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  1 Mozart, Sonate en do majeur, KV545, premier mouvement, Allegro  Nicolas Meeùs L’analyse que propose Schenker dans  Der Tonwille 4 (1923), p. 19 1 , est fondée sur la recherche de lignes de tierce dans lesquelles, conformément à l’idée de la « ligne originelle » qu’il se faisait à cette époque, il croit apercevoir une sorte de motif générateur de tout le mouvement. La table de la ligne originelle de cette analyse est la suivante :  Figure 1 : Table de la ligne originel le dans Der Tonwille 4 (1923) Elle « montre aux mes. 1-4 le parcours de deux déploiements de tierce, 3–1 [ mi 4  –ré 4    do 4 , mes. 1-2] à la voix médiane et 5–3 [  sol 4 -fa 4   mi 4 , mes. 3-4] à la voix supérieure ». Ces motifs sont signalés par des arcs de liaison. Schenker ne mentionne qu’en passant les reprises ultérieures de ces deux premiers motifs, mais on peut faire rapidement l’inventaire de ceux qui sont marqués dans l’exemple ci-dessus : 4 -do 4 -  si 3 , mes. 9-11 ; 3 -do 3 -  si 2 , mes. 13-14 ;  si 4 -la 4 -  sol 4 , mes. 14 et 16 ; do 3 -si 2 -la 2 , mes. 15 et 17 ;  si 4 -la 4 -  sol 4 , mes. 24-26 et 26-27 (marqués par 3–  2–  1) ; si 4 -la 4 -  sol 4 , mes. 29-30 ( 3–  2–  1) et  fa 4 -mi 4 -ré 4 , mes. 33-34 ( 3–  2–  1), ces deux derniers repris une octave plus bas, mes. 30-31 et 34-35 ; la 4 -sol 4 -fa 4 , mes. 32-33 ( 5–  4–  3) et mes. 42-43, ainsi que do 5 -si 4 -la 4 , mes. 44-45, ces deux derniers correspondant à la reprise du premier thème en  Fa ; 4 -do 4 -  si 3 , mes. 54-56 ; enfin, mes. 59-72, la reprise de ceux du deuxième thème (mes. 14-27), notés dans l’exemple moins clairement que la première fois. 1  Cette analyse est disponible en traduction à l’adresse http://nicolas.meeus.free.fr/KV545_Schenker.pdf, de même que les exemples de  L’Écriture libre cités ci-dessous.

Mozart, Sonate en do majeur, KV545, premier mouvement, Allegro

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Discussion d'analyses publiées de l'Allegro de la Sonate KV 545, par H. Schenker, E. Laufer, E. Wen et J. Snyder. Proposition d'une analyse.

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    Mozart, Sonate en do majeur, KV545, premier mouvement, Allegro Nicolas Mees

    Lanalyse que propose Schenker dans Der Tonwille 4 (1923), p. 191, est fonde sur la recherche de lignes de tierce dans lesquelles, conformment lide de la ligne originelle quil se faisait cette poque, il croit apercevoir une sorte de motif gnrateur de tout le mouvement. La table de la ligne originelle de cette analyse est la suivante :

    Figure 1 : Table de la ligne originelle dans Der Tonwille 4 (1923) Elle montre aux mes. 1-4 le parcours de deux dploiements de tierce, 31 [mi4r4 do4, mes. 1-2] la voix mdiane et 53 [sol4-fa4mi4, mes. 3-4] la voix suprieure . Ces motifs sont signals par des arcs de liaison. Schenker ne mentionne quen passant les reprises ultrieures de ces deux premiers motifs, mais on peut faire rapidement linventaire de ceux qui sont marqus dans lexemple ci-dessus : r4-do4-si3, mes. 9-11 ; r3-do3-si2, mes. 13-14 ; si4-la4-sol4, mes. 14 et 16 ; do3-si2-la2, mes. 15 et 17 ; si4-la4-sol4, mes. 24-26 et 26-27 (marqus par 32 1) ; si4-la4-sol4, mes. 29-30 ( 321) et fa4-mi4-r4, mes. 33-34 ( 321), ces deux derniers repris une octave plus bas, mes. 30-31 et 34-35 ; la4-sol4-fa4, mes. 32-33 ( 5 43) et mes. 42-43, ainsi que do5-si4-la4, mes. 44-45, ces deux derniers correspondant la reprise du premier thme en Fa ; r4-do4-si3, mes. 54-56 ; enfin, mes. 59-72, la reprise de ceux du deuxime thme (mes. 14-27), nots dans lexemple moins clairement que la premire fois.

