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Lector universitar ANA MARIA BURI-A,N

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Page 3: Moyen Age et Renaissance en France.pdf

TEHNOREDACTARE, COpERTA, MACI{ETARE $r TIPARTRE

MIHAILMDA

Lucrarea se adreseazd studenlilor de la Facultatea de Litere Si

$tiinye, seclia Englezd - Francezd.. Ea inglobeazd primele doud, mari

perloade ale culturii Si civilizaliei franceze: Ewl mediu gi Renasterea.

Fiecare din aceste perioade este prezentatd atdt sub aspect istoric c6t sicultural. Capitolele cupind etapele cele mai importante ale acestor

perioade precum Si autorii reprezentativi. Prezentarea autorilor este

realizatd tn manierd tradilionald cu aspecte semnificative din viala lor,

considerate de autoare necesare pentru ilustrarea operelor literare.

Lucrarea se constituie ca un punct de plecare tn abordarea temelor

de llteraturd francezd Si poate interesa nu numai pe studenyii cdrara le

este destinatd dar Si pe iubitorii de literarurd.

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2. LESCHANSONSDEGESTE

5. FRANQOIS VLLON

6. LA LITTERATURD SATIRIQUE ET DIDACTIQUE.....

6.1. LaroEsmsernpur....6. t. 1. LwTabl*ax)........,',...'.'.'..6.1.2. Le Roman de Renart.....

.............................. 17

,..33

6,2, Le lrrrEnerunn DIDAcrreuE............... .....38

7, LETHfATREDUMOYENAGE

Page 5: Moyen Age et Renaissance en France.pdf

9. LARENAISSANCE

10.r.

II.

12.

13.

13.1 .

13,2.IJ.J.

13.4.

AGRTPPA D,AUBIGNE

FfiArveOIS RABELAIS............ .....,....................... 63

L'(EUVRE DE RABELAIS

GARcAr\l"ruA (1 534) ..........

LES IDfES DE RABELAIS

LE TERS LIVRE (l 546)...................LE QUARr LIvRr ( I 552).................LE CNOUENTE LIVRE ( 1 564-FOSTflUME)

65

66

71

75L4.

14.1.

14.2.

14.3.

r5.

16.

14.4. LAJusrrcE.......,......,

RABELAIS PENSEUR,....... .,...,79

L'ART DE RABELAIS .............................. 81

17. MICHELDEMONTAIGNE,..,.

19. L',ARTISTE............-...

20. LA POESIE DE LA R8NAISSANCE................,.

20.1. CriunNrMmor(1496-1544)........

101

101

21.

2t.1.2t.2.21..3.

21.4.21.5.21.6.21.7.21.8.

PTERRE DE RONSAf,,D (1524.1585)...,................---

LEs ODES...

LEs AMouRs

LA kANcrADE..LEs AMouRs D'HEI}r.IB-1578...,....

111

112... I 13

113LEs HYMNES...... ...............,....., I l3LEs DlscouRs ... ,...... 114

................................. I 14

............... Lt4LA poEsts DE RoNSARD................................ ................... I 15

23. A}INEXES .....-...119

Page 6: Moyen Age et Renaissance en France.pdf

I.. LE MOYEN AGE

- Pr6sentation g6n6rale -1.1. Qu'est.ce que c'est le Moyen Age?

On appelle Moyen Age 1a pdriode historique qui s'6tend du V-0me sibcleh la fin du XV'bme sidcle. Elle commence lors de l'effondrement de l'Europeromaine d'Occident (476) et prend fin lors des guerres d'Italie.

Le Moyen Age des lettres frangaises embrasse pratiquement XII'Eme,XIII'Bme, XfV'Eme et XV'Eme sidcle. Avant 1100, en effet, les texres litt6rairesen frangais sont rares et isol6s. Puis, brusquement, les Guvres foisonnent: leXII-Eme et le XIII'Bme siBcle sont un dge de grande cr6ation, oil naissent enparticulier chansons de geste, romans, podsies lyriques, fablidux, divertissementsdramatiques. Les deux siBcles suivants, boulvers6s par la guerre 6trangbre et lesluttes intdrieures, sont sans doute moins brillants; mais l'6lan de la p6riodepr6c6dente n'est pas arr6t6: les genres litt6raires modernes se coustituent ou sed6veloppent: histoire, th60tre, roman et nouvelle.

1.2. Repbreshistoriques

Au milieu de I'anarchie barbare Clovis cr6a le royaume franc. Laconversion au catholicisme, €vdnement ddcisif de l'histoire nationalo, lui permetde s'appuyer, dans sa conquEte sur I'autorit6 des 6v0ques, C'est lui qui va donnerla loi salique (la mise par 6crit en langue latine du droit coutumier franc qui vacohabiter avec la loi romaine). Ses successeurs, les Mdrovingiens, abandonnentle gouvernement aux maires du palais. Et 732 l'un de ces maires, CharlesMartel, r6ussit tr arr6ter les Arabes d Poitiers.' Pdpin le Bref, son fils, fut'le fondateur de la dynastie carolingienne. Sonfils Charlemagne est couronnd empereur d'Occident, h Rome, par le pape m6me(800). C'est un souverain 6nergique, un protecteur des lettres, son rdgnereprdsente un moment d'6clat et d'6quilibre dans l'histoire mddidvale. A la mortde Charlemagne (814) le d6membrement du pays se poursuit. Les petits fils del'empereur se partagent son royaume (843 Traite de Verdun). La partieoccidentale de 1'ancienne Gaule porta, depuis lors, le nom de France.

Quand les Capdtiens arrivent au pouvoir, un nouveau type de relationspolitiques et sociales, s'est lentement mis en place: c'est la f6odalitd. Par lac6r€monie de I'hommage, un petit seigneur jure fid6tt6'i un seigneur plusimportant: son suzerain. Le suzerain doit protection et entretien au vassal, il luidonne une terre, un fief. Le vassal doit aide et fiddlitd au suzerain. L,e roi est Iesuzerain supr6me.

Les Capdtiens rendent la monarchie h6rdditaire. A partir de 1096 lachevalerie frangaise se lance dans les grandes exp6ditions militaires qui furent lescroisades. En novembre 1095 le pape Urbain I[ demande aux chevaliers deprendre Ia route de Jdrusalem pour d6livrer le tombeau du Christ (le pdlerin qui

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ddlivrera le Saint-S6pulcre sera lav6 de ses pdch6s). Commencde dansI'enthousiasme de la foi, la premibre croisade s'achBve par un massacre. Elle atoutefois atteint son but: libdrer le tombeau du christ. sept autres croisadessuivront au XII-Eme et aux XIIIdme sibcle. Plus qu'une aventure militaire, lescroisades rdpondent i une soifde pdleriaage. Elles permettent aux foules passivesdepuis des sibcles d'0tre acteurs de I'histoire. Les croisades eurent, pour laFrance, des cons6quences 6conomiques, sociales et politiques extdmementimportantes.

L'apog6e cap6tienne est marqu6e par lauis ,fX dit Saint Louis. Ilddveloppe plus qu'aucun de ses prdd6cesseurs le sentiment de respect du au roi.TrEs conscient de sa souverainet6, il s'emploie i la renforcer. Il donne i ses sujetsla possibilitd de faire appel i la justice royale et affirme ainsi sa primaut6 sur lesjustices seigneuriales. L'image du roi rendant la justice assis sous un chOne dansles bois de vincennes est dans toutes les mdmoires. Saint Louis ordonned'abandonner le jugement de Dieu, de rechercher des preuves raisonnables parenquOte, audition des tdmoins. I1 veut une justice 6gale pour tous et surveille lesjustices seigneuriales dont il r6prime les abus: ainsi il n'h6site pas b arr0ter, hjuger, i condamner lourdement le sire de Coucy qui avait fait ex6cuter, aprBsprocls, trois jeunes gens qui avaient chass6 sur ses terres. Saint Louis d6veloppeaussi les procddures d'appel. Roi trEs pieux, il imite le Christ dans sa viequotidienne: il visite les l6preux, lave les pieds des pauvres, fonde des hospices.Il pratique le jetne et I'abstinence. I1 fait deux croisades et meurt en martyredevant Tunis emport6 par le typhus "i 3 heures de I'aprBs-midi, comme J6susChrist" note Joinville, son chroniqueur. Son rdgne voit I'achbvement de grandescathddrales gothiques: Reims, Chartes, Amiens. Il est canonisd en 1927.

Entour6 de ses conseillers, les "l6gistes royaux", nourris de droit romain,Philippe N le Bel organise l'administration royale. Une cour d'appel centrale, leParlement, 6tend son rayonnement jusqu'aux frontibres du royaume. Il convoqueles premiers Etats g6neraux; pergoit des taxes sur le clerg6, s'attaque au puissantordre des Templiers. (*l)

Au XII-bme et au XIII-bme sidcle le pays connaft la prosp6rit6dconomique i laquelle s'ajoute I'essor de la pens6e, des lettres et des arts. LaFrance offre I l'Europe le modble d'une civilisation raffin6e qu'on voudra inviterdans tous les pays de l'Occident. Les villes s'enrichissent et deviennentpuissantes; elles r6clament des libertds politiques et des franchises juridiques. Labourgeoisie, classe montante, commence i s'affirmer sur le plan social et culturel.

Malheureusement aux XIV-Eme et XV-dme sibcle /a guerre de Cent Ans(1337 - 1453) bouleverse tout. Au ddchirement territorial - la plus grande partiedu royaume subit l'occupation anglaise - s'ajoute une indicible ddtresse morale.Les d6faites de I'armde frangaise se succMent sans intemrption; Cr6cy (1346),Poitiers (1356), calais (1347), Azincourt (1415). Les grands fdodaux sonr divis6sen factions rurales et, parfois, ils pactisent avec l'ennemi. l,e trait6 de Troyes(1420) reconnatt Henri V, roi d'Angleterre, r6gent de France.

10

Jeanne d'Arc, une simple berghre, regroupe les courages et sauve laFrance. Elle d6livre Orl6ans et fait sacrer Charles VII tr Reirns (1429). Mais,livrde aux Anglais par les bourgeois, ddclar6e h6r6tique et sorcibre, elle est br0l6evive, i R.ouen en 1431. C6ldbre h6roihe nationale, personnalitd trbs attachante, laPucelle d'Od6ans sera 6voqu6e entre autres par Christine de Pisan et FrangoisVillon, par Schiller, Michelet, Ch. P6guy, G. B. Shaw, P" Claudel, A. Honnegeret derniBrement par J. Anouilh.

En 1453 les Anglais ne cont6lent plus en France que Calais. Aucuntrait6 de paix n'est signd mais la Guerre de Cent Ans est termin6e.

La fin du Moyen Age c'est aussi l'6poque du grand schisme (1387 -1417), aboutissement des longs combats entre les rois et les papes. Une peste

terrible ravage la France et I'Europe (consid6r6e par certains comme un ch0timentdivin, Ia peste noire a fait plus de victimes que n'en fera toute la guerre de CentAns).

I-es souffrances de ces grandes 6preuves se refldtent dans les crdationsplastiques et litt6raires. Le "path6tique" domine presque toutes les productions deI'esprit.

1.3. La pensde du Moyen Age

Dans les conditions du r6gime f6odal la conception du monde dominanteest dualiste. Ce dualisme suppose I'existence de deux r6alit65:'une rdalitdnaturelle et une autre surnaturelle. On retrouve li encore, un reflit du systEmehi6rarchique qui caract6rise la Moyen Age car le monde naturel est subordonn6au surnaturel et le corps de I'homme, soumis h la pourriture, est infdrieur i l'dmeimmortelle. L'Eglise enseigne donc le m6pris de la vie teffestre. Il est 6vident que

cette conception, qui domine tout le Moyen Age, est gtosse de cons6quence carelle empBche les efforts de l'homme en vue d'am6liorer son existence.

Au d6but du Moyen Age les 6coles 6piscopales et monacales dtaient lesseuls foyers de culture. L'Ecole de Chartres, le grand centre sCientifique duXII-dme sidcle complEte les 6tudes m6di6vales traditionnelles par les "sept artslib6raux" (grammaire et rh6torique - arts du langage, dialectique, art deraisonnernent, arithm6tique, gdomdhie, astronomie, musique). Les arts lib6rauxtransmettent des m6thodes et des formes d'expression qui vont jouer un r6led6terminant dans la formation des mentalitds modernes.

L'enseignement universitaire, dont les d6buts se placent vers le XII -bmesiBcle, garde aussi un caractbre thdologique. Err 1257 le thdologien Robert de

Sorbon fonde le colldge qui porte son nom, la Sorbonne.l,a scolastique, ce couant dominant de la philosophie m6di6vale

enseignde dans les 6coles, se dEveloppe surtout au XII-dme siEcle, La thdologiescolastique a ftouvd son expression la plus concrEte dans les euwes de Thomasd'Aquin (1225 - 1274).

A partir du XII-dme siEcle on peut parler d'une v6ritable rdvolution dans

le domaine de la culture m6di6vale car un souffle nouveau semble lui redonnerdes forces.

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r

A l'6poque, les scieuces connaissent d6ji un grand essor dans les paysarabes. Parmi les textes qui cornmencent d jeter le doute dans I'esprit despenseurs europdens i l'6gard de la conception th6ologique du mondo on compteles dcrits d'Averroes, le grand philosophe et savant arabe qui a d6velopp6 les6l6ments mat6rialistes de la philosophie d'Aristote, en d6montrant que lemouvement et la matiBre sont 6ternels.

Les id6es hardies de Ia culture antique, p6nbtrent en Franee surtout parf interm6diaire des textes arabes. On d6couvre les mathdmatiques avec Euclide, lam6decine avec Hippocrate et la logique et l'6thique d'Aristote.

Pleinernent consciente du danger que pourrrit prdsenter' le commentairedes ouvrages de I'antiquit6 grecque, I'Eglise interdit trbs t6t leur lecture. En ddpitde ce fait le Moyen Age n'ignorait pas la culfure des Grecs et des Latins. Despenseurs tel que Pierre Ab6lard (1079 - 1142) ou Alain de,Lille (1128 - 12OZ)s'abreuvent aux sources de la culrure antique. Les doctrines aristot6liciennestrouvaient, elles aussi, toujours plus d'adeptes parmi les intellectuels; l'Eglise esteffectivement assaillie par une "hdr6sie multiforme" car les doctrines h6r6tiquesgagnent aussi les masses. Le pape se voit oblig€ d'envoyer en France des"inquisiteurs" chargds de faile des enqu6tes sur la "perversitd h6r6tique".L'Inquisition fut 6tablie d'abord i Toulouse (1231) puis dans le Nord de laFrance.

Les forces de production peu d6velopp6es, le retard scientifique etculturel expliquent le rOIe dominant de I'iddologie religieuse dans la soci6tdfdodale ainsi que la croyance aux pratiques superstitieuses.

1,4. Les Arts

1.4.1. LArchitecture.L'architecture tient au Moyen Age le premier rang des qrts. A partir du

IX-bme sibcle on 6lBve en France toujours plus de ch6.teaux-forts et d'6glises.Llart rornan est nd i la fin du X-Bme siEcle. La sculpture est surtout

ornementale, les statues m€me s'ins€rant dans la structure architecturale. LesthBmes des chapiteaux romans, orn6s d'une faune et d'une flore souvent irr6ellessont d'une extraordinaire diversit6. C'est le bestiaire romain qui illustre le mieuxcette imagination ddbordante qui ajoute aux animaux connus des monstres6tranges, thEme obsessionnel, reflbtent l'angoisse du monde de I'au-deld; Lesmurs de toutes les 6glises romares dtaient .couveits de peinfures, Celles-citrahissent une influence byzantine trds nette. Elles reprdsentent des figrrreshumaines tres peu individualisdes, des visages 6maci6s aux grands yeux ovales,attitudes rigides, corps soigneusement cach6s sous d'amples v6tements. Lepeinfe ne s'int6resse nullement tr la perspective, il ne connalt pas les troisdimensions, Le paysage, qui n'apparait que trbs rarement, est toujourssch6matique.

A partir du XIV-dme siBcle on voit se ddvelopper en F'rance unearchitecture nouvelle qui s'6panouit jusqu'au XVI-dme sibcle. il n'y a pas derupture entre I'architecture gothique et l'architecture romane.

L'art gothique

XIII-bme - XIV-dme sidcle - style gothique rayonnanrXV.ime - XVI4me sibcle - style gothique flamboyant

L'art gothique ou I'art ogival est la caractdristique des cath6dralesgothiques, ces constructions qui utilisent les arcs bois6s, aux vo0tes surcroisdesd'ogives. Leurs contreforts sont surmont6s d'arcs -boutants. Des pans de murssont remplac6s par d'6normes vitraux, faits de verres colords qui crdent demerveilleux effets de lumiBre,

Les sculptures couvrent toute la cathddrale, le portail, le clocher, lesgouttilres m0mes. La d6coration sculpturale est plus naturelle que celle desdglises romanes. Les niches et les colonnes sont garnies de statues dont quelques-unes d'une v6rit6 remarquable. Les scbnes de la vie quotidienne deviennenttoujours plus nombreuses.

1.4.2. La ruiniatureElle continue i se d6velopper elle-aussi, Parmi les chefs-d'euvre du

genre on cite les enluminures du Psautier de Louis IX et La vie de saint Denis,manuscrit (1317) du moine Yves, qui retrace d'admirables scbnes de I'activit6parisienne. on y retrouve tous les genres de m6tiers de Paris: orfbvres, portefaixet jongleurs, mendiants et montreurs d'ours, p6cheurs et"bateliers. L'afi de laminiature connaftra son plein 6panouissement sur XV-bme si&cle. c'est l'6poqueoir vdcurent Jean Fouquet (enluminures des Grandes chroniques de France)simon Marmillon et les frBres Limbourg (Les trds Riches Heures de Jean Berry,vers 1416)

1.4,3. La musiqueDBs le d6but du VII-Eme sibcle on introduit dans I'office religieux le

chant gr6gorien qui exprime la tendance I l'austdrit6, I I'abstraction recherch6edans tous les domaines artistiques de ce temps. La polyphonie, qui offre de plusgrandes possibilitds de refl6ter Ia r6alit6, les sentiments et les sensations apparaitau D(-Eme sibcle.

La musique populaire des villes r6pBte les thbmes et les m6lodies deschanteurs paysans. Les instruments de musique les plus utilis6s sont la rote, lavielle, la harpe et Ia fl0te.

, Le XfV-Bme siEcle voit apparaitre I'art du contrepoint qui vient donnerdu relief h la musique savante. C'est vers le Xl-tme sibcle qu,apparalt lapremibre notation musicale lailque. Des figures de compositeurs - troubadours ettrouvtres - se multiplient, sortent de I'ombre. Dans les chiteaux fdodaux fleuritune culture musicale et poedgue courtoise, raffin6e. Les meilleures piEcesmusicales de cette dpoque proposent le ddveloppement imp6tueux de la musiquelatque pendant la Renaissance.

13

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1.5. Appr6ciation du Moyen Age

AprBs 1500 l'euvre du Moyen Age fut mdconnue, mdprisde pendant laRenaissance, le classicisme et Ie XVI[-bme siBcle. Le Moyen Age apparait auxphilosophes du XVIII-bme siBcle comme une 6poque de t6nbbres, d'oppressionpolitique et de fanatisme religieux. Les 6crivains de l'6cole romantique, au

XIX'bme sibcle, en r6action contre les modes de pens6e classiques veulentressusciter le Moyen Age (C'est Chateaubriand qui, en 1802, r6habilite I'artgothique et la littdrature m6di6vale). Ils suscitent un climat favorable aud6veloppement d'un puissant mouvement d'6rudition qui, depuis la fin duXIX-dme sidcle s'applique d retrouver les textes de la litt6rature du Moyen Ageet d 6clairer la physionomie vdritable de cette 6poque.

Le Moyen Age est beaucoup plus qu'un 6ge interm6diaire et il n'est pas

uniforme. Il a propos6 des solutions originales aux grands probldmes de la vie etde la pens6e; ces solutions sont diverses d'un siBcle d I'autre et diverses dans leslimites d'une m6me p6riode.

L4

15

1.6. ANNE)GS

1.6,1. Les TempliercCr66 i Jdrusalem en 119, I'ordre des Templ.iers, ainsi nomm6 parce qu'il

est install6 prBs du temple de Salomon, est coirstitud de moines soldats. Guerriersr6put6s, ils prot&gent les lieux saints et surveillent les routes de p&lerinage,

ddifient d'irapobantes forteresses qui sont autant de lieux s0rs pour entreposerI'argent de l'ordre. Ils deviennent ainsi des banquiers et inventent le "chbque": unchevalier peut retirer i J6rusalem une soflrme vers6e en France sur pr6sentation

d'un regu revOtu du sceau des Templiers. Depuis l29l les Templiersn'apparaissent plus que comme des puissants banquiers et leurs image est

d6grad6e; on jure et on boit i'comme un Templier".Le 13 octobre 1307, au petit matin, on arrOte, sur l'ordre de Philippe le

Bel, tous les Templiers de France. Dds le lendemain, les accusations sont renduespubliques; au cours des c6r6monies d'admission qui se ddroulent la nuit, les

Templiers renient le Cfuist et crachent sur la croix. Ils adorent des idoles et se

livrent i la sodomie. Un premier interrogatoire est mene par des commissairesd6sign6s par le pap$: Les Ternpliers avouent tout! Ils ont 6td tortur6s, soumis h

"1a question"En mai l3l2 le pape Cldment V dissout I'ordre des Templiers. Leurs

biens revisnnent b I'ordre des Hospitaliers. Philipper le Bel annule les dettes

royales envers les Templiers. Le grand maitre du Temple, Jacques de Molay,condamn6 d la prison perp6tuelle, 6tant revenu sur $€s aveux, est conduit au

b0cheriParisen 1314.La fin des Templiers est certainement pour Philippe le Bel le moyen de

se procurer de l'argent mais c'est aussi la suite logique de ses querelles avecBoniface YII, sa volont6 d'affirmer son pouvoir en face du pape ddtruisant ce quiaurait pu devenir une vdritable milice papale.

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r

Miniatures qui illustrent les trqvaux des champs aur Moyen Age

Une rue au Moyen Age Le mois de janvier

16

l7

2. LESCHANSONSDEGESTE

2"1. Les origines

Les plus anciennes ":chansons de geste', (du latin ,.res gestae',, chosesfaites, histoire) compos6es vers 1100 font revivre des 6v6nements du vIII-Bmesibcle ou du IX-dme siEcle, mais elles les d6forment et les amplifient. LeproblBme de leur origine n'est pas encore r6solu.

2.1.1. Lu thiorie des cantilinesPour les romantiques, des chants populaires d'origine collective seraient

n6s spontan6ment sur le champ de bataille; ils auraient 6i6 transmis oralement,remani6s enfin r6unis par des dcrivains trois sidcles plus tard. Gaston paris lesd6finit comme des "cantilbnes" lyrico - 6piques, d'origlne germanique.

2.1.2. La thdorie des ldgendesJoseph B6dier formule vers 1910 sa c6lbbre hypothdse d'aprds laquelle

des "l6gendes 6piques" forg6es par des moines seraieni d I'origine des chansonsde geste. Des pblerins auraient dispers6 chaque l6gende par laioute. La chansonde geste reposerait sur une tradition tdgendaire constitu6e bien aprbs les6vdnements historiques.

un fait demeure acquis depuis B6dier: les chansons de $este sont desGuwes d'art, compos6es par des clercs, remanieurs ou inventeurs;pobtes en toutcas.

2.2. La chanson de Roland.

EIle fut compos6e vers 1100. Le texte du manuscrit d'oxford, 6crit vers 1170,comprend 4002 vers d6casyllabes group6s en29l o'laisses',,

strophes de longueurin6gale construites chacune sur la m6me assonance.

2.2.1. Le fait historiqueLe 15 ao0t 778, I'arriBre - garde de 1'arm6e du jeune roi Charies, le futur

chademagne, qui revenait d'Espagne, est surprise, dans les d6fil6s pyr6n6ens pardes montagnards basques. Quelques chefs sont tu6s, dont "Roland, comte de lamarche de Bretagne". Il y a de brbves donndes dans les textes latins carolingiens:Arurales royales ou Vita Caroii d'Eginhard.

2.2.2. Le poimeCes 6v6nements revivent dans La chanson de Roland mais transfigurds:

I'histoire a 6t6 transformde en l6gende. Le jeune charles est devenu l,emper-ur ..h

la barbe fleurie". Roland est son neveu; il a un ami ins6parable, olivier,personnage invent6. Les agresseurs ne sont plus des Basques chr6tiens mais desSarrasins. L'exp6dition espagnole est une croisade. Le tombat de Roncevauxr6sulte d'une trahison. La chanson de Roland apparait cornme un dramepuissamment construit et inspir6 par les campagnes frangaises men6es au XI -

Page 11: Moyen Age et Renaissance en France.pdf

bme siBcle contre les musulmans d'Espagne et sp6cialement Oontre Saragosse. LepoEme est divisd en frois parties: Roland trahi, Roland mort, Roland veng6.

2.2.3. La ilahison de Ganelon (Roland,trahi)Aprbs 7 ann6es de croisade, Charlernagne a conquis.l'Espagne sur les

Sarrasins, Seule Saragosse, ville du roi Marsile, lui r6siste. Charles regoit deMarsile des offres de paix. Le conseil, las de guerres, le presse de n€gocier. Surla proposition de Roland, Ganelon est d6sign6 comme ambassadeur: la missionest honorable, mais p6rilleusel Ganelon croit que son beau fils veut I'envoyer h lamort; il se vengera. Il profite de son ambassade pour exciter la fureur desSarasins contre Roland, responsable, selon lui de ces guerres incessantes.Marsile obtient par des promesses le ddpart de Charles et d€cide d'attaquerI'arribre - garde au passage des monts. Croyant i la soumission de Marsile,Charlemagne d6cide le retour en France et selon la proposition de Ganelou confiel'arriBre - garde i Roland.

2,2,4. Ls mort de Roland" (Roland mwt)Charlemagne passe les Pyrdndes, L'arribre - garde est i I'entr6e de

Roncevaux quand, sur elle, fond l'arm6e innombrable de Marsile. Avec joie,Roland accepte le combat. Malgr6 les insistances du "sage" Olivier, le o'preux"

Roland refusg de sonner de I'olifant pour appeler Charlemagne h I'aide. LesFrangais repollssent deux vagues de parens mais seulement une partie, unepoign6e d'homrnes reste debout. Roland se d6cide ir sonner: il sonne si fort que satempe se brise. Sur Ie charnp de bataille les Sarrasins renouvellent leur effort.Olivier meufi. Epouvan6s par les clairons de I'arm6e de Charlemagne quiapproche les pai'ens fuient et abandonnent bless6s h mort I'archev0que Turpin etRoland. Turpin bdnit les corps des Frangais avant de mourir. Roland cherchevainement d briser Durendal. Il prie et meurt, le visage tourn6 vers I'ennemi("Envers Espagne etr at tornet sofl vis"), le gant de sa dexte (droite) tendu ir Dieuen homrnage fdodal ("Son desfte quant en at vers Dieu tendut"), la pens6e vers"la douce France". Charles, soupgonnant la trahison fait arr0ter Ganelon.

?,2.5. Lavengeance de Charles (Rolandvengi)Charlemagne arrivant I Roncevaux, d6couvre avec douleur le massacre

des siens. Il poursuit les troupes de Marsile en ddroute et les extermine. Mais"l'amiral" de Babylone, Baligant, chef suprOme de tous les Sarrasins, d6barque enEspagne. Une bataille d6mesur6e oppose I'armde de Charlemagne et I'arm6epaienne. Un combat singulier met aux prises les deux chefs. Charles, avec I'aidede Dieu, tue Baligant; les par'ens s'enfuient. Saragosse est enfin prise. Marsilemeurt de fureur. La chrdtient6 a vaincu. AprBs avoir enterr6 les corps de Roland,d'Olivier, de Turpin, Charlemagne rentre i Aix - la - Chapelle. Aude, la seurd'Olivier, meurt de douleur en apprenant la mort de son fianc6, Roland.

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2,2.6. Le chAtiment de GanelonLe procbs de Ganelon s'ouvre. Ganelon pr6tend n'avoir pas trahi: il a voulu

seulement se venger de Roland, en le faisant i. son tour d6signer pour un postedangereux. Mais de toute fagon Ia rivalit6 priv6e entre vassaux est incompatibleavec le service du suzerain; elle devient trahison lorsque 1e roi combat I'ennemi eta besoin des efforts conjugu6s de tous ses hommes. On fait appel au jugement deDieu: le champion de Ganelon est vaincu par le champion de Roland. Ganelonest 6cartel6. L'empereur s'endort, mais I'ange Gabriel lui apparait qr:ri I'appellepour remplir sa vocation. L'aventure espagnole n'a €t€ qu'un dpisode de la vie deCharles, l'dternel croisd au service de Dieu.

L'auteur de la Chanson de Roland est inconnu. On s'est vainement efforc6d'interpr6ter I'indication finale du pobme qui nous r6vBle un nom: "Ici finit lageste que Turold d6cline". Si le verbe d6cliner signifie "composer" Turold seraitI'auteur de la chanson. Mais il peut signifier "franscrire" et Turold ne serait que lecopiste; ou encore "d6clamer" et Turold serait un rdcitant. Mais I'auteur est ircoup s0r un artiste accompli.

L'cuvre est fortement compos6e: tous les dpisodes s'enchalnentrigoureusement. Les personnages sont pr6sent6s en action, avec une grandesobri6t6; Ganelon, le haineux, courageux d'ailleurs, comme il le prouve en facede Marsile; Turpin, l'archevOque - soldat qui porte la foi du Christ h la pointe deson 6p6e; Olivier "le sage" qui, aprbs avoir vaine*nent cherch6:,i convaincreRoland d'appeler i l'aide, l'assiste de toute sa vaillance dans son h€roique et foller6sistance; Roland le "preux" exaltd par I'enthousiasme guerrier, mais perdu parl'orgeuil et qui, aprds avoir accept6 un dangereux commandement, refuse desonner I'olifant sauveur; Charlemagne enfin, l'6lu de la Providence, personnagesurhumain qui, aprEs le massacre de son arribre - garde, poursuitI'accomplissement de sa mission sainte: il incame la chr6tient6, offens6e par latrahison de Roland, veng6e par la punition du trafue, triomphante par la d6faitede l'armde pai'enne.

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2.3. La constitution des "cycles".

DEs la seconde moiti6 du XII-ime siEcle et surtout au XIII-Eme sibcle legenre de 1'6pop6e subit un remaniement profond. La chanson de geste n'est plusdestin6e seulement h 6tre r6cit6e: les Eouvbres veulent satisfaire une 6lite delecteurs. Pour enrichir la matiEre, on fait appel aux ressources de la rh6torique;on d6veloppe le merveilleux fderique, aux d6pens du merveilleux chr6tien; on faitplace h une inffigue d'amour. Les poltes, utilisant la popularit6 d'un hdros dpiquecomposent "ses enfances"; ils lui inventent une famille, retracent les aventures deses pbres, neveux, frlres et descendants. Ainsi se constituent des "cycles" ou"gestes" qui groupent autou d'un personnage central ou d'un anc0tre communune s6rie de chansons composdes i des 6poques diffdrentes par divers auteurs.

2,3.1, Le cycle du roiCe cycle offre une unitd plus grande que les autres: chaque chanson est

domin6e par la figure de Charlemagne (Les "enfancesoo menac6esl Le service deDieu; Le D6clin)

2.3.2. Le cycle de Gain de Monglane.Ce cycle a pour principal hdros Guil,laume d'Orange; mais il porte Ie nom

de Garin de Monglane, premier anc6tre de son "lignage" (de sa famille). (LeConqudrant; L'oncle d'un jeune h6ros, Le Saint).

2.3.3. Le cycle de Doon de MayenceCe cycle groupe un certain nombre de chansons de fagon plus artificielle

que les cycles pr6c6dents. Leur inspiration est plus f6odale que chr6tienne:Charlemagne lutte conke ses barons r6volt6s (Renaud de Montauban; Raoul deCambrai; G6rard de Roussillon)

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2.4. L'esprit6pique

Les chansons de geste ne pr6senteraient pas tant d'attrait potu nous si elles

se bornaient )L faire revivre une 6poque. Les auteurs des 6pop6es m6di6vales ontcr6e un univers et ddfini un id6al de vie et d'action.

2.4,7. L'unlvers ipiquea.- simplicit6L'organisation du podme est volontairement simple; le r6cit se r6duit aux

p6rip6ties d'une balaille ou d'une campagne. La m€me simplicitd se retrouve dans

I'Ame des pe$onnages: les h6ros 6piques parlent peu, raisonnent peu, ignorent les

raffinements de l'analyse. Quelques mots suffisent i les caractEriser: "Roland est

preux et Olivier est sage". Ils agissent et I'auteur n'intervient jamais pourexpliquer leur conduite; il se borne tr d6crire de I'ext6rieuro sobrement, les gestes

qu'ils accomplissent.b.- grandeurCette simplicit6 met en relief la grandeur des 6v6nements et des

personnages; car I'univers 6pique n'est pas I'univers reel. Les batailles sont

colossales, les combattants, dou6s d'une force 6tonnante, peuvent d'un coup

d'6p6e fendre en deux un homme h cheval. Ce sont des hommes par le ccur;mais, par leurs exploits; ils d6passent la commune hurnanit€. Charlemagne

souffre dans sa chair et dans ses affections; mais ils est 6lu de Dieu, les anges de

Dieu le protdgent et finspirent. Ainsi la grandeur dpiqtle est encore rehauss6e par

le recours au merveilleux chr6tien.

2"4.2. L'ideal ipique-ln prouesse. Les personnages des chansons de geste sont guid6s par un

icl6al de vie active et guerribre. Ils recherchent la prouesse, c'est -h- direI'aventure h6roique; tout entiers e cefte "quOte" ils ignorent le repos, i cheval

toujours, ils ne s'attardent pas aux sentiments qui pourraient affaiblir leur ardeur

belliqueuse; I'amour ne compte guBre pour eux (Roland n'a pas une pens6e powcelle qui I'attend fidEle). En revanche, ils s'exposent au clanger avec exaltation,

l'0rne pleine d'all6gresse; "Joyeusen'est le nom de l'6p6e de Charles; "Montjoie"son cri d'armes. Tous accomplissent dans I'enthousiasme la tdche qu'ils ont

librement acceptde.

-Lesfins de laprouesseLa prouesse a d'abord sa raison d'Otre en elle - mOme: le danger couru et

surmont6 donne du prix h la vie. Mais le chevalier est aussi guid6 par des motifshumains et religieux.

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'Ambition personnelleH6ros l6gendaires et crois6s ne luttent pas seulement pour accomplir de

sublimes desseins; ils sont animds aussi par le desir de conquOie et par le gott o"la gloire.

-Honneurf6odalLa gloire du guerrier est ins6parable de celle de son seigneur et son

honneur exige le respect du serment f6odal. Roland incame le d6vouementexemplaire du vassal au suzerain.

- D dv ouement p atri o ti q ueDans les chansons du cycle de charlemagne, les combattants servent le

suzerain commun, qui rdgne sur le plus beau des royaumes, la France. L'arnourde la terre natale 6treint l'6me des h6ros et fait verser des larmes aux plusendurcis. La France des croisades prend conscience de son unit6 spirituelle, deses fraditions ancestrales et de sa mission civilisatrice.

-Service de DieuLa fin naturelle du service f6odal et patriotique, c,est .,d'exalter sainte

chr6tient6". Telle fut la consigne des crois6s; tel est le dessein que les pobtesassignent au Charlemagne l6gendaire. La terre est un vaste champ de bataille ots'affrontent "paiennie" et "chr6rient6". Les h6ros dpiques doivenid6fendre la foichr6tienne et assuror son triomphe par I'6p6e. Grdce h cet apostolat guerrier, ilsjouissent d'une vie terrestre plus belle et gagnent la vie dternelle.

tes 6popdes m6di6vales sont une 6cole de grandeur, de d6vouement et desacrifice. La France du Xrl-drne siBcle offrait au monde un id6al. Aujourd'huiencore, I'esprit 6pique conserve sa valeur souveraine; c'est l'6preuve, enseigne-t-ilqui fait I'homme, l'dpreuve accept€e avec joie et fiertd pour le triomphe desnobles causes.

2223

3. LESROMANSBRETONS

3.1. L'esprit courtois

La litt6rature courtoise ddfinit un id6al humain nouveau et correspond auxtendances de l'6lite mondaine qui se d6gage 4prBs 1150 de la rude soci6t6 f6odaleillustr6e par les premidres,croisades. I ne convient cependant pas dp voir dans lesoeuvres courtoises une reprdsentation fidlle de la vie aristocratique pas plus qu'ilne convient de chercher un tableau exact des mceurs f6odales dans les chansonsde geste.

3.1.1, Influences.L'esprit courtois subit I'influence latine, provengale et bretonne. Au

XII-bme sibcle on assiste i une renaissance des lettr€s latines, ceuvre des clercs.Bient0t des poEtes entxeprennent de vulgariser en frangais les ldgendesmythologiques qui donnent naissance aux premiers romans, dits romans antiques,prdludes des romans courtois. En France d'Oc, dds le milieu du XI-Bme sibcle se

forme une soci6t€ jolie, civilis6e par Ie luxe et par l'art pour laquelle 6crivent lestroubadours. A partir de 1150 des seigneurs du Nord commencent h connaitre etir suivre les modes du Midi. Ce mouvement fut dirig6 par les plus grandes damesdu royaume (ex: Alidnor d'Aquitaine et ses filles A6lis et Marie, comtesse deChampagne qui accueillaient d leur cour des poEtes comme Chr6tien de Troyes)

3. 1. 2. L'univers courtois' C'est un domaine aussi riche en possibilit6s d'aventures que I'univers

6pique. le merveilleux chr6tien est remplac6 par le merveilieux fderique,l'archange Gabriel par I'enchanteur Merlin et I'id6al qui anime les h6ros est toutautre: le chevalier courtois agit pour la dame qu'il aime.

3,1.3. L'iddal courtois.L'amour est le grand thBme de la litt6rature courtoise. Il n'apparalt ni

cofitme un divertissement ni comme une passion d6vorante; c'est un sentimentnoble et pur, qui confbre son prix h la vie en donnant un sens i I'activit6 humaine.

3,1,4. Les lais de l'amoarLe parfait chevalier courtois doit ob6ir en toute occasion au code du savoir

aimer.

- L'amour vertu.L'amour est fond6 sur I'admiration r6ciproque. L'ami admire chez la dame

beaut6, sagesse, bonnes maniBres. La dame ne consent I recevoir l'hommage del'ami que s'il se rnontre par6 de qualit6s militaires et aussi mondaines: il doit Otrede mise 6l6gante, joli, spirituel, brillant, causeur, gracieux danseur, assez instruitpour savoir lire et 6crire, composer et interprdter i la harpe une chanson. L'amourcourtois suscite donc un dlan vers la perfection.

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7"',

-L'amour - rerigion. La dame est une v6ritabre divinit. pour son fid.lequi la v6n.re et lui adresse des priBres car elre a"*"r* r"rrgr"il|s imptacautemais I'amant v6ritabre ne saurait se d6courager: en attendant de voir cor$.nner saflamme, , t.moigne d'un pieux respect pJur res "reliques,, qu'il a pu obtenir,cheveuw ou gant.*L'amour - science. L'amoilr courtois est encore une science accessibreaux seuls initi6s. Ir faut apprendre i aimer, sous la direction des maftres ratins etprovengaux. Avec la loyaurd et la fid6lit6, h ascretion esii, *r*oJ"r.' -Les rdcompenses de l,amour.L'amour courtois est aussi une passion r6fl6chie, exigeante et secrdte, quisoumet l'homme i de longue-s.et indisiensabres 6preuves rtiri, q.*o

'ami auraprouvd sa bravoure, sa fid6litd, sa loyaut6, sa discr6tion, sa soumission auxmoindres caprices d" 1,1g1r",."ile finira par accepter ses hommages. D,ailleurspar respect et par humilit6 l'ami n'exprime in g6n6ral que des E;ffii*, mod6r6s(un sourire, un aimable accueil, il lui suffira meme abtr"

"a*rr-*^prgsence deI'aim6e).Les 6crivains courtois ont contribud i etablir une conception de l,amour etde la vie de soci6t6 qu'on yerra reparaitre a J,rut

", dpoques de l,histoire liudraire(les h6ros du Cid, par leur manibie O,agir, Oe servir et d aimer, oorr-upp*uirr"ntcomme les descendants des h6ros

"orrt-oir. ).

