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ne M'oublie Pas - Créer Un Blog Gratuitement - …ekladata.com/.../Ne_m_39_oublie_pas_-_Emmanuelle_Aublanc.pdf · Je raccroche alors que maman se gare enfin devant la maison. Nous

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Nem’oubliepas

EmmanuelleAUBLANC

Nem’oubliepas

Roman

CollectionFire

©2015,EmmanuelleAublanc.©2015,AngelsEditions

Tousdroitsréservés.

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Créditphoto:©Fotolia

Illustration:ÀVirginieWernert

ISBNnumérique:979-10-94920-14-5

AngelsÉditions

11rueFrançoisCoppée37100Tours

E-mail:[email protected]

SiteInternet:www.angels-editions.com

ChapitrePremier:Tournerlapage.

Sara

Levoilà,lenouveaudépartdontmamèremeparlait.Ellem’avaitpromisledépaysementleplustotal.Jedoisadmettrequesurcepoint,ellen’apasmenti.J’ai traversétout lepays, laisséderrièremoiunepartiedemesamis,dema familleet surtoutdemaviepour la rejoindreàMonterey,unepetite ville côtière en Californie. Rien à voir avec New York. Je ne peux pas nier avoir eu unpincementaucœurenquittant lacôteEst.Maismonchoixétait faitdepuisplusieursmoisdéjà.Mamère ne m’a pas forcée bien au contraire. Si je l’ai fait, c’est parce qu’elle mérite d’être enfinheureuse.Nousavonsl’occasionderepartirdezéro.C’estcequ’elleatoujoursattenduetjerefusequ’elleyrenonceàcausedemoi.J’ailesentimentquequoiqu’ilarrive,nousseronsheureusesici.

Laviedemamann’apastoujoursétérose.Enceintejusqu’auxdentsàlafac,puisséparéedemonpèrealorsquejen’avaispasencoresoufflémapremièrebougie,elleatoujourseul’habitudedetoutmenerdefrontsansforcémentsesoucierdesonbonheurpersonnel.Pourtantmonpèreatoujoursététrèsprésentdansnosvies.Nousn’avonsjamaismanquéderien.Mesparentssesontquittésenbonstermes.Deuxmeilleursamisquionteuunenfantensemble,c’estàçaqu’ilsmefontpenser.Ilssontrestésbonscopainsaprèsleurséparationet jen’ai jamaiseulesentimentd’êtreécarquillée.C’étaitplutôt coold’ailleursdevivreàNewYork. Jepouvaisainsi jonglercommebonmesemblaitd’unappartementàunautre.Ceneserapluspossibledésormais.Etmêmesimadécisionchagrinemonpère,jesaisqu’ilcomprendmonchoixetlerespecte.Mamèreabesoindemoi.Lui,ilaLacey,mabelle-mèreainsiquemademi-sœurAnnaâgéede15ansetmondemi-frèreJosh,11ans.Onnepeutpasdirenonplusquecesderniersaientsautédejoieàl’annoncedemondépart,maisjesaisqu’eux,ilsn’ontpasbesoindemoipourêtreheureux.Enrevanche,mamèrecommencetoutjusteàl’être.Lemariage avecPhil,monbeaupère, lamutationde cedernier àSantaCruz, notre déménagement àMonterey,toutétaitunpeuprécipité.Néanmoins,mamannecessederépéterquelorsquelavienousoffreunnouveaudépartilfauttâcherd’êtreàl’heure.

Alorsmevoici pile à l’heure, quoiqu’en retard d’une semaine quant à la rentrée scolaire.NousavonsdéménagéenjuilletàMonterey,maisj’aiséjournétoutlemoisd’aoûtchezmonpèreàNewYork.Etpuis,j’avaispromisàAnnad’êtrelàpoursonanniversairequicommechaqueannéetombeinévitablementlasemainedelarentréescolaire.Annaetmoiavonstoujoursététrèsprochesl’unedel’autreàlamanièrededeuxsœursjumelles.Elleal’impressionquejel’abandonne.Moi,jesaisquece n’est pas le cas. Je reviendrai. Ce n’est qu’une question de temps.Ma famille vamemanquer.MêmeJosh,cet insupportablegeekpréadoarrogantvamemanquer. Iln’a rienmontrédesapeinelorsquemonpèreetLaceym’ontdéposéeàJFK,maismoi,jel’aivudissimuléderrièresessouriresbiaisés.Jenemefaispasdesoucispoureux,laviecontinue.

Je viens juste d’arrivée à l’aéroport de San Francisco. Je récupère ma valise et rejoins le halld’accueil.Maman, lunettes de soleil sur le nez, arbore un sourire timide et lève lamain pourmesaluer.Jepresselepaspourlarejoindre.Sonsourirememetunpeudebaumeaucœur.Mavaliseen

main,jemejettedanssesbras.Ellemeserreavecforcepuism’embrasseetenprofitepoursubtilisermonbagage.Nousavonstoujoursététrèsprochestouteslesdeux,trèsfusionnelles.Dix-septannéesdeviecommunepasséesàluiconfiertoutdemespeines,demespeurs,forcémentçasoude.

Nousmarchonsd’unpasrapideettraversonsleparkingdel’aéroport.

—Maman,jepeuxlaporter!protesté-je.

—Tuasfaitbonvoyagemachérie?

—Excellent.

—Tantmieux.J’espèrequetuasfaimparcequej’aifaittonplatpréféré:spaghettibolognaiseetboulettesdeviande !Commed’habitude, j’enai faitpourun régiment.Philenaprofitédurant tonabsence pour faire deux trois aménagements dans ta chambre. Trois fois rien. J’espère qu’ils teplairont.

—Vousn’aviezpasbesoindefairetoutça!grondé-je.

Mamèreseretourneetmêmesijenepeuxpasvoirsesyeuxàtraversseslunettesdesoleil,jesaisqu’elleestcontrariée.

—Onfaittoutçaparcequ’ont’aimemachérie.Philtientautantàtoiquemoi.Toutcequ’onveut,c’estquetutesentesbienici,avecnous.

—Maisjemesensbienavecvous,vraiment.Jen’aipasbesoinquevousvouspliiezenquatrepourquecesoitlecas.

—Tuesmapetitefille.Jenecesseraijamaisdetegâter.

Jeremarquequenousnesommesplusqu’àquelquespasdel’imposant4x4demamère.Elleouvrele coffre et dépose ma valise. Je m’assois à l’avant, côté passager. Maman saute sur le siègeconducteuretclaquelaportière.Elleposesamaingauchesurlevolantetladroitesurmongenou.Unrituelquenousobservonsdepuismonenfance.

Unsouriretimidedessineseslèvres.

—Jesuisheureusequetusoisavecnous.Tum’asmanquémachérie.

—Tum’asmanquéaussi.

—Tu devrais appeler ton père pour le rassurer, lui dire que tu es bien arrivée, conseille-t-elleavantdemettrelecontact.

Jen’attendspasqu’ellemeledisedeuxfoispourm’exécuter.Monpèrememanquedéjà.Jepasselerestedutrajetenligneavecluiàl’entendremeprodiguertoutesortedeconseilspourréussirmadernière annéede lycée. Je sais que cen’était pas cequ’il s’imaginait. Il pensait que je feraismesétudesàNewYork.Ilfautcroirequeçanesertàriend’échafauderdesplans.Onnepeutpassavoirdequoidemainserafait.

Jeraccrochealorsquemamansegareenfindevantlamaison.

Noushabitonsdésormaisdanslequartierrésidentield’OakGrove,unelignéededemeuresquiseressemblent toutes les unes les autres. Phil sort de la maison au moment où nous descendons devoiture.Ils’empressedem’accueillirchaleureusementetjesaisquelajoiequ’ilsefaitdemerevoirn’estpasfeinte.Jel’apprécie,c’estquelqu’undebien.Philarencontrémamanilyadeuxansalorsqu’elle faisait des courses dans son centre commercial et le charme au détour du rayon produitménagern’apastardéàopérer.Unanaprèsleurrencontre,ilaréussiàluimettrelabagueaudoigt.Cequin’étaitpasprévuauprogramme,c’estqu’il reprenne ladirectiond’uncentrecommercialàSanta Cruz, nous obligeant ainsi à déménager dans cette petite ville. Cela dit, le cadre n’est pasdéplaisant,presquesympathique.Jesupposequ’ilmefaudraunpeudetempspourm’acclimateràlarégion.Du reste, lamaisonest agréable, lesvoisinsont l’air sympathique–pour ceuxque j’aipucroiserentoutcas.

—J’espèrequetuasfaitbonvoyage.Rentrez!Jem’occupedelavalise,nousaccueillePhil.

Jeleremercieensouriant.

—Allez,viens,machérie.Jesuissûrequetuashâtededécouvrirtanouvellechambre.Crois-moi,tunevaspasenrevenir.Onn’apasvul’étépasser,maisçaenvalaitlapeine.

Jenesuispasvraiment rassurée.Maintenant, j’ai l’impressionqu’ilsontdévaliséunmagasindebricolage.Philestplutôtbondanscedomainesil’ons’évertueàfaireunerapidecomparaisonavecmonpèrequinesaitmêmepasplanterunclou.Poursadéfense,cedernierestavocat,toutcommesesaïeulsavantlui,alorsonnepeutpasdirequelestravauxmanuelsaientvraimentfaitspartiedesonéducation.

—Pasdefolie,hein?

—Non.Suis-moi,dit-elle.

Ellepasseunbrasautourdemesépaulespourme forcer à avancer.Mamanmepoussedans lesescaliers.Machambreesttoutauboutducouloir.

—Fermelesyeux.

Jem’exécute.J’entendslaportegrinceràmesurequ’elles’ouvre.Mamèreposesesmainssurmesépaulesetmeguideàl’intérieur.

—Maintenant,tupeuxlesouvrir!

Mes yeux brillent d’excitation.Ce qui était autrefois une petite chambre dotée d’un lit simple etd’unevieillecommoderessembleàunesuite.Philacassélemurdeséparationaveclachambred’àcôtéquiluiservaitdebureau.Mevoilàavecunlitdouble,unbureauimmenseetunetoutenouvellecommode.Lesmurssontdeteintechocolat,unparquetcaramelremplacel’anciennemoquette.Ilyaun tas de cadres photo vides accrochés auxmurs. C’est incroyable. Je suis complètement sous lecharmedecettenouvelledéco.

—C’estmagnifique…

—Ettun’aspastoutvu!

J’interrogemamèreduregard.

—Là,aufond,medit-elleendésignantl’endroitdesonindex.

Aufonddelapiècesetrouveuneportequi,jelesais,mèneàundressing.Mamanyentreposaitlescartons pas encore déballés du déménagement. Ni une ni deux, je pousse la porte et ce que jedécouvreme laisse sans voix. Ça n’a rien d’un dressing. J’appuie sur l’interrupteur qui baigne lapièced’une lueurrouge.C’estunechambrenoire!Jen’enai jamaiseu.L’émotionmegagneà telpoint que j’ai du mal à dissimuler mes larmes de joies. Ma gorge se noue. Je cligne des yeuxplusieursfoispourm’assurerquetoutceciestbienréel.Jemepinceleslèvres.

Detouteévidence,jenesouffrepasd’hallucination.Pourêtreunesurprise,c’enestunedetaille.Jusqu’ici, jemecontentaisdemescoursdephotoàNewYorket jepensaisdevoir faireunecroixdessusendéménageantàMonterey.Maisj’avaistort.Philapenséàtout:ilyadupapierphoto,unbacderévélateur,unbacdefixateuretpasmaldeproduits.L’attentionmetouche.

—Çateplait?demandemamère.

—Tuparlesqueçameplait…c’est…jen’encroispasmesyeux!C’estgénial!Merci.

Jemeprécipitedanssesbras.J’enperdsmesmots.Jenesaispasquoidire.Jesuisencoresouslecoupdel’émotion.Laphoto,c’estmapassion.D’ailleurs,c’estmoiquimesuisoccupéedesphotosdumariage.C’estsimple,lorsd’unévènement,lafillequiestprésente,maisqu’onnevoitsuraucuncliché,ehbien,c’estmoi.Danscegenredecirconstancessionmecherche,onmetrouvetoujourslenezcolléàl’objectifdemonappareil.OK,j’aidûfaireuneexceptionpourlemariagedemamanetconsentiràabandonnerdurantquelquesminutesmonprécieuxappareilàunamidePhil,letempsdeprendrequelquesphotosdefamille.

Monappareilestdansmavalise,c’estmonpèrequimel’aoffert.Depuistoutepetite,jemesuispassionnée pour les belles images et depuis je les traque. Dire que maintenant je vais avoir unechambrenoirerienqu’àmoipourdéveloppermesphotos!C’estunesacréesurprise!

—Nemeremerciepas.ToutlemériterevientàPhil.Ilamislesbouchésdoublespourquetoutsoitprêtàtonarrivée.

—Ne l’écoute pas, ta mère s’est occupée du plus gros ! s’exclame Phil en pénétrant dans machambre.

Ildéposemavalisesurlelitetnousrejoint.

—S’iltemanquequelquechose,n’hésitepas…

—C’estparfait,jelecoupeavantdeleserrerdansmesbras.

Mon geste le surprend, mais il s’abandonne quelques secondes à cette étreinte. Maman nousobserve.Jesenssonregardémuseposersurnous.

—Merci.

—Iln’yapasdequoi.

—Bon,sinouspassionsàtable?Ilestl’heurededîner,intervientmaman.

—Bonneidée!J’aiunefindeloup!enchaînePhil.

— J’ai invitéMia pour le dîner. J’ai pensé que cela te fera plaisir de pouvoir papoter avec elleavantderetrouverlechemindel’école,précise-t-elle.

Jeluisouris.Miaestnotrevoisined’enfaceetprobablementfuturecamaradedeclasse.C’estunefillesympaetplutôtbavarde,maisavecquionse lie facilementd’amitié. Il fautdirequemamanadéployé beaucoup d’énergie pourm’obliger à sortir et à rencontrer les jeunes du quartier. Elle acertainementpeurquejememorfondedansmoncoin.C’estainsiquej’aipassétoutlemoisdejuilletà papoter avecMia et surtout àm’aventurer à la plage. J’ai d’ailleurs tout un tas de clichés à luidonner.Sonsportfavoriétantceluidedraguerlesgarçons,jen’aieudecessedel’immortaliseraubrasd’unvéritablebataillond’apollon.Miaestunefillepétillanteetjoyeuse.Passercetteannéeàsescôtés à Monterey ne devrait pas être trop pénible. Elle pourrait même être bien divertissante.Finalement,j’aihâted’écrireunenouvellepagedansmonjournal.

ChapitreDeux:Stupeurettremblements

Sara

—Allez,avance!Onnevatoutdemêmepasresterplantéeslà!Jesuissûrequed’icilafindelajournée, ils tebaiseront lespiedsSaraCummings.N’aiepaspeur,fonce!Tutesouviensdecequedisaittamère?Quandlaviet’offreunnouveaudépart,tâched’êtreàl’heure!Alorspourl’amourduciel,nenousmetparenretard!Grouille!hurleMia.

Noussommessurleparkingdulycée.MiasetrouvequelquesmètresdevantmoiquisuistoujourstétaniséeàcôtéduRangeRoverdemamère.Mamantravailleàdomicile.Elleesttéléconseillèrepourunlogicielcommercialetbénéficied’unelignetéléphoniquerienquepourelle.Ellemelaissedonclavoiturepourlajournéeletempsdefaireletrajetdelamaisonaulycée.LelycéedeMontereyn’ariendesurprenant.Pelouseimpeccablementtondue,façadebrunâtreetfouled’élèvesquiarpententleslieux.Pasdequoifouetterunchat.

Jeprendsuneprofondeinspirationetrejoinsenfinmonamiequis’impatiente.

—Cen’estpastroptôt!Allez,dépêche,onnousregarde!

Quelquesélèvesassissurlapelouseonteneffetbraquéleurattentionsurnous.

—Mesamissontimpatientsdefairetaconnaissance.Tuvasvoir,tuvasteplaireici,dit-elle.

Mianemarchepas,ellecourt,sautillemêmejusqu’auxportesd’entrée.Unefoiscelles-ciouvertes,unbrouhahaaccablantnoussaisit.Lescouloirssontgorgésd’élèvesquicrient,sechahutent,rient.Ensoi,celanemechangepasvraimentdeNewYork.Ladifférence,c’estqu’icijeneconnaispersonne.

—Viensparlà.

Miamesaisitlebrasetnousconduitjusqu’àunpetitgrouped’élèvesrassemblésdevantlescasiers.Elle gratifie tout le monde de son plus beau sourire et dévoile une rangée de dents blanchesparfaitementalignées.Puisellelibèremonbras,seprécipitedansceuxd’unblondinetdepetitetaille,maisauxépaulescarréesqu’ellesaluechaleureusementd’unlangoureuxbaiser.

—Lesgars,voiciSara,manouvellevoisine,meprésente-t-elle.

—Salut,répondleblondinet.

—Sara,lui,c’estJack,monpetit-ami.Pastouche,ilestàmoi–toutlemonderit.Làc’estMike,NaomietSimon.

ÀlamanièredontMike,unpetitbruntrapuetNaomi,blondeàfortepoitrinesontenlacés,jediraisquecesdeux-làsortentensemble.Lesdeuxmesourient.Mikeme tendunepoignéedemain fermealorsqueNaomim’embrasse.Ledernier,nomméSimonrestestoïque,nonchalant,lesmainsdanslespoches.J’aipresquelasensationqu’ilmefoudroieduregardetjecommenceàmedemandercequiclochechezmoi.Ilestpasmalàregarder:grand,brun,lesyeuxbleus,unecoupeenbrosse.Jenepeux m’empêcher de relever que son tee-shirt est en partie rentré dans son jean. Il est adossénonchalammentcontrelescasiers.Jeluitendslamain,maisilneréagitpas.Unefillebrune,élégante,avecuneminijupescandaleusementcourtedébouledenullepartetlevoilàquitournelestalonssansdemandersonreste.Étrange.

—OK,iln’apasl’airdem’apprécier,jesoulignemalàl’aise.

—Nefaispasattentionàlui.Simonestlunatique,onpeutmêmepenserqu’ilestbipolaireparfois,plaisanteNaomi.

MikeetJackluifontlesgrosyeux.

—Quoi?C’estvrai,onnepeutpasdirequ’ilsoitsouventdebonnehumeur…sedéfend-elle.

—Tum’aspromisdem’aideràréviseravantlescours, intervientMikeàl’attentiondesapetiteamie.Sara,cefutunplaisir.Onsevoitprobablementtouteàl’heure,àlapausedéjeuner.

IlempoignelamaindeNaomietilsmettentlesvoiles.

—Jevouslaisse,j’aidestrucsàfaire,s’esquiveégalementJack.

JefroncelessourcilsetMiaéclatederire.

—C’étaitunpeuétrange?

—Tul’asdit!Ilsnesontpasdouéspourfairelaconversation.Çaviendra,tulesintimides.

Maintenant,j’angoisse.

—Jesuissieffrayantequeça?

—Pasdutout,tuessublime.Net’angoissepaspourça.Çalesmetmalàl’aise,voilàtout!

—Entoutcas,ilyenaunquin’apaseul’aird’êtreintimidé.Jen’aijamaisvuquelqu’unfuiraussivite.

—Dequituparles?

—Dugars,là,Simon.J’aieul’impressiond’avoirlapeste.

—Ignore-le.Simonn’estpas legenredegarssurqui tudevrais jeter tondévolu.Crois-moi,neperdpastontempsaveclui.Ilestcommeçaavectoutlemonde.

—Cequiveutdire?

—Cequiveutdirequ’iln’estpasàcedonttuasbesoin,mabelle.

Jehausseunsourcil.

—Etj’aibesoinde…?

—D’ungarsgentil,attentionné,quinejureraquepartoietquisauratedécrocherlalunes’il lefaut.

—EtSimonn’estpascegenredegars?

—Non.

—Doncj’endéduisquetunel’appréciespas.

—Détrompe-toi,jel’aimebeaucoup.Toutlemondel’apprécie,c’estjusteque…s’interrompt-elle.

—Justeque…?

— Ne cherche pas à comprendre. Simon, ce n’est pas un garçon comme les autres. Il a desproblèmes,ettun’aspasenvied’yprendrepart.Unconseil:gardetesdistances!

—Quelsgenresdeproblèmeexactement?

Lasonnerieretentit.

— J’ai anglais, toimath simamémoire est bonne !Dépêche-toi ! Les profs ont horreur qu’onarriveenretard.Onseretrouveàl’heuredudéjeuner!

Miafilecommel’éclairmelaissantseuleavecmesinterrogations.Jemedemandebiend’ailleurspourquoijemeposeautantdequestionsausujetd’ungarsdontjeviensjustedefairelaconnaissanceet qui plus est me snobe ouvertement. Je suis une fille raisonnable, je devrais m’en tenir auxavertissementsdeMia.

J’élude la question etm’empresse de sortirmon emploi du temps demon sac à dos. Je nemesouviens plus du numéro de ma salle de cours et le couloir est pratiquement désert. Lorsque jeretrouvel’information,jefonceendirectiondemoncoursdemath.Jenevoispasl’heurepasserenpartieparcequejesuisvraisemblablementl’attractiondujour.Jen’aid’autrechoixquedesupporterlefaitquelesprojecteurssontbraquéssurmoijusqu’àcequetoutlemondeselassedelapetiteNew-Yorkaiseégaréeenterrecalifornienne.Cen’estqu’unequestiondejour.D’iciquelquessemaines,jesuiscertainequejenemesentiraispluscommeuneétrangère.Jevaisfinirparm’habituer.Detoutemanière,jen’aipasvraimentlechoix.

Simon

Jenesaispaspourquoicettepetitebrune,là,arg,jenesaisplussonnom…C’estquoidéjà?Sara?Oui,c’estça,Sarameperturbeautant.Pourtantellen’ariend’exceptionnel.Elleestbienfoutue,lesproportions idéales.Mais son visage dégage une image somme toute enfantine presque angélique.Elleal’airtimide,fragile,àdixmillelieuesdesfillesquej’aimefréquenterhabituellement,pourtantquelquechoseme faitdirequecen’estqu’unecouverture. Je suis fou. Jene laconnaispas,et j’aipourtantl’impressiondetoutsavoird’elle.C’estlapremièrefoisqu’unefillemefaitunteleffet.Sonregard… je ne pouvais pas détourner lemien. Il renferme une lueur troublante. C’est comme s’ilm’avaittraversédepartenpart.Jeperdslatêtecertainement.Jenesaismêmepaspourquoijeperdsmon temps à penser à cette fille.Ça n’a pas d’importance, c’est une nana parmi tant d’autres. J’aitoujours fait le choixdenepasm’attacher au sexeopposé.Pourtant, jeneparviens àme l’ôterdel’esprit.Çafaitunedemi-heurequelecoursd’anglaisadébuté.Jack,monmeilleurpote,mâchouillelebouchondesonstyloàcôtédemoi,leregardbraquésurlesfessesdeMia,sapetiteamiedelonguedate,assisejustedevantnous.

Jeluiassènediscrètementuncoupdecoudepourlesortirdesacontemplation.

—Hé!Sacopine,tusaisd’oùellevient?chuchoté-je.

Jackneréagitpas.Ilal’aircomplètementidiotàbaverd’amourdelasortederrièresacopine.Sic’estçaêtreamoureux,jeneraterien.

Ilmegratified’unregardnoiretsemasselebras.

—Quoi?

—L’amiedeMia,elleétaitdansquellycéeavant?

—NewYork,jecrois.

—Elleestarrivéequand?

—Ilyaunmois.Pourquoitumeposescesquestions?

—Pourrien.Tupeuxreluquerdenouveaulesfessesdetapetiteamie.

Jacknesefaitpasprierpourm’obéiretsemblemêmeentireruneprofondesatisfaction.Ainsilapetite Sara est new-yorkaise ? Étonnant, je pensais les filles de là-bas plus exubérantes, un brinsnobinardes.Unclichéparmitantd’autres,jesuppose.

Leprofachèvesoncours.Jem’empressedesaisirmonsacpuissuisstoppénetparMiaquilèvesonbrasetmebarrelepassage.

—Jet’aientendu.Tut’intéressesàSara?

—Qu’est-cequeçapeuttefaire?

—C’estmonamie.

Jefroncelessourcils.Jenevoispasoùelleveutenvenir.

—Etalors?

—Jetiensàelle.Sara,cen’estpaslegenredefillequiseraitintéresséeparunerelationplatonique.Passetonchemin.

—Mia…tented’intervenirJack.

Maisellelefaittaired’unregardnoir.

—Nan,j’déconnepasSimon!Ilyadesfillesqueçanedérangepas,etjenejugepastespetitesaffaires. Ta vie privée te regarde. Tout le monde t’apprécie. Mais si tu touches à un seul de sescheveux, je ne réponds plus de moi. T’es prévenu ! On a déjà eu un drame, pas la peine dereproduire…

—Hé,jetesignalequ’ilenatirélesleçons.Ilestcleanaveclesfillesqu’ilfréquente,medéfendJack.

—Jesais.MaisSaraestmonamie,jeveuxjustem’assurerqu’ilaitintégrél’information.Àpartirdelà,onn’auraaucunproblèmeluietmoi.

—Quoi?Tuaspeurquejeluibriselecœur?Elleadéjàuncopain?Non,mieux,ellesortd’unerelationcompliquéeettutesensledevoirdel’aider?ironisé-je.

—Nil’unnil’autre.Vousn’êtespascompatibles.N’essaiemêmepasd’ypenser.

—Àquoi?

—Àlaséduire.

Jeris.

—Aucunechance.Ellenem’intéressepas.Tumeconnais.Tusaisquecen’estpasmongenre.

—Parfait,surcepointonestd’accord.Onsevoitaudéjeuner,enchaîne-t-elle.

Telleunetornade,elledéposeunbaiserfurtifsurlajouedeJacketselaisseemporterparlafouledanslecouloir.Jacketmoimarchonscôteàcôtejusqu’ànotreprochaincourscommun.

—Jenesaispascequetuasderrièrelatête,maisjet’arrêtetoutdesuite.Gardetesdistancesaveccettefille!brise-t-illaglace.

—Tunevaspast’ymettretoiaussi,grommelé-jeJevousl’aidit,ellenem’intéressepas.

—Tantmieux,parcej’aipasenviedemeretrouverleculcoincéentredeuxchaisessituvoisoùjeveuxenvenir.

—L’imageestsaisissante!memoqué-je.

—Jeneplaisantepas.Ladernièrefois,çaafaillimalfinir.Si tuasbesoind’unpeud’aventure,jettetondévolusuruneautrefille.Onnemanquepasdechoix,surtouttoi.JecroyaisquetubatifolaisdenouveauavecLindacesdernierstemps,dit-il.

—C’estlecas.

—Super,ça,c’estunebonnedistraction!plaisante-t-il.

Jackparaîtrassuréetm’assèneunepetitetapeamicalesurl’épaule.

—Àquiledis-tu!

Mêmesil’imagedeLinda,divinebruneauxformesgénéreusesmerevientenmémoire,jen’arrivepasàéclipsercelledeSara.Etc’estencorepiremaintenantaprèsladiscussionqu’onvientd’avoir.Onditsouventqu’onestdavantageattiréparcequ’onnepeutpasavoir.Objectivement,jediraisquejesuissacrémenttordu.Maisçan’irapasplusloin.Jenemangepasdecepain-là.J’aisuffisammentapprisdemeserreurspournepaslescommettreunesecondefoisetjesaisflairerlesennuisquandils approchent. Cette fille n’est pas comparable à Linda. Aucun risque que je change mon fusild’épaule.

Sara

Lapremièremoitiédelajournées’estplutôtbienpasséesions’attacheàoublierletypeimbudelui-mêmedecematin.Quandmidisonne, jem’empressederetrouverMiadans lacohuequimènejusqu’àlacafétéria.JegrimaceenremarquantqueletypedecematinestàcôtédeJack.Sijen’aipasvouluvoirl’évidence,maintenantleschosessontclaires.Simonmachin-choseestlemeilleuramideJack qui lui-même est le petit-ami de Mia, en quelque sorte, me voilà condamnée à croiser sonchemintousles jours.Espéronsqu’ilfassepreuved’unminimumdejugeotepournepasrendrelasituationencoreplusembarrassante.

Nousfaisonslaqueuepourprendreunplateau.

—Tamatinées’estbienpassée?questionneMia.

—Trèsbien,hormis leprofdemathMonsieurJacksonquia l’aird’unevraiepeaudevache, jepensequejesurvivraisàuneannéeici.

—Quoi?C’estsidifférentdeNewYork?intervientSimond’unairsarcastique.

Il n’a pas pu s’en empêcher, c’est plus fort que lui.La provocation est un art qu’il doit cultiverdepuislongtemps.

—C’estdifférent.

—Ilyamoinsdegensfréquentables,depotentielspetit-amisfriqués,deprofcondescendantspeut-être?

—Non…non…cen’estpascequejevoulaisdire…tenté-jedemedéfendreenbégayant.

D’ailleurs, jenevoismêmepaspourquoi j’aibesoinde lefaire. Ilm’énerve.Jedétestequandjeperdsmesmoyens!

—N’embêtepasmonamie,laisse-latranquille!lehouspilleMia.Nefaispasattentionàlui,c’estunrabat-joie!Situprendspourargentcomptanttoutcequisortdesabouche,crois-moituvasfrôlerlacrisedenerfs.Lemieuxestdel’ignorer,dit-elleavantdetirerlalangueàSimon.

—Lesmanièresdetapetiteamielaissentàdésirer,faitobservercedernieràJack.

—Tuvois?Ignore-le,insiste-t-elle.

Immédiatement,Simonretombedanslemutisme.Miamebassinesursesmésaventuresdel’annéedernièreavecMonsieurJackson.Pasdedoute,monnouveauprofdemathestun tortionnaire.JackparlefootballavecSimonetlasituationsembles’êtrenormalisée.Sil’onpouvaitaumoinspasserlerepassansavoirenviedes’étrangler lesuns lesautres,celapourraitêtresympa.Façondevoir les

choses.Vautmieuxpérirl’estomacpleinquevideàcequ’ondit.

Aprèsavoirprisunplatetunyaourt,plateauenmain,MiaaperçoitMikeetNaomiassisàunetabledehuit.IlsnousfontsigneetMias’empressed’ouvrirlecheminjusqu’àleurtable.Ensuite,elleposesonplateauetjem’assoisàcôtéd’elle.JackluifaitfaceetSimonprendlachaiselibreenfacedelamienne. Le repas est plutôt calme. Il faut dire que nous nous évitons du regard l’un l’autre, notreattention tournée vers nos amis. La conversation ne tarit pas, passant du sport, à la mode, auxprochains évènementsmondains…Bref, jen’ai pasgrand-chose àdire.En fait, j’ai plutôt peurdefairemauvaisefigureenparlanttrop.Lapremièreimpressionestdéterminanteetjepréfèredeloinpasserpourunefilletimidequ’extravertie.Enparlantdefilleextravertie,envoilàjustementunequinemanquepasdeculot.Unebruneplantureuse, cellequi ahappémon regardcematinet celuideSimon,débarquetelleunetornadecoupantcourtàlaconversationpours’asseoirsurlesgenouxdecedernieretl’embrasserlangoureusement.Àcerythme-là,ellevafinirparl’aspirer.

Simonsembleavoirlesoufflecourtlorsqueleurbaisers’arrête.Personnen’enaperduunemiette,lesregardssontrivéssureux.Simonparaîtgêné.Labrunesembleremarquermaprésenceetmonairoutré.

—Onnesaitencorejamaisrencontrées,moic’estLinda,seprésente-t-elleenmetendantlamain.

—Sara.

—Tusaisqu’ilyadeschaises?luifaitremarquerJack.

—Jeneseraisjamaisaussibienassisequejelesuisactuellement,minaude-t-elle.

ElleseruepourlasecondefoissurleslèvresdeSimon.Samaindroitepressesanuque.Lagauchesepositionnedanssescheveux.Simon,lui,àlamaindroitebienancréesurlepostérieurdesapetiteamie.Pasdedoute,ilsemoquebiendel’endroitoùilssetrouvent.S’ilscontinuentainsiilsnevontpastarderàs’accouplerdevanttoutlemonde.

JedétourneleregardetcroiseceluiécœurédeMiaquim’adresseunclind’œilrieur.Alorsquelesdeuxamantsnecessentdesebécoter,toutlemondedétournesonattentiondenouveausurMiaquin’apassonpareilpourdissiperlesmomentsdegêne.

—Qu’est-cequ’onfaitcesoir?Ilseraitdommagedenepasprofiterdesbeauxjoursqu’ilnousresteavantlafindel’été,etpuisenplusc’estlepremiersoirdeSaraparminous.Pique-niquesurlaplage?

Mike,Naomiet Jackopinentde la tête.Lesdeuxautres sont tropconcentréspouravoir entenduquoiquecesoit.

—Cesoir?Non,jenepeuxpas,refusé-je.

—Allez!C’estnotrepremièresoiréeensemble!Tufaispartiedugroupemaintenant,tentedemeconvaincreMia.

—C’estunsoirdesemaine,fais-jeobserver.

—Etalors?demandeMia.

—Mamèrenemedonnerapasl’autorisation.

—J’enfaismonaffaire,dit-elledécidéeànepaslâcherlemorceau.

—Neperdpastontemps,c’estunefilleàmaman.Ellen’apasenviedebraverl’autoritéparentale!Sielleneveutpasvenir,ilyauraplusdebièrespournous,intervientSimon.

—Laferme,onnet’ariendemandé!s’énerveMia.

Cettefois,j’aiunemitrailletteàlaplacedesyeux.Simonsursautemêmequandmonregardseposesurlui.Jefulmineintérieurement.Qu’est-cequ’ilaàlafinàmechercherdesnoisesconstamment?Qu’est-cequej’aibienpuluifairepourmériterautantdeméprisdesapart?Ilnemeconnaîtmêmepas.

Sabrunegloussecommeunedinde.

—Moi,jepeuxvenir,dit-elle.

C’enesttrop!Puisquec’estcommeça,jerelèveledéfi!Jeseraidelapartie.

—Paslapeine,jetrouveraiunesolution.L’affaireestréglée,tupeuxcomptersurmoi:huitheuressurlaplageDelMonte.J’aiplusfaim.J’aioubliéqu’ilfallaitquejepasseausecrétariat.J’yvais,onsevoitplustardm’excusé-je.

Je prends rageusementmon sac,mon plateau et tourne les talons sans tarder. Plutôt crever quepasserunesecondedeplusàadmirercetidiotroulerdespellesàsapoupéegonflableetmetaxerdetouslesmaux.Ildevratrouverunautrepunchingball!Salecon!

Simon

—C’estquoitonproblème?Qu’est-cequitournepasrondcheztoi?s’emporteMia.

Jackposesamainsur lasiennepour tenterde la raisonner,maiselle la retireviolemment.Monattitude belliqueuse envers sa nouvelle meilleure amie est visiblement la goutte d’eau qui faitdéborderlevase.

—Désolé,jenevoulaispasfairefuirtapetiteprotégée.C’estsortitoutseul,dis-je.

—Ducalme,vousn’allezpasvouscrêperlechignonpoursipeu,intervientLinda.

EllesepenchepourmebaiserlecouetjecomprendsauhochementdetêteréprobateurdeMiaquece n’est pas de son goût. Peu importe, elle devra s’y faire. Je ne vais pas changer du jour aulendemain.Aprèstout,onn’aqu’unevieetj’entendsbienprofiterdelamiennecommejel’entends.

Miaselèvedetable,déterminéeànepasensupporterdavantage.

—Onferaitmieuxd’yaller.Tuviens,Jack?

Sa question sonne commeun ordre. Je nem’étonne pas de voirmonmeilleur ami lui obéir audoigtetàl’œil.Onditquel’amourrendaveugle,àcestade-là,jepourraispresquecroirequeJacks’estlui-mêmecrevélesyeux.

Ilsprennentleursplateaux.

—Àtoutàl’heure,ditmonmeilleurami.

—Nousaussionadestrucsàfaire,s’enfuientNaomietMike.

Neresteplusquemoiencharmantecompagnie.Ehbien,étantdonnéqu’ilmerestedixminutesderépitavantlareprisedescours,jecomptebienenprofiter.JefermelesyeuxpendantquelalanguedeLinda s’aventure vers le lobe de mon oreille. Je ne devrais plus penser à rien d’autre qu’à medétendre,etpourtantmêmeaprèsqu’ellesoitpartie,Saraoccupeencoremespensées.Laculpabilitépeut-être?OK,jen’aipasététrèstendreavecelle.Jen’aipaspum’empêcherdelaraillerpourvoircequ’elleavaitdansleventreetforceestdeconstaterqu’elleaducaractère.Ellen’apasl’airdeselaissermarchersurlespieds.Maispourautant,elleatoutdemêmeprislafuitepouréviterleconflit.C’estunparadoxecettefille.Elledonnel’impressionquequelquechoselaretient,quelquechosequil’empêchedeselibéreretdevivrepleinement.

Àl’idéedelarevoircesoir,jemedisquecen’estpasvraimentunebonneidée.Néanmoins,mêmesiellen’apasl’aird’êtredécidéeàoutrepasserlesrèglesmaternelles,jesuiscertainqu’elleviendra.J’ailusadéterminationàmetenirtêtedanssonregard.Elleseralàetmoiaussiavecmesdoutes.J’aijurédenepas jouer au conavec elle, denepas l’approcher et jenemesurepas encoredansquel

pétrinjeviensdemefourrer.

Je jette un regard inquiet àmamontre. Il reste un peu plus de cinqminutes avant que les coursreprennent,cequinous laisse tout juste le tempsdenous lever,déposernosplateauxà lasortieduréfectoire.

JerepousseLinda.Sesbrasencerclenttoujoursmanuque.

—Onsevoitcesoir?

—Non,tusaisquejenepeuxpas.Etpuis,tuasentendu,onseréunitàvingtheuressurlaplage.

—Invite-moi.

Jesouffleetdécollesesbraspossessifsdemanuque.

—Cen’estpaspossible.

—ÀcausedeMia?

—Non.Écoute,onn’estpasuncouple,tulesais.Çaatoujoursétécommeçaentrenous.Tuviens,onsevoit,onpasseunpeudebontempsensembleetças’arrêtelà.

—Justement,cesoirpourraitêtrel’occasiondepasserunbonmoment,susurre-t-elled’unemoueséductrice.

—J’yréfléchirai.

Elleconsentenfinàselever.Àlasortiedelacafétéria,nousprenonschacununedirectionopposée.L’après-mididébuteavecuncoursd’histoire.Lasonnerieretentittoutjusteaumomentoùjeviselaporte de notre salle de cours. Sara est déjà postée devant. Nos regards se croisent. Très vite, elledétournesonattentionsurlelivrequ’elletientenmain.J’endéduisqu’ilenseratoujoursainsientrenous.Enmêmetemps,jel’aibienmérité.

Jem’approcheetm’adosseaumurderrièreelle.D’autresélèvesm’imitent.

—Jem’excusepourtoutàl’heure.Jenevoulaispasteblesser.

Sara ne cille pas, ne tournemêmepas la tête.Elle fait bouger son index sur les lignes du textequ’ellefaitsemblantdelire.Mesparolessonttombéesdansl’oreilled’unesourde.Soitelleveutmefaire payer mon insolence, soit elle ne m’a pas entendu. La première hypothèse semble plusvraisemblable.

—OK,trèsbien,jevois,tuboudes.Dansunsens,jel’aimérité.M’enfin,jenepensaispasquetuseraiscegenredefilles…

Peuimportecequejedis,j’ailesentimentqu’elleestfermementrésolueàneplusm’adresserlaparole.Finalement, jetrouvecepetit jeuamusant.Jesuiscurieuxdevoircombiendetempsellevapouvoirtenir.

Laportes’ouvre,elles’assoitaumilieudelaclasse.Faitexprès,jeprendslaplacevideàsescôtés.Elle nem’accordemêmepas un regard.Elle est coriace.Le cours se déroule sans heurt.MadameAllen, notre prof, demande à l’un de nous de bien vouloir communiquer le dernier cours à Sara.Immédiatement,jeluitendsmesfeuilles.Saranebougepas.Jeluiagitemoncourssouslenezpourlafaireréagir.

MadameAllennousobserve.Sarasesentobligéedemeconsidérer.

—Merci,medit-elle,unsourireforcésurleslèvres.

Alors,jeluisouris.

Sara

Jenepensaispasqueremercierquelqu’unm’écorcheraitautant labouche,mais jecroisquesonpetitairsatisfaityestpourbeaucoup.Cequej’auraisaiméluifairebouffercesfichuesfeuilles!PassûrqueMadameAllenauraitapprécié.

Lescourssontterminés,jeviensjustederentreràlamaison.Jeposemonsacsurmonbureauettente d’oublier cette journée ainsi que Simon et son satané sourire sarcastique qui m’agacetellement… Pour le moment, je n’ai qu’une envie : m’enfermer dans ma chambre noire et ydévelopper les dernières photos que j’ai prises. Immédiatement, l’odeur des produits chimiquesm’apaise.C’estmon refuge. Ici, j’ai l’impression d’être libre. Il n’y a personne pourm’observer,personnepourmedéranger.Lalumièreestinterdite.Iln’yaquemoi,mesétatsd’âmeetlesphotos.Durantquelquesminutes,çafaitunbienfoudes’isoler.

Jesuisentraind’épinglerlesclichésquejeviensdedéveloppersurlescordestenduesau-dessusdematêtequandj’entendsfrapperàlaporte.

—Chérie,Miaestarrivée.Ellet’attenddanslacuisine.Jeluiaioffertàboire.

—Merci,maman.J’arrivetoutdesuite,j’aipresqueterminé.

Jen’aipasvul’heurepassée.Miaetmoidevonsallerensembleànotrepetiteréuniondegroupe.Noussommessupposéespartird’iciàdix-neufheures.Jesupposequenousauronsunpeuderetard.Jen’enrevienspas,avecquellefacilitémamèreaacceptél’idéequejesorteensemainequiplusestunlundi.J’aieuàpeineletempsdeleluidemanderqu’elleétaitdéjàaucourant.Mias’étaitpermisdel’appelerpourlasupplierdemelaisseryaller.Jesupposequemamèren’apaseulecœurdeleluirefuser.C’estl’effetqueMiafaitàlaplupartdesgens.Ellearriveàlesconvaincresansleverlepetitdoigt.J’aimeraisêtredotéedesmêmesfacultés.

J’épingle ladernièrephoto,m’essuie lesmains surmon jeanetm’empressededescendreaprèsavoirrécupérémonsacsurlelit.

Miaestaccoudéeaubardelacuisine,unverredejusdefruitàlamain.

—Bien,alorsonyva!

Ellesautedutabouretpourmerejoindre.

—Passezunebonnesoiréelesfilles,noussaluemaman.

Celle-cis’affaireàladécoupedecourgettespourledîner.Ellereposelecouteaudecuisinesurlaplancheàdécouper,s’essuielesmainssursontablieretnousaccompagnejusqu’àl’entrée.

—Bonnesoirée,Madame,ditMia.

Mias’envaendirectiondesavoiture.

Jemetourneversmamère.

—Tuessûrequeçanetedérangepas?Jepeuxencoreannuler.

Mamanfaitunpasenavant,encerclemonvisagedesesmainsetmebaiselefront.

—Pasdutoutmachérie.Tuviensjustedetefairedesnouveauxamis,c’estunnouveaudépartpourtoi. Amuse-toi et ne rentre pas trop tard. Minuit tout au plus. J’ai confiance en toi. Promets-moiseulementdenepasboired’alcool!

—Maman…

—J’aiétéjeuneavanttoi.Jesaiscommentsedéroulentcegenredesoirées.Promets!

—C’estpromis.

Mamansemblesoulagée.Ellesaitquejenerompsjamaismespromesses.Jenesaispascequis’estpassédanslajeunessedemamèrepourquel’alcoolsoitunsujetsisensible,maisj’imaginequ’iln’yapasde souvenir réjouissant à la clé. J’ai tenté àmaintes reprisesde la faireparler,mais ellen’ajamaisrienlâché.Riend’étonnant,mamanestunroc.

—Allez,file!Mias’impatiente.

Je dirigemon regard vers la concernée qui tapote le volant tout en nous observant. J’embrassemamanàlava-viteetcoursjusqu’àlavoiture.Jeluifaisunsigne,puisnousnousmettonsenrouteversnotredestination.

—Mercid’avoirparléàmamère.

—Ellen’apasétédifficileàconvaincre.Tamèreestladouceurincarnée.Situveux,onpeutfairel’échange.Lamienneestpsychorigideaupossible.

—Pourtanttueslà!luifais-jeobserver.

—Grâceàmonpère,ilasouventlederniermotetparvienttoujoursàlaraisonner.Cen’estqueledébut des cours. Il est normal qu’onprenneunpeudebon temps.Onvapasser unebonne soirée,conclut-elle,unclind’œilcomplicepourponctuersaphrase.

Sonregardsefocalisedenouveausurlaroute,etj’admirelepaysageparlafenêtrejusqu’àcequeMia segare surunparkingenborddeplage.Nousôtonsnos chaussures.Unpetit chemindans lesablenouspermetd’éviterlesmauvaisesherbesetderejoindrelesautres.Ilssontdéjàréunisautourd’un feudebois,papotant, riantetbuvantquelquesbières. Ilyades saladiers sur le sol remplidevictuaillespourlasoirée.Quelqu’unaapportéunpostedemusique.Alorsquenousapprochons,jeperçoislesparolesde«You’vegotthelove»deFlorenceandThemachine.Jediscernedeuxformesqui me semblent être celles de Naomi et Mike, en train de danser. L’ambiance est bon enfant. Jedevraisprobablementbaissermagardepourlasoirée.

Lesoleilsurplombeencorelamer,magnifique,paréed’uneteinteorangée.Jefermelesyeuxuninstantetapprécielabrisemarinequicaressemonvisage.C’estunebellesoiréed’été.

ChapitreTrois:Trêvedeplaisanteries.

Simon

Finalement, j’ai préféré ne pas inviter Linda quoique je loupe certainement une occasion deconclure.JesaisqueMianelaportepasspécialementdanssoncœur.

Noussommestousassisaucoindufeuetjenepeuxpasm’empêcherd’observerSara.Elleparlepeu,semblerestervolontairementenretrait.LaSaratimideestderetour.Cen’estpascellequim’asnobéouvertementencours.ElleritàtouteslesblaguesidiotesdeMike.Elleestmagnifiquequandelle rit, ses fossettes apparaissent, ses yeux pétillent de vie. La légère brise du soir fait voler sescheveuxautourdesonvisage.Jenemesuispastrompé:elleressembleàunange.Danssesmainselletientunverredejusd’orange.Elleal’aird’unepetitefillesage.Jesuispeut-êtreleseulàvoirqu’iln’enestrien.Ilyaunfeuquibrûleenelleetquinedemandequ’àexploser.Iln’estquelueur,maisildeviendrafournaisesiquelqu’unprendletempsdes’yconsacrer.Etquelquechosemeditquepersonnenes’yestpenché.Jedevraiséviterd’ypenser.EtpourtantSaram’obsède,mecaptive.Elleaquelquechosequelesautresn’ontpas.Jen’auraispasl’occasiondeledécouvrir,jemesuisjurédenerienfaire.Miametueraitsinon.D’ailleurs,ellenoussurveille.Ellemejettedetempsentempsunregardaverti,l’airdedire«pastouche.».

J’accuseréceptiondumessage.

Mikemedonneuncoupdecoude,puissepencheversmoi.

— Tu vas lui foutre la trouille. Arrête de la manger du regard comme ça. On dirait que tut’apprêtesàtejetersurelled’uninstantàl’autre,chuchote-t-ilàmonoreille.

Jenerépondsrien,gêné.Jenepensaispasquemontroubleétaitsiévident.Jemerendscomptequetoutlemondesemblel’avoirperçu.C’estlaraisonprobablementdesregardsassassinsquenecessedem’adresser la petite copine demonmeilleur ami. Je lèvemabière dans sa direction et bois augoulot.Unegoutteroulesurmonmentonquej’essuiedureversdelamain.

Jeviensdefinirmabière.Jelajettedansunbacremplid’autresbouteillesvides.Miaestobsédéeparl’environnementettoutescesconneries,commesiletriallaitnoussauver.

Je prends une autre bouteille dans la glacière et croise enfin le regard de Sara. Elleme sourit.Tiens,c’estunepremière.J’ouvremabièreà l’aided’undécapsuleuret la lui tends.Ellesecoue latête.

—Allez,prends-la!Çanevapastetuer.Situaspeurdeteridiculiserenfinissantlasoiréeivre,rassure-toi,iltefaudraenboireplusieursd’affiléspouryparvenir.

—Tuasl’airdet’yconnaître,lâche-t-elle,glaciale.

—OK, jevois, j’avais raison,dis-jeenportant legoulotàmes lèvrespourboired’une traite labouteilleetainsilaprovoquer.

—Àproposdequoi?demande-t-elle.

Jegardevolontairementlesilencedurantquelquessecondes,histoiredelafairemariner.

—Tuesunefilleàmaman.

—Fous-luilapaix!Ellet’aditnon!grondeMia.

—Aïe!Toutdouxlechiendegarde.

Unesonneriebriselatensionambiante.Sarafouilledanssonsac.C’estsonportable.Elleselèvesansunmotets’éloigneunpeuplusloinsurlaplagepourrépondre.

Jel’observemarcherdedos.

—C’estquoitonproblème?attaqueMia.

—Jevoulaissimplementêtresympa.Jeluiaiproposéunebière.

—Ellen’envoulaitpas!

—Hé,ducalme!Onestlàpourpasserunebonnesoirée.Cen’estpasenvousdisputantqu’onvayarriver,nousraisonneJack.

—Danscecas,disàtapetiteamiequ’ellen’apasbesoindejouerleschiensdegarde.

—Jet’aiditdeluifoutrelapaix!

—Sinon?

—Jetebotterailesfesses,tupeuxlecroire,menaceMia.

—Simon,lâchel’affaire,intervientJack.

—Quelleaffaire?...Quoi?Jen’aipasdevuessurelle!medéfends-je.

—Onnediraitpasàvoirtatête,faitobserverNaomi.

—C’estpasçaleproblème.Tun’arrêtespasdeluisauteràlagorgeàlamoindreoccasion.Ellevientjusted’arriver.Merde!Tupeuxlalaisserrespirer?hurleMia.

—Trèsbien,vousavezgagné!J’iraism’excusersiçapeuttefaireplaisir.

—Ceseraitsympaeneffet.Etquetuchangesd’attitudevis-à-visd’elleégalement.Jenesaispascequ’ellet’afaitpourquetuladétestesàcepoint…

—Oucequ’ellen’apasfait,ricanebêtementMikeendonnantuncoupdecoudedanslescôtesdeJack.

Je préfère ne pas relever sa remarque. Mike a toujours le chic pour débiter des stupidités. JechercheSaraetl’aperçoisquelquesmètresplusloin,assise,lespiedsdansl’eau,letéléphonerivéàl’oreille. Elle fait de l’ombre au soleil. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est plus fort quemoi, jeressenslebesoindelabousculer.

Sara

Sauvéeparlegong!Jenemefaispasprierpourprendremesjambesàmoncou.Jem’éloignedugroupecequinem’empêchepasd’entendreMiamettrelespiedsdansleplat.

—C’estquoitonproblème?demande-t-elle.

Une dispute est sur le point d’éclater. Je n’entends pas ce qui suit. Je décroche. C’est Anna. Jem’inquiètequ’ellem’appelleaussitard.

—Hé!Quoideneuf?Ilyaunproblème?

—Est-cequelefaitquemagrandesœurmemanqueestunproblèmeselontoi?

Jeris.Annaestuneboufféed’airfrais.J’aiunpincementaucœurenentendantsavoix.J’aimeraistellement être allongée sur son lit à l’entendre me raconter ses faits et gestes dans le détail, sesdisputesavecJosh,lesbourdesdemonpère,sesprisesdebecavecsameilleureennemie.Jusqu’ici,onn’avaitjamaisétéséparéeselleetmoi.Çamefaitbizarredemerendrecomptequ’àlamoindrecontrariété, je ne pourrais pas me précipiter chez elle ni elle venir à la maison. Nous sommestoujoursaussicomplicesmalgréladistance,c’estjustequemasœurmemanqueterriblement.

Jem’assois àmême le sable, car j’ai le sentiment que la discussion va s’éterniser.Anna fait laconversationàelletouteseule,meparledesesamisetdanslelotd’ungarsmignonquisuitlemêmecoursdebioqu’elle.Jesensdel’admirationdanssavoixetquelquechosemeditquemapetitesœurest en trainde tomber amoureuseune foisdeplus. Jenecompteplus leshistoiresd’amourdemasœur.Jenesaispascommentellefaitpouraimerautantdegarçonsàlafois,quandmoi,jen’aipasétéencorecapabledem’attacheràunseul.Bien sûr, je suis sortieavecdesgarçons,maiscen’estjamaisalléau-delàd’unmoisderelation,car jeneressentaispas lemêmebesoinqu’Annade leurcoller aux basques à longueur de journée. Anna est pleine d’entrain et je l’entends sourire endétaillantlabeautédesonnouveaucamarade.Ellemerassure,prometquemonpèreetmabelle-mèrevontbien.Jel’entendshurleraprèsJoshquivientvraisemblablementdedébarquerdanssachambreetdes’asseoirsursonordi.IlsebatavecellepourluiarracherletéléphonedesmainsetAnnafinitparcéder.Monpetitfrèremetaquineetmedemandesijeneregrettepasd’avoirquittéNewYork,lavillequinedortjamaispouruntrouperducalifornien,maisjeluitienstête.IlfinitparcapituleretrendsonportableàAnna.Laconversationreprendets’enchaînesursespremierscoursdeconduite.Jeluiavaispromisquedèsl’obtentiondesonpermisnousirionsfaireuneviréeshoppingtouteslesdeuxpour fêter ça et que je la laisserais conduire. Ça ne pourra plus se faire. En tout cas, pas dansl’immédiat. Je ne suis censée revenir àNewYork que pour les vacances deNoël. Je ne pense pasqu’Annadécrochesonpermisavantcettedate.

—Quandest-cequetuviensnousvoir?

—Anna,tusaisbienquejenepourraispasveniravantNoël.

—Tupourraisvenirpour lesprochainesvacances,papat’enverraunbillet!Allez, je t’enprie!Accepte,tunousmanques!

—Jenepeuxpas.Ilyamamère.Allez,troismois,cen’estpaslameràboire!

— Pffff… Ça équivaut à l’éternité, soupire-t-elle. Allez, Sara ! Je suis sûre que ta mère serad’accord.

—Ellelesera,maisjesuisdéjàcenséepasserNoëlavecvous.Ceseralesseulesvacancesquejepourraispasseravecelleavantlongtemps.Jeneveuxpasqu’ellesoitseule.

—Ellen’estpasseule,ilyaPhil!

—Cen’estpaspareil.C’estnon,jeresteici.

—J’auraisaumoinsessayé,conclut-elledéçue.

J’entendsdespasapprocherderrièremoietpivoteinstinctivementlatête.

—Écoute,ilfautquejetelaisse.Jeterappelle.Àtrèsvite,jet’aime,conclus-je.

—Jet’aimeaussiSara.

Jeraccrocheetfourremonportabledanslapocheavantdemonjean.Simonchoisittoujourssonmomentpourfaireirruption.

—Jepeux?

J’acquiesce.Ils’assoitàcôtédemoi.

—Unpetitami?questionne-t-il.

Jemedemandebiencequeçapeutluifaire.

—Non,c’étaitmasœur.

—Oh,elleestrestéecloîtréecheztesparentsetellet’enveutàmort?ironise-t-il.

—Demi-sœur,ducôtédemonpère.ElleestrestéeàNewYork,avecmonfrèreetnotrepère.

—Oh,jevois,désolé.

—Dequoi?Deteconduirecommeunidiot?

Ilrit.

—Onn’apasvraimentdémarrédubonpiedtoietmoi.Jesuisdésolé.Jenevoudraispasquetupensesquej’aiunedentcontretoi.Cen’estpaslecas.Jenesuistoutsimplementpasdouépourmemontrersympathique.

—Jel’avaisremarqué,souligné-je.

Ilsefrottelementon,pensif.

—Quedirais-tudefairetablerasedupassé,denouscomporterdemanièreplusadulteàpartirdemaintenant?Jecroisqu’ons’estmaljugé.

J’aidumalà le croire. Il souffle tellement le chaudet le froidque jene saisplus surquelpieddanser avec lui. Est-ce une stratégie pour apaiser les tensions au sein du groupe ou le pense-t-ilvraiment?

—C’estsincère?

Ilhochelatête.

—OK,çameva.

Ilselève,contentdelui.

—Onlesrejoint?

Jeluitendsmamainetilm’aideàmerelever.Toutlemondenousobserve.

Simon

Jenepensaispasqu’ellebaisseraitlesarmesaussifacilement.Samainestfroideetdouce.Unefoisdebout,Sara l’ôtede lamienneet j’ai soudainement lasensationqu’elles’éloigne.Nousmarchonscôteàcôte.Jenesaispaspourquoi,jenesauraisl’expliquer,maisj’aitrèsenviedeglisserànouveaumamaindanslasienne.Letoucherdesapeaunemelaissepasinsensible.C’estcommesielleavaitunpouvoirinvisiblesurmoi,capabledetirerlemeilleurcommelepiredemapersonne.

Nousnousasseyonscôteàcôte.Miaenestbouchebée.C’estpresquejubilatoiredelavoirainsi,estomaquée.Lasoiréevabontrainetl’incidentsembleoublié.Dansl’ensemble,jepasseunebonnesoirée.Jenepeuxpasm’empêcherdetempsàautredeluijeterunregard.Saranetournejamaislatête,mais chaque fois que je l’observe, je sais qu’elle en a conscience. Samâchoire se crispe, sanuquese raidit, elledéglutit. Je lametsmalà l’aise.Samaindroite repose sur le sableàquelquescentimètresàpeinedelamienne.Jepourraisencorelatouchersijelevoulais.Sesdoigtssontfins,longs,dépouillésdetoutornement.Saraadebellesmains.

Je fais glisser timidement la mienne sur le sable et creuse un sillon. Nosmains sont tellementprochesquesiellefaisaitungeste,ellepourraitparinadvertancefrôlerlamienne.J’ensuispresqueàprierpourqu’ellelefasse.Allez,fait-leSara!Bouge!Sinosmainssefrôlent,c’estlesignequejedevraispeut-êtrerendrelesarmes.Siellessetouchent,jeneseraispluscapabledetenirmapromessedenepasl’approcher.

Mais sa main reste désespérément inerte. D’autres mains en revanche s’agitent énergiquementdevantmoi.

—Hé,tueslà!Turêves?s’exclameJackquiclaquedesdoigtssousmonnez.

—Excuse-moi,tudisais?

—Àquoitupensais?

—Riend’important.

— Je parie que tu pensais à Linda. Ça a l’air de bien marcher entre vous en ce moment, faitobserverMike.

Saram’observe,reculesamain.Merde!Mikeatoujourslechicpourcasserl’ambiance.

—Lejeudelabouteille,çatedit?coupemonmeilleurami.

J’acquiesce.Àvraidire,jem’enfiche.Toutcequejevois,moi,c’estquejedevraism’enteniràmadernièrerésolution.Cen’estdéfinitivementpaslemomentpourmoid’entamerunerelationetjenesuisplussûrquel’occasionseprésente.L’avenirestunconceptquim’esttoutsauffamilier.

Tout le monde s’active. Mike dispose une bouteille de bière vide sur le sol et la fait tournerénergiquement.Lestourss’enchaînent,maisjerestedistrait.Masourcededistractionnem’aidepasvraimentàparticiperauxévènements.SaraéclatederirealorsqueMikeetJacksecourentaprès,lepremiertrébucheetentraînelachutedusecond.Jemeforceàrire,maislecœurn’yestpas.

—Etlemeilleurpourlafin,lebaiser!Quiserontlesheureuxélus?lanceMia,unpeuéméchée.

—Sansmoi,jeneparticipepas,tentedeseretirerSara.

—Non,non,non, tun’aspas ledroitde te retireravant la findu jeu!Etpuisonn’amêmepasencoretournélabouteille,çanetomberapeut-êtrepassurtoi,répliqueMia.

Sur ce, Jack s’exécute et fait tourner la bouteille. Mia ne la quitte pas des yeux, attentive.Lorsqu’elle s’arrête sur moi, elle blêmit. Instinctivement, Jack serre de manière possessive leshanchesdesapetiteamiepourmarquersonterritoire.Lemessageestclair,iln’aaucuneenviequejebécotesanana.

—Àtoil’honneur,enchaîneMike.

Jefaistournerlabouteilleavecforceespérantainsiqu’ellenenousmettrapasdansunepositiondélicateSaraetmoi.Fatalement,allezsavoirpourquoi,c’estcequiseproduit.Nouséchangeonsunregardgêné.Sararougit.Ellen’enestqueplusjolie.

—Qu’est-cequevousattendez?s’empresseNaomi.

—Non,je…je…suisdésolée…bégayeSara.

—Oh,allez!Cen’estqu’unbaiserderiendutout.Nemeditpasquetun’asjamaisembrasséungarçon?lataquiné-je.

—Tupeuxl’embrassersurlajoue,çamarcheaussi,luivientenaideMia.

—Horsdequestion,lesrèglessontlesrègles,tunouslerépètesassez,serenfrogneNaomi.

—Jenepeuxpas,c’esttroppersonnel,refuse-t-elle.

Saranousregardechacunànotretour,gênée.

—Cen’estpasgrave…dis-jepourpasseràautrechose.

—Danscecas,siellenelefaitpas,tudoisluidonnerungage,intervientMike.

Jeréfléchisàcequejepourraischoisiretluitendslaseulebouteilledebièreencorepleine.

—Boisunegorgée.

Sarasecouelatête.Jetentedeluiforcerlamain.

—Unegorgée,essaye.

—Non,jen’aipasl’âgepourça.

—Aucundenousnel’a.Ons’enfiche.Personnenevatedénoncer.Tunevaspasfinirenprisonpourunemalheureusebière!

—J’aitoutelaviedevantmoipourcegenredechoses.

—C’estcequetucrois!Lavieestcourte,tunesaispascequivat’arriverdemain.Tupourraismourir,avoirunaccident!lancé-jeénervé.

C’est fou lenombrede limitesetdebarrièresquecette fille s’impose. J’ai l’impressiond’avoirvouluattenteràsapudeurenluiproposantunemalheureusebière.Monemportementaquelquepeucassé l’ambiance. Tous évitent mon regard. Eux, ils savent. C’est sans doute ce qui explique leurmutisme. J’aimême envie de les étrangler parce que chaque fois qu’on aborde le sujet, je vois lacompassionanimerleurregardet jen’enairienàfoutredeleurfoutuepitié.Ellenerendrapaslaréalitéplussupportable.Iln’yaqueMiaquioseencoremetenirtête,touslesautresmepardonnentaisémentmes caprices. Je suis de plus en plus exécrable au fil des jours et ils seraient prêts àmebaiserlespieds.Çafaitlongtempsquej’attendsquequelqu’unmemetteunboncoupdepiedaucul.

Saraévitetoujoursmonregard.Sesépaulessontaffaisséescommesiellesouhaitaits’enfoncersixpiedssousterre.Jeluiavaispromisdefairedesefforts,etvoilàqu’unefoisencorejem’emporte.

Jemelève.Cettefois,leursregardsseredressent,curieux.

—Trèsbien,danscecas,tupeuxaumoinsm’offrirunedanse,dis-je,tendantmamainverselle.

Sarabasculelatêteenarrièrepourmeregarderethésite.

—Tunepeuxpasrefuser.Promis,iln’yaurariendepersonnel.Jesaisrestersage.Cen’estqu’unedanse,ensuite,tuseraslibredetoutengagement.

SarainterrogeMiaduregard.Cettedernièrehochediscrètementlatête.LamaindeSaraseglissedanslamienneetjelahissesursesdeuxpieds.Ellerestesilencieuse.«Demon»d’ImagineDragonsrésonne,maisjefaissigneàMikedechoisirunautremorceau.Lemorceauqu’ilchoisitnepouvaitpasmieuxtomber.«Saysomething»deCristinaAguilera.J’observe les jouesrosiesdeSaraet jesaisdéjàquelesprochainsjoursserontuneluttepermanentecontremoi-même.

Sara

Jenesaispasquoifairedemesmains.Moncœurcogneàtoutrompredansmapoitrine.Jemesensgaucheetsoudainnerveuse.Ilmerendnerveuse.Jen’arrivetoujourspasàlecomprendre.Desnotesdepianorésonnentenharmonieaveclebruitdesvagues.LabrisemarineagitemescheveuxquandSimonprendpossessiondemamaindroite,puiscaressemapaume.Sesdoigtsglissentnaturellementsurmapeauets’immiscententre lesmiensdesortequ’ilssesoudententreeux.Samaingauchesepose surmahanche.Elleest chaude.Noscorps se rapprochent.Soudain,ma respirations’accélèrealorsquesatempevientsecolleràlamienne.Jepeuxsentirsajouefrôlerlamienne.Elleestdouce.Ilsentbonetsonparfumm’enivre.Jefermelesyeuxparcequej’aipeurdeperdrel’équilibre.Jenemerendsmêmepascomptequ’ilmèneladanse.Mespiedssuiventnaturellementlerythme.Plongésdanslenoir,messenssontdécuplés.Mapeauparaîtplussensible.

Simonrespire fort, sapoitrinesesoulève rapidement. Jepeuxpresqueentendrebattre soncœur.Mespiedss’enfoncentdanslesableetmeprocurentlasensationd’avoirquittélaterre,devolersurun nuage, au-dessus desmontagnes. Je suis un électron libre. Jeme sens étonnamment bien.Monpoulss’apaise,marespirationsecalme.J’aipeurdem’assoupir.Jepourraisaussibienêtreentrainde rêver. Sa paume descend un peu plus bas dans mon dos et m’arrache un frisson. Mon corpss’éveille. Je n’entends plus aucune note de musique alors j’ouvre les yeux. Nous nous mouvonsencore.Surprise,jerecule,puisSimonmelibèredesonétreinte.

Je ne sais pas quoi dire. Je ne saismême pas ce qu’il vient de se passer nimême si l’on peutconsidérer qu’il se soit passé quoi que ce soit. Simon ne dit rien, ilm’observe. Je n’arrive pas àsoutenirsonregard.Ilyaunelueurdanssesyeuxquejenesaispascommentinterpréter.Est-cequ’iljoue?

Jetournelatête.Tousnosamisnousregardentavecdesyeuxécarquillés.Jedevinequel’intensitédumomentn’étaitpasfeinte.Euxaussi ils l’ontressentie.Simonmetendsamain.Jelaregardeunmomentsuspenduedanslevidepuis l’ignore, lui tournant ledospourretournerm’asseoir.Tout lerestedelasoirée,jem’efforcedel’ignorerparcequejenevoispascommentfaireautrementpourgarderlepeudesang-froidqu’ilmeresteencore.Simonestuneénigmeetjenesaispassij’aienviedelarésoudre.Jenecessed’ypenser,deretournerleproblèmedanstouslessens.Miam’amiseengarde.Jeferaismieuxdenepasignorersesconseils.Cen’estqu’unesoiréeentreamis,desimpleslycéens qui entament leur dernière année, quelques jeux stupides, des rires, une danse…Rien quiméritequejem’yattarde.

Simon

J’enlacemesdoigtsaveclessiens.J’avaisraisondelepenser,sapeauestdouce.Jeposemamaingauche sur sa hanche et la fais avancer d’un pas de sorte que nos bassins se touchent.Ma temperepose sur la sienne. Je la sens s’abandonner àmoi, et la soutiens presque. Je la guide et nos pasmartèlent lentement le sable. Son souffle, un instant plus tôt rapide, semble s’apaiser.L’air qu’elleexpiremechatouillelanuque.C’estunesensationétrange.Plusrienn’ad’importance:laplage,lesoiseaux, l’océan, la musique, tout semble s’être figé hormis nos corps. Je n’ai jamais eu autantconsciencedumienqu’encemoment.Iln’ynimer,niplage,niterre,rienquenousetnosémotionspournousguider.Monpouls s’affole. Je tentede régulerma respiration,maisSarame trouble. Jereculeuninstantmonvisagedusien,maisellenesemblepasleremarquer.Jelacontemplel’espacededixsecondes, lesyeux fermés, sonesprit sembles’êtreévadédansquelquescontrées lointaines.Comme j’aimerais l’y rejoindre. Son visage apaisé me fascine. Je m’approche à nouveau, tempecontretempeetfermelesyeux.Ellearaison,parcequedurantcesquelquesminutesd’abandonjemesensaussilibrequel’air,délestédetousmesproblèmes.Jeneressensriend’autrequelabrisequim’entoure, la chaleur de sa peau, le battement de son cœur, le rythme régulier de sa respiration,l’odeurmyrtilledesescheveux,lebruitdesespasquimarquentlesable.Jesuisvivant,etc’estici,danssesbras,que j’enprendspleinementconscience.Cesontcegenredepetitsdétailsqui rendentnotre existencemeilleure, ces instants d’égarement où l’onn’aurait envie d’être nulle part ailleursquelàoùonsetrouve.Legenredesouvenirqu’onestcertaind’emporteravecsoidanslatombe.Çanem’étaitpasarrivédepuislongtemps,troplongtemps.

Sansriencalculer,mamaindroitesecaleaucreuxdesesreins.Elletressaille,lachairdepoulelagagne.Sarasedétache, l’œilgrandouvert,ellem’interrogeduregard.Jen’aipasremarquéquelamusique s’était arrêtée. Son regard est pénétrant, elle mordille sa lèvre inférieure. Sa bouche estpulpeuse, sensuelle, charnue.Si je suivaismon instinct, je lui infligerais certainement le traitementqu’ellemériteetm’enempareraissansdemanderlapermissionàsapropriétaire,maissonairperdum’arrête.Sarafuitmonregardquandjeluitendslamain.Ellelajugeuninstantsévèrementpuismetourneledoscommesiderienn’était.Saréactionmetouche,m’attriste.

