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Directeur de Publication : Jean Vergès, Président d’honneur du Mouvement européenProvence (MEFProvence) Rédacteur en Chef : Daniel Suzan (MEFProvence) Contact email : [email protected] Secrétaire de Rédaction : Annie GiraudHéraud (MEFProvence) Si vous souhaitez ne plus recevoir cette lettre, merci de le signaler par email N°15 – 26 janvier 2015 Les Nouvelles du Mouvement européenProvence Éditorial : Il faut sauver l'Union Européenne Il y a urgence ! En effet plusieurs signaux inquiétants laissent entrevoir les dangers pesant sur la construction européenne résultant de l’inexistence d'un récit européen qui n'est tenu ni par les pouvoirs publics des Etats membres de l'Union, ni par les systèmes d'enseignement, ni par les médias, alors même que la matière existe sur les plans culturel (architecture…), économique (Airbus…), monétaire (l'euro...), institutionnel (la démocratie...), social (haut niveau de protection...) et bien d'autres ; d’une situation économique défavorable se caractérisant par une croissance atone, un chômage élevé frappant notamment les jeunes, le développement de poches de pauvreté, un risque de marginalisation de la zone euroatlantique ; de la dilution de la perception de l'Europe à cause d'élargissements trop rapides, des ambiguïtés entretenues notamment vis à vis de la Turquie et de l'Ukraine, et de l'attitude de contestation permanente adoptée par le RoyaumeUni ; des divergences francoallemandes dans les domaines économique et monétaire, de la gouvernance territoriale, de la mise en œuvre du dialogue social et de la diplomatie, même si les deux Etats font des efforts méritoires pour maintenir à haut régime le moteur franco allemand ; pour couronner le tout (mais cela n'est guère étonnant au regard de ce qui vient d'être énoncé) la très faible participation aux dernières élections du Parlement européen et l'envoi dans cette enceinte de 20 % de députés eurosceptiques ou europhobes ! Face à ces constats, la solution paraît résider dans l'intégration poussée du cœur de l'Union soit une douzaine d'Etats membres, dont les six fondateurs de la CEE et les plus performants de la zone euro. Cette intégration avancée porterait de manière obligatoire sur les domaines monétaire, budgétaire et fiscal, avec abandon de souveraineté à la clé et, de manière facultative, notamment sur les domaines de l’énergie, des transports, de la protection sociale et de la recherchedéveloppementinnovation, et tout autre que, par consensus, les Etats décideraient de mutualiser. Contrairement à ce qui est quelquefois proposé par les partisans de cette coopération renforcée, il n’apparaît pas judicieux de créer des institutions spécifiques à ce noyau dur pour ne pas encore complexifier l'Europe. L'effectivité de la solidarité de ce groupe d'Etats serait assurée par un échange d'instruments ratifiés par les Parlements nationaux respectifs et par la réunion systématique des représentants de chacun des Etats, en vue de prendre une position unique avant toute réunion, quel qu'en soit le niveau, de l'Union ou de l'Eurogroupe. Ainsi sans modification des traités et de manière rapide, la construction européenne peut passer à la vitesse supérieure avec un triple avantage : être plus efficace et efficiente pour retrouver la prospérité ; être attractive en incitant les autres Etats à rejoindre le noyau dur ; signifier au reste du monde que “Europa is back” ! Claude Reynoird, Président du Mouvement EuropéenProvence “Brexit” or “not Brexit” ? – Season 2 Le projet du Premier ministre du Royaume-Uni, David Cameron, d’une renégociation des traités européens débouchant sur “un nouvel accord” soumis par referendum au peuple britannique qui l’approuverait ou se prononcerait pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ressemble fort à la “renégociation de l’adhésion de l’Angleterre aux Communautés européennes” que le Premier ministre d’alors, Harold Wilson, avait obtenu en 1974 -1975. Cet épisode a été évoqué dans le précédent numéro des Nouvelles. La présente livraison évoque divers aspects du nouvel épisode et envisage quelques perspectives. 1. La stratégie du passager clandestin Le referendum du 5 juin 1975 par lequel les Britanniques approuvèrent le résultat de la renégociation de l’adhésion de leur pays aux Communautés européennes devait, espéraiton, dégager l’avenir de la construction européenne. Il n’en fut rien. Les quarante années qui l’ont suivi ont été caractérisées par une renégociation permanente des modalités de la participation du RoyaumeUni à l’Union européenne. Cet Etat membre a déployé toutes les ressources de ce qu’un ancien Premier ministre français, Michel Rocard, a pu appeler une “stratégie de passager clandestin” tendant à diminuer le coût de sa participation et parfois à freiner le processus d’intégration européenne. Alléger le coût du billet : le mécanisme correcteur obtenu par le RoyaumeUni (pour tenir compte de l’importance de ses importations agricoles en provenance du Commonwealth et de son PIB relatif qui était alors inférieur à la moyenne communautaire) a conduit à diminuer sa contribution au budget communautaire par rapport à ce qu’elle aurait dû être si lui avait été appliqué le système de droit commun de financement de la Communauté. Le thème de la contribution britannique a, des années durant, dramatisé le débat budgétaire. Le « I want my money back » de Margaret Thatcher fut parfois accompagné de la menace de bloquer la procédure budgétaire en utilisant le droit de veto hérité du “compromis de Luxembourg”. Le calcul de la contribution britannique reste, en 2014 encore, une cause de tension. La rallonge de 2 Milliards d’Euros, résultat d’une nouvelle méthode de calcul du Revenu national brut des Etats membres qui sert de base à leur contribution, a provoqué un “coup de sang” très médiatique de David Cameron lors du Conseil européen d’octobre 2014, ce qui n’a pas empêché les tories de perdre, quelques semaines plus tard, l’élection partielle de Rochester and Strood au profit de l’UKIP. Finalement, le paiement de la “rallonge” a été reporté à fin 2015. Freiner le processus d’intégration communautaire a été un autre aspect de la stratégie britannique. L’introduction, lors des révisions successives des traités, de clauses d’exemption (optingout) a permis en 1993 à

N°15 – 26 janvier 2015 … Nouvelles...... David Cameron, d’une renégociation des traités européens débouchant sur “un nouvel accord” soumis par referendum au peuple britannique

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Directeur  de  Publication  :  Jean  Vergès,  Président  d’honneur  du  Mouvement  européen-­‐Provence  (ME-­‐F-­‐Provence)  Rédacteur  en  Chef  :  Daniel  Suzan  (ME-­‐F-­‐Provence)             Contact  email  :  [email protected]  Secrétaire  de  Rédaction  :  Annie  Giraud-­‐Héraud  (ME-­‐F-­‐Provence)      

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        N°15 – 26 janvier 2015