-- - -*tlrv" *vu' q

3.2. Les romans bretons.Les romans bretons gravitent autour de la l.gende du roi Arthur, desChevaliers de ra Table - Ronoe et du saint - Graar. Arthur 6tait un chef de clanque la ldgende transforma en roi de f* C.anAe _ Bretagne, il avait ddfendu auvl-Bme sidcle l'inddpendance d; ;;^p";, contre linvasion des Saxons.Longremps victorieux il. avait

- e,e trJi i,ar son neveu Mordred; bless6morrellemenr d la bataille de camlan (s42) irivafu €Emyst6rieusemenr enlev6 ertransportd dans l'Ire d'Avalron. Les Bretons qui n,avaientlamais uoui,

"roir" a ,umort espEraient toujours le voir revenir.

C'est le roi Arthur qui avair fond6 i Caerldon, dans le pays des Galles,j'ordre des Chevaliers de laTabre - nonJ", "insi

nomm6s parce qu'ils prenaientleur repas autour d'une tabre ronde dans'une egaute parfaite. Le but cre ceschevaliers 6tait la conqudte du saint craa, ,use J*, r"irJ ior"pt, *eri*utrri*passait pour avoir recueilli le saug du christi on ignorait ce qu,il 6tait devenu,mais on,savait que seul un chevalie6uri tu.h" parviendrait i le ddcouvrir. Les

[fff, brerons racontenr les avenrures de ces

"ir"urti.r, p.lisill-;quet",, au

['es euvres du cvcle breton peuvent 6tre r.parties en trois groupes: les laisde Marie de France, les romans a. i.irtu, ,ii"-, ,o*un, de chr6tien de Troyes.

3.2.1. Les lais de Mu.{* de France. (lais _mot d,origine celtique)Marie de France, premidre en date des femmes de reties franiises, ecritses pobmes courts que chanraient res bardes s"rbi;;;;;iffi;;;ft;:parmi res

plus connus de ses lais ou peut citer: Le chBvrefeuille, Le rossignol, Les deuxamants. (Prds du Mont - saint - Michel habitait un roi veuf avec sa fifla aI'aimait tant qu'il ne voulait pas la marier. pour 6carter les prdtendants, il avaitfait publier que celui - ld seul l'6pouserait qui la porterait sur le dos jusqu'ausommet d'une moniagne. La jeune fille, qui aimait en secret un jeune homme, spfait donner un philtre qui devait augmenter les forces de son ami. Mais, ce jouivenu, le jeune homme refuse de bojre le prdcieux breuvage, mettant *o, ,*ou, -propre b ne devoir qu'd ses efforts le prix de sa victoire: arriv6 au bout du montavec son fardeau, il tombe mort d'6puisement. La jeune fille meurt aussi dedouleur).

- 3.2.2. Les romans de Tristan.L'histoire de Tristan et Iseut nous est parvenu en morceaux mutil6s, car le

roman primitif'est perdu. on a gard6 deux versions: la version dite commune parB6roul qui groupe en 4500 vers les 6pisodes centraux du r6cit; destin6e d unpublic assez large elle est simple et pathdtique coillme les chansons de geste. Laversion dite courtoise, par Thomas, comprend 3000 vers et conduit le r6citjusqu'h son d6nouement: compos6e pour les courtisans de Henri II plantagenet,elle est d'une inspiration plus raffinde. Le thbme de tristan devait inspirer iWagner, au XIX-bme siBcle un de ses plus beaux op6ras.

Le roman a 6t6 reconstitu6 par Joseph B6dier. voici en r6surn6 la ldgendede Tristan: Tristan de Loonnois, orphelin, a dt€ €lev€ par son oncld Marc, roi decornouailles: il est devenu chevalier parfait; aussi bon harpeur que guerrier. Toutjeune encore, il ddlivre le pays d'un gdant, le roi Morholt, frErtj de la reined'Irlande qui, semblable au Minautaure crdtois pr6levait un tribut d-e'jeunes gens.Bless6 par l'6p6e empoisonn6e de Morholt, Tristan s'abandonne au grds de l,eaudans une barque qui le porte en Irlande. Heureusement inconnu, il est gu6ri parles soins de la reine, mdre d'Iseut - la - Blonde. Tristan revient en cornouailles.Marc, dont le secret dessein est de garder son tr0ne pour son neveu, cherche d6luder les veux de ses barons qui le pressait de se marier: il dpousera celle d quiappartient un cheveu d'or apport6 par une hirondelle: Tristan songe h Iseut et parten "qu0te de la belle aux cheveux d'or". I d6barque en Irlande et d6livre leroyaume d'un dragon de Morholt, il obtient du roi et de la reine leurconsentement au mariage d'Iseut avec Marc.

sur la nef qui les emporte vers cornouailles, Tristan et Iseut boivent d'unphiltre prdpard par la reine pour Marc et sa fufure 6pouse. Ils ignorent que cebreuvage magique unit d jamais tr l'amour celui et celli qui en boivent ensemble.Tristan et Iseut s'aimeront toujours.

Marc 6pouse Iseut et longtemps il ignore les amours coupables de safemme avec son neveu. Tristan et Iseut finissent pourtant par 6tre surpris. Ilss'enfuient dans la forOt du Morois of pendant trois ans ils vivent mis6rablement.Marc les surprend un jour endormis et leur pardonne. Touch6s et remplis deremords, ils d6cident de se s6parer. Tristan renvoie Iseut i Marc et quitte laCornouailles.$ais l'amour les possbde toujours. I

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Tristan se laisse marier i Iseut - aux - blanches - mains. Mais sa passionle pousse h revenir, plusieurs fois, secrEtement, h la cour du roi Marc. seule Iseutle reconnalt sous son ddguisement de l6preux, puis de fou. Elle n'a pas cess6 deI'aimer.

En Bretagne, Tristan est bless6 par une arme empoisonn6e. Il fait manderIseut - la - Blonde, qui pounait le gu6rir. si la nef la iamBne, que le messagerhisse une voile blanche, et sinon une voile noire! Iseut - aux - blanches - mainsa surpris le secret de son mari; et, jalouse, annonce au moribond une voile noire.lrislan ne peut retenir sa vie plus longtemps; Iseut d6barque ffop rard er meurt dedouleur sur le corps de son ami. Marc apprend la mort des amants et le secret dubreuvage. Il pardonne et les fait enterrer c6te h cOte. or, une ronce vivace jaillitde la tombe de Tristan et s'enfonce dans celle d'Iseut; si on la coupe, ellerepousse plus.dru.encore.lla mort ne peut s6parer ceux que I'amour unit ilamais. r

tAu delir de la fatalit6 posde par le philrre s'affirme la responsabilii6humaine, la libertd de choisir I'une ou I autre des virtualit6s du philtre .'"beiwe,,

devie et / ou de mort.

. c'est ici qu'intervient la dialectique de I'obstacle. Tant qu'il est ext6rieur,social, les hdros rdussissent h le transgresser et tous les dpisodes, depuisI'absorption du philtre jusqu'i la for6t du Morois, sont autant di triomptreJ surI'obstacle signifi6 par les lois morales, f6odales, juridiques ou naturelles. ..Horsdu monde", dans le refuge "sacr6" du Morois, Ie couple vit en plein accord aveclui - mOme et avec la nature. Malgr6 la vie "aspre eidure", "l'un pour I'autre nesont mal': et pourtant le mal est aux aguers. (Trois ans entiers ils iouffrirent despeines / Et devinrent pales et 6puis6s), L'amour - passion risque de tourner h lar6alit6, d la routine et h ce moment " le g6nie de la passion d6por* entre leurscorps une 6p6e nue". L'obstacle est r6invent6 et cette fois il est ini6rieur. La mortest supr6me obstacle et triomphe sur l'obstacle, car elle seule permet l,uniontotale g dternelie des amants.

l Les deux amants sont ir la fois cles coupables et dps victimes: malgrd luiTristan trahit son second pBre; malgr6 elle Iseut trahit son 6poux; tourmentds parles remords, poursuivis par les haines de leurs ennemis, ils doivent pourtant c6deri. I'amouqlMarc, lui aussi est une victime et particuliBrement 6m6uvante: il estmalheureux par la faute de ceux qu'il aime et .qu'il ne cesse d,aimer; il lescondamne mais il les plaint; il se r6sout i servir, puis avec une g6n6rosit6 royale,il pardonne.llinsi, rn tragique destin accable lei trois h6ros. *Tristan', pourrait6tre le roman de la fatalitd, cornme "Roland" 6tait l,6pop6e de la volont6;6galement riches de substances humaines, Ies deux eurres s'opposent et secompldtent comme au XVII -dme si&cle les tragddies de corneille ifae Racin4

Le roman de Tristan et Iseut, non coneu initialement comme mythe, l6stdevenu. Y ont aid6 onla

nouveaut6, la beauti et la simplicitd de cette histoired'amour qui vont lui conf6rer des qualit6s d'universalitd, d'exemplaritd, analoguesd celles du mythe" (Piene Gallais - Essais sur Tristan et Iseutfi

26

3.2.3. Les romans de Chr&ien de Troyes.Les histoires litt6raires ne sont pas riches en donn6es biographiques sur

celui qu'on s'accorde i nommer le fondateur du roman occidental. Ainsi que son

nom I'indique, il 6tait d'origine de Champagne. Plus que s0re est sa formation de

clerc. Il a certainement entretenu des relations avec les cours de Champagne (ild6die: "Chevalier de la Charrette" h Marie de Champagne) et de Flandre (dans le

prologue du Conte du Graal il fait 1'61oge de Philippe d'Alsace, comie de

Flandre).Chaque roman de Chr6tien illusue une thEse courtoise, sans doute

propos6e par ses nobles protecteurs: il la ddfend brillamment, sans trop y croire,

semble - t - il, car son r6cit est souvent nuancd d'un humour malicieux.

A consulter:. -Lancelot ou le chevalier i la Chanette. -Yvain ou le chevalier au lion.

Ce fut Chrdtien de Troyes qui congut de donner au roman arthurien une

signification mystique en 6crivant sa dernidre Guvre , Perceval. Il le laissa

inachevd, aprbs avoir 6crit 10600 octosyllabes; quatre poEtes poursuivent leroman qui compte, dans son ensemble, 60000 vers.

Le "Perceval" de Chrdtien.Le jeune Perceval, pouss6 par son destin, rdpond h l'appel de la

"cheva1erie", malgr{ les pr6cautions prises par sa mBre qui veut I'Ecarter d'une

carribre dangereuse. Un jour, dans le chfiteau merveilleux du "roi - p€chegr"; iiassiste ir une procession dtrange of I'on porte un vase, "un Giaal"' Il n'ose

demander aucune explication. H6las! s'il avait pos6 une question, le roi, toUS les

h6tes du ch6teau et lui - m6me eussent connu un ineffable bonheur. Mais il reste

muet et, le lendemain, rien ne subsiste de sa vision; 6tres et choses ont disparu.

Apprenant la vdrit6, il repart en quOte.

Le Lancelot en prose.Les chevaliers de la Table Ronde partent en qu@te du Graal, le vase sacr6

oir Joseph d' Arimathie recueillit le sang du Christ et que ses descendants gardent

en Terre Foraine, pays inconnu des hommes, image du royaume de I'Au - Deld.

Les plus vaillants 6chouent: Gauvain, Bohort, Perceval, Lancelot m0me, car tous

sont impurs et vivent dans la p6ch6. Le fils de Lancelot, Galaad, accomplit

l'aventure: sa puret6 le pr6destine i obtenir la grdce de conqu6rir le Graal et d'en

contempler les mystbres. Les destins sont accomplis: Galaad quitte cette terre et

le monde arthurien s'6vanouit dans un grandiose "cr6puscule des Dieux".Le "Perceval" de Chretien possBde une dmouvante valeur pratique; mais le

mythe ne regoit sa pleine signification qu'avec le Lancelot en prose. La "quete"

du Graal exprime en un beau symbole I'effort de l'fime h la recherche de Dieu; la

contemplation du vase sacr6 figure Ie bonheur mystique; mais seuls les purs sont

admis i cette grace suprOme.

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rLa r6ussite de cl'dtien c'est d'avoir proposd par le Graal un symbole

yredugtible i une signification unique. s'il i a un symbole, c'est dans le sensdtymologique du rnot et alors le Graal seraii ..ce qui-conduit I'homme i I'objetsuprOrne de son ddsir". Le Graal (la coupe) symboiise la recouverte des valeursintdrieures, de la r6flexion, de la m6ditation.

Le temps des romans de chr6tien est discontinu: le temps de I'aventured6coupe le temps normal. La prupart des rdf6r-ences chronologiques sont vagueset ind6termin6es tdmoignant de I'indiffdrence de l,homme mejieval vis * d - vis$u 1emps. chr6tien joue donc sur l'alternance de deux temps: le temps profane,lindaire, mesurable et le temps sacr6, non * mesurable, sortg d'intemioril of lepass6, le prdsent et I'avenir se confondent, temps des dpreuves initiatiques ou duMonde Autre.

L'espace est soumis lui - aussi d la mOme double d6termination.L'opposition fondamentale qui joue dans l'organisation de I'espace est celle entre"courtois" et "non courtois". L'espace courtois p* a*r"u*oce est la courd'Arthur, vrai centre sacr6 du monde chevaleresque. contre la cour d'Arthur sedresse un nouveau centre sacr6, celui du Graal, situ6 hors de l,espace rep6rable etmesurable. Le Centre est une structure spatiale mythique.

L'originalit6 de chrdtien r6side dans la coexisience de cleux coherences. :la coh6rence narrative imm6diate et celle du r6cit mythique. Si par mythe onentend le r6cit des activit6s fondamentales et significatives, ielles

"..tiorr, I'amour

et la connaissance, investies de valeur exemplalre, si la fonction du mythe est de

lg*.ry ,rn--modBle logique pour r6soudre- une contradictiqn, les iomans deChrdtien offrent une structure mythique.

Mais chr6tien est en premier lieu romancier. il I'est par la malrise de laparole qui y devient une activit6 fondamentale ..seul pouvoir de l,homme sur lemonde" (Perceval est puni pour son mutisme).

chrdtien possbde au plus haut point lart du dialogue. le romancier manieencore avec aisance ces pauses dans I'histoire qui sont les descriptions. L'analysepsychologique se rattache 6troitement e l; narration mais elle lui restesubordonn6e.

Ainsi le talent de chr6tien de Troyes apparalt- il murtiple et s6duisant: ons'explique la gloire imrnense qu,il connut en Fiance et i t'6tranger

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4. LAPOESTE LYRIQUE

4.1. Les poltes du XII.Eme silcle et du )ilIl-bme sidcle

La podsie lyrique est le genre qu'a cultiv6 surtout te Midi de la France etbien que le Nord n'ait pas attendu le Midi pour cultiver aussi ce genre, il estcertain que la po6sie lyrique du nord a fortement subi I'influence Je h po6sielyrique m6didvale. La po6sie lyrique en langue d'oc, ou po6sie provengale, estdans tout son 6clat i la fin du xll-bme siEcle; la po6sie

"n lungue d'oiI au d6but

du XIII-bme siBcle. Les pobtes du Midi s'appelaient des troibadours ceux duNord des trouvlres. Ils 6taient des podtes originaux tandis que les jongleurs oum6nestrels allaient de ville en ville, de chdteau en chfiteau chantei des euwesqu'ils n'avaient pas composdes. Les troubadours et les trouvdres avaientl'occasion de r6citer eux -- m€mes leurs podsies dans les palsl, sortesd'Acad6mies qui s'dtaient constitu6es dans plusieurs villes de France sous Iapr6sidence d'un "prince"; on y instituait des concours de po6sie lyrique et on yorganisait des reprdsentations dramatiques.

'Le mot "pui" ou '!uy" vient du latin podium = dminence. on ne sait si ces Acaddmies ont prisce nom parce quielles seraient originaires de la ville du puy - en - velay ou simplement ;;;;;.ifi;

"

concurrents y rdcitaient leurs vers sur une estrade.

Parmi les troubadours qui furent ftEs nombreux, on peut citer les noms deGuillaume, comte de Poitou et d'Aquitaine, Bernard de ventadour, Jaufr6 Rudel,Richard cceur de Lion, Bertrand de Bom et d'auffes. A c0t6 des podtes il y eutm0me des po6tesses comme B6atrice, comtesse de Die et Marie de ventadour.

Parmi les trouvbres on peut citer: canon de B6thune, colin Muset, Adamde la Halle et surtout Rutebeuf qui fait doublement penser i villon par sa viebesogneuse (ce fut le premier des poBtes - misBre) et par I'accent peisonnel ettouchant de ses vers.

La podsie lyrique du Moyen Age, qui 6tait destin6e h Otre chant6e,comprenait une trEs grande vari6t6 de genres dont la forme 6tait rigoureusementfix6e. Voici les principaux:

*Les romances qu'on appelait chansons d'histoire parce qu,elle racontaientune histoire, ou chansons de toile parce que les femmes les chantaient pendantIeurs travaux d'aiguille.

-La rotruange ainsi appelde parce qu'elle 6tait primitivementaccompaguee sur l'instrument de musique nomm6 "rote". c'est une chanson dedanse, munie d'un refrain et qui, sous d'autres formes analogues est devenue ladanse, la balette (au Nord), la ballade (dans le Midi).

-Le rondeau (rondel) - chanson d danser qui est compos6e de troiscouplets et qui plus tard a pris le nom de "triolet,,.

-La pastourelle * gewe trbs populaire au Moyen Age. c'est un chant ddeux personnages dont le sujet est toujours la rencontre a la

"ampagne d,un

chevalier et d'une bergEre.

-L'aube ot l'aubade dont le th&me habituel est la s6paration de deuxamants au point du jour.

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-Le motet - qui comprend deux, trois ou quaEe couplets destin6s h Otrechantds en m6me temps par deux, trois ou quatre voix.

-La complainle - podme 6l6giaque exprimant la tristesse. Le sentimentqui anime en gdndral cette podsie lyrique du Moyen Age, surtout celle du Midi,c'est I'amour courtois.

4.2. La po6sie lyrique aux XfV-0me et XV.ime silcles

Au milieu du XIVe sidcle fleurit une nouvelle ..rh6torique,' (le motd6signe au Moyen Age l'art d'6crire en vers). son influence s'exercera pendantdeux siBcles jusqu'b la Pl6iade. Le grand artisan de ce renouvellement estGwillaume de Machaut. Il fut consid6r6 comme un maitre par les pobtes et lesmusiciens de son sidcle. Guillaume de Machaut attacha son nom tr une tentativeint6ressante de romans personnels en vers les Dits. Le "Dit" le plus c6lBbre "levoir dit" (le Dit de la vdrit6) conte ses amours avec une jeune et belle demoisellequi s'6prit du podte d6je 696 sans le connaltre, sur la seule recommandation de sagloire. Il a compos6 un grand nombre de po6sies lyriques. Il poss6dait le sensprofond de la correspondance entre po6sie et musique. Il est tenu pour le chef dela nouvelle 6cole po6tique pour avoir rdpandu et imposd res genres d formesfixes: rondeaux, chants royaux, ballades, lais, virelais.

*Le rondeau. trBs bref, commence par un refrain qui est repris au milieuet i la lin de Ia piBce.

-La ballade se compose de trois strophes construites sur les m6mesmdtres et les m€mes rimes; le chant royal ressemble h la ballade, mais secompose de cinq strophes.

'Le virelai oa chanson baladde comporte plusieurs couplets dont chacunreprend en refrain les vers de d6but. Le lai, triomphe de I'art difficile, est unpobme de douze strophes chacune construite sur deux rimes.

Ainsi le culte de la perfection formelle guide les podtes: on considbre quela difficult6 vaincue consacre l'artiste.

La nouvelle 6cole po6tique est illustrde par: Eustache Deschamps,Christine de Pisan, Charles d'Orl6ans.

Eustache Deschamps (1346 - 1407) qui 6tait le neveu et le prot6g6 deGuillaume de Machaut fut un auteur abondant auquer nous devons 1500 pidies. Ilexerga des charges i la cour de charles v, charles vI, auprbs du duc d'orl6ans etdevint gdn6ral de finances. c'est un podte fort vari6; son euvre estrigoweusement empreinte de sinc6rit6 et de r6alisme. Il nous apparait parfaisjoyeux et heureux de viwe, plus souvent amer, furieux de sa m6diocrit6 et de sesmaladies. Ses grands thEmes lyriques sont I'amour et la mort. Dans ses po6sieshistoriques il c6ldbre les 6v6nements de son 6poque guerriBre et les grandshommes qu'il connut: en plusieurs ballades il chante les victoires du conn6tableDuguesclin et il s'afflige de la mofi du h6ros: '?luerez, plearez fleur dechevalerie".

30 gL

christine de Pisan (1364 - 1430) - fille d'un astrologue italien au servicede charles v, resta veuve avec trois enfants i 25 ans. Sans ressources mais nonsans relations mondaines elle 6crivit pour vivre, s'adressant au public riche desgrands seigneurs. c'est une ardente f6ministe qui se d6chaine contre Jean deMeung et glorifie Jeanne d' Arc. En po6sie elle fut l'6lbve de Deschamps etcultiva avec adresse les genres d forme fixe. Ses poDmes les plus 6loquents sontdes pibces courtes of elle dvoque sa vie, i I'exemple de son maitre et ie lamentesur les malheurs qui I'accablent. Telle est la c6ldbre ballade of la r6p6tition del'adjectif f'seulette" en Gte de chaque vers cr6e une v6ritable obiession desolitude; 0el est aussi le d6licat rondeau of elle fait allusion au grand deuil de savie et maudit les exigences d'un mdtier qui la contraint h "chanter quand soncoeur soupire". Il y a dans le refrain de ce rondeau : 'Te ne sais comment je dure,,la mdlancolie poignante des grandes d6tresses.

charles d'orl€ans (1394 * 1465) De tous les dcrivains qui ont cultiv6 auMoyen Age les geffes i forme flxe, le plus s6duisant est un grand seigneur,charles d'orl6ans, dont la destin6e m6lancolique revit dans de brdves po6sietddlicates de forme et de pens6e.

Fils du due Louis d'orl6ans et de valentine visconti, d"u"n, chef du partiarmagnac aprbs l'assassinat de son pBre par les hommes de Jean sans peur duc deBourgogne, il fut fait prisonnier d Azincourt (1415) et demeura 25 ans captif enAngleterre. II avait failli devenir un homme politique; le sort d'une bataille etl'exil d6cidErent de sa vocation: il trouva dans la podsie une consotation. Lib6r6en 1440 il v6cut en ses chateaux de Blois et de Tours au milieu d'une coqr6l6gante et mondaine. Il accueiltit avec g6n6rosit6 ses confrbres rimeurs etorganisa des concours de po6sie, tel le concours de ballades sur le thEme: ,.Je

meurs de soif aupres de la fontaine", auquel participa un poBte errant etmisdrable, alors inconnu, Frangois villon. ses derniEres ann6es furentdouloureuses; devenu infirme il dut s'abstenir presque complbtement d,dcrire. Ilmourut i Amboise.

Aprds sa retraite d Blois le prince consacra la plupart de son temps h lapodsie. sa s6rdnit6 6tait faite de r6signation et d'amerrume; il avait 6t6 d6qt par lavie, mais il 6tait m6content de lui - m6me, de n'avoir su, dans les 6pisodes diversde son destin, poursuivre une voie unique jusqu'au bout. Le poEte qui avaitcultiv6 en Angleterre la ballade 6l6giaque ch6rit, dans sa retraite a Blois,-le ge*"du rondeau, plus serr6, plus synth6tique, plus 6quivoque d la fois. Avec le LempsI'art du poBte se raffine, les pobmes deviennent transparents, peu i peu disthEmes nostalgiques viennent i dominer. charles renonce' aux illusions quienchantent les mortels, aux ambitions politiques qui I'avaient agit6 autrefois etier6fugie dans I'indiff6rence: "Le monde est ennuy6 de moi / Et moi pareillementde luy". Un personnage nouveau fait son entr6e dans la galaxie de sesfantomatiques compagnons, c'est "Merencolie,

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Je yaus sen et cognois venir,Ennuyeuse Merencolie;

A I'approche de Ia mort il r6fl6chit longemps b sa vie pass6e et ne peutrdprimer un certain sentiment de f inutile. I1 y a dans ses vers un gott d'6chec qui,loin de ddcourager le lecteur, l'inquibte et l'attire, lui r6vlle une dignit6 quel'incapacit6 de r6sister aux dpreuves de la vie n'a pu a1t€rer. Le "nonchaloir" dupobte, loin de suggdrer I'insouciance, implique une profonde amertume. Lapo6sio de Charles d'Orl6ans, dont on a vant6 la ddlicatesse et le caractEre intimene manque pourtant pas d'une certaine grandeur. C'est la grandeur d'un espritsincEre etjuste qui s'efforce de se connaltre et ne cache point ses ddfaites et sesfaiblesses.

En lafbril d'Ennuyeuse Tristesse,Un jour m'advint qu' d par rnoi cheminoye,Et rencontrai I'Amoureuse D€esseOui m'appela, demandant ait j'alloye.Je rdpondis que, par Fortune, estoyeMis en exil en ce bois, long temps a,Et qu'd bon droit appeler me pouvoyeL'homme 6gari qui ne sait ou il ya.

Il est toujours vu un peu comme "L'homme dgard qui ne sait ou il va"mais reconnaltre cet 6garement est la preuve d'une luciditd sup6rieure et d'ungrand courage inteilectuel. Au * delh de sa beautd formelle (qui n'a d'6gal au XV-bme sibcle que chez Flangois Villon) et de sa clart6, cette cuvre nous toucheaujourd'hui encore par sa v6rit6.

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s. TRANQOTS VILON

Frangois de Montcorbier ou des Loges, parisien, nd le 1/19 avril 1431, futconfiE par sa mBre, une pauvre veuve, I Maltre Guillaume de Villon, chanoine etchapelain de Saint - Benott - le - Bdtoum6, professeur de Droit. Son "plus quepdre" l'envoya suivre les cours de la Facult6 des Arts, or) il passa le baccalaur6atet la licence. Maltre bs arts, inscrit sans doute d la Facult6 de Droit, Villonndglige l'6tude, court les tavernes et les mauvais lieux. En 1455, il doit quitterParis pour quelques mois, i la suite d'une rixe of Philippe Sermoise fur tu6. Ilobtient pour cette affaire des "lettres de rdmission' mais il frdquente une soci6t66quivoque et se laisse entrainer i de mauvais coups: en 1456 il prend part h unvol avec effraction au collBge de Navarre. Avant de partir pour Angers souspr6texte d'oublier un amolu malheureux il compose Les Lais ou Petit Testament.Le pobte distribue i tous ceux qui I'ont connu des legs illusoires et plaisants.Pourtant I'exub6rance joyeuse et la verve rdaliste voisinent avec l'6motionsinchre: cette alliance est la marque propre de Villon.

De 1456 h 1451 Villon tralne sa misdre dans la vall6e de la Loire. On lesuit difficilement dans ses pdrdgrinations. Un manuscrit de Charles d'Orl6anscontient deux textes de Villon: "La Ballade du concours de Blois" et "L'6pitre tr

Marie d'Orl6ans". On comprend mal quels furent les rapports du prince avec leclerc errant, mais I'intrusion de celui -ci dans les jeux podtiques de celui- l),ordinairement r6serv6s b quelques intimes, ne laisse point de doute quant i leurrencontre. Ce fut pendant ces ann6es qu'il put entrer en relations avec les restesd'une organisation criminelle dont les membres s'appelaient "Coquillards" ou"Compagnons de Ia Coquille"; la bande fut identifi6e en 1455 h Dijon et lesdossiers de son procBs se sont conserv6s. On trouve dans ces papiers le norn d'unami du pobte, R6gnier de Montigny.

Le printemps de 146l trouve Villon dans la prison de l'6v€que Thibaultd'Aussigny i Meung - sur - Loire en un cachot froid et bas, sous tes coups d'uneaccusation que l'on ignore. Peut * 6tre le soumit - on d la question de I'eau ouencore h celle de I'estrapade. Quoi qu'il en soit, lorsqu'h la fin du septembre onddlivra tous les prisonniers de Meung en I'honneur du passage du nouveau roi,Louis XI, le jeune homme 6tait vraiment malade.

Revenu i Paris, Villon r6fl6chit sur son destin et compose le GrandTestuinent or) il a insdr6 538 Ballades. Ce ddbut du Testament n'est qu'unediatribe vdh6mente contre le tortionnaire Thibault. Le ton, malgr6 ces invectives,est devenu plus grave: c'est celui des confessions et des regrets. Le path€tiquedomine dans ce chef-d'euvre of se m6lent le rire et 1es larmes. Villon jette unregard sur sa vie pass6e et sur ses pdchds. Une digression le conduit b penser que"ndcessitd malheureuse" I'a emp0ch6 de devenir "vrai homme". Mais bientOt,plus 6quitable, il fait un retour sur lui * mOme et sur la folie de sa jeunesse qui apass6 si vite: "Eh Dieu! si j'eusse 6tudi6 / Au temps de ma jeunesse folle....".Contre les assauts de la fortune adverse, il s'arme de philosophie et der6signation. Il le faut car devant ses yeux se dresse la Mort, la niveleuse horrible

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qui jette i l'oubli beaut6, richesse, grandeur: "Mais of sont les neiges d,antant?Mais.oil est le preux charlemagne? Autant en emporte le vent!,,. I_]ui aussi doitmourir, le misdrable. La mort le tente et l'6pouvante. Revenant i sa jeunesseenfuie, il fait parler celle qu'on appelait autrefois .,la belle HeaulmiEre,,aujourd'hui d6cr6pite; elle regrette sa beaut6 pass6e.

villon commence_ a tester. presque tous les legs sont injurieux: pr6t irelever le ridicule ou la d6ch6ance, le pobte, replid sur iui -m6me comme sur unrempart, lance vivement au- dehors ses dards 6venim6s (ex: la ballade _ oraisoninspir6e par l'amour des plaisirs bachiques pour ,,1'6me du bon feu maitre Jehancotart" qui rentre chez lui tellement ivre qu'il n,est plus capable d.e ..crachier

hterre" en chancelant et en '.tr6pignanf, d,un c6t6 i I'autre de la rue).

sensible, hypocrite, imaginatif, menteur et toujours gai, ce poBte 6chappeh la rdgle de I'amour biographique inspirateur. Il n,a jamais im6 iddalement.

1louci par la consid6ration de la faiblesse humaine. Les seuls atiachements qu,onlui reconnaisse le rallient h sa mBre et h Guillaume de villon. Naturellement, lebon chanoine, il s'en moque un peu: mais il lui est quand m6me reconnaissant deI'avoir tendrement 61ev6 et plus tard, tir6 de ..mainl bouillon,,. Les relations dufils avec la mbre semblent s'6tre affaiblies depuis longtemps. ta vieiue gtaitprobablement tiire d'avoir un fils qui savait tiri et ecr[e, qui a.,rait 6cout6 lescours de I'universit6. Elle ne pouvait le suivre dans ses pr6occupations, elle nepouvait le comprendre,.elle ne pouvait que I'aimer. De td iient Ia beautd exquisede la Ballade qu'il dcrivit au nom de sa mdre "pour prier Notre Dame,'.Il revient h la mdditation sur la mort dans les derniBres strophes dutestament oi il indique ses vcux ultimes pour sa s6pulture; il r6dige son 6pitapheet "crie h toutes gens merci',.

villon est encore arr6t6 pour vor en 1462 et une nouvelle fois querquesmois plus tard. Aprbs avoir subi la question de I'eau, il est condarnn6 h lapotence. L'attente de ce destin horrible lui inspire Ia path6tique ..Ballade

desPendus", fr6missante du souffle de ra grande poeiie. r esi gracii cependant, maisil doit quitter Paris; et on perd sa trace.

_ Si Villon n'a pas cr6e ra po6sie personnene, il d6passe ceux qui I'ontpr6c6d6 par la puissance path6tique et par la sinc6rit6. Il se laisse uniquementconduire par son exp6rience et par les i6actions de sa sensibilit6. son dme estvibrante et d6chir6e. villon est sans volont6 pour rdsister aux passionsmauvaises. Il regrette ses fautes, mais il retombe to 'ours. I1 cherche vainementson 6quilibre, car il est de ceux qui ,,rt'ont pas bon sens rassis,,.

villon aime rire et profiter de la vie. Il chante le plaisir sous toutes sesformes; il cultive la plaisanterie. La fantaisie de son imagination lui inspire milletraits burlesques. Parfois aussi sa verve se fait mordanteil l*"" ,u grirr" sur sescamarades d'aventure, sur "la belle Heaulmibre,, sur les gens de fi-nance ou dejustice, sur lui - mome, re pitoyable Frangois. Mais la tristlsse domine ;;;;;r;villon brode des variations sur le thdme lyrique du temps qri purr";ii.hante ses

regrets, sa jeunesse aux fragiles amours; il 6voque ,avec attendrissement lilfigures de ceux qui I'ont aim6.

sa tristesse n'exclut pas une:certaine f6rocit6. Il proclame avec assgr&ncgle droit h la vie pour sa.caste de hors - la - loi, et ne se ieait pu, d'r"o;l;tid;au larcin, tout cornme le pirate DiomddBs devant Alexandre:

',.Si comme toy m0

peusse armer / Comme toy empereur je fusse', (Testament).L'angoisse de la mort lui inspire ses accents 1es plus vigoureux. Tant6t il

m6dite en philosophe sur re n6ant, terme commun. aux vaines agitationslumai,nes; tantot il peint avec r6alisme I'horeur physique de la mort; les crtnes,l'agonie douloureuse et la danse macabre aes penous. Mcme lorsqu'll plaisante,I'amerfume est proche, car la mort menace toujours.

_ En cette d6sesp6rance, il ne blasphBme pas. Il invoque Notre Dame et ..ledoux J6sus - christ" pour improrer leui assistance et les piendre i t6moin de sad6tresse.

La technique po6tique de villon, d'une 6r6gance et crart6 sup6rieures,conserve les traces d'une dlaboration formelle inconsciente trds pouss6e. villonpossbde en outre cette maitrise v6ritable de I'expression qui d6daigne de recouriraux proc6d6s de l'art. II ne se soucie pas de varier sa technique, nf de rechercherde pr6cieuses combinaisons de rythmes ou de rimes. Il emprunte aux poBtespr6c6dents quelques types de strophes simples, cultivant avec pr6dilection laballade ir vers 6gaux et il coule dans le m6me moule les inspirations les plusdiverses: le path6tique macabre des "pendus", la courtoisie mani6rfu de laballade de Blois. Et toujours, cette simplicit6 s'accompagne d,une extrOmedensit6,

on pourrait consid6rer que 1'6crifure n'est pour rui qu'un exercice decompensation, mdlancolique ou vindicatif, destine h lui r"od." un sens de ladignit6 qu'il avait perdu dans Ia vie quotidienne.

Qu'apporte - t - il de r6eilement neuf i ra po6sie? un sens presquemusical des allit6rations, une vivacit6 d'esprit indgalabfe, une force et profondeurdu sentiment qui ne seront retrouv6es qu'a l'6poque romantique, enfin une pens6eauthentique et vraie qui est le propre des grands hommes.

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Ch6teau de Blois( I 3'- I 7"s.)

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Ch6teau de Meung/Loire (1 3"-1 8' s.)

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6. LA LITTERATURE SATIRIQUE ET DIDACTIQUE

6.1.. La po6sie satirique

L'esprit de critique railleuse qui caract6rise avant tout ce qu'on estconvenu d'appeler l'esprit gaulois, a produit au Moyen Age deux sortes d'ceuvres:de petits contes en vers, les fabliaux et une vaste 6pop6e animale qui forme leRoman de Renart.

6.1.1. LesfabliauxOn possBdeinviron 150 fabliaux qui datent tous du XIII-Eme sibcles et du

d6but du XIV-Bme si0cle. La plupart ont un caractdre satirique: ils s'en prennentaux femmes habiles i se venger des hommes qui les matent (Le vilain mire) etcapables de tourner la t6te m€me aux sages (Le lai d'Aristote) mais ils uemanquent pas non plus de ridiculiser les maris (Le mari qui fit sa femmeconfesse); ils s'amusent au d6triment des prCtres (Le pr€tre qui dit la Passion),Certains d'entre eux ont plut0t un caractBre moral (La housse partie). Quelques -uns enfin sont tout simplement de petites com6dies amusantes (Estula).

Le vilain mire (le paysan m6decin)La femme d'un vilain essaie de se d6barrasser de son mari qui la roue de

coups. Deux messagers du roi surviennent qui cherchent un habile m6decin pourla fille de leur seigneur qui a aval6 une arOte. La fernme fait passer le vilain pourun practicien habile, mais bizarre, qui ne convient jamais de sa profession avantd'avoir 6t6 copieusement battu. Les messagers jouent du b6ton et notre vilailrconsent d tout. Ob1ig6 par de tels arguments de se reconnaitre rnddecin le paysangu6rit la fille du roi en la faisant rire par ses grimaces grotesques. La renomm6edu m6decin attire une foule de clients. Le vilain demande que le plus malade se

sacrifie: avec ses cendres il gu6rira les autres. Chacun se pr6tend alors gu6ri et Ievilain peut retourner chez sa femme.

Itt housse partie (la couverture partag6e).Un riche bourgeois a cdd6 toute sa fortune i son fils en le mariant, i la

condition que celui - ci I'h6bergerait jusqu'i. sa mort. Mais, au bout de quelquesann6es, i la demande de sa f,emme, que la pr6sence de vieillard importune, le filsingrat chasse son pEre, Avant de le cong6dier il consent h lui remettre, pour leprof6ger du froid, une housse de cheval qu'il envoie chercher d l'6curie par sonpetit garqon. L'enfant partage la housse en deux et ne remet i son grand - pdreque I'une des moiti6s. Devant les reproches de son pdre, il s'explique: "Je gardepour vous la seponde moiti6 car j'agirai avec vous comme vous agissez enverslui". Le pBre, honteux, comprend la legon et demande au vieillard de demeurer hla maison.

Avec les fabliaux I'esprit gaulois regoit sa premiEre forme litt6raire. Saverve inspirera la Fontaine, par I'intermddiaire des Italiens et des prosateurs duXVI-bme sibcle et aussi MoliBre qui, lorsqu'il dcrivit "M6decin malgr6 lui"emprunte beaucoup au Vilain mire.

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6.1,2. Le Roman de RenartLa fable qui met en scdne des animaux en vue de donner aux hommes des

legons, a €t6 trbs cultiv6e au Moyen Age.Le Roman de Renart groupe 27 poBmes inddpendants en deux cycles

d'esprit diff6rent. Le cycle du xll-bme sibcle et le cycll du XIrI-Bme sidcle. Auroman ainsi constitud s'ajoutent plusieurs renouvellements du XIII-Bpe siEcle etXIV-bme sidcle. Le Roman de Renart est une 6pop6e animale qui souventparodie les chansons de geste. L'unit6 de cette cuvre h6roi - comiqul tient h unthEme majeur, la lutte de Renart le goupil contre Isengrin, le loup cbst - i - direde la ruse contre la force brutale. vainqueur des animaux plus foits qui lui (loup,chien, ours, cerf..,) le renard est d'ailleurs vaincu par les bctes plus iaittes 1coq,corbeau, moineau). A la fin il est traduit, sur la plainte du loup, devant le tribunaldu lion qui le condamne b la potence; mais le rus6 personnugi 6"hupp" encore auchatiment, en feignant avec humilit6 de vouloir expier r"r p3"he, par unpElerinage en terre Sainte.