Ellerejointlesautresetjen’aid’autreschoixquedel’imiter.Personnen’osefairedecommentairesur ce qui vient de se passer. Pourtant aucund’euxn’est dupe.Le tempsd’unemélodie, nos corpsn’ont fait qu’un. C’est comme si l’on s’était appartenu l’un l’autre. Sara l’a senti, sinon pourquoiserait-elleàcepointdanstoussesétats?Latensionapparentedesesmusclesfaciaux,laraideurdesanuque, la contrariété évidente que je lis sonnent comme un aveu. Je ne suis pas le seul à êtrebouleverséparnotreéchange.Ellel’esttoutautantquemoietserefuseneserait-cequ’unesecondeàlemontrer.

Je serre les poings, blessé dansmon amour propre.C’est la première fois que j’ai la sensationqu’une filleme rejette.On nem’avait encore jamais dit non. C’est toujoursmoi qui repousse lesautrestoutsimplementparcequejepréfèrenepasm’attacher.Jenefaispasdeplan.Jemeconnais,jesaisquejen’auraisprobablementpasassezdetempspourlesaccomplirdoncàquoibonenperdreàleséchafauder?

Miaentreprenddejoueraujeudesdevinettes.Jen’aipluslatêteàça.Jem’excuseprétextantavoirbesoindeprendrel’airetlesabandonnepourallermarcherenborddeplageafinderéfléchir.

Sara

Çafaitplusd’uneheuremaintenantqueSimonestpartisebalader.Ilestpresquevingt-troisheurestrente.Ilestpartisivitequejen’aimêmepaseuletempsd’êtresoulagée.C’estétrangel’emprisequesoncorpsasurlemiendèsqu’ils’approche.Déjàtoutàl’heure,assisl’unàcôtédel’autre,jefaisaismon possible pour résister à l’envie que je ressentais de le regarder.Mesmembres nem’avaientjamaisparuaussirigides.Jenesentaispluslesablesousmapaume,desfourmisparcouraientmonbras,maisjenevoulaispasprendrelerisquedebougerlemoindrepetitdoigt,caralors,jesaisquenosregardsseseraientcroiséset,pirequetout,quelesautresauraientremarquéledésirqu’ilsusciteenmoi. Je me demande bien où il a pu passer et doute même qu’il revienne étant donné l’heuretardive. Ilaprobablementdûrentrerchez lui,cequin’estpasplusmal.L’instantétaitassezgênantsansqu’onsoitcontraintsenplusdeparaîtreembarrassésdevanttoutlemonde.

— Je dois rentrer. J’ai promis à ma mère que je ne dépasserai pas la permission de minuit,annoncé-je.

Miasomnoleàmoitiésurl’épauledeJack.Ilestévidentqu’ellen’estplusenétatdeconduire.Jenepensemêmepasqu’ellesoitcapabledetenirsursesdeuxjambes.

—Hum…,prendmesclés.Moijeresteici,grogne-t-elle.

ElleremuelégèrementetJackluibaiselefront.Ilfouilledanssonsacetmejettesontrousseau.

—Tiens,prendssavoiture.Jelaramènerai.

—Tuessûr?

—Puisqu’iltelesdonne,prends-les,grommelle-t-elle.

—Bon,etbienbonnenuittoutlemonde.

Je récupèremon sac à dos, tiremon portable dema poche etm’en sers de lampe torche pourrejoindrelecheminquenousavionsemprunté.

LavoituredeMian’apasbougédepuisnotrearrivée.Jel’ouvreàdistance.Unpetitbruitrésonnedanslanuitetjesuisàdeuxpasdelaportièrelorsquejevoisunevoiture,uneBMWnoire,àdeuxplacesdelà,bouger.D’aborddécidéeànepasyprêterattention,lapeurmesaisitlorsquejeperçoisdescris.Monportableenmain,l’écranallumé,jemedirigeverslafenêtrecôtéconducteur,braquelalumièreàl’intérieur,etcollemonfrontàlavitre,lesmainsenvisièrepourvoircequ’ilsepasse.Iln’y a plus de bruit. La voiture ne bouge plus. Dans un premier temps, je ne vois rien qui puissem’alerter. Prête à faire demi-tour,mon sang se glace lorsque je dirigemon regard à l’arrière duvéhicule.

Simon

Je passe l’index et le pouce entre la fermeture de son soutien-gorge et l’en débarrasse. Lindas’attèle déjà à défaire ma ceinture. J’ai eu raison de l’appeler, au moins elle ne m’ignore pas ets’attachecommed’habitudeàsatisfairemesdésirs.Jen’aipasbesoindecherchermidiàquatorze,avec elle tout est simple. On semble fait pour être sur la même longueur d’onde. C’est une filleprévisible, mais qui a au moins l’avantage de ne pas me filer la migraine chaque fois que je larencontre.Jen’aipasbesoindemeposerdequestion.Jeconnaissesréactions,sesgestes,cequ’ilsveulentdire.Etlà,enl’occurrence,cespetitsgémissementssignifientqu’ellecommenceàprendreduplaisir.

Ellem’embrasseets’écartelégèrementdemesgenouxpourfaireglissermesvêtementsjusqu’ausol.Noussommesentièrementnus,plusriennenoussépareetnoscorpss’allientl’unàl’autresansattendre.Linda est très expressive, je saisqu’ellenevapas tarder à atteindre le septièmeciel.Sonvisage bascule en arrière, elle ferme les yeux et se mord la lèvre pour résister au tourbillon desensation qui l’assaille. Je ne vais pas tenir longtemps à ce rythme. Elle soulève ses paupières,regardeun instant l’extérieuret se fige.Elleposeunemainsurmon torsepourm’immobiliser. Jehausseunsourcil.Qu’est-cequiluiprend?Sesyeuxprennentuneexpressionsoucieuse.

—Ilyaquelqu’undehors,chuchote-t-elle.

—Iln’yapersonne.Ceparkingestdésert.

—Ilyaunelumière,là,dehorsquiserapproche.

Jesuissonregard,intrigué.Unepetitelumièresedétachedansl’obscuritéetsemblevenirànous.

—C’estpeut-êtrelesflics,commence-t-elleàpaniquer.

—Nebougepas.

J’espèrequ’ellesetrompe.Ladernièrechosedontmesparentsontbesoin,c’estdedevoirvenirmechercheraupostecesoir.Jepensequ’ilsenontassezbavéjusqu’icisansdevoirenpluss’infligerça.Jenesaispaspourquoionn’estpasalléchezmoi. J’habite toutprèsd’ici.Mais lorsque jevois levisagedeSara,colléàlavitre,jesaisqu’onnerisqueplusdefiniravecdesmenottesauxpoignetspourexhibitionnisme.Enrevancheàsamouedégoûtée,jejurequeSaran’estpasprêted’oubliercequ’elleavu.

Jemeredresse,pousseLindasurlecôtéetregardeSaracourirendirectiondelavoituredeMia.Elle saute à l’intérieur, démarre le moteur et passe la marche arrière. Inutile d’essayer dem’expliquer, les images sont en soi très explicites. J’accumule les erreurs, et je n’auraisprobablement jamais l’occasion deme racheter une bonne conscience alors, autant finir ce que jeviensdecommencer.

ChapitreQuatre:Dissensions

Sara

La plupart des garçons ont un poids chiche à la place du cerveau et Simon ne fait pas figured’exception à cette règle. Après la position compromettante dans laquelle je l’ai découvert avecLinda, il n’a pas pointé le bout de son nez pendant une semaine au lycée sans que cela n’étonnepersonne.Unvoyagedeprévu,merépèteMia.Enpleineannéescolaire?C’estassezintrigant.Etcequi l’est davantage, c’est que depuis quinze jours qu’il est réapparu, il loupe tous les jours lesdernières heures de cours. C’est comme si monsieur bénéficiait d’un traitement de faveur. Je medemande bien ce qu’il a pu faire pour obtenir une telle clémence. Quand je pense que pour unmalheureuxretarddecinqminutesMonsieurJacksonm’aensevelidedevoirs,çamedonneenviedecrieràl’injustice.Bref,Simonsembleselacoulerdouceici.Jemedemandesisesparentsn’auraientpasgraissélapatteduproviseur.MiaainsinuéqueSimonavaitdesproblèmes.Jemedemandebiendequellenature,cartoutsembleallerpourlemieuxleconcernant.MonsieursepavanetoujoursaubrasdeLindaetmesnobe.Lesamoureuxontdécidédefairetableàpartàlacafétéria,cequin’estpasplusmal.Ainsi, ils nous évitent les joutes verbales.De fait, nos échanges sont limités aux strictesrèglesdepolitessedepuisdeuxsemaines:bonjour,merci,aurevoir.Troismotsquinedemandentpasbeaucoupd’effort.

Enfin,ça,j’ysurvivrai.Cen’estpascequimedérangeleplusaujourd’hui.

Jesuisassisedanslesgradinspourassisteràunmatchdefoot,undéchainementdetestostéronesurunepelouse.Jenesaismêmepascommentj’airéussiàmelaisserembarquerlà-dedans.Jedétestelefoot.MaislasaisonvientjustededémarreràMontereyetJackfaitpartiedel’équipetoutcommeSimon.JesupposequejemesuisfaitavoirparlestalentsdenégociatricedeMia.Lavoilàd’ailleursqui revient tenantdansunemainun cornetdepopcornquimenacededéborder à tout instant.Elles’assoitl’airexténuéetposesonsacàsespiedspuismetendlepop-corn.Jerefusepoliment.

— Tant pis, il y en aura plus pour moi ! Au fait, merci d’être venue. Pour une fois, j’auraisquelqu’unavecquidiscuter.

— Je ne manquerai pas de te rappeler ma présence lorsque j’aurais besoin de tes services,plaisanté-je.

—Ettupourrascomptersurmoi,affirme-t-elle.

Les joueurs rentrent sur la pelouse. Jack est le premier, j’aperçois Simon derrière lui. Ils sepositionnentsurleterrain.Jenesaismêmepasd’oùvientl’équipeadverseetpourtoutdire,jem’enfiche.Jeneseraissatisfaited’avoiraccomplicetteobligationamicalequelorsquelecoupdesiffletfinalauraretenti.

Simon est aumilieu du terrain. Son regard se perd parmi la foule. Ilm’a repérée. Son sourires’élargit.

Lecoupdesiffletannonceledébutdelarencontre.

—Salecon,grogné-je.

Miamedévisage,incrédule.

—Qui?Ilssontnombreux,situpouvaisprécisertapensée…

—Rien,laissetomber.

—Tuviensd’accuserquelqu’und’êtreunconnard,j’endéduisdoncquesitul’asdittoutfort,c’estquetuasbesoind’enparler.Crois-moi,çaauneimportanceetjeveuxsavoirquisecachederrièrecettemauvaisehumeurquipointeleboutdesonnez.Allez,crachelemorceau,quiestl’heureuxélu?

—Simon.

—Simon?NotreSimon?Unimbécile?Cen’estpasnouveau.Maisdis-moicequ'ilt’afaitcettefoispourquetusoissurlesnerfs?

—Jenesuispassurlesnerfs!

—Àd’autres,j’airemarquédepuisquinzejoursquechaquefoisquetulecroises,c’esttenduentrevous.Jesupposequ’ils’estpasséquelquechose.Attends,iln’étaitpaslàdurantunesemaine,àmoinsquecesoitvotreslowsurlaplagequiteperturbeencore?

—Pasdutout.Tuesloinducompte.

Sessourcilsserejoignent.Mianemecroitpas.

—Tuessûrequ’iln’yariend’autrequejedevraissavoir?

Son regardme terrifie.Sesyeux sont commedeux inquisiteursqui cherchent àme faire avouermespêchés.Jedevraispeut-êtrecéderduterrainainsiellereporterasonattentionsurlematch.

—Tuescertainequetunemecachesrien?Jetepréviens,SaraCummings,quoiquecesoit, jedécouvriraicequetuessaiesdemedissimuler.Tuferaismieuxdetemettreàtabletoutdesuite!

JedoisavouerqueMiaestplutôtconvaincante.Elleparaîtsoudainementtellementcharismatiqueetautoritairequ’ellemedonnelachairdepoule.

—Rien.ÀmoinsqueletrouvernuenpleineactionavecLindasurlaplagearrièred’unevoituresoitunfaitimportant?

—Etcommentqueçal’est!s’exclame-t-ellelesyeuxprêtsàjaillirdeleursorbitestellementelleestsurprise.Ilafaitça?

J’acquiesce.

—Jelesaivusdemespropresyeux,jelejure.

—Oùça?

—Notresoiréesur laplage.Jackm’afilé lesclésde tavoiture.CelledeLindaétaitgaréedeuxplaces plus loin. Elle bougeait. J’ai entendu du bruit alors jeme suis approchée. Je ne savais pasencorequec’étaitsavoitureavantdelessurprendreetleurpositionn’avaitriend’équivoquequantàcequ’ilsétaiententraindefaire,tupeuxmecroire.

Mia prend une poignée de popcorn qu’elle fourre dans sa bouche. La bouche pleine elle arrivedifficilementàarticuler.

—J’comprendsmieuxpou’quoil’adisparusansdireaure’oir!

Ellemastiqueavecardeurpuisavale.

—Finalement,plusriennem’étonnedesapart.Oh!Regarde,ilsontmarqué!s’exclame-t-elle.

Lafouleselèvepourapplaudir.Jesuis lerythme.Jenesuispasvraimentdansl’ambiance,maisj’essaie de ne pas faire tache. Je ne comprendrai jamais la liesse qui surgit lors d’une rencontresportive. Tout ça me dépasse. Jack et Simon discutent avant de se remettre à courir. Les minutesdéfilent lentement et Mia a presque fini son popcorn – la vitesse à laquelle elle les avale estimpressionnante.Simonal’airdeneplustenirlerythme.Ilnecourtplusaussivite.Jenesuispaslaseuleàl’avoirremarqué,carcelafaitàpeinequinzeminutesquelematchadébutéetlecoachdécidedelefairesortirduterrain.Simonal’aircomplètementsurlesrotuleslorsqu’ils’assoitsurlebancdetouche,videunebouteilled’eaupuiss’étire.

—Ilpeutfairelemalin,iln’estmêmepascapabledetenirplusd’unquartd’heuresurunterrain.

Miamefoudroieduregard.

—Cen’estpasdesafaute,lecoachnelelaissejamaisjouerplusdequinzeminutes…

—Enfin, regarde-le, il estdéjà lessivé.Ahoui, j’oubliaisçadoit-êtreàcausedesesmystérieuxproblèmesdonttunepeuxpasparler!Quoi?Ilatabasséunjoueurl’annéedernièreetpourlepunirlecoachl’alimitéàunquartd’heuredejeu?ironisé-je.

—Tun’yespasdutout.

—Ah oui, alors pourquoi le laisser jouer s’il estmauvais ?C’est pareil, pourquoi il sèche lescoursimpunément?Tupeuxmedirecequ’iladesispécialpourqu’onluiaccordeuntraitementdefaveur?

—Rienjustement.Écoute,tunel’appréciespas,maisçanetedonnepasledroitdecrachersurluidèsqu’ilaledostourné.Tuneleconnaismêmepas!s’emporte-t-elle.

Jerestesansvoix.JenesaispasàquelmomentMiaachangéd’avissurSimon.C’estpourtantelle

quim’aditdememéfier.

—Attends,j’aidûlouperunépisode.Auxdernièresnouvelles,c’étaitpourtanttoiquimemettaisengardecontrelui.

—Exacte. Je t’aidéfenduede t’intéresserà lui,carSimonHarperest incapablede focaliser sonattentionsuruneseulefille.Ils’amuse,ilcoucheaveclesfilles,etleurbriselecœur.C’estcequ’ilfait. Il y a eu cette rupture avecune fille l’annéedernière. Ils étaient trèsproches et depuisdes tasd’autres ont défilé. Si tu ne veux pas finir comme elles, tu garderas tes distances.Voilà ce que jevoulaistefairecomprendre!Pourlereste,çanet’autorisepasàleroulerdanslaboue!

—Etoùest-ellecettefilleàquiilabrisélecœur?

—Elleachangéde lycéeaprèsavoir foiré sonannéeparcequ’ellen’arrivaitpasà remonter lapentesuiteàleurrupture.Simonaretenulaleçon.

—Cen’estpasl’impressionquej’aieueenlevoyantavecLinda,fais-jeobserveravecsarcasme.

—Avecelle,c’estplatonique.Onlesvoitparfoisensemble.Peu importe,c’estungrandgarçon.Simon est notre ami. C’est quelqu’un de bien. Tu le saurais si tu apprenais à le connaître. Il vauttellementmieuxquel’étiquettequetuluicolles!Savien’estpasrosetouslesjours.Desfillesquiontessayédeluimettrelegrappindessus,ilyenaeudestas!Cesontelleslesfautives.Ellesnevoientquel’enveloppesanschercheràgratterlasurface!hausse-t-elleleton.

Jenesaisplusquoirépondre,savéhémencemelaissedubitative.Jenem’attendaispasàcequeMialedéfendebecetongleet jemesenscommeune idiote.J’aiprobablementperdu l’occasiondemetaire. Je rougis. Je ne m’étais pas fait remonter les bretelles depuis longtemps et le ton cassantemployéparMiameblesseprofondément. Ici,elle faitunpeu figuredemeilleureamiepourmoi.C’estnotrepremièredispute.

Jetentedecontenirl’émotionquimonteetmeprendàlagorge.Moiquipensaism’êtrefaituneamie,c’estraté.Jemebaisseetpasselabandoulièredemonsacsurmonépaule.

—OK,j’aicompris.Jen’airienàfaireici.

—Oùvas-tu?

—Jepréfèrem’enaller.

Jepassedevantelle.

—Attends!Jemesuisemportée,c’estunmalentendu…

—Tuasététrèsclaireaucontraire.Jackesttonpetitcopain,Simontonami,etmoijen’aipasmaplaceici.Onsevoitplustard.J’aideschosesàfaire.

Jem’enfuisetgrimpelesescaliersjusqu’àlasortie.Jemesenshonteuse.Jenepeuxm’enprendrequ’àmoi-même.J’aiinaugurélesujetdeconversation«Simon»etj’aieutort.Jemesuisjuréedeneplusparlerdelui,maiscommechaquefoisqu’ilestquestiondelui,jemanqueàmaparole.

Mesmainstremblent.J’aibesoindemeviderl’espritetjeneconnaisqu’unefaçond’yparvenir.Jecours jusqu’à ma voiture.Mia est montée avec moi, mais je suppose que Jack ne la laissera pasrentrerchezelleàpied.Lesportnem’ajamaisréussi.Cetteconfrontationenestlapreuve.

Simon

Lederniercoupdesiffletmetfinàlapartie.Nousn’avonspaseudemalàgagnercontrel’équipedeSantaCruz.Onnepeutpasdirequej’ai largementcontribuéàcettevictoire.J’aimeraisqu’ilensoitautrement.J’aimeraispouvoirjouerplusd’unquartd’heuresansdevoirdéclarerforfait,maisçanedépendplusdemoi.C’esttoutcequej’aipunégocieraveclecoach.C’étaitlaconditionsinequanonpourquejefassepartiedel’équipe.Çaoùmecontenterd’êtrespectateur.C’estfrustrantdenepaspouvoiraider.J’aiconsciencequ’àchaquematchmesperformancesdiminuentunpeuplus.L’absenced’entrainement ces derniers temps y est probablement pour quelque chose. Je me sens totalementéreintécommesij’avaiscouruunmarathon.Çafaitpourtantplusieursminutesquejecampesurlebancdetoucheetj’aitoujoursdesdifficultésàretrouverunerespirationrégulière.Jesuisennage.Quandjevoistousmescamaradesjouer,Jacksedonneràfondpourl’amourdujeu,jenepeuxpascacherqueje les jalouse.Leurvieparaît tellementfacile.Ilsont l’air libre, ilsn’ontpasd’obstacledevanteux.Ilssonthabitésparl’enviedesebattre,degagner,denerienlâcherjusqu’audénouementdecetterencontre.

Moi,çafaitquelquetempsquej’aiabandonnétouteidéedemebattre.Ilyauntempspourcroirequeçaenvaut lapeine,poursedéciderà lutteretun tempspourserésigner,comprendrequ’ilestpréférabledebaisserlesarmes.J’aiatteintcettedernièreétape.Jen’auraisjamaisuneviecommelaleur.Jen’aijamaisétéunenfantcommelesautresetcelan’apaschangéengrandissant.Jefaistoutmonpossiblepourdonnerlechange.Jecroisquejen’yarrivepastropmal.Malgrémesabsencesàrépétition,mascolariténesedéroulepastropmal.Mesnotessontcorrectes.Mamèren’apasfaitledéplacement,ellen’approuvepasmadécisiond’intégrerl’équipe.Monpère,lui,estbienprésent.Ilestassissurlespremièresmarches.Maislaprésencequim’alepluscaptivée,c’étaitlasienne.Sara.Jel’aivue,assiselàaumilieudesgradins,unevesteenjean,unpantalonbeigeetdesballerinesnoirs.Jenel’aipasquittédesyeuxdepuisquej’aiquittélejeujusqu’àcequ’elles’enailleprécipitamment,l’aircontrariéetquittelestade.

Tous les joueurs regagnent leurs vestiaires respectifs. Jack et moi nous attelons à prendre unedouche rapide, avant de revêtir nosvêtements de rechange.Nous rejoignonsMia, assise parmi lesgradinsquasivides.Elleselèveetnousfélicite.QuoiqueJackpuissefaire,ellesembletoujoursenadorationdevantlui.Maisunechosen’apaséchappénonplusàmonmeilleurami.

—Saran’estpluslà?demande-t-il.

—Elleadûpartir.Uneurgence,riendegrave,esquiveMia.

Elle se gratte l’oreille en disant cela, signe qu’elle ne dit pas la vérité.Mia ne sait pasmentir.Lorsqu’elleessaye,çasevoitcommelenezaumilieudelafigure.

—Elleavaitl’airfâchélorsqu’ellejel’aivupartie,souligné-je.

—Tunousobservesmaintenant?

—Vousvousêtesdisputées?rebonditJack.

—Unmalentenduderiendutout.Cen’estpastrèsimportant.Ceseraviteoublié,conclut-elle.

—Àproposdequoi?insisté-je.

—Unebêtise,toutçaàcaused’unediscussionausujetd’unidiotqu’elleasurprisàl’arrièred’unevoitureentraindesesoulagerlespartiesgénitalesenbonnecompagnie.Detrucsdefille,tuvoislegenre…

Jemanquem’étouffer.Le regardqu’elleme lance est sans appel. Il s’agit demoi.L’allusionestclaire.Apparemment,Saran’apassutenirsalangue.Dansunsens,jenepeuxpasluienvouloir.J’aitendulebâtonpourmefairebattre.Celadit,cettepetitehumiliationnedevraitpasnonplusprendredesproportionsdémesurées.

—Ungarsdecheznous?questionneJack.

—Non,tuneleconnaispas.C’estsansimportance.Onyva,ilfautbienqu’onfêtevotrepremièrevictoiredelasaison!dit-elle,enjouée.

Nous n’avons pas d’autre choix que de la suivre. Si nous tentons de résister,Mia nous traîneracertainementparlapeaudesfesses.Elleneconnaîtpaslesensdumot«non».

Lepubducoinseranotrepointdechute.

ChapitreCinq:Secondechance

Sara

Jen’aipasrevuMiadepuislafindumatch.Elleabiententédem’appeler,maisj’aipréféréignorerses appels. J’ai besoin de temps pour réfléchir. Jeme suis peut-être emportée. Je n’aurais pas dûprendrelamouche.Maisj’aiparfoisdumalàsuivremanouvelleamie.Mavied’avantmemanque.ToutmeparaissaitplussimpleàNewYork.Jenepensaispasquechangerdevilleetdemodedevieseraitàcepointcompliqué.Jen’aiplusderepèreetjenesaisclairementpasoùjemetslespieds.

Anna est un caméléon.Quoi qu’il se passe, quels que soient les changements, elle ne rencontrejamais de difficulté à s’adapter. De nous deux, j’ai toujours été la plus craintive. La plus émotiveaussi.Moi,j’aitoujourseupeurd’avancersansconnaîtremadestination.Jecroisquejemeposetropdequestions.Jesuisangoisséedenaissance.Toutepetitedéjà, jepiquaisdescrises lorsquemamanm’abandonnaitpourquelquesheuresausoindemababy-sitter.Mêmesijen’aijamaissouffertdelaséparationdemesparents,jepensequ’inconsciemmentj’aitoujoursredoutéqu’ilssoientcapablesdeseséparerdemoicommeill’avaitfaitl’undel’autre.C’estidiot.Jenesaispas,maisdepuisqu’ilyadesmilliersdekilomètresentremoietmonpère,c’estcommesicescraintess’étaientsoudainementréveillées.Jeneconnaisqu’unefaçondeleséliminer:prendremonappareilphoto.

Mamère et Phil sont allés voir les parents de ce dernier pour un après-midi dominical sous lesignedusoleil.Malgrél’insistancedemamère,j’airefusédelesaccompagner.Jen’aipaslecœuràça.La solitude est lemeilleur remède que je connaisse pour calmermes angoisses et surtoutmesnerfssuiteàmonaltercationd’hieravecMia.L’incidentserabienvideoublié.L’après-miditoucheàsafin.

MonNikon enmain, jeme balade en bord de plage. J’ai pris plus d’une dizaine de clichés. Lapelliculeestneuve.Lesrayonsdusoleilsefontmoinsintenses.Lapénombreguette.Monombresedessinesurlesableetjelacapture.Lorsquejerelèvelementon,jemerendscomptequesansmêmeyfaireattention,jemetrouveexactementaumêmeendroitoùnousétionsassislorsdenotrerendez-vousentrecopains lundi soir sur laplage. Jeme tournevers lamerpouradmirer l’étendued’eau.L’Atlantiqueadéjàcommencéàgrignoterunepartiedusoleilquitiresurl’orange.Quelquesnuagestententdefairedel’ombreausoleil,maisl’astren’apasditsonderniermot.Ils’impose,massif,l’airdeflotterau-dessusdel’eau.Lafraîcheurs’installe.Lesfrissonsgagnentmesbrasetmehérissentlespoils.Pourmeréchauffer,jefrottevivementmesmainssurmesavant-bras.Jen’aipasvuletempspasser,sij’avaissu,j’auraisprisdequoimetenirchaud.Unevesteenlaineauraitfaitl’affaire.

Unvoiliersemblesuspenduàl’horizonentrelecieletl’océan.Jenelequittepasdesyeux.Ilvapasser devant le soleil. Je ne veux pas rater l’instant. Je m’arme de mon appareil photo, braquel’objectifendirectiondusoleiletattendslemomentpropice,celuioùlevoilierseraparfaitementaucentredusoleilpourappuyersur leboutondeprisedevue.Unclicpour immortaliser l’instant.Je

suisàl’affût.L’imageestdanslaboîte.Levoilieraquittélecercleetdisparaîtpeuàpeudemavue,toutcommelesoleilquisemblecouleràpicsousl’océan.D’iciquelquesminutes,lanuitnetarderapasàprendresesquartiers.Ilesttempsderentrer.

Je suis sur le point de rangermonNikon dans la sacoche pendue autour demon cou lorsquej’entendsuncoureur.Jemetourneinstantanémentdanssadirection.Jenedistinguepassonvisage,ilestencoretroploin.Lesvaguesluilèchentlespieds.Jelèveànouveaul’objectifetdemonœildroit,jenelequittepasdesyeuxetenchaînelesclichés.Lorsquecedernierlèvelamainàmonattentionetquesestraitssedessinentsousl’objectif,j’abaissel’appareil.

Leloupsembleêtrepartoutetmoij’aieulamauvaiseidéedem’éloignerdelabergerie.Qu’est-cequ’ilficheici?Simoncourtjusqu’àmoiets’arrêteàmahauteur,horsd’haleine.C’estcommesinoscheminsétaientvouésàsecroiser.

—Salut,dit-il.

—Salut,jenepensaispastetrouverici.

—Moi,nonplus.Qu’est-cequetufais?demande-t-ilenpointantdudoigtleNikon.

—Jeprendsdesphotos.

—C’estunepassion?

Jenevoispasenquoicelapeutbienl’intéresser.Maisjeprendslepartideresterpoli.Aveccequ’ils’estpassédernièrementavecMia,jen’aivraimentpasenvied’ajouterdel’huilesurlefeu.Simonetmoisommescensésavoirenterrélahachedeguerre.

—Enquelquesorte.Tutraînessouventici?demandé-je.

—J’habiteici.

Il désigne un point derrière moi. Le souffle encore saccadé, ses mots se détachent les uns desautres.

—Lamaisonlà-bas,c’estchezmoi,explique-t-il.

Jeme tourne. Je n’ai même pas remarqué la première fois que je suis venue qu’il y avait unehabitation. Mais une grande maison de plain-pied s’étale au fond de la plage. Elle ne passe pasinaperçue.Çadoitêtrechouettedetirersesrideauxchaquematinsurl’océan,den’avoirqu’àcourirquelquesmètrespourpiquerunetêtedejourcommedenuit.Celaacesavantages,jesuppose.

—Oh,çaal’airsympa.

Simonsouritavantdechangerdeconversation.

—Jenet’aipasvueàlafindumatchhier.

—J’aidûpartirprécipitamment.Tum’observes?

—Pasdutout.Jevoulaissimplementm’assurerquecelan’avaitpasdelienaveccequis’estpassésurleparking.Jevoulaism’excuser.Jenepensaispasquetunoussurprendraissinonnousaurionsprisnosprécautions.

Ilsemasselanuque,embarrassé.Iln’estpasàl’aiseaveclaquestion.Jesaisoùilveutenveniretjen’aipasenvied’enparler.

—C’estoubliédepuislongtemps.Tun’aspasàt’enfaire.Cequetufaisaveccettefille,çanemeregardepas.

Simonnemequittepasdesyeux.Ilsedemandecertainements’ildoitounonmecroire.Montonparaîtpeut-êtretropdétachépourêtrehonnête.Lesimagesdecettesoiréenem’ontpasquittée.Lesyeux, les rires, les blagues, notre danse, la voiture, leurs corps blottis l’un contre l’autre… Lessouvenirssontvifs,tropvifs.

—Jepensaisquejedevaism’excuser.Etpourmefairepardonner,jet’inviteàvenirmeretrouvericileweek-endprochain.Histoiredefairevraimentconnaissance,propose-t-il.

—Jenepeuxpas.J’aid’autresplans,mens-je.

Simoncapturemonpoignet. Jeme retiensde faireunpasenarrière, intimidée. Jecontemple samainetsonregardsuitlemien.Ilfinitparmelâcheretjesenscommeunebrûlurem’élancer.

—Tunepeuxpasrefuser.Jecroyaisquetuétaisd’accordpourrepartirsurdebonnesbases.

Jeleconsidèresérieusementdetoutmonmètresoixante.

—Çan’inclutpaslesrencards.

Ilestprisd’unfourire.Jenepensaispasêtresidrôle.

—Çan’enestpasun.

—Alors,c’estquoil’idée?questionné-je,méfiante.

Je doute de ses intentions. Simon est un garçon tout sauf prévisible. Dans ce contexte, difficiled’avoirconfianceenlui.Ilestnormalquejerestesurmesgardes.Ilacertainementl’apparenced’ungentil garçon, mais ses manières ne sont pas aussi innocentes qu’il veut bien le faire croire. Ilpourraittoutaussibienessayerdem’embobinercommeill’afaitsurlaplagelorsquesesmainssesontaventuréesdurantnotredanseplusloinqueladécencenelepermetentredesimplesamis.

—Depasserunbonmoment.Tuaimeslaphoto,tucherchesdebellesimagesalors,crois-moi,tuvasêtreservie.J’aitoutcequ’iltefaut.Jeconnaislavillecommemapoche.Tuneperdraspastontemps.Sic’estvraimenttapassionalorstunepeuxpasdirenon.Jeconnaisdescoinsexceptionnels.C’esttoiquimeremercierasenrentrantcheztoi.Qu’est-cequetuendis?

J’endisqu’ilatouchédanslemille.Ilaviséjustepourunefois.L’idéeestséduisante.Onnepeutpasdireque je soisdouéeniveauorientationet je suis loindeconnaître lavilleaussibienque lesnatifs.Sonaidepourraitm’êtreutile.Jenepeuxpasrésisteràunepropositiondechasseàl’image.

Malgrémesréserves,ilaraison.J’aipromisdeluidonnerunesecondechance.

—OK,situytiens,onsevoitsamedienamis,précisé-jeenaccentuantbiensurlemot«ami».

—C’estentendu.Soitlààquinzeheurestapantes.Jet’attendraissurlaplage.

—Jeseraislà.

—Ilfautquejerentre.BonnesoiréeSara.

Ilhésiteàmefairelabise,s’approche,serremamainetseravise.Sespupillesnemequittentpas.Ilmescrutecommes’ilmevoyaitpourlapremièrefoisetsourittimidementavantdeclignerdesyeuxet de courir jusqu’à samaison. Je le regarde s’engouffrer à l’intérieur et reste, quelquesminutes,stoïque.Ilm’aproposésonaidesanssarcasmeniarrière-pensée.Jenesaispasencoresicetteviréeen«amis»samediestunebonneidée.Maisjenepeuxplusreculer.

Jerestequelquesinstantsinterdite.Jemedemandeencoresicequejeviensdevivreestréel.Jelecroisbien.Jerisbêtement.C’étaitbizarre.SimonHarpern’estdéfinitivementparcommelesautres.C’estungarçondéstabilisant,parfoisagaçant,sûrdelui,bouffid’orgueiletd’autosuffisance,maisilestsurtoutsurprenant.Jen’auraispaspariéuncentimesurcequivientdesepasser.Etpourtantondiraitbienqu’ilvientdem’inviteràfaireunepetiteviréeentreamis.Mianevapasenrevenir.Pourcela,ilfautencorequejepuisseluiparler.Maisenarrivantchezmoi,jemerendscomptequ’elleadûliredansmonesprit,carjelaretrouveassisesurleperronentraindem’attendre.

Elleselève,lestraitstirésetpeusûred’ellependantquejegarelavoituredansl’allée.

Aucundoute,elleestvenuepours’excuser.Ellen’estpaslaseuleàdevoirlefaire.Jedescendsdevoiture,prendsmonsacetlarejoins.Jenedisrienetouvrelaported’entrée.Miamesuit.Jeposemonsacsurlacommodeetfiledanslacuisine.Nousn’allonspasconversersurleperronauxyeuxdetous.

Jefonceverslefrigo,saisisunebouteilledejusd’orangeainsiquedeuxverresquejedisposesurlebar.

—Jusd’orange?

Elleacquiesce.

—Oui,merci.

Jeverselebreuvageorangédanschaqueverreetboisquelquesgorgées.Aucunedenousnes’estencoreassise.Noussommestoujoursdeboutl’uneenfacedel’autre.Mian’apasencoretouchéàsonverre.Ellesembleréfléchiràcequ’ellevadire.

Jereposelemiensurlebar.

—Sara,jesuisdésoléepourhier.Jenesaispascequim’apris,dit-elle.

Çamefaitplaisirqu’elles’excuse,maisjemesenstoutaussifautive.Jen’auraispasdûprendrela

fuite.

—Je lesuis toutautantque toi.Simonest tonami, jecomprendsque tun’aiespasappréciémesremarques.Ontournelapage?

Miaparaîtsoulagée.Ellehochelatête,ravie.Jememordslalèvre.Jenesaispassijedoisounonlui dire pour aujourd’hui. Elle ne comprendra pas. Elleme trouvera totalement incohérente,maisSimonexerceunecertaineattractionsurmapersonne.Ellevacertainementtenterdemedissuaderderépondreprésenteàsoninvitation.Ellevarecenserlespouret lescontreet jesuiscertainequelescontresl’emporteront.Elleestforteàcejeu-là.Trèsdouéepourpointerdudoigtlesfaiblessesdecescongénères.Jemedisqu’ellefiniraparlesavoir,qu’ilvautmieuxquecelaarrivetôtquetard.Jen’aipasenvied’avoirdesecretpourelle.Pasmaintenant,aumomentoùjustementellevientfaireamendehonorable.Elleestlaseuleamiequej’aiici.Jeluifaisconfiance,ellenemetrahirapas.Mêmesielledésapprouve, elle ne fera rien qui puisse me nuire et encore moins à Simon. Hier, j’ai crucomprendrequ’elleétaitd’unecertainemanièretrèsattachéeàlui.

—J’aicroiséSimonaujourd’hui,surlaplage.

Sesyeuxtrahissentsonétonnement.

—Vousvousêtesencoreprislebec?

—Non,onadiscuté,c’esttout.

—Dequoi?s’empresse-t-ellededemandercommesielledoutaitqu’onsoitcapabled’entretenirunsemblantdeconversationcivilisée.

— Il m’a invité à me joindre à lui le week-end prochain pour me faire visiter les plus beauxendroitsdelaville.Ilajuréquejeneperdraispasmontemps.

—Tuasditnon,j’espère?

—Pasvraiment.

—Pourquoi?

Jerestebouchebée.Saquestionmeprendparsurprise.Etpourquoipas?

—C’esttoiqui,pasplustardqu’hier,medisaisd’apprendreàleconnaître,qu’ilétaitquelqu’undeformidable.Jenefaisquesuivretesconseils.Jeluidonneunechance.

—Jet’aiditdefairesaconnaissance,deluiparlerd’amienami.Pasderépondreprésentepourunrencard!

—Cen’estpasunrencard!nié-je.

—Çaendeviendraun,gronde-t-elle.

—Jepensaisqueçateferaitplaisir,medéfends-je.

Miasoufflebruyamment.Ellefaitletourdubar,prendsmesdeuxmainsdanslessiennesetmefixesévèrement.

—Un conseil ne baisse pas ta garde.Ne fais pas l’erreur de tomber amoureuse de lui où il tebriseralecœur.

—Jesaismedéfendre…

—Jenedispaslecontraire.Faisattention,c’esttout.

Je ne supporte pas qu’onme prenne pour une pauvre créature sans défense. Et si c’était SimonHarperquitombaitamoureuxdemoi?Ça,personnen’oseycroire.Ilestréputépoursanonchalanceetlaliste–longuecommelebras–defillequ’ilaajoutéesàsontableaudechasse.C’estunbourreaudes cœurs si j’en crois les rumeurs. Forcément, dans l’histoire ça ne peut-être que moi la proie.Néanmoins,ilnefautpasperdredevuequeparfoistelestprisquicroyaitprendre.

—Etsic’étaitl’inverse,sic’estmoiquiluibrisaislecœur?

—J’admiretonassurance,maisn’essayemêmepas.Tun’yarriveraspas.

—Detoutefaçon,jenecomprendsmêmepaspourquoionparledeça.C’estunesortieentreamis,riendeplus.Etjen’aipasl’intentiondefairequoiquecesoitpourqueçachange.Tusemblesoublierqu’ilestdéjàpris.

—Jen’enseraispasaussisûresij’étaistoi,rétorque-t-elle.

—Qu’est-cequeçasignifie?

—QuelesfillesavecSimonçava,çavient.Linda,cen’estqu’uneparmitantd’autres.

Jesuissurlepointderépliquer,deluidirequ’étantdonnél’alchimiesexuelledontj’aiététémoinentreeux,jen’enseraispasaussifacilementconvaincue.Maismamèrenousinterromptenpénétrantdans la cuisine. Je n’aimême pas entendu la porte d’entrée claquer ni la voiture de Phil se garerdevantlamaison.

Jejetteuncoupd’œilparlafenêtreetremarquequecedernierdiscuteaveclevoisind’àcôté.Unvieilhommeunpeubourru,maistoujoursdebonsconseilsencequiconcernel’artdujardinage.

—Coucoulesfilles!Dequoiparlez-vous?nousinterrogemaman.

—Degarçons!répliqueMiadutacautac.

Mamèrenousregardel’uneetl’autredemanièresuspicieuse.

—D’ungarçonenparticulier?

Lagênes’installe.Jecoupecourtàladiscussion.

—Non.Onadestrucsàfaire.Onmontedansmachambre.

CommeMianebougepas,jelasaisisparlebrasetlaforceàmesuivre.

—TurestesdîneravecnousMia?demandemamansanssedépartirdesabonnehumeur.

Laconcernéeseretourne.

—Avecplaisir.

Jetiredavantagesursonbrasjusqu’àluifairemalcequiluiarracheunegrimace.Nousgrimponsles escaliers et nous enfermonsdansma chambre.La soirée est plutôt calme.Mia a renoncé àmefaire la morale quant à l’entreprise houleuse dans laquelle je suis censée me lancer le week-endprochainavecSimon.Ellerestepersuadéequ’ilauneidéederrièrelatête.Moi,jenelepensepas.Sapropositionétaitspontanée.Aucundenousn’avaitprévuquenoustomberionsnezànezcesoir.Miapensequejevaisfaireuneénormeerreur,maisjenepeuxplusfairemarchearrière.J’aipromisetj’aitoujourshonoréunepromessequoiquecelam’encoûte.

Ledînerest joyeux,Philnecessedenousfairerire.Miaestplutôtbonpublic.Finalement,aprèsaccord de maman, elle passera la nuit à la maison, pour une soirée pyjama autour d’un filmromantique et d’un pot de glace chocolat caramel. Nous nous endormons assez tôt et je peine àtrouverlesommeilalorsquelesfaiblesronflementsdeMiabrisentlesilenceambiant.

Simon

Bêtement, je pensais qu’en invitant Sara ce week-end à faire un tour dans les environs, jeparviendraisàlasortirdemonesprit.Maissonvisageesttoujourslà.Ilmefascineetj’aiconsciencedelaregarderunpeubizarrement.ElleestdevantsoncasierencompagniedeMiaetellesrient.Lefondduproblème,c’estquejecroisquecettefillem’attire.

Nousn’avonspaseuvraimentl’occasiondereparlerdeceweek-end.J’imaginequel’uncommel’autrenousdevonsavoirquelquesappréhensionsàcesujet. Jenesuisplussûrd’avoir fait lebonchoixenl’invitant.Jenesaismêmepascequim’aprisdelefaire.Surlecoup,çam’aparupourtantêtrelameilleurechoseàfairepourbriserlaglaceentrenous.Dorénavant,jenesuispascertainquecesoitunebonneidée.Dèsquejelavois,j’aidumalàgarderlesidéesclaires.Jecommenceàpenserqu’il serait plus sage d’en rester là et de ne pas envenimer la situation. Après tout, je peux mecontenterdebrefséchangeslorsquenousdéjeunonstousensembleoudepetitssignesdesalutationsglissésencoupdeventdanslescouloirs.Onn’estpasobligésd’apprendreàseconnaître.Non,parcequej’ailasensationquesijelefais,jevaisperdrelaraison.C’estdéjàentraindeseproduire.Depuisqu’elleestapparuedansmavie,j’ail’impressionqu’ellerythmemarespiration.J’aiconstammentlesoufflesaccadé.J’aicettesensationétrangequeplusrienn’estpareil lorsqu’ellese trouvedans lesparages.Jeneveuxpasavoirl’aird’unamoureuxtransi.Etpuiscommentjepourraisl’être?Jelaconnaisàpeinecettefille.C’estdingue!

Jusqu’ici,j’aitoujourseul’impressionqu’ilyavaitcommeunmurquim’empêchaitd’avancer.Jepensais déjà tout savoir sur lemonde quim’entoure,mais Sarame rend la vue. Elleme redonneespoir.Jenel’aiaperçuequedurantquelquessecondeslejourdesonarrivéeaulycée,maisdéjàj’aisentilevideenmoisecombler.Ilyaquelquechosechezellequivautlapeinequejem’yattarde.Jesuispeut-être le seul à le voir.Dans ce cas, c’est unebénédiction.C’est peut-être elle le signequej’attends.J’aitoujoursprisleschosesavecdésinvolture.Maintenant,dèsquejelacroiselemondemeparaîttoutàcoupmoinsterne,beaucoupplussupportable.Jem’abandonneraipresqueàuneséancequotidiennedepsychanalysematernelle.Mamèren’a jamaiscessédecroireenunavenirmeilleurmêmesi toutesmeschancessemblentcompromises,et jen’ai rien faitcesderniers tempspour luifaciliterlatâche.Jen’avaisquedelacolèreàexprimer.J’ailesentimentquelasituationestentraindes’inverser.Quiauraitpenséqu’ilauraitsuffid’unefillepeusûred’elle,hypersensibleetpourtantdotée d’une bonne répartie pour arriver à cela ? Certainement pas moi. J’accueille pourtant lanouvelle à tête reposée. Ça ne dépend plus demoi. Quoi qu’il arrive, nos destins semblent s’êtreaccordéspourserencontrer.

Jesensunemainatterrirvivementsurmonépauleetmesecouer.JedétourneleregardetdécouvreJack.

—Alors,c’estdemainlegrandjour?Pastropstressé,tun’aspaschangéd’avis?

Jel’écouted’uneoreilledistraite,leregarddenouveaufixésurSara.

—Arrêtedelaregardercommeça!Tuvasfinirparlafaireflipper,mec.

Enparlantduloup,lavoilàquiposeàsontoursonregardsurnous.Jecroismêmelavoirrougiralorsqu’ellesourit.Malheureusement,Sarafuitmonregardaussivitequ’elles’yétaitaventurée.

—Tuessûrquec’estcequetuveux?insisteJack.

Jefroncelessourcils.

—Enquoiçateregarde?

—Rien.Jem’assureseulementquetusaisdansquoitut’embarques.

Le connaissant il a dû écoper d’un petit briefing façonMia. De toute évidence, mon invitationenvers sa nouvelle meilleure amie ne semble pas la réjouir.Mia y est fermement opposée, voirecarrément réfractaire. Aller jusqu’à soudoyer, voir effrayer son petit ami pourme convaincre delaissertomber,c’estculotté.C’estfou!Danslefond,Mia,jel’admireautantqu’ellem’agace.

—C’est trèsprévenant,mais jesuisungrandgarçon.Saraégalement.Rassure-toi, jene l’aipascontrainte.Elleaditouidesonpleingré!

Jackesquisseunsouriregêné.

—SitupouvaisentoucherdeuxmotsàMia,çam’arrangerait,chuchote-t-il.

—T’inquiète,j’avaiscomprisqu’elleétaitlaraisondetonpetitdiscourspréventif.Maisriendecequetupourrasdirenemeferachangerd’avis.J’honorerainotrerendez-vousquecelaplaiseounon.

—OK,OK,OK,j’aicompris.Inutilequejegâchemasalivepourrien.Vas-ymolloquandmême.Ne grille pas les étapes. C’est une amie de Mia. Et rend-moi service, juste au cas-où, si Mia tedemande,dis-luiquejet’aipasséunsavon.

—Jeluidiraisquetuasétéodieux.

—Merci.T’escool,mec,dit-ilmegratifiantd’unetapeamicalesurl’épaule.

Mikenousadresseunsignedemainenpassantdevantnous,escortépard’autresgarsdel’équipe.

—Valesrejoindre,jeresteici.J’aiencoreuntrucàéclaircir.

—Tudevraislâcherlapression.C’estlapremièrefoisquejetevoiscourirderrièreunefille.Netedonnepasautantdepeine,elleaditoui,c’estdanslesac.

—Ilfautjustequejeluiparle.

—Commetuvoudras…

Jackfileendirectiondenoscamaradesfootballeurs.SaraetMiasonttoujoursenpleinediscussion.MiamefoudroieduregardalorsqueSaras’enva.Ladiscussionneserapaspourcettefois.Maisune

bouledenerfsfiledroitversmoi.

—C’estquoileplan?m’interrogeMia.

—Quelplan?demandé-jeincrédule.

—Ceweek-end,c’estquoileplan?Qu’est-cequetuattendsd’elle?

—Rien,c’estunepromenadeentreamispourmefairepardonner.J’aipromisde luifournir lesplusbeauxclichésetc’estcequejevaisfaire.

—Pasd’autreidéeentête?

—Jenevoispasoùtuveuxenvenir,mens-je.

—Rencard,flirt…çaneteditrien?

—Çaneteregardepas.Saran’apasbesoindetaprotection.C’estunegrandefille.

—Net’avisepasdeluibriserlecœur!

—Tujoueslesangesgardiensmaintenant?

—Jem’inquiètepourelleetpourtoiaussi.L’annéedernière…

—C’estdupassé,lacoupé-jeabruptement.

Jen’aipasenviedel’entendreressassercettevieillehistoire.Jenevispasdanslepassé.Saran’arien à voir avec Sydney. C’était une autre année, une autre époque, une relation différente et dessentiments surtout inexistants. Ça n’a rien à voir avec Sara, parce qu’avec elle, il se passe déjàquelque chose, alors qu’il n’y avait jamais rien eu avec les autres ni même avec Sydney. C’estdifficileàexpliquer.Maislesémotionsnes’expliquentpas,ellessecomprennent.Etlàtoutdesuite,j’ai bien peur de comprendre que ce que je ressens pour Sara va au-delà d’une simple volontéamicaledemieuxseconnaître.

—Appelleçacommetuvoudras,maisnenousplongepasdanslamêmemerde.C’esttoutcequejetedemande.

—Jeferaisdemonmieux,dis-jepourtenterdelafairefuir.

Sijeluidonnecequ’elleveut,j’aibonespoirqueMiadéguerpissesansdemandersonreste.

—Dequoiavez-vousdiscuté?

EllepointeJackdudoigt.Aïe,elleestredoutable.

J’aipromisàmonmeilleuramidecouvrirsesarrières.Jevaisdoncjouerlejeudugarsquivientdesefaireremonterlesbretellesparsonmeilleuramisurlesconseilssubtilsdesacopine.Aprèsça,paslapeinedesedemanderqui,desdeux,tirelesficellesdansleurcouple.AvecMia,çanefaitaucun

doutequel’hommen’apasledroitàlaparole.Elleportelaculotte.

—Jackm’apasséunsavon.

—Àpropos?

—Ne fais pas semblant de l’ignorer. Tu t’en réjouis, ça se voit comme le nez aumilieu de lafigure.

—Etquemoiettonmeilleuramit’enparlions,çanetefaitpasteposerdequestions?

—Àquelspropos?

—Lebien-fondédemadémarche.

Lasonnerievientàmonsecours.Enfin,jevaispouvoiréchapperàsoninterrogatoire.J’aieupeurdefiniraupelotond’exécution.Miaestunedureàcuire.Ellenelâcherapaslemorceau.Cettefilleestcommeunpitbull:quandelleflairesaproie,ellenelâchejamaisprise.Maisjen’aipaspeur.Jesaisque si elle agit ainsi et redouble d’effort pour faire capoter notre projet deweek-end, c’est parcequ’elle est persuadée que Sara viendra, et ce pour une raison : cette dernière le lui a forcémentaffirméhautet fort.Cettepensée suffit àmemettreen joie.Dansquelquesheuresàpeine, j’auraisenfin l’occasion de me retrouver en tête à tête avec Sara, chose qui ne s’est jamais produite cesderniers jourscommesiMiaétaitsur lequi-vive.Àlamoindre tentatived’approche,ellepointe lebout de son nez. Je la soupçonne presque d’être équipée d’un radar tant ses venues impromptuestombentmal.

ChapitreSix:Lâcherprise

Sara

Jenepensaispasqueseptpetitsjourspouvaientpasseraussivite.Jesuisnerveuseetplusvraimentcertaine d’avoir pris la bonne décision.Cela dit, jeme gare juste en face de lamaison de Simonquandjesensmonportablevibrer.Sanssurprise,c’estMia.Pasplustardqu’ilyaunquartd’heure,elleessayaitencoredemefairechangerd’avis.Maisriendecequ’elleapudiren’estvenuàboutdema décision.Alors pourquoi je flanche, là,maintenant, à quelquesmètres seulement de chez lui ?Devrais-jefairedemi-tour?

Le moteur tourne toujours. Si je le voulais, je pourrais repartir. Je n’ai que l’embrayage àactionnerpuislamarchearrière.Maisjetournelaclé,laretire.C’eststupide,jen’airienàcraindre.C’estluiquiaprisl’initiativedecerendez-vous!

Rendez-vous?

Est-cequec’enestvraimentun?Jen’ensuismêmepascertaine.Depuislasemainedernière,nousn’avonsjamaiseul’occasiond’enreparler.Nousnoussommesàpeinecroisés,etlesraresfoisoùnousnoussommesvus,nousn’étionsjamaisseuls.Jen’étaisplussûrequel’invitationtiennejusqu’àce qu’il m’envoie hier soir un texto pour se rappeler à mon bon souvenir. Et me voilà, prête àfranchirlepas.

Je suis devant la porte, le poing levé. Je frappe timidement puis entends des bruits de pas. Lapoignée s’actionne et je découvre une femme d’une quarantaine d’années, élégante, blonde, lescheveuxrelevésenunchignonparfaitquimedévisagecurieusement.Sestraitsmeparaissentsévères.Sur le coup, j’ai unmouvement de recul. J’ai comme l’impression quema venue était attendue etqu’elleneplaîtpasàtoutlemonde.MaispourquoiMadameHarperaurait-elleunedentcontremoiaujuste?

—Je…Je…

—VousdevezêtreSara.Entrez,mecoupe-t-elle.

Elles’écartepourmelaisserpasser.

—Suivez-moi.

Celasonnecommeunordreauquel jem’exécutesansbroncher.Ellemeconduit jusqu’ausalon,spacieux et décoré avec goût.Trois sofas en cuir blanc sont disposés en cercle autour d’une tablebasseenboisexotique.MadameHarpermefaitsignedem’asseoir.Lecuircraquesousmonpoids.

Lesilenceestdemise.

—Vousvoulezboirequelquechose:limonade,thé,jusdefruit…?

—Unelimonade,s’ilvousplait.

Ellehochelatêtepolimentets’envaprobablementencuisinepourmeservirunverredelimonadecequimelaisseletempsdecontemplerlapièce.Elleestgrande,spacieuse.Unécranplatfaitfaceauxcanapés.Derrièremoi,ilyadegrandesbaiesvitréesquidonnentsurl’océan.Onsesentenpaixici.L’ambiance est calme, paisible, du moins, jusqu’à ce que Madame Harper dépose un verre delimonade frais devant moi. Elle s’assoit à ma gauche, bois une gorgée du verre qu’elle tientfermementdanssamain.

—Vousconnaissezmonfilsdepuislongtemps?

C’estdingue,sonairpincémefoutleschocottes.J’aipresquel’impressiond’êtresurlesbancsdesaccusés.Maispourquelsméfaits?Moninstinctmeditqu’iln’estpas l’heurede jouer lesrebelles.Mêmesisaprésenceàmescôtésmerefroiditquelquepeu,jefaisensortederestercourtoise.

—Depuislarentrée.

—Est-cequ’ils’estdéjàpasséquelquechoseentrevous?

Là,jerestestupéfaite.MadameHarperestquelqu’undedirect,paslegenreàtournerautourdupot.Je garde le silence au cas où ce que je dirais pourrait être retenu contremoi. Sait-on jamais.Querépondreàcettequestionintrusive?Jenesuismêmepascertained’avoirbiencomprislestenantsetlesaboutissantsdesaquestion.Jenevoudraispasmeridiculiser.Soudain,jemesensjugée,épiéeetinjustementcondamnée.Jenesaispas,ilyaquelquechosedanssonregardquimefaitdirequ’elleseméfiedemoi.Surlemoment,j’ail’impressiond’êtreuneallumeuseprêteàembarquersonfilssurlavoiedelaluxure.Ilmesemblepourtantquesonfilsestloind’êtreunenfantdechœur.C’estdemoiplutôtqu’elledevraitavoirpitié.Jenesaisdécidémentpasdansquoijem’embarque.

—Qu’est-cequ’ilyaexactemententrevous?insiste-t-elle.

—Noussommesseulementamis.

Ellearboremaintenantuneexpressiondédaigneuse.

—Amis?Maisvousenvisagezdedevenirplusquedesamis,jemetrompe?Sinon,vousneseriezpaslà.

J’aipresqueenviedeluidirequejeneparleraispassansmonavocat.MaisoùestSimon?

—Jevaisallerdroitaubut,reprend-elle.Quellessontvosintentionsvis-à-visdemonfils?

Moi,jen’ail’intentionderiendutout.Jenesaispaspourlui,maisaudépart,jen’avaispassignépourlamiseenaccusationdemaman.L’enviedeprendremesjambesàmoncoumetaraude.

—Laisse-latranquille!

Jenel’aipasvuarriver,maisSimonestplantédevantl’entréedusalon,leregardnoir.Sontonestglacial.Maintenant,jecomprendsmieuxdequiilahéritécetteattitudehautaine.

MadameHarperselèveafindesedirigerverssonfils.Elleposeunemainbienveillantesursonépaule.

—Soisprudent,monchéri.

Ellesetourneversmoi.

—MademoiselleCummingsce futunplaisir.Amusez-vousbien.Etsipossible,ne l’épuisezpastrop.

Cettefemmeestbizarre,trèsbizarre.Sonattitudeeststupéfiante.Jelasoupçonned’êtreunevraiepeau de vache. Peut-être que je formule des conclusions hâtives, mais c’est tout l’air que cetteconversationdonne.

Simonme fait un signe de tête. Il est l’heure de s’extirper du canapé et de partir à la chasse àl’image.

—Tuesprête?demande-t-il.

Jeprendsmonsac,ensorsl’appareilphotoetl’agitesoussonnez.

—Jesuisparéepourl’aventure.C’estquoileprogramme?

—Tuledécouvrirasbienasseztôt.Suis-moi.

Instinctivement, ilprendmamainetmepoussevers lasortie. Ilnousconduit jusqu’augarageetouvre la portière afin que jemonte dans sa voiture : uneNissanGTR. Je vois que ses parents nemanquentpasdemoyens.Enmêmetemps,lamaisonenestdéjàlapreuve,lavoiturenefaitquemeleconfirmer.Simonestungossederiche,pasétonnantqu’ilsoitnaturellementarrogant.

Jeclaquelaportière,sereine.Mêmesijen’aipastotalementconfianceenmonpartenairedephotodu jour, jesaisquepourunefois, ila l’intentiondefaireensorteque toutsepassepour lemieuxentrenous.Unejournéeagréable,détendueetpleinedepaysagessurprenants,quedemanderdeplus?Si au passage, nous parvenons à apaiser la tension qui subsiste, je ne peux que m’en trouverpleinementsatisfaite.Seulelafindecettejournéepourrameleconfirmer.Pourl’heure,ilfautencorequenoussortionsdugarage.

Simon

Sara est silencieuse et je le suis tout autant. Je lui jette de temps en tempsquelques regards à ladérobée.Mêmedeprofil elle est sensationnelle. Jemesensbien, ici, avecelle.Si je lepouvais, jerouleraispendantdesheures,bercéparledouxeffluvedesonparfumetsubjuguéparlerythmelentet apaiséde sa respiration.Le spectaclede sapoitrine se soulevant et s’abaissant au rythmede sesinspirationsestfascinant.Ellerespirelavie.Elleestcommeuneboufféed’oxygène,ellem’apaiseetjemesenstoutàcoupplusdétendu.

Saraobservelepaysage,pensive.Jemefocalisesurlarouteetserredavantagelevolant.Jenesaispas pourquoi mamère s’est montrée aussi infecte avec elle. Je ne sais pas à quoi elle joue. Ellechercheprobablementàmeprotéger.Comme toujourselle s’yprendmal.Au final, toutcequ’elleparvientàfaire,c’estàm’étouffer.J’aiconsciencequ’ellepensebienfaire,maisellenepourrapaséternellementme protéger. Je n’ai plus cinq ans. Il est temps que tout lemonde se confronte à laréalité.Jenepeuxpasêtresauvé.Ilfutuntempsoùj’avaisenviedel’êtreetmaintenantjenesaispluscequejeveux.Jenesaismêmepluscedontjesuiscapable.J’aiperdufoienlavie,maisplusgraveencore,j’aiperdufoienmoi.Jenecroisplusêtreenmesurederetrouverlaconfiancequim’animaitquelquesmoisplustôt.Letempspasseetmoij’ail’horribleimpressiondedisparaîtredejourenjour.Je ne me reconnais plus. Les douleurs, les épreuves ont fait de moi le jeune homme que je suisaujourd’hui.Mêmesi j’ysurvis, jenesuispascertaindepouvoir redevenirceluique j’étaisavant.AuprèsdeSara,jemedisquejen’aipasbesoindefairesemblant.Ellemevoittelquejesuis,sanstouslesproblèmesquisegreffentautour.Cen’estpasplusmal.

Jemegareenfaceduportetluifaissignededescendre.Ellemesuit.Nousmarchonscôteàcôtejusquesurlequai.Enfacedenous,iln’yaqu’untasdepetitsbateauxproprementalignés.Auloin,l’océan est légèrement animé par le vent marin qui sévit en ce début d’après-midi. Le temps estclément,lecielunpeunuageux.JemetourneversSara.Sescheveuxdétachésondulentlégèrement.Unemèches’échappeetfrappesonvisage.Jemeretiensdelareplacerderrièresonoreille,maisellefinitparlefaireelle-même.Puisellesortsonappareilphotodesonsac,passelabandoulièreautourde son cou, la règle de manière consciencieuse et colle l’objectif devant ses yeux. Elle fait trèssérieuse.ElleenchaînelesprisesdevuespuislaissereposersonNikonautourdesoncouetbriselesilence:

—Jecroyaisquetuétaiscensémefairedécouvrirlesplusbeauxpaysagesdelarégion!Leport,cen’estpasvraimentcequej’entendspar«exceptionnel».

Je souris. Sara semble toujours si pressée, nerveuse et soucieuse de respecter les règles. Jemedemandemêmesiluiestarrivé,neserait-cequ’unjour,defaireuntruccomplètementdingue.Elleestbeaucouptropsage,comparéàmoi.

Elleprendunepetitemoueboudeusequim’extorquemalgrémoiunsourire.Jenesaispourquoi,c’est la seule fille qui n’ait jamais été capable dem’attendrir. Peut-être parcequemalgré le calmeapparent,jediscerneunfeu…nonunetempêtequisedéchaîneenelle.Lamêmequim’habite.C’est

ce qui nous a réunis aujourd’hui. Il y a tellement plus que ce qu’elle veut bienme laisser voir. Siseulementelleselaissaitaller…

—Jetienstoujoursmespromesses…

—Danscecas,qu’est-cequ’onfaitici?insiste-t-ellesuruntond’intellocoincée.

—Onprofitedutempspasséensemble.

—Jecroyaisquecen’étaitpasunrencard?

Elleneperdjamaisuneoccasiondesetaire.Saraestdifficileàcerner.Tantôtrenferméesurelle-mêmeetlaseconded’aprèspleined’assurance.Iln’yapasdeuxpersonnalitésquicohabitentenelle.Simplementuneâmefougueusequinedemandequ’àexploseraugrandjour.

—Cen’enestpasun.Maiscommelebutestavanttoutdefaireconnaissance,jemesuisditqu’ondevraitcommencerparboireleverredel’amitié!

—Jeneboispasd’alcool,serenfrogne-t-elle.

Lecontrairem’auraitétonné.SainteSaranefaitdécidémentriencommetoutlemonde!

—Qui te parle de boire de l’alcool ? Allez, ne fais pas ta tête de mule et viens, lui dis-je endésignantàquelquespasdenouslebard’enface.

Elle se balance sur ses deux jambes, hésite. Je n’attends pas sa réponse, la plante ici et file endirectiondubar.Commeellen’apluslechoix,ellemesuit.Jeluitienslaporte.Bill,lepatron,meserrelamainetlèvelesyeuxauciellorsqu’ilremarqueSara.Illefaitàchaquefoisqu’unclientsepointedanssonbarenbonnecompagnie.C’estuntic,c’estplusfortquelui.Jenerelèvepas.Saraadéjàprisplace,toutaufond,àunepetitetable.Ellegigotesursachaise.Ellemesemblaitplusàl’aisedanslavoiture.

Nicky,lafemmedeBill,débarqueuncarnetàlamain.Elleestgrande,blondeauxcheveuxfrisésetcourts,grossepoitrine,toujoursenminijupeetbottedecow-boy.Maismalgrésonapparencequipeutparaîtrevulgaire,c’estuncœurenor.Elleaeusonlotdegalèresavecsestroisderniersex-maris:unalcoolique,unviolentetledernier,dépressif,s’estsuicidé.Bill,soussonairbourru,sonimposantebedaineetseskilosentrop,asuluirendrelaviemeilleure.

—Qu’est-cequejevoussers,lesenfants?

JelaisseSaraprendrelesdevants.

—Unegrenadine.

Nickygriffonnesursoncarnet.

—Ettoi,mongrand?Commed’habitude?

Jehochelatêteetnotreserveuses’envaderrièrelebarpourpréparernoscommandesetrevient

aussitôt déposant un verre de grenadine devant Sara et une bière pour moi. Je vois au regardréprobateurdecettedernièrequ’ellen’approuvepasmonchoix.Tantpis,elledevrafaireavec.

—Ilamoinsdevingtetunans,s’adresse-t-elleàNicky,commesicelle-cinelesavaitpas.

—Etalors?Cen’estqu’unebièrepoupée.Pasdequoifouetterunchat.

—C’estillégal!

Nickym’adresseunregardquiappelleàl’aide.Ellesedemandecertainementoùj’aidégotécettepetiteAméricainefrigide.AucundouteSaraneressembleàaucuneautre.C’estbienpourçaqu’ellem’obsèdeautant.

—Laissetomber.Jevaisréglerça.

Elles’envasansdemandersonreste.

—Maisellenedevraitpas…commenceSara.

—C’estunaccordtaciteentrenous.Détend-toi,cen’estqu’unebière!lacoupé-je.

Jen’aipasenviedemedisputeravecelle.

—Tuconduis!

—C’estexactetjenevoisriendemalàça.Jenevaispasêtresaoul.Jepensaisqu’onétaitsupposépasserunejournéeentreamis,prendreletempsdediscuter!Aulieudeçatevoilàencoreàjouerlesmoralisatrices,luifais-jeremarquer.

Ellesetait,froncelessourcilsetm’observe.J’ail’impressiond’êtrelediableetelleunenonneentraindechercherunmoyendes’extrairedelatentationetduvicequejereprésente.Durantuninstant,jecrainsmêmequ’elleselèvedetableets’enfuie.Maiselleresteétrangementimmobile.

—Bien.Dequoivoulais-tuparler?demande-t-elle.

Elleboitunegorgéedegrenadine.Jen’arrivepasàdétournerleregarddesagorge,desoncousipetit,desapeauparfuméed’unesenteurflorale,quej’imagineextrêmementdouce.

—Pourquoias-tuquittéNewYork?

—C’estunsecretpourpersonne.Mamèreadéménagéicipoursuivremonbeau-pèresuiteàsamutation.

—Tuauraispuresteravectonpèrequilui,vittoujoursàNewYorksij’aibiencompris.

—Jenepouvaispaslaissermamèrepartirseule.

—Ellen’estpasseule,ilyatonbeau-père.

—Elleabesoindemoi.Davantagequemonpère.

—Etqu’est-cequitefaitcroireça?

—C’estduràexpliquer.Philestlepremierhommequemamèrefréquentedepuissaruptureavecmon père il y a très très longtemps. Elle a vécu la majorité de sa vie seule, en tant que mèrecélibataire.

Je crois que je commence à comprendre. Sara est le genre de personne qui se sacrifie pour lesautres.Voilàquiexpliquesonapparencetimideetrenfermée.

—Etducoup,tupensesluiêtreredevabledetouteslesannéesqu’elleasacrifiéespourt’élever?

Sessourcilss’affaissentetserejoignent.Jetoucheunpointsensible.

—Pasdutout.Ellem’alaissélechoix.Ellen’arienfaitpourmepersuaderdequitterNewYork.Mamèren’estpasdugenreàmemettredesbâtonsdans les roues.Si j’avaischoiside resteravecmonpère,elleauraitacceptémadécisionsansrechigner.C’estmoiquiaitranché.

—Finalement,c’esttoiquiasleplusbesoind’elle.

Elle gigote denouveau.Mince, je suis peut-être allé trop loin. Je la provoque sansm’en rendrecompte.Jenesaispaspourquoij’essaied’obtenirtoutesortederéactionsdesapart.Peut-êtreparceque j’espère ainsiqu’elle se livreradavantage.Cen’estpasgagnépour lemoment. Jem’yprendscommeunmanche.Saraneselaissepasdémonteretrebonditvite:

— Au lieu de parler de moi, parlons de toi ! Qui est Simon Harper dans le fond ? Tu es lefootballeurarrogant,peut-êtreunpoiltroparrogantd’ailleurs,sûrdelui,quifaittournerlestêtesdeces dames.Mais quels autres secrets se dissimulent derrière cette armure pleine d’insolence et desarcasme?

Je ris. Son analyse est stupéfiante et sa soudaine assurance fait taire mes récents instinctsprotecteursquimedictaientdenepastroplabousculer.

—Tum’asassezbiendécrit.Jenevoisriend’autreàajouter.Jesuisungarspeurecommandable,commetupeuxlevoir.

—Ça,c’estcequetuveuxmefairecroire,sinontunem’auraispasinvitéeaujourd’huiàpasserdutempsavectoi.Quelestlebutdecettejournée?Quellefacettedetapersonnalitéveux-tumemontrerexactement?

—Riend’autrequedespaysages,réponds-jesoudainmalàl’aise.

Sara a le chic pour renverser la situation à son profit. Elle est redoutablement perspicace, tropcertainement.Celanefaitpasmesaffaires.

—Pourquoibénéficies-tud’untraitementdefaveurquitepermetdelouperlescourscommebontesemble?

Aïe,jenel’attendaispassurceterrain-là.J’auraisdûm’yattendre.Difficiledenepasremarquermesabsencesrépétées.

—Jenesèchepaslescourssic’estcequetupenses.Jesuisdescoursdesoutienàdomicileavecl’avalduproviseur.

—Descoursdesoutien?Etpourquoitunelessuispasaprèslescours,leweek-endparexemple?

—C’esttropcompliquéàexpliquer.Jesuisquelqu’undecompliquécommetuaspuleconstater.

—Tuessinulqueça?

Je sens qu’ellem’emmène sur un terrain glissant. Je fais tout pour ne pasm’y aventurer,maisqu’oninsultemonintelligence,jenelesupportepas.

