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Muse des Beaux-Arts de Caen / tude dune uvre : Le Prugin, Le Mariage de la Vierge / 2012 1

XVe sicle / Italie / Renaissance / Peinture dhistoire

Muse des Beaux-Arts de Caen salle 1 tude dune uvre

LE PRUGIN (Prouse, 1446 - Prouse, 1523)

Le Mariage de la Vierge (ou Le Sposalizio)

1500 - 1504

Fiche technique uvre sur bois de peuplier. Tempera (peinture base d'uf) et rehauts l'huile 2,36 x 1,86 m


LEMENTS BIOGRAPHIQUES 1446 ( ?) : naissance de Pietro Vannuci Citt della Pieve, prs de Prouse, en Ombrie. Formation Prouse, puis Arezzo, prs du peintre Piero della Francesca. 1470-72 : poursuit sa formation dans latelier de Verrocchio, Florence, sans doute en compagnie de Lonard de Vinci. 1473 : peint lHistoire de Saint Bernardin, 8 panneaux peints tempera. 1478 : fresques de Cerqueto. 1481-82 : avec Ghirlandaio, Botticelli, Rossellini et Signorelli, Le Prugin participe la dcoration de la chapelle Sixtine, pour laquelle il ralise 6 fresques, dont la Remise des clefs Saint Pierre (voir Repres). 1482-1484 : frquents voyages entre Rome, Florence et Prouse. 1485 : Le Prugin est nomm citoyen dhonneur de Prouse (ce qui lui valut son surnom de Prugin). 1489-1500 : priode dintense activit. Possde deux ateliers, lun Prouse, lautre Florence. Peint des tableaux dautel en srie. Il est considr alors comme le plus grand peintre dItalie. On vient de France, dEspagne, dAllemagne pour ltudier. Il invente un style propre qualifi de maniera dolce (manire douce), caractrise par lquilibre des compositions, un dessin lgant, une couleur claire et lumineuse, des figures emplies dune douceur anglique. 1492 : collaboration la dcoration du Vatican pour le couronnement du pape Alexandre VI Borgia. 1497 : Raphal est accueilli dans son atelier et devient son lve. Peint le Polyptyque de Fano. 1496-1500 : dcoration du Collegio del Cambio (salle daudience du tribunal de commerce de Prouse). 1500-1504 : peint Le Mariage de la Vierge, command par le Confrrie de Saint-Joseph pour lautel du saint anneau de la cathdrale san Lorenzo de Prouse. 1503 : peint le Combat de lamour et de la chastet, command par Isabelle Gonzague. 1508-1510 : dernier voyage Rome, o il dcore les votes de la Chambre de lIncendie au Vatican, mais des critiques dfavorables lobligent interrompre son travail. Durant ses quinze dernires annes, il ne travaille plus qu'en Ombrie. 1523 : meurt de la peste Fontignano prs de Prouse. Le Prugin est oubli aux XVIIe et XVIIIe sicles, puis redcouvert au XIXe sicle.


Cathdrale de Prouse

TUDE DE LUVRE

Prsentation Il s'agit d'un tableau d'autel command en 1489 pour la chapelle saint-Joseph de la cathdrale de Prouse, o tait conserve la relique du saint anneau de la Vierge. La Confrrie de Saint Joseph avait dabord pass commande Pinturrichio, puis au peintre Caporali, mais les deux artistes se dsistent. Cest seulement en 1499 que le travail est confi au Prugin.

De Prouse au muse de Caen Le tableau reste en place dans la cathdrale San Lorenzo de Prouse jusqu'en 1797. Il est enlev puis expdi Paris par les armes franaises de Bonaparte au cours de la campagne d'Italie, le 24 fvrier 1797. Malgr les rticences locales, les pripties du voyage en bateau de Livourne Paris, les caisses arrivrent Paris et furent inventories le 2 aot 1798. Le 18 brumaire an VII (8 novembre 1798), l'uvre figure au Museum central des Arts une exposition des principaux tableaux recueillis en Italie. Le 11 pluvise an XII (1er fvrier 1804) elle est dfinitivement attribue au muse de Caen, l'une des quinze villes universitaires que le Consulat voulait honorer de ses libralits. Elle est expose avant mme l'ouverture du muse en 1809. Entre 1814 et 1816, la municipalit de Prouse tenta de rcuprer le prcieux tableau, mais sans succs.

