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Directeur de Publication : Jean Vergès, Président d’honneur du Mouvement européen-‐Provence (ME-‐F-‐Provence) Rédacteur en Chef : Daniel Suzan (ME-‐F-‐Provence) Contact email : [email protected] Secrétaire de Rédaction : Annie Giraud-‐Héraud (ME-‐F-‐Provence)
Si vous souhaitez ne plus recevoir cette lettre, merci de le signaler par email
N°15 – 26 janvier 2015
Les Nouvelles du Mouvement européen-‐Provence
Éditorial : Il faut sauver l'Union Européenne Il y a urgence ! En effet plusieurs signaux inquiétants laissent entrevoir les dangers pesant sur la construction européenne résultant -‐ de l’inexistence d'un récit européen qui n'est tenu ni par les pouvoirs publics des Etats membres de l'Union, ni par les systèmes d'enseignement, ni par les médias, alors même que la matière existe sur les plans culturel (architecture…), économique (Airbus…), monétaire (l'euro...), institutionnel (la démocratie...), social (haut niveau de protection...) et bien d'autres ; -‐ d’une situation économique défavorable se caractérisant par une croissance atone, un chômage élevé frappant notamment les jeunes, le développement de poches de pauvreté, un risque de marginalisation de la zone euro-‐atlantique ; -‐ de la dilution de la perception de l'Europe à cause d'élargissements trop rapides, des ambiguïtés entretenues notamment vis à vis de la Turquie et de l'Ukraine, et de l'attitude de contestation permanente adoptée par le Royaume-‐Uni ; -‐ des divergences franco-‐allemandes dans les domaines économique et monétaire, de la gouvernance territoriale, de la mise en œuvre du dialogue social et de la diplomatie, même si les deux Etats font des efforts méritoires pour maintenir à haut régime le moteur franco-‐allemand ; -‐ pour couronner le tout (mais cela n'est guère étonnant au regard de ce qui vient d'être énoncé) la très faible participation aux dernières élections du Parlement européen et l'envoi dans cette enceinte de 20 % de députés eurosceptiques ou europhobes !
Face à ces constats, la solution paraît résider dans l'intégration poussée du cœur de l'Union soit une douzaine d'Etats membres, dont les six fondateurs de la CEE et les plus performants de la zone euro. Cette intégration avancée porterait de manière obligatoire sur les domaines monétaire, budgétaire et fiscal, avec abandon de souveraineté à la clé et, de manière facultative, notamment sur les domaines de l’énergie, des transports, de la protection sociale et de la recherche-‐développement-‐innovation, et tout autre que, par consensus, les Etats décideraient de mutualiser. Contrairement à ce qui est quelquefois proposé par les partisans de cette coopération renforcée, il n’apparaît pas judicieux de créer des institutions spécifiques à ce noyau dur pour ne pas encore complexifier l'Europe. L'effectivité de la solidarité de ce groupe d'Etats serait assurée par un échange d'instruments ratifiés par les Parlements nationaux respectifs et par la réunion systématique des représentants de chacun des Etats, en vue de prendre une position unique avant toute réunion, quel qu'en soit le niveau, de l'Union ou de l'Eurogroupe.
Ainsi sans modification des traités et de manière rapide, la construction européenne peut passer à la vitesse supérieure avec un triple avantage : être plus efficace et efficiente pour retrouver la prospérité ; être attractive en incitant les autres Etats à rejoindre le noyau dur ; signifier au reste du monde que “Europa is back” !
Claude Reynoird, Président du Mouvement Européen-‐Provence
“Brexit” or “not Brexit” ? – Season 2
Le projet du Premier ministre du Royaume-Uni, David Cameron, d’une renégociation des traités européens débouchant sur “un nouvel accord” soumis par referendum au peuple britannique qui l’approuverait ou se prononcerait pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ressemble fort à la “renégociation de l’adhésion de l’Angleterre aux Communautés européennes” que le Premier ministre d’alors, Harold Wilson, avait obtenu en 1974 -1975. Cet épisode a été évoqué dans le précédent numéro des Nouvelles. La présente livraison évoque divers aspects du nouvel épisode et envisage quelques perspectives.