Renart s'attaque d des animaux plus faibles que lui mais ses ruses6chouent et le trompeur est tronip6. II s'empare de Clantecler le coq, maispoursuivi par les vilains qui I'ir{urient, il 6coute le conseil perfide de sonprisonnier qui I'invite h leur rdpondre; il ouvre un instant la gueuL et chanteclers'6chappe.

- _vaincu par les petits, Renart prend sa revanche aux d6pens d'Isengrin, leIoup. C'est I'hiver ot dans son chfiteau Renart fait r6tir des anguilles qu'il a'prisespar ruse h des marchands de poissons. Isengrin, affam6 et ali6ch6 par I'odeur, lesupplie de lui ouvrir et de lui donner h diner. Renart lui rdpond que c'estirnpossible car les poissons sont destinds aux moines. Isengrin aecioe de devenirmoine: Renart commeflce par le tonsurer i I'eau bouillantJ, puis, pour l'dpreuvede la premiBre nuit il I'emm&ne p6cher. par un trou de Ia glace qui

"oourc i6turg,

Isengrin, sur le conseil de Renart, raisse prendre dans lbau uu qr*o". A I'aubi,des chasseurs I'attaquent; il n'6chappe qu'en y perdant la queue.

Faire rire est le dessein du cycle du XII-Eme sibcle. Dans ces premibresbranches se mclent avec bonheur laraillerie, I'observation prdcise des choses dela nature et des caractbres d'animaux, la peinture vivante dis mceurs m6di6valesenfin la parodie 6pique: Renart et les autes animaux sont tr la fois des b€tes etdes. barons fdodaux qui galopent sur des chevaux, possbdent des ch0teaux,plaident devant des tribunaux

Avec la confinuation du XIII-Bme sibcle le ton change; la joie fait place hla gravitd didactique et la plaisanterie d la satire. Renart devient une canaille quisymbolise le Mal et l'Hypocrisie.

Le Roman de Renart jouit d'un prodigieux succds dans toutes les classessociales. En France ce succbs fut si populaire que le terme de ,.goupil',

disparaltau XV-Bme sibcle de la langue pour 6tre rempiac6 par "renard,'-devenu un nomcommun.

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' 6.2. La litt6rature didactiqueLe Roman de la Rose

vaste poEme naratif et didactique compos6 de deux parties diff6rentesd'esprit et de style: la premidre, euvre de Guiilaume de Lorris, fut 6crite entre1225 et1240;la seconde fut l'euvre de Jean de Meung entre 1275 et 12g0.

ce pobme est un poBme alr.gorique. GuilaumJ suppose qu,il a un songe.un matin de mai, se promenant i travirs la campagne,-i1 renconfe un jardin(C'est le royaume de I'Amour) dont les murs crgniles sont orn6s de dix statuespeintes repr6sentant les vices (Haine, Felonie, vilenie, convoitise, Avarice,Envie, Tristesse, vieillesse, papelardise et pauvret6). Dame oiseuse (L'oisivet6)l'introduit dans le jardin oD, tandis qu'il admire une rose belle entre toutes,Amour lui perce le coeur de cinq flEches. Le jeune homme alois vouaraitatteindre la rose (c'est.la jeune fille aim6e); mais Lile est entourde de plusieurspersonnages qui en facilitent ou en d6fendent l'approche: Bel Accueil, Fianchise,Piti6, C_ourtoisie, Largesse,_mar Bouche (ra m6disance), Jalousie, o-*g*r, Honte,Peur... La premidre partie du roman se termine sans qu'il ait pu ia ,o"i[ir. Mui*,dans la deuxibme parlie- du roman, aprds maintei ur"otirr"r, dont la prusimpofiante est le sibge de la tour oi la Jalousie a enferm6 Bel Accueil et surtoutaprEs de nombreuses et longues dissertations mises dans la bouche de Raison,d'Ami et de Nature, le jeune homrne cueille enfin la rose. ,, .

'-Guillaume de Lorris s'inspire d'ovide et compose sous une forme

narrative un Art d'aimer conforrne aux rbgles de la doctine courtoise. ll utilisepour ce dessein la fiction du songe, traditionnelle dans I'Antiquitd, et courante auMoyen Age pour d6crire lautre monde; et il pratique t"'pro"eJe savant deI'all6gorie qrri consiste d personnifier des id6es abitraites oo 0.. qorrites morales.

Guillaume de Lorris est un podte d'une 6ldgance raffinfe. te charme deson ceuvre tient ir sa fralcheurprintaniEre, au respeit sincdre dont elle fait preuvepour la femme et l'amour, h sa psychologie enfin qui t6moigne d,une fineconnaissance du cceur.

, La seconde partie du podme a beau se rattacher 6troitement i la premidre,dont elle reprend le r6cit au point oi il s'arr6tait, dont elle conserve lespersonnages; elle en diffEre tres profondement par son caractdre et par son esprit.T-'euvre de Jean Meung est une ceuvre prolixe et touffue, dcrite non avec moins{e force que de facilitd, avec autant di hardiesse que de science, une cuvred'esprit positif et parfois m6me cynique, toute pleine de dissertations vari6es surla philosophie, la th6ologie, I'astronomie, la physique et la m6decine ainsi que desatires souvent trBs violentes contre les femmes, les religieux, les rois et lesgrands qui ont fait appeler cet 6crivain "le vortaire du Moyeln ag*,' (c. paris).

cette ceuvre touffue contient un enseignement centril: le culte de laNature. Jean_ de Meung combat I'id6al courtois parce que celui - ci substitue lessentiments de convention aux instincts profonds de Lhomme. D'ailleurs, fiddleaux traditions de l'esprit gaulois, il m6prise res femmes: l'amour, pour lui, n'estpas une fin, mais un moyen dont la Nature se sert pour perpetuer la iie.

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Le Roman de la Rose connut un grand succEs et inspira pendant deuxcents ans les poEtes et les penseurs. Au XVI-dme si0cle l'Guvre fut 6dit6e parMarot; elle 6tait tBs appr6ci6e par Ronsard.

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7. LE THEATRE DU MOYEN AGE

l Le th66tre religieux: miracles et mystEres2. Le th66tre comique: farces, sotties, moralit6s

7,1. Le th6fitre religieux

En France, comme en Grdce, Ie th60tre est n6 du culte rerigieux. Lors degrandes f6tes, h la NoEl ou i p0ques, les prOtres introduisaient au milieu deI'office des reprdsentations dialogu6es de scBnes 6vang6liques, la Nativit6 deJ6sus ou la Rdsurrection: ainsi naquirent les drames li*turg)ques qui 6taient desimples paraphrases des textes sacr6s en latin. peu a peu tJfianqais remplace lelatin, les vers se substituent i la prose; Ies piBces furent jou6es non plus dans1'6glise mais sur le parvis ou sur ra place voisine; les auteurs, au lieu d'6tre despr€tres ou des clercs, devinre_nt des laieues. cette larbisation du drame liturgiqueparalt s'6fte accomplie au XII-Eme sibcle. c'est de cette p6riode que dare tJpiusancien drame 6crit en frangais qui nous soit parvenu: ie Jeu d^,Adam dont onignore l'auteur. ce jeu se d6roule dans le d6cor simultan6 qui sera traditionnelpendant tout le Moyen Age: h gauche, re paradis, e droite, I'Enfer; dansI'intervalle se succbdent les divers d6cors. Le Jeu montre d'abord l,expulsion dujardin d'Eden, puis le meurtre d'Abel; il se cl6t sur I'annonce de Ia R.6demption.

Quelques beaux passages r6vElent le talent littdraire et le sens thedtral deI'auteur anonyme: ainsi la scEne de la tentation oir "Diabolus,'persuade Eve, enddployant subtilement tous les artifices de la flafterie

Du XIII-Bme sibcle il ne nous reste que deux pibces: ..Le Jeu de saintNicolas" de Jean Bodel et "Le Miracle de Th6ophile" de Rutebeuf.

Le Miracle de Th6,ophile" cornpte environ 700 vers. Le clerc Th6ophile estinjustement d6pouilld de ses biens par son 6v6que. Il renie Dieu et, parI'interm6diaire du magicien Saladin, signe un pacte avec le Diable. Il rentrera enpossession de ses dignit6s et de sa fortune, mais en dchange il donne son 6me.Plus tard, le repentir s'empare de Th6ophile. Est - il perdui Non, car il invoquel'aide de la Vierge, qui reprend i Satan G pacte infAme.

Dans Th1ophile Rutebeuf a m6lang6 le tragique et le comique comme JeanBodel, mais avec plus de discr6tion. L'acti,on et le d6nouement offrentd'exceptionnels m6rites psychologiques et litt6raires.. . .Le drame religieux, poursuit son dvolution. Aux 'Jeux,' du XII-Eme siEclesuccBdent "les miracles" puis "les mystbres". pour monter et repr6senter lesm_rsprgs apparaissent i Ia fin du XW-Bme siBcre des "confr6ies,' qui, eng€ndral, prennent le nom de Confr6ries de ra passion; celle de paris est ia plusc6ldbre; elle obtint de charles vI en 1402, le monopole des reprdsentations demystdres pour la capitale: ainsi 6tait fond6 le premier th€dtre permanent deFrance.

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7.1.1. Les miraclesUn manuscrit de la Bibliothbque Nationale groupe 40 "miracles de Notre

Dame"; c'6tait sans doute le r6pertoire d'une compagnie parisienne d6vote d la

Vierge. L'intrigue d'un miracle consiste dans une succession rapide de tableaux

couris et frappants; elle s'achlve pax un d6nouement merveilleux: I'intervention

de la vierge qui, en g6n6ral, sauve un couple repentant. Les thbmes, ftbs vari6s'

sont.mpruntdr au folklore (La femme du roi de Porrugal) tr l'6pop6e (Berthe au

grand pied). Le tagique est m0I6 de comique et de r6alisme: souvent sont

Evoqu6es dans leur cruditd des sclnes de 1a vie bourgeoise et populate.

7.1.2. Les mYstdres

Le genre du mystEre (du latin mddidval misterium = c6r6monie religieuse

d'un caraJtdre sacr6) englobe dEs le XIV-bme siEcle de vastes drames

d'inspiration sacr6e, tir6s parfois de la L6gende des Sailts, mais surtout de

t'eniien et du Nouveau Testament. Au XV-bme sibcle le mystbre supplante le

miracle dans la faveur du Public.A la diff6rence du-miracle, qui deroule une action humaine oi l'6l6ment

divin apparait seulement au d6nouement, le myst}re sollicite l'ing6ration des

foules Jn prdsentant sur le th66tre les r6cits des textes sacr6s. En oufie, le miracle

est relativement court et sa mise eu scBne est sobre; le myst}re compte jusqu'b

65000 vers, agr{mentds de musique et de chants, se joue en plusieurs journdes,

requiert la participation de centaines d'actgurs et de figurants, exige un d6cor

grandiose et recourt aux "trucs" d'une ingdnieuse machinerie.* Les plus connus sont ceux qui racontent I'histoire de J6sus - Christ et

qu,on appelle "Les mystires de la Passion". 11 faut surtout citer la Passion

d,Arnoul Griban gui compte 35 000 vers, met en scene 224 personnages et

joue en quatre journ6es. On voit d'abord se d6rouler la vie d'Adam; puis dans

aeuot qoi a lieu au Paradis, Mis6ricorde plaide pour l'homme d6chu, Just

reclame le maintien de la condamnation et Dieu annonce la R6demption.

cours de la seconde journ6e, on assiste h la vie de J6sus, jusqu') la trahison

Judas et h I'arrestation. La troisiEme journde conte le procbs, la Passi

proprement dite, la mise au tombeau. Enfin dans la quatriBme journ6e,

6voqu6es la Rdsurrection et la Pentec6te'

Gr6ban, qui fut organiste de Notre - Dame de Paris et mourut chanoi

est un lettrd, musicien et pobte au talent vari6. Il organise fottement sa matiBre

autour du drame qui oppose I'amour maternel de Marie pour J6sus h

divin du Fils pour les hommes: l'une de ses plus belles scbnes est le dialogue

J6sus et de Marie I la fin de la seconde journ6e. L'ceuvre connut un

succos.Parmi les nombreux remaniements auxquels cette Guvre donna lieu

doit signaler In Passion d.e Jean Michel qui reprend en 65000 vers et

journ6es la Passion de Gr6ban. Mais Jean Michel, pour flatter le go0t du

d6veloppe surtout avec complaisance les scbnes r6alistes et comiques;

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repr6sente les amours de Judas, la vie mondaine de Madeleine. Ainsi, le visagede I'cuvre est transforrn6 dans un sens profane.

cette tendance ir m0ler des 6pisodes profanes aux tableaux sacrdss'accentue d la fin du XV-dme siBcle et au d6but du XVI-Bme siecle. t e genre,bient6t abandonnd au peuple, soulbve le scandale: il est condamn6, au nom de lafoi et pussi au nom de I'art. Le Parlement interdit aux confrEres de la passion quivenaient de s'installer d l'H6tel de Bourgogne, la representation des ,.mystdres

sacr6s". La confr6rie elle - mome devait 6tre slpprim6e en 7676 par un 6dit deLouis XlV.

7.2. Le th6Atre comique

N6e vers 1250, la comddie m6di6vale est illustr6e au cours de la secondemoiti6 du XIII-dme siBcle par les deux 'Jeux" d,Adam de la Halle.

Adam de la Halle, dit le Bossu, n6 d Aras, fut clerc et joyeux compagnon.A la fin de sa vie il passa au service du comte d'Artois et I'accompagna e Naplesoir il mourut vers 1288.

Le Jeu de la Feuillie est une revue satirique et fantaisiste. Adam sibge h laitaveme avec ses amis. Il voudrait quitter sa vilre et sa femme qu'il n'aimi pluspour aller 6tudier i Paris. N{ais son pBre qui, comme bien des bourgeois cl'Arras,est avare, lui refuse l'argent. surviennent un moine, montreur de reliques, puisd'autres bourgeois et l'on bavarde hardirnent sur les affaires et les homrnes, Lanuit tomb6e, trois f6es que I'on attendait s'installent sur la feuill6e or) un festinleur a 6t6 pr6par6. Elles dvoquent la Fortune. Apr0s leru d6part; les bourgeoisrecommencent ?r boire et h jouer aux d6s pendant que le moine s,enidort. euand itrse r6veille on lui persuade qu'il a jou6 et perdu: i lui de payer les 6penses desbuveurs. Il doit abandonner ses reliques en gage et part queter I'argent ndcessaire.' Le Jeu de Robin et de Marion - une pastourelle dramatique. La bergbreMarion chante son amour pour Robin. survient un ,chevalier qui lui faii degalantes propositions. Elle lui r6pond avec une nalvetd qui n'est pas d6pourvue definesse ni de fermet6 et le chevalier passe son chemin. Robin arrive; les deuxamoureux chantent et dansent; mais Marion conte son aventure h Robin qui,inquiet, part chercher du renfort. cependant le chevalier revient et enlEve Marionsur son cheval. Robin et ses camarades vilains sont fort en colEre, mais ils nepeuvent rien. Marion, heureusement, sait se defendre seule et fait si bien que lechevalier la laisse fuir. Les bergers et les bergEres accueillent avec joie cet

'heureux retour qui'est f€t6 par desleux, des chants et des danses.Cette pitsce prdfigure la comddie * ballet cultivde par MoliBre.c'est du xv'bme , siEcle que datent les principaux genres de com6dies:

farces, sotties et mofalit6s.Les.farces (le mot d6signe un m6lange, du latin "farcire,, = remplir) 6taient

de petites pibces essentiellement amusantes que tout d'abord on ins6ra commeintermbde comique dans la repr6sentation d'un mystbre. on a conservd environ150 farces dont les plus cdlBbres "La farce du Cuvier,' et ..La farce du MairePathelin".

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Les sotties 6taient des pibces avant tout satiriques. La plus connue est "Lasottie du Prince des Sots" compos6e en 1512 par Pierre Gringoire h la demande

de Louis XII.Les moralitis 6taient des piEces qui avaient une intention moralisatrice et

dont les personnages 6taient le plup souvent all6goriques, Il'reste 65 moralitds.

Les unes sont 6difiantes, conlme Bien avisd et Mal avis6, L'homme juste et

L'homme mondain. Les aufes, plut6t morales que religieuses, attaquent des

vices, tels que la duret6 des riches (Charite) ou les excbs de la gourmandise (La

Condamnation de Banquet) ou bien conseillent les vertus familiales (L'enfant

ingrat). ",

Tout comme il y avait des confrdries sCrieuses pour jouer les miracles et

les mystires il y avait les confr6'ries. joyeuses pour jouer les pibces comiques;

Deux surtout sont cdlBbres: Les Clercs de la Basoche et les Enfants - sans -soacj. Le$ clercs de Ia Basoche formaient une assogiation organisde au

commencernent du XIV-bme sibcle par les clercs du Parlement de Paris. llsjouaient au Palais de Justice sur la fameuse Table de marbre ddcrite par V. Hugoau d€but de "Notre - Dame de Paris". Chaque Parlement de province avait aussi

sa Basoche. Les Enfants Sans - Souci ou sots formaient une association qui 6tait

surtout composde de fils de famille d6sauvr6e et qui avait 6t6 reconnue par

lettres patentes de Charles Vl.Pendant longtemps les Basochiens joubrent seulement des farces et des

moralit6s et les Sots des sotties; mais peu i peu les deux soci6tds, se rapprochent

I'une de I'autre, se pr6tBrent mutuellement leur r6pertoire.Outre les farces, sotties et moralit6s, le th66tre comique comprenait au

Moyen Age deux genres secondaires: les sernwns ioyeux et les monologues

dramatiques. Les sermons joyeux sont des parodies de sermons; on en possEde

une trentaine, entre autres Saint Jambon, Saint Hareng, Saint Raisin..' qui

raconteflt le pr6tendu martyre de ces saiuts d'un nouveau genre" Les monologues

dramatiquos sont des r6cits burlesques mettant en scdne des personnages qui

6talent nal(vement leurs vices ou leurs ridicules.Le seul geme comique denreur6 vivant est lafarce. La farce est d

de toute intention morale ou politique: elle est uniquement destin6e i faire rire.Elle a donc le m6me objet que les fabliaux dont elle reprond les th0mes et les

personnages.

La Farce du rnattre Pathelin - fut compos6e vers 1464 peut - 0tre par unprere et poEte normand nomm6 Guillaume Alecsis. Par son action complexe et

clairement mende, par ses personnages vivants et nuanc6s, par la qualit6 de sa

verve elle m6rite d'6tre tenue pour la premibre com6die,f,rangaise.

Maltre Pierre Pathelin, avocat sans clients et sans scrupules, se faitremettre une piBce de drap par le marchand Guillaume Joceaulme. Celui - civient aussit6t toucher son argent, mais Pathelin s:est couchd et feint d'Otre terrass6

depuis loagtemps par une terrible maladie. Aprds une discussion avec

Guillaumette, la femme de I'avocat, le drapier se retire 6bedu6; il ne peut pas

croire que ce pauvre malade en d6lire soit son acheteur de drap. Mais il retrouve

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au tribunal un Pathelin en parfaite sant6, qui assiste un client, Thibault I'Agnelet,berger de Guillaume, poursuivi par son maltre pour vol de moutons. Ahuri, ledrapier s'embrouille dans les deux vols. Le juge ne comprend rien. L'Agnelet,instruit par Pathelin contrefait le simple d'esprit et r6pondant h toutes lesquestions du jug6 par le mot "b6e", est acquitt6. Mais, quand pathelin r6clamera hAgnelet le paiement de ses honoraires celui - ci continuera b r6pondre par des"b€e".

La peinture des meurs et des caractires -Les personnages sotrt peints en action. Tous ont un caractBre commun, la

friponnerie: Pathelin dupe Guillaume en le persuadant qu'il n'a fait aucun achatchez lui, mais Guillaume I'avait vol6 sur le prix du drap; finaiement le maitrefourbe est bem6 par le simple qui retourne contre lui la ruse dont il futI'inventeur: d trompeur, trompeur et demi, telle serait la legon de la pidce. chacuncependant possEde un visage original: I'Agnelet, le campagnard qui cache sous sagrossiEret6 une astuce profonde; Guillaume, le marchand cupide qui, au contrairede son berger, n'est que sottise sous une apparence rus6e; Guillaumettc, digneauxiliaire de son mari; Pathelin enfin, I'avocat v6reux dont l'imagination, serviepar I'habilet6 orirtoire, invette sans cesse les expddiants n6cessaires d sa bohEme.

Le chef - d'ceuvre de I'invention comique est la scBne du procBs. L'auteurnous embrouille i plaisir dans I'affaire du drap et I'affaire des moutous, sanspourtant nous faire perdre le fil, et il provoque le rire en crdaniluun tableau6tourdissant: le juge, qui n'y comprend goutte, pousse des'cris; le miirchand qui,pour top vouloir expliquer, confond tout, donne le spectacle d,une vaine.indignation; Pathelin intervient vertueusement en faveur de I'innoEFnce, tandisque I'Agnelet ponctue de ses b€lements le dialogue burlesque. cette verve estservie par une versification alerte, par un style direct et incisif; le recours auxlocutions du langage parl6, aux images, aux proverbes, donne I la pidce l,alluremOme de la vie.

La c6l6brit6 de Pathelin fut consid6rable. La formule "Revenons i nosmoutons", prononcde par le juge excdd6 de voir s'6garer le procbs, est pass6e enproverbe et atteste aussi le succbs de cette farce.

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Chdteau de Saurnur ( l4 s)

Grange de Meslay (13" s)

Chdteau deSully/Loire (14"-17 s)

t647

Chdteau Royal de Tours ( I 4" - I 7 s)

Basilique de St-Benott (11" s)

8. LES CHRONTQUEURS

La France n'a pas manqud de chroniqueurs avalrt le VIII-dme sidcle,quelques - uns d'un rdel m6rite, mais qui ne r6digeaient leurs euvres qu'en latin,ce qui limitait leur diffusion. Ceux qui ne connaissaient pas le latin, ne purentconnaitre le pass6 que par les "Chansons de geste" largement diffus6es.

L'6v6que Grdgoire de Tours (VI-Eme sibcle) 6crit une Historia Francorum,histoire universelle remontant jusqu'au personnage biblique Adam et qui retracedes destindes de la Gaule Franque. Son ouvrage sera continu6 par Frdddgairg(VII-bme sibcle).

La vie agitde, les guerres et le gouvernement de Charlemagne font I'objetde l'6tude passionn6e d'Eginhard ('770 - 840) qui 6crir une "Vita Karoli MagniImperatoris", oeuvre h caractbre nettement apolog6tique.

Le rEgne de Louis le D6bonnaire et les conflits entre ses fils, aprEs samort, sont retrac6s par Nithard (800? - 844) dans son histoire des divisions entreles fils de Louis le Ddbonnaire, chronique qui insdre les "serments deStrasbourg", consid6r6 comme le premier texte en langue romane.

L'histoire en langue vulgaire commence avec les croisades c'est - h - direau XII-bme siEcle (la premidre croisade a eu iieu de 1096 h 1099): ceux quiprirent part iL ces expdditions lointaines 6prouvBrent le d6sir d'en faire le r6cit.

11 y a eu au Moyen Age quatre grands chroniqueurs au XII-dme siBcleVillehardouin; au XIII-Eme sidcle Joinville; au XIV-Bme sidcle Froissarr, auXV-Eme siBcle Commines.

En dehors de leurs ouvrages, quelques cEuvres historiques secondairesm6ritent d'Otre signal6es: D0s le XII-dme siEcle on avait r6uni h Saint - Denissous le nom de "Historia regum Francorum", diverses chroniques latines quiconcemaient les sibcles antdrieurs et que I'on continuait ir mesure. Cescfuoniques, traduites en frangais dans la seconde moiti6 du XIII-dme siOcledevinrent Les Chroniques de Saint * Denis qui depuis le milieu du XIV-bmesibcle jusqu'au temps de Louis XI furent une sorte d'histoire officielle, r6dig6epar des larQues i I'aide de documents fournis par le roi et prhent alors le nom de"Grandes Chroniques de France" (imprim6es h Paris en 1476).

Geoffroi de Villelhardouin, marlchal de Champagne, n6 vers 1150, fut undes chefs de la quatriBme croisade. I1 fut des dix commissaires que les princesc.rois6s adressbrent aux Vdnitiens pour n6gocier le transport des troupesexpdditionnaires et il participa h la conduite politique et militaire des op6rations.Nomm6 mar6chal de Romanie, il mourut err l2l3 dans son fief grec deMessinople, of il avait rddig6 b partir de 1207 "l'Histoire de la Conqu0te deConstantinople" dans un dessein de justification.

L'autorit6 historique de ce chroniqueur n'a jamais 6t6 s6rieusementcontestde car il 6tait bien plac6 pour connaitre ies dessus et les dessous de laIV-bme croisade, 6range exp6dition, partie pour ddlivrer le Saint Sdpulcre et quifut d6tourn6e sur Constantinople. Ami, confident ou conseiiler des trois chefssuccessifs de I'arm6e, il a certainemefi 6te bien renseignd et pouvait tout r6v6ler

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I la post6rit6. S'il a gard6 le silence sur les causes de certains 6v6nements, c'est

qu'il 6tait le porte - parole de I'arm6e qui voulait la conqu6te de Constantinople.

Comment justifier ce !'ddtournement" de la sainte entreprise?

D'aprEs Villehardouin, les actes n'ont pas r6pondu aux intentions, par suite

d'un enchalnement de malencontreux hasards. Comment repousser les

propositions d'Alexis, fils de I'empereur d6tr6nd de Constantinople qui offre, si

on r6tablit son pEre, d'aider les croisds de son or et ses hommes. D'oi la conqu0te

de Constantinople, comme d'une base de ddpart pour la croisade. Mais le sac de

la ville corrompt les soldats et le perfide Alexis refuse de tenir ses promesses. Ilfaut dL nouveau se battre, reprendre Constantinople, dtablir un nouvel empereur.

La croisade est morte; les conqu6rants suffisent i peine pour la ddfense du nouvel

empire contre les r6volt6s grecs et contre les Bulgares. Tous les actes de

Villehardouin et des autres crois6s laissent voir ce qui caract6risait les chevaliers

i la fin du Xli-dme sibcle: la fid6litd au serment, le ddvouement d la personne du

suzerain, Ie courage fait de sang froid et de volont6 r6fl6chie.La clartd et la sobri6t6 sont les qualit6s maltresses du slyle de

Villehardouin. Elles tiennent dvidemment a h croissance parfaite que l'auteur a

eue des dvdnements, ir l'admirable lucidit6 de son esprit. Il excelle, surtout dan$

les tableaux de bataille. Son dmotion ne perce qu'i de rares moments (le r6cit de

I'ernbarquement h Corfou, sa douleur h la mort du jeune comte de Champagne, sa

oompassion envers les pauvres gens aux prises avec les cruelles n6cessit6s de

guerre) mais c'est assez pour que I'on comprenne que Villehardouin n'6tait pas uninsensible. La prose frangaise, h sa naissance, 6tait manide par un bon ouvder.

Jeqn de loinville (1225 * l3l1). Sire, gentilhomme champenois,

h la croisade d'Egypte en L248, C'est l'6v6nement capital de sa vie, au cours de

campagne, il se lia avec le roi Louis IX. Lib6r6 en mOme temps que lui il'accompagna en Syrie et revint avec lui en France. Dds lors, il s6journa

dans ses terres et tant6t ar la Cour. Llamiti6 qui I'unit d Saint Louis ne Ipas de d6sapprouver la croisade de L270 qui se termina tragiquement par Iadu roi devant Tunis.

Joinville, ddsormais, sort la m6moire de son grand ami disparu. En 1

il t6moigne X l'enqu0te qui devait aboutir ?r la canonisation de Saint Louis. A1300 il entreprend ir la demande de Jeanne de France, femme de Philippe led 6crire "Le livre des saintes paroles et des bons faits de notre Saint Roi Louisl'ouvrage est achev6 en 1309 et d6di6 i Louis le Hutin fils de Philippe leC'est un recueil de petits tableaux qui, capricieusernent group6s, concourent

former, selon la mode des Vies de Saints au Moyen Age, mais avec un plus

souci de v6ritd et de prdcision, une sorte de l'l6gende dor6e".

Joinville n'est pas un historien. Il n'explique pas les 6v6nements.

t6moignage vaut par sa sincdritd et par sa fralcheur.On trouve dans son livre deux portraits exquis: ceiui du Roi et celui

Joinville lui - m6me. Louis IX apparait cornme un personnage de chair, violeparfois mais par6 de vertus chrdtiennes: c'est un homrne saisi dans la fde la vie quotidienne et c'est ddjtr un saint, dont I'ardente charit6 ne

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aucune d6faillance. Quant au portrait de Joinville, il est plus vivant encore;I'auteur se raconte et s'analyse avec une candeur bonhomme. C'est un soldatcourageux, un chr6tien sincbre, un ami sfu, un vassal ddvou6; mais, c'est aussi unhomme pond6r6, qui ne prdtend pas i I'h6roisme, qui n'aspire pas i la saintet6 etqui avoue sans fard ses faiblesses.

En outre, le livre est riche en apergus saisissants. Ce sont parfois de brBvesnotations de costumes: voici les B6douins, la t6te entortill6e de linges, ou le jeuneroi Louis IX "en cote de sami bleu et coiff6 d'un chapel de coton qui lui 6tait mals6ant". Certains tableaux ont une rdelle ampleur comme celui du d6part des nefschr6tiennes aux accents de 'Yeni creator'l ou comme, la scdne du conseil otrLouis demande i ses fidbles s'il doit abandonner la Terre Sainte et rentrer enFrance.

Tout distingu" ;or,ilyille de Villehardouin: le gott pour les d6tailspittoresques qu'il retrace en peintre amateur de nature, d'exotisme, les anecdotes,curieuses et piquantes qui le font interrompre son r6cit, son manque dediplomatie, sa sinc6rit6, sa sensibilit6, son agr6able causerie.

Jean Froissart (1,337 - 1405?). N6 h Valenciennes d'une famille dematchands, il sentit s'6veiller de bonne heure une vocation semblable ir celle desmodernes "reporters": il passa toute sa vie h s'informer, d voyager, i t6moignersur ce qu'il avait vg ou appris. En 1361 il se rendit tr la Cour d'Angleterre pourservir la reine Philippa de Hainant, sa compatriote. Il coupa son s6jour pour desvoyages en Ecosse, en Aquitaine, en Italie, oi il compl6ta ses informations.Quand la reine fut morte iI retourna d Valenciennes et trouva d'autres protecteurs.A partir de 1370 il commenga la rddaction de ses Chroniques. Ses chroniques, enquatre livres, embtassent les anndes 1325 h. 1400. De l'historien v6ritable,Froissart n'a ni I'impartialit6 ni la p6ndtration. Son jugernent est souvent fauss6par ses opinions qui sont changeantes. L'id6e de lapatrie est dffangdre h Froissart.Le premier livre de ses chroniques penche pour les Anglais au d6but, change denuance par la suite et devient pro frangais, rendant aussi hommage i un autreprotecteur.

Froissart peint les aspects guerriers et brillants du temps. Par go0t et parm6tier, il est 6crivain courtois, il aime retrouver dans son 6poque assez rude etconfuse, une civilisation h4ro'r'que et raffinde. Aussi se plait - il i ddcrire tesf6tes, les batailles, les "beaux faits d'armes", les aventures d'6pde of triomphentla force et I'astuce. Il exalte les exploits de Bertrand Dugnesclin et aussi ceux ducipitaine de brigands Aymerigot Marchds.

Le but de Froissart a 6t6 I'exaltation de la prouesse car, pour lui, lecoruage justifie tout, m6me les actes les plus rdvoltants, pillages, incendies,massacres, meutres d'otages qu'il raconte avec impassibilitd. Cette insensibilit6est due h celle de son sidcle of nul ne s'apitoyait sur les victimes de la guerre. Enlisant ses Chroniques il semble qu'on assiste d un spectacle. Il compose ainsi, irl'aide des ressources d'une langue colorde, uns suite de tableaux pittoresques. Ilintroduit dans ses rdcits de l'6clat et de la lumilre. Il ddcrit avec relief les gestes

et les attitudes, les costumes et les annes. Lui, qui n'avait jamais particip6 i un

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combat, il sait ordonner avec clart6 le d6roulement d'une bataille: Crdcy, poitiers,Cocherel. II apparait cortme Ie peintre s6duisant de la chevalerie; il tdmoigne deI'esprit d'une classe magnifique mais vaine et qui brille de ses derniers feux.

Philippes de Commynes (1447? - 1511) - appartenait h une famille noblede Flandre; fort dou6 pour les langues vivantes, il fut attfud de bonne heure versla diplomatie et la politique. Dds 1"464,llfut introduit ir la Cour de philippe leBon, duc de Bourgogne et devint chambellan de son fils, le futur Charles leT6m6raire. Et 1472 il trahit le T6m6raire et passa au service de Louis XI qui lecombla de dignitds et lui fit 6pouser une riche h6ritibre. Le roi eut en lui un bonserviteur qu'il employa en particulier i plusieurs ambassades en Italie et enAllemagne.

Aprds la mort de Louis XI il connut quelque temps une disgrdce compldte.Mais il rentra en faveur et il accomplit pour charles vtrI quelques missionsdiplomatiques en Italie. Ses "M6moires" r6dig6s de 1489 a 1498 furent imprim6saprEs sa mort.

Les "M6moires" de Commynes se divisent en huit livres les six premierssont consacr6s au rEgne de Louis XI et i sa lutte contre charles le T6m6raire; lesdeux derniers au rdgne de charles vIrI et i ses exp6ditions d'Italie. Ils seterminent par le couronnement de Louis XII.

Ces "M6moires" font revivre les grands 6v6nements de t'6poque. Onassiste d l'entrevue de P6ronne, of charles le T6m6raire humilia le roi de Francequi avait secrbtement soulev6 les Li6geois contre lui, et le contraignit ir prendreles armes h ses cdtds contre Libge r6volt6e; aux campagnes du T6m6raire qui,finalement vaincu, mourut au siBge de Nancy; aux derniEres ann6es de Louis XI,barricad6 dans son chdteau de Plessis - les - Tours. L'information de commynesest d'une rare stret6, puisque, par un privildge unique il fut le confident de deuxprinces, dont il a racont6 les luttes; et son t6moignage est d'une froideimpartialit6.

Mais Commynes ne se contente pas d'exposer les faits: il les explique. Ilmontre comment les causes s'enchainent, il expose la politique des princep, ilmarque les crises et les moments d6cisifs. Il a compos6, de Louis XI et deCharles le T6m6raire, des portraits clairvoyants et mesur6s.

Enfin Commynes raisonne sur les 6v6nements. Il a des opinions sur legouvernement de son pays: il d6fend le pouvoir royal contre les f6odaux, mais,soucieux d'empOcher I'arbitraire, il se prononce pour une consultation 6tendue etfr6quente des Etats G6ndraux; et il d6gage l'id6al du bon souverain ,.politique,,

ferme et mod6r6. Louis XI fut le prince qui s'approcha le plus de ce mod&le. Ils'6lEve d des consid6rations g6n6rales sur la condition humaine et montre leseffets de la justice de Dieu i l'6gard des princes. Son expdrience lui enseigne unesagesse mesur6e et chr6tienne, un peu surprenante, d vrai dire, chez un hommequi travailla toute sa vie i satisfaire les agitations vaines des puissants. V6ritablehomme d'Etat, les r6flexions, les anecdotes, les maximes qui parsdment son@uvre 6clairent les faits expos6s, en expliquant les dessous. sa langue estabstraite, 6nergique, 6l6gante mais bien des fois son style est in6gal et souvent

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lourd. Mais il possdde les dons de I'intelligence qui 6claire son livre comme savie. Il est le premier en date des historiens frangais au sens complet du terme.

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9. LA RENAISSANCE

Le XVI- dme sidcle frangais est le sidcle de la Renaissance, de la R6formeet des Guerres de Religion, p6riode de vie d6bordante, d'activit6 intense danstous les domaines de la pens6e et de l'action qui conduit l'art, la litt6rature et lalangue du Moyen Age au Classicisme.

Difinition: - On appelle Renaissance ie mouvement de r6novationlitt6raire et artistique qui s'est produit dans l'Europe occidentale i la fin du XV-drne sidcle et dans le courant du XVI- dme sidcle. Ce mot de Renaissance-qui, ausens o[ nous l'entendons ici, ne se rencontre d'ailleurs pas au XVI- dme sidcle nesigrrifie point que le Moyen Age fut, comme on I'a cru pendant trois sidcles (duXVI- dme au XIX- dme) "une longue nuit intellectuelle". Nous avons vu, aucontraire, dans les chapitres qui pr6cddent, quelle fut sa f6condit6 litt6raire et 1es

cath6drales romanes et gothiques encore subsistantes, attestent i nos yeux quellefut sa f6condit6 artistique. Seule la fin du Moyen Age, c'est-d-dire la secondemoiti6 du XV- dme sidcle fut une p6riode de st6rilit6 pour les lettres et les arts. Etc'est au sortir de cette p6riode qu'on eut, au XVI- dme sidcle f impression d'unevraie "renaissange".

Causes: - La rdsurrection des lettres eut aussi deux caus€s g6n6rales:1. - la diffusion des tr6sors de l'antiquitd apport6s dans les pays occidentaux parles savants grecs, qu'avaient chass6s la prise de Constantinople par les Turcs(1453) et parmi lesquels il faut citer Georges de Tr6bizonde, Bessarion et surtoutLascaris.2. - la d6couverte de I'imprimerie qui permit la multiplication plus rapide etmoins co0teuse des chefs-d'ceuvre antiques.

En m6me temps les voyages de Colomb, de Vasco de Gama, de Magellanoffrent i la r6flexion et ri l'imagination des horizons nouveaux. Les d6couvertesscientifiques et techniques entrainent peu d peu une r6volution dans les id6es: icdt6 de f imprimerie "sceur des Muses et dixidme d'elles" (Du Bellay) I'anatomieet la chirurgie sortent de l'enfance avec Ambroise Par6, le systdme de Copemic,en s'imposant lentement, ouwe une dre nouvelle d la pens6e humaine. A sciencenouvelle, litt6rature et esprit nouveaux.

Origine: - C'est en Italie que d6buta la Renaissance et cela pour plusieursraisons: d'abord les souvenirs de I'antiquit6 s'dtaient beaucoup mieux conservdssu1 ce sol ou avaient vdcu les Latins et qui avaient peu subi f influence desinvasions germaniques; puis, sans parler de la race italienne, naturellementartiste, la situation 6conomique et politique de l'Italie 6tait alors trds favorable au

d6veloppement des lettres et des arts, avec ses riches corporations de bourgeois etd'ouvriers qui avaient assez de bien-€tre et de loisir pour s'int6resser auxproductions artistiques et litt6raires; enfin les artistes rencontrdrent la protection6clair6e de nombreux princes (les M6dicis ir Florence, les Sforza i Milan, lesGonzague d Mantoue, Ia maison d'Este d Ferrare, Alphonse le Magnifique iNaples) et celle de plusieurs papes, Alexandre VII, Jules II et surtout L6on X.

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D'Italie la Renaissance passa en France grdce aux contacts qu'6tablissententre les deux pays, d partir de 1492, les guerres d'Italie qui se continudrent soustois rois (Charles VIII, Louis XII, Frangois I). En Italie les seigneurs frangaisapprennbnt d go0ter o'la douceur de viwe"; de retour en France, ils s'efforcent dereconstituer autour d'eux un cadre luxueux et raffind (conversations mondaines,r6ceptions, repr6sentations th60trales, f6tes galantes.), Surtout Far liinterm6diaire de l'Italie la tadition de I'antiquit6 apparait

d5sormais en pleine lumidre. Dds le ddbut dr,r XVI- dme sidcle les Frangaisapprcnnent d mieux connaitre ou i d6couwil,en,rn6me temps,que l'reuwe desgands 6crivains latins, la philosophie platonigionne, la po6sie d'Homdre, lestrag6dies de Sophocles, les r6cits d'H6rodotp, les 6crits moraux de Plutarque.

