MTRAUX, Alfred - Croyances Et Pratiques Magiques Dans La Valle de Marbial Hati

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Alfred Mtraux

Croyances et pratiques magiques dans la valle de Marbial, Hati.In: Journal de la Socit des Amricanistes. Tome 42, 1953. pp. 135-198.

Citer ce document / Cite this document : Mtraux Alfred. Croyances et pratiques magiques dans la valle de Marbial, Hati. In: Journal de la Socit des Amricanistes. Tome 42, 1953. pp. 135-198. doi : 10.3406/jsa.1953.2404 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jsa_0037-9174_1953_num_42_1_2404

CROYANCES DE

ET

PRATIQUES LA VALLE .

MAGIQUES DANS

MARBLAL, HATI, par Alfred MTRAUX.

INTRODUCTION

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Les documents runis dans cette monographie ont t recueillis au cours d'une enqute ethnographique qui fut conduite par l'auteur de ces lignes dans la valle de Marbial en Hati, de 1948 1950. Nos recherches rpondaient un but pratique ; elles devaient" constituer' l'tape initiale d'un projet d'ducation de base que l'U. N. E- S. C. O. s'apprtait lancer sur la demande du Gouvernement hatien. Ces tudes n'auraient, cependant, jamais pu tre entreprises sans l'appui gnreux de la Wenner-Gren Foundation de New York . qui nous tenons exprimer notre plus vive gratitude. Nous avons t assists par* un groupe de jeunes intellectuels hatiens qui taient venus Marbial pour se familiariser avec les techniques d'enqute sur le terrain. Parmi nos colla borateurs,, dont les notes ont t utilises dans ce travail nous mentionnerons tout spcialement M. Laimrtinire Honort et Mlle Jeanne G. Sylvain.. Nous avons galement fait usage de renseignements fournis par M Roger Mortel et M. Rmy Bastien. . La rgion sur laquelle" notre enqute a port est situe au confluent de la, Gosseline et de la rivire Fonds Melon, non loin du centre paroissial de Marbial, une quinzaine- de kilomtres environ de la ville de' JacmeL C'est une zone montagneuse coupe de valles profondes dans lesquelles coulent des torrents et des rivires qui descendent du massif de la Selle. Ces valles, jadis fertiles, sont aujourd'hui en pleine dcadence conomique- Leur sol est rong par l'rosion. La couche arable dlave par les pluies s'appauvrit chaque anne dans des proportions de plus en plus catastrophiques- Cette disparition, de Tlramus est la consquence du dboisement qui ne fait que s'accentuer. Celui-ci, son tour, est un rsultat de l'accroissement rapide de la population rurale. En 1950, la valle comptait environ 30.000 habitants, soit prs de 200 personnes an kilomtre carr. Dans de telles conditions, les paysans sont rduits un tat prcaire qui, l'poque de notre sjour, tait une vritable misre, deux annes de scheresse ayant puis leurs ressources et cr une situation vritablement dramatique. Le lecteur trouvera, dans une tude publie par l'U N. E. S C. O., sous le titre L'Hommt et la terre dans la valle de 'Marbial