1. La stratégie du passager clandestin Le referendum du 5 juin 1975 par lequel les Britanniques approuvèrent le résultat de la renégociation de l’adhésion de leur pays aux Communautés européennes devait, espérait-‐on, dégager l’avenir de la construction européenne. Il n’en fut rien. Les quarante années qui l’ont suivi ont été caractérisées par une renégociation permanente des modalités de la participation du Royaume-‐Uni à l’Union européenne. Cet Etat membre a déployé toutes les ressources de ce qu’un ancien Premier ministre français, Michel Rocard, a pu appeler une “stratégie de passager clandestin” tendant à diminuer le coût de sa participation et parfois à freiner le processus d’intégration européenne.
Alléger le coût du billet : le mécanisme correcteur obtenu par le Royaume-‐Uni (pour tenir compte de l’importance de ses importations agricoles en provenance du Commonwealth et de son PIB relatif qui était alors inférieur à la moyenne communautaire) a conduit à diminuer sa contribution au budget communautaire par rapport à ce qu’elle aurait dû être si lui avait été appliqué le système de droit commun de financement de la Communauté. Le thème de la contribution britannique a, des années durant, dramatisé le débat budgétaire. Le « I want my money back » de Margaret Thatcher fut parfois accompagné de la menace de bloquer la procédure budgétaire en utilisant le droit de veto hérité du “compromis de Luxembourg”. Le calcul de la contribution britannique reste, en 2014 encore, une cause de tension. La rallonge de 2 Milliards d’Euros, résultat d’une nouvelle méthode de calcul du Revenu national brut des Etats membres qui sert de base à leur contribution, a provoqué un “coup de sang” très médiatique de David Cameron lors du Conseil européen d’octobre 2014, ce qui n’a pas empêché les tories de perdre, quelques semaines plus tard, l’élection partielle de Rochester and Strood au profit de l’UKIP. Finalement, le paiement de la “rallonge” a été reporté à fin 2015.
Freiner le processus d’intégration communautaire a été un autre aspect de la stratégie britannique. L’introduction, lors des révisions successives des traités, de clauses d’exemption (opting-‐out) a permis en 1993 à
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John Major de soustraire le Royaume-‐Uni aux principales obligations découlant du chapitre social du Traité de Maastricht et, en 1997, à la participation au “système Schengen”. La non-‐participation à la zone Euro est sans doute l’élément essentiel de la différenciation britannique. Le gouvernement britannique a réussi à écarter de la Présidence de la Commission des candidats qu’il jugeait trop intégrationnistes (qualifiés de “fédéralistes”, mot horrifique pour une majeure partie de l’opinion publique anglaise). John Major a bloqué, en 1994, la candidatures de Jean-‐Luc Dehaene, et Tony Blair, en 2004, celle de Guy Verhofstaedt. En 2014 cependant, David Cameron n’a pas réussi à empêcher la nomination de Jean-‐Claude Juncker. Cette candidature avait déchaîné la presse populaire anglaise au cours de l’été 2014. Au dernier trimestre 2014, c’est encore dans la presse anglaise que l’on trouve les plus vigoureuses attaques contre le nouveau Président de la Commission européenne pour le compromettre à titre personnel, en tant qu’ancien Premier ministre luxembourgeois, dans l’affaire du “Luxleaks”.
Si l’on considère enfin la perspective de l’attribution à l’Union de nouvelles compétences dans le domaine financier, le Royaume-‐Uni s’est résolument opposé à tout ce qui ressemblerait à une régulation commune et à un contrôle par la BCE. Le système de supervision des grandes banques prévu par l’accord du 13 novembre 2012 ne concerne pas les banques britanniques dont l’Union est pourtant le principal client et qui ont causé quelques dommages aux épargnants britanniques.
2. La fluctuation des objectifs de la renégociation Dans son discours du 23 janvier 2013, David Cameron évoquait expressément la négociation d’un “nouvel accord” avec l’Union. Le thème initial était celui du rapatriement des compétences qui rendrait au Royaume-‐Uni les compétences exercées par l’Union dans certains domaines relevant, selon le Gouvernement britannique, de “l’intérêt national”. Le Premier ministre avait seulement précisé que l’accord recherché devrait être « centré sur le marché unique ». On estimait, à l’époque, que le rapatriement pourrait concerner le domaine social et ceux de la justice et de la pêche. Il avait prévu que seraient activées certaines clauses d’exemption déjà présentes dans les Traités, notamment celles en relation avec le mandat d’arrêt européen. Au fil des mois, se sont ajoutés des objectifs beaucoup plus généraux et assez largement partagés (renforcer le contrôle des parlements nationaux, “libérer” les entreprises des lourdeurs administratives, accélérer la conclusion de l’accord de libre-‐échange avec les Etats-‐Unis), et dont certains peuvent être atteints sans renégocier formellement les traités.