9.1. Humanistes6rudits.

Pour puiser au tr6sor antique, il fallait commenaer par la tdche la plusaustBre, r6serv6e d'abord aux savants: il fallait apprendre le grec, que presquepersonne ne savait au Moyen Age, renouveler l'6tude du latin,?ditrr1"s gr*dutGuvres grecques et latines dans un texte aussi str que possible. Les premiershumanistes fruent donc des philologues comme Guillaume Fichet, puis Lefdvresd'Etaples et Guillaume Bud6.

Dds le d6but du sidcle, Erasme (1467-1536) offre I'exemple d'un,humaniste philosophe en m6me temps qu'drudit. N6 i Rotterdam, il mourut dBAle aprds avoir s6journ6 longtemps en France, oi son influence futconsid6rable; sa vie m6me est un peu le symbole de cet esprit nouveau quisouffle d tavers ltEurope par-dessus les frontidres. D'espdt trds hardi, Erasmecritique I'ensemble des institutions m6di6vales. Pour lui, les deux sources de la i'

sagesse sont la litt6rature antique et la Bible; i la Bible il applique le principe duretour aux textes et de leur interpr6tation libre et directe. C'est dans son ceuwequ'on disceme le mieux comment Humanisme et R€forme sont li6s d l'origine.

9.2. Protecteurs.etinstitutions

La Renaissance frangaise reucontra deux prdcieux protecteurs en lapemonne du roi Frangois I (1515-1547) et de sa scur Marguerite de Navarre.Frangois I a jou6 pour la Renaissance frangaise le rdle d'Auguste au temps deVirgile, de L6on X pour I'Italie du XVI- dme sidcle, le r6le que jouera Louis XIVpour le classicisme. Favorable d l'esprit nouveau, ce roi, dont l'instruction avait6td pourtant si n6glig6e qu'il ne savait pas le latin, se fit le protecteur des savants,des dcrivains et des artistes, mdritant ainsi le titre de Pdre des Letffes. Dans cer6le il fut second6 par sa seur Marguerite d'Angoul6me, duchesse d,Alengon,puis reine de Navarre, protectrice de Marot et auteur elle-mOme de l'Heptam6ron,recueil de nouvelles d la manidre de Bocace.

La Renaissance frangaise fut favoiis6e par plusieurs institutions dues iFrangois I ou d ses successelrs: la Typographie royale -imprimerie moddle qu'ilconfia d Robert Estienne et qui fut I'origine de I'Imprimerie Royale fond6e parLouis XII en 1540 et devenue de nos jours I'Imprimerie nationale. En France les

plus c6ldbres imprimeurs furent les Estienne qui rivalisdrent avec les AldeManuce d Venise et les Elz6vir en Hollande.

D'autre part le roi ouvre sa bibliothdque aux humanistes et l'enrichit demanuscrits grecs. Elle 6tait installee au palais de Fontainebleau et dirig6e parBud6.

En 1530 acc6dant au souhait depuis longtemps exprim€ par GuillaumeBud6, Frangois I fonde Le colldge Royal ou Le colldge des toislangues (latin,grec, h6breux) qui est devenu I'actuel colldge de France D'autres institutions dela Renaissance ont 6t6 I'Acad6mie de charles rx ol l'Acaddmie de potsie ou demusique (1570-1574) et I'Acad6mie de Henri III aussi appel6e l'Acadimie duPalais (1576-1585). cette academie qui pr6c6da de plus de cinquante ansl'ouverture de 1'H6tel de Rambouille! r6unissait en pr6sance du roi Hinri III des6crivains (Agripa d'Aubiga6, Ronsard, Antoine de Baif, pontus de Tyard,Philippe Desportes...), des 6rudits (Henri Estienne, Scaliger, etc), de grandsseigneurs (le mar6chal de Retz,, le duc et le cardinal de Guise, etc,), des femmes(la mar6chale de Retz, Madame de Rohan, etc.)Les membres de cette acad6mie,qui s'appelaient'oles Acad6miques" se liwaient i des discussions litt6raires etphilosophiques.

9.3. Etapes

Les 6tapes de la Renaissance des lettres.

9, 3. 1. La jeune Renaissunce -(I S I 5-I 534), La premidre p6riode de la Renaissance litt6raire commence d l'avdnement

de Frangois I en 1 5 I 5 et coincide avec les vingt premidres ann6es de son rdgne.La Renaissance c'est au d6but un dnorme app6tit de savoir et un

optimisme sans bornes. Pour Rabelais il suffit de libdrer le corps et l,esprit descontraintes du Moyen Age en faisant confiance d la nature, pour que luisel'aurore d'un progrds illimit6. Le gigantisme prend chez lui une valeursymbolique: l'humanit6 telle qu'il la congoit est waiment g6ante.

Au cours de cette p6riode la Renaissance et la R6forrne marchent de pair.

9.3, 2. Lu Renaissance dpanouie-(l Sj 4-I S 60)La seconde partie de la Renaissance litt6raire embrasse les derni0res

ann6es du rdgne de Frangois I et le rdgne de Henri II (ls4i-1s59). En 1534,l'affaire dite des Placards a marqu6 un tournant d6cisif dans la politiquereligieuse du roi: des r6form6s avaient affich6 des placards de protestation contrela messe papale dans de norhbreux endroits publics et jusque sur la porte de lachambre royale d Amboise. Frangois I fut init6 de cette aud.ace

-t prit desmesures de r6gression; Marot dut s'enfuir, Rabelais se cacher et calvin sedisposa d gagler la Gendve pour fonder une 6glise nouvelle. Au cours de cettep6riode la Renaissance et la R6forme s'engagent dans des voies diff6rentes.

La seconde g6n6ration se place sous le signe de l,art. C,est l,esprit de laPliiade, le triomphe de Du Bellay et de Ronsard. A la verve rabelaisienne

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succddent un gott plus raffin6, plus aristocratique, un id6a1 de perfection.formelle qui annoncent le classicisme: les anciens donnent l'exemple de cetteperfection. Ces gentilshommes se font la plus haute id6e du podte et de samission, Ils ont conscience de leur grandeur; ainsi la grAce de leur lyrisrne quiinaugure les thdmes "romantiques" de la nature, de l'amour et de la mort, se

rehausse souvent de noblesse et de majest6.9.3.3. La Renaissance mfirie (1560-1598)

La troisidme pdriode de la Renaissance litt6raire embrasse les rdgnes deCharles IX (1560-1574) de Henri III (1574-1589) et les premidres ann6es durdgne de Henri IV (1589-1598). Elle coincide avec les guerres de religion dont laconjuration d'Amboise en 1560 sous le rdgne 6ph6mdre de Franqois II a 6t6 lepremier 6pisode sanglant et dont I'Edit de Nantes marque Ie terme en 1598.

Au cours de cette p6riode les passions se heurtent avec violence. L'6tuded6sint6ress6e est souvent sacrifi6e aux exigences du cornbat; et la litt6rature subitle contrecoup des 6v6nements. La Renaissance, mfirie par les souffrances, prendun visage tourment6. Les guerres de Religion inspirent de grandes euwes dR.onsard et i d'Aubign6 mais la litt6rature risque de d6g6n6rer en propagande.Montaigne a senti le danger. I1 demeure d l'6cart de tout fanatisme; d ses yeux, lav6ritd est incertaine. les luttes d'opinion sont vaines et st6riles, autant quemeurtridres; il travaille i la concorde et il aspire d la paix: ce sage r6sume toute1'exp6rience de son sidcle et annonce le sidcle suivant. Certes, il doit renoncer dbien des illusions: il ne confond plus science et sagesse, iI rappelle l'homme auxsentiments de ses limites; mais il conserve le v6ritable esprit de Ia Renaissance: ilcroit d la vertu de l'instinct et se consacre A Ia recherche d'uue sagesse "i la taillede l'homme".

9.4. Arts

Frangois I attire en France les artistes italiens les plus illustres: L6onard deVinci, qui meurt prds d'Arnboise en 15i9, Benvenuto Cellini, Le Titieu, LePrimatice qui d6corent le chdteau de Fontainebleau. ta cour de France y gagneen faste et en prestige et bient6t l'art frangais produit d son tour des chefs -d'cuvre . Au gothique flarnboyant du XV -e sidcle succdde le styte Renaissancequi s'inspire de l'architecture italienne et des monuments antiques. Somptuosit6de mat6riaux, gait€, clart6 de I'atmosphdre, 6l6gance d6jd classique des lignes,telles sont les principales caract6ristiques des chdteaux de la Loire, Chenonceaux,Chambord et tant d'autres, "plus nombreux, plus nerveux, plus fins que despalais" (Carles P6guy). En 1546 Pierre Lescot commence le nouveau Louwe;sous Charles IX, Philibert Delorme entreprend la construction des Tuileries,

Avec Jean Goujon (Nymphes de la fontaine des lnnocents) et CermainPilon (Gr0ces au tombeau de Herri Il) la sculpture devient un hymne paien d lagloire du corps humain.

Enpeinture-lean Clouet et son fils Frangois cr6ent une 6cole frangaise duportrait. Bernard Palissy inaugure l'art de la cdramique.

Des musiciens, Roland de Lassus, Jannequin, compldtent cette pl6iaded'artistes.

9.5. Les Humanistes

Le mot'lhumanitas" d6signe en latin "culture" mais ce beau terme 6voqueaussi une 6l6gance morale, une politesse, une courtoisie insdparables de touteculture accomplie, bref tout ce qui fait un homme waiment homme; ainsi le mothumanisme en viendra d d6signer, outre la formation i l,6cole de la pens6e gr6co-latine, un id6al de sagesse et toute une philosophie de la vie. L,humanisme c,estun acte de foi dans la nature humaine, et la conviction, pour reprendre la formuled'Andrd Gide "qu'il n'y a d,art qu'd l'6chelle dJ l,homme. ..Le premierhumaniste fut P6trarque (1304-1374) et son influence s,est exerc6e en France ouelle avait provoqu6 flotamment des traductions d,euvres antiques. La Hollandefut un autre foyer important d'humanisme avec Erasme de iotterdam auquelFrangois I offrit d deux reprises la direction du colldge royal de France.

Les principaux humanistes frangais du XVI- dme sidcle sont GuillaumeBud6 (1467-1540) qu'Erasme appelait "le prodige de la France', Etienne Dolet,Joseph Scaliger, les Estienne et d'autres. Tous ces drudits entreprennent des6ditions d'auteurs grecs et latins. Et, pour faciliter l,6tude des textes anciens, lesEstienne composent des dictionnaires: Robert Estienne:Le Thesaurus linguaelatinae-1549, Henri Estienne : Le Thesaurus graecae linguae-1572. En m0metemps, pour mettre I'Antiquit6 d la portEe des profanes, on publie au XVI- dmesidcle de nombreuses traductions des cuvres anciennes, roit a, prose soit envers. Thomas s6billet dans son "Art po6tique" l54g-constate le iuccds de cegenre et J. Du Bellay dans la "D6fense et illustration de la langue frangaise',1549-se plaint mcme de la trop grande abondance des traducteurs, dort qu"iqo.r-uns sont 'ovraiment mieux dignes d'6tre appelds traditeurs que traducteurs'i Detous les traducteurs du XVI- dme sidcle le plus c6ldbre est Amyot qui a traduitparmi d'autres :"Daphnis et ch1o6", les "vies des hommes iliustris" et ,,Les

ceuwes morales" de Plutarque. ses traductions, surtout celles de plutarque quisont 6crites dans une langue savoureuse, d la fois trds riche et trds familidie,euent un immense succds qui nous est attestd par Montaigne et exercdrent sur lesesprits une influence bienfaisante qui s'est prolongde jusq-u,au XVIII- dme siOcle.(J. J. Rousseau, vauvenargues, Madame Roland faisaieni encore leurs d6lices dela tiaduction de Plutarque d'Amyot et y puisaient de r6confortantes legons.)

Les 6crivains du XVI- dme sidcle ne se bornent pas d invoquer les dieuxpai'ens et dr ressusciter les hdros antiques. comme la Renaissance n,est pas simpledivertissement d'artistes ni simple passe-temps des 6rudits, mais ceuwe depenseurs, ce sont toutes les iddes de l'antiquit6 que nous voyons reparaitre dansles ouwages de ce temps depuis les principes de m6decins d,Hippocrate et deGalien (chez Ambroise Par6) ou les principes de l'art militaire des Romains (chezMouluc ou Brant6me) jusqu'aux id6es politiques des d6mocraties anciennes(chezLa Bo6tie) ou aux pr6ceptes de la morale paienne, qu'on retrouve chez les

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deux plus grands 6crivains qui repr6serttent la philosophie du sidcle: Rabelais et

Motaigne.Dans ce reveil des id6es antiques au XVI- dme sidcle il convient de noter

particulidrement la diffusion du Platonisme. Dds la fin du XV- dme sidcle Platon

avait hoqv6 en Italie, dans l'Acad$mie flo:entine de M6dicis, des savants,

interpr6tateurs et apologistes tel que Marsile Ficin, Jean Pic de la Mirandole' Ce

qu'on exaltait surtout dans Ia philosophie de Platon, c'6tait sa th6orie de l'amour,

expos6e dans Le Banquet: la contemplation de la beaut6 tenestre n'est, d'aprds

lui, que le premier degr6 d'une ascension qui doit nous conduire i la

contemplation de la beaut6 divine.D'Italie la conception platonioienne de I'amour passa en France. Elle y fut

en honneur i la cour de la reine de Navarre. Et les podtes de I'Ecole lyonnaise

s,en firent les propagateurs en rnQlant il est vrai, aux id6es du philosophe grec

f id6al p6trarquiste qui en d6rive en partie et souvent se confond avec elle. Voicinotamment quelques vers d'Antoine H6roet, tout inspir6 de Platon:

Il me souvient lwi avoir oui dire

Que la beautd que nous voyons reluireEs corps humuin, n'dtait qu'une itincelleDe cest-ld qu'il nornmait irnmortelle...

Il est vrai que certains humanistes ont limit6 leurs recherches i la

restauration et d la critique des textes: mais les plus nombreux d'entre eux 6taient

des humanistes au sens large du mot, se servant de la sagesse antique pour

comprendre l'homme, l'affranchir des contraintes m6di6vales et stimuler sa

conscience critique et r6flexive.L'humanisme, en tant que position philosophique qui met sur le premier

plan la promotion de l'homme et d6fend son droit au bonheur terrestre, i la

iulture, i I'action, apparalt colnme le fondement mQme de la cuhure universelle.

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10. LA REF'ORME

Humanisme et R6forme ont une origine commune: retour aux textes etr6flexion critique. Erasme et Lefdwes d'Etaples 6tudient la Bible selon la m6mem6thode que les Guwes de l'Antiquit6 paienne. Ainsi se forme l'esprit de: "libreexamen" conhe lequel r6agit la sorbonne au nom de la m6thode d'autorit6.cependant un moine allemand Martin Luther (1483-1546) proteste avecv6h6mence conke le trafic des indulgences et divers abus qui se sont introduitspeu d peu dans la religion catholique. I1 voudrait riformer le christianisme etretrouver la ligne stricte de l'Eglise primitive. condamn6 par Rome il est suivipa.r toute l'Allernagne du Nord. Au lieu d'une r6forme, tin aboutissait d unescission. L'Angleterre d son tour, avec Henri XVII se s6pare de I'Eglisecatholique.

En France l'esprit de la R6forme se manifeste d'abord par le mouvement"6vang6lique". L'Evangilisme c'est le retour d l'Evangile et plus g6ndralement il'Ecriture sainte consid6r6e comme seule source authentique des croyanceschr6tiennes, alors que, selon I'orthodoxie catholique, l,Ecriture doit 6tecompl6t6e par la Tradition (commentaires des Pdres de l'Eglise). La plupart deshumanistes, en conflit avec la Sorbonne, sont de tendance 6vang6lique. pourrendre la Bible accessible d tous les fiddles Lefdwe d'Etaples la traduit enfrangais-(1530); la sorbonne condamne cette traduction. Frangois I qui protdgeles humanistes assure d'abord la libertd de croyance, mais en 1534, Itaffaire disPlacards l'amdne i changer d'attitude: des luth6riens sont brfl6s, Marot doits'exiler.

En France les id6es religieuses se r6pandirent surtout par l'influence duHollandais Erasme (1467-1536).Il est un humaniste qui a voulu recueillir dansses Adages sous forme de maximes emprunt6es aux dcrivains et aux phiiosophes,l'essentiel de l'h6ritage antique. En m6me temps il entreprend de mettre la Biblequ'il considdre comme la grande source de la sagesse moderne, i la port6e desfiddles. Sans rejeter l'autorit6 de Rome comme Llther, Erasme contribue i fairepasser dans le christianisme un esprit nouveau: l'6vang6lisme.' En France la r6forme ne prend pas la forme lutherienne: elle s,inspire desid6es de calvin. celui-ci s'6tablit d Gendve qui devient le foyer du calyinisme.Au lieu du latin qui avait 6t6 jusqu'au XVI-dme sidcle la langue de la trilogie, lesprotestants, pour agir sur l'opinion, employdrent le franqais dans leurs ouvrages.c'est calvin qui le premier donna l'exemple en publiant en l54r une traductionfrangaise de son "lnstitutio religiones christianae" (1536) dont il voulait ainsifavoriser la diffusion. Lui-mcme 6crivait dans la pr6face de son liwe"Premidrement I'ai mis en latin, d ce fin (afin) qu'il p0t servir i toutes gensd'6tude, de quelques nations qu'ils fussent; puis aprds, d6sirant de communiquerce qui en pouvait venir de fruit d notre nation frangaise, I'ai aussi translat6(traduit) en notre langue." Le l-er aofit 1535 Calvin, alors d B6le 6crivit dFrangois I une lettre couageuse et 6loquente qui servit de pr6face i I'Institutionde la religion chr6tienne. cet ouwage comprend quatre parties. Ecrit dans un

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Stylc un peu nU et, Selon |e mOt de BOssuet un peu "triste" Se ressentant encore de

f influence latine, mais du moins net, sobfe et vigoureux, il a contribu6 avant le

"Discours de la m6thode" de f)escartes iL fixer la prose franqaise.

Le conflit du catholicisme et du protestantisme ne se borna pas

malheureusement i des discussions entre th6ologiens. I1 d6g6ndre bient6t en

guerre civile. On emploie la force contre la religion r6form6e. D'a.utre part les

tendances ddrnocratiques du calvinisme, la question pos6e par la diff6rence de

religion entre le souverain et une partie de ses sujets, donnent d Ia R6forme un

aspect politique. Le mal est aggrav{ par un hasard historique : la d6cadence de

l'autorit6 royale. Frangois I et Henri II avaient 6t6 des souverains puissants,

glorieux et respectds.klais ie prestige royal et Ie pouvoir du souverain vont se Eouver

compromis par le rdgne de Frangois II, Charles IX et Herui III. f influence de

Catherine de M6dicis et les ambitiofls de la maison de Lorraine. Comme lemontre admirablement Montaigne, la question religieuse n'est plus qu'unpr6tex.te au d6chainement des passions humaines et rles convoitises individuelles.

De 1552 d 1593 huit guerres, s6par6es par des tr6ves fragiles

ensanglantent le pays de France: d partir de la conjuration d'Amboise (1560) en

1562 eutlieu le massacre de Vassy, en 1563 l'assassinat du duc de Guise et dans

1a nuit de 24 a.otrf 1572la Saint-Barth6lemy jusqu'au joul oi tre bon sens finit par

reprendre ses droits. Aprds avoir conquis sa capitale (1593) Henri IV promulgue

l'Edit de Na.ntes en tr598. Avec ce grand roi la France recouwe l'6quilibre et lapaix intdrieure.

Ainsi tra pol6mique religieuse s'6tendit-el1e et gagna la littdratureproprement dite. Panni les $crivains qui intervinrent dans cette passionnante

querelle, il y eut sutlout R"onsard du cdtd des catholiques et Agrippa d'Aubign6du c6t6 des protestants. Au-dessus de deux partis en lutte il s'en fbrma un

troisidme, celui de la tol6rance et de la paix, repr6sent6 par Michel de l'Hospital'

10.1. Agrippa d'Aubign6

D'Aubigns fut d'abord un cavalier A l'Ame ardente; puis iI s'illustmcomme un cornbattant des $lerres de religion, avant de s'enfermer tians une

solitude d'ailleurs coupde de nouvelles lettres. Son cuvre commenc6e sous le

signe de la Fl6iade, s'€panouit avec "Les Tragiques" au service d'une foisintransigeante. Il fut un enfant briliamment dou6, mais tdtu et ind6pendant. Son

pdre, qui l'61eva, le voulut savant, 6nergique et fiddle. Il fit de fortes 6tudes ir

Gendve, apprit le latin, le grec, l'h6breux. En 1572 il dut chercher abri dans le

chflteau dJ talcy, en Beauce, et tomba amoureux de la fille du chfitelain, Diane

Salviati, nidce de Cassandre chant6e par Ronsard. Cet amour a inspir6 son

prernier recueil de vers "Le printemps". Comme Diane l'a repousse il est assailli

de pens6es fundbres: hant6 par I'id6e de ia mort, il recherche les lieux sauvages et

solitaires. Il 6chappe au massacre de Saint-Barth{lemy grdce d un duel qui luiavait fait quitter Paris ffois jours auparavant, mais il regut douze blessures dans

les combats, fut quatre fois condamnd i mort et passa en exil ses dix demidres

ann6es. Il avait fr6quent6 la cour sous Charles IX et Henri III et avait 6t6 lecompagnon du roi de Navarre. Sa vieillesse fut attrist6e par I'abjuration d'HenriIV et par celle de son propre fils, Constant, qui fut le: pbre de Madame deMaintenon.

L'ceuvre principale d'Agrippa d'Aubign6, les Tragiques, est un poBmequi doit sa naissance b la Saint-Barthdlemy. Il ne fut pourtant commence quecinq ans apris ce d6plorable 6v6nement en 1577 ; Agrippa d'Aubignd se trouvaitalors h Casteljaloux; malade de ses blessures, se croyant prls de mourir, il voulutexprimer pour la posteritd l'indignation dont son ccur d6bordait encore ausouvenir des horreurs dont il avut 6t6le t6moin. La mort 6pargna le pobte qui necessa de ffavailler h son ceuvre pendant plus de &ente ans-. Les Tragiques, dontquelques fragments avaient circuld en manuscrit dans Ie camp protestant, furentpublids en entier en i616 alors que l'apaisement s'6tait d6jh fait dans les esprits.Le pobme est divis6 en sept chants. Le premier, Les Misdres, d6crit les malheursde la France ravagde par les guerres civiles. Dans Zes Princes le pobte fustigeavec un 6pre rdalisme les maurs eff6mindes des favoris royaux. Dans LaChambre dorie il attaque fdrocement les gens de justice. Puis il conte dansLes Feux les supplices des protestants, 6voquant les b0chers et leurs martyrs;dans Zes.F'ers les guerres civiles et les exploits huguenots. Voici maintenant Ze,sVengeances tableau des chttiments divins h travers I'histoire; en fin LeJugement: la r6surrection des corps, prdlude au ch0timent supr0me; le poEte peutenfin s'apaiser et s'abtmer dans l'extase

(Euvre indgale et chaotique, manquant parfois de mesure et de gott, maiseuvre originale et forte qui rappelle la Divine Com6die de Daate par la suife deses tableaux grandioses et dramatiques, et qu'anime d'un bout i l'autlp un doublesentiment de haine contre les persdcuteurs et d'amour pour la France.

Agrippa d' Aubignd I 5 5 2- I 6 3 0

61

Page 33: Moyen Age et Renaissance en France.pdf

Rabelais (1494-1553)

11. FRANqOTS RABELATS

Frangois Rabelais a v6cu les dernidres ann6es du XV-dme sidcle mais ladate de sa naissance n'est pas fix6e avec certitude; pour les uns, il serait n6 en

1483, pour d'autres en 1494 i la mdtairie de la Devinidre, non loin de Chinon. Sisa famille est connue (son pdre, Antoine Rabelais, avocat i Chinon et assez grospropri6taire), on ne sait rien de ses premidres ann6es ni de son dducation; on peutsupposer sans grand risque d'erreur que cet enfant n6 d la fin du XV-dme sidcleregut un enseignement qui 6tait plus proche de celui que l'auteur du Gargantuacaricature sous les traits des pr6cepteurs "sorbonagres" que de l'id6al humanisterepr6sent6 par Ponocratds. Ce sont ld les conjectures: telle est [a vie de cet auteurof les zones d'ombre altement avec des p6riodes plus lumineuses.

Aprds un hypoth6tique noviciat au couvent de la Baumette prds d'Angers,le premier repdre s-r dans la biographie de Rabelais est fourni par lui-mdme dans

une lettre en latin qu'il adressa d I'humaniste Guillaume Bud6.De27 ans d 33 ans (1521-1527) Rabelais poursuit son activit6 studieuse,

d'abord comme cordelier puis comme bdnddictin.A Fontenay-le Comte, en Vend6e chez les Franciscains du Puy-Saint-

Martin il est frdre mineur, se passionne pour le grec et Echange des lettres (enlatin et en grec) avec Guillaume Bud6 et traduit en latin Ie second livred'H6rodote. I1 fr6quente un groupe de juristes passionn6s d'humanisme qui se

r6unissent autour d'Andr6 Tiraqeau, un milieu trds favorable aux belles-lettres.Rabelais s'y familiarise avec le droit ; il assiste i des d6bats sur les droits des

femmes et sur le mariage qui trouveront lew 6cho dans le Tiers Livre. On asouvent not6 le contraste qui existe entre la curiosit6 intellectuelle de Rabelais etI'obscurantisme de l'ordre des Franciscains; le jeune humaniste que 1'6tude dugrec passionne se heurte vite A 1'hostilit6 de ses sup6rieurs qui, craignant que laconnaissance de cette langue ne permette une lecture critique de la Bible, porteouverte d tous les risques d'h6r6sie, lui confisquent ses liwes de grec suivant encela les consignes des th6ologiens de la Sorbonne. Protdg6 par son 6v6queGeoffroi d'Estissac, il passe chez les B6n6dictins, i Maillezais, non loin de

Fontenay-le-Comte. Rabelais, familier de l'6vdque, l'accompagne dans ses

d6placements d travers le Poitou, se mdlant au peuple, aux paysans dont ilobserve les mcurs et le dialecte: au terme d'une jeunesse studieuse, le moineouvre joyeusement ses sens d la vie. Il s6journe d l'abbaye de Ligug6 en

compagnie du podte Jean Bouchet qui l'initie aux acrobaties verbales des

rh6toriqueurs. Enfin il compldte, d la Facult6 de Poitiers, sa connaissance dudroit, des gens de justice, des t6rmes de jurisprudence qui lui inspireront tantd' allusions satiriques.

Pendant trois ans (1528-1530) il est difficile de suiwe les d6placements de

Rabelais, tour d tour 6tudiant d Bordeaux, Toulouse, Orleans et Paris. Il putobserver, dans le d6tai1, la vie, les mcenrs et le langage des 6tudiants surtout d

Paris et d Montpellier ou il s'inscrivit en septembre 1530. On ne sait au juste de

quelle manidre I'itin6raire de Rabelais s'est orient6 vers la m6decine. Il est wai

63

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que pour un humaniste de cette 6poque, habitue A 6tudier les rapports de la

Crdaiion avec l'homme-du macrocosme avec le microcosme-la m6decine n'est

pas une science hors,de port6e. C'est peut-etre d Paris qu'il a commenc6 ses

etrO.r m6dicales, mai's c'ist certainement d Montpellier qu'il obtient le premier

grade universitaire, celui de bachelier, au lout de six semaines. candidat d la

ii""o.., charg6 de cours, il ccimmente dans le texte grcc les m6decins Hippocrate

et Galien aans tes legons publiques: c'6tait une innovation importante, car on les

6tudiait jusque li dans une mauvaise traduction latine.

i'esi enfin d Lyon qu'il exerce des responsabilit6s m6dicales impodantes-

celles de m6decin de i'u6fet-Dieu de Notre Dame (1532'1535)' Sa reputation de

praticien fut grande. I1 deviendra l'un des premiers m6decins du royaume. En

avril-mai 1536 il passe i Montpellier la licence et le doctorat: en 1537 il exerce et

enseigne la m6deiine d Lyon et a Montpellier, expliquant d nouveau Hippocrate

dans ie texte grec et pratiquant dans les deux villes des dissections de cadawe (ilfit en public-i'*" des piemidres dissections) m6thode nouvelle d'observation

directe qui obtint un vifsuccds. Dans le reste de cette p6riode de 7532 i 1550, en

dehors de ses s6jours en Italie, Rabelais exerga la m$deoine en Poitou, i Lyon,

dans Ie Midi de li France et d Metz ou il s'6tait r6fugi6 de crainte d'6tre poursuivi

pour ses ouwages, aprds le supplice du protestant Etienne Dolet'Lardputation-rle mddecin lui valut la protection de 1'6v6que de Paris, Jean

Du Bellay (Ie cousin du podte) qui I'emmena avec lui A Rome une premidre f,ois

en 1534, une deuxi}me fois en 1335, une dernidre fois pour un s6jour de deux ans

(1548-1550). Son habilet6 de m6decin lui assura aussi un sEjour i Turin auprds

ie Guillaume du Bellay, le frdre du cardinal, gouvernerr de Pi6mont. Rabelais

rdalisait ainsi un de sis rQves d'humaniste: il a visit6 les ruines, enrichi sa

connaissance de I'art antique et 6tudi6 de prds les mceurs de la cow pontificale

dont il fera une vive satire.A l'automne de 1532 il publie d Lyon sous le pseudonyme de Maisffe

Alcofribas Nasier (anagramme de Frangois Rabelais) le "Fantagruel". L'Guwe a

du succds et Rabelais en profite pour lancer au d6but de 1533 un almanach

bouffon. En 1534 il publie le "Gargantua". Puis il intenompt sa production

litt6raire jusqu'en 1545 quand il obtint un privildge royal pour imprimer

librement ses livres pendant dix ans et rddige le "Tiers livre" publi6 en 1546.

En janvier 155 t Jean Du Bellay fit attribuer d son prot6g6 la cure de Saint-

Martin de Meudon. Rabelais touchait le b6n6fice de sa cure, mais ne s6journa

gudre d Meudon. Il vivait plus volontiers d Saint-Maur auprds de son protepteur.

il acheva la r6daction du "Quart livre" publi6 en 1552 et aussit6t condamn6 pax le

Parlement. On perd alors la trace de l'6crivain mort probablement d la fin de

1553 ou au d6but de 1554. Le "Cinquidme liwe" dont l'attribution d Rabelais

demeure incertaine, parut partiellement en 1562 puis dans sa forme compldte en

1564.

64 65

12. L'(EUVRE DE RABELAIS

13. Pantagruel (1532)A la foire de Lyon d'aott 1532 avait paru avec un 6clatant succds un livre

pu6ril et grossier "les Grandes et inestimables chroniques du grand et dnormeg6ant Gargantua" si merveilleuses, devait dcrire Rabelais ,.qu,e1les gu6rissaientles goutteux". sur le moddle de ces chroniques parait, d la foire de l,iutomne dela m6me ann6e, l'histoire. du fils de Gargantua, pantagruel, roy des Dipsodes, parmaistre Alcofribas Nasier; c'est Frangois Rabelais qui prend la suite duchroniqueur inconnu.

L'mfance de Pantagruel (I-U)L'ouwage d6bute par un m6lange de plaisantes inventions et de vieilles

l6gendes sur l'origine des g6ants et la g6n6alogie de pantagruel, sw l,6tat d,dmede Gargantua, pris enffe la tristesse d'avoir perdu sa femmi et ia joie d,avoir euun fils, sur l'app6tit du b6b6 g6ant. Il donne une explication de son nom: commeI'enfant est n6 pendant une p6riode de grande s6cheresse, il a regu le nom dePantagruel qui signifie "tout alt6r6". L'enfance du h6ros est d l,6chelle du mondedes g6ants: il ne faut pas moins de 4600 vaches pour l,allaiter.

Pantagruel dans les Universitds de province (V_VII)ses 6tudes le conduisent dans plusieurs villes de France, poitiers,

Bordeaux, Toulouse, Montpellier, valence, Angers, Bourges, or16ans. sousprdtexte de conduire son h6ros ri I'Universit6 Rabelais introduit dans son histoiredes souvenirs de Poitiers, de Ligug6, de Fontenay-le-comte. .,A orl6ansPantagruel rencontre l26colier limousin qui, pour s'exprimer en frangais ,.ne faitqu'escorcher le latin'" en parlant un ridicule jargon fait du latin francis6; railieriesans doute ! l'adresse des 6tudiants provinciaux qui cultivaient un vocabulairelatinisant.

Pantagruel d Paris (ItII-IX)A Paris Pantagruel visite la bibliothdque Saint-victor: Rabelais fait des

ouwages qu'elle contient un catalogue burlesque. A cette 6num6ration de sottises"sorboniques" succdde la belle lettre ou Gargantua 6crivant ii son fils, exaltel'6panouissement de l'humanisme. Il lui fixe un progmmme d,6tudesencyclop6diques capable de faire de lui d la fois un savant ei un sage. c,est dParis que Pantagruel rencontre pn curieux personnage, d demi vafabond quir6pond d ses questions dans les langues les plus varides avant d,avouer qu,il istTourangeau et avant donc d'employer le frangais. c'est panurge (panourgos :bon d tout) qui entre en scdne. Pantagruel l'emmdne aussit6t ctrei tui.

Le jugement de Pantagruel (X-Xil)Passant de la th6orie i Ia pratique pantagruel est sollicit6 d,arbitrer le

diff6rend qui oppose depuis des ann6es le sieur de Baisecul et le sieur de

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Humevesne. Pantagruel s'irrite contre les juristes du Moyen Age et exalte lajurisprudence latine. Puis viennent les plaidoyers des deux plaignants et I'arr€t

motivd de Pantagxuel, tintamarre de mots d6pourvus de sens.

Pantagruel rend un jugement d'une 6quit6 sibylline qui contente tout lemonde. Rabelais se moque ainsi de l'obscurit6 des procds.

Panurge (XIY-MIDPanurge passe au premier plan du r6cit: il accomplit mille tours' Il raconte

comment il s'est 6chapp6 des mains des Turcs et gagne l'estime de Pantagruel.

Dans le portrait qui est fait de lui, il apparait coutme un chenapan synpathiqueport6 sur Ia bouteille, pr6t d voler l'argent des indulgences aussi bien qu'd se

ruiner en axrangeant les mariages ou en engageant des procds. Il a "soixante et

trois manidres de se procurer de l'argent", il argumente victorieusement par

signes contre l'anglais Thomaste et se venge des froideurs d'une grande dame en

lui jouant un tour.

Les exploits guerriers de Pantagruel (ilill\'iusqu'd lafin)Ayant appris que les Dipsodes ont envahi son royaume d'Utopie,

Pantagruel quitte Paris; il s'embarque avec Panurge ir Honfleur. Au cours de cette

6pop6e burlesque Pantagruel prend 559 chevaliers dans des cordes; Pantagruel

altdre ses ennemis, puis leur jette du sel et bat en duel le g6ant Loup-Garou.

Epist6mon qui avait la t€te coup6e est gu6ri par Pantagruel. Epistdmon raconte ce

qu'il a vu dans l'au-deli" ceux qui avaient 6t6 $os seigneurs en ce monde ici,gagnaient leur pauvre m{chante et paillarde vie lir-bas"; ils la gagnent "d, vils etsales m6tiers". Au contraire, les philosophes et ceux qui avaient 6t6 indigdnes en

ce monde,'ode pat deld 6taient gros seigneurs en leur tour". Pantagruel protdge de

la pluie toute une arm6e avec sa langue !

Parmi ces jeux se d6tache la grave pridre ou Pantagruel avant de se battrepromet d Dieu de faire pr6cher son Evangile purement, simplement et

entidrement: elle a I'accent d'une authentique profession de foi. En guise de

conclusion Rabelais annonce i son public une suite prochaine des aventures de

Panurge et les voyages extraordinaires et les exploits de son h6ros. I1 invite ses

lecteurs d se garder des hypocrites en tous genres et i viwe dans la bonne humeuren "bons Pantagruelistes".

13.1. Gargantua (1534)

La Sorbonne censura Pantagruel; Rabelais entreprit de rdpondre i cettg

censure par une attaque sinon plus vive, du moins plus 6tendue et plus clairo

encore. Il publie d Lyon sans doute d l'occasion de la foire d'ao0t, l'histoireGargantua, pdre de Pantagruel. On pense que cette 6dition date de 1534 ou 1535'

La version qui est habituellement reproduite est celle de 1542 que I'on considdre

comme la dernidre 6dition revue par l'auteur.

66 6't

Ente l'6dition originale et le texte de 1542 existent des diff6rencesimportantes, selon Frangois Moreau, diff6rences qu,on peut r6sumer de lamanidre suivante:1. -augmentation du nombre des chapitres (de 56 d 58); certains passages, parexemple les propos des bien iwes, ou la liste des jeux de Gargantua, ont 6t6d6tach6s pour former des chapihes autonomes;2. -additions: Rabelais se fait encore plus prolixe dans ses 6num6rations3. -corrections, souvent dict6es par la prudence; ainsi th6ologien, sorbonagresorboniste, sorbonicole sont remplac6s par des termes plus neutes (sophistes,maitres).

Dans I'avertissement en vers du Gargantua Rabelais proclame d'abord sonintention d'6crire une couwe "franchement comique", rappelant aux lecteurs que'rire est le propre de l'homme". Avec la fantaisie qui est la marque de son g6nieil nous invite dans son prologue, d aller jusqu'au fond de son cuwe et comme ille dit si joliment d "rompre l'os et sugcer la substantifique mouelle".

L'enfance de Gargantua Q-XIil)L'ouwage d6bute par des pages puissantes et souvent grossidres dans un

ample mouvement lyrique. Le lecteur est renvoy6 au d6but du pantagruel pourconnaike la g6n6alogie de Gargantua qui avait 6t6 trouv6e dans un tombeau debraf,ze, accompagn6e d'une 6nigme en vers les "Fanfreluches antidotees". Lsg6ant nait d'une dtrange manidre, par l'oreille gauche de sa mdre Gargamello, quiaccouche aprds avoir mang6 trop de tripes.

La description des vctements et des couleurs du jeune g6ant pr6cede ier6cit de son enfance, ou il fait preuv€ d'un extraordinaire g6nie inventif dans [arecherche du meilleur des torcheculs. L'auteur nous d6crit longuement lesv6tements de Gargantua avec r6f6rences d des auteurs anciens; nous assistons auxjeux de cet enfant nourri par le lait de 17. gl3 vaches et d une conversation quirdvdle i Grandgousier "le haut sens et merveilleux entendement de son fils". fld6cide donc de confier l'6ducation du jeune prodige d "un grand docteur enthdologie" nomm6 maitre Thubal Holopherne.

L'iducation de Gargantua WV-XXDces chapitres attaquent trds directement I'enseignement de la sorbonne et

ddfinissent l'iddal pddagogique d'un homme de la Renaissance.Rabelais saisit I'occasion de railler les m6thodes d,6ducation du Moyen

Age auxquelles I'humanisme est en train de porter un coup fatal. sous sesmaitres th6ologiens ds lettres latines Gargantua fait de longues dtudes ingrates etentidrement liwesques, sans rapport avec la vie ni avec la connaissance dumonde; appel i la m6moire m6canique et non d l,intelligence, R6sultat: l'6ldve"en devenait fou, niais, tout r6veux et rassot6". Pris de coldre Grandgousierd€cide que son fils fera ses 6tudes i Paris; sous la direction du sage ponocrates,dont le nom signifie laborieux. A propos de ce voyage i paris, Raberaisd6veloppant des thdmes de la chronique dont il s'inspire 6voque une 6norme

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jument qui abat tous les arbres i son passage en chassant les mouches avec sa

queue. Arrivd d Paris, Gargantua s'assied sur les tours de Note-Darne et en vole

les cloches pour les mettre au cou de sa jument. Bientdt la Sorbonne entre en

scdne en la personne de I'un de ses membres, Maitre Janotus de Bragmado.