    1 Cette analyse est disponible en traduction ladresse http://nicolas.meeus.free.fr/KV545_Schenker.pdf, de mme que les exemples de Lcriture libre cits ci-dessous.

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    La recherche des motifs de tierce descen-dante dans lexposition et la rexposition nest pas trs convaincante. Le tout premier dentre eux en particulier, mes. 1-2, nest pas crdible parce que r4, que Schenker lit comme note de passage de la tierce mi-r-do, nest en ralit que note voisine de do. La prsence de ces motifs est par contre particulirement frap-pante dans le dveloppement, mes. 29-41, comme le montre la figure 2 ci-contre, qui ne correspond pas exactement lanalyse de Schenker. Le dveloppement se rduit mlo-diquement une vaste descente de si4 si3, forme entirement de motifs de tierce : si4-la4-sol4, (si3-la3-sol3), la4-sol4-fa4, fa4-mi4-r4, (fa3-mi3-r3), r4-do4-si4, (saut doctave), la4-sol4-fa4, sol4-fa4-mi4, fa4-mi4-r4, mi4-r4-do4, si3.

    Les progressions de lharmonie paraissent ici trs largement dpendantes de la conduite mlodique. Si4, mes. 29, ralise une mixture (minorisation) de laccord de dominante qui terminait lexposition. Les tierces descendan-tes provoquent dabord un enchanement rtrograde (quintes ascendantes) de tonalits mineures : sol (dploy en silasol, mes. 29-32) r (lasolfa puis famir, mes. 32-35) la (rdosi puis dosila, mes. 35-37).

    Un cycle de quintes complet, viiiVIIVviiIIIvi (chiffr ici par rapport la tonalit principale de do majeur), se manifes-tant par une concatnation de descentes de tierce, prolonge ensuite la tonalit de la mineur (vie degr), mes. 37-40 et dbouche un

    Figure 2 : Analyse du dveloppement (mes.29-42)

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    peu abruptement la mes. 41 sur II, sixte napolitaine en la mineur, pris immdiatement comme IVe degr de la tonalit de sous-dominante, fa majeur, dans laquelle le premier thme est repris la mes. 42.

    Schenker souligne lchange des voix de la mes. 41, dune audace remarquable, un geste audacieux avant celui plus audacieux encore qui consiste pla-cer la tonalit de la sous-dominante au dbut de la reprise ! . Mais il ne justifie pas cette reprise exceptionnelle la sous-dominante et ne commente en aucune manire la faon dont la rexposition regagne ensuite le ton de tonique.

    Lanalyse de Schenker dans Der Tonwille 4 demeure donc insatisfaisante bien des gards. Elle le devient surtout en considration des thories ultrieures de Schenker concernant la forme sonate.

    * * *

    Durant les dix annes qui sparent la publication de cette analyse de celle de Lcriture libre, Schenker a dvelopp en particulier les ides de la structure fondamentale et de la ligne fondamentale . Les points essentiels de la thorie sa maturit sont les suivants : alors que la ligne originelle pouvait se constituer, comme ci-dessus, dune concatnation libre de motifs gnrateurs, la ligne fondamentale est conue comme une ligne unique, assurant la saturation de l espace tonal dlimit par la triade de tonique. Les lignes effectuant le remplissage dautres accords que celui de tonique ne peuvent tre que des lignes de second ordre, appartenant des niveaux plus superficiels de luvre. la ligne fondamentale, parcourant la triade de tonique par des mouvements conjoints qui en remplissent les interstices, sappuie sur larpgiation de la mme triade par la voix infrieure ( arpgiation de la basse ). Il arrive alors normalement que la rencontre de la dernire note de passage de la ligne fondamentale, 2 dans la ligne 321, soit supporte par la note principale de larpgiation de la basse, V, engendrant la situation normale de la structure fondamentale : 3 2 1 I V I