Cadre Le Mariage de la Vierge ne possde plus son cadre d'origine, mme si certains de ses composants (les colonnes torses) datent de l'poque du tableau. Il est nanmoins assez proche de ce que l'on trouvait l'poque dans cette rgion d'Italie. La forme du cadre rappelle la destination d'origine du tableau : l'arcature tait destine une meilleure intgration dans l'architecture.

Sujet La scne reprsente la crmonie du mariage de la Vierge telle qu'on la trouve dcrite dans des textes apocryphes, par exemple dans La Lgende dore de Jacques de Voragine, ouvrage de compilation du XIIIe sicle : cette lgende raconte que les Juifs ayant fait appel Dieu pour choisir lpoux de Marie, celui-ci leur dit que parmi les prtendants, l'lu serait celui qui verrait fleurir la baguette de bois dont il avait t pri de se munir. Contre toute attente, cest Joseph, malgr son ge (environ 80 ans l'poque des faits), qui est dsign comme le futur poux de Marie. La crmonie se droule lextrieur du temple. Cette situation est mettre en relation avec la pratique du mariage en Italie la fin du moyen-ge : dans les tats italiens, l'glise ne contrlait pas encore compltement la crmonie du mariage comme c'tait alors le cas dans d'autres parties de l'Occident chrtien. En France par exemple, ce contrle religieux du mariage s'installe au cours du XIIe sicle. Avant d'tre une crmonie religieuse, le mariage dans la tradition romaine tait un contrat priv pass entre deux familles et les pousailles se droulaient chez des particuliers ou sur le seuil des maisons. Plus tardivement - et le tableau en est un tmoignage - la crmonie se droula sur le seuil des glises avant de devenir une crmonie ritualise l'intrieur des btiments religieux. Le grand prtre Zacharie prside la crmonie et est situ au centre de la scne. A gauche du prtre se trouve Joseph, sa droite Marie. Derrire Joseph, un groupe d'hommes plus jeunes est tmoin de la scne ; selon la lgende, il s'agirait d'autres prtendants de Marie vincs parce que leur rameau n'a pas refleuri, contrairement celui de Joseph, ainsi dsign par Dieu pour pouser la Vierge. On voit ce fameux rameau dans la main gauche de


Joseph, alors que les prtendants brisent le leur par dpit. Derrire Marie, un groupe de femmes assiste galement la crmonie. Il s'agit notamment des vierges consacres au temple de Jrusalem, qui ont t leves avec Marie. Le peintre se serait lui-mme reprsent dans la scne, puisquon a cru le reconnatre dans le quatrime personnage en partant de la gauche. Situ juste au-dessus de ladolescent qui brise son rameau, il semble dailleurs rompre le rythme instaur entre les figures, places en quinconce. Seul ce visage, plus sombre, surgit juste au-dessus dun autre et introduit une irrgularit dans la disposition des personnages. Notons au second plan la prsence de personnages postrieurs lpisode principal : on aperoit en effet Jsus au second plan sur la gauche et peut-tre Jean-Baptiste, assis sur les marches du temple.

Composition Le tableau est trs construit : cest une uvre symtrique, d'un ct les hommes, de l'autre les femmes, l'axe central passant au centre du btiment, puis par la pointe du chapeau du grand prtre Zacharie, son nez, sa barbe, sa ceinture et enfin entre l'cartement de ses pieds. On distingue 4 plans : au premier plan, la scne du mariage, avec les personnages principaux, prsents en frise avec le grand prtre Zacharie au centre, Joseph gauche, qui passe lanneau au doigt de Marie, place droite. Au deuxime plan, l'espace entre la scne et le btiment ; au troisime plan, l'architecture et enfin, le paysage, le lointain. Cette stricte ordonnance est assouplie par le mouvement des deux jeunes hommes qui cassent leur rameau sur la gauche et par la posture dhanche de quelques uns des personnages du 2me plan. Conjugus aux plis des vtements, ces mouvements crent des lignes serpentines qui dynamisent la scne et laniment.