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(Hati) , une description dtaille du dur labeur que les paysans de Marbial doivent fournir pour se maintenir en vie. - On ne trouve presque plus, comme par le pass, de grandes familles runis sant autour de la case d'un riche paysan celles de ses enfants et de ses petitsenfants. Cet ensemble de cases s'appelait la cour (laku)t terme qui s'ap plique aussi l'unit sociale dont il tait l'expression concrte. Aujourd'hui le 'mot ne dsigne plus que l'habitation familiale et ses dpendances. Le chef de famille n'tait pas toujours un patriarche, mais parfois une femme ner gique qui avait su maintenir une autorit morale et matrielle sur ses fils et leur descendance. < Ce type de groupement tend disparatre. Les attaches familiales se sont relches la suite du morcellement des terres et sous l'effet de la fragilit ' des liens matrimoniaux. Les funrailles sont les seules occasions o l'ancienne famille tendue se runit au complet pour participer la veille et discuter de la succession. Comme autrefois, le placage (union non sanctionne par la loi) est plus frquent que le mariage chrtien, et la polygamie, encore rpandue, est prati que surtout par les paysans riches. Mais les hommes comme les femmes contractent communment plusieurs mariages successifs ,- et les petites familles d'aujourd'hui peuvent comprendre des enfants issus de diffrentes unions. Certaines familles se composent uniquement d'une femme et des enfants qu'elle a eus d'un ou de plusieurs maris . Aucun caractre infamant ne s'attache aux naissances illgitimes, et tous les enfants sont les bienvenus. La population de Marbial est catholique, l'exception de 3.311 paysans qui appartiennent l'glise baptist. La paroisse de Marbial comprend six sec tions et dborde sur la commune de Port-au-Prince. Les registres paroissiaux indiquent 600 700 baptmes par an, une soixantaine de mariages et 125 enter rements environ. En dehors du centre paroissial, le cur dispose de 7 chapelles et de 48 stations confies des laques qui font galement fonction d'insti tuteurs. ' La minorit baptist compense son infriorit numrique par son zle rel igieux et son esprit de corps. Elle est rpartie en boucans , qui font pendant aux stations catholiques et qui sont placs sous la surveillance d'un directeur qui veille aussi enseigner la lecture et l'criture aux enfants et aux adultes. Il y a dix ans encore, la majorit des paysans de Marbial pratiquaient le vodou. On entend par ce terme un ensemble de croyances et de rites d'origine africaine qui, troitement mls des pratiques catholiques, cons tituent la religion de la plus grande partie de la paysannerie et du proltariat urbain de la Rpublique d'Hati. Cette religion apporte ses adeptes le con fort spirituel dont ils ont besoin : elle les protge contre les atteintes du sort et les machinations des sorciers et des mauvais esprits. Elle leur fournit 1. Mtraux, Alfred. L'homme et la terre dans la Valle de Marbial {Hati), Documents spciaux d'ducation , n 10. U. N. E. S. C. O., Paris, 1950, 143 p. '

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en outre la plupart des rcrations esthtiques qui rompent la grisaille de leur existence. Les Noirs imports en Hati aux xvne et xvine sicles venaient en majorit de la Cte des Esclaves Togo, Dahomey et Nigeria. Quelle que ft leur tribu ou leur langue, les indignes de ces rgions avaient suffisamment de points communs dans leurs croyances ou leurs pratiques religieuses pour qu'il leur ft relativement' ais de combiner en une structure cohrente les diffrents cultes qu'ils s'efforaient de conserver. En Hati, c'est autour de la religion dahomenne que se fit cette cristallisation des croyances et des rites emprunts divers systmes magico-religieux qui diffraient dans le dtail, mais se res semblaient par leur fond commun. Plus tard, le syncrtisme religieux, dj si prononc en Afrique, devait faciliter l'absorption d'autres lments : tout d'abord les divinits et les rites congolais, et ensuite les croyances et les pra tiques catholiques qui se faisaient de plus en plus nombreuses mesure que les esclaves se familiarisaient avec la religion de leurs matres. L'existence du vodou en Hati nous est signale ds la fin du xvine sicle. Ce serait mme au cours d'une crmonie vodou au Bois Caman qu'aurait t dcide la rvolte qui, aprs dix ans de guerre, allait aboutir au massacre des colons franais et l'indpendance de la premire rpublique noire du monde. L'glise catholique elle-mme est prte reconnatre le fait que les paysans hatiens sont encore semi-paens, mais ceci dit, il importe de ne pas oublier que les sectateurs du vodou ne se considrent pas moins comme d'excellents catholiques et qu'ils ne voient aucune contradiction entre leur fidlit aux divinits africaines et la pratique la plus stricte du catholicisme. La messe, les processions, les services dans les sanctuaires vodou, les sacrifices d'animaux, les danses sacres, se situent sur le mme plan et ne s'excluent pas. ' Faute de place, nous avons d limiter cette tude de la vie religieuse dans la valle de Marbial aux croyances et aux pratiques magiques *. Le culte des dieux africains, Iwa ou mystres , fera l'objet d'une monographie spare, qui sera publie ailleurs. Dans notre texte, il est souvent fait allusion la Renonce . Par ce mot, emprunt au vocabulaire crole, nous dsignons la campagne dirige contre le vodou en 1941-1942 par le clerg catholique avec l'appui de l'tat. L'glise s'tait flatte d'exterminer une fois pour toutes le vodou en dtruisant les sanctuaires des dieux africains, en brlant, dans de vritables autodafs, les objets sacrs et en exigeant, par la menace, des sectateurs du vodou un se rment dit des rejets , par lequel ils renonaient au culte des Iwa et aux pratiques superstitieuses. Surpris par la soudainet et la violence de cette attaque, les vodouisants se soumirent en apparence et vques et curs eurent, pendant quelques mois, l'illusion que la manire rude se justifiait par 1. Nous avons omis dans cet article les pratiques magiques de la mdecine popul aire qui ont dj fait l'objet de notre part d'une tude spciale, voir A. Mtraux, Mdecine et vodou en Hati. Acta Tropica, vol. 10, n i, Ble, 1953, p. 28-68.

