.».18 En France, ce serment a été réactualisé en 1996 par le professeur Bernard Hoerni dans un sens plus libéral tenant compte des évolutions de la société, notamment en ce qui concerne le concept d'acharnement thérapeutique: «Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément».

• Typologie

Plusieurs formes d’euthanasie sont listées par les auteurs. Il est courant de distinguer l’euthanasie active de l’euthanasie passive.

L’euthanasie active désigne un acte volontaire administré par un tiers en vue d'abréger la vie du patient.

L’euthanasie passive consiste à cesser un traitement curatif ou à arrêter l'usage d'instruments ou de produits maintenant un patient en vie et se distingue de l'euthanasie active par le fait qu'on n'utilise aucun moyen hâtant sa mort. En pratique cependant, cette distinction est confuse. En effet, le crime peut être dissimulé. Plus radicalement, J. Rachels, dans l’article « Active and passive euthanasia », The New England Journal of Medicine, 9 janvier 1975, 292, 2,78-80), a montré que l’omission pouvait être tout aussi coupable que l’action19

D’autres distinctions sont parfois proposées. Par exemple celle de G.D. Lundberg : euthanasie passive, semi passive, active, accidentelle, suicidaire, active ; ou encore celle du Council on Ethical and Juridical Affairs de l’American Medical Association : euthanasie volontaire (lorsqu'un individu a la capacité mentale et physique de demander de l'aide pour mourir et qu'il le demande), non volontaire, involontaire (sans consentement du patient ou du tuteur), suicide assisté20.

Tant de distinctions pointent la complexité d’une définition de cette notion et de cette pratique.

• Législation et pratique judiciaire

La majorité des États ne reconnaît pas ou interdit l'euthanasie et les autres formes d'aide à la fin de vie, mais dans beaucoup d'entre eux, notamment en Europe et en Amérique du nord, il existe une tolérance implicite ou explicite à l'encontre de ces pratiques, pour autant qu'elles se déroulent dans un cadre réglementé.

L'euthanasie est autorisée, sous conditions, dans certains pays européens, comme la Belgique et les Pays-Bas, pour certains malades atteints de maladies incurables.

En Suisse, si l'euthanasie reste interdite, le suicide assisté est en revanche autorisé dans les mêmes conditions que pour les deux pays mentionnés, par le biais de l'association Exit Suisse. (Autres Associations : Exit International, Dignitas , La Chrysalide ...)

En France, si la loi réprime formellement l'euthanasie et le suicide assisté, entre 1998 et 2005 les textes réglementaires et législatifs ont cependant élargi les possibilités de cessation de l'acharnement thérapeutique et étendu les droits du malade « à une fin digne »; et dans la pratique judiciaire, la plupart des affaires ressortant de ces questions donnent le plus souvent lieu, depuis le début de la décennie 2000, à des non-lieux ou à des peines symboliques.

• Affaires judiciaires

19 N. AUMONIER, B. BEIGNIER et P. LETELLIER, L’euthanasie, Que sais-je, PUF, 2006.

20 P. LA MARNE, Ethiques de la fin de vie : acharnement thérapeutique, euthanasie, soins palliatifs, Ellipses, 1999.

De nombreuses affaires judiciaires ayant trait à l’euthanasie ont défrayé la chronique.

Le 15 mars 2007 en France, le jury des assises de la Dordogne a condamné le docteur Laurence Tramois à un an de prison avec sursis, et a acquitté l'infirmière Chantal Chanel. En 2003, le médecin avait prescrit et l'infirmière avait administré une injection mortelle de potassium à Mme Druais, 65 ans, une patiente atteinte d'un cancer du pancréas en phase terminale, elles étaient depuis accusées d'empoisonnement. Les juges et les jurés n'ont donc pas suivi totalement l'avocat général Yves Squercioni qui demandait des peines de principes plus lourdes : un an de prison avec sursis contre l'infirmière et deux ans de prison avec sursis contre le médecin. La défense avait plaidé l'acquittement en demandant aux jurés de mettre fin à "l'hypocrisie" entourant selon elle ce débat de société. Le ministère public souhaitait quant à lui des peines symboliques pour que soit rappelé le principe de droit qui interdit à un médecin de donner la mort.

En 2003, l'affaire Vincent Humbert, décédé en France (qui a d'ailleurs accéléré le processus de législation en France).

Au niveau européen, la Cour Européenne des Droits de l'Homme se montre très réticente à l'égard de l'euthanasie. On peut notamment le constater dans l'affaire Diane Pretty c. Royaume-Uni du 29 avril 2002, dans laquelle la Cour a refusé de reconnaître un quelconque "droit à la mort" par le biais de l'article 2 CEDH, consacrant le droit à la vie. En effet, pour la Cour, celui-ci ne saurait être interprété sans distorsion de langage de manière négative, c'est-à-dire comme conférant un droit diamétralement opposé, à savoir un droit à mourir. Il ne saurait davantage conférer un droit à l'autodétermination en ce sens qu'il donnerait à tout individu le droit de choisir la mort plutôt que la vie. En conséquence, il n'est pas possible de déduire de l'article 2 CEDH un droit à mourir, que ce soit de la main d'un tiers ou avec l'assistance d'une autorité publique.

• Euthanasie et religion

La tradition juive

Le judaïsme ne tolère l’euthanasie active en aucune circonstance. L’interdiction de tuer est l’une des interdictions les plus absolues de la Torah (sauf en cas de légitime défense)21. L’influence passive peut être autorisée sous certaines conditions. Le problème de fond est de savoir quelle est la limite exacte entre une passivité permise et une passivité qui provoque la mort ? Les décisionnaires sont unanimes à déclarer tout ce qui peut hâter la mort, même, selon certains, si c’est la compassion qui inspire ce geste22.

Islam

La décision du malade d’en finir avec sa propre vie ne peut être acceptée car « sa vie ne lui appartient pas ». Le moment de la mort est issu du seul décret de Dieu. Nul n’est autorisé à la devancer, ce qui suppose l’interdit du crime, du suicide mais aussi de l’euthanasie23. L’euthanasie est interdite juridiquement (shar’an), car elle correspond à un meurtre commis par le médecin, même lorsqu’il agit à la demande du patient, en ayant l’intention d’abréger sa 21 « Celui qui détruit une vie est comme s’il détruisait un monde entier » (Michna de Sanhédrin, 37 a).22 N. AUMONIER, B. BEIGNIER et P. LETELLIER, L’euthanasie, Que sais-je, PUF, 2006 ; T. MARMET (sous la coordination de.), Ethique et fin de vie, Pratiques du champ social, Eres, 1997.23 « Celui qui ôte une vie est considéré comme ayant tué l’humanité entière, celui qui sauve une vie est considéré comme ayant sauvé l’humanité entière » (S5, V32).

souffrance. Bien entendu le devoir du médecin est de soulager les patients et diminuer leur souffrance, mais sans pouvoir ôter la vie ou abréger les affres de la mort. Le Coran invite à la recherche mais dans le cadre d’une éthique bien définie. Le médecin ne peut pas être plus miséricordieux envers le patient que Dieu qui lui a donné la vie et qui la lui reprend dans les conditions qu’il veut. La seule chose permise est de laisser le patient mourir naturellement. Si l’islam interdit l’euthanasie, cela ne signifie pas qu’il soit favorable à l’acharnement thérapeutique ; il laisse le médecin à ses responsabilités et lui fait confiance quant à discerner les cas où il faut se battre jusqu’au bout et ceux dont l’issue fatale est inéluctable et où il convient de laisser se réalisé le destin en essayant d’assurer au malade une fin de vie paisible et une mort dans la dignité, sans l’accabler par des thérapeutiques agressives ou inutiles24.

Religion catholique

Pour le catholicisme, dont la doctrine à ce sujet a été explicitée par la lettre encyclique Evangelium vitae (L'Évangile de la vie) du pape Jean-Paul II en 1995, l'euthanasie est en opposition directe avec le 6e commandement : « Tu ne tueras point » (Exode XX/13). En conséquence, toute forme d'euthanasie est prohibée. « L’euthanasie est donc un crime qu’aucune loi humaine ne peut prétendre légitimer. Des lois de cette nature, non seulement ne créent aucune obligation pour la conscience, mais elles entraînent une obligation grave et précise de s’y opposer par l’objection de conscience » (Evangelium vitae, n°72-73)25.

Le Vatican a réaffirmé en septembre 2007 que l'alimentation des patients dans un "état végétatif" était "obligatoire", à propos du cas de Terri Schiavo, une américaine dans le coma pendant 15 ans et décédée en 2005 après que son alimentation eut été interrompue.

En revanche, l'acharnement thérapeutique est lui aussi refusé : « Il faut distinguer de l’euthanasie la décision de renoncer à ce qu’on appelle l’acharnement thérapeutique, c’est-à-dire à certaines interventions médicales qui ne conviennent plus à la situation réelle du malade, parce qu’elles sont désormais disproportionnées par rapport aux résultats que l’on pourrait espérer ou encore parce qu’elles sont trop lourdes pour lui et pour sa famille. Dans ces situations, lorsque la mort s’annonce imminente et inévitable, on peut en conscience renoncer à des traitements qui ne procureraient qu’un sursis précaire et pénible de la vie, sans interrompre pourtant les soins dus au malade en pareil cas » (Evangelium vitae, n° 6).