Eniw6 par Gargantua il prononce une harengue truff6e du latin comique, chef-

d'ouwe d'incoh6rence et de p6dantisme qui devait faire sombrer sous le ridiculeles m6thodes de l'6loquence m6di6vale. Alors que 1'6ducation des pr6cepteurs

sophistes n'6tait que p€rte de temps st6rile, l'emploi du temps mis sur pieds par

Ponocrates est si bien organis6 que Gargantua "ne perdait heure dujour"; lever d

quatre heures du matin, m6lange d'activit6s intellectuelles et physiques visent d

faire de lui un savant humaniste et un parfait gentilhomme.

Voici donc I'id6al de Rabelais: c'est en somme l'iddal antique d'une

formation harmonieuse de l'esprit et du corps. Ponocratds, fiddle d f id6al de laRenaissance, d6veloppe chez son 6ldve la conoaissance des textes anciens et laconnaissance directe ds la nature qui se compldtent: ainsi Gargantua apprend en

d6jeunant les propri6t6s des aliments qui lui sont servis grtce d une lecture de

Pline ou d'autres auteurs glecs et latins. Il visite les artisans, 6tudie les plantes,

contemple le ciel, enrichit sa m6moire par des lectures comment6es; il cultive son

corps autant que son esprit et observe une hygidne minutieuse. La vie religieuse.se limite d une communication directe avec la divinit6 par la lecture matinale

d'une page de l'Evangile et par de courtes pridres ou par des cantiques.

La guerre picrocholine (XXV-LDCes studieuses occupations sont interrompues par le d6cienchement de la

guelre entre Grandgousier, le pdre de Gargantua et son voisinr Picrochole,provoqu6e par une querelle entre les fouaciers (fhbricants de 'ofouaces"-galettes

tourangelles) de Picrochole et les bergers de Grandgousier. Grandgousier,

monarque pacifisto, tente en vain de sauvegarder la paix; Picrochole, ivre de

conqu0tes, se lefuse d toute conciliation. Les sujets de Picrochole s'en prennent dt

l'abbaye de Seuilly; les moines ne doivent leur salut qu'i la prdsence d'esprit de

Frdre Jean des Entommeurs. Gargantua est rappel6 au pays par une lethe de son

pdre. De retols, Gargantua, aid6 de Frdre Jean des Entommeurs, prend la t@te des

op6rations militaires contre les gens de Picrochoie: il avale six pdlerins qui

s'dtaient cach6s dans sa salade. La guerre se poursuit et se termine par la mise en

ddroute de 1'arm6e de Picrochole.Aprds la victoire de Grandgousier, prisonniers et vaincus sont trait6s avec

humanit6; puis on rdcompense les vainqueurs: pour Frdre Jean il fait b6tirTh6ldme, une abbaye d'un genre nouveau.

L'abbaye de Thildme (en grec: volontd libre) - (UI-LVIDL'abbaye ressemble d une petite cour de la Renaissance. Seigneurs et

dames y vivent dans une atmosphdre de culture et de politesse. La libert6 y rdgne;

la seule rdgle est "Fais ce que voudras". L'abbaye accueille les femmes "depuisl0 jusqu'd 15 ans; les hommes depuis 12 jusqu'd 18". Et Rabelais de d6crire un

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splendide chiteau de la Renaissance; il 6voque en d6tails les splendeurs de cetteabbaye d'un nouveau genre: mat6riaux pr6cieux, vastes salles claires orn6es depeintures et de tapisseries, jardins, vergers pleins d'arbres,fruitiers. Aprds ce r€ved'homme de la Renaissance les yeux tout Eblouis des fastes de La cour et desch0teaux de la Loire, voici la" "rdgle"morale de cette abbaye. Elle s'opposeentidrernent ir 1'asc6tisme mon4_cal. Sur la grande porte de Th61dme, uneinscription en interdit l'entr6e aux "hypocrites, bigots, cagots", gens de justice etusuriers; seuls sont admis les "nobles chevaliers", Ies "dames de haut parage,

fleurs ,de beaut6, i c6leste visage, i maintieu prude et sage", et les chr6tiens6vang6liques: "Entez, qu'on fonde ici la foi profonde/Puis qu'on vous confonde,et par voix et par rdle / Les ennemis,de la sainte parole". I1 s'agit de concilier lechristianisme retremp6 ir des textes originaux et l'6panouissement total de lanature humaine, aspiration essentielle de la Renaissance. Rabelais le croitpossible au moins pour une 6lite de "gens libdres" dont la bont€ naturelles'6panouira plus largement dans un climat de libert6. Mais l'existence6picurienne dont nous avons ici le tableau peut-elle s'accorder avec l'espritm6me du christianisme?

La Sorbonne condamna Gargantua dds sa publication. Aprds l'affaire desPlacards, Rabelais, par prudence, quitte Lyon et pendant onze ans va s'abstenird'6crire.

Ayant restaur6 son cr6dit sous la protection du cardinal Jean du Bellay,Rabelais reprend son Guwe litt6raire et publie en 1546 le Tiers Livre.

13.2. LeTiers Livre (1546)

Aprds la conqudte de la Dipsodie, Pantagruel organise le pays et ytransporte une colonie d'Utopiens. Panurge nomm6 chAtelain de Salmigondin,dilapide les revenus de son domaine et mange "son b16 en herbe"; doucementadmonest€ par Pantagruel, il r6pond en louant l'art de faire des dettes.

A partir du chapite VII se pose brusquement le probldme cenhal du Tiersiiwe: Panurge, las de Ia vie de soldat, annonce son intention de se marier. Sera-t-il heureux? Sa femme lui sera-t-elle fiddle? Il d6couvre alternativement iesavantages et les inconv6nients du mariage et Pantagruel lui r6pond en 6cho,tant6t "Mariez-vous donc" tant6t "Point donc ne vous maiez". Pour sortir deI'incertitude Pantagruel lui conseille de s'en remettre au hasard en cherchant irlire son destin dans des vers de Virgile pr6alablement tir6s au sort d l'aide desd6s. Les trois vers d6signds par le sort conduisent Pantagnrel d penser que

Panurge sera cocu, battu et vol6. Panurge les interprdte "tout au rebours" (10-12).Pantagruel propose ensuite le recours d, un songe que les deux personnages

interprdtent d nouveau en sens oppos6 (13-ia). Pantagruel suggdre alors d

Panurge de prendre l'avis de la Sibylle de Panzoust qui ressemble fort i unesorcidre, mais la pr6diction qu'elle 6crit sur des feuilles de sycomore suscite denouveau des interpr6tations contadictoires de la part de Pantagruel, toujourspessimiste sur l'avenir conjugal de Panurge et de la pafi de ce dernier toujoursoptimiste. Pantagruel propose alors le recours aux conseils d'un sourd-muet,

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Nazdecabre, avec leqr.lel Panurge cofrrmunique par gestes. Pantagruel voit dans

les signes du muet une confirmation de ses ffaintes mais Panurge refuse toujours

de le croire. Pantagruel invite ensuite Panurge ir prendre conseil du vieux podte

Raminogrobis (peut-6tre Jean Lemaire de Belges), dans f id6e que les hommes

proches de leur mort regoivent des dons de proph6tie. Mais sa r6ponse n'est pas

de nafure d d6cider Panurge: "Ptenez-la, ne la prenez pas". L'astrologue Her

Trippa (le medecin Comeille d'Agrippa) confirme que Panurge sera cocu, battu

et vo16. Frdre Jean des Entommeurs, croyant que la fin du monde est proche,

invite Panurge i se marier, mdme s'il doit 6tre tromp6. Pour le th6ologienHippotad6e, le mariage et le bonheur conjugal de Panurge d6pend du choix de

son 6pouse et de l'exemple qu'il saura lui donner. Pour le m6decin Rondibils(Rondelet, condisciple de Rabelais) le cocuage est chose in6vitable. Trouillogan,philosophe sceptique, refuse de se prononcer nettement (en une scdne de com6die

que Molidre imitera dans "Le mariage forc6").Pantagruel suggdre alors i Panurge de prendre conseil d'un fou: Triboulet,

le fou du roi Frangois I. A la perplexit6 de Panurge Triboulet r6pond par des

paroies et une mimique 6nigmatiques que Pantagruel et Panurge interprdtentnouveau en sens oppos6. Seul lejuge Bridoye ne peut 6tre consult6 car il est lui-mdme inqui6t6 par sa manidre originale de rendre la justice. Pantagruel

Panurge assistant au jugement de Bridoye, juge qui "sententie les procds au

des d6s", aprds les avoir laiss6 trainer en longueur, et qui ruine les parties par6pret6 de gain: ce juge prononce un discours grotesque, truffe de

fausses; ainsi est reprise la satire de la justice amorc6e dans Pantagruel.

Comme Triboulet a rendu d Panurge Ia bouteille qu'il lui avait donn6e,

demier en conclut qu'il doit aller consulter I'oracle de la Dive BouteiPantagruel accepte de l'accompagner et demande cong6 i son pdre. Gargantua

accorde la permission qu'il sollicite; il lui cherchera une 6pouse pendant

absence. Pantagruel prdpare son d6part au port de Thalasse prds de Saint-Malo;fait embarquer une grande quantit6 de Pantagru6lion, une plante extraordidou6es des vertus les plus diverses. (49-52).

Ce liwe diffrcile, parfois mdme obscur, a suscitd des interpr6

diverses.1. On a voulu voir dans cette auwe la participation de Rabelais i

"Querelle des femmes", c6ldbre controverse litt6raire qui s'est 6tal6e sur le XVet le XVI-e sidcle. Rabelais y ferait figure de chef des "antif6ministes". Maisportrait que Rabelais fait des femmes est trop incomplet pour qu'on

considdrer le Tiers livre comme un pamphlet antif6ministe.2. I1 est plus waisemblable de supposff que les consultations de

prouvent qu'il est vain de demander d autrui la solution des questions auxq

chaque homme doit donner lui-m6me ses propres r6ponses.3. On a sugg6r6 que le sens du Tiers livre pourrait 6tre de n'avoir pas

sens; l'ceuweserait une sorte d'6pop6e de l'absurde ou s'exprimerait d6jisentiment de f incommunicabilit6 des consciences, chdre d certains

modernes.

70 7t

Quelle que soit l'interpr6tation choisie, on retiendra le caractdre6nigmatique du Tiers liwe. Une seule 6vidence: la demande de panurge est vou6ed l'6chec, qu'on attibue ce dernier d des raisons morales (irr6solution,aveuglement) ou rn6taphysiques (libert6 de l'homme face i son destin).

13.3. Le Quart Livre (1552)

Comme "Garganfua", "le Tiers liwe" fut imm6diatement condamn6.Rabelais dut se r6fugier i Metz. Il publie en 1548 une r6daction partielle duQuad liwe : onze chapites trds sages, s6ries de r€cits ou Raberais renonce d sesattaques contre les th6ologiens. L'6crivain obtient en 1550 un privildge pourr6imprimer ses ouwages et se remet au travail. Exploitant l'int6r6t du publicleth6 pour les voyages de Jacques cartier vers le canada, il d6crit les escales dePanurge en route, par l'Atlantique, vers l'oracle de la Dive Bouteille. LePrologue de 1552 est un 6loge de la juste mesure, illustr6e par l'histoire decouillatris; s6r6nit6 et mod6ration, tels sont d6sormais pour Rabelais les traitscaractdristiques du pantagru6lisme. Les premiers chapitres contiennentnotamment le r6cit du fameux march6 entre Dindenault et panurge" panurge sequerelle avec Dindenault et, pour se venger, il parvient d lui acheter un moutonqu'il jette dans la mer: tous les autres moutons s'y pr6cipitent d sa suite avec lemarchand et les bergers.

L'6pisode, qui a une certaine autonomie, est une com6die dont panurge estd Ia fois l'auteur, le metteur en scdne et l'acteur. panurge congoit sa farce commeun spectacle: il lui faut donc des spectateurs et une mise en scdne. on retrouve icien Panurge le farceur inventif et rus6 de Pantagruel: il sait, pour homper sonadversaire et lui laisser croire que c'est lui, Dindenault, qui a Ie dessus, prendreun ton plus timide; jusqu'd la fin Panurge reste le maitre de la situation, alorsqu'il semble s'6tre laiss6 mener.

En face de lui Dindenault joue le r6le du trompeur tromp6. Si l,on trouvechez lui les caractdres traditionnels du marchand de foire, fat, habile d retarder lemoment de marchandage par un boniment prolong6, il d6passe ses pareils par son6tourdissant lyisme mercantile qui fait de lui un prdcurseur de I'illustreGaudissart de Ealzac. on peut mome se demander si le ddsir de vengeance quis'est empar6 de Panurge dds que Dindenault I'a injuri6 ne se trouve pas attir6 parlajalousie qui suscite en lui une 6loquence pareille dr la sienne.

Aprds cet 6pisode les voyageurs visitent l'ile de Chicanons (procureurs ethuissiers) qui "gagnent lew vie d 6tre battus" (ils pergoivent cles amendes end6dommagement des coups qu'ils regoivent). Bientdt une terrible temp€te sed6clare : Panurge dprouve une terreur cornique et fait le brave quand la temp€teest pass6e.

On passe d proximit6 de I'ile des Tapinois ou rdgne Car6meprenant(personnification du jetne dans la religion catholique) ennemi mortel desAndouilles de l'ile Farouche, alli6es de Mardi-Gras.

Pantagruel et ses compagnons descendent dans l'lle Farouche. Attaqu6spar les Andouilles ils se battent d 1'aide d'un stratagdme de Frdre Jean, renouvel6

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du cheval de Troie; une truie remplie de cuisiniers. La bataille h6roi-comiques'engage, symbole de la lutte entre 1'asc6tisme et les app6tits naturels. C'est uneimmense ddbandade. Mais la lutte est interrompue par I'intervention miraculeuse,sous la forme d'un pourceau ai16, de Mardi-Gras, qui survole le champ de batailleet d6verse sur les Andouilles mortes et bless6es un flot de "moutarde" qui leurrend la vie et la sant6. Aprds une escale dans l'ile de Ruach dont les habitants nevivent que de vent, les voyageurs visitent I'ile des Papefigues (les protestants qui"font la figue" d une image du pape, c'est-d-dire en la tournant en d6rision). Ilssont devenus les esclaves de leurs voisins les Papimanes qui adorent le Pape

cornme "un Dieu en terre " et vantent les m6rites de ses D6cr6tales. Ce chapiteest une vive satire des pr6tentions temporelles des papes.

A la limite de la mer Glaciale les navigateurs entendent les bruits d'unebataille liw6e l'ann6e pr6c6dente: ces bruits qui s'6taient ge16s, se font entendre irla faveur du d6gel.

Le Quart livre se termine sur 1'6vocation du royaume de Messer Gaster(l'Estomac) "premier maitre ds arts de ce monde. Pour le servir tout le monde est

emp6ch6 (occupd), tout le monde labeure". Et sans cesse revient ce refraindemeur6 c6ldbre: "Et tout pour la tripe".

Dernidre terre de ce voyage, Ganabin noen est pas le terme dernier; Ie livres'achdve sur le tableau de la couardise de Panurge, mais c'est une finprovisoire, puisque les voyageurs nnont pas atteint "l'oracle de la Dive Bouteilleindiqu6 coflrme but de l'expddition; la suite de la navigation sera raeont6e dans

Cinquidme liwe.Le texte du Quart liwe oscille perp6tuellement entre la narration

(dont il est int€ressant de noter le caractdre peu exotique), l'all6gorie etfantaisie verbale (certains 6pisodes-Car6meprenant, les Andouilles-sont d mi'rchemin entre la satire et la fantaisie). Episodes narratifs: les moutons de

la temp6te; 6pisodes all6goriques et satiriques: les Chicanous, PapefiguesPapimanes, Messer Gaster. Episodes de fantaisie: Tohu-Bohu, Ruach, lesgel6es.

13,4. Le Cinquiime Livre (1564-posthume)

Onze ans aprds la mort de Rabelais paraissait en 1564 le Cinquidmedont l'authenticit6 est discut6e. Quoiqu'il en soit, les caractdres de ce liweceux du pr6c6dent qu'il compldte en racontant la fin du voyage et la consulde l'oracle de la Dive Bouteille.

Dans les premiers chapitres, I'auteur fait une peinture burlesque de

et de ses pr€tres sous l'aspect de l'Ile Sonnante, ori vivent des oiseaux dirig6sle Papegault: ces oiseaux ne font rien que chanter et sont engraiss6s par toutreste du monde. Sous les traits d'oiseaux chanteurs des deux sexes, c'est toutehiErarchie de l'Eglise qui se trouve ridiculis6e (oiseaux m6les:pr6tregaux, abb6gaux, 6v6quaux, cardingaux, papegaut; oiseaux femeclergesses, pr6tregesses, abbegesses, 6v6gesses, cardingesses,Rabelais d6nonce l'absence de vocation de tous ceux qui sont entr6s

73

I'Eglise parce qu'ils 6taient issus de familles trop nombreuses ou trol pauvres. Ild6nonce une fois de plus I'oisivetd des gens d'Eglise ("ils ne labeurent, necultivent la terre").

Les voyageurs d6barquent ensuite chez les Chars Fourr6s gouvern6s parGrippeminaud: satire des tribunaux et des gens de justice, de leur cruaut6 et deleur avidit6; ils vivent de comrption et on leur apporte toutes sorte.s'de gibiefs etd'6pices. Les compagnons de Pantagruel, qui n'a pas voulu descendre,,,sontan6t6s et traduits devant le farouche Grippeminaud, qui ne les rel8chera que s'ilssont capables de rEsoudre une 6nigme. Paaurge use une fois de plus de. soning6niosit6 porrr r6soudre I'6nigme propos6e-ou plut6t impos6e, parGrippeminaud.

Les navigateurs visitent, dans l'ile des Apedeftes les pressoirs destinds dpressurer les assujettis. Les Apedeftes (grec : apaidentoi-"ignorants") semblentd6signer les membres de la Cour des Comptes dont les bureaux sont symbolis6spar des pressoirs. L'all6gorie se d6veloppe ici avec une raideur encore plusm6canique que dans les 6pisodes pr6c6dents: c'est ir coup sur l'un des passagesles plus faibles du Cinquidme liwe. L'authenticit6 de ce chapite a 6tE fortementmis en doute.

Ils touchent le royaume de la Quinte Essence, nommde Eut6i6chie; ils sontregus par la Quinte, assistant aux exploits et discussions des abstracteurc, ses

officiers; ainsi l'auteur se moque de vaines controverses de la philosophiescolastique.

Puis par l'ile d'Odes "en laquelle les chemins cheminent" et le pAys deSatin, tout en tapisserie et animaux 6tranges, ils parviennent au pa5rs desLanternois, ou Ia reine des Lanternes leur dohne pour guide uxe jeune Lauternequi les conduira au temple de la Bouteille.

Dans ce temple merveilleux "la pontife" Bacbuc pr6sente Panurge ir

l'oracle de la Dive Bouteille. Au milieu d'un silence religieux retentit le mot l'dela Bouteille" : Trinch (c'est-i-dire "Bois'). Commelt comprendre cette r6ponse?Au sens litt6ral, Panurge est invit6 A ddcider par lui-m€me (aid6 de quelque bonvin) s'il doit ou non se marier. Mais le mot de la Bouteille ne doit pas seulement

.61re pris au sens litllral, mais doit aussi 6tre interpr6t6 "d.plus haut sens". selon leconseil du Prologue de Gargantua. L'ivresse rev6t ici un sens symbolique etd6signe sans doute le triple app6tit de connaissance, de soi, des autres et de Dieu,qui pounait bien 6tre la legon des cinq liwes: 'lTous Philosophes et sagesantiques, i bien sffrement et plaisamment parfaire le chemin de la connaissancedivine et chasse de sapience, ont estim6 deux choses n6cessaires, guide de Dieuet compagnie de l'homme". C'est sur cette phrase que s'achdve le texte del'6dition de 1564.

Le mot de la fin appartient i Bacbuc; c'e$t rme legon de sagesse ous'affrrme la confiance dans le "Temps, pdre de Verit6'.

S'il est wai que la verve rabelaisienne repar6& dans certains chapitres, les6rudits n'arrivent pas i s'accorder sur I'authenticit6 da:se, demier liwe et il est icraindre que le probldme ne soit d jamais insoluble.

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Sardro Baticelli (1444-15|q, I* Printemps (ditail)

74 75

14. LES IDEES DE RABELAIS

14,1. L'6ducation

L'id6al de Rabelais s'oppose en tous points aux conceptions m6di6vales;c'est en somme f iddal antique d'une formation harmonieuse de l'esprit et ducorps. Les chapitres 21-24 de Gargantua opposent trds nettement les deuxp6dagogies, I'ancienne et la nouvelle: aux journdes 6court6es par un trop longsommeil, i la salet6, d la goinfrerie, au manque d'exercice, i la r6p6titionmachinale et st6rile des m6mes pridres, ir la "m6chante demi heure" d,6tude, augaspillage des minutes dans la pratique de jeux sans fin, Ponocrates substitue unemploi du temps or) Garganfua "ne perdait heure du jour": lever matinal,utilisation rationnelle de chaque heure de lajourn6e, pridre fond6e sur la lecturede l'Ecriture sainte, hygidne stricre, 6quilibre entre les travaux de l,esprit et lesexercices du corps; usage didactique des jeux, large 6ventail des disciplinesenseign6es (y compris la pratique de la musique vocale et instrumentale). Sansdoute ce programme quasi d6mesur6 risquerait-il de conduire l'6ldve ausurmenage s'il 6tait appliqud d la lettre. Il faut plutdt apprdcier globalemerltl'ensemble de ces principes, moins comme une m6thode d'enseignement quecomme l'id6al d'une p6dagogie humaniste.

La lettre de Gargaxltua d Pantagruel est conrme l'esquisse d'unep6dagogie. C6l6brant, aprds les t6ndbres "gothiques'0, la "restitution" dps belles-lettres, Rabelais assigne d6ji au jeune g6ant un programme d'instructionencyclop6dique (langues: grec, latin, hEbreux principalement, histoire etg6ographie, g6om6trie et arithm6tique, musique, astronomie, droit civil,m6decine, 6tude des Ecritures) dont la ddmesure, bien caract6ristique de l'app6titde connaissances propre d cette 6poque, apparait dans l'exhortation: "Somme,que je vois en toi un abime de science" mais se voit assigner la doubie limited'une finalit6 morale (Science sans conscience n'est que ruine de I'ime) etexistentielle (Il te convient servir, aimer et craindre Dieu).

14.2. Lareligion

Cordelier, b6nddictin, puis pr€tre, Rabelais a v6cu dans f intimit6 de deux6v6ques. A Rome, il a pu observer la cour pontificale. Il a 6t6 en correspondanceavec Erasme (son "pdre spirituel") et s'est trouv6 en relation, d Fontenay-leComte avec des gallicans qui soutenaient le roi contre la papaut6. La questionreligieuse occupe une grande place dans son cuwe et bien que la prudence l'aitparfois contraint de nuancer sa pens6e, il est passible de pr6ciser les tendancesg6n6rales de son esprit.

a. Rabelais et "les 6vang6liques". L'6vang6lisme revient le plus souventdans l'ceuvre de Rabelais. Il apparait nettement dds le Pantagruel ori le h6ros,invoquant Dieu avant de combattre les Dipsodes s'6crie: "Je ferai pr6cher tonSainte Evangile..."

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b. La satire du catholicisme. Parmi ses "abus" Rabelais d6nonce dans leGargantua le ridicule, la malfaisance et les intdgues des th6ologiens, I'inutilit6sociale des moines qui prient 'osans y penser ni entghdre", la v€n6ration des

reliques, les pdlerinages 'ootieux et inutiles voyages". Il met une sourdine i ses

attaques dans le Tiers livre, au moment or) le pape a r6concili6 Frangois I etCharles Quint dans li lutte contre les hdrdtiques. Mais d&s le Quart liwe la satirereprend plus vive, visant cette fois les ambitions temporelles des Papes et la vertudes "D6cretales" par laquelle "est l'or subtilement tire de France en Rome". Surce poin't Rabelais rejoipait les jurisconsultes gpllicans et les thdologiens deSorbonne eux-m€mes, ddfenseurs de I'autoritd royale contre les ambitionspontificales. Au Cinquidme,livre, enfln, la violence des attaques directes contre lePape et les gens d'Eglise est telle que certains n'h6sitent pas d attribuer ce liweposthume i un auteur protestant inconhu.^ .. Rabelais et G protestantisme. Etait-il donc devenu protestant? En 1552Rabelais unit dons le m6me m6pris "les d6moniacles Calvins, imposteurs deGendve, Ies enrag6s Putherbes (catholique intransigeant)... et autes monstresdifformes et contrefaits en d6pit de nflture". Il les d6clare engendrds parl'ennemie de la Nature, "Antiphysie", tandis que "Physis" c'est-d-dire Nature,enfanta Beautd et Harmonie. Il semble en effet y avoir antagonisme entre larigueur ascdtique, la r6glementation 6troite impos6e par Calvin d la communaut6g6n6voise et I'existence 6picurienne des Th6l6mites. L'importance que Rabelaisaccorde au colps, sa confiance dans la nature humaine sont m6me difficilementcompatiblcs avec le christianisme

En somme Rabelais parait partisan d'une morale plus conforme auxexigences de la Nature et de la vie qu'il a chant6e sous toutes ses formesl iltenlait probablement au d6isme.

14.3. La paix et la guerre.

C'est dans les chapihes du Gargantua consacr6s d la guerre Picrocholineque Rabelais a exprim6 l'essentiel de ses id6es sur cette grave question. Jamaispeut-6te il n'a plus heureusement r6alis6 la fusion des id6es s6rieuses, deI'observation r6aliste des mceurs et de l'art de conter.

Il est conhe la guerre de conqu6te. Ridiculisant la folie ambitieuse dePicrochols il nous fait au contraire admirer la sagesse de Grandgousier, conscient ,

de ses devoirs envers ses sujets et soucieux de leur 6viter le fardeau et les .

douleurs de la guerre.La violente satire que Rabelais fait de Picrochole et qui est d6ji contenue

en genne dans la signifiiation des racines grecques qui composert ,on ,o*,pikro-cholos, qui a la bile amdre (tous ses capitaines sont 6galement pounnrs desobriquets d6pr6ciatifs) a au moins ffois dimensians: anecdotique, puisqueRabelais a trouv6 dans l'actualit6 de son pays natal un conflit auquel sa familld6tait m6l6e; historique, parce que les prdtentions bellicistes du tyranneautourangeau 6voquent sans doute les ambitions imp6rialistes de Charles Quint il'6poque de Gargantua; mythique enfin et c'est pour nous la dimension la plus

int6ressante: d'un petit seigneur de campagne Rabelais fait un tyran fou de

conqu6tes, qui, dans un r6ve d6mesur6, 6largit ses d6sirs aux dimensions des pays

d'Europe et du bassin m6diterran6en.Le moddle des princes pacifiques et charitables envers ses voisins, (car les

peuples sont unis par des liens de solidarit6 6conomique) est le "vieuxbonhomme Grandgousier". L'6loge de ce roi humaniste est soulign6 par l'usaged'une langue dont le vocabulaire et la syntaxe sont tout impr6gn6s de latinismes:la lettre par laquelle Grandgousier rappelle son fils auprds de lui, le discours que

son ambassadeur prononce devant Picrochole, sont deux exemples frappants de

cette "rh6torique cic6ronienne" que Rabelais multiplie dans cet 6pisode. Si lasatire de Picrochole a une dimension historique, la peinture du vieux monarquephilosophe et de son fils en a une aussi sans doute: Grandgousier face auxpdlerins m6l6s involontairement d cette guerre, qu'il renvoie dans leurs foyersaprds avot d6nonc6 les croyances superstitieuses qui leur ont 6t6 inculqu6es, faceau prisonnier Toucquedillon qu'il gracie et Gargantua, dans la harengue qu'iladresse aux vaincus, font preuve d'une humanit6 et d'une grandeur d'6me qui ont6t6 interprdt6es comme un 6loge indirect du roi Frangois I.

Quand surviennent des incidents, Ie prince doit d'abord garder son sang

froid. Grandgousier s'entoure d'un conseil de sages et mdne une enqu6te

minutieuse pour connaitre la nature et les circonstances exactes de l'incident quimenace la paix. "Je n'entreprendrai guerre, dit-il, que je n'aie es-say6rtous les artset moyens de paix". Mais si Grandgorrsier pousse l'esprit pacifique jusqu'dvouloir acheter 1a paix qui lui co0tera moins que la guerre c'est qu'il est assez

fort pour conduire une guerre de d6fensive. I1 a eu la sagesse d'appelerGargantua, de se mdnager des alliances et d'entretenir, dds le temps de paix unearrn6e permanente, parfaitement 6quip6e et disciplinde. Au cas 'ot l'on nepourrait 6viter la guere, la sagesse consiste en effet, faute de mieux, i se tenirpr6t d la gagner. Quand la force est d6chain6e on ne peut en effet 1'arr6ter que parla force et l'exemple de Frdre Jean prouve qu'il vient un moment ori les pridres

ne suffisent plus. Mais il convient de combattre avec le plus de mod6rationpossible, en n'oubliant jamais que les ennemis sont aussi des hommes et qu'auicrme de la guerre il faudra de nouveau construire la paix.

L'alternance de la r6alit6 et de la fiction qu'on trouve dans cet 6pisodeaussi est un des aspects s6duisants de Rabelais conteur.

14.4. La justice

Rabelais 6tait fils d'un avocat; son existence I'avait mis en relations avecles gens de justiee, i Fontenay-le-Comte chez I'avocat Tiraqueau, i Ligug6auprds de Jean Bouchet, procureur au sidge de Poitiers et surtout d la Facult6 de

Poitiers or) il avait lui-m6me 6tudi6 le droit. Les termes de procddure et de

chicane, les textes juridiques dtaient donc familiers..Les id6es de Rabelais s'6taient d6jd exprim6es dans le Pantagruel (II-10).

Pantagruel, sollicit6 d'arbitrer le diff6rend qui oppose depuis des ann6es le sieur

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de Baisecul et le sieur de Humevesne, rend un jugement d'une 6quit6

sibylline qui contente tout le monde.Dans l'dpisode Bridoye (Le Tiers livre) rien ne ffouve grtce devant la

verve satirique de Rabelais. On peut noter que l'6pisode repose sur des jeux de

mots: selon un proc6dd qui est trDs cher h Rabelais, des expressions figurdes sont

prises au sens propre, ainsi l'image "alea judiciorum" (les hasards des jugements)

ambne Bridoye d juger avec des d6s (alea); "opposita juxta se posita magis

elucescunt", de sens absftait (les choses oppos6es lorsqu'on les juxtapose

deviennent plus claires) conduit le juge d placer les sacs des parties les uns en

face des autres; enfin "semper in obscuris quod minimum est sequimur", aussi de

sens abstrait (toujours, dans les cas obscurs, nous penchons pour le minimum)

l'engage i user de petits d6s dans les cas obscurs. Les id6es de Rabelais seront

reprises avec violence au Cinquidme liwe dans l'all6gorie satirique des Chats

Fourr6s. Rabelais condamne I'obscurit6 et la complication de la procddure.

Pantagruel ordonne de br0ler la "fatrasserie de papiers qui ne sont que

tomperies, cautEles (ruses) diaboliques et subversions de droit" qui rendent

obscures les causes les plus claires. Rabelais d6masque I'incomp6tence et

f ignorance des juges; il s'associe aux jurisconsultes humanistes qui, comme

Bud6, pr6naient la r6novation du droit par 1'6tude directe des textes juridiques

latins et grecs. La complexitd des lois et les "chausses-trappes" des gens de

justice ne permettent pas d'ailleurs de rendre des sentences plus 6quitables que

celles des d6s. Tel est dans la bouche de Pantagruel, le dernier mot de la sagesse

rabelaisienne,

Frangois Rabelais : Seuilly - La Deviniire

't819

15. RABELAIS PENSEUR

A travers les formes infuriment vari6es de son g6nie, deux tendances

fondamentales resument ses aspirations essentielles'. la passion de l'humanismeel l'amour de la nature.

Travailleur infatigable, d'une curiosit6 universelle, Rabelais avaitaccumul6 une somme prcdigieuse de connaissances; s'il veut faire de son g6ant

"un abime de scisnce" c'est qu'il le veut i son image. Pour lui cofilme pour les

hommes de son temps le savoir et la sagesse se confondent avec la connaissancede l'Antiquiti : revenir aux textes anciens c'est d6coulTir la v6rit6 morale(Platon), la v6rit6 juridique (droit Romain), la v6rit6 religieuse (Evangiles) lav6rit6 scientifique (m6decins, astronomes, mathdmaticiens).

Si Rabelais admire la science antique c'est parce que les savants grecs etlatins ont observe la nature. De m€me, si Rabelais admire la sagesse antique c'estparce qu'elle est demeur6e i l'6cole de la nature. Il est chr6tien sans doute:oostme ses h6ros, il lisait l'Evangile et, i 1'occasion, chantait des psaumes. Maisil n'ir pas l'6me religieuse et il condamne l'ascdtisme qui mutile la vie. Les

moines de l'abbaye de Th6ldme d6veloppent librement en eux toutes les 6nergies:ils sont guid6s par leur instinct et par leur raison. Cette morale n'est pas exempte

de discipline et le "Fais ce que voudra" des th6l€mites s'adresse d des esprits d6jd

form6s. C'est dire que leur libert6 n'est ni licence ni anarchie mais s'exercetoujours dans le respect attentifde I'autre. Sans doute fatrt-il voir dans la vie des

th6l6mites wmythe, of le sens global et symbolique aplus de valeur que les

d6tails: de m€me que Ie programme dl6ducation humaniste est plus important parses principes que par la minutie de ses.prescriptions,

Th6ldrne est une utopie comme celle de Thomas More, dont le sens

gEndral -une profession de foi humaniste en I'homme- prime sur l'ensemble des

descriptions. Cette interpr6tation symbolique semble corespondre au vcu de

l'auteur dans son Prologue: "Eto pos6 le cas qu'au sens littiral vous trouverezmatidres assez joyeuses et bien correspondantes au nom, toutefois pour demeurerli ne faut, comme au chant des Sirdnes, ains (mais) d plus haut sens lnterprdterce que par aventure cuidiez (pensiez) dit en gaiet6 de ceur.

M6decin, il r6habilite le corps, injustement m6pris6 par le Moyen Age: lavie physique, la nourriture, les fonctions naturelles occupent une place

importante dans son Guvre. Il admire le m6canisme du cotps humain comme iladmire le m6canisme de I'Univers: I'un et I'autre t6moignent de la bont6 du

Crdateur. Ce culte de la nature s'6tend m6me d la vie morale: de caractdre

foncidrement g6n6reux, Rabelais considdre, d'aprds sa propre exp6rience, que Ia

nature humaine est bonne, qu'il faut s'abandonner i elle avec confiance et lasuiwe fiddlement. Aussi son cuwe respire-t-elle l'amour de la vie sous toutes

ses formes, et particulidrement sous ses formes sensibles. L'app6tit de science se

rdvdle dans les textes sur l'6ducation et dans I'oracle de la Dive Bouteille. Quanti la sagesse de Pantagruel ou "pantagruelisme", elle consiste d "vivre en paix,

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joie, sant6, faisant toujours grande chdre" (II, 34) et se ddfinit comme"certaine gaiet6 d'esprit confit6 en m6pris des choses fortuites" (Prologue du

Quart livre).Parti comme Calvin de l'6tude des textes originaux Rabelais se retrouve

aux antipodes du grand r6formateur: l'un est tout au m6pris de la terre. I'autretout d l'amour de la terre.

L'id6al de Rabelais est donc fait de science et de cette sagesse qui consisted savoir mener une vie saine selon la nahre.

AZAY - LE - RIDEAU (Indre - et - Loire). Le ch6teau

(XVIe sidcle) et 1'6tang formd par l'Indre.

80

16. L'ART DE RABELAIS

l. Le rdalisme. Rabelais peint la r6alit6 avec un relief et une v6rit6d'observation remarquables. Il a par dessus tout le don d'6voquer le mouvement,d'animer un dialogue et de tracer des silhouettes inoubliables. Chez lui, l'amourde la vie se traduit par I'art de peindre intens6ment les formes multiples de la vie.

2. Lafantaisie. A ce r6alisme pittoresque, sa riche imagination vient m6lertous les jeux de la fantaisie la plus d6brid6e. C'est cette fusion du r6alisme et dela fantaisie qui fait le charme de son r6cit: nulle part elle n'est mieux r6ussie que

dans la "guerre picrocholine". Quel luxe de d6tail au Quart livre i propos de labataille dirig6e contre les Andouilles d l'aide d'instruments de cuisine. Lafantaisie rabelaisienne s'amuse d nous pr6senter avec le plus grand s6rieux, des

invraisemblances, des raisonnements paradoxaux, des argumentationsing6nieuses mais sans fondement. Parfois, au contraire, ce sont des id6ess€rieuses qui s'expriment sous une forme bouffonne. L'imagination et la fantaisie6tourdissante de Rabelais sont d'une 6trange s6duction po6tique.

3. Le grossissement. L'imagination de Rabelais le disposait d concevoirune humanit6 simplifi6e et agrandie, Par un nouvoau caprice de cette fantaisie legrossissement est tant6t scrupuleusement respect6, tant6t oubli6 avecddsinvolture. On oublie sans doute d partir du Tiers liwe que Pantagruel est ung6ant; mais simplification et agrandissement demeurent les caractdres essentiels

des demiers liwes, comme des premiers.4. Le symbolisme. Une telle imagination se meut naturellement dans le

symbole. Rabelais nous invite lui-m6me d chercher, sous la plaisanterie, les id6ess6rieuses. Beaucoup de ses personnages sont syrnboliques et incarneut des vertuget des d6fauts: la bonhomie (Grandgousier), l'esprit de la Renaissance(Gargantua et Pantagruel); l'amour de l'action (Frdre Jean); la ruse et laperversit6 (Panurge); l'asc6tisme (Cardme Prenant) ; la folie des conqu6tes(Picrochole), etc. Toute id6e ge transforme en symbole: Panurge fait des dettes,mais faire des dettes c'est la grande loi de Ia nature et ce thdme inspire deuxlongs chapitres du Tiers livre; Perse a 6crit que l'estomac 6tait le maitre des artset ce souvenir 6rudit donne naissance d l'amplification lyrique de Messer Gaster:'opremier maitre ds arts du monde".

. L'all6gorie m6me devient chez lui une forme d'art pleine d'humour et de

souplesse lorsqu'il fait 1'6loge du pantagruelisme ou nous d6crit les oiseaux del'Ile Sonnante. Par cet art du r6cit symbolique Rabelais est un des devanciers de

Voltaire.5. L'invention verbale. En fin l'imagination 6veille en Rabelais un

extraordinaire foisonnement de mots qui se pressent et s'imposent comme des

forces. Son vocabulaire est d'une richesse prodigieuse: il emprunte d tous leslangages techniques: agriculture, m6decine, navigation, guerre, religion,commerce, litt6rature; il puise dans les langues mortes, les langues 6trangdres, les

dialectes provinciaux; il forge des mots, d6forme les termes existants, cr6e des

onomatop6es. L'6num6ration et l'accumulation sont des proc6d6s familiers. Il se

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grise lui-m€me de cette extaordinaire f6condit6. Facult6 verbale incroyable, que

m0me Hugo n'a peut-Otre pas 6gal6e et dont on ne voit pas d'autres exemples.6. Le comique. Rabelais est un des maitres du rire. On trouve chez lui tous

les degr6s du comique: les farces les plus lourdes, h6rit6es du Moyen Age, lagauloiserie pouss6e jusqu'i la grossidret6, la com6die d'intrigue, la parodie etjusqu'd la com6die de caractdre la plus fine.