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SOCIT DES AMRICANISTES ses rsultats. Ds durent bientt dchanter. L'opposition montante des masses fut rapidement sentie par le Gouvernement, qui se dsolidarisa de cette cam pagne. Sous la prsidence d'Estim Dumarsais, le vodou fut nouveau tolr. Marbial est l'une des rares rgions d'Hati o la campagne antisuperstitieuse ait russi extirper le vodou, en surface du moins. L'glise, bien qu'elle ait essay d'aceoler l'tiquette de paens aux protestants, a trouv dans leur intolrance fanatique une aide prcieuse dans son combat contre le culte vodou,. Les baptistes vouent aux manifestations du vodou, mme les plus innocentes, une haine qui a un caractre presque obsessionnel. Nous tions donc fort mal placs pour entreprendre une tude du vodou telqu'il est pratiqu dans les campagnes hatiennes. Cependant si les cultes paens n'taient plus gure cel- ' sur' brs, leur souvenir tait trop rcent pour qu'il ne ft possible de recueillir eux de copieux renseignements. D'autre part, les croyances n'avaient pas chang au point de modifier la mentalit des paysans* Ceux-ci ont beau aller la messe, ne plus faire de sacrifices paens, les dieux africains existent tou jours dans leur esprit. En outre, il tait extrmement intressant d'tudier le vodou alors qu'il tait perscut et ses sectateurs obligs de se cacher,- Nous avons pu ainsi mieux comprendre les forces vives du paganisme rural, dfinir ses zmes de rsistance et ses points- faibles. Nous avons cherch intro duire dans la prsentation des croyances et des pratiques magico-religieuses de nombreuses anecdotes qui en illustrent la porte dans la. vie quoti dienne. Comme' la magie ne peut tre comprise que dans ses rapports avec la religion,, une brve esquisse des croyances fondamentales et de l'organisation du culte vodou doit de toute ncessit figurer dans cette introduction. Le vom est un systme religieux qui rgle les rapports entre les Iwa et les humains. Les Iwa ou mystres sont des divinits africaines auxquelles sont venues s'ajouter d'autres divinits de cration, plus rcente. Il y a un nombre considrable de Iwa et ce nombre ne fait que crotre. Un paysan de Marbial nous a donn des Iwa l'excellente dfinition que voici : Les Iwa sont des esprits, des sortes de vents. Ce sont des anges rebelles dont les connaissances dpassent les ntres. Ils sont, pareils un homme qui, aprs avoir reu une bonne du cation la ville et appris un mtier, se rvolterait contre son pre. Le fils Tngrat, mme s'il est chass de la maison paternelle, n'en continue pas moins savoir beaucoup de choses. C'est prcisment ce qui est arriv aux Iwa, ils ont reu la. science des anges et se sont rvolts. Ils descendent sur une personne pour la possder, tout comme le Saint-Esprit qui se pose sur le cur lorsqu'il chante la messe. Les Iwa se manifestent surtout par des possessions ; ils chassent le gros bon ange x pour prendre sa place et. c'est le brusque dpart de cette me qui cause les tressaillements et les soubresauts qui caractrisent les dbuts de la transe Le possd devient alors non seulement le rceptacle du dieu, "mais son' 1. Chaque individu possde deux mes^ Un gros et un petit bon ange. .

