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 Le roman, la peinture et la description du corps : une explication de texte comparée de Nana de Zola (chapitre 1) Dans le grand cycle des  Rougon-Macquart , le roman  Nana peint l’ascension et la déchéance d’une courtisa ne. Les thèmes centraux qui y sont associés sont dans un premier temps le pouvoir de la sensualité féminine, mais aussi, ensuite, la fragilité de ce pouvoir. Parodie des opérettes de l’époque, et particulièrement d’une représentation d’un spectacle d’Offenbach, le premier chapitre de  Nana est aussi davantage que cela. Le passage que nous étudierons en provient et montre le pouvoir de Nana, lié à la confiance qu’elle a dans la force séductrice de son corps. Dans le passage précédent immédiatement cet extrait, on peut voir que la mise en scène de ce spectacle d’opérette était médiocre et que Nana n’avait aucune voix, ce qui souligne combien elle ne devait pas son rôle central à ses qualités d’actrice. « On frappait les trois coups, des ouvreuses s’entêtaient à rendre les vêtements, chargées de pelisses et de paletots, au milieu du monde qui rentrait. La claque applaudit le décor, une grotte du mont Etna, creusée dans une mine d’argent, et dont les flancs avaient l’éclat des écus neufs ; au fond, la forge de Vulcain mettait un coucher d’astre. Diane , dès la seconde scène, s’entendait avec le dieu, qui deva it feindre un voyag e pour laisser la  place libre à Vénus et à Mars. Puis, à peine Diane se trouvait-elle seule, que Vénus arrivait. Un frisson remua la salle. Nana était nue. Elle était nue avec une tranquille audace, certaine de la toute-puissance de sa chair. Une simple gaze l’enveloppait ; ses épaules rondes, sa gorge d’amazone dont les pointes roses se tenaient levées et rigides comme des lances, ses larges hanches qui roulaient dans un  balancement voluptueux, ses cuisses de blonde grasse, tout son corps se devinait, se voyait sous le tissu léger, d’une blancheur d’écume. C’était Vénus naissant des flots, n’ayant pour voile que ses cheveux. Et, lorsque Nana levait les br as, on apercevait, aux feux de la rampe, les poils d’or de ses aisselles. Il n’y eut pas d’applaudissements. Personne ne riait plus, les faces des hommes, sérieuses, se tendaient, avec le nez aminci, la bouche irritée et sans salive. Un vent semblait avoir passé, très doux, chargé d’une sourde menace. Tout d’un coup, dans la bonne enfant, la femme se dressait, inquiétante, apportant le coup de folie de son sexe, ouvrant l’inconnu du désir. Nana souriait toujours, mais d’un sourire aigu de mangeuse d’hommes. » Le texte s’organise en trois temps : des « trios coups » à « Un frisson parcourut la salle » il s’agit de la reprise du spectacle après l’entracte, de la description du décor préparant l’arrivée de Nana. De « Nana était nue » à « les poils d’or de ses aisselles », le passage constitue la description du corps de la jeune femme. Enfin, la dernière partie du texte met en valeur la réaction du public masculin et souligne la position dominante de Nana ainsi que le sentiment d’un certain danger qu’elle colporte. On cherchera à se demander dans notre analyse comment la mise en exergue du corps et de l’attitude de Nana, marquent une évolution de la représentation de la courtisane dans la littérature du XIXème siècle et à travers cette évolution, comment la description appartient ici à un genre ambigu, fondé sur l’utilisation de techniques descriptives à la fois symboliques et  poétiques, mais aussi tributaires de motifs picturaux, au service d’un texte « naturaliste ». La question ultime qui en émergera sera de savoir si l’on peut rattacher ce texte à une conception naturaliste et pourquoi ?

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Le roman, la peinture et la description du corps :une explication de texte comparée

de Nana de Zola (chapitre 1)

Dans le grand cycle des  Rougon-Macquart , le roman  Nana peint l’ascension et ladéchéance d’une courtisane. Les thèmes centraux qui y sont associés sont dans un premier tempsle pouvoir de la sensualité féminine, mais aussi, ensuite, la fragilité de ce pouvoir.