    Laccord central, du point de vue le plus global, nest que le rsultat du dploiement de la triade de tonique, dont il est le diviseur la quinte ; ce nest que dun point de vue plus local quil constitue un autre accord, celui de la dominante. La dramaturgie particulire de la forme sonate (et de quelques autres situations formelles de mme nature) fait que la structure fondamentale ne se dploie dabord pas compltement : elle est interrompue, de manire quelque peu dramatique, sa seconde tape, larrive sur la dominante, correspondant normale-ment la fin du dveloppement (ou, parfois, la fin de lexposition), et reprise ensuite depuis son dbut pour former la rexposition et le double retour de la tonique et du thme principal :

    3 2 || 3 2 1 I V I V I

    On voit immdiatement que non seulement lanalyse par Schenker du premier mouvement de la Sonate de Mozart dans Der Tonwille 4 nest pas conforme cette thorie ultrieure, mais que le texte de Mozart lui-mme ne correspond pas non plus cette description au point peut-tre de ne pas pouvoir tre considr comme un cas de forme sonate, ou en tout cas pas de forme sonate normale . Ce mouvement prsente deux difficults, qui ne sont pas spcifiques lapproche schenkrienne :

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    1) On ne voit pas o situer une interruption de la structure fondamentale qui correspondrait un arrt sur la dominante, un moment o la ligne mlodique fondamentale aurait atteint le 2e degr. Cette absence dinterruption nest pas anodine, parce quelle entrane labsence du double retour qui constitue pourtant une caractristique distinctive de toute forme sonate. 2) On ne voit pas, en particulier, o situer le retour laccord de tonique : le retour du thme principal la sous-dominante, mes. 42, ne suffit pas vraiment la description dune rexposition . Pour Schenker, dans ltat ultime de sa thorie, qui naccorde que peu dimportance la structure thmatique de la forme sonate, le retour du premier thme la mes. 42 nest certainement pas un moment dterminant de la forme de ce mouvement.

    * * * Schenker a propos dans Lcriture libre (1935) dautres graphes analysant ce mouvement, plus conformes peut-tre sa thorie de cette poque, mais si peu dtaills et si peu explicites que leur lecture demeure difficile.

    Le premier graphe (Exemple 124.5a, figure 3 ci-contre) repr-sente le premier thme (mes. 1-11). Il montre en particulier que les quatre premires mesures ralisent un dploiement de laccord de do majeur, menant de do4 (mes. 1) mi4 (mes. 4) ; ce mi4, marqu 3, est le point de dpart dune ligne qui descend r4, marqu 2 (mes. 9). Par ailleurs, larpgiation de laccord de do la mes. 1 mne sol4, brod par la4 ; Schenker crit : sol4 de la mes. 1 prpare la4 aigu de la mes. 3, qui introduit la mes. 5 la ligne descendante vers r4. la fin de lexemple, sol4 sentend comme consquence de la4 (**) ( 260). Les astrisques paraissent signaler une voix qui survole la ligne descendante principale, mais Schenker nen dit pas plus.

    Le deuxime graphe (Exemple 88c, figure 4 ci-contre) concerne le deuxime thme. Il montre comment la descente principale r5do5si4la4sol4, chiffre (=5 4 3 2 1) subit une expansion par linterpolation dune ligne de quinte particulire, dduite de la note de tte ( 213). Il sagit dune ligne secondaire descendant de r5 ( note de tte de la ligne principale) jusqu sol4.