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instrument. C'est la personnalit du dieu. et nonplus la sienne propre qui s'exprime dans son comportement et dans ses actes. Ses jeux de physionomie, ses gestes, et jusqu'au ton de sa voix refltent le caractre et le temprament de la divinit qui est descendue sur lui. Le possd est appel le cheval (chual) du Iwa; en fait, le rapport entre le dieu et lui est bien le mme qu'entre un cavalier et sa monture. Les dieux et les esprits du vodou sont des tres jaloux, susceptibles et exi geants. Chaque famille a ses: Iwa, qui protgent ses membres de gnration en gnration, mais ceux-ci, en change, doivent s'acquitter de leurs devoirs entre eux. Les. Iwa rclament des sacrifices propitiatoires (mj-lwa : manger des Iwa), intervalles plus ou moins rguliers. Ceux qui ngligent les Iwa s'attirent des chtiments qui prennent la forme de maladies ou d'accidents. Il faut alors les. apaiser; sinon leur colre ne fera que crotre et ils finiront par .' tuer leurs serviteurs infidles. Les sanctuaires, ou humfb, dans lesquels les Iwa sont vnrs, sont des di fices modestes, dont la disposition et l'architecture sont les mmes que celles des habitations ordinaires, mais qui en diffrent par la prsence d'une sorte de galerie couverte ou de hall dans lequel ont lieu les crmonies du culte et les danses ritueUes. A l'intrieur du. sanctuaire, dans le badji ou sobadji, on trouve des plates-formes en pis (j>), qui sont les autels sur lesquels sont dposs les . objets sacrs : pots, plats consacrs aux Jumeaux sacrs (plat-marasa) , pierres polies, hochets, cruches, etc. Des chromolithographies reprsentant des saints catholiques assimils aux dieux vodou sont accroches aux murs- autour des autels. Le culte des Iwa est aux mains de prtres (houngan) et de prtresses (mambo) !, qui sont assists par des hnsi (serviteurs ou servantes du dieu). Ces der niers se recrutent parmi les hommes et les femmes qui ont t initis par1 le matre du humfo et qui sont tenus de participer aux crmonies et aux danses clbres en l'honneur des dieux du sanctuaire. Les houngans et les mambos dignes de ce nom se refusent pratiquer la magie et utiliser 'les Iwa ache ts c'est--dire des mauvais , esprits que les sorciers se procurent par un , march criminel. Il faut donc distinguer le houngan du boko (sorcier), bien que les ennemis du vodou se plaisent' introduire une confusion entre les deux. . Nous avons respect l'anonymat de nos informateurs et des personnes dont ils nous ont- parl. Les noms dont nous les avons affubls sont bien ceux de personnes de la valle, mais. lgrement dforms et attribus d'autres individus. Nous esprons avoir ainsi dpist la curiosit indiscrte de ceux qui chercheraient les identifier. Le systme de transcription employ pour le crole est fond sur celui recommand par M. Laubach et qui, avec quelques modifications, est 1 Houngan et mambo sont deux noms employs si couramment dans les ouvrages consacrs Hati que nous avons conserv, dans ce texter leur forme francise.