- La gaieti du temps. Le comique rabelaisien emprunte parfois des formesd6concertantes pour nous: l'ouwage est plein de plaisanteries de clerc, farcesd'6colier ou jeux d'6rudit. Qui donc, sinon un clerc, pourrait rire des r6f6rencesfausses de Bridoye, des propos de 1'6colier limousin, de la description burlesquede diverses universit6s? Pour nous, bien des allusions sont devenues obscures,bien des ddtails plaisants ont perdu de leur valeur en changeant d'6poque et demilieu.

- Le comique ,iternel. Sous ses aspects les plus int6ressants, le comique,chez Rabelais, tient aux tendances profondes de la pens6e et, par li, il est 6ternel.Lire Rabelais c'est revenir aux sources de la nature. Rabelais est plus grossierque Molidre mais il a, corlme lui, cette vigueur qui nous installe dans lasimplicit6 de l'existence corporelle et des instincts 6"l6mentaires. Une telle visiondu monde, quand elle est puissante et joyeuse, cr6e le comique le plus sain, celuiqui prend ses racines dans la pure et simple joie de yivre. I1 exprime avec toute sa

force Ia vie terreshe de I'homme, "Et son 6clat de rire 6norme est un des gouffresde I'esprit" (V. Hugo)

Le style de Rabelais est infiniment souple et plastique; familier etpopulaire, aussi naturel que la vie elle-m6me dans les dialogues il devient ampleet cicCronien dans les morceaux les plus graves, il est plein de mouvement dansles passages 6piques, il s'€leve parfois jusqu'd la ferveur lyrique et d la verve6tincelante.

Du XVI-dme au XX-eme sidcle les jugements les plus oppos6s aient 6tdport6s sur cette Guvre si complexe, si riche en contrastes de toutes sortes. Lesdeux tendances de la critique sont assez bien r6sum6es par le jugement de LaBruydre: "Ori il est mauvais, il passe bien loin du pire, c'est le charme de lacanaille; of il est bon, il va jusqu'dr l'exquis et i I'excellent, il peut 6tre le metsdes plus d6licats".

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17. MICHEL DE MONTAIGT{E

Michel Eyquem naquit au chtteau de Montaigne en P6rigord, le 28 f6wier1533. D'une famille de riches n6gociants bordelais, son pdre, Piene Eyquem,avait 6t6 anobli en 1519. C'est un homme d'une 6nergie et d'une activitedtonnantes, curieux de tout et entreprenant. Fascin6 par les hommes de culture, ilfait donner d son fils cette culture que lui-mdme n'avait pas et, par l'excds de son

enthousiasme, lui permet de tenir par dessus tout d l'ind6pendance de sonjugement. Le soin qu'il a de sa terre et de sa fortune met ses enfants hors dubesoin. Pierre Eyquem sut r6unir toutes les conditions mat6rielles, affectives etintellectuelles pour que ses sept enfants - son fils ain6 en particulier - puissentatteindre f id6al d'humanit6 auquel lui-m6me avait r€v6. (Afin de ne pas 6branlerou troubler I'enfant, Piene Eyquem va jusqu'i employer un joueur d'6pinettepour le r6veiller doucement en musique. Il ordonne que tout le monde dans lech0teau se mette i 'Jargonner" latin. Le jeune enfant arriva ainsi o'sans art, sans

liwe, sans grammaire, sans pr€cepteur, sans fouet et sans larmes" i l'6ge de sixans, i parler le latin comme sa langue naturelle) Ce paradis ne dure pas.

Montaigne dr sept ans, rejoirit le colldge de Guyenne d Bordeaux. Les 6tudes

secondaires s'achdvent; Montaigne a 15 ans, nous sommes en 1548. Cette ann6e-

ld se produit un souldvement gdndral contre le pouvoir royal qui a imposd lagabelle, I'imp6t sur le sel. La ville de Bordeaux, occup6e par le g6n6ra1 de

Montmorency au nom du pouvoir royal, est priv6e de tous ses privilBges. PourMontaigne le colldge est ferm6, une autre vie commence. De la p6riode qui suiton sait peu de choses. Quelles 6tudes fait alors Montaigne, daris quelies

universit6s? Il y a tout lieu d'imaginer qu'au sortir de ces ann6es contraignantesdu colldge il revient au domaine familial pow y passer comme,de longuesvacances de libert6. Il a d0 apprendre un peu de droit, il a sans doute pass6 unpeu de temps d Paris.

La d6couverte de Paris, de ses monuments, de Ia vie de la cour, et des

f6tes qui s'y d6roulent marquent ddfinitivement Montaigne. Il y frdquente aussi

|es humanistes, assiste d la Sorbonne i la r6ception des laur6ats. Il d6clare son

amour pour la capitale: ooJe ne suis frangais que par cette grande cit6". Il yapprend un peu le m6tier de courtisan, aussi bien auprds des dames de grande etde petite vertu que des grands seigneurs. Dds ce moment, Montaigne met au

premier plan une qualit6 souveraine, la clairvoyance, qui s'acquiert autant parl'exp6rience que par 1'6tude. En 1554 Montaigne devient conseiller d la cour de

P6rigueux d'abord, puis au Parlement de Bordeaux i partir de ddcembre 1557.

Montaigne n'6prouve qu'un gofft trds moddr6 pour la pratique judiciaire. De ces

fonctions de magistrat, Montaigne n'avait pas gard6 un bon souvenir si elles nelui avaient valu de faire la connaissance de La Bodtie, son colldgue au Parlement.

Ils se rencontrent en 1558. La Bo6tie, de trois ans son ain6, fornae

Montaigne au stoicisme par sa pens6e et par l'exemple de sa fermet6 sublimedevant la mort, et surtout il lui r6{dle le prix de I'amiti6, Le cceur de Montaignene se donnait pas facilement: jamafu plus il n'dprouvera une affection comparable

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d celle qu'il portait i cet ami trop t6t disparu. Cetie amiti6 est devenue une sorte

de symbole, de lieu commun. L'amiti6 est tout autre chose qu'un sentiment

unissant deux personnes priv6es. C'est le type de relation humaine qui rendpossible une soci6t6 of seraient assur6es la libertd et 1'6galit6 de chacun, Plus

encore, le respect mutuel et l'6mulation pour Ie bien, qui d6finissent cette amiti6,fonde un ordre social oir rdgne l'entente et l'harmonie, et ori le bien publics'accomplit sans conhainte. L'amiti6 est ainsi une vertu civique gr0ce i laquelleune soci6t6 peut 6chapper aux rapports de force et r6sister aux abus du pouvoir'

Ce monde lumine-ux, oi le bonheur semble possible, se trouve brutalementd6chir6 par les grelre$ de Religion. A la place de l'amiti6 et de la paix, c'est laguerre civile. Pendant trente ans, de 1562 iL 1592,1a France est dans la confusion.Tous sont arm6s: bourgeois, paysans, nobles ou soldats de profession. L'heuren'est plus d la pens6e. Les guerres civiles vont durer 35 ans, d6vaster la Francepar des massacres d'une cruaut6 impitoyable, d6chirer les fanrilles et ruiner pour

iongtemps I'id6a1d'humanit6 heureuse auquel la g6n6ration pr6c6dente avait cru.

La violence et 1'absurdit6 de la guerre rendent d6risoires les valeurs auxquelles

on s'6tait attach6 dans Ia premidre moiti6 du sidcle.Au milieu de ces violences, il faut beaucoup de sang froid et de

ponddration pour 6chapper aux passions religieuses, beaucoup de courage aussi

car on est vite accus6 dds qu'on ne hurle pas avec les loups. Aussi bienMontaigne que La Bo6tie r6ussissent d conserver une attitude i la foisintelligente et juste. Avec quelques nuances politiques: La Bodtie est plus

r6solument catholique que son ami; cela ne le rend pourtant pas sectaire, malgr6une prise de partie sans 6quivoque en faveur de l'6glise catholique, L'absurdit6g6n6rale d'une guerre civile se trouve brutalement soulignde par la perte

pr6matur6e de La Bodtie (1563). Montaigne continue i intervenir au Parlement

de Bordeaux et accomplit plusieurs missions difficiles d la cour (11564, 1565).Il se marie, d l'6ge de 35 ans avec Frangoise de Chassaigne, issue d'une

famille de parlementaires. Malgr6 les critiques qu'il fait du mariage, ce sera une

union pleine d'estime et de franchise. En somme la vie continue, m6me si leceur n'y est plus tout-d-fait. En 1568 Pierre Eyquem meurt. Aprds La Bo6tievoici la deuxidrne perte essentielle. Montaigne essaya de rester aussi fiddle d l'unqu'd l'aufe.

En 1570 Montaigne se d6met de sa charge au Parlement de Bordeaux et se

retire sur ses terres pour se consacrer d6sormais i l'6tude et d la r6flexion. "I1 me

faut tout reprendre depuis le commencement. Quitter le Parlement me permet de

revenir viwe sur mes terres, de ne pas me laisser distraire par les affairespolitiques ou judiciaires, bref de me consacrer d I'essentiel: y voir clair, fairel'essai de la raison humaine. C'est-i-dire prendre un peu de recul au milieu de laconfusion g6n6rale, prendre le temps de consid6rer les choses tranquiliement". ilchange donc de vie et se consaffe d6sormais tout entier d'une part iI'administration de son domaine, d'aute part i l'6tude, I1 am6nage une tour de

son ch0teau: au rez-de chauss6e la chapelle, au premier 6tage Ia chambre, au

second la bibliothdque "libraiiie". Ni top luxueux, ni trop austdre, c'est un lieu

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id6a1, d la fois prds des aufies et retir6. Tout est prds pour qu'il se mette aukavail. Montaigne va entrer dans la litt€rature ou en r6flexion, comme d'autresentrent dans les ordres. Dds 1572 il commence i r6diger les Essais, cependantqu'il lit S6ndque et Plutarque. Mais, chevalier de Saint-Michel et gentilhommeordinaire de la Chambre du roi (titre honorifique) depuis 1571, plus tardgentilhomme de la Chambre d'Henri de Navane, Montaigne, m6me d 1'6cart desaffaires, est beaucoup plus qu'un simple particulier. Au cours de la quatridmeguerre de religion, il rejoint l'arm6e royale du duc de Montpensier, qui le charged'une mission auprds du Parlement de Bordeaux. Revenu d son chtteauMontaigae reprend ses lectures et la r6daction des Essais dont la premidre 6ditionparait d Bordeaux en 1580.

Depuis 1578, Montaigne souffre cruellement de la maladie de la pierre. En1580, il ddcide d'essayer les eaux les plus r6put6es de France, d'Allemagne etd'Italie: peut-Ctre trouvera-t-il la gu6rison. Il compte bien profiter aussi de sonvoyage pollr se distraire et s'instruire. "Le voyage me semble un exerciceprofitable. L'6me y a une continuelle exercitation d remarquer les chosesinconnues, et nouvelles et je ne sache point meilleure 6cole, comme j'ai ditsouvent, i former la vie que de lui proposer incessamment la diversit6 de tantd'autres vies, fantaisies et usances". Voyager c'est aussi d6couvrir la beaut6 despaysages et des villes. 11 d6couvre Rome, la magnificence des c6r6moniesreligieuses. Les ruines du forum constituent pour lui unrc des leqons de l'histoireet elle ne manque pas de nostalgie: tout passe, m6me ce qu'on pensait tre plussolidement 6tabli. Tant de grandeurs et de souvenirs donnent"i Montaigne 1'envied'y avoir sa part. Et le voici qui emploie "tous ses cinq sens" pour obtenir le titrede citoyen romain. C'est un titre purement honorifique, pompeux, avec degrandes lettres dor6es, sous la fameuse formule antique S.P.Q.R. (SenatusPopulusque Romanus). Montaigne f 6tant citoyen d'aucune ville, se r6jouitd'appartenir i la plus noble des tous les temps. Mais le plaisir qu'il y prend neI'emp6che pas de voir aussi le c6t6 ridicule et vaniteux de cette "Bulleauthentique de bourgeoisie romaine". Comme pour les ruines antiques se mtlentici h g#ndeur et la ddrision, la gloire et la destruction. En septembre 1581 ilregoit de Bordeaux une lettre: il avait 6t6 61u maire de la ville.

S'il ne rentre pas gu6ri, Montaigne rapporte de l'Italie un "Journal devoyage" et surtout il s'est enrichi d'observations et d'exp6riences nouvelles. Lesdeux premidres ann6es coflrme maire de Bordeaux sont calmes mais denombreuses difficult6s surgissent aprds sa r66lection en 1583. Montaigne se

montre habile diplomate, regoit Henri de Navarre en 1584 et le rapproche dumar6chal de Matigtron, d6vou6 d Henri lII. Avec Matignon il pr6vient uneentreprise de la Ligue sur Bordeaux (1585). Au cours de l'616, au moment of ses

fonctions vont expirer, la peste 6clate dans la ville; il s'en trouvait absent etjugeainutile d'y rentrer, comme Ie voulait la tradition, pour prdsider ir l'6lection de sonsuccesseur. Avec les siens il doit fuir ses terres gagn6es d leur tour parl'6pid6mie.

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Retrouvant enfin le calme, Montaigne pr6pare une nouvelle 6dition des

Essais grossie d'un troisidme liwe qui paraitra en 1588. Il regoit de nouveauHenri de Navarre en 1587. Il est attaqu6 sur la route et d6valis6 en se rendant dParis, puis embastilld pendant quelques heures. o'Heureusement la reine mdre

intervient auprds du duc de Guise et sur les huit heures du soir je suis rel6ch6...".Voili bien ce d quoi on s'expose quand on refuse d'appartenir d un parti, on se

fait auaquer des deux c6t6s".La m6me ann6e (1588) il a fait la connaissance de Madernoiselle de

Goumay qui admire profond6ment son Guwe et sera "sa fille d'alliance". "Celame rappelle la fagon dont La Bo6tie et moi nous solnmes connus. Je la croiscapable des plus belles choses tant son esprit et son caractdre montrent de

fermet6... Et le temps que nous passons ensemble i marcher et parler m'est biendoux". Les Essais demeurent sa pr6occupation majeure. "Et ma1gr6 les difficult6sdu temps pr6sent, malgr6 la ruine g6n6rale des valeurs, malgr6 le temps qui passe

et la solitude, je ne me sens ni d6gu ni triste. Tout au contraire en continuantd'exercer ma pens6e en 6crivant, en reprenant et en ajoutant sans cesse, je garde

une sorte de gaietd qui ressemble beaucoup au bonheur" Il y travaillait toujoursquand survint la mort qu'il avait appris d ne pas craindre (en septembrc 1592).

On voit combien la vie de Montaigne fut mouvement6e: il faut se garder

d'imaginer Montaigne comme un penseur qui ne sort gudre de sa bibliothdque.Pour lui la leqon des hommes et des 6v6nements compte autant que celle des

liwes. La richesse et la vari6t6 de sa vie, l'ampleur de son exp6rience,l'importance du rdle qu'il a jou6, donnent une valeur particulidre d ses

observations psychologiques et d ses r6flexions rnorales. Ce qui frappe surtoutc'est la place accord6e d la vie int6rieure. L'essentiel pour lui c'est ce qu'ilappelait "l'arridre-boutique" c'est-i-dire, par deld les vaines apparences et les

agitations "tumultaires", le moi profond.Les Essais nous peignent un 6tre dans toute sa complexitd: Montaigne

dont la vie fut si active, 6tait plut6t indolent de nature. A une certaine lourdeurphysique, il joignait une finesse d'esprit peu commune. Il allait i un bon senspaysan une pens6e extrOmement hardie. I1 a support6 courageusement la douleurdont il avait pourlant une horreur physique intense: lorsqu'il proteste contre latorture, c'est d'abord parce qu'il n'en peut supporter le spectacle. Ces

contradictions que tout homme porte en lui, I'originalite de Montaigne estjustement d'en avoir pris conscience. Sa sagesse consiste d tirer le meilleur partide son temp6rament. Sa personnalit6, riche et diverse, est difficile i. d6finir d'unmot: Montaigne apparait comme un beau type d'homme complet.

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17.1. Les ESSAIS

Ce titre appelle une explication: Montaigne lui-m6me nous la donne: sonlivre est l'essai des facultds naturelles qui sont en lui: "Toute cette fricass6 que jebarbouille ici n'est qu'un registre des essais (exp6riences) de ma vie". Montaignene pr6tend pas nous imposer une legon, il nous convie i viwe avec lui sestentatives, ses observations, ses r6flexions. Les Essais sont le Journal d'unhomme d la recherche de la sagesse. Le titre nous rappelle aussi que Montaignen'a jamais voulu s'immobiliser dans une certitude d6finitive: jusqu'd son dernierjour il a compl6t6, nuanc6 son ceuwe , tandis que celle-ci contribuait d modeler savie. Le dessein de Montaigne fait des Essais un liwe sans pr6c6dent; lapersonnalitd de Montaigne en fait aussi un liwe sans 6quivalent quoiqu'on I'aitsouvent pris pour moddle. Ce qui reste surtout unique, c'est cette fagon de parlerde soi sans la moindre gOne, sans s6v6rit6 excessive cornme sans forfanterie. Lasinc6rit6 de Montaigne est faite d'une modestie subtile qui ne va pas sansquelque orgueil.

L'exp6rience, la vie m6me de Montaigne s'inscrivent dans les Essais dmesure qu'il les compose. Il commence par noter des rdflexions inspir6es par seslectures; puis, peu i peu, les id6es personnelles prennent la premidre place etl'opinion des anciens n'intervient plus qu'd titre d'exemple ou de confirmation.A mesure que sa pens6e 6volue, I'auteur compldte d6jd les chapitres d6ji r6dig6s,d'une fagon qui; parfois, en modifie $ensiblement la pon6e. En pr6sence d'untexte des Essais, il est donc essentiel d'en connaitre la date de la publication,autant que possible la date de la composition et de distinguer la, premidrer6daction des additions ou modifications successives.

17.1.1.Les Essais de 1850Parmi les chapitres de la premidre 6dition des Essais en deux liwes,

beaucoup sont maigres et traitent des sujets restreints (par exemple: Du parlerprompt ou tardif -I.-10; Du dormir -i.-11). L'auteutr, selon le gofft du temps,groupe autour d'un exemple ou d'une id6e des anecdotes, des sentencesemprunt6es aux anciens, et conclut en d6gageant une rdgle g6n6rale. Quelques-uns abordent des questions d'un int6r6t plus vaste (exemple: Que philosopher,c'est apprendre i mourir -1.-20; De I'institution des enfants -I.-26; De l'amiti6*1.-28; Apologie de Raymond Sebond *II.-12).

La pens6e de Montaigne n'apparait pas encore fix6e et on peut discernerchez lui deux attitudes successives, auxquelles correspondent approximativementses deux livres.

Le parti pris stoilcien. Montaigne commence par adopter de parti pris unedoctrine qui est aux antipodes de son temp6rament, Ce nonchalant, qui r6pugne dl'effort, a appris, au contact ir La Bo6tie, dr admirer l'aust6rit6 des stoiciens. Lalecture de S6ndque et du Lucain accroit son enthousiasme; Montaigne veut se

persuader que la vertu "demande un chemin 6pre et 6pineux"; il croit dI'efficacitd d'une rdgle rigide pour se pr6server du malheur; il d6veloppe avecune gravit6 6loquente de nobles lieux communs sur la volont6 qui triomphe de la

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douleur (I, 19), sur la mort, d laquelle Ie sage sait se pr6parer en y songeant

constamment (I, 20).La rdaction sceptique. Peu d peu Montaigne s'6loigne de I'austdre

doctrine stoicienne. Il s'enthousiasme porx Plutarch, dont la sagesse est moins

rude que' celle de Sdndque. En m€me temps, son jugement acquiert, grdce i un

exercice continu, une plus grande ind6pendance: l'expdrience lui r6vdle, dans

tous les domaines, des absurditds analogues d celles qu'il a observ6es au cours de

sa carridre de magistrat; en particulier les atrocit6s des guerres civiles, imputables

au fanatisme, le rendent hostile i toute affirmation dogmatique.

Le doute envahit sapens6e et il adopte corlme devise: "Que sais-je?""'o'pour ne pas oublier moi-m6me qu'il vaut mieux douter d'une chose

appuremment s0re que de croire sans examen, j'ai fait frapper i mon effigie une

m6daille: elle montre une balance dont les deux plateaux en 6quilibre figurent ladifficult6 de juger et I'incapacit6 of nous sommes de choisir un parti plut6t qu'unautre. J'y ai fait graver la devise quej'ai adopt6e: "Que sais-je?" J'en suis venu ipenser que la certitude -l'impression de certitude- est la marque la plus certaine

de d6raison: c'est au nom des certitudes qu'on pers6cute, qu'on torture, qu'onmassacre." Cette attitude est bien nette dans la longue 'Apologie de RaymondSebond":

Montaigne humilie la raison humaine et montre que la "stupidit6 brutale"

des animaux arm6s de leur instinct sulpasse 'otout ce que peut notre divineintelligence". L'homme est incapable d'attendre la v6rit6; la philosophie est untissu de contradictions; notre vie ressemble ir un songe st l'essence des choses

nous reste inaccessible.Des lors Montaigne s'interdit de chercher dans un systdme quelconque

une rdgle de v6rit6 ou de vie. "La v6rit6 dont nous t6vons, qui serait immuable et

certaine, peut-€tre existe-t-elle, mais nous ne la connaissons pzili et ne pouvons la

connaitre, tout simplement parce que nous apprenons les choses par nos sens et

qu'ils sont faibles et trompeurs".Il se persuade que toute connaissance vaut seulement par rapport i nous et

se ramdne, en demidre analyse, d rendre compte de nos opinions et de nos go0ts'

Assur6ment la conclusion peut paraitre pessimiste mais, i tout prendre, "mieuxvaut savoir qu'on ne sait rien que croire connaitre ce qu'on ne connait pas".

Les chapitres r6dig6s i partir de 1577 sont presque tous compos6s

d'observations personnelles et Montaigne indique bien son dessein d6frnitif dans

l'avis au lecteur qu'il place en t€te des Essais: "C'est moi que je peins"... "Ainsi,lecteur, je suis moi-m6me la matidre de mon liwe". il ne s'agit pas seulement duportrait v6ridique d'un individu; les Essais nous renseignent sur nous-m6mes et

sur la nature humaine car "chaque homme porte la forme entidre de l'humainecondition".

17.1.2.Les Essar's de 1588Riche d'une exp6rience nouvelle, Montaigne retouve au d6but de 1586 sa

"librairie". Il n'abandonne pas, pour autant, l'activitd politique, mais il retoucho

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et compldte les chapitres des deux livres publi6s en 1580; il compose treizenouveaux chapitres qu'il groupe en un troisidme livre. Au mois de juillet 1588 ildonne d Paris une nouvelle et importante 6dition de ses Essais, la cinquidme,"augment6e d'un troisidme livre et de six cents additions aux deux premiers".

Les nouveaux chapitres sont particulidrement riches en r6flexionspersonnelles. Etienne Pasquier note que son toisidme liwe "semble 6tre unehistoire de ses mcurs et actions". Histoire de ses mcurs d'abord: il raconte sa vie(IIL-2-Du repentir); il dit les plaisirs qu'il a go0t6s dans l'amiti6, I'amour et lalecture (III.-3-Des trois commerces); il nous entretient de ses habitudes, de sesmaladies (III.-I3-De 1'exp6rience), de son peu de goflt pour les occupations du"m6nage" (III.-9-De la vanit6). Histoire de ses actions aussi: il passe en revue lesr6cents 6v6nements de son existence, son voyags, sa gestion municipale; il6voque le r6le qu'il a jou6 pendant la guerre civile et la peste (III.-12-De laphysionomie).

Cependant la pens6e a gagn6 en gravit6 et en profondew. Montaigneaborde des questions d'un trds large int6r6t (De l'art de conf6rer, De la vanit6, Del'exp6rience); il tend d se d6crire sous son aspect le plus g6n6ral, afin de fournirau lecteur, en partant de ses confidences, une occasion de philosopher surI'homme et sur la vie.

En 1595 Marie de Gournay publia avec le podte bordelais, Pierre deBrach, une nouvelle 6dition de son Guvre , enrichie d'additions et de correctionsnouvelles. Mais les 6diteurs modernes devaient utiliser surtout pourl'6tablissement d'un texte d6finitif, un exemplaire de l58B annot6 de la rnain deMontaigne et conserv6 d la bibliothdque de Bordeaux.

Montaigne a consacr6 un chapitre entier des Essais (II.-tr7, De lapr6somption) d se peindre en d6tail. Mais i tout instant, il se laisse aller d desconfidences sur les aspects les plus vari6s de sa personnalitl. Les Essais sant,bien plus que I'histoire d'une vie, l'histoire d'une dme.

En confrontant les innombrables t6moignages que Montaigne nous alaissds sur lui, on peut arriver d fixer quelques traits essentiels de sa mouvante etcomplexe physionomie.

Montaigne s'est d6crit au physique avec un soin minutieux. Il a "la tailleforte et ramass6e; le visage non pas gras mais plein; la complexion entre lem6lancolique, moyennement sanguine et chaude, la sant6 forte et alldgre.. ." Il nepossdde pas toutes les qualitds d'un gentilhomme; il manque d'adresse dans lesexercices corporels; n'a aucune disposition pour la nage, l'escrime, la voltige oule saut. 11 6crit mal et ne lit gudre rnieux. Somme toute, son naturel est "pesant,paresseux et fain6ant". Mais il est fortement constitu6 et trds rdsistant: excellentcavalier malgr6 la maladie il est capdble de faire d cheval des traites de 8 d 10heures; bref, il dure bien d la pef,ne, pourvu que ce soit volontairement et "autantque son d6sir l'y conduit".

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1 7. l, 3, La physionomie moraleMontaigne est un dpicurien raffin6, passionn6 d'ind6pendance et avide de

go0ter les plaisirs les plus d6licats. La passion de l'indipendance est le trait leplus caract6ristique de sa physionomie morale. I1 s'est constamment appliqu6 dprdseruer jalousement sa libert6: il n6glige l'administration de ses affaires etferait n'importe quoi plut6t que "de lire un contrat et d'aller secouant despaperasses poudreuses"; potu ne pas 6tre sous la tutelle du roi et des grands, ilrefuse de viwe d la cour, Il est bien d6cid6 d "se prdter d autrui et ne se donnerqu'd soi-m€me".

Sa jeunesse, conduite d'une faqon molle et libre, l'a habitu6 d aimer la vieet d la cultiver; il se plait d se regarder viwe et savoure avec d6lices toutes lesvolupt6s; il emploie m€me une ing6niosit6 raffin6e d les multiplier et surtout d enaugmenter l'intensit6, en y faisant participer l'6me, qui se contemple alors "dansce prospdre etat".

Au cours des Essais, il se pr6sente d'nous cormle ut humaniste fervent,mais aussi coflrme vn dilettante.I1 a une tds forte culture; la lecture sans 6tre unepression tyrannique, a 6t6 une des grandes joies de la vie. Il airne les auteurslatins et parmi etx, ceux qui lui permettent de d6velopper son jugement etd'enrichir sa connaissance de I'homme: les podtes, les historiens, surtout lesmoralistes. Il est enthousiaste de Plutarque, devenu "frangais" grice i JacquesAmyot. Cet humaniste, cependant, n'a rien de commun avec les p6dants qu'ilm6prise souverainemert. Leur savoir verbal est aussi vaniteux qu'inadapt6 d lavie; il nous 6loigrre de la simplicit6 naturelle et bome notre horizou. Or,Montaigne aime les grtces naives et il d6teste tout ce qui est specialisation carplus on se limite d une 6tude particulidre, plus on s'6loigne de la vdrite largementhumaine et moins on est capable de gotter le spectacle mouvant des choses,Montaigne met sa coquetterie i rechercher les plaisirs intellectuels les plusdivers: il affectionne le singulier, joue avec le paradoxe, aime A se donner desdmotions dont tout le monde n'est pas capable.

Montaigne n'est pas seulement I'homme de la "librairie". S'il aime lasoiitude, ii go0te au moins a:utanl les joies de la sociiti.

Lorsqu'il n'est pas sur les routes Montaigne vit dans son petit domaine, aumilieu de sa famille. Il aime recevoir sans c6r6monie ses parents, ses amis ou sesvoisins: dans son ch0teau trds hospitalier on passe du bon temps dr se divertir auxjeux les plus vari6s: "Mais de tous les plaisirs de la vie de soci6t6 il n'en est pasde plus d6licat que la conversation "([I.-8-De l'art de conf6rer). Montaignenaturellement "langagier" en fait son passe-temps favori: il y voit une occasionde r6unir un petit cercle d'amis choisis et surtout d'exercer son esprit. Il pratiqued'ailleurs la conversation comme un jeu qui a des rdgles pr€cises: il faut savoirs'adapter d ses interlocuteurs, 6viter tout ltalage de science, respecter lesopinions d'autrui, si extravagantes qu'elles soient, rechercher la contradiction quiest un stimulent de l'esprit.

Par ses verfus sociales Montaigne pr6figure "l'honn6te ,homme" duXVII dme sidcle.

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17.2, Les id6es p6dagogiques

Motaigne en m€me temps qu'il 6voquait le souvenir de sa propre6ducation a formul6 ses id6es p6dagogiques dans l'essai "De f institution des

enfants" (I.-26). I-es questions p6dagogiques ont passionn6 le XVI-dme sidcle.(voir Rabelais): c'est un aspect caractEristique de I'esprit de la Renaissance.

Montaigne lui-m6me avait appris le latin selon la m6thode directe, import6ed'Italie (.,.mon pdre et ma mdre y apprirent assez de latin pour I'entendre et en

acquirent d suffrsance pour s'en servir i la n6cessit6, comme firent aussi les

autres domestiques qui 6taient plus attach6s d mon service,.. Quant ir moi, j'avaisplus de six ans...et sans art, sans liwe, sans grammaire ou pr6cepte, sans fouet etsans larmes j'avais appris du latin tout aussi pur que mon maitre d'6cole lesavait") Ses souvenirs d'enfance et de jeunesse lui fournissent dorfc uaeexp6rience pr6cieuse lorsque sa r6flexion s'applique d ses probldmes.

Il condamne l'6ducation collective des colldges: c'est le seul point surlequel il se s6pare profonddment de la p6dagogie modeme. Le pr6cepteur, quisera lui-m6me plut6t un sage qu'un savant, doit avant toutformer le jugement de

son 6ldve ; il ne s'agit pas tant de lui enseigner beaucoup de choses que de luiapprendre A r6fl6chir et de d6velopper son intelligence et sa personnalit6. Aprds

lE soif de connaissances qui caract6rise Rabelais, une d6cantation se produit:"savoir pax ceur n'est pas savoir" dit Montaigne dans le chapitre 26. Au lieud'encombrer la m6moire de l'61dve il faut former son esprit, lui apprendre ipenser car c'est mieux pour un conducteur d'avoir "p1ut6t la t6te bisn faite que

bien pleine". Pour Montaigne "le gain de notre 6tude, c'est en €tre devenumeilleur et plus sage"

Il pratiquera toujours la douceur : Montaigne a horreur des chitimentscorporels et de la contrainte sous toutes ses formes. Mais fait-il une place

suffisante d l'effort st au sens du devoir? On peut penser qu'il est bien optimiste,ou que, du moins, sa p6dagogie est surtout congue pour des 6tres trdsheureusement dou6s. Il prEvoit I'objection mais rdpond par une plaisanterie;

l'enfant est-il rebelle i cette 6ducation? "que de bonne heure son gouverneurl'6trangle, s'il est sans t6moins, ou qu'on le mette pdtissier dans quelque bonneville, ffit-il fils du duc".

Selon Montaigne il ne suffit pas de former le jugement, il faut aussi

endurcir le corps o'ce n'est pas assez de lui raidir l'flme; il lui faut aussi raidir lesmuscles". Ainsi l'enfant deviendra un homme complet, capable d'affronter la vie.

Enfin, id6e trds moderne, les voyages achdvent son 6ducation.Montaigne p6dagogue est d'aciord avec Rabelais sur plusieurs points, Lui

aussi, parr6action contre l'6ducation des colldges, trace les plans d'une 6ducationisol6e et aristocratique (son 6ldve est de famille noble et il veut en faire avant toutun homme du monde). Lui aussi poursuit le complet d6veloppement du corps et

de l'6me. ("Ce n'est pas une 6me, ce n'est pas un corps qu'on dresse, c'est unhomme"). Lui aussi s'61dve contre la m6thode d'autorit6 en faveur au Moyen

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Age: "Qu'on lui fasse tout passer par l'6tamine et ne loge rien en sa t6te parsimple autorit6 ou d cr6dit". Lui aussi enfin assigne un but moral d l'6ducation.

Mais si Montaigne et Rabelais ont adopte vis-d-vis du pass6 une attitudesemblable (puisqu'ils rejettent et condamnent tous les deux la vieille 6ducation)ils ne s'accordent plus ensemble quand il s'agit de prdconiser pour l'avenir, desm6thodes nouvelles. Rabelais, s'adressant d la m6moire, cherche surtout i faireun 6rudit, un "abime de science". Motaigne, songeant d fagonner le jugement,vise plutdt i former un esprit cultiv6 qui des sciences go0tera seulement "lacroffte premidre". Le danger de la m6thode de Rabelais serait de surcharger lejeune hornme d'une foule de connaissances encombrantes et de submerger souscet abus d'6rudition sa personnalit6 naissante. Le danger de la m6thode deMontaigne serait de faire de I'adolescent un esprit plus brillant que solide, uncauseur aimable et superficiel dont "le vernis" aura du succds dans le monde.

L'Essai 26 du Liwe I est d6di6 d Diane de Foix, comtesse de Gurson, quiallait 6tre mdre. C'est dire que Montaigne pense avant tout i la formation dejeunes nobles. Pourtant la plupart de ses id6es sont universellement valables. Iltrace un progralnme d'6ducation individuelle et libre, qui permet d l'61dve defortifier ses muscles par la pratique des exercices convenables d un geutilhomme,qui forme un caractdre en l'habituant d tirer de ses legons des applicationsmorales, qui d6veloppe son activit6 pratique pax un enseignement direct (legonsde choses, oonversations, lecfiires, voyages) enfin et surtout qui exerce son espritcritique. Ainsi Montaigne a compris la n6cessit6 de r6agir i la fois contre lesambitions d6mesurdes de la p6dagogie rabelaisienne. Il a esquiss6 les grandeslignes d'une 6ducation largement humaine, destinde A former, non des 6rudits oudes sp6cialistes, mais des hommes i l'esprit ouvert, au jugement 6quitable,capable de faire bonne figure dans la soci6t6.

17.3. Les id6es politiques et religieuses

L'Apologie de Raymond Sebond contient I'essentiel des id6es religieusesde Montaigne. Notre raison est incapable de connaitre Dieu et de prouverI'immortalitd de l'6me. De cet agnosticisme,. Montaigne conclut d la toldrance :

toutes les religions ont du bon. Condamnant toute apolog6tique ratiormElle iladmet, au contraire, la rivilation et la grdce, seul moyen pour l'homme desurmonter f infirmit6 da sa nature. Car, pour lui, il est impossible "que l'hommemonte au-dessus de soi et de I'humanit6; car il ne peut voir que de ses yeux, nisaisir que de ses prises. Il s'6ldvera abandonnant et renongant d ses propresmoyens et se laissant hausser et soulever par les moyens purement c6lestes"(lagrice)

Tandis que la haine et la violence se d6chainEnt autour de lui, Montaignegarde une enti&re lucidit6. Dans les luttes qui d6chirent la France la questionreligieuse n'est qu'unpr6texte; passions et convoitises se donnent libre cours. Ilnous semble entendre la voix m6me de la raison. Montaigne dit que ceux d'unparti'ou d'un autre, engag6s "si pareillement i leur violentes et ambitieusesentreprises, s'y conduisent d'un progrds si conforme en d6bordement et injustice

qu'ils rendent douteuse et malaisde i croire la diversit6 qu'ils prdtendent de leursopinions". En effet, rien ne semble faire distinguer les catholiques desprotestants. "Un jour, alors que nous voyagions mon frdre Piene et moi, raconteMontaigne, nous renoonttmes un gentilhomme, de bonne fagon, il 6tait du particontraire au notre, mais rien dans son attitude et ses fagons ne laissiientsoupgonner qu'il €tait protestant, il contrefaisait tous les gestes d'un catholique.cela dit bien la monstruositE des guerres civiles oi I'ennemi n'est distingud paraucune marque apparente, mais au contraire 6lev6 dans les m6mes lois et lesm6mes coufumes".

Dans son scepticisme son horreur aussi du fanatisme et d.e violence, ilconsiddre I'ordre 6tabli comme un moindre mal, Mais c'est d condition de garderentidre sa libert6 de pens6e: conservateur dans le domaine de l'action, il est deceux dont la hardiesse d'esprit d6noncent tous les pr€jugds, tous les abusinvet6res.

Montaigne est trop sage pour appliquer d tous les probldmes humains sonprincipe de soumission d la nature. Suivre la nature conduirait, en politique, i unindividualisme anarchique en matidre religieuse, d une incr6duilte totate. Otl'auhur des Essais apparait comma un d6fenseur r6solu de la tradition ce qui nel'emp6che pas de soutenir d l'occasion des id6es hardies.

Montaigne est hostile i tout changement, dans les cas oil sa raison ne peutfonder une opinion personnelle sur des faits solidement 6tablis. Sans doute necroit-il pas i une forme iddale de gouvemement, ni d la v6rit6 absolue du dcgme;la raison humaine 6choue dans ses domaines. C'est justement pourquoi il seraitvain de vouloir renver$er le rdgime et ruiner la religion traditionnelle. Simauvaise que soit une constitution, celle qu'on mettrait d sa place vaudrait-ellemieux? Et ne serait-il pas dangereux de heurter des croyances consacrdss par dessidcles? Aussi Montaigae sert-il fiddlement son souverain: "observer les lois deson pays est la rdgle des rdgles"; il reste catlolique, va d la messe, recourt auxsacrements et d la pridre.

Montaigne, cependant, toutes les fois qu'il g pu se faire une conviction, al'esprit assez libre et le ceur assez g6n6reux pour d6fendre avec hardiesse etchaleur les r6formes dont la ndcessit6 lui est apparue. Au nom de I'humanit6 il aprotest6 contre les cruaut6s de la justice, en particulier contre la questionpr6paratoire et la torture: "...cette rdflexion monfte i quel point les opinions quenous tenons commun6ment pour certaines, ou m6me raisonnables, reposent surdes id6es prdcongues et inconstantes, ou absurdes et sauvages: par exemple lajustification officielle de la torture dans les procds. Comment imaginer, en effet,que le supplice fasse dire la v6rit6 alors qu'il ne prouve rien d'autre quel'endurance d la douleur. Tout laisse penser qu'on serait pr6t i dire n'importequoi pour y 6chapper".

