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II M asées sargis des profondears Mme Honor Frost, hninmt urchéoLogue, pionni2re de 1 'urchéoLogie mb- aquatique en Méditerranée, éditrice de ltimportunte publicution de L'Unesco L'archéologie subaquatique : une discipline naissante ( 1 9 73 ) , nous fait part des réjfexions suiuantes. Les navires, délivrés des frontières sur l'océan, traversent égale- ment celles, métaphoriques, des exploits de l'homme grâce aux talents et aux techniques nombreuses et variées employés à leur perfectionnement ; ils sont sa construction la plus noble. Épave au fond de la mer, chaque vaisseau antique est un Pompéi en miniature, disparu tragiquement à un moment précis dans le temps, renfermant toujours les secrets d'une civilisation. Du point de vue archéologique et muséologique, ce monde clos, cette bulle du temps, représente un défi, car, même lorsque le bois s'est détérioré (comme c'est le cas pour certaines épaves), ce qui subsiste du vaisseau et de son contenu reste toujours une unité, autrement dit, en jargon archéologique, un ensemble autonome. Les autres antiquités submergées - les ports, les ancres perdues, les marchandises rejetées par la mer, etc. - res- tent toutes, dans une certaine mesure, ancillaires des épaves. En tant que discipline, l'archéologie ne change pas, qu'elle soit pratiquée dans un milieu humide ou sec, cependant l'expo- sition de petits Pompéi )) soulève de nouveaux problèmes muséologiques du point de vue éthique, technique et légal. Dans les pages suivantes sont décrits certains musées de bateaux remarquables, mais jusqu'à présent chacun de ces musées n'a pu apparaître qu'à la suite de circonstances locales exceptionnelles. L'exposition d'épaves en tant que concept n'a pas encore pris forme. Exceptionnellement, une épave peut ren- fermer un objet d'art, mais les objets d'art ont, de toute façon, leur vie propre et sont autonomes dans n'importe quelle con- texte d'exposition. Dans ce cas comment imaginer un musée surgi des profondeurs ? Est-ce seulement la peine d'essayer? L'ar- chéologie subaquatique est-elle un phénomène de mode ? Pour trouver des réponses, examinons la situation actuelle. La récente popularisation d'un sport (la plongée sous-marine) a en quelque sorte accidentellement attiré l'attention sur les bateaux comme antiquités en révélant un grand nombre d'épa- ves antiques au fond de la mer. Le public devint alors conscient de la facilité d'accès de ces (( trésors H. Parmi les spécialistes, il y eut une nouvelle flambée de l'intérêt pour l'architecture navale, qui s'était considérablement relâché avec la disparition du bateau en bois, mais peu leur importait la provenance de l'information, car les bateaux submergés, en tant qu'objets façonnés, ne représentaient pas plus d'intérêt que les embarca- tions antiques retrouvées sur la terre ferme dans des bassins de ports ensablés ou des tumulus viking, ou dans des sites sacrés tel le (( navire de Chéops ou bien en train de pourrir près de la côte, comme le Greut Britain, la grande innovation du XIX~ siicle de Brunell. La différence essentielle entre les sites humides et les sites secs est que, selon les statistiques, les premiers sont beaucoup plus nombreux. I1 n'y aura jamais autant de bateaux sur terre qu'il y a d'épaves antiques actuellement connues sur les fonds marins. Un autre facteur concernant les muséologues est qu'aucune fouille d'épave ne devrait être partielle. A la différence des villes ensevelies, l'on se limite délibérément en creusant les fossés de manière à laisser quelque chose pour la postérité, dégager seulement une partie d'un bateau serait aussi insensé que de dégager uniquement les roues d'une voiture ensevelie, sans poursuivre les recherches pour retrouver le moteur qui les faisait tourner. Cependant les dimensions des vaisseaux entiers soulè- vent la question de la construction de musées spéciaux. Bien sûr, la découverte d'une épave n'entraîne pas forcément sa mise au jour, mais elle impose un choix et, si les critères nécessaires à un tel choix ne sont pas établis, les générations futures seront des juges sévères. On ne peut pas empêcher les découvertes et, dans l'état actuel des choses, les épaves seront pillées ou remon- tées à la surface. Mais seront-elles accessibles au public et expo- sées ? Dans les années 40-50, les premiers adeptes de la plongée sous-marine ont déposé des antiquités incrustées d'algues aux pieds des autorités du plus proche musée, confiants et persuadés qu'il leur serait témoigné de la gratitude. Ils furent souvent déçus; leurs trophées étaient relégués au fond d'une cour oÙ, toujours non identifiés, ils se dégradaient peu à peu. Désenchan- tés, les sportifs eurent différentes réactions : certains gardaient leurs trouvailles à la maison, d'autres les vendaient au marché noir des antiquités. Une minorité de plongeurs, cependant, ont fait de l'archéologie leur violon d'Ingres, tandis qu'un nombre encore plus restreint d'archéologues se lancèrent dans la plongée sous-marine. Peu à peu ces deux groupes se sont rejoints dans des associations créées au début sur le plan régional et bientôt étendues aux niveaux national et international. Conscients des limites des musées, les archéologues-plongeurs suggéraient que les antiquités soient répertoriées, enregistrées et ensuite conservées in situ. Ce à quoi les plongeurs rétorquaient que ce serait le moyen le plus sûr de détruire les sites, car d'autres plongeurs, moins scrupuleux, les surveilleraient et, une fois la voie libre, pilleraient les sites. Entre-temps le public avait été mis en éveil : (( Des plongeurs découvrent le plus ancien vaisseau au trésor )), est un titre qui remonte à la une de la presse, chaque été, pour émoustiller le vacancier et répandre l'horreur dans l'âme de ceux qui sont concernés par la protection du patrimoine culturel. Le musée moyen n'a pas toujours les possibilités de conserva- tion ou le personnel ou même l'espace qui permettraient de prendre en charge l'afflux annuel de matériel gorgé d'eau, et les départements des antiquités sont impuissants, que ce soit pour l'inspection ou la protection, légale ou matérielle, des sites sub- aquatiques dans leur région et, malgré cela, on continue à dga- ger des antiquités. Alors, quelque chose doit être entrepris! L'éthique de l'archéologie subaquatique a été le sujet de discus- sions plus que nombreuses, mais jusqu'à présent on a toujours négligé de dire ce que cela pouvait impliquer en termes de muséographie.