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presque parfaitement phonmique. La nasalisation est indique pa un accent circonflexe. Les voyelles et sont ouvertes, le correspond au ou franais. LA CONCEPTION ANIMISTE DE LA NATURE La dcouverte de croyances animistes fortement accuses chez les paysans de Marbial, par ailleurs si dtachs de leur pass africain, n'a pas t une des moindres surprises de notre enqute. Les recoupements auxquels nous nous sommes livr ne laissent cependant aucun doute sur leur existence en tant que systme d'interprtation des phnomnes naturels. Comme un trs grand nombre de pratiques magiques ne s'expliquent qu' la lumire de cet animisme, il nous a paru ncessaire d'en donner un aperu en utilisant les interprtations des phnomnes naturels que plusieurs info rmateurs nous ont fournies spontanment, pour nous faire comprendre certaines coutumes et superstitions campagnardes. Les paysans qui n'affectent pas d'tre des gens clairs s'accordent dire que toute chose dans la nature possde une me (nm). Le soleil, la lune, la terre, la pluie, les sources, les plantes sont tous pourvus d'une me ou d'un esprit. Une de nos informatrices tablissait une diffrence entre un esprit et une nm. Tout ce qui dans la nature avait une vertu bienfaisante, telles par exemple les plantes alimentaires ou mdicinales, possdait un esprit , alors que les vgtaux qui n'taient d'aucune utilit n'avaient qu'une simple nm. Elle s'expliquait les effets alternativement bons ou mauvais de la chaleur solaire par la prsence simultane dans cet astre d'un esprit et d'une mov nm. Le premier nous claire et fait pousser les plantes, alors que' la seconde brle la vgtation, nous accable de ses rayons et donne la fivre. Quant la lune, qui est essentiellement bienfaisante, l'esprit qui est en elle rgle les sai sons, influe sur la menstruation et exerce une action fcondante. L'me de la terre. A ct del grande me de la terre (g nm t), chaque champ, chaque lopin de terre est anim par un esprit qui, agissant sur les plantes, e& assure la fertilit. Cette me de la terre n'est pas immatrielle, car le cultivateur qui, en plein midi, travaille dans son champ peut sentir sa prsence comme une brise qui caresse son visage ou voir son ombre se profiler derrire lui. Il a alors le sentiment qu'un tre invisible se tient ses cts. L'me du jardin protge et enrichit celui qui lui fait chaque anne, en dcembre, des offrandes de nourriture. Le manger de l'me , qui a lieu la nuit en plein air, comporte de la chair de buf, de chvre, de porc et de poulet, que l'on cuit dans une marmite neuve et dans laquelle on ajoute de l'acassan *, 1. Acassan, mets d'origine dahomenne, qui jouit d'une grande faveur en Hati. C'est de l'amidon et de la fine' farine de mas que l'on vend sous forme d'une pte paisse mais qui est ensuite dilu dans de l'eau ou du lait.

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du pain et des vivres 1. Le propritaire, qui est en mme temps l'officiant, prsente la marmite aux quatre points cardinaux et la dpose au fond d'un trou creus au milieu du lopin. Les personnes prsentes se prcipitent pour le combler, poussant du pied la terre qui en a t extraite, opration qui s'a ccompagne de chants de combite. On enterre ensuite sept picettes de 10 centimes. Aprs la crmonie, tout le monde se. retire en hte, sans regarder derrire soi, pour ne pas troubler l'esprit du jardin venu manger les offrandes qui lui ont t apportes. Un de nos informateurs nous a assur qu'avant la Renonce , lui et sa femme faisaient chaque premier janvier des offrandes l'me de la terre. Ils plaaient une calebasse contenant diffrents aliments acassan, biscuits, etc. et un gobelet plein de caf ou de rhum, sur un vv (dessin symbolique) trac avec de la cendre. Toute la famille s'agenouillait autour de son chef et rcitait avec lui deux Pater et deux Ave, puis tous faisaient le tour de la maison. L'officiant jetait la vole des aliments contenus dans une grande calebasse. Les enfants pouvaient en goter condition de ne pas oublier la divinit 2. L'offrande l'esprit du jardin peut consister simplement en grains sems au vent ou enfouis de prfrence un vendredi. Si l'esprit accepte le don qui lui est fait, non seulement il augmentera le rendement du champ sur lequel il veille, mais il ne se laissera pas enlever par ceux qui cherchent se saisir de lui pour l'attacher leur propre jardin. En effet, il existe toute une magie qui permet aux envieux et aux gens malhonntes de s'emparer de l'me du jardin, soit pour se l'approprier, soit simplement pour ruiner un rival trop pros pre. Toute magie a naturellement sa contre-partie. On peut se prmunir contre ces vols en ayant soin, aprs les semailles, de laisser aux quatre coins du champ des poquets vides et ouverts. L'me que l'on cherche emporter peut alors dire ses sducteurs : Comment pourrais-je vous suivre, vous le voyez bien, les semailles ne sont pas termines, les poquets sont encore ouverts. On recom mande aussi d'enterrer chaque coin du champ un petit poisson. Si les voleurs font miroiter l'me du terrain la perspective d'un bon repas, elle pourra rpondre : J'ai dj mang, mon pre est venu. Le stratagme dont les paysans usent est du mme type que celui auquel on a recours pour empcher que l'me d'un mort ne soit ravie par un sorcier. On lui donne galement des tches qui doivent la distraire pendant q'ue le boko dploie ses arts magiques pour la capturer (voir p. 154). Les champs sont parfois placs sous la protection de croix, leves aux points cardinaux, et au pied desquelles on enfouit des bouteilles contenant des graines 1 . On appelle vivres en Hati, les tubercules et les bananes bouillies qui forment le fond de l'alimentation. 2. Selon un autre informateur, au cours de la crmonie pour l'me de la terre, on lui offrirait du sang, des patates, du riz et du pain, qui sont jets dans une fosse creuse au milieu du champ. Ces rites propitiatoires devaient tre accomplis chaque anne sous peine de chtiments impitoyables.