     Les  Nouvelles  du  Mouvement  européen-­‐Provence    

Éditorial : Il faut sauver l'Union Européenne Il  y  a  urgence  !  En  effet  plusieurs  signaux  inquiétants  laissent  entrevoir  les  dangers  pesant  sur  la  construction  européenne  résultant       -­‐  de   l’inexistence   d'un   récit   européen   qui   n'est   tenu   ni   par   les   pouvoirs   publics   des   Etats  membres   de   l'Union,   ni   par   les   systèmes  d'enseignement,   ni   par   les   médias,   alors   même   que   la   matière   existe   sur   les   plans   culturel   (architecture…),   économique   (Airbus…),  monétaire  (l'euro...),  institutionnel  (la  démocratie...),  social  (haut  niveau  de  protection...)  et  bien  d'autres  ;       -­‐  d’une   situation   économique   défavorable   se   caractérisant   par   une   croissance   atone,   un   chômage   élevé   frappant   notamment   les  jeunes,  le  développement  de  poches  de  pauvreté,  un  risque  de  marginalisation  de  la  zone  euro-­‐atlantique  ;       -­‐  de  la  dilution  de  la  perception  de  l'Europe  à  cause  d'élargissements  trop  rapides,  des  ambiguïtés  entretenues  notamment  vis  à  vis  de  la  Turquie  et  de  l'Ukraine,  et  de  l'attitude  de  contestation  permanente  adoptée  par  le  Royaume-­‐Uni  ;       -­‐  des  divergences  franco-­‐allemandes  dans  les  domaines  économique  et  monétaire,  de  la  gouvernance  territoriale,  de  la  mise  en  œuvre  du  dialogue  social  et  de  la  diplomatie,  même  si  les  deux  Etats  font  des  efforts  méritoires  pour  maintenir  à  haut  régime  le  moteur  franco-­‐allemand  ;       -­‐  pour   couronner   le   tout   (mais   cela   n'est   guère   étonnant   au   regard   de   ce   qui   vient   d'être   énoncé)   la   très   faible   participation   aux  dernières  élections  du  Parlement  européen  et  l'envoi  dans  cette  enceinte  de  20  %  de  députés  eurosceptiques  ou  europhobes  !  

Face  à  ces  constats,  la  solution  paraît  résider  dans  l'intégration  poussée  du  cœur  de  l'Union  soit  une  douzaine  d'Etats  membres,  dont  les  six  fondateurs  de  la  CEE  et  les  plus  performants  de  la  zone  euro.  Cette  intégration  avancée  porterait  de  manière  obligatoire  sur  les  domaines  monétaire,   budgétaire   et   fiscal,   avec   abandon   de   souveraineté   à   la   clé   et,   de   manière   facultative,   notamment   sur   les   domaines   de  l’énergie,  des  transports,  de  la  protection  sociale  et  de  la  recherche-­‐développement-­‐innovation,  et  tout  autre  que,  par  consensus,  les  Etats  décideraient  de  mutualiser.  Contrairement  à  ce  qui  est  quelquefois  proposé  par  les  partisans  de  cette  coopération  renforcée,  il  n’apparaît  pas  judicieux  de  créer  des  institutions  spécifiques  à  ce  noyau  dur  pour  ne  pas  encore  complexifier  l'Europe.  L'effectivité  de  la  solidarité  de  ce   groupe   d'Etats   serait   assurée   par   un   échange   d'instruments   ratifiés   par   les   Parlements   nationaux   respectifs   et   par   la   réunion  systématique  des  représentants  de  chacun  des  Etats,  en  vue  de  prendre  une  position  unique  avant  toute  réunion,  quel  qu'en  soit  le  niveau,  de  l'Union  ou  de  l'Eurogroupe.  

Ainsi   sans  modification  des   traités   et  de  manière   rapide,   la   construction  européenne  peut  passer   à   la   vitesse   supérieure  avec  un   triple  avantage  :  être  plus  efficace  et  efficiente  pour  retrouver  la  prospérité  ;  être  attractive  en  incitant  les  autres  Etats  à  rejoindre  le  noyau  dur  ;  signifier  au  reste  du  monde  que  “Europa  is  back”  !  

Claude  Reynoird,  Président  du  Mouvement  Européen-­‐Provence  

 “Brexit”  or  “not  Brexit”  ?    –    Season  2  

Le projet du Premier ministre du Royaume-Uni, David Cameron, d’une renégociation des traités européens débouchant sur “un nouvel accord” soumis par referendum au peuple britannique qui l’approuverait ou se prononcerait pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ressemble fort à la “renégociation de l’adhésion de l’Angleterre aux Communautés européennes” que le Premier ministre d’alors, Harold Wilson, avait obtenu en 1974 -1975. Cet épisode a été évoqué dans le précédent numéro des Nouvelles. La présente livraison évoque divers aspects du nouvel épisode et envisage quelques perspectives.

1.  La  stratégie  du  passager  clandestin    Le  referendum  du  5  juin  1975  par  lequel  les  Britanniques  approuvèrent  le  résultat  de  la  renégociation  de  l’adhésion  de  leur  pays  aux  Communautés  européennes  devait,  espérait-­‐on,  dégager  l’avenir  de  la  construction  européenne.  Il  n’en  fut  rien.  Les  quarante  années  qui  l’ont  suivi  ont  été  caractérisées  par  une  renégociation  permanente  des  modalités  de  la  participation  du  Royaume-­‐Uni  à  l’Union  européenne.  Cet  Etat  membre  a  déployé  toutes  les  ressources  de  ce  qu’un  ancien   Premier   ministre   français,   Michel   Rocard,   a   pu   appeler   une   “stratégie   de   passager   clandestin”   tendant   à  diminuer  le  coût  de  sa  participation  et  parfois  à  freiner  le  processus  d’intégration  européenne.  

  Alléger   le   coût   du   billet  :   le   mécanisme   correcteur   obtenu   par   le   Royaume-­‐Uni   (pour   tenir   compte   de  l’importance   de   ses   importations   agricoles   en   provenance   du   Commonwealth   et   de   son   PIB   relatif   qui   était   alors  inférieur  à  la  moyenne  communautaire)  a  conduit  à  diminuer  sa  contribution  au  budget  communautaire  par  rapport  à  ce  qu’elle  aurait  dû  être  si   lui  avait  été  appliqué  le  système  de  droit  commun  de  financement  de  la  Communauté.  Le  thème   de   la   contribution   britannique   a,   des   années   durant,   dramatisé   le   débat   budgétaire.   Le   «  I   want  my  money  back  »  de  Margaret  Thatcher  fut  parfois  accompagné  de  la  menace  de  bloquer  la  procédure  budgétaire  en  utilisant  le  droit  de  veto  hérité  du  “compromis  de  Luxembourg”.   Le  calcul  de   la  contribution  britannique  reste,  en  2014  encore,  une  cause  de  tension.  La  rallonge  de  2  Milliards  d’Euros,  résultat  d’une  nouvelle  méthode  de  calcul  du  Revenu  national  brut  des  Etats  membres  qui  sert  de  base  à  leur  contribution,  a  provoqué  un  “coup  de  sang”  très  médiatique  de  David  Cameron   lors  du  Conseil  européen  d’octobre  2014,   ce  qui  n’a  pas  empêché   les   tories  de  perdre,  quelques  semaines  plus  tard,  l’élection  partielle  de  Rochester  and  Strood  au  profit  de  l’UKIP.  Finalement,  le  paiement  de  la  “rallonge”  a  été  reporté  à  fin  2015.  