• Quid des arguments pour et contre l’euthanasie

De nombreux arguments sont avancés par les détracteurs de l’euthanasie :elle est interdite par de nombreuses religions: l'homme ne dispose pas de sa vie, c'est un don (christianisme et islam par exemple) ; les risque de dérapage sont souvent invoqués (pressions financières sur le malade à cause du coût élevé des soins pour les proches , pressions financières pour les plus pauvres, qui risquent de « préférer » mourir rapidement , pressions morales de la part des proches , difficulté de changer d'avis à partir d'un certain point (inconscience) , interférence fréquente entre les notions de souffrance du patient et de souffrance de l'entourage , idéal pour dissimuler un meurtre). les risques de dérive : eugénisme, sélection des individus par rapport à une conception de la vie bonne, par suite, cela pourrait devenir un instrument de domination sociale, sans compter les héritiers qui peuvent en profiter pour accélérer un héritage...Une partie des médecins estime que les

24 N. AUMONIER, B. BEIGNIER et P. LETELLIER, L’euthanasie, Que sais-je, PUF, 2006 ; T. MARMET (sous la coordination de.), Ethique et fin de vie, Pratiques du champ social, Eres, 1997.25 N. AUMONIER, B. BEIGNIER et P. LETELLIER, L’euthanasie, Que sais-je, PUF, 2006 

progrès en matière d'antidouleurs et de tranquillisants (soins palliatifs) rendent l'euthanasie inutile. De plus, l'incapacité de décider, la décision pouvant être prise par quelqu'un d'autre, reste au cœur du débat.

Les partisans de l’euthanasie ne manquent pas non plus d’arguments. Ils évoquent la valeur fondamentale qu'est la dignité humaine : les mourants dans les sociétés modernes sont abandonnés à l'hôpital et leurs souffrances sont peu prises en compte par les médecins ,une légalisation de l'euthanasie éviterait la clandestinité du geste, de fait, le geste étant encadré, évite aussi les dérives ; la maladie est socialement perçue comme une dégradation ; la maladie peut entraîner des altérations des facultés psychiques (raison et volonté en particulier) sur lesquelles reposent les valeurs morales de l'Occident ; l'euthanasie met fin à la souffrance ; l'Homme est seul titulaire des droits associé à son corps, seul maître de sa vie ; c'est la simple application de la liberté individuelle. Il doit être le seul à décider de ce qu'il veut faire de son corps mais aussi de son esprit, c’est-à-dire de ce qui fait qu'il existe en tant qu'Homme. Juridiquement, le corps humain, considéré comme une "chose sacrée", est un élément extrapatrimonial. Il ne peut donc être question de propriété de celui-ci. Ceci résulte des principes d'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes contenus dans le Code Civil (art. 16 et s.). D’autres arguments sont avancés: la liberté de choix du malade, qui sait mieux que quiconque ce qu'il désire. Cela permettrait aussi d'éviter l'acharnement thérapeutique régi et limité par la loi Kouchner du 4 mars 2002. La dépendance très importante ou totale de l'aide d'autrui, le sentiment d'inutilité sociale et la maladie, épreuve difficile à surmonter, pousseraient à admettre cette pratique.

La volonté d’euthanasie a créé le débat sur les conditions du mourir. Mais la mise en évidence des dangers ou des limites de cette position ont fait avancer la réflexion. Les soins palliatifs sont nés de cette critique.

2. Les soins palliatifs ou comment la science « accompagne » la mort

Les soins palliatifs sont des soins actifs délivrés dans une approche globale de la personne atteinte d'une maladie grave, évolutive ou terminale. L’objectif des soins palliatifs est de soulager les douleurs physiques et les autres symptômes, mais aussi de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle afin d'améliorer la qualité de vie des personnes.

Les soins palliatifs et l'accompagnement sont interdisciplinaires. Ils s'adressent au malade en tant que personne, à sa famille et à ses proches, à domicile ou en institution. La formation et le soutien des soignants et des bénévoles font partie de cette démarche.

Dans la délivrance des soins aux malades on distingue des soins curatifs, ayant comme objectif la guérison ou le maintien d'une fonction vitale défaillante en attendant la guérison, et des soins palliatifs qui ont comme objectif l'amélioration de la qualité de vie du patient par une prise en charge pluridisciplinaire.

Toutefois, des soins curatifs peuvent être dispensés aux patients en soins palliatifs. Ainsi, un traitement médical ou chirurgical, à visée curative peut être indiqué pour un patient en soins palliatifs.

Le traitement de la douleur, le traitement des symptômes inconfortables (nausées, constipation, anxiété...) sont des composantes essentielles de la phase palliative.

On distingue aussi les soins à visée préventive qui ont pour objectif de fournir à l'organisme par divers moyens, la possibilité de s'armer de façon efficace pour combattre les atteintes de la maladie et garder un état de santé optimal.

Enfin, il existe les soins de réhabilitation qui visent à faire retrouver à l'organisme et à sa physiologie un état de fonctionnement optimal.

Les soins palliatifs peuvent, et doivent être pratiqués par toutes les équipes soignantes spécialisées dans l'accompagnement des malades en fin de vie, aussi bien au domicile qu'en milieu hospitalier, il existe des situations complexes nécessitant l'intervention d'équipes de soins palliatifs (à caractère pluridisciplinaire).

En France, on distingue habituellement : les Unités de Soins Palliatifs où se gèrent des situations de phases terminales complexes ne pouvant se dérouler au domicile ou en milieu hospitalier traditionnel en raison notamment de la survenue de syndromes réfractaires, c’est-à-dire résistants aux traitements habituels, altérant la qualité de vie restante du malade ; les Équipes Mobiles de Soins Palliatifs qui interviennent soit au sein des services d'un même hôpital, soit au sein de plusieurs établissements, soit à domicile, pour venir appuyer et conseiller les équipes référentes dans la prise en charge de patients atteints de maladies graves et potentiellement mortelles. Elles n'ont pas vocation à se substituer à l'équipe soignante ; les Réseaux de maintien à domicile, sont chargés de coordonner l'action des soignants et des équipes mobiles prenant en charge un patient atteint d'une maladie grave et potentiellement mortelle ; d'autres structures comme par exemples les HAD, services d'Hospitalisation à domicile, ou des lits identifiés pour la pratique des soins palliatifs au sein d'un service, complètent l'ensemble de ces structures spécialisées « en soins palliatifs ».

Il existe un « mouvement en faveur des soins palliatifs ». Il s'agit de l'ensemble des valeurs portées par ce qu'on appelle « le mouvement des soins palliatifs » dont l'origine remonte aux pionnières anglo-saxonnes du « Saint Christopher Hospice » autour de Cicely Saunders. Le docteur Maurice Abiven (1924-2007), spécialiste de médecine interne, fut l'un des pionniers de la pratique des soins palliatifs en France et Charles-Henri Rapin, médecin gériatre suisse l'est dans le monde francophone de la gériatrie. Ce mouvement s'appuie sur des concepts éthiques faisant une large part à l'autonomie du malade, au refus de l'obstination déraisonnable ainsi qu'au refus de vouloir hâter la survenue de la mort.

Les partisans des soins palliatifs en tant que concept de prise en charge, sont donc opposés à l'euthanasie définie comme l'administration de substances à doses mortelles dans le but de provoquer la mort dans un objectif compassionnel. Un des points importants défendu par le mouvement des soins palliatifs est la place à reconnaître dans notre société à « celui qui meurt ». Pour le mouvement des soins palliatifs, il est important de se rappeler que la mort est un phénomène naturel de la vie.

Il existe de nombreuses définitions « officielles » des soins palliatifs: définition de la loi française (Juin 1999), définition de l'OMS, etc. En France, la nouvelle loi d'avril 2005 apporte un substrat juridique fort à ce système de valeurs.

On peut à titre d’exemple rappeler la position de l’Eglise à ce sujet : la Congrégation pour la doctrine de la foi a rappelé l’obligation d’alimenter et d’hydrater les malades en état végétatif, dans un document rendu public le 14 septembre 2007. Le Vatican répond à deux questions posées par les évêques américains à la suite de l'affaire Schiavo en 2005. Il dit oui à l’administration de nourriture et d’eau, « moralement obligatoire », mais non à la possibilité d’interrompre la nourriture et l’hydratation fournie par voies artificielles à un patient en état végétatif permanent.

Les soins palliatifs sont ainsi souvent invoqués comme une réponse à la demande d’euthanasie. Il a été montré que si les souffrances du malade sont prises en charge et soulagées, la demande d’euthanasie, souvent, s’éteint d’elle-même. Mais il est tout de même difficile de ne pas signaler que parfois, les pratiques palliatives peuvent comporter des échecs : certaines douleurs résistent à toutes les thérapeutiques antalgiques et surtout certaines souffrances morales sont irréductibles26. Le débat n’est donc pas clos.