Habileté tacticienne ou imprécision de la stratégie, le contenu du “nouvel accord” et la procédure de sa préparation sont devenus assez flous. Un nouveau thème est cependant venu s’ajouter à ceux qui étaient centrés sur le marché unique : celui de l’immigration qui constitue désormais au Royaume-‐Uni, comme dans d’autres pays membres, un des thèmes majeurs du débat politique. L’United Kingdom Indépendance Party (UKIP) de Nigel Farage a fait de la lutte contre l’immigration, tant mondiale qu’européenne, le moteur de sa conquête du pouvoir. Pour tenter de le contenir en occupant son terrain, David Cameron a laissé déraper le débat en assimilant dans sa réprobation immigration d’origine mondiale et immigration d’origine intra-‐communautaire, remettant en cause, de ce fait, l’une des bases de l’Union : la libre circulation et le libre établissement des citoyens de l’Union dans tous les Etats membres. A l’origine, le thème de l’immigration n’avait pas été évoqué dans les objectifs de la renégociation ; mais dans le discours qu’il a prononcé le 28 novembre 2014 dans une usine des Midlands, le cœur industriel du Royaume, le Premier ministre en a fait le thème central de la renégociation. La pression migratoire en provenance des pays de l’est de l’Union européenne qui ferait du Royaume-‐Uni “l’usine à emplois de l’Europe” n’est plus “soutenable”. Une panoplie de mesures est annoncée. Certaines n’impliquent pas la renégociation des traités communautaires : l’obligation de présenter un certificat d’embauche à l’entrée du territoire, supprimer les aides sociales en cas de chômage, rendre possible l’expulsion après six mois de chômage. Certaines semblent cependant difficilement conciliables avec le droit de l’Union, telle la diminution drastique des aides sociales (allocations familiales, logement social) et des avantages fiscaux durant les quatre premières années de séjour de l’immigré européen au Royaume-‐Uni qui introduirait une discrimination entre salariés européens. Par la suite ces projets semblent avoir été adoucis dans la perspective d’un arrangement du type (dixit le gouvernement britannique) de celui dont a bénéficié la France pour le respect du Pacte de Stabilité.
3. L’allergie europhobe de la presse anglaise L’europhobie d’une partie de l’opinion publique britannique a atteint, du printemps à l’automne 2014, un niveau assez révélateur et dont il faut tenir compte. Bien entendu, tous les Britanniques ne lisent pas la “presse Murdoch” (mais ils sont nombreux à le faire… …) lorsqu’elle se déchaîne contre la candidature de Jean-‐Claude Juncker à la présidence de la Commission européenne. Le journal Le Monde en a traduit quelques savoureux passages tirés des éditoriaux du Sun ou du Mail of Sunday. On peut trouver un peu exagéré mais finalement assez flatteur pour lui de voir dans Jean-‐Claude Juncker « la partie émergée d’un énorme iceberg fédéraliste » ou « un vieux magouilleur bruxellois eurofanatique et intégrationniste » ; mais les éditorialistes n’ont su se retenir de faire un mauvais jeu de mots, rapprochant Juncker et drunker, en affirmant qu’il arrive au candidat à la présidence de la Commission d’attaquer le petit-‐déjeuner « au cognac ». Le plus réjouissant est que, à moins que ce soit la lutte séculaire du grain et de la grappe, l’aversion pour les vins français n’épargne pas Jacques Santer (Président de la Commission de 1995 à 1999) qui n’en peut mais, dont le
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chef du service politique du Mail of Sunday affirme qu’il « était surnommé Jacques Sancerre pour son goût prononcé pour les bons vins français ». Mais les choses deviennent plus sérieuses et plus révélatrices de l’amalgame Europe et immigration réunies dans la même aversion populaire lorsque l’éditorialiste du Sun conclut : «Dites au saoulard qu’on veut mettre un bouchon sur l’immigration ». Les sujets de sa Gracieuse Majesté nous étonneront toujours par la qualité de leur humour. Nos moroses souverainistes pourraient y trouver des leçons.