  Freiner   le   processus   d’intégration   communautaire   a   été   un   autre   aspect   de   la   stratégie   britannique.  L’introduction,   lors   des   révisions   successives   des   traités,   de   clauses   d’exemption   (opting-­‐out)   a   permis   en   1993   à  

 

Les  Nouvelles  du  Mouvement  européen-­‐Provence  –  N°15  –  26  janvier  2015     2/6  

John  Major   de   soustraire   le   Royaume-­‐Uni   aux   principales   obligations   découlant   du   chapitre   social   du   Traité   de  Maastricht  et,  en  1997,  à   la  participation  au  “système  Schengen”.  La  non-­‐participation  à   la  zone  Euro  est  sans  doute  l’élément  essentiel  de  la  différenciation  britannique.  Le  gouvernement  britannique  a  réussi  à  écarter  de  la  Présidence  de  la  Commission  des  candidats  qu’il  jugeait  trop  intégrationnistes  (qualifiés  de  “fédéralistes”,  mot  horrifique  pour  une  majeure  partie  de  l’opinion  publique  anglaise).  John  Major  a  bloqué,  en  1994,  la  candidatures  de  Jean-­‐Luc  Dehaene,  et  Tony   Blair,   en   2004,   celle   de   Guy   Verhofstaedt.   En   2014   cependant,   David   Cameron   n’a   pas   réussi   à   empêcher   la  nomination  de   Jean-­‐Claude   Juncker.   Cette   candidature   avait   déchaîné   la   presse  populaire   anglaise   au   cours   de   l’été  2014.  Au  dernier   trimestre   2014,   c’est   encore  dans   la   presse   anglaise  que   l’on   trouve   les   plus   vigoureuses   attaques  contre  le  nouveau  Président  de  la  Commission  européenne  pour  le  compromettre  à  titre  personnel,  en  tant  qu’ancien  Premier  ministre  luxembourgeois,  dans  l’affaire  du  “Luxleaks”.  

Si  l’on  considère  enfin  la  perspective  de  l’attribution  à  l’Union  de  nouvelles  compétences  dans  le  domaine  financier,  le  Royaume-­‐Uni  s’est  résolument  opposé  à  tout  ce  qui  ressemblerait  à  une  régulation  commune  et  à  un  contrôle  par  la  BCE.   Le   système  de   supervision  des   grandes  banques  prévu  par   l’accord  du  13  novembre  2012  ne   concerne  pas   les  banques  britanniques  dont  l’Union  est  pourtant  le  principal  client  et  qui  ont  causé  quelques  dommages  aux  épargnants  britanniques.  

2.  La  fluctuation  des  objectifs  de  la  renégociation  Dans  son  discours  du  23  janvier  2013,  David  Cameron  évoquait  expressément  la  négociation  d’un  “nouvel  accord”  avec  l’Union.   Le   thème   initial  était   celui  du   rapatriement  des   compétences  qui   rendrait  au  Royaume-­‐Uni   les   compétences  exercées  par   l’Union  dans  certains  domaines  relevant,  selon   le  Gouvernement  britannique,  de  “l’intérêt  national”.  Le  Premier   ministre   avait   seulement   précisé   que   l’accord   recherché   devrait   être   «  centré   sur   le   marché   unique  ».   On  estimait,  à   l’époque,  que  le  rapatriement  pourrait  concerner   le  domaine  social  et  ceux  de   la   justice  et  de   la  pêche.   Il  avait  prévu  que  seraient  activées  certaines  clauses  d’exemption  déjà  présentes  dans  les  Traités,  notamment  celles  en  relation   avec   le  mandat   d’arrêt   européen.   Au   fil   des  mois,   se   sont   ajoutés   des   objectifs   beaucoup  plus   généraux   et  assez   largement   partagés   (renforcer   le   contrôle   des   parlements   nationaux,   “libérer”   les   entreprises   des   lourdeurs  administratives,  accélérer  la  conclusion  de  l’accord  de  libre-­‐échange  avec  les  Etats-­‐Unis),  et  dont  certains  peuvent  être  atteints  sans  renégocier  formellement  les  traités.  

Habileté  tacticienne  ou   imprécision  de   la  stratégie,   le  contenu  du  “nouvel  accord”  et   la  procédure  de  sa  préparation  sont  devenus  assez   flous.  Un  nouveau   thème  est  cependant  venu  s’ajouter  à  ceux  qui  étaient  centrés  sur   le  marché  unique  :  celui  de  l’immigration  qui  constitue  désormais  au  Royaume-­‐Uni,  comme  dans  d’autres  pays  membres,  un  des  thèmes  majeurs   du   débat   politique.   L’United   Kingdom   Indépendance   Party   (UKIP)   de   Nigel   Farage   a   fait   de   la   lutte  contre  l’immigration,  tant  mondiale  qu’européenne,  le  moteur  de  sa  conquête  du  pouvoir.  Pour  tenter  de  le  contenir  en   occupant   son   terrain,   David   Cameron   a   laissé   déraper   le   débat   en   assimilant   dans   sa   réprobation   immigration  d’origine  mondiale  et   immigration  d’origine   intra-­‐communautaire,   remettant  en  cause,  de  ce  fait,   l’une  des  bases  de  l’Union  :  la  libre  circulation  et  le  libre  établissement  des  citoyens  de  l’Union  dans  tous  les  Etats  membres.  A  l’origine,  le  thème  de   l’immigration   n’avait   pas   été   évoqué   dans   les   objectifs   de   la   renégociation  ;  mais   dans   le   discours   qu’il   a  prononcé  le  28  novembre  2014  dans  une  usine  des  Midlands,  le  cœur  industriel  du  Royaume,  le  Premier  ministre  en  a  fait   le   thème   central   de   la   renégociation.   La   pression   migratoire   en   provenance   des   pays   de   l’est   de   l’Union  européenne   qui   ferait   du   Royaume-­‐Uni   “l’usine   à   emplois   de   l’Europe”   n’est   plus   “soutenable”.   Une   panoplie   de  mesures   est   annoncée.   Certaines   n’impliquent   pas   la   renégociation   des   traités   communautaires  :   l’obligation   de  présenter   un   certificat   d’embauche   à   l’entrée  du   territoire,   supprimer   les   aides   sociales   en   cas   de   chômage,   rendre  possible   l’expulsion  après  six  mois  de  chômage.  Certaines  semblent  cependant  difficilement  conciliables  avec   le  droit  de   l’Union,   telle   la   diminution  drastique  des   aides   sociales   (allocations   familiales,   logement   social)   et   des   avantages  fiscaux   durant   les   quatre   premières   années   de   séjour   de   l’immigré   européen   au   Royaume-­‐Uni   qui   introduirait   une  discrimination  entre   salariés  européens.  Par   la   suite  ces  projets   semblent  avoir  été  adoucis  dans   la  perspective  d’un  arrangement  du  type  (dixit  le  gouvernement  britannique)  de  celui  dont  a  bénéficié  la  France  pour  le  respect  du  Pacte  de  Stabilité.  