Musées surgis des profondeurs

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M asées sargis d e s profondears

Mme Honor Frost, hninmt urchéoLogue, pionni2re de 1 'urchéoLogie mb- aquatique en Méditerranée, éditrice de ltimportunte publicution de L'Unesco L'archéologie subaquatique : une discipline naissante ( 1 9 73 ) , nous fait part des réjfexions suiuantes.

Les navires, délivrés des frontières sur l'océan, traversent égale- ment celles, métaphoriques, des exploits de l'homme grâce aux talents et aux techniques nombreuses et variées employés à leur perfectionnement ; ils sont sa construction la plus noble. Épave au fond de la mer, chaque vaisseau antique est un Pompéi en miniature, disparu tragiquement à un moment précis dans le temps, renfermant toujours les secrets d'une civilisation. Du point de vue archéologique et muséologique, ce monde clos, cette bulle du temps, représente un défi, car, même lorsque le bois s'est détérioré (comme c'est le cas pour certaines épaves), ce qui subsiste du vaisseau et de son contenu reste toujours une unité, autrement dit, en jargon archéologique, un ensemble autonome. Les autres antiquités submergées - les ports, les ancres perdues, les marchandises rejetées par la mer, etc. - res- tent toutes, dans une certaine mesure, ancillaires des épaves.

En tant que discipline, l'archéologie ne change pas, qu'elle soit pratiquée dans un milieu humide ou sec, cependant l'expo- sition de petits Pompéi )) soulève de nouveaux problèmes muséologiques du point de vue éthique, technique et légal.

Dans les pages suivantes sont décrits certains musées de bateaux remarquables, mais jusqu'à présent chacun de ces musées n'a pu apparaître qu'à la suite de circonstances locales exceptionnelles. L'exposition d'épaves en tant que concept n'a pas encore pris forme. Exceptionnellement, une épave peut ren- fermer un objet d'art, mais les objets d'art ont, de toute façon, leur vie propre et sont autonomes dans n'importe quelle con- texte d'exposition. Dans ce cas comment imaginer un musée surgi des profondeurs ? Est-ce seulement la peine d'essayer? L'ar- chéologie subaquatique est-elle un phénomène de mode ? Pour trouver des réponses, examinons la situation actuelle.