De m6me sa conscience s'est insurgde contre Ia fagon odieuse dont on acolonis6 le Nouveau Monde. L'6vocation du Nouveau Monde montre la fagondont l'homme du XVI-dme sidcle considdre les civilisations d6couvertes peuauparavant. Il remarque avec insistance la caract6ristique fondamentale du

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Nouveau Monde, f ignOtance, mais aussi, par cOnnotatign, l'innoCenCe' Il insiste

sur le rapport entre les deux mondes: l'ancien est promis d la d6cadence, le

nouveau a la fo.c.. Quant aux civilisations pr6colombiennes, elles se d6finissent

par des qualit6s diverses li6es d leur innocence et d leurs capacit6s propres. Par le

nornbre d. t.s qualitfs et par leur classement, dU domaine social au domaine

moral, I'auteur ixprime d quel point ces civilisations r6alisent la perfection

humaine. L'absence de sup6riorit6, voire l'inf6riorit6 des Europ€ens rend plus

scandaleuse leur conduite i l'6gard des lndigdnes. "Chacun appelle barbarie ce

qui n,est pas de son usage". cette r6flexion sur le Nouveau Monde et sur la

conduite des Europ6ens, cette presentation des exemples concrets des abus de la

colonialisation sont contenus dans quelques fragments des Essais -textescaract6ristiques des Essais-, i la fois observation, r6flexion et prise de position

de Montaigne."L'ethnocentrisme"(: la tendance que l'on a i valoriser le groupe social

auquel on appartient, et notamment le peuple, la nationalit6) est d6nonc6 par

Montaigne. I1 met en valeur les imperfections de la civilisation europ6enne en la

comparant avec les soci6t6s de I'Am6rique. Or, le d6but du sidcle avait cru i la

"upuiite de I'homme de progresser sur tous les plans, notamment sur Ie plan

moral. La difference entre les deux conceptions du monde souligne les

incertitudes de l'humanisme.Au XVI-dme sidcle 1,6loge fait ici des vertus de la nature pr6figure le

mlthe du bon sauvage cher d Rousseau. Sur le plan philosophique, c'est un rejet

de l'ethnocentisme et sur le plan politique, il oonstitue implicitement une

d{nonciation de la conduite des envahisseurs europdens. A notre 6poque

l'importance r6side surtout dans l'acceptation de soci6t6s diff6rentes de celle

dans laquelle nous vivons. Ces textes constituent une r6flexion sur toutes les

formes d'intol6rurrc". D'antre part, la sup6riorit6 de la nature sur la culture

renvoie i certains systdmes qui d6noncent aujourd'hui I'excds de la civilisation

industrielle et la destruction de la nature.

Ainsi, ce sceptique a su denoncer bien des pr6jug6s; ce conservateur, par

certains aspects de sa pensde, est d 1'avant-garde de son sidcle'

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18. MONTAIGNE.PENSEUR

La pens6e de Montaigne 6tait trop nuanc6e pour s'accofirmoder d'unsystdme philosophique rigide ou pour en bdtir un de sa fagon. Son temp6rament6pris d'ind6pendance ne pouvait accepter la domination hautaine d'undogmatisme. C'est pourtant vers les solutions de la philosophie antique qu'il setourne tout d'abord.'En partie par r6action ccntre cet excds de fluidit6, cetteindiscipline ihtellectuelle qu'il sent en lui, il est tent6 par la rigueur du stoitisme(1572-1573) puis il connatt ufle phase sceptique (vers 1576) avant d'arriver d 6trevraiment lui-m€me, tout i la fois stoicien, 6picurien, sceptique, dilettante, avantd'6te tout simplement un sage.

Le stoilcismeLes irifluences les plus diverses se sont li6es pour orienter Montaigne vers

le stoicisme; l'exemple et la mort de son ami La Bo6tie, la lecture de S6ndque etde Plutarque (traduits par Amyot en 1559), la n6cessit6 de se d6fendre contre ladouleur, lorsqu'il cofirmenga d souffrir de la gravelle, enfin l'incertitude destemps (guerres de religion) qui pr6sentaient sans cesse aux yeux des Frangaisd'alors f image et la menace de la mort. En effet Montaigne demande austoicisme un secours contre la hantise de la douleur et de la mort. Cette morale de1'6nergie et de la grandeur d'0me qui inspirera Corneille, apporte d Montaigaeune rdgie de vie et de pens6e.

La morale stoicienne veut en particulier endurcir l'homme contre ladouleur. Montaigne 6prouve d'autant plus le besoin de se pr6munir contre ellequ'il est sensible sinon douillet. Il ne pr6tend pas devenir un surhomme, ilreconnait que la douleur est un mal tenible et cherche simplement d Ia supporterle mieux possible, calmement et dignement. Il s'attache d montrer o'que le go0tdes biens et des maux d6pend en'bonne partie de l'opinion que nous en avons"..."il est en nous, sinon de 1'an6antir, au moins de l'amoindrir par patience... car,s'il n'6tait en nous" qui aurait mis en cr6dit parmi nous la vertu, la vaillance, laforce, la magnanimit6 et al r6solution? Oir joueraient-elles leur r61e s'il n'y a plusde douleur d d6fier?"

Montaigne avait eu raison de se pr6parer: voici que la douleur l'assaille;en 15'77 il ressent les premidres atteintes d'un mal tds douloureux -la gravelle(la colique)- dont il souffrira toute sa vie. Devant la douleur, il fait bonnecontenance, tandis que son stoicisme devient encore plus modeste, plus humain;qu'importent les cris et les contorsions pourvu que l'esprit ne se laisse pasan6anti par la souffrance "Qu'importe que nous tordions nos bras, pourvu quenous ne tordions nos pens6es?" '

Les hommes ont de la mort une crainte terrible, superstitieuse m€me.C'est pourtant le terme in6vitable. Elle frappe les jeunes gens comme lesvieillards. Montaigne a su renouveler ce lieu commun par un ton original et pardes exemples pr6cis et vari6s qui lui confdrent une intensit6 nouvelle, "..,lesjeunes et les vieux laissent la vie de m6me condition... et de ceux m€me qui ontanobli leur vie par renomft6e, fais-en registre, et j'entrerai en gageure d'en

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trouver plus qui sont morts avant qu'aprds tente-cinq ans. I1 est plein de raison et

de pi€t6 de prendre exemple de l'humanit6 m6me de J6sus Christ; or il finit sa vied trente-trois ans".

A l'occasion d'une chute de cheval, victime d'un grave accident,

Montaigne voit la mort de prds: pour un homme qui souhaitait ju$tement "s'enavoisiner" c'est une pr6cieuse exp6rience. Exp6rience encourageante d'ailleurscar, dans son extr6me faiblesse, Montaigne a eu I'imptession "qu'il n'6tait pas si

p6nible de mourir". Nous somme$ surtout frapp6s par l'€tonnante lucidit6 avec

laquelle il analyse ces impressions peu banales of l'6tat physique influesingulidrement sur l'activitd mentale. Longtemps aprds, essayant de se rappeler le

moment de l'accident "il me sembla, dit-il, que c'6tait un dclair qui me frappaitl'0me de secousses et que je revenais de l'autre monde". "Par ld je commenqai d

reprendre un peu de vie, mais ce fut par les menus (petit-i-petit) et pour un si

long trait de temps que mes premiers sentiments 6taient beaucoup plusapprochants de la mort que de la vie..."

La conclusion, o'l'instruction" que Montaigne en tire c'est que "i la v6rit6,pour s'apprivoiser i la mort je trouve qu'il n'y a que de s'en avoisiner".

A la hantise de la mort, plus redoutable que la mofi mOme, il n'est qu'un

seul remdde: regarder la mort en face, s'habituer i y penser calmement. Cette

conclusion est tout-i"tbit chr6tienne mais Montaigne y arrive par une voiepurement humaine, celle du stoicisme antique. Encore ce stoicisme est-il toutpratique il ne s'agit pas d'un iddal hEroique, mais d'une m6thode pour souffrir lemoins possible. C'est le sujet du texte "Que philosopher c'est apprendre d

mourjr'n. Et puisque de toute faqon cet ennemi -la mort- va nous frapper"apprenons dr le soutenir de pied ferme et i le combattre. Et pour commencer d lui6ter son plus grand avantage contre nous, prenons voie toute contaire i lacommune: 6tons-lui l'6tranget6, pratiquonsJe, accoutumons-Ie..." Avoirtoujours l'idee de la mort dans sa tdte c'est ce que "faisaient les Egyptiens, qui,au milieu de leurs festins et parmi ieur meilleure chdre, faisaient apporterl'anatomie sdche d'un corps d'homme mort, pour sewir d'avertissement aux

convi6s".Montaigne oherche le meilleur moyen de la regarder en face. Ainsi, c'est

un peu par 6picurismb que Montaigne devient stoicien: il cherche surtout unmoyen de mieux souffrir, o'est-d-dire de moins souffrir.

Dans le stoicisme Montaigne trouve une morale pratique; mais la doctrine

m€me, qui le s6duit un moment parce qu'elle permet d l'homme de rester libre(I.-20- "Il est incertain otr la mort nous attende; attendons-la partout. Laprdm€ditation de la mort est pr6rn6ditation de la libert6: qui a appris d mourir, il ad6sappris d servir...") lui parait bien orgueilleuse et mal adapt6e i Ia faiblesse

humaine, Cette faiblesse justement, Ie frappe de plus en plus. Un nouveausystdme va le tenter (vers 1576) celui qui se moque de tous les systdmes, le

scepticisme.Dans son "Apologie de Raymond Sebond" (II, 12) Montaigne enteprend

do d6fendre la Thdologie naturelle de cet auteur qui voulait d6monlrer par /a

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raison la v6rit6 de la foi chr6tienne. Ddpassant hds vite son dessein d6cla,r6,Montaigne p,rdcdde dans ce chapitre (le plus long des Essais) d un expos6 de ladoctrine sceptique. La d6marche consiste d humilier l'homme et sa raisonorgueilleuse. Pascal lui empruntera beaucoup lorsqu'il reprendra, dans ,uneintention bien diff6rente, la m6me inexorable d6monstration. Trompd par sessens, par les coutumes qu'il prend pour des lois naturelles, "incapable de v6rit6",l'homme ne peut rien connaitre, ni lui-m6me ni le monde. Pour l'existence et lanahue de l'dme et de Dieu, Montaigne s'en remet i la r6v6lation, comme on l'avu, mais entre l'homme et Dieu, il a creus6 un tel abime que sa pens6e parait trdsvoisine de l'agnosticisme.

Aux philosophies dogmatiques dont les affirmations p6remptoires secontredisent Montaigne oppose le doute avec sa fameuse formule "Que sais-je? "une interrogation car dire "Je ne sais pas" ce serait encore affirmer. La v6rit6, illa cherche. "Car il ne doute pas qu'il y en ait une, moyenne, complexe, relative.Mais il doute que ce soit tel ou tel qui la dEtienne puisque tel ou tel se d6chirenten son nom. Il ne nie pas les faits, ni que l'homme ait besoin, pour viwe, de lesinterpr6ter, puisque toute sa vie, il s'acharnera d le faire, mais il nie que leurinterpr6tation soit pr6cis6ment celle que celui-ci pr6sente toute faite, plut6t quecelle, aussi toute faite que lui pr6sente celuild. S'il nie, dit Emerson, c'est parhonn6tet6". (Elie Faure)

Faire du scepticisme une doctrine d6finitive, ce serait se condamner ausilence: aussi Montaigne ne s'en tiendra-t-il pas ld, Mais le scepticismerepr6sente un moment important de son evolution et un aspect d6firitif de sasagesse. Le doute correspond d une extr6me lucidit6, d un certain gofit pour leparadoxe, d sa curiosit6 inlassable, qui lui fait accepter avec int6r6t toutes kanecdotes, tous les traits de mcurs prouvant que les hommes ne pensent pas tousde la m6me fagon et que "les sauvages" sont parfois plus sages que nous. C'estaussi un moyen de prdserver son ind6pendance, de d6fendre la tol6rance dans une6poque de fanatisme. Le doute est pour lui un stimulent qui maintient sonjugement en 6veil, lui permet d'6largir sa compr6hension des hommes et assure dsa pens6e une entidre libert6.

Les "Essais" c'est l'cuwe d'un homme m0r, & qui l'exp6rience de la vieet des hommes a fait perdre plus d'une illusion. Plut6t qu'une morale nous ytrouverons un art de vivre.

Pour mesurer cet art de vivre songeons d'abord d la vie de Montaigne:"J'ai mis tous mes efforts ri former ma vie, voili mon matidre et mon ouvrage".Ce n'est pas la vie d'un h6ros ou.d'un saint, mais I'exemple rare d'une existenced'homme parfaitement dquilibrde singulidrement rernplie.

Aux yeux de Montaigne, h6ritier de la sagesse antique, le grand probldmeest celui du bonheur. Il a chereh6 d le rdsoudre pour son compte en d6terminantson attitude devant la mort et en r6glant ensuite sa vie. Il rEsolut d'6couter plut6tla legon de la nature. Elle enseigne que la mort n'a rien d'effroyable; c'est 'ole

bout" et non "le but" de la vie. lnutile de se pr6parer i l'affronter: "Si vous ne$avez pas mourir, ne vous chaille (ne vous inqui6tez pas); nature vous en

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informera sur-le-champ, pleinernent et suffisamment; elle fera exactement cettebesogne pour vous", Ne nous pr6occupons donc plus de ce "quart d'heure sans

consdquence"; appliquons-nous plut6t i faire le meilleur usage possible du tempsque nous devons passer sur terre; "la vie doit 0tre elle-m6me h soi sa vis6e".Montaigne nous apprend i aimer la vie et i la gotter pleinement.

Mais la conduite de la vie ne doit pas €tre livr6e au hasard. Montaignepense que la raison doit inspirer notre conduite; il condamne pourtant lespr6ceptes th6oriques toujours mal adaptds i une r6alit6 changeante. Toute lasagesse de Montaigne tient dans un grand principe: la soumission h la nature,c'est-i-dire aux exigences profondes de notre etre. Voila bien la grande utiiit6 de

la connaissance de soi-m6me. Montaigne s'analyse, afin de mieux discerner ses

go0ts v6ritables, ses besoins et ses imperfections.Il est remarquable qu'un esprit si lucide professe un tel optimisme, un tel

amour de la vie et de la nature, Nous sentons bien qu'il s?agit lh d'une foi, otr lesqualit6s du cceur complBtent celle de l'intelligence.

Montaigne s'est gardd de proposer cette morale naturelle comme un id6ald'une valeur absolue. I1 pensait qu'aucune rBgle de conduite n'est universelle etadmettait quril existe "mille contraires fagons de vivre". De fait son art de vivrecorrespond h son tempdrament.

Montaigne cr6e sa propre libert6. "Voili pourquoi, Michel Eyquem,seigneur de Montaigne me semble avoir 6t6...Ie premier hornme libre qui ait paru

en Occident... En lui, toutes les croyances peuv€nt prendre racine. Pour lui,toutes 1e croyances se peuvent ddraciner. Depuis lui, tout dogrnatisme, en

naissant est frapp6 b mort". (Elie Faure).S 'Tl montre i l'homme pourquoi Dieu I'a chass6 du paradis terrestre. MaisiI lui en donne la clef'.

Anonyme, France, XVf siBcle, L'iuvitation )r I'Amour

(m6dallion ;Lyon, Musde des Beaux-Arts),

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19. L'ARTISTE

La langue et le style des Essais rEvdlent un 6crivain authentique: sous une

apparence de laissEr-aller, on discerne les proc6d6s d'un art 6tudi6.La langue de Montaigne, trds riche, est en m€me temps trds scrupuleuse

sur le choix des rnots. Montaigne utilise surtout le fond national frangais; son

vocabulaire est trds s0r; il aime les mots consacr6s par l'usage et les tournurespittoresques de la langue populaire. "Je voudrais n'user que du langage qu'onparle aux Halles de Paris". Il enrichit ce fond en employant des mots latins,francis6s qui donnent i la lang--ue frangaise un peu de l'6nergie de la langue

latine; et aussi, mais avec discr6tion, des mots de patois: "Que le gascon y arrive,si le frangais n'y peut aller". Montaigne, i la fois conservateur et novateur en

matidre de langue, est d mi-chemin entre les 6crivains du XVI-dme sidcle quiobscurcirent le frangais d. force de vouloir I'enrichir et ceux du XVII-dme sidclequi l'appauvrirent i force de vouloir i'6purer.

Le style de Montaigne, parfaitement adaptd d son kmp6rament se

distingue par trois caractdres essentiels: le naturel, le mouvement, la couleur."Le parler que j'aime, 6crit Montaigne, c'est un parler simpie et naif, tel

sur le papier qu'd la bouche. De fait, les Essais ont le ton d'une conversationfamilidre. En r6alit6 ce laisser-aller est souvent un effet de l'art et les.manuscritsde Montaigne nous renseignent sur le soin m6ticuleux avec leguel,il retouchaitson style, surtout d la fin de sa vie.

"Mon esprit et mon style vont vagabondant de m6me" -6criril encore. Laphrase de Montaigne, avec ses associations impr6vues, ses saillies piquantes, ses

rebondissements capricieux, semble se modeler sur la pens6e: elle nous achemine

au but aprds bien des dictons. Ce n'est d'ailieurs pas spontan6ment, rnais par uneffort r6fl6chi, que ce style parvient d reproduire ainsi l'allure de la m6ditation.

Montaigne traduit volontiers ses id6es sous forme d'images concrdtes, tourd tour familidres et hardies mais toujours remarquables par leur vari6t6 et leurjustesse. La marque la plus originale du style de Montaigne c'est ce jaillissementperp6tuel de m6taphores juxtapos6es, qui transfigurent f id6e la plus banale par

leur pittoresque savoureux et par leur scintillement. Il savoure l'expressionexacte et frappapte comme il devait go0tsr le bon vin. Les mots ont pour lui une

couleur et waiment un go0t qu'il a su nous faire appr6cier d notre tour. Sa pens6e

est constamment relev6e par des cornparaisons familidres, des images po6tiques,

des mdtaphores vigoureuses. Il n'est peut-6tre pas d'6crivain chez qui il soit aussi

diffrcile de distinguer I'art conscient du don naturel.Montaigre est d6jd 'tn honndte homme" selon l'id6al du XVII-dme

sidcle, aimable, cultiv6, ouvert i tout. C'est pourquoi il a s6duit i toutes les

6poques tant d'esprits divers. "La Rochefoucauld, Pascal, Montesquieu.Vauvenargues, Stendhal enfoncent chacun leurs racines dans telle phrase de

Montaigne, Goethe, Hegel, Schopenhauer, Nietzsche ont respir6 son

atmosphdre.. ." (8. Faure)

Page 52: Moyen Age et Renaissance en France.pdf

Montaigne (1533-l 592)

Armories de Montaigne, XVf siicle

100

20. LA POESIE DE LA RENAISSANCE

20.1. Cl6ment Marot(1496-1544)

Marot est n6 en 1496 ou 1497. Son pdre Jean Marot devenu en 1507

secr6taire de la reine Anne de Bretagne, l'emmena avec lui i Paris et, podte 1ui.

m6me, lui donna les premidres legons de po6sie. D'abord clerc de la Basoche,

Cl6ment Marot quitta vite le Palais pour revenir page et podte de cour, au service

de Marguerite de Navane, puis au service du roi qu'il suit en 1525 dans son

exp6dition d'Italie (il est blessd et fait prisonnier i Pavie). A son retour en France

commencent pour lui toutes sortes de hibulations.De caractdre insouciant, l6ger, amoureux du plaisir, il se laisse entrainer

vers la R6forme par esprit d'ind6pendance et go0t de la nouveaut6. Accus6

d'h6r6sie en 1525, il est enferm6 au Chitelet (ce fut I'occasion de son 6pitre d

Lyon Jamet); mis en libert6 par Frangois J, il est encore emprisonn6 pour avoiravec des compagnons ross6 le guet dans une bagarre nocturne (1527). Denouveau lib6r6 par le roi, il vit d6sormais i la cour. En 1 531 atteint de la peste, ilest d6valis6 par son valet qui lui vole les cent 6cus d'or qu'il avait regus il'occasion du mariage de Frangois I avec El6onore d'Autriche. En 1532,convaincu d'avoir mang6 du lard en car6me, il faillit 6tre une fois de,plus mis en

prison. Compromis en 1535 dans l'affaire des Placards il se r6fugie dans le

B6am, d la cour de Marguerite, puis en Italie, chezla duchesse de Ferrare. Il est

autoris6 i rentrer en France en 1537 mais il est oblig6 d'abjurer solennellement dLyon, of il s6journe un mois, fr6quentant Maurice Scdve et les autres podtes de

l'Ecole Lyonnaise.Par sa traduction des Psaumes il s'attire de nouvelles pers6cutions de la

part de la Sorbonne. En 7542, Frangois I ayant d6cid6ment rompu avec des

h6r6tiques, abandonne Marot, son podte. En 1543 il se retire d Gendve ori il eut

des d6m6l6s avec les protestants rigoristes; oblig6 de quitter cette ville il erra

quelques mois en Savoie, en Pi6mont et mourut A Turin, en 7544.Cl6ment Marot se rattache encore d la tradition po6tique du Moyen Age

(ne pas oublier qu'il a donn6 une 6dition du Roman de la Rose en 1527 et une

6dition des Po6sies de Frangois Villon en 1532). Il a commenc6 par subirl'influence des rh6toriqueurs: cultivant comme eux les petits genres de la po6sie

traditiorurels. rondeaux, ballades, chansons, madrigaux. . .; comrne eux abusant de

1'all6gories et des proc6d6s artificiels de style et de versification' AprdsI'influence des rhdtoriqueurs il subit celle de la Renaissance. I1 fit plusieurs

traductions d'cuvres grecques et latines. Enfin avec le temps et l'action du

malheur sa personnalit6 peu A peu se ddgagea; et dans ses po6sies qui sont

presque toutes des po6sies de circonstances on vit fleurir son "6l6gant badinage"

m6lange de grice et d'esprit, d'ironie et d'6motion.Dans "L'Epitre d Lyon Jadet" (1526) Marot, enferm6 au Chttelet pour

avoir mang6 du lard en Car6me, demande i son ami de le secourir comme fit lelyon pour le rat. Lui, le rat, d son tollr, il saura secourir le lion "secourable",auquel a dit:

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...Tais-toi, lion lii,Par moi seras maintenant ddlii:Tu le vaux bien, car le ceur joli as;Bien y parut, quand tu me ddlias.Secouru m' a fort lionneus ement*,Or secou'ru sera rateusement*.

*lionneusement, rateusement -adverbes forg6s par Marot et qui produisent uneffet plaisant

Puis, joyeux d'avoir 616 transf6r6 "dans la prison claire et nette dechartres" il conte en un long podme, L'Enfer, son arriv6e d chttelet; mElant lasatire d l'6motion, il dvoque les tortures infligdes aux aceus6s, retace sonintenogatoire, plaisante sw son nom, sur son pr6nom et fait une lumineusedescription de Cahors, sa ville natale.

Au cours de son second s6jour en prison, pour avoir pr6t6 main-forte d unprisonnier qui s'6vadait il compose L'Epitre au Roy pour sa ddlivrance (1527).Quatre ans plus tard, dans L'Epttre ai noy pour-rtiarot 6tant marade d paris(1531) il raconte comment il fut vo16 par son valet et dans quel 6tat pieux le metsa maladie; il termine en sollicitant un pr6t d'argent.

"On dit bien vrai, la mauvaise forrune (l)Ne vient jamais qu'elle n'en apporte uneOu deux ou trois aveques elle, Sire.Votre ceur noble en saurait bien direEt moi, chdtif qui ne suis roi ni rienL'ai Cprouvd et vous conterai bien,Si vous voulez, camtne vint la besogne. (2)."

(l) -c'est le proverbe: un malheur ne vient jamais seul(2) -la besogne = l'affaire

voici Marot en Italie; il compose L'Epttre au Roy du temps de son exir dFerrare (1534): il se plaint desjuges qui, "par faute de p6cunie" condamnent lesinnocents, de "l'ignorante sorbonne" hostile aux efforts royaux pour restaurer leslettres et les arts: il se d6fend d'etre "luth6riste", se justifie d'avoir poss6d6 desliwes interdits, proteste de la puret6 de ses sentiments 6vang6liques et expliquepourquoi il est parti pour une terre dtrangdre. Revenu en France il cdldbre sajoiedu retour dans Le Dieu gard'd la cour (1537). Enfin dans une de ses pidces lesplus c6ldbres "Eglogue au Roy sous le nom de Pan et de R.obin (1539). Il6voqueson enfance parmi les champs et les bois et raconte comment "le bon Janot sonpdre" lui enseigna la po6sie afin que lui, Robin, pflt chanter le grand pan, ..dieu

trds sacr6", c'est-A-dire Frangois I, pdre de la po6sie.

102

"Sur le printemps da maieunessefolle,Je ressemblais l'arandelle qui vole,

Puis ga, puis li: l'd.ge me caqtduisait,

Sans peur ni soin, oi le caur me disait".

Marot cultive une ing6nuit6 savante qui donne i son muvre son caractdre

original., Il excelle i traiter avec audace et habilet6 des sujets d6licats et pratique un

humour subtil: sur un ton grave, i1 formule une v6rit6 6vidente, conduit un

raisonnement absurde ou atteste son innocence en r6pondant d cdt6 de laquestion. En outre, il a cr6e un style.

A l'6cale de Marot se rattachent quelques podtes comme Charles

Fontaines (1513-1588) I'auteur de plusieurs recueils de vers (La Fontaine

dlamour, Les,ruisseaux de Fontaine, Odes, 6nigmes et 6pigrammes) et surtout

Metlin de Saint-Gelais (1491-1558) qui eut le m6rite d'importer 9n France le

sonnet italien et l'honneur dl€te probablement vis6 par Du Bellay dans sa satire

du "Podte courtisan". ll eut son heure de c6lebrit6, mais dut bient6t s'inclinerdevant le g6nie de Ronsard: sous l'influence des modes italiennes il compOse des

podsies brdves. C'6taient, 6crfua l'6rudit Etienne Pasquier "de petites flegrs...,des mignardises qui couraient de fois d autres par les mains des cOurtisans et

dames de cour. "L'aimable talent de Marot le consacra comme le grand podte d'uqe

g6n6ration qui n'avait pas encore suffisamment m6dit6 les cuwes alrtiques pour

y decouwir ie secret de la haute poesie.

20.2, L' 6cole Lyonnaise

Au contraire, vers le meme temps, d'autres podtes pr6tendent donner i la

cr6ation poetique une signification plus haute: ce sont les podtes dits "lyonnais"'A Lyon, ville commerqante et prospdre of de tout temps se sont

intimement unies les pr{occupations pratiques et les tendances id6alistes et i qui

sa situation g6ographique permit d'6tre f interm6diaire naturel entre l'Italie et la

France, se constitua dans la premidre moiti6 du XVI-dme sidcle une 6cole

po6tique qui forme pour ainsi dire la transition entre le groupe de Marot et la

P16iade.

Ces podtes discutent de po6sie dans -les salons. Ils n'ont pas oubli6 la

courtoiSie mddi{vale, ni Ie Roman de la Rose: ils d6couvrent en outre leplatonisme et le p6trarquisme: Platon inspire leurs id6es mystiques sur l'arnour,-instrument

de connairsance et de sagesse; P6trarque leur donne, dans les sonnets

qu'il adresse d Laure de Noves, l'exemple d'une po6sie i |a fois pr6cieuge et

passionn6e.

Leur v6ritable chef fut Maurice,sceve (1500-1560). Scdve illustra avec

une particulidre distinction cette tradition po6tique. Cet drudit, qui crut d6couwiren 1533 le tombeau de Laure publia en 1544, Ddlie, objet de plus haute vertu,

son 6uwe maitresse et, beaucoup plus tard, sous le tihe de Microcosme we

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sorte d'6pop6e biblique, podme philosophique et moral sur l'homme. Cettepo6sie dense et myst6rieuse est d'un accds difficile. C'est lorsqu'on est parvenu is'orienter dans le d€dale d'une syntaxe counpliqu6e que les mots prennent leursens plein, que la phrase poEtique s'6c1aire et r6vBle sa richesse, Mais il faut fairehonneur d Scdve d'intuitions rares et exquises, traduites en vers souvent fortbeaux, qu'il s'agisse d'une image ("Aube 6teignait 6toiles i foison... ") ou d'uneassociation abstraite ("Le souvenir, 0me de ma pens6e...").Le XX-dme sidcletend i t6habiliter ce podte, dont l'art, rigoureux et suggestif, n'est pas sansanalogie avec celui de Mallarmd.

On peut aussi rattacher d l'Ecole Lyonnaise, dont il n'a pas, i vrai dire faitofficiellement partie, Antoine Hdrodt, l'auteur de "La parfaite amie" ainsi quePontus de Tyard_qui devait devenir un des membres de la Pl6iade. Et surtout, cequi a fait la grande originalit6 de cette 6cole c'est d'avoir compte parmi sesmembres plusieurs femmes distingu6es: Jeanne Gaillarde, Cldmence de Bourges,Sibylle et Claudine ScAve et la plus c6ldbre de toutes, Louise Labi. (1526-1566)

Elle avaitpris part d 16 ans au sidge de Perpigaan (1542) sous le nom decapitaine Loys. C'6tait une femme trCs instruite, qui connaissait les languesanciennes, l'espagnol et I'italien. Ayant 6pous6 un riche cordier lyonnais,Ennemond Perrin (d'ot son nom de la Belle Cordidre), elle fit de sa maison lerendez-vous de la soci6t6 polie de Lyon. Elle fut aim6e par le podte Olivier deMagny et, s'il faut en juger par ses vers passionn6s, elle ne dut pas resterinsensible i cet amour.

Les euvres imprim6es en 1556 comprennent une com6die en prose"D6bat de Folie de l'Amour", 24 sonnets et 3 6l6gies (le recueil se termine par 24pidces compos6es en son honneur).

Elle chante la joie de viwe et le mal d'amour dans ses 6l6gies et sessonnets fr6missants d'ardeur, La sfiret6 de sa technique l'6gale parfois aux grandspodtes de la Pl6iade.

20.3. LaPl6iade

A partir de 1547 probablement, pendant cinq ans au moins, des jeunesgens 6pris de la culture antique suivirent les cours d'un cdldbre humaniste, Dorat,principal d'un petit colldge parisien de la Montagne Sainte-Genevidve, le colldgede Coqueret; parmi eux se trouvaient Ronsard, Du Bellay, de BaiT. Dorat, lemaitre, leur lisait les podtes grecs et latins et les commentaient avec tes m6thodesqu'avait instaur6es l'humanisme, expliquant les termes et les tours, faisant desrapprochements entre grec, latin et frangais; en m6mq temps il initiait ses 6lAves A

la civilisation entique et leur apprenait d comprendre l'6me puenne; surtout, ild6veloppait en eux le sens de la beaut6 en leur faisant partager I'enthousiasmequi lui inspiraient la pens6e et la forme des chefs d'ouvre antiques. Donner.lem6me luste d la langue frangaise telle 6tait I'ambition des jeunes podtes ducollOge qui avaient pris le nom belliqueux de "Brigade". Quelques ann6es plustard, sous l'6gide de Ronsard, la "Brilade" deviendra "La Pl6iade".

104 105

Un manifeste publid en 1549 sous le nom de Du Bellay et r6dig6 sur unton de juv6nile conviction de "Ddfense et illustration de la langue frangaise". DuBellay s'efforce de ramener les savants au culte de la langue frangaise. Quelssont ses arguments?

La langue frangaise est pauwe parce, que les ancetres ont plus pratiqu6 "lebien faire que le bien dire" mais elle est loin d'€tre impropre d exprimer les iddeset les sentiments puisqu'on peut taduire en frangais les cuwes 6trangdres. Lelatin est aussi i l'origine, uue langue pauwe, mais les Romains I'ont enrichi dl'exemple du grec; de m6me les savants et les podtes &angais doivent cultiverleur langue nationale, elle s'enrichira. Ils en seront r6compens6s, car, s'il leur estimpossible d'6galer les anciens en latin ou en grec, en revanche ils acquerrontais6ment l'immortalit6 dans leur langue maternelle.

La D6fense invite donc les artistes et savants i composer leurs ceuwes enfrangais.

Puisque cette langue est pauwe, il faut accroitre le nornbre des mots quis'offrent au podte pour nuancer son expression, Du Bellay, puis Ronsardproposent donc (non sans prudence) divers moyens d'enrichir la langue, soit enusant plus largement de mots qui existent ddjd, soit en forgeant des motsnouveaux.

Les mots qui existent drijd.1. -vieux mots dont l'usage s'est perdu et qu'on retrouvo dans "tous ces

vieux romans et podtes frangais" exemple: ajoumer (faire jour); anuyter (fairenuit).

2. -emprunts aux dialectes provinciaux, picard,. gascon, poitevin,normand. L'id6e est raisormable si l'on souge que ces dialEctes d6riv6s du latinsont "frdres" du frangais et qu'ils on donn6, avant le triomphe du dialecte de l'Ilede France, quelques chefs d'euwe du Moyen Age. Rabelais et Montaigne usentv_olontiers de termes dialectaux.

3. -mots techniques, du langage des m6tiers, connus des seuls sp6cialistes,et qu'il faut transporter dans la langue litt6raire. Ces mots fouroiront descomparaisons et des images qui sont i la fois des moyens d'expression nouveauxet des embellissements du style. .

Les mots nouveaux1. -mots compos6s (i l'exemple du latin et surtout du grec) exemple:

aigre-doux; pied-vite; mouton porte-laine.Certains disciples de Ronsard abusdrent ridiculement de ces mots

compos6s mais dans I'ensemble les cr6ations de la Pl6iade furent discrdtes etbeaucoup se sont acclimatis6es.

2. -mots form6s par provignement. I1 s'agit de mots formds pard6rivation, au moyen de suffixes "par bonne et certaine analogie" avec d'autresformations qui existent d6ji. Parmi ces mots "provign6s", Ronsard a accordd une

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mention sp6ciale aux diminutifs qu'il a beaucoup aim6s. En voici un exemple,tir6 de sa propre 6pitaphe:

Anelette Ro ns ardel ett e

Migno lett e, dou c el etteTris ch,ire hdtesse de mon corps,Tu descends ld-bas faiblette,Pdle, maigrelette, seuletteDans lefroid royaume des morts.

3. -d6riv6s de mots latins ou grecs.

Ronsard critique l'abus de ceux qui 6corchent le latin comme I'Ecolierlimousin de Rabelais. Mais il conseille de cr6er des mots d'origine latine ougrecque pour "suppl6er aux lacunes du frangais" "pourvu qu'ils soient gracieuxet plaisants i I'oreille". Les humanistes ont introduit en frangais beaucoup de

mots savants emprunt6s au latin et au grec. Exemple de mots tir6s du latin:exceller, inversion, r6volu; mots tir6s du grec: ode, lyrique, orgie, p6riphrase,stratagdme, etc.

Ronsard et Du Bellay insistent constamment sur la ndcessit6 de nehasarder ces cr6ations de mots qu'avec prudence, en respectillt d la foisl'harmonie, l'analogie et le g6nie de la langue. Les excds sont venus de leursdisciples.

Comme en grec et en latin, la po6sie doit avoir un stytre diff6rent de celuidu peuple pour lequel Ronsard et Du Bellay ont maintes fois proclam6s leurm6pris aristocratique. Ils ont indiqu6 et pratique divers moyens d'orner le stylepoetique:

-les tours:

-infinitif pour le nom: l'aller, le vivre, le mourir-adjectif de substantif: le liquide des eaux; le vide de l'air;le frais des ombres

-adjectif pour 1'adverbe: ils combattent obstin6; il vole l6ger

-les figures de rh6torique: "M6taphores, alldgories, comparaisons.... et tant dautres figures et ornements, sans lesquels tout oraison et podme

sont nus, manques et d6biles. "

Le mdtier po0tique

-Nicessitd du travailSans inspiration on ne peut 6tre un grand podte. Mais cette "f6licit6 de

nature" ne suffit pas. Le wai podte ajoute le travail ir "la fureur divine" il cherchel'inspiration dans ses lectures; il m6dite dans le silence; il contr6le et corrige cequ'il a cr66; il 6coute m6me les conseils de ses amis.

106 t07

VersfficationLa versification est un m6tier; elle exige la connaissance des lois et une

laborieuse initiation i l'art des vers. I1 faut rimer pour I'oreille et non pour lesyeux. Le vers est avant tout 'bne bien amoureuse musique tombante en un bon etparfait accord". Ronsard a eu le m6rite de mettre en honneur l'alexandrin et demontrer qu'il est fait pour la grande po6sie lyrique et philosophique.

Grands genresDu Bellay condamne les genres du Moyen Age, "comme Rondeaux,

Balldes, Virelais, Chants Royaux, Chansons et autres telles 6piceries(=6pices) qui corrompent le go0t de notre langue". Il approuve les petits genresantique (d6jd repris par Marot et son 6cole), 6pigrammes, 6l6gies, 6pitres,satires. Surtout il recommande les grands genres antiques: les odes, latrag6die, la com6die et surtout l'6pop6e, "le long podme" qui donne ri toutelitt6rature ses lettres de noblessel Chez les modernes Du Bellay n'admet quele sonnet illusk6 par P6trarque et son 6cole. Au reste, ce qui distingue lagrande cuvre po6tique, c'est la rdsonance profonde qu'elle trouve dansl'6me humaine.

Dactrine de l'imitationReprenant presque litt6ralement les pr6ceptes de l'6crivain latin

Quintilien, Du Bellay Vante les mdrites de l'imitation qu'il d6finit comme l'artdifficile "de bien suivre les vertus d'un bon auteur et quasi se transformer en lui:"Ainsi le podte, nourri des Guvres antiques, les a si bien faites siennes que lospens6es, sentiments, les moyens d'expression dont il est impr6gn6 viennentspontandmen, sous sa plume, dans le feu de sa propre inspiration. C'est pour luiune seconde nature.

Par cette doctrine de l'imitation, la Pl6iade a d6cid6 I'orientation de lalitt6rature frangaise pour plus de deux sidcles. Le XVII-dme sidcle fondera cetteimitation sur le culte de la nature si admirablement "attrap6e" par les anciens; enles imitant on a la certitude d'imiter la nature; en les consultant, on peut, en toutcas, reconnaitre ce qui constitue, d travers les sidcles, lefond dternel de la naturehumaine.

- Ainsi, en d6pit des jugements s6vdres de Malherbe et de Boileau sur laPl6iade, c'est d'elle que proc0dent indirectement les chefs-d'euvre duclassicisme si heureusement inspir6s de l'art antique. Sur elle aussi retombe peut-6tre la responsabilit6 d'avoir d6tourn6 de I'originalit6 des dcrivains dont le g6niese serait mieux 6panoui sans les contraintes de I'imitation,(Les membres de la Pl6iade: Joachim du Bellay, Pierre de Ronsard, Antoine deBaif, Remy Belleau, Jodelle, Pontus de Tyard et Dorat lui-m€me)

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20.4. Joachim du Bellay(1522-1560)

D'une famille d6jd c6ldbre par ses hommes de guerre et ses diplomates,

Joachim Du Bellay est n6 en 1522 m chflteau de Tourmelidre, non loin de Lir6,

en Anjou.Maladif, o-rphelin de bonne heure, n6glig6 par son tuteur, il passa dans le

manoir paternel, au contact de la nature, une enfance r€veuse et mdlancolique,

sans grande activit6 intellectuelle. 11 r6vait de s'illusher dans la carritsre des

€rmessous l'6gide de son cousin Guillaume de Langey, gouvemeur de Pi6mont;

mais la mort de ce parent, ruina ses projets. Du Bellay se touma alors vers l'6tat

eccl6siastique comptant sgr le cr6dit d'un autre cousin, [e cardinal Jean du

Bellay, dv6que de Paris et diplomate c6ldbre. Pour se pr6parer ir servir le cardinal,

Du Bellay alla 6tudier le droit i la Facult6 de Poitiers vers 1545. C'est i Poitiers

qu'il r6digea ses premidres podsies latines et frangaises.

A Ia fin de 1547 it suivit Ronsard d Paris pour y mener, au Colldge de

Coqueret, une vie studieuse et consacr6e aux MuSes. Du Bellay s'associe aveg

ardeur d i'6tude des anciens sous la conduite de Dorat. Entre 1547-1549 en m6me

temps que La Defense et l'Illustration il publie mssi l'Olive (Olive est

l,anagramme de Viole, norn de la femme que le podte chante.) et un recueil de

vers lyriques surtout inspir6s d'Horace. De sant6 d6ji d6licate, sulmene par cette

production fi6vreuse Du Bellay tomba malade et resta plus de deux ans sur son litde douleur. C'est alors qu'il ressentit les premidres atteinte de la surdit6. Les

souffrances et les soucis avaient dds lors arrachd d Du Bellay des cris sincdres et

personnels. La douloureuse aventure de Rome le mettra d6finitivement en

possession de son vdritable g6nie,

L'6ldve de Dorat realisait son reve d'humaniste: il a pu contempler les

vestiges de la majest6 romaine, imaginer les scdnes antiques dans leur cadre

mill6naire et philosopher sur la grandeur et.la d6cadence des empires: c'est la

matidre des Antiquitts de Rome. Le sentiment est deje personnel lorsqu'il m6dite

avec gravit6 sur les vicissitudes des choses humaines ou sur la po6sie des ruines.