Lumire et couleurs La palette est vive et lumineuse. La lumire provient du ct gauche du tableau, do un clairage ingal de ses diffrents lments. Certains sont aurols de lumire : cest le cas notamment des visages et des corps des femmes au premier plan, de la place pave et du ct gauche du temple. Lclairage est moins intense sur la partie droite du temple, ainsi que sur les visages des hommes.

Une uvre caractristique de la Renaissance

1. Place de lhomme Le sujet de luvre est religieux. Pourtant, une place importante est faite lhomme, son corps et la nature. En tmoignent le soin apport au rendu des vtements et des parures, leurs coloris varis, la dlicatesse de la carnation des visages, en particulier ceux des femmes, nimbs de lumire. Les traits, pourtant idaliss, sont bel et bien de chair. Les vtements ne masquent pas totalement les lignes des corps. A la richesse des chapeaux des hommes rpondent les coiffures recherches des femmes. Les visages ne sont ni asexus, ni sans ge : la diffrence dge entre Joseph et Marie est montre. La palette sest considrablement largie. Au-del de leur valeur symbolique (le rouge et le bleu sont traditionnellement associs Marie), les couleurs ont galement une fonction esthtique et leur application nuance contribue la construction des volumes et de lespace. Ceci est particulirement visible sur les vtements et sur le ciel du fond, et dans une moindre mesure, sur les visages. Enfin, la diffrence des uvres religieuses mdivales, le dor a ici disparu, de mme que les auroles. Ainsi, la vocation religieuse du tableau nexclut plus lattention la nature et lhumain et le souci dune certaine fidlit la ralit perue.


Rome, Tempietto, Donato Bramante, vers 1510 San Pietro in Montorio

Sarcophage romain, Pise, Campo Santo

Florence, dme de Santa Maria dei Fiori, Brunelleschi

2. Rfrences lAntiquit Les rfrences l'art antique, considr la Renaissance comme un idal, apparaissent dans plusieurs lments majeurs du tableau :

les personnages : dans leurs attitudes (dhanchement, effet de contraposto) et les draps de leurs vtements, les figures du premier plan voquent la statuaire antique (Donatello ds la premire moiti du XVe sicle revivifie cet hritage) tandis que la disposition en frise du groupe rappelle l'organisation des figures sur les sarcophages (les exemples romains de Campo Santo Pise taient l'poque trs connus).

l'architecture du temple : ce btiment de plan octogonal, centr, flanqu de quatre porches et surmont

d'une coupole dont seule la base est visible est une version simplifie de l'difice peint dans La Remise des cls saint Pierre. Les historiens ont pens que Prugin avait pu utiliser une mme maquette en bois. Avec ses pilastres et ses piliers, ses baies rgulires et hirarchises, le btiment use d'un vocabulaire antique remis au got du jour par les architectes du Quattrocento. Par ailleurs, le plan centr du temple est typique de l'architecture des glises bties sous l'influence d'Alberti et de Brunelleschi qui radaptent le plan des baptistres romains et des temples circulaires. Enfin, la coupole que l'on devine ressemble celle de Santa Maria dei Fiori (1420 -1436) Florence, conue par Brunelleschi qui sinspire des grandes coupoles antiques. Evocation idale du temple de Jrusalem, il traduit admirablement la volont de conciliation des hritages chrtien et antique propre la Renaissance. Le Tempietto de San Pietro in Montorio construit Rome vers 1510 par Bramante en marquera le parfait aboutissement.

la composition d'ensemble : par son quilibre mesur, sa rigoureuse symtrie et ses proportions harmonieuses, l'uvre est fidle l'esprit de l'Antiquit ptri de de mathmatiques et qui a foi en un ordre rationnel du monde.