Prudence pré-‐électorale ou conviction nouvelle, le gouvernement britannique, quant à lui, s’efforce de rendre aussi discrets que possible les symboles d’appartenance à l’Union. La bannière bleue aux étoiles d’or n’apparaît presque jamais sur le territoire anglais. Le Foreign Office a demandé au Quai d’Orsay qu’elle ne soit pas trop visible lors des cérémonies de commémoration du centenaire de la Grande Guerre. De même, toute lecture trop “européenne” de la victoire de 1945 est déconseillée.
4. “Une certaine idée de l’Europe” assez particulière Le Royaume-‐Uni est incontestablement, par l’histoire et par la géographie, un grand pays européen qui a, lui aussi, tout à fait légitimement, “une certaine idée“ de l’Europe. Mais cette idée est assez différente de celle de ses partenaires continentaux. David Cameron en exprimait la pérennité en juillet 2014 lorsque, après avoir énuméré les objectifs de la future renégociation des traités, il ajoutait qu’il faudrait « s’occuper sérieusement » de la formule qui figure depuis l’origine dans les traités communautaires « l’union sans cesse plus étroite des peuples de l’Europe ». Reconnaissons l’acuité du propos ; il a tout de même plus de classe que le « I want my money back ». Il met le doigt sur l’essentiel, sur la finalité même du projet d’intégration européenne.
Cette “union sans cesse plus étroite des peuples de l’Europe”, inscrite dans tous les traités européens successifs depuis le Traité CECA, est la colonne vertébrale de la construction européenne. Formulation inchoative qui, en l’absence actuelle d’un peuple européen, réunit progressivement des peuples européens qui ont des histoires différentes mais se reconnaissent un patrimoine commun de valeurs et d’intérêts et un projet de société qu’ils veulent exemplaire, bref une identité. Telle était l’ambition des fondateurs, constamment réaffirmée par les peuples des Etats membres lors des ratifications successives des traités modificatifs, mais que beaucoup d’acteurs politiques actuels ne pourraient ni n’oseraient réaffirmer. Ce concept est pourtant à la base de réalisations bien concrètes de Union européenne. Sans cette “union des peuples”, pas de citoyenneté de l‘Union, pas de droit de vote des “étrangers communautaires” aux élections municipales, pas de Parlement européen élu au suffrage universel direct… et pas de droit de circulation et d’établissement de ces citoyens dans tous les pays membres. Sans cette perspective d’union sans cesse plus étroite, comment justifier de nouvelles disciplines et les transferts financiers qu’elles impliquent ?
Tout cela est fort éloigné, reconnaissons-‐le, de la culture profonde d’un peuple pour qui le continent est isolé lorsqu’il y du brouillard sur la Manche (“Fog in the Channel, Continent Cut Off” titrait le Times du 22 octobre 1957, une formule largement dans les annonces météo britanniques), d’un peuple qui, tout au long de son histoire, a eu pour horizon “le grand large”, puis l’Empire et le Commonwealth. Anthony Eden, alors ministre des Affaires étrangères, disait tout cela le 12 février 1952 : « Nous sentons jusque dans nos entrailles que nous ne pouvons pas devenir membres d’une communauté européenne ». Cela ne signifiait nullement que le gouvernement de Sa Majesté dût se désintéresser de ce qui se passait sur le continent et ne pas avoir soin de parer à toute construction continentale contraire aux intérêts du Royaume. « L’Angleterre n’aime pas les coalitions » disait Disraeli au milieu du XIXème siècle. Le blocus napoléonien lui a laissé de mauvais souvenirs. « Ne faites pas l’Europe ; ce sera comme le blocus continental de Napoléon. Ce sera la guerre » avertissait Macmillan.
Lorsque, après la seconde guerre mondiale, il parut utile de reconstruire un continent dévasté, l’Angleterre apporta son soutien. Mais elle se concevait alors comme puissance protectrice et non comme membre de l’organisation à créer. Ce “quelque chose comme les Etats-‐Unis d’Europe” dont Winston Churchill souhaitait la création dans son discours de Zurich du 19 septembre 1946 reposerait sur la réconciliation de la France et de l’Allemagne tandis que « la Grande-‐Bretagne, la famille des peuples britanniques », « la puissante Amérique » et, si possible, l’Union soviétique devraient « se poser en amis et protecteurs de la Nouvelle Europe ».
A compter du moment où le continent a commencé à s’organiser, la stratégie du Royaume-‐Uni a été, tour à tour, d’empêcher, de concurrencer, de contrôler.