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de mas et de millet. Les crnes de buf et les mchoires d'ne {kifoko) que l'on trouve si frquemment l'ore des champs jouent.le rle d'pouvantails magiques. On dit, lorsque les fourmis ravagent impunment un champ, que l'me en est partie. Il faut alors se hter de faire venir un houngan pour qu'il la rappelle ou pour qu'il y attache un autre esprit, sans quoi le sol ne retrouvera jamais sa fertilit. L'me de la pluie. L'me de la pluie fortifie l'me de* la terre qui, son tour, agit sur celle des plantes. Il existe des magiciens qui russissent, grce leur art, se rendre matres de la pluie et en disposent leur gr, gnralement au profit du plus offrant. Nous avons connu un de ces matres de la pluie , Examan, sur le compte duquel nous avons recueilli bon nombre d'informations, rassembles dans un chapitre part (p. x88). L'me de la. une. L'me de la lune fait sentir son influence sur les rcoltes, sur les femmes et sur le temps. Les rcoltes qui ont t semes au moment de la pleine lune risquent d'tre manges par l'me de la lune. Par contre, lorsqu'on choisit, pour semer, le troisime jour avant ou le neuvime jour aprs la pleine lune, poque laquelle la lune dort , on peut compter sur une belle moisson. Ces dates sont galement propices la conception des enfants et des animaux, t qui se distinguent alors par leur vigueur et leur belle apparence. L'me du tonnerre. Le bruit du tonnerre est produit par les mes des mchants qui, enchans par Dieu, cherchent se librer. Celles qui parviennent se dgager, de leurs liens traversent le ciel comme une trane lumineuse (clairs) et tombent sur la terre sous forme de pierres polies. Ces pierres de tonnerre sont en ralit des haches indiennes que les noirs trouvent dans leurs champs surtout aprs un orage, lorsque les pluies ont dlav le sol. Ces pices archologiques symbolisent diverses divinits du vodou et sont prcieusement gardes dans les sanctuaires, o elles baignent dans l'huile. Les houngans et les mambos en font le plus grand cas et s'en servent soit pour la divination, soit pour le traitement des malades. Les Pleiades. La constellation des Pliades ou la Poussinire exercerait une influence nfaste sur les humains et il est dangereux, surtout pour les enfants, de la regarder trop longuement. Cette constellation est -particulir ement aprs la mi-juin. nocive Vnus. Au tmoignage de quelques informateurs, il serait possible de faire descendre certaines toiles, en particulier Vnus, pour leur demander des fa veurs, telles que la fertilit pour le btail ou les champs. Il faut, pour attirer l'toile, une assiette blanche avec un uf et des bougies, ainsi que du tissu blanc, ronge et noir. Ces objets sont dposs sur une nappe tendue par terre. L'officiant se signe et pointe trois fois son doigt vers l'toile. L'astre se mani-