3. Construction de lespace La perspective linaire Contrairement aux uvres sur fond dor prsentes dans la mme salle, Le Prugin entrane ici notre regard vers un lointain. Il utilise la perspective linaire pour reprsenter un espace tridimensionnel, grce la construction du tableau partir dun point de fuite central et de lignes convergentes. C'est au Quattrocento que peintres et architectes italiens vont thoriser le mode de reprsentation gomtrique de l'espace que l'on appelle la perspective linaire. Larchitecte Brunelleschi en dcouvrit le procd dans une exprience de 1415 reste clbre et Alberti en fit la thorie en 1435 dans son trait Della Pittura. Il sagit dune perspective mono focale (un seul il) : la scne est reprsente telle que la verrait lil dun spectateur immobile, situ face elle, au centre. Elle sappuie sur une mthode de construction rigoureuse du tableau.


< Prugin Saint Jrme dans le dsert

Copie daprs Lonard de Vinci > La Vierge aux rochers

Architecture et paysage Dans cette uvre, le point de fuite se situe dans l'ouverture centrale du btiment. Il est encadr et soulign par la porte du temple, comme une Vedute, un tableau dans un tableau. Il est montr comme le point central et essentiel de cette uvre. Par ce procd gnial, le spectateur se trouve projet littralement lhorizon, dans linfini de lespace. Le dallage situ au 2me plan accrot encore limpression de profondeur. Les lignes des dalles convergent vers le point de fuite et conduisent le regard. De plus, lesplanade situe au 2me plan joue un rle dynamique, puisquelle mnage la transition entre deux espaces qui sont en ralit dissemblables. En effet, mme si lespace reprsent selon les conventions de la perspective linaire se veut conforme la ralit perue, les peintres prennent parfois quelques liberts avec la rigueur mathmatique du procd pour faire entrer la scne dans le tableau. Cest le cas ici : le temple n'est pas dans la continuit spatiale de la scne du premier plan, il est trop haut, mais le dallage du second plan permet de relier ces deux espaces et permet au regard de passer de lun lautre. Le paysage lui-mme est mis au service de la reprsentation de lespace : il sagit dun paysage idal, construit pour accentuer la perspective. Les collines servent dcrin larchitecture et guident le regard vers le point de fuite. Ajoutons enfin que la taille des personnages est galement utilise pour signifier lloignement et suggrer lespace. Perspective atmosphrique La couleur est galement mise contribution dans cette magistrale construction de lespace du tableau : les coloris nuancs des vtements et des carnations crent limpression de volume. Le traitement du paysage et du ciel contribue aussi limpression de profondeur, selon une perspective dite atmosphrique dont le principe a t formul par Lonard de Vinci : lloignement est signifi par un estompement progressif de la couleur, que ce soit dans les verts du paysage ou dans le bleu du ciel. Les lointains sont traits en gris-bleut, donnant une impression de transparence. La perspective atmosphrique est utilise galement dans dautres uvres de la salle 1, notamment Saint Jrme dans le dsert du Prugin et La Vierge aux rochers, copie daprs Lonard de Vinci.


Un itinraire spirituel Je suis la porte. Si quelquun entre par moi, il sera sauv

Evangile selon Saint Jean, 10-9

travers la construction savante dun espace, Le Mariage de la Vierge nous propose aussi un itinraire spirituel, que lon dcouvre en suivant la trajectoire de notre regard : en premier lieu, lil est attir par le premier plan, o convergent des hommes et des femmes assembls. Puis, les empicements noirs de la robe du grand-prtre font apparatre les mains des futurs poux et le passage de lanneau nuptial. Par la pointe de son couvre-chef, la figure du prtre nous indique ensuite la porte centrale du temple. De l enfin, le regard est men vers lhorizon, o tout repre disparat dans une aveuglante clart. Il sagit donc dun mariage, mais le mariage chrtien est plus que lunion dun homme et dune femme. Ainsi larchitecte Christian de Portzamparc a-t-il pu qualifier ce tableau d ascenseur dans un article de la revue Connaissance des arts (n384, 1984) intitul Lespace dun tableau : par le sacrement religieux, ici incarn par les figures du grand-prtre et du temple, le mariage est aussi lunion des hommes et de Dieu par lintermdiaire de lEglise. Structure ascendante donc, o homme parmi les hommes, le spectateur se trouve lev vers Dieu selon laxe vertical du tableau, par lequel le ciel et la terre communiquent. Cest vers linfini que le regard est dirig, par lequel lamour devient charit.