Empêcher que les organisations que l’on créait soient dotées du pouvoir de prendre des décisions obligatoires autrement qu’à l’unanimité, “supranationalité” (comme on disait alors) incompatible avec la souveraineté des “Communes”. Telle fut l’histoire du Conseil de l’Europe et de l’Organisation Européenne de Coopération Economique (OECE, plus tard OCDE) qui sont restés de simples forums mais n’ont jamais pu avoir l’efficacité des Communautés européennes. Paul-‐Henri Spaak expliqua ainsi sa démission de la présidence de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe : « L’alternative pour l’Europe est bien simple : ou il lui faut s’aligner sur la Grande-‐Bretagne et renoncer à faire l’Europe, ou tenter de faire l’Europe sans la Grande-‐Bretagne. Pour ma part, j’ai choisi la seconde hypothèse. »
“Tenter de faire l’Europe sans la Grande-‐Bretagne”, c’est ce à quoi se décidèrent les six Etats fondateurs de la CECA (France, Allemagne, Italie, Belgique, Pays-‐Bas et Luxembourg). La Déclaration Schuman du 9 mai 1950 est une initiative
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unilatérale du Gouvernement français, une invitation faite aux Etats européens de créer la première organisation européenne supranationale. Robert Schuman n’avait pas averti Ernest Bevin de la “Déclaration du Salon de l’horloge” pour éviter une négociation préalable dans laquelle l’absence de pouvoir décisionnel de l’organisation aurait été la condition de la participation du Royaume-‐Uni. Cette déclaration invitait aussi la Grande Bretagne à la négociation. Ses représentants assistèrent aux premières séances mais s’en retirèrent bien avant la signature du Traité de Paris.
Concurrencer : la CECA prit son essor et, après la conférence de Messine (1956), les “six” décidèrent de relancer la construction communautaire en créant, par les Traités de Rome de 1957, un marché commun général, la Communauté économique européenne (CEE) et une organisation plus spécifique la CEEA (Euratom). Le Royaume-‐Uni ne pouvait entrer dans la CEE qui reposait sur une union douanière incompatible avec sa politique commerciale et ses échanges avec le Commonwealth. Il proposa la création en Europe d’une grande zone de libre échange qui parut au “six” une tentative de noyer la CEE. Après l’échec des travaux du “Comité Maudling”, il regroupa les “non-‐six” dans une Association européenne de libre échange (AELE) ou European Free Trade Association (EFTA) créée par la Convention de Stockholm du 4 janvier 1960. Mais celle-‐ci périclita lentement. La plupart de ses membres posèrent les uns après les autres leur candidature à la CEE. Lorsque la Grande Bretagne elle-‐même se résolut à poser pour la première fois sa candidature (août 1961) son commerce avec la CEE était déjà plus important que son commerce avec l’AELE.
Contrôler de l’intérieur : après avoir surmonté l’humiliation du rejet de ses deux candidatures successives par la France du Général de Gaulle (janvier 1963 ; décembre 1967), la remarquable obstination britannique aboutit enfin à l’acceptation de la candidature du Royaume-‐Uni par la France de Georges Pompidou (mai-‐juin 1971). Devenu membre des Communautés, le Royaume-‐Uni exigea (cf. supra) la renégociation de son adhésion et fut en situation de faire peser sur le cours de l’intégration européenne son interprétation propre de la construction européenne.
5. Le coût du Brexit Seuls certains éléments de la balance coûts-‐avantages du retrait de l’Union sont connus. Ils concernent évidemment d’abord le Royaume-‐Uni. Mais aucun tableau d’ensemble n’en est fourni du fait que les objectifs de renégociation fluctuent au fil des mois et aussi parce que personne ne tient à le faire. Une autre difficulté est que cette balance varie en fonction de l‘hypothèse de travail : retrait pur et simple à l’issue duquel les relations de l’Union européenne avec le Royaume-‐Uni ressembleraient à celles qu’elle entretient avec un pays tiers ; ou situation résultant d’un nouvel accord créant une association ad hoc entre les deux. Quelques éléments font cependant l’objet d’une estimation assez partagée.
• La première conséquence, plutôt agréable pour lui, du “retrait sec” serait que le Royaume-‐Uni serait dispensé de verser à l’Union une “contribution nette” (différence entre ce qu’il verse et ce qu’il en reçoit) d’environ 7,2 Milliards d’euros (sans doute plus en tenant compte de la rallonge qui lui a été demandée en fin 2014).