3.  L’allergie  europhobe  de  la  presse  anglaise  L’europhobie  d’une  partie  de  l’opinion  publique  britannique  a  atteint,  du  printemps  à  l’automne  2014,  un  niveau  assez  révélateur  et  dont  il  faut  tenir  compte.  Bien  entendu,  tous  les  Britanniques  ne  lisent  pas  la  “presse  Murdoch”  (mais  ils  sont  nombreux  à  le  faire…  …)  lorsqu’elle  se  déchaîne  contre  la  candidature  de  Jean-­‐Claude  Juncker  à  la  présidence  de  la  Commission  européenne.  Le  journal  Le  Monde  en  a  traduit  quelques  savoureux  passages  tirés  des  éditoriaux  du  Sun  ou  du  Mail  of  Sunday.  On  peut  trouver  un  peu  exagéré  mais  finalement  assez  flatteur  pour   lui  de  voir  dans  Jean-­‐Claude  Juncker   «  la   partie   émergée   d’un   énorme   iceberg   fédéraliste  »  ou   «  un   vieux  magouilleur   bruxellois   eurofanatique   et  intégrationniste  »  ;  mais  les  éditorialistes  n’ont  su  se  retenir  de  faire  un  mauvais  jeu  de  mots,  rapprochant  Juncker  et  drunker,   en   affirmant   qu’il   arrive   au   candidat   à   la   présidence   de   la   Commission   d’attaquer   le   petit-­‐déjeuner  «  au  cognac  ».  Le  plus  réjouissant  est  que,  à  moins  que  ce  soit  la  lutte  séculaire  du  grain  et  de  la  grappe,  l’aversion  pour  les  vins  français  n’épargne  pas  Jacques  Santer  (Président  de  la  Commission  de  1995  à  1999)  qui  n’en  peut  mais,  dont  le  

 

Les  Nouvelles  du  Mouvement  européen-­‐Provence  –  N°15  –  26  janvier  2015     3/6  

chef  du  service  politique  du  Mail  of  Sunday  affirme  qu’il  «  était  surnommé  Jacques  Sancerre  pour  son  goût  prononcé  pour   les  bons  vins  français  ».  Mais   les  choses  deviennent  plus  sérieuses  et  plus  révélatrices  de   l’amalgame  Europe  et  immigration  réunies  dans  la  même  aversion  populaire  lorsque  l’éditorialiste  du  Sun  conclut  :  «Dites  au  saoulard  qu’on  veut  mettre  un  bouchon  sur  l’immigration  ».  Les  sujets  de  sa  Gracieuse  Majesté  nous  étonneront  toujours  par  la  qualité  de  leur  humour.  Nos  moroses  souverainistes  pourraient  y  trouver  des  leçons.    

Prudence  pré-­‐électorale  ou   conviction  nouvelle,   le   gouvernement  britannique,   quant   à   lui,   s’efforce  de   rendre   aussi  discrets   que   possible   les   symboles   d’appartenance   à   l’Union.   La   bannière   bleue   aux   étoiles   d’or   n’apparaît   presque  jamais   sur   le   territoire  anglais.   Le  Foreign  Office  a  demandé  au  Quai  d’Orsay  qu’elle  ne  soit  pas   trop  visible   lors  des  cérémonies  de  commémoration  du  centenaire  de  la  Grande  Guerre.  De  même,  toute  lecture  trop  “européenne”  de  la  victoire  de  1945  est  déconseillée.  

4.  “Une  certaine  idée  de  l’Europe”  assez  particulière  Le  Royaume-­‐Uni  est  incontestablement,  par  l’histoire  et  par  la  géographie,  un  grand  pays  européen  qui  a,  lui  aussi,  tout  à   fait   légitimement,   “une  certaine   idée“  de   l’Europe.  Mais  cette   idée  est  assez  différente  de  celle  de  ses  partenaires  continentaux.  David  Cameron  en  exprimait  la  pérennité  en  juillet  2014  lorsque,  après  avoir  énuméré  les  objectifs  de  la  future   renégociation   des   traités,   il   ajoutait   qu’il   faudrait   «  s’occuper   sérieusement  »   de   la   formule   qui   figure   depuis  l’origine   dans   les   traités   communautaires   «  l’union   sans   cesse   plus   étroite   des   peuples   de   l’Europe  ».   Reconnaissons  l’acuité  du  propos  ;  il  a  tout  de  même  plus  de  classe  que  le  «  I  want  my  money  back  ».  Il  met  le  doigt  sur  l’essentiel,  sur  la  finalité  même  du  projet  d’intégration  européenne.  

Cette  “union  sans  cesse  plus  étroite  des  peuples  de  l’Europe”,  inscrite  dans  tous  les  traités  européens  successifs  depuis  le   Traité   CECA,   est   la   colonne   vertébrale   de   la   construction   européenne.   Formulation   inchoative   qui,   en   l’absence  actuelle  d’un  peuple  européen,  réunit  progressivement  des  peuples  européens  qui  ont  des  histoires  différentes  mais  se  reconnaissent  un  patrimoine  commun  de  valeurs  et  d’intérêts  et  un  projet  de  société  qu’ils  veulent  exemplaire,  bref  une  identité.  Telle  était  l’ambition  des  fondateurs,  constamment  réaffirmée  par  les  peuples  des  Etats  membres  lors  des  ratifications   successives   des   traités   modificatifs,   mais   que   beaucoup   d’acteurs   politiques   actuels   ne   pourraient   ni  n’oseraient   réaffirmer.  Ce   concept  est  pourtant  à   la  base  de   réalisations  bien   concrètes  de  Union  européenne.   Sans  cette   “union  des  peuples”,  pas  de  citoyenneté  de   l‘Union,   pas  de  droit   de   vote  des   “étrangers   communautaires”   aux  élections  municipales,  pas  de  Parlement  européen  élu  au  suffrage  universel  direct…  et  pas  de  droit  de  circulation  et  d’établissement  de  ces  citoyens  dans  tous   les  pays  membres.  Sans  cette  perspective  d’union  sans  cesse  plus  étroite,  comment  justifier  de  nouvelles  disciplines  et  les  transferts  financiers  qu’elles  impliquent  ?  