    Ces deux graphes donnent ensemble une reprsentation complte de lexposition, dont le graphe ci-contre (figure 5) donne une autre analyse2. On y voit une ligne descendante sol4(la4)sol4fa4mi4r4 correspondant au premier thme, appuye sur un mouvement harmonique IIViiIIV, puis le transfert de r loctave, suivi dune ligne descendante r5do5si4la4sol4 qui correspond au deuxime thme. Ces deux lignes descen-dantes, avec le saut doctave qui les spare, font que lexposition se termine avec sol4 la voix suprieure, comme elle avait commenc. Tant

    2 Ce graphe correspond lanalyse de lexposition seule, disponible ladresse http://nicolas.meeus.free.fr/KV545_Schenker.pdf.

    Figure 3 : Lcriture libre, exemple 124.5a

    Figure 4 : Lcriture libre, exemple 88c

    Figure 5 : Analyse de lexposition

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    que lanalyse ne porte que sur lexposition, il ny a pas lieu de souligner le dploiement do4mi4 des mes. 1-4 ni le mouvement 32 nots par Schenker dans le premier exemple ci-dessus (Figure 3), sur lequel il faudra revenir ultrieurement. La figure 5 souligne par contre le mouvement IV du premier thme : la partie en sol majeur (deuxime thme) peut tre lue comme une prolongation de laccord de dominante qui terminait le premier.

    Toujours dans Lcriture libre, Schenker propose un troisime graphe (Exemple 47.1, figure 6 ci-contre) qui reprsente tout le mouvement. On y distingue assez aisment ce qui concerne lexposition, qui rsume les graphes prcdents. Les commentaires que fait Schenker ( 150 et 313) indiquent quil considre que r4, atteint ds la fin du premier thme (mes. 12), nest pas encore proprement parler le 2 de la ligne fondamentale, parce quil ne sappuie que sur une demi-cadence. Cest r5 une octave plus haut (mes. 14), support cette fois par la tonalit du Ve degr, qui constitue le 2 vritable. On comprend donc que, pour Schenker, le mouvement mlodique fondamental de lexposition est mir, 32, et que le sol4 qui parat survoler lexposition de la premire la dernire mesure nest quune voix mdiane, projete au-dessus de la voix suprieure.

    Il est par contre particulirement difficile de comprendre comment ce graphe rsume le dveloppement, rduit ici apparemment une simple descente sol4fa4mi4, et o se situe prcisment la rexposition ; aucun numro de mesure nest indiqu dans la deuxime partie du graphe, que Schenker ne commente pas. Fa a parfois t compris comme reprsentant la rexposition du premier thme la sous-dominante, comme on le verra ci-dessous, mais ce nest ni trs clair, ni trs convaincant.

    * * *

    Cette situation exceptionnelle a t la cause dune abondante littrature, en particulier de la part des schenkriens amricains qui ont propos diverses solu-tions, exprimes dans divers graphes plus explicites que celui de Schenker.

    Le premier de ces graphes alternatifs a t publi dans la recension de la traduction amricaine de Der freie Satz, Free Composition, par Edward Laufer dans Music Theory Spectrum 3 (1981). Seul son exemple 22, reprsentant le mouvement entier, est reproduit ici (figure 7) . Laufer considre que la forme est celle dune

    Figure 6 : Lcriture libre, exemple 47.1

    Figure 7 : E. Laufer, Music Theory Spectrum 3 (1981), exemple 22 (Labsence du dernier do la basse est probablement le rsultat dune erreur de reproduction du graphe .)