• Une autre conséquence immédiate serait la satisfaction d’une grande partie de l’opinion publique anglaise qui s’estimerait délivrée des contraintes imposées “par Bruxelles”, et donc un renforcement de l’attractivité du pays pour les investisseurs.
• Les conséquences sur les échanges commerciaux d’un retrait sans association ultérieure seraient importantes pour le Royaume-‐Uni et dans une certaine mesure pour les pays du continent. Les exportations britanniques vers le continent représentent environ 15% du PIB du pays et concernent près de 4 millions d’emplois. A l’inverse, les exportations des pays du continent vers le Royaume-‐Uni ne représentent qu’une petite partie de leurs exportations.
• Elles seraient probablement plus visibles sur les flux financiers. Londres est la porte d’entrée des capitaux américains et asiatiques. La City est la première place de traitement des transactions en Euros : 74 % des échanges de devises européennes et 40 % des transactions en Euros s’y effectuent. 85 % des fonds d’investissement opérant sur le continent y sont établis. En cas de retrait du Royaume-‐Uni, les quelques 160 institutions financières européennes (17 % des avoirs bancaires) risqueraient de la quitter. Certains optimistes estiment que la France pourrait faire partie des gagnants de cette relocalisation de l’industrie financière de l’Euro si Paris savait devenir une place financière attractive. Il n’est pas étonnant que les milieux bancaires de la City aient clairement exprimé leur net “scepticisme” à l’égard du “Brexit” !
• Dans le domaine de la liberté d’établissement intracommunautaire des personnes qui devient sa principale revendication, la Grande-‐Bretagne serait délivrée du flux “insoutenable” de travailleurs provenant de l’est de l’Union, mais les 1,3 millions de Britanniques librement établis sur le continent verraient leur statut remis en cause.
• Dans le domaine de la défense européenne, les conséquences pour l’ensemble de l’Union se feraient sentir à moyen terme. Dans la mesure où existe une esquisse de politique européenne de sécurité et de défense, les choses ont peu changé depuis des décennies : il faut reconnaître que seuls les Anglais et les Français acceptent de payer le prix humain et financier pour l’Union toute entière. Les Allemands en sont empêchés par leur Loi Fondamentale. Les autres citoyens de l’Union, très attachés à leur prospérité et à la paix, trouvent naturel de laisser cette charge aux deux Etats qui ont gardé une diplomatie et une défense, et font confiance au parapluie
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américain. Le retrait du Royaume-‐Uni diminuerait la capacité de l’Union de défendre ses valeurs et ses intérêts. Mais l’Angleterre, plus que tout autre, a peut-‐être aussi intérêt à une certaine stabilité internationale. L’OTAN resterait, il est vrai, un cadre de coopération pour la défense, mais un cadre dominé par les USA. Il serait peut-‐être possible de réanimer certaines alliances européennes nées après la seconde guerre mondiale comme l’Union de l’Europe Occidentale (UEO).
• Au niveau de la diplomatie générale et des équilibres géostratégiques. Le divorce de l’Union européenne et du Royaume-‐Uni, même si le retrait de l’organisation était suivi d’un système d’association étroite, marquerait une date négative dans l’histoire de l’unification de l’Europe qui, malgré ses aléas, reste jusqu’à maintenant une success story. Ce serait un signe d’affaissement de son projet historique et peut-‐être le signal d’une dynamique de fragmentation. Mais pour le Royaume-‐Uni les conséquences en seraient tout aussi négatives. Son statut international repose sur le souvenir de l’Empire et du Commonwealth, mais aussi sur sa position en Europe. L’ambition d’un “spécial relationship” avec l’Amérique, progressivement estompée dans les dernières décennies du XXème siècle, s’est évanouie depuis que l’opinion publique anglaise a marqué sa réprobation des guerres d’Irak et d’Afghanistan et surtout lorsque le Parlement a refusé au gouvernement de David Cameron la possibilité d’un engagement militaire en Syrie. L’Europe reste un espace indispensable pour le Royaume-‐Uni.
6. Du bon usage du temps et des opportunités Le problème anglais a toujours occupé une place à part dans le débat européen en France. Le lancement de l’intégration communautaire sans attendre l’Angleterre revient à une initiative des démocrates-‐chrétiens et des socialistes français. Mais des hommes politiques aussi différents que Pierre Mendès-‐France et Georges Pompidou étaient persuadés qu’il était indispensable de faire l’Europe avec l’Angleterre. Aujourd’hui encore, certains ne conçoivent pas qu’on puisse “continuer sans elle”. En Allemagne, la Chancelière Merkel résiste fermement aux demandes britanniques de modifications substantielles de l’Union, mais les milieux économiques rappellent qu’il est impossible de continuer l’Europe sans le Royaume-‐Uni.