Parodie des opérettes de l’époque, et particulièrement d’une représentation d’un spectacled’Offenbach, le premier chapitre de  Nana est aussi davantage que cela. Le passage que nousétudierons en provient et montre le pouvoir de Nana, lié à la confiance qu’elle a dans la forceséductrice de son corps.

Dans le passage précédent immédiatement cet extrait, on peut voir que la mise en scène dece spectacle d’opérette était médiocre et que Nana n’avait aucune voix, ce qui souligne combienelle ne devait pas son rôle central à ses qualités d’actrice.

« On frappait les trois coups, des ouvreuses s’entêtaient à rendre les vêtements, chargées de pelisseset de paletots, au milieu du monde qui rentrait. La claque applaudit le décor, une grotte du mont Etna,creusée dans une mine d’argent, et dont les flancs avaient l’éclat des écus neufs ; au fond, la forge deVulcain mettait un coucher d’astre.

Diane, dès la seconde scène, s’entendait avec le dieu, qui devait feindre un voyage pour laisser la place libre à Vénus et à Mars. Puis, à peine Diane se trouvait-elle seule, que Vénus arrivait. Un frissonremua la salle. Nana était nue. Elle était nue avec une tranquille audace, certaine de la toute-puissancede sa chair. Une simple gaze l’enveloppait ; ses épaules rondes, sa gorge d’amazone dont les pointes

roses se tenaient levées et rigides comme des lances, ses larges hanches qui roulaient dans un balancement voluptueux, ses cuisses de blonde grasse, tout son corps se devinait, se voyait sous le tissuléger, d’une blancheur d’écume.

C’était Vénus naissant des flots, n’ayant pour voile que ses cheveux. Et, lorsque Nana levait les bras,on apercevait, aux feux de la rampe, les poils d’or de ses aisselles.

Il n’y eut pas d’applaudissements. Personne ne riait plus, les faces des hommes, sérieuses, setendaient, avec le nez aminci, la bouche irritée et sans salive. Un vent semblait avoir passé, très doux,chargé d’une sourde menace. Tout d’un coup, dans la bonne enfant, la femme se dressait, inquiétante,apportant le coup de folie de son sexe, ouvrant l’inconnu du désir. Nana souriait toujours, mais d’unsourire aigu de mangeuse d’hommes. »

Le texte s’organise en trois temps : des « trios coups » à « Un frisson parcourut la salle »

il s’agit de la reprise du spectacle après l’entracte, de la description du décor préparant l’arrivéede Nana. De « Nana était nue » à « les poils d’or de ses aisselles », le passage constitue ladescription du corps de la jeune femme. Enfin, la dernière partie du texte met en valeur laréaction du public masculin et souligne la position dominante de Nana ainsi que le sentimentd’un certain danger qu’elle colporte.

On cherchera à se demander dans notre analyse comment la mise en exergue du corps etde l’attitude de Nana, marquent une évolution de la représentation de la courtisane dans lalittérature du XIXème siècle et à travers cette évolution, comment la description appartient ici àun genre ambigu, fondé sur l’utilisation de techniques descriptives à la fois symboliques et

 poétiques, mais aussi tributaires de motifs picturaux, au service d’un texte « naturaliste ». Laquestion ultime qui en émergera sera de savoir si l’on peut rattacher ce texte à une conception

naturaliste et pourquoi ?

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I. L’évolution de la représentation érotique de la courtisane

De Coralie dans   Illusions Perdues à la Nana de Zola, beaucoup de chemin a été parcourut. Si Coralie est un personnage secondaire, visant à mettre en valeur la chute de Lucien,Esther Gobsek dans Splendeur et misères des courtisanes, trouvera un rôle narratif bien plus

considérable, mais il reste chez Balzac une certaine limitation à la représentation réaliste de lasensualité féminine dans toute sa force.  Nana est à sa manière la description des splendeurs etmisères d’une courtisane, mais ici, dans ce début de l’œuvre, c’est la domination de la courtisanesur les hommes par sa sensualité qui est mise en valeur.