Ainsi la science médicale joue un rôle dans l’accompagnement de la fin de vie, en la hâtant selon certains, en la laissant s’installer selon les autres, en la soulageant parfois ou du moins en essayant. Mais la science peut influer sur la mort en tout début de vie pour y mettre un terme, voir même avant la vie pour l’empêcher…c’est selon.

B’- La mort avant la vie

La question est de savoir si la science peut avoir une influence sur la mort avant même que la vie n’ait été donnée : cette formulation semble paradoxale, et peut être l’est –elle, mais c’est là tout le débat de l’avortement.

L'avortement se définit comme l'interruption avant son terme du processus de gestation, c'est-à-dire le développement qui commence à la conception par la fécondation d'un ovule par un spermatozoïde formant ainsi un œuf, se poursuit par la croissance de l'embryon, puis du fœtus, et qui s'achève normalement à terme par la naissance d'un nouvel individu de l'espèce.

L'avortement peut être spontané : on parle de fausse couche. Le terme médical de fausse couche s'applique quel que soit le terme de la grossesse du premier jour de la grossesse jusque la prise en charge médicale du fœtus. Avant 12 semaines d'aménorrhée c'est une fausse couche précoce et après cette période il s'agit d'une fausse couche tardive (la majorité des œufs fécondés ne sont pas viables dans des conditions normales et sont éliminés très rapidement par l'organisme). Aussi, la science n’intervenant pas dans ce type d’avortement, il ne fera pas l’objet de plus de développement.

La grossesse peut être interrompue volontairement sans raison médicale on parle alors d’interruption volontaire de grossesse (IVG). On emploie généralement cette expression pour désigner un acte effectué à la demande d'une femme non désireuse de sa grossesse. En France, l'avortement ne peut-être pratiqué qu'avant la 12ème semaine de grossesse, c'est-à-dire 14 semaines après le début des dernières règles. (1) 26 N. AUMONIER, B. BEIGNIER et P. LETELLIER, L’euthanasie, Que sais-je, PUF, 2006 

Enfin la grossesse peut être interrompue pour des raisons médicales tenant soit au fœtus soit à la femme enceinte. On parle dans ce cas d'interruption médicale (IMG) ou thérapeutique de grossesse (ITG). (2)

1. L’Interruption volontaire de grossesse

L'IVG est chez l'être humain, au-delà d'un phénomène physiologique concernant la femme enceinte et l'embryon ou le fœtus qu'elle porte, un phénomène social, touchant la cellule familiale et la société dans leurs valeurs morales. À ce titre, il n'y a rien d'étonnant qu'il soit sujet à controverse tant du point de vue juridique que religieux et philosophique. Le débat est spécialement vif car ce qui constitue l'un des pires crimes pour les uns (meurtre d'un être innocent et sans défense), représente un droit pour les autres (libre disposition de son corps, pour la femme).

Luc Boltanski27, sociologue français contemporain, note que, bien que l'avortement soit presque toujours réprouvé, toutes les sociétés ont développé et pratiquent des techniques abortives, le plus souvent en secret. L'avortement (ou l'infanticide du nouveau-né par "accident" simulé) apparaît en effet parfois comme une réponse "simple" ou "décente" à des grossesses hors mariage ou non désirées pour d'autres motifs.

L’Union soviétique fut l'un des premiers États modernes à reconnaître légalement le droit à l'IVG (en 1920) - durant une période limitée toutefois, Staline ayant en 1936 supprimé ce droit issu de la Révolution.

Chaque année il y a plus de 200 000 avortements en France, soit 14 IVG pour mille femmes de 15 à 49 ans. Dans les années 75-85 l'ordre de grandeur du taux avortement/naissances était de l'ordre de 33% en France, mais il a chuté depuis et se rapproche lentement de 25% dans les années 2000. Après le pic de 1982 la tendance est à une baisse régulière28. L'avortement clandestin est resté un phénomène significatif jusqu'en 1995, où il a commencé à régresser. Ce n'est qu'en 2003 que ces cas, jugés marginaux, ont disparu des statistiques officielles. Cette disparition très progressive montre que la dépénalisation de l'avortement ne suffit pas à le banaliser.

Le changement de régime de la natalité française est l'effet de la révolution sexuelle consécutive à la fin des années 1960: libéralisation des mœurs et généralisation de la régulation des naissances. Elle coïncide approximativement avec la dépénalisation de l'avortement de 1975, ce qui conduit certains opposants à l'avortement à lier les deux phénomènes (le déficit de naissance en France serait dû aux avortements pratiqués).

• Considérations éthiques ou religieuses relatives au droit à l'avortement

27 V. L. BOTANLSKI, La condition fœtale : Une sociologie de l'avortement et de l'engendrement, Gallimard, broché, essai, 2004.28 Source : INED (Institut National d’Etudes Démographiques)

Les partisans du droit à l'avortement considèrent souvent que sa pénalisation est immorale dans la mesure où elle conduit à des avortements clandestins, causes de fortes souffrances humaines, tant psychologiques que biologiques.

Cependant, pour les adversaires de l'avortement, qu’ils fondent leur position sur une approche religieuse ou non, le problème éthique est la défense de la dignité de l'être humain dès l'instant de la conception. La comparaison du nombre des victimes n'est pas un argument pertinent de ce point de vue, puisque la mortalité due aux avortements clandestins reste bien entendu inférieure au nombre d'avortements pratiqués. En outre, la dépénalisation de l'avortement ne supprime pas les souffrances psychologiques que peut subir la femme qui s'y décide29.

• Considérations éthiques ou religieuses relatives à l'acte d'avortement

Dans la plupart des sociétés humaines l'IVG est sujet à de violentes polémiques.

Il était traditionnellement interdit, pour différents motifs : maintien de rites familiaux : dans de nombreuses sociétés, les enfants s'occupent de l'esprit de leurs ancêtres après leur mort ; (notamment : tradition chinoise où l'avortement n'a jamais été illégal ni interdit mais était une décision familiale et/ou sociale à laquelle la femme ne participait pas mais qu'elle subissait uniquement), raisons démographiques : les gouvernements pensant que l'autorisation de l'avortement fait baisser le nombre de naissance, motifs religieux : la plupart des religions interdisent l'avortement car elles le considèrent comme une atteinte à la vie humaine (notamment les religions monothéistes, mais aussi les religions orientales) ; inégalité entre les sexes : l'homme ayant, ou aurait !, la primauté dans la décision d'avoir (ou non) un enfant, la femme se voyait refuser le droit de prendre la décision d'avorter. La découverte en 2006, par des chercheurs des Université de Yale et d’Oxford, que les premiers neurones apparaissent dès le 31e jour suivant la fertilisation a apporté un certain renfort aux opposants à l'IVG qui cherchent dans la science des éléments pour conforter leur position.

Les modifications sociales - affaiblissement de l'influence religieuse et de la sacralisation du processus procréatif, importance décroissante du nombre par rapport à la richesse pour les États, progrès médicaux, rapports sexuels chez les jeunes relativement plus précoces dans les pays occidentaux et plus tardifs dans les autres, mauvaise information sur les moyens de contraception, individualisme, affaiblissement du poids des traditions et égalité des droits entre l'homme et la femme - ont progressivement atténué l'interdit, puis permis une légalisation plus large (extension des cas concernés, allongement de la période légale…).

Sur le plan éthique, l'avortement soulève une question délicate sur la nature de l'embryon. Une incompréhension se manifeste en particulier entre ceux qui estiment qu'un embryon humain ne devient un être réellement humain et conscient que lors du début d'une activité cérébrale, et ceux qui pensent que l'humanité ne dépend pas de l'évolution de la personne mais est intrinsèque à sa nature humaine, dès la conception. D'un côté, l'avortement met fin à la vie de "quelque chose" de vivant, pouvant potentiellement donner un être humain, doté d'une identité génétique propre, et susceptible à terme d'acquérir l'ensemble des attributs humains. Un avortement n'a donc pas la même nature, par exemple, qu'une amputation. D'un autre côté, l'avortement porte sur un être précaire et inachevé, qui n'a aucune autonomie biologique 29 "Cette question est un piège. Personne n’est « pour » l’avortement. Avorter, ce n’est pas une partie de plaisir que l’on revendique en criant : « Vive l’avortement ! » On ne milite pas « pour l’avortement ». Mais « pour la légalisation de l’IVG » ou « pour le maintien de la loi permettant les IVG » dans les pays où l’IVG est déjà légale. La différence est énorme." in Site Internet : Les chiennes de garde (http://www.chiennesdegarde.org/article.php3?id_article=333&var_recherche=avortement)

réelle. Suivant les cultures, suivant les positions de chacun, on parle ou non de tuer une "personne" humaine en devenir.

En termes d'éthique, étant acceptée une interdiction de principe "tu ne tueras pas", ne faut-il faire aucune différence quand l'organisme concerné présente des différences d'autonomie d'une telle nature? Mais dans l'affirmative, où placer la limite, et pourquoi? La difficulté de cette question vient de ce que la nature de l'embryon change à la fois physiologiquement, mais en même temps continûment entre la conception et la naissance. Si tout le monde convient qu'à l'instant précédant l'accouchement on a affaire à un être humain à part entière, tandis qu'à l'instant avant la conception il n'y a que deux cellules appartenant aux parents, il existe dans cette période de neuf mois deux possibilités, soit l'humanité débute à l'instant de la conception, soit se présente un choix illimité de moments où fixer le début de la vie.