L’Union européenne traverse une période difficile de son histoire. Dans tous ses pays, la déception des opinions publiques s’exprime de manière plus ou moins vive. Comme tout ce qui est exagéré, les débordements de la presse populaire anglaise sont sans importance. Ils n’indiquent nullement la volonté réelle des Britanniques de quitter l’Union : 60 % d’entre eux, révèlent les sondages, veulent y rester… mais à leurs conditions ! La Grande-‐Bretagne est une démocratie, mais une démocratie élitiste : les milieux dirigeants y savent encore imposer leurs vues et leurs intérêts, quitte à canaliser l’exaspération populaire vers des boucs émissaires peu décidés à se défendre. C’est, plus que jamais, nécessaire : malgré les promesses faites par les tories à leur arrivée au pouvoir, l’augmentation du PIB (+ 3 %) et la baisse du chômage (-‐ 6 %) n’empêchent pas un déficit des finances publiques (5,3 % du PIB) qui se situe, à la fin 2014 au niveau le plus élevé de l’Union, un niveau supérieur à celui de l’Irlande, de la France, de l’Italie et même de la Grèce et annonce un prolongement durable d’une austérité exaspérante pour les classes moyennes et les classes populaires.
En simplifiant, on pourrait dire que les Britanniques voudraient le marché unique sans les politiques communes (c’est le vieux rêve d’une grande zone européenne de libre-‐échange). Comme rien n’est parfait, ils se résigneraient à un marché organisé des biens et des services, aussi libre que possible, sans régulations et sans contrôles excessifs et, par contre, avec une liberté d’établissement des personnes très limitée. Théoriquement, un système très avantageux d’association avec l’Union après le retrait du Royaume-‐Uni devrait pouvoir faire l’affaire. Mais les choses ne sont pas aussi simples. Au fond de leur conscience historique, les dirigeants britanniques ne souhaitent nullement se retrouver retranchés de l’Union. Aucun accord d’association, aussi avantageux soit-‐il, ne saurait leur faire accepter une situation dans laquelle le Royaume-‐Uni contemplerait de l’extérieur, comme associé et non comme membre, la marche d’une Union continentale qui continuerait sans lui et sur laquelle, ne disposant plus de sièges dans ses institutions, il n’exercerait désormais qu’une influence réduite.
Une analyse sereine de l’état des forces et des projets conduirait à adopter une attitude ferme à l’égard des demandes britanniques de renégociation et à ne pas se laisser entraîner dans une opération qui ressemblerait à celle qu’Harold Wilson avait réussi à imposer à ses partenaires en 1974 : une renégociation informelle qui pourrait être présentée comme “cosmétique” par ceux qui l’auraient acceptée mais qui déboucherait sur des modifications substantielles et durables. Une solution harmonieuse devrait éviter deux écueils : un retrait (pur et simple ou suivi d’une association) que les Britanniques, malgré une orchestration remarquable, ne souhaitent pas, et auquel aucun dirigeant continental n’oserait se déclarer favorable, et des concessions qui videraient l’Union de tout avenir.
Les mutations réussies sont celles qui utilisent le temps et s’appuient sur le cours naturel des choses. L’Union européenne, en s’éloignant de la crise qu’elle a traversée, se restructurera pour dépasser ses défaillances et s’adapter au monde du XXIème siècle. On peut imaginer qu’elle se réorganise autour de structures plus différenciées. Certains pays membres voudront aller plus loin dans le processus d’intégration ; d’autres préfèreront, pour des raisons qui leur sont propres mais qui sont tout aussi légitimes, rester dans l’Union au stade où elle en est, dans sa composition
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et ses institutions, mais éventuellement avec des disciplines assouplies. C’est sans doute ainsi qu’il faut lire la déclaration du Conseil européen de juin 2014 lorsqu’elle précise que “l’union sans cesse plus étroite des peuples d’Europe” que conteste David Cameron permet “d’emprunter différentes voies d’intégration [… …] tout en respectant la volonté de ceux qui ne souhaitent pas poursuivre l’approfondissement”. Ces derniers ne doivent pas pouvoir empêcher ceux qui le veulent (et le peuvent) d’aller plus loin et de consolider la zone Euro en acceptant de nouvelles solidarités et de nouvelles disciplines monétaire, budgétaire, fiscale et politique.