REPERES

Le Quattrocento En italien quattrocento signifie les annes 1400 ce qui correspond au XVe sicle. LItalie connat alors une grande mutation artistique : la premire Renaissance. LAntiquit devient le modle absolu des artistes et la philosophie humaniste place lhomme au centre du monde. Au symbolisme religieux du Moyen Age se substituent le naturalisme et la rationalisation de lespace visuel. Un art nouveau slabore fond sur la reprsentation de la nature, ltude de la gomtrie et de la perspective et lquilibre des proportions. On sloigne alors peu peu du gothique international qui domine encore partout en Europe. Les tendances nouvelles voient dabord le jour Florence, o larchitecte Brunelleschi (1377-1446) recherche des volumes simples et met au point des techniques de dessin et de projection scientifiques. Alberti (1404-1472), thoricien et savant rdige des traits qui dfinissent cette nouvelle conception des volumes. Les sculpteurs Ghiberti (1378-1455) et Donatello (1386-1466) puisent dans les modles antiques un nouveau rpertoire de formes et de thmes. Dans le domaine de la peinture Masaccio (1401-1429) dfinit lidal de la Renaissance par lobservation de la nature et le rendu illusionniste des figures et de lespace. Ucello (1397-1475) et Piero della Francesca (vers 1415-1492) mettent en pratique la science de la perspective et du raccourci. () Aprs 1450, les expriences florentines se propagent. Les cours princires, en qute de prestige, font appel aux artistes renomms. La diffusion rapide de ces nouveauts sexplique par le climat dmulation entre les diffrentes cours italiennes, cest dans ce climat artistique que souvre la Renaissance proprement dite. Source :http://www.rmn.fr/francais/decouvrir-l-histoire-de-l-art/par-periode/le-quattrocento

La perspective Cest le nom donn la technique qui permet de reprsenter des objets ou des espaces en trois dimensions sur une surface plane, en recrant lillusion optique de lespace et du volume. Au moyen-ge, lespace reprsent ne correspondait pas lespace vu par lil humain. La fidlit la nature ntait pas la priorit des artistes. Ils privilgiaient plutt, soit la signification religieuse de la scne reprsente, soit sa valeur dcorative. Ainsi, la taille des personnages tait dtermine par leur position dans la hirarchie sociale ou religieuse. Le peintre racontait avant tout une histoire, dans laquelle chaque personnage, chaque lieu et objet avait une valeur symbolique. Ctait principalement celle-ci qui dterminait tant leur taille que leur couleur. Les personnages taient souvent placs quasiment sur un mme plan, matrialis par un fond dor quand le sujet tait religieux (hritage de la peinture et des mosaques byzantines). Ces mmes personnages pouvaient tre empils les uns sur les autres et apparatre plusieurs fois selon les besoins du rcit. Lhistoire raconte et le sens primaient toujours sur la vraisemblance spatiale. On appelle parfois cette faon de reprsenter lespace perspective signifiante . la Renaissance, les artistes commencent utiliser une perspective dite linaire ou fuyante. Selon cette perspective, plus les objets sont loigns dans lespace, plus ils semblent petits. Les lignes qui sont parallles dans la ralit convergent vers un point de fuite sur le dessin. Cette technique permet au peintre de reproduire la ralit telle que lhomme la peroit. Elle est lie au dsir de reprsenter fidlement le monde sensible. Elle demande de la rigueur et une construction gomtrique du tableau. Malgr la mise au point de la perspective linaire la Renaissance, on saperoit que celle-ci ne suffit pas crer lillusion despace. Elle convient bien pour reprsenter un espace proche, mais ne parvient pas figurer lespace lointain (au-del dune certaine distance, les lignes de fuite se rejoignent sans pouvoir prolonger limpression dloignement). Les artistes ont donc utilis un autre systme de perspective complmentaire, la perspective dite atmosphrique ou arienne , formule en premier par Lonard de Vinci : plus un plan est proche, plus il apparatra sombre et contrast ; plus il est loign, plus il apparatra clair et estomp. Le peintre joue avec des dgrads et leffacement progressif des couleurs. Il peut galement jouer avec les tons de couleurs : les couleurs chaudes sutilisent au premier plan et les couleurs froides (vert et bleu) suggrent lloignement du fond.