La difficulté du législateur est de trancher parmi toutes les positions possibles pour fixer un délai légal d'IVG, délai qui fait nécessairement des mécontents de part et d'autres. Les uns et les autres pouvant se réclamer de valeurs peu négociables (la vie humaine d'un côté, la liberté de l'autre). Cela explique que l'avortement soit depuis quelques décennies un sujet de controverse inépuisable.

En outre, la solution éthique ne peut pas faire l'économie d'une réflexion sur le drame que peut représenter le choix dans un sens ou dans l'autre, compte tenu des pressions sociales intenses qui s'entrecroisent sur la question.

D'un point de vue légal, la solution conduit à définir une limite précise au statut d'un embryon, autorisant l'avortement en-deçà, et en le condamnant éventuellement au-delà. La plupart des pays du monde ayant des législations différentes et variables avec le temps, on peut en conclure que cette limite n'a pas été trouvée, la science ne pouvant pas, ou difficilement, apporter une réponse.

• Avortement et religions

Les religions ou philosophies posant l'hypothèse des réincarnations sont assez neutres sur le sujet, tandis que celles qui considèrent que la vie est unique (et donc spécialement sacrée), comme le catholicisme, expriment davantage de réserves, voire une condamnation. Cependant, parmi ces dernières, la plupart n'ont pas une position unanime sur le problème de l'avortement - ou du moins ne l'expriment pas avec autant de force.

Bouddhisme

Le bouddhisme considère que l'existence, bhava, commence à l'instant de la conception. Il interdit donc généralement l'avortement puisqu'il supprime une vie. Il reconnaît cependant qu'il existe des situations qui le justifient. La définition exacte de ces situations est généralement reconnue comme un problème social qui sort du cadre de la philosophie bouddhiste.

Catholicisme

S'appuyant notamment sur Tertullien qui affirme au IIème siècle: Il est déjà un homme celui qui doit le devenir (Homo est qui futurus est, Apologeticum, 9, 6-8), dès le concile d'Elvire vers l'an 300, l'Église catholique punit l’interruption de grossesse d'excommunication, quel

que soit le stade de développement du fœtus. Toutefois, la question de savoir à quel moment le fœtus doit être considéré comme entièrement humain (ce qui rend l'avortement condamnable au même titre qu'un meurtre) a été longuement débattue.

Au Concile de Vienne en 1312, « l’Eglise Catholique a exclu tout dualisme entre le corps et l’âme dans la nature humaine, niant ainsi la préexistence de l’âme avant le corps ; il faut les deux pour constituer un être humain, l’âme animant le corps. Toutefois le Concile n’a pas précisé à quel stade du développement humain avait lieu cette union de l’âme et du corps ». La thèse de l'animation médiate (c'est à dire différée), qui avait la faveur de Saint Thomas d'Aquin, parait être la plus répandue chez les pères conciliaires mais elle n'est pas rendue « de fide », c'est à dire engageant la foi. Le Concile de Trente (1563), ne prend lui non plus pas partie quand à la date de l'animation du fœtus. Cependant, l'avortement n'est pas condamné en tant que meurtre sur un être humain, mais à cause du respect dû à l'embryon dès sa conception, que sa nature entièrement humaine soit réalisée ou non.

En 1679, Innocent XI confirme que la condamnation de l'avortement est indépendante des controverses théologiques sur la date d'« animation » de l'âme. Ensuite, les différents papes reviendront à de nombreuses reprises sur ce sujet sensible. La bulle effraenantum de Sixte V en 1588 fait de tout avortement un crime méritant excommunication. Elle fut annulée par son successeur Grégoire XIV trois ans plus tard en raison des abus provoqués par une application trop stricte de la sentence.

C'est à partir de la fin du XIXe siècle que la papauté favorise la thèse de « l'animation immédiate » définissant que l'être humain existe dès la conception, par la lettre Apostolicae Sedis de Pie IX en 1869. Pour autant, si la condamnation de l'avortement est renforcée par cette thèse, celle-ci n'est pas « de fide ». Casti connubii de Pie XI en 1930, Humanae Vitae de Paul VI en 1968, et enfin Evangelium vitae de Jean-Paul II en 1995 vont répéter cette condamnation absolue de l'avortement provoqué.

Aujourd'hui, dans l'Église catholique30, « qui procure un avortement encourt l'excommunication latae sententiae », c'est-à-dire d'une exclusion automatique du simple fait que l'acte ait été commis, sans que l'autorité cléricale ait à se prononcer. On peut noter que cette forme d'excommunication, provoquée par l'acte même (ce n'est pas une juridiction ecclésiastique qui décide d'excommunier) est rarissime pour les laïcs (la plupart des cas recensés dans le droit canon concerne les clercs), ce qui montre bien la force de l'interdit pour l'Église catholique.

Bien que le magistère semble avoir tranché définitivement la question, une thèse subsiste chez certains théologiens « libéraux » dans le cas où la grossesse entraîne un risque de mort pour la mère : ils considèrent qu'une « légitime défense » peut être alors moralement acceptable. Leurs contradicteurs rappellent quant à eux l'incertitude du pronostic médical.

L'Eglise entend porter un jugement sévère sur l'acte lui-même et non pas condamner la personne, ce que montre sa recommandation sur l'accueil pastoral qui doit être réservé aux femmes ayant avorté : elle souligne que cet acte, qu'elle considère très grave, est traumatisant pour la personne qui l'a vécu, qui doit donc du fait même être accompagnée avec une sollicitude toute particulière. D'autre part, l'Église affirme que l'avortement résulte souvent

30 Voir la position officielle de l'Eglise catholique romaine (http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_19741118_declaration-abortion_fr.html)

d'une pression sociale31, contre laquelle il convient de lutter par des actions sociales adaptées (éducation à la responsabilité sexuelle, centre d'accueil pour mères en détresse).

En revanche, l'Église condamne sévèrement les membres du corps médical procédant à l'avortement (et ce, même dans le cas de prescription de médicament abortif — par exemple la « pilule du lendemain ») en les excommuniant. Ceci s'applique également aux hommes politiques qui défendent l'avortement.

Islam

L'islam prohibe l'avortement mais cet interdit est plus ou moins sévère suivant les circonstances et l'état de développement du fœtus. L'interdiction est absolue après 120 jours de grossesse (insufflation de l'âme réelle). Hormis pour l'école malékite, l'avortement peut être admis avant les 120 jours en cas de grande nécessité reconnue (malformation du fœtus, danger vital pour la femme enceinte, viol, femme handicapée ne pouvant assurer l'éducation de l'enfant).

Judaïsme

L'avortement n'est pas explicitement mentionné dans les commandements de la Torah. Cependant, certaines de ses dispositions concernent la vie fœtale, directement ou non. La disposition la plus sévère est liée à l'interdiction de tuer. Cette interdiction est directe dans le cas où la halakha considère que le fœtus est un être vivant, mais les sources talmudiques ne sont pas univoques ni même claires à ce sujet (par exemple, Rachi semble indiquer qu'un fœtus n'est pas nécessairement un être humain). Pour ce qui est des autres dispositions, le respect généralement dû à la vie humaine (manifeste dans l'interdiction de blesser ou de détruire la semence humaine) conduit également à argumenter contre l'avortement. De ce fait, cet acte est généralement considéré comme "contraire à la loi", et réprouvé en conséquence. Cependant, le Talmud ne considère qu'un fœtus ne soit formé qu'après quarante et un jours, un avortement avant ce délai est donc considéré moins sévèrement.

La loi juive autorise l'avortement si le fœtus constitue une menace directe pour l'intégrité de la femme enceinte. Les limites de cette menace sont cependant très discutées. La Mishna (Oh 7,6) dit explicitement que l'on doit sacrifier le fœtus pour sauver la mère, parce que la vie de la mère a priorité sur celle de l'enfant qui n'est pas né. Par suite, la plupart des autorités rabbiniques autorisent l'avortement en cas de menace vitale pour la femme, mais d'autres étendent cet avis au cas du risque d'aggravation d'une maladie physique ou psychique de la mère. Pour certains rabbins cette menace peut même être étendue au cas d'adultère, voire aux grossesses extraconjugales du fait de l'atteinte grave à l'honneur qu'elles entraînent.

Dans leur immense majorité (on peut citer l'exception du rabbin Eliezer Waldenberg), les autorités juives ne reconnaissent pas les infirmités du fœtus comme une indication de l'interruption de la grossesse. Rav Moshe Feinstein interdisaient ainsi les diagnostics prénatals qui entraînent les parents à demander une action abortive.

31 Voir l'encyclique "Evangelium vitae". (http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_25031995_evangelium-vitae_fr.html)

Église orthodoxe

Les Églises orthodoxes des sept conciles se réfèrent au canon 91 du concile Quinisexte de 692 : « Les femmes qui procurent les remèdes abortifs et celles qui absorbent les poisons à faire tuer l'enfant qu'elles portent, nous les soumettons à la peine canonique du meurtrier ».