Tout  cela  est  fort  éloigné,  reconnaissons-­‐le,  de  la  culture  profonde  d’un  peuple  pour  qui  le  continent  est  isolé  lorsqu’il  y  du  brouillard  sur  la  Manche  (“Fog  in  the  Channel,  Continent  Cut  Off”  titrait  le  Times  du  22  octobre  1957,  une  formule  largement  dans   les   annonces  météo  britanniques),   d’un  peuple  qui,   tout   au   long  de   son  histoire,   a   eu  pour  horizon  “le  grand  large”,  puis   l’Empire  et   le  Commonwealth.  Anthony  Eden,  alors  ministre  des  Affaires  étrangères,  disait  tout  cela   le  12   février  1952  :   «  Nous   sentons   jusque  dans  nos  entrailles  que  nous  ne  pouvons  pas  devenir  membres  d’une  communauté  européenne  ».  Cela  ne  signifiait  nullement  que  le  gouvernement  de  Sa  Majesté  dût  se  désintéresser  de  ce  qui  se  passait  sur  le  continent  et  ne  pas  avoir  soin  de  parer  à  toute  construction  continentale  contraire  aux  intérêts  du  Royaume.  «  L’Angleterre  n’aime  pas  les  coalitions  »  disait  Disraeli  au  milieu  du  XIXème  siècle.  Le  blocus  napoléonien  lui  a  laissé   de  mauvais   souvenirs.   «  Ne   faites   pas   l’Europe  ;   ce   sera   comme   le   blocus   continental   de  Napoléon.   Ce   sera   la  guerre  »  avertissait  Macmillan.  

Lorsque,  après   la   seconde  guerre  mondiale,   il   parut  utile  de   reconstruire  un   continent  dévasté,   l’Angleterre  apporta  son   soutien.  Mais   elle   se   concevait   alors   comme   puissance   protectrice   et   non   comme  membre   de   l’organisation   à  créer.   Ce   “quelque   chose   comme   les   Etats-­‐Unis   d’Europe”   dont   Winston   Churchill   souhaitait   la   création   dans   son  discours  de  Zurich  du  19  septembre  1946  reposerait  sur  la  réconciliation  de  la  France  et  de  l’Allemagne  tandis  que  «  la  Grande-­‐Bretagne,   la   famille   des   peuples   britanniques  »,   «  la   puissante   Amérique  »   et,   si   possible,   l’Union   soviétique  devraient  «  se  poser  en  amis  et  protecteurs  de  la  Nouvelle  Europe  ».  

A   compter   du  moment   où   le   continent   a   commencé   à   s’organiser,   la   stratégie   du   Royaume-­‐Uni   a   été,   tour   à   tour,  d’empêcher,  de  concurrencer,  de  contrôler.  

  Empêcher  que  les  organisations  que  l’on  créait  soient  dotées  du  pouvoir  de  prendre  des  décisions  obligatoires  autrement   qu’à   l’unanimité,   “supranationalité”   (comme   on   disait   alors)   incompatible   avec   la   souveraineté   des  “Communes”.  Telle  fut  l’histoire  du  Conseil  de  l’Europe  et  de  l’Organisation  Européenne  de  Coopération  Economique  (OECE,   plus   tard  OCDE)   qui   sont   restés   de   simples   forums  mais   n’ont   jamais   pu   avoir   l’efficacité   des   Communautés  européennes.  Paul-­‐Henri  Spaak  expliqua  ainsi  sa  démission  de  la  présidence  de  l’Assemblée  consultative  du  Conseil  de  l’Europe  :  «  L’alternative  pour  l’Europe  est  bien  simple  :  ou  il  lui  faut  s’aligner  sur  la  Grande-­‐Bretagne  et  renoncer  à  faire  l’Europe,  ou  tenter  de  faire  l’Europe  sans  la  Grande-­‐Bretagne.  Pour  ma  part,  j’ai  choisi  la  seconde  hypothèse.  »  

“Tenter  de   faire   l’Europe  sans   la  Grande-­‐Bretagne”,  c’est  ce  à  quoi  se  décidèrent   les  six  Etats   fondateurs  de   la  CECA  (France,  Allemagne,  Italie,  Belgique,  Pays-­‐Bas  et  Luxembourg).  La  Déclaration  Schuman  du  9  mai  1950  est  une  initiative  

 

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unilatérale   du   Gouvernement   français,   une   invitation   faite   aux   Etats   européens   de   créer   la   première   organisation  européenne  supranationale.  Robert  Schuman  n’avait  pas  averti  Ernest  Bevin  de  la  “Déclaration  du  Salon  de  l’horloge”  pour   éviter   une   négociation   préalable   dans   laquelle   l’absence   de   pouvoir   décisionnel   de   l’organisation   aurait   été   la  condition  de  la  participation  du  Royaume-­‐Uni.  Cette  déclaration  invitait  aussi  la  Grande  Bretagne  à  la  négociation.  Ses  représentants  assistèrent  aux  premières  séances  mais  s’en  retirèrent  bien  avant  la  signature  du  Traité  de  Paris.  

  Concurrencer  :   la   CECA   prit   son   essor   et,   après   la   conférence   de   Messine   (1956),   les   “six”   décidèrent   de  relancer   la  construction  communautaire  en  créant,  par   les  Traités  de  Rome  de  1957,  un  marché  commun  général,   la  Communauté  économique  européenne  (CEE)  et  une  organisation  plus  spécifique  la  CEEA  (Euratom).  Le  Royaume-­‐Uni  ne  pouvait   entrer  dans   la  CEE  qui   reposait   sur  une  union  douanière   incompatible   avec   sa  politique   commerciale   et   ses  échanges  avec   le  Commonwealth.   Il  proposa   la  création  en  Europe  d’une  grande  zone  de   libre  échange  qui  parut  au  “six”  une  tentative  de  noyer  la  CEE.  Après  l’échec  des  travaux  du  “Comité  Maudling”,  il  regroupa  les  “non-­‐six”  dans  une  Association  européenne  de  libre  échange  (AELE)  ou  European  Free  Trade  Association  (EFTA)  créée  par  la  Convention  de  Stockholm  du  4  janvier  1960.  Mais  celle-­‐ci  périclita   lentement.  La  plupart  de  ses  membres  posèrent   les  uns  après   les  autres   leur   candidature  à   la  CEE.   Lorsque   la  Grande  Bretagne  elle-­‐même  se   résolut  à  poser  pour   la  première   fois   sa  candidature  (août  1961)  son  commerce  avec  la  CEE  était  déjà  plus  important  que  son  commerce  avec  l’AELE.  