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feste dans l'assiette et on le reconnat un chiffre lumineux. C'est un 3 qui se transforme en 7 s'il accorde la requte qui lui est faite. Cette crmonie doit tre faite de prfrence un lundi, un mercredi ou un vendredi. Vnus apparat parfois aussi sous la forme d'une femme qui peut vous accor der bonne chance en amour. Sa faon, d'acquiescer -aux demandes qui lui sont adresses est de jeter la tte n arrire. Il est des gens qui brlent pour elle un cierge l'glise. ' " Une toile qui se lve vers minuit sans doute Verras appele pour cela toile minuit , nourrit les ignames, c'est--dire qu'elle les fait grossir. Elle est galement, propice aux giratrmons, aux calebassieTS, aux cocotiers et beaucoup d'autres arbres. Les Comtes. Les comtes passent pour favoriser le dveloppement des ftus, aussi bien ceux des tres humains que ceux des animaux. L'me de l'arc-en-ciel. A Marbial/ on m'a assur qu'il existait deux arcsen-ciel, l'un mle, l'autre femelle. Le premier se dissimule d'ordinaire derrire les nuages pour surveiller sa femme et on n'en voit qu'une extrmit. L' arc-en-ciel est un tre. dou de vie qui, afflig d'une soif insatiable, boit l'eau de la pluie et celle des sources, notamment celles des rivires qui prennent leur naissance dans le massif de la Selle. Il plonge ses extrmits dans le sol et absorbe le liquide longs traits. Il lui arrive parfois d'oublier prs d'une source l'un de ses bonnets multicolores.- Ceux-ci sont des talismans prcieux qui assurent la fortune ceux qui les trouvent, condition qu'ils par viennent dpister -en-ciel en brouillant soigneusement leurs traces. L'me des rivires et des points d'eau. Les lagunes, les sources et les cours d'eau ont, eux aussi, une me, qui parfois peut prendre l'apparence d'un pois sonou d'une anguille. Ces gnies des eaux n'aiment gure ceux qui leur manquent de respect en tenant dans leur voisinage des propos' orduriers. Ils marquent leur courroux par des boulements ou en envoyant des maladies ceux qui se sont rendus coupables d'une telle insulte. Toute rivire de quelque importance a une matresse (mts dlo). Ces divinits aquatiques aiment s'asseoir sur une roche au bord de l'eau pour peigner leur longue chevelure. C'est une bonne fortune que de les rencont rer, comme le prouve l'aventure de Surin Tanis, paysan de Marbial. Se pro menant le long de la Gosseline, il aperut une matresse de l'eau . Celle-ci, entendant du bruit, plongea en toute hte, oubliant sur un rocher le peigne en or avec lequel elle tirait ses belles boucles. Surin s'en empara et rentra chez, lui, heureux de cette aubaine/ Cette mme nuit, la matresse de l'eau lui apparut * en songe. rends-moi ce que tu as trouv. Tanis, en Regarde ce que je t'ai apport ; Elle lui tendit un paquet avec ses mots : se rveillant, dcouvrit prs de son lit un paquet plein d'argent, mais le peigne avait disparu. Il n'eut pas le regretter, car le don de la naade fut le commencement de sa fortune. .

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L'me des montagnes. L'me des montagnes est moqueuse, c'est pourquoi elle s'amuse rpter ce que l'on dit haute voix. L'me des plantes. II n'est animal ou plante qui n'ait une me . Celles des grands arbres mapous (Ceiba pentendra L.), sucrins (Inga ver a Willd.), bois d'orme (Guazuma ulmifolia Lam.) errent la nuit sur les routes. Par leur aspect monstrueux, elles terrorisent les voyageurs. L'me du bambou ne se manifeste que le 25 dcembre de chaque anne, date laquelle elle revt la forme d'une belle femme. Au cours de la nuit du 18 fvrier et de celle du 19 d cembre, les mes de certaines plantes malfaisantes se runissent, dit-on, au pied d'un grand mapou, pour y tenir une sorte de sabbat au cours duquel elles discutent des crimes qu'elles se proposent de commettre. Les mapous, ou fr omagers d'Hati, sont des arbres sacrs par excellence. Ils reoivent des offrandes et on brle des cierges leur pied. On raconte volontiers qu'ils se dplacent pour se rendre visite mutuellement et que le grand mapou Drandis, Marbial, s'est transport jusqu' Logane pour s'entretenir avec un congnre aussi haut que lui. Avant d'abattre un arbre, qui veut s'viter des dsagrments doit avertir l'me en donnant quelques coups sur le tronc avec le revers de sa hache. Par surcrot de prcaution, il rcitera une prire et invoquera le Saint-Esprit. Les effets bienfaisants de la nourriture sur l'organisme sont dus la prsence d'mes dans les plantes et les animaux. Une de nos informatrices, bien que pro testante, nous expliqua que les enfants grandissent parce qu'ils absorbent les esprits contenus dans les aliments. Ce ne sont pas les plantes mdicinales elles-mmes qui, par leurs vertus chimiques gurissent les malades, mais les esprits qui les habitent. Au moment de les cueillir, on rpte leur nom trois fois et on leur dit sur un ton imprieux : Je vous prends pour que vous gu rissiez un Tel. Allez le gurir tout de suite puisque je vous paie. On dpose alors une pice de cinq centimes auprs de la plante. On peut aussi leur donner, en guise de salaire, un caillou ou une graine, mais les plantes ne sont dupes que lorsqu'elles sont engourdies par le sommeil. C'est d'ailleurs quand elles dorment qu'il convient de les cueillir. Le dkt-fy (docteur-feuille, gurisseur) s'approche tout doucement de la plante dont il a besoin, pour ne pas effaroucher l'esprit qui est en elle, et, en l'arrachant, murmure : Lve-toi, lve-toi, va gurir un malade. Je sais que tu dors, mais j'ai besoin de toi. II doit ensuite s'loigner sans regarder derrire lui. Lorsqu'une plante meurt, son me la quitte pour former une plante nouvelle. C'est ainsi qu'aprs chaque rcolte les mes des vgtaux attendent la saison suivante pour aller animer d'autres fruits ou d'autres lgumes. L'me de la vermine. II est dans les animaux nuisibles, tels que rats, gupes, punaises et chenilles, une me mauvaise, qu'ils doivent Satan, qui les a crs dans un moment de dpit, pour faire pice Dieu. L'me des jours et des mois. Le caractre faste et nfaste des jours et des