En général elles reconnaissent que certains cas extrêmes, comme un danger de mort pour la femme enceinte, peuvent justifier un acte abortif. C'est alors à la femme de prendre cette décision. La position des Églises orthodoxes rejoint, sur le plan de la morale, celle du catholicisme.

Protestantisme

Les Églises protestantes historiques (presbytérienne, épiscopalienne, méthodiste…) adoptent des positions variées. L'avortement est une question éthique, et les protestants considèrent le plus souvent qu'en matière de morale, c'est à chacun de prendre ses responsabilités face à Dieu. Ils acceptent généralement l'avortement en cas de grave danger pour la femme enceinte, et ne condamnent pas formellement les autres cas. Ainsi par exemple, la Fédération des Églises protestantes de la Suisse a soutenu la révision du code pénal donnant aux femmes le droit de décider librement sur l'interruption d'une grossesse dans les 12 premières semaines. Les Églises évangéliques interdisent fermement l'avortement.

• Aspects légaux

Le débat juridique traduit directement le problème éthique. Le droit inaliénable de tout individu à la vie est un élément constitutif de la société civile, qui participe à la définition de la nature humaine. Dans la pratique, le droit doit poser des limites entre ceux qui sont effectivement reconnus comme individus et "le reste". Ainsi, « le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi »32, mais la Cour Européenne des Droits de l'Homme a considéré que « en l'absence d'un consensus européen sur la définition scientifique et juridique des débuts de la vie, le point de départ du droit à la vie relevait de la marge d'appréciation que la Cour estime généralement devoir être reconnue aux Etats dans ce domaine »33.

Dans le droit moderne, la solution est généralement que le nouveau-né n'acquiert sa personnalité juridique qu'à la naissance et à condition de naître « vivant et viable ». Avant sa naissance, il n'est donc pas une personne. C'est un "objet juridique" éventuellement porteur de droits privés ou publics. C'est pour cette raison que la Cour de cassation en France a rejeté à plusieurs reprises la qualification d'homicide (qui suppose la mort d'une personne humaine) quand un embryon meurt suite à un accident.

La libéralisation de l'avortement (limité à un certain avancement de la grossesse) résulte initialement de la prise en compte de la situation de "la femme enceinte que son état place dans une situation de détresse" (art. 317-1). Il conduit à une "dépénalisation", c’est-à-dire que la situation de détresse est considérée comme un mal objectif, plus grave que la fin de la grossesse, et que la société ne doit pas sanctionner l'acte qui y met fin.

La notion de "droit à l'avortement", en revanche va plus loin. Elle revient à considérer que l'embryon n'a pas à bénéficier d'une protection particulière, parce que la femme enceinte doit

32 Article 2 CEDH 33 CEDH, 8 juillet 2004, aff. Vo c/France ; C-53924/00

pouvoir choisir en toute liberté de conduire ou non à terme sa grossesse, sans avoir à justifier de ses raisons.

Le droit français dispose que l'enfant à naître doit être considéré comme né chaque fois que cela va dans son intérêt, ce qui semble constituer un empêchement à la reconnaissance d'un tel droit, alors que la première approche semble plus compatible.

L'approche par la dépénalisation conduit à entourer l'avortement d'entretiens psychologiques et de formalités diverses, destinées à assurer que l'avortement demandé n'est pas "de simple convenance". En pratique, ce filtre s'avère d’un formalisme peu pertinent : dès lors qu'une "dépénalisation" est inscrite dans la loi, elle revient en pratique à un "droit à l'avortement", aux procédures administratives près.

Dans la majorité des pays européens, l'interruption volontaire de grossesse peut être légalement pratiquée dans les dix à douze premières semaines d'aménorrhée (vingt-et-une aux Pays-Bas) alors qu'il n'y a pas de limite légale à l'interruption médicale de grossesse. D'un point de vue médical, il n'est pas possible de définir une « bonne » durée, le choix est fondamentalement politique.

En Europe, certains pays comme l'Irlande ou Malte n'autorisent pas l'IVG, ce qui peut être rapproché de l'importance de la population catholique dans ces pays. Il n'y a pas de position commune en Europe.

Le 11 février 2007, un référendum sur la question au Portugal conduit à 60% en faveur d'une dépénalisation, mais avec une participation inférieure au 50% requis pour que ce résultat soit juridiquement contraignant.

France

En France, l'avortement a longtemps été pénalisé, passible des travaux forcés à perpétuité, voire de la peine de mort (Marie-Louise Giraud, dite « la faiseuse d'anges », avorteuse pendant la guerre, a été guillotinée le 30 juillet 1943).

La dépénalisation de l'avortement et l'encadrement légal de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) se firent en 1975, à l'époque où Simone Veil était ministre de la Santé du Gouvernement Chirac sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing.

Cette décision arrivait après un mouvement mené dans les débuts des années 1970 par les mouvements féministes, qui se fondaient sur plusieurs arguments : le droit à l'avortement relevait du droit à disposer de son corps, les IVG clandestines se déroulaient dans des conditions sanitaires préoccupantes, l'accès à la contraception était insuffisant.

En 1972, le procès de Bobigny, où fut jugée une jeune fille mineure qui avait avorté après un viol, devient un procès politique autour de l'avortement, qui suscite de larges débats et aboutit à l'acquittement de la prévenue.

La loi n° 75-17, du 17 janvier 1975, relative à l'interruption volontaire de grossesse34 posa deux formes d'interruption de grossesse (avant la fin de la dixième semaine et thérapeutique).

34 JO, 18 janvier 1975, p.739

Elle fut confirmée par la loi n° 79-1204, du 31 décembre 1979, relative à l'interruption volontaire de grossesse35.

La dernière tentative pour limiter l'impact de cette loi sur l'avortement échoua devant le Conseil d'État le 31 octobre 198036. Madame Lahache avait subi un avortement sans en informer son mari. Ce dernier avait attaqué devant le Conseil d'Etat l'administration hospitalière qui l'avait pratiqué, estimant que son avis était requis pour autoriser cet acte, d'autant que sa femme n'était pas, selon lui, dans une situation de détresse. Le Conseil d'État a statué comme suit: « les articles L162-1 à L162-11 du code de la santé publique permettent à toute femme enceinte qui s'estime placée par son état dans une situation de détresse et qui s'est soumise aux consultations prévues par certains de ces articles d'obtenir l'interruption de la grossesse avant la fin de la 10ème semaine. Si, d'après le dernier alinéa de l'article L162-4, "chaque fois que cela est possible, le couple participe à la consultation et à la décision à prendre", il ressort de ce texte, éclairé par les travaux préparatoires de la loi, que cette disposition, qui présente un caractère purement facultatif, n'a ni pour objet, ni pour effet de priver la femme majeure du droit d'apprécier elle-même si sa situation justifie l'interruption de sa grossesse. »

L'avortement est remboursé par la Sécurité sociale depuis la loi du 31 décembre 1982. La période légale pendant laquelle une femme peut pratiquer de sa seule volonté une interruption de grossesse avait été initialement fixée aux dix premières semaines de grossesse, soit douze semaines d'aménorrhée. La loi n° 2001-588, du 4 juillet 2001, relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception37 allongea la période de dix à douze semaines de grossesse. En revanche, l'avortement pour motif thérapeutique peut être pratiqué au-delà du délai des douze premières semaines et jusqu'au dernier moment de la gestation.

Jusqu'à la promulgation du nouveau Code pénal en 1994, le droit français connaissait l'infraction d'avortement. Ainsi, jusqu'à cette date, l'interruption légale de grossesse était comprise juridiquement comme une dérogation à un délit. La loi de 1975 n'avait créé qu’un fait justificatif qui permettait d'éviter les poursuites pénales. Désormais, l'interruption volontaire de grossesse est défendue comme un droit, voire une liberté pour la femme dans la limite des douze premières semaines de gestation (12 semaines de grossesse, soit 14 semaines d'aménorrhée). À l'appui de cette analyse, on relève fréquemment que le nouveau Code pénal et le Code de la santé publique posent une série d'infractions qui ont pour finalité la protection de l'avortement légalement organisé. Cependant, la législation maintient le principe que l'avortement n'est ouvert qu'à la femme enceinte qui estime que son état place dans une situation de détresse. Sont prohibées les interruptions de grossesse pratiquées sans le consentement de l'intéressée, les interruptions de grossesse pratiquées en violation des règles posées par le Code de la santé publique.

La loi n° 93-121, du 27 janvier 1993, portant diverses mesures d'ordre social, a introduit dans le Code de la santé publique l'infraction d'entrave aux opérations d'interruption de grossesse.

La loi du 2 juillet 2004 a autorisé l'utilisation du RU 486 pour un avortement médicamenteux chez le médecin de ville et depuis 2007 l'IVG médicamenteuse peut être délivrée dans les Centres de Planification et d'Education Familiale (CPEF).

35 JO, 1er janvier 1980, p.336 CE, 31 oct. 1980, Lahache, n° 13028, http://www.rajf.org/article.php3?id_article=113437 JO, 7 juillet 2001, p.10823

Le Serment d'Hippocrate prêté par tout médecin interdisait l'avortement ("je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif") ; il dut pour cette raison être réformé en 1996.