Sur la fin de son s6jour il a chant6 en vers latins, ir la manidre de Catulle,

sa violente passion pour une jeune romaine gue nqus connaissons sous les noms

de "Faustine" ou de "Columba".Du Bellay avait cru que le voyage en Italie lui ouwait enfin une brillante

carridre diplomatique. Investi d'une mission de confiance, il fut pourtant d69u

dans ses plus chdres ambitions et Les Regrets sont les confidents de son

amertume. Trds vite il a souffert du mal du pays. I1 regrette l'ind6pendance et

l'inspiration d'autrefois, la Cour et la faveur du Roi, I'humble foyer oi I'on vitentre "pareils d soi". Bien des fois il eut ce d€sir, trds violent, de retourner en

France: toujours la "flatteuse esperance" le retenant auprds de son maltre et de

quelques amis exil6s comme lrri, .o**" lui prisonniers de f incommensurable

ennui.Le spectacle qu'il avait sous les yeux accrut encore son d6go0t de l'exil et

stimula sa verve satirique. La moiti6 de 'oRegrets" est consacr6e i nous peindre

les distractions de la soci6t6 lomaine et surtout l'h1ryocrisie, I'ambition, les

turpitudes de la ville des cardinaux. Dans "Les Regrets", Du Bellay a mis toutson cmur et tout son esprit: d'or) la double inspiration de l,cuvre , 6l6giaque etsatirique.

Enfin, Du Bellay rapporte de Rome les Divers Jeux Rustiques; ce recueilcontient un c6ldbre podme contre les p6trarquisme, un bel et grave Hymne de lasurditd adress6 d Ronsard, oi il m6dite sur l'infirmit6 commune aux deux podtes.

Rentr6 dans cette France que ses vers invoquaient Du Bellay n,y retrouveque des soucis. La publication des "Regrets" qui contenaient des pidces fortd6sobligeantes pour la cour italienne, met son oncle, le cardinal, dans unesituation difficile et le brouille avec lui; cependant a la cour de la France, oir ilpartage avec Ronsard le r6le de podte du Roi, il est en butte d l'hostilit6 despodtes courtisans hypocrites dont Du Bellay refusait i imiter la bassesse. Dans Lepodte courtisan,\ne longue pidce publi6e en 1559, on d6couwe le m6me accentamer que dans les sonnets satiriques des !'Regrets"; en un temps or) tous les artsrayonnent autour des grands, Du Beltay se pr6occupe de distinguer entre les vraispodtes inspir6s et ceux qui sont seulement des flatteurs d gages.

En m6me temps Du Bellay fut aux prises avec de graves enauisdomestiques. Avait-on, comme il semble le dire "mang6 son bien ,,pendant souabsence? En tout cas enjuillet 1559 il se d6battait encore "pour la conservationde sa maison".

R.epris par sa surdit6, qui s'6tait att6nu6 en ltalie, il ne pouvait plus gudrecommuniquer que par 6crit. Ainsi, tracass6, d6courag6, vieilli avant tr'6ge, ilmourut d'apoplexie en 6crivant des vers, dans Ia nuit du l-er janvier 1560, i l,0gede 37 ans.

Du Bellay demeure dans l'histoire de la podsie frangaise comme rur maitredu genre qu'il a particulidrement cultiv6: le sonnet.

Ses podmes, dans leur vari6t6, sont toujours emport6s par un mouvementvigoureux. ses vers entrainent par leur 6loquence ou s6duisent par leur intensit6po6tique. on admire tantot la concision du tour, tantot l'6nergie des termes prisdans leur sens latin, tantdt I'effet produit par une antithdse (Elevant les vaincusles vainqueurs d6daigner) une r6pdtition (Rome seule pouvait Rome fairetrembler) ou une image, surtout lorsqu'elle jaillit au d6but du sonnet et qu,elleeblouit par sa splendeur:

" Dijd la Nuit en son parc amassaitUn blanc troupeau d'dtoiles vagabondes.., "

10E109

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Enfin il utilise toutes les ressources du rythme et de l'harmonie. Son

alexandrin, cadenc6 avec une m0le vigueur dans les "Antiquit6s de Rome", prend

au contraire, dans les "Regrets". une douceur mdlancolique:

"Heureux qui comme Ulysse, afait un beau voyage,

Ou comme cestuy-ld qui conquit la toison,Et puis est retourner, plein d'usage et ralson,Vivre entre ses parents le reste de son 6ge! "

Jaachim Du Bellay (1 522-1 560)

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21. PTERRE DE RONSARD (1s24-1s85)

N6 cornme Rabelais et Du Bellay dans les provinces de la Loire moyenne,au ch0teau de Possonnidre, en vend6mois, Ronsard appartenait d une famillenoble. son pdre, Louis de Ronsard avait apport6 des guerres d'Italie Ie goOt desbeaux-arts; il dcrivait des vers et avait orn6 dans le style de la Renaissauce lech8teau de la Possonnidre. En dehors de six ans d'6tudes d paris, au coll0ge deNavarre, le jeune Ronsard a pass6 ses douze premidres ann6es au milieu de lanature verdoyante et calme de son vendomois natal. Il y a trouv6 une sourcein6puisable de souvenirs pittoresques et d' impress ions 6picuriennes.

Dds 1536, 096 de 12 ans, il est attach6 comme page au dauphin Frangoisqu'il voit mourir trois jours aprds. Il passe au service du troisidme fils deFrangois I, Chades d'Orl6ans, qui le cdde d sa scur, Madeleine de France, mari6edepuis peu avec Jacques stuart, roi d'Ecosse. Il suit la reine d'Ecosse dans sonroyaume of elle meurt presque aussit6t. En 1540 il s6joume trois mois enAllemagne auprds de son cousin, le diplomate Lazare de Baif, fervent humoriste,qui dut ddvelopper en lui le go0t des letfres antiques. ces voyages, ces vives6motions, cette vie brillante des cours ont pu impressionner la tendre imaginationde l'enfant.

A l5 ans, ce charmant petit page, plein d'intelligence et de s6duction, 6taitpromis d la carridre des armes ou i la diplomatie. Mais i son retour del'Allemagne une grave maladie le laissa demi-sourd et l'obligea d se retirer dPoissonnidre. Isol6 du monde par sa swdit6 il d6cida de se consacrer aux Museset de s'illustrer dans sa langue maternelle. En mars 1543 il requt la tonsure, nenpour €he pr6tre, mais selon les mcurs du temp$, pour s,assurer le revenu dsb6n6fices eccldsiastiques, D6sireux d'imiter Horace et mesurant les lacunes de saformation humaniste, Ronsard allait se remettre avec passion i l'6tude des lettresantiques pendant cilq ans au moins, Il suivit auprds de Jean Antoine de Baif loslegons de Dorat au colldge de coqueret. on sait quelle admirable 6duclltionhumaniste ces jeunes gens regurent d coqueret. Ronsard 6tait surtout attir6 par lespodtes grecs et i l'exemple des plus grands d'entre eux, il consid6ra lui-m8rne lapo6sie comme un sacerdoce. Chef admir6 de "La Brigade", il prit sans doute unepart importante d 1'6laboration de la doctrine expos6e par Du Bellay dans la"D6fense et Illustration". Sa culture, plus 6tendue que celle de du Bellay, sonautorit6, son 4pp6tit de gloire, autant que son g6nie, l'irnposdrent d'embl6ecomme chef de la Pl6iade.

D6sormais les dtapes de sa vie sont celles de son inspiration po6tique et deson ascension vers la gloire. D'abord accueilli avec froideur, il conquit peu d peuune autorit6 qui lui valut le titre de "prince des podtes".

Il mourut en 1585, aprds avoir connu durant sa vie une gloire sans pareille.Il regut les hommages des souverains: Marie stuart lui envoya de sa prison en1583 un buffet de deux mille 6cus et un vase d'argent avec cette inscription: "ARonsard, I'Apollon de la source des Muses'n; Elisabeth dlAngleterre lui fit dond'un diamant de grande valeur; charles IX lui tdmoigna la marque de son estime,

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Ses cuwes furent traduites dans toutes les langues. Sa mort fut consid6r6ecomme une calamitd publique: le cardinal du Perron prononga son oraisonfundbre, qui fut une v6ritable apoth6ose. Mais d partir du jour of Malherbe biffaimpitoyablement un exemplaire de son Guwe , Ronsard tomba dans un oublid6daigneux qui dura deux sidcles. Un sonnet fameux de Sainte-Beuve ler6habilitera d l'6poque romantique. i

11 s'illustre sous Henri II en publiant Les Odes (1550 ; 1556), Les Amours(1552; 1555 ; 1578) et Les Hymnes (1555 ; 1556); i l'apog6e de sa gloire sous

Charles IX dont il est le po0te officiel, iI 6crit Les Discours et La Franciade, puis6vinc6 par Desportes sous Hemi III il se retire dans son prieur6 de Saint-Cosmeet compose Les Amaurs d'Hdline. Deux inspirations trds diff6rentes se sontpartag6 l'6me de Ronsard, selon que son ambition I'entrainait vers les sujets

6lev6s ou que son sorniant amour de la vie le guidait vers la chanson l6gdre.

21.1. Les Odes

Avec les Quahe Premiers Livres des Odes (1550) suivis du CinquidmeLiwe (1552) Ronsard proclamait sa volont6 de restaurer le lyrisme antique,

Ronsard eut la noble ambition d'acclimater en France I'ode pindarique.Dans ces odes hiomphales Pindare c6l6brait les athldtes vainqueurs aux Jeux de

la Grdce. Sa po6sie 6tait destin6e d 6tre chant6e sur. le th66tre au cours des

c6r6monies religieuseS. Mais le lyrisme grandiose du podte th6bain sied mal iune inspiration toute officielle: les 6loges que Ronsard prodigue d Henri II, i Ia

reine ou au cardinal de Lorraine nous paraissent froids et sans int6r6t. Pourtantquelques podmes, comme l'Ode d Michel de l'H6pital entrainent par l'6loquence,par les effets brillants du style, par le mouvement rapide et dansant du vers.Ainsi, tout en rattachant d son 6loge les plus belles ldgendes antiques, Ronsardtrouvait le moyen de s'acquitter envers son protecteur et de chanter haut et clairla pr6tention de renouveler la podsie.Odes horatiennes

Les odes imit6es doHorace satisfont davantage notre go0t modeme; ellesmarquent le d6but de Ronsard dans la podsie l6gdre. Aprds 1550 l'influenced'Horace m6l6e d celle d'Anacr6on a continu6 d inspirer tout un aspect de son

lyrisme. Perfection formelle, vari6t6 de f inspiration et de rythmes, voili lesqualit6s que Ronsard pouvait admirer chez le lynque latin. Epicurien comme lui,il go0tait d sa manidre la nature, le bon vin, les douceurs de l'amour et de

1'amiti6.Ses odes rustiques portent indiscutablement d'impressions sincdres

6prouv6es devant les sources, les grottes, les arbres et les animaux de son

Venddmois. "Ses po6sies champ6tres sont un m6lange perp6tuel d'observationsdirectes et d'imitations". (P. Laumonier) (A la Foutaine Bellerie)

Les thdmes 6picuriens par excellence sont ceux de la joie de vivre et de lajoie d'aimer en relation avec le sentiment de la fuite du temps et de la mortinexorable. Il faut jouir de la vie et profiter du plaisir qui passe (Mignonne,allons voir si la rose...)

21.2. Les Amouro

Les Amours de CassandreEn avril 1545 Ronsard rencontre, dans une f6te d la Cour de Blois,

Cassandre Salviati, fille d'un banquier italien. Il a 20 ans et elle en a 13. Lesurlendemain la cour quittait Blois et il "n'eut que le moyen de la voir, de I'aimeret de la laisser d m€me instant" (Binet). L'ann6e suivante elle dpousera leseigneur de Pr6; mais Ronsard la reverra et chantera Ie souvenir d'un beau nomantique: le nom de Cassandre rappelait au podte l'6pop6e toyenne.

Ses sonnets imitds de P6trarque et des podtes p6trarquistes manquent de

naturel et de simplicit6. On y reffouve comme dans "l'Olive", les thdmes mis d lamode par la po6sie italienne, les m6taphores compliqudes, les aspirationsplatoniciennes d I'amour pur; la mythologie y tient une grande place. Il arriveparfois que Ronsard m€le a ses exercices litt6raires l'6cho des 6motions plussincdres, un sanglot, un cri de joie, vite contenus mais hds humains etprofonddment Emouvants.

21.3. Les Amours de Marie(1555-1555)

En avril 1555 Ronsard s'6prend d'une modesie paysaone de Bourgueil"fleur angevine de quinze ans": Marie Dupin. Abandonnant l'altidre Cassandre et

les complications p6trarquistes il lui d6die des podmes simples et clairs, sonxsts

et chansons, en langue familidre."Marie, qui voudrait vohe nom retourner,Il trouverait'oaimer" : aimez-moi donc, Marie l "

Ronsard a v6ritablement aim6 Marie: il jalousait ses rivaux et souffrait de

se voir pr6ferer le gentilhomme qu'elle 6pousa. Le "servage de Bourgueil" durajusqu'en 1558, puis le podte volage se tourna vers d'autres amonrs. Mais en

1574, chantant la douleur d'Henri III qui venait de perdre sa maitresse Marie de

Cldves, Ronsard s'6mut au souvenir de Marie l'Angevine, morte depuis peu et le

sonnet Sur la mort de Marie (1578) oi s'unissent les deux inspirations assurent d

l'humble paysanne l'immorta,lit6. (Comme on voit sur la branche...)Les "Amours de Marie" sont peut-ete l'muvre la plus parfaite de

Ronsard.

21.4. Les llymnes

D6sormais rdput6 d la Cour, Ronsard cherche d s'imposer pax une Guvred'une haute inspiration ori puisse se d6ployer sa puissance oratoire.

Les "Hymnes" de Ronsard s'inspirent des hymnes hom6riques, de ceux de

Th6ocrite et de Cllumaque. Le podte y d6veloppe des thdmes g6n6reux; pourorner ses grandes compositions, il recourt d la mythologie. Ainsi l'Hymne iHenri Il est une vaste comparaison entre le Roi et Jupiter; l'Hymne de Pollux et

Castor est le r6cit de deux combats oti, succossivement, triomphent les doux

h6ros.

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I1 y a parfois de r6elles beautds dans les hymnes. Evitant I'erreur qu'ilavait commise dans les Odes pindariques, Ronsard a choisi cette fois led6casyllabe et plus souvent l'alexandrin qui convient d la gravit6 h6roique.

Ronsard inaugure le genre de la miditation morale grave et 6loquente quirestera un aspect important du g6nie po6tique frangais. L'Hymne de la mort est dcet 6gard le plus beau et le plus caract6ristique.

21.5. Les Discours

Les Discours sont une cuwe dloquente et hautement inspir6e. Renongantd imiter les anciens, le podte, au d6but des guerres de religion, prend nettementparti: il met son g6nie au service de son roi et de sa foi catholique.

2L.6. LaFranciade

Le podme 6pique La Franciade est sans doute l'auvre dans laquelleRonsard avait mis ses plus belles esp6rances; mais elIe fut un 6chec. A I'exemplede Virgile pour Rome, il entreprit de conter la fondation de Paris par undescendent des Troyens, Francus. Une l6gende aussi contestable ne pouvait gudre6veiller d'enthousiasme patriotique. Comme dans les Odes Pindariques il 6taitvictime d'une imitation trop servile. Enfin, le mdtre adopt6, le d6casyllabe,n'avait pas l'6toffe n6cessaire pour soutenir le mouvement d'une 6pop6e enlangue moderne.

21.7. Les Amours d'H6llne-1578

Un dernier amour a illumin6 sa maturit6: c'est celui que lui inspira H6ldnede Surgdres, une demoiselle d'honneur de Catherine de M6dicis.

Les sonnets que Ronsard a d6di6s d H6ldne sont comme un 6cho singulieraux sonnets 6crits en souvenir de Cassandre. H6ldne, cofilme Cassandre, rappelleau podte les l6gendes de Troie: le p6trarquisme de sa jeunesse revit mais avec unenuance de pr6ciosit6 plus discrdte. Plusieurs sonnets cependant r6vdlent lam6lancolie de l'homme m0r devant la trds jeune fille; la pens6e de la mort estsouvent pr6sente; elle est exprim6e parfois avec un rEalisme brutal qui rendpoignante et solennelle la leqon si souvent donn6e autefois. (Quand vous serezbien vieille). Au thdme de f immortalit6 que donnent les podtes se m6le Ie thdme6picurien de carpe diem d'Horuce si souvent repris par Ronsard lui-m6me. trl

failait la discr6tion et la d6licatesse d'un podte pour 6voquer l'heure dessouvenirs m6lancoliques et des inutiles regrets, moments si p6nibles dans la vied'une femme, surtout lorsqu'elle est jolie. L'artiste, devenu plus pressant, revientavec quelque cruaut6 sur le tableau de cette "vieille accroupie". Heureusement, ilest temps encore, si H6ldne, toute frissonnante, sait 6couter I'appel ardent etgracieux du galant Ronsard!

"Yivez, si m'en croyez, n'attendez d demain:Cueillez dis aujourd'hui les roses de la vie".

21.8. La po6sie de Ronsard

Ronsard est le plus grand reprEsentant de la Pl6iade. Plus fidd1e d ladochine que Du Bellay il l'applique dans toute son @uwe . C'est dans son reurtequ'on discerne le mieux les faiblesses et le grandeurs de la po6sie humaniste.

Les faiblesses essentielles de I'cuvre de Ronsard tiennent a un excds de

frd6lit6 dans l'imitation. I1 ne sait pas toujours mettre en harmonie la traditionantique et le go0t moderne. D'une fagon g6n6rale il s'est laiss6 trop souvent i un6talage d'6rudition: ses allusions mythologiques ne peuvent plus 6tre comprises;

ses p6riphrases exigent des annotations d'6diteurs, ses d6veloppementsphilosophiques ennuient comme ennuie toujours ce qui ne vient pas du caur.

Mais Ronsard avait du g6nie et ce g6nie se r6veille chaque fois qu'il est

anim6 d'un sentiment sincdre. A ces moments, par bonheur les plus fr6quents,l'imitation est vivifi6e par le souffle lyrique. Dans le Odes Horaciennes, dans les

Amours de Marie, le go0t de la grdce et du plaisir fugitif unit Ronsard i ses

moddles, le sentiment personnel se m61e d l'imitation et donne sa nuance au

podme: les allusions mythologiques deviennent aimables quand elles exprimentnaturellement l'0me paienne de Ronsard, 6pris des divinit6s amoureuses et

champ6tres. C'est alors aussi que le grand podte se r6vdle. Les anciens, en luienseignant la beaut6, lui ont donn6 la teligion de l'art. Et ce vers amplifi6 et

assoupli qu'il laisse i ses descendants, il le doit i sa culture d'humaniste autantqu'i son g6nie.

Piene de Ronsard (1524-1585)

lt4 115

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118

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23. Annexes

f' PARTIE r LE M0YEN AGE

EvEtEueurs PoLtlouEsET SOCIAUX

8tl3 Partage d€ l'empirecarolingien.

llc lnvesionsnormandos,9Og Ordre d€ Cluny.987 AvAnamcnt de Hugu$

CtPeL

l00g- 1,. Croisado { royaume'1099 franc de Jdrusslem.Ordres des Chartrsux,de Citoaux.Aff rsnchisBemenl oommunel.1117 ll'Croieade.

tl03 Lss Cstharesd6nonc6s commeMrdtiqu6s.

1180- F*gno clo Phlllppo1223 /duguste(€xtension. du domaina royal).

1204 M Crolsao'e (prbede Constanllnople).

1203 Croisado controles Albig6ols.

Ordrgs Mendlants : Frsnoiscainset Oominisains.

xt\r'

Regna de Salna Loul,(renaissenc€mooetal16).Vlll'Croisade.nagne de Phlllppc le Oel(renrorcement de l'Etatmonarchlque).Chute des d€rnleresplac6s ch16ti6nn6sd'Orient,Cuerro de Cenl Ans(l6s Valols succldentaux CapCtiem directs).

Pgstq noiro.

lnsurr6ction parlslenne.

Fegn dc chtila, V(reconq!6t6 du royaum€evec Du Guesclin).Grand Schismed'Occid6nt.

Fdgn€ de Chrrlas Vl.

Gu6rre civileentre Armagnacs etBourguignons.

Regne do chrde, Vil.

€popded€ JEannE d'Arc.

Constantinople priss parles Turcs.

Regnc de Louls Xl,

Fin da la gu€rrE de ContAns.

cHRONIOUF, HISTOIREET POLEMIOUE-

u.1070 Chenson de Rolsnd.

Gotmont el lsefibarLChansan do Guillaume.

r-|1ifi Couronncment da Loub.Reoul da Ctmbral-Enlancei Wvien,Gdrln la Loffein.

v, 1200 BEBrilNo oE Bd.suR'AUBE :

* Aymad de Nerbonna.

- Giad de Vienna.

Huon de Eordoaux.

y,1250 Charrol de Mfies-

y,12?5 Eertg ad grands pieds.

Enlances Garin.Geste de Monglena.

Y, 1350 Le Chevelierau cygne.

840 EorM^f,o : Wla Kercli.

&fA Serments de Strasbourg(en roman el en allemand),

1155 WACE : Romn da Brut.

1150 WAcE : Roman do Rou.

,l170 BENohoE SrumE-Mruae ;

Histolrc des dudsde Nonandle.

1207" vLL€Hmoou{( : Conqu6lc1212 de Cangttntinopla.

v."1216 EoE#&TDE cuir I

Conq:Ycteda oonstentinopla.

Y,1260 nUTEBEUF : lss Or'ts.

]flf, rr*".*t : chroniquas.

JEAN LE BEL i Vrayes Crcniques.

Journel d'un baurgeois de Prrls.

'l4zl AL rN CH^nnsR' :

Quadrllogue lnvectif.

]!!!' cou"'*.r : Mamotrcs,

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1458 DAuo AuBEnr i Canquebset chrcnlques deCharlgmegna

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1

POESIE COURTOISE.,PERSONNELLE*ET DIDACTIOUE

TABLEAU C}IRONOLOCNOE \

t,

THEATNE RELIGIEUXET SATIRIOUE'

Las ropcs (au mliisude tcxts r6ligl€ur).

TABLEAU CHRONOLOGIAUE

TEXTES ETHANGERS

113ti GEoFFFoYDE MoNMot H : Hr3tortrRegum Brltannise.

1180 Sege d'Olaf.1190 Nlebelunganlloder.

xlll' 1228 FnANcors oAsslsE i Canfique du Saleil.

1a68 RoGEF BAcoN : Guvrag,

v. 1293 D^ffiE : Y,l, Nuow (l6d.1,

12S8 MAR6o PoLo i La Livre des M$ruolllee.

xnr 130?.t321 DArfiE : La DMne ComddlE.

1349 Bocilc€ : La Ddcamdran.

t352 PEraAnouE i Les Triomqhes.

1387 GEoFFBEY CHAUcEfi i Contes de Canterbury

MARSTLE FloN : Thaologie platonloienne.

CoLoMa I Jounal de botd.

ARTSEN FRANCE ET A L'ETRANGER'

SCIENCES ET TECHNIOUES

Mosatqu€s, orfevreria st enluminur€s.

v, 9gO Gur D'AREzzo baptiso le6 notos da la gemme'

Xl' Apog6e dB l'art romen : Jumidges,Conques, Vdzslay.

Taplsserle de Bayeu. SculpturEs et chapiteeu.

x. D6velopp€ment des moulim e eau.L3 charrue r€mplace l'areiro,Attelege des animaux de tnit amdliora :

iouE, collier d'6Paul8.

'1150 Apogde de I'art gothiquE :

construction deB cath6dral€s de Noyon,Senlls, Paris i puls de Chartrss, Rouen.

lndusirie du papier.Moulins e vsnt.

Extension do I'ert gothlquB A l'Europe du trord.Odvolopp€ment du vllrEll et de la pelntur€

l2:lo Album de VLuRD oE HoNNEcouHi'

12/t4 La Saint6 Chapsll6.Cruaauet. - Fresques de Gtono'.

Le roue a rayons cercl66 dc fgr' La brou€tt6.Le rouet. Les lunettog (b6sicles).Le gouv€rneil d'dtrmbot. La boussol€.

Musique : ddveloppoment de li polyphonleErdviahe da Belleville, de PU}ELLE.

v.'1370 Tapisserle do l'Apocalwse, A AngEts.PremiAres gravures sur bois.

v. lSeO Sculptur6s de SLfiefi'(Champmou.

Hauts lourneaux : dgveloppemont dsla m€tallurgi€ du for (1340)

PBinturs : RouBL* et La Ttink6.LiFIr€iEs LrMsouno : Tres niches Hourc; du ducde Berry,oorareiro'. Msccro'. FsA ANGEuco'.PEB0 oEu Fnucescer. UocE[or. MA],IrE0NA'.

Les BELuNf. Vm Evcx'. vN oER WEYDEN',

MEMUNG.. JEAN FououET, JEAil CLotET.

MuBIque : JosouNDEs Pnes (1440-v. 1530).

Le gothique flamboysnt. - L8s tspi$erissaux mille flours.Statueg de Veanoccxto'. Bustss de Lauarnr'

La caravolle. - k typographle (1455) avec GweNBEaG

Centibn€ do €rlnte Eulalle(lengue d'oll).

ALBEHTC oE PlsANc!{. : EorIaadAlexfrdre.

xr v. lO40 We da saint Al€xb(bngu6 d'oI).

GrrLwME lX, comta da Poitiers(langus d'oc)'.JAUFFe RUoEL (langue d'oc)..

119$ HILNANDDE FnoEMoffi :ItgZ Vers d6 Ia MonAFMUo D^MEL (langue d'@)..BERN^Ro oE VENTAoom(lengu3 d'oc)'.

1202 JE^N BoDEL' : Conois_THEM oE CHAMPAGNE .

v. l29O GuLuuME o€ LoRBrs :

Ronan de la Rosc ltt.

v. 1270 AoAM oE u HeE'.CoLN MusET. FIuTEBEUF*.

v. t270 JuN oE MEUN :Romen dc la Rose (fi\.

GULLAUI.E o€ Mrcmuf,

J€Ax FFoBsAFrr.EugrlcHE DE6o{mg..CHRlsflNE DE pls N..

AL{fl CHAtrnER..CMHES D.ORr!^Ns.

1150 Roman de Th:ebes..

Y, 1100 Prsmisrs Feblieux (yerslv. l:t05 M^RE DE FMNCET :

Leis.v,1170 Roman de Flenert

(brenches principale8).v, t170 BeFouL et THoMAs :

Tristan..CHn€nEN oE Tnows..

L6 Leffilot - Graal..

Auc*sin et Nlcolette..

fristrn. 6n proge.

v.12il La C$telrlne de Vergf .

Y,1265 HWEBEuF : F8narlle BastournC.

1280 J^6ruEM^nr GELEE :qeneil te Nowt

GERva6 DU Bus :noman de Feuwl.

Rcmrt 16 Contrcfatt,

Y.1140 Dirnigrs Fablieux lve3l

Lee Qulnzi Joles de Marbge.

1456 ANToTNE oE L.^ S^LE :Le Peilt Jelan da Saintd.

l4t8 Les Cont Noweltesnouwll$-Romen dc Jeen d€ pttis.

It20 Jeu de aint Ntcotac.

1160 Jeu dAdam.

Y, 1200 JEA BooEL :

Jau de 6aint Nicohs.

v. la6l HUrEB€w:Mincle .te Thaophilo.

ap. AoAM oE L HAL|E. :1216 - Jeu de te Feuilt^e.* Jeu da Robinel Milion.

lalo Passton duPahfinus.

t{20 Passlon dAras.1{52 ARxouL cHEsAN :

Le My€tilre da l, passlon.

u,146 Maftre Piene pathefin .

Faraa du cuvlef.

l4Ea JE X M6HEL : prrr/oa.

xlt.

r3t0-t3r{

lp,132tt

1482t{92"l4g:t

n.

I

l4S, vLLoN. : Lals,461 Vil,lot.: fasfuacra

lfll' I"T?1I?',*,*,,*,"LEM^hE oE BELoEs.

120 tzl

Page 63: Moyen Age et Renaissance en France.pdf

\t

IT PARTIE : LE XVT SIECLE

EvENeueNrs PoLrnouEsET SOCIAUX

'l{94Gugrrc d'ltalie.

RAgnc d. Loulc Xll,

Henri Vlll,roi d'Angl6lere.

Concile du Lstran.

1515 1515 Marlgnan.

l!lf- ea- d. Frrneor. t-.1520 Guerras contra Chtrles

Q)int(l'ltall€ devientle champ de bstailleav6c les Habsbourg).

1529 Collage ds France.

1534 1534 At aire des Placards :i ddbut des pers6cutioos

contre les Prot6stants,. D6but de. la Fdforme enAngleterre,

1539 Emploi obligatoire dufrancals daru les aclesde justice.

llSl' ,*"r. de v^sco o€ G^MA.

1462- Trawux sciantifiqu€s1512 de LeoxmoDE VrNcr.

fliq u'"rereouse.

1519 Conqu€te du Mexiquepar Conra.

1519. M^cELuN lait l€ 1" tour du1522 monde.

Y.1525 L6 mousquet.. La montro m6caniqu€ {all.).

15:10 BAUEH (D€ re metallica).

1532 Conquete du Pdrou parPTzAFRE.

1534 l" voyage de CMaEFau Canade.

fravaux mathdmatiques deCAFDAN. - FERaAnr, - TARTAoL,A.

- BoMaELLr.

l$f crr*". de Ps^cELsE.

1538 1" carts du monde deMEFuroF.

15/|:} CoPEnMc et l'hdliocentrisme(Des rCvolutions des orbesteft*lres).Ves^LE lLe Fabrlque ducorps hufraln).

i552 P^BE, chirurgien de Henri Il.

1560 CoLoMBo, st la physiologi€clrculatoire.Classitication des animaux(genrs et tamilles) parGEssNEF.

v.1564 Le creyon (angl.).'1568 Cart€ ciu monde a I'usage

des navigsteurs deMEBcaroR,

Obs€ryationg deTYcHo BilHE.

1580 PALrssY st laps16ogdographio.

1583 GAUL€E dCcouvre les lois dup.ndul6.

1584 BRUNo (De l'inflnl del'Univers at des Mondes).

JAxsEN lmaginols micrqscope.

1591 Rocharches math6matiquesde VrtrE.

75gB Ptodomus. ds KEPLEB.

LA LITTERATURED'IDEES EN FRANCE

BUDE I Annotationsuux Pend@lesLEmRE DE BELGES :

lllustEtlons da Gaule etsinoularitds da Troi6.

Buoe : Dg ass6...

1532 RABEurs : Pantagruel-

f!!!- n^"t,,." : carseotue.

1537 OEs PenrEBs ? | CymbelumMundi.

1541 CaLvN : lnstituthn de larcligifi chretienne(en tranQais).

1542- AMYor I Vies des hommes1559 i//usfras(traduction).

1546 RABEurs : Tiers Livre.1549 Du BEUY : Ddl€nse et

lllustration de la languelranealse.

1552 RABELAIS : Qurt Llvre.

1560. PAsourEF: necherches da b1621 France.

1554 BABELTTS : CinqulAme Livrr.1556 ESTENNE : Apotogie Pout

Herodole,'1570

15741576

1580

1585

15881592

MoNLUc : Commentelres(ddbut d€ la r6d, : 6d. 1592)

lJ BaQrE I Contr'un.BootN : La RdpubliqUa.MoffiarcNE : E$arb (1, ll).

Ou V^tB : De la philosophiemoEle des stofqu*.MoilrAGN€ : Esrrls (1, ll, lll).MoNTATGNE : Ess/s(6d. de Bordeaux).Le Setira Mdnippde-MoNTAGNE : Esselis(6d. posth.).

LA POESIEEN FRANCE

MoLtNEr . Art de Rh6torhua.

CoouLr.AHT : Dtoils Muveaux"

L^ M^RoHE I Tilomphe dcsdames.

LEMATnE oE BELcEs : Epltr* deI'amant Ett.

MARfi : L'Enfel(r6d.).

MaRGUEFTTE DE NAv RBE : M/ror?de l'rme pdcheressa.

MARoi : AdoleecenceClCrentine.

RoNsaRD: H/mnes,

DuBELLY:.Antiqultaede Rom€. - Lce Regrets.

EoNsARo : Discotlrs.Roxuno : La Franclade.DEsPoBTEs '. PremiercsGuwes.BELLEAU : /mours.O'AUBTGNE commenceLes fragiques-Du BA$AS : La Samaina...RoNsARo : Sonnets pourHClCne.

DESPoFTES : Oefiieres AmouE,

MALHEnBE : LB Lermdsde saint Pienc.SPoNoE : Essel de guerguespodmes chrdtiens.MALHEsBE : Odes (rdd.).

l{95 Jen de P*ig(roman anonyme).

1582 RABqUE: Pantegruel.

f!$ no".*u : Glr,senrua"

'15t7 DEs PEFEne ? : CymbalumMundi.

1638 HeUSENNE DE ChEUE : LrsAngoiss* doulNrcugesq ul procedent d'amours.

l54ll RABELAT3 : Tiers Llwr.1gl DUFA|* : Props rus,iquas

et facdtioux.l54G MAnouERlrE DE N^V^HBE :

1558 L'Hbptemdron.1552 RASELAIs ; Qert Llw.

'1651 DEs P€nrEBs I NowellcsRdcrdations at loyew devls.

RAgEurs : Cinqul'me Llwe.

YyER : Le Prlntemps.

PogssNor : L€tcBoucrET : Les Serdes O-CHoLEnES . Aptds,Olndes.Du FAL : Cortes... ct'Eutrapcl.MoffiREUx : Les Beqerlesdo Julictta.

BoucHsr : Lss serdes {ll et lll}

PREvosr : Les /Anoursda la ball. Du Luc.

t23

TABLEAO CHRONOLOGIQOE

LE THEATREEN FRANCE

15/h BucHA|ur: Baptl$tes.Jephra.r (atin).

gez? : Abralnfi secrlliant.MAROUEBFE oE NAVAHHE :Plbc,a mlttlques.J@ELJE I Cldopetre oeptiw.Muadr i Julius Crssar(6dllion on latln).

1581 GfiEUN : L, Trdloileru.Les Ebatls (6dition).

'1502 L^ TALrr : Lcs Corilvaux.

15?9 Premlorsscom6di6sde LrFrvEY.

1582 GAFN|ER '. Bradamante(6dition).

1583 G^RNEn : Las Juiy6 (6ditlon),1584 TUBNEBE '. L6s Contontg

{Posth.).

1596 MomsFEsflEN :

La Car thag lnolso... lodltlonl.

f!!l' r,,r** : psaumes,

1544 ScEvE : DClr6...1549 Du BELBY : L O/i-re.

'1650 RoflsARo : Odeei55? B^iF : Amows de Mdilna.1552. RoNSAFD : Amruts da1653 Cessndr€.1555 L^EE : El6gios et sonnet''.1555 RoNssD: Continuation

deg emours.

1tn-1it921479.1lo0t{g:l

't509-,513

149+1550

1496.15t5

1500-15471512.1517

1526.1s'lilt53'

1532

1541-15641547"1559

1556

1559

't560

1560-1574

1562

1572

15t+t5891582

1t2

158t158t1

158S

Cslvin A G€nbv6.

negaa cle H.nd lL

Philippe ll,roi d'Espagns.TreltC deCateau-Cambr6sk.

nagnc de Franqols ll.

Cdn,iuration d'Amboiss.

ACgne dc Chrdes lX

Gueres do roliglon.Sainl-Barth€lemy.

Rlgna de H€n4 rn

R6torm6 du calendrierpar Grdgoire xlll.

tugne dc tteril lu.

EnirCe d'Henri lV A Faris

Edit de Nantes(en raveurdes Prot€stantsl.

1550t6a9-1650,l553

1553

1560

t&59.1560

1589-1610r593

't655-t5s6r558

r562'1612

1573

1578

1577

1578

t5s41595

16E3

1687

tg!8

,598

t585-t5!t8r597.1598

l5g8

taz

Page 64: Moyen Age et Renaissance en France.pdf

TAELEAO CHRONOLOGIOOE

. LES ARTSEx rnaxce rr A-i'Ernaxcen. TETTES EIRANGERS

S-uwil e pEBo Dr Costro.t C^rp^cqouoAEA. : Autoporfih, A eN.t4e6 Chlt.tu d'Ambob..

Y, ,600 D6mlbr.s Guvror da BomcEU..1t00 BoscH. i L, filr\ilon th r.lnt Antolnc.

fffivno. : LtJocoftb.t50C Bn M ttrE comrnsnca L b.slflqu€ Srlnt-pl6rra.'1912 nApxr6Ls: Jrtul/,

lfllL orrt.", dc chononcleux.

lffi cut"l, o" Btois (.le Frangotr t*).Muahue : JoeauN oEs pFE3.

tete Ddbut du ohltaru d. Chrmbord.t52l HoLaEN : L. Chtttt aort.lS2E Chet.lu d'Asry-te-Rtd.au.

Y. l53O LG ConnEos. : Jupit.t ct lo.l53l MEHEL-AIGE. i Lc Tombceu (b., Madtcta.Murique : JANEoutil.

15ll{ MErEL-AroEr : Lc J.qment chrntaf,Portnltr d! J. CLd.rEt.PonrdE da CFail cH L,Ar{orEilr.

l&fi LrLouutd6LEeoor,

lSfg CcLLtil.: Prrlrda1547 MI€*iEL.ANGE. at h coupolc dr Srint_plaff.

dr Bomo.

Y. t500 .Sc{iiptur,os do GouJttr{.LE P$i{^rcEi, i Font{r.bloau,

v. tt50 Chlt.lu d€ V.ttnoty.

lslit BRUEBEL. : L, Chuta d,tcrrc.VERoflgsE. i L, Courcancn ent d,Erthar.

Portraits d. F. Oourr.

lffi erusw et trc rmeux.

lSaa VeFoilEBE : Lct Nocc€ do An .

Mot.ts d. L^s8ud.

l!fr o..o"*.t ts Tut.rbs.

lfff' ertesrnru. ; vcsro.

l67t ARoMBoLDo. : Lrr Sr/son9.Scubtrircr d. PGoil..

ll-!j--L:.gf-.p.i.L'Entorrsmentduc{)mt6d,Orgr.zMulque vocal$ dc Momao.

€BA6[.E : ,tdrgar,FloJ^s ; L. Cdlesilr! (6dition),

VNcr : fnha de b p&itw..Lo'ffi^ | Anrdbdc{l,lut ,e,arcxe: Etqo'th tt tom.

MAcxnvEL : Lc princa.

MoeE I LAbpb.L'ARroarE : Lc nohnd furtau.Les 96 thar6! da LurHEF.L'AEosrE : La M$omaaclcnL'ABEnil : t, CouttLrenoCAsnaLoilE i Le Couftbrn.

r503,r501

lgot-16fi

t6t71&t01&t5rSIt

r5t3

tfi6

15fe L'ABmN.. frr}tonam.ntl.

154t Layou : Exeratcas cptttu€ts

u$t5t{i639

t5&r15671588r5?t1580

,,nt

t6ea15tIrssa

Vrsmr : tics des plu€ exceltcnt petnt,:cr.BANDEIo : Nouwllu.HERnER^ : po4rler,Mo$rEuyoR : DArr.

SAME THt{i668 : Lo Llno da ma tfu.LE T^ssE i Rrrrr.T^r€rLLo : La.t L*mos de cfltnt p@rq_C^Mocxs I Laa Lurhttci"LE T^ss€ : L, Jatur&n ddfiirce.

r,],,i.'-,,

yfifowE : L, tnCtqw Hbtolra du doctawtau6tG.Sxxesprrns : Rlqhad ilLB^coN : Errr,6.LoPE DC VEo^ : lr!rd&.

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