  Contrôler  de  l’intérieur  :  après  avoir  surmonté  l’humiliation  du  rejet  de  ses  deux  candidatures  successives  par  la  France  du  Général  de  Gaulle  (janvier  1963  ;  décembre  1967),  la  remarquable  obstination  britannique  aboutit  enfin  à  l’acceptation  de  la  candidature  du  Royaume-­‐Uni  par  la  France  de  Georges  Pompidou  (mai-­‐juin  1971).  Devenu  membre  des   Communautés,   le   Royaume-­‐Uni   exigea   (cf.   supra)   la   renégociation   de   son   adhésion   et   fut   en   situation   de   faire  peser  sur  le  cours  de  l’intégration  européenne  son  interprétation  propre  de  la  construction  européenne.  

5.  Le  coût  du  Brexit  Seuls  certains  éléments  de   la  balance  coûts-­‐avantages  du  retrait  de   l’Union  sont  connus.   Ils  concernent  évidemment  d’abord   le   Royaume-­‐Uni.  Mais   aucun   tableau   d’ensemble   n’en   est   fourni   du   fait   que   les   objectifs   de   renégociation  fluctuent  au  fil  des  mois  et  aussi  parce  que  personne  ne  tient  à  le  faire.  Une  autre  difficulté  est  que  cette  balance  varie  en  fonction  de  l‘hypothèse  de  travail  :  retrait  pur  et  simple  à  l’issue  duquel  les  relations  de  l’Union  européenne  avec  le  Royaume-­‐Uni  ressembleraient  à  celles  qu’elle  entretient  avec  un  pays  tiers  ;  ou  situation  résultant  d’un  nouvel  accord  créant   une   association   ad   hoc   entre   les   deux.   Quelques   éléments   font   cependant   l’objet   d’une   estimation   assez  partagée.  

• La  première  conséquence,  plutôt  agréable  pour  lui,  du  “retrait  sec”  serait  que  le  Royaume-­‐Uni  serait  dispensé  de  verser   à   l’Union   une   “contribution   nette”   (différence   entre   ce   qu’il   verse   et   ce   qu’il   en   reçoit)   d’environ  7,2  Milliards  d’euros  (sans  doute  plus  en  tenant  compte  de  la  rallonge  qui  lui  a  été  demandée  en  fin  2014).  

• Une   autre   conséquence   immédiate   serait   la   satisfaction   d’une   grande   partie   de   l’opinion   publique   anglaise   qui  s’estimerait  délivrée  des  contraintes   imposées  “par  Bruxelles”,  et  donc  un  renforcement  de   l’attractivité  du  pays  pour  les  investisseurs.  

• Les  conséquences  sur  les  échanges  commerciaux  d’un  retrait  sans  association  ultérieure  seraient  importantes  pour  le   Royaume-­‐Uni   et   dans   une   certaine  mesure   pour   les   pays   du   continent.   Les   exportations   britanniques   vers   le  continent   représentent   environ   15%  du   PIB   du   pays   et   concernent   près   de   4  millions   d’emplois.   A   l’inverse,   les  exportations   des   pays   du   continent   vers   le   Royaume-­‐Uni   ne   représentent   qu’une   petite   partie   de   leurs  exportations.  

• Elles   seraient   probablement   plus   visibles   sur   les   flux   financiers.   Londres   est   la   porte   d’entrée   des   capitaux  américains  et  asiatiques.  La  City  est  la  première  place  de  traitement  des  transactions  en  Euros  :  74  %  des  échanges  de  devises  européennes  et  40  %  des  transactions  en  Euros  s’y  effectuent.  85  %  des  fonds  d’investissement  opérant  sur   le   continent   y   sont   établis.   En   cas   de   retrait   du   Royaume-­‐Uni,   les   quelques   160   institutions   financières  européennes   (17  %   des   avoirs   bancaires)   risqueraient   de   la   quitter.   Certains   optimistes   estiment   que   la   France  pourrait   faire  partie  des  gagnants  de  cette  relocalisation  de   l’industrie   financière  de   l’Euro  si  Paris  savait  devenir  une  place  financière  attractive.  Il  n’est  pas  étonnant  que  les  milieux  bancaires  de  la  City  aient  clairement  exprimé  leur  net  “scepticisme”  à  l’égard  du  “Brexit”  !  

• Dans   le   domaine   de   la   liberté   d’établissement   intracommunautaire   des   personnes   qui   devient   sa   principale  revendication,   la   Grande-­‐Bretagne   serait   délivrée   du   flux   “insoutenable”   de   travailleurs   provenant   de   l’est   de  l’Union,  mais  les  1,3  millions  de  Britanniques  librement  établis  sur  le  continent  verraient  leur  statut  remis  en  cause.  

• Dans   le   domaine   de   la   défense   européenne,   les   conséquences   pour   l’ensemble   de   l’Union   se   feraient   sentir   à  moyen   terme.   Dans   la   mesure   où   existe   une   esquisse   de   politique   européenne   de   sécurité   et   de   défense,   les  choses  ont  peu  changé  depuis  des  décennies  :  il  faut  reconnaître  que  seuls  les  Anglais  et  les  Français  acceptent  de  payer   le   prix   humain   et   financier   pour   l’Union   toute   entière.   Les   Allemands   en   sont   empêchés   par   leur   Loi  Fondamentale.   Les   autres   citoyens   de   l’Union,   très   attachés   à   leur   prospérité   et   à   la   paix,   trouvent   naturel   de  laisser  cette  charge  aux  deux  Etats  qui  ont  gardé  une  diplomatie  et  une  défense,  et   font  confiance  au  parapluie  

 

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américain.   Le   retrait  du  Royaume-­‐Uni  diminuerait   la   capacité  de   l’Union  de  défendre  ses  valeurs  et   ses   intérêts.  Mais   l’Angleterre,   plus   que   tout   autre,   a   peut-­‐être   aussi   intérêt   à   une   certaine   stabilité   internationale.   L’OTAN  resterait,  il  est  vrai,  un  cadre  de  coopération  pour  la  défense,  mais  un  cadre  dominé  par  les  USA.  Il  serait  peut-­‐être  possible  de  réanimer  certaines  alliances  européennes  nées  après   la  seconde  guerre  mondiale  comme   l’Union  de  l’Europe  Occidentale  (UEO).  