• Quelques positions sur l’avortement à l’étranger

Canada

Actuellement, les lois sur l'avortement au Canada sont parmi les moins restrictives au monde. La section du Code criminel du Canada traitant de l'avortement a été supprimée par la décision de la Cour suprême dans la cause R. c. Morgentaler (1988), établissant que la restriction sur l'IVG allait à l'encontre du droit de la sécurité de la personne garanti aux femmes par la Charte canadienne des droits et libertés.

Dans le cas de R. c. Morgentaler (1993), la Cour a également annulé les restrictions sur l'IVG relevant des provinces. Actuellement, l'IVG sur demande est légale partout au Canada, bien que certaines provinces en restreignent la disponibilité par le biais de distribution de services ou de ressources, notamment au Nouveau-Brunswick.

Au Québec, il arrive que l'État distribue des feuillets aux citoyens concernant le remboursement gratuit d'une ou de plusieurs IVG. Le programme de remboursement est aujourd'hui estimé à 13 millions de dollars pour 40 000 femmes. À l'exception de quelques ghettos afro-américains et hispaniques américains, le peuple québécois a le taux d'IVG le plus élevé en Occident.

Suisse La Suisse a été parmi les premiers pays à autoriser l'interruption de grossesse si la vie ou la santé de la mère était en danger, en 1942. Après avoir interprété le terme de santé strictement au sens de santé physique, la jurisprudence élargit son interprétation à la santé psychique au cours des années 70 et la pratique s'est peu à peu libéralisée. En 2002, le peuple a accepté en votation populaire (par 72% de oui) une nouvelle législation dite régime du délai qui permet l'interruption volontaire de la grossesse dans les 12 premières semaines d’aménorrhée.

Belgique Pour être légale, l'IVG doit être pratiquée avant la 12ème semaine de grossesse (ou 14 semaines d'aménorrhée). Les conditions suivantes doivent être respectées: la femme doit présenter un état de détresse reconnu par un médecin (cet état n'est pas défini par la loi); l'interruption doit être pratiqué par un médecin; des informations sur les alternatives possibles à l’avortement doivent être à disposition de la patiente; un délai de 6 jours doit être respecté entre le premier contact et le jour de l’avortement38. Concernant les mineures, la loi n'impose aucun accord parental.

Notons également qu'aucun médecin ou personnel médical (y compris les étudiants) n'est obligé de participer à une IVG si cela va à l'encontre de ses convictions personnelles. Cependant, le médecin est obligé, le cas échéant, d'adresser la patiente vers un centre ou un médecin qui pourra accéder à sa demande.

38 Concernant le dernier point la jurisprudence reconnaît qu'il n'est pas toujours possible à respecter en cas d'urgence.

Au dessus de 14 semaines d'aménorrhée, l'interruption thérapeutique de grossesse est possible en cas de risque pour la santé de la mère ou de l'enfant.

États-Unis d'Amérique

La conclusion de l'arrêt Roe v. Wade de la Cour suprême en 1973, fut que le droit d'une femme à l'avortement concerne le droit à la vie privée protégé par le 14ème amendement.

L'avortement est autorisé dans tous les États, jusqu'en 2005, dans les conditions suivantes : jusqu'à la fin du premier trimestre, la décision de l'avortement est laissée au jugement de la femme enceinte. Au cours du second trimestre, l'État, ayant comme objectif la santé de la femme enceinte peut, éventuellement, réguler cet avortement de façon raisonnable relativement à la santé "maternelle".

Selon l'institut Guttmacher, un organisme américain spécialisé, cité par Le Monde du 1er novembre 2005, 1 290 000 de femmes ont subi une IVG en 2002 aux États-Unis, soit un taux proche de 5 pour mille, qui est un des plus forts des pays riches. 67% d'entre eux concernent des femmes non mariées. Le nombre de femmes ayant avorté est passé de 30 % dans les années 80 à 21 %, mais reste néanmoins un des plus forts des pays riches. Ce taux serait dû à des difficultés grandissantes dans l'accès à la contraception, alors que le gouvernement promeut l'abstinence.

Depuis 1992, la Cour suprême a reconnu aux États la possibilité d'apporter des restrictions aux modalités d'avortement. 487 lois ont été adoptées pour réduire sa portée, ainsi des notifications parentales sont exigées dans 33 états. Le juge Samuel Alito préconisait même une notification à l'époux.

Si Roe v. Wade devait être déjugé et les états libres d'autoriser ou non l'IVG, 21 pourraient de nouveau la bannir. Certains disent que les restrictions y sont parfois déjà si élevées que la situation n'en serait guère changée dans la pratique.

Le 7 novembre 2006, la proposition d'interdire l'IVG dans le Dakota du Sud a été rejetée par les citoyens39.

Mexique Alors que l'IVG est pénalisée dans toute l'Amérique du Sud (sauf Cuba et Guyana), la province de Mexico a voté le 24 avril 2007 l'autorisation de l'IVG jusqu'à 12 semaines (et plus en cas de danger pour la santé de la mère, de viol ou de malformation du foetus)40.

39 « Le Dakota du Sud rejette l'interdiction totale de l'avortement », Libération, 08 novembre 2006. http://www.liberation.fr/actualite/monde/215788.FR.php.

40 « Au Mexique, l’avortement est autorisé dans la capitale », L’Humanité, 26 avril 2007. http://www.huma-

nite.fr/2007-04-26_International_Au-Mexique-l-avortement-est-autorise-dans-la-capitale.

2. L’Interruption médicale de grossesse

L'interruption médicale de grossesse (IMG) peut être indiquée lorsque la grossesse met gravement en danger la vie de la mère ou lorsque le fœtus est atteint d'une maladie grave incurable au moment du diagnostic. Elle est possible en France à tout âge de la grossesse jusqu'au terme de la grossesse

En France, "La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie" (art. L 2211-1 du code de la santé publique).

En revanche, le fœtus n'a, aux yeux de la loi française, aucune existence en tant que « personne ». Ce n'est qu'à la naissance, s’il naît vivant et viable, qu'il obtient le statut de personne et acquiert ainsi la personnalité juridique. La loi française permet de causer la mort d'un fœtus in utero par des techniques médicales (quand cet acte est licite), puis de déclencher l'accouchement sur un fœtus mort, sans s'exposer au crime d'assassinat.

Les termes de la loi Veil Pelletier (en particulier l'article 162-12 du Code de la santé publique) forment un cadre délibérément peu « directif », en accord avec l'état des connaissances de l'époque (1979), laissant un important degré d'interprétation médicale. Les modalités pratiques de « l'interruption médicale de grossesse » ont été depuis précisées, entre autres, par l'article 13 de la loi 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, qui énonce que : « En outre, si l'interruption de grossesse est envisagée au motif qu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic, l'un de ces deux médecins doit exercer son activité dans un centre de diagnostic prénatal pluridisciplinaire ».

• Indications :

Toute maladie maternelle, dont l'évolution peut être gravement perturbée par une grossesse, même normale, peut être indication à une IMG. Ces indications sont rares aujourd'hui : pathologie cardiaque grave, avec risque de décompensation cardiaque durant la grossesse ; pathologie cancéreuse, où le retard de traitement occasionné par la grossesse peut être gravement préjudiciable à la survie maternelle ; pathologie psychiatrique, lorsque la grossesse entraîne la décompensation d'une névrose préexistante avec risque suicidaire.

Dans ces cas de pathologies maternelles, l'avis de deux médecins experts est requis (l'un expert de la pathologie maternelle et l'autre, si possible, membre d'un centre de diagnostic anténatal).

Une IMG peut être indiquée pour tout risque important de pathologie fœtale grave, reconnue comme incurable au moment du diagnostic : malformation d'un organe fonctionnel létale à plus ou moins brève échéance (agénésie rénale, hypoplasie pulmonaire, extrême prématurité inéluctable) ; atteinte cérébrale ou nerveuse risquant d'entraîner un déficit neurologique grave (hydrocéphalie, agénésie de diverses régions cérébrales, atteinte infectieuse cérébrale) ; anomalie chromosomique avec déficit intellectuel ; autres malformations ou maladies fœtales entraînant une qualité de vie gravement perturbée.

Dans ces situations, l'avis des parents est prépondérant. Après consultations auprès de plusieurs spécialistes concernés (obstétricien, chirurgien infantile, neuro-pédiatre, cardio-pédiatre, généticien, psychiatre...), le couple formule une demande, qui est examinée par un centre de diagnostic anténatal pluridisciplinaire. Le centre de diagnostic anténatal rend alors un avis (favorable ou défavorable) sur l'IMG.

• Aspects moraux

Les aspects moraux de l'IMG sont multiples et continuent de faire couler beaucoup d'encre...

En elle-même, la notion de « risque » de malformation grave est très subjective, chaque couple étant libre de choisir le risque qu'il accepte de courir pour avoir un enfant (toute grossesse étant de toute façon une prise de risque). Le centre de diagnostic anténatal doit apprécier en conscience si le risque théorique justifie ou non d'interrompre la grossesse.