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    sonatine 3, caractrise par la prsence dune ligne fondamentale maintenant longuement le 5e degr, sous laquelle une ligne appartenant une voix m-diane effectue le mouvement 32. Dans le graphe reproduit ici, on distingue cette descente de la voix mdiane dans le premier thme, sur le mouvement IV de la basse. Conformment la dimension rduite de ce mouvement de sonatine, crit Laufer, le dveloppement et une partie de la rexposition sont com-prims en une seule section. [] Le retour du premier thme (mes. 42) nintervient que comme une parenthse et le V de la mes. 56 se rattache celui de la fin de lexposition . Fa de la basse, la mes. 42, cest--dire au moment du retour du premier thme en fa majeur, est marqu Nn, note voisine : il est apparemment considr comme une broderie de sol (VIVV). La rexposition est situe au retour du deuxime thme, mes. 58, le premier thme ntait pas rexpos au ton de tonique : ceci se justifie, selon Laufer, par la grande similitude entre les deux thmes : le deuxime thme, crit-il, nest manifestement quune variante du premier . Mais la rexposition du deuxime thme au ton de tonique (mes. 58-73) nest pas la reprise exacte de son exposition la dominante (mes. 14-28) : en particulier, la descente mlodique r5do5si4la4sol4 ny est pas intgralement transpose pour devenir sol4fa4mi4r4do4. Laufer est donc contraint de supposer fa4 dans cette descente au moment o le texte de Mozart donne la4 : il crit 6 for 4 (mes. 68). On notera aussi quil souligne par une accolade la similitude entre la descente lasolfami du premier thme et celle des mes. 45-53 ; il note que le retour de la dominante la mes. 56 est probablement li cette similitude et parat considrer que labsence de fa4 la mes. 68 sexplique aussi par ce paralllisme, mais il ne dit pas comment et nen tire pas de conclusion claire : il faudra y revenir.

    Vingt ans plus tard, suite un commentaire de cette analyse par Gordon Sly4, dans le cadre dune tude des formes sonate chez Schubert o le premier thme nest pas repris au ton de tonique, Laufer est revenu sur ce mouvement et propose le graphe rvis reproduit ci-dessous (figure 8). Il rpte lide selon laquelle le dsir de concision entrane Mozart fondre les sections les unes dans les autres et viter toute interruption de la ligne fondamentale au sens le plus strict (pas de 5432 ||) . La rvision porte surtout sur le caractre incomplet du retour la tonique la mes. 59, sur un accord en position de sixte : cette cadence auxiliaire (VI6), crit Laufer, augmente paradoxalement la force de concision du mouvement, dont la marche nest ni retenue ni ralentie par une prsentation du Ier degr la fois la mes. 59 et la mes. 71 . Il en conclut quon ne peut pas lire la descente finale sol4fa4mi4r4do4 comme une descente de la ligne fondamentale, quelle nappartient qu un niveau du plan moyen : cest la diffrence principale entre ce graphe rvis et le prcdent. Laufer parat considrer ici que 5 (sol4) domine le mouvement du dbut la fin.

    Eric Wen ( A Response to Gordon Sly and Edward Laufer: An Alternative Interpretation of the First Movement of Mozart's K. 545 , Journal of Music Theory 46/1-2, 2002, p. 364-368) a publi en rponse, lanne suivante, une autre proposition danalyse fonde sur lide que la dominante la fin de lexposition na pas la fonction structurante de celle de la structure fondamentale, quelle nest quun diviseur la quinte 5. On notera dans le graphe ci-dessous (figure 9) une lecture du cycle de quintes dans le dveloppement, mes. 37-41, analogue celle de lanalyse propose ci-dessus, p. 2.

    3 Il renvoie ce propos un long paragraphe ajout par Ernst Oster sa traduction de Free Composition, p. 139. Oster crit : Dans un mouvement de sonatine qui dbute sur 5, la voix

    suprieure ne descend pas par 4 et 3 jusquau 2 de linterruption, comme elle le ferait normalement. [] Le degr qui serait le 2 de la ligne fondamentale vient ici de la tierce de laccord de tonique, et doit donc tre considr appartenant une voix intrieure. Dans une exposition de sonate de ce type, cette note est dploye de la manire habituelle, au moyen dune progression de quinte. Entretemps, le 5 est tendu jusqu la fin de lexposition et de l jusquau dbut de la rexposition ; il ne descend 1 qu la fin de cette section . Voir aussi Irna PRIORE, The Case for a Continuous 5: Expanding the Schenkerian Interruption Concept, PhD diss., University of Iowa, 2004.