Le portrait de Nana s’organise en effet d’abord autour de sa puissance : lesreprésentations mythiques ne sont pas insignifiantes - les éléments de type guerrier ne trompant

 pas : « sa gorge d’Amazone » ou « les pointes roses levées comme des lances » sont appuyées par a proximité de Diane, déesse de la chasse (« Puis, à peine Diane se trouvait-elle seule, queVénus arrivait. »). C’est comme si Vénus absorbait les propriétés guerrières de Diane à travers sasensualité. D’ailleurs, l’expression « laisser la place libre à Vénus et à Mars » prête à confusion,car Nana arrive seule. Même si, dans la pièce, un acteur jouant Mars intervient ensuite, Zola

maintient ici une ambigüité volontaire : Nana est Venus et Mars à la fois. Les élémentssymboliques marquent la description : « les pointes roses levées comme des lances » évoque unesexualité féminine active, chose très peu représentable dans la littérature de l’époque.

Dans l’extrait, l’angle du naturalisme est visible dans la description sensuelle du corps de Nana, mais plus encore dans la mention de la pilosité axillaire de Nana. Si la représentation ducorps féminin dans l’art occidental a été marquée, pendant des siècles, pour ne pas dire desmillénaires, par un tabou sur la pilosité féminine, la peinture française a commencé às’émanciper sur cette question dans la première moitié du XIXème siècle (Delacroix, La Liberté 

  guidant le peuple, 1831; Chassériau,  Nymphe endormie près d’un Lac, 1850). Cependant, lareprésentation de la pilosité féminine reste beaucoup rare dans la littérature.

Le texte de Zola montre notamment qu’une relation d’implicite sadomasochismes’instaure, relation, jamais représentée aussi clairement chez Balzac. La symbolique verticale del’espace entre la scène où trône Nana et le parterre des hommes (qui regardent depuis les « feuxde la rampe ») rehausse l’actrice et écrase d’une certaine manière le public des hommes. Ceux-ci,qui peu avant riaient, sentent désormais monter une peur (« la femme se dressait, inquiétante »),mais sont fascinés et acceptent cette peur avec un véritable plaisir (elle leur apporte « le coup defolie de son sexe, ouvrant l’inconnu du désir »; plus haut l’« air doux » mêlé à la « sourdemenace » souligne cette atmosphère contrastée). Nana pour sa part, est tout à fait consciente decette posture de soumission du public et apprécie sa propre domination puisque son sourire a

changé  : le « sourire aigu de mangeuse d’hommes » qui clôt le passage montre, en effet la

domination totale de la femme exhibant sa nudité. L’arme des duvets de ses aisselles est brandiecomme un fétiche sur un public masculin, réduit à une attitude de pure réceptivité sexuelle (« lesfaces des hommes, sérieuses, se tendaient, avec le nez aminci, la bouche irritée et sans salive »).

II. Une description génériquement ambiguë : un naturalisme ekphrastique

Le portrait de Nana qui se dévoile dans ce passage est un moment clé de la représentationdu nu féminin dans la littérature française. On remarquera tout d’abord une apparenteincohérence : le nu est dans un premier temps clairement affirmé (« Nana était nue »), puis

légèrement nuancé (« Une simple gaze l’enveloppait »). Ce fait, parmi d’autres, souligne que lareprésentation du nu en littérature ne va pas de soi.Le texte s’organise comme une ekphrasis : la représentation de Venus nue invite

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évidemment à la comparaison avec les représentations picturales. On voit la description seconclure par une sorte de sentence venant la récapituler - Zola vient par là insister auprès dulecteur sur le fait que la nudité de Nana sur scène prolonge un topos pictural : « C’était Vénusnaissant des flots, n’ayant pour voile que ses cheveux ».

 

En choisissant de mettre en valeur dans une opérette ce topos, la narration ne peut écarter 

la mise en parallèle immédiate pour le lecteur entre la Vénus selon Nana d’une part et la Naissance de Venus par Botticelli d’autre part. C’est une référence centrale de l’histoire de l’art àlaquelle une description littéraire comme celle de Zola ne peut que faire allusion. Mais l’écartentre l’opérette de mauvais goût et un tableau recherchant la représentation la plus idéale

 possible de la beauté féminine suppose des écarts.Ces écarts existent mais ne seront pas de l’ordre de la vulgarité : à l’opposé de la

description de la première partie de l’opérette, le style employé par Zola dans l’apparition de Nana nue n’est pas connoté négativement. Des images symboliques et poétiques à connotationmélioratives (« son corps […] d’une blancheur d’écume »; le « balancement voluptueux » de ceshanches ou encore un « C’était Vénus » qui n’a rien d’ironique) viennent effacer le procès devulgarité qu’on attendait. Une attention portée au texte du premier chapitre dans son ensemble

montre que la vulgarité se situe bien davantage du côté du public et que de celui de Nana elle-même (la décadence postérieure de celle-ci étant un autre thème).