• Au  niveau  de  la  diplomatie  générale  et  des  équilibres  géostratégiques.  Le  divorce  de  l’Union  européenne  et  du  Royaume-­‐Uni,  même  si  le  retrait  de  l’organisation  était  suivi  d’un  système  d’association  étroite,  marquerait  une  date  négative  dans  l’histoire  de  l’unification  de  l’Europe  qui,  malgré  ses  aléas,  reste  jusqu’à  maintenant  une  success  story.  Ce  serait  un  signe  d’affaissement  de  son  projet  historique  et  peut-­‐être  le  signal  d’une  dynamique  de  fragmentation.  Mais  pour   le  Royaume-­‐Uni   les  conséquences  en  seraient  tout  aussi  négatives.   Son   statut   international   repose   sur   le   souvenir   de   l’Empire   et   du   Commonwealth,   mais   aussi   sur   sa  position   en   Europe.   L’ambition   d’un   “spécial   relationship”   avec   l’Amérique,   progressivement   estompée   dans   les  dernières  décennies  du  XXème  siècle,  s’est  évanouie  depuis  que  l’opinion  publique  anglaise  a  marqué  sa  réprobation  des  guerres  d’Irak  et  d’Afghanistan  et  surtout  lorsque  le  Parlement  a  refusé  au  gouvernement  de  David  Cameron  la  possibilité  d’un  engagement  militaire  en  Syrie.  L’Europe  reste  un  espace  indispensable  pour  le  Royaume-­‐Uni.  

6.  Du  bon  usage  du  temps  et  des  opportunités  Le   problème   anglais   a   toujours   occupé   une   place   à   part   dans   le   débat   européen   en   France.   Le   lancement   de  l’intégration   communautaire   sans   attendre   l’Angleterre   revient   à   une   initiative   des   démocrates-­‐chrétiens   et   des  socialistes   français.   Mais   des   hommes   politiques   aussi   différents   que   Pierre   Mendès-­‐France   et   Georges   Pompidou  étaient   persuadés   qu’il   était   indispensable   de   faire   l’Europe   avec   l’Angleterre.   Aujourd’hui   encore,   certains   ne  conçoivent   pas   qu’on   puisse   “continuer   sans   elle”.   En   Allemagne,   la   Chancelière   Merkel   résiste   fermement   aux  demandes  britanniques  de  modifications  substantielles  de   l’Union,  mais   les  milieux  économiques   rappellent  qu’il  est  impossible  de  continuer  l’Europe  sans  le  Royaume-­‐Uni.  

L’Union   européenne   traverse   une   période   difficile   de   son   histoire.   Dans   tous   ses   pays,   la   déception   des   opinions  publiques  s’exprime  de  manière  plus  ou  moins  vive.  Comme  tout  ce  qui  est  exagéré,   les  débordements  de   la  presse  populaire   anglaise   sont   sans   importance.   Ils   n’indiquent   nullement   la   volonté   réelle   des   Britanniques   de   quitter  l’Union  :  60  %  d’entre  eux,  révèlent   les  sondages,  veulent  y  rester…  mais  à   leurs  conditions  !  La  Grande-­‐Bretagne  est  une   démocratie,   mais   une   démocratie   élitiste  :   les   milieux   dirigeants   y   savent   encore   imposer   leurs   vues   et   leurs  intérêts,  quitte  à   canaliser   l’exaspération  populaire  vers  des  boucs  émissaires  peu  décidés  à   se  défendre.  C’est,  plus  que   jamais,   nécessaire  :  malgré   les   promesses   faites   par   les   tories   à   leur   arrivée   au   pouvoir,   l’augmentation   du   PIB  (+  3  %)  et  la  baisse  du  chômage  (-­‐  6  %)  n’empêchent  pas  un  déficit  des  finances  publiques  (5,3  %  du  PIB)  qui  se  situe,  à  la  fin  2014  au  niveau  le  plus  élevé  de  l’Union,  un  niveau  supérieur  à  celui  de  l’Irlande,  de  la  France,  de  l’Italie  et  même  de  la  Grèce  et  annonce  un  prolongement  durable  d’une  austérité  exaspérante  pour  les  classes  moyennes  et  les  classes  populaires.  

En  simplifiant,  on  pourrait  dire  que  les  Britanniques  voudraient  le  marché  unique  sans  les  politiques  communes  (c’est  le   vieux   rêve   d’une   grande   zone   européenne   de   libre-­‐échange).   Comme   rien   n’est   parfait,   ils   se   résigneraient   à   un  marché  organisé  des  biens  et  des  services,  aussi  libre  que  possible,  sans  régulations  et  sans  contrôles  excessifs  et,  par  contre,   avec   une   liberté   d’établissement   des   personnes   très   limitée.   Théoriquement,   un   système   très   avantageux  d’association  avec  l’Union  après  le  retrait  du  Royaume-­‐Uni  devrait  pouvoir  faire  l’affaire.  Mais  les  choses  ne  sont  pas  aussi  simples.  Au  fond  de  leur  conscience  historique,  les  dirigeants  britanniques  ne  souhaitent  nullement  se  retrouver  retranchés  de  l’Union.  Aucun  accord  d’association,  aussi  avantageux  soit-­‐il,  ne  saurait  leur  faire  accepter  une  situation  dans   laquelle   le  Royaume-­‐Uni  contemplerait  de   l’extérieur,  comme  associé  et  non  comme  membre,   la  marche  d’une  Union   continentale   qui   continuerait   sans   lui   et   sur   laquelle,   ne   disposant   plus   de   sièges   dans   ses   institutions,   il  n’exercerait  désormais  qu’une  influence  réduite.  

Une  analyse  sereine  de  l’état  des  forces  et  des  projets  conduirait  à  adopter  une  attitude  ferme  à  l’égard  des  demandes  britanniques   de   renégociation   et   à   ne   pas   se   laisser   entraîner   dans   une   opération   qui   ressemblerait   à   celle  qu’Harold  Wilson   avait   réussi   à   imposer   à   ses   partenaires   en   1974  :   une   renégociation   informelle   qui   pourrait   être  présentée   comme   “cosmétique”   par   ceux   qui   l’auraient   acceptée   mais   qui   déboucherait   sur   des   modifications  substantielles   et   durables.   Une   solution   harmonieuse   devrait   éviter   deux   écueils  :   un   retrait   (pur   et   simple   ou   suivi  d’une  association)  que   les  Britanniques,  malgré  une  orchestration   remarquable,   ne   souhaitent  pas,   et   auquel   aucun  dirigeant  continental  n’oserait  se  déclarer  favorable,  et  des  concessions  qui  videraient  l’Union  de  tout  avenir.  