—Ce n’est pas la question d’être nul. Je ne le suis pas. J’ai simplement besoin de ça pourmemainteniràflot.Ilestl’heured’yaller.

Jemetsfinàlaconversation,elleproteste.

—Maisjen’aipasfinimonverre!

J’avalemabièreculsec.

—Alors,bois-le!Tuastrentesecondes!

Jel’abandonneetvaisréglernosconsommationsaubar.Billencaisselesbilletsquejeluitends.

—C’esttanouvellepetitecopine?demande-t-il.

—Non,uneamie.

—Elleestdrôlementjolietonamie.Unbeaupetitlot,fait-ilremarquer.

Je la regarde. C’est vrai qu’elle est belle. Sara se penche pour récupérer son sac. Ses cheveuxfrôlentsonépauleetpendouillentsurlecôté.Elleserelèveavecgrâce.Sonverreestàmoitiévide.EllemerejointetsaluepolimentNickyetBillavantdefranchirlaporte.Lajournéen’estpasencoreterminée.Jesuisloind’enavoirfiniavecSaraCummings.Telleunefleurbienarroséeetchoyée,ellefinirapars’ouvriretj’aiencoredebonsargumentspouryparvenir.Àlafindelajournée,jegagequ’elle m’aura accordé du crédit et que je ne serais plus seulement à ses yeux qu’un petit conimmaturequipèteplushautquesoncul.Jevauxmieuxqueça.Onlesaittouslesdeux.J’aiseulementunpeudemalàlemontrer.

Merde,çametientpeut-êtretropàcœur.D’habitude,jememoquebiendecequepeuventpenserlesautres.Jemeblinde,maispasavecSara.Elleestlaseulepersonnedontl’avism’importedepuisbienlongtempsetcelam’agaceautantquecelam’effraye.Cettefillemefaitpeur.C’estlemot.Ellemefoutlesjetonsparcequejecommenceàmecroirecapabledechosesquimeparaissaientjusqu’iciimpossibles.Jen’ai jamaiseul’impressiond’êtreunadolescentcommelesautres,etpourtantavecelle,c’estcequejesuis.Ellemevoittelquejesuisetnontelquelesautresmevoient.Ça,c’estparce

qu’elleneconnaîtpasencorelavérité.Ellenesaitpasencoreàquelpointmavieestmerdique,pleinedegalèresdontjenepourraisjamaismedéfaire.

Sara

Larouteestbordéedecyprès,noustraversonslaforêt.Aprèsavoirpayépours’engagersurla17milesdriveetqu’ilaitrefuséquejeparticipeaupéage,Simonestredevenusilencieux,trèsconcentrésur la route.C’est étrange. Il s’est refermé sur lui-mêmecommeunescargotdans sa coquille à laminuteoùj’aiévoquésesabsencesrépétéesaulycée.C’étaitpourtantsonidée.Ilvoulaitmettrecartessurtable.Iln’apashésitéàmetitilleraveccettehistoiredechoixentremamèreetmonpère,NewYork…Ilm’aagacé.Etlevoilàquiboudecommeungossededeuxans.Jesaisqu’ilcachequelquechose. Jene suispasassez stupidepourcroireà sonhistoire.Descoursde soutien?Monœil !Àd’autres ! Je vais peut-être un peu vite en besogne. Néanmoins, plus le temps passe et plus j’ail’impressiondeconnaîtreSimon,sesréactions.Chaquefoisqu’onapprochedetropprèsd’unsujetqui le dérange comme tout à l’heure, il laisse tout en plan, se laisse gagner par la morosité ets’enfermedansunmutismedéconcertant.Parbiendesaspects,ilmeressemble.Onseressemblebienplusqu’onnelecroit.

Jenesuispasvraimentcaptivéeparlaforêtdecyprès.Maisjesaisquesijedétachemonregarddes arbres, je ne pourrais plusm’empêcher de le regarder, lui.Alors à travers la vitre, je prendsquelques clichés. Je sens le regard vif de Simon se poser surmoi. Ilme brûle,m’enveloppe,meperturbe.Unevaguedechaleurs’emparedemesmembres.Jetentederésister,maissansplustarderjedécidecettefoisdeleprendreparsurpriseetbraquel’objectifsurlui.Ilécarquillelesyeux.

—Qu’est-cequetufais?

Jelemitraille.Leflashl’aveugle.Àlatroisièmephoto,ilmetsamaindevantluipoursecacher,maisc’esttroptard,l’instantestdanslaboîte.

—Tun’espascensémeprendreenphoto,proteste-t-il.

J’abaissel’objectif.

—C’estlephotographequidécidequiserasonprochainsujetetjet’aichoisi!

Bingo,unrictuss’emparedeseslèvres.Ellessontfines,rosesets’étirentdemanièresarcastique.Lecoupdel’appareilphoto,çamarcheàtouslescoups.J’étaispersuadéequeçaledériderait.

—Lesdroitsd’auteurrisquentdetecoûtercher!prévient-il.

—Quelsdroitsd’auteur?Cesontdesphotosàusagepersonnel.

—Qu’est-cequetuvasenfaire?

—Ça,çaneteregardepas.

—OK,jevois.Tulesasprisespourassouvirtesfantasmes…

Outrée,jemanquedem’étrangleretsansmesurermaforce,jelefrappeàl’épaule.Lavoiturefaitunlégerécart.Ilsemassel’épaule.

—Ouah,doucement.Jeplaisantais.Sacrépoigne.

—Désolée,maisnevapast’imaginerdeschoses.Tunemeplaispasdutout!

—Mêmepasunpetitpeu?

—Non.

—C’estcequ’ellesdisenttoutes,poursefairedésirer,etpuisellesbaissentlesarmes.

—Jesupposequepar«elles»tuparlesdetesgroupies.Loindemoil’idéedetedécevoir,maisjen’enfaispaspartie.Jememéfietoujoursdetoi.

Il tourne la tête l’air interrogateur et nos regards s’affrontent.L’atmosphère devient lourde. J’aimanquél’occasiondemetaire.J’aiaiguisésacuriositéetl’ambiancebonneenfantquirégnaitdepuisquelquespetitessecondess’estenvolée.Jeneperds jamais l’occasiondegâcher lesbonsmoments.C’esttoutmoiça:Sara,lagaffeusedeservice.

—Quellesraisonst’ai-jedonnédeteméfierdemoi?

Saquestionexigeréponse.Ilattend.Sesmainssecrispentsurlevolant,l’espaceentresessourcilss’estréduit.Jedéglutis.Jepréféreraismemordrelalangue,maislesmotspassentlabarrièredemeslèvresavantquejelescontrôle.

—Tuesbienplusquel’imagequetuveuxdonner.Tuprendsdesairsdemauvaisgarçonparcequec’estlaseulemanièrequetuastrouvéedeteprotéger.Enrevanche,jenesaistoujourspasdequoi.

Ilrit.Ilsemoquedemoi.

—Situcroisquejefaissemblant,tutetrompes.Unconseil,gardeçaentête:jesuisexactementcommetumevois.Niplusnimoins.Jenevaispaschanger.Nipourlesnanasetencoremoinspourunecassebonbontellequetoi.

Il est en colère. Sa remarque jette un froid dans l’habitacle. Il est sérieux, son ton est presquemenaçant. Il me file la chair de poule. Je n’ai pas peur de lui. J’ai peur de ce qu’il renferme àl’intérieurdelui.J’aipeurquecelal’aitatteinttropprofondémentpourqu’ilsoitunjourcapabledes’endélester.Jenedevraismêmepasavoirpeur,maisc’estplusfortquemoi.C’estlavérité,depuisquelquesjours,malgrésoncomportementantipathique,jemesuisattachéeàcegarçonplusquederaison.Nosjoutesverbalesjournalièresmeprocurentmadosed’adrénalinequotidienne.Mêmesijepréférais que ce ne soit pas le cas, la vérité, c’est queSimonHarperme plait, bien plus que je levoudrais.C’est fou,nousn’avonspassénotre tempsqu’ànouschamailler. Jedevrais ledétester.Etpourtant,jen’arrivepasàm’yrésoudre.J’aibeauletraitermentalementdetouslesnomsd’oiseau,jeneparvienstoujourspasàmeconvaincrequ’ilestcegarsinsensibleetdésabuséqu’illaisseparaître.Ilyauneraisonàsoncomportement,quelquechosesurlaquellejen’arrivepasàmettreledoigt.Miasait.Sinon,pourquoiserait-elledéjàpartiprispourquejelefuie?

Simon

Notrepetiteexcursionn’estpeut-êtrepasunebonneidée.Saraestbienplusmalignequejenelepensais et jeme sens vulnérable tout d’un coup alors qu’ellem’observe. Sa dernière répliquemeperturbeencore.J’aimeraisqueriendecequejevisàpartcemomentnesoitréel.J’aimeraispouvoirpenserqu’atteindremes rêves est envisageable. J’aimeraispouvoirme lancer à corpsperdu, avoirenfin de vrais objectifs. Oui, j’aimerais pouvoir faire tout ça. Avancer sans me soucier desconséquences,sanscraindredefairesouffrirdavantagedegensautourdemoi.Danslefond,jemedemandebienquij’essayaisdeduperenl’invitantàsejoindreàmoiaujourd’hui.Onm’atoujoursditdenepaslaissertombermesrêves,maisjecroisquecesonteuxquiontfiniparmelaissertomber.Àforcedeneplusycroire,ilssesontdéfinitivementenvolés.Jenesaispluscequejeveuxvraiment.Jecroisque jeveux simplementvivreau jour le jour sans ses interditsque jem’impose.Àsavoir sic’estunebonneidée,ça,jen’ensuispascertain.C’estlapremièrefoisquej’essayedumoins.Etcen’estpasfaciledelâcherprise.

Sara est si proche de moi que cela m’effraye. Essayer quelque chose se serait commettre uneerreur,maiscertainementlaplusbelledemonexistence.Pourtant,jen’arrêtepasdepenseràl’annéedernière.Cen’étaitpaslamêmechose,jen’avaispasl’intentionqueSydneys’attacheàmoi,jen’airien vu venir. Cette fois, c’est différent. Et pourtant, je sais qu’indéniablement si je laisse Sarapénétrermoncœur,elleensouffrira.C’estégoïste,maiscettepenséeàelleseulenesuffitpasàmeconvaincredegardermesdistances.Jen’yarrivepas.C’estcommesisonâmeexerçaituneattractioninvisible sur la mienne. Il y a déjà quelque chose entre nous, avant même que nous n’en ayonsconscience,avantmêmenotrepremierbaiser,jesaisquecemomentdevaitarriver.C’estlapremièrefoisquej’aiautantletrac.Pourtant,j’enaieudesépreuvesàtraverser,j’aieumonlotdedouleur,desouffrance,dedifficultéà surmonter. J’ai connudes joursmeilleursqued’autres.De trèsbons,detrèsmauvais,maisjen’avaisencorejamaisconnuunjourcommecelui-là.Jen’avaispaseuenviedevivredenouvellesexpériencesdepuisbien longtemps.Si j’aienviede le faire?Jecroisque jeneseraispasencoreiciàypenser.Sicen’étaitpaslecas,j’auraiscertainementdéjàfaitdemi-tour.

Sara est toujours là, tout comme l’évidence qu’elle en a autant envie que moi. J’ai longtempsattendu quelqu’un comme elle et j’ai fini par me résigner en pensant qu’elle n’arriverait jamais.Maintenant,elleestlà,àquelquescentimètresdemoi,etjenecomptepaslaisserpassermachance.Enlatrouvant,j’ail’impressiondecommenceràmetrouver.Jegrillelesétapesprobablement.Maisjen’aipasdetempspourça.Jelesais,c’estdissimuléaufonddemesentrailles,c’estdanschacunedemescellules,dansuneinfimepartiedemoncœur,dansmesveines:c’estelle.

Sara

Ilnem’apasmenti.Lesvuessontmagnifiques,larégionregorgedebellessurprises.Jenepensaispas que la nature pouvait être aussi surprenante.Nous nous sommes arrêtés du côté deBirdRockpourobserverunrochercouvertdecormoransetdequelquesphoques.NousavonségalementfaitunarrêtducôtédeSealRockpourobserver lesotaries.Simonme laisseprendremon temps. Je suisfascinéeparladiversitédelafaunequipeuplecetteréservenaturelle.Jen’aipasvuletempspasser,mais ça fait plus d’une heure que nous traquons les plus belles vues. La fatigue se fait ressentir.Quelquestouristessontdéjàlà.L’endroitestleplusbeauduPacifiqueavecsesrochersdorésetsesvagues blanches.Mais depuis peu, le ciel commence à se couvrir. Jem’empresse de prendre unephotoavantqu’unnuagenousprivedelalumièredusoleil.Lecielauloincommenceàs’assombrir.L’atmosphèreestchargéed’humidité.Çasentl’orage.

Jefaisencorequelquesclichésetsursautelorsquej’aperçoislaqueued’unebaleinehorsdel’eau.J’aitoutjusteletempsdecapturerl’imageavantqu’elledisparaisse.

—Tul’asvu?

Simonsourit.Ilm’observed’unœilrieur.

—Jet’avaisditquetuneseraispasdéçue.

Je suis sur le point de lui répondre lorsque la sonnerie de mon portable nous interrompt. Jel’extirpe maladroitement de la poche arrière de mon jean. C’est ma mère. Lorsque je remarquel’heure, je commence àme dire qu’il serait plus raisonnable de rentrer. J’hésite à répondre,maislorsquej’enprendsladécisionmontéléphonesetait.

—Mamèrevas’inquiéter.Jepensequ’ilestpréférablederentrer.

Sonsourires’évanouit.

—Pastoutdesuite,ilyaencoreunendroitquejedoistemontrer.Crois-moi,ilvautledétour.

—Uneautrefois…

—Çaneprendrapaslongtemps.Tamèrenevapaslancerunavisderecherche.T’esunegrandefille.Cessedefairel’enfant.Suis-moi,dit-ilsèchement.

Simonmeprendparlebraspourmeconduirejusqu’àlavoitureetjenetenteaucunerésistance.Mon petit doigtme dit que c’est inutile. Ilm’ouvre la portière et je grimpe sans protester. Puis ildémarre. Jen’osepour lemomentémettred’observation.Leprochainendroità l’airde lui teniràcœur.Nouslongeonslacôteetnousarrêtonsauborddelaroutepeudetempsaprès.Noussommesgarésenépijustedevantunebarrièreenbois.SimonfaitletourdesaNissanetm’ouvrelaportière.Nousmarchonsjusqu’àlabarrière.J’admirelepaysageetsoudainfrissonne.L’airs’estrafraîchi,le

soleilamaintenantdésertélepaysageetl’atmosphèreestchargéeenélectricité.

Jemefrottelesbras.

—Tuasfroid?

Jenesaispassic’estunequestionouuneaffirmation.Jefaissignequenondelatête,maisilôtetoutdemêmesonblousonpourledéposerdélicatementsurmesépaules.Jesenssonsoufflechaudderrière moi caresser ma nuque. Son visage est tout près de ma joue alors qu’il se penche pourdésigner,uncyprès,seulaumilieud’unrocher.NoussommesiciauLoneCypress.L’arbreleplusphotographiéaumonde.

Jelèvemonappareilpourleprendreenphoto.LeslèvresdeSimonfrôlentmonoreille,lecontactdesamainsurmonépaulem’arrachedesfrissonsetilmurmure:

—Tuvoiscecyprèslà-bas?Ilestcélèbredepuisdeuxcentcinquanteans.Ilsetientlàfièrementaumilieudesrochers,auborddelafalaise,etdéfieleséléments.C’estlavuequejepréfèreàMonterey.

Mespoilssedressent.Malgrésonblousonsurmesépaules,jefrissonnedavantage.

—Unpeucommetoiparcequesij’aibiencompris,tuasl’impressiond’êtreseulaumonde.Cequejenecomprendspas,c’estpourquoi?rétorqué-je.

Ilfaitunpasderrièremoi.J’ail’impressiondel’avoirgifléetenmêmetempsd’avoirmisledoigtsur ce qui l’empêche de faire tomber lesmasques. Je ne sais pour quelle raison Simon conserveencoreautantdebarrières.Certespourseprotéger,maisdequoi?Qu’est-cequiluifaitsipeur?

Je faisvolte-faceetaffronte son regard.Ceque j’yvoismebrise lecœur. Ilyaunmélangedesouffrance,detristesse,maisilyaautrechosequejeneparvienspasàidentifier.Moncœurrateunbattementpuis redoublede force. J’ai enviede le serrerdansmesbras,de le consoler, de luiôtertoutecettepeur.Jem’approched’unpasmalassuré.Jenevoisplusqueseslèvres,immobiles.Ellesm’attirent.Jenesaispassicequejem’apprêteàfaireestunebonneidée,maisj’enaienvie.Touteslesparcellesdemoncorpssemblentm’ypousser.C’estcommesimapeauestdevenuetoutd’uncouphypersensible, animée par le besoin vital de le toucher. Mes lèvres frôlent les siennes, nosrespirations se calent l’une sur l’autre. Il ferme les yeux. Lui aussi il va céder jusqu’à ce que,subitement,ilreculeetmerepousse.

Songesteme fait l’effetd’uncoupdepoingdans l’estomac. Jen’arriveplusà respirer. J’enaipresqueleslarmesauxyeux.Jemesenshumiliéeetsurlepointdefuir.

Il pose ses mains froides sur mes joues. Je n’arrive plus à bouger. Je ne sais plus commentinterprétersesparolesnisesgestes.

—Tunedevraispasfaireça.

Simême lui commenceà s’ymettre alors je croisqu’il n’y aplusd’espoir.Pourtant, durantuninstant,j’aicruvoirémergerenluilamêmeétincellequecellequejesenscroîtreenmoi.Constatermon erreur est un revers cuisant. Je n’aurais pas dû venir. Je n’aurais pas dû croire que cela étaitpossible.Jesuisstupide,complètementstupide.

—Pourquoi?

Ilsepinceleslèvres,expirebruyamment.Laréponsesembletropdouloureuseàformuler.Ilfermelesyeuxetposesonfrontcontrelemien.Illutteintérieurement.J’aimeraispouvoirl’aider,maisjecroisqu’àmoiseulejen’enaipaslaforce.C’estquelquechosecontrelaquelleonnepeutpaslutters’ilnelefaitpaségalement.

Ildétachesonfrontdumien,rouvrelesyeuxetmeregardesansciller.

—Tuesunefilleintelligente.Situneveuxpasquejetebriselecœur,tugarderastesdistances.

Mia,maintenantlui.Jenepeuxpasdirequejen’auraispasétéavertiedesatendanceàbriserlescœurs.Maisjenelecroispas.JesuissûrequeçaaquelquechoseàvoiraveccettefilledontMiam’aparlé l’année dernière : Sydney. Visiblement, leur rupture lui a laissé des cicatrices. Je voudraispouvoirgardermesdistances,mais jen’y arrivepas.Faisant la sourdeoreille, je fais unpas, noslèvress’approchentjusqu’àsetoucher.Jefermelesyeux.L’oragegronde,maisjen’aipaspeur.Jenemesuisjamaissentieaussiensécuritéqu’ensaprésence.

Ilmurmurecontremabouche:

—Tunesaispasàquelpointilm’estdifficiledeterésister.Situm’embrasses,jeseraisincapabledefairemarchearrière.Réfléchisbien.

C’est toutréfléchi.Sonultimatumnem’effrayepas, ila laissélaporteouverteet jecomptebienm’introduiredanssavie.Jecollemeslèvresauxsiennes.Ellessontchaudes.Sonbaiserestcommelacaressed’uneplume,àlafoisdoux,sensueletsucré.Ilsefaitpluspassionnéaufildessecondes.Jen’ai même plus l’impression de respirer. Ses bras encerclent mes reins de manière possessive etpoussentmoncorpsverslesien.Monventresecontracte,nosjambessetouchentets’emmêlent.Jemehissesurlapointedespiedsetmeperdsdanslavalsequesalanguefaitsubiràlamienne.Mesmainstrouventlechemindesanuque.Sonblousonglissedemesépaulesettombeàterre.Simonestàmoi,toutàmoi.Sontorseselèveetsesoulèvedemanièrerapide.Ilestessoufflé,maiscontinuedem’embrassercommesisavieendépendait.Lebruitassourdissantdelafoudrenousfaitsursauteretj’ouvre les yeux sur le spectacle magnifique que son visage m’offre. Ses yeux bleus lancent deséclairs.Leregardqu’ilmeportemefaitfondre.Ilyadelapassiondanssesprunellesetautrechosequimefaitrougir:dudésir.J’aisubitementchaud.

Simons’abaissepourramassersonblouson,lepassesurmesépaules,etensaisitlespanspourmetirerverslui.Souslecoupdel’émotion,jen’aimêmepasremarquéquej’avaisfaitunpasenarrière.

—Tunemesurespasencorelabêtisequetuviensdecommettre!

Ilécrasesabouchecontre lamienneetm’empêchede répondre.Definesgouttesd’eauviennentbalayernosvisages.Lapluiedevientaverseetjelasensdégoulinerdemescheveux,traversermonnez et s’écraser surmonmenton. Jeme sensvivante.Bienplusque jene l’ai jamais été. J’en suisautantétonnéequemortedetrouille.

Simonmelibèredelatendressedesonbaiser.Ilbaisemonfrontsilencieusement.Maintenant,j’ai

prisconsciencequ’onnepouvaitplusrevenirenarrière.

Ilreprendsonblousonposésurmesépaulesetlelèveau-dessusdenostêtes,medésignelavoitureet nous courons jusqu’à cette dernière. Jeme faufile la première dans l’habitacle, il contourne lacarrosserie,jettesonblousonsurlaplagearrièreetprendlevolant.Noussommestrempésjusqu’auxos et notre première réaction est d’éclater de rire alors qu’il démarre et met le chauffage. Nosvêtementsfinirontparsécher.

Simonsepencheau-dessusdelaboîteàvitesse.Jeposemamainsursajoueetl’embrasseduboutdeslèvres.Sijelepouvais,jenem’arrêteraisjamaisdel’embrasser.Despapillonsvirevoltentdansmonestomac.C’est ça l’effetdubonheur ? Jene l’ai encore jamais ressenti.Pasdemanière aussiintenseentoutcas.C’estsurprenantetexcitantàlafois.Jemesenscommeunepileélectrique.J’aidumalà faire le trientremesémotions.Jesuisassaillieparun tasdesensations. Jecroisque jevaisavoirdumalàatterrir.Jesuisprêteàmepincer,carj’ail’impressionderêveréveillée.Maissapeauestbienlà,salangueenlacéeaveclamienne.Jerougisparcequej’aichaud.

Simonmelibèredelapassiondesonbaiseretunequestionmevientàl’esprit:

—Ettapetiteamie?

—Iln’yapersonned’autrequetoi.

Jesourisetposemamainsurmeslèvres.Jen’arrivepasàycroire.

—Jet’aiditqu’aprèsçajenepourraisplusreculer.Jen’envisageplusunseuljoursanspouvoirt’embrasser.Voudrais-tumefairel’honneurdesortiravecmoiSara?

Jehoche la tête. Jene sais plus tropoùdonnerde la tête.C’est un sacré séismeque jeviensdetraverser. J’étais loindemedouterde cequi allait arrivermême si jenepeuxnier l’attirancequej’éprouvepourlui.Ils’esttoujourscomportécommeunsaleconavecmoi.Qu’ilchangesubitementson fusil d’épaule, c’était inenvisageable. Désormais Simon Harper veut sortir avec moi, SaraCummings, laNew-Yorkaisetimideet transparentequivientdedébarqueràMonterey.Jevaisfairejaser.Jenesaispascequ’ilmetrouve,jen’airiendespécial.Jenesuispascommecesfillesavecquiilprenddubontemps.Aprèscetteréflexion,jemesensmenacée.J’aipeut-êtrefaitunebêtise,jen’ensais rien,mais l’attirancequiestnéeentrenousnepeutpasêtre feinte.Celanepeutpasêtrequ’untourdemonimagination.Malgrétout,çametracasseet ilsemblel’avoirremarquéalorsquenousquittonsla17milesdrive.

—Àquoitupenses?

Jememordslalangue.Ilfautquejeluiposelaquestion,quejem’assurequ’ilcomprennecequecelareprésentepourmoi.C’estlapremièrefoisquejeressenscegenred’élancementdanslapoitrinepourungarçon.Direquec’estdel’amour,jenesaispas,onn’enestpasencorelà.Maistoutàcoup,j’aipeurdemecasserlafiguredanscetterelation.Ilestencoretempsdem’enpréserver.

—Promets-moiquepourtoi,toutçan’estpasqu’unjeu.

Simons’arrêtebrutalementaubordde la route.Lespneuscrissent, lesgraviers laissentderrière

nousunetrainéedepoussière.Ilmejaugesévèrement.

—Qu’est-cequitefaitpenserça?

—J’aipeur.Je…JenesuispascommeLinda.Jenesuispasprêtepourcegenredechoses.Jeveuxprendremontemps…enfin,j’aipeurque…

Il lève lamain et jeme tais, presque honteuse de le juger aussi sévèrement.Ce n’était pasmonintention.Jeveuxsimplementqueleschosessoientclaires.

—Jenetedemandepasd’êtrecommeelle.Cen’estpascequej’attendsdetoietjeneveuxsurtoutpasquetulesois.Je…jesaisquetunousasvusetjeleregrette.Jenesuispascommeça.Cequetuasvucen’estpasmoi,c’estletypequiessaiedefairecroirequ’ilsefoutdetout,maisjenemefouspasdetoi.Çan’arriverajamais.Tuasmaparole.Jeneferaisrienquetuneveuillespasfaire.Jesuissérieux comme je ne l’ai encore jamais été. Alors, si tu le veux bien, accorde-moi au moins lebénéficedudoute.Nemejugepassurmonpassé.

Sesprunellesmesupplient.Ilserremamain,laporteàseslèvresetl’embrasse.Làoùseslèvressesont posées, la peaumebrûle.Mon cœur se soulève. Je le crois sincère.Mon cerveaubouillonne.J’aimeraismedirequ’ilvautmieuxquejeresteenretrait,maisj’ensuisincapable.C’estlaplusbelledéclarationqu’onnem’aitjamaisfaite.Simonmériteenfinquequelqu’uncroieenlui.S’illefautjeseraiscettepersonne,cellequiluiferacomprendrequ’ilvautmieuxqueceluiqu’ilpenseêtre,qu’ilest digne d’être aimé, car de toute évidence il fait tout pour repousser les autres. Je ne sais paspourquoi il a tellement peur qu’on s’attache à lui. J’ai le sentiment qu’un jour viendra où il seconfieraàmoi.J’attendrai.ParcequeSimonHarperestunêtreépatantquin’apasencoretrouvélemoyendesedéfairedesespropresdémons.

Simon

J’aurais préféré que la journée ne se termine jamais. Je la regarde s’éloigner de la voiture, unpincementaucœur,lemalàl’âme.Saram’adresseunsignetimideavantdemonterdanssavoiture.Ellememanquedéjà.C’estdingue,nousn’avonspasséquequelquesheuresensembleetjemesensinvincible,capabledeprendreunnouveaudépart.J’aimeraisquecesoitpossible,j’aimeraisycroire,maisj’ailacertitudequecettevaguesensationnevapastarderàs’évanouir.

Laporteclose,tousmesespoirss’envont.Légèretéetmagies’évaporent.Jeretourneàlamorositéde mon quotidien. Ce ne sont que quelques secondes de bonheur parmi un millier d’heures desouffrance.Uneaiguilledansunebottede foin.Etpourtant je seraisprêt àpasserma journéeà larecherchedecetteaiguille.Jeseraisprêtàallercontreventsetmaréespourpasserneserait-cequ’unedizainedesecondessupplémentairesavecelle.Carenl’espacedecesquelquesprécieusessecondesun vent d’insouciance souffle à nouveau enmoi etme donne le sentiment de vivre vraiment. Passeulementpourvoirlelendemain,maispourprofiterdutempsqu’ilnousreste.Elleoumoi,aucundenousnepeutsavoircombiendetempsdureranotrerelation.C’estpourcetteraisonqu’ilnousfautlavivresansnousposerdequestion.Maintenant,j’ysuisprêt.Jenesaispaspourquoi,maisavecSara,j’ailacertitudequetoutsepasserabien,que,peuimportelasuitedesévènements,toutirabien.Elleest le rayon de soleil qui vient balayer les nuages dans mon ciel ombragé. Elle est celle quej’attendais.L’espoirqu’ilmefallait.

Bienmalgrémoi,jerentreàlamaison.Ceneserapaslamêmechose.Jesaisdéjàcequim’attendet commechaque jour, je le redoute.Monquotidienest réglé commedupapier àmusique. Je suisenfermédanslamêmeroutine,lesmêmesproblèmes.Jen’aijamaisrienconnudespontanéavantdeconnaître Sara. Mais il me faut composer avec ces instants de ma journée où la vie semble menarguer,me testercommesi jen’avaispaseuassezdemiseà l’épreuve.Jenesais jamaisdequoidemainserafait.Monexistenceestunesuccessiondehautetdebas.J’aiconnud’ailleursplusdebasquedehautsdernièrement.SiDieuadécidédemetester,j’aimeraisbienavoiruneconversationaveclui.Jemedisquefinalement,c’estpeut-êtreluiquiamisSarasurmaroute.Undiamanttaillépourbriller dansmamisérablevie. Jevoudraisparcourir laplanète, voyager, découvrir lemonde avecelle.JenesaispassiunjourjepourraisvraimentquitterMonterey.Toutestsicompliqué.Maismadestinationjel’aipeut-êtretrouvéeenSara.Jen’aipasdetempsàperdre.

Mamèreestassisesur lecanapé lorsque je rentre.Ellem’attendait.Uneconversationpénibleseprofileàl’horizon.Jesaisquejen’yéchapperaipas.Jem’assoisenfaced’elle,prêtàencaissersonsermon.Ellepenseagirpourmonbien.J’aimeraisquesaviesoitplusbelle, jevoudraisluicausermoins de soucis, moins de peine, la soulager du poids qu’elle porte sur ses épaules.Malheureusement,jenepeuxrienfairedeplus.Jesuistelquejesuis.Jenepeuxrienychanger.Elleestaussiimpliquéequemoi.C’estmamère,ellel’estforcémentdepuismanaissance.C’estcequ’onappellelesliensdusang.Jesaisqu’ellem’aime.Seulement,parfois,j’enviensàsouhaiterquecelanesoitpaslecas.Ainsi, jenelaferaispasautantsouffrir.Jeneseraispasunetellesourced’angoissepourelle.

—Tuesenretard.Heureusement,j’aiprévenuHannah,ellenedevraitpastarder.Tajournées’estbienpassée?

—Excellente,mercidet’ensoucier.Aucasoùçat’intéresserait,Saraetmoi,onsortensemble.

Je préfère anticiper la question. Elle n’a pas l’air de tomber des nues. Je suppose qu’elle s’yattendait.Ilnefaitaucundoutequec’étaitlàqu’ellevoulaitenvenir.Autantsauterlepassagesurlapluie,lebeautemps,enfinlegenredeconneriesquinousfaitperdrenotretemps.

—Est-cequetuluiasdit?

Etvoilà,onyvient.Lerefrainvas’enchaîner.

—Pasencore.

Mamères’enfonceunpeuplusdanslecanapé,passesajambedroitepar-dessuslagauche,croisesesmainscommesielleétaitsurlepointd’émettreuneprièreetmegratifiedesonairleplussévère.Ellen’estpascontente.Dansunsens,c’étaitàprévoir,l’inverseauraitétésurprenant.

—Tucompteslefaire?

Làsurvientlapartielaplusdélicatedesonopération«coupdepiedaucul».Jemelève.Jenesuispasd’humeuràmeprendrelatête.

—Écoute, jen’aipasenviedeparlerdeça.Çane regardequemoi.C’estmavie.Si jen’aipasenvied’enparler,c’estmondroit.Jeluidiraislemomentvoulu.

—Autrementdit,tun’aborderaspaslaquestion.C’estbiencequejepensais,dit-elleavecdédain.

Saremarquemetouche.Ellepenseagirpourmonbien.Moijenesaismêmepluscequeçaveutdire.Letermeestvague.Lalimiteentrelebienetlemal,çafaitlongtempsquejel’aidépassée.Mamèren’approuvepasmesdécisions,j’ysuishabituédetoutemanière.Çanemeposeaucunsouci.Jevistrèsbienavec.

—J’aimesraisons.C’esttroptôtpouraborderlaquestion,çalaferafuir.Jen’aipasledroitdel’impliquerlà-dedans!protesté-je.

—Quidevousdeuxn’estpasprêt:toiouelle?

Jen’aipaslaréponse.

Mamèreselève,contournelatablebasseetsepostedevantmoi.Elleprendmesmainsdanslessiennes,lesyeuxhumides.Jesaisqu’elleapeurpourmoi.Ilfaudraitqueças’arrête,maisjen’aipaslasolution.

—Écoutemonchéri,jenedispasçapourt’embêter.Jeledispourtonbien.Tuespassépartantd’épreuves.L’annéedernière…

—…étaituneautreannée,lacoupé-je.

—Tudoisleluidireavantqu’elleneledécouvreparelle-mêmeoupireencorequ’ellel’apprennede la bouche d’une autre personne. Je ne veux pas que tu gaspilles ton énergie dans une relationnéfaste.Tusaisquementirn’estpaslasolution.Tunepourraspasluicacheréternellement.

—Personneneluidira,aucundenosamisnelefera.Quantauxautres,lecerclerestreintquisaitpourmoi,ilspensentprobablementqu’elleestdéjàaucourant.Jevaislefaire,maispastoutdesuite.Laisse-moiunpeudetemps.

—C’estlaseulechoseàfaire,avantquetoutcelan’ailletroploin.Tusaisquejeneveuxquetonbonheur.Jeneveuxpasquetuviveslamêmechosequel’annéedernière.

—Çan’arriverapas,Sara…elle…Elleestformidable.

— Je n’en doute pas une seconde. Je veux simplement te protéger. Cette jeune fille si tu tiensvraimentàelle,tudoisluienparler.

Sijetiensàelle?Biensûrquec’estlecas!

—N’attendspasqu’ilsoittroptard.Siellet’aime,ellecomprendrasinonc’estqu’ellen’envautpaslapeine.Tudevraismontertereposeravantl’arrivéed’Hannah.

Mamèresepencheetmebaiselefronttendrement.Jem’abandonneàsonétreinte.Danssesbras,jemesensensécurité.Ellealepouvoirdem’apaiserinstantanément.Depuistoutpetitdèsquequelquechosenevapas,j’aiprisl’habitudedemeblottirdanssesbras.Jel’entendsencorechantonnerlanuit,blottil’uncontrel’autredansmonpetitlit.Ellearaison,ilfautquejesoishonnêteavecSara.Leplusdur reste de trouver les mots. Parler de moi a toujours été difficile. Notre relation en est à sesbalbutiements.Jeneveuxpasl’effrayeretjeneveuxpassusciternonplussapitié.Trouverlejustemilieumesemblemissionimpossible.JeveuxsimplementqueSaracomprennecequenotrerelationimpliquepourmoietsurtoutpourelle.Jeneveuxpasqu’elleaitlesentimentquejelametsaupieddumur.Jesuiségoïste.Maisjel’assume.Jepréfèremetaireplutôtquederisquerdelaperdre.Jenepourraispaslesupporter.

ChapitreSept:Révélation

Sara

Jenesaisplusoùj’ailatêtedepuisquelquessecondes,penchéau-dessusdesbacsdansmachambrenoire.J’ail’impressionqueriendecequejeviensdevivren’estréel,qu’ilnes’agitqued’unrêve.Ilaurafalluunseulrendez-vouspourquej’acceptedesortiravecSimonetjemedemandetoujourssic’estunebonnechose.Pourtant,jenesuispaseffrayée.Unepartiedemoiestmêmeexcitéeparcetteidée. Je revois sonsourire lorsquenousnoussommesgarésdevant laplage.Simonm’adonnéundernierbaiser.Seslèvresétaientàlafoischaudesethumides.Jesensencoresonpoucecaressermajoueetsonsoufflerythmerlesbattementsdemoncœur.Ilestdescendudevoituresouslapluie,enafait le tour pour m’ouvrir la porte, et s’est servi de son blouson au-dessus de nos têtes pourm’escorter jusqu’à ma voiture. Je n’ai rien répondu lorsqu’il m’a souhaité de passer une bonnesoirée.J’étaisdéjàperduedansmespensées.Ilaattendusouslapluiequejem’enailleetm’aadresséunsignedelamainauqueljeluiairépondu.Jenemesuispasrenducomptedel’extrêmelenteuràlaquellejeroulaisjusqu’àcequ’unevoituremeklaxonne.Siquelqu’unm’avaitditquejemesentiraisun jouraussi légèreque labrise, jene l’auraispascru.C’estpourtant l’impressionqueSimonmedonne.Aveclui,l’airdevientplusléger,lecielensoleillé,leclimatchaudetapaisant.Ensaprésence,j’ailasensationdevivredansuneréalitéalternative.Jenesaispassijel’aime,jecroisqu’ilesttroptôtpourledire.Néanmoins,ons’yapprochecertainement.Sinonpourquoiéprouverais-jetoutescessensationsétranges?

L’oragebatsonpleinetuncoupdetonnerremefaitsursauter.Mescheveuxsontencoremouillés.Maman a pourtant insisté pour que je prenne un bon bain chaud pour me réchauffer, mais je nepouvaispasattendrededéveloppermapellicule.JepensaisqueMiasemanifesterait,maisde touteévidence elle n’approuve toujours pas mon rapprochement avec Simon. Si seulement je pouvaiscomprendre ses réticences à son égard, peut-être que je pourrais la faire changer d’avis. Je saisqu’elle est chez elle.Sa chambre était allumée lorsque je suis rentrée.Elleboudecertainement.Çam’étonne parce que sa curiosité la pousse habituellement à mettre ses griefs de côté, le tempsd’assouvirsasoifd’information.Maisjen’airienreçu:nitextoniappel.

Leminuteurmevrillelestampons.Ladernièrephotoestdéveloppée.Jel’attacheaveclesautresàl’aided’unepinceàlingesurlacordesuspendueau-dessusdematêteetj’observelesclichésunàun.SurlespremiersapparaîtSimon,d’abordlessourcilsfroncéspuisdeplusenplussouriantsaufuretà mesure des prises. Nous étions dans la voiture lorsque je l’ai photographié. Il est magnifique.Simonaquelquechosedespécial,uneauraquejesuiscertainementlaseuleàdiscerner.Lessuivantesnesontquedesclichésdepaysages,duBirdrock(lerocherparsemédepélicans),etledernierunephoto du Lone Cypres. Le ciel s’était assombri sur cette image. C’était juste avant que Simonm’embrasse,quelapluiesedéverseetqu’ondoivequitterleslieux.C’estsurcetteimagequenotrepetiteaventures’estarrêtée,l’unedesmeilleuresquej’aivécuejusqu’ici.Simonmemanquedéjàetjecommenceàmedemandercommentvontsepasserlesprochainsjours.J’aiàlafoishâted’êtreau

lendemainetjel’appréhende.J’aipeurqu’ilrecule,qu’ilrevienneenarrièreetagissecommesiderienn’était.Aprèscequis’estpasséentrenous,commentlepourrait-il?

J’entends mon téléphone portable sonner. Je l’ai laissé sur le couvre-lit. J’abandonne là mesderniersclichés,refermelaportedelachambrenoireetmeprécipitesurmonlitaveclesecretespoirqu’il puissem’avoir appelé.Une pointe de déceptionm’empoigne.Ce n’est pas lui, c’estAnna. Jedécroche.Elleestpleinedejoiedevivre,çamefaitplaisirdel’avoirauboutdufil.Jelalaissemecontercesaventuresavecsondernierbadboyendate.Annaenfaitvoirdetouteslescouleursàsesparentsetsonénergiedébordantedoitcertainementleurdonnerdufilàretordre.Jelaconnais,jesaisqu’elleprendplaisiràlesfairetournerenbourriqueensortantavecunmauvaisgarçon.Jesaisaussiquecelanedurerapaslongtemps.Masœurestainsifaite,elleaimelessensationsfortes.Ellen’estpasstupideaupointdecommettrel’irréparable.Monpèredisaittoujourslorsquenousétionspetitesquej’étaisl’eauquidortetAnnaletorrent.Maisjecroisqu’ilfautdavantageseméfierdel’eauquidort. Avec Simon, je suis déjà en train de me réveiller. Pour la première fois de ma vie, j’ail’impressiond’ouvrirlesyeuxsurmonexistenceetdecomprendrecequecelafaitdesesentirvivre.

—Sara…Sara,tum’écoutes?

Jesorsdematorpeur.

—Oui,hein?

—Alors,raconte!Ques’est-ilpassédernièrementdanstonbahut?Ilyaquelquesbeauxgossesquitefontdel’œil?

—Heu...oh…oui…J’airencontréquelqu’un.

—Quoi?Qui?Jeveuxtoutsavoir.Commentilest?

—Ilest…déstabilisant…

—Tuveuxdiredanslegenreflippant?

—Non.Jecommencetoutjusteàleconnaître.Ilestdifférentdesautresgarçons.

—Tul’aimes?

—C’esttroptôtpourledire.

—Enfin,jesupposequevoussortezensemble?

—Sionveutoui.Ilm’ainvitéàsortiravecluiaujourd’huietons’estembrassés.

Annapousseuncrid’hystérieetjedécolleletéléphonepourl’éloignerdemonoreillecraignantdedevenirsourdeàforcedel’écouters’égosillerauboutdufil.

—Quoi?J’ycroispas!Tuessortieavecungarçonettunem’asriendit!Attendsdeuxsecondes.

Jel’entendsseleverethurlerdanslecouloir«Saraaunpetitcopain».Merde!Maintenant,jesuis

sûre que mon père va me cuisiner et surtout interroger ma mère à ce sujet. Anna est une vraiepipelette.J’auraisdûledeviner.Elleestincapabledegarderunsecret.Cependant,jemesensallégéed’unpoidssurlecœur.J’avaisbesoindeledire.Peut-êtreparcequeçarendleschosesplusconcrètes.

J’entendssonsommiercraqueralorsqu’ellereprendsonportable.

—Onenétaitoù?Ah,oui,tut’apprêtaisàmedireàquelpointilembrassaitbien.Dis-moiqu’ilafaitlepremierpas?Commentc’était?

Ontoqueàlaporteetlevisagedemamèrefaitirruption.

—C’estAnna,jechuchote.

—OK.Maisnetraînepas.Ledînerestprêt.

Jelèvemonpouce.J’aiperdulefildesquestionsd’Anna.

—Écoute,ilfautquej’yaille.Jeteraconteraitoutplustard.

Annaproteste,maisfinitparraccrocher.Jesaisquejenem’entireraipasàsiboncompte.D’icicesoir,ellem’auraabreuvéedetextosjusqu’àminuit.Danscesmoments-là,jeréaliseàquelpointmapetite sœurmemanque.C’est elle la spécialistedes relations amoureuses.Elle aplusd’expériencequemoienlamatière.Danslecasprésent,j’auraisbienbesoindesesconseils.

Jemepinceleslèvrespuisportemonindexàcelles-ci.Jen’arrivepasàcroirequeSimonm’aitembrassédecettemanière-là,commesisavieendépendait.Cen’étaitpasunsimplebaiser,c’étaitintense,magique,unevéritabletourmente.C’étaitmonpremiervraibaiser.Jelesaisparcequ’avantcelui-ci je n’avais jamais rien ressenti.Mon premier et dernier petit ami en date se contentait derapidesbisousduboutdes lèvres.Simon, lui,nes’estpascontentédem’embrasser : ilafaitbattrenoscœursàl’unisson.C’étaitcommesienréduisantl’espaceentrenous,ilavaitréuninosâmesdesortequ’elles s’imprègnent l’unede l’autre, sedécouvrent et se confondent. Il a faitvoler enéclatmescertitudes.Jusqu’icijepensaisêtrecapabledeluirésister.Maintenant,jeconstatequecen’estpaslecas.Quelquechoseenluimebouleverse.Jenesaispasencorecequec’est,maisjesuissûrequetôtoutard,jevaisledécouvrir.J’aiconfiance,ilvas’ouvriràmoi.C’estunequestiondetemps.

Ledînerestunefoisdeplustrèscalmeetc’estaudessertquemamèreetPhilm’interrogentsurmonrendez-vous.Jenesaispastropquoidire,maisj’optepourlavérité.

—Jesorsaveclui.Simonestmonpetit-ami.

Philhochelatête.Mamèreresteleregardimpénétrable.Ellesembleréfléchiràcequ’ellevadire,puis se décide à réagir. Elle glisse sa main sur la table jusqu’à celle de Phil, lui sourit avant dereportertoutesonattentionsurmoi.

—Noussommescontentspourtoi,machérie,maissoisprudente.Tuconnaisàpeinecegarçon.Tudevraisprendreletempsd’ensavoirplussurlui,d’apprendreàvraimentleconnaître.

—Net’inquiètepaspourmoi.Jesaismedéfendre,dis-je.

—Tafilleatoujourseulatêtesurlesépaules.Fais-luiconfiance,poursuitPhil.

Jelegratified’unsourirechaleureux.Ilestunalliédetaillepourraisonnermamère.

—Cen’estpaslaquestion,mais…

J’aifinimondessertalorsjemelèvebrusquementdetablepourcoupercourtaurefrainmaternelsurlesdangersdesrelationsamoureusesetsurtoutsurleprochaincoupletquiaborderasansl’ombred’undoutelesrelationssexuelles.Ellem’adéjàfaitlecouppourmonpremiercopain.

—J’aifini.Jevaisdébarrasser.

Jecommenceàempilerlesassiettes.Personnen’oseprononcerunmot.Jefileencuisinelesbraschargés de couverts. Je range le tout dans le lave-vaisselle et entreprends de laver les casseroles.J’entends ma mère et mon beau père se quereller et je devine l’objet de leur discorde : moiévidemment.Unefoisl’opérationnettoyageachevée,jecoursmettremonpyjamaetm’allongedansmonlit.Jeconsulteunedernièrefoismonportable.Jen’avaispastort,Annam’adéjàenvoyétroistextos.Àlalecturedudernier,ellesembleimpatientederecevoirmesréponses.Unquatrièmetextoattired’autantplusmonattention.Celui-ciestdeSimon«Bonnenuit,monange».Jesouriscommeuneidiote,lamainsurlecœur,monpoulss’emballe.Jem’empressedeluirépondre.Annapeutbienattendrequelquessecondes.

Simon

J’aibeauchercherdansmesrécentssouvenirs,jenemerappellepasavoirvuSaraautantrayonnerqu’en ce début de semaine. Elle range ses affaires dans son casier et discute avec une fille de saclasse, le sourire aux lèvres. Elle a vraiment l’air d’un ange. Je n’ai qu’une envie : traverser lesquelquesmètresquinousséparentetm’emparerdeseslèvres.Àchaquesecondequipasse,j’aienviedel’embrasser.Nosregardssecroisent,ellemesourit.Jefaisunpasdanssadirection,maisunetapesurl’épaulem’arrête.Jemeretourne,c’estJack.Jeluiserrelamain.

—Commentçava,mec?T’aspasséunbonweek-end?demande-t-il.

—Tunepeuxpassavoiràquelpoint.

—C’estofficiel,toietlapetitenouvellevoussortezensemble?

—Ilmesemblequeoui.

—Miaestfurieuse.Tuasintérêtàtecacherd’ellepourlajournée.D’ailleurs,tunel’aspasvue,ellem’aditqu’elleétaitarrivée?

—Non.

Jemeretiensdeluidirequesapetiteamieestbienlecadetdemessoucisparcequepourl’heure,jen’aid’yeuxquepourSara.Mikequijusque-làbécotaitNaomiverslesportesd’entréenousrejoint.

—Alors?Quoideneuflesgars?

—SimonsortavecSara,luiannonceJackdebutenblanc.

Traître!Ilnepeutriengarderpourlui.Peuimporte,j’aibienl’intentionderendrenotrerelationofficielle.J’aibienvucommentcertainsgarçonsdéshabillentSaraduregardetjecomptebienleursignalerquec’estchassegarder.

—Sara,laNew-Yorkaisecoincée?Commentt’asréussitoncoup?questionneMike.

—Ellen’estpascoincée!réfuté-je.

—Quoi?Tul’asdéjàessayée?

Jegrogne.JenesupportepasqueMikeparled’elleencestermes.Saran’estpascegenredefilles.Elleméritetellementplusdeconsidérationquetouteslesfillesavecquij’aipusortir.Avecelle,c’estdifférent, d’unemanière que je ne peux pas encore définir. C’est à la fois exaltant, ressourçant etenivrant.Sarapourmoiestcommeuneoasisenpleindésert : inespérée.Alors, c’estplus fortquemoi,jesorsdemesgondsetsaisitMikeparlecol.

Jelesoulèveàpeinedusol.Jeneveuxpasnonplusattirerl’attentionsurnous.

—Neparleplusjamaisd’ellecommeça,c’estclair?

Ilhochelatête,lèvelesmainsensignederedditionetjelerelâche.

—C’estqu’ils’énervel’amoureuxtransi,plaisanteJack.

Jeluidécocheunregardhaineux.Jen’aipasenviequ’ils’ymetteàsontour.

—Çavautpourtoiaussi,compris?

—Déstresse,onvoulaitsimplementplaisanter,ajouteMike.

—Jen’aipasenviederire.

—Etsinon,commentt’asfaittoncoup?

Jenerépondspas.JechercheànouveauSara.Ellen’apasbougéd’unmillimètre.Cettefois,toutetracedebonnehumeuradisparu.Leslèvrespincées,jedevinequ’ellen’arienloupédenotrepetitealtercation.

—Ill’aemmenéefaireletourdela17milesdrive,répondJack.

—Futé,çamarcheàtouslescoups…

Jene lesécoutepluset leur faussecompagnie,marchantd’unpasvifversSara.Elleditquelquechoseàsonamie,maisçan’apasd’importance.Jeveuxquetoutlemondesachel’effetquecettefilleasurmoi.

Sara

Simonsedirigedroitversmoi.Jenesaispascequis’estpassé,maisdetouteévidencesij’enjugeavecquellemanièreilasaisiMikeparlecol,jediraisqu’ilyadel’eaudanslegaz.Jen’admetspaslaviolence.Lamoutardememonteaunez.

Vanessa, ma voisine en cours de bio continue de me parler de notre prochain TP, mais je nel’écoutedéjàplus.Jen’arrivepasàlecomprendre.Simonsemblerenfermertantdecolèreenlui.Ilestcapabledupirecommedumeilleuretilchanged’attitudecommedechemises.C’estdifficiledelesuivreparcequ’onnesait jamaiscomment ilva réagiret jedétestequand ilcontracte lamâchoirecommeil lefaitactuellement.Sonregardsurmoimemetmalàl’aise.Ilestpresqueagressif.Ilserapprocheetn’estplusqu’àdeuxpasdenous.JelèvelamainpourfairetaireVanessaetellesuitmonregard.

—Qu’est-cequit’aspr…

Je n’ai pas le temps d’acheverma question qu’il se jette surmoi et m’embrasse devant tout lemonde.Le silence se fait autour de nous, devientmême pesant. J’essaye de le repousser,mais sesmainssurmanuquesontcommedeuxétauxquiseresserrent.Jesuispriseaupiège.Simondesserrefinalementsonétreinteetglissesamaingauchejusqu’àmesreinspourcollersoncorpsaumien.Jepourraislerepoussersijevoulais,maisjen’enaiplusenvie.C’estcommesiletempss’étaitarrêté.Jen’arrivepasàcroirequ’ilm’embrassedemanièreaussiimpudiquedevanttoutlemonde.Jedoisdirequec’estterriblementexcitant.Ilestsurlepointdemettrefinànotrebaiser,maisjel’endissuadeen posant mes deux mains sur sa nuque. Je cherche sa langue pour jouer les prolongations. Jepourrais même passer mes jambes autour de ses hanches, seulement l’idée ne me paraît pasjudicieuse.Malgrétouteslessensationsquej’éprouve,jesaisquenousnesommespasseuls.

Jesuisàboutdesouffle,luiaussi,maiscelanenousempêchedenousendonneràcœurjoie.Sontorsecomprimemapoitrineetpourautantjenerougispas.Jeneressenspasl’enviedem’enfuir.Jemesensbienaveclui.C’estleseulgarçonquinem’estjamaisfaitceteffet-là.J’aiterriblementchaud.Toutàcoup,jemesensl’âmed’uneeffrontée.Cegarçonmetranscende.Sonbaiserserépercutedanstoutes les fibres de mon anatomie. Des fourmis me parcourent de la tête jusqu’aux pieds. J’ail’impressionqueçanes’arrêterajamaisjusqu’àcequ’unemainseposesursonépauleetl’écartedemoi.

—Harper,Cummings!Cen’estnilelieunil’endroit.Suivez-moi!ordonne,Stan,lesurveillant.

Jeregardetouslesvisagesquinousentourent,certainsjustescurieux,d’autresoutrés,etd’autresexcités.Maisjem’enmoque,çan’apasd’importancecequ’ilspensent.Jemetsdutempsàréagir,àreprendrepiedaveclaréalité.JeremarquedanslafoulelevisagescandalisédeLinda.Ellemelanceunregardmauvaisavantde tourner les talons.Sicen’étaitpasclairavantdorénavantça l’est.Bonvent!Jen’ycroyaispas,maismaintenantj’ensuissûre:Simonestmonpetitami!Cetteconstatationmedonneenviedesauterdejoie,delecriersurtouslestoits.

—Venezavecmoi,répèteStan.

IltientSimonparlebrasetprendlemienparlamêmeoccasion.Ilserresifortqu’ilm’arracheuncri.

—Laissez là. Elle n’a rien à voir avec ça ! hurle-t-il tout en se dégageant assez facilement del’emprisedesongeôlier.

Simonluifaitfrontetlefusilleduregard.Stanmelâcheetsetournedanssadirection.Ilcrispelespoings.Jepriepourqu’ilnefassepasungesteinconsidéré.

—UnproblèmeHarper?

—C’estdemafaute.Laissezlàtranquille!Jevaisvoussuivre,dit-il.

—Danscecas,dépêche-toi.Suis-moi.

Lesurveillantledevance,maisSimonenprofitepours’approcherdemoi.

—Jesuisdésolée.Maisavantquejeparte,promets-moiquetusortirasavecmoisamedisoir.

—Simon,je…

—Çasuffit,Harper!Magne-toi!prévientStan.

—Promets!

Stan s’approche et le saisit violemment par l’épaule. Ce que je craignais se produit. Simon sedétourneetlefrappeenpleinsurlenez.Stanpisselesang.Cettefois,Simonvas’attirerdesennuis.Jem’interpose,carStanlèvelepoingàsontour.Jetendslesmainsentreeuxetcesdernierssefigent.JemetourneversSimon.

—Promets!insiste-t-il.

Jen’aipluslechoix.Sijenelefaispas,j’aicommelasensationquelasituationvadégénérer,carjecommenceàconnaîtrelecaractèreimpétueuxdeSimon.Ilnepartirapastantquejen’auraispasditoui.

—T’esqu’unidiot!C’estpromis,dis-je.

Ils’approcheetm’embrassedurantunesecondefurtivejusqu’àcequeStanlesaisisseparlebrasetl’entraînedanssonsillage.Simonnerésistepas.Illesuit.Ilsaitprobablementqu’ilenadéjàassezfaitpourlajournéeetqu’ilvaécoperd’unsacrésavon.Quantàmoi,jel’aiéchappébelle,parcequesiSimonn’avaitpasfaitdiversion,jeseraiscertainemententraindelessuivre.

Jelesregardes’éloignerettournerauboutducouloirpourrejoindrelapartieadministrativedubâtiment.Unpetittourchezleproviseurseracertainementlaprochaineétape.

Lasonnerieretentitetlafoulesedisperse.Hagarde,j’observelesélèvesviderlecouloirpourleurs

salles de cours. Je viens juste de remarquer que Vanessa n’est plus là. Je suis toujours immobilependantquetoutlemondesepressejusqu’àcequ’unvisagebienconnu,l’aircontrariéseplanteenfacedemoi:Mia.

—C’étaitquoiça?

—Jenesaispas.

—Tunesaispas?Enfin,qu’est-cequisepassedanstapetitetête?Toutlemondevousregardait!C’étaitchaud,trèschaud.Unpeuplusetvousfinissiezàpoil!Çaneteressemblepas.

—N’exagèrepas.Ceneseraitpasalléjusque-là.

—C’est l’impressionquevousdonniezentoutcas.Si jecomprendsbien,voussortezensemble,c’estça?Unrendez-vousetilt’adéjàmislegrappindessus!Çaneservaitàrienquejetedisederestersurtesgardes?Hého!Tum’écoutes?Non,visiblementçapasseparuneoreilleetçaressortparl’autre!s’offusque-t-elle.

—Tudevraisteréjouirpourmoiaulieudemefairelaleçon!Simonetmoi,onsortensembleetriendecequetupourrasdiren’ychangeraquelquechose.Jenesaispascommentl’expliquer,maisjen’aijamaiséprouvéautantdesensationsàlafoispourungarçon,c’est…Jenesaismêmepascequec’est,maisj’aienvied’essayer,tucomprends?

Ellemeregardeavecdesyeuxronds.

—Ohmondieu!s’exclame-t-elle.

—Quoi?

—C’estplusgravequejenelecroyais,dit-elle.

—Quoi,qu’est-cequiestplusgrave?

—SaraCummings,tuesamoureusedecegars-là!C’estmauvais,trèsmauvais…

Lemotrésonnedansmatête.«Amoureuse»,peut-être,probablement,jenesaispas…Commentpourrais-jelesavoir?Jen’aiaucuneexpérienceenlamatièrepourlasimpleetbonneraisonquejenel’aijamaisété.

Miamesecoueparlesépaules.

—Çatefaitunchocpasvrai?Tunepeuxplusrienyfairedorénavant.Tuneviendraspasmesonner les cloches si les choses tournentmal, car je t’aurais prévenue.Enfin, bon, je suppose quemaintenantiln’yaplusgrand-choseàfaire.Lemalestfait.Tudevraisdirequelquechoselà,parcequetoninertiedevientflippante.

—J’ailafrousse.

—Tantmieuxsiçapeutaumoinsaideràcequetugardesunpeudebonsens.

—Mia!grondé-je.

—OK,j’déconne.Respire,toutvabiensepasser!Enfin,jel’espère.

J’aidesrevolversàlaplacedesyeux.

—D’accord,net’inquiètepas.Tuasdevanttoiuneexperteenlamatièreetmalgrénosdifférendssurlesujet,tupeuxcomptersurmoi.Jeseraislàquoiqu’ilsepasse.Onferaitmieuxd’yalleravantdeseprendreunblâme,dit-elle.

Jelasuis.Nossallesdecourssontl’uneenfacedel’autre.Miamesouhaitebonnechanceetc’estl’espritpleind’incertitudequejem’excusedemonretardetrepèreuneplaceoùm’asseoir.

Simon

Ça faitunedemi-heureque levieuxproviseurThompsons’époumone.J’écopede toutesortedesermonssansqueuenitête.Sijeregrettecequej’aifait?Paslemoinsdumonde.Stanestunconnarddelapireespècecequepersonnen’ignore.D’ailleurs,ilnecessedejeterdel’huilesurlefeu.Çafaitunmomentqu’ilmecherchecelui-là.Ilétaitinévitablequ’ilmetrouve.SiThompsonouvrelesyeux,ilverravraimentàquiilaàfaire.Pourmapart,jenechangeraipasdeposition.

—Avez-vousquelquechoseàdirepourvotredéfense?questionneThompson.

Jeme tourneversStan,un rictusmauvais sur levisage.Quitte à jouer laprovoc' autant le fairejusqu’auboutquejenesoispasmisàpiedpourrien.Peuimporte,çaenvalaitlapeine.Jenepeuxpasregrettercequi fut l’undesmeilleursmomentsdemonexistencenicet instant jubilatoirequienadécoulé. Parce que frapper Stan est un exutoire. Je me sens plus léger depuis. Il a enfin eu lacorrection qu’il mérite pour toutes ces provocations quotidiennes. Ce n’est pas pour rien si lamajoritédesélèvesledétestent.

—Jesuisdésolée,monpoingamalencontreusementdérapé,dis-je.

Stanselève,mâchoireserrée.

—Nejouepasaucon!

—VouspouvezdisposerStan,ordonneThompson.

Leconcernédéglutitpéniblement,resteimmobileuninstantpuisquittelapièce.Leproviseurattendqu’ilrefermelaportepourreprendrelaparole.

—Vousnemelaissezpasd’autrechoixSimonquedevousmettreàpiedpourlasemaine.J’espèrequecelavousferaréfléchir.Jesaisqueleschosessontloind’êtreévidentespourtoi,quelavien’estpas facile. Pour autant, cette fois tu ne pourras pas bénéficier d’un traitement de faveur. À laprochaineincartade,jedevraismemontrerplussévère.Tuprendraslaportedéfinitivement.Jeviensdecontacter tamère,ellesera làdansquelquesminutes.C’estdommage, jepensaisque tuétaisungarçonplusintelligent.Negâchepastonavenir…

—Quelavenir?leprovoqué-je.

—Jecomprends ta colère.C’estnormalde l’être après toutes les épreuvesque tuas traversées.Mais ne la laisse pas passer avant tout le reste. T’es un bon garçon.Rentre chez toi et repose-toi.Quand tu reviendras, j’attendsde toiuncomportementexemplaire.J’ai,durant trop longtemps, faitpreuvedeclémenceeuégardàtasituationetàmonamitiépourtesparentsetjecroisquec’estuneerreur. Cela n’a fait qu’encourager tes dérapages. Je ne passerai pas l’éponge aussi facilement laprochainefois.Àlaprochaineincartade,c’estl’exclusiondéfinitive.Tamèreestd’accordavecmoi.Ilesttempsquetuapprennesàmaîtrisertonagressivité.

—Bien,sivousavezterminé…

Jemelève.

—MonsieurHarper,neprenezpasmesavertissementsàlalégère!

—Bonnejournée,Monsieur.

Je claque la porte. Je sais que j’ai dépassé les limites. «Maîtrisermon agressivité », il en a debonnes lui !Tout lemonde s’imagine savoir ceque je ressens. Ilspensentpouvoir semettreàmaplace.Personnenelepeut.Onnepeutpascomprendretantqu’onn’estpasdirectementconcerné.Etsijesuisdevenuagressif,c’estàcausedesautres,à forcedevoirde lapitiédans leursyeux.Jen’aitrouvéqueçapourleurmontrerquejenesuispasaussifaiblequ’ilssel’imaginent.C’estcequim’aattiréversSara.Ellenemeregardepasdecettemanière-là.Etc’estaussicequimefreine,carj’aipeurqu’enluiconfessantlavérité,ellemefuie.Elleestlaseulepersonnequim’importedésormais.Je ne peux pas prendre ce risque, pasmaintenant. C’est beaucoup trop tôt. J’ai besoin de plus detemps.

Mamèrevaêtredansuneragenoire.Cen’estpas lapremièrefoisqu’ellevientmechercherenpleinejournée.J’imaginequesiThompsonluiaparlédesamenaced’exclusionelledoitêtredanstoussesétats.Ainsi,jenevaispastarderàmefairetirerlesoreilles.S’ensuivraunedisputequinemèneranullepart.Puismamèreirabouderquelquesheuresets’adouciraenfinàl’arrivéed’Hannah.

Je connais ma mère, elle est incapable de me faire la tête plus d’une journée. Mon père meconvoqueraenfindesoiréepourunediscussiond’hommeàhomme.Jeluipromettraidefairedesefforts et je n’aurais plus àm’inquiéter. Tous vontme répéter que je ne peux pas bénéficier d’untraitementdefaveur,maisc’estpourtantcequ’ilsferontunefoisdeplus.Parcequequelquepart,ilsse sentent responsables de ce quim’arrive.Cette culpabilité sera toujours présente tant que j’aurail’impression d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Essayer de vivre d’une manièrenormalecommelefaitsibienmafamillen’enlèverienàcequiestlaréalitédemonquotidien,àlaragequim’habite.Ceseratoujourscommeçaparcequejemesuisconstruitaveccetteimagedemoi.C’estmarquéauferblanc.Çafaitpartieintégrantedemapersonnalité.

Sara

Jen’aipasrevuSimondetoutelajournée.Jen’aipaspum’empêcherdel’appeler.C’estlàquelamauvaisenouvelleesttombée:miseàpieddurantunesemaine.J’étaisprêteàpasserchezlui,maisilm’enadissuadéargumentantqu’ainsiilétaitcertainquejetiennemapromessepoursamedisoir.Jel’aurais tenue de toute manière, mais pour une raison mystérieuse, que je vienne chez lui nel’emballaitpasplusqueça. J’imaginequeceladoit avoirun lienavec samère.Après tout, ellenesemble pas vraiment m’apprécier, et après ce qui vient de se passer, elle ne doit pas me porterdavantagedanssoncœur.Simonaraison,mieuxvautéviterdes’attirerlesfoudresmaternelles.Moiquicroyaiséchapperàtoutecettehistoire,jemerendscompteenpoussantlaportedechezmoiqu’iln’enestrien.Àpeineai-jeferméderrièremoiquemamèrem’appelle.Jedécèledéjàsonénervementautonpincédesavoix.

Jeposemonsacà terreetm’assoisen faced’elle.Mamanserredanssesmainsune tassede théfumant.

—Lelycéem’atéléphonéaujourd’hui,annonce-t-elle.

—Jevois.

—Çan’apasl’airdet’étonner?Qu’est-cequetuasàdirepourtadéfense?

—Jen’airienàajouter.

—M’enfin ! Qu’est-ce qui t’as pris d’embrasser ce garçon devant tout le monde ? Sara tu astoujoursfaitpreuvederetenue,d’uneplusgrandepudeurqueça.Jen’arrivepasàcomprendrequetuaiesagidelasorte!Cegarçonn’apasl’aird’avoirunebonneinfluencesurtoi.

—Tuneleconnaispas!

—Peut-être.Maisjem’entiensàcequejesaispourlemoment.

—Tunepeuxpasm’empêcherdelevoir!

— Ce n’est pas ce que je veux. Enfin, je n’ai jamais eu à te punir, mais je le ferais si c’estnécessaire.

—Jecroyaisquetuvoulaisquejem’intègre,quejemesentebien!

—C’esttoujourslecas!

—Alors,nefaispasdecettehistoirederiendutoutunemontagne.Onaagisansréfléchir.Onnerecommencerapas.

—Jel’espère.Tuesjeune,influençableetlesgarçons,enfin,tusais…çapeutpousserunejeunefilleàfairedeschosesqu’ellenepenseraitjamaisfaire.

—Jenesuispasstupide!

—Cen’estpascequej’aidit,machérie.Biensûrquetunel’espas.Tuesmapetitefille,cequej’aideplusprécieuxaumonde,dit-elle.

—Tun’aspasàt’inquiéter.Simon,iltientàmoi.Cen’estpasleseulfautifdanscettehistoire.Onseraplusdiscrets.Jetelepromets.

—Situledis,jetecrois.Vadanstachambre,tudoisavoirdesdevoirsàfaire.

Jevoisauxridesquiseformentsurlefrontdemamèrequejenel’aipastotalementconvaincue,maisellem’accordetoujourslebénéficedudouteetjel’ensuisreconnaissante.Ladiscussionrestetoujours ouverte. C’est ce que j’apprécie chezmes parents. Ils sont toujours à l’écoute etme fontconfiance.Jesaisqu’enapprenantàcôtoyerSimonmamèreapprendraelleaussiàl’aimer.

Pour l’heure, jeme penche surmes devoirs de biologie. J’ai dumal àme concentrer surmesexercices.Jetireletiroirsouslebureau,prendslaboîteencartonetl’ouvre.C’estlàquejerangelesphotos de Simon. Je les passe en revue. Les revoir memet immédiatement demeilleure humeur.Mêmesijen’aipaslecœuràlatâche,jeparviensàboutdemesexercicesavantledîner.J’ail’airstupideàm’enticherdupremiergarçonunpeumignonquimetapedansl’œil,maisc’estplusqu’unesimpleattirance.JecroisqueMiaamisledoigtsurquelquechose,elleavujuste:jesuisentraindetomberamoureuse.Lavitesseàlaquellecelaseproduitm’angoisse.JenemesuisjamaisattachéeàungarçonetsiSimonvenaitàmebriserlecœur,jenesaispassijem’enremettrai.

ChapitreHuit:Monétoile

Sara

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, je n’ai pas eu à faire des mains et des pieds pourconvaincremamèredemelaissersortiravecSimoncesoir.Mêmesil’idéenel’enchantepas,ellesait que me l’interdire ne ferait que me pousser à enfreindre les règles. Comme d’habitude cettedernièremisetoutsur laconfiance.C’estaussipourçaqueje l’aime:pourl’éducationpermissivequ’elleapplique.Ellefaittoujoursensorted’éviterlesconflitsetlorsquecelan’estpaspossible,ellefaittoutpourqueleschosess’apaisent.

Pourl’heure,jem’affaireavecelleencuisine.Puisquejenesuispaslàcesoir,elleaprévuunpetitdînerenamoureuxavecPhil.C’esttoutnaturellementquejemesuisproposédeluiprêtermain-forte.

Je suis en train d’éplucher les oignons, et les larmesmemontent aux yeux.Mamanme tend unmouchoiretsemoquedemoi.

—Sivoircegarçontefaitceteffet,peut-êtrequetudevraisresteravecnous.Ilyadequoinourrirsixpersonnes!Simonpourraitaussiresterdîner.Commeça,jepourraisfairesaconnaissance,dit-elle.

—Bienessayé,maisn’ycomptepas!

—Promets-moiseulementderesterprudente.Ets’ilseprésentelemoindredangern’hésitepasàm’appeler.

—C’estpromis,maisjen’auraispasbesoindelefaire.

—Tusemblesbienconfiante.

—Jeleconnais.J’aiconfianceenluitoutcommetuasconfianceenmoi.

—Tuesmafille,cen’estpaslamêmechose.

—Quelledifférencecelafait?

Elleposelecouteauaveclequelelleéminceleslégumesdepuisdixminutesetm’observe.