    4 Schubert's Innovations in Sonata Form: Compositional Logic and Structural Interpretation , Journal of Music Theory 45/1, 2001, p. 122-124 ; Laufer y ajoute un appendice, p. 144-146) 5 Cette analyse repose sur une conception du diviseur la quinte qui trouve sans doute quelque justification dans les commentaires de Lcriture libre, mais qui ne semble pas correspon-

    dre ce que Schenker en dit dans ses crits antrieurs. Tout accord de dominante joue un rle structurel u n niveau donn, mais nest quun diviseur la quinte un niveau suprieur. Voir aussi ci-dessus, p. 3.

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    Eric Wen critique aussi lide de Laufer selon laquelle le retour du premier thme en fa majeur se situerait comme une sorte de broderie (marque Nn) lintrieur dune zone en sol. Il propose au contraire de concevoir le ton de la sous-dominante comme le point daboutissement dun dploiement de la tonique (dans laquelle les passages la dominante sinsrent comme diviseurs la quinte), menant V7/IV la mes. 41, comme le montre le premier exemple ci-dessus. Comme Laufer, Wen considre que la ligne fondamentale commence 5 (sol), note commune de laccord de do et de son diviseur la quinte ; la tonalit de r mineur dans le dveloppement est rduite une tonalit de broderie (marque N), celle de la mineur une sixte sur la tonique. Fa, premire note du premier thme la sous-dominante, devient 4 de la ligne fondamentale6.

    Lexemple ci-contre (figure 9) montre comment Wen analyse la rexposition. 4 se transfre loctave infrieure (main gauche) la mes. 58, o il devient septime de laccord de dominante, se rsolvant sur I6 au retour du deuxime thme. De la sorte, Wen vite davoir tracer la descente depuis 5 lintrieur du deuxime thme o, comme on la vu dans lanalyse de Laufer, 4 manque.

    On relira enfin larticle de John Snyder, Schenker and the first movement of Mozarts Sonata, K. 545: An uninterrupted

    6 Cette situation cre une distorsion : alors que la note importante dans lnonc du thme en do majeur, mes. 1, est la quinte de laccord (sol, 5), la note importante dans lnonc en fa ma-

    jeur, mes. 42, est la prime de laccord.

    Figure 8 : E. Laufer, Journal of Music Theory 45/1

    Figure 9 : E. Wen, Journal of Music Theory 46/1-2

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    sonata-form movement , (Theory and Practice XVI, 1991, p. 51-78) qui propose lanalyse ci-contre (figure 10, son exemple 9). Comme Laufer et Wen, Snyder considre que la note de tte de la ligne fondamentale est 5. Il indique cependant le dploiement domi du premier thme, mes. 1-4, ce qui lui permet de noter la du mme dploiement (fala, mes. 42-45) dans la reprise du premier thme en fa majeur comme broderie (marque n.n.) de la note de tte. La descente de 5 1 se fait entirement dans la reprise du deuxime thme. Snyder situe 4 de cette descente la mes. 67 (voir son exemple 10b).

    Ces diverses analyses ont quelques points communs : elles constatent, explicitement ou implicitement, que ce mouvement ne propose pas de double re-tour ou, ce qui revient au mme, que le retour du premier thme et le retour du ton de tonique, ne se produisent pas au mme moment. Par consquent, il est difficile de voir dans la fin de lexposition une interruption , puisque celle-ci devrait tre suivie, un moment ou un autre, prcisment par un double retour. Il nest donc pas ncessaire de rechercher une ligne fondamentale qui sinterromprait sur 2 et le mouvement comporte une seule descente fonda-mentale, que toutes ces analyses font partir de la note de tte 5. Laufer et Snyder situent la rexposition au retour du ton principal, quils placent la mes. 59, au dbut de la reprise du deuxime thme. Laufer lit le parcours harmonique global comme un simple mouvement IVI, o le V stend du deuxime thme dans lexposition jusqu la mes. 57. Snyder cherche faire prcder la dominante de la mes. 57 par une prparation de dominante, quil situe dans le retour du premier thme ; il est forc ds lors daccorder une certaine importance laccord du vi, comme rsolution de la dominante de la fin de lexposition, avec un mouvement global IVviIVVI. Wen enfin place la rexposition au retour du premier thme la sous-dominante, auquel il accorde donc plus dimportance que les autres : cela lui permet dy situer aussi 4 de la ligne fondamentale ; il rgle le problme de la rsolution de la dominante de la fin de lexposition en la rduisant un diviseur la quinte et en dcrivant le parcours harmonique global comme I(V)IIVII6VI6IIVI.