Ces écarts ne relèvent donc pas d’une opposition beauté idéale/beauté vulgaire, mais belet bien d’une double opposition - beauté idéale/beauté sensuelle d’une part et beautédouce/beauté agressive d’autre part. Le champ sémantique guerrier noté dans la partie précédenteappuie cette seconde opposition, tandis que la première se remarque dans les expressions« balancement voluptueux » ou « ses cuisses de blonde grasse » qui rapprochent davantage Nanades femmes de Rubens que de la Vénus de Botticelli. Seuls parallèles clairement maintenus avecBotticelli : la blondeur commune, la chevelure faisant office de vêtement (« n’ayant pour voileque ses cheveux ») et la blancheur du corps.

 

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Courbet dont on rapproche souvent la représentation du réel en peinture de celle de Zolaen littérature, a peint un tableau  La femme à la vague qui montre de nombreux points communsavec la description de Nana au point qu’on peut se demander s’il n’en est pas la source dans lamesure où il date de 1868, soit seulement douze ans avant la publication du texte de Zola : la

 blondeur/rousseur est commune aux deux personnages (même si décrite ici « blonde », Nana estévoquée comme rousse dans de nombreux passages du roman); le créateur met en valeur dans les

deux cas des seins « aux pointes roses levées », la sensualité grasse de Nana (« larges hanches »,« cuisses de blonde grasse ») se retrouve dans le buste charnu de la baigneuse de Courbet. Si leshanches de celle-ci sont immergées, ce qu’on découvre de son bassin appuie ce parallèle. Uncorps féminin nu, blond ou roux émergeant de la mer est un thème connotant immédiatementl’héritage du thème antique de la naissance de Venus, et en particulier de la Venus de Botticelli.

Au mouvement de l’héroïne de Zola « lorsque Nana levait les bras » répond le mêmemouvement dans le tableau de Courbet - dans les deux cas, il s’agit véritablement d’une pose.Enfin, le tableau comme la description littéraire sont entièrement organisés pour mettre en valeur toute la sensualité féminine des duvets des aisselles (chez Zola l’image clôt toute la description).

Le caractère sensuel de la pilosité est accentué par Courbet à travers l’humidité quiimprègne l’aisselle, tandis que Zola utilise deux moyens distincts dans un but semblable : d’une

 part la métaphore méliorative « les poils d’or  de ses aisselles » et d’autre part la réaction du public masculin, soudain fasciné et silencieux.

On pourrait peut-être même ajouter la structure prosodique de la phrase qui reprend,d’une certaine façon, un style périodique :

« Et, lorsque Nana levait les bras [protase - montée], on apercevait, aux feux de la

rampe, [acmé - c’est-à-dire ici suspension temporelle, tension prosodique mise en valeur par lesvirgules] les poils d’or de ses aisselles [apodose, - résolution prosodique]. »

Ainsi, bien qu’on ne retrouve absolument pas l’attitude agressive dominatrice de Nanadans le tableau de Courbet, la proximité du texte et du tableau est remarquable sur six motifs : 1)la blondeur/rousseur 2) la sensualité grasse 3) l’enracinement commun dans la tradition picturale

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de la naissance de Venus 4) une pose commune 5) une organisation commune autour du thèmedu duvet d’aisselles féminin 6) une représentation mettant en scène non la vulgarité maisl’extrême sensualité de ce duvet.