—Trèsbien.Situfaisconfianceàcejeunehomme,jeluifaisconfiance!Maisaupremierfauxpas,lasentenceserasansappel.

Jesouris.

—Merci.

Jesaisqu’ellefaitdeseffortspouraméliorerleschosesentrenousdepuisledébutdelasemaineaprès cette histoire de bécotage dans les couloirs du lycée. Jeme doute aussi que Phil y est pourbeaucoup.

Mamanreprendsesdécoupeslorsquelasonnetteretentit.Nuldoute,c’estlui,pileàl’heure!Ellenepourrapasluireprocherdenepasêtreponctuel,c’estdéjàça!

Lorsque j’ouvre la porte, je le trouve de dos. Simon agite ses bras comme s’il répétait un rôled’acteur.Jem’éclaircislagorgeetilpivotesurlui-même.Ilal’airtendu.Danssesmains,iltientuneroseblanche.

—Tuestrèsbelle,dit-il.

Jeneportequ’unpullroseéchancré,unejupenoireetdescollantsdelamêmecouleur.Rienquinesort de l’ordinaire. De toutemanière,mamère n’aime pas les tenues extravagantes et elle nemelaisseraitjamaissortirsiellejugeaitmatenuetropprovocante.Simonluiestenjean,unpullencolvbleu et un blouson en cuir noir qu’il a laissé ouvert. Lui aussi, il est beau. Je peux sentir l’odeurmusquéedesonparfum.J’enaisoudainunebouleàl’estomac.Lestressmegagne.

—Merci.Entre.

Ils’exécuteetmesuitjusqu’àlacuisine.

—Maman,voiciSimon,Simon,jeteprésentemamère.

Cettedernièreluiadresseunregardsévère.Simons’avancepourlasaluer.

—EnchantédefairevotreconnaissanceMadame.

—Voicidonclegarçonpourlequelmafilleaobtenusonpremierblâme.

Jesuisgênée.Mamandans toutesplendeur !Ellea l’artet lamanièredemettre lesautresmalàl’aise.

—Oh…Saran’yétaitpourrien,cen’estpas…

—Laissedonclesjeunestranquilles!s’exclamePhil.

Monbeau-pèrevient justede faire irruptiondans lacuisine. J’enconclusque lematchdebasketqu’ilsuivaitestterminé.Philsefaufilederrièrelebaretembrassemamèresurlefront,puistendunemainamicaleàSimon.Jeluiadresseunregardreconnaissant.

—Ravidefairetaconnaissancejeunehomme.

—Moidemême.

Jen’aipaslamoindreenviequelemoments’éterniseenconversationsfutiles.

—Ondevraityaller,dis-jeàl’attentiondeSimon.

Ilacquiesce.

—Permissiondeminuitetpasunedeplus!rappellemaman.

—Maman…jegrogne.

—Deuxheures!enchéritPhil.

—Phil?Iln’enestpasquestion...rouspète-t-elle.

Monbeau-pèremefaitsignedefiler.Jenemelefaispasdiredeuxfois.Jeglissemamaindanscelle deSimonpour l’inciter àme suivre et nous nous éclipsons pendant qu’ils se disputent.Leurdînerenamoureuxnecommencepassouslesmeilleursauspices.Jepeuxencorelesentendrealorsquej’enfilemaveste.

—Ilssontjeunes.Ilsontledroitdes’amuser.Noussommessamedi,iln’yapasmortd’homme.Tafilleàl’âgedesortirlesoir!

—Cen’estpaslaquestion.M’enfin…

Jen’entendspaslasuite,carmamèresemblechuchoteretjemedoutequ’elledoitunefoisencoreremettre sur le tapis les derniers évènements. Elle avait pourtant promis qu’elle ferait un effort.Simon ne dit rien. J’ouvre la porte au moment où j’entends ma mère hurler mon prénom de lacuisine.Jelarefermeaussitôtavantqu’ellen’ait letempsdenousrattraper.Jeglissemamaindanscelle deSimonet nous couronsvers savoiture. Jemonte sans attendre et lorsqu’il démarre, je neloupepasleregardinquietquemamanmelancedepuislepalier,unchiffondanslamain.Ellen’apasfinideserongerlesongles.

Simon

IlyadesregardsquivalenttouslesmotsetceuxquemelanceSarasontdeceux-là.Ilsendisentlongsurleplaisirqu’ellead’êtreici,avecmoi.Jel’aiemmenémangésurleportchezBill.Ilfaitd’excellents hamburgers. Sara a l’air de se régaler si j’en juge à son assiette vide. Quant à moi,l’appétitn’estpasaurendez-vous.Jen’aifaimquedesesbaisersetjenepeuxpaslaquitterdesyeux.Il resteunboutdepainaucoindesabouche.Jemelèveetmepenchesur la tablepouressuyer lamietteàl’aidedemonpouce.Sarasourit.Cequej’adorecesourire!Gênée,elles’essuielabouchedanssaservietteetlareposeàcôtédesonassiette.

—Tunefinispas,tun’aspasfaim?mequestionne-t-elle.

Jepoussemonassietteverselle.

—Elleestàtoisitulaveux.Teregardersuffitàcontentermafaim.

Sesjouesseparentd’unelégèreteinterosée.

—Nonmerci,jen’aiplusfaim.Jecroisquejevaisexplosersijecontinueàmanger.

Nickys’approchedenouspourrécupérernosassiettesetm’adresseunregardsévèreparcequ’ellen’aimepasdébarrasserdesassiettespresquepleines.

—Vousvoulezundessert,lesjeunes?

JequestionneSaraduregard.

—Nonmerci,jen’aiplusfaim.C’étaitdélicieux,dit-elle.

—Tupeuxnousapporterlanote?

Nickyhochelatêteets’envaencuisine.Saraterminesoncoca-light.J’enprofitepourabordermarencontreavecsamère.

—Tamèren’apasl’airdebeaucoupm’apprécier.

Sarareposesonverreetlaissepianotersesdoigtssursaserviette.

—C’estparcequ’elleneteconnaîtpasencore.Ilfautapprendreàlaconnaître.Elleparaîttoujoursfroidedeprimeabord.D’habitude,ellesemontrepluschaleureuse.

—Unpeucommemamère.

Elle rit puis porte sa main à sa bouche pour atténuer le son de ses gloussements. Son rire estcommunicatif,carjemesurprendségalementàm’esclaffer.C’estfou,çafaitunbailquejen’aipasri

autant.Jenemesouviensmêmepasdeladernièrefoisoùcelam’estarrivé.

Nickydéposelanotedevantmoi.Jeluitendsdeuxbilletsdevingtdollars.

—Bonnesoirée,lesamoureux.

Elles’envaaussisec.Saraneritplus,elleestmêmeterriblementsérieuseàcetinstant,leregardfixe.

—Merci,dit-elle.

—Tun’aspasàmeremercier.Grâceàtoijepasselameilleuresoiréedetoutemavie.

—Quelestleprogramme?demande-t-elle.

—S’amuser!

Jemelève,passemonblousonpar-dessusmesépaulesetluitendslamain.Elleyglisselasienne.Sa paume est chaude, rassurante. Je salue d’une poigne de main Bill et nous marchons dans lafraîcheurdelanuit.Iln’estquevingt-deuxheuresetlasoiréeestloind’êtreterminée.Jecomptebienprofiter à fond du temps qu’il nous reste. Je veux que ce soirmarque le début de notre relation,qu’elleresteàjamaisgravéedansnosmémoires.

Sara

JenesavaispasoùSimonvoulaitmeconduirejusqu’àcequ’ilsegarelelongd’uneruedanslequartierleplushuppédeMonterey.Destasdevoituressontgarésdesdeuxcôtésauborddelaroutesanscomptercellesquisontdéjàdanslacourintérieure.Unimmenseportailenferforgénousfaitface. Je sors d’unpashésitant de laNissan, le cœurbattant.Dèsque j’entends le son étoufféde lachansonNoStressdeLaurentWolfmonpoulss’accélère.Jen’aimepaslesfêtes.Jemesenstoujoursoppressée dans ce genre d’endroit, pas àma place. J’ai l’impression d’être tombée dans un guet-apens.VenantdeSimon,j’auraisdûm’yattendre.Jepensequecettesoiréeestcequiserapprocheleplusselonluidumot«amusement».

Merde.

Mesmainstremblent.Jenepeuxpasfaireça.J’hésiteàretournermeconfinerdanslavoiture.Biensûr,jenesuispastotalementignare.J’aidéjàassistéàquelquesfêtes,maisseulementparcequ’Annam’a contrainte à la suivre. Cependant, je ne suis jamais parvenue réellement à m’amuser. Je mecontentaisdesurveillermasœur,de luifaire lamorale lorsqu’ellebuvaitde l’alcool,desurveillersesdansescolléesserréesaveclesgarçons.Jepassaisplusdetempsàm’enfairepourelle,àcraindrequ’onluifassedumalqu’àpenseràm’amuser.Anna,c’estlasociale.Moi,jesuislaplusraisonnable.Jenesaispasfairelafête.

Simonneperdriendemonairrécalcitrant.Ilimmiscesamaindanslamienne.Jesouffleungrandcouppourmedonnerplusdecourage.

—J’aiditquenousallionsnousamuseretj’aipromisàunamiquejepasserai.Nousallonsfaired’unepierredeuxcoups,dit-il.

Jetournemonvisageverslui.Satêtepivote.Nosregardssecroisent.Jeflanche.

—Cen’estpasunebonneidée.Jenemesenspasbien.Ondevraitrentrer.

—OhallezSara!Nefaistarabat-joie!Quandt’es-tuamuséepourladernièrefois?

Jesuisincapablederépondreàcettequestion.Certainementpascetété,carfortheureusementuneméchanteanginem’aclouéeaulitlorsqueAnnaavoulum’embarquerdansunedecesautressoiréesétudiantes. Selon elle, c’est le meilleur endroit pour faire des rencontres sans compter que lesétudiantssont,desonpointdevue,dixfoispluscraquantsque lesmecsdesonâge.J’imaginequec’estàunedesessoiréesdernièrementquemasœuradûrencontrersondernierbellâtreendate.

— Allez, viens ! Ce soir, je ne te laisse pas le choix. Mes désirs sont des ordres ! Suis-moi,ordonne-t-il.

Simon porte ma main à ses lèvres et la baise. Son souffle chaud m’apaise et je le laisse nousconduire jusqu’à l’intérieur de la villa. Nous empruntons une allée de graviers et contournons la

demeureencoupantparlapelouse.Visiblement,Simonestunhabituédeslieux.Aufuretàmesuredenospas,lamusiquesefaitplusenvahissante.Lesbassesmehérissentlespoils.Enfaisantletourdelamaison, nous atterrissons sur une immense terrasse au centre de laquelle s’impose fièrement unegrandepiscinetoutéclairée.Pasmaldegensboiventautour.Certainsmêmedansentdéjàdemanièreétrange.Jefixeungarçonquial’aird’êtreentranse.

Noustraversonslafouleetpassonslesbaiesvitréesgrandesouvertesquidonnentsurl’extérieurpourrejoindrelesalon,lieudesfestivités.Ungarçon,blondauxcheveuxtrèscourts,nousfaitsigneetfonceversnous.Simonn’apaslâchémamain.Jepressedavantagelasienne.Ilmelanceunregardprotecteur.Non,jenemesenspasbien,pasbiendutout.

Leblonds’avance.Ilestplutôtpasmaldanssongenre.Lesdeuxhommessesaluentd’unepoignéedemainferme.Simonfaitlesprésentations:

—Sara,jeteprésenteMax.IlétudieaulycéedeSantaCruz.Max,voiciSara,mapetite-amie.

Simonm’adresseuncoupdecoude.Jeréagisenfinetserrelamaindesonami.

—Ehbien,tunem’avaispasditquetuviendraisensibonnecompagniecesoir.Petitveinard!J’enconclusquetoietladivineLinda,c’estdenouveautempsmort,sansvouloirt’offenserSoraya.

—C’estSara,jemarmonne.

Jenesuisdéfinitivementpasàmaplace.Jenesuispasprévueauprogramme.JenesuispasLinda,etdetouteévidence,jefaistachedansledécorparcequetouteslesfillesicisontassezpeuvêtues.J’ail’aird’unesaintenitoucheàcôtéd’elles.

—Sara,c’estnoté.Ilyatoutcequ’ilfaut,dequoivousdésaltérerlà-bassurlatableainsiquedeschambres vides au premier étage. Amusez-vous les amoureux ! dit-il avant de s’éclipser pouraccueillirdenouveauxarrivants.

Jedétaillelesalonduregard.Ilyatoutuntasdefillesetdegarsaffaléssurlecanapédevantlatéléquirientdevantjenesaisquelprogramme.Aufonddusalonsetrouveunetablesurlequelreposedesbouteillespleines,videsouentamées.Certainsseservent.

—Aïe!Situcontinues,jenevaisplussentirmamain,gémitSimon.

Sansm’en rendre compte, je viens d’enfoncermes ongles dans sa paume. Je lui lâche lamaininstantanément.

—Désolée.

Ilpassesonbrasderrièremesreins.

—Viens,onvad’abordsechercheràboire.

Je le laisseme guider jusqu’à la table. Il y a une pile de verre en plastique devant nous. Simonprenddeuxgobelets,commenceparverseruntraitdewhiskyetcomplèteletoutavecducoca.Ilmetendunverre.Jehochelatêtededroiteàgauche.

—Horsdequestion.Jeneboispasça.

Ilagiteleverresousmonnez.

—Mesdésirssontdesordres,tutesouviens?Allez!Amuse-toi.Cen’estqu’unverre.

—Jen’aipasl’âge.

—Moinonplus,meprovoque-t-ilenavalantlamoitiédesonverre.Tunesaispascequeturates!

—J’ailetempspourceschoses-là.

—C’estcequetucrois.Lavieesttropcourtepourlapasseràsemettredesinterdits.Tunesaispascequipeutt’arriverdemain.Personnen’enal’âgeici,peuimporte,onestjustelàpoursedétendre.Essayeaumoins.

Il faitunemouedechienbattuet jeris.Jefinisparcéderetparavalerculsec lamoitiédemonverre.Leliquidemebrûlel’œsophageetjetousse.C’estfort.

—Tuvoisquandtuveux.Ànous,àcetteinoubliablesoirée,dit-ilenlevantsonverre.

Jecognemonverrecontrelesienetboisunegorgée.Cen’estpasmauvais.Ilfautjustes’habitueraugoût.Simonsourit.

—SaraCummings,j’adorequandtumesurprends!

—Alors,attends-toiàl’êtresouvent.

Il s’approche, passe sesmains autour demes hanches pourm’embrasser etmenace deme fairerenversermonverreaumomentoù jepassemesmainspar-dessussesépaules.L’adrénalinegagnetoutmoncorps. J’ai chaud, trèschaud,mais j’ai aussi lachairdepoulequandsamaincaressemajoue et s’immisce dans le creux de mon cou. Je suis sur un petit nuage jusqu’à ce que Max, leblondinetnousinterrompe.

—Mollo lesamoureux,c’est ledébutde la soirée.Hé !Simon,ça teditdevenirà l’étageavecnous.Onacommencéunepartiedegrantoursimosurlaplay?

—Plustard,esquiveSimon.

—Allez!J’aiquetoicommeadversairequisoitvraimentdetailleàm’affronter.

Simonm’interrogeduregard.

—Vas-y.Jet’attendsici.

—J’enaipourcinqminutes,merassure-t-il.

—Plutôtunedemi-heure,intervientMax.

—Quinzemaxi,enchéritSimon.

—Commetuvoudrasmapoule.

MaxpassesonbrasautourdesépaulesdeSimonetl’embarqueavecluiàl’étage.Mevoilàseuledanslafourmilière.Jemeconcentresurlamusique.Toutlemondesemblepasserunbonmoment.Jenesaispasquoifairesinonrejoindre lecanapé.Il resteuneplacelibre toutaubout.Jem’assoisetboismonverretranquillement.Lafilleàcôtédemoitendunebouteillesousmonnez.

—T’enveux?

Jeneréagispas.

—Alors?insiste-t-elle.

—Qu’est-cequec’est?demandé-je.

Legarsàcôtéd’ellesepencheetsemêleàlaconversation.

—Del’eau,machérie.

Lafilles’esclaffeetlerepousse.

—Nefaispasattentionàlui,c’estunidiot.Moi,c’estSam.Ça,c’estdelavodkacitron.

J’avalemonverreculsecetleluitendspourqu’elleleremplisse.

—Sacréedescente,dit-elleenversantleliquidedansmonverre.

Elleposelabouteillesurlatable.

—Alors,commenttuconnaisMax?

—Oh,jeneleconnaispas.Enfinpaspersonnellement,c’estmonami…monpetitami,Simonquileconnaît.

Lafillefroncelessourcils.Jecroisquejeviensdel’embrouillerplusqu’autrechose.Elleouvrelabouche,maisn’apas le tempsdedireunmot,car legarçonàcôtéd’elle la tire sur sesgenouxetl’embrasse goulument, tellement goulument qu’ils ne vont pas tarder à avoir soif. Je les ignore etgoûtelavodkacitron.C’estbon.L’alcoolcommenceàmemonterlégèrementàlatête.Jem’enfonceconfortablementdanslecanapé.Lamusiquen’estqu’unbrouhahapourmoi.Monverreestpresquevide quand un type venu de nulle part se pointe devantmoi.Grand, brun avec un style de surfeuraustralien.

—Oliver,seprésente-t-il.Ettues?

—SaraCummings,jerépondsavantdememordrel’intérieuredelajoue.

Quelleimbécile!Pourquoifaut-ilquejedéclinemonidentitécomplète?J’ail’aird’uneidiote.

—Enchanté,SaraCummings.Moietmabandelà-basverslapiscineonsedemandaitsituvoulaistejoindreànous.

—J’attendsquelqu’un,refusé-je.

—Çafaitdixminutesque tubroiesdunoir.Tudevraisvenir t’amuser.Si tuveuxmonavis, tonpetitaminedevraitpasfaireattendreuneaussijoliefille.

—Tum’observes?

Ilsefrottelanuque,gênéparmonfranc-parler.L’effetdel’alcoolassurément.Enmêmetemps,jeme dis que si j’accepte, Simon n’aura pas trop de mal à me retrouver. J’ai bien pensé à aller lerejoindreaupremierétage,maisMaxnem’yapasinvitée.Finalement,jemelève.

—OK,jetesuis.

Sur la terrasse,Oliverprend le tempsdemeprésenterà toussesamis regroupésvers lapiscinedont jesuis incapablederetenir lesprénoms.Jevidemonverred’un traitpuismonnouvelami leremplaceparunebière. Il fait rire toute lagalerie. Ilesten traind’imiterDeNirodansLeparrainlorsqu’en faisant un geste brusque il manque de me propulser dans la piscine. Une main fermem’agrippe l’avant-bras et m’empêche de piquer une tête. Lorsque je me retourne pour croiser leregarddemonsauveur,jenem’étonnepasqu’ils’agissedeSimon.

IlrepousseOliver.

—Faisgaffe,mec.

—Désolé,jenel’aipasfaitexprès.Détends-toi,sedéfendOliver.

Simonserre lesdentset lespoings.Je lesaisispar lamainet lepousseunpeuplus loindans lejardinpourévitertoutincident.Ilestjaloux.

—Jet’aicherchépartout!lance-t-ilsuruntonpleindereproches.

—Commejenetevoyaispasrevenir,jemesuismêléeauxautres.Tum’asditdem’amuser.C’estcequejefais!medéfends-je.

Simonpasselamaindanssescheveux.

—C’estvrai.Tuasraison.

Jeportelegoulotdemabièreàmeslèvresetilmel’ôteaussitôtdesmainsavantquejen’aiepuavalerunegorgée.

—Tuasassezbupourlasoirée,décrète-t-il.

—Quiestlerabat-joiemaintenant?m’amusé-jeàleprovoquer.

—Lasoiréen’estpasfinie.Jeveuxquetuaieslesidéesclairespourlasuite.

Ilposelabièredansl’herbe.J’entendslachansonYou’vegotthelovedémarrer,cellesurlaquellenousavionsdansésurlaplage.Moncœurs’affole.

—Allons-y,dit-il.

—Quoi?Maintenant?

—Oui,àmoinsquetuaiesmieuxàfaire…

Jeprendssesmainsdanslesmiennesetleslèveenl’air.

—Danseavecmois’ilteplaît.

Simon sourit et me fait tourner sur moi-même avant de se positionner derrière moi pourm’enlacer.Nousne sommespas les seuls à danser, car très vite nous sommes rejoints par tout ungroupe dont celui d’Oliver et ses copains.Mais je n’ai d’yeuxque pourSimon. Je sens sesmainschaudes sur mon ventre. Elles me procurent des frissons. Elles descendent plus bas jusqu’à monbassinetjemedandineunpeuplusprèsdeseshanches.Simonposeseslèvressurmanuquepourlaparsemerdebaisers.Jepenchematêtepour lui laisserquartier libre.C’estagréable.Jenemesuisjamais sentie aussi audacieuse, libérée demes craintes. Jeme sens libre comme l’air avecSimon,heureuse.Iln’yapasderègle,pasd’obligation,pasl’ombred’unsouciàl’horizon.Lavieestfacileàvivre.Lessecondessesuccèdentsansquej’enaieconscience.

Je ferme les yeux. Je voudrais que ses lèvres ne quittent jamais mon cou, mais elles dériventjusqu’àmonépaule.

J’ouvrelesyeuxlorsquelachansonsetermineetleslèvejusqu’auciel.

—Qu’est-cequeturegardes?chuchoteSimonaucreuxdemonoreille.

—Lesétoiles.Ilyenaunelà-basquisemblebrillerplusquelesautres,dis-jeenladésignantdemonindex.

—Jen’aipasbesoindelaregarder.C’esttoimonétoile.TuesmabonneétoileSaraettuassumeguiderjusqu’àtoi.

Jefaisvolte-face,émueetl’embrasseàpleinpoumon.Simonmerepousse.

—Ondoitpartir.

Jelesuis,maisOlivernousbarrelechemin.

—Tut’envasdéjàpetitcœur?

Simonledévisaged’unœilmauvaispuis lepousseviolemment.Je leretienspar lebras.Jesensqu’ilestprêtàenvenirauxmains.

—Dégagedenotrechemin,prévientmonpetit-ami.

Celasonnecommeunavertissement.

—OK,OK,bonnesoirée,conclutOliverpastémérairepourunsou.

Cederniers’écarteetSimonmetireparlamain.J’aidumalàsuivrelerythme.Ilfulminejusqu’àcequ’onsoitdanslavoiture.Jepréfèreneriendire,carj’ailesentimentquecelaneferaqu’aggraverlasituation.

Simon

Cepetitconnard, j’auraispule laminersi jevoulais. Ilaeude lachancequeSarasoitàcôtédemoi.Etlamanièredontillaregardait…MonDieu!Commentpeut-elleêtreinnocenteaupointdenepasvoirl’effetqu’elleproduitautourd’elle?Jen’auraispasdûmonterdanslestours.Maisquandjeles ai vus, lui, près d’elle, je ne sais pas, j’ai eu envie de lui sauter à la gorge, demarquermonterritoire.Illareluquaitetellenes’enrendaitmêmepascompte…çamerendmalade.C’estplusfortquemoi,avecSara jen’arriveplusàmaîtrisermesémotions.Si jem’écoutais, je feraisdemi-tourpourlecognerjusqu’àcequ’ilaitintégrélemessage.

Jeserrerageusementlevolanttoutenessayantdemedétendre,carj’aiconsciencequemonattitudenefaitqu’effrayerSara.Ladernièrechosedontj’aienviec’estqu’elleaitpeurdemoi.Jeneveuxpasquelasoiréesetermineainsi.Alorsjesouffleunboncoupetposemamainsursongenoupourlarassurer.Jevoisbienqu’elleseforceàsourirelorsqu’elletournesonregardversmoi.

—Jesuisdésolé.Jenesaispascequim’apris.Jenesuispascommeçad’habitude.C’esttoiquimerendsfou.Jen’aipasappréciéqu’iltetouche.

—Ilnes’estrienpassé,murmure-t-elle.

— Je le sais, mais je n’ai pas aimé sa manière de te regarder. Sara, tu es certainement tropinnocentepourt’enrendrecompte.Jesaisàquoiilpensaitlorsqu’ilteregardaitetsitusavaistoutcequej’aienviedeluifairelàmaintenant…Sijem’écoutaisje…

—Chut…souffle-t-elle.

Elleposesamainsurlamienneetglissesesdoigtsentrelesmiens.

—Jeneveuxpasquetuaiespeurdemoi.

—Jen’aipaspeurdetoi.S’ilyabienunsentimentquetunem’inspirespas,c’estbiencelui-là.N’enparlonsplus,tuveux?

J’acquiesce. Elle sourit timidement, son visage à peine éclairé par la lumière de la lune. Dieuqu’elleestbelle!Ellelèvelamainetcaressemajouequiprendfeuimmédiatementàsoncontact.Jesens ses doigts s’attarder sur ma peau, pleins de tendresse. Je ferme les yeux. Je ne peux pas ensupporterdavantagesinonjecrainsdedevoirarrêter lavoituresurlebas-côté.Jesaisissamainetembrassesapaumeavantdelareposersursongenou.

—Affaireclassée.Detoutemanière,lasoiréen’estpasencoreterminée,laissé-jeentendre.

—Etc’estquoilasuite?

—Onyestpresque.Patience,murmuré-je.

JenesaispassiSaraapprouveramonidée,maisjem’enmoque.Siellen’estpasprêteàsauterlepas,jeleferaisseul.Jen’aijamaisétéaussisûrdemoiquecesoir.Jeveuxquecelasoitgravéenmoiàjamais.Saraetmoi,c’estàlavieàlamort.

Sara

—C’estencoreloin?demandé-je.

—Non,fermelesyeux.Nousysommespresque.

Jem’exécute.J’ail’impressionquenousralentissons.Celaseconfirmelorsquelavoituresegaresurlebas-côtéetquelemoteursetait.

—Surtoutn’ouvrentpaslesyeux!Jevaist’ouvrir.

J’entendslaportièrecôtéconducteurclaqueret lamiennes’ouvrir.Simonglissesamaindanslamiennepourm’aideràsortiretrefermelaporte.Ilseglissederrièremoi,faitbasculermescheveuxsurlecôtépourbaisermoncoupuisposesesmainssurlesmiennestoujourspositionnéessurmesyeux.

—Maintenant,tupeuxlesouvrir,chuchote-t-ilàmonoreille.

Nosmainssesoulèventensembleetjerestebouchebéedevantcequiatoutl’aird’êtrel’enseigned’untatoueur.Laboutiqueestéclairée.Unhommebrun,laquarantaine,trèstatouéavecdespiercingsunpeupartout,vientnousouvrir.JescruteSimon.Jenesaispasàquoiçarime.

—Qu’est-ce…

Ilnemelaissepasletempsdefinir.

—Jenevoulaispasterminercettesoiréesansquetusachesàquelpointtucomptespourmoi,àquelpoint cesderniers joursont été lesplusmerveilleuxdemonexistence. J’ai enviequeçaduretoujours.Tumefaisconfiance?

Jenesuispluscertainedelesuivre,maisjehochetoutdemêmelatête,émue.Jamaisungarçonnem’avaitregardécommeilmeregardeetquandilaceregard-là,jepourraislesuivrejusqu’auboutdumonde.

Jepénètredanslaboutiqueàsasuite.J’observetouteslesphotosdesréalisationsdenotreartisteenherbecolléessurlesmurspendantqueSimondiscuteavecletatoueur.Puisilsfinissentparrevenirversmoi.

—Bon,alorsjecommenceparqui?

Est-cequejemesensprêteàlefaire?Certainementpas.Mamanvapiquerunecrise.Est-cequejeveuxlefaire?Mondieuoui.

Simonposesesmainssurmesépaules,meconsidèresérieusement.

—Tun’espasobligéeSara.

—Jeveuxlefaire,luiassuré-je.

—OK,alorsonpartsurcequ’onadit?demandeletatoueur.

Simonsetourneversmoi.Jenesaispasdequoiilsparlent,nidecequ’ilsontdiscuté.

—Tumefaisconfiance,Sara?

Jesuisfolle,maisoui,jeluifaisconfiance.

Simonprendmamainetnousmarchonsjusqu’àl’arrière-boutiqueoùjem’allongesurunfauteuil.Ilnelâchepasmamain.

—Oùvouslevoulez?questionneletatoueur.

—Surlepoignet.

Jemesoulèvepourm’allongerconfortablementsur ledos.L’hommedésinfectemapeaupuis jeserre de toutes mes forces la main de Simon lorsque l’encre traverse mon épiderme. C’estaffreusementdouloureux.J’ail’impressionqu’onchercheàcreusermesos.

—Fermelesyeux,m’ordonneSimon.Nepensepasàladouleur.

J’obéis.Jenesaispascequ’ilfait,jen’arrivemêmepasàmémoriserlesgestesnilepassagedel’aiguille.J’essaiedenepasmefocalisersur ladouleur,mais j’aidumal.Jefermelesyeuxetmeremémorecepourquoijesuisici,notrebaiserdevantleLoneCypress,c’estpourçaquejesuislà:pourSimon.Alorsjeserrelesdentsetravalemeslarmes.Jusqu’àcequ’onn’entendeplusrienquelesilence.Puis,j’ouvrelesyeux.

—Çateconvientgamin?

—Parfait,répondSimon.

—Jepeuxvoir?demandé-je.

—Plustard,répondSimon.

Letatoueurposeunpansementsurmonpoignet.

—Àtontourmongarçon!

—Attends-moidanslaboutique,reprendSimon.

—Non,jereste.

—Sara,grogne-t-il.

—Jereste,dis-jed’untonferme.

—Trèsbien,grogne-t-il,agacé.

—Oùtuleveux?nousinterromptletatoueur.

Simon ôte son tee-shirt (il est vraiment bien foutu au passage) puis s’allonge sur le fauteuil etdésignelecôtégauchedesapoitrine.

—Jeleveuxprèsducœur,dit-iltoutennemequittantpasdesyeux.

Ledermographe semet enmarcheet j’assiste impuissante à la suite.Le tatoueur commenceparformerunesortede"S.".Enfinc’estcequejecroisjusqu’àcequ’ildessineuneautrecourbedanslesensinversedesortequemaintenantj’ail’impressiondevoirun«8»dontlesextrémitésdépassent.Jenesaispascequeçasignifienimêmes’ilyavraimentunesignification.

Letatoueurposel’appareiletSimons’assoitlorsqu’unportablesemetàsonner.

—Rhabille-toietrejoignez-moienboutiquelesgosses.Jen’enaipaspourlongtemps.

Puisils’éloigneetquittelapièce.

Jem’approchedeSimonassisauborddufauteuil.Ilpressesesgenouxdepartetd’autredemeshanches. J’ai envie de le toucher, de faire courir mon index sur les muscles de son ventre. Sansréfléchir, je cède à la tentation.Mon geste le déconcerte, parce que Simon ferme les yeux et sonsouffles’accélère.Puisjel’embrasse.Ilpasseunemaindansmondosetmonbassinvientsecollerausien.Jesuisennageaprèsseulementquelquessecondes.

Sesyeuxbrillentquandnosbouchess’éloignent.

—Unhuit?Jesupposequej’ailemêmequetoi?

—Cen’estpasunsimplehuitSara.C’estcequeçadonnel’impressiond’être,maiscesontdeux"S.".L’unàl’endroit,l’autreàl’envers.Deux"S."pourSimonetSaraquiformentun8(iltapotesonpansement juste au-dessusde soncœur).Pourmoi,Sara, tu es lahuitièmemerveilledumonde. Jet’aime.

Simon

J’aiditcestroismotssansm’enrendrecompte,maisjeneleregrettepas,carjesuiscertaindemessentimentspourelle.Ilfallaitquejeleluidise.Saraal’airpétrifié.Elletentederefoulerseslarmesenvain,carunecouleetemporteavecellesursajouesonmascara.Jemelèveetm’approched’ellepoureffacercettelarmedesonvisage.

—Jet’aimeSara.

D’un bond, elle se pend à mon cou et m’embrasse avec tellement de passion que je suis horsd’haleineàlafindenotrebaiser.Va-t-elleledireelleaussi?

—Jet’aime,chuchote-t-elle.

Iln’enfautpaspluspourquemoncœuréclatedejoie.Jelasoulèveparleshanchesdanslesairspendantqu’ellerit.Noustournonsquelquessecondes,puisjelareposeàterreetlaserrecontremoipour éviter qu’elle perdre l’équilibre. Son regardme bouleverse. Je n’ai jamais connu ça. Je n’aijamaissucequeçafaisaitdepartagerdessentimentsréciproquesavecquelqu’unetmaintenantjelesais:c’esteffrayant,maisqu’est-cequeçarendvivant!Jemesensplusfort,pluslibre,plusléger.Çasemble si facile d’aimer finalement. Ça ne demande pas grand-chose. Rien qu’un peu d’air et saprésenceàmescôtés.C’estentièrementsuffisantetjepourraism’encontenter.

Laportes’ouvredenouveau.

— C’est pas que je vous aime pas les gosses, mais je vais fermer boutique. Faudrait peut-êtrepenseràmepayer!

—Onarrive,dis-je.

Letatoueurs’enva.JedéposeundernierbaisersurleslèvresgonfléesdeSara.Ellemetendmontee-shirtet rougis.Sa timiditéest loindes’êtreenvoléeet jen’aiaucuneenviequ’elles’endéfasseparcequej’adorelafairerougir.C’estlesigneévidentqu’ellemedésire,etçasuffitàmonbonheur.

J’enfilemontee-shirt.Jepayepuisnousreprenonslaroute.Ilestpresquedeuxheuresdumatin.Lecouvre-feutoucheàsafinetsijelepouvais,j’arrêteraislecoursdutemps.Jen’aipasenviedemeséparer d’elle. Je voudrais la garder près de moi pour l’éternité, mais sa mère ne le verraitprobablementpasd’untrèsbonœil.

Le voyage est silencieux. Parmoment, Sara pique du nez, elle est exténuée. Peu importe,mêmequand elle dort, elle ressemble à un ange. Je pourrais tuer pour avoir simplement la chance derespireràsescôtés.

Sara dort lorsque je me gare devant chez elle. Je l’observe quelques secondes profondémentendormie, unemèchede cheveux lui barre le front. Je la replacedélicatement derrière sonoreille

puisconsensenfinàlasecouerlégèrement.

Sara

Je sursaute sur mon siège, affolée, essayant de me souvenir pourquoi je suis là. Puis tout merevientenmémoire.Unesoirée inoubliableparceque jen’oublierais jamais lapremière foisqu’ilm’aditces troismots« je t’aime»quiont réchauffémoncœur.À l’idéededevoir lequitter,mesentraillessenouent.

—Onestarrivé,c’estça?demandé-je.

Simon acquiesce. Lemoment est venu de se dire au revoir. J’aimerais trouver unmoyen de lereculer,maislorsquemesyeuxseportentsurl’autoradio,jeréalisequ’ilestpresquedeuxheuresetdemiedumatin.

Mamèrevametuer!

Instinctivement, je tourne la tête vers la maison. Elle est plongée dans le noir. Avec un peu dechance,mamanetPhildoiventdéjàdormirprofondément. Ilsn’yverrontquedufeu.Dumoins, jecroiselesdoigtspourquecesoiteffectivementlecas.

—C’estlemomentdenousdireaurevoir?

—Justepourcettenuit,chuchoteSimon.

Ilsepencheversmoi,caressemajouepuism’embrassetendrement.

—FaisdebeauxrêvesSara.Tuserasdanslesmiens.Jenepeuxplusmepasserdetoimaintenant.

—Moinonplus.

Etjem’emparedeseslèvresdemanièrepluspossessive.

—Tumemanquesdéjà,murmuré-jeaucreuxdesonoreille.

Puisjerécupèremonsacàmespiedsetdescendsdelavoiture.

Jefermedoucementlaportièreetluiadresseunsignedemain.Ilnedémarrepasavantquej’ouvrelaported’entrée.Jemesersdel’écrandemonportablepouréviterd’allumertoutelamaison.J’ôtetantbienquemalmesballerinespuisrefermedoucementlaportederrièremoi.Chaussuresenmain,jemarchesurlapointedespiedspouréviterdefairetropdebruit,maisc’estpeineperdue.

La lampedu salon s’éclaire.Mamère, lèvrespincées, est assisedans le canapé,unplaid sur lesgenoux. Je suppose qu’ellem’attendait. C’était décidément trop beau pour être vrai. Elle écarte leplaidetselèvepoursepositionnerentremoietl’escalier.

Elleestfurieuse.

—Tuasvul’heure?m’attaque-t-elle

—Jesuisdésolée.Jen’aipasvuletempspasser.

—Tuasunedemi-heurederetard!

—Ilyavaitdesbouchons,luidis-jeenessayantdetrouveruneexcuse.

Mamèreselèveets’approche.J’hésiteàm’enfuir.Finalementjedécidedeluitenirtête.

—Desbouchons?Àdeuxheuresdumatin?Tutefousdemoi,Sara?

—Jesuisrentrée,jesuissaineetsauvealorstun’aspasàt’inquiéter.Jesuisdésolée.

Jelacontournepourallermecoucherparcequejen’aipasdutoutlatêteàmedisputeravecelleàcette heure. Je n’ai qu’une envie : fermer les yeux.Mais elle me retient et presse durement monpoignetcequiimmédiatementfaitsurgirenmoiuncridedouleur.Ellesoulèvemamainavantquej’aiepularepousseretremarquelepansementsurmonpoignetqu’ellearracheaussisec.

—C’estquoiça?Sara,qu’est-cequ’ilsepasse?Jeneveuxplusquetufréquentescegarçonsicelateconduitàtemutiler!

— Ce n’est qu’un tatouage ! Tu exagères comme d’habitude. Faut toujours que t’en fasses destonnes.Annaenaun!

—Cen’estpasmafille.Annafaitcequ’elleveut.Tonpèreatoujoursététroplaxiste.Untatouage,ça reste à jamais sur ta peau.Enfin, on ne fait pas un tatouage sur un coup de têteSara ! Je ne tereconnaisplus.Çaneteressemblepas.C’estn’importequoi!

Cequ’ellem’agace!Ilfauttoujoursqu’ellemefasselamorale.Maisjenesuisplusuneenfant.Ilseraittempsqu’elleenprenneconscience.

—C’estcetteconversationquidevientn’importequoi!hurlé-je.

Paf !Ma jouem’élance. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle me gifle aussi sévèrement. C’est lapremièrefoisetleslarmesmemontentauxyeux.Jelaconsidèred’unregardméprisantetmefrottelajoue.Ellen’yestpasalléedemainmorte.Mamèrenefaitjamaisleschosesàmoitié.

—Sara…dit-elled’unevoixchevrotante,certainementenvahieparlaculpabilité.

—Tunecomprendsjamaisrienàrien!crié-je.

Àtoutevitesse,jegrimpelesmarchesd’escalierpourmeréfugierdansmachambre.

Jefermelaporteàcléetmedéshabilleenquatrièmevitesse,énervée,etjettemesvêtementsauxquatrecoinsdelapièce.J’abandonnemeschaussettesausoletm’assoisensous-vêtementsur le litpourreprendremonsouffle.Jesuistellementhorsdemoi.

Lapoignéedeporteremue.Mamèretoqueàlaporte,maisjenerépondspas.Jen’aipasenviedefairelapaix.Cesoir,jemecoucheraisaveclarageauventre.J’essayedeprendresurmoi.JetentedemeremémorerlestraitsdeSimon,savoixlorsqu’ilm’aditqu’ilm’aimait.Alorsjem’approchedumiroir les bras ballants et me regarde. Mon tatouage est identique au sien. Il est magnifique. Cetatouage,c’estnotre identité,notremarque.Çaenvalait lapeineparceque je saisqueprèsde soncœurSimonportenotremarqueetcelasuffitàm’apaiser.Ilesttoutautantàmoi,quejesuisàlui,etcedessinleprouve.Ilfaitmaintenantpartiedenousquoiqu’ilsepasseàl’avenir.Quelsquesoientlesévènements,ilseratoujourslàpournousrappelercequinousliel’unàl’autre:nossentiments.Toutce que j’ai pour le moment qui me raccroche à Simon, c’est ce huit sur mon poignet, et je vaiscompterchaquesecondejusqu’àcequejelerevoie.

ChapitreNeuf:Ultimatum

Sara

CelafaitmaintenantunmoisqueSimonetmoinoussortonsensembleetj’aipourtantlasensationquecelafaitdesannées.Jesuistoujourssurunpetitnuage.Rienn’achangé.Chaquesoir,ilvientmeretrouveraprèssescoursdesoutien.Marelationavecmamèren’esttoujourspasaubeaufixe,maisleschosess’améliorentpetitàpetit.Ellesembleavoiràcœurdese racheterpour lagifle.Ellen’aplus reparlé de cette histoire de tatouage. J’imagine que c’est déjà en soi une victoire. Nous neparlonspasnonplusdemarelationavecSimon.Siellecomptaitm’interdiredelevoir,ellen’enarienfait.Mamèreestincapabledemefairesouffrir.Etpuis,ellesembledavantages’entendreavecSimon ces derniers temps. Je crois qu’elle a compris qu’il tenait àmoi. Pour preuve, elle insistetoujours pour qu’il emporte des cookies en partant et il ne refuse jamais parce qu’il adore sesgâteaux.Ilm’aavouéqu’illestrouvaitbienmeilleursqueceuxdesapropremère.

MadameHarper semble elle aussi vouloir faire des efforts. La preuve : ellem’amême invité àpasserThanksgivingaveceux.J’aiacceptéparcequejefaisaisd’unepierredeuxcoups:j’aipassélajournée avec Simon et j’ai rendu la monnaie de sa pièce à ma mère. Quelque part, ça lui a faitcomprendrequej’avaisgrandietqu’elledevaitrespectermeschoixetmesopinions.J’aiaussifaitlaconnaissancedelasœurdeSimon,Zoé,etdesonpère.Hormissamère,lerestedelafamilleHarperest plutôt cool. J’ai le sentiment qu’avec le tempsmes relations avecMadameHarper deviendrontamicales.Pourlemoment,ellecherchetoujoursàprotégersonfiston.Dequoi?Ça,jenesaispas,carjen’aipasl’impressiond’êtreundangerpourlui.Entoutcas,jefaistoutpourqu’ellem’appréciemêmesijeluienveuxencorepourlafoisoùjesuispasséeàl’improvisteunsoiretqu’elleaessayédemefairecroirequ’ilvoyaitquelqu’und’autreenmeparlantd’unecertaineHannah.Simonn’étaitpas làalors jesuispartie.Quand ila suque j’étaispassée, ilm’adéfendude revenirchez lui sansl’avertirsoi-disantpouréviterlesproblèmesavecsamère.J’aid’abordpenséquesaréactionpouvaitsignifierqueMadameHarpern’aitpastoutàfairetort.Seulementjemesuistrèsviterenducompteàquelpointcettepenséeétaitabsurde.C’estévidentqueSimonnevoitpersonned’autre.Nouspassonsleplusclairdenotre tempsensembleendehorsdulycéeetdesescoursdesoutien.Etpuis, jesaisqu’ilestsincère.Jelesens.Lorsquej’aifiniparluiparlerd’Hannah,ilm’arassuréeenm’apprenantqu’ils’agissaitdesaprofdesoutien.Voilàquiéclairemieuxlesproposdesamère.Jen’auraispasdûme mettre immédiatement martèle en tête. Toutefois, j’ai toujours l’impression qu’il me cachequelquechoseetjeneparvienspasàmettreledoigtdessus.

Noussommesallongésàplatventresurmon litpour révisernoscours.Simon jettesonmanueld’histoireausoletserapproche.Ildescendmonpullsurmonépauleetl’embrasse.J’essaiedenepasmelaisserdéconcentrer.C’estplusdurquecequejenelepensais.Lesimplecontactdeseslèvressurmapeauaffolemesterminaisonsnerveuses.Jelerepousselégèrement.

—J’essayederéviserettumedéconcentres,leréprimandé-je.

—AllezSaranefaitpastarabat-joie!

—Non,dis-je,catégorique.

Simonsembles’avouervaincu.Ilselève.Jemedemandebiencequ’ilfabrique.Intriguée, jemeretournesurledos.Ilprendmonappareilphotosurlebureau.

—Qu’est-cequetufais?

—Puisque je ne peux pas te toucher, je peux aumoins te prendre en photo où cela te dérangeencore?Danscecas,jepeuxpartir.

Illèvel’appareildevantsesyeuxetj’éclatederire.

—Quoi?dit-il.

—Pourt’enservir,ilfaudraitencoreenleverlecachegrosbêta.

Ilprenduneexpressionblessée.

—Moi,ungrosbêta?Tuvasvoir!menace-t-il.

Ilreposel’appareiletseprécipiteversmoipourmechatouiller.J’essaiedemedéfendre,maisilestplusfortquemoi.Jeristellementquejemanqued’air.

—Arrête,s’ilteplaît!lesupplié-je.

Ilobéitetemprisonnemespoignetsavecsesmainsau-dessusdematête.

—Jesuistoujoursungrosbêta?

Ma poitrine se soulève rapidement. Je ne peux pas parler. J’essaye d’abord de reprendre monsouffle.Simonm’observe.Lasensationdeseshanchescolléesauxmiennesmefaitmonterlefeuauxjoues.J’aienviedelui,maisjenemesenspasencoreprêtepourcegenrederelation.

Simon nemanque rien du trouble dansmon regard etm’embrasse à plein poumon. Je le laissefaire.Lorsqu’ilserelève,mespoignetssontlibres,maissesavant-brasencerclentmatête.Sonregardestterriblementsérieuxàl’instant.J’essaiedemerelever,maisjenepeuxpas.

—PasseNoëlavecmoietmafamille!OnvaàAspenpourquinzejours.Jet’enprie,viens.Onvabiens’amuser!

Ilattenduneréponse,maisjenesaispasquoidire.JesuisdéjàcenséepasserNoëlavecmonpèreàdeskilomètresd’ici. Jenepeuxpas rompremapromesse. J’enaidéjà trop rompupourSimon.Etpuis mon père, Anna, Josh, ma famille me manquent. J’ai hâte de les revoir. Ça fait tellementlongtempsqu’onenparle.HierencoreautéléphoneAnnaévoquaitnosvacances.Jenepeuxpasleurfaireça.

—Qu’est-cequetuendis?merelance-t-il.

—C’estimpossibleSimon.J’aipromisàmonpèrequejepasseraiNoëlaveclui.Jenepasluifaireça,tucomprends?

—Non,jenecomprendspas.Tun’asqu’àpasserNoëlavecnous,etrejoindreensuitetafamilleàNewYorkladeuxièmesemainedesvacances.Qu’est-cequeçapeutfaire?C’estnotrepremierNoëlSara.

—Ilyenaurad’autres.Onpasseralesuivantensemble,dis-je.

—S’ilyenaunautre,marmonne-t-il.

—Qu’est-cequeçasignifie?mebraqué-je.

Moncerveaubouillonne,jenecomprendsplusrien.Est-cequ’ilveutrompre?Jenelesuisplus.

Simons’éloignedemoietmetourneledos.Jem’approchedeluietl’encercledemesbras,maisilselèveaussitôtdulitpourmefaireface.Ilpassesamaindanssescheveux,hésitant.

—C’estimportantpourmoi.Jeneveuxpasattendrel’annéeprochaine.

—Alors, viens avec moi à New York ! Je suis sûre que ma famille sera ravie de t’accueillir,proposé-je.

—Non,c’estimpossible.

—Pourquoi?

—Tunepeuxpascomprendre,répète-t-il.

—Alorsjesuiscenséetesuivresansposerdequestion,c’estça?Parceque tupensesque jenepeuxpascomprendre?Maisqu’est-cequejenepeuxpascomprendreaujuste?

—Laisse tomber. Oublie ce que je viens dire, oublie tout ça. C’est unemauvaise idée de toutemanière.

Ils’enfuitsansmelaisserletempsdeluirépondre.Jenesuispasd’accord.Jeluiemboîtelepas,maisilestdéjàenbasdel’escalierlorsquejel’appelle,etilneseretournepas.Jefaisdemi-touretclaque ma porte de chambre, bouleversée. C’est notre première dispute en tant que couple. Je nesupporte pas l’idée de le savoir fâché. Je ne sais même plus pourquoi cette stupide dispute acommencé.

Simon

Jen’arrivepasàmecalmer,etenposantunpiedchezmoi,c’estencorepire.Pourquoifaut-ilquetoutsoittoujourscompliqué?Nepouvait-ellepassimplementdireoui?J’aimeraisfairedemi-tour,m’excuser,maisj’ensuisincapable.Jesaisquesurcecoup-là,jen’aipasassuré.Jemesuisconduitcommeunidiot,maisjel’assume.Jesuiscertainementégoïste,maisj’aibesoindeSara.J’aibesoinqu’ellesoitavecmoi,qu’ellevienneàAspen.Jel’aiattenduedepuistoujoursetmaintenantqu’elleestlà,j’aienviedepassertouslesmomentsmarquantsdecetteannéeavecelle.Sara,c’estmonsecondsouffleetmaplusgrandefaiblesse.Iln’yapasunjouroùjenepensepasàelle.Elleesttoujoursdansma tête. J’aibesoinqu’ellecomprennequ’elleest toutpourmoi.Gardermessecretsestunechosedifficile,maisjeluttechaquejouràcettefin.Ellen’estpasencoreprête.J’aibesoindeplusdetemps.Jeneluidemandepaslalune.Noël!Putain,iln’estquestionqued’unesemaine!

Jeclaque laporte, fileenquatrièmevitessem’enfermerdansmachambreoù je tourneen rondcommeunlionencage.Jefixel’écrandemonsmartphone.Est-cequejedoisl’appeler?Est-cequejedoisfairelepremierpaspourlaconvaincre?Jenesuisplussûrderien,complètementdépasséparles évènements. Ça ne fait qu’unmois que nous sommes officiellement ensemble. Je ne peux pasencoreluiparlerdecequimepousseàvouloiràtoutprixqu’ellevienneavecnous.Çameronge.Jenesaisplusquoifaire.

Mamèrepousselaporteetpénètredansmachambre.

—Qu’est-cequisepassemonchéri?demande-t-elle.

—Cen’estpaslemoment.Jenesuispasd’humeur.

Elleavancemalgrétoutjusqu’àmonlitets’assoitaubord.

—Tunecroispasqu’il faudraitplutôtque tu t’assoiesetque tumedisescequi temetdanscetétat?

Jem’exécute.Detoutefaçon,ellenepartirapastantqu’ellen’aurapasobtenugaindecause.Jelaconnais,elleestcoriace.

—Ons’estdisputé,annoncé-je.

—Saraettoi?

—Non,lavoisine,réponds-jeavecsarcasme.Avecquid’autresveux-tuquejemedispute?

—Cesontdeschosesquiarrivent.C’étaitàquelpropos?

—JeluiaidemandédepasserNoëlavecnousàAspen.

Levisagedemamèredevientblême.Elleprendmamaindanslasienne.

—Qu’est-cequit’estpasséparlatête?Ellenepeutpasvenir.C’estnon,tum’entends,dit-elled’untonferme.

Jem’éloigned’elle. Jepensaisqu’ellecommençait àapprécierSara,àmieux laconnaître. Jenecomprendspassaréaction.

—Ellenepeutpasvenirsituneluidispastoutelavérité.Ceseraitingérable.Tuterendscomptequeceladevientridicule.Hannah,taprofdesoutien?Çanepeutpascontinuer!Situtiensvraimentàelle,tudoistoutluidire!Jesaisquetuaspeur,maissielleestaussiexceptionnellequetulepenses,ellecomprendra.

—Jenepeuxpasprendrecerisque.Pasmaintenant,cen’estpaslemoment…

—Çaneleserajamais!

—Tunecomprendspasmaman,jetiensvraimentàelle…Je…Je...,balbutié-je.

Jeperdsmesmots.J’aidestasd’idéesentête,pleindequalificatifspourdécrireSara,maisaucunnesauradésignerletumulteémotionnelqu’elleéveilleenmoi.

Mamèremeserredanssesbras.

—LaissetombercettehistoiredeNoëlàAspenmonchéri.Tudevraisluiparlerànotreretour.Tunepourraspas le lui cacher éternellement.Plus tu attends, plus ce seradifficile.Téléphone-lui.Cen’estqu’unedisputederiendutout.Jesuiscertainequ’elleattendquetul’appelles.

Peut-êtreest-celecas.Jesaisquemamèrearaison.Plusjeretardelemoment,plusl’annonceseradure,carSaras’attachedavantagedejourenjouretcertainementquec’estcequimepermetdemerassurer.Jeleferais.Maisquand?C’estencoreunequestionquejemeposeàcetteheure.

—Le dîner sera bientôt prêt. J’ai euZoé au téléphone, elle ne peut pas venir ceweek-end, ellerévise pour ses examens. Hannah est passée à la pharmacie. Tu devrais descendre prendre tesmédicaments.Jet’aimemonchéri.

Ellemebaiselefrontets’enva.Jesensl’odeurdudîners’immiscerdansmachambreetaffolermesnarines,maisjen’arrivepasvraimentàlatrouveralléchante.J’aiencoreleparfumdeSaraenmémoire.Parcequej’aipeur,peurdecequel’avenirnousréserve,peurdeperdrelaseulechosequiait jamaiscomptépourmoi.Peurdepasseràcôtédelachancedemavie,delaseulefillequej’aijamaisaimée.Jesaisque jedevrais lui fairedavantageconfiance.Cependant,si je luidis lavérité,rienenmonforintérieurnemegarantitqu’ellecomprendramonsilence,qu’ellemepardonnera.

Jesuispaumé.Jenesaisplusquelledécisionprendre.Jesuisencolère.Pourquoimoi?Jen’airiendemandéàpersonne.Jenedemandequ’unpeuderépit.Mêmeça,çasembleimpossibleàobtenir.

Monportablevibre:c’estSara.

Sara

Jesuisencoretropperturbéepourl’appeleralorsjeluiaienvoyéunmessage:«C’estOKpourAspen. ». J’ai conscience qu’il a gagné,mais jem’enmoque. On n’est pas dans unmatch, on necompte pas les points. L’important, c’est de savoir ce qui compte vraiment pour nous. Et j’ai crucomprendrequecelaluitenaitàcœurquejepassenoëlaveclui,alorsçametientaussiàcœur.Monpèrenevapassauterdejoie.Annavatirerlatronche,maisjeferaiavecsansparlerdemamèrequirisquedemontersursesgrandschevaux.Madécisionestprise,jenereviendraipasenarrière.S’ilya une chose que mes parents m’ont apprise, c’est à toujours tracer mon chemin sans jamais meretourner. Quelque part, partir en vacances à Aspen avec Simon m’excite. Ce sera sûrement lesmeilleures vacances de Noël de toute mon existence. Je n’ai pas pour habitude de rompre mespromesses, mais je crois que c’est ce qui arrive lorsqu’on tombe amoureux. Petit à petit onabandonnequelques-unsdesesprojetspersonnels.Cen’estqueNoëlaprèstout.Ilyenaurabeaucoupd’autres.C’estcequejemedispourmedonnerbonneconscience.Jenesaispascommentl’annonceràmonpère.J’aiencoreunpeudetempsdevantmoipourtrouver.

Je descends dans le salon pour dîner. Phil etmamère sont déjà assis autour de la table. Je lesrejoins.Ellenoussertenlégumesetchacundenousprendunsteak.Jecommenceàmanger.

—Jevousaientendutoutàl’heure.VousvousêtesdisputésSimonettoi?demande-t-elle.

J’étaiscertainequ’elleaborderaitlesujet.Unefoisdeplus,jenemesuispastrompée.

—Onaeuunpetitdésaccord,riendegrave.

—Àquelsujet?

—SimonveutquejepasseNoëlavecsafamilleàAspen.

Mamèreposesescouvertsdanssonassiette.Commeprévu,ellepanique.

—J’espèrequetuluiasditnon.

—C’estcequej’aifait…

—Parfait!coupe-t-elle.

—…maisilainsistéetj’aifiniparaccepterparcequeçacomptebeaucouppourlui!

—Maistuaspromisàtonpère!JeregretteSara,tunepeuxchangerd’avisàladernièreminute!Çanesefaitpas.

—Ahoui?Selonqui?Lemanueldelabonnepetitemèredefamille?

Maman se contient, cache son visage dans sesmains.Manifestement, elle essaye de prendre surelle.Philglisseunemainfermesursonépaule.Lepauvreaeusoncomptede tensioncesdernierstemps. Il fait de son mieux, mais la raisonner n’est pas toujours chose facile. En ce moment, lamoindredispute la faire sortirde sesgonds lorsqu’il estquestiondemoi etdemavolonté à allertoujoursà l’inversedecequ’elledit.Enfinça,c’estcequ’ellepense,que je lacontredissansarrêtrienquepour leplaisirde l’embêter.Toutçaàcausedesmagazinesdepsychoà lanoixqu’elle litdepuis l’épisode de la gifle. Elle a essayé laméthode de la psychologie inversée,mais ça n’a pasmarché.Quand elle s’est rendu compte que dire « oui » à tout n’avait pas l’effet escompté, elle aabandonnécettetactique.

—Sara,machérie,reprend-ellecalmement,tuaspenséàlapeinequetuallaisfaireàtonpère?Iladéjàréservétonbillet,tente-t-elledemefaireculpabiliser.

—Desbillets,ças’échange.Etpuisj’iraisquandmêmevoirpapa.JepasseunesemaineàAspen,ensuitej’iraisàNewYork.

—Tuvois,touts’arrange,intervientPhil.

Ilestrestéjusqu’icibiensilencieux.Enmêmetemps,dèsqu’ilouvrelabouchecesdernierstempsilestimmédiatementrabroué.

Ellelefoudroieduregard.Lepauvreaperdul’occasiondesetaire.

—Bien, puisquemanifestement je n’ai plusmonmot à dire dans cette maison, tu n’as qu’à tedébrouiller avec ton père. Ne compte pas sur moi pour le lui annoncer. C’est ta décision, tonproblème,tranche-t-ellesévèrement.

Jemetais.Jesensbienquecen’estpaslemomentd’enrajouter,carjeviensd’obtenirlavictoire,certes petite, mais victoire tout de même. Mon père, j’en fais mon affaire. Je suis sûre qu’ilcomprendra.Iln’estpasaussipsychorigidenirancunierquemaman.Enrevanche,masoeurnevapasdigérerlanouvelleaussifacilement.Ellevatenterdemefaireculpabiliser,maisjetiendraibon.

Aprèsdîner,jesuisdecorvéedevaisselle.Jem’ycollebienvolontierssansprotester.Sic’estlàtout ce quema génitrice trouve pour exprimer sonmécontentement, je récureraismême le sol. Etcertainementquecelal’agaced’autantplusparcequelavérité,c’estqu’elleapeurdemelaisservolerdemespropresailes.Ellesaitqu’ilnes’agitpasd’unecrised’ado.Toutcequejedemande,c’estunpeuplusdelibertéetelleabeaucoupdemalàl’accepter.Ellemetdutempsàassimilerleschoses,maisquandçavient,ellenerevientjamaisenarrière.

Lorsque jemeglisse sousmesdraps, je reçois unmessagedeSimon : «Merci, tu nepeuxpassavoiràquelpointcelacomptepourmoiquetusoislàSara.Jet’aime,bonnenuitmonange.».JeluienvoieunderniermessageavantdebasculerdanslesbrasdeMorphée:«Moiaussijet’aime,bonnenuit.».Jesourisbêtement.Parcequecertesons’estréconciliés,maissurtoutparcequejel’aime.Jenem’étaispassentieaussibiendepuislongtemps.

Sara

Lelundisuivant,toutsembleêtrerevenudansl’ordredeschoses,Simonvientversmoi.Jesuisentrainderangermeslivresdansmoncasier.

—Jesuisdésoléepourvendredisoir,jemesuisemporté.Tum’asmanquéceweek-endSara.

—Tum’asmanquéaussi.

Je l’embrasse pourmettre un terme à cette conversation gênante,mais fais attention à ce que lebaiserneseprolongepas.

—C’estimportantpourmoiquetuviennesàAspen,dit-il.

—Jelesais.J’aiappelémonpèredimanche.Ilprendplutôtbienlachose.J’iraisàNewYorklasecondesemaine.Enrevanche,masœurestfurax;c’estsilenceradiodepuishier.

—Ilyaquelquechosequejepeuxfaire?

—Àpartmechangerlesidées?Non,rien,dis-je.

—Techangerlesidées?Jefaisçatrèsbienetj’aitoutpleindetrucsentête.Çadépenddecequetucherches,murmure-t-ilsensuellementàmonoreille.

—Pascellequetuasentête!

—Commenttusaiscequej’aientête?

Jen’aipasletempsderépondrequeMianoustombedessuscommeunbouletdecanon.

—Salutlesamoureux!Alors,çaroulecesdernierstempsentrevousdeuxàcequejevois.

—Fautquej’yaille,jevouslaisselesfilles.Onsevoittoutàl’heure,sedéfilemonpetit-amiendéposantundernierbaisersurmeslèvres.

Ils’éloigne.

— Eh bien, vous ne chômez pas tous les deux. Est-ce que vous comptez passer aux chosessérieuses?

Jefroncelessourcils.

—Non,c’estbeaucouptroptôt.

—J’imagine…Parcequebon,jevoisbienqu’ilyadelatensionentrevousalorsjemedisaisque

peut-être…

—Tun’yespasdutout.Ons’estdisputésvendredi.

—Ettunem’asriendit?Tuauraisdûm’appeler!gronde-t-elle.

—Jen’airiendit,cartoutestréglé.Jenevoulaispast’embêteravecça.

—C’étaitàquelproposvotredispute?

—Lesvacances.Simonvoulaitquej’aillepasserNoëlàAspenavecsafamille.

—Tuasditouiaumoins?

—Pastoutdesuite.J’avaispromisàmonpère…

—Maisc’estAspenmavieille.Toutlemondetueraitpourêtreàtaplace!

—J’aifinipardireoui,maisiladitdestrucsbizarres.Jenesaispas,j’ail’impressionqu’ilmecachedeschoses.Cesparoles,c’étaitétrange.Jesaisquetusaisdeschoses,sic’estimportant,tudoismeledire.

Jelasuppliedemonregarddechienbattu.

—Nemeregardepascommeça,meprévient-elle.

—Mia,tuesmameilleureamie.TunepeuxpasmecacherdeschosesquiconcernentSimon.Tum’asditqu’ilavaitunsecret.Jeveuxsavoirdequoiilretourneexactement.

Lasonnerieretentit,maisjevoisbienqueMiaal’airembarrasséparmaquestion.

—J’aiditçapourt’enquiquineretçan’apasmarchéparcequetuasquandmêmefaitl’erreurdesortiravec lui. Iln’apasd’autresecretqued’êtreuncoureurde jupons, relaxemabelle.Jedoisyaller,dit-elleavantdesefondredanslamasse.

—Mia!

Mais avec ce brouhaha, elle ne peut plus m’entendre. Je ne suis pas convaincue. Elle ment.Pourquoimentirmaintenant?

Simon

Jenem’attendaispasàtombersurMiaàlasortiedemonderniercoursdelajournée.

—Ilfautqu’onparle,annonce-t-elle.

Quelquechoselatracasse.

—C’estàproposdeSaraettusaisquoi,dit-elle.Tudoistoutluidire…

Je la traîne par le bras jusqu’aux toilettes des hommes. Je n’ai pas envie qu’on écoute notreconversationoupirequeSaranoussurprenne.Celaneferaqu’attisersessoupçons.

Laporteserefermederrièrenous.Touteslescabinessontouvertes.Onestseuls.

—Qu’est-cequeçaveutdire?

—Saram’aposédesquestionssurtoi…Ellesedoutedequelquechose.Jenepeuxpascontinueràluimentir!

Jeluisaisislebrasbrutalement.Miaaunmouvementderecul.Jeluifaispeur.C’estpasplusmal,commeçaellecomprendquejesuissérieux.

—Écoute-moi.Tunevasrienluidire.Jetel’interdis,cen’estpasàtoidelefaire!

—Alors,fais-le!Soisunhommeetcomporte-toientantquetel,metient-elletête.

—Cen’estpasàtoidemedirecequejedoisfaire.Resteendehorsdeça!Çaneteregardepas.

—C’estmameilleureamie!proteste-t-elle.

—Peuimporte,c’estentreelleetmoi.

—Dequoias-tusipeur?Qu’elletefuie,qu’elletetourneledos?C’estimpossible…

—Regardecequis’estpassél’annéedernière.

—Quoi?C’estçataraison?C’esttoiquiasrejetéSydney,tunel’aimaispas!

—Non,maisjeluiaibrisélecœur.JeneveuxpasqueçaarriveavecSara.Jeneveuxpasvoirlamêmesouffrancedanssesyeux.Jeneveuxpasqu’ellepensepouvoirmesauver.Ellen’apasbesoindesavoirpourlemoment,ellel’apprendrabienasseztôt!Laisse-nousaumoinscesquelquesjoursderépit.Ellemerendheureux,tucomprends?Avecelle,jenepenseplusaupassé,auxproblèmes!J’aibesoind’elle.Situluidis,ellevasouffrir!Ellevaforcéments’acharneràtrouverdessolutionsquin’existentpas.Jen’aipasenviequ’onpassenosjournéesàsedisputer.

—Jetelaissejusqu’àfinjanvier.Ensuite,situneluidispas,jeleferais!

Miaestsérieuse,c’estunultimatum.J’imaginequec’estàprendreouàlaisser.Jemerésigne.

—Marchéconclu.

—Faisensortequejen’aiepasàleregretter.

Etellepousselaportedestoilettesmelaissantseulavecmesdémons.Çanouslaissetoutdemêmeplusd’unmois,c’estdéjàça.Unmoisdesursis,c’esttoujoursmieuxquerien.

ChapitreDix:Aspen

Sara

Le grand départ est pour demain alors jem’active, je triemes affaires en emportant le plus devêtementschaudspossible.Simon,lui,m’observeallongésurmonlit.Jecontemplemavalise.Ilmesemble ne rien avoir oublié. Je repasse mentalement la liste de toutes les affaires que je doisemporter,mais je nevois rienqui puissemanquer à l’appel.CelledeSimonest certainementdéjàprête.JesupposequeMadameHarpers’encharge.Demoncôté,ilnemeresteplusqu’àparveniràfermer la mienne. Tâche qui s’annonce à vue d’œil plus compliquée que je ne l’aurais cru, carlorsquejerabatslehautdelavaliseettentedefaireglisserlafermetureéclair,jecomprendsvitequecela va exiger beaucoup de patience dema part. Je retire quelques piles de vêtements, en déplaced’autresafinqueplusriennedépasse.Simonsemoquedemoi.

—Tuveuxmonavis?demande-t-il.

—Non,jevaism’enpasser,grogné-jedépitée.

—Tudevraisprendreunesecondevalise.

—Jen’enaipasd’autres.

—Mamèreenadestas.Jet’enrapporteunesituveux.

—Horsdequestion!Cettevalisevasefermer.J’enfaisuneaffairepersonnelle,dis-je,entêtée.

Dansuneultimetentativestupidedeleconvaincrequecelarestetoutàfaitpossible,jem’assoissurla valise etme contorsionne pour atteindre la fermeture éclair. Je parviens à la faire coulisser dequelquescentimètres,maisjefinisparavoiratrocementmalauxdoigtsalorsquejen’aiferméqu’uncôté.Fichuevalise!

Simonprendpitiéetselèvedemonlit.Ilmetendsamainetjel’accepte.Jeprendsappuisurcelle-cipourmerelever.

— Je t’apporterai ce soir une seconde valise. Cela dit, j’adore quand tu t’obstines. Ça te rendincroyablementsexy,unesortedeLaraCroft.Regarde.

Ilmetendsonportable.Jeregardel’écran.Jelefrappeàl’épaule.Aulieudemevenirenaide,ilnetrouveriend’autreàfairequedemeprendreenphoto.C’estvraiquej’ail’airunpeudinguesurcettephoto,assisesurmavaliseentraindemedébattreaveclafermetureéclair.Ilchuchoteaucreuxdemonoreille:

—Tun’espaslaseuleàavoirungoûtprononcépourlaphotographie,etj’adorecelle-ci.

Jeluipardonneaisémentconquiseparlespetitsbaisersqu’ilfaitdescendredemonoreillejusqu’àmon épaule. Je le laisse me repousser sur mon lit et m’affale bruyamment sur le matelas. Il merelâcheets’allongeàcôtédemoi,toutenmetenantfermementcontrelui.Jemesensbien,apaisée.Sonnezenfouidansmescheveux,jepeuxsentirsonsoufflechatouillermanuque.Sonnezfourragedansmescheveux,lesécartejusqu’àatteindrelapeaudemoncouqu’ilmordille.Jesursauteetmeretournepourluifaireface.Ilm’embrasse,meregardedroitdanslesyeuxpuisposeunemainsurmajoue,lacaresse.

—Tunesaispasàquelpointj’aihâted’êtreàdemain.

Je lui souris. Si je le sais. Parce que c’est écrit dans ses yeux. Comment pourrais-je après çaregretter ma décision quand il me regarde de cette manière-là, comme la huitième merveille dumonde?Maintenantquejeluiaiouvertmoncœur,j’ailesentimentquejesuisprisonnièredemonintuition, et celle-cime dit de le suivre quoiqu’ilm’en coûte. C’est justement ce que je vais fairedemain.Maintenant, j’ai l’impressiond’avoir pris la seule décisionqui s’imposait. J’ai autant hâtequeluid’êtreenfinaulendemainsansdirequem’éloignerdemamèremeserasalutaire,carjenesupporte plus la tension permanente qui règne entre nous. Ça devient insupportable. Je crois quel’éloignementnepeutquenousêtrebénéfiqueàl’unecommeàl’autre.Ellenesautetoujourspasdejoieàl’idéedemondépart,maisàlaveilledecelui-ci,elles’estfaituneraison,etnetentemêmeplusdem’endissuader.

—Jet’aime.