L’histoire de la construction européenne a toujours été celle de ceux qui voulaient aller plus vite et plus loin. Si, au début des années cinquante, on avait attendu l’assentiment de tous, on en serait resté à l‘impuissance des premières organisations européennes nées du Plan Marshall. La continuation de l’Europe, comme jadis la paix mondiale qu’évoquait la Déclaration Schuman, « ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent ».
Jean Vergès, Président d’honneur du Mouvement européen-Provence
“Charlie”, l’Europe, la raison et le courage
Les épreuves renforcent ceux qu’elles n’abattent pas. Le peuple de France vient, après d’autres, d’être durement frappé. Réconcilié avec lui-‐même, il a, par son étonnante mobilisation, témoigné de sa maturité. Son personnel politique a fait preuve de dignité. Sursaut inespéré d’un pays trop souvent incité à douter de lui-‐même.
Il y a le temps des larmes, le temps de la colère, le temps des homélies… Vient celui de la raison, du courage et des décisions.
La présence à nos côtés de nos concitoyens européens nous a réconfortés. Ils connaissent les mêmes désarrois. La confrontation sur notre continent de nos valeurs démocratiques et de valeurs régressives est le défi majeur auquel nous devons faire face.
L’Europe, « continent porteur de civilisation » dont les habitants ont « développé progressivement les valeurs qui fondent l’humanisme, l’égalité des êtres, la liberté, le respect de la raison », affirme le projet européen. C’est sur ce continent qu’est née la démocratie, c’est lui qui a vu, au siècle dernier, la plus étonnante expérience de réconciliation de peuples longtemps ennemis autour d’un patrimoine commun de valeurs. C’est aussi, quoi que
l’on dise, un continent accueillant à ceux qui lui demandent asile, travail et sécurité. Mais c’est un continent qui doit exiger de ceux qu’il accueille le respect du socle commun de ses valeurs.
Jean Vergès, Président d’honneur du Mouvement européen-‐Provence
Jacques Barrot nous a quittés le 3 décembre 2014 Né le 3 février 1937 à Yssingeaux (Haute-Loire), fils du résistant démocrate-chrétien Noël Barrot (député MRP de Haute-Loire de 1945 à son décès en 1966), Jacques Barrot effectue ses études secondaires à Yssingeaux, obtient une licence en droit à Aix-en-Provence puis est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris (IEP).
Homme de conviction, humaniste, élu local influent (député de la Haute-Loire de 1967 à 2004, Président du conseil général de la Haute-Loire de 1976 à 2001, maire de sa commune natale de1989 à 2001), il a longtemps été l’une des principales figures de la démocratie chrétienne en France et a exercé plusieurs fonctions ministérielles entre 1974 et 1981, puis de 1995 à 1997, dont celles de ministre du Commerce, ministre de la Santé, et ministre du Travail et des Affaires sociales.
Inspiré dès sa jeunesse par l’idéal de réconciliation des peuples européens, admirateur des pères fondateurs de ce qui allait devenir l’Union européenne, il put s’investir directement dans l’action communautaire comme vice-président de la Commission européenne de 2004 à 2009, d’abord chargé des Transports (il fut notamment en charge du projet Galileo) puis de la Justice et des Affaires intérieures.
Du 12 mars 2010 à sa mort, il fut membre du Conseil constitutionnel, au service de la protection des droits et libertés qui lui tenait à cœur.
Agenda Jeudi 5 février à 18h – Débat sur “L’intergénérationnel en Europe” au Ligourès (Aix-‐en-‐Provence)
Jeudi 19 février à 18h – Assemblée générale du Mouvement européen-‐Provence
Contacts utiles Mouvement européen-‐France http://www.mouvement-‐europeen.eu/ Mouvement européen-‐Provence http://www.mouvement-‐europeen-‐provence.eu
Maison de la vie associative – Le Ligourès – Place Romée de Villeneuve – 13090 – Aix-‐en-‐Provence
Parlement européen – Bureau d’information pour le Sud-‐Est http://sudest.europarl.fr/view/fr/agenda_org.html Représentation régionale de la Commission européenne à Marseille http://ec.europa.eu/france/marseille/index_fr.htm
Minute de silence dans la salle de presse de la Commission européenne