Le texte de rfrence : La Lgende Dore de Jacques de Voragine Jacques de Voragine (v. 1230-1298), moine, professeur de thologie, prdicateur, hagiographe italien, archevque de Gnes. Il commence en 1250 la rdaction de la Lgende dore dcrivant l'origine de la Sainte Croix, dont le premier manuscrit parat en 1260. Il se consacrera cette tche jusqu' sa mort. La Lgende dore est une compilation des vies lgendaires et miraculeuses des saints et saintes du calendrier liturgique. Un des grands classiques de la littrature chrtienne populaire, ce recueil de rcits hagiographiques marque une des premires tentatives de lacisation de la littrature religieuse. L'ouvrage connut une immense popularit en rendant la religion plus ingnue, plus populaire, et plus pittoresque. Elle ne put cependant rsister, au XVIe sicle, au moment de la Rforme, la critique des humanistes qui lui reprochaient de colporter des rcits sans fondements historiques et de propager, travers le culte des saints, une nouvelle forme d'idoltrie. La Lgende Dore nest pas un recueil de lgendes (en ralit, Legenda Sanctorum signifie: lectures de la vie des saints - Legenda est ici l'quivalent du mot lectio), cest essentiellement une tentative de vulgarisation, de lacisation, de la science religieuse. Bien d'autres thologiens, avant Jacques de Voragine, avaient crit non seulement des vies de saints, mais des commentaires de toutes les ftes de l'anne. Mais tous ces ouvrages s'adressaient aux thologiens, aux clercs ; la Lgende Dore s'adresse aux lacs. Elle a pour objet de faire sortir, des bibliothques des couvents, les trsors de vrit sainte qu'y ont accumuls des sicles de recherches et de discussions, et de donner ces trsors la forme la plus simple, la plus claire possible, et en mme temps la plus attrayante: afin de les mettre la porte d'mes naves et passionnes qui aussitt s'efforcent, par mille moyens, de tmoigner la joie extrme qu'elles prouvent les accueillir. Extrait La nativit de la Bienheureuse Vierge Marie : source du Mariage de la Vierge Fille d'Anne et de Joachim, Marie a t place trs jeune au temple pour y tre leve dans la religion avec d'autres jeunes filles vierges. A leur quatorzime anniversaire, le pontife les invite rentrer dans leur famille pour se marier. Toutes obissent sauf Marie qui souhaite rester au service du Seigneur. Ne sachant que faire, le pontife demande leur avis aux anciens de la communaut. leur avis unanime fut que, dans une affaire si dlicate, on devait consulter le Seigneur. Or, comme on tait en prire et que le pontife s'tait approch pour connatre la volont de Dieu, l'instant, du lieu de l'oratoire, tout le monde entendit une voix qui disait que tous ceux de la maison de David qui, tant disposs se marier, ne l'taient pas encore apportassent chacun une verge l'autel, et que celui dont la verge aurait donn des feuilles, et sur le sommet de laquelle, d'aprs la prophtie d'Isae, le Saint-Esprit se reposerait sous la forme d'une colombe, celui-l, sans aucun doute, devait se marier avec la Vierge. Parmi ceux de la maison de David, se trouvait Joseph, qui, jugeant hors de convenance qu'un homme d'un ge avanc comme lui poust une femme si jeune, cacha, lui tout seul, sa verge, quand chacun avait apport la sienne. Il en rsulta que rien ne parut de ce qu'avait annonc la voix divine ; alors le pontife pensa qu'il fallait derechef consulter le Seigneur, lequel rpondit que celui-l seul qui n'avait pas apport sa verge tait celui auquel la Vierge devait tre marie. Joseph, ainsi dcouvert, apporta sa verge qui fleurit aussitt, et sur le sommet se reposa une colombe venue du ciel. Il parut vident tous que Joseph devait tre uni avec la Sainte Vierge. Joseph, s'tant donc mari, retourna dans sa ville de Bethlem afin de disposer sa maison et de se procurer ce qui lui tait ncessaire pour ses noces. Quant la Vierge Marie, elle revient chez ses parents Nazareth avec sept vierges de son ge, nourries du mme lait et qu'elle avait reues de la part du prtre pour tmoigner du miracle.