Il sourit et m’embrasse. Je résiste à l’envie de prendre son téléphone portable pour nousimmortaliser,lovésl’uncontrel’autresurmonlitparcequejeréalisequelesmeilleursinstants,ilnesertàriendelescapturer:ilfautlesvivre.Detoutemanière,ilsresterontàjamaisgravésdansmamémoire.Jen’airienoublié,chaquemoment,depuiscebaisersurlaplage.C’estcommeunfilmquineseterminejamais.

Mamanfrappeàlaporteetentredanslafoulée.Ellesemordlalèvre.Notreproximiténeluiplaîtguère.Ellenousdévisageavantdeprendrelaparole.

—JemedemandaissiSimonvoulaitresterdînercesoiravecnous.

Leconcernéécarquillelesyeuxaussisurprisquemoi.Detouteévidence,mamanveutmeprouverqu’elleestprêteàfairedesefforts.

Simonseredresseetacquiescepoliment.

—CeseraavecplaisirMadame.

—Appelle-moiGrace.Trèsbien,danscecas,jevaisfinirdepréparerledîner.Jevousappelleraiquandceseraprêt,dit-elle.

—Oh,ilfautjustequejefasseunsautchezmoipourrécupérerunevalisepourSara.Jen’enaipaspourlongtemps.Jeserairevenuavantledîner,annonce-t-il.

Simonselève,m’embrasselefrontetfilecommel’éclair.Mamanenprofitepourvenirs’asseoiràcôté demoi. Jeme sens obligée de la remercier. Elle a fait un pas en avant. Je crois que pour leprincipe,jedoisenfaireunégalement.

—Mercidel’avoirinvité.

—Cen’estrien.C’estnotrederniersoir.Jenevaispasterevoiravantquinzejours.Jemesuisditqueceseraitbienqu’onpasseunesoiréetousensemble.

Mamèrebaisse lesyeuxet regardesesmains.Elle inspectesesongles.J’ai l’impressionqu’elleveutmedirequelquechose,maisquecelanesortpas. Jemerelèveetpasseunbrasautourdesesépaules.Sesyeuxcroisentalorslesmiens.Jeluisouristimidement.C’estlepremiersourirequejeluiadressedepuisqu’ellem’agiflée.Onestcertainementsurlabonnevoie.

—Quinze jours,çapassevite !Etpuis tun’espas touteseule,Phil sera là.Toiaussi, tuvasmemanquer.

Ellemerendmonsourire,puisfroncelessourcils.

—Neprendpastropderisquesurlespistes.

—Net’iqnuiètepasjeferaiattention.

—Jevoudraisterécupérerenunseulmorceau.Jet’aimemachérie,nel’oubliepas.

Elle dépose un baiser surmon front et s’en va. Alors qu’elle est sur le seuil de la porte, je laretiens.

—Maman!

Elleseretourne.

—Moiaussijet’aime.

Un grand sourire fend son visage. La hache de guerre semble enfin enterrée. Je n’aspire qu’àretrouverdebonnesrelationsavecmamère.

PendantqueSimonn’estpaslà,j’enprofitepourôterunepiled’affairesdemavalisequejeposesur le lit afin de la fermer.Le reste ira dans le bagagequ’il vabientôtme rapporter. Je reçois unmessagedeMiaquimesouhaitedebonnesvacances.Jeluiretournelapareille,etluifaispromettredeme tenir au courant desmoindres potins enmon absence.Mia est verte de jalousie.Elle répètequ’elle tuerait pour aller à Aspen et passer ensuite une semaine à New York. Aucun doute, lesvacancesnevontpasêtredetoutrepos,maisj’aiquandmêmeplaisiràrevoirmafamille.Ilsm’ontmanqué.Anna, pourmepunir de raterNoël en famille ne cessedem’envoyerdesphotosdemoncadeauhabilementdissimulésousdupapierrouge.Unevraiepeste.

Ledîneresttrèscalme.PhiletSimondiscutentsportetmamèrenefaitpreuved’aucunsarcasmenid’allusiongênanteenversSimon.C’est certainement lamagiedeNoëlqui commenceàopérer.Cen’estquedanscinqjours,maisceseravitelà.

Lorsquelerepastoucheàsafin,j’accompagneSimonjusqu’àsavoiture.Ilainsistépourprendremes valises afin de les charger demain matin dans la voiture familiale. Malgré ses bonnesrésolutions,mamèrea refuséque j’ailledormirchez lesHarpermêmesicelam’auraitpermisdegrappillerquelquesminutesde sommeil enplus.Philmedéposerademainmatinauxauroreschezeux,ensuite,directionl’aéroportdeSanFrancisco.Lanuitvaêtrecourte.

Simon

Ça faitdéjàdeuxheuresquenoussommesdanscetavion.Lespremièresheures,nous lesavonsoccupéesàjoueràdiversjeuxdecartesavantqueSaranesombre.Elledortpaisiblement,levisageapaisé,unemèchedecheveuxluibarrelevisage.Jemepenchepourlareplacerdélicatementderrièresonoreilleeteffleuresajoueaupassage.Elleremuesursonsiège,maisn’ouvrepaslesyeux.

—Tuesvraimentamoureux,jemetrompe?

Zoén’estrevenuequedepuishier,maisvoilàqu’ellen’arienoubliédesonpasse-tempsfavori,àsavoirfouinerdanslaviedesautres.

Ma sœur est assise près du hublot, moi au milieu et Sara a préféré le siège côté couloir.Vraisemblablement,l’avionn’estpassonmoyendetransportpréféré,raisonpourlaquellesonsacàmainestbourrédedécontractant.Elleenaprisunenmontantdans l’avion. J’imaginequec’est laraisondesonassoupissement.

Nosparentssontjustesderrièrenous.Monpèrealenezplongédanssonjournaletmamèredanssoncahierdemotscroisés.Aucunechancepourquemonpères’intéresseànotreconversation.Enrevanche,jen’endiraispasautantdemamère,dequiZoéahéritésoncôtéinquisitrice.

Zoé est plus âgéequemoi dedeux ans, etmême si nousn’avonsquepeud’écart d’âge, elle secomporte toujours comme une seconde maman. Elle ne peut pas s’empêcher de s’inquiéter. EllepoursuitsesétudesàlafacdeSanFrancisco,cequinel’empêchepasderevenirrégulièrementpasserlesweek-endsàlamaison.Toutçapourmoi.

—Jelesuis,admets-je.

—Jesuiscontentepourtoi.Elleal’airfantastique.

—Ellel’est.

Masœurs’approchedemoietchuchotepourplusdediscrétion:

—J’imaginequeMamann’apasdusauterdejoie.

—Non.Maisjeneluiaipaslaissélechoix.

—Commed’habitude.Maisellen’apastort,tusais…

—Jen’aipasenviedeparlerdeçamaintenant.Cen’estpaslelieu,lacoupé-je.

Sara dort, mais je ne veux pas prendre le risque qu’elle se réveille en plein milieu de notreconversation.

—Jedisçapourtonbien.Tusaisquemamanaraison.Ilfaudraquetuleluidises.Passeulementparce que tu nous obliges à couvrir tes mensonges, mais pour elle, parce qu’elle a l’air desincèrementteniràtoi.Enfin,çasauteauxyeuxSimon!Elleestamoureuse.Quoiquetufasses,d’unemanièreoud’uneautre,çal’affectera.

—Tucroisquejenelesaispas?m’emporté-je.

Zoédétourneleregardcommechaquefoisqu’ellefuitlesdisputes.Elledétestequandletonmonte.Ellecontempleuninstantlesnuagesàtraverslehublotavantdereveniràlacharge.

—Cequejevoulaisdire,c’estque…Non,laissetomber.

—Jesaiscequetuveuxdire,maisjenesuispasprêt.

—Moi,jecroisquetuaspeur.

—Qu’est-cequetuconnaisvraimentàlapeur?Tupassestontempsàécumerlesfêtesétudiantesetàchangerdepetitcopaincommedechemise!laprovoqué-je.

Masœurmedéfieduregard,l’airblessé.

—Tuesinjuste.Iln’yapasuninstantoùjen’aipaspeurpourtoi.

Sonregardestsincère,sesyeuxrendusbrillantsparl’émotionquil’étreintsoudainement.Parfoisjem’en veux deme comporter comme un connard, parce que j’oublie trop souvent les gens quej’aime. Je ne me concentre que sur mes soucis en oubliant que ma famille est la première à lespartager.C’estunedemesvieilleshabitudes.Zoén’apaseulavierose.Sonenfanceàpeudechoseprèsaétélamêmequelamienne,toujourslesmêmesgalères.Etjesaisquequelquepart,elles’enveut,card’unecertainemanière,elleaeulachancequejen’aiepaseue.C’estaussicequinousaunisdurant notre enfance. Nous sommes très proches l’un de l’autre, et je n’arrive toujours pas àcomprendre pourquoi elle ne fait que s’enticher d’abrutis qui ne laméritent pas. Jeme sens fautifparcequej’ail’impressionquec’estàcausedemoisiellenesesentpasledroitd’êtreheureuse.

Pourm’excuser,jemepencheverselleetluiembrassetendrementlefront.Zoéfermelesyeux.

—Jesuisdésolé.N’enparlonsplus,tuveux?

Ellehochelatête.L’affaireestloind’êtredanslesac,maisnoussommesdanscetavionpournousdétendre,paspourressassernosdifférends.Lavieesttropcourtepourlagaspillerenfutilité.Jeposemamainsurcelledemasœurdansl’espoirdelaréconforteretellemegratified’unsourire.

Zoéestuncadeautombéduciel.Jenesaispascequejeferaissanselle.Elleauraitpourtanttouteslesraisonsdemedétester.Quelquepartjeluiaigâchésonenfance.J’aiaccaparénosparentsetelleseretrouvaitbiensouventdans l’ombre.Pourtant, jamaisellen’amontrésignede jalousie,de ras-le-bol. Elle était toujours présente quand il le fallait pour me soutenir.Mais je sais qu’elle a autantsouffertquemoide la situation. Je l’ai surprisebonnombrede foisàpleurercachédansuncoin,maisjen’aijamaiseulecouragedeleluidire.Jenesuispasdupe.Depuisqu’elleaintégrélafac,jenemefaisplusdesoucispourelle.Jesaisqu’elleestplusheureuse.Là-bas,elleaenfindequoisechanger les idées. Elle semble plus épanouie et maman lui accorde enfin toute l’attention qu’elle

mérite.Ilafallutoutdemêmequ’ellequittelamaisonpourquenotremèreprenneconsciencequ’ellen’avaitpasqu’unfilsàgérer.MesparentsappellentZoétouslesjours.Ainsi,depuislafac,masœurapresqueretrouvéunevienormale.

—Jet’aimeSimon,chuchote-t-elle.

—Jet’aimemoiaussi.Viensparici.

Zoéposesatêtesurmonépauleetjecaressesescheveux.Noussommesbien,blottisl’uncontrel’autre.Sarabougeetposesatêtesurmaseuleépauleencoredisponible.Jesuiscernéeparlesdeuxfemmes que j’estime le plus au monde. La troisième est derrière nous, mais je sais qu’elle nousobserve.

—Elleesttrèsjolie,faitobserverZoéenparlantdeSara.

—Jesais,maiscen’estpaspourcetteraisonquejel’aime.

—Alorsj’espèrequ’enfaisantsaconnaissancecettesemainej’apprendraiàl’aimerautantquetoi.

—J’ensuiscertain.Ilestimpossibledenepasl’aimer.

J’ajouteraique jeparleenconnaissancedecauseparceque j’ai tentéde résister,mais jepréfèregarderlesilence.C’estplussûr.Parcequemasœurvoudraensuiteconnaîtrelesmoindresdétailsdenotrerencontreetsurtoutdemeshésitations.Ellen’enperdrapasunemiette.Etjen’aipasenviedeperdremontempsàressassermeserreurs.Toutcequejeveux,c’estavancer.EncompagniedeSara,jefaistouslesjoursunpasenavant.

Sara

J’ail’impressiond’êtrecomplètementdanslesvapes.Jen’auraispasdûabuserdesanxiolytiques.Mais c’était plus fort que moi. J’ai une trouille bleue des avions. C’est certainement un effetsecondairedesattentatsdestoursjumelles.J’étaisgossequandc’estarrivé,maisjen’airienoubliédel’agitationetdelapsychosequirégnaitdurantcettepériodeàNewYork.Dèslors,chaquefoisquejemetsunpieddansunavion,jenepeuxm’empêcherdepenseraupire.Jesuisforcéed’admettrequemadernièreheuren’apasencoresonnéalorsquenousgrimponsSimon,sasœuretmoidansuntaxi.Zoénousaforcésàfairedesemplettesdanslesmagasinsdel’aéroport.Leursparentseuxn’ontpasvouluattendreetontpréféréprendreuntaxipourpréparerlechaletuneheureplustôt.

JesuisassisesurlesiègedumilieuetSimonmeserrelamain,leregardsoucieux.

—Tutesensbien?

Sijemesensbien?D’unecertainemanièreoui,parcequejeplaneàdixmille.Maisjegardemesobservationspourmoi.Simonal’airsincèrementinquiet.

—Oui, ça va. Je suis un peu dans le coaltar, l’effet des décontractants, mais ça devrait vite sedissiper.

Simongrimace.Ils’abaisseetsaisitmonsacpourfouillerdedans.

—Qu’est-cequetufais?

Ilrécupèremaboîtedecachetetjevoisrouge.Iln’apasledroitdefaireça!

—Rends-les-moi!luiordonné-je.

—Jetelesrendraiplustard.Tun’enaspasbesoin.

Jeluisautedessuspourtenterdelesrécupérer,maisildissimulesesmainsderrièresondos.J’ôtema ceinture et m’avachis littéralement sur lui, mais il est plus fort que moi. Le chauffeur nousregardedanslerétroviseurd’unœilmauvais.Siçacontinue,ilnevapastarderànouslaissersurleborddelaroute.

— Simon, arrête tes bêtises et rends-lui cette boîte ! vient en renfort Zoé qui conserve uneexpressionamusée.

Elleseretientderire.Moi,lesmanièresdesuperhérosdesonfrèrenemefontpasriredutout.J’insisteetparviensàluiattraperlepoignet,maislorsquejeletireversl’extérieur,ilouvrelesmainsetiln’yaplusdeboîte.

Ilestfierdelui.

—Oùl’as-tucachée?

—Sara,tun’enaspasbesoinpourlemoment,dit-il.

—Ducalmelesgosses!Remettrezvotreceinture,intervientleconducteur.

Jemerassoiscorrectementsurmonsiègeetattachemaceinture.Simon tentedeglissersamaindanslamienne,maisjel’écarte,contrariée.Ilessayeensuitedecaressermajoue,maisjedétournelevisage.Jecroismaintenantqu’ilacompris.

—Sara…

Jelefusilleduregard.

—Tun’enaspasbesoin,répète-t-il.

Sasœurnousobserve.

—Tuoubliesquejevaisdevoircohabiteravectamèredurantunesemaine.

Maintenant,c’estluiquimefusilleduregard.Zoééclatederire.

—Surcepoint-là,ellen’apastort.Mamanpeutsecomportercommeunevraiepeauvacheaveclesfillesquiosenttoucheràsonpetitchérid’amour,intervientcettedernière.

Jeluiadresseunsourirederemerciement,solidaritéféminineoblige.Jen’appréciepasbeaucoupsamère,mais jesensqu’avecsasœurceseradifférent. Je l’aimedéjà,pleined’humour,debonnehumeuretd’énergie.C’estunrayondesoleiletjebénislecielqu’ellepasselesvacancesavecnous.Avec elle, j’ai aumoins l’impression d’avoir une alliée pour faire le poids face à Simon et à laredoutableharpiequiluitientlieudemère.

—Onnet’apassonné,toi!luirépondsèchementSimon.

—OK,jevoulaisjusteaider.MaintenantsituasenviedetecomportercommeleplusparfaitdesabrutisetdepasserNoëlàtechamailler,grandbient’enfasse,déclare-t-ellenarquoisement.

Simonnerépondpas.Çasevoitqu’ilaimesasœur.

Le reste du trajet se passe dans le calme le plus complet. Les deux plus jeunesmembres de lafamilleHarperontlenezclouéàlafenêtre.L’extérieursemblelespassionner.Quantàmoi,tantqu’àfaire,j’enprofitepourenvoyeruntextoàmamèreetmonpèrepourleursignalerquejesuisarrivéesans encombre. Enfin façon de dire, car je ne sais pas encore à quelle sauce je m’apprête à êtremangée.

Simon

Jene saisplusquoidire. Je supposequec’est cequi sepassequandon secomporte commeunabruti. Sara n’a pas besoinde toutes ses drogues.Elle est plus forte qu’elle le croit. J’en fais tropcertainement,mais je ne peux pasm’empêcher de vouloir la protéger. Peut-être parce que c’est lapremièrefoisquejemesenscapabledetenircerôle.Zoé,elle,n’apasbesoindemonaide.Ellesedébrouille très bien toute seule. Et puis, c’est elle qui a toujours eu pour habitude de vouloirmeprotéger.Quantauxautresfillesquej’aipufréquenter,aucunen’avaiteuautantd’importanceàmesyeuxqueSaraena.

Letaxisegaredevantlechalet.Lanuitcommenceàtomber.Jedevinequec’estdéjàlebranle-basdecombatàl’intérieur.Mesparentssontdéjààl’œuvre.Lesalonestalluméetmamèreestentraindedonnerdesordresàlagouvernante.Unfiletdefumées’échappedelacheminéesignequ’unfeudeboiscrépitedéjà.

Jepaieletaxietnousrécupéronsnosvalisesdanslecoffre.AuregardémerveillédeSara,jediraisqu’elleestimpressionnée,etilyadequoi.Cechaletestmagnifique,entouréparlaneigeetsurtoutparunmuretenpierre.Nousmarchonssurlechemingoudronnéquimèneauchalet.Ilfaitunfroidde canard. Une chaleur bienveillante nous accueille lorsque nous poussons la porte d’entrée et larefermonsderrièrenous.

Nousnous essuyons lespieds sur le tapis.Nousn’avonspas le tempsde faireunmètrequemamèrenoustombedessus.

—Ah,vousêtesdéjàlàlesenfants!Voschambressontprêtes.SimonetZoé,vousavezlesdeuxpremièresaudébutducouloir,etSara,celletoutaufond.

Elle l’a fait exprès. Je ne vois pas d’autre explication. Simamère ne voulait pas paraître plusinhospitalière,elleabienchoisisonmoment.CommesinousdonnerdeuxchambresséparéesàmoietSaraallaitnousempêcherdepasserdutempsensemble.C’estpeineperdue.Jen’aipasencoreditmonderniermot.

—SaraprendralachambredeZoé,lâché-je.

Saraserremamain.Mamèrefulmineintérieurement,sepinceleslèvres.C’esttrèsmauvaissigne.Ellen’aimepasqu’onremetteencausesonautoritédevantdesétrangers.Etmalgrétousmesefforts,Sararesteencoreuneétrangèreàsesyeux.

—Çanemedérangepas,enchéritZoépourmesoutenir

Elleaussiasentilacolèreredoutableetimplacabledenotremèrepointerleboutdesonnez.

—Non.C’estencoremoiquicommandedanscettemaisonetvousvousentiendrezàcequiaétédécidé.C’estmoiquifixelesrèglesici,etdieum’engarde,jesuisencorechezmoi!

—Lesrèglesnesontpaslesmêmespourtoutlemonde,grogné-je.

Mamèreplisse le front.Cen’est peut-être pas lemoment de la provoquer,mais je nepeuxpasm’enempêcher.

—Cequiveutdire?

—Zoéacarrémentdormiavecsonénièmeboy-friendlasaisondernière,sicen’estpasfairedufavoritisme.

Masœurmetirelalangue.Elledétestequandjel’impliquedansnoshistoires,maissurcepointjen’aipastort.Toutlemondelesaiticisaufquemamèrerefusedelereconnaître.

—Parfois,çat’arrangebien,d’autresmoins,balanceZoé.

Jenerelèvepas.Mamèrenonplus.Çafaitlongtempsqu’ellen’accordeplusdecréditànospiquesjournalières.

—Zoéétaitmajeure,souligne-t-elleimperturbable.

—Jeleseraismoiaussiendébutd’année!

Lesjouesdemamèreseteintentderouge.Jel’aipriseàsonproprepiège.Monpèrefaitirruptiondansl’entrée.

—Qu’est-cequisepasseici?demande-t-il.

—Mamanadécidé…

Papalèvelamainpourm’interrompreetjesaisqu’ilesttempsdemetaire.Ilamoinsdepatiencequemamèrepourlesdisputesetlescaprices.Iln’estpasdugenreànousmaterner.Ilreprochesansarrêtànotremèresatropgrandeclémenceàl’égarddemesnombreusesfrasques.Alorsdèsqu’ellesemontreplusfroideavecmoi,ilsautesurl’occasionpourl’appuyer,parcequ’aufildutemps,mamère étant celle qui prend toutes les décisions dans cette famille, il a fini par se faire voler sonautorité.Entoutcas,ilsaitquesesremontrancesnonplusd’effetsurmoi.

—Jeneveuxriensavoir.Voschambressontprêtes,montezvosvalisesetdéballezvosaffaires.Ensuite,vousdescendrezdîner.Ildevraitêtreprêtdansuneheure.Noussommestousépuisésparlevoyage.Cesoirnousdîneronstôt.Allez!Qu’est-cequevousattendez?bougonne-t-il.

Mamère recule et l’enlace pour le remercier.Elle croit avoir gagné. Je préfère ne pas débattreinutilement.Onferacommeellel’entend.Dumoinsjusqu’àunecertaineheure.

Zoés’empressedegrimperlesescaliers.Mesparentss’embrassent.C’estécœurant,certainementparcequeçan’arrivepassouvent.

Saraprendsavaliseetmetireparlamainpourm’obligeràlasuivre.Jedétourneleregarddemesparentsetlaconsidèrealors.Toutcequejeveux,c’estpasserunpeudetempsseulàseuleavecelle.Elle sourit pour apaiser l’atmosphère et elle a raisonparceque çamarche. Je la dépasse, cours et

l’emportedanslesescaliers.

—Sanscourir!vocifèremamère.

Troptard,noussommesdéjàenhautdesmarches.LachambredeZoéestgrandeouverte,avecsesdeuxvalisesgéanteselleaintérêtàs’activersielleneveutpasypasserlanuit.Jefoncetoutauboutducouloir.C’est lapluspetitechambre,maisellerestecosy.Je l’ouvreetdéposeunbaisersur leslèvresdeSara.

—Jetelaisset’installer.Jevaisdéposermesaffairesdanslamienneetjesuistoutàtoi.

Saratiresurmonpullpourmereteniretbraquesesprunellessurlesmiennes.Chaquefoisqu’ellefaitça,j’ailasensationquejesuissurlepointdeperdrelatête.Cettefillemerendfou,complètementfoud’amourpourelle.

Sara

Mevoilàseuledanscettepetitepièceagréable.Elleestbercéeparlalumièreorangéeducoucherdesoleil.Jemesensàl’aiseici,seule.Cechaletestincroyable.Etlesalon,jen’enaieuqu’unaperçu,maisilestgigantesque.Unfeudeboiscrépitedéjàdansl’âtredelacheminée.J’imagineleshiversformidablesqueSimonavécusici,carc’estclairementl’endroitrêvépourpasserNoël.Jen’aipasl’habitude de lamontagne, je n’y suis allée que deux fois, et je ne suis pas douée pour les sportsd’hiver.TousmesNoëls, je lespassais àNewYork.MamèreetmoidéjeunionschezmonpèreetLacey. J’adorais cette journéeparceque c’était le jourde l’annéeoùmesparents étaient assis à lamêmetable,cequin’estpasprèsdesereproduiredansl’immédiatmaintenantqu’onvitàl’autreboutdupays.

AvecAnna,durantlesvacancesnouspassionstoujoursnosjournéesàarpenterlesruesdelavilleen compagnie de Josh parce queLacey nous obligeait à l’emmener avec nous.On se rendait à lapatinoireduRockfellerCenteretensuiteonbuvaitunchocolatchaudensepromenantdansCentralParkpourpapoter.Joshseplaignait tout le tempsdenosconversationsdébilesautourdesgarçons.Onfinissaitparluiacheterunefigurinededessinsanimésqu’ilaffectionnaittantpourqu’il joueetnousfichelapaix.

Jem’extirpe demes souvenirs etm’attaque enfin àmes valises. Je dépose pantalon et pull-overdanslaseulearmoiredecettechambre, justeenfacedulit.J’aipresquefinimonrangementquandSimonfaitànouveauirruption.Ilafaitvite.Ilsehâtedemerejoindreetpassesesbrasautourdemataillepourm’enlacer,puismebaiselecou.

—Toutvacommetuveux?

Jeposeledernierpullquej’aidanslesmainsau-dessusdesautrespuisfaisvolte-face.

—Maintenantquetueslà,oui.

Etjel’embrasseavecfougue.Jenemerendsmêmepascomptequejesuisentraindelerepousserjusqu’àcequ’ils’affalesurlecouvre-lit.

Jeris.

Ilmetendlesbrasetjem’allongesurluipourprolongernotrebaiserquiduredelonguesminutes.Ilmerepousseets’allongesurmoi,croisesesdoigtsaveclesmiensetlèvemesmainsau-dessusdematête.Sesyeuxmescrutentlorsqu’ilécarteseslèvresdesmiennes.Ilfrôlemonnezaveclesienets’enamuse.Sonregardseporteensuitesurmonpoignetqu’ilsaisi.Puisilembrassesensuellementmontatouageavantderevenirversmeslèvrespendantquesesdoigtsfroidsremontentdansmondospourmecaresser.Jenesaispascequenoussommesvraimententraindefaire,maisjen’aipasenviequecelas’arrête.Jel’imiteet,tremblante,posemamainsurlachutedesesreins.Sapeauestchaude.Jecontinuemonexplorationetglissemamainjusqu’àsesomoplates.Simonesttoutenmuscle.Nos

attouchements font monter la tension. Je glisse ma main sur ses fesses lorsqu’un toc-toc timiderésonnedans lachambre.Simonstoppe tout immédiatementet relève la tête.Sasœurnousregardeavecdesyeuxronds.Ellen’aprobablementjamaisvusonfrèredanscetteposition.Elleparaîtgênée.

Simonestencolère.Ilneresteplusriendelatensionquinoushabitait.Ilestmaintenantaussifroidqu’uniceberg.

—Dégage!

—Laporteétaitouverte…Jenevoulaispasvousespionner,bredouilleZoé.

—Dehors!hurledenouveausonfrère.

Simon se redresse puis se lève pour se diriger vers sa sœur. J’en profite pour repositionnercorrectementmonpulletcacherainsimonventredénudé.

—Sors!

SimonrepousseZoéetclaquelaporte.Ilpasselamaindanssescheveuxl’airdéboussolé.

—J’étaisjustevenuevousdirequ’onvousattendaitpourdîner,sejustifieZoéderrièrelaporte.

Puislebruitdesespassefaitentendredanslecouloir.Jemelève.Mieuxvaudraitéviterdefaireattendre Madame Harper. Elle m’a déjà dans le collimateur. Je serais idiote de lui donner desmunitions sans ajouter qu’il serait indélicat de faire mauvaise figure dès le premier jour. Lacohabitationaveclamatriarches’annoncedéjàdifficile.

Jem’approchedeSimonetluidonneunbisousurlajoue.

—Allez,nefaitpaslatêtedemule!Cen’estquepartieremise,luisusurré-jeaucreuxdel’oreille.

Jeprendssamainpourl’extrairedesaléthargieetilmesuitsansbroncher.Ilesttoujoursd’aussimauvaisehumeur lorsquenousprenonsplace autourde la tablede la salle àmanger.Personneneparle.Onpeutpresqueentendrelesbruitsdemastication.MadameHarperm’observe.Zoéévitenosregards. Simon broie toujours du noir et le patriarche lui est trop occupé à lireThe Financial enmême temps qu’il mange pour nous accorder un peu d’attention. Le dîner se résume donc à uneconversationsilencieuseentremoietlamèredeSimon,enfinjusqu’àcequejesursautedemonsiègelorsquejesensqu’onmegriffelegenou.

Unbergerallemandsortdesouslatable.

—C’estJasper,lechiendeLouise,lagouvernante,préciseZoé.

Cettedernièrearrive justeaumêmemomentpour récupérer lesassiettes.Ellesaisit l’animalparsoncollierpouréviterqu’ilnousimportune.

—Jecroisqu’ilt’appréciedéjà,souffleSimon.

—J’espèrequevousn’êtespasallergiqueaupoildechien?demandeMadameHarpercommesi

elles’ensouciaitvraiment.

Jesuispresquecertainequ’ellesauteraitdejoiesijerépondaisparl’affirmative.

—Non,j’adorelesanimaux.

—Vousm’envoyezravie.

Simonglissesamainsurmongenouet leserreavecforce.Je tournemonregardvers luiet luisourit.Lecalmerevientaussivitequ’ils’étaitdissipéetpersonnen’ouvrelaboucheavantledessert.C’estlepèredeSimonquibriselesilence.

Ilrepliesonjournal,leposesurlemeublederrièrelui.

—Unpetitpoker,lesenfants?

SimonetZoén’ontpasl’airemballéplusqueça,maisj’imaginequecelafaitpartiedelatraditionfamilialeetqu’ilsn’osentpasrefusercet instantàleurpère.C’estainsiqu’aprèslerepasalorsqueLouisedébarrassenosassiettes,nousnousretrouvonstousassisautourdelapetitetabledusalon,toutprèsde la cheminée, enveloppéepar sachaleurétouffante. Jepourraismêmem’allongerdevant lacheminéetoutcommeJasperquisembleprofondémentendormi.SimonetmoisommesassissurletapisalorsqueZoéestassisesurlefauteuiletsesparents,justeenfacedenous,surlecanapé.

MadameHarpernejouepas,ellebouquine.Zoéestentraindenousplumer.Moij’aiperdudèslespremiers tours.Les jeuxde cartesne sont pas faits pourmoi. Jen’en ai pas la patience.MonsieurHarpermequestionnesurmavieàNewYorketjeluidonnelesréponseshabituelles,cellesquetoutlemondeconnaîtdéjà,àsavoirquemesparentssontdivorcésmaintenant,tousdeuxremariés,etquej’ai suivimamère lorsquePhilmonbeaupèreaétémutéàSantaCruz. Ilmequestionne surmonintégration à Monterey, et je ne peux qu’affirmer m’y sentir bien. Monsieur Harper semble êtrequelqu’und’observateur,etde très réfléchi. Ilnesepassepasunesecondesansqu’ilnousobservesonfilsetmoi.Çanem’étonnemêmepasqu’iltravailledanslafinance.Ilenaleprofil.

Jecommenceàêtreépuiséemalgrémoietbâille.Simonpassesonbrasderrièremesépaulesetjem’allongecontrelui.Cegesteneplaitpasàsamèrequilèvelesyeuxduromanqu’ellelitpourneriencacherdesonagacement.MaisSimonn’enaquefaire.Sonétreintemêmes’affermitetjeposematêtecontresonépaule.Ilsentbon,j’adorelaflagrancemusquéeetboiséequ’ilporte.Sonodeurestrassurante,apaisante.

Simonestentraindeperdre.Saréservedejetons’estconsidérablementamoindrieetlorsqu’ilfaittapisavecunroietuntrois,jesoupçonnequ’ilnelefaitquepourabrégerlapartie.Çafaitplusd’uneheureetdemiequ’elleacommencé.

Sans surprise, il perd.Zoéempoche lepactoleet exprime sa joieennarguant son frèreàgrandrenfortd’œilladesamusées.

Simonmemasselanuqueetjefermelesyeux.Jenevaispastarderàsombrer.J’aidéjàdumalàgardermespaupièresouvertes.

—Nous,onvasecoucher,annonce-t-il.

Ilm’aideàmerelever.

—Déjà?Vousnevoulezpasattendrepourunsecondroundhistoiredeprendrevotrerevanche?demandesonpère.

—Non,levoyagenousafatigués.

—Tupeuxrestersituveux,chuhcoté-jeàSimon.

Maisilignoremesparoles.

—Jesuisfatigué.J’aibesoind’unebonnenuitdesommeil.Bonnenuittoutlemonde,dit-il.

MadameHarperposesonromansurlatablebasse.

—Tuesmalademonchéri?

—Justeunpeudefatigue.Onsevoitdemain.

Ilmepousseverslasortiedusalonetjesouhaiteunebonnesoiréeàtoutelafamille,soulagéedepouvoirenfinregagnerunbonlitchaud.

— Le poker est un jeu qui exige beaucoup de persévérance Sara. Vous vous améliorerezcertainementd’icilafindelasemaine,soulignesonpère.

—Jel’espère.

Surcesderniersmots,nousgagnonsl’étagesupérieur.Jasper,lebergerallemand,noussuit.Jenesais pas ce que ce chien a,mais il semble être en adoration devant Simon. Il le suit partout.Nousmarchonsjusqu’aufondducouloiretnousarrêtonsjustedevantmaporte.Simonm’embrassepourmesouhaiterbonnenuitpuisprendmonvisageencoupeentresesdeuxmains

—Nefermepastaporteàclé,jeterejoindraiàminuit.

—Tamèrenevapasapprécier.

—Àminuit,c’estlecouvre-feu.Commed’habitude,elleferasapetiteinspectionavantd’allersecoucher.Elle ne se réveille pas avant six heures dumatin, je la connais suffisamment pour savoirqu’ellen’yverraquedufeu.Leurchambreestaudeuxièmeétage.Aucunrisque.

—Alorsjet’attendrai,dis-je.

Il dépose un doux baiser à l’angle de mon cou et s’en va à contrecœur. Je l’observe de dosregagnersachambreetlorsqu’ilouvresaporte,ilsedétournepourcroisermonregard.Delamain,jeluienvoieunbaiserpuismedécideenfinàentrerseuledansmachambre.Jefermelaporte,enfilemonpyjamaàlahâtepuissoulèvelescouverturesdulitpourm’yglisser.Jenesuispascertainederesteréveillée jusqu’à l’arrivéedeSimon. Ilestpresquevingt-troisheures. Ilmeresteuneheureàattendre.

J’allumelalampedechevetsurlatablebasseetdécidedelireunpeu.J’airemarquétoutenbasdel’armoirequelquesvieuxromans.Jeprendslepremier:«LeshautsdeHurlevent».Jem’yattèleavecl’espoirderesteréveilléesuffisammentlongtempspourprofiterdesaprésenceàmescôtés.

Simon

J’attendssagementcommechaquesoirlavisitenocturnedemamèrequis’assurequetoutvabien.Elleentrebâillelaportepourypasserlatête.Jerespirefort,demanièrerégulièreetlentepourlaisserpenserquejedors.Lapièceestdéjàplongéedanslenoir.Jetourneledosàlaporte,allongésousunetonnedecouverturesbienépaisses.Ellerefermelaporteavecprécautionpensantcertainementquejemesuisassoupiet jetendsl’oreillepourcompterchaquepasquilamèneàsachambre.Jepatienteencore une dizaine de minutes avant de m’extraire du lit. Sur la pointe des pieds, je traverse machambreaidéede la lumièrede l’écrandemon téléphoneet sanssurprise, je trouveJaspercouchédevantlaporte.

Ilselève,melanceunregardétonnéetcommenceàgrogner.

—Chut…Jasper…

Ilmereconnaît,approchesatêtesousmamainpourquejelecaresse,cequejemehâtedefairetoutenlerepoussantsuffisammentpourfermerlaportederrièremoi.

—Restelà,nebougepas.

Mais ses griffes se font entendre à mesure que le parquet grince sous mes pas. Je ne sais paspourquoicechiens’évertueàmesuivrecommemonombre.Chaquenuit lorsquenouspassonslesvacancesici ilmontelagardedevantmachambre.Mamèreditqueleschiensontunsixièmesens.Jasperveillesurmoi.Jedétesteça.Maisjenepeuxpasenvouloiràcettebravebête.Heureusementpourmoi,mafamillealesommeillourd.Lalumièred’unelampedechevetfiltreendessousdelaportedechambredeSara.J’aibonespoirqu’ellem’attende.Doucement,j’ouvrelaporte.Jaspers’estdéjàcouchédevant.

—Bonnenuit,monpote.

Ilpousseunpetitgémissementplaintifpourtouteréponse.Jemedétourneetm’approchedulit.Jem’arrête avant d’atteindre le lit parce queSara a l’air d’un ange.Elle s’est endormie, l’édredon àmoitiéremontésursonventreetunromanouvertsursapoitrinequisesoulèvelentemententredeuxinspirations. Samain gauche est posée sur la couverture du roman. J’imagine qu’elle a lutté pourm’attendre,maisquelafatigueafiniparl’emporter.

Jefaisletourdulit,lèvedoucementsamaingaucheenl’airpourrécupérerleromanpuisleposesurlatabledechevet.Jesoulèvelacouettejusqu’àsonmentonpourbienlecouvrir.Elleremue,maisn’ouvrepaslesyeux.Ellemurmuremonprénom.Sait-ellequejesuisiciousonge-t-elleàmoi?Jenesaispasetjem’enmoqueparcequelespectacleenvautlapeine.Jeluiembrasselefrontetlaissemeslèvress’attarderquelquessecondessursapeau.Jeluicaresselajoue.Jen’arrivepasàcroireàcequim’arrive, à ceque je ressens. Jenepensaispasqu’onpuisseaimeraussi intensément. Jenepensaispasqu’unjourquelqu’unmedonneraitautantenviedevivrequeSara.Pourvivre,ilfautdu

soleil,del’eau,desvivresetsurtoutdel’oxygène.Saraestl’oxygènequ’ilmemanque.

Lalumièredelalampedechevetéclaireunepartiedesonvisage.Sescheveuxsontéparpilléssurl’oreiller.Jedégageunemèchederrièresonoreilleetdévoileunpetitgraindebeautésursajoue.Jenel’avaispasencoreremarquéavantcesoir.C’estçaquej’aimeavecSara,ellemesurprendtouslesjours.Jevaisdedécouverteendécouverteavecelle.Jemesensl’âmed’unaventurierquandjesuisensaprésence.Ellemedonneenviedemebattre,deneplusfoncertêtebaissée,maisd’anticiper,devoirle verre àmoitié plein plutôt qu’àmoitié vide. Elleme donne envie de croire qu’il y a peut-êtrequelquechosedebondanscemonde.Quelquechosedebonenmoiquimérited’êtresauvé.Ellemefaitmerendrecomptequemeschoixn’ontpastoujoursétélesmeilleurs.Ellenemedonnepasenviede changer, d’être quelqu’un d’autre. Elle me donne simplement la force de ne plus me cacherderrièrecequejenesuispas.Avecelle,jepeuxtomberlemasque,jesuisànu,maispaspourautantvulnérable. Parce que je n’ai plus peur. Quand j’ouvre les yeux et que je m’attarde à mémoriserchaqueexpressiondesonvisage,àimprimerdansmamémoirechacundesessourires,chacunedesesgrimaces,jemesenscommeunconquistadorenpleinecitéd’or.Excité,impressionné,heureux,maissurtoutincroyablementchanceux.Sara,c’est lachancequejen’ai jamaiseuedefairequelquechosedebiendansmavie.Quiauraitcruqu’un jour jepourraispenseravoirde lachance?C’estincroyable,mais c’est à lamesure de la fille extraordinaire qu’elle est.Belle, joyeuse, fougueuse,timide,pleinedevie,intelligente,sensible,passionnée.

Jem’éloigneetouvre leplacardenfacedulitparcequeje laconnaissuffisammentpoursavoirqu’elleyauratrouvéunebonneplacepourrangersonappareil.

Sans surprise, je mets la main dessus. Je me souviens de ses fossettes au coin de sa bouchelorsqu’elles’estmoquéedemoiladernièrefoisquejeluiaiempruntésonNikonparcequej’avaisoubliéd’enleverlecache.Jeneferaispasdeuxfoislamêmeerreur.J’allumel’appareilpuiszoomepourprendreunephoto.Saraesthabituéeà immortaliser tout lemonde, ilest tempsquequelqu’und’autrelefasseparcequ’ellemériteplusquequiconquedelaisserunetracedesonpassagesurcetteterreetsurtoutdecettepremièrenuitquenouspasseronsensemble.

Leflashcrépite.Jereposel’appareil,medirigedel’autrecôtédulit.Jeporteunbasdepantalonnoiretuntee-shirtblancquej’ôteparcequej’aitoujourseupourhabitudededormirtorsenu.Jemeglissesouslesdraps,laissemamémoireencoreuneminutesesouvenirduvisageapaisédeSaraettend un bras par-dessus elle pour éteindre la lampe de chevet. Puis jem’allonge sur le dos. Sararemue.Ellesetourneetcollesonvisagecontremontorse.Surpris,jen’oseplusbouger,écoutantlebruitrégulierdesonsouffle.Quandellepasseunejambepar-dessuslamienne,j’immiscemonbrasdroitderrièresondospourlaserrerdavantagecontremoi.Jecalemonmentonsurlesommetdesatêteettentedetrouvermoiaussilesommeil.

J’aimaintenantlasensationd’avoiraccomplileplusbeaurêvequisoit.Leseulquivaillelapeinedeprendretouslesrisques.

ChapitreOnze:Quelquechoseàcacher

Sara

JepensaisquedurantcettesemaineSimonetmoipasserionsleplusclairdenotretempsensemble.Maislaréalitéesttoutautre.Simonneskiepas,ilsurfeetMadameHarpermetunpointd’honneuràcequ’ils’exercedanscettedisciplineencompagniedetoussescopainsdevacances.LesparentsdeSimon, eux, ne skient pas. Ils passent la plus grande partie de leur temps à se promener dans lesenvirons,àserendreaucountryclub.Pourmapart,lasœurdeSimons’estmiseentêtedefairedemoi une future championne.Mais vumonniveau en ski, j’ai comme la sensation de souffrir d’unsérieuxhandicap.Jenesaisdéfinitivementpascommentmeservirdemesjambessurcesplanchesdemalheur.J’aitoujoursunetrouillebleuedefinirparmecasserquelquechose.Lorsque,parjenesaisquelmiracle,jeparvienstantbienquemalàm’arrêtersanstomberparcequejemesuisemmêléelesskis,j’ail’impressiond’avoiraccomplil’ascensiondel’Everest.J’aibeauessayerdeconvaincreZoédelaissertomberseseffortsetrépéterquerestersagementàlamaisonnemegênepasdutout,ellen’enaquefaire.Zoéestdéterminéeetlorsqu’unmembredelafamilleHarperauneidéeentête,ilnelâchepaslemorceauaussifacilement.

Jepensaispouvoirmereposer,profiterunpeudelaneigecommejeprofitel’étédusablechaudsurlaplage.Maislorsquejeposeenfinmesskissurlaterrasse,Zoémelaisseàpeineletempsdemedébarrasserdemacombinaisondeskiavantdemekidnapperpourdeuxheuresdeshoppingintensif.Et elle nemanque jamais d’idée pour dévaliser lesmagasins.C’est aumoment où l’on a les braschargés, qu’onpensequeZoéa fini ses emplettes, qu’elle se trouve saisied’unenouvelle frénésied’achat.Jecroisquelesséancesdeshoppingm’épuisentplusqueleski.Ilnousfautensuiteemporterunmonticuledesacsjusqu’àlavoiture.Biensûr,Zoéestgénéreuse.Elleinsistepourm’offrirtoutuntasdevêtementsquejenepourraisjamaisemporterpourlasimpleetbonneraisonquemavaliseétaitpleineàl’arrivée.Maisellearéponseàtout.Pourfairetairemesprotestations,ellen’arientrouvéd’autrequem’acheterunsacàmaingrifféLouisVuitton.Jemedemandecommentellefaitpournepassuerendépensantautantd’argententrucinutile.Epuisée,j’aiabandonnél’idéedeprotesterparcequechaquefoisquejelefaiscelan’apoureffetqued’amplifiersashopaddictattitude.Doncjelaissecouler.

Nousnesommesqu’autroisièmejourdenosvacancesetc’estlepireparcequedemain,c’estNoëlet que visiblement Zoé est du genre commemoi à faire ses cadeaux au derniermoment. Ellemetraîne de magasin en magasin, requérant mon avis pour chaque cadeau qu’elle achète. Je n’avaisaucune idéeducadeauque j’allaisoffriràSimonavantquesasœurnemeparledesonobsessionpourlespetitesvoitureslorsqu’ilétaitpetit.Ellem’aracontéquesuruncoupdetêtel’annéedernièreaprèsunedisputeavecleurmèreilavaitfinipartoutjeteràlabenneàordure.Ellesoupçonnequ’illeregrette.Visiblement,àl’entendreparler,cesvoituresavaientunesignificationspécialepourlui.Jene sais pas de quel ordre parce que les réponses de Zoé àmes questions restent très évasives. Jen’insiste pas davantage. Au détour d’une allée, je suis tombée sur toute une boîte de voiture de

collection miniature. Près d’une trentaine. Je l’ai achetée pendant que Zoé en était à choisir desproduitsdebeautépoursamère.Elleabienévidemmentremarquélepaquetcadeau.J’aitenubonetrefusé de lui dire ce qu’il contenait, mais elle sait que c’est pour son frère. Ellem’a proposé decacherlepaquetdanssachambrejusqu’àdemainmatin.

Nous nous sommes garés devant la maison et nous avons déchargé les paquets avec l’aide deLouisa.Pourladiscrétion,onpeutrepasser.Maissi lesparentsdeSimon,etSimonlui-même,sontdéjàrentrésetdiscutentdanslesalon,ilsnedisentpasunmotsurl’étrangealléeetvenuedespaquets.

JesupposedetoutefaçonquepluspersonnenecroitaupèreNoël.Dansmafamille,sic’estaussilecas,mesparentsmettent toujoursunpointd’honneurànepas laisser traînerunpaquetsousnosyeux.Ilsontadoptéunetactiqueimparable:ilsdéposentaprèsachatslescadeauxchezmesgrands-parents paternels, leur confiant leur garde jusqu’au soir de Noël. Après le coucher, ils partentdiscrètementleschercher.

Je dépose le dernier cadeau sur le lit de Zoé. Lorsque je redescends, Madame Harper est autéléphonedanslecouloir.

—Non,non,non,vousnepouvezpasrefuser!Iln’yapasde«mais»quitienne.Votreprésencenousferaitextrêmementplaisir,etlesenfantss’enferontunejoie…vraiment…j’insiste.

Jepassedevantellepourrejoindremonpetit-amidanslesalon.MonsieurHarperselèveducanapéetquittelapièceaumomentoùjem’assoissurlesgenouxdesonfils.

—Jesuisexténuée.

Simonmebaiselecou.

—Jet’avaisditquemasœurétaitépuisante

—Ettoi,comments’estpasséetajournée?

—Biencommed’habitude,laroutine.Onadévaléquelquespistes.Riend’intéressant,élude-t-il.

—Tun’aspasl’airépuisé.Jenesaispascommenttufais,plaisanté-je.

Unsilencedemort s’installe. Jemedemandesi j’aiditquelquechosequ’ilne fallaitpas. JemetourneversSimon.Ses traitssont tirés.Sonvisageest incroyablement tenducommes’ilserrait lesdents.

—Quelquechosenevapas?

Il sourit. Il nie d’un petit hochement de tête puis m’embrasse. Mais son baiser n’est pas aussipassionnéqued’habitude.Jenesuispasdupe.C’estjusteunmoyendefairediversion.Jesuissurlepoint de le lui dire quand Madame Harper fait irruption dans le salon, nous jette un regardréprobateuretnousannoncequelesDelgado,leursvoisinsespagnols–enfinvoisinc’estunefaçondeparlerparcequ’ilssontquandmêmeàunkilomètredenotrechalet–passerontNoëlavecnousdemain.

Simon serre encore plus les dents, fusille sa mère du regard. Un échange silencieux s’ensuit.J’attendsqueMadameHarpertournelestalonspouraborderlaquestion,maisàcroirequetouslesmembresdecettefamillesesontdonnélemotpourm’enempêcher,Zoédébouledanslesalonpourmetirerillicoprestoparlebras.Visiblement,unedeuxièmeséanced’essayageseprofile.

—Jet’enprie,ilfautquetum’aides!Cesoiruneamiem’ainvitéeàpasserleréveillonaveceuxetj’hésiteentreplusieursrobes.Jenesaispaslaquellechoisir.J’aibesoindetonavis.

Sontonsuppliantfaitpresquepenserquec’estunequestiondevieoudemort.JesupposequepourZoéçal’est,parcequelamode,c’esttoutesavie.Commettreunfauxpasvestimentairereviendraitàcommettreuncrimede lèse-majesté.Enfinun trucdans legenre. Jen’aipas le tempsde répondrequ’ellesejettesurmoi,agrippemonbrascommeuneventouseetmetirehorsducanapé.MesdoigtsfrôlentceuxdeSimonetjeluiadresseunpetitsouriredésolé.Ilneviendrapasàmonsecours.C’estdevenuévidentàlaminuteoùilaprononcécettephraseavecuncertainamusement:

—Amusez-vousbien!

Etmoi,enplusd’êtrecourbaturée,j’aipeurdeperdremonbras.Zoénemaîtrisepassaforce.

—J’hésiteentrelableue,larougeaudosnuetlanoireaudécolletééchancré,reprend-elle.

Je luidiraisbienque,peu importe laquelleellechoisitdeporter,elleserasublime,maiscelanechangera rien.Zoénemecroirapas tantqu’ellenem’aurapas contrainte à lavoir revêtir chaquetenue.Parcequ’ilparaîtqu’onnepeutpasjugerdelavaleurd’unerobeavantdelavoirportée.Jenesaispasd’oùelletientceprécepte.Certainementd’unmagazinedemodeoud’uneénièmeinterviewdeKateMoss.ZoéferaitlapaireavecAnna.Pasdedoute,masœuretelleonttoutcequ’ilfautpours’entendre.Annaserarongéeparlajalousielorsqu’elleverratouteslestenuesqueZoém’aoffertes.Jenecroispasque jeseraiscapablede toutes lesporter.Elleme l’a faitpromettre,maiscertainessonttroposéespourmoi.

Simon

Sara et Zoé montent les escaliers et j’attends une dizaine de minutes après leur départ pourretrouvermamèredanslacuisine.

Elleseprépareunetassedethé.

—Tuenveux,monchéri?

—Tunepeuxpasfaireça!débuté-jeleshostilités.

Mamèreseretourne,levisagecrispé,unemainsurlathéière.

—Fairequoi?

—LesDelgado!Tunepeuxpaslesinviter.

—C’estdéjàfait.

—Annule!

Ma mère déteste quand je hausse le ton. J’essaie de me calmer, mais c’est quasiment missionimpossible.En toutcaspas tantque jen’auraispasobtenugaindecause.LaprésencedesDelgadom’exposerait,dévoileraitmonsecretàSara.Elleapourtantpromisqu’ellem’aiderait.Jecroyaisquemamèreavaitchangéd’avis,quemêmesiellenecomprenaitpasmadécision,ellelarespectait.Detouteévidence,j’aidûpasseràcôtédequelquechose.

—C’estimpolid’annuleruneinvitation.

N’enpouvantplus,jefaiscognermonpoingsurlatablecequiapoureffetdelafairesursauter.Ellemanqued’échapperlathéièredesmainsalorsellelareposesurlatable.

—Si tu les invites, tu sais cequiva sepasser. Ils vontmeposerdesquestions. Ils vontvouloirparler demoi, ils vont… ils vont…Jenepeuxpas prendre le risquequeSara l’apprennede cettemanière.Ons’étaitmisd’accord!

—Tuasencoredutempsdevanttoipourluienparler,déclarefroidementmamère.

C’esttoutelle,ça,retournerlasituationcommebonluisemble.C’estétonnant,lafroideurdontellepeutfairepreuve,àquelpointellepeutserévéleraimanteetl’instantquisuitsanscœur.

—Demain,c’estNoël.Jenepeuxpasluidiremaintenant.

—Nousfaisonstousdeseffortspourtoi.Jusqu’ici,nousavonsfaiténormémentdecompromis.Tasœurpasse leplusclairdeson tempsavec tapetiteamiepour l’éloignerduchalet. Je jongleentre

toute cettemascarade et ton père fait avec. Crois-moi, nous faisons déjà beaucoup pour toi. Il esttempsquetuenfassesautant.Siellet’aime,ellecomprendra.Tunepeuxpaspassertavieàmentirouàtecacherderrièredefaussesexcuses.

—Tum’avaisfaitunepromesse!Tuavaispromisquetum’aiderais,quetunediraispasunmotdurantcesvacances!

—Lespromesses,çaneveutplusriendiredenosjours.Tudevrais lesavoir!Tuasenfreint latienne.Jenesuispasstupide.J’aibienvuqueJaspersecouchaittouslessoirsdevantlaportedeSara.Nemeprendpaspourplusidiotequejenelesuis.

—Alors,c’esttoutcequetuastrouvépourtevenger?

— Ce n’est pas une vengeance. Je ne cherche pas à prendre ma revanche. Je t’aime. Je veuxsimplement ce qu’il y a demieuxpour toi. Je veuxque tu sois heureux, épanoui.Si j’ai invité lesvoisins pour noël, ce n’était pas pour te mettre mal à l’aise.Malgré tout, si ça peut te décider àt’ouvrirauprèsdeSara,jenepeuxquem’entrouversatisfaite.Parcequej’aipeurquecettefillenesoitpasfaitepourtoi.J’aipeurquelejouroùtuserascomplètementsincère,tuchutesdetonnuage.Jeveuxsimplementteprotéger.

Ellesemblesincère.Pourtantjenepeuxpasmerésoudreàl’excuser.Saprotectionm’étouffe.Jenesuisplusunenfant.Jenesupporteplusqu’elles’immiscedansmavie,qu’elleladirige.J’aibesoinqueçachange,ilfautqueçachange.

—Tufaistoutlecontraire.

Mamèrefuitmonregard,metourneledos,posesesmainssurlereborddelacuisineetsaisituntorchon.

—Parfoisilsetrouvequelemeilleurmoyendeprotégersesenfants,c’estdelesmettreendanger.Jesaisquetunecomprendspas,maistoutcequejefais,jelefaispourtoi,pourtonavenir…

—Quelavenir?lacoupé-je.

Son regard s’assombrit. J’ai touchéunpoint sensible.Ellebalance son torchonsur la tableet lacontournepourmefaireface.

—Neparlepascommeça!Tusaisquejedétestequandtutecomportesainsi!hurle-t-elle.

—Quand jeme comporte comment ? J’ai ouvert les yeux !Vous devriez en faire autant.Vousdevriezacceptercequinepeutpasêtrechangé.Jen’auraisjamaislaviequetut’imagines.Jeneseraijamaisceluiquetuveuxquejesois,ettuferaismieuxdetelemettredanslecrâne.Laisse-moijustevivremaviecommejel’entends!

Maman tend la main vers moi, mais je recule. Je n’ai plus besoin qu’elle me réconforte. Jevoudraissimplementqu’ellelâchelabride,qu’ellemerendemalibertéunebonnefoispourtoutes.

Ellen’oseriendire.Sesyeuxsontbaignésdelarmesetjenesupportepasdelavoirainsi.Parcequejel’aitropvuepleureràcausedemoi.Parcequejenecomprendspasqu’illuiresteencoretant

dechagrin sur le cœurpourqu’ellepuisse encore enverser. Jepréfèrem’éloigner. J’aibesoindeprendrel’air.

Jeclaquelaported’entréederrièremoietm’assoissur lesmarchesduchalet. Il fait froid.Jenedétachepasmonregarddelaforêtdesapinsquirecouvrelamontagneauloin.Jeneveuxpluspenserà rien. Je ne veux plus rien ressentir. Je vide mon esprit de tout ce qui me pèse durant quelquesminutes.

Je déteste la voir pleurer, je déteste l’idéequemesparents s’accrochent à un espoir vain, qu’ilsmettenttantdefoienmoi.Jehaismesentirvulnérable,avoirl’impressionquetoutm’échappe,quejenepeuxrienfairepourprotégerlesmiens.J’aimeraispouvoirmebattre,maisj’aiacceptél’idéequejenesuispasdetaillepourlabataille.Parfois,lorsquejeregardeSara,jemedisquec’estpossiblepuis quand je pense à toutes les galères par lesquelles je suis passé, je me dis que ce n’est passuffisant.C’estpourçaquejenepeuxpasencoreluidire.Jeneveuxpasvoirbrillerlamêmelueurd’espoirdanssesyeuxquedansceuxdemamère.Jeneveuxpasqu’ellegaspillesonénergiepourunecauseperdue.Peut-êtreque jedevrais tout laisser tomber.Ce serait plus simple.Pourtant, rienqu’enypensantj’enailesoufflecourt.Jesuiscoincéetjenesaispascommentjevaism’ensortir.Lecompteà reboursestdéjà lancé.C’estcommeêtre témoind’uncrash :onaqu’unesecondedurantlaquelleonenvisagedesauteravantdeserendrecomptequelemeilleurmoyendes’ensortir,c’estd’appuyer du plus fort qu’on peut sur le frein. J’aimerais arrêter le temps, mais je n’oublie pasl’ultimatumdeMia.Ellesemblaitdéterminée.Jevaiscompterchaque jourd’insoucianceavecSaraavantledénouement.

Sara

J’ai tout entenduet enmême temps, jene saispasvraiment ceque j’ai entendu. Ilsn’enontpasassezditpourquejecomprenneleurconversation,qu’elleétaitvraimentlefondduproblèmeentreeux.Maisçanefaitqueconfirmerunefoisdeplusmessoupçons.

MadameHarperestassisesurunechaise,complètementeffondréeautourdelatable.Lorsquej’aivuSimon,furieux,quitterlacuisine,jemesuiscachéederrièrel’escalier.Heureusementpourmoi,ilest allé dehors. Il ne m’a pas vue. Maintenant, j’observeMadame Harper, oubliant que si je suisdescenduedanslacuisineàlabase,c’estparcequeZoém’ademandéd’allerchercherunciseaupourcouperl’étiquettedesaroberouge.Elledoitsedemanderpourquoijemetsautantdetemps,maisjen’osepasbougerdemacachette.Moncerveaubouillonne.JepensaisqueSimonseconfierait,quesonsecretn’avaitpasvraimentd’importance.Maisjecommenceàcomprendrequeçaena.Jerefusede formuler des hypothèses dans le vide parce que j’ai la trouille sur ce que je pourrais biendécouvrir.Jemedemandemêmesi jenepréfèrepasnepassavoir.Etpuis, j’aienviedemegiflerpourmabêtise.Voilà justementpourquoi j’aimeSimon:parcequ’ilm’obligeàneplusmecacherderrièremespeurs.

Armée d’une bonne dose de courage, je pénètre dans la cuisine. Madame Harper, gênée,s’empressedesécherseslarmes,etboisunegorgéedethé.

—Uneallergie,dit-elle.

Jehochelatête.Ilyaunciseauplantédansuncoffretenboisparmitouteunegammedecouteauxdecuisinesurleplandetravail.Jeleprends,resteimmobileuninstant.Jemedemandeencoresiceque jem’apprêteà faireestunebonne idée.Tantpis, jeprendsplaceen faced’elle,pose leciseaudevantmoisurlatableetlâchelemorceau.

—Jevousaientendu.

Immédiatement,MadameHarperseredresse,repoussesatassedevantelleetaffrontemonregard.Sonvisageestencorerouge,maissesyeuxsontsecs.J’imaginequ’ellen’appréciepasmafranchise.

—Jenesaiscequevouscroyezavoirentendu,mais…

—Jenecroisrien.JesuiscertainequeSimonmecachequelquechose.J’aibesoindesavoirdequoi il retourne. Pourquoi il se montre parfois tellement distant puis la seconde suivante siaffectueux?

—Cen’estpasàmoiquevousdevezposerlaquestion.

—Voussavezqu’ilnedirarien.J’aitentéd’aborderlaquestion,maisvotrefilsnieenbloc.Est-cequej’aidesraisonsdem’inquiéter?Est-cequ’ils’agitdequelquechosedegrave?

—Jeregrette,mais…

—Est-cequ’ilafaitquelquechosedegrave?

Jen’endémordraipas.Jeveuxdesréponses.J’aipeut-êtreviséjuste,carsesyeuxsontsurlepointdequitterleursorbites.

—Monfilsn’estpasuncriminel!Jenesaispasàquoivouspensez,maisvousfaitesfausseroute!

—Alorsaidez-moiàcomprendre!

MadameHarpersefrottelefront,embarrassée.Ellesemblesurlepointdecracherlemorceauetrelèvelatête.

—Trèsbien.Maisvousdevezd’abordmejurerqueçaresteraentrenous,quevousn’irezpasvousjeterdanslesbrasdeSimonpourluienparler.

Jehochelatête.MadameHarperavaleunegorgéesupplémentairedethépourgagnerdutempsetsedonnerplusdecourage.

—Simonaconnudespériodesdifficilesdontiladumalàseremettre…C’estunbongarçonquinefaitpastoujourslesbonschoix…Ils’attachedifficilement…Enfin,ilatoujoursétédistantaveclesautrescommevousavezpuvousenrendrecompteetil…Ilyaeucettefillel’annéedernière…

Elle tourne autour du pot comme si elle n’arrivait pas à en parler. Ça me rend encore plusnerveuse.Simonpourraitrevenird’uninstantàl’autre.

—J’enaientenduparler.EnfinSimonnem’ariendit,maisMia,mameilleureamie,m’aparlédeleurrupture.

Ellem’observesurprisequejeconnaissecettehistoire.

—Qu’est-cequ’ellevousaditexactement?

— Pas grande chose, que la séparation avait été difficile, que la fille avait eu du mal à s’enremettre,etavaitchangédelycée.

—Simonaconnuluiaussiunpassageàvideaprèsça.Ilétaitauplusbas.Iln’avaitquedesidéesnoires.C’étaitdifficiledeleregarderdéprimer.Ill’aimaitbeaucoup.Iln’avaitplusgoûtàlavie.Il…

J’enaifroiddansledos.Jecroiscomprendremaintenant,enfin,c’esttellementinsensé.CommentSimonenseraitarrivélà?

—Ilatentéde…?Enfin…

Jem’arrête trop effrayée pour formuler clairementma pensée. Je n’arrivemême pas à le dire.MaisMadameHarpersemblecomprendre.Sonvisages’apaise.Ellesemblepresquesoulagée.

—C’est ça.C’est pour ça que vous ne devez pas lui en parler.Ça fait partie du passé, et ça ne

serviraitqu’àluirappelerdemauvaissouvenirs,vouscomprenez?

J’ai la gorge serrée, uneboule à l’estomac et le cœur auborddes lèvres. Je suis complètementsecouéeparlechocdecetterévélation.J’ail’impressionquejevaisvomir.

—Vousvoussentezbien?mequestionneMadameHarper.

—Euh…oui…Pardon…Zoém’attend.

Je quitte ma chaise, récupère les ciseaux et m’enfuis. Je retrouve Zoé, toujours en train des’admirer sous tous les angles, devant le miroir. Elle se détourne et sautille jusqu’à moi pourm’arracherlesciseauxdesmains.Ellecoupel’étiquette,poselesciseauxsurlelitetretourneàsonmiroir.Pasdedoute,denousdeux,aveclatêtequejetire,elleestlaplusbelle.

—Alors,c’estcelle-làlamieux,pasvrai?

Latêtemetourne,jen’arrivetoujourspasàdigérerl’information.Jenevoisplusrien.Mavuesebrouille. Je tente comme jepeuxde refoulermes larmes.Zoé s’assoit à côtédemoi et jedéglutislorsqu’elleprendmesmainsdanslessiennes.

—Quelquechosenevapas?Tueslivide.Tuesmalade?demande-t-elle.

— Non. Excuse-moi, tout va bien. J’ai dû prendre froid, j’ai la migraine. Je devrais aller mereposer.

—Biensûr.Tuveuxquejet’apportequelquechose?Uneaspirine?

—Non,cen’estpaslapeine.Çavavitepasser.

Jemerelèveetmanquedem’effondrer.Zoémesoutientparlesépaules.

—Jet’accompagnejusqu’àtachambre,sepropose-t-elle.

—Non,paslapeine.Jemesensdéjàmieux.

Jem’empressedefranchirlaportepouréviterqu’elleproteste.Jesenssonregardsurmoipendantquejetraverselecouloir.Jefermelaportederrièremoietm’effondresurlelit.J’observeleplafond.Jenesaisplusquoifaire.J’aipromisdeneriendire,maisilfautquej’enparleaumoinsàquelqu’un.

Je tends le bras pour récupérermon portable sur la table de chevet. Je ne pensais pas queMiarépondraitaussivite.

—Çavamapoule?CommentsonttesvacancesaveclesrupinsàAspen?Tut’éclatescommeunefolle?

—Je…

J’éclateensanglotsetlibèreleslarmesquejeretiens.

—Hé!Qu’est-cequisepassemabelle?

—Jesaistout.J’aisurprisuneconversationentreSimonetsamèrealorsjel’aiconfrontée…et…tuauraisdûmeledire.

—Qui,quitel’adit?

—Samère.Ellem’aditqu’ilavaittentédemettrefinàsesjours.

Mia ne dit plus rien. J’attends. Je suppose qu’elle encaisse l’information, qu’elle doit se sentircoupableden’avoirriendit.

—Tuesencorelà?

—Euh…Oui.C’esttoutcequ’ellet’adit?

—L’essentiel oui. Je ne comprends pas comme il a pu faire ça. Je n’arrive pas à y croire. J’aibesoindesavoircequis’estvraimentpassé.

—EtSimontuluiasparlé?

—Pasencore.J’aipromisàsamèredegarderlesilence.Tuesmameilleureamie.Tuauraisdûmeledire.Ilfautquejesachecequis’estpassé!

—Tudevraisluienparler.Vousdevriezendiscuter…

Unefoisdeplus,elleessaiedesedérober.

—Non,tunepeuxpasencoretedéfiler.Tumedoisbiença!

—Mamèrem’appelle,jedoisyaller.Désolée,jet’appellerai!

—Attends!

MaisMiaadéjàraccroché.Jecomposesonnuméro,maisellenerépondplus.Pasdedoute,ellenecompte rien me dire. Je vais donc rester seule avec mes interrogations. Je lui envoie plusieursmessagesauxquelsellenerépondpasetlorsquejetenteencoredel’appeler,jetombedirectementsursamessagerie.Désespérée,jebalancemontéléphoneauboutdulit.

Simon

Mesmainssontengourdiesparlefroid,jenesenspresqueplusmesdoigts.Jesuissurlepointderentréepourretrouverlachaleurduchaletquandmonportablevibre.Jeletiredelapochedemonjean.Mia.Jemedemandebiencequ’ellemeveut,carsimescalculssontbons, ilmeresteencorequelquesjoursdevantmoi.

Jedécroche.

—Nemeditpasquetuaschangéd’avis?

—Saram’aappelé,dit-ellesuruntonincroyablementfroid.

Jemelève,moncœurbatlachamade.J’aipeurdecomprendrecequecelasignifie.Est-cequ’ellearompu sa promesse ? Est-ce qu’elle lui a tout dit ? Est-ce que Sara sait ?Autant de questions quiaffolent chacune de mes cellules et réveillent mes craintes. Je n’aurais peut-être pas dû lui faireconfiance.

—Qu’est-cequetuluiasdit?demandé-jesèchement.

—La question ce serait sûrement de savoir ce qu’ellem’a dit. Sara pense que tu as tenté de tesuicider.

—C’estabsurde.

—Jenesuispasstupide.Ellevientdem’appeleràl’instant.Ilsembleraitqu’elleesteuunepetiteconversationavectamère.

—Mamère?Qu’est-cequ’ellevientfairelà-dedans?

—Ellevousaentendudiscuterpuiselles’estentretenueavectamère,reprendMiarépondantainsiàmaquestion.

Voilàquetouts’explique.Jelouelecielquenousn’ayonsrienditdepluscompromettant.

—Tudoisluiparler.Tunepeuxpasluilaisserpenserça!C’estmal.

—Mercidem’avoirprévenu.Jevaism’enoccuper.

—Tuvasluidirequec’estfaux?

—Cen’estpastonproblèmeMia.

—Onaunaccord.Jeneluimentiraipas.Ellevamerappeler.

—Jenecomptepaschangerd’avis.Jevaisluidire,seulementj’aibesoindetrouverlesbonsmots.Ceserafaitentempsetenheure.Laisse-moigérerleschosescommejel’entends,OK?

—Simon,jet’aifaitconfiance.Jesavaisqueçaallaitarriver.Nemelefaispasregretter.

—Jet’aifaitunepromesse.Jen’airiend’autreàdirepourlemoment.Tudevrast’encontenter.

Je raccroche sans lui laisser le temps d’objecter parce que j’ai eu ma dose de personnes quiessayent de contrôlermavie. Je n’arrivepas à croire quemamère ait inventéunmensonge aussigrotesquesansm’enparler.Jenesaispascequiluipasseparlatête.

Jerentredanslechalet,foncedanslacuisine,maismamèren’yestplus.Jefilejusqu’àlachambredemasœur.Maislesessayagessontterminés.Zoéestapprêtéepoursasoirée.

—OùestSara?

—Ellenesesentaitpasbien,elleestalléesereposerdanssachambre.Elledoitcouverquelquechosesituveuxmonavis.

Jel’abandonneàsesdernierspréparatifsetouvresansfrapperlaportedeSara.Elleestallongée,elledort,maissursesjouesjedécèledestracesdelarmesfraîchementversées.Jem’enveux.Jemesensterriblementcoupableparcequecettetristesse,j’ensuisàl’origine.Enmêmetemps,jenepeuxpas lui dire la vérité, pas encore, pas maintenant. Nous avons besoin de ces quelques jourssupplémentairesdecalmeavantlatempêtepourconsolidercequipeutencorel’être.Danslefond,jenesuisqu’unlâcheparcequejen’arrivepasàmerésoudreàprendremesresponsabilités.Saradortet je profite de son assoupissement pour me dérober à une conversation pénible. Je lui ôte seschaussures,défaislesdrapsetlacouvrecorrectement.Elleremue,maisneseréveillepas.