CROYANCES MAGIQUES DANS LA VALLE DE MARBIAL

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mois nous a t expliqu comme tant la manifestation d'une me, bonne ou mauvaise, inhrente toute division du temps. Il existerait mme une diff rence de sexe entre les mes associes aux jours, celles des jours fastes (lundi, mardi, jeudi) tant fminines, celles des jours nfastes (mercredi, vendredi, samedi), masculines. Le dimanche, consacr au repos, serait le seul jour sans me . " Le vendredi est le pire des jours nfastes. C'est celui que choisissent les sor ciers pour leurs machinations et les diables et mauvais esprits pour leurs sabbats. - Durant les jours nfastes, on s'abstient de commencer une opration agri cole, de couper du bois, de ramasser des ufs, de croiser des animaux, ou de sortir la nuit tombe. Les enfants qui naissent un jour nfaste dve loppent facilement de mauvais penchants qui pourront faire d'eux des sorciers. Janvier, mars, mai, juillet, aot et octobre possdent une bonne me , ce qui n'est pas le cas des autres mois. Dcembre passe pour trs dangereux parce que la mov nm qui lui est associe a le pouvoir d'affaiblir la vertu des 'amulettes. Beaucoup de sorciers attendent cette poque de l'anne pour se livrer leurs malfices, sachant que ceux-ci seront d'autant plus efficaces qu'ils rencontreront moins de rsistance. Dcembre est considr pour cette raison comme le mois o se produisent le plus grand nombre de dcs dus des causes magiques. Les annes bissextiles sont dites annes filles et passent pour tre plu vieuses. La croyance aux influences des signes du zodiaque est, sans doute, l'origine des proprits que les paysans attribuent aux diffrents mois de l'anne. Fvrier, par exemple, mois que les sorciers prfrent pour prendre un point chaud , c'est--dire pour acqurir un pouvoir magique, confre ceux qui y sont ns des dispositions pour la magie. Avril est le mois des gourmands et des voleurs. Les avares naissent en juin, un mois qui lsine sur la pluie . L'me de la nuit. L nuit aussi a une me mauvaise , complice des sor ciers et des loups-garous. Les dangers qui menacent ceux qui s'arrtent un carrefour sont galement le fait des mauvaises mes (nm kafu) qui rsident ces endroits. Certains houngans s'adressent aux mes des carrefours pour soigner des maladies graves d'origine magique. CROYANCES ET PRATIQUES MAGIQUES Les dfenseurs du vodou font gnralement observer que les abus ou les crimes qui lui sont imputs ne concernent que la magie avec son ct sombre, envers de presque toutes les religions. Ils insistent, non sans raison, sur le fait que les sectateurs du vodou sont les premiers condamner la sorcellerie et qu'ils en ont une horreur plus profonde que ses dtracteurs. La magie blanche Socit des Amricanistes, 195}. , ' 10 .

SOCrT DES AMORICANSTES. et la magie noire',* qui ont prolifr' en marge- du.- vod