Prugin, La Remise des cls saint Pierre, Rome, Vatican, chapelle Sixtine

Prugin, AutoportraitCollegio des Cambio, Prouse

POUR UN DIALOGUE ENTRE LES UVRES

Du mme artiste Au muse des Beaux-Arts de Caen

Saint Jrme dans le dsert, vers 1499-1502 [salle 1] : pas de perspective linaire ni d'architecture structurante, mais deux espaces juxtaposs, spars par l'arbre central. L'espace lointain, profane, est trait selon une perspective arienne.

Dans d'autres muses

En ce qui concerne lespace, larchitecture du temple et la position des figures, on pourra comparer Le Mariage de la Vierge une autre uvre du Prugin : La Remise des clefs saint Pierre, 1481-82, Rome, Vatican, Chapelle Sixtine.

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On pourra aussi comparer le visage du personnage situ dans Le Mariage de la Vierge en 4me position en partant de la gauche avec lAutoportrait du Prugin du Collegio del Cambio de Prouse, dat de 1497- 1500 et avec le 5me personnage en partant de la droite reprsent dans situ La Remise des clefs saint Pierre.

Sur le mme thme

Au muse des Beaux-Arts de Caen Paris Bordn, Le Mariage de la Vierge, (vers 1540) [salle 3] :

On y observera la mme prsence centrale du grand-prtre, runissant Marie et Joseph, dans une mise en scne beaucoup moins solennelle, plus intimiste, situe cette fois en intrieur. On pourra galement noter une prsence discrte du dcor, le peintre se concentrant davantage sur les acteurs de la scne, disposs sur un rang, mais dans des poses souples et enchanes, proches de la danse. Le mouvement des futurs poux est presque arien, dinspiration maniriste. Les coloris sont dlicats et fondus, en opposition aux couleurs clatantes et tranches du tableau du Prugin.

Dans d'autres muses

Raphal, Spozalizio (1504), conserv la Pinacothque de Milan : composition plus dynamique, avec des personnages de premier plan qui ne sont pas traits en frise, mais avec un volume accentu et en mouvement. L'espace intermdiaire s'agrandit, le temple recule, mais le lointain et la perspective arienne ne captent plus le regard.


Dans la mme salle Pour saisir la rvolution picturale qui sopre la Renaissance, il est instructif de comparer luvre de Prugin et celle des artistes qui sinscrivent dans la tradition de la fin du moyen-ge.

- Barnaba da Modena (1361 1383), Crucifixion avec la Vierge et saint Jean, 1328-1330 - Taddeo di Bartolo, Sainte Catherine dAlexandrie, 1422 - Andrea di Bartolo, Saint mi-corps tenant un livre, 1428

Prugin (1446 1523), Le Mariage de la Vierge, 1500-1504

Espace

Fonds monochromes et sans nuance. Avant la Renaissance, l'illusion d'un espace rel n'est pas le souci du peintre (remarquez quelques effets de volume dans les uvres les plus anciennes).

la Renaissance, notamment grce aux recherches mathmatiques sur la perspective, les peintres vont tenter de reprsenter sur la surface du tableau des espaces tridimensionnels. Pour Alberti, le tableau est une fentre ouverte sur le monde . Espace sacr, qui n'a rien voir avec l'espace de la ralit.