La notion de « qualité de vie inacceptable » est elle aussi très subjective. On peut comprendre par exemple qu'un couple de pianiste vivrait comme un terrible handicap l'agénésie d'une main chez leur enfant. Là encore, la mission du centre de diagnostic anténatal est de « replacer » cette qualité de vie dans un sens général.

La notion de « handicap mental » est entièrement soumise à l'idée que s'en fait la société. On peut se demander comment serait ressentie par cette société le handicap de la Trisomie 21, par exemple, si les structures de prise en charge de tels enfants étaient plus développés, avec une réelle volonté d'intégrer dans la société des individus au quotient intellectuel certes inférieur à la normale, mais heureux de vivre avec.

De plus, certains s’interrogent sur la moralité d’un tel acte puisqu’ « une seconde avant » la naissance prévue de l’enfant, la mère peut décider de mettre un terme à sa grossesse, alors qu’ « une seconde après », cet acte serait qualifié d’infanticide et puni comme tel.

Enfin, bien que les conditions pour accorder une IMG sont très strictes, le risque de dérive eugénique est souvent évoqué : l'idée actuelle d'« enfant unique parfait » fait craindre des excès.

3. L’Eugénisme

L'eugénisme désigne la volonté d'améliorer l'espèce humaine. Ce souhait, qui existe depuis l'antiquité peut se traduire par une politique volontariste d'éradication des caractères jugés handicapants ou de favorisation des caractères jugés « bénéfiques ». Par exemple, à Sparte l'eugénisme a longtemps été pratiqué : les enfants nés malades ou faibles étaient tués dès la naissance ainsi que les handicapés mentaux et physiques. De cette manière, seuls les plus « forts » subsistaient et pouvaient se reproduire.

On peut distinguer l'eugénisme, pratique humaine, sociale et collective, de la préoccupation individuelle généralisée (chez l'homme et chez les animaux) d'assurer à ses enfants le « meilleur » co-reproducteur (quoique « meilleur » puisse signifier : taille des cornes, couleurs des plumes, ou étendue du patrimoine ou de la culture, etc.), ainsi que de la pratique qui consiste à favoriser le plus prometteur de ses enfants. Ces stratégies ne se préoccupent pas du devenir de l'espèce humaine, mais seulement de l'avenir de ses propres enfants ou de sa

famille. Néanmoins, les méthodes et les buts, une fois sommés sur l'ensemble des individus, sont bien les mêmes.

L'eugénisme plus strict qui serait régi par une société pose de sérieuses questions éthiques car il implique une sélection portant nécessairement une part de subjectivité et une part de contrainte (envers les individus écartés ou à l'égard des individus incités à se reproduire, voire à se reproduire avec telle personne et nulle autre).

En outre, l'histoire du XXème  siècle a fourni des exemples de graves dérives morales associées aux politiques eugéniques (programme Aktion T4).L'"Eugénisme est la direction propre à l'évolution humaine": Logo du Second International Congress of Eugenics, 1921, décrivant l'eugénisme comme un arbre dont le tronc est crée à partir des différents champs de connaissances de l'humanité.

• Histoire du terme « eugénisme »

L'étymologie du mot « eugénisme » est grecque : eu (« bien ») et gennân (« engendrer »), ce qui signifie littéralement « bien naître ». La signification du terme eugénisme a évoluée depuis sa première utilisation. Le terme eugénisme est dérivé du terme eugénique. Le terme (the eugenics) a été popularisé par le psychologue et physiologiste anglais, Francis Galton, demi-cousin de Charles Darwin par le biais d'Erasmus Darwin.

En 1883, Francis Galton (ne connaissant pas les travaux de Gregor Mendel sur la transmission des caractères héréditaires) écrivit un ouvrage utilisant pour la première fois le terme the eugenics. À l'époque, Galton ne faisait pas la distinction entre : l'amélioration génétique des humains par sélection de caractères héréditaires jugés souhaitables et/ou élimination des caractères jugés indésirables et ; l'amélioration des individus par des interventions portant sur leurs conditions de vie.

Cette absence de séparation nette entre aspect génétique et aspect social ne s'est dissipée que progressivement.

En 1936, Julian Huxley définit l'eugénique comme l'ensemble des méthodes visant à améliorer les races humaines. Son objectif est de compenser sur le long terme l'effet anti sélectif des systèmes sociaux et politiques des pays développés. À cette époque, le terme d'eugénique semble avoir eu une définition beaucoup plus sociale que génétique. (Voir la malencontreuse terminologie "Darwinisme social".)

Le principe initial défini par Galton était directement en rapport avec l'enseignement et les travaux de Darwin, lui-même très influencé par Malthus. Les mécanismes de la sélection naturelle sont contrecarrés par la civilisation humaine. En effet, un des objectifs de la civilisation est d'une certaine façon d'aider les défavorisés, donc de s'opposer à la sélection naturelle qui entraînerait la disparition des plus faibles. Mathématiquement et si les conditions de survie restent identiques entre toutes les époques (c'est ce point qui est largement contestable), la perte d'efficacité liée à la protection de la civilisation pourrait entraîner une augmentation progressive du nombre d'individus inadaptés. Les partisans de l'eugénisme ont donc proposé des compensations de ces effets au sein des sociétés dites évoluées.

Les principes de l'eugénisme sont posés sur cette conception de base : compenser la perte des mécanismes de sélection naturelle. Cette conception a inspiré plusieurs philosophies, théories et pratiques sociales.

Un humaniste comme Jean Rostand a mis en garde dans son ouvrage Pensées d'un biologiste contre le fait qu'une société qui prendrait sérieusement en mains la question de l'eugénisme pourrait bien s'assurer un avantage décisif sur les autres.

• Interprétations de l'eugénisme

La conception darwinienne n'a pas été reçue de la même façon dans tous les pays. Ainsi la France, par exemple, est restée longtemps réticente aux idées darwiniennes car marquée par le lamarckisme et influencée par la position de l'Église Catholique.

La théorie de Lamarck est réfutée depuis la découverte de la génétique. Il est cependant intéressant de faire un bref rappel.

Pour Lamarck, le moteur de l'évolution reposait surtout sur l'hérédité de caractères acquis, favorisant la descendance d'individus ayant fait l'effort de s'adapter. Selon Lamarck, l'amélioration des races humaines passe par conséquent par l'amélioration des conditions de vie, de façon à ce que la modification de son environnement améliore à terme la qualité de l'homme futur. Cet eugénisme là - qui fut aussi raciste parfois - a constitué la position eugéniste dominante en France, ainsi qu'une incitation - hélas ici bien inutile, puisque les caractères acquis ne se transmettent pas - à la pratique du sport.

Pour Darwin, le moteur de l'évolution reposait sur la sélection naturelle éliminant les individus les moins adaptés à la survie et ne favorisant que les plus aptes à la reproduction (y compris dans le fait de séduire un partenaire et de prendre soin de la progéniture) ; prudent, toutefois, Darwin expliqua aussi dans L'Origine des espèces que sa théorie restait compatible avec une éventuelle transmission de caractères acquis.

• De bonnes intentions, des moyens discutables, un but incertain

Selon ses défenseurs, l'eugénisme visait à assurer une humanité plus adaptée, donc en principe plus heureuse. Ce n'est donc pas sa fin en elle-même qui a été critiquable, mais bien souvent les moyens choisis. Si le diabète, l'hémophilie et d'autres maladies héréditaires venaient à être éliminées par thérapie génique, tout le monde en serait ravi ; cette forme d'eugénisme ne pose pas les difficultés de sa variante du XIXe et XXe siècles, périodes où les moyens utilisés avaient dépassé les bornes autorisées par nos propres valeurs.

Mais quid de l'orientation à choisir, même par des moyens licites ?

Par exemple, au XVIIIe siècle, on aurait pu vouloir favoriser l'émergence d'hommes robustes capables surtout d'une grande endurance pour devenir portefaix ou travailleurs de force. L'eugénisme aurait ici augmenté le nombre des inadaptés.

Le XIXe siècle aurait favorisé sans doute l'apparition d'un autre type d'humain : l'employé aux écritures à la mode de Dickens, capable d'additionner douze heures par jour de longues colonnes de chiffres sans se fatiguer ni se tromper. Quel emploi la deuxième moitié du XXe siècle, où un ordinateur faisait le même travail en un temps bien plus court, aurait-elle pu

trouver pour un type d'homme n'ayant que ces qualités-là à offrir ? L'eugénisme aurait là encore augmenté le nombre des inadaptés. Et dans les deux cas en moins de six générations.

« Nous devons éviter que nos jolis objectifs deviennent les geôliers de nos enfants », disait Myron Tribus (« We should ensure that our goals do not become their gaols », avec un jeu de mots entre goals/buts et gaols/geoles ).

Bien plus que les moyens employés, qui peuvent dans certains cas être irréprochables, c'est probablement là que se trouve la principale impasse de l'eugénisme. Même lorsque celui-ci s'attache à autre chose qu'à la simple élimination - en observant une stricte éthique - des maladies héréditaires. Car, dans certains cas particuliers, ce qui est une maladie peut être, aussi, un facteur de survie : que l'on repense par exemple à la célèbre drépanocytose, maladie héréditaire qui permet de résister au paludisme.