La récente popularisation d'un sport (la plongée sous-marine) a en quelque sorte accidentellement attiré l'attention sur les bateaux comme antiquités en révélant un grand nombre d'épa- ves antiques au fond de la mer. Le public devint alors conscient de la facilité d'accès de ces (( trésors H. Parmi les spécialistes, il y eut une nouvelle flambée de l'intérêt pour l'architecture navale, qui s'était considérablement relâché avec la disparition du bateau en bois, mais peu leur importait la provenance de l'information, car les bateaux submergés, en tant qu'objets façonnés, ne représentaient pas plus d'intérêt que les embarca- tions antiques retrouvées sur la terre ferme dans des bassins de ports ensablés ou des tumulus viking, ou dans des sites sacrés tel le (( navire de Chéops ou bien en train de pourrir près de la côte, comme le Greut Britain, la grande innovation du X I X ~ siicle de Brunell. La différence essentielle entre les sites humides et les sites secs est que, selon les statistiques, les premiers sont beaucoup plus nombreux. I1 n'y aura jamais autant de bateaux

sur terre qu'il y a d'épaves antiques actuellement connues sur les fonds marins.

Un autre facteur concernant les muséologues est qu'aucune fouille d'épave ne devrait être partielle. A la différence des villes ensevelies, où l'on se limite délibérément en creusant les fossés de manière à laisser quelque chose pour la postérité, dégager seulement une partie d'un bateau serait aussi insensé que de dégager uniquement les roues d'une voiture ensevelie, sans poursuivre les recherches pour retrouver le moteur qui les faisait tourner. Cependant les dimensions des vaisseaux entiers soulè- vent la question de la construction de musées spéciaux. Bien sûr, la découverte d'une épave n'entraîne pas forcément sa mise au jour, mais elle impose un choix et, si les critères nécessaires à un tel choix ne sont pas établis, les générations futures seront des juges sévères. On ne peut pas empêcher les découvertes et, dans l'état actuel des choses, les épaves seront pillées ou remon- tées à la surface. Mais seront-elles accessibles au public et expo- sées ?

Dans les années 40-50, les premiers adeptes de la plongée sous-marine ont déposé des antiquités incrustées d'algues aux pieds des autorités du plus proche musée, confiants et persuadés qu'il leur serait témoigné de la gratitude. Ils furent souvent déçus; leurs trophées étaient relégués au fond d'une cour oÙ, toujours non identifiés, ils se dégradaient peu à peu. Désenchan- tés, les sportifs eurent différentes réactions : certains gardaient leurs trouvailles à la maison, d'autres les vendaient au marché noir des antiquités. Une minorité de plongeurs, cependant, ont fait de l'archéologie leur violon d'Ingres, tandis qu'un nombre encore plus restreint d'archéologues se lancèrent dans la plongée sous-marine. Peu à peu ces deux groupes se sont rejoints dans des associations créées au début sur le plan régional et bientôt étendues aux niveaux national et international.

Conscients des limites des musées, les archéologues-plongeurs suggéraient que les antiquités soient répertoriées, enregistrées et ensuite conservées in situ. Ce à quoi les plongeurs rétorquaient que ce serait le moyen le plus sûr de détruire les sites, car d'autres plongeurs, moins scrupuleux, les surveilleraient et, une fois la voie libre, pilleraient les sites.

Entre-temps le public avait été mis en éveil : (( Des plongeurs découvrent le plus ancien vaisseau au trésor )), est un titre qui remonte à la une de la presse, chaque été, pour émoustiller le vacancier et répandre l'horreur dans l'âme de ceux qui sont concernés par la protection du patrimoine culturel.

Le musée moyen n'a pas toujours les possibilités de conserva- tion ou le personnel ou même l'espace qui permettraient de prendre en charge l'afflux annuel de matériel gorgé d'eau, et les départements des antiquités sont impuissants, que ce soit pour l'inspection ou la protection, légale ou matérielle, des sites sub- aquatiques dans leur région et, malgré cela, on continue à d g a - ger des antiquités. Alors, quelque chose doit être entrepris! L'éthique de l'archéologie subaquatique a été le sujet de discus- sions plus que nombreuses, mais jusqu'à présent on a toujours négligé de dire ce que cela pouvait impliquer en termes de muséographie.