Leréveillonnesepassedécidémentpascommeprévu.Ilestloinduniveaud’exigencematernelledesannéesprécédentes.Zoéafiléàsasoiréeétudiantesynonymedebeuverie.Saras’estréveilléepeuavantledîner.Elleparaissaitencoremalenpoint.Elleaprétenduêtrebarbouillée,nerienpouvoiravalerpouréchapperàcedîner.Jel’aicouverteenarguantqu’elleétaitmalade.Jesoupçonnequ’elleavaitsurtoutbesoindedigérerlafausserévélationdemamère.Jen’airienfaitpourl’endétromperparcequeçaauraitétéadmettrequejecachaisquelquechosed’autre.Unrisquequejenesuispasprêtàcourir,dumoinspasavantquelquesjours.Mamèread’ailleursentendumafaçondepenseràcesujet.Ellen’arienfaitpoursedéfendre,argumentantqu’ellenesavaitpasquoidire,qu’elleavaitétépriseaudépourvuetque textuellement,ellen’avaitpasparlédesuicide.Sara l’auraitdéduitd’elle-mêmedanslaconversationetelleauraitacquiescébêtement.Jenesaispasàquoiellepensait,maiselleauraitmieuxfaitdesetaire.Leréveillons’estdoncdéroulédansunsilencedemort,mesparentsseconsidérantàpeinel’unl’autreetmoigardantdélibérémentlesilencepournepasleurfaciliterlatâche.Louisaavaitmislespetitsplatsdanslesgrands,unvéritablecordon-bleu.J’aiquittélatablepeuaprèsledessert,repu,etjesuisallédirectementdansmachambre.Jen’iraispasdormiravecSaracesoir, ce ne serait pas une bonne idée. J’espère qu’elle oubliera ce qu’elle a entendu. Dieu que jel’espère.Lanuitluiporteraconseil.

Sara

Iln’yapasunseulmotquipourraitatténuerl’angoissequej’éprouve.Jenesaismêmepascequejeressens.C’estunvéritablebric-à-brac.J’aidormijusqu’aupetitmatin.Àmonréveil,Simonn’étaitpaslà.Iln’estpeut-êtrepasvenumerejoindre,jenesaispas,jenesaisplusquoipensercematin.

Jelesentendsenbass’activerautourdelatabledupetitdéjeuner.Ilsontl’airdebonnehumeur.Jetrouvelaforcedemelever,enfilemeschaussonsetlesretrouveencuisine.

Zoéalesyeuxcernés.Ellen’aprobablementpasfermél’œildelanuit.Simonmesouritettendlamainversmoi.Jeprendssamaindanslamienneetm’assoissurlachaisevideàcôtédelui.MatindeNoëloblige,MonsieurHarpersembleavoirfaituneffort.Iln’yapasl’ombred’unjournalenvue.Une pile de pancakes sur la table, des confitures, du pain frais ainsi que du café, du jus d’orangepresséetduchocolatchaudnousattendent.

MadameHarpermelanceunregardinquiet.

—Vousvoussentezmieux?

—Oui,merci.

—Caféouchocolat?demande-t-elle,aupetitsoin.

Peut-êtrea-t-ellel’impressiondedevoirseracheterdesaconfessiondelaveille?

—Chocolat.

Elleverseleliquidemarrondanslebolvidejusteenfacedemoi.

—Finalement,nousseronsencomitérestreintaujourd’hui.LesDelgadosesontdésistés.

Personne ne réagit à l’annonce. Ce désistement de dernier instant ne pose d’interrogation àpersonnesaufàmoi.Simon,lui,versegénéreusementdusiropd’érablesursonpancake.

—Ilsonteuunproblème?demandé-je.

—MonsieurDelgado est cloué au lit à cause de la grippe et sa femme ne veut pas quitter sonchevet.Mauvaistiming.Ceserapourl’annéeprochaine,expliqueMadameHarper.

—Voyonsleschosesduboncôté,ilyenaurapluspournous,plaisanteMonsieurHarper.

—Comments’estpasséetasoiréed’hiermachérie?

MadameHarperchangedeconversation.Nivuniconnu,Zoés’embarquedansunrécitdétaillédesesaventures.Simonenprofitepourpousserdiscrètementsonassietteversmoi.

—Ilfautquetureprennesdesforces.Tun’aspasmangéhiersoir,dit-il.

Jen’osepas le contrarier etme force àmanger lepancake, cequi a l’airde le satisfaire. Je luisouris,conscientequ’aujourd’huic’estNoëletjen’aipasenviedeluigâchercettejournée.Jedoisavoir l’air suffisamment convaincante parce qu’il me rend mon sourire. Toutes les assiettes sontvideslorsqueMadameHarperparvientàreprendrelaparole.

—Bonetbienpuisquetoutlemondesembleavoirterminé,ilseraittantd’ouvrirlescadeaux.

Ellen’apasletempsdeterminersaphrasequeZoéadéjàbondidesachaiseetquittélacuisine.Elle me fait penser au célèbre personnage de dessin animé Bip bip quand elle fait ça. MonsieurHarper prend la main de son épouse, et ils se dirigent vers le salon. Simon prend ma main etensemblenousnousasseyonssurlecanapéenattendantquesesparentsaientterminéladistributiondescadeaux.Ilyenamêmeunpourmoi.MonsieuretMadameHarperm’ontoffertunmagnifiqueblousonencuir,Zoéuneécharpe rose.Quantàmoi, j’aioffert à sesparentsunvaseetunpull encachemireàsasœur.

—J’espèrequec’estlabonnetaille?demandeMadameHarper.

J’essaieleblousonpourleconfirmer.Ilmevacommeungant.

—Ilestmagnifique.Merci.

Jelesembrassepourlesremercier,puisrécupèrelecadeaudeSimon,leseulquiresteaupieddusapin.

—Qu’est-cequec’est?demandeZoé.

Sesparentssonttrèsattentifspendantqueleurfilsdéchirel’emballageetlorsqueSimondécouvrelaboîtedevoitureminiaturedecollectionquelquechosemeditquecelaneluifaitpasplaisir.Sonvisageseferme.Ilneditpasunmotetcontemplelesvoituresuneàune.Iln’ouvrepaslaboîte.Jesuissurlepointd’ouvrirlabouchepourdissiperlemalaise,maisMadameHarperintervient.

—Vousavezétéunefoisdeplusbiengâtés.Vousdevriezallervoushabillerpourledéjeuner.Jeneveuxplusvoirunseulpyjama.Allezoust!nouschasse-t-elle.

Elle récupère les bouts de papier cadeau déchirés à terre et sonmari lui prêtemain-forte. Zoés’empresse de filer avec le dernier iPhone que ses parents viennent de lui offrir. Je vais quitter lapièce,maisSimonmeretientparlepoignet.

—Merci,chuchote-t-il.

Ilposeuntimidebisousurmeslèvres.

—Viens,j’aiuncadeaupourtoi.Jevoulaisteledonnerseulàseule.

Simon

J’aiétéprisparsurprise.Jenem’attendaispasàça.Cespetitesvoitures,çamerappellebeaucoupdesouvenirs,desbonsetdesmoinsbons.C’estàcausedesmoinsbonsquej’aifiniparfoutretouteslespetitesvoituresquej’avaisamasséesdepuismonplusjeuneâgeàlapoubelle.Jenepouvaispluslesvoirenpeinture.Chaquefoisquej’aiessayédenemeconcentrerquesurlesbonssouvenirs,çan’a pas marché. J’ai fini par penser que le passé était derrière moi. Je n’avais pas besoin dem’accrocherauxobjetsetj’aipriscejour-làungrandsacplastiquenoir.

Sara me suit dans les escaliers, puis s’assoit sur le bord du lit lorsque je ferme la porte. Sescheveuxpartentunpeudanstouslessens,maisj’adorelorsqu’ilssontdétachésetcascadentsursesépaules.Jem’assoisàcôtéd’elleetprendunemèchedecheveuxentremesdoigtspourjoueravec.

—Jesuisdésolépourmoncadeau.Jepensaisqueça teferaitplaisir.J’ai fait lesboutiquesavecZoéetlorsqu’elleavulaboîteellem’aracontéquepetit,tuenfaisaislacollection,quetut’enétaisdébarrassé sur un coup de tête après une dispute avec tamère et que tu le regrettais sûrement. Jepensaisqueçateferaitplaisir.Cen’étaitpasunebonneidée.

Jeposemamainsursongenoupourlarassurer.

—Tun’aspasàt’excuser.C’étaitunechouetteidée.Celam’arappelébeaucoupdesouvenirs.Çamefaitplaisir,vraiment.

—Peut-êtrequetudevraisparlerdetessouvenirs,dit-elle.

Jelavoisvenir.Elles’imaginequecelaaunlienaveccequemamèreluiadit.J’aimeraispouvoirluisortirçadelatête,toutluidire,maisjemedisfinalementqu’ilneresteplusquequelquesjoursetqu’ilfautquejetiennebon.Jenevaispastoutgâchermaintenant.C’estNoël.Cen’estpaslebonjourpourparlerdesesproblèmes. Jeneveuxpas ruinercette journée.Cen’estpasun jourcomme lesautres.C’estun jouroù l’onse réunitenfamille,entreamisetoù l’onnepenseà riend’autrequepasserunbonmomentensemble.

Moncadeauestcachédanslatabledechevet.Jetireletiroiretledéposesursesgenoux.

Saramelanceunregardsuspicieux.

—Ouvre-le.

Elle s’exécute minutieusement. Sara ne déchire pas l’emballage en mille morceaux. Elle suitméthodiquement avec son doigt le bord du papier et le soulève avec soin, ce qui prend un certaintemps.J’aidumald’ailleursànepasmontrermonimpatience,maisquandellevientenfinàboutdel’emballage, jesuiscertaind’avoirfait lebonchoix.Ellesembleémue.Cen’estriend’autrequ’uncadrephoto,pourpartieremplidephotodenous.

—Jenevoulaispasquetum’oublies.Commeça,tupenserasàmoiàNewYorkettuserasbienobligéederevenirsituveuxlecompléter,dis-je.

Ellesejettesurmoipourm’embrasser,passesespetitsbrasmenusautourdemoncouetsoufflecettephrasequejen’oublieraijamaisàmonoreille:

—Jenet’oublieraijamais,c’estimpossible.Iln’yapasd’autreendroitoùjevoudraisêtreencemoment.Jenepourraispasvivresanstoi.

Jenesaispasquoidire.Saphrasemebouleverseparcequedanslefond,ellevientdetraduireparlesmotsexactementcequejeressens.

Nousnousembrassonsetroulonssurlelit.Saraexplosederire.Cesontdesriresdejoie,lesplusbeauxquisoient.

—Net’avisepasd’essayerdemeremplacer,meprévient-elle.

Je me demande où elle va chercher des absurdités pareilles. Impossible qu’une telle chose mevienneàl’espritparcequ’elleesttoutpourmoi.SaraCummingsestmaseuleraisondevivre.Jen’aiplusqu’elleàquoimeraccrocher.Jenesuispasprêtdelalaisserpartirsansmebattre.

—AucuneautrenepeutteremplacerSara.

Ses pupilles me sondent. Je ne peux pas résister à son regard et m’apprête à m’emparer de sabouche.Àmongranddésarroi,ellemerepousse.

—Tu devrais t’habiller avant que tamère ne débarque et ne fasse un scandale parce que noussommesencoreenpyjama.Jepariequelaseulefoisdel’annéeoùelleresteenpyjamaàdixheurespassées,c’estàNoël,semoque-t-elle.

Ellea raisonenplus.Saraabiencernémamère.Lepersonnageenmême tempsn’estpasaussicomplexequ’iln’yparaît.Mamèreestassezprévisible.

—Tupourraisveniravecmoi,sousladouche…susurré-je.

Ellerougit.Dieuquej’adorecetteteinteroséesursesjoues.Jevoudraisêtreleseulàpouvoirlafairerougircommeça.

—Tamère fera une crise cardiaque si elle nous voit sortir de la douche ensemble. Elle seraitcapabledemecrucifier.

—Tuexagères.Ellen’estpassiterrible.

—Ellenousainterditdenoustrouverdanslamêmechambreaprèsvingtheures.

—Etjeviensteretrouvertouslessoirs!

—Parcequ’ellenelesaitpas.

—Ellesait,dis-je.

—Comment?

—ElleacomprisquandelleavuJasperunsoirallongédevanttaporte.

Saraseredressesursescoudes,soudainpaniquée.

—Et?

—Etqu’est-cequetuveuxqu’ellefasse?Mamèreestuntyran,maisparfoiscequiestbienavecelle,c’estqu’elles’enrendcompteetqu’ellelâchel’affaire.Ellenedirarien.Tantqu’onneremetpasofficiellement son autorité en cause, et que nima sœur nimonpère ne pipentmot à ce sujet, ellepasseral’éponge.

—Oh,c’estunebonnenouvelleeneffet.

—Alorspartante?

—Une autre fois. Il faut que j’appellemamère etmon père. Je risque d’en avoir pour un bonmomentsurtoutquandAnnaarracheralecombinédesmainsdepapa.

Jem’écartedeSaraetmerelève.

—Tunesaispascequetuperds.Pourcettefois,jemetsçasurlecomptedelatimidité,lataquiné-je.

Maissonregards’assombrit.Saraestdéfinitivementtroppudique.Elleabesoinqu’onlaprovoqueunpeusurceplan,mêmesijesaisqu’ilmefaudraredoublerdepatience.Jelarespecteaussipourça,poursesprincipes,sesconvictions,saforcedecaractère.Saranedonnepassaconfianceetencoremoinssoncœuràn’importequi.Jeferaistoutpourenêtredigne.Jeneveuxpasqu’ellepensequejemejoued’elle.Jamais.

Jem’éloigne,maisellem’interpelle.

—Attend!

Jeplongemonregarddanslesien.Ellesemblehésiter,serrelespoings.Jesensqu’elleestsurlepointdese raviserpuiselleexpireetmalgréses joues rosiespar l’embarrasSaraprendenfinsoncourageàdeuxmains.

—Simon,je…Euh…Jenesuispasencoreprêtepourça.Jesaisquepourlaplupartdesgarçonsc’est… Enfin, c’est quelque chose d’important, mais pour moi… Je ne l’ai jamais fait, tucomprends…?

Jerevienssurmespasetluidéposeunbaisersurleboutdunez.Malgrésesbafouillis, j’aisaisisonangoisse.JesaisqueSaran’estpasàl’aiseaveclesujet.Jeneveuxpasparlerdeçamaintenant.Quelquepart, j’appréhende tout commeellede franchir cette étape, car jen’ai jamais fait l’amouravecunefillepourquij’avaisdessentimentsaussiforts.J’aipeur.Jusqu’ici,jemesuispréservé.Il

resteune infimepartie demoncœurqui seprépare aupire.Mais si l’on franchit cette étape, cettepartiedisparaitra.Jeseraistotalementvulnérable.Jenepourraispassupporterqu’ellemetourneledos.J’enmourrais.J’ailasensationdetenirmoi-mêmeuncouteausousmagorge.AimerSaramedonneuneénergieetuneforceincroyable,lesentimentd’êtreinvincibleetdanslemêmetemps,elleestmonpointfaible.Parcequesionl’arracheàmoi,onm’enlèvetoutcequimemaintientenvie.

—Jenesuispascommelaplupartdesgarçons.Tun’aspasà t’inquiéterSara.Jenetedemanderien. Je plaisantais parce que j’adore te voir rougir, parce que je sais ce que cela signifie et çam’emplit de joie qu’une fille aussi exceptionnelle que toi puisse craquer pour moi. Ça me faitentrevoiràquelpointjesuischanceux.J’attendraiquetusoisprête.Jesaisquetuferaslepremierpaslorsquelemomentseravenu.Ceseraaussiunepremièrepourmoi.Jel’aipeut-êtrefaitavecdestasdefilles,maisjenel’aiencorejamaisfaitavecquelqu’unquej’aime.

J’espèrequ’ellemecroit,monDieu,faitesqu’ellemecroit.Sesyeuxbrillentcommemilleétoilesetj’expiredesoulagement.Ellesaitquejesuissincère.

ChapitreDouze:Confusion

Sara

Parfois,jemedisquerienn’ad’importancetantquenoussommesensemble,commeaujourd’hui.J’aiinsistéetj’aifiniparobtenirgaindecausemalgrélesprotestationsdesamère.Simonadélaissésaplanchedesurfunejournéeetilestenfintoutàmoi.C’estmondernierjouràAspen.

Ilachaussélesskisetsefaitunpointd’honneuràm’enapprendrelesrudimentsavantmondépart.Ilaencoredel’espoir.Moi,non,parcequ’encinqjoursdeleçon,sasœurn’yestpasparvenue.Maisjememoquebiendetoutça.Toutcequejeveux,c’estpasserunpeudetempsensacompagnie.Ilestàmamerci,rienqu’àmoi.Depuisquenoussommesarrivésici,iln’yapasuninstantoùsamèrenenousapasinterrompussauflanuit.C’estfouquandj’ypenselavitesseàlaquelleSimonestdevenuindispensableàmavie.Saprésencemerassure,sonsoufflelentetrégulierm’apaiselesoir.Jemesensbienlovéedanssesbras,protégée,aimée.J’ailasensationqueriennepeutnousatteindre.C’estnotremomentànous.

Aujourd’hui, il fait plus froid que d’habitude. Nous sommes partis tôt après le déjeuner. Nousavonsdûpasser l’inspectionmaternellequia jugéquenousétionsassezchaudementhabilléspourpartir.J’aiobtenuqueMadameHarperimmortalisecemomentetnousprenneenphoto,vêtusdenoscombinaisonsettenantnosskisàlamaindevantlechalet.CettephotocomplèteralecadrequeSimonm’aoffert.J’aihâtederentreràlamaisonrienquepourpouvoirladévelopper.Simonaembrassésamère.C’est lapremière foisque je levois faireça. Jenecomprendspas l’inquiétudeexcessivedeMadameHarperenverssonfils,sonbesoinconstantdeveillersurlui,deleprotéger.C’estétrange.Surtout parce qu’elle n’agit pas comme ça avec sa fille. Toute son attention semble focalisée surSimon.Çamemetparfoismalàl’aise.Zoé,elle,secomportecommesiderienn’était.Néanmoins,jemedemandecommentellepeutsupporteraussibienlasituationet l’affectionévidentequesamèreporteàsonfilsaudétrimentdesafille.MonsieurHarper,luinemontrerien.C’estunhommequejedevine très introverti. Sauf au poker.C’est fou commeun simple jeu peut le rendre nerveux.Monniveauaupokerestéquivalentàceluiduski.JenemesuismalheureusementpasamélioréemalgrélesconseilsavisésdeMonsieurHarper.MaisjemedoutequeSimonafaitsonpossiblepourmefaireperdreprématurément.Ainsinousregagnionsplustôtnotrelit.

Actuellement, je dévale la piste. Simon a entrepris de me faire slalomer entre les piquets. Jevisualiselesbâtons,etmelance.Adviennequepourra!

Simon

Jenepeuxpasmeretenirderire.Saraloupeunpiquetsurdeux.Celafaitmaintenantdeuxheuresquejeluirépètelesmêmesenseignements,maisSaraapeur.Etmalgrétoutesmesastucespourl’endéfaire,riennesemblepouvoirchassersescraintes.Jecroisquec’estpeineperduepourcetteannée.Elleferapeut-êtremieuxl’anprochain.Jesaisqu’elleenestcapable.

Elledévalelapisteàtoutevitesse.Elleseralàdansquelquessecondes.Dumoinssielleparvientàs’arrêter.

—Freine!Faitlechasse-neigecommejet’aimontréSara!hurlé-je.

Maiselleneparvientpasàexécuterlafigure.Sesskisrestentdésespérémentdroits.Heureusement,lapisten’estpas troppentuecequimepermetde l’attraperpar lebras lorsqu’ellepasseàcôtédemoi.Saram’entraîneavecelledanssachuteetjemeretrouveallongésurelle,danslaneige.Elleaunpetitsourired’excuseauqueljenepeuxpasrésister.

Jel’embrasse,fermelesyeuxpuisposemonfrontcontrelesien.

—Riendecassé?murmuré-je.

Je me relève et l’aide à se redresser à son tour. Une fois sur pied, elle chasse la neige sur sacombinaison.

—Onremetça?

Jesuisfatigué.Jenemesenspastrèsenformedepuisuneheure,maiscommejen’aipasenviedegâchersajournée,j’aipréférénepasluientouchermot.Mesdoigtssontgelés,etprobablementqueles siens le sont aussi. Je frissonne. J’ai besoin de faire une pause, pour reprendre des forces. Àquelquesmètresderrièrenousilyaunpetitchaletquipermetauxskieursdeseréchaufferetdeboireuncoup.

—Jesuisglacé.Çateditdeboireunchocolatchaudavantdereprendre?

Sesyeuxpétillent.Jecroiseneffetqueçaluiparaîtêtreunebonneidée.

—Jemeursdefaim.J’aienvied’unecrêpeauchocolat,dit-elle.

Je lui tends lamainetnousmarchons jusqu’auchaletouquelquesskieurssontdéjà joyeusementattablés.Ilyadesenfantsquicrientunpeupartout.Noustrouvonsunepetitetableaufondetpassonscommande.Mesmainstremblentalorsjelesdissimulesouslatable.

J’ai besoin que Sara ne remarque rien. J’ai besoin que cette journée se déroule sans anicroche.Pourunefois,jevoudraisqueleschosessepassentcommejelevoudrais.

Sara

Jemerégale.Lechocolatchaudmefaitdubienetlacrêpeestunvéritablepêchédegourmandise.Simonestpartiaupetitcoin.Jenesaispas,maisquelquechosemeditqu’iln’apas l’airdanssonassiette.Ilétaitailleurstoutlelongdelaconversation,secontentantdebref«humhum»ou«ouais»detempsàautre.Peut-êtrequ’ils’ennuie.Jenepourraispasluienvouloir.Lesurfavecsescopainsdoitêtredeuxfoisplusexcitantqu’unejournéedeskienmacompagnie.

Ilrevientets’assoitenfacedemoi.Jeviensd’avalerlederniermorceaudecrêpe.

—Tuesbiensilencieux.Jesuisdésoléesitut’ennuies.Ondevraitrentrer.

Ilsepencheversmoietposesamainsurlamienne.Elleestbrûlantecequim’arracheunfrisson.

—Jenepourraisjamaism’ennuyeravectoi.Jesuisjusteunpeufatigué.Pasdequoifouetterunchat.Assieds-toi.

—Tutesensbien?demandé-je.

Simon ferme les yeux. Je commence à paniquer. Il frissonne. J’aurais dû remarquer qu’il ne sesentaitpasbien.Commetoujours,ilesttropfierpourl’admettre,parcequ’ilneveutpasinterromprecemoment.Ilfauttoujoursqu’iljouelessuperhéros.Jeremarquelesgouttesdesueurquiperlentsursonfront.Jemepencheverslui.Ilessaied’esquivermamain,maisjeparviensàtouchersonfront.Commejelecrains,ilesttoutaussibrûlantquesamain.Iladelafièvre.

—Jevaisbien.Cen’estqu’unpetitcoupdefroid.Jet’enprie,restons,insiste-t-il.

—Tunevaspasbiendutout.Tuasdelafièvre.Ilfautrentrer.

—Sara…tente-t-ildeprotester.

Jenel’écoutepas,faisletourdelatablepourl’aideràselever.Jefouilledansmonsacetjetteunbilletsurlatable.Simontangue,iladumalàtenirsursesdeuxjambes.Jel’aideàmarcher.

—Tunepeuxmêmeplusmarcher.Tuauraisdûmeledire.Tuestroptêtu!

Ilrit.Jenesaispascequilefaitrire.Jesuisfurieuse.Jelesoutiensdumieuxquejepeuxetnousmettons un certain temps avant d’atteindre les télécabines. Un homme vient à ma rescousse pourpousserSimonàl’intérieur.Ilsecramponneàmoi.Jenepensequ’àunechose:rentrer.Ilfautqu’ilvoie unmédecin. Je vérifie quemon téléphone a encore de la batterie. J’envoie unmessage pourprévenirMadameHarper.Heureusement, il est encore opérationnel. Je compte lesminutes jusqu’ànotrearrivéeàlastation.

Simoncaressemajoue.

—Arrêtedet’inquiéter.Jevaisbien.

—Tuirasbienquandtuaurasvuunmédecin,grommelé-je.

L’hommequim’aaidéàlefaireentrerdanslatélécabinenousaideàsortir.Jeleremercie.Nousdescendonslesmarchesetnousfrayonsuncheminjusqu’àlasortie.JereçoisunmessagedeMadameHarperaumêmemoment.Sonmariestenroutepourvenirnouschercher.

Quandsavoiturearrive,ilsoutientsonfils.J’ouvrelaportearrièreetMonsieurHarperfaitasseoirSimon.Ilneposepasdequestion,prendlevolantetattendquejebouclemaceinturepourdémarrer.

MadameHarperdéboulecommeune furiedèsquenousatteignons lechalet.Sonmariaàpeinelevé le freinàmainqu’elleadéjàouvert laportièrepoursortirsonfilsduvéhicule.Elleposeseslèvressursonfront.Elleparaîtpaniquée.Elleesteffrayantequandellesecomporteenmèrepoule.

—Ilestbrûlant!Jevousavaisditquec’étaitunemauvaiseidée!Ilnem’écoutejamais.C’estunetêtedemule.

—Catherine!grognesonépouxpourlafairetaire.

Sonregardenditlong.Elleauraitdesfusilsàlaplacedesyeuxquejeseraisdéjàmorteparballe.J’ail’impressiond’êtrelediable.MonsieurHarperd’uncôtéetsafemmedel’autre,ilssoutiennentleurfilsparunbrasetmontentlesmarches.Jelessuis,quittemesbottesàlahâtedansl’entréealorsqu’ilsontdéjàatteintlehautdesmarchesdesescaliers.MonsieurHarpersortdelachambrequandjeparviensdevantlaporteouverteetm’adresseunpetitsourireréconfortant.Jepénètreàmontourdanslapièce.

—Maman,arrête…lasuppliesonfils.

Maisellen’en faitqu’à sa tête, tire sacombinaisonetentreprendmaintenantde ledéshabiller. Ilposesesmainssurlessiennes.

—Jepeuxlefaire!hausse-t-illeton.

Ilrepoussesamain.MadameHarperrestehagardeunmoment.Simons’assoitsurlereborddulit.Ilmesouritetsamèresembleprendreenfinconsciencedemaprésence.

Ellefroncelessourcils.

—Trèsbien,commetuvoudras.Sara,vouspouvezl’aider?

—Oui,biensûr.

Jem’avanceversSimon,m’agenouilleettiresursonpantalon.

—Tonpèrevaappelerunmédecin.Jevaischerchercequ’ilfautpourfairebaisserlafièvre,dit-elle.

Ellequittelapièce.Unefoissonpantalonàterre,jemerelèvepourl’aideràôtersonsweat,mais

Simonmerepousse.

—Laisse,jepeuxlefaire.

Jeleregardealorsleverlesbrasetsedébarrasserduboutdetissu.Ilestmagnifique,lavuedesontorsemefaitrougir.Pourautant, jenedétournepas leregard,captivéeparsontatouage.Simonneporteplusqu’unboxernoir.Ilselèveetjemeprécipitepourlesouteniravantqu’ilnechute.Jel’aideàsemettreaulit.

—Jevaistechercheruneautrecouverture.

—Non,reste.Allonge-toiprèsdemoi.

J’hésite.Samèrenevapastarderàrevenir.

—Cen’estpasunebonneidée…tamère…

—Elle réagit demanière disproportionnée.Ne t’inquiète pas. Je sais qu’elle t’aime bien.Elle ajustedumalàbaissersagarde.Viens,dit-ilentapotantlacouvertureprèsdelui.

Jecapitule,soulèvelacouvertureetposematêtecontresontorse.Ilpassesonbrasderrièremondos.J’entendsbattresoncœurrapidement.Ilestbrûlantetsontorseestunpeuhumide.Sontatouageestjustesousmesyeux.Jeposemonindexsurleslignesnoiresetsuislemotif.Jetraceduboutdudoigtnosdeux"S.".Commejel’avaisprédit,MadameHarperrevient,unverred’aspirineàlamainetuntorchonremplideglaçonsdansl’autre.

—Vousdevriezlelaissersereposer,medit-elle.

Jetentedem’éloignerdeSimon,maisilmeserreplusfort.

—Non,ellereste,répond-ilfermement.

Sontonneprêteàaucunenégociation.Samèrenelecontreditpas.Ellelefaitasseoirpourboirelecontenu du verre et s’assure qu’il l’ait bu jusqu’au bout. Elle tamponne son front avec le torchonhumide.Agacé,Simonfinitparleluiarracherdesmains.

—Merci,dit-il.

Elleestfurieuse,maissecontient.

—Lemédecinneserapaslàavantuneheure.Jeseraisdanslesalonsituasbesoindemoi,dit-elle.

Puiselles’enva.

Simon

Ilafalluquecelaarrivedurantlesvacances.J’imaginequemamèrebouillonnederage.Mêmesielleasûrementuntasdesermonsàmefaire,jesaisqu’ellen’endirapasunseul.Ellen’estpasdugenre à dire qu’ellem’avait prévenue. Parce que dans le fond cela la peine autant quemoi. Fichudestin ! J’ai l’impression de ne plus sentir mon corps, que mes muscles sont en cotons. J’aiatrocementmalàlatêteetjerespirefort.Jeluttepournepasm’assoupir.Sijem’endors,Saras’enira.Jeneveuxpasqu’elles’enaillepourl’instant.Et jeréalisequ’ilyapleindechosesdontnousn’avonspasencorediscuté.Jenesaismêmepasdansquellefacelleveutaller.Jenesaispasquelssontsesrêves,sesenvies,sesprojetsd’aveniretjeveuxtoutsavoir.Siseulementj’avaisunpeuplusde tempsdevantmoi, jepourrais lui laisser le tempsde s’ouvrir.Maischaque foisque jemesensaussimalqu’aujourd’hui,jeréalisequetoutpeutarriveretçamefoutenrogne.Jen’airiendemandéàpersonne.J’aimeraisêtredehorsàdévalerlespentes,etmevoilàclouéedanscefoutulit.

—Qu’est-cequetuvasfairel’annéeprochaine?demandé-je.

Saraserelèvesuruncoudeetm’observe.

—Jenesaispas.Pourquoicettequestion?

—Onn’enajamaisparlé.Jenesaispasdansquellefactuveuxaller.

—Ilmesemblequetunesaispasnonpluscequetuvasfaire,souligne-t-elle.

—C’estvrai,maislaquestionc’estdesavoirceque,toi, tuvasfaireSara.Commenttuvoistonavenir?

—J’imaginequej’iraisenfacdedroit.

—Tuaimesledroit?

—Pasvraiment.

—Alors,pourquoichoisircettevoie?

—Parce que c’est une tradition dans la famille demon père. Ils sont avocats de génération engénération.Anna,ma sœur, veut faire des études de stylisme etmon petit frère Josh veut devenirdéveloppeurdejeuvidéo.Il faudraqu’il lèveunjour lesyeuxdesaconsolepourétudier,maisça,c’estuneautrehistoire.Monpèrecomptesurmoipourreprendresonaffaire.Ilm’enaparlé.

—Oublietoutçadeuxsecondes,tuveux?Jesuissûrquetonpèresefichedetoutça,qu’ilneveutquetonbonheur.S’iln’yavaitpastonpèreetcetrucd’avocatdegénérationengénération,qu’est-cequetoituaimeraisfaireSara?Qu’est-cequiterendraitheureuse?Jecroyaisquelaphoto,c’étaittapassion.

—Jenepeuxpasenvivre.

—Ilyadestasd’artistesquiyparviennentpourtant.Moi,jecroisentoi.

—Jenesuispasassezdouée.

— Je crois surtout que tu te caches derrière des prétextes parce que tu as peur de découvrir denouvelleschoses,deprendredesrisques.

Ellemesourit.

—Tuassûrementraison,maisjamaismamèrenel’acceptera.

—C’esttavie,paslasienne.

—Je…je…

—Tu?l’encouragé-je.

—Sijepouvais,jeferaisletourdumonde.J’iraisàPigalle,découvriraisParis,jeferaisletourdel’Europe,j’escaladeraisl’Everest,jephotographieraislamurailledeChine,Tokyo,jecaresseraideskangourousenAustralie.J’iraismebaignerdansleseauxchaudesdescaraïbes,mepromenerdansles favelas auBrésil, faire des safaris. J’irais en Italie photographier la tour de Pise, àBarceloneimmortaliserlaSagradaFamilia,àBerlin!Etavecunpeudechance,jeferaisdesexposàNewYorkpourconterlerécitdemesvoyages.

Jevoisdesétoilesbrillerdanssesyeuxàmesurequ’elleévoquetousleslieuxqu’ellerêvedevoiretjen’aiqu’uneenvie:c’estdelesdécouvriravecelle.

—Alorsj’iraisavectoi.Jesuissérieux.OnferatoutçaensembleSara!Rienquetoietmoi.

Ellerit.Pourtant,jen’aijamaisétéaussidéterminéàentreprendrequelquechosedemavie,etceparcequejeveuxlefaireavecelle.

—Tun’espassérieux.

—Jesuistrèssérieux.Onpourraitlefairetouslesdeux.Onpourraitvisitertousceslieux,faireletourdelaplanète.Ilfautquetulefasses,Sara.Tunedoispasabandonnertesrêves.C’estlemomentoujamais.Tupourraisprendreuneannéesabbatique.

—Avantça,ilfautquetuteremettes,metaquine-t-elle.

Onfrappeàlaporte,mamèreestlàaveclemédecin.Ils’avancedanslapièce,posesamalletteaupieddulitetmeserrelamain.

—VousdevriezattendredehorsSara,ditmamère.

Saramelanceunregardpaniqué.

—Tudevraisallertedégourdirlesjambes,l’incité-jeàs’enaller.

Ellem’embrasseets’enva.Jenelaretienspas.Mamèrefermelaporteàcléderrièreelle.

Sara

Jesuisrestéequelquesminutesàattendredanslecouloir.Etpuis,plutôtquedemefairedumauvaissang,jesuisalléedansmachambre.MonvolpourNewYorkpartdemainmatinetjen’aipasencorefaitmesvalises.J’aimeraisretardermondépart.M’assurerqueSimonvabienavantdem’éloignerdelui.Septjours,jenesaispassijevaistenir.Celamesembleimpossible.

J’aividétoutmonplacardlorsqueZoépénètredansmachambre.

—Tuasbesoind’aide?

—Nonmerci,j’aipresquefini.Lemédecinesttoujourslà?

—Oui.

Je ferme la valise et la pose à côté de la seconde au pied du lit. Il neme restera plus quemesproduitsdetoiletteetdeuxoutroischosesàemporter.

—Tudevraisvenirprendrel’airavecmoi.Jevaismepromenerdanslesbois.Monfrèrem’aditquetuespassionnéedephotographie.Tuferaismieuxdeprendretonappareil.Làoùjet’emmène,tuaurasdequoifaire.

—Jepréfèreattendrequelemédecinsoitparti.

—Monfrèreseratoujourslàlorsquetureviendras.

—Jesais,mais…

—Tunepeuxpast’empêcherdet’inquiéterpourlui?termine-t-ellemaphrase.

—C’estça.Je…jen’aipascompris.Lafièvreestarrivéetoutàcoup…

—Ilvas’enremettre,monfrèreestunduràcuir.

—Tusemblesbiensûredetoi.

—Jeleconnaisbien.

—Est-cequejepeuxteposerunequestion?

—Essaietoujours.

—Est-cequej’aidesraisonsdem’inquiéter?Jeveuxdire,tamèrem’aditdestrucsàproposdetonfrère,etj’aipromisdeneriendire,maisçametrottedanslatête.

—Toutcequetudoissavoiràproposdemamère,c’estqu’elleatendanceàexagérer.Simonestungarssolide.Ilajustebesoindesereposer.Ilseratrèsvitesurpied.

—Situledis,réponds-je,pasvraimentconvaincue.

Zoéchercheànoyerlepoisson.Danscettefamille,ilsontledondetournerautourdupot.

Ellenesemblepasappréciermaréponseetbonditsurmoipouremprisonnermonbras.

—Tuasdeuxoptions:mesuivreoutebattreavecmoi!Maisdegréoudeforce,jevaistefairesortirdecettemaison!AllezSara!Mamèrevamerendrefolleàsecomportercommeuntyran,etmonpèreàresteravachisurlecanapéavecsonmauditjournal!Tueslaseulequipuissemechangerlesidées.Jet’enconjure,aide-moiavantquejeperdelatête.S’ilteplaît,s’ilteplaît,s’ilteplaît…

Ellem’adresseunsouriretoutendent.Jenerésistepas,prendsmonNikonsurlatabledechevet,enfilemesbottes,mavesteetlasuispourquelquesminutesdemarche.Sonpèren’apasletempsdenousdemanderoùnousallonsquenousclaquonslaporte.

Jeprendsdeuxoutroisphotos,maisnousnefaisonsriend’autrequelongeruneroutebordéedesapins.Nousmettonsunedemi-heurepour faireun touret revenirauchalet.Durantce temps,Zoém’aparlédelafac,desesprojets.Ellesouhaitetravaillerpourlesmarchésfinanciers.EllerêvedeWaltStreet.Jemedemandepourquoiellen’apasfaitsesétudesàNewYork.Mais jen’osepas luiposerlaquestion.Jeneveuxpasparaîtreimpolie.Zoésembleavoirhéritédesgênesdesonpère.Ellealafinancedanslesangquoiquecelapuisseparaîtreétonnantquandonvoitsesdépenses.Ellen’estpasdugenreàfairedespetiteséconomies,maisplutôtàprofiterdelaviepleinement.CequimefaitdéfautselonSimon.Jecommenceàcroirequ’ilaraison.Jedevraisprendrecetteannéesabbatique,parcourirlemondeaveclui.

Surlechemin,jenevoisquedessapins.Deretourauchalet,lavoituredumédecinn’estpluslà.Jem’empressede rentrer et je retrouveMadameHarper assisedans le salonen trainde feuilleterunmagazinededécorationd’intérieur.

—DequoisouffreSimon?

Zoéestjustederrièremoi.

—Delagrippe.Lepauvrevadevoirgarderlelit.Ildortdéjà,cen’estpaslapeinedeleréveiller.Monmarivachargercesoirtesvalisesdanslavoiture.Sont-ellesprêtes?

—Jevaislesdescendre.

—Jevaisl’aider,intervientZoé.

Nousmontonsjusqu’àmachambreetprenonschacuneunevalisepourladéposerdansl’entrée.Jetentederemonter,maisZoémesuppliedefaireunpoker.J’acceptepardépit.Jen’aiqu’uneenvie,c’estderetrouvermonpetit-ami,maislesfemmesHarpern’ontdecessedem’enempêcher.

NousdînonssansSimon.Quandvientl’heured’allersecoucher,jetented’entrerdiscrètementdanssachambre,maiscelle-ciestferméeàclé.Jefrappeetchuchotesonprénom.Pasderéponse.Ildort

probablement.JemerésigneetrejoinsmonlitpuisluienvoieunSMS:«jet’aime,bonnenuit».

Simon

J’ai entendu la poignée s’activer dans le vide, sesmurmures à la porte,mais je n’ai pas pumerésoudreàluiouvrir.C’estmoiquiaidemandéàmamèredefermeràclé.JeneveuxpasqueSarame voie comme ça. Je ne veux pas qu’elle ait cette image demoi et enmême temps, je veuxmerétablirauplusvite.Ellememanque.Jemesuishabituéàsaprésence,àsescheveuxéparpilléssurl’oreillerquandelledort.J’aimeraissentirsonodeurfruitéeautourdemoi.

Sarapartdemain.Cettepenséem’enserrelecœur.

Ilesthorsdequestionqu’ellepartesansquejelavoie.Ledocteuralaisséuntasdecachetssurlatable de chevet que jeme suis empressé d’avaler.D’ici quelques heures, jeme sentiraismieux. Jeseraisdenouveausurmesdeuxpieds.

Jem’endors,seul,avecSaraàl’esprit.Jenepensequ’àelle.Jenerêvequed’elle.

ChapitreTreize:Retourauxsources

Sara

Leréveilasonnétôt.Jesuisdéjàhabillée.Jedescendsdanslacuisine.Jesuisstresséeparcequej’aiàlafoishâtederevoirmafamille:masœur,monfrère,JacketLaceyetmalaucœuràl’idéedequitter Simon. Si au départ, dès notre rencontre quelqu’unm’avait dit que je ne pourrais plusmepasserdelui,jeluiauraisriaunez.

Jenepeuxrienavaler.J’ail’estomacnoué.L’heuredepartirapproche.MonsieurHarperselèvedetableaprèsavoirbusoncafé.

—Ilestl’heuredepartir,annonce-t-il.

Simonn’esttoujourspasdescendu.

—Jevaischerchermaveste.Jel’ailaisséedansmachambre.

J’ai fait exprès parce qu’il me fallait une excuse pour remonter à l’étage, toquer à sa porte etchuchotersonprénom.Malgrétroistentatives,Simonnerépondpas.Ildortencore.Jenepeuxplusfaire attendreMonsieur Harper. Je n’ai plus choix. Il me faut partir et je déteste l’idée de ne paspouvoirl’embrasseravantdemonterdansl’avion.

Jeredescends,mavestesurlesépaules.Zoém’embrassechaleureusement.

—Tuvasmemanquer.J’aihâtedeterevoir.

MadameHarper,quantàelle,faittoujourspreuvedebeaucoupderéserve.

—FaitbonvoyageSaraetdonnelebonjouràtesparentsdenotrepart.

—Jen’ymanqueraipas.Est-cequevouspourrezluidireaurevoirpourmoi?

—Simont’appelleracertainementdèsqu’ilseraréveillé,merassure-t-elle.

MonsieurHarperouvrelaporteaumomentoùSimonfaitirruption.Ilsecramponneàlarambardedesescaliersetlesdescendslentement.Samères’empressed’alleràsarencontre.

—Tunedevraispasêtrelevémonchéri,leréprimande-t-elle.

—Jelesaccompagne,dit-il.

—Cen’estpasraisonnable.

—Onn’enapaspourlongtemps,lesoutientMonsieurHarper.

Iladresseunclind’œilcompliceàsonfils.MadameHarperronchonne.

—Commetuvoudras.Maissitureprendsdelafièvre,tunet’enprendrasqu’àtoi-même.

Simonvientjusqu’àmoietpassesonbraspar-dessusmesépaules.Noussuivonssonpèrejusqu’àlavoiture.

—Tunepensaispasquej’allaistelaisserpartircommeça,chuchote-t-il.

—Jepensaisquetudormais.

—Jen’aipasenviedetelaisserpartirSara.

—Illefaut.

Nousnousasseyonsàl’arrièreduvéhicule.Simonsembleencorelégèrementfiévreux,maissonétatsemblemeilleurqu’hier.MonsieurHarperportemesvalisesetlesdéposedanslecoffre.Simontient ma main durant le trajet. À notre arrivée, nous patientons en silence. Mon cœur se soulèvelorsqu’unevoix féminine résonneet appelle lespassagersdemonvol. Il est l’heurede se séparer.Simonmeserredanssesbras.

—Letempsseralongsanstoi,dit-il.

Je l’embrassememoquant bien d’attraper sesmicrobes.Mamère est un peu hypocondriaque etchaqueannéenousnousfaisonsvaccinercontrelagrippe.Jenecrainsdoncpasd’êtrecontaminéeetmême si je n’étais pas immunisée, jem’enmoquerai. Tout ce qui compte, c’est la chaleur de seslèvressurlesmiennes,etlespapillonsquesesbaisersfontvirevolterdansmonestomac.J’aibesoindeça.Simonestmadosed’adrénaline.

—Ne fais pas de bêtise ! Repose-toi, prends tes médicaments et reviens-moi en pleine forme.N’oubliepasquetum’asjurédem’accompagnerpourfaireletourdumonde.

Ilsourit.Ilacompris.

—Jeferaisn’importequoiavectoi.

—Jet’appellequandjesuisarrivée.

Jemedétacheàcontrecœurdesesbras,leregardeluietsonpèreunedernièrefoispuisluienvoiedelamainunbaiserimaginaireavantdeleurtournerdéfinitivementledos.

Lasemainerisqued’êtreinterminable.

Le vol s’est bien passé. Les retrouvailles avec ma famille se sont traduites par une multituded’effusions,decrisdejoie.Annam’asautéaucouàl’aéroport.Jetrouvequ’elleachangé.Ellefaitplus femme. Quant à Josh, il a grandi.Mon père et Lacey par contre sont toujours égaux à eux-mêmes.À peine sommes-nous rentrés, que j’ai eu le droit à l’ouverture des cadeaux deNoël.UniPod,unappareilphotonumérique–dontjenesaispassijevaism’enservirunjour,maisc’estuneidéedeLaceyquiinsistepourquej’essaie–,destonnesdefringues,unepaired’escarpinsofferteparmasœur,etunalbumd’ImagineDragonsoffertpar Josh.Une fois libredemesmouvements, j’enprofitepourappelerSimon,maisilnerépondpas.

Annapénètredansmachambresansfrapper.

—Quit’appelles?Tonnouveaujules?demande-t-elle.

—Ils’appelleSimon.

Unprénometiln’enfautpaspluspourquelacuriositéladévore.Annasautesurmonlit.

—Jeveuxtoutsavoir!Àquoiilressemble?Ilembrassebien?

—Beurk,vousêtesdégoutantes!intervientJoshquis’arrêtedevantmachambre.

Annaluilanceunoreillerenpleinetête.

—Dégage,morveux!

Ilcourtdanslecouloir.

—Maman!l’entends-jecrier.

—Alors?demandeAnnatoujourspleined’énergie.

Jecapitule,prendsmontéléphoneetluimontreunephoto.

—Waouh,canon!JecomprendspourquoituaspréférépasserNoëlaveclui.Iladesargumentsdetailleeneffet.

—Anna…

—Non, inutile de chercher à te justifier, je ne suis plus en colère.Après tout, tu as le droit depréférert’éclateravecunmecplutôtqu’avectapetitesœur.

—Tumerassuresparcequ’ilmesemblequ’àceniveau-là,tun’espasenretard.

—Saufquemoijesuiscélibataire.

—Tuasrompuavecmonsieurperfection?

—Pasvraiment.Onenaeumarre.Disonsqu’ons’estséparésd’uncommunaccord.Bref,labonnenouvelle,c’estquejesuisdenouveausurlemarchédescélibatairesetquecesoir,toietmoi,onsort.

—Anna…

—Tunepeuxpasdirenon.MamanetPapasontd’accord.Çafaitdesmoisqu’onnes’estpasvues.Tumedoisbiença.Çamemanque.Unesoiréerienqu’entresœurs,sansceminusquinousespionne.

—Jevousaientendues,ditJoshquejesupposeêtreadosséaucouloir.

Annamefaitsesyeuxdechat.Arg…Jesuisfaible…Jenepeuxpasrésister.

—OK.

—Super,jevaismepréparer.Tudevraisenfaireautant.

Annaouvrelaporte.Joshrecule.

—Jepeuxveniravecvous?demande-t-il.

—Le jour où t’auras des poils auxmentonspeut-être que j’envisagerai que tu sortes avecmoi,répond-elle.

Annalepousseetillasuit.

—AllezAnna!

—Tuestroppetit.MamanetPapanevoudrontpas.

Entournantlatêteverslemiroir,jemerendscomptequejesouris.Ilsm’ontmanquécesdeux-là.Leurschamailleriesm’ontmanquée.

Jem’attaqueàmesvalisesetcommenceàfaireletri.JeprendsunejupeetunpullpourcesoiretlavestequeMadameHarperm’aofferte.

Joshrevientdansmachambre,lenezcolléàsaconsole.Ils’allongesurmonlit.

—Alors,c’estcommenttonnouveaucheztoi?mequestionne-t-il.

—C’estsympa.

—Ilyaunparc,unzoo,desmusées,unepatinoire?

—Ilyaunparc,pluspetitqueNewYork.Pasdezoo,maisdesmagasins,uncinéma.Cen’estpasenrasecampagnenonplus.Cen’estpasNewYork,maisc’estagréable.Monlycéeestcool.Etilyalamer.

—Tunevaspasrevenirvivreavecnous?

Lebruitdesonjeumetapesurlesnerfs.IljoueàMarioKart.

—Non.

—C’estàcausedetonnouveaumec?

Joshestpeut-êtrepetit,maisilnemanquepasdetoupetpoursonâge.

Jeluijetteunpullauvisage.

—Hé!Tum’asfaitperdre,grogne-t-il.

IlfermeenfinleclapetdesaNintendo.

—Commenttusaisçatoid’abord?

—Jet’aientenduautéléphoneavecAnna.C’estpourçaquetuveuxresterlà-bas,tulepréfèresànous?

Jefaisletourdulitetm’allongeàcôtédelui.J’ouvrelesbrasetilvientsecollernaturellementcontremoi.

—Jenelepréfèrepasàvous.C’estjustequemavieestlà-basmaintenant.Ilyamamèreetjemesuisfaitdenouveauxamis.

—Tu avais aussi des copines àNewYork. Et puis nous aussi on est ta famille, tout comme tamaman.

—Jesais.Seulement,c’estpluscompliquéqueça.

—Papaditque tu reviendras l’annéeprochaine,que tu irasà la facdeNewYork. Iladitque tudeviendraisavocatecommelui.

—JenesaispasencoreJosh.C’esttroptôtpourledire.

Ilal’airdéçu.Jem’enveuxdebrisertoussesespoirs.

—C’estpasvraialors?

— Je suis ici pour l’instant.Onn’a pas besoin de penser à l’année prochaine, tu ne crois pas ?Profitonsdumomentprésent.

Monfrèrelèvelesyeuxversmoi.

—Tum’asmanquéSara.

Je lui ébouriffe les cheveux, touchée. Josh ne s’ouvre pas beaucoup. Il a toujours été un petitgarçon réservé, alors l’entendre dire qu’ilm’aime celam’émeut. Il semble gagner enmaturité. Ilgranditsiviteetjenesuispaslàpourlevoir.

Nous restons quelques secondes lovés l’un contre l’autre. Je ne me souviens même plus de ladernièrefoisoùj’aiprismonfrèredansmesbras.

Soudainils’écartepuisserelève.

—Situnerevienspasl’annéeprochaine,jepeuxprendretachambre?Elleestplusgrandequelamienne,argumente-t-il.

—Tuneperdspaslenord.Sipapaestd’accord,elleestàtoi.

—Cool!MerciSara!

Etilsautedulitpuisquittelachambre.Leconnaissant,ilvaréclamermachambredecepasànotrepère.Monpetitfrèreestrusé.Ilsaitcommentyfairepourobtenircequ’ilveut.Çadevraitêtreluilefuturavocatdelafamille.

Jefinismonrangementpuisenfilelajupeetlepullquej’aichoisis.ÉtantdonnéleregardquemelanceAnna,jedevinequecen’estpasàsongoût,maisjen’aipasl’intentiondemechanger.

—Tusorscommeça?

—Tuestrèsperspicacequandtuveux,jememoque.

—Ondiraitunebonnesœur.

Annaamisuneroberougetrèscourteavecdescollantsnoirsetdesbottes.

—Jen’yvaispaspourdraguer.

—Lemessageest assezclair. Jemedemandecomment tuas faitpourattirerdans tes filetsunebombecommetonSimonaveccesfringues-là.

—Bon,onyvaoutupréfèresdiscuterdematenuetoutelasoirée?

—Aprèstoi,dit-elle.

Nousenfilonsnosmanteauxàl’entrée.Monpèrenousrejoint.IlestseulcesoiravecJosh.Laceyaprogramméunesoiréecinéavecsameilleureamie.

—Passezunebonnesoiréeetnerentrezpastroptard.

Masœurouvrelaporte.Monpèreposeunemainsurmonépaule.

—Ilfaudraqu’onparletouslesdeuxdecegarçon,dit-il.

—Papa!

—Tamèrem’enaparlé.

—Jenesaispascequemamanadit,maistun’aspasàt’inquiéter.C’estquelqu’undebien.

—J’aiconfianceentoiSara.Onenreparleraplustardsituveuxbien.

Ilmesouritetnous laisseenfinpartir.Annanousentraîne jusqu’à l’appartementdesameilleureamieoùsedéroulelafête.Beaucoupdelycéensetd’étudiantssontdéjàlà.Lamusiquerésonneàtue-tête.Annaprenddeuxbièresetm’entendune,puismetirejusqu’ausalonimproviséenpistededanse.J’essaiedefaireuneffort,aumoinspourelle,pourqu’ellepasseunebonnesoirée.Jemedisquecen’est qu’une question d’heure. Après vingtminutes de danse acharnée, je commence à fatiguer etm’assois sur le canapé. Je vérifie mes messages, mais Simon ne m’a rien envoyé. Je pose montéléphonesurlatablebasse.M’enfoncedanslecanapé.Levoyagem’aépuisée.J’aienviederentrer.Cen’estmalheureusement pas dans les projets d’Anna.Ellemeprendpar surprise etm’empoigneavec force pour la rejoindre sur le balcon de l’appartement parce qu’elle a repéré « un gars tropmignon».Voilàcommentjemeretrouvetoujoursàtenirlachandelle.Annaa,jenesaispourquoi,toujoursbesoindemultiplesencouragementsavantdepasseràl’action.

Simon

Je suis prisonnier de ma chambre. Ma mère m’a sauté dessus dès notre retour. Ça ne fait quequelquesheuresqueSaran’estplus là,mais je suisdéjàenmanque. Jene savaispascequ’était lemanque avant son absence.Maintenant, je sais que c’est un poids insupportable surmon cœur quim’obligeàpuiserdansmamémoireàlarecherchedumoindresouvenir,dumoindreinstantpartagéauquelme raccrocher pour combler le vide que je ressens quand elle n’est pas là. Plus rien n’estpareilsanselle.

IlestonzeheuresdusoiràNewYork,elledoitprobablementdormir.Jesaisqu’elleaessayédem’appeler,maisjedormais.Jecomposesonnuméro.J’aibesoindel’entendre,deluisouhaiterbonnenuit.Maiscen’estpasellequirépond.C’estunevoixd’homme.

—Allô?

—Quiestàl’appareil?

Legarsricaneavectoutuntasd’autrestypes.

—OùestSara?demandé-je.

—Sara?Ahouais!Jesupposequec’esttacopine.Unenana,cheveuxchâtains,85B,etcorpsderêve?Situveuxmonavis,mongars,t’asdusouciàtefaireparcequetacopine,elleestenbonnecompagniecesoir.

—Qu’est-cequetufabriquesavecsontéléphone?Oùest-elle?

—Jetel’aidit,tacopineestparties’amuser.Lâchel’affairemec.

Ilyadelamusique.Jem’yconnaisassezpourdevinerqu’ils’agitd’unefête.Saradétestelesfêtes.Qu’est-cequ’ellefabriquelà-bas?

Jeraccroche.Jenetirerairiendecetidiotcertainementimbibéd’alcoolàcetteheure.Pourquoicetypeasontéléphone?Jesersrageusementmonédredon.Jen’appréciepasça,denepassavoiroùelleest.Maintenant,jem’imaginelepire.Qu’est-cequ’ellefabriqueputain?Ilfautêtreidiotepourégarersontéléphone.Jen’aipasd’autremoyendelajoindre.Jecomposelenuméro.CetimbécileaintérêtàmepasserSara.

Sara

Annaesttropoccupéeàdanseravecsanouvelleproiepourmeprêterattention.Ainsi,jepeuxenfinm’éclipserendoucepourrécupérermontéléphone.Commeuneimbécile,jel’aioubliétoutàl’heuresur la table. Je pénètre dans le salon et remarque qu’un imbécile se sert demon téléphone. Je luitombedessus,brastenduspourréclamermondû.

—Rends-moiça!ordonné-je.

—Pasdesoucipoupée,tiens.

Illeposedanslecreuxdemamain.

—Àquituparlais?

—Jecroisquetudevraistedépêcherd’appelertonpetit-ami,iln’avaitpasl’aircontent.

Monrythmecardiaques’accélère,jen’oselecroire.Jenaviguesurmontéléphone,consultemesderniersappelsreçus.Cetidiotaraison.Simonm’aappelé.

—Qu’est-cequetuluiasdit?

—Hé!Déstresse,poupée.S’iln’estplusintéressé,moijesuislà.

Le gars se lève et tangue sous l’effet de l’alcool enmimant des baisers. Je le repousse dans lecanapéetm’envais.Montéléphonesonne.C’estSimon.J’ai tout juste le tempsdeclaquer laported’entréeetdem’isolerdanslecouloirpourluirépondre.

—Allô?

—Qu’est-cequetufousSara?

Sontonestglacial,presqueagressif.

—Annam’atraînéeàunedecesfêtes.J’aidûlasuivre.Tutesensmieux?

—Nechangepasdesujet,tuasbu?

—Justeunebière.

—Sara,tudevraisfaireattentionàtoi.Çanemeplaitpas,cetype…

— Je ne le connais pas. J’ai juste égaré mon téléphone. Il l’a trouvé, c’est tout. Tu n’as pas àt’inquiéter!Etpuisc’esttoiquim’asditdeprofiterdelavie.

—Jesais,maisjen’aimepasça,tesavoirseule…

—Jenesuispasseule.Masœurestavecmoi.

—J’aid’autantplusraisondem’inquiéter.

—J’aidéjàunpèreSimon!m’emporté-je.

—TumemanquesSara.

Unefillequej’identifiecommeétantlameilleureamied’Annasortaffoléedanslecouloir.

—Tasœur…elle…

—IlfautquejetelaisseSimon.Jet’aime.Prendssoindetoi.

Je raccrocheet cours jusqu’aubalconoùAnnaest en traindevomir ses tripes. Je la rattrapedejustesseaumomentoùellesepencheau-dessusduvidedesortequ’ellemanquedepasserpar-dessusla rambarde. Pas de doute, le voisin du dessous va déchanter demain matin lorsqu’il constateral’ampleurducarnage.

Jeprendsmasœurparlesépaules.

—OnrentreAnna.

—Attends,lasoiréen’estpasfinie!proteste-t-elle.

—Tun’esplusenétat.Jet’avaisditd’yallermollo.Ilfauttoujoursquetuenfassesqu’àtatête!

—C’estnotrepremièresoiréeensembledepuislongtemps.

Ilfauttoujoursqu’Annaselâchequandjesuislà,àcroirequ’ellesesentprotégée.Jenesaispaspourquoi elle s’amuse à me faire des coups foireux. J’espère seulement que papa, Lacey et Jackdormentàpoingsfermés.Sinon,jen’oseimaginerlesermondontellevaécoper.

Jepoussemasœurhorsdubalcon,l’obligeàmettresonmanteau,metslemienetportenossacs.Sonamienoussuit.

—Çavaaller?Tuveuxquej’appelleuntaxi?

—Non,nousn’avonsquequelquesminutesdemarche.L’airfraisluiferadubien.

Dumoins, je le pensais.Anna s’est arrêtée deux fois pour vomir dans la rue. Je lui ai tenu lescheveux. J’ai pu enfin souffler lorsque nous avons atteint notre résidence et que les portes del’ascenseursesontreferméesderrièrenous.Masœurpuelevomi.C’esthorrible.Ellesomnole, latêtesurmonépaule.

—Tusensvraimentmauvais.

—Jesuisdésolée.Tunedoisriendireauxparents.Jevoulaisquetupassesunebonnesoirée.Jevoulais qu’on s’amuse. Tumemanques. C’est plus comme avant. On avait toujours l’habitude depasserdutempsensemble.Tunousaslaissés.T’aspréférépartirpouruntroupaumé,çatournepasronddanstapetitetête!Toutçapourtedégoterunmec!Maisy’enapleinàNewYork.Jepourraist’entrouverun.Hein,qu’est-cequet’endis?

L’ascenseurs’ouvresurnotreétage.

—Chut…ilesttempsdetetaire.

Jeglisselaclédanslaporte.L’appartementestplongédanslenoir.Jesoutiensmasœurjusqu’àsachambre,l’allume,l’aideàsedéshabilleretl’allongedanssonlit.J’espèrequedemainelleprendraunedoucheavantdevenirprendrelepetitdéjeuner.Ilfaudraaussichangersesdraps.Elledevrameremercier.Jeviensdeluisauverlamise.

—TupourraisreveniràNewYork.Tusais,Johnny,lebeaugossedanstaclassel’annéedernière,jesuissûrequ’ilenpinçaitpourtoi.

—Ils’estfaitpincerpourtraficdestupéfiants.

—Ouais,pasfaux.Maisilyenad’autres.

Jemebaisse,relèvelacouverturejusquesoussonmenton.

—Tudevraisdormir.

Je n’ai pas fait trois pas qu’elle ronfle déjà. Elle aura probablement une bonne gueule de boisdemainmatin.J’espèrequeçaluiserviradeleçon.

J’éteinslalumièreetgagneàpasdeloupmachambre.Onl’aéchappébelle.JememetsenpyjamaetenvoieunSMSàSimon:«Toutvabien.Masœurestivremortedanssachambre,maisçaira.Jesuisdésoléepourtoutàl’heure.Tumemanquesaussi.Bonnenuit,jet’aime».

Montéléphonevibrecinqsecondesplustard.

Saréponse?

«Jet’aime».

JecroisquecettegueuledeboisserviradeleçonàAnna.Aprèsça,nousavonspuenfinpasserunesemainedanslecalmeetlabonnehumeur.Jen’aipaséchappéàcetteconversationavecmonpèreàproposdeSimon,maisjecroisêtreparvenueàlerassurer.Ilm’aparlédutatouage.J’étaiscertainequemamèrenetiendraitpassalangue.Contrairementàelle,monpèrenem’apasfaitunescène.Ilm’aseulementfaitpromettredenerienfairequejenedésirepas.

Joshn’apasarrêtédemeharceleravecmachambre.Malgrémonaccord,papaetLaceyrefusentobstinément qu’il prennema chambre.Mon frère pense que si je plaide sa cause, ils finiront par

céder.

Pour se faire pardonner de notre première soirée catastrophique, Anna m’a traînée dans lesboutiques. Nous avons été au ciné, à la patinoire. Comme au bon vieux temps, nous avonsmêmeemmenéJackfaireduskatedansCentralPark.Pendantl’espacedequelquesjours,c’étaitcommesirienn’avaitchangésaufqueSimonmemanquaitterriblement.

LaceynousaconduitAnnaetmoiauspa.Monpèreainsistépourquej’ailleavecluiautribunalassisteràuneaffairepourlaquelleilplaidait.Jen’aipaseulecouragedeluidirequejen’avaispasenviedefairedudroitcommelui.Celalerendaitheureuxquejepartagecemomentensacompagnie.

Enchemin,ilm’adonnétouslesdétailsdel’affaire.Aucundoute,monpèreestpassionnéparsonmétier.Ilestdouépourdéfendrelaveuveetl’orphelin.

Papaestquelqu’undeminutieuxsurtoutdanssontravail.Depuisquelquesjours,ilnecessedemeparler de la fac. Jeme doute qu’il essaie deme convaincre de venir étudier à NewYork l’annéeprochaine.Ilseradéçulorsqu’ilapprendramesvraiesintentions.Uneannéesabbatiquepourprendredesphotos,ilnevapassauterauplafond.Papaestunacharné,ilneconnaîtpasladéfinitiondumot«vacances».

Commemonpèreleprévoyait,ilagagnéleprocès.Ilestsurunpetitnuagesurletrajetduretour.

—Alors,çat’aplu?demande-t-il.

Je ne pense pas que ce soit le terme approprié pour qualifier un procès, mais je garde cetteobservationpourmoi.

—Tuétaisformidablepapa.

—Mercimachérie.JemesuisrenseignésurlafacdeNewYork.Tudevraisdemanderundossierd’inscription.

Nousyvoilà.Ilnelâchepasl’affairefacilement.Monpèreestdugenreàtravailleraucorpslesaccusésetj’ail’impressionqu’ilfaitdemêmeavecmoi.Alorsjepasseauxaveux.

—Jenesuispascertained’alleràlafac.Jenesuisplussûred’êtrefaitepourledroit.

Monpèreestentraindefaireunulcère.Iltentedegardersoncalme.

—Mais tu as toujoursvoulu faire ça !Depuis toutepetite, tudisaisque tuvoulais faire commepapa.Encorel’annéedernièretuenparlais.Jenecomprendspas.

—J’aibesoind’yréfléchir.

— Il ne te resteplusbeaucoupde tempspour ça.L’année scolaireva se terminerdansquelquesmois,tuserasdiplômée.Situneveuxpasalleràlafac,quevas-tufaire?

—J’aimeraismelancerdanslaphoto.

—Laphotoc’estunpasse-tempsSara.Tupeuxenfaireautantquetuveux,maistudoisd’abordpenseràassurertonavenir.

—Jepeuxprendreuneannéesabbatiqueetalleràlafacensuite.

—Tupourraisaussibienlefaireaprèstesétudes.Tuenasparléàtamère?

—Pasencore.Jen’aieul’idéequerécemment.Je…

Ilm’interrompt.

—Onenreparlerauneautrefoisquandtuenaurastouchédeuxmotsàtamère.

Chaque fois quemon père n’obtient pas gain de cause avecmoi, et que je remets en cause sonautorité,ils’enremetàmamère.

Ilnem’apasreparlédecettehistoiredelasemaine,pasmêmeavantquejeprennel’avion.

Lorsdemondépart,commejem’yattends,Annatireunetêtedesixpiedsdelong,Joshrefusedenous accompagner préférant rester avec Lacey.Autant dire que l’ambiance est tendue dans le taxijusqu’àcequ’onatteigneJFK.

Nousattendonsmonvol.

—TuviendraspourPâques?

—Jenesaispasencore.

Annaestsurlepointdefaireunecrise,maismonpèredésamorceleconflitavantqu’iln’éclate.

—Allons, de toutemanièremême si tu ne peux pas venir pour Pâques, nous serons là pour laremisedesdiplômes.Onnemanqueraçapourrienaumonde.

—C’estpasavantsixmois,bougonnemasœur.

—Tupourraisvenir,luiproposé-je.

—Danstontrouàrat?

—Anna!grondenotrepère.

Ellebredouilledesexcusesetmalgrésamauvaisehumeur,jelaserredansmesbras.

—Prendsoindetoi,etplusdebêtise,chuchoté-je.

—Reviensvite.J’aibesoindemasœur,dit-elle.

—Tupeuxmejoindren’importequand:téléphone,Skype,Facebook,tuasl’embarrasduchoix.Cen’estpluscompliquédenosjours.

—Cen’estpaslamêmechose.Tun’espaslàphysiquement.

Monpèremeserredanssesbras.

Jeleuradresseunpetitsignedemainavantdem’enaller.J’envoieunmessagepourprévenirmamèreetSimonquejesuisdansl’avionpuiséteinsmontéléphone.Jevaisenfinpouvoirleretrouver.Ilsembles’êtreremisdesagrippe.Jeveuxvoirçademespropresyeux.Jevoudraisqu’onaillesepromenermaindanslamainsurlaplage.

Jeprofiteduvolpourmereposeretutilisepourlapremièrefoisl’iPodquel’onm’aoffert.Annaachoisitouteunesélectiondemorceauxpourmoi.J’écoutelachansonMakemefalldeNinaNesbitt.

ChapitreQuatorze:Quandlavéritééclate

Sara

JenepensaispasêtreunjouraussiheureuseenmettantunpiedenCalifornie,etpourtantalorsquejetraversel’aéroport,j’ail’impressiond’êtrechezmoi.Undimanchecommejelesaime.Simonestdevenumamaison.

Dès l’atterrissage, j’allumemon téléphone,mais jen’ai toujourspaseude sesnouvelles. Je l’aiprévenudemonarrivée.Ilyenauneenrevanchequiestpileàl’heure,c’estmamère.Deloin,ellemefaitdegrandssignes.Philsetientàsescôtés.Mamanestradieuse.Ellemeprenddanssesbrasetm’embrassecommesicelafaisaitdesmoisqu’onnes’étaitpasvues.C’estassezdéconcertantpourlecoup. Phil fait toujours preuve d’une extrême réserve et se charge demes valises pendant quemamèrepasseunbraspar-dessusmesépaulesetmepousseverslasortie.

—Tuasfaitbonvoyagemachérie?

—Longcommed’habitude.Maisc’étaitbonderevoirtoutelafamille.

—Commentvont-ils?

—Ilsvontbien.

—Tantmieux,parcequej’aieutonpèreautéléphoneetilavait l’airremontécontretoi.Jen’airiencomprisàcettehistoiredefacetd’annéesabbatique.Tunepensespassérieusementàmettreenstand-bytesétudes?

—Maman,tuveuxbienqu’onenreparleplustard?

—Tu ne peux pas risquer de compromettre ton avenir. Si tu prends le risque de toutmettre enpausepourfairelafêtedurantuneannée, tun’espascertainedepouvoirremettrelepiedàl’étrieraussifacilementnidepouvoirt’inscrireàunebonnefac.

—J’aisimplementditquejenemesentaispasfaitepourledroit.J’aiémisl’hypothèsedeprendreuneannéederéflexion,riend’autre.Jenecomptepasfairelafêtedurantunan!

—Qu’est-cequetucomptesfairealors?

—Tuveuxvraimentqu’onsedisputealorsquejeviensjusted’arriver?Parcequej’auraismieuxfaitderesteràNewYork.

—Pardonne-moimachérie,tuasraison.Tuviensjustederentrer.Jevaisfaireuneffort,s’excuse-

t-elle,sincèrement.

—Qu’est-cequevousdiriezdedînerdansunbonrestocesoirpourfêtertonretour?proposePhilderrièrenous.

—Ceseraituneexcellenteidée.Jemeursdefaim!m’exclamé-je.

Phil soulève lecoffrepourdéposermesdeuxvalises.Mamanneparleplusdemonaveniretcen’estpasplusmal.Durantletrajet,j’envoieunSMSàSimonpourluidemanderdesejoindreànous.

PhiletMamansechamaillentquantauchoixdurestaurant.C’estlapremièrefoisquejemesensvraimentbienàunendroit,etc’estgrâceàSimon.Jen’aipluspeurdefaireletourdumonde.Aveclui,j’ailasensationquejeseraispartoutchezmoi.

J’observeleslignesblanchessurl’autorouteainsiquelesvoituresquinousdépassent.JereçoisunSMSdeSimon:«Désolé, jenepeuxpascesoir, j’suisoccupé»ceàquoijeréponds:«Ilyaunproblème?».