La variété et le nombre (la biodiversité) représentent autant d'opportunités possibles d'adaptation des systèmes vivants à des conditions futures inconnues, et donc à la survie de l'espèce. L'élimination systématique de tous les caractères jugés handicapants ou superflus à un moment donné pourrait parfaitement abréger la durée de vie d'une lignée... Les sélectionneurs de races animales, qui le savent, prennent soin de conserver (sous forme de paillettes de sperme congelées, par exemple, ou sous forme d'information : c'est l'un des enjeux du séquençage génétique) les caractères que par ailleurs ils éliminent dans les animaux de production. Ils savent qu'un demi-siècle peut s'intéresser à la seule quantité, et par exemple le demi-siècle suivant au contraire à des qualités gustatives, etc.

Mais grâce à cet exemple, on peut considérer qu'il suffirait de conserver certains caractères, tout en les supprimant de l'humanité présente, pour les réintroduire à l'avenir si le besoin s'en faisait sentir. Une telle pratique eugénique permettrait à l'humanité de maîtriser son adaptabilité et son évolution. Les auteurs de science-fiction et de politique-fiction s'interrogent néanmoins sur le sens que les eugénistes donnent au mot « bénéfique » : pour les individus, ou simplement pour l'État ?

• France

La question de l'eugénisme est traitée par le code pénal, dans le Sous-titre II du Titre I du Livre II, intitulée « Des crimes contre l'espèce humaine » :

Article L 214-1 : « Le fait de mettre en œuvre une pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est puni de trente ans de réclusion criminelle et de 7 500 000 euros d’amende ».

Article L 214-3 : « Cette peine est portée à la réclusion criminelle à perpétuité et de 7 500 000 euros d’amende lorsqu’elles sont commises en bande organisée »

À l'Assemblée nationale, le scrutin n° 167 sur l’ensemble du projet de loi relatif à la bioéthique, a été adopté avec modifications en deuxième lecture séance du mardi 8 juin 2004 (310 votants, 304 suffrages exprimés, 187 pour, 117 contre).

Cependant, aussi claire qu'elle paraisse, la position française est en pratique bien plus ambiguë, si on considère les obligations de dépistage (visites prénatales obligatoires) et les facilités légales ainsi que l'encouragement à l'avortement lorsque l'enfant à naître présente des

malformations (IMG) : ne s'agit-il pas manifestement de pratiques eugénistes, qui ne posent pas de problèmes sociaux ?

• Pays anglo-saxons, germaniques ou nordiques

Des programmes de stérilisations contraintes furent mis en place en Suède, en Suisse et aux États-Unis pendant l'entre-deux-guerres. La plupart des pays protestants furent touchés, à l'exception de la Grande-Bretagne, où cependant Herbert George Wells et Winston Churchill déploraient que la politique eugéniste ne soit pas développée (cette controverse est rapportée dans le livre de Matt Ridley : Génome.)

• Japon Showa

Lors de la phase de l'expansionnisme du Japon Showa, les gouvernements nippons successifs mirent en place des mesures visant la stérilisation des handicapés mentaux et des "déviants", dont notamment une Loi nationale sur l'Eugénisme, promulguée en 1940 par le gouvernement Konoe.

En vertu de la Loi Eugénique de Protection (1948), la stérilisation pouvait être imposée aux criminels "avec des prédispositions génétiques au crime", aux patients souffrant de maladies génétiques comme l'hémophilie, l'albinisme, l'ichthyosis, et de maladies mentales comme la schizophrénie, la maniaco-dépression et l'épilepsie.

D'autre part, les Lois sur la Prévention de la Lèpre de 1907, 1931 et 1953, la dernière n'étant abolie qu'en 1996, permettaient l'internement des malades dans des sanatorium où l'avortement et la stérilisation étaient monnaies courante. En vertu de l'ordonnance coloniale coréenne de prévention de la lèpre, les malades coréens pouvaient aussi être soumis à des travaux forcés.

• Ailleurs en Asie

Des pays comme la Chine ou Singapour ont lancé depuis le milieu des années 1990 une politique d'eugénisme franchement affirmée visant à favoriser les naissances dans les milieux urbains aisés et à les limiter dans les milieux ruraux défavorisés. Les experts locaux ont précisé que « des ressources humaines de qualité » étaient nécessaires à la modernisation du pays mais que les tendances présentes laissaient présager une « qualité de population moindre ».

• Allemagne nazie41

Jusqu'en 1933, l'eugénisme était considéré comme une technique de l'arsenal scientifique. Il s'agissait d'améliorer telles ou telles souches humaines à travers le contrôle de la reproduction. À travers l'eugénisme, les scientifiques espéraient éliminer les pathologies héréditaires (on parle d'eugénisme médical) ainsi que les déviances sociales qui pourraient avoir une origine héréditaire, par exemple la criminalité là où celle-ci se révèlerait congénitale.

Une politique eugéniste particulière propre à l'Allemagne nazie s'est mise en place dès 1933. Elle consistait d'une part à favoriser la fécondité des humains considérés comme supérieurs. (Politique pro-nataliste, soutien familial, pouponnières, lebensborn ...) ; d'autre part à prévenir 41 V. article: « L'Eugénisme sous le nazisme » (http://fr.wikipedia.org/wiki/L'Eugénisme_sous_le_nazisme).

la reproduction des humains considérés comme génétiquement déficients (diabétiques, myopes, etc.) et de ceux considérés comme inférieurs ou mentalement non désirables (les criminels, arriérés mentaux, etc.).

L'Allemagne a cherché à lutter contre l'avortement pour les femmes considérées comme supérieures, alors que dans le même temps la circulaire secrète de 1934 autorisait l'avortement pour les femmes devant être ultérieurement stérilisées. Le décret secret de 1940 a été encore plus loin en rendant obligatoire l'avortement pour les femmes « inférieures ». 200 000 femmes furent ainsi stérilisées jusqu'en 1945.

Un autre exemple est celui de l'homosexualité, considérée par cette mouvance comme une maladie. L'Allemagne eugéniste proposait aux homosexuels le choix entre la castration volontaire ou la mise en camps de concentration.

Avant même l'arrivée d'Hitler au pouvoir, une majorité de scientifiques et d'hommes politiques étaient favorables à l'eugénisme. La loi de 1934 portant sur la stérilisation eugénique s'est mise en place à l'aide de la participation active du docteur Gütt (médecin haut fonctionnaire), de Falk Ruttke (juriste) et Ernst Rüdin (psychiatre génétique suisse). Cette loi impose la stérilisation obligatoire pour les malades atteints de neuf maladies considérées comme héréditaires ou congénitales (cécité, alcoolémie, schizophrénie...). On estime que 400 000 allemands ont été stérilisés entre 1934 et 1945. Ces stérilisations ont fait l'objet d'un quasi consensus dans la communauté médicale allemande.

D'autres pratiques, hors cadre légal, ont été utilisées pour éliminer les personnes indésirables, camps de concentration pour les alcooliques, criminels, délinquants, asociaux divers, castration des criminels sexuels et homosexuels, stérilisation des enfants métis nés de mères allemandes et pères africains, nord africains, indochinois de l'armée d'occupation française, extermination des tziganes et des juifs.

L'eugénisme allemand et ses variantes suédoise et états-unienne n'étaient pas des actes isolés de pervers, mais au contraire le résultat d'une politique d'élimination systématique, basée sur des techniques « scientifiques », et organisée par l'administration.

Il est également intéressant de noter que cette forme d'eugénisme avait remis en avant une notion déjà considérée mythique : celle de « race aryenne » ; les anthropologues de l'époque parlaient plutôt de race nordique ou de race alpine.

En définitive, certes la science peut être le bras droit de l’homme pour repousser les limites de la vie, voire de la mort, reste à savoir si la main qu’elle lui tend ne le pousse pas vers les bas fonds les plus pervers.

BIBLIOGRAPHIE

Dictionnaires :

Le Grand Robert de la langue française Le Petit Larousse 2007

Le Trésor de la Langue Française

Ouvrages :

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champ social, Eres, MOUTEL Grégoire, « Les éléments du corps humain, la personne et la médecine »

Emmanuelle Grand, Christian Hervé, L'harmattan. THOMAS Jean-Paul, « A quoi sert la bioéthique ? », Les petites pommes du savoir THOMAS Louis - Vincent, La mort, Que sais-je, PUF, 5ème édition, 2004.

Sites Internet :

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http://www.ined.fr http://www.inserm.fr http://www.legifrance.fr « Le Dakota du Sud rejette l'interdiction totale de l'avortement », Libération, 08 no-

vembre 2006, http://www.liberation.fr/actualite/monde/215788.FR.php Arrêt Lahache: Conseil d’Etat, 31 octobre 1980, n° 13028, http://www.rajf.org/ar-

ticle.php3?id_article=1134 La position officielle de l'Eglise catholique romaine : http://www.vatican.va/

roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_19741118_declara-tion-abortion_fr.html

L’encyclique Evangelium vitae : http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/en-cyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_25031995_evangelium-vitae_fr.html

http://www.wikipedia.com (encyclopédie en ligne) « L'eugénisme sous le nazisme », http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Eug%C3%A9-

nisme_sous_le_nazisme