Les   mutations   réussies   sont   celles   qui   utilisent   le   temps   et   s’appuient   sur   le   cours   naturel   des   choses.  L’Union  européenne,  en  s’éloignant  de   la  crise  qu’elle  a   traversée,  se  restructurera  pour  dépasser  ses  défaillances  et  s’adapter  au  monde  du  XXIème  siècle.  On  peut   imaginer  qu’elle  se  réorganise  autour  de  structures  plus  différenciées.  Certains  pays  membres  voudront  aller  plus  loin  dans  le  processus  d’intégration  ;  d’autres  préfèreront,  pour  des  raisons  qui  leur  sont  propres  mais  qui  sont  tout  aussi  légitimes,  rester  dans  l’Union  au  stade  où  elle  en  est,  dans  sa  composition  

 

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et   ses   institutions,   mais   éventuellement   avec   des   disciplines   assouplies.   C’est   sans   doute   ainsi   qu’il   faut   lire   la  déclaration   du   Conseil   européen   de   juin   2014   lorsqu’elle   précise   que   “l’union   sans   cesse   plus   étroite   des   peuples  d’Europe”  que  conteste  David  Cameron  permet  “d’emprunter  différentes  voies  d’intégration  […  …]  tout  en  respectant  la  volonté  de  ceux  qui  ne  souhaitent  pas  poursuivre  l’approfondissement”.  Ces  derniers  ne  doivent  pas  pouvoir  empêcher  ceux  qui  le  veulent  (et  le  peuvent)  d’aller  plus  loin  et  de  consolider  la  zone  Euro  en  acceptant  de  nouvelles  solidarités  et  de  nouvelles  disciplines  monétaire,  budgétaire,  fiscale  et  politique.  

L’histoire  de   la   construction  européenne  a   toujours  été   celle  de   ceux  qui   voulaient  aller  plus   vite  et  plus   loin.   Si,   au  début  des  années  cinquante,  on  avait  attendu  l’assentiment  de  tous,  on  en  serait  resté  à  l‘impuissance  des  premières  organisations   européennes   nées   du   Plan   Marshall.   La   continuation   de   l’Europe,   comme   jadis   la   paix   mondiale  qu’évoquait  la  Déclaration  Schuman,  «  ne  saurait  être  sauvegardée  sans  des  efforts  créateurs  à  la  mesure  des  dangers  qui  la  menacent  ».  

Jean Vergès, Président d’honneur du Mouvement européen-Provence

“Charlie”,  l’Europe,  la  raison  et  le  courage  

 Les  épreuves  renforcent  ceux  qu’elles  n’abattent  pas.  Le  peuple  de  France  vient,  après  d’autres,  d’être  durement  frappé.  Réconcilié  avec  lui-­‐même,   il   a,   par   son   étonnante  mobilisation,   témoigné   de   sa   maturité.  Son  personnel  politique  a  fait  preuve  de  dignité.  Sursaut  inespéré  d’un  pays  trop  souvent  incité  à  douter  de  lui-­‐même.  

Il   y   a   le   temps   des   larmes,   le   temps   de   la   colère,   le   temps   des   homélies…  Vient  celui  de  la  raison,  du  courage  et  des  décisions.  

La  présence  à  nos  côtés  de  nos  concitoyens  européens  nous  a  réconfortés.  Ils  connaissent  les  mêmes  désarrois.  La  confrontation  sur  notre  continent  de  nos   valeurs   démocratiques   et   de   valeurs   régressives   est   le   défi   majeur  auquel  nous  devons  faire  face.  

L’Europe,   «  continent   porteur   de   civilisation  »   dont   les   habitants   ont  «  développé  progressivement  les  valeurs  qui  fondent  l’humanisme,  l’égalité  des  êtres,   la   liberté,   le   respect   de   la   raison  »,   affirme   le   projet   européen.   C’est  sur  ce  continent  qu’est  née  la  démocratie,  c’est  lui  qui  a  vu,  au  siècle  dernier,  la   plus   étonnante   expérience   de   réconciliation   de   peuples   longtemps  ennemis   autour  d’un  patrimoine   commun  de   valeurs.  C’est   aussi,   quoi   que  

l’on  dise,  un  continent  accueillant  à  ceux  qui  lui  demandent  asile,  travail  et  sécurité.  Mais  c’est  un  continent  qui  doit  exiger  de  ceux  qu’il  accueille  le  respect  du  socle  commun  de  ses  valeurs.  

Jean  Vergès,  Président  d’honneur  du  Mouvement  européen-­‐Provence  

Jacques  Barrot  nous  a  quittés  le  3  décembre  2014  Né le 3 février 1937 à Yssingeaux (Haute-Loire), fils du résistant démocrate-chrétien Noël Barrot (député MRP de Haute-Loire de 1945 à son décès en 1966), Jacques Barrot effectue ses études secondaires à Yssingeaux, obtient une licence en droit à Aix-en-Provence puis est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris (IEP).

Homme de conviction, humaniste, élu local influent (député de la Haute-Loire de 1967 à 2004, Président du conseil général de la Haute-Loire de 1976 à 2001, maire de sa commune natale de1989 à 2001), il a longtemps été l’une des principales figures de la démocratie chrétienne en France et a exercé plusieurs fonctions ministérielles entre 1974 et 1981, puis de 1995 à 1997, dont celles de ministre du Commerce, ministre de la Santé, et ministre du Travail et des Affaires sociales.

Inspiré dès sa jeunesse par l’idéal de réconciliation des peuples européens, admirateur des pères fondateurs de ce qui allait devenir l’Union européenne, il put s’investir directement dans l’action communautaire comme vice-président de la Commission européenne de 2004 à 2009, d’abord chargé des Transports (il fut notamment en charge du projet Galileo) puis de la Justice et des Affaires intérieures.

Du 12 mars 2010 à sa mort, il fut membre du Conseil constitutionnel, au service de la protection des droits et libertés qui lui tenait à cœur.

  Agenda   Jeudi  5  février  à  18h     –  Débat  sur  “L’intergénérationnel  en  Europe”   au  Ligourès  (Aix-­‐en-­‐Provence)  

Jeudi  19  février  à  18h     –  Assemblée  générale  du  Mouvement  européen-­‐Provence    

Contacts  utiles    Mouvement  européen-­‐France       http://www.mouvement-­‐europeen.eu/    Mouvement  européen-­‐Provence     http://www.mouvement-­‐europeen-­‐provence.eu  

  Maison  de  la  vie  associative  –  Le  Ligourès  –  Place  Romée  de  Villeneuve  –  13090  –  Aix-­‐en-­‐Provence  

Parlement  européen  –  Bureau  d’information  pour  le  Sud-­‐Est       http://sudest.europarl.fr/view/fr/agenda_org.html  Représentation  régionale  de  la  Commission  européenne  à  Marseille     http://ec.europa.eu/france/marseille/index_fr.htm  

Minute de silence dans la salle de presse de la Commission européenne