Çane lui ressemblepasdebouderune invitation.Cesderniers joursontétéune torture, et étantdonné ses messages et nos conversations, je pensais qu’il sauterait de joie à mon retour ets’empresseraitdemeretrouver.Voilàpourquoijemefaissoudaindusoucipourlui.Ilyaforcémentquelquechosequiclochepourqu’ilrefusedemerejoindre.Est-cequ’ilm’enveutencorepourcettestupidefête?Ceseraitcomplètementidiotmêmesil’idéemetrottedanslatêteparcequedepuisjeletrouveplusfroidautéléphone.Ilsetramequelquechose.

«Ne t’inquiètepas, toutvabien.Problèmefamilial, soucidesantépourmagrand-mère, riendegrave.Jesuispartieavecmamère.Onresteunesemaine,peut-êtrequinzejours,jenesaispasencore.Jetedonneraidesnouvelles.J’aihâtedeterevoir.Passeunebonnesoirée.Jet’aime,Simon».

Jenesaispassijedoislecroire.Ilnem’ajamaisparlédesagrand-mèreetencoremoinsdesessoi-disantproblèmesdesanté.Jecommenceàangoisser.Nousn’avons toujourspasparlé,ets’ilyavaitunproblème?

Je l’appelle,mais ilnemerépondpas.JecontactealorsZoé.Elleconfirmel’alibidesonfrère.J’auraisdûm’yattendre.Visiblementleurgrand-mère,quirésideauTexas,auraitfaitunemauvaisechutedans lesescaliersenmilieudesemaine.Zoéadesexamens,ellenepouvaitdoncpasfaire ledéplacement.Simonapréférénerienmedirepournepasm’inquiéter.Ilpensaitrevenirceweek-end,maisMonsieurHarperadûrentreràcaused’affaireurgenteetSimonneveutpaslaisserleurmèretouteseule.

Zoésembleavoirréponseàtout.Maisj’aidesdoutesquimerongent,metrottentdanslatête.J’aiunmauvaispressentiment,lasensationqu’onmecacheunenouvelleimportante.J’espèresimplementmetromper.Seigneur,faitesensortequejemetrompe!

Le cœur lourd, je pénètre dans l’enceinte du lycée.La plupart des élèves sont excités parce quenous sommes vendredi. Et qui dit vendredi, dit week-end, fêtes, alcool, musique… bref, c’est la

débauchegarantiedurantlesprochainesquarante-huitheures.Peuimportelesconséquences,certainssontprêtsàvomirleurstripesrienquepourprendreunecuite.Ilsressententlebesoinderepousserleurslimites,desensationforte,jeprésume.

Cen’estpasauprogrammepourmoi.J’aireçuchaquejourunmessagedeSimonrassurantpourmedirequetoutallaitbien.Nousn’avonspaspufêtersonanniversaireensemble.Jeluiaienvoyédestas demessages auxquels il n’a pas souhaité donner suite. Il reste toujours très évasif, ne répondjamaisclairementàmesquestionsquandilyrépond.Ilpossèdesanséquivoquel’artdel’esquive.Pasdedoute,ilestsacrémentdoué.J’aieubeaul’appelerplusieursfoisparjour,ilnedécrochejamais.Jemecontentedequelquesmessagesfurtifsetde«jet’aime»disséminéspar-cipar-là.C’estfrustrant.Ça fait exactement treize jours que je ne l’ai pas revu. Treize jours durant lesquels j’attendsdésespérément son retour. Sa grand-mère vamieux. Ilme dit faire tout son possible pour rentrer,maisquesamèreestdifficileàconvaincre.

Pour atténuer le manque, je me contente du cadre photo qu’il m’a offert et de celles que j’aidéveloppées àmon retour deNewYork.Ma préférée, c’est lorsque nous nous tenons l’un contrel’autre en combi, ski à lamain, prêts à taquiner la poudreuse. Il y en a une également où je suisendormie, Simon en est sûrement l’auteur. Inévitablement, ensuite je me remémoremes premiersessaisdésastreux,lesriresdeSimonalorsquejerataistouslespiquets.Unevraiecalamité.

Lasonnerievientd’annoncernotrepausematinale.Ilestdixheures.Jequittelecoursd’histoireetfileversmoncasierpourydéposermonmanuel.Lorsquejerefermelaporte,jesursaute.Lindaestjuste devantmoi. Jeme demande bien ce qu’elleme veut. Elleme regarde tellement bizarrementqu’ellecommenceàmefaireflipper.

—Jepeuxt’aider?

Ellebaisselesyeux,serrelescahiersqu’elletientdanssesbrasunpeupluscontresapoitrine.Çaapresque l’air d’un geste d’autodéfense. Du pouce, elle corne le coin d’un bouquin avant dem’accorderdenouveausonattention.

—Est-cequ’ilvabien?

Je ne comprends pas sa question.Elle parle deSimon, c’est évident.Mais j’ai bien envie de luidemandercequeleshistoiresdefamilledemonpetitamipeuventbienluifaire.Elleestaucourant.PourquoiSimonluiauraitparlédesproblèmesdesantédesagrand-mère?Moncœurseserre.Ilssonttoujoursencontact.Jecroyaisqu’ellenel’intéressaitplus.Jesuiscomplètementpaumée,jenesaisplusoùdonnerdelatête.Çacommenceàfairebeaucoup.

—Oui.Excuse-moi,ilfautqueje…

J’essaiedeluifaussercompagnie.

—Jesaisqu’ilvientjustederentrer.Jemedemandaissi…

—Non,iln’estpasencorerentré.Enfinpasquejesache!lacoupé-je.

Lindareculed’unpassanss’enrendrecompte.Ellemanqued’échappersescahiers.Cesderniers

glissententresesdoigtsavantqu’elleaffermissesaprise.

—Ilsontdécidédelegarderquelquesjoursdeplusàl’hôpital?

—Quoi?Garderqui?

Jen’ycomprendsplusrien.

—Lesmédecins,enfintuvois…

Non,jenevoispasdutout.Monpoulss’accélèretoutàcoup.Jecroiscomprendre.Jedéglutis.Lesyeuxembués, jenevoismêmeplusLinda. Je repenseàcesderniers jours. Jemetsboutàbout lessouvenirs, les indices, l’histoire deMadameHarper et je crains de comprendre. C’était juste sousmon nez, gros comme une maison et je suis passée à côté. Les absences répétées de Simon, sesinnombrables excuses pour éviter que je vienne chez lui, l’attitude paniquée de Madame Harperlorsqu’ilaeudelafièvre,cettehistoiredetentativedesuicide,desagrand-mèremalade…Jesavaisqu’ilyavaitquelquechose,j’avaistroppeurdevoirleschosesenface.J’airefuséd’ouvrirlesyeux.C’est comme si Linda venait de me frapper avec une batte de baseball. Je suis sonnée, j’ail’impressionquelecielmetombesurlatête,quetoutmonmondes’écroule.Jenepeuxplusrespirer.L’angoissemenouelagorge,meprendauxtripes:jevaisvomir.

—Simonestmalade?

Rienqu’àsesyeuxexorbités, jesaisque jevise juste.Lesmiensmebrûlent.Çanepeutpasêtrevrai.

— Tu... tu l’ignorais ? Je pensais que tu… qu’on parlait de la même chose. Je suis désolée,bredouille-t-elleavantdes’enfuir.

Ellecourtdanslecouloir.

—Attends!hurlé-je.

Maisellenes’arrêtepas.

Des têtes étonnées se tournent versmoi,mais je les ignore. Je voudrais la retenir,mais je suisincapabledebouger.Jenesaispasencorecequecetterévélationinduitpournous.J’aipeur.

Quelqu’untouchemonépauleetjeneréagispasavantquemameilleureamieapparaissedansmonchampdevision.Maintenant,jesuisenvahieparlarancœur.Miasavaitetellen’ariendit.Elleauraitpu éviter toute cette douleur. Enfin peut-être pas la douleur, mais l’effet de surprise, la sensationd’avoirététrahie,celledes’effondrer.Maisellenel’apasfait.Jenesaispassijepourraisunjourluipardonner.

—Quelquechosenevapas?

Jehausseunsourcil,c’estévidentqueçanevapas.Çanepourraitpasallerplusmal.Jeluifaussecompagnie,bousculedesélèvessurmonchemin.Ilmefautdel’air,toutdesuiteoùjevaisétouffer.Jepousselesportesdulycéeetrespireàpleinpoumonl’airfroidau-dehorsjusqu’àcequemagorge

soitcomplètementgelée.Jecherchemesclésdansmonsac.Ilfautquej’aillelevoir,quej’enaielecœurnet.Jeveuxl’entendredesabouche.

Lesportesclaquentderrièremoi.Miam’asuivie.

—Qu’est-cequiteprend?Oùtuvas?

Lespoingsserrés,jefaisvolte-face.

— Je te faisais confiance, tu aurais dû tout me dire ! Comment tu as pu me cacher une chosepareille?

—Iltel’adit?

—Non,c’estLinda.Enfinçan’apasd’importance,peuimportecommentjelesais!Tusavaisettunem’asriendit!

Mias’approcheetjerecule.Ilesthorsdequestionqu’ellemetouche,qu’ellemeréconforte.Jeneveuxpasdesonamitié,pasmaintenant,aprèsqu’ellem’aitmenti.

—J’avaispromis.J’aiessayédeteledire,maisjen’aipaspu.Jen’enaipaseulecourage.

—Tusaisquoi,jeneveuxriensavoir!

Jem’éloigne,faisdeuxpas.Ellecourtetmeretientparlebras.Jemedégagedesonemprise.

—Sara,jet’avaisprévenue.Jet’avaisditqu’ilteferaitsouffrir!

—J’avaisconfianceentoi!

—Jen’aijamaisvouluça.J’aiessayédeleconvaincredeteparler,maisiln’apasvouluentendreraison.Simonm’avaitpromisdetouttedirecesprochainsjours.

—Qu’est-cequ’ila,c’estgrave?

—Je…jenepeuxpasteledire,c’estàlui…

Je prends sa réponse pour un oui. Je ne l’écoute plus etmarche rageusement jusqu’au parking.Cettefois,ellenemesuitplus.

Jemontedanslavoiture,claquelaportièreetfaismarchearrièrerapidement.Lespneuscrissentsurlebitume.Ilfautquejeluiparle.Ilmedoitdesexplications.J’aibesoind’extériorisertoutecettecolère,toutescespeursquiviennentdesurgir.J’aibesoindecomprendre.

Simon

Jemesensencorefaible.Jesuisrentréàlamaisonseulementhier,aprèsunesemainedecalvaire.JenesaispasencorecequejevaisdireàSara.Àforcedeproférermensongesurmensonge,jenesaisplusoùj’ensuis.Mamèreestaupetitsoin.Saramemanque,maisjenepouvaispasprendrelerisquedel’appeler,qu’elleperçoiveàmavoixquequelquechosen’allaitpas.C’estgrâceàellesijen’aipascraqué.Jemesuissouvenuquedansl’adversitéilfallaitsurtouts’attacheràneretenirquelepositif.

Jesuisdansmonlit.Jen’aiquasimentplusdeforce.Mamèrerefusequej’enbouge.Elles’exerceencuisine.Elleaentreprisdemefaireunjusd’orangefraisetellenemanquepasd’argumentpourme faire avaler toutes sortesd’aliments censésme redonnerdes forces. Je les avalepour lui faireplaisirseulementparcequejesaisqueçalarassure.

J’envoieunmessageàSara:«Jeseraisderetoursamedi,jepasseraischeztoi.Letempsmetarde.Jet’aime.»Durantmonhospitalisation,jenepensaisqu’àremonterlapenteafindelaretrouver.Jen’aijamaiseumeilleuremotivation.

Jereposemontéléphonesurlatabledechevetquandmamèreentredansmachambre,ungrandverredejusd’orangepresséàlamainqu’elleposeàcôtédemontéléphonesurlatabledechevet.

—Toutvabien?Tuveuxquejeredressetesoreillers?

—Non.C’estbon,maman.

Comme d’habitude, elle nem’écoute pas, se baisse et entreprend de relevermes coussins. Je lalaisse faire, conscientquecen’estpas lemomentde la contrarierparcequec’est à cemoment-là,aprèschaquehospitalisationquemamèreestlaplusfragile.Semettreenquatrepourmoi,nettoyer,cuisiner,remontermesoreillerssontautantdegestesquil’aidentàtenirlecoup.Ainsi,ellenepenseplusàl’inévitable.Jeluifaisvivrel’enfer.J’aimeraispouvoirfairequelquechosepourchangerça,maiscen’estpasenmonpouvoir.

Lasonnetteretentit.

—Tuattendsdelavisite?l’interrogé-je.

— Pas que je sache. Je vais voir qui c’est. Quand je reviens, je veux que ce verre soit vide,prévient-elleendésignantlejusd’orange.

Elle s’en va. La sonnette retentit encore. Visiblement il s’agit, non seulement, d’un visiteurimprévu,maisdesurcroitimpatient.Jetendsl’oreillepuisjel’entends.Savoix,celledeSara.Moncœurfaitunbond.Mamèrehurlesonprénom.Elleessaieprobablementdelaretenir.Jesautehorsdulit. Jen’aipas encore franchi laportequ’elle l’ouvre à lavolée et se retrouve là, devantmoi.Seslarmesmefendentlecœur.J’ignorecequisepasse.J’effleureduboutdesdoigtssajoue,maiselle

lesrepoussesansménagement.

—Sara,qu’est-cequisepasse?

Je sens l’angoisse me nouer l’estomac.Ma mère achève de monter les escaliers. Elle est justederrièreSara,maisn’oseintervenir.

— Comment tu as pu me cacher ça, me mentir ? Tu croyais que je ne m’en rendrais jamaiscompte?

Moncœurpalpite.

—Commenttu…?Mia…

—Linda!Peuimporte.Jen’arrivepasàcroirequetun’aiespaseuassezconfianceenmoipourmeledire!Etmoiquim’inquiétaispourtagrand-mère.Jemefaisaisdusoucipourtoi,parcequejet’aime.Jecroyaisquetum’aimais!

—Jet’aimeSara.

—Pasassezpourmedirelavérité.Tuaspasséplusd’unesemaineàl’hôpitaletjel’ignorais.J’aibesoindesavoir.

Jesuisaupieddumur.Jepressedoucementsonpoignetpournepaslabrusqueretfaissigneàmamèredes’enaller.Maisellenebougepas.

—Tudevraist’asseoir.

Sararesteaussiimmobilequemamère.Elleessuiedureversdelamainseslarmes.

—Jenebougeraipasd’icitantquejenesauraispasdequoiilretourne.

Jen’aipluschoix.Perduetdésespéré,jeprononcecesmotsquim’écorchentlabouche.

—J’ai…j’ailamucoviscidose.

Le prononcer à voix hauteme donne l’impression d’avoir pris une claque,mais la plus grandegifle,jelaprendsenregardantSara,enconstatantsadétresse,sonchagrindontjesuislacause.C’estpourçaquejenepouvaisriendireparcequejeredoutaissaréaction.

Sesépauless’affaissent,ellemanquedes’écrouleràterrecommesielleportaittoutelatristessedumonde.Dejustesse,jelaretiensetlaserrecontremoipourlarassurer,pourluiinsufflerlaforcedesurmontertoutça.Jesaisqu’onpeutyarriver.

Elleéclateensanglots.Seslarmess’écrasentsurmonépauleetsapeinemeheurtedepleinfouet.Jeluicaresselescheveux,baisesonfrontdélicatement.

—Non,non,non,non…répète-t-elleenboucle.

Jecontinuedecaressersescheveux.Jenesaisplusquoifaire.Saraestassailliedesoubresautsetpoussedesgémissementscommesielleagonisait.Cenesontpasquedessanglots,cesontdescrisdedouleurs.Elleselaissealleruneminuteàn’écouterquesonchagrinpuismerepousse.J’aidumalàsoutenirsonregardlarmoyant.

—Dis-moiquecen’estpasvrai…tunepeuxpas…jenecroispas.Tu…Tuvasmourir…jenepeuxpas…jenepeuxpas…Tun’esqu’unlâche!

Jem’approche. Je ne veux pas laisser le vide s’installer entre nous. Je ne supporte pas qu’elles’éloigne.Jenepeux lepermettre.Ellea raison.Jesuisun lâcheparceque j’aipréférémentir,mecacherparamour.Etpourça,jeplaidecoupablesanshésitation.

Desesdeuxmains,ellemerepousseviolemmentetsongestemefaitl’effetd’uncoupdepoignardporté en plein cœur. Sara paraît aussi surprise que moi par ce qu’elle vient de faire. Elle court,bousculemamèreetdévalelesescaliers.Jelasuis,mamèreànostrousses.Malheureusement,Saraestplusrapidequemoi.Laported’entrées’ouvreàlavolée,ellefouledéjàlesablealorsquejen’ensuisqu’à ladernièremarchede l’escalier,complètementessoufflé.Foutuemaladie ! Jenevaispastarderàm’effondrer,jen’arrivepasàcroirequ’ellemetourneledos.C’estinsupportable.Ilfautquejelaretrouve,quejeluiparle.Çanepeutpassefinircommeça.

Mamèremebarrelechemin.

—Laisselà.C’estmieuxainsi.Accorde-luidutemps.Ellereviendraquandelleyverraplusclair.

—J’aibesoind’elle.

—Jesaismonchéri,jesais.

Jesuisprisd’unvertige.Mamèrepasseunbrassousmonépaulepourmesoutenir.

—Tudoistereposermonchéri.Sarat’aime.Ellereviendra,jen’aiaucundoutelà-dessus,tente-t-elledemerassurer.

Elleme force à remonter les escaliers. J’espère qu’elle a raison. Sans Sara, je ne pourrais pascontinuer.Jen’yarriveraispassanselle.Jel’aimetroppoursupporterl’idéequ’ellemehaïsse.Jeneveux pas quitter cette terre sans lui avoir prouvé à quel point je l’aime. Parce quemalgré tout cequ’ontraverse,malgrélesdifficultésquisedressentsurnotrechemin,ilyatantdebelleschosesquienressortent,tantd’amouràpartager,tantdebonsmomentsencoreàpasser.L’avenirn’ariend’unescience exacte,mais ce dont je suis sûr, c’est qu’il sera toujours question demes sentiments pourSara.Jel’aidanslapeau,c’estaussisimplequecela.

Sara

J’aidumalàdistinguerlarouteàtraversmeslarmes,maisjenepeuxrienfairepourinterrompreleur flot continu. Tout ça n’a aucun sens pour moi. J’étais sur un nuage et je viens de chuterbrutalement.Leciels’effondre.Toutmonmondes’écroule.Jeneveuxpasycroire.Jenepeuxpaslesupporter.C’estinjuste.Jenouscroyaisinvincibles,capablesd’affrontertouslesobstaclesmaindanslamain,caronditdel’amourqu’ilcréedesmiracles.Malheureusement,ilcréeaussidesdéceptions.Jenepensaispasqu’onpouvaitàcepointsouffrird’aimer.Jeviensmalgrémoidel’expérimenter.

J’aiunebouleàl’estomac,lesminutesquiviennentdesedéroulerrepassentenboucledansmatêtetoutcommecemot:«mucoviscidose».Etjesenscommeuneondedechocmetraverserdepartenpart.Despicotementsmeparcourentl’échine.Unétauenserremagorge,mesyeuxmepiquent,mesmuscles se crispent,mespoils sedressent,mapeau frissonne, la paniqueme tenaille et le chagrinm’assaille si fort que je suis quasiment certaine de ne jamais pouvoir le surmonter. Je tremble derage, je trembledepeur, je trembled’amourpour lui. J’ai toutsimplementpeurde flancher,parceque je sais que si ça arrive, je ne pourrais pasme relever. Je suismorte de trouille à l’idée de leperdre.Leslarmessedéversentencoreetencore,maisj’aibesoind’évacuertoutecettepeinequimesubmerge.

J’aidumalàrespirer,l’impressiondesuffoquer.Mespleursredoublent.Moncœursaigne.Çanes’arrêtera donc jamais, la douleur. J’ai tellement mal. Mal à en crever. Je n’arrive pas encore àréaliser,àcomprendrepourquoiiln’ariendit,commentj’aipuêtreaussistupideaupointdenerienvoir.

Jemegaredevantlamaison,traversel’alléeencourantpuisclaquelaportederrièremoi.Mamanestlà.Ellem’avuearriver.Àvraidire,jecroismêmequ’ellem’attendait.Jen’aipasencoregravilapremièremarchequ’ellemetombedessus.

—Le lycéevient justedem’appeler. Jemesuis faitunsangd’encre !Qu’est-cequi teprenddesécherlescourscommeça?Oùétais-tu?s’énerve-t-elle.

Lescours!Çam’estcomplètementsortidel’esprit.C’estbienledernierdemessoucis.

Commejesuisincapabledeluifaireface,mamantiresurmonpoignetafinquejepivoteverselleetdécouvreenfinmonvisagebaignédelarmes.

—Sara,qu’est-cetuas?demande-t-elled’unevoixplusdouce,pleined’inquiétude.

Jen’aipasenviedeparler.Jen’aipasenviedeprononcercesmots.J’aipeurqueçanerendelasituationplusréelle.C’esttropdur.Jenesuispasprête.

Mamanprendmonvisageencoupeentre sesdeuxmains, l’examineavecattention.Ellecherchedesréponses.

—Parle-moiSara,insiste-t-elle.

Ma voix, je l’ai perdue. Tout ce que je voudrais, c’est crier ma haine jusqu’à ce que ma voixdéraille,jusqu’àn’avoirplusdecordesvocales.

Mamanôte sesmainsdemonvisage.Elle s’attendà ceque je réagisse.Au lieudeça, je coursjusqu’àma chambre,m’affale surmon litmonvisageplaqué contre l’oreiller. Je serre ce dernierdansmonpoingcommesimavieendépendait.Jevoudraiscasserquelquechosepourévacuermarage, frapperpour fairemal, cogner jusqu’àverser le sang.Au lieudeça, je suis secouéparmessanglots. Le matelas s’affaisse, ma mère me serre dans ses bras et me caresse le dos. Ce n’estmalheureusement pas suffisant pour atténuer la douleur. Elle assiste impuissante à mon chagrin,caressemonvisageetessuiemeslarmes.

Moi et lui ça ne peut pas se terminer ainsi. Je me noie dans le chagrin. Je ne pourrais jamaism’arrêterdepleurer.C’estimpossible.Jesuisentraindetomberdanslevideetjen’airienàquoimeraccrocherhormislasouffrancequim’habite.

Mamèrepressemonépaule.

—Sara,dis-moipourquoituesdanscetétat.

D’unevoixétranglée,jeluirépondsenfin.

—Ilestmalade,maman.Simonalamucoviscidose.Ilvamourir.

Ellepresseplusfermementmonépauleetfroncelessourcils.

—Simon?Maiscomment…enfin…tuenessûre?

Jehochelatêtealorsqueleslarmesn’enfinissentplusdedévalermonvisage.

—Machérie,c’estpeut-êtrelesignequetudevraisprendredurecul.Vousvousfréquentezdepuispeu.Leschosessontalléestrèsviteentrevous.Iln’yapasdehonteàfairemarchearrière.Vousêtesjeunes.Vousnepouvezpasencoreêtresûrsdevossentiments.Riennet’obligeàt’infligertoutceci.

—Tunecomprendspas!C’esttroptardmaman.Jesuisdéjàamoureusedelui.

Alorsquejeprononcecesmots,jeréalisel’ampleurdemessentiments.Jel’aime.Jedevraisêtreàsescôtés.Aulieudecela,jemesuisenfuiecommeuneimbécileégoïsteaumomentoùilavaitleplusbesoindemoi.Ilesthorsdequestionquejel’abandonne.Ilfautquej’yretourne,quejeluiparle.

Jemerelève.Jenepeuxpasrestericiàmelamentersurmonsort.Jeneveuxpasqu’ildoutedemes sentiments, qu’il me pense trop faible pour affronter ça avec lui. Simon serait capable dem’écarterpourmeprotéger,maisilneferaitqueremuerdavantagelecouteaudanslaplaie.

—Oùtuvas?demandemamère.

—Ilabesoindemoi.

—Tun’espasenétatd’yaller…tente-t-elledeprotester.

Maisjenel’écoutedéjàplusetcoursdanslesescalierspourremonterdanslavoiture.

Mamèremepoursuit,essayedem’arrêterenhurlantmonprénom,maisjereculedansl’alléeetquittelequartier.

ChapitreQuinze:Laviecontinue

Simon

Jescrutel’écrandemontéléphone,maisjen’aiquepeud’espoirqueSaram’appelle.Mamèreainsistépourquejeregagnemonlit,maisjen’arrivepasàtrouverlesommeil.Elleestpartiefairedescourses,m’afaitjurerpasmoinsdetrentefoisdel’appelersijemesentaismal.Jesaisqu’ellen’estpasrassurée,moinonplus,d’ailleurs.Pourlapremièrefoisdemavie,j’aivraimentpeur.Jen’avaisjamaisrienressentidetelavantSara.J’aipeurdelaperdre,deperdremaseuleraisondevivre.Sij’étaisenétat,jeprendraislevolantetcourraitlachercher,maisjemesenstropfaible.Monsouffleestlent.Moncœurbatauralenti.MamèreainsistépourquejerecoureàlaVNIdurantsonabsence,maisj’airefusé.Jedétestetoutescesmachines,touscesmédicaments,toutescescontraintes.

Jem’assoupisquelquessecondes,fermelesyeux,puissursautequanddeslèvreshumidesseposentsurmabouche.Jenel’aipasentendue.Jemedemandemêmesijenesuispasentrainderêver.Lavoirmeprocureunimmensesoulagement.Sesyeuxetsesjouessontrouges.

—Tuesrevenu?

— C’est impossible sans toi. Je suis désolée – elle renifle –. Je t’aime tellement, je t’aime, jet’aime…Jen’auraispasdûpartircommeça…Je…

—Chut…

—Tuauraisdûm’enparlerplustôt,j’auraiscompris.

—J’aivutropdegenssouffrir.Jevoulaist’épargner,teprotéger.

—J’aisipeur.

— Je sais,moi aussi j’ai peur.Mais ces derniers temps, j’arrive à gérerma peur parce que jet’aimeSara.Nemerefaitjamaisça.Net’éloigneplusjamaisdemoicommeça.

Jeglissemamaindanslasienne.Sapeaucontrelamiennem’apaise.Jerespireunpeumieuxlibéréd’unpoidssurlapoitrine,rassuréqu’ellesoitrevenueversmoi.

—Mêmesijelevoulais,jenepourraispas.

—Alorsc’esttoutcequicompte.Jen’aipasbesoindeplus.Jesuisheureuxquandjesuisavectoietjeveuxqueçacontinue.Jeneveuxpasqu’onlaissecettefichuemaladienousbousiller.Toutcequejeveux,c’estvivrenormalement,t’aimerchaquejourquedieufait.Tucroisquetupeuxlefaire?

—Jevaisessayer,dit-elle.

—Bats-toipourmoi,pournous.Lerestem’estégal.Bats-toiavecmoi.J’aibesoinde toi. JenepeuxpasfaireçasanstoiSara.Sinonçan’envautpaslapeine.

Ses yeux brillent. Elle va se remettre à pleurer. Je me redresse et me penche vers elle pourl’embrasser.Jenemelassepasdesesbaisers.Puiselles’allongeprèsdemoi,collesatempesurmapoitrine.

—Repose-toi,tuasbesoindedormir.Net’inquiètepas,jenebougepasd’ici.Jeseraistoujourslààtonréveil,dit-elle.

Je sombre et me laisse emporter facilement par le sommeil. Plus rien ne me retient. Mesinquiétudesm’ontquittédèsqueSaraaposéunpieddansmachambre.

Sara

Depuisl’annoncedesamaladie,nousessayonsdefairecommesirienn’avaitchangé,commesirien de tout cela n’était vrai. Mais je ne sais pas si c’est la bonne solution. Simon refuse qu’ons’éternisesur lesujet.Quantàsamère,aucontraire,ellenecessedemesolliciter.Elleespèrequemaintenantque je suis au courantde tout, j’auraisune influencepositive sur son fils.Ellemevoitcertainementcommeunbonpetitsoldatbiendocilesoumisàsapropagandequiiraprêcherlabonneparole.Maisc’estinutile.CarSimonn’écoutepersonned’autrequelui,etenmêmetemps,jen’aipasdutoutenviequesaviechange.Jen’aipasenviequ’ilsesentedifférent,jeneveuxpasqu’illesoit.Maladeounon,ilesttoujourslemêmejeunehommequej’aidétestéaupremierregardetdontjemesuis éprisepassionnément au second. Jenepourrais jamaism’enexpliquer.L’amourne s’expliquepas, il se ressent et j’en ai tellement pour lui que je n’ai pas de temps à perdre dans desquestionnementsinutiles.

Biensûrquej’aiconsciencequenotrevieneserajamaistoutàfaitnormale.Maisqu’est-cequelanormalité,après tout?Des tasgenssouffrentdediversesmaladies,certainsenmeurent,mais ilnefautpasoubliersurtoutquebeaucoupd’autresguérissent.Etmêmesicertainsn’ontpascettechance,l’importantc’estqu’ilssoientlàavecnous.Peuimportedesavoirpourcombiendetemps!Desjours,desmois, des années… Tout ce qui compte, c’est le temps qui nous reste.Mais j’avoue que celadevientdeplusenplusdifficile,carauxpremierssignesdefatigue,dedifficultérespiratoire, jenepeuxmasquerlapaniquequimesaisit.Elles’estinstalléeauplusprofonddemoietjenepourraispasladéloger tantqueSimonneserapas tiréd’affaire.Seulement, ilnesera jamais tiréd’affaire.Carrienàcejournepermetdeguérirdecetteputaindemaladiequileronge,etpasseulementlui,maiségalementtousceuxquitiennentàlui,l’aimentetlesoutiennentdanslesmomentsdifficiles.EtDieusaitquejel’aime!

Pouraujourd’hui,toutlemondeessaiedefaireabstractiondelamaladie.C’estPâquesetsimamann’apluslecœuràmesonnerlesclochesdepuisqu’ellesaitpourSimon,elles’activeardemmentàlapréparationdudéjeuner.Elleveillesurlespréparatifsdurepasetpasseencoupdeventàlasalleàmanger pour vérifier que tout est parfait. Maniaque, elle ne peut s’empêcher de rapprocher uncouteaud’uneassiettejugeantcertainementqu’ilestpluséloignéquelesautres.

Simon et moi sommes lovés sur le canapé. Ce dernier a été exempté dumoindre effort et j’aiobtenumoiaussi lagrâcematernelle.Ainsi,Phil seplieauxquatrevolontésdemamancommeunbonpetitcommisdecuisine.Toutsembleprêt.Mamanafaitdesbouchéesàlareinepourl’entrée,ungigotd’agneauetungratindauphinoisenplatprincipal,etunemousseauchocolatendessert.Monestomaccriedéjàfamine.Nousn’allonspastarderàpasseràtable.MamanainvitéZoéetMiaàsejoindreànous.ElleaégalementconviéMonsieuretMadameHarper,maiscommeilssesontrendusà San Francisco pour assister à je sais plus quelle conférence financière, ils ont dû déclinerl’invitation.

On sonne à la porte.Maman crie qu’elle va ouvrir pour éviter que jeme lève. Comme jem’yattendais,ZoéetMiaviennentd’arriveretnousrejoignentdanslesalon.Montéléphonesonne.C’est

Anna.Jem’empressededécrocher.

—Alorscommentseportemagrandesœur?demande-t-elled’unevoixenjouée,toujourségaleàelle-même.

Annas’inquiètebeaucouppourmoidepuisquejeluiaiapprislavéritéàproposdeSimon.Ellemesoutientdumieuxqu’ellepeut,maisavecladistance,latâcheestcompliquée.Malgrétout,sescoupsdefilmefontdubien.Elleestlaseulequipuissevraimentmecomprendre.

—Onfaitaller.Onvabientôtpasseràtable.

—Alorstuferaisbiendetedépêcherdenousouvrirlaporte!s’exclame-t-elle.

Uncoupdeklaxonretentitetjerestestupéfaite.Jemedemandesij’aivraimentbiencompris.

—Qu’est-cequetuattends?Nousaussionafaim!dit-elle.

Jelâcheletéléphonesurlecanapéetcoursjusqu’àlaportedevantleregardéberluédemesamies.Maisjenemesuispastrompéeparcequelorsquej’ouvrelaporteAnnametombedanslesbrasetPapanousregarded’unairamusé.Ilm’embrasseaprèsqu’Annam’aitlibéréedesonétreinte.Mamannousadéjàrejointsetsetientderrièremoi.

—Maisqu’est-cequevousfaiteslà?leurdemandé-je.

—Onavaitenviedeterendreunepetitevisite.Etpuistumemanquais.Commetunepouvaispasvenirànousons’estditqu’ilvalaitmieuxqu’onfasseledéplacement.Enfin,jesaismaintenantoùtuvis,seréjouitmasœur.

Jemetourneversmamère.

—Tuétaisaucourant?

Ellesouritetacquiesce.

—J’avaispromisdegarderlesecret.Maisoui,tonpèrem’aappeléeilyaquinzejours,avoue-t-elle.

—LaceyetJoshn’ontpaspuvenir.LaceyaétéretenueparsontravailetJoshavaitunweek-enddeprévuavecuncopain,maisilsm’ontditdetedirequ’ilpensaitfortàtoietqu’ilsauraientaiméêtrelà,intervientpapa.Nousnepouvonsresterquetroisjours.

Jenepeuxmeretenirdemejetersurluipourl’étreindre.Troisjours,c’estcourt,maisj’aibienl’intentiond’enprofiterautantquepossible.

—Merci.

Il me rend mon étreinte sous le regard attendri de maman. Pas de doute, cette journée va êtremerveilleuse.Jenem’attendaispasàunetellesurprise.Nousn’avonspasletempsdenousattardersurlepasdelaportequemamannousentraîneverslasalleàmangeroùelleajoutedeuxcouverts.

Annacommeàsonhabitudefaitlaconversationàelletouteseule.EllemitrailleSimondequestionentoutgenre.Quantàmonpère,ilsembleplutôtbiens’entendreavecPhil.J’apprendsplustardàlafindurepasquepapaetAnnaséjournentdansunpetithôteldeMontereyetontatterriàSanFranciscocematin.Ilsontlouéunevoiturepourladuréedeleurséjour.

La mousse au chocolat de maman est un délice. Je l’aide à débarrasser la table alors que leshommesdelamaisonsesontregroupésausalonpourboirelecafé.Anna,MiaetZoénousprêtentégalementmain-forte.Àcinq,onvaplusvite.Lorsquenousenavonsfiniaveclavaisselle,jerejoinspapa,PhiletSimonausalon.

—Sara,machérie,qu’est-cequetudiraisdenousfairevisiterlesenvirons?demandemonpère.

—Maintenant?

Mamandébarqueaumêmeinstantdanslesalon.

—Vousdevriezalleràpiedjusqu’àlaplage,conseille-t-elle.

—Jevousaccompagne,intervientSimon.

—Trèsbien,alorsallons-y.

Le soleil est au beau fixe. Je récupère une veste légère dansma chambre et les rejoins dans lejardin.VoirSimon,papaetAnnaréunismeparaîtétrange.Jenepensaispaslesvoirdesitôt,maisjesuiscontentequ’ilspuissentapprendreàconnaîtreSimon.Zoén’apasvoulunousaccompagner.Ellea préféré rentrer chez elle, prétextant qu’elle avait pasmal de révision à effectuer pour ses cours.QuantàmamanetPhil,ilssontrestésàlamaison.PapapassesonbrasautourdemesépaulesetAnnaenprofitepours’accaparerSimon.Ilsmarchentderrièrenous.Nousatteignonslaplageetlongeonsleborddemer.

— L’année scolaire sera bientôt terminée. Tu comptes t’inscrire à la fac de droit l’annéeprochaine?mequestionnemonpère.

Lafac,jen’yavaispluspensé.C’étaiteffectivementdansmesprojetsavantquejechanged’avisetquejesachetoutelavéritésurlamaladiedeSimon.Siçal’estencore?Jenesaisplustrop,parcequecelaimpliqueraitquejem’éloignedeSimon,àmoinsquejerenonceàl’universitédeNewYork.Jenesaispluscequej’aienviedefaire.Jemesensperdue.J’aibesoindeplusdetempspouryréfléchir.

—J’aiencorebesoindetempspouryréfléchir,réponds-je.

—Dutempspourréfléchir?Jecroyaisquetadécisionétaitprise?

—Ellel’était…C’estjusteque…

Jejetteuncoupd’œilderrièremoipourm’assurerqu’AnnaetSimonsontsuffisammentàdistancederrièrenouspournepasentendrenotreconversation.Commeilslesont,jemelance.

—Simon,tusaisqu’ilestmalade.Iln’iracertainementpasàNewYork.

Monpères’arrêtesoudainementetmedévisage,perplexe.

—Sara,jepeuxcomprendrequetuéprouvesdessentimentspourcegarçon,maistunedoispaspourautantmettreenpériltonavenir.Lesrelationsàdistanceçaexiste.Etpuisvousêtesjeunes.Pourl’instanttul’aimes,maisquandsera-t-ildemain?

—Je l’aimeraisencore.Papa, jecomprendsque le faitque ta fille tombeamoureused’un jeunehommequiplusestmaladeneterassurepas,maisjenepeuxpasm’éloignerdelui.Jenetedemandepasdecomprendre,parcequepersonnenelepeut,maisj’aimeraissimplementqueturespectesmadécision.Jenesuispascomplètementstupide.Jel’aimeet j’iraisà lafac.Seulement, jenesaispasencorelaquelle.

—Sara,jesaisquetun’espasstupide.Tunel’asjamaisété.Tuesmêmebrillante.C’estpourcetteraisonquejem’inquiètedetevoirgâchertonavenir.Tuasbeaucoupdecœur,peut-êtretrop.Tuasenvied’aiderSimon,seulementjenevoispasenquoirefuserd’intégrerlafacdeNewYorkpourral’aider.

Annaacertainementsentiqueladiscussions’étaittendue,carlavoilàqui,telunbouletdecanon,mesaisitparlebras.

—Jetel’empreinte.Destrucsdefille,dit-elleànotrepère.

Etellem’obligeàavancer.

Simon

Anna s’accapare toute l’attention de sa sœur. Etme voilà en tête à tête avec leur père.Quelquechosedans samanièredeme regarderme faitdirequ’il seméfiedemoi. Jene saispas, il a l’airsoudainementplustenduqu’ill’étaitlorsdudéjeuner.C’estsansdouteliéàlaconversationqu’ilvientd’avoiravecSara.Nousmarchonsquelquesmètresderrièresesdeuxfilles,ensilence.Lebruitdesvaguesaccompagnenospas.J’ailesentimentqueMonsieurCummingsveutmedirequelquechose,maisqu’ilcherchelesmots.Lorsqu’ilouvrelabouche,jemedisquefinalementillesatrouvés.

—Saraal’airdebeaucoupteniràvous,dit-il.

—Toutautantquejetiensàelle.J’aimevotrefille,jenepeuxpaslenier.

—Non, jen’endoutepas.Vousme semblezd’ailleurs êtreun jeunehomme trèsbien sous tousrapports.Enfin,jenevousconnaispasvraiment,maisàtraverslesrécitsdemafilleouencorecesdernières heures, cette intuition s’est vérifiée.Non pas que j’en doutais.Non… enfin…vous avezcomprisoùjeveuxenvenir.

Pasvraiment.Maisjemegardebiendel’avouer.Jemedoutedecequ’ilpenseenvérité.Ilmevoitcommeundangerpotentielpoursafille,unjeunehommequivalafairesouffrir.Commetoutpère,ilsesent investidelamissionpaternelledemettreengardetout jeunehommequisortavecsapetitefille.Jenepeuxpasenluienvouloir.S’ilnelefaisaitpas,jel’estimeraisprobablementunpeumoins.Jesaisqu’ilestavocatetçaseressent.Ilal’artdetournerautourdupot,dejoueraveclesmots.Jel’ai remarqué lorsque nous étions attablés autour du gigot d’agneau. Mais, en même temps, ilm’inspireunprofondrespectparcequeSaranetaritpasd’élogessursonpère.Jenepeuxqu’admirerunhommequisusciteautantd’admirationdelapartdesafille.Saraaimesonpère,çanefaitaucundoute.

—Jesupposequ’ilyaun«mais»?

—Vousavezraison,vousêtesperspicace.Eneffet,ilyaun«mais».Jeconnaisvotresituation.Jesuisaucourantdevosproblèmesdesanté,etvousm’envoyezsincèrementdésolé.Sijepouvaisfairequoiquecesoitpourvous,jeleferais.Jem’inquièteseulementpourmafille,poursonavenir.

—Vous voulez dire que vous vous inquiétez parce quemon avenir semble compromis et vouscraignezquejecomprometteparlamêmeoccasionceluidevotrefille?

—Non,cen’estpascequejeveuxdire.Vousêtesunjeunehommecourageux.Saraestunefilleintelligente. Si elle est amoureuse de vous, je suis certain que c’est parce que vous êtes un jeunehomme tout aussi exceptionnel qu’elle. Simplement, elle est fragile, vous comprenez ? Sara esttoujours dévouée aux autres. Elle est partie vivre avec samère parce qu’elle pensait certainementqu’elleluidevaitbiença,pourtouteslesannéesqu’elleluiaconsacrées.Vousêtesbienplacépourlesavoir.C’estunetêtedemulequin’enfaitqu’àsatête…

—Jevousleconfirme.Maisjenevoispasoùvousvoulezenvenir,Monsieur.

Nousnousarrêtonsdemarcher.NiSaraniAnnanesemblentl’avoirremarqué,carellescontinuentleurpromenadebrasdessus,brasdessous.Ellesprennentbeaucoupdeplaisiràêtreensemble.

—Elleseraitprêteàrenonceràbeaucoupdechosespourvous,dit-il.

—Jevois.Vousavezpeurqu’àcausedemoiouplutôtdemesproblèmesdesanté,Sarafasseunecroixsursonavenir?

MonsieurCummingsestencoreplusmalàl’aisequemoi.Iltentedeserattrapertantbienquemal

—Cen’estpascequej’aivouludire.Jesaisquevousnel’obligerezàrien…

— Je n’ai jamais voulu la pitié de personne. N’ayez crainte. Si j’avais la sensation que Sararenonceàquoiquecesoitpourresteravecmoi,jerefuserais,lecoupé-je.

MonsieurCummingsafficheunairsoulagé.

—Jesuisheureuxdel’apprendre.

— Vous devriez avoir davantage confiance dans le jugement de votre fille. Sara est une filleintelligente, bourrée de talent qui, quoi qu’elle choisisse, j’en suis certain, aura un bel avenir. Jecomprendsquenotrerelationpuissevousfairepeur.Aprèstout,c’estlaréactionqu’auraitn’importequelpèreenapprenantquesafillesortavecungarçonquitôtoutardfiniraparmourir.Vousauriezcertainementpréféréqu’ils’agissed’ungarçonnormal,maiscen’estpaslecas.Etsivousattendezquejem’excuse,jeneleferaispas.Jenepeuxpas,parcequevotrefilleestlaplusbellechosequimesoit arrivée dans la vie. Je l’aime, je peux vous l’assurer, d’un amour qu’il m’est impossible dedécrire,maissanslaquellejenepourraispassurvivre.

MonsieurCummings fronce les sourcils. Je croisqu’à cet instant il commenceàmeprendre ausérieux.Ilfinitparsourirenerveusement.

—Alorsmevoilàrassurer.Jesuisheureuxqu’ellesoittombéesurquelqu’unquisoitcapabledevoir en elle lesmêmes choses quemoi.Nous l’aimons tous les deux.Dans ce cas, nous n’auronsaucunmalànousentendre.Etsionparlaitdechosesplusréjouissantes,qu’enpensez-vous?

MonsieurCummings change rapidement de sujet de conversation et nous en venons à parler del’équipedebasketdulycée.L’atmosphères’estapaisée.

Sara

—Surtout,neme remerciepas. J’ai l’impressionque jeviensde te sortird’unmauvaispas.Dequoidiscutiez-vous?demandemasœur.

Nousactivonslepaspourmettredavantagededistanceentrenousetnotrepère.

—Demonavenir.

—Aïe,jesupposequevousn’êtespasparvenusàtrouverunterraind’entente.Enmêmetemps,ilfaut le comprendre. Il y a quelquesmois encore tu affirmais haut et fort vouloirmarcher sur sestraces.

Annan’ignoreriendemeshésitations.Elleestmêmelapremièreàenavoirentenduparler.

—Jen’aipasditquejenevoulaisplus.J’aibesoind’yréfléchir,c’esttout.

—Àd’autres!JeteconnaisSaraettuveuxquejetedise:çanem’étonnepas.J’aitoujourssuquetuétaisavanttoutuneartiste.T’espasfaitepourresterplanquéederrièreunbureau.Tuasbesoindebouger,derespirer.MonpetitdoigtmeditqueSimonn’estpasétrangeràtesdoutes.Depuisquetulefréquentes,tun’espluslamême.Jetetrouvechangée,avoue-t-elle.

—Enbienj’espère?

—Jene le connaispasbeaucoup, et jen’aurais certainement pas assez de tempspour le cernercorrectement,maiscegars-làmeplaît.Çasevoitqu’ilest raidedinguede toi.Tuasde lachance.J’aimeraisqu’unjourunhommemeregardecommeilteregarde.

—Jesuisamoureuse,Anna.

— Je suis contente pour toi.Enfin, tu as trouvé quelqu’un qui temérite. Je ne peux pas en direautantencequimeconcerne.

Annaarompuquelquesjoursplustôtavecsonbadboydumomentetnousfaitunepetitedéprime.Laconnaissantceladevraitviteluipasser.Masœurn’estpasdugenreàselaisserabattre.Ellefinirabienviteparremettrelepiedàl’étrier.C’estunebattante.

—Toiaussi,tufinirasparletrouverunjour,legrandamour.

—Mouais, j’ensuisplusaussiconvaincue.Jecroissurtoutquej’aiunefâcheuse tendanceàêtreattiréeparlesgarçonsàproblème.C’estdevenuunesecondenaturechezmoi.

Je garde le silence. Parce qu’en parlant de « garçon à problème » inévitablement je ne peuxl’empêcherdefairelelienavecSimon.

—Etsinon,vousenêtesoùavecSimon?Jeveuxdire,vousavezsautélepasouenvisagédelefaire?

JepousseAnnad’uncoupd’épaule. J’auraisdûm’yattendre.C’estunevraie fouine.Forcément,elleesttoujoursàl’affûtdumoindredétailcroustillantàsemettresousladent.

—Quoi?J’aibienledroitdeposerlaquestion,non?Oh!AllezSara!Moijeteracontetoutdemesaventuresaveclesgarçons.Nefaispastacoincée!

—Désoléedetedécevoir,maiscen’estpasàl’étudepourlemoment.

—Qu’est-cequetuattendspourluisauterdessus?

Qu’est-cequej’attends?C’estunebonnequestion.Jenesaispasvraimentd’ailleurs.Jecroisquelaquestionnes’esttoutsimplementpasencoreposée.L’opportuniténes’estpasprésentéeetavectoutcequ’ils’estpassédernièrementnimoiniluin’avonseulatêteàça.

—Iln’yapasd’urgenceàlefaire.

—Si, ça l’est. Pas besoin de te faire undessin. Je crois que tu sais comment ont fait les bébés,plaisantemasœur.

Je n’ai pas le cœur à rire. Depuis que la peur de le perdre un jour ne me quitte plus, je suisincapabledelamoindreplaisanterielorsqu’ilestquestiondeSimon.

—Avectoutcequ’onatraversédernièrement,jecroisqu’onabesoindetemps.

Annaparaît gênée.Elle n’avait certainement plus pensé à lamaladie deSimon.Lorsqu’onne leconnaît pas, on ne peut pas y faire attention parce queSimondonne constamment le change. Il nedonnejamaisl’impressiond’êtremalade.C’estsamanièreàluicertainementd’affrontersamaladie.Mêmes’ilestfatigué,iln’abandonnepas.

—C’estvrai,j’avaisoublié.J’aiencoremanquél’occasiondemetaire,s’excuseAnna.

—Laplupartdu temps, il fait toujours commesi tout allaitbien.Maismoi je saisqu’il estboncomédien.

—Tudevraisquandmêmefaireattentionàtoi,teprotéger.Aucasoù…Jenetedispasdeprendretesdistancesbiensûr,maisjepensequetudevraisteprépareràl’éventualitéqu’ils’enaille.

—Tuparlescommes’ilallaitmourir!m’emporté-je.

Jenesupportepasqu’onmerappellelesterriblesconséquencesdesamaladie.

—C’estcequifinirapararriver.Tudoisêtrelucide.Simonn’irajamaismieux.Sonétatpeutsestabiliser quelque temps, mais tôt ou tard, toi et moi on sait que la maladie va empirer. Ça peutprendrequelquesannées,commequelquesmois.

Je ne sais pas quoi répondre, alors je hochebêtement les épaules. Je sais qu’elle a raison,mais

l’admettre me faire encore trop de peine. Je ne peux pas encore le faire. Anna a compris quel’émotionmesubmergeetquejepeuxplusparlersaufàvouloirfondreenlarmes.Elleglisseensuitesamaindanslamienneensignederéconfort.Mêmesimasœuratoujourslechicpourappuyerlàoùçafaitmal,elleesttoujoursprésentepourmoietsaproximitém’apaise.

—Enfinquoiqu’ilensoit,situn’aspasenviedeconsommervotreamouravecSimonsachequemoijesuispartanteparcequ’honnêtementtonmecestCA-NON!s’exclame-t-elle.

J’entendslesriresdeSimonderrièrenous.Ilnousaentendues.Jenelesavaispasentendus,luietmonpère,serapprocher.

—Danstesrêves.C’estchassegardée.Jenetelaisseraijamaisledraguer.

Je suis possessive et ce trait de caractère a tendance à s’accentuer quand il est question demesrelationsamoureuses.

—J’auraisaumoinsessayé,dit-elle.

Notre ballade s’achève aubout d’uneheuredemarche.Finalement, papa etAnna resteront pourdînercesoir.MamanainvitéAnnaàresterdormiràlamaisoncettenuit.Annaenbonditdejoie.Nuldoute que la nuit sera blanche.Nous avonsbeaucoupde choses à nous raconter et la conversationn’estpasprêtedesetarir.Jeprofitedecesquelquesheurespourrireàgorgedéployéeavecmapetitesueuràtelpointquemamanestobligéed’interveniràminuitpassépournousdemanderdefaireaumoins l’effort de chuchoter. Et dire qu’il ne nous reste plus que deux jours. Je regrette qu’ils nepuissent pas rester plus longtemps. Je suis contente qu’ils aient fait le déplacement, mais commemamanlerépètesouvent,touteslesbonneschosesontunefin.

ChapitreSeize:Unelueurd’espoir

Sara

Unmoisestpassémaintenant.Nousavonstentédereprendrelecoursdenosvies,maiscelasemblepluscompliquéqueprévuparcequejen’arrivepasàoublierlamenacequiplaneau-dessusdenostêtes. Je ne peux pas faire abstraction de l’angoisse quime serre la poitrine dès que je pense à lamucoviscidose.Simonrefusequej’assisteàsesséancesdekinéavecHannah.Jesaisqu’ilenfaitlematinetlesoiraprèslescours.Jesaisaussiqu’ilestforcédeprendreunnombreimpressionnantdemédicamentschaquejour.Ils’efforcedefaireunpeudesport,maisnecourtjamaisbienlongtemps.Ilacceptenéanmoinsquejel’accompagnelorsqu’ilcourtlelongdelaplage.

Je sais que je ne devrais pasmemontrer aussi inquiète aumoindre signe de fatigue, que je nedevraispasmontersurmesgrandschevauxquandilparaîtessoufflé,qu’ildétesteçaparcequejeluirappelle samère,mais c’est plus fort quemoi. J’ai besoin qu’il aille bien. Je veux croire qu’unesolutionestpossible,que lamédecinevaconsidérablementévoluer,à telpointqu’unefinheureusenousattend.J’essaiedenepaspenseraupire,àcequifiniraparnousarriver.Maisc’estimpossible.J’aifaitletourduwebàlarecherched’information,detémoignageetj’enressorsàchaquefoisplusabattue.

Simonfaittoutpourmechangerlesidées.Jeluiaimêmeapprisàdévelopperdesphotos.Ilaparuvéritablementintéressé.Ilestd’ailleurstrèsbonélève.Pasdutoutlegenreàavoirbesoindecoursdesoutien.Quandjepensequej’étaisjaloused’Hannah.Maintenant,jeremercieleseigneurqu’ellesoitlàchaquefoisqu’ilmeditquesesséancesdekiné lui fontdubien.Hannahestsakinésithérapeute.Simonpassedeuxheureschaquejourlesaprès-midiavecelleàfairedesexercicesderespirationsetà évacuer les sécrétions dans ses poumons. Parce que malgré tout, il y a de l’espoir. J’ai lu destémoignages demalade atteint de lamucoviscidose. Certains vivent tout à fait normalement.Maisl’évolutiondelamaladien’estpaslamêmed’unepersonneàl’autre.Simonadûserendreàl’hôpitalilyaquinzejours.Ilarefuséquejevienne.Iln’estrestéquecinqjours,maisj’étaisterrifiéeàchaqueinstant.Voilàdequoiest faitenotreexistence :d’amouretdecrainte.Lapeurque l’êtreaiménouséchappe.Jeluiaipromisdemebattrealorsjememontreforteensaprésence.Jerefusedepleurerdevantlui,demelaisserabattreoudememontrernégative.Néanmoins,parfoislesoiraprèsquejemesoisblottiebienauchauddansmesdraps,jemelaisseraller.

Mamanme soutient dumieux qu’elle peut. Elle tente d’être de bons conseils,mais aucun d’euxn’estutile.Ellenepeutpasleguérir.Nousavonsbeaucoupdiscutétouteslesdeux.Depuisqu’ellesaitpourSimon,ellesemontrebienveillanteenverslui,melaissealleretvenircommebonmesemble.Ellefaittoutpouraméliorerleschosesetjeluiensuisreconnaissante.Jenepourraispasgérerdeuxproblèmesàlafois.J’aiaussipardonnéàMia.Ellecroyaitbienfaire.Jepeuxcomprendresaréserve.Elleapromisdeneplusjamaisrienmecacher.Jenesaispassijepeuxlacroire.J’espèrequ’elleestsincère.

Miam’aideàréviserlorsquemontéléphonevibre.Jetendslebraspourlesaisir.C’estZoé.Jemedemandebiencequ’ellemeveut.Jenel’aipasrevuedepuisPâques.Simonm’aditqu’elleétaitvenuele voir à l’hôpital. Elle était plutôt occupée ces derniers temps. Ses études lui accaparent tout sontempslibre.

—C’estqui?demandeMia.

—J’enaipouruneseconde.Continue,m’excusé-je.

Jequittemachambreetm’adosseaumurducouloir.

—Allô?

—Sara, c’estZoé. Il fautqu’onparle, c’est important.Est-ceque tupourraisme rejoindrecheznousdansdixminutes?

—C’estàproposdeSimon?Ilvabien?m’inquiété-je.

—Ilvabien.Jepréfèrequ’onenparledevivevoix.Tupeuxvenir?

Ausondesavoix, jedevinequel’affaireest importante.Simonestaustadeencemoment.Jelesaisparcequel’équipedefootdisputeunmatchdontJackn’apasarrêtédenousrebattrelesoreillestoutelasemaine.Simonnejouerapasaujourd’hui,maisilassistetoutdemêmeàlarencontresurlebancdetouche.Jen’aipaspul’endissuader.Bref,j’imaginequeZoéachoisisonmomentpourmedemanderdevenir.

—J’arrive.

—Merci,dit-elle,soulagée.

Jeraccroche,sceptique.Jen’aipasdetempsàperdre.Jepousseànouveaulaportedemachambre.Miaestconcentréesursoncoursdechimie.

—Jesuisdésolée, il fautquej’yaille.Tupeuxrester ici le tempsdeterminertesrévisionssi tuveux.MamèrenedevraitpastarderàrentrerdesabaladeenamoureuxavecPhil.

—OK.Est-cequetoutvabien?

—Oui,riendegrave.Unecourseurgenteàfaire.

—Çatienttoujourspourcesoir,aprèslematch,tuviensboireuncoupavecnous?demande-t-elle.

Je regardemamontre.Lematch se terminedansunedemi-heure.L’équipeaprévude fêter leurinévitable victoire selon les propos de Jack au bar deBill sur le port. Je devais normalement lesrejoindre.JenepensepasquemaconversationavecZoés’éternise.

—Jevousrejoindrai.

—Atouteàl’heure,conclutmameilleureamie.

Ellereprendsalectureoùellel’avaitlaissée.Quantàmoi,jeprendssacetclésenmainpuisquittelamaison.Onzeminutesplustard,jesuisdevantlaportedesHarper.L’océanfrappelesablederrièremoi.Ilesttrèsagité.

Zoém’ouvre et m’invite à entrer. Je la suis jusque dans la cuisine. Lamaison est vide. Pas deMonsieurnideMadameHarperàl’horizon.

Elledésigneunsiègedevantlebardeleurcuisineaméricaine.

—Jet’enprie,assieds-toi.

Jeposesacetvestesurletabouretd’àcôté.Zoés’approchedufrigoetl’ouvre.

—Jetesersquelquechose?Soda,jusd’orange,bière,café,thé,chocolat?

—Jepréfèrequ’onailledroitaubut.

Ellerefermelaporteduréfrigérateur,passelamaindanssalonguechevelure.Puiselleseretourneets’accoudeauplandetravaildevantlebar.

—C’estuneidéedemamère.Ellepensaitquetupourraisnousaider.

—Àquelpropos?

—Tusaisquel’étatdeSimonnevapass’améliorer,qu’iln’existeàcejouraucunremèdecapabledestopperl’évolutiondelamaladie?

J’acquiescesanstropsavoiroùelleveutenvenir.

—Durantsadernièrehospitalisation,lemédecinnousaconseilléd’inscrireSimonsurlalistedestransplantationspulmonaires.

Mondossecrispe.

—Etvousl’avezfait?Ilestsurlaliste?

—Non.Simonrefusecatégoriquementd’enfairepartie.Ilrejettel’idéedelagreffe.Onatentédelefairechangerd’avis,envain.Tuleconnais,ilesttêtucommeunemule.Toutcequ’ondittombedansl’oreilled’unsourd.Alorsonpensaitquetoi,ilt’écouterait.

—Maisjenecomprendspaspourquoiilrefuseraitsiçapeutl’aideràallermieux.

—L’année dernière, à cette période, il a perdu un ami. Il s’appelait Sam. Lui et Simon se sontrencontréslorsd’unedeseshospitalisations.Samn’avaitquetroisansdeplusquemonfrère.Ilsontgardécontactetallaientparfoiscourirensemblesurlaplage.Samasubil’annéedernièreunegreffeetcelanes’estpaspassécommeprévu.Malheureusement,iln’apassurvécu.Simonaétéanéanti.Iln’aplusétélemêmeaprèsça.Ils’estfermécommeunehuître,arefuséd’enparler.Iln’estmêmepas

alléàl’enterrement.Jesaisqu’ilabeaucoupsouffertdecettedisparition.Aprèsça,Simonadécidéqueplusriennepouvaitlesauver.Ilarefusédeprendresesmédicaments,defairesesséancesdekinépendant un mois. On a eu la trouille quand il a dû être hospitalisé en urgence pour insuffisancerespiratoire.Ilasouffertlemartyredansl’ambulance.Ilsuffoquait.Onn’ajamaiseuaussipeurdeleperdrequecejour-là.Lorsqu’àsonréveililavul’étatdenosparents,iladécidédereprendresontraitement. Il n’a jamais plus parlé de Sam. Il a plaqué sa petite amie Sydney. La séparation a étédifficile.Ils’estmontrétrèsduravecelle.Cetépisodel’achangédutoutautout.Samétaitunesortedementorpourmonfrère.S’iln’étaitpasmort,ilneseseraitmêmepasposélaquestiondesavoirs’ildoitounonaccepterunegreffe,ill’auraitfaite.Tuesnotredernierespoir.

QueSimonrefuselagreffe,c’estimpensable.Jen’arriveplusàcomprendrecequ’ilaentête.Biensûrquejevaistoutfairepourqu’ilchanged’avis.Jen’accepteraipasqu’ilbaisselesbras.Ilapromisdesebattre.Ilm’afaitpromettredelefaireaveclui.Jesuisencolèremaintenantparcequej’aipeurde ne pas arriver à le faire changer d’avis. Si le médecin a parlé de cette greffe, c’est qu’elledeviendraaufildutempsindispensable.Sonétatdesantésedégradeunpetitpeupluschaquejouretj’aiterriblementpeurquelacadences’accélère,qu’unjourilsoittroptardpourintervenir.Ilnepeutpaspasseràcôtédecettechance.

—Jeluiparlerai.Jeneleregarderaipasmourirsansrienfaire.

Ladéterminationquej’entendsdansmontimbrem’étonne.Zoémesourit,reconnaissante.

—Merci. Tu lui fais du bien. Depuis qu’il te fréquente, il est plus heureux. Tu as réussi cetteprouesse.Ontedoitbeaucoup.

—C’estmoiquiluidoisbeaucoup.Jevaistoutfairepourqu’ilchanged’avis.Jen’abandonneraipastantquesonnomneserapassurcetteliste.Jetelepromets.

Jerécupèremonsacetdescendsdutabouret.Lematchestàprésentterminé.Jesaisoùletrouveretjem’envaisdecepas.

Miaestdevantlestade.Ellem’adresseunpetitsignedelamainpours’assurerquejel’aivue.Jem’empressedelarejoindre.Lafille,unerousse,avecquiellediscutes’éloigne.

—Ilssontdéjàsortis?demandé-je.

—Non,toujoursdanslesvestiaires.Ilsnedevraientplustarder.Jecroyaisquetunousrejoignaisaubar?

—Çam’aprismoinsdetempsqueprévu.Attends-moilà,jereviens.

Jefonceverslesvestiaires.Ungroupedegarçonsensort.Jerepèretoutd’abordJack,puisMikeàsescôtésetderrièrelégèrementenretraitSimon.Jepresselepas.

—Qu’est-cequetufouslà,Cummings?Tupouvaisplusattendrepourvoirtonpetit-ami?lanceMike.

Jeneprendspaslapeinederépondre,resserrelamainsurlebrasdeSimon.

—Ilfautqu’onparle.

Justeen facedenous, ilya levestiairedes fillesque jeprésumevide. Jepousse lapoignée.LegroupedegarçonsiffleetlavoixdeMikesedétache.

—Faisgaffe,Harper!Cettenanavatemangertoutcru!

Jefermeàcléderrièrenous.Simonencerclemeshanchesdesesbras.

—Alorsc’estvrai,tunepeuxplustepasserdemoi?

Je pose fermementmesmains sur ses épaules et le regarde sérieusement. Le petit sourire qu’ilaffichaitunpeuplustôtdisparaît.

—Çava?s’inquiète-t-il.

—Tunepeuxpasrefuserlagreffe!

Il nedit rien, complètement apathique. Je sens l’émotionmegagner,mes larmes sur lepointdefaireleurgrandretour.Jeneveuxpaspleurerdevantlui.

—Disquelquechose!hurlé-je.

Jelesecoueparlesépaulesespérantuneréactiondesapart,uneprotestation,descris.Maisilnesepasse rien.Simon reste là, inerte, commesi çane leconcernaitpas, commesi celanepouvaitpasl’atteindre,cequimemethorsdemoi.

—Tum’asdemandédemebattreSimonetjet’aipromisdelefaire.Jenepeuxpasmebattretouteseule,jen’yarriveraispas!Jenepeuxpasfaireçasanstoi!Tunepeuxpasrefuserlaseulechosequitepermettederesteravecmoi.Tunepeuxpasmefaireça.Onestdanslamêmegalère.Onnefaitplusqu’uneseuleetmêmeéquipe.

—La greffe neme sauvera pas. Elle neme guérira pas, ça ne fera que repousser l’inévitable,prolonger nos souffrances. Ça pourrait mêmemal se passer. Ça n’en vaut pas la peine. De toutemanière,jesuisdestinéàmourir.Onl’esttous.Jeveuxsimplementprofiterdutempsqu’ilnousreste.Jeneveuxpaslegâcheràcourirleshôpitaux.Lerésultatseralemême,dit-il,pessimiste.

Jenetiensplus.Meslarmesdévalentmesjoues.Simonestplusquejamaisprêtàl’éventualitédes’enaller,demelaisser.Ilmeserrecontreluietjemelaissealleràpleurercontresapoitrine.

—Sara,jeveuxvoyageravectoi,faireletourdumonde.Jenepourraispaslefairesij’accepted’êtresurcetteliste.

—Jem’enfiche!Çan’aaucuneimportancesiçasignifiequetuvasvivre.Jeneveuxpasfaireletourdumondesanstoi.Jeneveuxpasvivresanstoi.

—Tut’ensortirasparcequetuesunefilleforte.

Mespleurss’intensifient.Jen’aiplusquemeslarmespouruniqueargument.

—Onneformeplusqu’uneseuleetmêmeéquipe.Situmeurs,jemeurs,sangloté-je.

Ilmeregardeetjevoisquemespleursleblessent.

—OK,OK. Je le ferai,Sara,puisqueça te tient à cœur.Maispromets-moique si ça rate, si leschosesnetournentpascommeprévu,quoiqu’ilarrive,tucontinuerasàavancer.

Jem’écarte,relèvelevisageverslesien.Ilparaîtsincèrementtroublé,aussiémuquemoi.

—C’estsérieux?

—J’adoreraispasserplusdetempsavectoietlerestedemaviesiDieuleveut.Quetuleveuillesounonpourlemomenttuescoincéeavecmoi,plaisante-t-ilpourdétendrel’atmosphère.

Jeluisouris.Ilnepeutpasdevineràquelpointjesuisheureusedesadécision,combienellemecombledejoie.Jen’attendsqu’uneseuleetuniquechosedelui :qu’ilvive.C’est toutcequejeluidemande.

Simon

Noussommestousattablés,bièreàlamain.Saraestassisesurmesgenoux.Billnousobservedetempsàautrederrièresonbar.Mesmainsnequittentpasseshanches.SararitàtouteslesblaguesdeMike.Elleal’airheureuse.Jejoueavecunemèchedesescheveux.Ellemesurprenddejourenjourparcequ’ellesemontredeplusenpluscombative.Ellemedonneenviedene rien lâcher, l’espoirqu’unavenirestpossible.J’aienviedeledécouvrir,detentermachance.Samaratélasienne.Pourautant,jenesuispaslui.Jeneredoutepasl’opérationenelle-même,cequejeredoutec’estl’échec.C’est pour cette raison d’ailleurs que je me suis débarrassé de ma collection de petites voitures.Lorsque j’étais gosse,monpèrem’en offrait une systématiquement lorsque je sortais de l’hôpital.Plusmacollections’estagrandieetpluselleestdevenue,nonpaslesigned’unevictoire,maisd’unéchec.Parcequesij’avaisvraimentgagné,jen’auraisplusàconnaîtrelasouffrance,àmegaverdemédicament,àséjournerdetempsàautreàl’hôpital.Trèsjeune,j’aiprisconsciencequemavieneserésumeraitplusqu’àça,àlamaladie.AvantderencontrerSara,jenepensaisqu’àmessymptômes,àmestraitements.Avecelle,j’aienviedefairedesprojets,depenserqu’uneautrevieestpossible.

Si cette greffe peut m’accorder quelques années supplémentaires à ses côtés, je ne crache pasdessus.Cen’estpaslasolutionmiracle,maisc’estmieuxquerien.J’imaginequec’estàprendreouàlaisser.Jenesuispasidiot,jesaisquesiSaraestvenuemesupplierdesauterlepas,c’estparcequemamèreetmasœurontsulapersuaderd’intervenir.Elleestbienlaseuleàpouvoirmefairechangerd’avis.

ChapitreDix-sept:Quelquesminutesd’insouciance

Sara

Jesuis incapabledemettreunmotsurmessentiments.Depuisquelquetemps, jefaissimplementfaceàmesdoutes.JesavaisenpersuadantSimond’accepterunegreffequecelaprendraitdutemps.Au mieux, un an au pire, peut-être deux. J’ignorais cependant à quel point l’attente me paraîtraitlongue.Ilatenusapromesseetenretour,jetienslamienne.Jen’évoquejamaislesujet.Maiscelanen’empêchepasd’ypenser.Jouretnuit,j’aipeur.C’estenmoi,jenepeuxrienfairepourlachasser.Tantquejen’auraispaslacertitudequetoutirabien,elleseratoujourslàtelunspectre.

Noussommesfinmai,lafindel’annéescolaireapprocheetavecellelaremisedesdiplômes,maisjepréfèrenepasypenser.Simonetmoipassonsbeaucoupde tempsenfermésà réviser. Ilmetunpointd’honneuràcequejedécrochemondiplôme.Jenesaistoujourspascequejevaisfaireunefoisleprécieuxsésameenpoche.Nousnepouvonspasparcourirlemondetoutdesuitecommenousl’avionsprévu,pastantquelagreffen’aurapaseulieu.Nousnepouvonspascourircerisque.Etjeneveuxpasnonplusm’éloignerdeSimon.Silesétudesjuridiquesnemedisentrien,j’envisageenrevanchedesauterlepasetd’envoyermademanded’inscriptionàl’institutdesartsdeSanFrancisco.Simon ne cesse de m’y pousser. Ma mère n’y voit pas d’inconvénient. Quant à mon père, ildésapprouvefermement.Peu importe, s’ilyaunechoseque j’aiappriseauxcôtésdeSimon,c’estqu’onaqu’unevieetquejen’aipasenviedelapasseràfairequelquechosequejen’aimepas.