    * * *

    Aucune de ces analyses ne correspond au graphe que Schenker propose pour le mouvement complet, o la note de tte de la ligne fondamentale est 3. Tous les critiques se sont interrogs sur le sens quil fallait donner aux deux notes par lesquelles Schenker semble reprsenter le dveloppement, sol4fa4. Mais aucun ne semble avoir remarqu une particularit curieuse du graphe reprsentant lexposition, o mi4 (3) est attach par une ligature fa4 qui prcde. Aucun enfin ne semble avoir examin de prs comment se termine lexpos du premier thme repris la sous-dominante. Les deux graphes de Schenker sont reproduits ci-dessous, au dessus dune prsentation paradigmatique des deux noncs du premier thme (figure 11).

    On constate que la seconde prsentation du thme fait seize mesures, contre douze pour la premire. Le thme en do majeur se subdivise en trois carrures : la premire qui opre le dploiement dcrit par Schenker, de 1 3 ; la seconde o des gammes ascendantes et descendantes prparent larrive sur le ii ; la troisime qui opre le mouvement harmonique iiIIV. Les huit premires mesures du thme en fa majeur sont la transposition des huit premires de lexposition, mais les huit mesures qui suivent sont la reprise, en do majeur, des huit dernires du thme dans lexposition (mes. 50-57 = mes. 5-12), avec une modification des quatre mesures de gammes (mes. 50-53). En dautres termes, la reprise du thme partir de la mes. 42 est pour moiti dans le ton de tonique.

    Figure 10 : J. Snyder, Theory and Practice XVI

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    Schenker a indiqu trs prcisment, dans les passages cercls des exemples reproduits ici p. 8, lendroit o il situe le retour la tonique dans le premier thme, la mes. 54.

    Figure 11

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    Il est possible alors de proposer le graphe suivant (figure 12), comme reprsentation plus dtaille de ce que Schenker avait probablement en vue. Le d-veloppement apparat comme une prolongation de laccord de sol mineur, orn par un double diviseur la quinte : r mineur comme diviseur de sol et la mineur comme diviseur de r. Laccord de sixte napolitaine de la mes. 41 peut se comprendre aussi comme v7, senchanant avec I7 = V/IV. Comme dans lexposition, r qui termine le premier thme (mes. 58) nest pas encore 2, parce que la modulation nest pas effective. Mais au lieu de se situer au dbut du deuxime thme, 2 napparat ici qu la mes. 67. La modification du deuxime thme cet endroit, dans sa reprise en do majeur, que Snyder commente longuement en tentant de la minimiser, se justifie en ralit par la fonction diffrente de cette mes. 67. Plusieurs des commentateurs amricains ont rejet la possibilit que le retour la tonique et la note de tte ( 3) se situe la mes. 53, considrant que ce point nest en aucune manire appuy dans la partition. Il faut noter cependant que la rminiscence du thme dans sa forme initiale, partir de la mes. 50, est assez nette ; la modification des mes. 50-53 par rapport aux mes. 5-8 a pour effet de marteler la descente lasolfami et souligne ce retour. Figure 12

    * * *

    Il nest pas possible de dire si lanalyse propose ici, que je pense conforme celle que Schenker avait en tte, est plus exacte que celles des schenkriens amricains commentes ci-dessus. Comme lcrit Snyder, nous ne pouvons attendre quaucune approche analytique russisse aussi bien sur une uvre htrodoxe que sur une autre orthodoxe . Lambigut formelle de ce mouvement laisse place des analyses plus ou moins divergentes. Il me semble cependant que lanalyse que jattribue Schenker est la plus riche de toutes celles qui sont examines ici, celle aussi qui donne la meilleure ide de lensemble du mouvement.