Couleurs et

fonds

Les premiers tableaux chronologiquement ont un nombre restreint de couleurs. Elles sont souvent appliques en aplat (surface de couleur sans nuance). Le fond est toujours dor comme dans la tradition des icnes byzantines. Ces couleurs sont symboliques, et non ralistes.

A partir du Mariage de la Vierge, les choses changent trs nettement : la palette se diversifie. On sent que, mme si les couleurs restent symboliques (ex. : le manteau de la Vierge, traditionnellement bleu), la reprsentation semble moins codifie. La varit des couleurs ainsi que certaines juxtapositions aident crer une impression de volume. Le paysage de fond est trait selon une perspective atmosphrique.

Personnages

Les personnages restent figs. Pas de mouvement, juste des figures. Ils sont identifiables par leurs attributs, pas par leur visage. Ainsi, leur caractre sacr est indiqu par une large aurole dore.

Ds le Quattrocento, les personnages semblent plus rels, plus en mouvement. Ils sont moins des figures, ils prennent corps . En effet, Alberti, premier thoricien de l'art (Della pictura), dans ses conseils aux peintres, prconise de copier la nature, certaines normes de reprsentation vont donc tre abandonnes. Les auroles et autres signes traditionnels du sacr tendent disparatre progressivement.

Un certain nombre de points communs nen demeure pas moins entre ces uvres : Il sagit toujours duvres religieuses, sur panneau de bois, peintes pour des lieux lis au culte. La plupart sont des parties de polyptyques qui sintgraient dans une architecture prcise. Elles n'ont pas t conues en tant quuvres autonomes, mobiles comme pourraient le faire penser laccrochage sur les cimaises du muse.

ATTENTION ! Avant toute visite, assurez-vous que les uvres sont bien exposes dans les salles. Certaines peuvent tre en restauration ou prtes pour une exposition.


BIBLIOGRAPHIE / WEBOGRAPHIE Les uvres prcdes de * sont disponibles la bibliothque du muse des Beaux-Arts de Caen.

* Le Prugin, Exercices sur lespace, ditions Caen Muse des Beaux-Arts, 1984 : livre 184 pages, trs complet

Le Prugin, Exercices sur lespace, ditions Caen CRDP, 1987 (livre 88 pages + 24 diapositives)

* Franoise Debaisieux, Caen, Muse des Beaux-Arts. Peintures des coles trangres, ditions de la RMN, Inventaires des collections publiques franaises, Paris, 1994

* Grard Legrand, Lart de la Renaissance, ditions Larousse Bordas, Collection Reconnatre et

Comprendre , Paris, 1999

Site disciplinaire de lacadmie de Versailles : prsentation Powerpoint du tableau du Prugin La Remise des clefs Saint Pierre : www.histoire.ac-versailles.fr/IMG/ppt/peruginpresentation.ppt

Documents sur Le Prugin, Le Mariage de la Vierge, et autres uvres du peintre sur le site :

www.cineclubdecaen.com

Luvre murale du Prugin et Pinturicchio (et documents sur le Quattrocento) sur le site : www.aparences.net/les-fresquistes-florentins/loeuvre-murale-du-perugin-et-pinturicchio

INFORMATIONS PRATIQUES Muse des Beaux-Arts - Le Chteau 02 31 30 47 70 - www.mba.caen.fr Pour organiser votre venue au muse (visite libre, visite-commente, visite-croquis, projet particulier), merci de contacter le service des publics :

[email protected] / 02 31 30 40 85 (9h-12h du lundi au vendredi).

NOTER ! Documents pdagogiques complmentaires disponibles sur le site du muse : www.mba.caen.fr