Jesaisqu’aujourd’huin’estpasunjourcommelesautres,etpourtant,jen’arrivepasàmeréjouirdemesdix-huitanscommelefonttousmescamarades.Zoé,MiaetmoisommessurlecheminduretouraprèsunejournéeépuisanteaucentrecommercialdeSantaMonica.Jemedoutequ’ellesfontdiversion. Jem’attends certainement à ce qu’une trentaine de personnes voire plusme souhaite unjoyeux anniversaire à mon arrivée. Zoé a insisté pour me couvrir de cadeaux. J’ai écopé d’unrelookingenbonneetdueforme.Pourlapeine,etpourleurfaireplaisirégalement,j’aiacceptédesortirducentrecommercialvêtued’unepetiterobemoulantebleue.Nousvenonsjusted’entrerdansMonterey.Nousnesommesplusqu’àquelquesminutesdechezmoi.

Zoébifurqueets’arrêtejustedevantleparc.

—Qu’est-cequetufais?demandé-je.

Zoédésignel’extérieurdesonindexetjetournelatêteinstinctivement.

—Suislespétalesderosesurlecheminettutrouverastadestination.Passeunebonnesoiréemabelle.

—Mais…

Elle se penche par-dessusmoi pourm’ouvrir la porte. J’en conclus qu’elle neme laisse pas lechoix.Jem’exécuteetdescends.Lavoiturerecule.ZoéetMiam’adressentunsignedemain,unlargesourire dessiné sur les lèvres. Plus cachotière tumeurs !Moi qui pensais, à mon arrivée, devoircomposeravecunefêted’anniversaire,jenesuispresquepassiétonnéequeçadeconstaterqu’unefoisdeplusSimonHarperasumesurprendre.

Zoén’apasmenti.Dèsquejepassel’entréeduparc,jeremarquelespétalesderosequijonchentlechemindegravier.Tellepetitpoucet,mevoilàpartiàlarecherchedeceluiquilesasemées.

Il est un peu plus de dix-neuf heures.Le soleil est encore là quoique caché parmoment par lesnuages.JeretrouveenfinSimon.Ilestbeauvêtud’unjeannoiretd’unpolodelamêmecouleur.Ilesttoutàlafoisattirantetmystérieuxalorsqu’ilsetientdeboutaupiedd’unarbreduquelreposesurlesoluneimmensecouverture.Toutautourdeslanternesnousencerclent.C’estmagnifique.

Unpanierenosierestposécontreletroncd’arbre.Justeenfacedenouss’étendunlacetdel’autrecôtéonpeutcontempleruneairede jeupourenfant.Quelquescygnesnaviguent tranquillementsurl’étendued’eau.Lelieuestsplendide.Jeregrettemêmed’avoiroubliémonappareilàlamaison,maisjedevraisfaireavec.

Simonmetendlamain.

— J’espère que ma sœur ne t’a pas complètement épuisée parce que la journée est loin d’êtreterminée.

Jel’embrasse.

—Moiquim’attendaisàunefêted’anniversaire…

—Déçue?

—Non,c’estencoremieuxquetoutceàquoijepensais.

Ilsourit.

—Tudevraist’asseoir.

Je ne me le fais pas dire deux fois. Cette course folle au centre commercial m’a éreintée.Heureusement,ilmeresteassezd’énergieenréservepourveillerjusqu’aupetitmatin.

Simons’assoitégalement,sortunebouteilledechampagne,deuxcoupesetnoussert.Ilmetendunverre.Iln’yapasd’autreendroitoùjevoudraisêtreencemoment.

—Ondevraittrinqueràtondix-huitièmeanniversaire!

—Etàl’avenirensemble,ajouté-je.

Sonsourires’estompe.Maisjenesuispasstupide,jesaisqu’ildouteencoredesonavenir.Commejen’aipasenviedeternirlasoirée,j’esquivelesujet.

—Tuaspréparéçatoutseul?

—L’essentieloui.Pourlanourriture,Zoéetmamèrem’ontaidé.Cequivautmieuxpourtoisituneveuxpasêtreintoxiquée.

—Jemeursdefaim!

Sansattendre,Simonsortdeuxassiettesenplastique.Pendantquenousdégustonssaladederizetpoulet rôti, ilm’écoute raconterma journéedans lemenudétail. Il rit chaque foisque j’évoque lecaractèrebientrempédesasœur.Zoéestdugenreàn’enfairequ’àsatête.Lorsqu’elleauneidée,ellen’endémordpasjusqu’àcequ’oncède.

Jenevoispasletempspasser.Lanuittombealorsquenousarrivonsaudessert:desmuffinsauchocolat.Ilyaunepetitebougiesurlemien.Simonsortunbriquetdesapocheetl’allume.

—Souffle!

Jeprendsmoninspirationetéteinslaflamme.Jem’empressederetirerlabougieetdemordreàpleinesdentsdanslegâteau.Ilestexcellent.Samèreestunvraicordonbleu.

Simonapprochesamaindemonvisagepouressuyerunemiettesurlecoindemabouche.

—J’aivraimentpasséunetrèsbonnesoirée.Merci.

—Ellen’estpasencorefinie,dit-il.

—Etquellessurprisesmeréserves-tuencore?

Simonselèveetmetendlamainpourm’inciteràenfaireautant.Jelissemarobeunpeufroisséesurledevantpendantqu’ilallumelepostederadioderrièrelui.Jenel’avaismêmepasremarqué.Etlamusiquetroublelesilencedecettebellesoiréed’été.Jeris.C’esttellementbondepartagertouscesinstants avec lui. L’atmosphère est soudain plus légère. La nuit commence à tomber. La lueur deslanternesnousbercedesalumière.Simonmefaitsignedelerejoindre,puisclaquedesdoigtsetjemelaisseemporterparlamélodie.

Simon

«Loveneverfeltsogood»duKingofPopaliasMichaelJacksonenduoavecTimberlake,jenevoyaisriend’autrepourterminerlasoiréeenbeautéparcequecettechansonexprimetoutàlafoisceque je ressenspourSaraet toute la joiequecelameprocure.Lachanson tourneenbouclesur lesstationsderadioetchaquefoisquejel’entends,jenepensequ’àSara.Depuisqu’elleestentréedansmavie,jesuissurunpetitnuage.

Sara se prête au jeu et me rejoint sans rechigner. Je la fais tourner sur elle-même. C’est unechanson plutôt étrange pour danser un slow, et pourtant je la trouve terriblement sensuelle. Jemurmurelesparolesàsonoreille.Sarapousseégalementlachansonnette.JemesuisentraînésurlesconseilsdeZoéquiainsistépourquej’improviseunepetitechorégraphie.Jenesuispasaussidouéque Michael Jackson et il me semble que cela ne fait aucun doute pour Sara lorsqu’elle laisseéchapperunpetitrirecraquant.J’abandonnematentativeridiculededanseetreprendspossessiondeseshanches. J’adorequandelle secolleàmoi, ainsi jepeuxhumer sonparfum. Jepourrais restercontreelle,bercéparsonodeurdurantdesheures.

Lorsque lachansonse termine, je la faisbasculer enarrière.Ses longscheveuxchâtains frôlentl’herbe.Puisàcontrecœur,jelarelèveetlalaisseretrouversaliberté.

—C’étaitlaplusbelledémonstrationd’amourqu’onnem’estjamaisfaite,dit-elle.

Jeprendssesmainsdanslesmiennesetplongemonregarddanslesien.

—Jet’aime.

Leslarmesluimontentauxyeux.Ellesejetteàmoncouets’empareardemmentdemeslèvres.Jen’attendsqu’unechose:quesesmotsquejeviensdeprononcerfranchissentégalementlebarragedeseslèvres.Ilnefautpasplusquecestroispetitsmotspourmerendreheureux.

Seslèvressontchaudes,sonbaisersucré.Elles’écarteenfin.

—Jet’aimeaussi,avoue-t-elle.

Heureux, je lasoulèvedusol.Deses jambes,elleencerclemonbassin.Saraestunpoidsplume.Dans mes bras elle est toute légère. Elle rapproche son visage du mien. Je crois qu’elle vam’embrasser,maisellefermelesyeuxetmurmuretoutcontremabouche:

—Sijet’aimeautant,c’estparcequepourlapremièrefoisdemavie,j’ail’impressiond’avancer.Tu n’essaies pas de me ménager. Tu me pousses à donner le meilleur, à être moi-même. Je nepourraisjamaisassezteremercierpourça.

Sonsoufflebrûlantmechatouilleleslèvres.Ellemevoleunbaiser,aspiremeslèvres.Jepourraisl’embrasser durant des heures. Je ne m’en lasserais pas. Mais moi aussi j’ai quelque chose à lui

avouer.

—Jenesavaispasencoreàquelpointj’avaisbesoind’airavantdecesserderespirertoutcommejenesavaispascequecelafaisaitd’aimeravantdeterencontrer.Avanttoi,jerespirais,maisjenevivais pas. Tout a changé. Tu as changéma vie Sara. Tu l’as renduemeilleure. C’était flou,maismaintenantlesdétails,jelesvois.Tonamourafaitça.

Et après cet aveu, je m’en donne à cœur joie et l’embrasse comme si elle était ma bouteilled’oxygène. Ses mains s’immiscent sous mon tee-shirt, remontent dans mon dos. J’ai terriblementenvie d’elle. Je serre sa nuque pour maîtriser les pulsions qui m’assaillent. Ce n’est ni le lieu nil’endroitpourcegenredechoses.Jenesuispascertainqu’elleestprêtepourcela.Maissesmainsbaladeusesmerendentfou.

Nousbasculonssurlacouverture.Puisjemetsuntermeànotrebaiser,prendssonvisageencoupeentremesmainsetcaressesesjoues.

—Tuessûrequec’estcequetuveux?

Ellemefixeunedemi-seconde,posesesmainssurmesavant-braspuishochelatête.

—Jeteveux,dit-elle.

Sans tarder, je me relève et tire sur son avant-bras pour la remettre debout. Je m’empresse derassemblercouverture,panieretlanternes.Sarasepenchepoursaisirlepanierenosier.Jeluiprendsdesmainsetlereposeàterre.

—Qu’est-ceque…

—Ilyencoreunechosequ’ondoitfaire,lacoupé-jeenposantmonindexsursajoliebouchebiendessinée.

Jefais le tourde l’arbresoussonregard interrogateuret reviensavecdeuxlampions.Jesors lebriquetdemapoche,allumelepremieretleluitendsavantd’allumerlesecond.

—Ilfautfaireunvœuavantdeleslâcher.

Je ferme les yeux.Quand je les rouvre, je lâchemon lampion etSaram’imite.Nous levons lesyeuxsurlecielétoilépourlesvoirs’élever.Onnedistinguebientôtplusquedeuxpointslumineuxdanslenoir.

JeglissemamaindanscelledeSara.

—Qu’est-cequetuassouhaité?medemande-t-elle.

—C’estunsecret.Sijeveuxqu’ilseréalise,j’aitoutintérêtàlegarderpourmoi.

Sara

Monvœu,c’estqu’ilnesepassepasunjoursansqueSimonnesoitpasàmescôtés.Jeneveuxpasêtreprivéedesaprésence.

Nousmarchonssouslalumièredeslampadairesquibordentlecheminduparcjusqu’àl’entrée.LavoituredeSimonestgaréedevant.Ildéposenosaffairesdanslecoffre.Nousroulonsjusqu’àchezlui.Jesaisquenousseronsseuls.D’uneparcequelavoituredeZoén’estpaslà,dedeuxparcequesesparentssontpartispasserleweek-endàLosAngelespouraffaires.Ilsembleraitquelesactivitésde Monsieur Harper prospèrent de jour en jour et soient au beau fixe ces temps-ci. Ce qui faitégalement nos affaires, car plus Monsieur Harper est occupé, plus Simon et moi passons desmomentsseulsentêteàtête.

Unefoisdevantchezlui,jeclaquelaportièreetm’empressedefaireletourduvéhicule.Plutôtquedefaireletourdelamaison,Simonnousfaitentrerparlaportedelacuisinequijouxtel’imposantgarage. Nous quittons rapidement nos chaussures et courons dans les escaliers pour rejoindre sachambre.Jesuisàlafoiseuphoriqueparcequejeveuxvraimentsauterlepasaveclui.Jen’aipasdedoute.Jeveuxquecesoitlui,maisj’aipeurcommetoutejeunefillequis’apprêteàpasseràl’acte.Jenesaispascommentm’yprendre.J’aipeurd’êtreunpeugauche,denepassavoirquoifaire.Jen’aipas l’habitude de ces choses-là. Je ne sais pas comment m’y prendre, et mes mains me semblentsoudaindetrop.

Simonperçoitmonémoilorsqu’ilm’ôtemarobe.Jetremblemalgrémoi.Ilcaressemesépaulespourtenterdemerassurer.

—Onpeutattendresicen’estpascequetuveux.

Jen’ainullementl’intentiondefairemarchearrière.

—C’estcequejeveux,affirmé-je.

Ils’approcheetmecontemple.

—Onpeutattendre,cen’estpas…

—Jenepeuxplusattendre,l’arrêté-je.

Etpourluiprouverquejen’aiaucunehésitationàsauterlepasaveclui,jesoulèvesontee-shirt.Ilselaissefaire,lèvelesbrasetmedéfiedesesprunellesazur.Quandjefaissauterleboutondesonjean,ilposesamainsurmonpoignetpendantquejefaisdescendresabraguette.

—Sionvatroploin,jenepourraisplusfairemarchearrière,meprévient-il.

—Jeneveuxpasquetulefasses,haleté-jedéjàémoustilléeparlecontactdesapeaubrûlanteetde

sesmusclestendus.

Cequej’aiditaachevédeleconvaincre,carilsejettesurmaboucheetnousnousretrouvonsdansnotre plus simple appareil.Lorsqu’il libèremes lèvres, je suis quelque peu troublée par ce que jevois,probablementparcequec’estlapremièrefoisquejelevoisainsi,maissurtoutparcequ’ilestbeau.Toutenluimeplait,iln’yapasuncentimètredesoncorpsquinesoitcapabled’éveillermesdésirs.

Simonestpleindedouceur lorsqu’il soulève lesdrapsetm’allongesur le lit. Je ferme lesyeuxpendantquesesmainsexplorentmoncorpstoutcommelesmiennesparcourentlesien.

Lorsqueleschosessontsurlepointdedevenirplussérieusesquedetimidesattouchements,moncorps se raidit. Jeme pince la lèvre inférieure, gênée et je rougis.Aïe, je déteste quand je rougiscommeunepetitefille.

—Est-cequetuas…euh...Tusais…

Ilsepenche,ouvreletiroirdesatabledechevetetensortunemballageargenté.Jeris,c’estplusfortquemoi.J’ail’airtotalementstupide.Jesuissurtoutunpeugaucheparcequejenesaispasquoifaire.Simonaplusd’expérienceenlamatière.

Jetentedefairelevidedansmonesprit,expirepourfairebaisserlatension.Ildéchirel’emballageavecsesdents,ensortlepréservatifpuisbaiseleboutdemonnezetsusurre:

—J’adorequandturougis.Détends-toi.

Sesdoigtsglissententrelesmiens.Ilm’embrasse,positionnesonsexeàl’entréedumienpuismepénètredélicatement.Siladouleurmesubmergedansunpremiertemps,j’enfaisabstractionpournemeconcentrerquesurl’amourqueSimonm’inspireetleplaisirquimonteenmoi.Jefrissonnealorsqu’il caresse ma cuisse au rythme de ses poussées successives. Je n’ai pas envie que ça s’arrête.J’aimeraistellementqueletempssefigepourquelquesprécieusesminutesderépit.Rienqueluietmoi.Jemesenssibienetchacundesesbaisersmetransporteàmillelieuesdetousnossoucis.Jemelaisseemporteraveclui.Puis, lessivés,noustombonsl’uncontrel’autre.Maintenant, jesaiscequecelasignifiedesesentirfemme.C’étaitmerveilleux.

Simonmeserrecontre lui.Noussommesennage.Jen’aipasremarquéencoreàquelpointsonsouffleétaitsaccadéavantdeposermonoreillecontresapoitrine.Sonrythmecardiaquemedonnel’effetd’écouteruntambourdeguerre.L’inquiétudeprendledessus.

Jerelèvelevisageetcroisesonregard.

—Çava?

Ilserremamaindroiteposéecontresapoitrinepourmerassurer.

—Parfaitementbien.

Jemecolleunpeupluscontrelui.Jefrissonnemalgrémoi.Ilremontrelacouverturesurnous.

—Maintenant,ilfautdormir.

Sarespirationreprendunrythmenormal.Jeparviensàtrouverlesommeiletm’endors.Jenesuispasprêted’oubliercemoment.

ChapitreDix-huit:Lecalmeavantlatempête.

Simon

Saraestunevraiemarmotte.Lesoleilémergeàpeine,etjesuiscaptivéparlesquelquesrayonsdesoleilquipercentàtraverslesrideauxdemachambreetéclairentunepartiedesonvisage,parlesombres qui se détachent dans la pièce. J’adoreme réveiller à l’aube, car c’est pourmoi le signequ’unenouvellejournéedémarre.AuxcôtesdeSara,j’aiapprisquelavieestcourteetquechaquejourquejepasseprèsd’ellecompte.

J’attendsqu’elleseréveille.Samaindroiteremuesurl’oreillereteffleurel’enveloppequej’yaidéposée.Lecontactaveclepapierlaréveille.Sesyeuxs’ouvrenttimidement,sereferment,agressésparlalumièredujour.Elleémergedoucementdesessonges,sefrottelesyeuxetlesouvreenfin.Sespupilless’accoutumentpetitàpetitàlalumièredujour.

—Bonjourtoi.

Elleinspirebruyamment,serelèveets’étire.Lespaumeslevéesversleciel,ellebâille.Moi,jenevoisquesontatouagesursonpoignet.Ilesttoujourslà,témoinéterneldulienuniquequiexisteentrenous.D’unseulsourire,ellerendcettejournéemerveilleuse.C’estelleleplusbeaurayondesoleildecettematinée.

Sarabasculelatêteenarrièreetm’observepensivement.Jedonneraitoutpourm’immiscerdanssonesprit,pournerienignorerdesessentiments.Puisellesepencheetm’embrasse.

—Bonjour,chuchote-t-elle.

—Tunel’ouvrespas?

Son attention se reporte sur l’enveloppe. Son prénom est écrit à l’encre noire. Elle hésite puisapprochesamain.

—J’aicomplètementoubliédetedonnertoncadeauhiersoir.

—Cettesoirée,c’étaitlepluscadeauquetupouvaismefaire.Cen’étaitpasnécessaire.

—Situn’enveuxpas,jepeuxlarécupérer,laprovoqué-je.

Jefaisminedevouloirluireprendrel’enveloppedesmains,maisellelacollecontresapoitrineetlagardejalousement.

—Tudevraistedépêcherdel’ouvrirparcequelegrandméchantloupnevapastarderàarriveret

jemedisaisqu’onpourraittoutautantdéjeuneràl’extérieur.

—Tamère?

J’acquiesce.Mesparentsnedevraientpastarderàfaireleurgrandretour.Nuldoutequemamères’empresseradeprendreentièrepossessiondes lieux,ycomprisdedébarquerdansmachambre. Ilvaudraitmieuxqu’aumomentoùellepénètredanscettepièce,onsoitdéjàloin.

Sara passe délicatement son index sous la tranche de l’enveloppe et l’ouvre. Elle en sort deuxbillets,lesdétaillepuislèveunsourcilperplexe.

—DeuxbilletspourNewYork?

—Jesaisquejenepeuxpasencoretenirmapromessedefaireletourdumondeavectoi,maisc’estundébut.Jen’envisagepasdedevoirmepasserdetoipendantdeuxmoiscetétéetjeneveuxpasquetuteprivesdetafamillepourmoi.Laseulesolutionquej’aitrouvée,c’estdet’accompagner.

Sarasourit,heureuse.Ellesejettedansmesbras.

—Tuferaisça?

—Tunetedébarrasseraspasaussifacilementdemoi.

—Merci.

—Onferaitmieuxdes’activer.Allez,debout!

Je saute du lit le premier, enfile pantalon, chaussettes et tee-shirt. Lorsque j’en suis à lacermesbaskets,jerécupèrelarobebleuedeSaraquigitencoreàmespiedsetluilance.

—Allez!Qu’est-cequetuattends?

Ellerougitetserre ledrapcontresapoitrine.Maintenant, jecroiscomprendre.C’estfou!Ilyaquelquesheures,elleétaitnuecontremoietlàvoilàmalàl’aiseàl’idéedesemontrertellequelanaturel’afaite.

—Tourne-toi!m’invective-t-elle.

—J’aidéjàvutoutcequ’ilyavaitàvoir.Grouille!

—Fermelesyeux!insiste-t-elle.

—Onvavraimentjoueràça?

—Jenesaispasça…

Elles’interromptparcequ’unbruitdemoteurnousparvient.Mesparents!

—Trèsbien,t’asgagné!

Jemecachelesyeuxdemesdeuxmains.Lematelasgrince.Jetricheetsoulèvemonindex.Jemefaisprendreenflagrantdélitalorsqu’ellerabatsarobesursescuisses.

—Tricheur!grogne-t-elle.

Ellesebaissepourenfileruneballerineetsautillepourmettrelaseconde.Jeris.Saraaurabeaumemenacerautantqu’ellelevoudra,riendecequ’ellepourradirenemedissuaderademerincerl’œil.Jenemepriverais jamaisd’unspectacleaussicaptivant.Pourcela, il faudraitêtre idiot, fouou lesdeux.

Laporteclaque.Jeluifaissigned’approcheretsoulèvelafenêtredemachambre.Leventdularges’infiltredanslapièce.

—Qu’est-cequetufabriques?

J’enjambelereborddelafenêtreetfaisunpassurletoit.

—Tuvastomber!proteste-t-elle.

—Viens!Tunerisquesrien.Mamèrevaarriver.Tuveuxvraimentassisteràça?

Marépliquesembleavoirfaittiltetelleescaladeàsontourlereborddelafenêtre.Aupassage,j’enprofitepouradmirersessuperbesjambes.Saroberemontantlégèrementsursescuisses.Pudique,unefoisdebout,elletiredessusdetoutessesforces.

—Suis-moi.

Jemarchejusqu’auboutdutoitenpente,m’accroupisetmesuspensdanslevide.Saras’empressedemerejoindreenchancelant.

—Remonte,c’estdangereux.Tuvastefairemal!

Maisjenel’écoutepas.Ilyaàpeinedeuxmètressousmespieds.JelâchemesmainsetlesableamortitmachutealorsqueSarapousseuncri.Àpeineremissurpied,ellem’incendieduregard.

Jelèvelesbrasdanssadirection.

—Àtoi!

—Jenepeuxpas,c’esttrophaut!

—Jeterattraperai!Fais-moiconfiance.

Elleregardeenbas.Jedevinequ’ellealevertige.Ellereculeinstinctivement.

—J’aipeur,avoue-t-elle.

C’estàcemoment-làqu’onentendlavoixdemamèrem’appeler.

—Saute!

Sara semord la lèvre, fait une drôle demoue – comme si elle était constipée –, s’approche durebord,serrelespoingssurseshanches,fermelesyeuxpuismeregardedenouveau.

—OK,j’yvais,capitule-t-elle.

Ellesauteetcrie.Jeparviensàamortirsachuteetl’entraîneavecmoipourunepetiterouladedanslesable.Ellem’assènequelquescoupsdepoingsurlapoitrine.

—Tuescomplètementbarré.Tulesaisça?

—Jesuisaucourant.Etçanerisquepasdechanger.

Nousnousrelevons,époussetonsrapidementlesablesurnoshabits.Saratented’ôterlesgrainsquiont investi sescheveux,mais lorsque lavoixdemamère résonneà l’extérieur, jedevinequecettedernièreestdéjàpenchéeàmafenêtre.Nousnousregardonssilencieusement.Saraétouffeunrire.

Nous couronspourgagner lavoiture.Les clés sontdansmapoche. Jem’empressed’ouvrir lesportes àdistance.Nousnous jetons surnos sièges et je démarre en trombe. J’effectueunemarchearrièreet,àpeinecettemanœuvreterminée,mamèresortparlaportedelacuisineetnousinterpelle.Maisjem’empressedepasserlapremière.

Nous sommesmaintenant libres comme l’air. Sara ouvre sa fenêtre et le vent fait virevolter sescheveux.Jereportetoutemonattentionsurlaroute,maisnecessedeluijeterunregarddetempsàautre.Jel’observeagitersescheveuxdanstouslessenspoursedébarrasserdesgrainsdesablequiyont élu domicile. C’est à ça que ressemblera notre tour du monde. À ces moments pleins despontanéités.

J’allume la radio. «The fear » deBenHoward emplit l’habitacle. Les notes jouées à la guitaretrouventunéchoenmoi.Àcet instant, jen’aipeurde rien. Jenesuispas inquietpour l’avenir. Jepenseuniquementàl’instantprésent.Jesuissuruneautreplanète,àdesannées-lumièredetousmesproblèmes. Je suis tout simplement heureux. Je roule certainement trop vite, mais ça n’a aucuneimportance.

Sara

Jen’oublieraijamaiscettejournée.AprèsavoiringurgitéuncopieuxpetitdéjeuneraubardeBillet budes litresde café, nous avons arpenté lemarché auxpuces,maindans lamaindans levieuxMonterey. Puis nous avons repris la route jusqu’à la plage de Carmel. Nous avons coupé nostéléphonespourcesserd’êtreperturbéspar lesappelsdenosparents,pratiquementseulsaumondesurceboutdeplage.Quelquesbaigneursnousontimités,maisnousfaisonscommes’ilsn’existaientpas.

Pourmapart,jenevoisquelui.Simonsedéshabillejusqu’àneporterquesonboxeretjel’admire,stupéfaite,sedévêtirauxyeuxdetous.

—Tuvienstebaigner?medemande-t-il.

—Sansmaillotdebain?

—Unsoutien-gorgeetuneculotte,ilmesemblequec’estàpeuprèssimilaireàunmaillotdebain,non?

—Jen’aipasdevêtementsderechange,tenté-jederésister.

—Ilyadusoleil,çasèchera.Allez,personnenefaitvraimentattention!Maillotdebainousous-vêtement,ons’enfiche!Viens!Jesuissûrquel’eauestbonne.Jecroyaisquetudevaisprofiterdelavie?IlseraittempsdefairemoinsdanslepolitiquementcorrecteMademoiselleCummings!Ilmesemblequ’hiersoirvousétiezdavantagedansvosbonnesrésolutions.

—Jenesaispas.C’estgênant.

—Commetuveux,tun’asqu’àtemorfondrependantquejepiqueunetête,menargue-t-il.

Simoncourtjusqu’àlameroùilneprendmêmepasletempsdesemouilleravantdeplonger.

Etpuistantpis!

Ilaraison,ons’enfiche!Faisantfidemesappréhensions,jesoulèvemarobeetl’abandonnesurle sable. Simonme regarde d’un air amusé. Je l’imite et plonge tête la première. Je fais quelquesbrasses sous l’eau puis remonte à la surface. Simon est juste en face demoi. Jem’accroche à sesépaules,carjepeineàtoucherlesabledelapointedespieds.Ilm’embrassependantquelesvaguesnousmalmènent.Peuimporteoùlecourantnousmène,Simonestmabouée.Tantqu’ilmetientdanssesbras,jen’aipaspeur.

Nous nous livrons à quelques batailles d’eau. Nous finissons la journée mouillés, blottis l’uncontrel’autre,allongéssurlesablepoursécherausoleil.Çaaungoûtdeparadis.

ChapitreDix-neuf:Nem’abandonnepas.

Sara

Dansdeuxsemainesaura lieu l’évènement tempsattendudecettefind’annéescolaire : laremisedesdiplômes.QuinzepetitsjoursseulementavantqueSimonetmoinousenvolionspourdeuxmoisdevacancesàNewYork.J’aihâtequelesjourss’écoulent.OnnepeutpasdirequeMadameHarperaitétéenchantéeàl’idéedelaissersonfilss’envoleràl’autreboutdupays.NewYorkrestetoutdemêmelaplusgrossevilledupays.Celaacertainement jouéensafaveur,carsamèreafiniparsefaireà l’idée.Jecroisqu’ellecommencetout justeàmefaireconfianceet j’ensuisautanthonoréequesurmesgardes.Jenesaisjamaissurquelpieddanseravecelle.MadameHarperestuneénigmequejen’aipasachevédedéchiffrer.Jeladécouvreunpeupluschaquejouretloindepenserencorequec’estunefemmefroideetinsensible,ils’avèrequec’estunemamanpleined’inquiétudes,debonsensetquiplusest,dévouéeà lachairdesachair.Ellea finalementbeaucoupdepointscommunsavec ma mère. Elles pourraient même très bien s’entendre. Seulement, je préfère éviter de lesprésenterl’uneàl’autre.J’aipeurqu’àellesdeuxréunies,ellesfinissentparnousrendrechèvre.

Pour fêter lapresque finde l’annéeetparcequ’elle seraoccupéeàd’autres choses leweek-endprochainavecsonpetit-ami,Miaadécrétéquenousdevionsfaireunpetitpeudeshopping.Simonquantàlui,étaittropexténuépournousaccompagneretapréférésereposer.L’objectifdecetteviréeau centre commercial est de refairenotregardede robepour cet été.Pour cela, riende tel que lederniernumérodumagazinedemodefétichedemameilleureamie.J’aid’abordtentéderésisterauxessayagesenindiquantàMiaqu’iln’yapassilongtempsjesortaisdecemêmecentrecommercial,les bras chargés de vêtements,mais elle n’a rien voulu entendre.Aumoins, je nemanquerais pasd’habitspourlapériodeestivale.Annaenseraverte.Jemedoutequ’elleferasonpetitcapriceauprèsdenotrepèrepourqu’il lâche sa cartede crédit. Jeme laisse finalement tenterpar trois robes, unpantalon,deuxhautsetunepairedesandales.Toutcomptefait,cetaprès-midimefaitunbienfou.ÇafaisaituneéternitéqueMiaetmoin’avionspaspasséunmomentseules.Mêmesinotrerelationparaîtplusdistante,elle restemaplusprocheconfidentedanscetteville.Ellen’estcertespas toujoursdebonconseil,maiselleest toujours làpourmoi.C’estpourcettequalitéd’ailleursque je l’apprécieautant.

Jerentrelesbraschargésdetroissacs,lesposerapidementsurmonlitavantderécupérerlesclésdevoiture.Miam’ajustedéposéàlamaisonavantderepartirendirectiondechezJackpourunpetitdînerenamoureux.Monpetit-amim’attendcertainementchezlui.Mamannemedemandeplusoùjevais.

—Nerentrepastroptard,crie-t-ellequandjepassedevantlacuisine.

—Promis!hurlé-jeenouvrantlaporte.

Surlechemin,j’envoieuntextoàSimonpourleprévenirdemonarrivéeimminente.Savoitureestdevantlegarage.D’uncoupsec,jetiresurlefreinàmain.

Jefrappeàlaporteetpatienteletempsquequelqu’unm’ouvre.Auboutd’uneminuted’attente,jem’étonne que personne ne soit venu m’accueillir alors j’appelle Simon. L’appel bascule sur samessagerie.Jemedécideenfinàappuyersurlapoignée.Laportes’ouvre,maisjenedistingueaucunbruit.

—Ilyaquelqu’un?

Pasderéponse.

Jem’aventuredanslesalon:personne.Lavillaestdéserte.C’estétrange.

—Simon?

Riennonplus.

Jefaisdemi-tourlorsqu’unvéhicules’arrêtedevantlamaison.JereconnaislaMiniCooperrougedeZoé.Elleclaquelaportièreetmeregardecurieusement,presquegênée.

—Qu’est-cequetufaisici?

—JevenaisvoirSimon.J’aifrappé,maispersonnen’arépondu.Lorsquej’aipressélapoignée,j’airemarquéquelaporteétaitouverte.Oùsont-ils?

—Tunedoissurtoutpast’inquiéter…

Dèsqu’elleprononcesesmots,l’effetinverseseproduit.Jesuismorted’inquiétude.

—Ilestà l’hôpital.Mamèrem’aappeléencatastrophe. Jepasse juste récupérer sesaffaires. Jet’appelleraipourtedonnerdesnouvelles.

—Jeviensavectoi!

—Ilvautmieuxquetunelevoiespasdanscetétat.Iln’aimeraitpas.

—Jem’enmoque.Jeviens,unpointc’esttout.

Montonseclafaitsursauter.

—OK,commetuvoudras.Attends-moiici.

Ellemontejusqu’àlachambredesonfrère,enredescendcinqminutesplustard,unsacdesportenmain.Ellefermelaported’entrée, lance lesacsur laplagearrièredesaCooper.Jemontedans levéhiculesansattendresapermissionetneditpasunmotduvoyage.Jeneveuxriensavoir.Jeveuxjustelevoir.Cettefois,jerefusederesteràl’écartparcequejesaisqu’ilabesoindemoi.Etjeveuxêtrelàpourlui.

Simon

J’aidumalàrespirer.J’aicomptélenombredesirènesjusqu’àmonarrivéeauxurgences.Jen’aipasvoulualertermamèretoutdesuite,maisjesavais,depuiscematinenmelevant,quej’atterriraisune fois de plus dans ce fichu hôpital, qu’une fois encore je devrais m’habituer à cette odeurd’antiseptique.Noncontented’imprégnermesvêtements,j’aimaintenantlasensationqu’ellemecolleàlapeau.Pourtantcen’estpasça,l’odeuraussiincommodantesoit-ellequimechagrine.Cequimeperturbe,c’estquejen’aipaseule tempsdeprévenirSara.J’avaisbonespoirqu’aufildesheuresmonétats’amélioreraitetquejepourraispasserlasoiréeavecellecommecelaétaitconvenu.NousserionsallésmangerchezBillsurleport,puisnousaurionsétéàuneséancedecinéma.

Aulieudeça,jesuisallongésurcefichulit,latêtetournéeversleplafond,avecpourseulbruitceluidelaVNIetdel’oxygènequimepermetderespirer.J’inspiredifficilement,maisaumoinsjerespire. Et je ne peux pasm’empêcher dem’en vouloir parce que je savais que cela arriverait. Jesavaisparquoij’allaisl’obligeràpasser:lesheuresd’attente,lescouloirsdel’hôpital…Cen’estpascequejeveux.J’aimeraisqueSaras’abstiennedevenir,maissiellem’aécoutélapremièrefois,jelaconnais assez bien dorénavant pour savoir qu’elle suivra son instinct et que rien ni personne nel’empêcheradeveniràmonchevet.

Jesaisquejen’auraisjamaisdûm’attacher.J’aitentédel’éviter.MaisSaram’atourmentédèslepremierjour.Elleainvestichaquefibredemoncorps.Cettefille,çaaétélegrandfrissondemonexistence.Sanselle,jen’auraisjamaissucequ’étaitlebonheur.Maintenant,jen’aipluspeurdepartirversd’autreshorizons. Je l’ai rencontré legrandamour, celuiquimarque touteunevie. Jamais jen’auraisdûl’embarquerlà-dedans,dansmesgalères,maismaintenantelleyestplongéecorpsetâmeetjenepeuxplusfairemarchearrière.J’aimeraisqu’unavenirsereinsoitpossiblepournous,maistoutprésageducontraire.Jeprofiteraidechaquejour,dechaquerayondesoleil,dechaquesouffleque nous partagerons. Jem’en fais la promesse. Je n’aimerais qu’elle jusqu’àmamort. J’en suiscertainetc’estpeut-êtrecettecertitudequimefaitleplusmal,carjesuisentraindelafairesouffrir.J’aimeraispouvoir l’éviter,mais jenepeuxquemesoumettreàmonsort.Jenesaispaspourquoi,maisjesuiscertainquecequivientdesepassern’estpasqu’unebaissederégime.Jelesens.Jen’aijamaisencoreressentiunetellefatigue.J’aiconnudesjoursmeilleursqued’autres.Detrèsbonsetdetrèsmauvaisaussi.Jamaisunseulcommecelui-ci.Jesuiscertainementtroppessimiste.Samétaittoutlecontraire.Malheureusementpourlui,çaneluiapasplusréussi.

Sara

Je ne pense à rien durant le trajet. Je préfère faire le vide plutôt que d’imaginer le pire. J’aitellementpeur.J’aimeraissimplementquequelqu’unmetendelamain,medisequ’ilestinutiledemelaissersubmergeràcepointparlacrainteparcequeSimonestfortetquequoiqu’ilarrive,ils’ensortira.J’aimeraisqu’onmedisequetoutirabien.MaisZoéestincapabledelamoindreparole.Ellemarched’unpasdéterminé,portelesacdesportàboutdebrasetfoncecommeunbouletdecanondans les couloirs de l’hôpital. Jemanquede la percuter lorsqu’elle s’arrête brusquement à l’angled’uncouloir.MadameHarperestenpleinediscussionaveccequej’identifiecommeétantunmédecinenblouseblanche.

Delàoùnoussommes,leursparolesnousparviennenttrèsclairement.

—Votrefilssouffred’uneinfectionbronchique.Ilesteninsuffisancerespiratoireettrèsaffaiblie.

—Maisils’enremettra?

Lemédecingardelesilence,s’éclaircitlagorge.

— Ses résultats ne sont pas très bons pour lemoment. On fera tout ce qu’il faut pour qu’il serétablisse.

LesépaulesdeZoésontsecouéesparlechagrinetelleéclateensanglots.MadameHarper,alertéepar lebruit, se tourneversnous.Elle remercie rapidement ledocteurpuis, lesyeuxbrillants,nousrejointetréconfortesafilledumieuxqu’ellepeut.

—C’est la troisièmeporte àgauche,medit-elle.Tudevrais aller le voir.Lemieux est de fairecommesitoutétaitnormal,insisteMadameHarper.

Jenesaispasquoi répondre. Jevoudraispouvoirchanger lasituation.Fairecommesi toutétaitnormal.Jenesaismêmepluscequinormal.Est-cenormald’avoiraussimal?

Le cœur serré, j’abandonnemère et fille dans le couloir et avance à petits pas vers la porte. Jedéglutispéniblementenpénétrantdanscettechambred’hôpital.Simonestallongésurlelit,conscient,carsesyeuxcroisentlesmiens.Ilserecule,maislaisseassezdeplacepourquejepuissem’allongeràsescôtés.Jemeblottiscontrelui.Ilsoulèvesonmasqueàoxygèneets’emparedemamainpourlaposersursapoitrine.Leslarmesmemontentauxyeux.Levoirainsimebriselecœur.

—J’aipeur.

C’estlaseulechosequejepeuxdirelàmaintenant.Jesuisterrifiée.

—Sara…

J’enfouismonvisagedanssoncou.J’aimeraispouvoirmefondreenluipourquejamaislavienepuissenousséparer,quenousnefaisionsqu’unàtoutjamais.

—Moiaussi,avoue-t-il.

Je lèvemonvisageà lahauteurdusien,émueparcequec’est lapremière foisqu’ilm’avouesapeur.

—Jen’aipaspeurdemourir.J’aipeurquetum’oublies,dit-il.

Unsanglotm’étrangle.Jeprendsunegrandeinspiration.Deslarmessilencieusesm’échappent.

—Çan’arriverapas.Tuesgravéenmoimaintenant.

Pourpreuve,j’agitemonpoignetsoussonnez.

—Tunepeuxpasrenonceràtesrêvespourmoi.Tuneledoisjamais!

Jecroiscomprendreoùilveutenveniretjenepeuxlesupporter.

—Nedispasça!Neparlepascommesituallaismourir.Jenetelaisseraipasfaire.

J’enfouismonvisagedanssapoitrine.C’esttropdur.J’aimenti.J’aitoujoursaffirméhautetfortque jamais je ne verserai une larme pour un garçon. Simon n’est pas qu’un garçon parmi tantd’autres,c’estlapiècequ’ilmemanquaitpourtrouverlebonheur.

Ilsaisitmonmentonfermementpourm’obligeràreleverleregard.

—Regarde-moiSara!Promets-moiquetunerenoncerasjamais!

—Tum’aspromisdepasserlesvacancesàNewYorkavecmoi,luirappelé-je.

—Etjeferaitoutmonpossiblepourtenirmapromesse.

Ilestprisd’unequintedetoux.Jeserresamain.

—Tudoistereposer.

Jereposelemasqueàoxygènesursonnezetcalematêtesoussonmenton.Finalement,lebruitdelaVNIm’apaise.C’estl’assurancequel’êtrequicompteleplusaumondeàmesyeuxrespireencore.C’esttoutcequim’importepourlemoment,qu’ilvive.

ChapitreVingt:Maraisondevivre.

Sara

Jen’arrivepasàsuivre lescours. Jenepensequ’à revenirauchevetdeSimon, j’auraisaimé leveillertoutelanuit,maisaprèsm’êtreendormiedurantuneheureàsescôtés,MadameHarperetlemédecinontfiniparmecongédier.MamanestvenuemechercheraprèsqueZoél’aitappelé.Elleafaitsonpossiblepourmerassurer,tentédemeremonterlemoralpartouslesmoyens.Maiscen’estpasuneglacevanille,caramel,noixdepécanquipeutparveniràéradiquermesangoisses.

Enmeréveillantcematin,j’aieulesentimentdenepasavoirdormidepuisdesjours.Mesyeuxseferment tout seuls. Je suis exténuée.C’est la souffrancequim’épuise.Lapeur aussi. Jene saispascomment gérer tout ça, c’est nouveau pour moi. Je pensais que tout irait bien. Je l’ai cru aussilongtemps que cela était possible. Madame Harper n’a cessé de m’expliquer que la maladie étaitimprévisible,qu’onnepeutjamaisvraimentsavoirdequoidemainserafait.Jen’arrivetoujourspasàcomprendre,surtoutparcequ’iln’yarienàcomprendre.C’estarrivé,c’esttout.Iln’yapasd’autreexplicationquecelle-là.

Jenesavaispasencoreque l’annéedema terminaleseraitcellequibouleverserait toutemavie,maisjel’aicomprisàlaminutemêmeoùSimonaposésonregardsurmoi.Depuiscettesecondeoùilaprisconsciencedemonexistence,lamiennen’aplusétélamême.Ilm’arenduevivante.Simonestlameilleurechosequimesoitarrivée.Cequejeressenspourlui,c’estplusquedel’amour:jeluisuisdévouéecorpsetâme.Àtelpointquejen’imagineplusvivresanslui.Jeveuxmebattrepourlui,pourl’amour,pourlavie,parcequejesuiscertainequenotreavenirestpossible.L’histoiren’estpasencoreécrite,lanôtrenefaitquecommenceretjenelaisserairiennipersonnesemettreentrenous.Jenepeuxpascroirequenoscheminsseséparent.Ilestmamoitié,ledestinm’amissursonchemin.Cen’estpasunhasard:c’estunefatalité.Noussommesfaitsl’unpourl’autre.Pourquoil’aurais-jerencontré,véculesmeilleursinstantsdemonexistenceensacompagnie,sentimonêtrevibrerprèsdelui,sic’estpourqu’ilmesoitarrachétroptôt?Lavienepeutpasêtreaussicruelle.S’iln’enapaslaforce,moijemebattraipournousdeux.Jenelaisseraijamaistomber.

Je n’arrive pas àme faire à l’idée que je pourrais le perdre. Pourmoi ce n’est pas une optionenvisageable.

Lafindescourssonnetoutjustelorsquemontéléphonevibre.C’estZoé.Jeretiensmonsouffle.

—Ilfautquetuviennes.C’esturgent.

Jen’osepasluiposerdequestions.J’aitroppeurdecequ’ellepourraitdire.

—J’arrive.

J’ailachairdepoule.Jemesenscommeprisaupièged’uneeauglaciale.Moncœurralentit,mespoumonssevident,monsangseglaceetmonsoufflesecoupebrusquement.Jenesaisplusàquelsaintmevouer.Jeperdslatête,assaillieparuntourbillond’émotion.Jevaism’effondrer,maisJackmeretientdejustessealorsquejequittelaclasse.Miapasseunbrassouslemienpourmesoutenir.

—Qu’est-cequisepasse?s’inquiète-t-elle.

—IlfautquejevoieSimon.

—Jet’yconduis,dit-ellefermement.

Jelalaissemeguiderjusqu’àsavoiture.Jesuistropconfusepourrefuser.

Simon

Jen’ai rienvuvenir. Jen’ai ressentiqu’un légerpincementavantdeperdreconnaissance.Jemedoute que c’estmauvais. Je peux l’entendre. Je sens ses larmes chaudes couler surmon épaule. Jel’entendsrenifler.Siseulementjeparvenaisàouvrirlesyeux…

Sara

Lesorts’acharnecontrenousetjenesaispascommentfairepourchasserlemauvaisœil.Jemesensinutile.J’aitoujoursdumalàycroire.Simonestinconscient.Ilafaitunarrêtrespiratoiresuivid’unarrêtcardiaque.Toutcequej’aipucomprendre,c’estquelesmédecinsontdécidédeleplongerdansuncomaartificielpourluiéviterdesouffrir.Ilsessaientderesterconfiantsquantàlasuitedesévènements.Jecroissurtoutquelecorpsmédicalveutresterpositifmalgrétout.

Je suis paralysée. Allongée près de lui, je ne peux plus bouger. Je ne veux pas le perdre. J’ail’impressiond’êtresurunchampdebataille,seule,désarmée,etjenesaisplusquoifairepourm’ensortir. Jesuispriseaupiège.Mais jesaisquemecachern’estpasunesolution,que jen’aid’autrechoixqued’affronterl’inévitableetj’aipeur.Jen’aiqu’unechoseàluidire,làtoutdesuite:«tunepeuxpassavoiràquelpoint,jesuispaniquéeàl’idéedeteperdre».Quandj’ypense,jesuistellementangoissée que j’ai l’impression que je vaism’évanouir. Je ne peux plus respirer. Je ne peux pluspenseràriend’autrequ’àladouleurquej’éprouve.Alorsjepleuretoutesleslarmesdemoncorps.

MadameHarperetZoéonttentédemefairesortirdelachambre,maisjenepeuxm’yrésoudre.

Jecollemeslèvresàsonoreille.JesuiscertainequeSimonpeutm’entendre.

—Jet’enprie,resteavecmoi,murmuré-jetendrement.

Mais le bip de l’électrocardiogramme s’ajoute aux bruits ambiants et c’est toutmonmonde quis’écroule.Lecielmetombesurlatête.Jelesecoueparlesépaules.Maisiln’yaplusrienàfaire.Jerefused’ycroire.

—Non,non,non,reviens.

Je ne peux pas crier. Les sonsmeurent avant de sortir.Cette fois,ma respiration est bel et biencoupée.Jesombredanslafolie.L’équipedesurgencesmeparle,maisjen’entendsrien.Iln’yaquece bip strident qui siffle à mes oreilles. Un homme m’éjecte du lit. Je me laisse tomber au sol.J’assisteimpuissanteàlascène.Jevisuncauchemaréveillée.

Deuxmainsme soulèvent. Les secondes sont des heures. L’infirmière repose les palettes sur ledéfibrillateuretjesaismaintenantqu’ilnousaquittés.Jecrie,enfinjelecrois,parcequejenepeuxpasm’entendre.Jen’entendsplusrien.Leslarmesmebrouillentlavue.Jesuisenapnée.Jenepeuxplusrespirer.

Simon

Jem’envais,j’auraisaiméprofiterdavantagedeSara.Siseulementj’avaisdisposéd’unpeuplusde temps…La vie en amalheureusement décidé autrement. Je savais que cela finirait par arriver.Nouslesavionstous.Seulement,jenem’yattendaispasaussitôt.Letempsnechangerienàl’affaire.Sara va terriblementmemanquer.Mais je l’attendrai. Je sais qu’un jour, peut-êtremêmedans uneautrevie,jelareverrai.Monseulregretc’estdenepasluiavoirditunedernièrefoisàquelpointjel’aime.Maisjesaisqu’ellen’ignoreriendemessentimentsetçaréussitàm’apaiser,justeavantdetraverserlalumièrepourunderniervoyage.

Épilogue

Sara

Jenesaisplusvraimentoùj’ensuis.J’aivécucesderniersjoursenspectateur.J’assisteapathiqueaudéroulementdesévènementsetj’enaiassez.Jen’arrivetoujourspasàréaliserqueSimonnousaquittés,àl’accepter.Jevoudraisconserverlafoiquej’avaisjadisenl’avenir,maisc’estimpossiblepourlemoment.

Jepenseà toutes leschosesqu’onauraitpu faire, àcequenotrevieauraitpuêtreet cene serajamaisassezpouratténuermasouffrance.Jepensetropcertainement,maisjenepeuxpasm’arrêter.Nossouvenirsmehantent.

Jemesensseuleaumonde,dépossédéed’unepartiedemoi-même.Jevoudraismourirpourqueplusriennecompte,pourqueplusriennem’atteigne.Ladouleurestsiforte.

Commechaquedébutd’après-midi,jem’assoisàmonbureau,ouvreletiroirdubasetensorslamêmefeuillevierge.Elleestunpeufroissée.Je laposedélicatementsur lebureauet lacontempledurant des heures.Mesmains tremblent. Je les observe aussi. L’émotionme submerge, mes yeuxs’humidifient,monpoulss’emballe.Lecœurauborddes lèvres, l’enviedevomirmegagneparcequej’aipeurqu’enrédigeantenfincettelettrecelasignifiequejetournelapage.Jeneveuxpasécrireune nouvelle histoire. J’ai besoin de tous ces souvenirs, de toutes ces images qui me restent enmémoire.Jesuisfatiguéed’attendredésespérémentdevantcefichuboutdepapierdetrouverlesmotsjustes.Lorsquejenesuispasassiseàmonbureau,jepassemontempsprèsdelafenêtreàépierlarue.

Jesuissurlepointd’abandonnerunefoisencorepuisquandjerelèveleregardpourmeforceràvisualisertoutesnosphotosaccrochéesaumur,jetrouveenfinlaforcequ’ilmemanquait.

«Simon,monamour,

Tumemanquesterriblement.Jen’aipaspusortirdelamaisondepuistamiseenterre.Jeregardepasserlesjoursàtraverslafenêtredemachambre.Déjàdeuxmoisquetum’asquittéetcettepenséerestedouloureuse.Jenepourraisjamaism’yfaire,encoremoinsl’accepter.C’esttellementinjuste.

EncemomentlaradiodiffuseunmorceaudeBenHoward«Thefear».Jesaisquetoiaussitut’ensouviens.C’estlapremièrefoisquej’écoutecettechansondepuismonanniversaire.Jen’oubliepas

que tum’as forcéà sauterd’un toit.Uneaventurequi s’ajouteà toutes lesautresque tum’as faitvivre.Ilnes’estpaspasséunseuljourdepuistondépartoùjenemeretrouvepasentêteàtêteavecceboutdepapier.Parfois,j’arriveàécrirequelquesmots,maisjefinistoujourspartoutgommeretjepasselesheuresrestantesàdessinerdeux"S"entrelacéscommesurnotretatouage.Jenesaispascequimepousseenfinàt’écrireaujourd’hui.Lebesoindetedirecertainementtoutcequejen’aipasputeconfier.Jen’aimêmepaseul’opportunitédetedireaurevoir.Jeleregrette.Tunepourrasjamaissavoiràquelpoint.

JenesuispasalléeàNewYork,jen’aipaspum’yrésoudre.Levoyagen’aplusaucunsenssanstoi.Tum’avaisfaitlapromessequetut’envoleraisavecmoietmalheureusementledestint’enaempêché.

J’ai assisté à ton enterrement. Beaucoup demonde était là pour te pleurer.Moi, je n’ai pas puverserune seule larme.Je lesavaisdéjà toutesversées sur ton litd’hôpital. J’aipréféréme terrerderrièremes lunettesde soleilpourdissimulermapeine,marage. J’ai écouté lesdiscoursdeceuxvenus te rendre un dernier hommage. Voir tes parents en larmes, ta sœur s’effondrer, je ne m’enremettraijamais.Noussommestousmeurtrispartondépart.Tuaslaisséuntelvidederrièretoiqu’ilnepourrajamaisêtrecomblé.Jenesouhaiteàpersonnedeperdreunepartied’eux-mêmes.Jemesensterriblementseuleetvide.

Je ne sais pas comment t’annoncer ça,mais il y a trois semaines j’ai appris que je portais tonenfant.Nousnoussommespourtantprotégés.Nousnel’avonsfaitqu’unefois,maisjecroisquec’estuncoupdudestin.Ainsi,ilmeresteunpeudetoiaprèslesphotosetlessouvenirs.Mamanaplutôtbien réagi à la nouvelle. Elle pense probablement que celame permettra de sortir la tête hors del’eau. Dans d’autres circonstances, elle m’aurait traîné de force à un rendez-vous pour une IVG.Même tamèreabienréagi.Ellem’apromissonsoutienet sonaide.Elleappellesouventmamère.Comme on s’en doutait, elles sont faites pour s’entendre.Quelques fois je les écoute converser autéléphone durant des heures.Chaque jour, Zoé etMiame rendent visite. Ta sœur ne tardera pas àretrouverlechemindelafac.Malgrétout,elletientlecoup.C’estunefemmeforte.Tupeuxêtrefièred’elle.

Jen’aipaspumerendreànotreremisedediplômes.Jen’aipaspuretournerencoursnonplus.J’aireçudestasdemessagesdesoutiendelapartdenosamis.MêmeLindaestvenuemevoir.

Je ne sais pas pourquoi j’ai besoin de te dire tout ça. Sûrement parce que je sais que tudésapprouverais,quetuauraissouhaitéquejepoursuivremaviecommesiderienétait.Tum’asfaitpromettredenejamaisabandonnermesrêvesetjenecroispasquejeseraiscapabledelatenir.Tum’asdonnélaplusbelleleçondeviequisoit.Tum’asdonnégoûtàlavie.Tum’asapprisàl’aimer,àlavivrejouraprèsjour,pasaprèspas,àapprécierlemomentprésent,àprofiterdechaqueinstant,àme satisfaire de quelques sourires, à m’impatienter d’un baiser ou d’une caresse. Je peux encoresentirlapaumedetamainsurmajouelorsquejefermelesyeux.Jevoislescontoursdetonvisageetj’entendstonrire.Puisjesourisbêtement.Tum’asfaitprendreconsciencequelavien’apasdebutsinondenousfairedécouvrirlemondequinousentouretelqu’ilest.

Jediraisànotreenfantàquelpointsonpèreétaitunêtreexceptionnel,combienilailluminémonexistence et combien il aurait illuminé la sienne si seulement il avait pu rester parmi nous. Je luidiraisque sonpère serait fierde lui,que leplusbeaucadeauqu’ilpouvaitme faire, c’étaitdemelaisserunepartdeluidanscemonde.

Alorsquejecontinued’écrire,j’admirelesclichéssurlemur.Jesourisparcequ’ilyalaphotodenousdeuxencombinaisondeskiàAspen.Tusemblaissiheureux.CellequiretienttoutemonattentionresteleclichéduLoneCypress.Iln’yariend’autresurcetteimagequelepaysage,maislorsquejelaregarde,jemesouviensdetout.C’esticiquetoutacommencé.Jemerappellequetuavaistentédememettreengarde.Tuasessayédemerepoussercetaprès-midi-là,cartuétaisconvaincuquejefiniraistôt ou tard avec le cœur brisé. Et tu avais raison, parce qu’aujourd’hui j’ai le cœur en miette det’avoirperdu,maisnotrehistoiren’estpasterminée.Jesaisquelàoùtues,unjour,jeteretrouverai.Ceque tu ignoraisce jour-làenmedéfendantde t’aimer,c’estquec’était inutileparceque j’étaisdéjàtombéeamoureusedetoi.Jerefusaissimplementdemel’avouer.

Il n’y aura jamais assez de feuilles, jamais assez de mots pour te faire partager tout ce que jeressens,combientumemanques.Couchercesmotssurlepapier,c’estmafaçonàmoidetedireaurevoir.Tum’aslaisséleplusbeaucadeauquisoi.Tupeuxcomptersurmoipourprendresoindenotrefille.Jeneconnaispasencorelesexe,maisjesaisqueceseraunefille.Jelesensaufonddemoi.Net’inquiètepaspournous,nousnousportonsbien.

Jemesouviensqu’étendusurtonlitd’hôpital,tum’asavouéquetuavaispeurquejet’oublie.Jesaisquetunelirasjamaiscettelettre,quecesphrasespartirontenfumée,maisellessontlapreuvequ’ilm’estimpossibledet’oublier.

Unjourlasouffranceseraplussupportable,maislessouvenirsnéanmoinstoujoursaussiforts.Delàoùtues,j’espèrequetunousvoisetquetuveillessurnoustous.

Ilmeresteàtediremercipourcesderniersmois,pourtoutl’amour,lebonheuretlessouvenirsquetum’asdonnés.Nem’oubliepas.

Sara

P.-S.:jet’aime.»

Jereliscesmotschargésd’émotionetpleureensilence.Unelarmetombeaumilieudelalettreets’étend sur le papier. Je m’essuie les yeux, plie la lettre et l’insère dans l’enveloppe. J’écris sonprénomsurcettedernière.Aumomentoùjereposemonstylo,jelavois:Zoé.

Je ne l’ai pas entenduemonter.Ma porte de chambre est grande ouverte. Je ne sais pas depuiscombiende tempsZoém’observedroitecommeun«I».Priseenflagrantdélitd’espionnage,elletoquetimidementets’avance.Elleposesesmainssurmesépaulesetsepenchepourvoircequejetiens.

—Qu’est-cequec’est?

—Unelettre.

—Jesuisvenuvoirsituvoulaisfaireunpeudeshopping.Ilseraittempsquetusortesdetontrou.Sansvouloirtevexer,çasentlerenfermé.Tuasbesoindeprendrel’air!Tunepeuxpasresterlààtemorfondretoutelajournée.Onpourraitacheterdelalayette,dit-elle,enthousiaste.

—Jenepeuxpas.J’aiautrechoseàfaire.

Çanepeutpasattendre.Iln’yaqu’unseulendroitoùjepuissebrûlercettelettreenespérantquelafuméeemporteunpeudemesmauxàSimon.

—Chouette.Etoùest-cequ’onva?

—J’aibesoindelefaireseule.

Jerepoussemachaise,fourrel’enveloppedansmonsac.

—Jeviensavectoi,insisteZoé.

Jen’aipluslaforcedemebattreetZoésembledécidéeànepaslâcherlemorceau.Jebaisselesbras.Mieuxvautlaissercouler.Toutcequejeluidemande,c’estdemelaisserunmomentseule.

—Trèsbien.

Elleacquiesceetmesuitjusqu’àlavoitureoùelles’assoitsurlesiègepassager.Levoyagesefaitdanslesilenceleplustotal.Jem’arrêteaupéagedela17milesdrive,tendsunbilletpuisredémarrequandlabarrièresesoulève.Jeconnaislechemin.Jeroulelentementempruntantcommelapremièrefoiscecheminbordépar lesCyprès.L’estomacnoué, jeprends le tempsdemémoriser lepaysagecommesic’étaitladernièrefoisquejelevoyais.Etpuisjelevoisenfin,lecyprèssolitairesursonrocher. Jem’arrête au bord de la route sans prendre le temps deme garer. Le beau temps est aurendez-vous.Jepeuxentendrelebruitdesvaguesquis’écrasentsurlaplageencontrebas.Quelquesnuagesblancsparsèmentlecielicietlà.

—Attends-moiici.

J’amorceungestepourouvrirlaporte,maisZoéposesamainsurmonépaulepourm’arrêter.

—Jesaiscequeturessens.Jemedoutequetuesencolèreetqueriendecequejepourraisdirenetesoulagera,maisSimonn’auraitpasvouluça.Ilmeparlaitsouventdetoientermeélogieux.Ildisaitquetuétaispétillante,pleinedevie,bourréedetalent.Ilt’admiraitbeaucoup.Ilm’aconfiéqu’avantdeterencontrerilsesentaitdémuni.Sara,tuétaissaraisondevivre.

—Maintenant,j’aiperdulamienne.

J’ouvrelaporte,tiremonsacetlaclaquederrièremoi.Jen’aipasenviedesortirlesviolons.Jesaisquesonpetitdiscourspartd’unebonneintention,maisçamefaittropmal.Celamerappellecequenousavionsetcequenousavonsperdu.

J’avance d’un pasmal assuré jusqu’à la barrière en bois qui borde la route. Il y a un panneaud’informationsurleLoneCypress.Jen’aipasbesoindelelire.Toutcequ’ilyaàsavoirsetrouvedansmamémoire.Jeposemesmainsàplatsurlarambardeetfermelesyeuxpourmesouvenir.

«—Tunedevraispasfaireça.

—Pourquoi?

—Tuesunefilleintelligente.Situneveuxpasquejetebriselecœur,tugarderastesdistances…»

Subitement, mes paupières se soulèvent. J’émerge comme un baigneur remonte à la surface del’eau après avoir manqué se noyer. Je manque d’air. La chaleur de ce milieu d’après-midi estétouffante.J’expirecalmement.D’unemain,jefouilleàl’intérieurdemonsac,enextraitlalettre.Del’autre,jerécupèreunbriquet.Ensuite,jelaisselesactomberàmespieds,tendsl’enveloppedevantmoietallumelebriquet.Laflammeestvive,belle,dangereuse.Jel’approchelentementdupapier.Jele regarde se consumer alors qu’il prend feu. Un petit filet de fumée s’en dégage. Des cendress’éparpillentdans l’air. Iln’yaurabientôtplusdepapier,car le feusepropageetvient léchermesdoigts. Je résiste quelques secondes puis la douleur me fait lâcher prise et le dernier morceaus’envoleendirectiondularge.Leventlefaitvirevolteràlamanièred’uneplume.Jenelequittepasdesyeuxjusqu’àcequ’ilaitcomplètementdisparudemavue.

Jereprendsmonsac,lebasculesurmonépauleetmeditquedorénavantjedoisavancer.Simon,jel’aime et je l’aimerai éternellement d’un amour infini.Un amour comme celui-ci ne s’efface pas.Nous aurions pu passer notre vie ensemble. La suite de l’histoire nous ne la connaîtronsmalheureusement jamais.Mais je sais qu’elle aurait été à la hauteur de toutesmes espérances. J’aivéculaplusfolledesaventuresaveclui.Sic’étaitàrefaire,jenechangeraisriensansl’ombred’undoute. Je ne sais pas du tout ce que je vais faire de ma vie. Je ne peux plus rentrer à la maisonmaintenantparcequemamaison,c’était lui.Alors jem’enconstruiraiunenouvelle, j’yapporteraimessouvenirsetjeferaisensortequenotrefillesoitheureuse.Mêmes’iln’estpluslà,jepeuxsentirsaprésence. Il est partout, dans l’enfantque jeporte, dans l’air quim’entoure, leventquibatmescheveux,l’océanquis’agite,lesrayonsdusoleilquiréchauffentmapeau,dansl’obscuritéquandlanuittombe,partout,jusqu’àlafindestemps.

RemerciementsJecroisqu’ilmefautcommencerparremercierNanoulapremièrelectricede«Nem’oubliepas»

quim’afaitpartdesoncoupdecœuretm’aplusquemotivéeàcontinuerl’aventure. AlorsmerciNanoupourtonsoutien,tesnombreuxencouragementsettesbonsconseils.Mercid’êtretoujourslàdanslesmomentsdedouteetdemeredonnerlesourire.

JetienségalementàremerciermafamilleetégalementmesamiesChristine,Lucie,Jessica.

MerciàmonéditriceTatiana,jemesouviensencoredetonpremiermailpourfairepartduretourducomitédelecturequantàmonmanuscritetjepeuxtedirequejen’aijamaiseuautantd’émotion.Oui, tes commentaires m’ont même parfois mis la larme à l’œil. Ton engouement et surtout tonengagementm’ontfaitchaudaucœur.

MerciégalementàVirginieàquiondoitcettesublimecouverturequepersonnellementj’adore!

Etpuismerciàvouscherslectricesetlecteurs(ehnousn’oublionslesmessieurs)d’avoirsuivilesaventures de Simon et Sarah.N’hésitez pas àme faire part de vos commentaires, de vos ressentispositifscommenégatifs,carjelesaccueilleraiavecplaisir!

Présentationdel’auteurEmmanuelle Aublanc est née le 17 février 1990 en région Rhônes-Alpes. Toute petite déjà, les

histoires étaient une passion, une manière de rêver. Vers l’adolescence, ce sera la plume de J.K.Rowlingquilapousseraàdévorerdesromansdeplusdequatrecentspages.Delaplacedelecteuràcelled’auteur,iln’yaparfoisqu’unpasàfranchirmaisparmanquedetempsetd’idées,cen’estqu’àl’âgede21ansqu’elleprendralaplumepourécriresonpremierroman.

Emmanuelleestunrêveuseinconditionnellequiatoujoursadorémanierlesmotsavecsubtilitécarelles’estaperçuequ’ilsavaientplusdepoidsquelesgestesetquelorsqu’ilsétaientbienchoisis,ilspouvaient changer lemonde.NelsonMandela,MartinLutherKing, leDalaïLama et bien d’autrespenseurs et autres philosophes ont influencé par leurs écrits le monde d’aujourd’hui. Pour elle,l’écritureestunartquinedoitpasavoirpouruniquebutlesimpledivertissement,elledoitposerunregardsurnossociétés,conduirelelecteuràréfléchir,àseposerlesbonnesquestions.

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MEURTREAUMANOIRDESFÉES

EnBretagne,dansunmanoirisolé,uncrimeaeulieu.

Lavictimeétaitdétestéedetousoupresque.LecommissaireRenot,déjàsurleslieux,vamenersonenquêteaidéparCarolineBlake,envacancesdanslademeureaumomentdesfaits.

Mais qui se cache derrière cemeurtre ?La présence deBlanche, personnage hors du commun,pourra-t-elleaideràrésoudrecetassassinat?

DÉSARME-MOI[DouceCapitulation]

FortHolabird,Maryland.RinaJames,lieutenantetmédecindel'USArmy,quittesonanciennebasemilitairedel'Oklahomapourtenterderepartirdubonpied.

Aprèsplusieursannéesdeserviceetd'exildanscemonded'hommes,elleafaitsespreuvesetlesmèneàlabaguetteaussibienl'armeaupoingquedanssonlit.

Sous ses airs de femme sûre d'elle, elle a enfoui de profondes blessures qui l'empêchent deregarderversl'avenir.Biendécidéeànejamaiss'engagerpourlavie,elleseconsacreentièrementàsacarrièreetàsesamantsdepassage.

Toutefois sa rencontre avec le beau et si agaçant Aidan pourrait sérieusement compliquer sesaspirations...

L’INCONNU

Caroline,âgéedeseulementvingt-et-unans,estl'aînéed'unepetitetribuetvittoujoursauseinducoconfamilial.Jeunefemmeheureuseetépanouie,sonmondes'écroulelorsquesamèreluiapprendqu'elledoitquitterceconfortsécurisantdèslelendemain.

Après des adieux douloureux, elle s'apprête à faire face à un homme dont elle ignore tout, etpourtant...

Lesévènementsqu'ellevavivrepourraienttransformersesinquiétudesendenouveauxsentiments.

LESVIESD’ADÈLE1:Initiations

Adèle,belleblondeauxformesépanouies,esttouràtourprofesseur,agentsecret,photographeetmêmeactricedefilmX.

Elle incarne nos fantasmes, elle prend à contre-pied nos préjugés, elle se joue de nos sens, elleespèreréveillerenchacunsesdésirsinavouables.Elleexplorenosrêves,nosidéauxetnosdésirslesplusprofondsdanssesaventurestoujourssensuellesetsurtoutenivrantes.

Parfois elle fera l’expérience de ses propres démons. Ses différentes vies sont une initiation auplaisir.Lesien,lenôtre,levôtre…

LESLARMESDUPASSÉ

Bienquemalmenéparlavie,introvertietn’ayantpluspersonnesurquicompter,Axel,trente-deuxansestdevenuunbrillantavocat.

Passionnéparsonmétier,aupointdenevivrequepourcedernier,ilfaittoutpouraiderceuxquienontbesoin,jusqu’aujouroùundossiervabouleverserlecoursdesonexistence.

Arrivera-t-ilàfairefaceàcettedemandesansreplongerdanscepasséqu’ilatantvouluoublier?Oubien,est-celedébutd’unnouveaucalvaire?

ABOVEALL:EMBARQUER

Avant,moncréneauc’étaitlamétéo.Jusqu’àcequej’embarqueàborddel’USSPercivalLowelletcroiselarouted’AndreasVanAllen,pilotedechassesurcemonstrueuxnavire.

CommeàHollywood,lecapitaineVanAllenestcharismatique,frondeur…Terriblementsexy!Etc’estmonsupérieur,quej’airencontrédansdescirconstancesquimelaissentprésagerlepire,moinsd'uneheureseulementaprèsmonarrivée...

Comment suis-je censée faire la pluie et le beau temps quand je ne rêve que de le démolir ?Àmoinsqu'ilnes'agissed'autrechose...

Àparaîtreprochainement:

DÉSARME-MOI[DélicieuseVictoire]

RiennevapluspourRina.

Alorsqu’ellevientderompreavecAidan,uneterriblenouvellelareplongedanslestourmentsdesesseizeans.

Perdue, ellepart pour l’Afghanistanoù elle estmobilisée, laissantderrière elle lesdoutes et lesmenacesquiplanentautourd’elle.

Après l’attaquede soncampementqui la laisseplusmalque jamais, rienne semblepouvoir luiredonnergoûtàlavie.

3066LAMIA

An3066,Paris:La«GuerreUltime»aravagédepuislongtempslasurfacedelaTerre.Lamiavitson existence de jeune fille amoureuse et libertine dans une société dominée par les femmes. Lesénergiesfossilessontépuiséesetleprogrèstechniquebanni.Desextraterrestresauxdesseinsobscursontenvahilaterreetmenacentsonexistencemême.

Unenuit,NicolasFlamel, l'alchimiste,apparaîtànotrehéroïne.Il l'implorederemonterlecoursdu tempset ainsidécouvrir les secretsde l'énergieuniversellequedétiendraitNikolaTesla, savantgénialeticonoclastedudébutduvingtièmesiècle.

Tout d'abord, elle partira en Armor, un royaume hors du temps et de notre dimension où elleapprendra des techniques qui lui permettront de mener à bien sa mission palpitante. Elle y feraconnaissance de ses compagnons d'aventure : Stéphane, le scientifique, et Cynthia, la pulpeuseespionne.