Il nous semble qu’une telle profusion de motifs communs laisse assez peu de chances auhasard d’une inspiration parallèle et semblable, surtout pour un thème relativement rarement

représenté dans l’art de l’époque1

. Nous proposons donc plutôt de suggérer que le texte de Zolaest directement inspiré du tableau de Courbet, qui le précède d’une douzaine d’années et aveclequel il partage une conception de la nudité sensuelle, plus représentative de la réalité du désir que celle des nus académiques, visant un idéal.

III. Un texte naturaliste?

Le passage s’ancre-t-il entièrement dans la tradition réaliste/naturaliste? Zola partage

avec Balzac, l’utilisation d’une narration alternativement omnisciente (mettant en valeur le pointde vue de l’auteur) et une focalisation interne aux personnages introduisant un autre type desubjectivité dans la description de Nana.

Ainsi, les modalisations guerrières déjà évoquées dans la description de Nana sontimputables au point de vue d’un narrateur omniscient (« sa gorge d’amazone  dont les pointesroses se tenaient levées et rigides comme des lances »). Il y a dans le texte un effet de poétiqueérotique avec une allitération autour d’une série vocalique équivoque : « Vénus » /« N ana étaitnue » évoque allusivement une partie cachée et encore indicible pour l’époque de l’anatomieérotique de Nana. Les procédés s’éloignent ici de l’écriture strictement naturaliste.

Par contre, les modalisations poétiques mélioratives (« les poils d’or  de ses aisselles »)sont a priori imputables au public masculin transporté (ce qui n’exclue pas nécessairement lenarrateur de partager ce point de vue). Plusieurs indices supposent qu’il s’agit bien d’un regarddu public : le fait que l’angle de vue est « aux feux de la rampe » écarte la vision globale dunarrateur omniscient, orientant plutôt vers un regard (en fait une foule de regards) venant du

 parterre. Enfin, la dernière occurrence de modalisation subjective marque, elle, un jugement dunarrateur : « Nana souriait toujours, mais d’un sourire aigu de mangeuse d’hommes. »

Le nu littéraire est plus rare que le nu pictural. Et la représentation de l’aisselle fémininenaturelle dans la littérature est beaucoup plus rare au XIXème siècle que dans la peinture.Chassériau ou Delacroix ont précédé Courbet tandis que Zola apparaît isolé sur le versantlittéraire de ce thème. Face à cette pudeur littéraire, Zola est bien naturaliste dans son innovation.

Par contre, cette représentation est, comme on l’a vu, chargée de modalisations et d’effets  poétiques qui l’écarte d’un réalisme brut - la rapprochant, au final, par ce brouillementgénérique, d’une plus grande modernité.

La description de Nana nue apparait comme le seul véritable intérêt de la pièce : tout lereste n’est que « prétexte ». Le peu d’importance du jeu des acteurs est visible dans le passage àtravers la phrase : « Diane, dès la seconde scène,  s’entendait avec le dieu, qui devait feindre unvoyage pour laisser la place libre à Vénus et à Mars ». Le jeu y est lourdement perceptible, tous

1 On connait l’intérêt d’Émile Zola pour la peinture et le regard ironique qu’il porta sur la Naissance de Vénus deCabanel : « Voyez au Champ-de-Mars la Naissance de Vénus. La déesse noyée dans un fleuve de lait, a l'air d'unedélicieuse lorette, non pas en chair et en os, - ce serait indécent, - mais en une sorte de pâte d'amande blanche etrose. Il y a des gens qui trouvent cette adorable poupée bien dessinée, bien modelée, et qui la déclarent fille plus oumoins bâtarde de la Vénus de Milo : voilà le jugement des personnes graves. Il y a des gens qui s'émerveillent sur lesourire de la poupée, sur ses membres délicats, sur son attitude voluptueuse : voilà le jugement des personneslégères. Et tout est pour le mieux dans le meilleur des tableaux du monde. »

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les rouages sont grossiers, car chacun des acteurs sait que l’opérette en question ne tire pas safortune de sa valeur artistique, mais de la présence sensuelle de Nana. En plus d’être la critique

 parodique d’une représentation de la Belle Hélène d’Offenbach, la description de Nana nue, dansce premier chapitre est un tableau du naturalisme zolien, évoquant le pouvoir sensuel del’aisselle féminine naturelle en s’inscrivant discrètement dans une tradition picturale.

L.A.